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N° 3210

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer leffectivité du droit à lavortement,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Albane GAILLOT, Delphine BAGARRY, Émilie CARIOU, Annie CHAPELIER, Yolaine de COURSON, Jennifer De TEMMERMAN, Paula FORTEZA, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sébastien NADOT, Matthieu ORPHELIN, Aurélien TACHÉ, Frédérique TUFFNELL, Martine WONNER, Clémentine AUTAIN, Erwan BALANANT, Barbara BESSOT BALLOT, Pascal BOIS, MarieGeorge BUFFET, Éric COQUEREL, Jeanine DUBIÉ, Sandrine JOSSO, Régis JUANICO, Bastien LACHAUD, JeanLuc LAGLEIZE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Valérie PETIT, Stéphane PEU, Éric POULLIAT, Loïc PRUDHOMME, Richard RAMOS, Muriel RESSIGUIER, Patrick VIGNAL, Caroline FIAT, Laurence VANCEUNEBROCK, Sabine RUBIN, Elsa FAUCILLON, Delphine BATHO, Guillaume CHICHE, Raphaël GÉRARD,

député.e.s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Près d’une femme sur trois a recours à l’avortement au cours de sa vie.

Pour autant, en dépit des nombreuses avancées obtenues depuis l’entrée en vigueur de la loi Veil, le droit à l’avortement doit encore être conforté et son accès, mieux garanti.

Les professionnel.le.s de santé, comme l’ensemble des personnes œuvrant pour l’accès des femmes aux droits sexuels et reproductifs, alertent depuis de nombreuses années sur les obstacles à la pleine effectivité de ce droit fondamental.

En premier lieu, les politiques publiques en matière d’éducation à la sexualité sont très largement insuffisantes en dépit de la loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, qui prévoit qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. » Ces temps d’échange, dès le plus jeune âge, sont pourtant essentiels tant la sexualité est un domaine particulièrement complexe, qui touche à l’intime et fait l’objet, de ce fait, de nombreux tabous. D’autant que chaque année, près de 1 000 jeunes filles de 12 à 14 ans sont enceintes en France et parmi ces grossesses, 770 se concluent par une IVG. Le droit à l’avortement est une facette de la liberté des femmes à poursuivre une grossesse au même titre que l’accès à la contraception en est une pour maitriser sa vie sexuelle.

On observe ensuite de fortes disparités territoriales dans le taux de recours à l’interruption volontaire de grossesse. S’il n’existe pas de véritable zone blanche en termes d’accès à l’IVG, un certain nombre de zones de tension peuvent être identifiées localement. Et pour cause, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes alertait déjà en 2013 sur le fait que 130 établissements spécialisés dans l’IVG avaient fermé en l’espace de 10 ans.

La fermeture de ces établissements, couplée aux nombreux départs en retraite de médecins engagé.e.s auprès des femmes et à l’augmentation de l’offre de soins relative à l’IVG médicamenteuse, se traduit notamment par une baisse importante du nombre d’IVG instrumentales réalisées en France : elles représentaient 90 % des IVG réalisées en 1990 pour 36 % en 2016. Cette réalité constitue une entrave à la liberté de choix de la méthode de l’IVG pour les femmes consacrée à l’article L. 2212‑2 du code de la santé publique.

Selon l’enquête commandée par l’ancienne ministre des solidarités et de la santé aux Agences régionales de santé et réalisée entre mai et juillet 2019, le délai s’écoulant entre la première demande en vue d’une IVG et la réalisation effective de l’acte est en moyenne de 7,4 jours en France. En dépit de ces données satisfaisantes, l’enquête révèle également que « si la plupart des ARS ne déclarent pas de difficulté majeure d’accès à l’IVG qui serait spécifiquement liée à l’exercice d’une clause de conscience, il est relevé des difficultés d’accès voire des refus ponctuels de prise en charge des IVG tardives », c’est‑à‑dire au‑delà de dix semaines de grossesse. Selon la DREES, ces IVG tardives n’ont représenté que 5 % des IVG pratiquées en France en 2017.

Pour autant, les propos du président du Syndicat national des gynécologues obstétricien.ne.s français.e.s qualifiant l’avortement d’homicide fin 2018 et la menace du même syndicat, en 2019, de faire la grève des IVG pour se faire entendre du Gouvernement, rappellent qu’en dépit de son inscription dans la loi, le droit à l’avortement n’est pas encore considéré comme acquis. La clause de conscience spécifique à l’IVG mentionnée à l’article L. 2212‑8 du code de santé publique en est un signal préoccupant. Elle vient en effet s’ajouter à la clause de conscience générale, qui permet à tout.e médecin de refuser de prendre en charge un patient, sans avoir à en donner les motifs. En permettant précisément aux professionnel.le.s de santé de ne pas pratiquer l’IVG, cette dernière consacre le droit du corps médical de contester la loi au nom de convictions personnelles. L’exemple de l’Italie doit nous alarmer : bien que l’IVG soit légale, 70 % des médecins refusent de la pratiquer en se déclarant objecteurs de conscience. Chaque année, quelques 50 000 femmes sont ainsi contraintes de pratiquer des IVG clandestines. Si nous comprenons et ne remettons pas en cause son utilité politique et sociale au moment précis de la promulgation de la loi Veil, il nous semble que plus rien ne justifie, aujourd’hui, le maintien de cette clause de conscience spécifique.

Ces résistances éthiques ne concernent pas seulement les médecins et se traduisent par le fait que l’IVG reste considérée comme un acte « à part ». Ainsi, en dépit de l’effet délétère de la crise sanitaire sur l’accès à l’IVG et sur l’augmentation des grossesses non désirées, le Parlement et le Gouvernement ont refusé d’adapter la loi, au motif qu’un tel aménagement – à savoir l’allongement des délais d’accès à l’IVG de deux semaines ‑ ne pourrait pas être pris à la légère.

Et c’est inquiétant. Car bien que les IVG tardives ne représentent qu’une infime partie des avortements réalisés en France, chaque année, 3 000 à 5 000 femmes partent avorter à l’étranger, pour raison de dépassement des délais légaux en France. La fermeture des frontières pendant la crise sanitaire et l’impossibilité pour les femmes de voyager, laissent craindre une augmentation conséquente du nombre de grossesses non‑désirées. Seul un allongement des délais légaux aurait permis d’éviter cette situation. Rappelons à cet égard que de nombreux pays européens autorisent l’IVG jusqu’à la quatorzième semaine – c’est le cas de l’Espagne, et de l’Autriche – et au‑delà – c’est le cas du Royaume‑Uni (24 semaines), des Pays‑Bas (22 semaines) ou encore de la Suède (18 semaines). Ces exemples témoignent, en outre, du fait qu’aucun argument médical ou scientifique ne justifie de s’opposer à l’allongement des délais.

À cet égard, la présente proposition de loi entend lever les obstacles susmentionnés et améliorer l’effectivité du droit à l’avortement.

L’article 1er prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement évaluant la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, à l’école primaire, au collège et au lycée.

L’article 2 prévoit l’allongement des délais légaux d’accès à l’IVG de douze à quatorze semaines.

L’article 3 étend l’autorisation de pratiquer des IVG instrumentales aux centres de planification et d’éducation familiale, via une expérimentation d’une durée de trois ans. De même que la pratique de l’IVG médicamenteuse est d’ores et déjà autorisée pour tout.e médecin ayant suivi une formation lorsque cela était nécessaire, la pratique de l’IVG instrumentale pourra être autorisée pour tout.e médecin formé.e à cette pratique. Elle fera l’objet de conventions avec les Agences régionales de santé, selon le même principe que pour les IVG médicamenteuses hors hôpital aujourd’hui. L’objectif du présent article est de raccourcir les délais et de désengorger les hôpitaux, en levant l’obstacle du manque de personnel pratiquant les avortements.

L’article 4 supprime la double clause de conscience spécifique à l’IVG.

L’article 5 prévoit de faciliter l’accès à l’interruption médicale de grossesse pour raisons psychosociales. En l’état, une validation médicale par des gynécologues obstétriciens spécialisés, membres d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal est nécessaire. Cette condition limite l’accès à ce dispositif car les équipes des CPDPN ne sont pas organisées de manière équitable sur l’ensemble du territoire pour prendre en charge des patientes. Un élargissement aux gynécologues membres d’un centre d’orthogénie ou d’un service de gynéco‑obstétrique permettrait d’augmenter le nombre de praticien.ne.s mobilisables, favorisant ainsi une plus grande capacité de mobilisation de l’équipe pluridisciplinaire.

L’article 6 met en place une expérimentation, pour une durée de trois ans, visant à permettre aux sages‑femmes de réaliser des interruptions volontaires de grossesse instrumentales dans les établissements de santé. Les compétences des sages‑femmes leur permettent de réaliser les IVG instrumentales des femmes en bonne santé, dès lors qu’elles peuvent justifier d’expériences minimales spécifiques et qu’elles suivent une formation complémentaire. L’objectif du présent article est de faciliter l’accès à toutes les méthodes d’interruption volontaire de grossesse, tout en luttant contre les inégalités territoriales.


proposition de loi

Article 1er

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant la mise en œuvre des programmes d’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, à l’école primaire, au collège et au lycée, prévus par la loi n° 2001‑588 du 4 juillet 2001, relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

Article 2

À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2212‑1 du code de la santé publique, le mot : « douzième » est remplacé par le mot : « quatorzième ».

Article 3

Après l’article L. 2212‑2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2212‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 221221.  I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, les médecins peuvent pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie instrumentale dans des centres de planification ou d’éducation familiale, dans le cadre d’une convention conclue selon les modalités prévues à l’article L. 2212‑2 et dans les conditions prévues aux articles L. 2212‑1 à L. 2212‑10 du présent code.

« II. – Un décret précise les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue au I, notamment les caractéristiques de l’appel à projets national ainsi que les conditions d’évaluation de l’expérimentation en vue d’une éventuelle généralisation.

« Un arrêté du ministre chargé de la santé précise la liste des départements retenus pour participer à l’expérimentation au vu des résultats de l’appel à projets national.

« III. – Au terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation. »

Article 4

L’article L. 2212‑8 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Les premier et deuxième alinéas sont supprimés ;

2° Le troisième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Un médecin ou une sage‑femme qui refuse de pratiquer une interruption volontaire de grossesse doit informer l’intéressée sans délai dudit refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages‑femmes susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L. 2212‑2. »

Article 5

À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique, après le mot : « prénatal » sont insérés les mots : « ou, en cas de détresse psychosociale, d’un service de gynécologie‑obstétrique ou d’un centre mentionné à l’article L. 2212‑2 du présent code ».

Article 6

« Après l’article L. 4151‑1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4151‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 415111. – I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, les sages‑femmes ayant réalisé la formation complémentaire obligatoire et justifiant des expériences spécifiques attendues, peuvent réaliser des interruptions volontaires de grossesse instrumentales.

« II.  Un décret précise les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au I, notamment les caractéristiques de l’appel à projets national ainsi que les conditions d’évaluation de l’expérimentation en vue d’une éventuelle généralisation.

« Un arrêté du ministre chargé de la santé précise la liste des départements retenus pour participer à l’expérimentation au vu des résultats de l’appel à projets national.

« III. – Au terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation. »

Article 7

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.