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N° 2827

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 avril 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à interroger le Parlement par un débat suivi dun vote lors du recours à une application technologique présentant des risques éthiques et sociétaux,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Paula FORTEZA, Pierre PERSON, Sacha HOULIÉ, JeanFélix ACQUAVIVA, Éric ALAUZET, Delphine BAGARRY, Delphine BATHO, Michel CASTELLANI, Annie CHAPELIER, Guillaume CHICHE, Yolaine de COURSON, Jennifer De TEMMERMAN, Jeanine DUBIÉ, Nicole DUBRÉCHIRAT, Frédérique DUMAS, Mjid EL GUERRAB, Daniel FASQUELLE, Agnès FIRMIN LE BODO, Pascale FONTENELPERSONNE, Albane GAILLOT, Caroline JANVIER, Sandrine JOSSO, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Yannick KERLOGOT, FrançoisMichel LAMBERT, Sandrine LE FEUR, Constance LE GRIP, Paul MOLAC, Pierre MORELÀLHUISSIER, Florence MORLIGHEM, Sébastien NADOT, Matthieu ORPHELIN, Maud PETIT, Valérie PETIT, Sylvia PINEL, Mireille ROBERT, Nathalie SARLES, Gabriel SERVILLE, Aurélien TACHÉ, Sabine THILLAYE, Nicole TRISSE, Frédérique TUFFNELL, Laurence VANCEUNEBROCK, Martine WONNER, Souad ZITOUNI,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis le 17 mars 2020, les Françaises et Français sont en période de confinement afin de limiter la propagation du virus SARS‑CoV‑2. Dans ce contexte, les nouvelles technologies et le numérique ont pris une place importante non seulement dans le quotidien des citoyens, mais aussi dans la stratégie gouvernementale de lutte contre le virus. La présente proposition de résolution a pour objet de garantir un exercice plein et entier de notre démocratie face à l’inquiétude que suscite l’usage des technologies de traçage par les pouvoirs publics.

Le développement de l’innovation et des nouvelles technologies est toujours plus rapide, le cadre légal peinant à s’adapter au bon rythme. Des technologies aujourd’hui légales, peuvent néanmoins présenter des risques éthiques et sociétaux importants. Nos institutions doivent se doter de mécanismes de contrôle et de contre‑pouvoirs permettant de contempler ce cas de figure, de plus en plus fréquent. Ainsi, des circonstances exceptionnelles peuvent justifier de faire appel dans l’urgence à des technologies non éprouvées, sans pour autant faire l’économie de la conduite d’un débat transparent et effectif. Il semble donc nécessaire que toute application technologique développée par l’État et présentant un risque éthique et sociétal ne puisse être mise en œuvre sans que le Parlement ne soit saisi pour un débat suivi d’un vote sur la question.

Le Gouvernement prévoit la mise en place d’une application de suivi de contact qui repose sur l’utilisation de la technologie Bluetooth pour suivre les chaînes d’interactions des personnes sur une période bornée. L’objectif de ce dispositif est d’identifier et de notifier tout individu ayant été à proximité d’une personne infectée par le covid‑19 dans les quinze derniers jours. Aujourd’hui seuls 46 % de nos concitoyens, selon un récent sondage de l’Ifop en date du 12 avril, se déclarent prêt à installer une telle application. Ces chiffres démontrent l’impératif de conduire un débat et une analyse étendue de l’effet du traçage numérique en termes d’efficacité, de droits individuels et d’éthique.

Des réponses claires doivent être apportées aux citoyens, législateurs et régulateurs avant toute mise en œuvre d’un tel dispositif.

En premier lieu, l’efficacité d’une telle application est incertaine. Le seul exemple de comparaison international dont nous disposons est celui de l’État de Singapour, où les résultats n’ont pas été satisfaisants. La technologie bluetooth, si elle est la plus à même de protéger la vie privée, ne permet pas une analyse fine des interactions sociales et un degré de précision suffisant permettant de lutter contre la contagion.

Au‑delà d’un dépistage massif qui devra nécessairement y être associé, seule une masse critique d’utilisateurs estimée à 60 % de la population permettrait un bon fonctionnement d’une telle technologie. Or, toute obligation y compris subjective d’installer cette application constituerait une atteinte au principe de consentement tel que défini par l’article 7 du Règlement général sur la protection des données personnelles. Dans une interprétation plus large des conditions nécessaires pour assurer le consentement libre et éclairé des utilisateurs, le contexte sanitaire et social actuel peut constituer en soi un facteur de mise en cause de la conformité de cette application.

En second lieu, la sécurité des données sensibles des utilisateurs n’est pas pleinement assurée. Des questionnements relatifs  à la gouvernance des serveurs de coordination et au risque de réidentification des personnes à partir de données anonymisées sont à considérer.

Enfin, les risques sociétaux de la mise en place de ce type d’outil sont nombreux : l’application s’invitant dans le quotidien de nos concitoyens, l’accoutumance et l’acceptabilité sociale pourraient prévaloir par dessus le caractère transitoire du dispositif. Le potentiel invasif d’une application de la sorte appelle à une étude approfondie de ses usages potentiels et dérivés, et des conséquences qu’elle pourrait engendrer dans les temps à venir.

C’est pour ces différentes raisons, et en conformité avec la tradition parlementaire française que la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à interroger le Parlement par un débat suivi d’un vote lors du recours à une application technologique présentant des risques éthiques et sociétaux.

Au‑delà des questionnements juridiques, c’est aussi une réflexion collective sur une utilisation éthique des nouvelles technologies, notamment par les pouvoirs publics, qui doit être conduite. Il est nécessaire que pouvoirs publics, régulateurs, élus et citoyens construisent ensemble un cadre institutionnel pérenne pour traiter ces sujets, y compris en période exceptionnelle. Nous appelons, donc de nos vœux, indépendamment de nos positions individuelles sur le dispositif en question, un texte de loi concernant l’éthique du numérique. La mise en place d’une Convention citoyenne du numérique sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat pourrait permettre d’associer les citoyens à la définition de cadre.

proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Règlement général sur la protection des données personnelles,

Vu la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et en particulier les articles 8 et 90,

Vu l’article 9 du code civil,

Considérant que l’atteinte à une ou plusieurs libertés publiques par le recours aux outils numériques doit s’apprécier au seul regard de l’impérieuse nécessité et de la stricte proportionnalité ;

Considérant qu’il relève du rôle du Parlement de contrôler l’action du Gouvernement ;

Considérant l’importance de l’éthique rappelée notamment dans les missions de la Commission nationale informatique et libertés ;

Considérant que les usages de « traçage numérique » sont susceptibles de constituer une atteinte à certains droits individuels, notamment ceux de la protection de la vie privée et des données personnelles ;

Invite le Gouvernement à envisager :

– de soumettre à un débat suivi d’un vote toute mise en place d’application technologique présentant des risques éthiques et sociétaux tels que le traçage des activités sociales, temporelles et/ou spatiales via une application mobile ;

– de prendre les mesures nécessaires, sur le plan légal, afin de veiller à la conformité la plus stricte des initiatives privées en matière de développement de technologies de « traçage numérique » ;

– de réaffirmer les compétences de la Commission nationale informatique et libertés des moyens par un cadre légal suffisant pour assurer ses missions relatives aux questions éthiques et de sociétés soulevées par l’évolution des technologies informatiques et numériques.