Description : LOGO

N° 2870

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.

PROPOSITION DE LOI

portant création dun conseil national
dévaluation des normes agricoles,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Julien DIVE, Nicolas FORISSIER, Bernard PERRUT, Fabrice BRUN, Philippe GOSSELIN, Thibault BAZIN, Marc Le Fur, JeanMarie SERMIER, Patrick HETZEL, JeanPierre VIGIER, Gilles LURTON, Michel VIALAY, Marianne DUBOIS, Josiane CORNELOUP, Bernard REYNÈS, JeanClaude BOUCHET, Rémi DELATTE, Olivier MARLEIX, Valérie BEAUVAIS, Véronique LOUWAGIE, Valérie LACROUTE, Annie GENEVARD, Stéphane VIRY, Laurent FURST, Emmanuelle ANTHOINE, Pierre CORDIER, Dino CINIERI,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La pandémie mondiale que nous connaissons doit nous rappeler la nécessité de disposer en temps de crise d’une capacité à assurer au pays un approvisionnement autonome dans les secteurs stratégiques. À ce titre, la recherche d’une souveraineté alimentaire doit figurer parmi les objectifs de l’État, nous amenant à reconsidérer la vitalité de notre agriculture.

Or si la France a fait figure pendant longtemps de champion agricole, tel n’est plus le cas aujourd’hui. L’agriculture française connaît en effet depuis les années 2000 une décroissance structurelle qui doit nous alerter : baisse des exportations, hausse des importations, disparition d’exploitations agricoles, achats de terres par des puissances étrangères…

Selon le rapport d’information de la commission des affaires économiques du Sénat « La France, un champion mondial agricole : pour combien de temps encore ? » de mai 2019, en seulement dix ans, notre pays a en effet chuté du troisième au sixième rang des principaux pays exportateurs agricoles, affichant la plus forte perte de parts de marché enregistrée à l’échelle mondiale dans ce secteur. Dans le même temps, les importations de produits agricoles et alimentaires ont presque doublé depuis 2000.

À ce rythme, la France connaîtra dès 2023 son premier déficit commercial agricole, et cela malgré un maintien des exportations en vins et spiritueux sans lesquelles le pays présenterait déjà un déficit agricole de plus de six milliards d’euros.

Dans nos campagnes, ces chiffres se traduisent par une érosion régulière du nombre d’exploitations agricoles de l’ordre de 1,5 à 2% chaque année. En dix ans, les défaillances agricoles ont ainsi causé la disparition de près de 13 % des exploitations.

Les conséquences sur le plan humain sont dramatiques. Entre le manque de revenus (30 % des chefs d’exploitation gagnent moins de 350 euros par mois), la dureté du métier et le prisme de la faillite, le mal‑être paysan est une réalité qui pousse un agriculteur au suicide tous les deux jours dans notre pays.

Nous ne pouvons pas nous résigner à assister à l’effondrement de notre agriculture et nous ne pouvons pas tolérer que ceux qui nous nourrissent se donnent la mort par centaines chaque année. Le monde agricole est en crise, il est urgent et vital d’agir.

Face à ce défi, les États généraux de l’alimentation de 2017 ont suscité de nombreux d’espoirs. Malheureusement, la loi Egalim dont il n’est ressorti que des mesurettes a tout autant déçu. Si la question du rapport de force entre agriculteurs et distributeurs a été partiellement traitée, la question primordiale du manque de compétitivité de notre agriculture sur le marché européen et mondial, elle, n’a même pas été posée.

Pourtant, nous connaissons la réponse : c’est l’excès de normes et de charges absurdes pesant inutilement sur les épaules des exploitants qui est la cause du décrochage de notre agriculture sur la scène européenne et mondiale.

Le monde agricole comme bien d’autres secteurs de notre économie est en effet la victime de l’inflation normative, mal bien français, nourrie par deux phénomènes convergents : la sur‑transposition de directives européennes et la sur‑règlementation en général.

Par sur‑transposition, nous entendons le fait pour un pays d’imposer à ses entreprises des obligations allant au‑delà de ce que requiert le droit de l’Union européenne, d’étendre leur champ d’application ou encore de ne pas mettre en œuvre une possibilité de dérogation ou d’exclusion qu’il prévoit.

Par sur‑réglementation, nous entendons la pratique de l’État consistant à imposer à un secteur des contraintes administratives dont l’intérêt n’est pas justifié au regard du coût et du temps perdu en procédures qu’elles génèrent.

Ces phénomènes observables dans tous les secteurs, privé comme public, sont particulièrement délétères s’agissant du secteur agricole.

Partant souvent d’une bonne intention de protection du consommateur et de l’environnement, les normes supplémentaires au droit de l’Union que l’État impose aux agriculteurs français sont pourtant contre‑productives dans une zone de libre‑échange telle que le marché européen. Non seulement elles nuisent aux exportations, mais elles favorisent l’importation de produits agricoles en provenance d’Europe et hors Union bien moins respectueux du consommateur et de l’environnement.

Pour mettre fin à ce cercle vicieux, il faut donc cesser de produire des normes supplémentaires inutiles, supprimer celles existantes et, pour celles qui nous paraissent essentielles, négocier une harmonisation au niveau européen et international. 

En dehors de toute transposition, il faut également mettre fin à la complexification administrative qui entrave l’activité agricole et épuise nos agriculteurs. Comment imaginer en effet une agriculture performante quand pas moins de treize organismes différents sont habilités à faire des contrôles et lorsque les chefs d’exploitation passent en moyenne neuf heures par semaine dans des démarches administratives ?

Ce constat fait, il s’agit de choisir le moyen d’action le plus efficace pour lutter contre ce fléau. À l’évidence, la perception qu’a l’administration des normes qu’elle produit diverge de celle des politiques et des professionnels du secteur impacté.

C’est pourquoi il nous semble impératif que des élus et des professionnels du monde agricole soient pleinement associés au processus décisionnel.

S’inspirant du modèle du « Conseil national d’évaluation des normes » dont le champ matériel se limite à l’impact technique et financier des normes sur les collectivités territoriales, la présente proposition de loi entend ainsi créer un « Conseil national d’évaluation des normes agricoles » dont l’objet sera de combattre l’inflation normative dans le secteur agricole afin de lui rendre sa compétitivité.

Concrètement, plusieurs missions lui seront dévolues.

Le Conseil national d’évaluation des normes agricoles devra être consulté toutes les fois où le gouvernement envisagera des projets de loi ou des actes règlementaires susceptibles d’avoir un impact technique et financier sur les exploitants agricoles. Le ministre devra fournir au Conseil des éléments justifiant la nécessité de leur édiction.

Par ses avis, le Conseil se prononcera sur l’intérêt de la norme en cause au regard de son impact sur la compétitivité de notre agriculture. Elle pourra proposer le cas échéant une solution plus adaptée à la réalité économique du secteur.

Le Conseil aura également pour mission de donner son avis sur les projets d’actes de l’Union européenne afin que soit négociée en amont une harmonisation de ces règles.

Le Conseil sera enfin chargé d’évaluer l’impact technique et financier des normes existantes et le cas échéant, d’en proposer une modification ou une suppression. À cet effet, il pourra être saisi par le Gouvernement, les commissions compétentes des assemblées et les organisations agricoles. Il devra également pouvoir s’autosaisir.

L’ensemble des avis rendus par le Conseil national d’évaluation des normes agricoles sera porté à la connaissance des acteurs du monde agricole et des citoyens via une publication au Journal Officiel afin que le débat sur la compétitivité de notre agriculture puisse utilement être nourri.

Concernant sa composition, le Conseil national d’évaluation des normes agricoles devra comporter, en sus des membres représentant l’administration, d’une part d’élus locaux et de parlementaires afin de remettre du sens politique dans les décisions, et d’autre part de représentants des organisations professionnelles agricoles afin qu’ils partagent leur connaissance des contraintes réelles du métier.

La vision que ces différents acteurs porteront à travers les avis du Conseil devra ainsi aider les autorités compétentes à distinguer l’essentiel du superflu dans leur production normative et libérer le monde agricole du carcan administratif.

Tel est l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi.


proposition de loi

Article unique

Le titre 1er du livre III du code rural et de la pêche maritime est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI

« Conseil national d’évaluation des normes agricoles

« Art. L. 3161. ― Le Conseil national d’évaluation des normes agricoles est chargé d’évaluer les normes applicables aux activités agricoles. Il a pour mission de lutter contre l’inflation normative dans le secteur agricole afin de lui rendre sa compétitivité.

« Art L. 3162. ― I. ―Le Conseil national d’évaluation des normes agricoles est consulté par le Gouvernement sur l’impact technique et financier, pour les exploitants agricoles, des projets de lois et des projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes qui leur sont applicables.

« Il émet également un avis sur les projets d’actes de l’Union européenne ayant un impact technique et financier sur les exploitants agricoles.

« II. ― Le président d’une assemblée parlementaire peut soumettre à l’avis du conseil national d’évaluation des normes agricoles une proposition de loi ayant un impact technique et financier sur les exploitants agricoles déposée par l’un des membres de cette assemblée.

« III. ― Le conseil national d’évaluation des normes agricoles peut se saisir de tout projet de norme technique résultant d’activités de normalisation ou de certification ayant un impact technique ou financier pour les exploitants agricoles.

« IV. – Dans les avis qu’il rend en application des I à III du présent article, le Conseil national d’évaluation des normes agricoles se prononce sur l’intérêt de la norme envisagée au regard de son impact technique et financier sur la compétitivité des exploitants agricoles.

« Lorsque l’application de la norme envisagée est susceptible de réduire la compétitivité des exploitants agricoles français, le Conseil propose le cas échéant une solution poursuivant le même objectif que la norme envisagée plus adaptée à la réalité économique du secteur.

« Art. L. 3163. ― I. ― Le conseil national d’évaluation des normes agricoles peut être saisi par le Gouvernement, par les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que par les organisations professionnelles agricoles d’une demande d’évaluation de normes législatives et réglementaires en vigueur applicables aux exploitants agricoles.

« II. – Il peut se saisir lui‑même de l’impact technique et financier de ces normes.

« III. – Dans les avis qu’il rend en application des I et II du présent article, le conseil national d’évaluation des normes agricoles peut proposer une modification ou une suppression des normes législatives et réglementaires évaluées si l’application de ces dernières entraîne, pour les exploitants agricoles, des conséquences matérielles, techniques ou financières manifestement disproportionnées au regard des objectifs qu’elles poursuivent.

« Art L. 3164. ― I. ― Les avis rendus par le conseil national en application des articles L. 316‑2 et L. 316‑3 sont publiés au Journal officiel de la République française.

« II. – Les travaux du conseil national font l’objet d’un rapport public annuel remis au Premier ministre, aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu’aux organisations professionnelles agricoles qui en font la demande.

« Art. L. 3165. – I. – Le conseil national est composé de représentants des organisations professionnelles agricoles, de représentants du Parlement, des collectivités territoriales et des administrations compétentes de l’État.

« Il comprend :

« 1° Douze représentants des organisations professionnelles agricoles ;

« 2°Deux députés ;

« 3° Deux sénateurs ;

« 4° Deux conseillers régionaux ;

« 5° Deux conseillers départementaux ;

« 6° Trois représentants de l’État.

« Le président et les deux vice‑présidents du conseil national sont élus parmi les membres siégeant au titre des organisations professionnelles agricoles.

« II. – Les mandats des membres du Conseil national d’évaluation des normes agricoles sont exercés à titre bénévole. Son secrétariat est assuré par les services du ministère chargé de l’agriculture.

« Art. L. 3166. ‑ Les modalités d’application du présent chapitre sont précisées par décret en Conseil d’État. »