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N° 2165

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur la lutte contre lorpaillage illégal en Guyane,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Gabriel SERVILLE, André CHASSAIGNE, Huguette BELLO, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARDMONDÉSIR, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’exploitation de l’or en Guyane existe depuis le milieu du XIXe siècle et bien qu’en forte baisse sur la décennie, le secteur aurifère représente toujours la deuxième filière de l’industrie locale en chiffre d’affaires, après le spatial et devant la pêche.

Si l’activité légale s’est récemment retrouvée au cœur de l’actualité nationale avec le projet de méga‑mine industrielle de la Montagne d’Or, récemment mis à l’arrêt suite à la mobilisation exceptionnelle des associations et de la société civile (une pétition d’opposition compte au moment de l’écriture de ces lignes 423 108 signatures quand la Guyane compte 296 711 habitants au 1er janvier 2019), l’exploitation illégale de l’or en Guyane préoccupe, elle, les pouvoirs publics depuis maintenant trois décennies.

En constante augmentation depuis le début des années 2000, ce phénomène mobilise entre 3 000 à 15 000 travailleurs en situation irrégulière qui opèrent sur près d’un millier de sites répartis sur l’ensemble du territoire guyanais, avec un mouvement observé vers le cœur du Parc amazonien de Guyane et toujours plus près des bassins de vie.

Ainsi, alors qu’ils ne représentaient que 17 % des surfaces déforestées au début des années 2000, ces sites représentent aujourd’hui 75 % des zones déboisées chaque année. Une étude de 2017 a ainsi évalué que 12 000 hectares de forêt amazonienne ont été perdus directement en lien avec l’orpaillage illégal. Les impacts de ces activités sur les cours d’eau sont encore plus significatifs puisqu’ils sont responsables de 90 % des destructions de lits mineurs annuels et, au total, ce sont plus de 2 000 km de linéaire de cours d’eau qui ont été détruits.

La principale technique utilisée par les exploitants illégaux pour récupérer l’or est encore basée sur l’emploi du mercure qui implique l’utilisation d’1,3 kg de mercure pour récupérer 1 kg d’or, avec près de 30 % de pertes rejetées dans le milieu naturel. On estime à ce rythme que chaque année, environ 5 tonnes de mercure sont rejetées dans le milieu naturel et 1,5 tonne dans les cours d’eau.

Les orpailleurs illégaux ont également recours à l’exploitation par barges, pourtant interdite en Guyane depuis la directive préfectorale du 3 juillet 1997 mais qui se poursuit sur les fleuves Maroni et Oyapock, qui du fait de leur caractère frontaliers avec le Suriname et le Brésil, sont difficilement contrôlables, outre le fait que bien qu’amarrées sur les rives non françaises les barges sont amenées à rejeter des boues toxiques qui se diffuseront sur l’intégralité du cours d’eau, impactant l’ensemble des populations riveraines. Les activités d’extraction directement dans le lit mineur des cours d’eau sont elles aussi interdites, depuis un arrêté du 22 septembre 1994 mais restent pratiques courantes pour les opérateurs illégaux.

Conséquence directe : en 2015, 90 % des populations du Haut‑Maroni présentaient un taux de mercure supérieur à la norme admise. Ces populations souffrent ainsi de contaminations chroniques dont les effets sanitaires sont dévastateurs dès lors qu’il est établi que l’accumulation de méthylmercure a de graves conséquences sur la santé, particulièrement chez les populations fragiles telles que les enfants et les femmes enceintes, celui‑ci étant foetotoxique. On observe chez les enfants impactés des retards de développement, des affections et des troubles de comportement, or aucun réel suivi n’a été mis en place par les autorités sanitaires et leur seule mesure tangible a été d’inviter les populations riveraines des cours d’eau impactés à ne plus consommer de poissons carnivores.

On estime que les exploitants d’or illégaux produisent chaque année entre 5 et 10 tonnes d’or (contre 1 à 1,5 tonne déclarée annuellement par les opérateurs légaux), ce qui représente un manque à gagner entre 202 et 405 millions d’euros pour la filière légale injustement concurrencée et qui avance le chiffre de 300 emplois supprimés comme conséquence directe de cette concurrence déloyale. Par ailleurs, l’orpaillage clandestin est également source des troubles sociaux et génère une insécurité multiforme.

Si ce bilan alarmant a amené à mettre en place un cadre légal et matériel de la lutte contre cette industrie parallèle, force est de constater que celui‑ci n’est pas en capacité de faire échec à la pérennisation du phénomène de l’orpaillage illégal en Guyane.

L’opération « Harpie », menée conjointement par les forces de gendarmerie et les forces armées en Guyane et lancée en février 2008 de façon périodique est devenue permanente à partir de mars 2010, succédant aux opérations « Anaconda » de 2002 à 2004 et « Toucan » de 2004 à 2008. Elle « vise à asphyxier les zones d’orpaillage clandestin et à déstabiliser durablement l’économie souterraine » et dispose pour cela de 350 à 500 hommes déployés en permanence sur des bases opérationnelles avancées ou en forêt.

Selon le bilan officiel pour l’année 2018, ces opérations auraient permis sur l’année la destruction de 765 sites d’orpaillages illégal ainsi que la saisie de 26 075 110 euros d’avoir criminels dont 205 armes et 120 kg de mercure.

Cependant, après dix ans de lutte contre l’orpaillage illégal, un constat demeure : les impacts subis par les populations locales et par les écosystèmes dont elles dépendent demeurent extrêmement sévères et si les activités illégales baissent de façon cyclique, elles sont globalement en augmentation et continuent de gangrener la vie des Guyanais.

Dès lors, il convient par la création d’une commission d’enquête d’actualiser et d’approfondir la connaissance par la représentation nationale des impacts sanitaires, environnementaux, économiques et sociaux des activités d’orpaillage illégal en Guyane. Il conviendra également d’identifier les responsabilités liées à l’empoisonnement des populations de l’intérieur guyanais et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques de lutte contre ce phénomène, en particulier des opérations Harpie, et contre ses conséquences sanitaires et environnementales et, enfin, de poser la question de la pertinence de l’indemnisation des victimes empoisonnées au mercure mobilisé par les activités d’orpaillage clandestin.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer les opérations de lutte contre l’orpaillage illégal

En outre, cette commission effectuera un examen de notre législation en la matière et fera des propositions pour répondre aux dysfonctionnements dont elle aura connaissance.