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N° 2513

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2019.

PROPOSITION DE LOI

relative à reconnaissance de la Nation des massacres
de la rue dIsly du 26 mars 1962 et dOran du 5 juillet 1962,

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie BOYER, JeanClaude BOUCHET, Bernard DEFLESSELLES, Guy TEISSIER, Michèle TABAROT, Éric PAUGET, Éric CIOTTI,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 1952 et 1962, 1 343 000 jeunes appelés et rappelés et plus de 400 000 militaires d’active ont traversé la Méditerranée pour accomplir leur devoir sur les différents théâtres d’opérations d’Afrique du Nord.

Les conflits d’Afrique du Nord ont un bilan très lourd : plus de 25 000 militaires tués, plus de 70 000 militaires blessés, environ 400 000  victimes civiles d’origine africaine ou européenne.

Ils furent également un drame pour près d’un million de civils européens, contraints d’abandonner la terre où ils étaient souvent établis depuis plusieurs générations, ainsi que les « harkis » livrés à un destin souvent tragique.

Bien trop souvent minimisée, cette période de notre histoire ne doit plus être occultée.

57 ans après les « accords » d’Évian ([1]) du 18 mars 1962, les plaies de celles et ceux qui ont connu la guerre d’Algérie sont toujours ouvertes. Anciens combattants, rapatriés, « harkis », sont à jamais marqués par cette guerre.

Il est d’ailleurs important de rappeler que ces accords n’ont pas marqué la fin des massacres. Au contraire, la violence s’est poursuivie et même intensifiée après leur signature.

Cependant le Front de libération nationale (FLN) profita des accords d’Évian pour reconstituer ses forces armées et pour étendre leur autorité sur une grande partie du pays et de sa population. L’armée française s’y opposa jusqu’au 14 avril 1962, puis dut y renoncer. À partir du 17 avril 1962, le FLN déclencha une vague d’enlèvements contre la population française, supposée complice de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), dans les agglomérations d’Alger et d’Oran, mais aussi dans l’intérieur de ces régions. Le 14 mai 1962 la Zone autonome d’Alger, dirigée par M. Si Azzedine, rompit ouvertement le cessez‑le‑feu en déclenchant une série d’attentats ([2]).

Selon l’historien Jean‑Jacques Jordi : « de 1955 jusquaux accords dÉvian (18 mars 1962), il y a à peu près 330 disparus civils. On pouvait sattendre quaprès les accords dÉvian ce chiffre baisserait. Or entre les accords dÉvian et la date dindépendance (5 juillet 1962), cest à dire en quelques semaines, il y en a près de 600. Donc deux fois plus en 4 mois quen 6 ans de guerre ».

Le 23 mars 1962, le quartier de Bab‑el‑Oued était bouclé et soumis à une fouille. Les maisons étaient mitraillées, c’est ainsi qu’une petite fille fut assassinée alors qu’elle jouait à l’intérieur de l’appartement de ses parents. Femmes, enfants, vieillards manquaient de vivres, de médicaments…

Le 26 mars 1962, trois jours après le début de ce bouclage, une manifestation de pieds‑noirs tente de passer à travers le cordon militaire. Ces Français d’Algérie manifestaient pacifiquement à Alger, drapeaux tricolores à la main, pour marquer leur attachement à ces trois départements français qui les avaient vus naître, pour soutenir moralement les habitants du quartier de Bab‑El‑Oued et afin de leur apporter des vivres, des médicaments. Rien ne fut fait pour empêcher les Algérois de manifester. Le Préfet Vitalis Cros n’avait pas cru devoir instaurer de couvre‑feu.

Dans des circonstances qui, encore aujourd’hui, font débat, les soldats ouvrent le feu.

En effet, sans sommation, à 14 h 50, la troupe du 4ème régiment de tirailleurs ouvrit le feu, s’acharnant sur ceux qui s’étaient jetés à terre afin de se protéger. La version officielle dira que des coups de feu avaient été tirés d’un toit vers les militaires. Mais ceux‑ci, au lieu de riposter vers le toit où devrait se trouver le prétendu tireur, ont tiré à l’arme automatique dans la foule, frappant dans le dos des manifestants qui tentaient vainement de s’enfuir.

Pendant cette fusillade, le docteur Jean Massonnat, adjoint du professeur Portier, chef du Laboratoire central, décida de sortir pour porter secours aux blessés. Il était 15 heures. Alors qu’il était en train de prodiguer des premiers soins à un blessé, il est abattu par un tirailleur qui lui tire dans le dos. Amené au pavillon de garde de l’hôpital, il décède quelques minutes après.

Le professeur Portier et le docteur Debaille constatent alors que Jean Massonnat a été abattu à bout touchant, exécuté par un soldat français alors qu’il portait secours à un blessé. Malgré les interdictions d’inhumer, le docteur Jean Massonnat aura des obsèques dès le lendemain.

Cette fusillade unilatérale durera environ 12 minutes. La France n’avait pas respecté le cessez‑le‑feu.

Le bilan officiel fut de 49 morts et plus de 200 blessés. Toutes les victimes furent du côté des civils. Pas un mort du côté militaire, ni même un blessé.

Les familles ne purent enterrer leur mort dignement, les obsèques religieuses furent interdites. Les corps furent amenés directement aux cimetières par camion militaire au jour et à l’heure choisis par les autorités.

Une telle action de maintien de l’ordre, requérant des moyens matériels et humains conséquents, organisée et coordonnée, a été confiée par certains responsables français à une unité inapte au maintien de l’ordre.

Est‑ce une « bavure » imputable à quelques militaires ou au Gouvernement français ?

Il s’agit d’un événement d’une gravité exceptionnelle, de la répression d’État la plus violente qu’ait jamais provoquée en France une manifestation de rue depuis la Commune.

Durant de nombreuses années, les autorités françaises ont imposé le silence sur cette page dramatique de notre histoire.

Grâce aux travaux de chercheurs et historiens français les circonstances du massacre perpétré le 26 mars 1962 sont aujourd’hui connues. À cet égard, afin que toute la lumière soit faite sur cet événement, le libre accès à l’ensemble des archives doit être pleinement garanti.

Il est grand temps aujourd’hui que l’État français rompe définitivement avec le silence et reconnaisse officiellement les crimes commis le 26 mars 1962 lors de cette manifestation pacifique.

C’est le vœu de l’association des familles des victimes du 26 mars 1962. 57 ans après ces faits, il reste encore de nombreux membres des familles de victimes. Ils sont désormais très âgés et ont droit à la vérité sur ce drame qui a hanté leur vie. Ce silence méprisant des autorités françaises les ronge. Il est temps de connaître toute la vérité et que l’ensemble des archives soit ouvert.

Ensuite, il y a un autre massacre oublié, celui survenu le 5 juillet 1962 à Oran. M. Guy Pervillé ([3]), nous explique que « le massacre du 5 juillet 1962 à Oran a fait lobjet dune conspiration du silence et dune amnésie collective durant plus dun demisiècle ; et pourtant il a inspiré des témoignages, des enquêtes, et même des travaux dhistoriens beaucoup plus nombreux quon ne limagine. ».

Le 3 juillet 1962, Charles de Gaulle, alors Président de la République, reconnaît l’indépendance du pays. Selon les historiens, les autorités militaires françaises savaient qu’il aller se passer quelque chose.

En effet, un massacre d’une ampleur importante se déroula le 5 juillet 1962 à Oran. En quelques heures, environ 700 européens seront enlevés, torturés, liquidés en pleine rue. Beaucoup seront enterrés dans des fosses communes creusées près du Petit‑Lac ([4]) à Oran.

Le général Katz, commandant des troupes françaises à Oran de février à août 1962 explique que les premiers coups de feu auraient été tirés sur la foule des Algériens fêtant l’indépendance par l’OAS, cette organisation armée formée par des civils français d’Algérie et d’anciens militaires français qui avaient refusé d’accepter le cessez‑le‑feu du 19 mars 1962 et le référendum sur l’indépendance du 1er juillet 1962.

Mais selon plusieurs historiens, cette affirmation n’a jamais été prouvée.

Nous devons regarder  notre passé avec lucidité, et avoir pleinement conscience que les drames vécus par tant de familles, le sentiment de déracinement et de spoliation a généré́ des blessures dont certaines ne sont pas refermées.

C’est pourquoi nous devons aujourd’hui, au nom de notre Nation, reconnaitre les massacres commis après le 19 mars 1962, notamment les massacres de la rue d’Isly et survenus à Oran.


proposition de loi

Article unique

La République française reconnaît la barbarie et l’ampleur des massacres commis après le 19 mars 1962, notamment de la rue d’Isly du 26 mars 1962 et d’Oran du 5 juillet 1962, à l’égard de la population française, des militaires comme des civils engagés à nos côtés, de leurs femmes et de leurs enfants.


([1]) Dans un communiqué daté du 18 mars 1962, Louis Joxe, ministre d’État chargé des affaires algériennes, annonce que la délégation française et les membres du Front de libération nationale (FLN) représentés par M. Krim Belkacem sont parvenus à un accord pour mettre fin aux combats engagés depuis le 1er novembre 1954 en Algérie.

Le document comporte 93 pages et décrète très exactement un cessez-le-feu qui rentre officiellement en vigueur le lendemain le 19 mars. Mais le texte prévoit surtout l’organisation rapide d’un référendum afin que les populations "choisissent leurs destins". Dès le 8 avril, les Français sont invités à se prononcer sur les accords d’Évian qu’ils approuvent à une très large majorité (90,81 %). En Algérie, un référendum d’autodétermination se déroule le 1er juillet 1962 et le "oui" l’emporte à 99,72 % des suffrages exprimés.

([2])  https://francearchives.fr/commemo/recueil-2012/39115.

[3]  Auteur du livre « Oran, 5 juillet 1962, leçon d’histoire sur un massacre »

[4]  La nécropole nationale française du Petit Lac à Oran fut créée le 9 mars 1966 afin de regrouper, en un même lieu, les sépultures militaires, éparpillées sur le territoire algérien nouvellement indépendant.