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N° 3426

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2020

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir la protection des droits fondamentaux
des personnes hospitalisées sans leur consentement,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MORELÀL’HUISSIER, Sébastien CHENU, Stéphanie KERBARH, Mansour KAMARDINE, Ludovic PAJOT, Didier QUENTIN, Delphine BAGARRY, Béatrice DESCAMPS, Nathalie PORTE, Valérie SIX, Guy BRICOUT, Michèle VICTORY, Grégory BESSONMOREAU, Jacqueline MAQUET, JeanLuc WARSMANN, M’jid EL GUERRAB, Frédérique DUMAS, Bruno BILDE, JeanLuc REITZER, Laurence VICHNIEVSKY, JeanHugues RATENON, Agnès FIRMIN LE BODO,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans son traité des « Epidémies », Hippocrate définit le but de la médecine comme « Avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire ». Si l’utilisation d’une pratique à des fins thérapeutiques est conditionnée par la démonstration préalable de son efficacité, voire de son innocuité, la question des mesures de mise à l’isolement ou sous contention quant à leur effet avéré sur la santé des individus fragilise cette conception.

La première pratique est définie par la Haute Autorité de Santé (HAS) comme « le placement du patient à visée de protection, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients » tandis que la seconde consiste en « le maintien ou l’immobilisation du patient en ayant recours à la force physique » ou, lorsque la contention est mécanique, en « l’utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui » (HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017, p. 9).

À l’heure actuelle, aucune étude scientifique menée n’affirme l’efficacité thérapeutique de la contention ou de l’isolement. Certains considèrent que l’utilisation des chambres d’isolement permet la réduction du nombre d’épisodes de violence alors que d’autres concluent que le renforcement en personnel et la formation des équipes sont plus efficaces pour répondre à ces épisodes.

Alors même que leur efficacité thérapeutique n’est pas formellement prouvée, ces pratiques connaissent une recrudescence considérable, les facteurs étant nombreux : réduction des effectifs, changement dans la formation des professionnels, présence insuffisante des médecins dans les unités de soin, manque de réflexion d’ensemble sur la liberté de circulation des patients, etc.

Si l’hôpital psychiatrique n’est pas par définition un lieu de privation de liberté, les patients admis sans leur consentement se trouvent dans une position vulnérable, certains pouvant être soumis à des mesures de contrainte physique. Leurs droits individuels sont d’autant plus fragilisés dès lors que de telles mesures restreignant leur liberté d’aller et venir sont prises à leur insu.

Les lois du 5 juillet 2011 et du 27 septembre 2013 ont profondément modifié la place du droit dans les services hospitaliers en psychiatrie. L’article L. 3211‑3 du Code de la santé publique encadre de manière générale la prise en charge des personnes hospitalisées en soins psychiatriques. À ce titre, il précise que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles doivent être « adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’état mental du patient et à la mise en œuvre du traitement requis et la dignité de la personne doit, en toutes circonstances être respectée et sa réinsertion recherchée.

De plus, tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 5e sect., 18 novembre 2010, n° 35935/03, Baudoin c/ France) le contrôle du bien‑fondé et de la régularité procédurale des décisions d’admission et de maintien en soins psychiatriques sans consentement est confié au Juge des libertés et de la détention (JLD). La question de l’étendue de l’office du juge en matière d’actes ou de décisions intervenant au cours de la prise en charge, notamment les décisions médicales s’est alors posée.

Les conditions dans lesquelles les pratiques de mise à l’isolement ou sous contention peuvent être mises en œuvre ont été établies par la loi du 26 janvier 2016 et figurent à l’article L. 3222‑5‑1 du Code de la santé publique qui dispose que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée ». En outre, dans un souci de transparence, chaque établissement doit tenir un registre qui mentionne, pour « chaque mesure d’isolement ou de contention […], le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée ». Ce registre administratif, destiné à mesurer l’ampleur du recours à l’isolement et la contention et à s’assurer que les patients concernés sont effectivement pris en charge en hospitalisation sous contrainte, doit notamment être présenté au Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), à sa demande.

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, les juges du fond avaient considéré que le JLD était compétent, dans le cadre de son contrôle obligatoire de la mesure de soins, vérifier le respect de l’article L. 3222‑5‑1 du Code de la santé publique et, dans le cas contraire, de prononcer la mainlevée de la mesure (CA Versailles, 24 octobre 2016, n° 16/07393 ; CA Versailles, 16 juin 2017, n° 17/04374).

Toutefois, cette position a été récemment condamnée par la Cour de cassation qui relève qu’ » il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la lise en oeuvre d’une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu’il lui incombe de contrôler » (Civ 1ère, 7 novembre 2019, n° 19‑18862 et Civ 1ère, 21 novembre 2019, n° 19‑20513). Ainsi, si le JLD est compétent aux termes de l’article L. 3211‑12‑1 du Code de la santé publique, son contrôle porte exclusivement sur la régularité formelle et le bien‑fondé d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement et non sur les modalités de soin.

Cette limitation a conduit la Cour de cassation à saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la compatibilité des dispositions de l’article L. 3222‑5‑1 avec l’article 66 de la Constitution, notamment « en ce qu’elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques ».

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le 19 juin 2020, affirmant que si « l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté […]. En revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles audelà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution ».

L’article L. 3222‑5‑1 du code de la santé publique est dès lors déclaré inconstitutionnel. Son abrogation est toutefois différée au 31 décembre 2020. Il appartient désormais au législateur de consolider le régime des décisions de mise à l’isolement et de contention en exigeant un contrôle juridictionnel systématique lorsque ces mesures sont prolongées au‑delà d’une certaine durée.

Aussi, afin de renforcer la protection des libertés individuelles des personnes hospitalisées sans leur consentement, la présente proposition de loi rétablit la place de l’autorité judiciaire au sein des établissements de soins psychiatriques.

Concernant la compétence juridictionnelle, si elle peut revêtir une nature hybride au regard du pouvoir du juge administratif pour statuer sur une demande indemnitaire pour des fautes liées à l’organisation ou au fonctionnement du service accueillant des patients sous contraintes (CAA Marseille, ch. 2, 21 mai 2015, n° 13MA03115 : mises à l’isolement répétées et prolongées dans des conditions insalubres), ou sur le recours dirigé contre le règlement intérieur de l’établissement (CAA Bordeaux, ch. 2, 6 nov. 2012, n° 11BX01790 : annulation d’une clause interdisant toute relation sexuelle au sein de l’unité), au regard de la décision du Conseil constitutionnel qui fait référence au rôle de l’autorité judiciaire, l’article 1er de la proposition de loi attribue le contrôle des pratiques de mises à l’isolement ou sous contention au JLD.

Prises en urgence, les pratiques de mise à l’isolement ou sous contention se font dans le cadre d’une intervention immédiate du médecin psychiatre et des soignants et un contrôle préalable du juge serait dénué de sens. C’est d’ailleurs la position prise par le Conseil constitutionnel qui considère que l’article 66 de la Constitution n’exige pas que l’autorité judiciaire soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Par conséquent, le médecin pourra renouveler la mesure, si l’état de santé de la personne le nécessite. La mainlevée de la mesure pourra être sollicité auprès du JLD.

La HAS recommandait à ce titre « que l’indication soit limitée à 12 heures pour l’isolement et 6 heures maximum pour la contention mécanique […]. En cas de prolongation, la décision et la fiche de prescription doivent être renouvelées toutes les 24 heures en concertation avec l’équipe soignante ». Il conviendra dès lors de prendre en considération lesdites recommandations.

Par ailleurs, dans l’éventualité dans laquelle le JLD ne parviendrait pas à statuer immédiatement, à l’issue d’un délai de 48 heures, la mainlevée de la mesure doit être considérée comme acquise.

Enfin, l’article 1er de la proposition de loi reprend l’établissement du registre administratif nécessaire pour mesurer l’ampleur du recours à l’isolement et la contention en ajoutant dans les informations à transcrire la motivation du recours à ces mesures pour chaque patient ainsi que son suivi médical durant la mesure. Dans son rapport sur la thématique « Soins sans consentement et droits fondamentaux », la CGLP relevait que le registre est irrégulièrement voire jamais mis en place. En outre, les données d’observation du nombre et des durées moyennes d’isolement produites n’auraient aucune fiabilité.

La Commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), est informée de toutes les décisions d’admission en soins psychiatriques, de tous les renouvellements de ces soins, de toutes les décisions y mettant fin dans le ressort du département, reçoit les réclamations des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans leur consentement, visite les établissements habilités, vérifie les informations figurant sur le registre et s’assure que toutes les mentions prescrites par la loi y sont portées. Chargée d’adresser, chaque année, son rapport d’activité au JLD compétent dans son ressort, au préfet, au directeur régional de l’agence régionale de santé, au procureur de la République et au CGLP, l’article 1er de la proposition de loi précise que le registre tenu par chaque établissement est communiqué chaque année à cette commission.

Par ailleurs, dans le cadre d’une saisine systématique du juge judiciaire, la dématérialisation de ces registres permettrait probablement un meilleur suivi de ces mesures. Cette dématérialisation est aujourd’hui seulement facultative. La présente proposition de loi la rend obligatoire.

Le CGLP regrettait la suppression de la présence d’un magistrat judiciaire dans les CDSP au débouché de la mise en œuvre de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice. Les CDSP, prévues à l’article L. 3222‑5 du code de la santé publique, sont tenues « d’examiner la situation des personnes admises en soins psychiatriques en application des chapitres II à IV du titre Ier du présent livre ou de l’article 706135 du code de procédure pénale au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes ».

L’article L. 3223‑2 du code de la santé publique précise leur composition : deux psychiatres, deux représentants d’associations agréées respectivement de personnes malades et de familles de personnes atteintes de troubles mentaux, et un médecin généraliste. Jusqu’à la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, les CDSP comprenaient en outre un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel. D’une part, la présence de ce magistrat permettait une pluridisciplinarité et une diversité des compétences rendant leur contrôle plus effectif. D’autre part, comme le souligne le rapport du CGLPL dans son rapport, « l’éviction des magistrats de ces commissions porte une atteinte grave à l’équilibre des CDSP puisque dorénavant, elles seront composées en majorité de médecins, circonstance qui est de nature à compromettre leur efficacité ». Aussi, l’article 2 propose de rétablir la présence d’un magistrat au sein de cette instance dont le rôle permet incontestablement de garantir le respect des libertés individuelles et de la dignité de personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 3222‑5‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Au début, est ajoutée la mention : « I » ;

b) À la fin de la première phrase, les mots : « prise pour une durée limitée » sont remplacés par les mots : « et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient » ;

2° La seconde phrase est ainsi rédigée : « Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une évaluation régulière par des professionnels de santé de l’établissement désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical. »

3° Après le même alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :

« II. – La décision autorisant l’isolement ou la contention ne doit pas excéder une durée de six heures pour la contention et douze heures pour l’isolement. À titre exceptionnel, si l’état de santé du patient le nécessite, le médecin peut renouveler la mesure d’isolement ou de contention. Le médecin informe sans délai les personnes mentionnées à l’article L. 3211‑12 de ce renouvellement.

« Les personnes mentionnées à l’article L. 3211‑12 peuvent saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure. Le juge des libertés et de la détention statue immédiatement. Il ordonne, s’il y a lieu, la mainlevée de la mesure. La mesure est alors maintenue jusqu’à la décision du juge. Toutefois, lorsque le juge n’a pas statué avant l’expiration d’un délai de 48 heures, la mainlevée de la mesure est acquise. »

3° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Au début, est ajoutée la mention : « III » ;

b) La deuxième phrase est complétée par les mots : « , les raisons ayant motivé le recours à la mesure ainsi que l’avis du psychiatre, le suivi médical du patient durant la mesure » ;

c) La dernière phrase est ainsi rédigée : « Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, chaque année, à la commission départementale des soins psychiatriques, et, sur leur demande, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. »

Article 2

Le 2° de l’article L. 3223‑2 du code de la santé publique est ainsi rétabli :

« 2° D’un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel ; ».