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N° 3140

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2020.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative à la régulation de léconomie de lattention,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution dune commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. PierreAlain RAPHAN,

député.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La citoyenneté nécessite un apprentissage, une éducation. Nous naissons citoyens, mais nous le devenons également au travers de nos expériences.

Chacun est animé de doutes, d’envies, de déceptions et de confiance. Faire face à la frustration, à l’opposition, à l’imprévu conditionne fortement notre intimité puis notre capacité à intégrer des collectifs. Or organiser et accéder à une attention performante et lucide permet de jouir d’une réelle liberté individuelle et d’une place dans la Société.

À chacune de ces étapes notre attention est sollicitée pour être en mesure de gérer nos émotions et de les associer à notre mémoire afin d’en tirer une expérience utile c’est‑à‑dire nous rendant capables de comprendre tant notre intimité que notre environnement pour pouvoir agir consciemment et indépendamment.

Or cette attention est parasitée par une stratégie économique tirant profit de la connaissance de nos processus physiologiques. Des oligopoles et bien d’autres acteurs de moindre envergure, déploient des outils capables de stimuler la production, par exemple, des neurotransmetteurs, acteurs principaux des mécanismes de récompense.

Ces outils prennent des formes variées au travers d’applications multidimensionnelles, de fil d’actualité, de divertissements, d’un simple bip, d’accroches, etc. Ces outils, nous plongent, parfois, dans l’illusion du choix et de la spontanéité, de l’accès infini à tout et à tous réunis dans des « communautés désintéressées d’amis sincères ».

Ces outils captent et orientent notre attention plus précisément, plus rapidement et plus profondément que les interactions humaines classiques ne sauraient le faire. En effet, fondés sur des connaissances scientifiques et cliniques ils embarquent des techniques performantes tout au long de leur utilisation.

Dans cette configuration, la collecte de données renseigne sur les biais qui, à leur tour, incitent à fournir des informations de plus en plus pertinentes pour utiliser ces mêmes biais. Aussi est‑il est parfois difficile de sortir d’une telle boucle voire même d’en avoir conscience.

Ce n’est pas le service qui est le cœur de l’enjeu comme cela est souvent vanté, mais bien les données générées par l’utilisation de ces outils. Nous sommes ici dans l’exploitation industrielle des biais cognitifs de tout à chacun et, plus profondément d’un manque de vigilance, voir même, paradoxalement, d’une hyper vigilance.

Le mandat des députés est aussi d’alerter les citoyens. Les échanges, le partage de données, la confrontation fondent le jeu démocratique. Toutefois, la démarche retenue par des acteurs économiques change unilatéralement la règle.

Dans la nouvelle agora, certains animateurs parés d’oripeaux étincelants et de vertus standardisées promettent à l’ecclésia une liberté infinie sans frein ni contrôle. Cet espace ne connaitrait plus d’individus libres de leur attention mais des individus autocentré et soumis, réduisant l’attention individuelle à une unité de valeur marchande, à un gisement de richesses.

La présente proposition de loi constitutionnelle a pour but de s’attarder sur la valeur de l’attention et sa place dans l’écosystème démocratique, de permettre à chacun d’appréhender cette valeur et d’engager tout à chacun à une attitude responsable. Elle initie une démarche législative appelant une large concertation de chercheurs, de concepteurs, de juristes, d’acteurs de l’attention, de citoyens.

L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle a pour objet de venir amender le préambule de la Constitution de 1958. Le fait de compléter le préambule n’affecte en rien le caractère immuable et irrévocable de ce texte. De plus cet article a pour objet d’inscrire dans le Préambule de la Constitution une référence à cette loi afin de traduire la compréhension des enjeux.

L’article 2 de la proposition de loi édicte : « la Charte pour une économie vertueuse de lattention des citoyens est ainsi rédigée : »

L’article 1er exprime la volonté de la France de permettre à tous de réserver son attention en conscience et en connaissance. Pour cela elle s’appuie sur une démarche citoyenne.

Larticle 2 a pour objet d’engager les concepteurs et les fournisseurs d’outils requérant l’attention à favoriser l’émergence de dispositifs, numériques ou non, protégeant l’attention.

L’article 3 a pour objet de permettre à tous les citoyens dès le plus jeune âge et tout au long de la vie d’accéder à leur pleine et entière capacité à choisir en conscience et en action l’accès à leur attention ainsi qu’aux moyens utilisés.

L’article 4 a pour objet de réaffirmer le droit inaliénable de tout citoyen d’agir en toute liberté. Celle‑ci n’étant entravée que par l’intérêt de la République de rester une et indivisible sans communautarisme.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Le préambule de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « et la Charte pour une économie vertueuse de l’attention des citoyens » ;

2° Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Afin que les hommes demeurent libres et égaux en droits, ils doivent être libres d’utiliser leur attention comme bon leur semble pourvu que cela ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Article 2

La Charte pour une économie vertueuse de l’attention des citoyens est ainsi rédigée :

« Une attention performante et lucide permet de jouir d’une liberté individuelle et d’une place dans la société. 

« L’attention de l’individu et du citoyen ne peut se réduire à une unité de valeur marchande, c’est pourquoi, la société a le devoir de permettre à chacun d’appréhender l’immense valeur qu’elle représente.

« Tous les individus et citoyens ainsi que les organisations doivent faire preuve d’une attitude responsable pour préserver l’attention, sa formation, son accès et son emploi.

« Ce sont les raisons pour lesquelles nous proclamons :

« Art. 1er. – La France exprime sa volonté d’encourager la formation et l’autonomie des citoyens pour qu’ils jouissent en conscience de leurs libertés. En ce sens, la France affirme sa volonté de poursuivre un objectif de développement durable notamment quant à un accès à une éducation de qualité et la réalisation des conditions pour la justice et la paix.

« Art. 2. – Tout citoyen et toute organisation est tenu de s’engager à ne pas utiliser, ni développer, ni même encourager l’utilisation d’un outil développé selon un processus et un but requérant l’attention sans permettre à l’utilisateur d’en être informé, d’en comprendre les principaux buts et de conserver la capacité d’effectuer le choix d’en user ou non.

« Art. 3. – Tout citoyen devra être informé explicitement des techniques et des technologies relatives à l’attention. Tout citoyen pourra avoir accès à l’information et à l’instruction des savoirs, des techniques et des technologies relatives à l’attention.

« Art. 4. – Tout citoyen devra pouvoir donner son consentement éclairé quant à l’outil et les usages des technologies, des services basés sur l’attention dans le respect des droits et des obligations fondamentales échues à tout citoyen français ou toute personne résidante sur le territoire national. »