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N° 3163

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2020.

PROPOSITION DE LOI

favorisant lémergence dun modèle de coparentalité
dans lintérêt supérieur de lenfant,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sophie AUCONIE, Nicole SANQUER, Richard RAMOS, Frédérique DUMAS, Joël GIRAUD, JeanChristophe LAGARDE, Thierry BENOIT, FrançoisMichel LAMBERT, Caroline FIAT, Stéphane TROMPILLE, Guy BRICOUT, Pascal BRINDEAU, Michel ZUMKELLER, Bertrand PANCHER, Pierre MOREL‑À‑L’HUISSIER, Éric DIARD,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France le recours à la résidence alternée est de plus en plus fréquent. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de janvier 2019 : « La proportion d’enfants de moins de 18 ans en résidence alternée a doublé entre 2010 et 2016, et atteint 2,7 % en 2016. Ainsi, 400 000 enfants vivent la moitié du temps chez chacun de leurs parents séparés » ([1]).

Selon cette même étude, cette évolution est d’autant plus flagrante d’une génération à une autre : « Au fil des générations, de plus en plus d’enfants d’un âge donné alternent entre les résidences de leurs parents. Par exemple, à 10 ans, 2,0 % des enfants nés en 2000 étaient alternants. À cet âge, 2,5 % des enfants nés en 2002 étaient alternants, et c’est le cas de 3,7 % des enfants nés en 2006» ([2]).

Toutefois, le recours à la résidence alternée est hétérogène, selon les revenus du ménage et les territoires. En effet, plus un ménage est modeste, plus la proportion d’enfants alternants est faible : « En 2016, en dessous du troisième décile de niveau de vie, moins de 2,0 % des enfants sont alternants. La proportion d’enfants alternants augmente ensuite avec le niveau de vie. Elle est la plus élevée entre le cinquième et le sixième décile (3,7 %).» ([3])

S’agissant de la disparité territoriale, le recours à la résidence alternée est plus fréquent dans les départements dépourvus de grandes agglomérations. Par exemple, le département des Hautes‑Alpes compte 4,43 % d’enfants alternants comme celui de l’Ariège avec 4,01 % contre 0,4 % à Mayotte ou 1,16 % en Seine‑Saint‑Denis.

S’il est indiscutable que la résidence alternée concerne de plus en plus de familles, la garde exclusive est encore octroyée dans une large majorité aux mères. Selon une autre étude de l’INSEE : « En 2009, 160 000 enfants mineurs ont vécu le divorce de leurs parents (ou rupture de pacte civil de solidarité (PACS)). Selon les déclarations fiscales, un an après l’évènement, 76 % d’entre eux sont gardés principalement par leur mère et 9% principalement par leur père » ([4]).

Les français aspirent à l’émergence d’un nouveau modèle de parentalité permettant aux parents d’entretenir des liens forts et réguliers avec leur enfant afin qu’il reçoive les soins, l’éducation, l’instruction et l’assistance morale de chacun d’eux. Il est évident que l’entretien de ces liens est dans l’intérêt de l’enfant et cet intérêt commande l’émergence de ce modèle de coparentalité.

Au niveau international, de nombreux traités consacrent un droit pour l’enfant à entretenir des contacts réguliers avec ses deux parents. En atteste l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant ([5]) et l’alinéa 3 de l’article 24 de la Charte européenne des droits fondamentaux ([6]).

La résolution 2079 votée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le 2 octobre 2015 et intitulée « Égalité et coresponsabilité : le rôle des pères » énonce un certain nombre d’objectifs tels que l’égalité parentale, l’égale implication des parents dans l’éducation de leur enfant, la reconnaissance et la valorisation du rôle des pères auprès de leurs enfants. D’ailleurs, la réflexion de ce texte repose sur la recommandation 5.5 dans laquelle l’Assemblée appelle les États « à introduire dans leur législation le principe de résidence alternée des enfants après une séparation, tout en limitant les exceptions aux cas d’abus ou de négligence d’un enfant, ou de violence domestique, et en aménageant le temps de résidence en fonction des besoins et de l’intérêt des enfants ». Autrement dit, il s’agit de faire de la résidence alternée un principe dans le mode de résidence de l’enfant tout en respectant les limites déjà dégagées par la jurisprudence.

Notre société, loin de favoriser la coparentalité, semble privilégier la garde exclusive. Dès lors que la mère demande la garde exclusive, il est plus aisé pour le père d’obtenir la garde exclusive de l’enfant que d’obtenir la résidence alternée : « Lorsque chacun des parents demande la résidence chez lui, le juge prononce la résidence chez la mère pour 62 % des enfants, chez le père pour 36 % d’entre eux. Lorsque le père demande une résidence alternée et la mère une résidence chez elle, le juge prononce une résidence alternée pour 25 % des enfants et la résidence chez la mère pour 75 % d’entre eux » ([7]).

L’émergence d’un modèle de coparentalité dans l’intérêt supérieur de l’enfant commande l’établissement d’une présomption légale de résidence alternée. Cette présomption présente deux bénéfices : la détermination de la charge de la preuve et la réduction des contentieux.

Le premier bénéfice de l’établissement d’une présomption est de fixer la charge de la preuve. En créant une présomption légale de résidence alternée, il appartiendra au parent qui refuse la résidence alternée de prouver que ce mode de résidence de l’enfant est contraire à l’intérêt de l’enfant. L’établissement d’une telle présomption fait de la résidence alternée le principe en cas de litige sur le mode de résidence de l’enfant et dès lors qu’un des deux parents la demande. 

En outre, les pays qui ont opéré cette réforme notent un accroissement de la demande des parents vers une résidence alternée. Dès lors que le législateur consacre une présomption légale de résidence alternée, alors celle‑ci agit comme un repère dans la société et les parents qui se séparent optent plus facilement d’eux‑mêmes pour ce mode de résidence de l’enfant et par conséquent, réduisent le nombre de contentieux.

Bien que la résidence alternée soit le mode de résidence idéal de l’enfant dès lors que les parents se séparent, il existe autant de situations qu’il existe d’êtres humains. C’est pourquoi le juge doit conserver une marge de manœuvre dans l’appréciation de ces situations. Une jurisprudence constante s’est développée sur les limites au prononcé de la résidence alternée. Il est évident que des violences avérées ou un éloignement géographique trop important notamment, sont autant d’éléments prouvant qu’en l’espèce la résidence alternée n’est pas un mode de résidence adapté pour l’enfant.

Cette proposition de loi tient à mettre l’accent sur la responsabilisation des parents, ce qui est parfaitement illustré par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 septembre 2012 dans lequel le juge indique qu’il appartient aux parents « séparément mais aussi en concertation, de faire en sorte que cette résidence alternée ne fasse pas émerger de nouveaux problèmes au détriment des enfants : ils doivent viser à réduire et en tout cas laisser les enfants à l’égard de leurs propres conflits ; ils doivent rechercher, d’un commun accord, le ou les établissements scolaires les plus appropriés au regard de leurs adresses respectives mais également de leurs contraintes horaires de travail ; chacun doit être très attentif au respect des droits de l’autre parent, mais aussi à ne pas détériorer l’image de l’autre parent, voire (…) des grands‑parents, vis‑à‑vis des enfants ». Privilégier la résidence alternée c’est porter une responsabilité sur les parents qui doivent œuvrer pour que ce mode de résidence de l’enfant se passe dans les meilleures conditions et ce, dans l’intérêt de l’enfant.

Le conflit entre les parents n’est pas un argument de nature à faire obstacle à la résidence alternée : « considérant que le conflit qui oppose les parents ne peut servir utilement à faire échec à la demande de résidence alternée sauf à ce qu’il ne soit jamais fait droit à une telle demande et à nier tout droit à la mise en place d’une telle résidence, dans la mesure où, portée devant le juge, cette demande résulte nécessairement de l’existence d’un conflit » ([8]).

Enfin, selon une étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance publiée en 2012 et examinant les liens entre monoparentalité et réussite scolaire, les enfants de familles monoparentales sont plus exposées que les autres à l’échec scolaire. Par contraste : « Les élèves vivant en garde alternée chez leurs deux parents connaissent en revanche une meilleure réussite que les autres » ([9]).

Le second volet de cette proposition de loi pour l’émergence d’un modèle de coparentalité consiste à allonger le congé de paternité.

Aujourd’hui, le congé de paternité et d’accueil de l’enfant se distingue par sa faiblesse. Il est facultatif et correspond à 11 jours calendaires, donc comprenant les week‑ends et les jours fériés. La mère dispose de 16 semaines de congés de maternité dont une certaine période est obligatoire. Elle en bénéficie légitimement pour préparer l’accouchement, se reposer et tisser les premiers liens avec l’enfant. Durant cette période, l’autre parent n’a d’autre choix que de reprendre le travail et n’a pas la possibilité de tisser les mêmes liens avec l’enfant.

La faiblesse du congé de paternité est également préjudiciable pour l’autre parent qui doit seul honorer les rendez‑vous médicaux, fournir les soins et le temps que requiert un nouveau‑né ou encore accomplir la multitude de démarches administratives qui suivent la naissance de l’enfant. 

L’allongement du congé de paternité est un mouvement inexorable dans toute l’Europe. En Norvège, les pères bénéficient d’un congé d’un mois depuis 1995. La République Tchèque, la Roumanie, la République de Chypre, l’Estonie, l’Italie sont autant de pays qui ont créé ou rallongé leur congé de paternité en 2017 ou 2018. Depuis le 1er septembre, les pères autrichiens bénéficient eux aussi d’un mois de congé de paternité. Mieux encore, en Espagne, un texte a été voté à l’unanimité élevant progressivement le congé de paternité jusqu’à atteindre 16 semaines d’ici 2021.

Augmenter le congé de paternité peut constituer un élément de réponse face aux discriminations que les femmes peuvent subir à l’embauche car elles sont susceptibles d’être indisponibles suite à une grossesse. Pour que les femmes n’aient plus à subir de telles discriminations, il est nécessaire que les parents bénéficient de la même durée de congé. Conscients de l’effort que cela implique pour les finances publiques, ce texte propose d’imiter l’Espagne en échelonnant sur plusieurs années l’augmentation du congé de paternité jusqu’à ce qu’il atteigne le même niveau que le congé de maternité.

La réforme du congé de paternité proposée s’inspire largement du rapport de l’inspection générale des affaires sociales de juin 2018, co‑rédigé par M. Hervé Gosselin et Mme Carole Lepine et qui s’intitule « Évaluation du congé de paternité » ([10]). Ce rapport préconise d’allonger le congé de paternité pour qu’il atteigne 4 semaines. Pour ce faire, il suffit d’ajouter 2 jours de congé de naissance aux 3 jours existants en abaissant d’autant le congé de mariage. Ainsi, le congé de naissance s’élèverait à 5 jours, auxquels s’ajouteraient les 2 jours du week‑end pour obtenir une semaine complète. Le congé de naissance n’engage pas les finances publiques et le coût pour l’employeur est nul puisque l’allongement du congé de naissance est compensé par la diminution du congé de mariage. Pour ce qui est du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, il suffirait d’ajouter 10 jours de congés aux 11 jours existants.

Les pères pourraient ainsi bénéficier de 4 semaines de congés composées de 3 semaines de congé de paternité et d’accueil de l’enfant et d’une semaine de congé de naissance. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales évalue le coût supplémentaire pour la caisse nationale des allocations familiales à 331 millions d’euros.

Il convient d’assortir le congé de paternité d’une période obligatoire afin que les pères en bénéficient effectivement car 80 % des pères en contrat à durée indéterminée (CDI) choisissent le congé de paternité contre 48 % des pères en contrat à durée déterminée (CDD). Une période obligatoire réduirait l’influence de la précarité du contrat de travail sur la jouissance du congé.

Le Gouvernement s’est déjà déclaré favorable à l’allongement du congé de paternité. C’est le cas de la porte‑parole du Gouvernement, Mme Sibeth Ndiaye qui se dit « très favorable » à l’allongement dudit congé « à trente jours par exemple », le 21 juin 2020, jour de la fête des pères. C’est également le cas de la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Mme Marlène Schiappa, qui dans une interview au Parisien le 6 juin 2020 s’est interrogée : « En trois générations, les femmes ont conquis le droit d’aller travailler sans demander l’autorisation. Et s’il restait à conquérir le droit pour les hommes de se consacrer à leur foyer ? », elle a également pu assurer la représentation nationale, lors des questions d’actualité au Gouvernement du 23 juin 2020 que « le Gouvernement d’Édouard Philippe allongera le congé de paternité ».

Larticle premier établit une présomption légale de résidence alternée permettant au juge d’évaluer prioritairement la possibilité de prononcer une résidence alternée lors d’un litige sur le mode de résidence de l’enfant et à la demande d’un des deux parents.

Larticle 2 porte le congé de paternité et d’accueil de l’enfant à 21 jours et le congé de naissance à 5 jours.  

Larticle 3 engage le Gouvernement à augmenter chaque année le congé de paternité de 4 semaines jusqu’à ce qu’il atteigne 16 semaines.

Enfin, larticle 4 gage financièrement la proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

Le premier alinéa de l’article 373‑2‑9 du code civil est ainsi rédigé :

« En l’absence de preuve du contraire et en application des articles 373‑2‑7 et 373‑2‑8, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, afin de recevoir les soins, l’éducation, l’instruction et l’assistance morale de chacun des parents, de maintenir des rapports équilibrés et réguliers avec chacun d’eux ainsi que de conserver des relations de nature équivalente avec les ascendants et les membres de la famille de chaque branche parentale. À cet effet, le juge fixe une modalité de résidence alternée. Lorsque le juge estime que la modalité de cette alternance est limitée dans le temps, en particulier du fait de l’âge de l’enfant, il le précise sous forme de décision provisoire, ou bien prévoit une autre modalité à échéance définie. Lorsque l’enfant ne peut bénéficier de ces dispositions, le juge motive spécialement sa décision. »

Article 2

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 3142‑4 est ainsi modifié :

a) Au 1°, le mot : « Quatre » est remplacé par le mot : « Deux » ;

b) Au 3°, le mot : « Trois » est remplacé par le mot : « Cinq » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 1225‑35 est ainsi modifié :

a) Le mot : « onze » est remplacé par le mot : « vingt‑et‑un » et le mot : « dix‑huit » est remplacé par le mot : « vingt‑huit » ;

b) Il est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il est interdit d’employer le salarié durant les onze jours suivant la naissance de l’enfant, et en cas de naissance multiples, durant les dix‑huit jours suivant la naissance des enfants. »

II. – L’article L. 331‑8 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « onze » est remplacé par le mot « vingt‑et‑un » ;

2° Au deuxième alinéa, le mot : « dix‑huit » est remplacé par le mot : « vingt‑huit » ;

Article 3

Le congé de paternité est augmenté de quatre semaines chaque année jusqu’à ce qu’il atteigne seize semaines.

Article 4

La charge pour les organismes de sécurité sociale résultant de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  Élisabeth Algava, Sandrine Prenant et Leslie Yankan, « En 2016, 400 000 enfants alternent entre les deux domiciles de leurs parents séparés », Insee Première, n° 1728, janvier 2019.

([2])  Ibid.

([3])  Ibid.

([4])  Carole Bonnet, Bertrand Garbinti, Anne Solaz, « Les conditions de vie des enfants après le divorce », Insee première, n° 1536, février 2015.

([5])  « Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

([6])  « Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt ».

([7]) Direction des affaires civiles et du sceau, direction générale de la cohésion sociale, rapport intitulé : « Comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés », janvier 2014.

([8])  Paris, pôle 3 ch. 3, 31 mai 2012, RG n° 10/04248

([9])  Laurette CRETIN, « Les familles monoparentales et l’école : un plus grand risque d’échec au collège ? », Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Bureau des études statistiques sur les élèves, Éducation & formations, n° 82, 2012.

([10])  N° 2018-022R.