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N° 3239

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2020.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

portant sur la condamnation des menaces et intimidations successives conduites par le régime turc,

 

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Valérie BOYER, Philippe GOSSELIN, Meyer HABIB, Sandrine JOSSO, Brigitte KUSTER, Bérengère POLETTI, François PUPPONI, Didier QUENTIN, Agnès THILL,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs années, le président turc Recep Tayyip Erdogan pratique une politique profondément déstabilisante dans la région, qui n’est pas sans conséquences dans l’Union européenne.

L’occupation de Chypre, les positions troubles face à Daesh pendant la guerre en Syrie, le négationnisme récalcitrant notamment du génocide arménien, les chantages migratoires, les offensives envers les Kurdes, le soutien à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie : la liste des provocations est longue.

Pourtant, la France, et plus généralement les pays de l’Union européenne apparaissent silencieux et impuissants face aux menaces et intimidations répétées d’Erdogan dans la région, en Europe mais aussi dans son propre pays.

Et alors que son président poursuit cette politique de la menace, la Turquie est toujours membre de l’OTAN, perçoit des fonds européens et espère encore intégrer un jour l’Union européenne qu’elle s’affaire pourtant à déstabiliser.

L’ingérence du pays est telle que le parti du président Erdogan, le Parti Égalité et Justice, a présenté des candidats lors des dernières élections législatives en France, en juin 2017.

Aussi, nous devons afficher clairement, sans tergiversations, notre opposition à son entrée dans l’Union européenne, et condamner les nombreuses agressions d’Erdogan.

Loccupation chypriote

Lun des premiers indicateurs qui devrait nous alerter est la situation inchangée de Chypre depuis maintenant 46 ans. En effet, depuis 1974, l’île de Chypre est divisée par une ligne de démarcation longue de 180 kilomètres qui est sous contrôle des Nations unies.

Seule la République de Chypre au sud est reconnue par la communauté internationale. La partie nord est occupée par l’armée turque. La République turque de Chypre du nord n’est reconnue par aucun pays, excepté Ankara.

Les chypriotes turcs qui y vivent sont pourtant des citoyens européens, ils ont un passeport européen et le droit de vote aux élections européennes.

Une mainmise inquiétante mais qui perdure dans une forme d’indifférence générale de la communauté internationale. 

Mais cette situation est d’autant plus inquiétante que la Turquie a passé avec la France et avec l’Union européenne, un accord de sous‑traitance : celle des djihadistes et des réfugiés, ce qui ouvre aujourd’hui la voie à tous les chantages.

En effet, de par sa position géostratégique, Chypre représente un véritable carrefour des migrations en Méditerranée.

La politique du chantage turque : vers une nouvelle crise migratoire ?

Près de cinq ans après le pic de la crise migratoire de 2015, nous avons vu il y a quelques mois (en mars 2020) des milliers de réfugiés s’entassant dans des bus et des radeaux pneumatiques vers les côtes grecques.

15 000 migrants se sont retrouvés aux portes de l’Europe à la veille d’une crise sanitaire inédite. Des milliers d’hommes qui alimentent un chantage cher à Erdogan.

Car c’est suite à l’appel direct de ce dernier que ces jeunes hommes ont mis le cap vers la frontière turco‑grecque.

La Turquie se rend donc responsable dune future nouvelle crise migratoire aux portes de lEurope, et dores et déjà en Grèce.

Des positions floues au cœur de conflits armés décisifs

Et ce chantage exercé aujourd’hui avec des migrants venus de l’est et des zones de conflits, est le fruit de positions ambiguës du régime tout au long du conflit syrien.

En effet, la Turquie na jamais affiché clairement sa position contre lÉtat Islamique.

La passivité du régime turc a potentiellement permis de laisser entrer les futurs djihadistes européens.

Cette ambivalence face à l’État islamique dans le cadre du conflit syrien constitue un indicateur troublant quant à l’inimitié qu’Erdogan porte aux pays européens.

Lamnésie sélective sur le génocide arménien

Un comportement qui n’a rien d’étonnant quand on voit comment, plus de cent ans après, le pays refuse toujours de reconnaître la campagne ottomane contre les minorités chrétiennes de lEmpire entre 1914 et 1923 constituant un génocide contre les Arméniens, les Assyriens, les Chaldéens et les Grecs pontiques dAnatolie.

Et ce « négationnisme » a des conséquences dans la politique du pays ainsi que dans les conflits de la région.

En effet, le régime soutient ouvertement le régime azéri dans le conflit armé qui loppose à lArménie depuis des décennies au sujet du HautKarabagh.

Il y a quelques jours, alors que des combats ont éclaté entre forces arméniennes et forces azéries à la frontière des deux pays, Erdogan a renouvelé son soutien indéfectible à Bakou. Un soutien qui fait de la Turquie le mentor de l’Azerbaïdjan.

Cette reprise des affrontements est la suite logique d’une stratégie de la tension et la promotion de la haine envers les arméniens voulue par le président azéri depuis des années.

En dépit du cessez‑le‑feu signé en 1994, la paix reste précaire aux frontières des deux pays. D’autant plus que le régime de Bakou n’a pas renoncé à ses intentions de « résoudre » la question de l’Artsakh par les armes.

C’était d’ailleurs l’objet d’une récente manifestation appelant à la guerre contre l’Arménie dans la capitale azérie.

Le président azéri, Ilham Aliyev, soutenu par Erdogan, présente d’ailleurs l’Arménie comme « lAzerbaïdjan occidental » et ambitionne d’éradiquer toute présence arménienne de la région.

À travers l’Azerbaïdjan, véritable satellite de la Turquie, le régime d’Erdogan poursuit sa logique conquérante et cherche à étendre davantage sa zone d’influence.

De plus, avec cette amnésie sélective, la Turquie prend le risque que l’histoire se répète indéfiniment.

Une histoire qui se répète : les Kurdes

L’exemple le plus tragique de cette histoire sans fin est l’offensive militaire turque dans le nord‑est syrien (contrôlé par les Kurdes) lancée en octobre 2019.

Par sa position agressive et les moyens utilisés, la Turquie opère un nettoyage ethnique en massacrant les Kurdes.

Cette offensive militaire a constitué une triple faute, à la fois politique – en ce qu’elle constitue une escalade de la violence ; sécuritaire – en ce qu’elle risque de créer le terreau propice au retour de Daesh ; et morale – en ce qu’elle témoigne que la Turquie poursuit, un siècle plus tard, sa logique génocidaire avec les Kurdes.

Pourtant, nous le savons maintenant : en Syrie comme en Irak, le chaos a toujours profité aux islamistes. Et ce chaos, la Turquie d’Erdogan est en train de le reconstituer.

En effet, cette opération, en plus d’entraîner une catastrophe humanitaire majeure, risque de contribuer à une résurgence de Daesh dans la région.

Obsession pour lEmpire Ottoman et volonté de réislamisation

Dautant plus que le régime turc nhésite pas à rappeler son souhait de réislamisation du pays.

En témoigne notamment les nombreuses violences faites à l’encontre des femmes, qu’Erdogan considère comme de « simples gestatrices ». Une preuve supplémentaire que le Président turc rejette les valeurs morales occidentales et démocratiques.

La récente annonce de reconvertir la basilique‑musée Sainte‑Sophie – Ayasofya ‑ en mosquée est un témoignage supplémentaire de l’ambition du président turc.

En ouvrant aux prières musulmanes dès le 24 juillet l’antique basilique byzantine de Constantinople, il révoque un décret de 1934 qui conférait à Sainte‑Sophie le statut de musée national.

Par cette annonce, le Président rompt définitivement avec l’image de parade de pays séculier que la Turquie avait mis des années à construire et poursuit sa politique de réislamisation.

La volonté de contrôle sur la Méditerranée

Ces prises de positions de la part du régime turc témoignent de sa volonté d’étendre son influence, à la fois dans la région mais aussi en Méditerranée.

Plus récemment, en soutenant le gouvernement de Fayez el‑Sarraj (Gouvernement d’union nationale ou GNA), le régime turc souhaite s’assurer d’alliés disposant de ressources pétrolières dans la région.

Le GNA et la Turquie ont d’ailleurs signé un accord de « coopération militaire et sécuritaire » en novembre 2019.

Petit à petit, en s’immisçant dans de nombreux conflits la Turquie tente de gagner en visibilité en Méditerranée orientale.

Toutes ces actions successives rappellent ainsi la volonté à peine dissimulée du régime turc et de son président de reconstituer peu à peu de l’Empire Ottoman.

C’est pourquoi, condamner les intimidations du régime permettrait de restaurer la stabilité, et empêcher le chaos sécuritaire dans la région.

La Turquie doit immédiatement renoncer à cette politique offensive qui menace la solidarité internationale et la sécurité collective.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Constatant les conséquences des intimidations, menaces et provocations de la politique du Président turc Recep Tayyip Erdogan dans la région et en Europe ;

Constatant le risque de déstabilisation majeure au Moyen‑Orient et en Europe que fait actuellement courir cette politique de la menace ;

Constatant la possible réapparition d’une crise migratoire de grande ampleur en Méditerranée ;

Constatant le risque de résurgence de Daesh dans la région ;

1. Condamne fermement les offensives militaires turques en Syrie et en Irak et demande l’arrêt immédiat des hostilités ;

2.  Invite la Turquie à reconnaître la campagne ottomane contre les minorités chrétiennes de l’Empire entre 1914 et 1923 constituant un génocide contre les Arméniens, les Assyriens, les Chaldéens et les Grecs pontiques d’Anatolie ;

3. Invite la Turquie à cesser le chantage en cours en Europe avec les migrants ;

4. Invite le Gouvernement français à adopter toutes les mesures à même de soutenir ses amis et alliés kurdes, protéger les populations civiles, restaurer la stabilité, et empêcher le chaos sécuritaire dans la région.