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N° 3414

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2020.

PROPOSITION DE LOI

Oubliés de la crise covid : une année blanche pour les intérimaires
et les extras,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François RUFFIN, Michel ZUMKELLER, Régis JUANICO, Mathilde PANOT, Éric COQUEREL, Danièle OBONO, Caroline FIAT, JeanHugues RATENON, Michel LARIVE, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Loïc PRUD’HOMME, Bastien LACHAUD,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Au moment du confinement, vous étiez dans quelle entreprise ?

– Chez Safran. Je devais être embauchée dans le courant de cette année, c’était prévu. Après quinze années comme intérimaire, je voyais enfin le bout, le CDI. Je commençais à passer des entretiens. Et au mois de mars, quand il y a eu le confinement, on n’avait plus de contrat à renouveler.

– Avec la fin du contrat, vos revenus ont baissé de combien ?

– Plus de 600 € par mois. Je suis passé de 1 600 à 1 000 € par mois. Je suis hébergée chez des amis, donc l’embauche me permettait de reprendre un appart. Là ça va être plus compliqué. Il faudrait aussi que je change de voiture parce qu’elle a 300 000 km. Mais je ne peux pas. Les crédits, en intérim, vous n’en faites pas.

– Il reste tout de même des offres d’emploi ?

– Dans l’industrie, on ne me propose rien. Les grosses boîtes, où il y a d’habitude entre 50 et 60 intérimaires, là, il n’y en a plus que 5‑6… C’est tendu. Il n’y a pas grand‑chose pour l’instant.

– Pour le chômage, vous y avez droit combien de temps encore ?

– Il me reste un mois et demi de chômage. Après, je vais faire ma demande de RSA, mais j’espère avoir du boulot, que ça reprendra. Même quelques jours par‑ci par‑là, c’est mieux que rien. Mais en gros, je passe d’un CDI dans une grosse boîte à devoir demander le RSA. »

C’est Amandine, à Besançon, qui répond ainsi à nos questions. Mais les témoignages des intérimaires se suivent et se ressemblent :

Pierrick, à Douai, qui travaillait chez Amazon ce printemps : « Moi, ils devaient m’embaucher mais le confinement a surgi. Ils n’ont pas renouvelé les intérimaires. Je ne l’ai su qu’une heure avant que je ne reviendrai pas. À 18 h 30, ils t’envoient un message sur ton scanner : Bonjour, peux‑tu venir nous voir ?” Entre nous, on appelle ça “la madeleine”. Quand on monte, il y a une grande table avec des jus d’orange et plein de madeleines. Et c’est le moment où ils te disent : “Merci d’avoir travaillé pour nous, vous avez fait du bon boulot, mais au revoir…”  Ça s’est terminé comme ça. Là, il me reste quatre mois de chômage… »

Et de même pour les « extras » dans la restauration, dans l’hôtellerie, l’événementiel. Ainsi de Charlotte, employée depuis trois ans par des traiteurs lyonnais :

« Déjà, avant même le confinement, les dates s’annulaient les unes après les autres. Bon, et après, c’était clair, d’un coup. Là, je n’ai plus qu’une date en septembre. Mais j’ai eu la chance de pouvoir avoir droit au chômage. J’ai plein de collègues qui arrivent en fin de droit, tous n’avaient pas fait assez d’heures. Ils ont demandé le RSA. Je suis passée de 1 600 à 1 034 euros par mois… ».

A Méaulte, dans une manifestation des Stelia et de ses sous‑traitants, nous interrogions les syndicats :

« Où sont les intérimaires ?

– Le lendemain du confinement, ils étaient tous partis. Ce sont les premiers dégagés. »

À Roissy, me raconte un salarié, « d’habitude c’est une ruche, avec des milliers d’intérimaires. Mais depuis mars, c’est zéro. Zéro. »

Et Le Courrier Picard de titrer : « Emploi. Valeo débraie par l’intérim. »

Combien sont‑ils ?

D’après Prisme emploi, qui regroupe les entreprises d’intérim, la chute est vertigineuse : en 48 heures, le chiffre d’affaires des agences a baissé de 75 % ! Et l’emploi est bien sûr entraîné dans ce précipice : en février 2020, le secteur comptait 810 000 équivalents temps plein. Un mois plus tard, en mars : 470 000 ETP. Un mois encore, en avril : 360 000 ETP. Soit une perte, au plus fort de la crise, de 450 000 ETP.

ETP. Nous insistons. Équivalent Temps Plein. Car c’est tout le principe de l’intérim : des trous existent entre les missions. Notre pays compte, en fait, 2,7 millions d’intérimaires, trois à quatre salariés par « ETP ». À coup sûr, donc, et vraiment au bas mot, c’est un million de personnes qui sont aujourd’hui touchées.

À cela s’ajoutent les « extras », non comptabilisés dans l’intérim, et à vrai dire comptabilisés nulle part. Que le Collectif des Précaires évalue à 2,5 millions, dont 2,2 millions subiraient de plein fouet la crise du covid. Des statistiques bien sûr contestables, mais un fait demeure : massivement, et brutalement, des millions de personnes, au statut déjà fragile, se sont trouvées encore davantage fragilisées.

75 % des intérimaires n’ont pas accédé au chômage partiel. D’après 50 % d’entre eux, les aides furent insuffisantes pour passer le confinement. Avec, très concrètement, des difficultés à se nourrir, à se loger : selon un bailleur social, à Poitiers, la pénurie des contrats intérimaires aurait causé une flambée des impayés, avec 2 700 locataires qui accumuleraient des retards.

Si une reprise existe, elle est bien sûr timide : fin juillet, on comptait encore 200 000 ETP en moins que dans l’avant‑crise. Elle laisse de côté des secteurs entiers, l’aéroportuaire, l’aéronautique, l’événementiel, etc., des territoires déjà socialement sinistrés.

C’est une évidence : si, dans les mois à venir, les intérimaires et les « extras » ne retrouvent pas de mission, ce ne sera pas de leur faute, par paresse, par inertie, mais parce que des missions, il n’y en a pas. Ou trop peu.

Depuis longtemps, tacitement, notre pays a misé sur l’intérim : + 50 % en dix ans, de 1,9 million à 2,7 millions de personnes. Ce sont des jeunes : à 60 % des moins de 34 ans. De classes populaires : 80 % sont ouvriers. Ils sont, on le sait, corvéables à merci. Premiers jetés, derniers servis. Galérant pour un logement, sans accès au crédit.

À nouveau, ce sont eux, qui paient le prix fort de la crise covid. Et sans aucune mesure d’urgence, oubliés des plans de relance.

Certes, peu organisés, guère syndiqués, pas représentés, ils ne manifesteront pas. Ils ne revendiqueront pas. Ils demeureront invisibles et silencieux. Mais peut‑être pire : c’est une jeunesse populaire qui va s’enliser toujours davantage dans la résignation, dans un éloignement fait d’écœurement.

À ces travailleurs, la société doit garantir un filet de sécurité.

Une année blanche

« Qu’aurait dû faire l’État pour vous, les extras ? Et pour les intérimaires ?

– Je pense qu’il aurait fallu une année blanche, comme pour le milieu du spectacle, car c’est compliqué pour nous de reprendre. À la base j’avais droit à six mois de chômage, et je suis presqu’au bout. Mais les traiteurs, mes employeurs, même s’ils m’apprécient, ils ne vont pas me rappeler alors qu’ils n’ont plus de contrat… »

C’est de bon sens. Les intermittents du spectacle ont obtenu, et à juste titre, une année blanche, avec des droits au chômage prolongés : leur activité, le spectacle, risque de ne pas reprendre tout de suite. Ce constat vaut pour les extras et les intérimaires : s’ils font avec le chômage, souvent aux alentours de 1 000 €, ce n’est ni par choix ni avec joie. Faut‑il y ajouter, en plus, l’angoisse du RSA ?

Cette mesure, nous en sommes conscients, laisse de côté les milliers, les centaines de milliers, peut‑être les millions de précaires qui n’ont pas cotisé assez pour ces droits au chômage. Cette mesure ne suffira pas, à elle seule, à rouvrir un horizon, à ramener une espérance dans la jeunesse populaire.

Mais cette mesure, cette « année blanche », c’est le minimum. Le minimum du minimum. Pour qu’au moins, cette fois, intérimaires et « extras » ne soient pas complètement laissés de côté, éternels oubliés.


proposition de loi

Article 1er

Après le deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020‑324 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421‑2 du code du travail, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Pour les demandeurs d’emploi ayant signé ou honoré entre le 1er janvier 2020 et le 15 mars 2020 un contrat de travail auprès d’un entrepreneur de travail temporaire tel que défini à l’article L. 124‑1 du code du travail, la prolongation mentionnée au premier alinéa du présent article s’applique jusqu’à une date précisée par arrêté du ministre chargé de l’emploi qui ne peut être antérieure au 31 août 2021.

« La prolongation mentionnée au premier alinéa s’applique également jusqu’à une date précisée par arrêté du ministre chargé de l’emploi qui ne peut être antérieure au 31 août 2021 pour toute personne qui, entre le 1er janvier 2020 et le 15 mars 2020, a honoré ou signé un contrat à durée déterminé d’usage tel que défini aux articles D. 1251‑1 et D. 1242‑1 du code du travail. »

Article 2

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts

II. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.