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N° 1553

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger l’article L. 4351 du code de la sécurité intérieure,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Thomas PORTES, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député‑e‑s.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’abolition de la peine de mort a été adoptée par la France en 1981, puis inscrite dans notre Constitution en 2007. Pourtant, le mardi 27 juin au matin, Nahel, un adolescent de 17 ans, a été tué par un policier qui lui a tiré dessus à bout portant pour refus d’obtempérer, et ce sans qu’à aucun moment la vie de ce policier n’ait été mise en danger. Il n’est pas nécessaire de chercher très loin pour tomber sur le dernier cas similaire. Le 14 juin dernier, Alhoussein, un jeune homme de 19 ans, a perdu la vie dans les mêmes circonstances. Ce permis de tuer pour refus d’obtempérer a pour fondement l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure, créé par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Par la présente proposition de loi, les députés de La France insoumise en demandent l’abrogation.

Ce 27 juin 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin affirmait devant l’Assemblée nationale « qu’il y a eu moins de tirs et (…) moins de cas mortels qu’avant 2017 » : c’est un mensonge.

Deux fois plus de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre depuis 2020.

En 2022, 13 personnes ont été tuées pour refus d’obtempérer, contre 4 en 2021. Entre 2002 et 2017 il y a eu en moyenne une personne tuée par an pour refus d’obtempérer, après 2017 la moyenne a atteint 4 personnes tuées par an, nous en sommes déjà à 3 pour l’année 2023. Les policiers ont tué 4 fois plus de personnes pour refus d’obtempérer en 5 ans que lors des 20 dernières années. Selon plusieurs chercheurs de la revue de sciences humaines Esprit, cinq fois plus de personnes ont été tuées par des tirs policiers visant des personnes se trouvant dans des véhicules en mouvement depuis 2017. Entre 2017 et 2022, 967 coups de feu ont été comptabilisés (161 en moyenne par an) contre 596 pour la période 2012‑2016 (119 en moyenne par an), soit une augmentation de 35 %, comprenant un bond de 47 % entre 2016 et 2017. Dès juillet 2017, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) constatait qu’à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017 les tirs des gendarmes –et surtout des policiers - avaient cru de 50 %. De manière générale, le nombre de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre a plus que doublé depuis 2020 (26 en 2022 contre 12 en 2020).

La France bat de sombres records en Europe. A titre de comparaison, on décompte en Allemagne un tir mortel pour refus d’obtempérer en 10 ans. Ces tristes statistiques, non‑exhaustives, se basent sur les données fournies par l’Inspection générale de la police nationale et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale. Ils sont repris dans plusieurs médias et enquêtes, et suffisent à contredire les propos du ministre de l’intérieur.

De la légitime défense à l’assouplissement légal de l’usage d’arme par les forces de l’ordre

Avant 2017, les policiers étaient soumis, comme tout autre citoyen, au principe de légitime défense prévu à l’article L122‑5 du code pénal selon lequel une personne n’est pas pénalement responsable si elle se défend pour sauver sa vie ou celle d’autrui, en cas de danger actuel et immédiat, sous plusieurs conditions juridiquement définies. L’article L435‑1 du code de la sécurité intérieure, créé par la loi du 28 février 2017, complexifie ce principe de base en prévoyant notamment que les forces de l’ordre peuvent faire usage de leur arme en cas de refus d’obtempérer, « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Contrairement à la clarté du principe de légitime défense, ce nouvel article est venu ajouter de la confusion sur l’usage de leur arme par des policiers déjà peu et mal formés, il a étendu le champ des possibles de l’utilisation d’un outil meurtrier. Ces règles très souples laissent les agents réalisant un contrôle routier apprécier un risque d’atteinte future à leur vie ou la vie d’autrui. La Cour des comptes constatait dans un rapport de 2018 que si 97 % des gendarmes avaient réalisé leur entraînement au tir dans l’année, ce n’était le cas que pour seulement la moitié des policiers. L’augmentation du nombre de personnes tuées est sans surprise majoritairement du fait de la police nationale. Au contraire, les gendarmes s’interrogent sur des réponses alternatives face aux refus d’obtempérer et selon la commandante de gendarmerie Céline Morin « L’interception immédiate, pouvant s’avérer accidentogène, n’est plus la règle, d’autant plus si les conditions de l’intervention et le cadre légal permettent une action différée, préparée et renforcée. (…) Jamais une poursuite ni une verbalisation ne justifieront de briser une vie ».

Le policier à l’origine du tir mortel sur Nahel a été mis en examen pour homicide volontaire. Mais cela aurait‑il‑été le cas sans l’existence d’une vidéo amateur permettant de prouver les faits et de démontrer la version des policiers ? Selon ces derniers, l’un des deux aurait été contraint de tirer car le véhicule aurait redémarré en fonçant sur eux. Pire, la mort du conducteur n’a pas empêché l’ouverture d’une enquête pour tentative d’homicide volontaire et refus d’obtempérer. Selon le média d’information Basta ! , en juillet 2022, seulement 3 affaires sur les 38 personnes tuées à la suite d’un refus d’obtempérer avaient abouti à une condamnation des agents impliqués : deux à des peines de sursis et une à 5 ans de prison (dont 3 avec sursis).

Le refus d’obtempérer est un délit, mais le chauffeur mérite‑t‑il pour autant de perdre la vie ? Peut‑on continuer de fermer les yeux sur un constat évident de dérives meurtrières du fait de l’état actuel de la loi ?

De l’urgence de changer la loi pour changer de doctrine

La doctrine actuelle nous mène droit dans le mur et il convient de la réformer tant dans la lettre que dans l’application concrète pour inverser la courbe exponentielle des morts du fait de tirs des forces de l’ordre. Les députés La France insoumise défendent une doctrine d’emploi de la force raisonnée, raisonnable et proportionnée. Pour cela, la formation des forces de l’ordre doit être réformée et renforcée et la désescalade doit être privilégiée dans toutes leurs interventions. En janvier 2022, notre groupe parlementaire a demandé la création d’une commission d’enquête sur la question des refus d’obtempérer pour réévaluer les techniques d’intervention de la police du fait de la loi de 2017 et de ses conséquences en cascade, mais elle n’a pas été mise à l’ordre du jour. La multiplication des événements tragiques qui suscitent aujourd’hui la tristesse et la colère légitimes des familles, des quartiers populaires et d’une majorité de citoyens et citoyennes nous amènent aujourd’hui à prendre des mesures de fond, urgentes et nécessaires.

Nous demandons l’abrogation immédiate de l’article L. 435–1 du code de la sécurité intérieure, fondement meurtrier de trop nombreuses victimes. Tel est l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi.

 

 


proposition de loi

Article unique

I. – Au dernier alinéa de l’article L. 227‑1 du code pénitentiaire, les mots : « ainsi que dans ceux prévus par les dispositions des 1° et 2° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure » sont supprimés.

II. – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le chapitre V du titre III du livre IV est abrogé ;

2° L’article L. 511‑5‑1 est abrogé.