1

Description : LOGO

N° 729

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à créer une commission denquête sur les difficultés liées à la protection des grands principes de la langue française,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Annie GENEVARD, Michel HERBILLON, Michel VIALAY, Pierre CORDIER, Nadia RAMASSAMY, Nathalie BASSIRE, Nicolas FORISSIER, Charles de la VERPILLIÈRE, Claire GUION‑FIRMIN, Constance LE GRIP, Damien ABAD, Daniel FASQUELLE, Didier QUENTIN, Émilie BONNIVARD, Emmanuelle ANTHOINE, Éric PAUGET, Fabrice BRUN, Franck MARLIN, Frédérique MEUNIER, Geneviève LEVY, Gilles LURTON, Guillaume LARRIVÉ, Guillaume PELTIER, Ian BOUCARD, Isabelle VALENTIN, Jacques CATTIN, JeanJacques GAULTIER, JeanCarles GRELIER, JeanCharles TAUGOURDEAU, JeanClaude BOUCHET, JeanLuc REITZER, JeanMarie SERMIER, JeanPierre VIGIER, Alain RAMADIER, Arnaud VIALA, Aurélien PRADIÉ, Bérengère POLETTI, Bernard BROCHAND, Bernard PERRUT, Brigitte KUSTER, JeanFrançois PARIGI, Olivier DASSAULT, Patrice VERCHÈRE, Patrick HETZEL, Philippe GOSSELIN, Pierre VATIN, PierreHenri DUMONT, Raphaël SCHELLENBERGER, Robin REDA, Sébastien LECLERC, Stéphane VIRY, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Valérie BOYER, Véronique LOUWAGIE, Vincent DESCOEUR, Vincent ROLLAND, Virginie DUBYMULLER, Xavier BRETON, Dino CINIERI, JeanYves BONY, Jérôme NURY, Josiane CORNELOUP, Julien DIVE, Laurence TRASTOURISNART, Laurent FURST, Marianne DUBOIS, MarieChristine DALLOZ, Maxime MINOT, Gérard CHERPION,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

De vifs débats se sont engagés au sujet de l’introduction de l’écriture inclusive dans la langue française.

Dans son guide « Pour une communication sans stéréotype de sexe », le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, institution nationale consultative indépendante créée en 2013 et chargée de la protection des droits des femmes, a émis dix recommandations pour une communication publique sans stéréotype de sexe dont plusieurs d’entre elles induisent des modifications dans le fonctionnement de la langue française :

– Éliminer toutes expressions telles que « mademoiselle », « nom de jeune fille »... ;

– Accorder les noms de métiers, de titres, grades avec le sexe des personnes qui les occupent, par exemple « madame la cheffe de bureau », « pompière » ;

– User du féminin et du masculin dans les messages adressés à « tous et toutes », « celles et ceux », de mots épicènes c’est‑à‑dire identiques au masculin et au féminin, par exemple « élève » ou englobants « le public », « une personne » ;

– Utiliser l’ordre alphabétique lors d’une énumération, par exemple « égalité femmes ‑ hommes » ou « les lycéennes et les lycéens » ;

Parmi les préconisations du Haut Conseil figurent :

– L’usage du « point médian » appelé aussi « point d’altérité » (par exemple « le.la présentateur.rice ») ;

– L’accord grammatical de proximité qui consiste à accorder les mots avec le terme le plus rapproché, par exemple « les hommes et les femmes sont belles » ;

En fait, l’écriture inclusive ne se limite pas aux aspects les plus controversés que sont le point médian et l’accord de proximité mais désigne l’ensemble des dispositions qui visent à inclure dans la langue une visibilité accrue du féminin.

Est‑il opportun d’adapter la langue aux questions sociales telles que l’égalité des hommes et des femmes, c’est en tout cas l’objectif affiché du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que celle de la Délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale, au risque de forcer l’usage et de susciter la polémique.

En son temps Claude Lévi‑Strauss et Georges Dumézil alertaient : « des changements délibérés risquent de mettre la confusion et le désordre dans l’équilibre subtil né de l’usage ». La langue est vivante mais selon ces deux éminents savants c’est l’usage qui conduit  naturellement aux changements de la langue et non la volonté de la soumettre à des évolutions sociétales, voire à une idéologie.

Les préconisations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ont suscité diverses réactions assez peu cohérentes entre elles, y compris au sein du Gouvernement. Ainsi, le premier ministre a signé une circulaire « INVITANT », dans un langage très jargonneux, à ne pas faire usage de l’écriture inclusive, abusivement présentée comme une interdiction. Le ministre de l’Éducation nationale s’est montré hostile à l’accord de proximité et la ministre de la culture semble favorable à la féminisation des titres. Le journal Le Monde adopte la féminisation des titres dont il impose la liste (une femme‑grenouille, une chef, une clown...), tolère le point médian et annonce l’expérimentation de l’accord de proximité. Il convient également de noter qu’un collectif de professeurs a décidé de modifier de sa propre autorité les règles grammaticales en matière d’accord.

On le voit, le consensus n’existe pas sur l’écriture inclusive. L’exemple de la féminisation des titres est de ce point de vue éclairante puisque, obéissant à un même objectif, les réponses linguistiques sont différentes (« une  chef », « une cheffe »).

Dès lors, quelle langue faut‑il donc enseigner ? Quelles règles appliquer ? Quelle autorité est‑elle à même de trancher ?

L’Académie française a vivement dénoncé l’écriture inclusive, considérant qu’il s’agissait d’un « péril mortel » pour l’avenir de la langue française. Elle précise que la démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques de cette écriture aboutit à une « langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ». Elle ajoute dans son cri d’alarme « On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture ‑ visuelle ou à voix haute ‑ et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. »

La position de l’Académie française, qui a pour principale fonction de travailler à donner des règles certaines à notre langue, doit être véritablement prise en compte. Rappelons qu’en 1539, le roi de France François 1er signe l’ordonnance de Villers‑ Cotterêts et fait ainsi du français la langue officielle du droit et de l’administration, à la place du latin et des autres langues du pays. Afin que la langue soit dotée d’une clarté nécessaire, le Cardinal de Richelieu a institué l’Académie française et lui a confié l’exercice de la mission définie par l’article XXIV de ses statuts de fondation (1635) : « de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » Cet article formule la raison d’être de l’Académie et fonde son autorité. L’Académie remplit principalement sa mission par le moyen de son Dictionnaire destiné à guider l’usage. Le Dictionnaire de l’Académie française est appelé à servir de référence à tous les autres. C’est pour cette raison que l’État couvre de son autorité les travaux lexicographiques de l’Académie en assurant la publication, sous forme de fascicules trimestriels, dans la collection des « Documents administratifs » du Journal officiel.

En vertu du décret du 3 juillet 1996 relatif à l’enrichissement de la langue française, la Commission d’enrichissement de la langue française soumet à l’Académie française ([1]) les termes, expressions et définitions qu’elle retient.

Ce décret est appliqué par la « Délégation générale à la langue française et aux langues de France » qui oriente et coordonne les politiques publiques visant à garantir l’emploi de la langue française, à promouvoir son usage et à assurer son enrichissement. Créé en 1966 sous le nom de « Haut Comité pour la défense et l’expansion de la langue française », la Délégation a également pour mission de faire connaître au grand public les termes publiés au Journal officiel ([2]) et de favoriser leur implantation dans la langue courante.

La langue française est présente dans notre droit avec deux grands fondements :

– La constitution française, par son article 2 « La langue de la République est le français », confère un statut constitutionnel à la langue française. Selon le Conseil constitutionnel ([3]), cette disposition a notamment pour conséquences : l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; elle n’interdit pas l’utilisation de traductions ; il est ainsi possible pour les services publics de recourir à une langue autre que le français, à la condition qu’une version française existe, qui seule fait foi en cas de litige ; son application ne doit pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication ;

– La Loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (dite « loi Toubon »), qui est venue préciser la portée et le périmètre de la disposition constitutionnelle. Cette loi apporte un cadre juridique qui permet l’exercice sur notre territoire d’un « droit au français » dans différents domaines comme le commerce, l’enseignement, la publicité, les médias, la recherche, la consommation, le service public…

____

La protection de la langue est traitée par de nombreux organismes ou institutions au premier rang desquels figure l’Académie française, mais aussi la Délégation générale à la langue française et aux langues de France ou la Délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale. Or ces organisations qui jouissent pourtant d’une autorité ne peuvent empêcher des initiatives qui visent à modifier les principes de la langue, qu’elles émanent d’un collectif ou d’un journal par exemple.

Il semble donc regrettable qu’il n’existe pas dans notre pays de protection juridique globale de la langue française.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution vise à la création d’une commission d’enquête parlementaire afin d’étudier les pistes permettant de protéger les grands principes de notre langue française tout en ne faisant pas obstacle à une juste évolution de son usage. 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres dont les missions sont :

1° De dresser un état des lieux des grands principes de grammaire, de conjugaison et d’orthographe qui forment la langue française ;

2° De dresser un état des lieux de tous les dispositifs qui ont pour intérêt d’apporter des modifications à la langue ;

3° D’examiner les mesures susceptibles d’être mises en place pour consacrer juridiquement les principes de la langue tout en respectant une juste évolution de son usage.


([1]) Article 9 du décret.

([2]) Article 4 du décret.

([3]) Décision n° 99-412 du 15 juin 1999.