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N° 3486 rectifié

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2020.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoirs constitutionnels,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marietta KARAMANLI, Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, Alain DAVID, Laurence DUMONT, David HABIB, Christian HUTIN, Chantal JOURDAN, Régis JUANICO, Jérôme LAMBERT, Gérard LESEUL, Serge LETCHIMY, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre régime politique fonde l’autorité politique sur le principe de la responsabilité : le Gouvernement détient l’autorité politique, car il est responsable devant le Parlement, tandis que le Chef de l’État qui est politiquement irresponsable devant le Parlement assure formellement selon la lettre de la Constituions une fonction d’arbitre et de garant de la continuité des institutions.

Selon l’article 20 de la loi constitutionnelle du 4 octobre 1958, le Premier ministre est responsable devant le Parlement. Selon l’article 21 de la Constitution le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement et dispose du pouvoir réglementaire.

Certes le texte même de la Constitution met en avant le Président ; il est le premier organe (ou institution) consacré, et ce, au titre II.  De par la concentration de la légitimité qu’il opère sur sa personne, son programme et ses décisions (il a une légitimité, à lui seul depuis 1962, « équivalente » à celle des 577 député‑es élu‑e‑s au suffrage universel direct) ([1]), il a une fonction d’inspiration de la politique nationale qui est menée tout au long de son mandat.

Défendre l’Assemblée nationale et défendre un Parlement plus autonome et plus fort, objectif sur lequel une très large majorité de démocrates et de républicains s’accorde, c’est lui redonner toute sa place dans les relations avec l’exécutif sans toucher aux prérogatives essentielles du Président de la République. C’est l’esprit et le sens de cette proposition de loi.

Il y a à l’évidence une dévalorisation parlementaire continue. Nous sommes les députés élus de la Nation et non d’un exécutif présidentiel. 

Nous pouvons améliorer le dispositif dans la continuité.

C’est en effet le Président de la République qui gouverne ou plus exactement qui demande au gouvernement d’agir et au Parlement de respecter, en cascade, les « ordres » du Président de la République. On a pu parler de députés « godillots » ou plus récemment de « députés play‑mobil » pour donner à voir des députés obéissants et dont le vote est déterminé par une fidélité automatique à ce qui est censé être la pensée et la volonté du Chef de l’État mis en œuvre par le Premier ministre.

Tout remonte au Président de la République, ce n’est pas dans logique même du régime institué en 1958, ce n’est pas sain comme l’a dit un ancien Président de la République. 

La grave crise sanitaire que traverse notre pays a mis en évidence que même sur une question comme celle des crédits en faveur de l’hôpital et de la sécurité sanitaire un ministre devait remonter jusqu’au Président de la république pour espérer gagner des arbitrages. Un débat entre un Chef de Gouvernement face aux députés n’aurait‑il pas été plus clair et plus sain ?

Dans ces conditions le nécessaire rééquilibrage des pouvoirs entre institutions passe par la correction du texte constitutionnel actuel à défaut d’un changement de pratique peu probable au regard des habitudes en revenant à son esprit originel qui affirme que c’est le Premier Ministre qui dirige l’action gouvernementale. 

Plusieurs correctifs sont souhaitables et possibles : que la majorité des députés investisse celui qui doit gouverner au quotidien ; que celui‑ci qui est censé animer le conseil des ministres le préside effectivement (le président n’étant alors que son suppléant en cas d’impossibilité) ; que le Premier ministre seul responsable devant les députés puisse dissoudre l’Assemblée nationale sans en passer par le Chef de l’État. En créant un nouvel équilibre entre le Premier ministre et l’Assemblée le centre du pouvoir politique au quotidien sera mieux assuré, sa stabilité maintenue et la recherche de compromis sur de grands textes durables deviendra un objectif politique concret détaché du seul respect d’engagements pris et interprétés par le Président de la République. Cela reviendrait, il est vrai, à appliquer enfin la Constitution à la lettre et non seulement pendant les périodes de cohabitation !

La légitimité du Chef de gouvernement doit être réaffirmée et l’intervention de l’Assemblée Nationale peut lui donner ce supplément de force obtenue en faisant voter son investiture avant qu’il ne soit nommé formellement par le Chef de l’État. Il est clair qu’à la suite de l’élection présidentielle il n’est guère possible pour une majorité élue sur le nom du Président de choisir un candidat qui n’aurait pas la confiance du chef de l’État. 

L’article 1er de la proposition pose le principe que c’est l’Assemblée nationale qui investit en premier lieu le Premier ministre. Selon l’article 20 de la loi constitutionnelle du 4 octobre 1958, le Premier ministre est responsable devant le Parlement ; il est donc logique et normal qu’il soit investi par l’Assemblée nationale notamment à l’occasion du renouvellement de celle‑ci avant d’être nommé et confirmé par la Président de la République. Cet article a vocation à mieux faire correspondre l’application de notre constitution, en matière de rapports entre les pouvoirs constitués, au principe de la responsabilité qui la sous‑tend.

L’article 5 fait logiquement du Premier ministre celui qui préside le Conseil des ministres. Comme l’ont remarqué certains éminents constitutionnalistes, notre Constitution n’est pas formellement appliquée à raison du fait que les pouvoirs constitués s’accordent entre eux pour ne pas appliquer le texte et notamment à ne pas donner toute sa force à l’article 21. Il est donc important de redonner au Premier ministre, directeur du travail gouvernemental, la maîtrise de certains pouvoirs qui lui logiquement propres. Cet article a pour objet et objectif de faire qu’il préside le Conseil des ministres et qu’il puisse partager ce pouvoir avec le Président de la République quand ceci s’avère nécessaire.

L’article 4 complète l’article 3 ; si le Premier ministre est légitime pour présider la Conseil des ministres où s’élabore et se discute le travail gouvernemental, il n’en reste pas moins que le Président est logiquement celui qui peut présider ce conseil lorsque le Premier ministre ne le peut, soit par absence soit par empêchement. Il s’agit, ici, d’adapter la modification faisant du Premier ministre celui qui préside de façon normale et habituelle ce conseil.

L’article 3 donne compétence au Premier ministre pour dissoudre l’Assemblée Nationale aux lieux et place du Président de la République. Si le Premier ministre est choisi et investi par l’Assemblée nationale il doit pouvoir, en contrepartie, renvoyer devant leurs électeurs leurs représentants en cas de différend persistant ou récurrent. Le Président irresponsable devant le Parlement n’a pas besoin de cette prérogative. 

Sans remettre en cause la fonction présidentielle il est normal que le chef du gouvernement responsable devant le Parlement puisse décider de dénouer une crise politique avec l’Assemblée Nationale. À plusieurs reprises, le général de Gaulle qui a fondé le régime a précisé que le Gouvernement devait prendre en charge les « contingences » (politique économique, conflits sociaux, fonctionnement des services publics…), le président étant responsable de la place de la France sur la scène internationale, de sa défense, et plus largement des choix fondamentaux engageant son avenir. Sous la Ve République, on prive le Premier ministre du droit de dissolution tout en organisant un régime qui reste fondamentalement parlementaire puisque le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. Logiquement un Premier ministre, qui met en œuvre la politique d’une majorité parlementaire, fusse t’elle inspirée par le chef de l’État élu au suffrage universel, ne peut théoriquement être révoqué que par elle et en retour devoir pouvoir assurer la cohérence de sa majorité et son soutien au travers de la possibilité de la confronter à ses électeurs. Transférer le droit de dissolution au Premier ministre c’est la contrepartie indispensable à sa responsabilité. C’est le sens de cet article. Cet article a vocation à mieux faire correspondre, là encore, l’application de notre constitution en matière de rapports entre les pouvoirs constitués au principe de la responsabilité qui la sous‑tend.

L’article 4 tire les conséquences de l’article 1 en termes de prérogatives du Premier ministre.

Il s’agit d’inscrire logiquement l’évolution proposée sur la nomination par le Président de la République du Premier ministre à l’article 20 de la Constitution qui définit les prérogatives générales du Premier ministre. Cet article a vocation, là encore, à mieux faire correspondre l’application de notre constitution en matière de rapports entre les pouvoirs constitués, au principe de la responsabilité qui la sous‑tend.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Titre 1ER

Du PrÉsident

Article 1er

« La première phrase du premier alinéa de l’article 8 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complétée par les mots : « investi préalablement de la confiance de l’Assemblée nationale au scrutin public et à la majorité des députés ».

Article 2

L’article 9 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par les mots : « en cas d’absence ou d’empêchement du Premier ministre ».

Article 3

Le premier alinéa de l’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958 est ainsi rédigé : 

« La dissolution de l’Assemblée nationale peut être décidée par le Premier ministre en Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée nationale. La dissolution est prononcée, conformément à cette décision, par décret du Président de la République. »

Titre II

Du Gouvernement et de ses relations avec le Parlement

Article 4

Après le deuxième alinéa de l’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Il est investi de la confiance de l’Assemblée nationale au scrutin public et à la majorité absolue des députés ».

Article 5

Le dernier alinéa de l’article 21 de la Constitution du 4 octobre 1958 est ainsi rédigé :

« Il préside le Conseil des ministres et peut déléguer au Président de la République ce droit en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé ».


([1]) Selon Pierre Mendès-France dès 1962 le constat est simple « un homme élu par trente millions d’électeurs est forcément très puissant…».