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N° 2856

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à création dun fonds souverain destiné à soutenir
les entreprises françaises des secteurs stratégiques,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Olivier MARLEIX, Patrick HETZEL, Constance LE GRIP, Daniel FASQUELLE, JeanMarie SERMIER, Didier QUENTIN, Valérie BOYER, Gilles LURTON, Bernard PERRUT, Véronique LOUWAGIE, JeanLouis MASSON, JeanPierre DOOR, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Éric STRAUMANN, Fabrice BRUN, Michel VIALAY, JeanClaude BOUCHET, Bernard DEFLESSELLES, Fabien DI FILIPPO, Éric PAUGET, Geneviève LEVY, Thibault BAZIN, Philippe GOSSELIN, Nadia RAMASSAMY, Marianne DUBOIS, Stéphane VIRY, Vincent ROLLAND, Patrice VERCHÈRE, Bernard BROCHAND, Bérengère POLETTI, PierreHenri DUMONT, Josiane CORNELOUP, Claude de GANAY, François CORNUTGENTILLE, Valérie LACROUTE, Arnaud VIALA, Émilie BONNIVARD, Guy TEISSIER, Michel HERBILLON, JeanJacques GAULTIER, Guillaume PELTIER, Laurence TRASTOURISNART, Xavier BRETON, JeanLouis THIÉRIOT, Frédéric REISS, Valérie BEAUVAIS, Ian BOUCARD, Julien AUBERT,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France ne prend que tardivement conscience de la nécessité de protéger ses entreprises stratégiques. L’affaire Alstom a été, à ce titre, particulièrement symptomatique d’un angélisme qui nous a conduit à perdre le contrôle d’une entreprise pourtant vitale pour notre souveraineté économique, notre défense nationale et notre indépendance énergétique. Une telle perte de souveraineté n’aurait été possible dans aucune autre grande puissance économique.

˗ La crise sanitaire liée à l’épidémie de covid‑19 fait apparaître au grand jour ce qu’il en coûte d’avoir perdu sa souveraineté économique : la production de matériel médical et de médicaments, les plus essentiels et parfois les plus simples sont indisponibles sur notre territoire et nous laisse totalement dépendants de partenaires économiques donnant, et c’était prévisible, la priorité à leur population.

Cette difficulté à protéger notre souveraineté économique a résulté de trois facteurs :

˗ Une absence, à certaines époques et sous certains gouvernements, du moindre esprit de patriotisme économique. La conviction naïve, érigée en doctrine par la Commission européenne, que les « investisseurs n’ont pas de passeport ». Que le fait qu’une entreprise soit détenue par des capitaux français, allemands, américains ou autre était indifférent.

˗ Une absence de veille économique et d’outils de contrôles des opérations de fusions‑acquisitions transnationales. L’époque où un ministère de l’Industrie planifiait, pilotait, et veillait scrupuleusement au développement de notre tissu industriel est depuis longtemps révolue. Seule la Direction Générale de l’Armement joue encore ce rôle de vigie pour ce qui concerne son secteur. Au sein du ministère de l’économie, les compétences de la Direction générale des Entreprises sont, le plus souvent, priées de s’incliner devant les initiatives du monde de la finance. Les rares « engagements » imposés aux investisseurs étrangers n’ont rien à voir avec ceux que le Cfius américain impose aux investisseurs étrangers dans les secteurs stratégiques, où sont alors totalement dissociés actionnariat et gouvernance.

˗ Enfin, et plus fondamentalement encore, la France se heurte à l’absence de capital mobilisable. Le destin d’Alstom power est à cet égard riche d’enseignement. Lorsqu’il faut sauver Alstom de la faillite en 2004, le renflouement fait par l’État, il ne se trouve qu’un seul investisseur national de taille critique capable d’en prendre le contrôle. Lorsque, légitimement, dix ans plus tard, cet investisseur cherche à sortir, il n’existe aucune alternative nationale. La France est ce pays du « capitalisme sans capital ».  Une situation d’autant plus insoutenable que toute la stratégie nationale de constitution de notre indépendance, au lendemain de la Libération, et plus singulièrement. Depuis 1958, a reposé sur la constitution de « champions nationaux ». Ainsi 80 grandes entreprises seulement réalisent à elle seules 50 % du chiffre d’affaire de l’industrie française et concentrent 34 % des emplois. À chaque fois que la France perd le contrôle capitalistique d’un de ses champions, c’est donc tout un pan de notre tissu industriel qui s’effondre.

Certes, depuis 2007, des initiatives fortes ont été prises : la constitution du FSI, doté initialement de 7 milliards grâce au grand emprunt marque une rupture. Sa transformation en « banque publique d’investissement » gérant désormais un portefeuilles d’actifs de 30 milliards d’euros, la constitution du petit fonds « Silver Lake » dédié au secteur de la Défense,  marque une continuité heureuse par‑delà les alternances politiques.

La constitution des « pôles de compétitivité » à l’initiative de M. Nicolas Sarkozy, l’élaboration de contrats de filières dans le cadre de France industrie et son remarquable pilotage par M. Philippe Varin ont aussi permis à l’État de se rapprocher de son outil industriel. 

Enfin, la réécriture par l’actuel gouvernement, dans la loi Pacte, du dispositif juridique de contrôle des investissements étrangers en France mérite d’être saluée.

Si dans les circonstances qu’a fait naître la crise du Covid‑19, on peut espérer résolue la question de la prise de conscience, ainsi que celle des outils juridiques, la France est toujours désarmée du côté des outils capitalistiques. Les 30 Mds € dont dispose la BPI sont à l’échelle pour le développement de jeunes pousses, de PME, au mieux d’ETI, mais l’exemple de Vallourec montre qu’il y a un plafond à sa capacité d’intervention. 

À titre de comparaison, dans le cadre de son plan de soutien à l’activité économique, l’État allemand vient de se doter d’un fonds de stabilité de l’économie doté de 600 Mds € qu’il entend en partie dédier à la capitalisation d’entreprises en difficulté.

L’actualité suppose d’apporter une réponse urgente au besoin de contrôle capitalistique de nos entreprises, notamment celles que nous estimons les plus stratégiques. Leur sous‑valorisation boursière en fait des proies fragiles. Toutes n’ont pas en effet la capacité de procéder elles‑mêmes à des rachats d’action. C’est donc l’occasion, plus que jamais, de faire preuve d’innovation pour résoudre notre problème de contrôle capitalistique en constituant un Fonds souverain.

Dans certains pays comme la Norvège ou les pays du Golfe, les fonds souverains s’appuient sur une ressource stratégique comme le pétrole pour financer leurs actions. La France ne dispose pas de telles ressources mais n’est pas sans atouts, dont un majeur est l’épargne des Français. La réorientation de l’épargne constituée en produits d’assurance‑vie vers les marchés de capitaux est un constat fait par tous, mais sans avoir cherché jusqu’ici à en faire une réponse à notre problème de souveraineté économique. Nous partageons pourtant la conviction que les Français préfèreraient que leurs dépôts à long‑terme d’assurance‑vie servent à consolider notre industrie, à laquelle ils sont très attachés, plutôt que d’être placés à court terme, en « bons du trésor », sur de la dette Française. Rendre liquide de l’épargne à long terme est une aberration économique. Notre proposition vise à faire vivre cette épargne autrement, en direction des entreprises françaises des secteurs stratégiques, à travers un fonds souverain destiné à soutenir les entreprises françaises des secteurs stratégiques.

Le fonds souverain « France investissement » bénéficierait de trois types de ressources : d’une part les participations de l’État dans les entreprises actuellement gérées par l’Agence des participations de l’État, ainsi que certains actifs gérés par la Banque populaire d’Investissement, des émissions obligataires, et des actifs collectés à travers des filiales. À terme l’objectif est qu’un tel fonds puisse gérer de l’ordre de 300 milliards d’euros. Pour des raisons de souveraineté, il est proposé que le fonds souverain prenne la forme d’un établissement public. Il pourra lui‑même posséder une société de gestion d’actifs dont il détiendrait la majorité du capital. Ce fonds souverain substituerait à l’établissement public « Banque publique d’investissement » comme actionnaire de la Société anonyme « BPI France ». Ce fonds d’investissement ne remettrait pas en cause les filiales de BPI et les fonds d’investissements thématiques créés par la BPI et ouverts à des capitaux privés.

La mission de ce fonds souverain sera d’assurer la souveraineté de la France dans les secteurs économiques indispensables à son indépendance par sa présence au capital des entreprises concernées. En priorité la défense, l’énergie, les réseaux et services de transports, les télécommunications et systèmes d’information, l’eau, la santé, le traitement et stockage de données, le secteur spatial, la sécurité alimentaire et tous les secteurs de technologies critiques et sensibles. Il s’assure de la pérennité des entreprises de ces secteurs, veille à un niveau significatif de recherche et de développement pour assurer leur développement. S’il veille à la gestion de son portefeuille au mieux des intérêts financiers de la collectivité publique, il analyse la rentabilité de son portefeuille en prenant aussi en compte de l’intérêt stratégique à long terme des activités concernées. 

L’article 1 vise à la création du fonds souverain « France investissement », sa nature juridique, les missions qu’il poursuit et la délimitation des risques prudentiels ;

L’article 2 vise à déterminer ses ressources. Il reçoit en actif les participations de l’État aujourd’hui gérés par l’APE est notamment autorisé à émettre des titres obligataires ;

L’article 3 détermine sa gouvernance ;

L’article 4 vise à sa gestion administrative et financière ainsi qu’à son personnel ;

L’article 5 vise aux modalités de transparence ;

L’article 6 vise à la certification de ses comptes ;

L’article 7 vise au contrôle de ses comptes ;

L’article 8 indique que l’achat des titres obligataires émis par le fonds feront l’objet de mesures fiscales incitatives dont le régime sera fixé par ordonnance.


proposition de loi

Article 1er

Il est créé un établissement public de l’État, dénommé « France Investissement », placé sous la tutelle du ministre chargé l’industrie.

Ce fonds a pour mission principale d’assurer la souveraineté de la France dans les secteurs économiques indispensables à son indépendance par sa présence au capital des entreprises concernées. Il gère les ressources qui lui sont affectées afin de soutenir les entreprises françaises des secteurs stratégiques. Il s’assure de la pérennité des entreprises en veillant notamment à un niveau significatif de recherche et de développement pour assurer leur développement. S’il veille à la gestion de son portefeuille au mieux des intérêts financiers de la collectivité publique, il analyse la rentabilité de son portefeuille en prenant aussi en compte l’intérêt stratégique à long terme des activités concernées. 

Les actifs que le fonds France Investissement est autorisé à détenir ou à utiliser sont les instruments financiers énumérés à l’article L. 211‑1 du code monétaire et financier et les droits représentatifs d’un placement financier. Il est également autorisé à détenir toutes autres ressources ne relevant pas des dispositions du code monétaire et financier mentionnées au présent alinéa.

Dans toutes les entreprises où l’État détient plus de 50 % du capital à la date de la promulgation de la présente loi, ou à chaque fois que la loi a déterminé un seuil de participation minimal plus élevé, l’établissement public « France investissement » ne peut descendre au‑dessous du seuil en question, ou des 50 %, sans une autorisation législative expresse.

Les règles prudentielles auxquelles est soumis le fonds sont déterminées par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances.

ARTICLE 2

I. – Les ressources du fonds sont constituées par :

1° Les participations de l’État, gérés par l’Agence des participations de l’État, qui lui sont transférées par l’État et celles détenues par l’établissement public Bpifrance ;

2° Le produit de l’émission d’obligations au sens de l’article L. 228‑1 du code de commerce ci‑après dénommées : « bons France Investissement », émises par le fonds dans les conditions prévues à l’article L. 211‑2 du même code ;

2° Le produit des placements effectués au titre du fonds France Investissement ;

3° Toute autre ressource affectée par l’État au fonds France Investissement, dons, legs et produits divers ;

Le fonds est exonéré de l’impôt sur les sociétés prévues au 5 de l’article 206 du code général des impôts.

II. – Un décret précise les conditions dans lesquelles le fonds restitue au budget de l’État une partie de ses dividendes annuels et exceptionnels, ainsi que les conditions d’émission d’obligations.

ARTICLE 3

Les organes de direction du fonds France Investissement sont constitués d’un conseil de surveillance qui fixe les orientations générales de la politique de placement des actifs du fonds conformément aux objectifs assignés par la loi, et d’un conseil d’administration.

Le conseil de surveillance est composé de douze membres, dont dix sont nommés pour une durée de sept ans parmi des personnalités qualifiées en matière économique, financière ou industrielle : le Président et trois membres nommés par le Président de la République, trois membres nommés par le Président du Sénat et trois nommés par le Président de l’Assemblée nationale. Un représentant de l’Assemblée nationale et du Sénat désignés par leur Assemblée pour la durée de leur mandat.

Le conseil d’administration est exclusivement composé de neuf personnalités qualifiées en matière économique, financière et industrielle dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État et de deux représentants de l’État. Son Président est nommé par décret du Président de la République.

Le conseil d’administration nomme le directeur général sur une liste de cinq membres établie par le conseil de surveillance.

ARTICLE 4

La gestion financière des actifs fonds est assurée par le fonds France Investissement, afin notamment de préserver leur sécurité et au regard de leur caractère stratégique ; le fonds se substitue à l’établissement public Bpifrance au capital de la Banque publique d’investissement.

Par dérogation au premier alinéa, la gestion financière des actifs du fonds peut être confiée par voie de mandats périodiquement renouvelés et dans le cadre des procédures prévues par le code des marchés publics, à des prestataires de services d’investissement qui exercent le service visé au 4 de l’article L. 321‑1 du code monétaire et financier.

Les conditions d’application de cette dérogation sont fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances.

ARTICLE 5

Les membres du conseil de surveillance et du conseil d’administration sont soumis aux obligations déclaratives prévues au 7 du II de l’article 11 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013.

Un décret pris en Conseil d’État précise les règles de prévention des conflits d’intérêts applicables aux membres du conseil de surveillance et du conseil d’administration.

ARTICLE 6

Deux commissaires aux comptes sont désignés pour six exercices par le conseil de surveillance. Ils certifient les comptes annuels avant qu’ils soient soumis par le directoire au conseil de surveillance et qu’ils soient publiés.

Les dispositions des articles L. 822‑9 à L. 822‑18, L. 823‑6, L. 823‑7, L. 823‑12 à L. 823‑17 du code de commerce sont applicables aux commissaires aux comptes désignés pour le fonds.

ARTICLE 7

Le fonds est soumis au contrôle de la Cour des comptes, et de l’Inspection générale des finances.

Les rapports des corps d’inspection et de contrôle et les rapports particuliers de la Cour des comptes relatifs au fonds sont transmis au conseil de surveillance.

Le conseil de surveillance peut également entendre tout membre du corps d’inspection et de contrôle ayant effectué une mission sur la gestion du fonds.

ARTICLE 8

Un décret pris en Conseil d’État précise le régime fiscal applicable à l’acquisition des obligations émises par le fonds. Ces obligations font l’objet de conditions préférentielles permettant de garantir la pérennité du fonds en capital.

Article 9

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.