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N° 3291

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 août 2020.

PROPOSITION DE LOI

relative aux solutions fondées sur la nature
afin de protéger la ressource en eau,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Frédérique TUFFNELL, Matthieu ORPHELIN, Paula FORTEZA, Cédric VILLANI, Delphine BAGARRY, Émilie CARIOU, Aurélien TACHÉ, Yolaine de COURSON, Annie CHAPELIER, Guillaume CHICHE, Jennifer De TEMMERMAN, Albane GAILLOT, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Sébastien NADOT, Sabine THILLAYE, Martine WONNER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’an dernier, 85 départements français faisaient l’objet de restrictions d’usage de l’eau du fait d’une sécheresse généralisée. Parmi eux, 20 départements connaissaient même des difficultés d’approvisionnement en eau potable. Alors que l’année 2020 promet des difficultés similaires, il est important de rappeler que l’intensification et l’augmentation du nombre de ces épisodes de sécheresse n’est pas un épiphénomène mais bien une tendance globale liée aux changements climatiques ([1]).

Ces pénuries récurrentes, aggravées par la dégradation des sols (artificialisation, agriculture intensive) et la pollution des milieux aquatiques, remettent aujourd’hui en question la pérennité d’activités économiques historiques et il est illusoire d’envisager des relocalisations faute d’une ressource en eau de qualité, en quantité suffisante, sur tous les territoires ([2]).

Pour faire face à cette situation, c’est une économie résiliente aux effets du changement climatique qu’il nous faut bâtir. Cela implique notamment de préserver la capacité naturelle de nos territoires à stocker et à épurer naturellement la ressource en eau, de même qu’à conserver le carbone séquestré dans les sols.

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES) relève, à ce titre, que « les zones humides fournissent une quantité disproportionnée de services écosystémiques essentiels, en particulier ceux associés à la filtration et à l’approvisionnement en eau douce et à la protection des côtes » ([3]). Pour préserver ces services inestimables, le ministère de la transition écologique souligne l’importance de préserver, de gérer de manière durable et de restaurer les milieux humides ([4]). L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) parle ainsi de solutions fondées sur la nature (SFN).

Mais la préservation des zones humides ne se résume pas qu’au stockage, à la préservation de la ressource en eau et à la protection contre les inondations. L’Agence européenne pour l’environnement souligne l’urgence à préserver et restaurer les milieux humides car elles jouent « un rôle clé dans la préservation de la biodiversité […] et dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique » ([5]). Elles permettent à la fois une protection contre les « risques naturels » tout en participant à l’amélioration de la santé, de la sécurité alimentaire, de l’approvisionnement en eau, ou encore le développement socio‑économique ([6]).

Les zones humides, territoires pionniers de l’agroécologie, font partie des écosystèmes qui séquestrent le plus de carbone dans leurs sols. On estime que les tourbières, qui occupent seulement 3 % de la surface terrestre, contiennent 30 % du carbone des sols. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insiste d’ailleurs sur le fait que « limiter le réchauffement climatique nécessite de limiter les rejets supplémentaires potentiels de carbone […] et les rejets de méthane des zones humides qui réduiraient les budgets jusqu’à 100 GtCO2 au cours de ce siècle et plus par la suite ».

Malgré leur importance, un rapport parlementaire (de janvier 2019) relève que 67 % des zones humides métropolitaines ont disparu depuis le début du XXe siècle dont la moitié entre 1960 et 1990. Conformément à la commande du Premier ministre, et au Plan biodiversité ([7]), ce rapport pointe les lacunes du cadre juridique applicable aux zones humides et préconise une évolution du corpus législatif afin d’enrayer leur dégradation ([8]).

En protégeant les marais, les mangroves, les tourbières, les prairies inondables, les mares et les étangs, en passant par les ruisseaux et chevelus de tête de bassins versants, c’est la résilience de nos territoires, et donc de notre économie, que nous construisons. En faisant de la préservation des milieux humides l’un des déterminants de notre politique de gestion de l’eau, c’est aussi contre l’effondrement de la biodiversité ([9]) et pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques que nous œuvrons.

En conséquence, il est primordial de renforcer la définition légale des zones humides en la plaçant en tête du chapitre relatif à l’eau dans le code de l’environnement. Il s’agit d’un acte symbolique fort qui positionne la préservation, la gestion et la restauration des zones humides comme l’un des fondements de la politique de l’eau dans son ensemble.

Afin de préserver la capacité naturelle de nos territoires à stocker et à épurer naturellement la ressource en eau, cet article introduit un objectif de non‑détérioration fonctionnelle des zones humides. Il renforce également leur lien avec l’objectif d’aménagement durable du territoire dans son ensemble en affirmant notamment l’intérêt général de leur gestion durable, de leur création, de leur restauration et de leur valorisation, et en reconnaissant l’importance des terres d’eau dans la lutte contre le changement climatique et l’atténuation de ses effets (article 1er).

Les tourbières, en plus d’être primordiales pour la préservation de la ressource en eau, jouent un rôle majeur dans l’atténuation du changement climatique et de ses effets. Selon le Pôle relais Tourbières, la France abriterait 100 000 hectares de tourbières. Or, un hectare de tourbière dégradée émettrait 25 t/an de CO2 dans l’atmosphère. Il est crucial d’éviter la dégradation de celles encore intactes et de restaurer celles qui peuvent l’être, d’autant que, selon l’UICN, la dégradation des tourbières émet 2,7 millions de tonnes de carbone par an. Cet impératif est incompatible avec l’exploitation des tourbières françaises. Il convient donc d’interdire l’exploitation des tourbières et l’importation de tourbe pour permettre un retour à leur rôle de puit de carbone (article 2).


proposition de loi

Article 1er

Le code de l’environnement est ainsi modifié :

1° Après le troisième alinéa de l’article L. 210‑1, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Le respect des équilibres naturels implique la préservation et la restauration des fonctionnalités naturelles des écosystèmes aquatiques. Les écosystèmes aquatiques comprennent le réseau hydrographique, cours d’eau et lacs naturels, les eaux souterraines, en particulier les nappes d’accompagnement, et les zones humides. Les interactions entre eux font partie des équilibres naturels à respecter, avec un enjeu majeur en tête de bassin versant. Dans un état suffisamment préservé ou restauré, les écosystèmes aquatiques remplissent notamment des fonctions hydrologiques, biogéochimiques ou de support de biodiversité, particulières. Ces fonctions sont essentielles à la reconquête de la biodiversité, à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique et participent à la lutte contre les pollutions. À ce titre, ils constituent des éléments essentiels du patrimoine naturel et paysager de la nation.

« Les zones humides sont les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année. Les zones humides forment des milieux diversifiés tels que notamment, les marais, les mares, les mangroves, les tourbières, les forêts alluviales, les ripisylves, les prairies humides, les grands territoires d’étangs.

« Un décret précise les modalités d’application du présent article, notamment de la caractérisation des zones humides pour l’application de la police de l’environnement. » ;

2° Après le mot : « humides », la fin du 1° du I de l’article L. 211‑1 est supprimée ;

3° L’article L. 211‑1‑1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 21111. – I. – La préservation et la gestion durable des zones humides décrites à l’article L. 210‑1 ainsi que leur restauration, leur création et leur valorisation sont d’intérêt général. Les politiques nationales, régionales et locales d’aménagement des territoires ruraux, urbains et périurbains et l’attribution des aides publiques tiennent compte des particularités de conservation, d’exploitation et de gestion durable des zones humides et de leur contribution aux politiques de préservation de la diversité biologique, du paysage, de gestion des ressources en eau, de prévention des inondations, à la captation de gaz à effets de serre, à l’adaptation au dérèglement climatique et à l’atténuation de ses effets sur le cycle de l’eau, notamment par un aménagement du territoire, un urbanisme, une agriculture, un pastoralisme, une sylviculture, une chasse, une pêche et un tourisme adaptés. À cet effet, l’État et ses établissements publics, les régions, les départements, les communes et leurs groupements veillent, chacun dans son domaine de compétence, à la cohérence des diverses politiques publiques sur ces territoires. Pour l’application du X de l’article L. 212‑1, l’État veille à la prise en compte de cette cohérence dans les schémas d’aménagement et de gestion des eaux.

« II. – Les politiques publiques et les activités humaines visent un objectif de non détérioration des fonctionnalités naturelles des zones humides. Des dérogations motivées au respect de cet objectif peuvent être accordées pour des projets d’intérêt général majeur, dans les conditions définies par décret en Conseil d’État. »

Article 2

I. – L’exploitation des tourbières est interdite à partir du 1er janvier 2022.

II. – L’importation de produits comportant de la tourbe est interdite dans les six mois à compter de la promulgation de la présente loi.


([1]) Rapport d’information n° 3061 de la commission du développement durable, de M. Loïc Prudhomme et Mme Frédérique Tuffnell, sur la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau.

([2]) Tribune « Il faut faire rimer emploi et biodiversité » JDD, Ramsar France - https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-il-faut-faire-rimer-emploi-et-biodiversite-3963486

([3]) IPBES (2018): Summary for policymakers of the assessment report on land degradation and restoration of the Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.

([4]) Dossier de presse, Assises de l’eau « Un nouveau pacte pour faire face au changement climatique », https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/20190701_Dossier_de_presse_Assises_Eau.pdf

([5]) Rapport n° 24/2019 de l’Agence européenne pour l’environnement, Floodplains: a natural system to preserve and restore.

([6]) UICN, 2016. Motion 77 : définition des Solutions fondées sur la nature. https://portals.iucn.org/congress/fr/motion/077.

([7]) Plan Biodiversité, Comité interministériel biodiversité – 4 juillet 2018. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/18xxx_Plan-biodiversite-04072018_28pages_FromPdf_date_web_PaP.pdf

([8]) Rapport parlementaire « Terres d’eau, terres d’avenir » de Mme la Députée Frédérique Tuffnell et de M. le sénateur Jérôme Bignon.

([9]) Note n° 10 de l’OPECST, janvier 2019, « Biodiversité : extinction ou effondrement ? ».