Description : LOGO

N° 2753

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour assurer la transparence dans létat des lieux réel des stocks de masques et autres matériels médicaux contre le Covid-19,

 

présentée par

MM. Nicolas DUPONTAIGNAN et José EVRARD,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début de la crise du Covid-19, les professionnels de santé sur le terrain posent de nombreuses questions qui n’ont pas trouvé de réponse de la part du Gouvernement. Lors de la rencontre que le Gouvernement a organisée à Matignon le jeudi 27 février avec les dirigeants de partis et groupes parlementaires, des questions précises ont été posées sur le stock de masques de protection disponibles, en particulier le modèle FFP2 destiné aux professionnels.

Les derniers événements, les différentes informations remontées par la presse mais aussi par d’anciens rapports sénatoriaux et administratifs imposent au Gouvernement une meilleure transparence dans la gestion des masques de protection pour les personnels soignants et la population exposée.

1. Pourquoi les médecins et les soignants libéraux nont pas les mêmes protections que lors de lépidémie de H1N1 ?

En 2009, lors de l’épidémie de H1N1, les médecins et soignants libéraux avaient reçu un kit complet avec des masques FFP2, des lunettes de protection, des blouses et des solutions désinfectantes ainsi que des masques de protection simples pour les patients.

Pour le Covid-19, entre le début de l’épidémie dans l’Oise et lundi 2 mars, les personnels soignants n’avaient rien reçu. Depuis trois jours, ils ont accès à une boite de 50 masques dits « chirurgicaux » et une solution hydro‑alcoolique. Ils n’estiment pas disposer de protocoles de soins suffisants.

200 personnels soignants ont déjà été confinés à Compiègne. Il est évident que les médecins, les professionnels de santé et les aides à domicile pour nos aînés sont très exposés au Covid-19 et peuvent devenir eux‑mêmes contaminants.

Dans Libération ce 3 mars, M. Jean‑Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, indique : « ce dont nous avons besoin, cest de FFP2 ». Sur le site www.legeneraliste.fr, il affirme : « Cela fait des jours que nous réclamons des masques FFP2Si lon est confronté à une grande épidémie et si seuls sont hospitalisés les cas les plus graves et les patients les plus fragiles, il faudra que tous les soignants soient protégés. » Or vous ne leur livrez que des masques chirurgicaux. 

2. Pourquoi votre plan de protection des personnels soignants ne suit pas lavis de référence du Haut Conseil pour la santé publique (HCSP) ?

Dans un avis de référence du 1er juillet 2011, le Haut Conseil pour la santé publique (HCSP) fixe la stratégie concernant le « stock dÉtat de masques respiratoires ».

Dans cet avis, les experts indiquent sans ambiguïté « quen cas dagent respiratoire hautement pathogène, le port dun APR de type FFP2 chez les soignants doit être envisagé pour toute situation exposant à un risque de transmission aérienne de lagent (…) quel que soit le mode dexercice (hospitalier ou libéral et le lieu dexercice (hôpitaux, cliniques, Ehpad, établissements pour handicapes, cabinets médicaux…) ».

Le HSCP élargit même le port de FFP2 aux « personnels de laboratoire, aux personnels de secours, aux personnels des entreprises gérant les déchets » ; il recommande aussi, selon la situation, « le port déquipement complémentaires (gants, lunettes, vêtement de protection, combinaison, bottes).

3. Quel est létat réel des stocks réellement à disposition de lÉtat et des moyens de production français ?

Sur BFMTV et RMC le 3 mars, M. Jean‑Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France », a déclaré : « 5 semaines pour voir arriver des masques soit disant en stock, on sest demandé si on ne nous avait pas raconté dhistoires. » Il a aussi indiqué au Figaro le 4 mars : « On est en 1ère ligne et on est à poil ! ».

Selon Libération, le ministre de la Santé affirmait le 24 février « quil ny avait aucun problème daccès à ces masques pour toutes celles et ceux qui en ont besoin » mais qu’il aurait déclaré au président de MG France, Jacques Battistoni : « Il ny a pas de stock de FFP2, Olivier Véran me la confirmé lundi. »

Le Président de la République a décrété la réquisition de tous les stocks de masques de protection sur le territoire français, mesure dont on ne peut que se féliciter. Mais de quels stocks la France dispose‑t‑elle vraiment ?

Hélas, nous n’avons trouvé aucun recensement précis des stocks depuis 2009‑2010, date à laquelle le Sénat produisait les estimations suivantes pour ce qui est des stocks stratégiques de l’État mais aussi des stocks à disposition dans le pays :

– Un milliard de masques chirurgicaux destinés, de laveu même du Ministère de la santé, aux malades et non aux professionnels ;

– 700 millions de masques FF2P, dont 200 à 300 millions semblaient périmés.

Un rapport de la Cour des comptes du 1er septembre 2010 confirme ces ordres de grandeur au 31 janvier 2010.

Qu’en est‑il aujourd’hui ?

Document du rapport sénatorial du 6 mai 2009 sur les stocks et les besoins estimés :

 

Tableau issu du rapport de la Cour des comptes de septembre 2010 :

4. Quels sont les ordres de grandeur des commandes du Gouvernement ?

Dans son avis précité du 11 juillet, le HCSP indique qu’il faut prévoir des stocks puis une fourniture de masques chirurgicaux et de masques FFP2 pour toutes les populations ciblées, avec une juste estimation des consommations journalières (un masque ne fonctionne que 2 à 3 heures) pour au moins 3 mois.

Il y a 2 millions de professionnels de santé en France, sans compter les autres populations que le HSCP voulait couvrir.

Autrement dit, le stock de 10 à 20 millions de masques simples que vous avez débloqué est complétement dérisoire par rapport aux besoins réels. Quant aux FFP2, vous n’avez donné aucune information, sauf erreur de notre part.

Quatre usines produisent des masques de protection en France :

– Quelle est leur capacité réelle de production journalière sur 3 mois ?

– Est‑il vrai que l’État a abandonné les producteurs en 2011 et fragilisé la filière comme le déclarent les professionnels ?

– Les matières premières nécessaires à la fabrication des masques sont‑elles produites en France ou dépendent‑elles aussi d’importations ?

5. Les gouvernements ontils vraiment stoppé la constitution de stocks de masques pour les professionnels de santé de 2011 jusquaujourdhui ?

Un rapport sénatorial du 15 juillet 2015 indique que l’État aurait volontairement cessé de maintenir un stock de masques FFP2 pour les professionnels soignants. Cette mesure aurait été adoptée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sous l’autorité du Premier ministre.

« Concernant les populations cibles pour les masques, la doctrine gouvernementale est en cours de redéfinition. Toutefois, une nouvelle doctrine du SGDSN a dores et déjà établi que le stock national géré par lEPRUS concernerait désormais uniquement les masques de protection chirurgicaux à lattention des personnes malades et de leurs contacts, tandis que la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé (notamment les masques FFP2) était désormais à la charge des employeurs. »

Le rapport n’indique pas le gouvernement sous lequel ce choix a été fait. Les déclarations du ministre de la santé lors des Questions au Gouvernement de l’Assemblée nationale du 3 mars laissent entendre que la décision daterait de 2011 ; Xavier Bertrand était ministre de la santé et M. François Fillon Premier ministre.

Néanmoins le rapport parle en 2015 d’un changement de doctrine en cours, avec Mme Marisol Touraine, ministre de la santé et M. Manuel Valls Premier ministre.

L’EPRUS, Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, a été remplacé en 2016 avec la création de l’Agence nationale de la santé publique. Sauf erreur, il n’y a pas d’informations publiques sur le suivi de cette mission depuis 2016.

6. Les gouvernements entre 2011 et 2020 ontils organisé la baisse des stocks pour raison financière contre lavis des experts de la santé ?

Le même rapport sénatorial de 2015 montre une baisse de moitié de la valeur des stocks de l’EPRUS entre 2010 et 2014, tendance qui, d’après le rapport, se maintiendrait jusqu’en 2016. Qu’en est‑il ?

 

La suite du rapport sénatorial est particulièrement inquiétante :

– La baisse des stocks serait une décision du ministre de la santé sur la base de la doctrine du SGDNS et du HSCP. Qu’en est‑il ?

– Les stocks périmés ne seraient plus remplacés, en particulier les masques FFP2, faisant confiance aux établissements de santé et aux fournisseurs privés.

Cette décision aurait été prise, selon le rapport, pour des raisons d’économies et contre « lavis de lensemble des personnes entendues par votre rapporteur spécial, [car] la réservation de capacités de production ne peut constituer une solution unique pour prévenir les situations sanitaires exceptionnelles. »

Quand l’EPRUS existait, la convention cadre fixant les relations entre l’État et l’EPRUS dans l’exercice de ses missions, indiquait « Un programme d’acquisition ou de renouvellement de stock est défini annuellement par le ministre chargé de la santé ». C’est donc les ministres successifs qui ont vidé les réserves de l’État. Qu’en est‑il aujourd’hui ?

7. Pourquoi avoir commandé si tardivement des masques ? Quen estil de la commande du NHS britannique à lentreprise Valmy ?

Quel a été le calendrier précis de réaction de l’État face à la gestion des stocks de masques de protection ?

Si, comme l’indiquent les informations précitées, il n’existait aucun stock stratégique massif de FFP2 entre janvier et février, pourquoi avoir commandé si tard de nouveaux masques ?

Sur TF1, l’entreprise Valmy a affirmé avoir une grosse commande du NHS britannique passée avant la commande de l’État français. Qu’en est‑il ? La France est‑elle prioritaire ? Va‑t‑on retarder les livraisons britanniques faute d’avoir anticipé nos propres besoins ?

8. Lenvoi de 17 tonnes de matériel médical en Chine atil fragilisé les stocks français ?

Le 19 février 2020, le ministère des affaires étrangères s’est félicité de l’envoi par la France en Chine de 17 tonnes de matériel médical par communiqué de presse indiquant : « Ce fret de solidarité de 17 tonnes comprend notamment des combinaisons médicales de protection, des masques, des gants et des produits désinfectants. »

L’envoi de ce matériel, à une période tardive, alors que la France avait déjà des cas de contamination sur son sol, a‑t‑il fragilisé la gestion du stock ? Quels matériels et quelles quantités précises ont‑ils été expédiés ? Quelle part ces matériels expédiés représentaient‑ils dans les stocks stratégiques ?

9. Êtesvous sûr de la protection équivalente de 2 masques chirurgicaux simples avec un FFP2 ?

Avez‑vous des études incontestables depuis 2011 qui permettent d’abaisser le niveau de vigilance et de protection recommandé par le HCSP ?

Le recul très modeste dont nous disposons sur le Covid‑19 permet‑il de prendre un tel risque ?

* * *

Les signataires invitent donc l’Assemblée nationale à exiger du Gouvernement la totale transparence dans la gestion des stocks de matériel de protection et de répondre aux différentes questions que cette résolution soulève.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant les informations à la disposition des parlementaires,

Considérant les informations sur la gestion des stocks stratégiques de matériels de protection face aux épidémies contenues dans les rapports parlementaires du 6 mai 2009 et du 15 juillet 2015 ;

Considérant le rapport de la Cour des comptes du 1er septembre 2010 sur la gestion des stocks par l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) :

Considérant l’avis du Haut Conseil de la santé publique du 1er juillet 2011 ;

Invite le Gouvernement à assurer la totale transparence dans la gestion des stocks de matériel de protection et de répondre aux différentes questions que cette résolution soulève.