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N° 2018

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour remettre lintérêt général au cœur de la fonction publique,

présentée par Mesdames et Messieurs
 

JeanLuc MÉLENCHON, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Sabine RUBIN, Clémentine AUTAIN, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUDHOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La fonction publique représente aujourd’hui en France un emploi sur cinq. Nos écoles, nos hôpitaux, nos transports en commun, nos services publics tiennent debout grâce à ces citoyens engagés pour le bien commun. La République française repose sur ces piliers, trop souvent oubliés, tant ils font partie de notre quotidien. Pourtant, la fonction publique et ses valeurs ont émergé de luttes sociales, républicaines et rassembleuses dont l’objectif a toujours été l’intérêt général.

Une lame de fond, se levant dès les années 1990, menace la fonction publique. Elle a pris forme pendant le quinquennat 2007‑2012 avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP) puis, malgré l’alternance, de 2012 à 2017 avec la Modernisation de l’action publique (MAP). En mettant en place de manière opaque le Comité d’action publique (CAP 2022), le Président de la République continue cet acharnement. Pourtant, aucun bilan clair n’existe sur les résultats de ces plans austéritaires ; aucun examen, ministère par ministère, ancré dans la réalité sociologique, économique, démographique dans laquelle ils ont été menés.

Malgré le manque de transparence de ces plans, nous constatons qu’avec la RGPP 150 000 postes ont été supprimés en cinq ans dans la fonction publique d’État (ce qui correspond à une baisse de 5,4 % des effectifs) afin de réaliser sur le dos des agents publics des « économies » de presque 12 milliards d’euros. François Hollande a certes changé ses plans après les attentats de janvier 2015, mais la MAP prévoyait bien la suppression de 33 500 postes, ramenée à environ 5 000, même si aucun chiffre officiel n’a été communiqué sur ce point. Ces coupes s’accompagnent d’une externalisation de fonctions autrefois assurées par des agents publics, à l’image des activités d’entretien fréquemment réalisées par l’intermédiaire de contrats privés plus précaires. Ces politiques de désengagement de l’État ont pu être camouflées par une apparente stabilité de la fonction publique, le nombre total d’agents publics ayant bien augmenté en apparence entre 2007 et 2017, avec 286 000 postes supplémentaires. Mais lorsque l’on prend en compte l’augmentation de la population française il a en réalité proportionnellement diminué ! Sur cette même période on peut ainsi constater une augmentation de la population de 5,4 % alors que le nombre d’agents n’a augmenté que de 5,3 %. Pour avoir un même ratio d’agent par habitant qu’en 2007 nous estimons donc qu’il manquait 50 000 agents en 2017.

Emmanuel Macron s’inscrit dans cette lignée dès 2015. En tant que ministre de l’économie, il annonce vouloir diminuer les effectifs et remettre en cause le statut des fonctionnaires en estimant qu’il n’est « plus adéquat ». En tant que candidat aux élections présidentielles il s’engage à supprimer 120 000 postes d’agents publics sur le quinquennat (70 000 dans la fonction publique d’État et 50 000 dans la fonction publique territoriale). En tant que Président, il lance de manière opaque le Comité action publique 2022 (« CAP 2022 ») composé de personnalités de l’oligarchie publique et privée en faisant la sourde oreille aux demandes des syndicats. Ces mêmes partenaires sociaux sont aujourd’hui méprisés, laissés de côté pendant tout le processus d’adoption du projet de loi de « transformation de la fonction publique » alors même qu’ils sont tous vent debout contre cette réforme, digne héritière de la RGPP et de la MAP.

Le Gouvernement actuel mène ce projet d’une manière malhonnête et autoritaire, sans dire ce qu’il en est vraiment. Les lois de finances depuis l’ère Macron sont austéritaires, avec une baisse nette depuis fin 2017 de 5 824 emplois comprenant des coupes dans des missions de services publiques fondamentales comme l’écologie (‑ 2 402 ETP), le travail (‑ 2 204 ETP), l’éducation nationale (‑ 1 826 ETP), les solidarités et la santé (‑ 1 032 ETP) ou encore l’économie et les finances publiques (‑ 4 291 ETP).

À cette malhonnêteté s’ajoute le non‑respect des principes budgétaires et démocratiques. En effet, le Parlement vote en loi de finances des plafonds d’emplois précis par mission qui ne sont pas exécutés par la suite par le Gouvernement. Chaque loi de finances fait l’objet d’une discussion politique par les parlementaires sur le nombre d’agents nécessaires pour accomplir les missions d’intérêt général qui relèvent des services publics. En particulier, notre groupe parlementaire a étudié de près les documents budgétaires et a pointé systématiquement le manque d’agents publics dans de nombreux services publics : établissements scolaires, hôpitaux, tribunaux, établissements pénitentiaires, services de police et de gendarmerie… Or, l’exécution budgétaire de ces plafonds d’emploi montre que les objectifs ne sont pas atteints, révélant ainsi l’ambivalence du Gouvernement en la matière : il communique en loi de finances sur une ambition de recrutement, qu’il n’exécute pas en réalité. À titre d’exemple, un plafond d’emplois de 84 969 ETPT a été voté en loi de finances initiale pour 2018 pour la mission Justice. Or, la Cour des comptes montre précisément dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire qu’en 2018, seulement 83 552 emplois ont été exécutés pour cette même mission. Ces chiffres montrent le caractère insincère du budget voté, mais surtout révèle la stratégie du Gouvernement.

Les fonctionnaires semblent n’être qu’une variable d’ajustement budgétaire, sur le dos desquels on peut se permettre de faire des économies tout en fermant les yeux sur la précarité qu’on leur impose ainsi, et, in fine, sur la dégradation de la qualité des services publics. Il est temps pour le Gouvernement de rendre des comptes. Les Français ne peuvent se contenter des annonces ultra‑libérales et provocatrices du ministre de l’action et des comptes publics promouvant « la généralisation du contrat dans la fonction publique ». Le statut de la fonction publique est le droit commun, le contrat un régime dérogatoire. Pourtant, le mouvement de contractualisation est bien réel : entre 2007 et 2017 les contractuels ont augmenté de 23 % alors que le nombre de fonctionnaires a reculé de 0,5 %. Il y a aujourd’hui un contractuel pour cinq fonctionnaires alors qu’en 2007 ils ne représentaient qu’un agent sur six.

La réforme actuelle de la fonction publique poursuit et amplifie ce mouvement, en ouvrant les possibilités de recours aux contractuels dans ses deux pans les plus dangereux. D’un côté, on précarise les secteurs les plus fragiles de l’emploi public à coups de contrats à durée déterminée, touchant davantage les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Dans la territoriale, 65 % des contractuels sont en CDD et seule la fonction publique d’État recrute davantage de CDI que de CDD. Dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière respectivement 73 % et 85 % des agents en CDD ont un contrat inférieur à un an ! À cela s’ajoute le fait que plus des trois quarts des agents de la territoriale font partie de la catégorie C, contre seulement un cinquième au niveau étatique… De l’autre côté, avec la réforme souhaitée par le Gouvernement, le recours à la contractualisation sur les postes aux plus grandes responsabilités ouvrira la voie aux copinages et salaires négociés, ainsi qu’aux conflits d’intérêts et au pantouflage. Nous assistons donc à une extinction du statut, à un sabordage des droits et garanties des agents publics. Nous allons vers la concurrence, l’individualisation et la privatisation des services publics.

Par cette proposition de résolution, nous demandons qu’un réel bilan de toutes ces attaques contre la fonction publique soit établi. Il faut apprécier correctement, ministère par ministère, les résultats de ces politiques en termes de suppressions d’emplois, en les comparant avec l’évolution naturelle de la population française et des besoins de services publics. Tout d’abord, chaque femme et homme travaillant pour l’intérêt général a le droit de savoir ce qu’il ou elle a perdu après ces réformes, ce qu’il ou elle pouvait s’attendre à recevoir. Nous demandons ainsi un calcul des économies faites avec le gel du point d’indice depuis 2010 (modulo les variations de 0,6 % de 2016 et 2017). Selon nos propres calculs, de 2008 à 2018 les économies réalisées sur le dos des fonctionnaires dépasseraient au total les 100 milliards, ce qui fait environ 2 000 euros chaque année par agent. Il nous paraît ainsi urgent de revaloriser les rémunérations des fonctionnaires et agents publics qui, en plus du gel du point d’indice, n’ont pas eu de prime exceptionnelle cette année (mis à part une partie de la direction générale des finances publiques et des forces de l’ordre). Ensuite, ce sont bien évidemment les usagers et usagères qui ont le droit de comprendre pourquoi leurs services publics sont de moins en moins présents sur le territoire, pourquoi les dysfonctionnements perçus sont causés par les politiques libérales développées par le Gouvernement et non par les fonctionnaires... Si nous‑mêmes, représentants de la Nation, avons tant de mal à avoir les renseignements nécessaires sur les politiques menées par les différents gouvernements, comment peut‑on envisager leur accessibilité pour les citoyens à qui l’on doit pourtant la transparence ?

Nous, députées insoumises et députés insoumis, avons une vision claire de l’exigence d’un État républicain engagé auprès de ses citoyens grâce à une fonction publique reposant sur des valeurs et une histoire qu’il ne faut pas bafouer. Le statut de fonctionnaire naît d’une conquête révolutionnaire et sociale contre la captation des biens publics par le monarque et les intérêts privés. De 1789 et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui inscrit dans le marbre l’égalité d’accès aux emplois publics (« Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ») aux lois dites « Le Pors » des années 1980, ce statut a été défendu. Il justifie sa particularité par la loyauté que doivent garantir les fonctionnaires à la République et au peuple, mais aussi par la protection qu’ils doivent recevoir face à l’arbitraire des gouvernements. Le principe d’égalité d’accès est consacré par l’existence des concours, plus impartiaux que le choix discrétionnaire de contractuels. Le principe d’indépendance attribue la propriété de son grade, et non de son emploi, au fonctionnaire, ce qui le protège contre les pressions politiques et l’arbitraire administratif, en garantissant sa neutralité vis‑à‑vis des usagers et usagères. Le principe de responsabilité, lui, est la base du « fonctionnaire citoyen » qui a tous les attributs de la citoyenneté française et n’est pas un « fonctionnaire sujet ». Ce statut est le résultat de luttes républicaines et sociales, un acquis issu du Conseil national de la Résistance, qui ne protège pas les fonctionnaires mais bien la République !

Contrairement au salarié lié à son employeur par contrat, le fonctionnaire est au service de l’intérêt général. Remettre en cause cette spécificité lierait l’agent public à des intérêts particuliers. Substituer à la logique de la fonction celle de l’emploi ou du métier c’est substituer à la logique de l’intérêt général celle du marché. La logique actuelle d’individualisation et de performance s’éloigne de la dimension collective inhérente à la fonction publique.

Face à cela et au regard de l’importance du travail réalisé par les agents des services publics qui font tout simplement tenir au quotidien notre société, nous souhaitons renforcer la fonction publique. Il est crucial d’embaucher à la hauteur des besoins et, parce que l’État doit être exemplaire, titulariser tous les précaires de la fonction publique. Cela permettrait de contrecarrer les mauvais résultats de la loi Sauvadet du 12 mars 2012, très éloignés de son objectif de « déprécariser » par des titularisations et conversions en CDI. Lorsque nous constatons les conditions de travail dans lesquelles se retrouvent des fonctionnaires, nous sommes loin de ce que certains appellent à tort des « privilèges » : 46 % des agents travaillent le week‑end, plus de 36 % entre 20 h et 5 h et 25 % sont exposés à au moins trois contraintes de rythme (quasiment le double dans la fonction publique hospitalière). Cependant, le Gouvernement semble avoir pour but de faire du contrat le droit commun dans la fonction publique alors qu’il est jusqu’ici dérogatoire. Mais vers quoi veut‑il tendre ? Si ce n’est pas vers une disparition du statut de fonctionnaire, alors pourquoi ne pas envisager l’imposition d’un plafond maximal de contractuels et de définir leurs missions par un caractère exceptionnel et temporaire, comme nous l’avons déjà proposé.

Les réformes qui se sont enchaînées ne font que dégrader les services publics en contribuant notamment à renforcer les inégalités territoriales (en créant des « déserts de services publics ») alors qu’il faudrait aller vers un rétablissement de l’égalité avec un niveau de fonctionnement satisfaisant. Le Gouvernement peut‑il envisager que la baisse de qualité des services publics ait pour cause le désengagement de l’État ? Ouvrir cette réflexion permettrait de remettre en question la privatisation effrénée des services publics tant promue par la majorité actuelle. Le projet de loi sur la fonction publique présage de futures restructurations et plans de licenciements en encourageant les agents publics à aller vers le privé. Le postulat sur lequel se base cette stratégie gouvernementale ne repose sur aucun bilan sérieux. Nous proposons donc au Gouvernement et à sa majorité de ne pas continuer à suivre ce mirage libéral mais de faire le point sur les politiques passées, d’en analyser les conséquences, d’écouter, mais surtout de prendre en compte l’avis des acteurs de la société tels que les syndicats et les usagers.

Nous invitons alors le Gouvernement à déclarer un moratoire sur le démantèlement des services publics, le temps de présenter un bilan sur la réalité des économies effectuées, sur l’évolution de la qualité des services rendus aux citoyens, sur l’état de précarité des agents publics et sur la gestion des conflits d’intérêts dans la sphère publique. Tant que cela ne sera pas fait, il nous paraît peu judicieux de continuer à engager des réformes destructrices de la fonction publique.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 46, 54, 57 et 58 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances,

Vu l’étude d’impact du projet de loi de la transformation de la fonction publique,

Vu l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi susmentionné,

Considérant notre attachement au statut de la fonction publique, garant de l’intérêt général ;

Considérant l’impératif de répondre à la demande du peuple sur la qualité des services publics ;

Considérant l’impact du développement du numérique sur l’accessibilité des services publics ;

Considérant l’impératif de défendre l’égale répartition des services publics sur tout le territoire de la République ;

Considérant l’absence d’évaluation de l’impact des différentes réformes de casse de la fonction publique ;

Considérant l’absence d’évaluation des fermetures et éloignements de services publics et de leurs conséquences concrètes sur la vie des citoyens ;

Considérant les conséquences néfastes du rapprochement du mode de gestion des services publics et de celui du secteur privé ;

Considérant l’état actuel de précarisation des agents publics, accentué par le plan d’action du Gouvernement ;

1. Encourage le Gouvernement à mieux examiner, mission par mission et par catégorie, les circonstances et les conditions de réduction du nombre de fonctionnaires.

2. Encourage le Gouvernement à préciser, mission par mission, ses objectifs en termes d’effectifs de fonctionnaires et à sanctuariser des missions dans lesquelles il ne peut être conduit une politique de réduction du nombre de fonctionnaires.

3. Invite le Gouvernement à faire la liste exhaustive des fermetures de services publics et des missions qui ne sont plus assurées par la puissance publique.

4. Invite le Gouvernement à analyser les conséquences concrètes sur la vie des citoyens de cet affaiblissement de l’État.

5. Invite le Gouvernement à évaluer et rendre publiques les économies réalisées du fait du gel du point d’indice des fonctionnaires.

6. Encourage le Gouvernement à étudier l’impact concret des différentes réformes de la fonction publique sur la vie des citoyens.

7. Encourage le Gouvernement à expliciter en quoi son projet de loi de transformation de la fonction publique favoriserait la qualité et l’accessibilité des services publics.

8. Encourage le Gouvernement à geler toute nouvelle réforme de la fonction publique tant qu’il n’aura pas procédé aux évaluations et éclaircissements susmentionnés.