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N° 3311

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 septembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer le secret professionnel des avocats,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MORELÀLHUISSIER, Bruno BILDE, Cécile UNTERMAIER, Antoine SAVIGNAT, Emmanuelle ANTHOINE, JeanChristophe LAGARDE, Pascal BRINDEAU, Patrick VIGNAL, Nicolas MEIZONNET, Philippe VIGIER, Michel ZUMKELLER, Richard RAMOS, Sonia KRIMI, Meyer HABIB, Frédérique DUMAS, Nicolas DUPONTAIGNAN, Agnès FIRMIN LE BODO, Valérie SIX, Philippe GOSSELIN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les révélations du magazine Le Point à propos de la « nouvelle affaire des écoutes », le 25 juin dernier, sont révélatrices des limites de la législation actuelle en matière d’écoutes, de « fadettes » (factures téléphoniques détaillées) et plus généralement de secret professionnel des avocats. Le scandale causé par l’ampleur de l’atteinte à ce secret récemment révélée, quand bien même celle‑ci serait dans les limites de la légalité, dépasse largement une affaire judiciaire particulière et l’institution qui en est chargée, en l’occurrence le Parquet national financier.

L’air du temps, à l’époque des réseaux sociaux et du rétrécissement du droit à la vie privée et à l’intimité, est à la culture ‑ voire au culte ‑ de la transparence. Tout secret est immédiatement soupçonné ; en particulier lorsqu’il s’agit du secret professionnel d’une profession en particulier, qui chercherait à défendre son pré carré. Pourtant, loin d’être un passe‑droit pour les avocats, le secret professionnel est indispensable au respect des droits de la défense et au procès équitable. Nécessaire à la confidence, il constitue la base de la confiance des citoyens dans leur système judiciaire, qui les protège contre l’arbitraire de l’État. La confidentialité des échanges n’est pas un privilège d’avocat, c’est un droit du citoyen. Le secret professionnel est donc d’ordre public, et toute limitation doit être strictement encadrée.

Pourtant, le droit n’offre pas de garanties suffisantes. Aucun recours n’est possible contre des écoutes, ni au stade de l’instruction ni à celui de l’enquête, et pas plus pour les avocats que dans le régime général. Les informations obtenues grâce à des écoutes ne sont pas non plus limitées aux faits initialement visés par celles‑ci : c’est ainsi que des écoutes (ou des consultations de « fadettes », comme on l’a vu récemment) « au chalut » sont possibles, récoltant des données sans lien avec l’enquête ou l’instruction. Cela met en question non seulement la proportionnalité des écoutes aux faits reprochés mais aussi, pour les avocats, le respect du secret professionnel par rapport à leurs autres clients. En outre, le principe selon lequel un avocat ne peut être mis sur écoute que lorsqu’il est lui‑même soupçonné d’une infraction, bien que constant dans la jurisprudence de la Cour de cassation, n’existe pas dans la loi. Enfin, il existe un « vide juridique » en ce qui concerne les « fadettes », comme l’a rappelé le bâtonnier de Paris, Me Olivier Cousi. Émises par les opérateurs téléphoniques et permettant de connaître les numéros contactés, la date, l’heure et la durée de la communication pour l’ensemble des appels émis et reçus, celles‑ci permettent des atteintes au secret et à l’intimité aussi importantes que les écoutes en elle‑même, ce qui justifie de soumettre leur consultation dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction aux mêmes restrictions.

Aussi, l’article 1er  autorise un recours, au stade de l’instruction, contre la décision d’interception, après versement au dossier des retranscriptions. Le recours se fait devant le juge des libertés et de la détention. Le système actuel, où celui qui prend l’initiative et ordonne est également le seul contrôle, est qualifié par la CEDH comme rendant « inutile tout contrôle pour les intéressés ». L’article prévoit que le recours puisse être fait par la personne au nom de laquelle la ligne écoutée est ouverte, ou par n’importe lequel de ses interlocuteurs écoutés. L’article prévoit également la possibilité d’un recours par le président d’assemblée, le bâtonnier, et le premier président et le procureur général lorsque les écoutes concernent respectivement un député ou un sénateur, un avocat, ou un magistrat.

L’article 2 prévoit que le recours au stade de l’enquête se fait dans les mêmes conditions qu’au stade de l’instruction concernant les députés ou sénateurs, les avocats et les magistrats.

Larticle 3 inscrit dans la loi une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle un avocat ne peut être écouté que lorsquil existe contre lui des indices de sa participation à une infraction, au stade de lenquête préliminaire comme au stade de linstruction. Il protège ainsi le secret professionnel de lavocat et la confidentialité de ses échanges avec le client.

L’article 4 limite les retranscriptions d’écoutes d’avocats aux faits prévus par l’autorisation d’interception, au stade de l’enquête préliminaire comme au stade de l’instruction. Le principe même de la mise sur écoute conduisant à ce que des éléments au‑delà de ceux visés par l’enquête ou l’instruction soient interceptés, cet article renforce les droits de la défense et le secret professionnel en évitant que les informations obtenues ne soient utilisées dans d’autres affaires.

L’article 5 aligne la saisie des « fadettes » sur le régime des écoutes téléphoniques, au stade de l’enquête et à celui de l’instruction.

Tel est l’objet de la présente loi.


proposition de loi

Article 1er

L’article 100 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après le mot : « et », la fin de la seconde phrase du second alinéa est ainsi rédigée : « est susceptible d’un recours devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire après le versement au dossier des retranscriptions. Ce recours peut être formé par la personne au nom de laquelle la ligne est ouverte ou par un interlocuteur avec lequel une conversation a été interceptée. » ;

2° Il est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque l’interception a lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur, le président de l’assemblée à laquelle il appartient peut également former un recours.

« Lorsque l’interception a lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile, le bâtonnier peut également former un recours.

« Lorsque l’interception a lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile, le premier président et le procureur général de la juridiction où il réside peuvent également former un recours. »

Article 2

À la première phrase du premier alinéa de l’article 706‑95 du code de procédure pénale, le mot : « alinéa » est remplacé par les mots : « à cinquième alinéas ».

Article 3

L’article 100‑1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une interception sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile ne peut avoir lieu que s’il existe contre l’avocat des indices de participation à une infraction à la date où est autorisée l’interception. »

Article 4

Le troisième alinéa de l’article 100‑5 du code de procédure pénale est complété par les mots : « ou ne concernant pas les faits visés dans la décision d’autorisation ».

Article 5

I. – La sous‑section 2 de la section 3 du chapitre IER du titre III du livre IER du code de procédure pénale est complétée par un article 100‑9 ainsi rédigé :

« Art. 1009. – En matière criminelle et en matière correctionnelle, le juge d’instruction peut saisir des facturations détaillées de téléphone suivant la même procédure que l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques, tels que définis aux articles 100 à 100‑8 ».

II. – Après l’article 706‑95 du code de procédure pénale, il est inséré un article 706‑95‑1 A ainsi rédigé :

« Art. 706951 A. – Si les nécessités de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706‑73 et 706‑73‑1 l’exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire peut saisir des facturations détaillées de téléphone suivant la même procédure que l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques, tels que définis à l’article 706‑95. »