Description : LOGO

N° 3185 rectifié

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête sur lavenir
de la presse écrite,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bernard PERRUT, Julien AUBERT, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Émilie BONNIVARD, Ian BOUCARD, JeanClaude BOUCHET, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Fabien DI FILIPPO, JeanPierre DOOR, Virginie DUBYMULLER, Philippe GOSSELIN, Claire GUION‑FIRMIN, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Brigitte KUSTER, Véronique LOUWAGIE, JeanLouis MASSON, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, JeanMarie SERMIER, Nathalie SERRE, Laurence TRASTOURISNART, Pierre VATIN, Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA,

Députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’exercice de la liberté d’expression, comme l’attachement pour chaque individu d’informer ou de pouvoir être informé, et de pouvoir s’exprimer librement, est essentiel à notre démocratie. Ce droit fondamental, élevé au rang de principe général du droit, a une valeur universelle et est reconnu par toutes les conventions internationales : aux termes de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, mais surtout au sein du préambule de la Constitution de la Vème République qui inclut la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Ce droit trouve sa concrétisation notamment dans la liberté de la presse, l’existence de son pluralisme et son indépendance des pouvoirs politiques.

Or, fragilisée depuis de nombreuses années à cause de l’affaiblissement de son modèle d’affaires traditionnel, la presse écrite, et notamment régionale, souffre aujourd’hui des conséquences de la crise du covid‑19, dans un contexte marqué par la réduction de la distribution avec le dépôt de bilan de Presstalis.

Le premier impact de la pandémie – avec le confinement – a été le recul de la « vente au numéro », avec une diminution du nombre de points de vente et des heures d’ouverture réduites. Pour Paris, le 18 mars, un quart des kiosques n’ouvraient plus. Pour la France, le 20 mars, c’étaient 5 590 points de vente, soit un quart, qui restaient fermés, selon Médias France. Dans nombre de communes, la vente de la presse locale dans les bars‑tabac clos n’ayant plus lieu, des quotidiens régionaux ont tenté de les remplacer par les boulangeries. Les premiers chiffres ont donné un aperçu de l’ampleur de l’effondrement : le 18 mars, le chiffre d’affaires de la vente de quotidiens a baissé de 43,7 % et celui des magazines de 45,4 %. Le même jour, à l’échelle d’une ville moyenne, certaines Maisons de la presse évaluaient le recul de leur chiffre d’affaires presse à 70 %. C’est sans compter la baisse de la publicité et l’espacement du service postal qui ont gravement touché la dynamique déjà fragile de la presse écrite.

Le 21 avril dernier, le quotidien Paris‑Normandie a été justement placé en liquidation judiciaire suite à l’accumulation d’une dette de 7 millions d’euros et de la chute brutale des revenus du titre pendant le confinement. Cet exemple est loin d’être un cas isolé et d’autres titres rencontrent des difficultés financières.

La situation n’est en effet pas nouvelle et le diagnostic est connu : baisse du lectorat papier, baisse des points de distribution, baisse des recettes publicitaires, augmentation du prix du journal plus rapide que l’inflation. Le modèle économique de la presse écrite, principalement basé sur les revenus de la vente de publicité et la vente d’abonnements, est remis en cause par le développement d’une part de l’accès gratuit à l’information, et d’autre part, par le développement du numérique et la segmentation des pratiques sur Internet.

Le rôle indispensable joué par la presse écrite dans notre démocratie, et son maintien, est donc remis en question tant elle peine à trouver un nouveau modèle d’affaires viable.

La situation est d’autant plus critique pour la presse quotidienne régionale basée sur l’information locale, rentabilisée notamment par les revenus publicitaires ou les partenariats évènementiels, et qui constitue un média de proximité essentiel. Elle apporte une contribution importante au renforcement de la cohésion sociale et à l’aménagement du territoire en soutenant l’activité économique des commerces de proximité. Elle a la confiance de ses lecteurs qui la juge complète, fiable et compréhensible par tous.

Forte d’une cinquantaine de titres et de ses 17 millions de lecteurs quotidiens, elle représente un marché de 2,2 milliards d’euros et emploie 20 000 personnes dont 5 000 journalistes ([1]). Nous devons le rappeler, le quotidien français le plus vendu en France, et de loin, est régional. Sur l’ensemble de l’année 2017, le journal Ouest‑France s’écoulait chaque jour à près de 671 000 exemplaires en moyenne, tandis que Le Figaro, premier titre quotidien national, tournait autour de 307 000. Mais même si la presse quotidienne régionale vend plus que la presse nationale, elle souffre des mêmes maux. Les ventes en PQR dévissent année après année.

Alors qu’en 2018, la presse quotidienne régionale diffusait 4,4 millions d’exemplaires, ce chiffre atteignait 5,7 millions en 2010 et 7 millions en 1990. Les recettes publicitaires sont aussi à la peine. D’après l’Institut de recherches et d’études publicitaires (IREP), la publicité rapportait 937 millions d’euros à la presse quotidienne régionale en 2010. Ce chiffre n’était plus que de 583 millions sept ans plus tard, pratiquement deux fois moins. Ces deux facteurs entrainent une diminution inexorable du chiffre d’affaires de la PQR, voire la disparition de certains journaux. Depuis 1992, le nombre de titres est passé de 62 à 52 alors qu’on en dénombrait 153 à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

Les défis à relever pour la PQR sont nombreux. Le renouvellement du lectorat et la recherche permanente de nouvelles cibles de clientèle sont naturellement la priorité. La diversification des ressources, et notamment la préservation de ses recettes publicitaires est une autre priorité. Dans le même temps, les responsables de ces quotidiens sont à la recherche constante d’une diminution des coûts de fabrication qui s’inscrit dans un environnement social délicat entraînant une réduction des effectifs et la mise en œuvre d’une synergie entre rédaction et impression. Ils ont mis en œuvre des stratégies reposant sur le changement de formules avec une diversification des produits (suppléments) qui au risque de déstabiliser le lecteur s’accompagne d’investissements lourds. Dans ce cadre, ils profitent aussi de la révolution technologique et du développement du numérique.

Malgré tout, la PQR n’arrive toujours pas à dégager de revenus suffisants tant les obstacles structurels à son développement numérique sont nombreux : la publicité en ligne est trop peu rémunératrice et l’accès à l’information sur internet reste difficilement monétisable à cause de la faible propension à payer des internautes. Seul un grand nombre d’internautes permettrait d’obtenir un taux de transformation de l’offre gratuite à l’offre payante assez élevé pour amortir une offre gratuite. Or, force est de constater que ce modèle de développement reste limité pour les titres purement régionaux qui s’adressent proportionnellement à des publics plus restreints que la presse nationale écrite. Ainsi, envisager simplement la duplication d’un modèle de consommation physique vers sa pratique numérique ne suffit pas à assurer la rentabilité et l’équilibre économique est souvent atteint en développant plusieurs activités complémentaires créatrices de synergies.

La restructuration d’ores et déjà engagée et la modernisation de la presse quotidienne régionale sont des objectifs à encourager dans l’intérêt général et pour que vive la démocratie. La presse écrite, et en particulier la PQR mérite donc d’être mieux accompagnée et ses difficultés justifient que notre Assemblée se saisisse de ce sujet au travers de la création d’une commission d’enquête.

Celle‑ci aura pour mission d’établir précisément la situation de la presse écrite, et de la PQR, et de rechercher avec la profession et les partenaires sociaux les moyens de lutter contre la baisse régulière de son lectorat et ses ressources publicitaires. Elle devra en outre proposer les mesures à mettre en œuvre pour amplifier sa modernisation, sa diversification et maintenir ainsi son pluralisme et son indépendance.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’analyser les difficultés rencontrées par la presse écrite et plus spécifiquement la presse quotidienne régionale. À cet égard, elle s’attachera à établir un diagnostic complet de chacune des entreprises du secteur, quels que soient leur taille et leur regroupement, avec un comparatif des performances et des projets prometteurs de développement. À l’issue de cette étude approfondie, elle devra esquisser des solutions pour répondre aux problématiques de la presse écrite, et plus particulièrement celles de la presse quotidienne régionale, envisager les mesures et soutiens à lui apporter pour lui assurer un meilleur avenir, dans le respect fondamental des principes essentiels de l’exercice de la liberté d’opinion, de pluralisme et d’indépendance de la presse écrite.


([1]) Rapport annuel 2017 de l’Union de la presse en région (anciennement SPQR).