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N° 3150

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à rééquilibrer les relations entre la grande distribution
et ses fournisseurs,

(Renvoyée à la commission des affaires économique, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Grégory BESSONMOREAU, Thierry BENOIT, JeanBaptiste MOREAU, Sophie BEAUDOUINHUBIÈRE, Stéphane TRAVERT, Cendra MOTIN, Yves DANIEL, Séverine GIPSON, Arnaud VIALA, Ericka BAREIGTS, Barbara BESSOT BALLOT, Danielle BRULEBOIS, Guillaume GAROT, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Yannick KERLOGOT, Sandrine LE FEUR, JeanClaude LECLABART, Martine LEGUILLEBALLOY, Hervé PELLOIS, Nicolas TURQUOIS, JeanMichel MIS, Pascale BOYER, Patrice PERROT, Jacques MARILOSSIAN, Mjid EL GUERRAB, Éric BOTHOREL, Laurence VANCEUNEBROCK, Perrine GOULET, Richard LIOGER, Nathalie SARLES, Graziella MELCHIOR, Sylvain MAILLARD, Frédérique LARDET, Nicole TRISSE, JeanLuc FUGIT, Christophe BLANCHET, Stéphane TESTÉ, Véronique HAMMERER, Corinne VIGNON, Monique LIMON, Émilie BONNIVARD, JeanPierre CUBERTAFON, Pascal LAVERGNE, Danièle HÉRIN, Laurence GAYTE, JeanMarc ZULESI, MarieChristine VERDIERJOUCLAS, Jean TERLIER, Rémy REBEYROTTE, Didier MARTIN, Célia de LAVERGNE, JeanLuc REITZER, Nicole LE PEIH, Nicolas DUPONTAIGNAN, Julien BOROWCZYK, Caroline JANVIER, Jacques KRABAL, Michèle PEYRON, Olivier DAMAISIN, Maud PETIT, Joël GIRAUD, Claire OPETIT, Yannick HAURY, Paul MOLAC, JeanPhilippe ARDOUIN, Damien ADAM, Emmanuelle MÉNARD, Fabien LAINÉ, Danièle CAZARIAN, Fabienne COLBOC, Pascale FONTENELPERSONNE, Fabien GOUTTEFARDE, Valérie GOMEZBASSAC, Sabine THILLAYE, Pascal BRINDEAU, Pierre MOREL‑À‑L’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Nicole SANQUER, Michel ZUMKELLER, Pierre HENRIET, Gaël LE BOHEC, Fannette CHARVIER, Catherine KAMOWSKI, Annaïg LE MEUR, Sophie AUCONIE, Dominique POTIER, Frédérique TUFFNELL, Rodrigue KOKOUENDO, Jennifer De TEMMERMAN, Catherine OSSON,

députés.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi est l’occasion de traduire la reconnaissance de la Nation envers les agriculteurs ayant consacré leur vie à leur exploitation pour nourrir le pays mais aussi l’occasion de mettre plus d’éthique dans la définition du prix juste entre le monde agricole et non‑agricole, l’industrie agro‑alimentaire et non alimentaire, ainsi que la grande distribution (GMS).

Rééquilibrer les relations entre les différents maillons de la chaîne alimentaire est indispensable dans un contexte de crise économique imminente, qui risque de faire du prix le seul critère d’achat. La "guerre des prix" s’en trouvera sans doute accentuée et nous savons à quel point elle est destructrice de valeur, pour l’ensemble des acteurs. Il est donc essentiel d’en appeler à la responsabilité de la grande distribution et de ses fournisseurs directs comme indirects ‑ qui a su, dans de nombreux cas, travailler main dans la main avec les filières pendant la crise, en particulier pour favoriser l’écoulement de certains produits festifs et saisonniers ‑ et de mettre en place immédiatement des mécanismes susceptibles d’empêcher une aggravation de la guerre des prix.

Ces dispositifs ne constituent, en aucun cas, une charge ou un protectionnisme quelconque mais proposent une réponse à la défiance croissante entre acteurs de la production et de la vente de produits de grande consommation. L’agriculture française nous nourrit ; elle transforme nos paysages ; elle est aussi un formidable atout économique et écologique pour le pays. Surtout, elle est au cœur de notre identité : les agriculteurs ont toujours tenu une place particulière dans notre société ; améliorer les conditions de vie des agriculteurs français est une nécessité constante. En définitive, les agriculteurs ne demandent rien d’autre que de pouvoir vivre de leur travail par un juste prix payé. Pour y parvenir, il faut continuer à agir pour rémunérer le travail des agriculteurs et les libérer de la dépendance aux aides publiques.

Depuis deux ans, la France a adopté des mesures fortes pour soutenir son agriculture avec notamment les États Généraux de l’Alimentation promis et assumés par le Président de la République, puis la loi dite « Egalim », avec le relèvement du seuil de revente à perte, l’encadrement des promotions ou le recours possible en cas de prix abusivement bas.

Le Gouvernement a pris à bras le corps l’enjeu de la répartition de la valeur entre ceux qui produisent, ceux qui transforment et ceux qui distribuent les produits agricoles. C’était attendu et soutenu depuis de nombreuses années en particulier par l’ensemble des syndicats agricoles, et cela a été fait. Mais il y a eu trop de contournements de la loi « Egalim ». Il faut alors la renforcer afin que peu à peu s’organise un système où la valeur doit revenir et reviendra, pour une juste part, à celles et ceux qui produisent, commercialisent et distribuent.

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans la continuité de la commission d’enquête sur la grande distribution dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur aux côtés de son Président, M. Thierry Benoit. Le rapport issu de cette commission a été officiellement salué par les principaux syndicats agricoles de France et adopté à l’unanimité par ses membres.

Le paquebot que représente la grande distribution est le premier employeur de France (800 000 emplois), et rassemble à lui seul 300 milliards d’euros (M€) de valeurs échangées sur le marché́ national. C’est aussi le premier annonceur média français, le garant de la sécurité́ alimentaire du territoire et enfin « le garde‑fou » du pouvoir d’achat des Français.

La grande distribution doit, dans le cadre de sa métamorphose retrouver un résultat opérationnel en accord avec ses ambitions, et par la même, cesser de chercher à survivre par la création de marges arrière, de pénalités logistiques, de techniques de commercialisations amenant à facturer depuis Genève, Zurich ou Bruxelles des prestations que l’on pourrait qualifier d’abusives.

Le modèle auquel nous devons croire est celui d’enseignes proches de nos concitoyens, qui sponsorisent nos associations sportives locales, qui investissent dans les territoires quand d’autres les quittent, qui forment les populations qui n’ont pas eu la chance de faire des études poussées, qui recrutent les étudiants les week‑end, soirs et mois d’été en quête d’argent pour financer leurs études ; en d’autres mots, un modèle nécessaire à nos territoires et à notre économie nationale !

Il faut croire en la grande distribution, en l’expérience client, aux alliances locales et aux circuits‑courts en magasins, et enfin au développement d’une nourriture plus saine et plus bio grâce à l’équilibre « volume/prix bas » que peut apporter la grande distribution.

Mais l’accessibilité par le prix, qui doit rester une priorité́ absolue, ne doit pas être destructrice de valeur, bien au contraire, on doit y associer la notion de prix juste et de prix éthique.

Juste, car la notion de prix est une association psychologique entre la qualité́, la quantité́ et le coût. Depuis trop longtemps, et la commission d’enquête nous a permis de comprendre le mécanisme, une péréquation négative et destructive de valeurs encadre nos prix. Des promotions de 80 % ou 90 %, voire du gratuit via la technique de « cagnottage » des cartes de fidélité sur des produits d’appels, viennent artificiellement « gonfler » les prix des produits de première nécessité comme les produits frais, les pâtes ou bien les conserves alimentaires.

Éthique, car l’élaboration, la recherche et développement, la plantation, la culture, la récolte, la fabrication, la transformation, le conditionnement, la mise en rayon et la commercialisation ont un coût : le cout d’un travail dur, le cout d’un travail respectable et respecté, et le cout d’un travail digne et rémunérateur. La garantie de l’accessibilité de tous aux biens alimentaires ne doit pas mettre à l’écart les nouvelles demandes sociétales, culturales, environnementales et salariales. L’évolution du prix doit prendre en compte la dure réalité́ des agriculteurs français, des ouvriers de nos usines de transformations ou de productions et la demande des Français pour une alimentation plus sûre, plus saine et plus durable.

En remettant de l’éthique pour définir ce qu’est le prix juste, nous arriverons à redonner toutes ses lettres noblesses à l’agriculture française et à tous ses acteurs. Il est d’ailleurs important de souligner que plusieurs défis agricoles se régleront à l’échelle européenne. La vision politique du chacun chez soi chacun pour soi est mortifère pour l’agriculture française. C’est mentir aux agricultrices et agriculteurs.

Cette proposition de loi permet de recréer la confiance entre l’ensemble des acteurs, la confiance dans nos territoires, la confiance avec les consommateurs et les citoyens. Il en va de notre industrie agroalimentaire et non‑alimentaire parce qu’il y a une excellence française en la matière. Il en va de notre gastronomie, il en va de notre distribution, il en va de nos territoires et de leurs équilibres.

L’article 1er vise à assujettir les accords relatifs à la fourniture de produits de marque distributeur (MDD) au même formalisme contractuel que les produits de marque.

L’article 2 vise à encadrer la création de centrales d’achat et/ou de services et d’alliances à l’achat dès lors que la part de marché cumulée de ses membres paraît de nature à porter atteinte à la libre concurrence et à l’équilibre des relations commerciales sur le marché des produits alimentaires et non alimentaires. L’Autorité de la concurrence est chargée de fixer un seuil correspondant aux parts de marchés cumulées au‑delà duquel les rapprochements ne peuvent être autorisés. Tout accord visant à la création de centrales d’achat ou de services ou d’alliances à l’achat doit être notifié à l’Autorité de la concurrence et la réalisation d’un tel accord ne peut intervenir qu’après approbation de l’Autorité.

L’article 3 modifie l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime pour mettre en évidence l’obligation qui incombe aux interprofessions d’établir et de diffuser des indicateurs de coût de production.

L’article 4 prévoit la création d’un index, publié et actualisé mensuellement par l’Insee, permettant de modifier les prix parallèlement à son évolution et, en cas de variation importante, entraînant une renégociation obligatoire entre distributeurs et fournisseurs.

L’article 5 encadre les conditions dans lesquelles des pénalités logistiques peuvent être infligées par le distributeur à un fournisseur.

L’article 6 clarifie la notion de négociabilité du tarif, qui n’est pas remise en cause, mais qui doit être justifiée par des contreparties vérifiables et quantifiables, afin de garantir une juste proportionnalité entre d’une part les obligations et services consentis par les distributeurs et d’autre part les réductions de prix consenties par le fournisseur.

L’article 7 crée une obligation de faire dans la convention unique applicable à la négociation commerciale en France l’ensemble des montants versés à des entités internationales liées directement ou indirectement au distributeur concerné, dès lors que ces sommes sont rattachables à des produits qui sont mis sur le marché dans une surface de vente du distributeur implantée en France.

L’article 8 crée une obligation, pour le distributeur, de répertorier les services de coopération commerciale proposés aux fournisseurs par les distributeurs – au niveau français comme international – et établir un barème des prix exigés pour ces services.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 441‑7 du code de commerce est ainsi rédigé :

« Art. L. 4417. – Le contrat conclu entre un fournisseur et un distributeur portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur et vendus sous marque de distributeur remplit les conditions fixées à l’article L. 441‑4 et mentionne notamment :

« 1° Les conditions générales de vente ;

« 2° Le chiffre d’affaires prévisionnel, qui constitue le plan d’affaires de la relation commerciale. Lorsque sa durée est de deux ou trois ans, ce contrat fixe les modalités selon lesquelles le chiffre d’affaires prévisionnel est révisé.

« 3° Les engagements du distributeur en matière de volume de produits alimentaires achetés ;

« 4° La prise en compte, par l’acheteur, dans la détermination du prix des efforts d’innovation du fournisseur.

Article 2

L’article 462‑10 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa du I, les mots : « à titre d’information » sont supprimés ;

2° Le III est ainsi rédigé :

« La mise en œuvre de l’accord est conditionnée à la publication du bilan concurrentiel de l’Autorité de la concurrence et à son autorisation. Cette autorisation peut être conditionnée à une modification ou des modifications dudit accord. Lorsque la mise en œuvre de l’accord est susceptible de créer des atteintes à la concurrence présentant un caractère suffisant de gravité, l’Autorité de la concurrence peut s’y opposer. »

Article 3

À la deuxième phrase du neuvième alinéa du III de l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « élaborent et diffusent » sont remplacés par les mots : « ont l’obligation d’élaborer et de diffuser ».

Article 4

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Au début de la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre VI, il est inséré un article L. 631‑24 A ainsi rédigé :

« Art. L. 631‑24 A. – L’index des prix agricoles et alimentaires est publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Il tient notamment compte de l’évolution des matières premières agricoles et non‑agricoles, des coûts de l’énergie, des coûts salariaux, des coûts résultant de la gestion d’une situation d’urgence sanitaire ou d’une catastrophe naturelle.

« Un décret détermine les conditions d’application du présent article ».

2° Le 1° du III de l’article L. 631‑24 est ainsi rédigé :

« 1° Au prix ou aux critères et modalités de détermination et de révision du prix sur la base de l’index des prix agricoles et alimentaires mentionné à l’article L. 631‑24 A. Une variation importante de cet index entraine une renégociation du prix entre distributeurs et fournisseurs. Un tiers de confiance privé, désigné par les industriels et la grande distribution, s’assure qu’en cas d’évolution favorable du prix entraînant une plus forte rémunération des industriels, que cette évolution soit prise en compte dans les contrats de vente de produits agricoles. »

Article 5

I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre IV du code de commerce est complété par une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« les pénalités logistiques

« Art. L. 441‑17. – Les pénalités logistiques infligées aux fournisseurs par les distributeurs ne peuvent dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d’achat des produits concernés. Seules les situations ayant entraîné des ruptures de stocks peuvent justifier l’application de pénalités logistiques. La preuve du manquement doit être apportée par le distributeur.

« Aucune pénalité logistique ne peut être infligée pendant la période où l’état d’urgence sanitaire, défini au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, est déclaré. »

II. – Un décret fixe les modalités d’application du présent article.

Article 6

Au deuxième alinéa du III de l’article L. 441‑1 du code de commerce, après le mot : « vente » sont insérés les mots : « justifiées par la spécificité des services rendus ».

Article 7

Le III de l’article L. 441‑3 du même code est complété par un 4° ainsi rédigé :

« 4° La convention unique indique l’objet, la date, les modalités d’exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte, de tout service ou obligation relevant d’un accord conclu avec une entité juridique situés en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié ».

Article 8

Le code de commerce est ainsi modifié

1° Après la première phrase de l’article L. 441‑1, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le distributeur communique au fournisseur le barème de prix des services qu’il propose dans les mêmes conditions ».

2° Après le III de l’article L. 441‑3, il est inséré un III bis ainsi rédigé :

« III bis. – Les services relevant du 2° et du 3° font l’objet d’un barème de prix par service proposé. Il est communiqué dans les mêmes conditions que les conditions générales de vente visées au V ».