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N° 3209

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre imprescriptibles les viols sur mineurs,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marine BRENIER, Bernard REYNÈS, JeanLuc REITZER, Michel VIALAY, JeanPierre DOOR, Éric CIOTTI, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Julien DIVE, Brigitte KUSTER, Vincent ROLLAND, Arnaud VIALA, Bérengère POLETTI, Fabien DI FILIPPO, Bernard DEFLESSELLES, Fabrice BRUN, Alain RAMADIER, PierreHenri DUMONT, Bernard PERRUT, Maxime MINOT, JeanPierre VIGIER, Éric PAUGET, Virginie DUBYMULLER, Isabelle VALENTIN, Thibault BAZIN, Ian BOUCARD, Émilie BONNIVARD, Éric DIARD, Jacques CATTIN, JeanClaude BOUCHET, Nathalie SERRE, Laurence TRASTOURISNART, Nicolas FORISSIER, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Claude de GANAY, Annie GENEVARD,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 2018 et la loi sur les violences sexuelles et sexistes, le délai de prescription des crimes sexuels est passé de vingt à trente ans. L’article 1er de cette loi est donc une avancée en soi. Cependant, l’augmentation de ce délai a soulevé bien des questions et a d’ailleurs lancé un débat sur la nécessité ou non de rendre ces crimes imprescriptibles.

L’imprescriptibilité, plusieurs députés du groupe Les Républicains, qui, comme leurs homologues sénateurs dès 2017 au sein d’une proposition de loi, l’ont proposée et défendue et ce, dans un seul et unique but : protéger le plus de monde possible et surtout les enfants.

A cette époque, l’argumentaire de la majorité pour refuser cette imprescriptibilité, porté par la rapporteur Alexandra Louis, était de dire que cette dernière ne pouvait concerner que les crimes contre l’Humanité et donc aurait des chances d’être reconnue comme inconstitutionnelle.

Argument peu compris par l’opposition, étant donné que l’imprescriptibilité des crimes de l’Humanité est définie par la loi, au sein du code pénal, sans aucunement mentionner le fait qu’ils resteraient les seuls à être reconnus comme tels.

Certains juristes défendent l’idée d’une échelle de gravité plus ou moins admise dans notre société, selon laquelle un crime contre l’humanité serait plus grave que celui commis sur une personne, lui‑même étant plus grave que celui commis sur un bien. Pourtant, reconnaître l’imprescriptibilité des crimes sur mineurs ne dévaluerait aucunement les crimes contre l’Humanité.

En effet, cette « hiérarchie morale et sociale » ne semble pas être un argument tenable. Un viol sur mineur, sous prétexte qu’il ne porte atteinte qu’à un seul individu, n’en reste pas moins grave qu’un crime concernant plusieurs personnes. Bien évidemment, le code pénal et l’appréciation du juge font que chaque crime a son degré de condamnation. Mais dès lors que le crime concerne un enfant, ce dernier ne peut être dévalué.

L’argument de certains juristes qui dit que l’imprescriptibilité serait une remise en cause de l’ordonnancement des valeurs sociales, ou qu’un procès est supposé sanctionner un individu qui n’a pas respecté l’ordre social et non de rendre justice à une victime en particulier, est défendu en oubliant bien des considérations à prendre en compte.

En effet, comme de nombreuses associations le soulignent, notamment depuis que les affaires du monde du sport ont refait surface, les violences sexuelles ont des conséquences durables et lourdes, voire irréversibles sur les victimes. En décidant qu’au‑delà d’une certaine période, l’auteur ne peut plus être poursuivi, nous banalisons ce qu’elles ont vécu. En pouvant après une période, certes souvent longue, porter plainte et avoir accès à un procès, un nouveau processus s’enclenche. Le procès fait partie à part entière de la démarche de reconstruction que la victime entreprend.

L’argument porté par plusieurs juristes, exposé plus haut, d’une justice qui sanctionne le non‑respect à un ordre social avant de rendre justice à une victime est très peu compris par les associations de défense des victimes et encore plus, dans le cadre des viols sur mineurs. Accéder à cette imprescriptibilité, c’est donner le signal que la justice française s’exerce en accord avec le positionnement de la victime et défend l’idée d’une société plus bienveillante envers les plus vulnérables.

Si l’imprescriptibilité des viols sur mineurs doit être sincèrement envisagée, c’est également parce que la science a fortement progressé. Elle nous permet aujourd’hui de trouver des preuves sur des faits commis il y a des dizaines d’années, notamment en matière d’ADN. Si certains avocats expliquent que les enquêteurs s’appuient davantage sur des témoignages plutôt que sur ses preuves scientifiques quand le délai entre l’acte et le dépôt de la plainte est réellement important, ce progrès scientifique ne peut être mis de côté.

De plus, l’altération du souvenir revendiquée par plusieurs juristes ne peut être un frein à l’imprescriptibilité. Si ces derniers craignent que les souvenirs suite à une amnésie traumatique ne reviennent pas de manière totalement intacte, il est pourtant primordial de les prendre en compte, avec tout le discernement nécessaire. Les viols sur mineurs sont principalement subis dans un cadre familial ou proche. Il est tout à fait logique d’admettre qu’effectivement, les souvenirs puissent être compliqués à revenir. Mais s’en servir pour justifier l’impossibilité de mettre en place l’imprescriptibilité, c’est ne se placer à aucun moment, du côté de la victime.

Enfin, si nous avons décidé aujourd’hui de se saisir de ce sujet, c’est grâce à une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 24 mai 2019, au sujet du rôle du législateur en matière d’imprescriptibilité. Ce dernier a posé le principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique, qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions. Dans son commentaire, le Conseil constitutionnel précise que « le nouveau principe dégagé laisse une importante marge d’appréciation au législateur » et que « les infractions présentant une gravité suffisante pourraient justifier une imprescriptibilité ou une durée de prescription particulièrement longue ».

Avec ce principe, le Conseil constitutionnel ne nous donne pas qu’un droit à poser dans le droit les délais de prescription ou une imprescriptibilité envers certains crimes. Il nous donne la responsabilité de le faire. Il est de notre devoir en tant que législateur, de faire évoluer le droit et ici plus particulièrement, le droit pénal en ce qui concerne les viols commis sur mineurs.

C’est pourquoi cette proposition de loi, sous la forme d’un article unique, pose le principe, à l’article 7 du Code de la Procédure Pénale, de l’imprescriptibilité des viols commis sur mineurs.

 


proposition de loi

Article unique

L’article 7 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa est complété par les mots : « à l’exception des crimes prévus aux articles 222‑23 à 222‑26 du code pénal. »

2° Au dernier alinéa, après la référence : « 212‑3 », sont insérées les références : « et 222‑23 à 222‑26. »