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N° 3272

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à assurer la liberté de conscience,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Emmanuelle MÉNARD,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La liberté de conscience fait l’objet de nombreux débats : pour certains, c’est une sorte de  « désengagement », pour d’autres, c’est la condition sine qua non qui leur permet d’exercer leur métier « en âme et conscience ».

Qu’en pense donc le Conseil constitutionnel ?

Dans la jurisprudence de celui‑ci, la liberté de conscience revêt une double dimension.

« Une dimension religieuse lorsqu’elle est associée au principe de laïcité, qui impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes (décision n° 2012‑297 QPC du 21 février 2013). »

Mais aussi « une dimension “laïque ». Par exemple, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en prévoyant que le chef de service d’un établissement public de santé conserve le droit de ne pas pratiquer lui‑même une interruption volontaire de grossesse (IGV), le législateur a sauvegardé « sa liberté, laquelle relève de sa conscience personnelle » (décision n° 2001‑446 DC du 27 juin 2001). »

Forte de ces deux aspects, la liberté de conscience est un principe structurant de notre société.

Initialement conçue comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, la liberté de conscience est désormais rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ce principe a donc une valeur constitutionnelle qui s’impose au législateur dans les cas justifiés par les convictions les plus intimes de la conscience, dont l’absence de violation est une condition essentielle d’une coexistence paisible et sans violence morale.

Il est donc du devoir du législateur, sauf incompétence négative, d’en garantir les modalités en opérant la conciliation entre l’application de la Loi générale de la République et le respect dû à des convictions, fortes et fondamentales, de certains de ses concitoyens.

C’est dans cette perspective que la loi bioéthique de 2011 (loi n° 2011‑814 du 7 juillet 2011 ‑ art. 53) a introduit une garantie de cette nature en adoptant un nouvel article L. 2151‑7‑1 au code de la santé publique, énonçant : « Aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires autorisées en application de l’article L. 2151‑5 ».

Le paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont nous devons tant au Français et Résistant René Cassin, énonce d’ailleurs : « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter (…) une conviction de son choix. ».

À moins d’« oppression », au sens de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, nul n’a à juger le droit d’une personne d’estimer, en conscience et pour des motifs philosophiques, religieux ou humanistes, de ne pouvoir prêter son concours personnel à l’accomplissement d’un acte qui contrarierait sa conscience.

Plus clairement encore, il est tout à fait légitime que, dans un système démocratique qui, par essence, se veut respectueux de la pluralité des opinions, le titulaire d’un droit d’objection de conscience ne puisse s’opposer à ce que décide la majorité législative, mais la majorité législative ne puisse le contraindre à participer personnellement à la mise en œuvre d’un acte qui contrarierait son droit à l’objection de conscience.

Considérant ce point comme tout à fait essentiel pour notre société et, qui plus est, dès lors qu’il s’agit de bioéthique, il est indispensable d’inscrire dans la loi que les professionnels confrontés à une procédure de procréation médicalement assistée (PMA), sont en droit de faire valoir leur clause de conscience.

proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, est complété par un article L. 2141‑12‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2141121. – Aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, aucun médecin ou professionnel de santé, aucun psychologue n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux activités, pratiques ou actes mentionnés à l’article L. 2141‑1, pour lesquels cette personne a invoqué sa clause de conscience. Le professionnel ayant invoqué sa clause de conscience doit alors en avertir la personne souhaitant recourir aux pratiques ou actes précédemment évoqués et transmettre à l’autre professionnel désigné par celle‑ci les informations utiles à la poursuite des traitements. »

Article 2

L’article L. 4127‑1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ce décret prévoit notamment l’énoncé du serment que tout médecin, avant d’être admis à exercer la médecine, doit jurer de promettre au cours d’une cérémonie publique organisée par le conseil départemental de l’ordre. Le texte du serment comporte le rappel que, même sous la contrainte, le praticien ne peut jamais faire usage de ses connaissances ou délivrer d’actes qui soient contraires aux lois de l’humanité ou à l’invocation de sa clause de conscience. »

Article 3

Après l’article 225‑1‑2 du code pénal, il est inséré un article 225‑1‑3 ainsi rédigé :

« Art. 22513.  Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques ou morales du fait que ces personnes, ces membres ou certains membres de ces personnes morales ont décidé d’invoquer ou de ne pas invoquer une clause de conscience garantie par la loi. »

Article 4

À l’article L. 1132‑1 du code du travail après le mot : « grossesse, » sont insérés les mots : « du fait d’avoir ou de ne pas avoir invoqué une clause de conscience, ».

Article 5

I. – Après l’article L. 1132‑3‑2 du code du travail, il est inséré un article L. 1132‑3‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1132321. – Aucun salarié auquel est reconnu par la loi le droit d’invoquer une clause de conscience ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132‑1 pour avoir refusé une mutation géographique dans un État refusant de reconnaître le droit équivalent d’invoquer sa clause de conscience. »

II. – Au I de l’article 6 de la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, après la première occurrence du mot : « physique » sont insérés les mots : « , le fait d’avoir ou de ne pas avoir invoqué une clause de conscience » ;

III. – Au premier alinéa de l’article 6 quater A de la loi n°83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : «discrimination, » sont insérés les mots : « d’entrave à l’exercice de leur droit d’avoir ou de ne pas avoir invoqué une clause de conscience, » ;

Article 6

Après l’article 6‑1 du code civil, il est inséré un article 6‑2 ainsi rédigé :

« Art. 62. – Aucun officier d’état‑civil, aucun agent des services d’état‑civil ne peut faire l’objet d’une sanction ou de toute autre mesure discriminatoire pour avoir sollicité auprès du maire de la commune ou du représentant de l’État d’être temporairement remplacé dans ses fonctions lors de la rédaction d’un acte en invoquant son droit d’invoquer sa clause de conscience.  En pareil cas, le maire de la commune ou le représentant de l’État compétent désignera un autre officier d’état‑civil ou agent des services d’état‑civil volontaire à l’effet d’établir l’acte. »

Article 7

Après l’article 2 de l’ordonnance n° 45‑1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, il est inséré un article 2‑1 ainsi rédigé :

« Art. 2‑1. – Aucun notaire ne peut faire l’objet d’une sanction ou de toute autre mesure discriminatoire dans le cas où son refus d’instrumenter est fondé sur l’invocation de sa clause de conscience.

« En pareil cas, le président de la chambre départementale de notaires compétente désignera un autre notaire volontaire à l’effet d’établir l’acte. »