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N° 5206

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2022.

PROPOSITION DE LOI

pour la restauration d’une politique familiale cohérente et ambitieuse,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie SIX, Pascal BRINDEAU, Béatrice DESCAMPS, JeanChristophe LAGARDE, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Guy BRICOUT, Grégory LABILLE, Nicole SANQUER, Michel ZUMKELLER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une politique familiale généreuse a longtemps été un marqueur de notre société et a placé la France en tête des pays européens au taux de natalité le plus dynamique.

La famille constitue un socle fondamental de notre société, de son système de valeur, de la structuration de la vie en société. Elle doit donc être protégée et accompagnée en ce qu’elle constitue à la fois un repère, un élément de stabilité et de solidarité tant pour l’enfant que pour le parent.

En outre, la politique familiale doit permettre à chaque famille de pouvoir envisager les naissances avec sérénité. Le dynamisme du taux de natalité est un atout majeur, puisqu’il assure un renouvellement des générations, défini comme le « remplacement nombre pour nombre des générations en âge de procréer par les générations naissantes » ([1]). L’Institut National d’Études Démographiques (INED) estime que le remplacement des générations est effectif lorsque le taux de natalité atteint 2,1 enfants par femmes dans les pays développés.

C’est ce taux de natalité qui alimente notre système de protection sociale puisque ce sont les actifs qui cotisent pour les retraités, les malades, les inactifs.

D’ailleurs, l’ordonnance n° 45‑2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale avait pour but premier de « garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».

Or, l’INSEE estime que la hausse prévisible du taux de mortalité associée à la baisse quasi‑continue du taux de natalité entraînerait un solde naturel négatif dès 2035. Autrement dit, la France compterait davantage de décès que de naissances dans un futur proche et ce, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale.

En 2014, 818 000 naissances ont été enregistrées pour 556 000 décès soit un solde naturel de 259 000 personnes.

En 2017, 770 000 naissances ont été enregistrées pour 606 000 décès soit un solde naturel de 163 000 personnes.

En 2021, 738 000 naissances ont été enregistrées pour 657 000 décès, soit un solde naturel de 81 000 personnes.

Le défi démographique, en plus de la chute de la courbe du solde naturel, est alimenté par l’augmentation de l’espérance de vie de la population Française. Ainsi, l’INED prévoit que la part des plus de 65 ans dans la population française s’élèverait à 20,7 % en 2021, à 23,9 % en 2030, à 26,5 % en 2040, à 27,2 % en 2050 ([2]).

L’année 2014 marque une rupture avec les autres années sur le taux de natalité dans notre pays. En effet, entre 2000 et 2014, le nombre de naissances annuelles en France varie entre 790 000 et 820 000 contre 738 000 en 2021.

L’année 2014, précisément, constitue le point de départ des réformes de la branche famille qui ont contribué à la déstructuration de la politique familiale en France.

La principale réforme portant la dénaturation de la politique familiale en France est la modulation du montant des allocations familiales. Le rapport Elimas‑Viry sur la politique familiale au XXIe siècle nous éclaire sur la trivialité de cette mesure : « La modulation des allocations familiales en 2015 a été mise en œuvre un an après l’abaissement du plafond du quotient familial, intervenue en 2013 et 2014. Pourtant, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, le choix d’abaisser une nouvelle fois ce plafond avait été présenté comme une alternative à la modulation des allocations familiales, que la majorité de l’époque avait écartée conformément à un engagement de campagne du Président de la République d’alors. Or, cette mesure a finalement été introduite en catimini l’année suivante par un amendement parlementaire au projet de loi de financement pour 2015, déposé à l’Assemblée nationale en séance publique par la rapporteure des crédits de la branche famille, avec l’accord du Gouvernement. Elle n’a donc pas fait l’objet des consultations préalables relatives à la sécurité juridique du dispositif, ni d’aucune concertation avec les associations familiales » ([3]). Les auteurs du rapport ajoutent que : « La modulation des allocations familiales a donc entraîné une réduction importante des prestations versées aux familles situées dans le haut de l’échelle des revenus, mais également aux familles de la classe moyenne, qui ont déjà subi l’abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et en 2014 » ([4]).

Selon le rapport de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale d’octobre 2020 ([5]), la modulation des allocations familiales touche 472 000 familles chaque année. Pour ces familles, le montant des allocations familiales est nul, divisé par deux ou par quatre en fonction du niveau de revenu.

En 2019, ce sont 4,9 millions de familles qui ont été bénéficiaires des allocations familiales pour un coût s’élevant à 12,7 milliards d’euros.

Face à ce constat, la présente proposition de loi vise à défendre l’universalité des allocations familiales. Le soutien financier que représente cette allocation doit être adressé à toutes les familles et avec la même intensité. Les inégalités sociales ne peuvent être prises en compte dans le soutien que la société promet à toute famille, qu’importe son niveau de revenu.

Les allocations familiales devraient se placer au même niveau que d’autres promesses républicaines : celle de la préservation de la santé qui commande le remboursement des soins par l’assurance maladie sans distinction de revenus, ou encore celle de l’instruction permettant à chaque enfant de bénéficier de la gratuité de l’école publique.

L’universalité des allocations familiales, c’est mettre fin à la modulation de leur montant en fonction des revenus du ménage, c’est également verser l’allocation à tous les parents et donc, dès le premier enfant.

Le versement des allocations familiales dès le premier enfant serait une mesure nouvelle, puisque cette prestation familiale est aujourd’hui versée dès le deuxième enfant et son montant s’accroît à mesure que la famille s’agrandit.

Conditionner le versement de l’allocation familiale à la naissance du deuxième enfant répond à la logique nataliste consistant à encourager les couples à donner naissance à au moins deux enfants.

Or, l’impact financier de la naissance du premier enfant prend une place de plus en plus importante dans la décision des parents.

La politique familiale se place au‑delà de la seule politique nataliste, dans un objectif d’accompagnement des familles par la neutralisation de l’impact de la naissance sur les finances de la famille mais également sur la vie professionnelle des parents, en particulier avec les politiques publiques en faveur du congé de maternité et plus récemment du congé de paternité.

C’est le cas dans d’autres pays européens, à l’instar de l’Allemagne, de l’Espagne, de la Finlande ou encore de Chypre.

L’abaissement du plafond du quotient familial a poursuivi l’assimilation de la politique familiale à une politique des minimas sociaux. Le rapport parlementaire précité nous rappelle que « Sous la précédente législature, le plafond du quotient familial a été abaissé à deux reprises : la loi de finances pour 2013 a ramené le plafond par demipart de 2 336 euros à 2 000 euros, puis la loi de finances pour 2014 l’a abaissé à 1 500 euros. Ce plafond est aujourd’hui de 1 567 euros » ([6]).

Enfin, le report du versement de la prime de naissance après l’accouchement dès le 1er juillet 2015 a eu des effets délétères. Le rapport précité nous indique : « Tout d’abord, de nombreuses dépenses précèdent l’arrivée d’un enfant. C’est en effet dès la sortie de la maternité, et non pas deux mois après, que le nouveauné a besoin d’un couffin ou d’un lit à barreau, d’une poussette ou d’un portebébé, d’un siègeauto, d’une baignoire adaptée, d’une table à langer et de divers articles de puériculture. Parfois, la venue d’un enfant occasionne d’autres frais indirects, comme des frais de déménagement dans un logement plus grand ou l’achat d’un véhicule plus spacieux. Là encore, ces dépenses supplémentaires interviennent le plus souvent dès l’arrivée de l’enfant » ([7]).

Sur ce sujet, le Gouvernement a réintégré le versement de la prime de naissance au 7e mois de grossesse et non plus après la naissance ([8]). Cela résume bien la logique de gestion exclusivement budgétaire entre 2012 et 2017.

Cette situation est parfaitement résumée par le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge : « Si jusqu’en 2014, les ressources de la branche famille ont continué à progresser au même rythme que la croissance économique, les décisions ont conduit à une rupture à partir de 2014, la branche perdant 4 % de ses recettes entre 2014 et 2019, avec une accélération de la baisse depuis 2017.

En termes de dépenses, on enregistre un poids croissant des transferts vers d’autres régimes, la branche famille de la sécurité sociale prenant progressivement en charge des dépenses financées antérieurement sur d’autres comptes, en particulier la branche vieillesse de la Sécurité sociale » ([9]).

Autrement dit, la dénaturation de la politique familiale a permis de faire des économies en excluant des familles de certaines prestations ou en diminuant les droits. Le coût et les difficultés rencontrées par les familles ne leur permettent plus de donner naissance aussi librement qu’auparavant, entraînant une diminution des naissances et donc, mécaniquement, une diminution des dépenses en prestations familiales pour la sécurité sociale.

Ainsi, la branche famille dégage des excédents puisque les dépenses en prestations familiales diminuent au rythme de la dégringolade du nombre de naissances. Les Gouvernements, depuis 2014, se servent de ces excédents pour transférer les montants vers d’autres branches de la sécurité sociale dans le but de financer d’autres politiques sociales ou, inversement, pour transférer d’autres dépenses sans rapport direct avec la politique familiale sur le compte de la branche famille.

Concrètement, pour l’année 2022, c’est 1 milliard d’euros qui aura été transféré de la branche famille vers les autres branches de la sécurité sociale via l’article 29 de loi n° 2021‑1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

La démonstration du lien entre déstructuration de la branche famille et taux de natalité en berne ne convainc pourtant pas le Gouvernement. Sur une question relative à la baisse de la natalité, lors de l’audition du Ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, en commission des affaires sociales le 26 janvier 2022, celui‑ci rétorque : « La semaine prochaine me sera remis un rapport à ce sujet, qui montrera effectivement que le taux de natalité ne permet plus le renouvellement des générations. Toutefois, je me garderai bien de faire un raccourci entre la politique familiale et le taux de natalité. Je ne crois pas que ce soit le niveau du quotient familial et des prestations familiales qui explique la baisse de la natalité » ([10]).

La position exprimée par le Ministre des solidarités et de la santé tranche avec Nathalie Elimas, dont le rapport parlementaire sur « La politique familiale du XXIe siècle » a largement alimenté cette proposition de loi.

Afin de retrouver une cohérence au sein de la branche famille de la sécurité sociale et des prestations familiales versées, le chapitre premier propose une série de mesures afin de sortir la politique familiale de la logique de minimas sociaux.

L’article 1er rétablit l’universalité des allocations familiales.

L’article 2 débloque le versement des allocations familiales dès le premier enfant.

L’article 3 rétablit le plafond du quotient familial à 2 336 €, soit au même niveau qu’avant les réformes de 2014.

En parallèle de la restauration d’une politique familiale cohérente par une réforme des prestations familiales, les politiques publiques devraient s’attacher à favoriser le maintien et la régularité des liens de l’enfant avec ses deux parents.

La complémentarité du lien et du rôle des deux parents dans l’éducation de l’enfant est indispensable à son épanouissement. Cela passe par la définition d’un modèle assurant la recherche de la continuité de ces liens dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Or en France, le recours à la résidence alternée est de plus en plus fréquent. Selon une étude de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) de janvier 2019 : « La proportion d’enfants de moins de 18 ans en résidence alternée a doublé entre 2010 et 2016, et atteint 2,7 % en 2016. Ainsi, 400 000 enfants vivent la moitié du temps chez chacun de leurs parents séparés » ([11]).

Selon cette même étude, cette évolution est d’autant plus flagrante d’une génération à une autre : « Au fil des générations, de plus en plus d’enfants d’un âge donné alternent entre les résidences de leurs parents. Par exemple, à 10 ans, 2 % des enfants nés en 2000 étaient alternants. À cet âge, 2,5 % des enfants nés en 2002 étaient alternants, et c’est le cas de 3,7 % des enfants nés en 2006 » ([12]).

Toutefois, le recours à la résidence alternée reste hétérogène et dépend des revenus du ménage et du territoire. En effet, plus les revenus d’un ménage sont modestes, plus proportion d’enfants alternants est faible : « En 2016, en dessous du troisième décile de niveau de vie, moins de 2 % des enfants sont alternants. La proportion d’enfants alternants augmente ensuite avec le niveau de vie. Elle est la plus élevée entre le cinquième et le sixième décile (3,7 %) » ([13]).

S’agissant de la disparité territoriale, le recours à la résidence alternée est plus fréquent dans les départements dépourvus de grandes agglomérations. Par exemple, le département des Hautes‑Alpes compte 4,43 % d’enfant alternants, le département de l’Ariège compte 4,01 % d’alternants contre 0,4 % à Mayotte ou 1,16 % en Seine‑Saint‑Denis.

S’il est indiscutable que la résidence alternée concerne de plus en plus de familles, la garde exclusive reste octroyée dans une large majorité aux mères. Selon une autre étude de l’INSEE : « En 2009, 160 000 enfants mineurs ont vécu le divorce de leurs parents (ou rupture de pacte civil de solidarité (PACS)).

Selon les déclarations fiscales, un an après l’évènement, 76 % d’entre eux sont gardés principalement par leur mère et 9 % principalement par leur père » ([14]).

Or, nos concitoyens aspirent à l’émergence d’un nouveau modèle de parentalité permettant aux deux parents d’entretenir des liens forts, réguliers et équilibrés avec leur enfant afin qu’il reçoive les soins, l’éducation, l’instruction et l’assistance morale de chacun d’eux. Il paraît évident, et les études le confirment, qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’entretenir de tels liens avec ses deux parents.

Au niveau international, de nombreux traités consacrent un droit pour l’enfant à entretenir des contacts réguliers avec ses deux parents. En atteste l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant ([15]) et l’alinéa 3 de l’article 24 de la Charte européenne des droits fondamentaux ([16]).

La résolution 2079 votée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le 2 octobre 2015 et intitulée « Égalité et coresponsabilité : le rôle des pères » énonce un certain nombre d’objectifs tels que l’égalité parentale, l’égale implication des parents dans l’éducation de leur enfant, la reconnaissance et la valorisation du rôle des pères auprès de leurs enfants. D’ailleurs, la réflexion de ce texte repose sur la recommandation 5.5 dans laquelle l’Assemblée appelle les États « à introduire dans leur législation le principe de résidence alternée des enfants après une séparation, tout en limitant les exceptions aux cas d’abus ou de négligence d’un enfant, ou de violence domestique, et en aménageant le temps de résidence en fonction des besoins et de l’intérêt des enfants ». Autrement dit, il s’agit de faire de la résidence alternée un principe de mode de résidence de l’enfant des parents séparés tout en respectant les limites déjà dégagées par la jurisprudence.

Notre société, loin de favoriser la coparentalité, semble privilégier la garde exclusive. Dès lors que la mère demande la garde exclusive, il est plus aisé pour le père d’obtenir la garde exclusive de l’enfant que d’en obtenir la garde alternée : « Lorsque chacun des parents demande la résidence chez lui, le juge prononce la résidence chez la mère pour 62 % des enfants, chez le père pour 36 % d’entre eux. Lorsque le père demande une résidence alternée et la mère une résidence chez elle, le juge prononce une résidence alternée pour 25 % des enfants et la résidence chez la mère pour 75 % d’entre eux » ([17]). Inversement, selon la même source ministérielle, quand la mère y consent, la résidence alternée est toujours prononcée par le juge, y compris pour les enfants en bas âges, preuve s’il en est que la thèse d’une nocivité intrinsèque de cette modalité d’hébergement n’a pas de fondement.

L’émergence d’un modèle de coparentalité dans l’intérêt supérieur de l’enfant commande l’établissement d’une présomption légale de résidence alternée. Cette présomption présente deux bénéfices : la détermination de la charge de la preuve et la réduction des contentieux.

Le premier bénéfice est la fixation de la charge de la preuve. En créant une présomption légale de résidence alternée, il appartiendra au parent qui refuse la résidence alternée de prouver que ce mode de résidence de l’enfant est contraire à l’intérêt de l’enfant. L’établissement d’une telle présomption fait de la résidence alternée le principe en cas de litige sur le mode de résidence de l’enfant dès lors qu’un des deux parents la demande.

Le deuxième bénéfice est la réduction des contentieux, puisque les pays qui ont opéré cette réforme notent un accroissement de la demande spontanée des parents vers une résidence alternée. Lorsque le législateur consacre la présomption légale de résidence alternée, alors celle‑ci agit comme un repère dans la société et les parents qui se séparent optent plus facilement d’eux‑mêmes pour ce mode de résidence et par conséquent, réduisent le nombre de contentieux.

Bien que la résidence alternée soit le mode de résidence idéal de l’enfant lorsque les parents se séparent, il existe autant de situations que de familles. C’est pourquoi le juge doit conserver une marge de manœuvre dans l’appréciation des situations. Une jurisprudence constante s’est développée sur les limites au prononcé de la résidence alternée. Il est évident que des violences avérées ou un éloignement géographique trop important, notamment, sont autant d’éléments prouvant qu’en l’espèce la résidence alternée n’est pas un mode de résidence adapté pour l’enfant.

La présomption légale met l’accent sur la responsabilisation des parents, parfaitement illustrée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 septembre 2012 dans lequel le juge indique qu’il appartient aux parents « séparément mais aussi en concertation, de faire en sorte que cette résidence alternée ne fasse pas émerger de nouveaux problèmes au détriment des enfants : ils doivent viser à réduire et en tout cas laisser les enfants à l’égard de leurs propres conflits ; ils doivent rechercher, d’un commun accord, le ou les établissements scolaires les plus appropriés au regard de leurs adresses respectives mais également de leurs contraintes horaires de travail ; chacun doit être très attentif au respect des droits de l’autre parent, mais aussi à ne pas détériorer l’image de l’autre parent, voire (…) des grandsparents, visàvis des enfants ». Le conflit entre les parents n’est pas un argument de nature à faire obstacle à la résidence alternée : « considérant que le conflit qui oppose les parents ne peut servir utilement à faire échec à la demande de résidence alternée sauf à ce qu’il ne soit jamais fait droit à une telle demande et à nier tout droit à la mise en place d’une telle résidence, dans la mesure où, portée devant le juge, cette demande résulte nécessairement de l’existence d’un conflit » ([18]).

Enfin, selon une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance publiée en 2012 et examinant les liens entre monoparentalité et réussite scolaire, les enfants de familles monoparentales sont plus exposées que les autres à l’échec scolaire. Par contrat : « Les élèves vivant en garde alternée chez leurs deux parents connaissent en revanche une meilleure réussite que les autres » ([19]).

Cette démonstration milite en faveur de l’instauration d’une présomption légale de résidence alternée dès lors qu’un des deux parents la demande. Elle serait de nature à favoriser le maintien de liens réguliers de l’enfant avec ses deux parents.

Ces liens se tissent dans les premiers jours de l’enfant. En effet, les 1 000 premiers jours de l’enfant sont au fondement de sa construction, tant dans la relation de l’enfant avec ses parents que dans la relation du parent avec son enfant : « Les relations précoces parentsenfants et la présence des parents pendant les premiers mois de la vie ont une incidence positive, durable et déterminante sur la santé et le développement des enfants. Il faut du temps, de la disponibilité et de la proximité physique et émotionnelle de la part des parents pour qu’ils construisent avec leur bébé les relations harmonieuses et les contextes favorables aux apprentissages clés des 1 000 premiers jours. C’est en disposant de ce temps qu’ils pourront soutenir l’établissement d’un lien d’attachement sécure chez leur enfant et accompagner au mieux chaque étape de son développement cognitif » ([20]).

Le congé parental d’éducation semble être un bon outil pour permettre le développement et l’épanouissement de l’enfant avec ses parents aux premiers jours de sa vie. D’une durée pouvant aller jusqu’à 3 ans, le congé parental est faiblement indemnisé (397 € par mois à taux plein). Cette indemnité est versée au titre de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE). Or, ce dispositif est un échec, car peu de parents y recourent et les bénéficiaires sont quasi‑exclusivement des femmes.

« Inspirée principalement par des considérations budgétaires, la réforme de 2014 a introduit un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, dont la réalisation reposait sur une condition de partage de la PreParE pour pouvoir en bénéficier jusqu’à sa durée maximale. Sans surprise compte tenu de l’absence de revalorisation du montant de la prestation (397 €/mois au maximum), la part des pères dans la population percevant la PreParE n’est passée que de 3 % à 6,2 % entre 2014 et 2018 et leur nombre a diminué en valeur absolue. La réforme a eu pour principale conséquence d’accélérer la baisse du recours à ce type de prestation (272 000 bénéficiaires fin 2018, soit - 43 % par rapport aux bénéficiaires fin 2014 de la précédente prestation, le complément de libre choix d’activité (CLCA)) et de réduire la durée moyenne de versement » ([21]).

Comme l’expose l’IGAS dans son rapport, le montant trop faible de la PreParE est rédhibitoire pour beaucoup de parents. Au sein d’une famille, c’est le parent qui a la plus faible rémunération qui va mettre sa carrière professionnelle entre parenthèses pour s’occuper de l’enfant, et il s’agit quasi‑exclusivement de la mère. Une réforme du congé parentale soucieuse de l’égalité entre les hommes et les femmes, tant en matière d’emploi que d’investissement dans l’éducation de l’enfant, passe forcément par la transformation de la PreParE en une indemnité correspondant à une part du revenu du parent bénéficiaire. In fine, cette mesure doit également permettre aux carrières féminines d’être moins impactées par la naissance et l’éducation d’un enfant, en rééquilibrant le temps de congé entre les hommes et les femmes.

Le congé devrait également être plus court : c’est, d’une part la contrepartie de l’augmentation de l’indemnisation du congé, et d’autre part pour permettre une réinsertion plus rapide dans l’emploi.

Il est ainsi proposé un congé parental d’une durée de 8 mois et indemnisé sur le modèle de l’indemnité journalière soit 50 % du salaire journalier de base dans la limite d’1,8 SMIC soit 47,43 € bruts/jour.

Ce scénario est privilégié par le rapport de l’IGAS précité : « Ce scénario présente pour la mission de nombreux avantages : son coût est important du fait de la rémunération attractive et de l’augmentation du taux de recours attendue, mais ce coût, qui n’est maximal qu’à moyen terme, est en partie compensé par la réduction de la durée d’indemnisation, des besoins moindres en modes de gardes formels, en particulier s’agissant des places pour les enfants de 0 à 1 an, les plus coûteuses pour la collectivité, et un effet positif sur l’emploi des femmes à terme ; (…) il correspond enfin à l’intérêt pour l’enfant de pouvoir bénéficier de la présence d’un de ses parents plus longuement après sa naissance et à la volonté de faire avancer réellement le partage de la charge des enfants entre pères et mères » ([22]).

Un travail culturel doit également être mené car bien souvent, la jouissance du congé dépend de la précarité du contrat de travail. Plus l’impact de la naissance et du congé sur la carrière professionnelle sera atténué, plus les parents et a fortiori les pères en useront.

Ainsi, le chapitre II s’attache au renforcement et au maintien de la régularité des liens de l’enfant avec ses deux parents.

L’article 4 consiste à instaurer une présomption légale de résidence alternée lorsqu’il existe un conflit sur le mode de garde de l’enfant en cas de séparation des parents et lorsque l’un des deux parents la demande.

L’article 5 réforme le congé parental dans le but d’inciter les deux parents à s’investir dans l’accueil et l’éducation du nouveau‑né.

L’article 6 gage financièrement la proposition de loi.


proposition de loi

Chapitre Ier

Sortir la politique familiale de l’assimilation à une politique de minima sociaux

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

I. – Le troisième et le dernier alinéa de l’article L. 521‑1 sont supprimés.

II. – Le dernier alinéa de l’article L. 755‑12 est supprimé.

Article 2

Au premier alinéa de l’article 521‑1 du code de la sécurité sociale, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « premier ».

Article 3

Au premier alinéa du 2. du I de l’article 197 du code général des impôts, le montant : « 1 592 € » est remplacé par le montant : « 2 336 € ».

Chapitre II

Assurer la régularité des liens de l’enfant avec ses deux parents

Article 4

Le premier alinéa de l’article 373‑2‑9 du code civil est ainsi rédigé :

« À défaut d’accord entre les parents sur le mode de résidence de l’enfant, le juge fixe prioritairement l’hébergement de l’enfant de manière équilibrée entre ses deux parents, dans l’intérêt supérieur de celui‑ci, en application de l’article 371‑1. Lorsque le juge estime que la modalité de cette alternance doit être adaptée dans le temps, en particulier du fait du très bas âge de l’enfant, il le précise sous forme de décision provisoire, ou prévoit une autre modalité à échéance définie. Lorsque l’enfant ne peut bénéficier de ces dispositions, le juge motive spécialement sa décision et privilégie la solution qui préserve l’environnement habituel de l’enfant ».

Article 5

I. – L’article L. 1225‑48 du code du travail est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Le congé parental d’éducation a une durée initiale de huit mois au plus. Le congé se décompose de la manière suivante :

1° Deux mois réservés à chacun des deux parents ;

2° Quatre mois pris indifféremment par l’un ou l’autre parent.

La période d’activité à temps partiel a une durée initiale d’un an au plus et peut être prolongée deux fois pour prendre fin au plus tard au terme des périodes définies aux cinquième et septième alinéas, quelle que soit la date de leur début ».

2° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé : « En cas d’adoption d’un enfant de moins de trois ans, le congé parental prend fin à l’expiration d’un délai de 8 mois à compter de l’arrivée au foyer de l’enfant. Ce délai est de trois ans pour la période d’activité à temps partiel. »

3° Au dernier alinéa, les mots : « une année » sont remplacés par les mots : « huit mois ».

II. – Le I de l’article L. 531‑4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 2. est ainsi rédigé :

« 2. Le montant de la prestation est calculé sur la même base et dans les mêmes conditions que l’indemnité journalière mentionnée à l’article L. 321‑1 du présent code ».

2° À la première phrase du 3., les mots : « une durée, fixée par décret » sont remplacés par les mots : « toute la durée du congé parental ».

Article 6

La charge pour l’État et les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) https://www.ined.fr/fr/lexique/remplacement-des-generations/

([2]) https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/evolution-population/projections/

([3]) Rapport d’information n° 3168 de Stéphane Viry et Nathalie Elimas, déposé par la mission d’information sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle, 1er juillet 2020, page 22. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/polfamf/l15b3168_rapport-information.pdf

([4]) Ibid. page 21

([5]) https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-10/20201007-rapport-securite-sociale-2020.pdf

([6]) Rapport d’information n° 3168, Op. Cit., page 27.

([7]) Ibid., page 43-44.

([8]) Article 75 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021

([9]) Rapport du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge : L’évolution des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants à charge au titre de la politique familiale, 30 mars 2021. https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/l_evolution_des_depenses_sociales_et_fiscales.pdf

([10]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cion-soc/l15cion-soc2122029_compte- rendu

([11]) Élisabeth Algava, Sandrine Prenant et Leslie Yankan, « En 2016, 400 000 enfants alternent entre les deux domiciles de leurs parents séparés », Insee Première, n° 1728, janvier 2019.

([12]) Ibid.

([13]) Ibid.

([14]) Carole Bonnet, Bertrand Garbinti, Anne Solaz, « Les conditions de vie des enfants après le divorce », Insee première, n° 1536, février 2015.

([15]) « Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

([16]) « Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt ».

([17]) Direction des affaires civiles et du sceau, direction générale de la cohésion sociale, rapport intitulé : « Comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés », janvier 2014.

([18]) Paris, pôle 3 ch. 3, 31 mai 2012, RG n° 10/04248

([19]) Laurette Cretin, « Les familles monoparentales à l’école : un plus grand risque d’échec au collège ? », Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Bureau des études statistiques sur les élèves, Éducation & formations, n° 82, 2012.

([20]) Commission des 1 000 premiers jours, Les 1 000 premiers jours de l’enfant, là où tout commence, septembre 2020.

([21]) IGAS, mission d’évaluation du congé parental d’éducation et de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), avril 2019. https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article742

([22]) Ibid.