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N° 2544

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à la relation future entre l’Union européenne
et le RoyaumeUni et tendant à lutter contre les paradis fiscaux
aux frontières de l’Union,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Dominique POTIER, Valérie RABAULT, André CHASSAIGNE, Philippe VIGIER, Bertrand PANCHER, JeanFélix ACQUAVIVA, Joël AVIRAGNET, Sophie AUCONIE, Ericka BAREIGTS, MarieNoëlle BATTISTEL, Huguette BELLO, Gisèle BIÉMOURET, Christophe BOUILLON, JeanLouis BRICOUT, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, MarieGeorge BUFFET, Luc CARVOUNAS, Michel CASTELLANI, Annie CHAPELIER, JeanMichel CLÉMENT, PaulAndré COLOMBANI, Alain DAVID, Yves DANIEL, Pierre DHARRÉVILLE, Jennifer De TEMMERMAN, Jeanine DUBIÉ, JeanPaul DUFRÈGNE, Frédérique DUMAS, Laurence DUMONT, M’jid EL GUERRAB, Olivier FALORNI, Elsa FAUCILLON, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Sandrine JOSSO, Régis JUANICO, Sébastien JUMEL, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Marietta KARAMANLI, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, FrançoisMichel LAMBERT, Jérôme LAMBERT, George PAULANGEVIN, JeanPaul LECOQ, Serge LETCHIMY, Josette MANIN, Paul MOLAC, JeanPhilippe NILOR, Jimmy PAHUN, Stéphane PEU, Sylvia PINEL, Christine PIRES BEAUNE, Joaquim PUEYO, Richard RAMOS, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEURCHRISTOPHE, Boris VALLAUD, Patrick VIGNAL, Michèle VICTORY, Hubert WULFRANC,

députés.

 

 

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 12 décembre 2019, les électeurs du Royaume‑Uni ont fait le choix de donner une majorité claire au parti Conservateur de M. Johnson, qui se voit ainsi renforcé dans ses fonctions de Premier ministre.

Ce faisant, le peuple britannique a confirmé son choix souverain, exprimé lors du référendum du 23 juin 2016, de quitter l’Union européenne sur le fondement de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE).

C’est au nom d’une histoire commune, dans laquelle l’héroïsme de nos alliés britanniques a contribué à rendre possible le rêve européen de paix et de coopération, que la France regrette la décision d’une Nation amie d’interrompre sa participation à l’Union européenne.

C’est donc avec une profonde tristesse que nous constatons l’irrévocabilité du choix britannique. Nous prenons acte que le « Brexit » doit désormais intervenir d’ici le 31 janvier 2020, dans les conditions prévues par l’accord de retrait entériné à Bruxelles le 17 octobre 2019.

Cet accord ouvre une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2020 ou, si l’ensemble des parties le décident, jusqu’au 31 décembre 2022, qui sera consacrée aux négociations sur la future relation commerciale entre l’Union européenne et le Royaume‑Uni.

Dans les semaines qui viennent, les États membres, réunis au sein du Conseil de l’Union européenne, seront ainsi appelés à fixer le mandat de négociation de la Commission européenne qui mènera les discussions en vue de la conclusion d’un accord de libre‑échange. Selon toute vraisemblance, cet accord, portera à la fois sur des compétences de l’Union européenne que sur des compétences nationales. Ainsi, il devra donc être ratifié par l’ensemble des États membres.

Dans la définition du mandat de négociation européen, la France doit pleinement jouer son rôle en préservant les intérêts économiques et financiers de l’Union et de ses habitants par une prise de position claire, conditionnant la conclusion d’un tel accord à l’éradication par le Royaume‑Uni des paradis fiscaux qui relèvent de sa souveraineté.

En effet, à travers ses dépendances (Guernesey, Jersey, Île de Man) et ses territoires ultramarins (Îles Caïmans, Îles Vierges Britanniques, les Bermudes…), le Royaume‑Uni, s’il n’en a pas le monopole, représente à lui seul plus du tiers du risque d’évasion fiscale mondiale([1]), alors qu’il est estimé que 10 % de la richesse financière privé du globe se trouve dans des paradis fiscaux.([2])

La relation avec Londres est indispensable pour ces paradis fiscaux. Ce lien permet de garantir une stabilité essentielle pour les investisseurs et l’autonomie de ces territoires permet aux acteurs financiers de mettre en place des règles qui leur sont favorables.

Pour la City, ce réseau de territoires répartis sur le globe permet de capter des avoirs dans tous les continents, d’y cacher les produits financiers toxiques, et potentiellement d’avoir accès à des avoirs d’origine douteuse.([3])

Avec ses territoires, le Royaume‑Uni représente 22,57 % des exportations de services financiers du monde.([4]) En outre, 13,8 % des investissements directs internationaux ont pour origine ou pour destination le Royaume‑Uni ou ses territoires.([5]) La première place financière mondiale ne peut pas être à la fois plus important paradis fiscal de notre planète.

Du fait de ces mécanismes, l’évasion fiscale représenterait une perte de 750 milliards d’euros pour l’Union européenne, ce qui a un impact extrêmement important tant sur le financement de nos services publics que sur le consentement à l’impôt de la part de nos concitoyens.([6]) Dans ce cadre, il est impératif de protéger l’Union européenne, ses États membres et ses citoyens de toutes entités qui, de par leur comportement déloyal, sapent nos modèles sociaux.

Ainsi, parvenir à conditionner le futur accord de libre‑échange à une lutte effective du Royaume‑Uni contre ses paradis fiscaux aurait un impact majeur sur ces territoires sous souveraineté britannique et par incidence sur l’économie réelle au sein de l’Union européenne.

Il s’agit en effet, de construire avec nos amis britanniques une économie mondiale loyale, saine et aux services de nos sociétés respectives.

Enfin, ce qui justifie la présente proposition c’est la capacité effective du Royaume‑Uni à lutter contre ces paradis fiscaux. Si ces territoires sont autonomes, notamment sur le plan des normes fiscales, le Royaume‑Uni y nomme des Gouverneurs généraux qui ont le pouvoir de rejeter les législations votées par les parlements locaux. En outre, le Royaume‑Uni est responsable de leur politique de défense, de leurs relations étrangères, et est garant de leur « bonne gouvernance ».([7])

Ainsi en 2009, après un scandale de corruption, le Royaume‑Uni a placé les îles Turques‑et‑Caïques sous son autorité directe.([8]) En outre, en 2018, le Parlement britannique a voté une loi imposant des obligations à ses territoires ultramarins dans la lutte contre le blanchiment.([9]) Le Royaume‑Uni a donc toute capacité juridique à intervenir vis‑à‑vis de ces territoires pour faire évoluer leurs législations fiscales et financières, notamment en matière de transparence.

Dans son allocution télévisée du 10 décembre 2018, le Président de la République avait annoncé qu’il fallait « aller plus loin pour mettre fin aux avantages indus et aux évasions fiscales ».([10]) Nous avons désormais une réelle opportunité de porter cet engagement à Bruxelles quand il faudra établir le mandat de négociation de la Commission. Tel est l’objet de la présente proposition de Résolution.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que, le 29 mars 2017, le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, à la suite du résultat d’un référendum tenu au Royaume‑Uni le 23 juin 2016 et de sa décision souveraine de quitter l’Union européenne, a notifié son intention de se retirer de l’Union européenne conformément à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE) ;

Considérant que, le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Union européenne ont conclu, le 12 novembre 2019, un accord de retrait et une déclaration politique fixant le cadre de leurs relations futures, prévoyant notamment une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2020 ou au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022 ;

Considérant que, cette période transitoire sera en particulier dévolue à la négociation d’un accord commercial de libre‑échange pour lequel les États membres vont être appelés à définir le mandat de négociation de la Commission européenne ;

Considérant que, le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord exerce sa souveraineté directe ou indirecte sur des territoires, dépendances, possessions et baillages dont le statut de paradis fiscal, de droit ou de fait, porte une atteinte majeure aux intérêts économiques et fiscaux de l’Union européenne et de ses citoyens qu’il convient de faire cesser ;

Considérant l’urgence pour l’Union européenne d’engager un processus d’affranchissement aux paradis fiscaux en son sein et dans le cadre de ses relations commerciales ;

Convaincue que la définition du mandat de négociations de la Commission européenne dans le cadre de l’élaboration d’un traité de libre‑échange entre le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Union européenne est une opportunité historique pour promouvoir une économie loyale, au service de l’intérêt général ;

Invite le Gouvernement à faire de l’éradication des paradis fiscaux placés sous la souveraineté du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord une condition sine qua non de la ratification par la France de tout accord commercial entre cet État et l’Union européenne,

Encourage le Gouvernement à inviter l’ensemble des États membres de l’Union européenne résolument engagés dans la lutte contre les paradis fiscaux à adopter une position identique et à en faire une « ligne rouge » du mandat donné à la Commission européenne.


([1])  Tax Justice Network, New ranking reveals corporate tax havens behind breakdown of global corporate tax system; toll of UK’s tax war exposed, 28 mai 2019; The Guardian, UK and territories are 'greatest enabler' of tax avoidance, study says, 28 mai 2019.

([2])  J. S. Henry, The Price of Offshore Revisited, TJN, Juillet 2012, page 26.

([3])  N. Shaxson, Treasure Islands: Tax Havens and the Men Who Stole the World, Vintage, 2012.

([4])  Tax Justice Network, Financial Secrecy Index 2018, footnote 1 et 3.

([5])  Tax Justice Network, Corporate Tax Haven Index 2019, footnote 1 et 3.

([6])  A. Dulin, Les mécanismes d’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale, avis CESE, décembre 2016, pages 22-24, 35-37.

([7])  Tax Justice Network, Narrative report on the United Kingdom, 2018.

([8])  BBC, UK imposes Turks and Caicos rule, 14 août 2009.

([9])  The Sanctions and Anti-Money Laundering Act 2018, article 51.

([10])  Le Monde, Les annonces inapplicables de Macron contre l’évasion fiscale, 11 décembre 2018.