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N° 2756

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2020.

PROPOSITION DE LOI

tendant à garantir un égal accès aux soins et aux maternités,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alain BRUNEEL, Pierre DHARRÉVILLE, Huguette BELLO, Moetai BROTHERSON, MarieGeorge BUFFET, André CHASSAIGNE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARDMONDÉSIR, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,

député·e·s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 10 janvier 2018, à l’invitation des parlementaires communistes, plus de cent personnes étaient réunies pour une rencontre autour du thème « Hôpital en danger, politique à refonder ». De nombreux témoignages de souffrance terriblement poignants se sont succédé, livrés par un personnel hospitalier, qui à bout de souffle et à bout de bras, fait encore se tenir debout nos hôpitaux et EHPAD publics.

Face à cette détresse, les parlementaires communistes ont décidé de transformer ce temps fort en un « Tour de France des hôpitaux et des EHPAD ». Cette initiative a donné lieu à la visite de 150 établissements aux quatre coins de l’hexagone et dans les territoires d’Outre-mer, et permis de rencontrer des milliers de personnes : agentes et agents hospitaliers, chef·fe·s de services, syndicalistes, usagers, membres des directions.

Forts de ces visites, ils ont déposé le 16 octobre 2019 la proposition de loi n° 2330 portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux. Dans la continuité de ce travail, la présente proposition de loi vise à répondre plus spécifiquement aux problématiques d’accès aux soins hospitaliers et notamment aux maternités.

Lurgence de renforcer le service public hospitalier

Outre le manque chronique de moyens et de personnels, les dernières réformes de santé (loi Bachelot 2009, loi Touraine 2016) ont mis à mal le service public hospitalier en promouvant une gestion de l’hôpital public calquée sur l’entreprise commerciale et les logiques de concurrence. L’instauration de la tarification à l’activité, la création des groupements hospitaliers de territoire comme l’usage des méthodes de management privé, sont les symptômes de cette dérive.

Au lieu de répondre à la crise de financement de l’hôpital public et aux aspirations des personnels hospitaliers, ces réformes ont été guidées par la seule recherche d’efficience du système de santé au détriment des missions d’intérêt général. La gestion comptable des hôpitaux a conduit à de nombreuses restructurations hospitalières et à l’augmentation de la souffrance au travail. Loin de revenir sur ces réformes, la loi Santé portée par la ministre Agnès Buzyn et adoptée en 2019, poursuit dans la même lignée en insistant sur les questions d’organisation et de sécurité de l’activité hospitalière tout en niant le problème central du financement. Cette rhétorique de l’efficience est ainsi mobilisée pour justifier des fermetures de maternités, des services d’urgences ou de chirurgie dans des territoires qui payent déjà les carences de la médecine de ville.

Le service public hospitalier est en état d’urgence, et les récentes mobilisations dans plus de la moitié des services d’urgence en 2019 ne sont que le miroir grossissant de la crise hospitalière caractérisée par un manque de moyens et de personnels, la stagnation des salaires, une augmentation de l’activité et des passages, et la déficience de la médecine de ville. Sortir l’hôpital des exigences de concurrence et de rentabilité est devenu un impératif pour garantir sur tout notre territoire des soins de proximité et de qualité. Il est indispensable de prendre en considération dans le cadre de l’élaboration du diagnostic territorial de santé, les réalités socioéconomique et sociale qui sont des déterminants à fort impact sur les besoins en proximité des professionnels de santé. Ainsi, les territoires en grandes difficultés économiques doivent pouvoir bénéficier d’un maillage de santé renforcé.

La nécessité de garantir légal accès aux soins

Parallèlement, les inégalités territoriales d’accès aux soins ne cessent de se renforcer dans notre pays. Chaque année, le désert médical français s’étend et s’aggrave, à tel point que des territoires se retrouvent aujourd’hui sans médecin généraliste et de plus en plus éloignés de l’offre publique de soins. Le nombre de médecins généralistes ne cesse de baisser depuis 10 ans, passant de 97 012 en 2007 à 88 137 en 2017. Parallèlement, l’offre de soins se concentre dans les grandes aires urbaines, laissant à l’abandon les territoires ruraux et périurbains, mais aussi ultramarins. Les grandes villes subissent cependant, elles aussi, des problématiques de désertification médicale. Cette situation risque d’empirer puisque l’offre de soins devrait encore être inférieure à la demande au cours des dix prochaines années.

La réduction des dépenses publiques de santé y est aussi pour beaucoup. Les fermetures d’hôpitaux, de maternités, et plus généralement de lieux de santé de proximité ont précipité l’extension de déserts médicaux, les médecins préférant s’installer à proximité de structures disposant de plateaux techniques.

Ces inégalités sont dramatiques pour nos concitoyennes et nos concitoyens qui renoncent de plus en plus à se faire soigner car les délais d’attentes sont trop longs ou l’offre de soins trop éloignée géographiquement. Elles entraînent des inégalités face à la maladie et une surmortalité dans les territoires les moins dotés.

Le paysage des maternités a profondément évolué

Les fermetures de maternités illustrent de façon prégnante les problématiques d’accès aux soins hospitaliers. Ces dernières années, ces structures ont vécu de très nombreuses transformations législatives. Suite au décret Dietrich de 1972, les structures dirigées par des sages‑femmes ont dû fermer leurs portes. Des normes de plus en plus strictes ont été érigées contraignant les maternités à se regrouper pour continuer de fonctionner.

En 1998, les maternités ont été divisées en trois niveaux de technicité :

– les maternités de type I, avec une simple unité d’obstétrique, pour les grossesses à bas risques et les naissances normales ;

– les maternités de type II, disposant en plus d’une unité de néonatologie pour les risques modérés et les nouveau‑nés nécessitant une surveillance particulière ;

– les maternités de type III offrant en plus de tout cela un service de réanimation néonatale, pour les grossesses à risques et les grands prématurés.

Les maternités de type I, les moins techniques, ont été et sont encore aujourd’hui les principales victimes de fermetures et de regroupements.

Ces fermetures résultent des choix contestables des gouvernements successifs et des autorités sanitaires qui invoquent l’argument de la sécurité des soins ainsi que la difficulté de recruter des soignants dans des bassins de vie peu attractifs.

Le Gouvernement actuel ne cesse de rappeler l’aspiration exprimée par les couples à mettre leur enfant dans « des conditions optimales de sécurité », tout en concédant par la voix du Président Emmanuel Macron que « l’agence régionale de santé (ARS) était parfois trop éloignée des préoccupations des habitants ».

Une baisse drastique du nombre de maternités conduisant à un allongement du temps de parcours pour les femmes en train daccoucher

Selon les derniers chiffres des autorités sanitaires (DREES, 2019), le nombre des maternités est passé de 816 maternités en 1995, à 502 maternités en 2017, soit une baisse de 40 %. Des exemples récents ont marqué l’actualité avec les fermetures des maternités de Vierzon et de Bernay ou encore la suppression très contestée de la maternité de Creil, alors qu’elle se situait dans la ville la plus pauvre du département de l’Oise et couvrait un bassin de vie de 150 000 habitants. Actuellement, plus de 35 maternités seraient encore sous la menace d’une restructuration ou d’une fermeture.

Ces fermetures ont des effets néfastes et conduisent inévitablement à des allongements très importants des temps d’accès à une maternité, surtout dans certains territoires ruraux. Ainsi, selon une étude du ministère de la santé (DREES, janvier 2019), 1,5 % de la population habite à 45 minutes ou plus de la maternité la plus proche du domicile. Cette proportion s’élève à 5,4 % en retenant le seuil de 30 minutes. Selon d’autres chiffres issus des travaux du géographe Emmanuel Vigneron, le nombre de femmes en âge de procréer se trouvant à plus de quarante‑cinq minutes d’une maternité a plus que doublé en vingt ans, passant de 290 000 en 1997 à 716 000 en 2019, soit 430 000 de plus. Le nombre de celles se trouvant à plus de trente minutes a, lui, augmenté de près de deux millions, passant de 1,9 million à 3,7 millions.

Si d’une manière générale les sages‑femmes sont de plus en plus nombreuses en France avec 15 % d’effectif supplémentaire entre 1999 et 2017, certaines zones géographiques restent sous‑denses d’après la DREES.  Selon cette même étude, les femmes enceintes cumulant un manque d’accès aux sages‑femmes et un éloignement important entre leur domicile et la maternité, peuvent rencontrer « des difficultés de suivi de grossesse ».

Dans le même temps, les maternités de type III ont été contraintes d’accueillir de plus en plus de grossesses à bas risque créant ainsi de véritables « usines à bébés », avec des structures accueillant de 3 000 à un peu moins de 6 000 bébés, dans lesquelles les conditions de travail ne cessent de se détériorer pour le personnel.

Des maternités continuent de fermer alors que le nombre de naissance reste stable

Ces fermetures drastiques de maternités paraissent illégitimes dans la mesure où le nombre de naissances reste relativement stable. Depuis les années 2000, les chiffres varient entre 700 000 et 800 000 naissances (près de 720 000 naissances en 2018). Avec 1,87 enfant par femme en âge de procréer, la France reste en tête des pays européens.

Le contexte actuel génère dans des cas de plus en plus nombreux des évènements dramatiques. Récemment, un reportage de l’émission « Envoyé spécial » sur France 2, a permis de mettre en lumière par le témoignage de Mme Evelyne Combier, pédiatre et chercheuse en santé publique, que plus le trajet dure longtemps, plus le bébé est en danger.

Elle indique que « pour un temps supérieur à 45 minutes, le taux de mortalité passe de 0,46 % des grossesses à 0,86 %. Cest deux fois plus. » Elle a ainsi recensé 6 700 accouchements inopinés, en bord de route ou à domicile entre 2012 et 2014. Hors des maternités, le risque de mortalité pour les mères serait multiplié par 6,5. Selon ses conclusions, il y a trois fois plus de risques, en accouchant en dehors d’une maternité, que le bébé soit mort‑né. Dans le territoire du Lot, en 2018, c’est 17 accouchements qui ont eu lieu sur le bord de la route en raison de la fermeture des maternités de proximité.

Des drames se déroulent fréquemment comme dernièrement, à Die dans la Drôme. À la fin de son 8e mois de grossesse, une femme a perdu son enfant, in utero lors de son transfert vers l’hôpital de Montélimar suite à la fermeture de la maternité de Die.

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*   *

Pour les auteurs de la présente proposition de loi, il importe de stopper les fermetures de maternité et plus généralement de mettre fin à l’éloignement des structures de soins de proximité pour les patientes et les patients. C’est pourquoi, ce texte porte comme ambition de renforcer la présence hospitalière sur le territoire national afin de garantir à nos concitoyennes et concitoyens un égal accès aux soins qui découle de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé.

En ce sens, larticle premier rend pleinement effectif le principe d’égal accès aux soins de sorte que le maillage du système de soins hospitaliers garantisse l’accès à un établissement de santé à moins de 30 minutes du domicile en transports motorisés. Cette mesure concerne en particulier les services de chirurgie et de maternité, dont les fermetures récurrentes contribuent à éloigner les patientes et les patients des structures de soins et d’accouchement.

Afin d’en garantir l’application, il convient d’élargir le périmètre d’activités des hôpitaux de proximité, qui assurent le premier niveau de gradation des soins hospitaliers. C’est pourquoi, larticle 2 prévoit que les hôpitaux de proximité peuvent assurer, outre leurs activités de médecine, d’imagerie et de biologie, les activités de chirurgie et d’obstétrique.


proposition de loi

Article 1er

I. – L’article L. 6112‑1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le principe d’égalité d’accès mentionné au premier alinéa comprend la garantie de pouvoir accéder à un établissement de santé mentionné à l’article L. 6112‑3, exerçant une activité de médecine, de chirurgie et d’obstétrique, situé à moins de trente minutes en transport motorisé. »

II. ‑ L’application du présent I ne peut avoir pour effet de réduire le nombre d’établissements publics de santé existants à la date de promulgation de la présente loi.

Article 2

Le III de l’article L. 6111‑3‑1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant du I de l’article 35 de la loi n° 2019‑774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, est ainsi modifié :

1° À la fin du premier alinéa, les mots : « n’exercent pas d’activité de chirurgie ni d’obstétrique » sont remplacés par les mots : « peuvent pratiquer des actes de chirurgie et d’obstétrique » ;

2° Le deuxième alinéa est supprimé.

Article 3

I. – Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – Les charges qui pourraient résulter pour les organismes de sécurité sociale de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.