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N° 3187

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

sur laccessibilité de lagriculture de proximité aux marchés publics
de restauration collective,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Damien ABAD, Julien DIVE, Nicolas FORISSIER, JeanMarie SERMIER, Marc LE FUR, Fabrice BRUN, Virginie DUBYMULLER, Josiane CORNELOUP, Arnaud VIALA, JeanCarles GRELIER, Pierre CORDIER, Fabien DI FILIPPO, Jacques CATTIN, Patrick HETZEL, Bernard PERRUT, Pierre VATIN, Vincent DESCOEUR, Xavier BRETON, Bérengère POLETTI, Charles de la VERPILLIÈRE, Thibault BAZIN, Ian BOUCARD, Valérie BAZINMALGRAS, JeanClaude BOUCHET, JeanJacques GAULTIER, Michel HERBILLON, Annie GENEVARD, Constance LE GRIP, JeanLuc REITZER, Isabelle VALENTIN, Stéphane VIRY, Martial SADDIER, Olivier MARLEIX, Laurence TRASTOURISNART, Valérie BEAUVAIS, Dino CINIERI, Claude de GANAY, JeanFrançois PARIGI, Sébastien HUYGHE, Raphaël SCHELLENBERGER, JeanLuc POUDROUX,

députés.

 


1

proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 36, 38 à 44 et 126,

Vu l’accord de Paris sur le climat signé par l’Union européenne le 5 octobre 2016,

Vu la résolution du Parlement européen du 14 mars 2019 sur le changement climatique intitulée « Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat conformément à l’accord de Paris [2019/2582(RSP)] ».

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Conseil européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 19 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l’Europe » (COM [2019] 640 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999 du 4 mars 2020 dite « loi européenne sur le climat pour l’Europe » (COM [2020] 80 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 intitulée « Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement » (COM [2020] 381 final),

Vu le protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs complétant l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics,

Vu le code de la commande publique,

Vu l’article L. 230‑5‑1 du code rural et de la pêche,

Vu le rapport d’information n° 528 (2018‑2019) de M. Laurent DUPLOMB, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 28 mai 2019 intitulé « La France, un champion mondial agricole : pour combien de temps encore ? »,

Vu les États généraux de l’alimentation de 2017,

Sur la recherche d’une sécurité alimentaire

Considérant que la pandémie de covid‑19 nous a collectivement rappelé la nécessité de disposer en temps de crise d’une capacité à assurer au pays un approvisionnement autonome dans les secteurs stratégiques,

Considérant que l’alimentation est un besoin essentiel de la population dont les pouvoirs publics ont le devoir de créer les conditions de satisfaction, que cette obligation vitale ne saurait souffrir de blocages dogmatiques,

Considérant que la Commission a reconnu dans sa communication Une stratégie « de la ferme à la table » « l’importance d’un système alimentaire solide et résilient qui fonctionne en toutes circonstances et capable de fournir aux citoyens des denrées alimentaires en suffisance à des prix abordables »,

Considérant qu’en cas de désorganisation des échanges commerciaux, les circuits de proximité ont démontré être les mieux placés d’un point de vue logistique pour fournir les produits de première nécessité à la population,

Considérant qu’il en va par conséquent de la sécurité alimentaire de chacun que les agriculteurs puissent répondre en temps utile et en quantité suffisante à une demande locale en denrées alimentaires,

Considérant que la souveraineté alimentaire recherchée tant au niveau national qu’européen dépend de la vitalité de l’agriculture locale de chaque Etat membre et qu’il appartient en conséquence à la fois aux instances européennes et nationales de légiférer en ce sens,

Sur la fragilité économique et sociale de lagriculture française

Considérant que l’agriculture française était déjà en crise avant la survenue de la pandémie de covid‑19 ; qu’en effet, si la France a fait figure pendant longtemps de champion agricole, ce secteur connaît depuis une quinzaine d’années une décroissance structurelle alarmante,

Considérant qu’en seulement dix ans, notre pays a chuté du troisième au sixième rang des principaux pays exportateurs agricoles, affichant la plus forte perte de parts de marché enregistrée à l’échelle mondiale dans ce secteur et qu’à l’inverse, les importations de produits agricoles et alimentaires ont presque doublé depuis les années 2000,

Considérant qu’à ce rythme, la France connaîtra dès 2023 son premier déficit commercial agricole, et ce, malgré un maintien des exportations en vins et spiritueux sans lesquelles le pays présenterait déjà un déficit agricole de plus de six milliards d’euros,

Considérant que sur le territoire, ces chiffres se traduisent par une érosion régulière du nombre d’exploitations agricoles de l’ordre de 1,5 % à 2 % chaque année et qu’en dix ans, ces défaillances agricoles ont ainsi causé la disparition de près de 13 % des exploitations,

Considérant que les conséquences sociales et humaines sont dramatiques : qu’entre le manque de revenus – 30 % des chefs d’exploitation gagnent moins de 350 euros par mois ‑, la dureté du métier et le prisme de la faillite, le mal‑être paysan est une réalité qui pousse un agriculteur au suicide tous les deux jours dans notre pays,

Considérant par conséquent qu’il est urgent et vital de soutenir l’agriculture française et qu’il appartient aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour sauver nos agriculteurs,

Considérant que l’attribution de marchés publics de restauration collective de moyen et long terme permettrait d’assurer aux exploitations une stabilité financière et incidemment de moins dépendre de la grande distribution pour écouler leurs marchandises,

Considérant que l’accès à ces nouveaux marchés serait de nature à rétablir un équilibre dans le rapport de force qui oppose producteurs et distributeurs, permettant l’élaboration d’un juste prix des produits agricoles, ce que la loi EGALIM n’est pas parvenue à accomplir malgré des Etats généraux de l’alimentation prometteurs

Considérant que la vente au juste de prix des produits agricoles est une condition sine qua non d’une rémunération décente des agriculteurs,

Sur la transition écoagrologique

Considérant que la transition éco‑agrologique est l’occasion d’offrir un nouveau départ à l’agriculture locale, que la Commission dans sa stratégie « de la ferme à la table » entend promouvoir l’agriculture biologique, qu’en effet celle‑ci a « des effets positifs sur la biodiversité, est créatrice d’emplois et attire les jeunes agriculteurs »,

Considérant que le temps requis pour réaliser une conversion à l’agriculture biologique est de trois à six ans et par conséquent que les investissements réalisés par les exploitants pendant cette période nécessitent une sécurité de débouchés à moyen et long terme,

Considérant que les marchés publics de restauration collective sont de nature à apporter de tels débouchés en raison de leur durée et des critères de qualité entrant dans la rédaction de leurs cahiers des charges,

Considérant que la découverte de la provenance et des modalités de production des denrées alimentaires est de nature à améliorer la conscience écologique des jeunes consommateurs,

Considérant qu’une souplesse apportée dans la passation des marchés publics de restauration collective permettrait une commande adaptée à la saisonnalité des produits respectueuse de l’environnement,

Considérant que la Commission a indiqué « envisager, pour soutenir les producteurs primaires pendant la transition, de clarifier les règles de concurrence pour les initiatives collectives qui favorisent la durabilité dans les chaînes d’approvisionnement »,

Considérant que l’encouragement du développement des filières biologiques par les pouvoirs publics ne nécessite pas une clarification mais en réalité une adaptation des règles de concurrence du droit de l’Union,

Sur limpact environnemental du transport des produits agricoles

Considérant que l’Union européenne s’est engagée en signant l’accord de Paris à lutter activement contre le réchauffement climatique,

Considérant que les transports représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, cette part ne cessant d’augmenter,

Considérant que pour parvenir à la neutralité climatique, la Commission a fixé comme objectif, via la loi européenne sur le Climat, de réduire les émissions du secteur des transports de 90 % d’ici à 2050,

Considérant que la diminution du parcours aussi bien terrestre que fluvial et maritime des produits agricoles aurait un impact significatif sur l’empreinte carbone de la filière agro‑alimentaire, qu’une telle diminution nécessite à l’évidence la mise en place de circuits de proximité,

Considérant que dans sa stratégie « de la ferme à la table », la Commission a indiqué que l’Union avait pour objectif de « faire en sorte que la filière alimentaire qui englobe la production, le transport, la distribution, la commercialisation et la consommation des denrées alimentaires ait une incidence environnementale neutre ou positive »,

Considérant que dans cette même communication, la Commission a indiqué qu’ « en vue de renforcer la résilience des systèmes régionaux et locaux et afin de créer des chaînes d’approvisionnement plus courtes, elle contribuera à réduire la dépendance à l’égard des transports longue distance »,

Considérant que telles allégations ne permettent pas de se figurer les modifications concrètes que les institutions européennes entendent entreprendre pour favoriser l’émergence de circuits de proximité,

Sur linadaptation du droit de la commande publique au développement des circuits de proximité

Considérant que le développement des circuits de proximité nécessite une liberté de passation des marchés publics de restauration collective, laquelle est actuellement entravée par le droit de la commande publique,

Considérant en effet que les pouvoirs adjudicateurs qui souhaitent passer commande à des agriculteurs locaux sont soumis au code de la commande publique qui transpose la directive 2014/24/UE, que cette directive traduit les principes de non‑discrimination et d’égalité d’accès au marché posés par les traités européens,

Considérant que l’ensemble de ces dispositions interdit aux pouvoirs adjudicateurs ‑ ainsi que le rappelle la boîte à outils du ministère de l’agriculture LOCALIM ‑ d’introduire un critère de provenance ou d’origine géographique dans la rédaction du cahier des charges,

Considérant que l’article L. 230‑5‑1 du code rural et de la pêche introduit par la loi EGALIM n’autorise, par exception, la mention de produits locaux dans les spécifications techniques que pour autant qu’ils répondent aux normes de labels extrêmement stricts et spécifiques, tels que les Indications Géographiques Protégées, ce qui ne permet pas de répondre à la problématique générale du développement des circuits de proximité,

Considérant que ces limitations législatives obligent les pouvoirs adjudicateurs pour passer commande à des agriculteurs locaux à recourir à de fastidieuses stratégies de contournement (allotissement, sourcing …) qui, outre le fait qu’elle nécessitent à la fois une parfaite connaissance des productions locales et le conseil d’un service juridique spécialisé en achats publics ‑ ce dont ne disposent pas les petites collectivités ‑, posent un réel problème de sécurité juridique quant à la procédure de passation des marchés,

Considérant par ailleurs que pour satisfaire les exigences du droit de la concurrence, certaines collectivités en sont paradoxalement réduites à créer des sociétés publiques locales, voire des exploitations agricoles en régie, lesquelles sont autorisées par le droit de l’Union en tant que structures « in house » par l’article 12 de la directive 2014/24/UE,

Sur linopportunité dune clause environnementale dans les marchés publics de restauration collective

Considérant que la directive 2014/24/UE autorise l’introduction de « clauses environnementales » intégrant le coût des externalités environnementales dans la rédaction des cahiers des charges des marchés publics,

Considérant que cette possibilité a été retranscrite par la loi EGALIM au 1/ de l’article L. 230‑5‑1 du code rural précité sous la dénomination suivante « Produits acquis selon des modalités prenant en compte les coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit pendant son cycle de vie »,

Considérant qu’une telle clause environnementale serait en pratique extrêmement difficile à mettre en œuvre et que le calcul des externalités négatives nécessiterait le conseil systématique d’une agence spécialisée, ainsi que le suggère l’ADEME, par définition génératrice de coûts pour les pouvoirs publics,

Considérant qu’il est dans l’intérêt général de tous les États membres de maîtriser leurs dépenses publiques, que cette exigence est devenue une nécessité absolue suite à l’endettement extraordinaire des États provoqué par la crise sanitaire née de la pandémie de coronavirus,

Considérant par conséquent que le recours au calcul systématique de l’empreinte carbone pour la passation de marchés publics de restauration collective afin de favoriser l’émergence de circuits de proximité alors que d’autres options sont possibles serait totalement contraire à l’objectif posé par l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et aux critères du protocole n° 12 sur les déficits publics excessifs des États membres,

En conclusion

Considérant l’ensemble des intérêts stratégiques et vitaux de la France et des États membres de l’Union liés au développement de l’agriculture de proximité,

Considérant que ceux‑ci ne sauraient souffrir d’une application dogmatique du droit de la concurrence et de la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur,

Considérant que la directive 2014/24/UE prévoit à la section 3 du chapitre IER de son titre IER une série d’exceptions aux règles de passation des marchés publics,

Considérant par conséquent que l’introduction d’une exception supplémentaire en faveur des marchés publics de restauration collective relève de la volonté politique des États membres,

1. Demande au Gouvernement de faire valoir auprès des instances européennes compétentes le bénéfice économique, social et environnemental pour l’ensemble des États membres du développement de circuits de proximité au sein de la filière agro‑alimentaire ;

2. Invite le Gouvernement à négocier, notamment dans le cadre du Pacte Vert, l’ajout à la section 3 du chapitre IER du titre IER de la directive 2014/24/UE d’une exception à l’application des règles de passation des marchés publics en faveur des marchés publics de restauration collective ;

3. Invite par la suite le Gouvernement à transposer cette exception au sein du code de la commande publique afin de permettre aux pouvoirs adjudicateurs l’introduction d’une clause territoriale dans la rédaction du cahier des charges de leurs marchés de restauration collective.