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N° 2814

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un pôle public du médicament.

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution dune commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

député.e.s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire générée par le SARS‑cov‑19 révèle les fragilités de notre système de santé et nous enseigne la nécessité de repenser rapidement la structure de la production des produits médicaux. La France est au bord de la rupture de médicaments. Curare, morphine, propofol, midalozam, sont autant de produits essentiels pour permettre la réanimation des personnes atteintes du covid‑19, qui sont aujourd’hui en tension absolue. Les demandes ont bondi pour certains d’entre eux de 2 000 %. Concernant les anesthésiques et les hypnotiques, les demandes sont dix fois plus importantes. Et les laboratoires privés français sont incapables de répondre à cette demande.

Cette situation est la conséquence d’une gestion privée du médicament qui développe des stratégies de développement décorrélées de l’intérêt général, et qui met en danger de mort les françaises et les français.

Les laboratoires privés : le profit plutôt que lintérêt général

Les produits pour lesquels une rupture est à craindre sont des médicaments de base, essentiellement sous forme de génériques. Ils rapportent très peu de marges aux laboratoires. Alors ils n’en produisent que très peu. Et en cas de crise sanitaire comme celle que nous connaissons, trop peu.

Certains de ces produits nécessitent l’ajout de réactifs à leur composition. De la même façon, la fabrication de tels réactifs a été abandonnée par de nombreux laboratoires en France, du fait de la faiblesse des marges qu’ils dégagent. Ils étaient tous, avant, produits dans notre pays. La logique de profit a conduit les laboratoires à en externaliser la fabrication à des laboratoires situés dans d’autres pays. Cette logique de profits est absolument antinomique avec la mission d’intérêt général qu’on leur a confiée.

Cette logique cupide, face à l’inaction de l’État français, a conduit certains laboratoires à conclure avec d’autres État des clauses d’exclusivité en pleine période du Coronavirus, comme l’a fait BioMérieux, laboratoire spécialiste du dépistage, qui a conclu avec le ministère de la défense américaine un contrat commercial concernant les tests de dépistage rapide pour répondre à la pandémie de covid‑19.

Une utilisation dévoyée des outils de la propriété intellectuelle

Plus encore, les laboratoires utilisent souvent les outils de la propriété intellectuelle de façon abusive, afin de ne pas permettre la commercialisation des médicaments sous forme de génériques. Ils peuvent ainsi gonfler, parfois de façon hallucinante, les prix de médicaments que la collectivité doit payer via la sécurité sociale. Ils peuvent, sans découvrir de nouvelles molécules, prolonger la protection de certaines d’entre elles en trouvant de nouvelles utilisations possibles de ces molécules. Et permettre ainsi la privatisation de leurs médicaments pendant des décennies.

Le laboratoire Gilead a par exemple déjoué les dispositions en matière de propriété intellectuelle concernant le Tenofovir, en en faisant passer la durée initiale de 20 à 48 ans. Évidemment pas dans l’objectif de soigner plus de personnes, mais bien afin de dégager du profit sur un monopole qui lui assure des marges importantes.

Le laboratoire Sanofi ‑ qui a reçu en 10 ans 1 milliard d’euros au titre du CIR ‑ a par exemple tenté de breveter deux molécules contre la tuberculose connues depuis des décennies. Qu’un laboratoire puisse obtenir un brevet pour une combinaison de deux molécules qu’il n’a même pas découvert et dont l’intérêt a été démontré par de l’argent public (UNITAID), est une illustration parfaite du dysfonctionnement du système des brevets.

Et pourtant, la recherche publique participe largement à lenrichissement de ces laboratoires

Parce qu’il s’agit bien d’une privatisation : la recherche publique contribue de façon extrêmement importante à la recherche privée. Mais le gouvernement a favorisé la logique de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits dans la recherche. Par la sortie des professionnel·les du secteur public, tout d’abord, qui a été encouragée dans la loi PACTE par le gouvernement actuel. Si les chercheuses et chercheurs bénéficient des apports de la recherche publique pour leur formation, pour utiliser le matériel public, pour tester leurs hypothèses et leurs protocoles, ils et elles sont encouragé·es à aller développer la production et la commercialisation des produits dans des start‑ups. Qui vont donc encaisser les bénéfices.

De façon encore plus directe, les laboratoires bénéficient de l’argent public de façon extrêmement massive, par le biais du crédit d’impôt recherche. Créé en 1983, il avait vocation à encourager les laboratoires à… remplir leurs missions d’investissement en matière de recherche et de développement. Faiblement encadré, il s’agit pourtant d’une des niches fiscales les plus importantes, coûtant chaque année 6 milliards d’euros à l’État. Cela n’a pas empêché les comportements irresponsables des laboratoires, au premier rang desquels Sanofi, qui a supprimé des emplois dans la recherche ‑ 600 à Toulouse et 200 à Montpellier en 2011, qui dépense une grande partie des sommes publiques perçues pour de l’achat de brevets, qui a détruit une unité neuve de production à Montpellier et qui verse plusieurs milliards d’euros par an à ses actionnaires.  Or, les grandes avancées thérapeutiques semblent principalement issues de la recherche publique (bedaquiline, zolgensma, etc.), et les bénéfices sont reversés de façon abusive aux laboratoires privés. Les risques représentés par la recherche sont donc publics, socialisés, et les profits privatisés.

Il est temps que largent public dépensé dans la recherche de médicaments profite à la société

Le ruissellement n’a pas eu lieu, en matière de développement de la recherche. L’État a beau investir dans les laboratoires, il a beau leur imposer des contraintes, certes très faibles, la logique du profit empêche le développement de recherche fondamentale dont le rendement est incertain. Cette logique conduit à se débarrasser des médicaments qui n’assurent pas de marges aussi importantes que d’autres. Elle conduit à détourner les procédures de brevets pour reculer l’accès au public de la composition des médicaments.

Il est nécessaire de réaffirmer lindépendance de notre pays en matière sanitaire

La pression exercée sur les marchés pour l’approvisionnement en médicaments souligne par ailleurs la nécessité pour la France d’assurer sa souveraineté sanitaire. La globalisation néolibérale ne permet pas, en effet, d’assurer l’indépendance des pays. Ces moments de tension révèlent un des effets pervers du capitalisme : l’augmentation des prix devient la seule méthode de régulation, et la concurrence entre les pays confine à l’immoralité. En témoigne les accaparements des États‑Unis sur les masques commandés par la France.

La soumission à un système de santé hors de contrôle n’est plus acceptable à l’heure des grands défis que nous devrons relever tous ensemble.

La France est une des premières puissances mondiales, riche, dotée des meilleurs chercheurs, spécialistes, personnels soignants. A ce titre, il est indispensable de recentrer la production de biens essentiels à la survie des Françaises et des Français. Il est donc le moment de fonder, pour permettre la sortie de crise, un pôle public du médicament qui nous permette d’assurer notre indépendance, notre souveraineté, et la qualité de notre système de soin sans tenir compte des profits qu’ils génèrent.

La démonstration de cette inadéquation des laboratoires à remplir leur mission nous conduit à présenter cette proposition de loi en trois articles.

L’article premier tire les conséquences de l’appropriation privée de la recherche publique, en permettant un élargissement du dispositif existant de la licence d’office trop peu utilisé, qui permet au Ministre de la Santé de demander une suspension des droits attachés à la propriété intellectuelle d’un dispositif de santé. Cela garantira une production plus rapide de médicaments dès lors que l’intérêt général le justifie. Cela peut être le cas en situation d’épidémie, mais aussi de tension sur les marchés et de risques de ruptures de stocks.

L’article 2 vise à acter la création d’un pôle public du médicament, qui sera un établissement public scientifique et technique, qui aura vocation à s’assurer de l’approvisionnement de la France en matière de dispositifs médicaux. Lui seront immédiatement dédiés les 6 milliards consacré chaque année au crédit d’impôt recherche.

L’article 3, prenant acte de l’inefficacité la plus totale du crédit d’impôt recherche, abroge l’article 67 de la loi de finances pour 1983 qui l’institue. Par conséquent sont supprimées l’ensemble des dispositions réglementaires qui le régissaient.


proposition de loi

Article 1er

I. Les articles L. 613‑16 et L. 613‑17 du code de la propriété intellectuelle sont ainsi rédigés :

« Art. L. 61316. – Si l’intérêt de la santé publique l’exige, le ou la ministre chargée de la propriété industrielle peut, sur la demande du ou de la ministre chargée de la santé publique, soumettre par arrêté au régime de la licence d’office, dans les conditions prévues à l’article L. 613‑17, tout brevet délivré pour :

« a) Un médicament, un dispositif médical, y compris de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe, un produit de dépistage ;

« b) Leur procédé d’obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé de fabrication d’un tel produit ;

« c) Une méthode de diagnostic ex vivo.

« Les brevets de ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic sont soumis au régime de la licence d’office dès que l’intérêt général le recommande, notamment lorsque ces produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt général.

« Art. L. 61317. – Du jour de la publication de l’arrêté qui soumet le brevet au régime de la licence d’office, la licence d’exploitation est attribuée au Pôle public du médicament. Cette licence est accordée par arrêté du ministre chargé de la propriété intellectuelle à des conditions déterminées, notamment quant à sa durée et son champ d’application.

« Elle prend effet à la date de la notification de l’arrêté aux parties.

« Aucune redevance n’est due dès lors qu’une raison impérieuse d’intérêt général le justifie, ou dès lors que l’établissement qui détenait le brevet a bénéficié d’une aide de l’État, qu’elle soit financière, de compétence ou en nature. »

II. – L’article L. 5121‑10‑1 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Sous réserve de précautions sanitaires, les deux alinéas précédents ne sont pas applicables dès lors que l’intérêt général le justifie.

« Dans une telle situation, dès lors que le ministre chargé de la santé l’estime nécessaire, il peut confier au pôle public du médicament la fabrication et la commercialisation de solutions génériques immédiatement, quelle que soit la date initiale de l’autorisation initiale de mise sur le marché. »

Article 2

Après le chapitre II du titre 1er du livre IV du code de la santé publique, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :

« Chapitre II bis

« Pôle public du médicament

« Art. L. 14127. – Il est créé un établissement public à caractère technique et scientifique intitulé pôle public du médicament. Il est placé sous la tutelle conjointe du ministre chargé de la santé publique, du ministre chargé de la solidarité et du ministre chargé de la recherche, et est doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.

« Art. L. 14128. – Le pôle public du médicament a pour missions :

« a) D’assurer une relocalisation et une production publique de médicaments, de principes actifs, de réactifs, et diagnostics selon une planification établie par décret en Conseil d’État ;

« b) De garantir l’approvisionnement d’une réserve stratégique des médicaments essentiels ;

« c) D’assurer que le stock national de médicament soit suffisant pour faire face aux demandes de toute nature, et que les unités publiques de production seront suffisamment réactives pour faire face à un accroissement soudain de la demande ;

« d) De permettre la transparence sur les financements de la recherche et du développement et mise en place de conditionnalité au secteur privé bénéficiant d’aides à la recherche de médicaments et de vaccins ;

« e) D’assurer le contrôle de l’ensemble des prix des produits de santé, de communiquer leurs coûts de production réels. Pour les principes actifs importés, il dispose d’informations sur leur origine ;

« f) De réaliser l’expansion du recours aux plateformes de diagnostics dites « ouvertes » ;

« g) De décider de l’exportation de ses médicaments et produits de santé pour assurer une aide sanitaire à un pays en difficulté, après avis du ministère en charge de l’aide publique au développement ;

« h) D’assurer la publication de tous les travaux et études se rapportant à ses activités ;

« Un rapport rendant compte des diverses activités du pôle public du médicament est présenté chaque année au ministre chargé de la santé publique et au ministre chargé de la recherche. Il est publié au Journal officiel.

« Art. L. 14129. – Le pôle public du médicament est administré par une direction générale assistée d’un conseil d’administration. La direction générale est nommée par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé publique et du ministre chargé de la recherche, après avis du conseil d’administration.

« La composition du conseil d’administration du pôle public du médicament est déterminée par décret en Conseil d’État, Il est notamment composé de personnalités qualifiées issues :

« – du Conseil national de la recherche scientifique ;

« – de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale ;

« – du Haut conseil de la santé publique ;

« – des associations des usagers du système de santé publique.

« Y sont également nommés des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, parmi lesquels des députés et sénateurs issus des groupes d’opposition.

« Le Pôle public du médicament comprend un conseil scientifique et des sections spécialisées. Leur mission, composition et fonctionnement sont déterminés par décret.

« Pour assurer sa mission, le pôle public du médicament dispose de laboratoires et de groupe de laboratoires spécialisés, ainsi que de personnel scientifique, technique et administratif.

« Art. L. 141210. – Le pôle public du médicament comporte une unité de recherche et encourage la création d’unités de recherche au sein des établissements publics de santé, qui lui rendent des comptes selon des modalités définies par décret.

« Art. L. 141211. – Le pôle public du médicament peut approvisionner les officines de pharmacie et les pharmacies à usage intérieur des établissements de santé et des établissements médico‑sociaux.

« Art. L. 141212. – Le pôle public du médicament est abondé dès sa création par les financements publics correspondants aux dépenses publiques du crédit impôt recherche.

« Les dépenses de recherche de l’année précédente sont revalorisées en fonction de la variation de l’indice moyen annuel des prix à la consommation.

« Art. L. 141213. – Dès lors que l’état d’urgence sanitaire prévu par les dispositions du chapitre 1er bis du titre III du livre 1er de la troisième partie du présent code est déclaré, le ministre chargé de la santé, en lien avec le ministre chargé des affaires européennes, met en place une coordination et une planification des imports et exports des matières premières de médicaments, afin d’assurer l’approvisionnement en médicaments des Français et la solidarité avec les peuples qui en ont besoin. »

Article 3

I. – Les articles 199 ter B, 220 B et 244 quater B du code général des impôts sont abrogés.

II. – La charge pour l’État est compensée par la suppression du crédit d’impôt en faveur de la recherche prévue par le I.