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N° 4363

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative aux enlèvements d’enfants francojaponais privés
de tout lien avec leur parent français

présentée par Mesdames et Messieurs

 

Sandra BOËLLE, Laurence TRASTOURISNART, Philippe BENASSAYA, Michel HERBILLON, Annie GENEVARD, JeanLuc REITZER, Nathalie SERRE, Meyer HABIB, Bernard BROCHAND, Frédéric REISS, Thibault BAZIN, Pierre VATIN, Valérie BEAUVAIS, Josiane CORNELOUP, Stéphane VIRY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dès 2011, le parlement s’est intéressé aux questions liées au sort des enfants issus des couples franco‑japonais divorcés ou séparés et qui se retrouvent privés de tout contact avec leur parent français. Le Sénat avait alors adopté à l’unanimité une résolution afin d’attirer l’attention du Gouvernement nippon sur la nécessité de reconnaître aux enfants franco‑japonais au centre d’un conflit parental le droit de conserver des liens avec les deux parents. Le constat que l’on peut faire suite à cette initiative de nos collègues au Sénat est resté sans suite et les enfants franco‑japonais restent privés de tout contact avec leur parent français à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Ces enfants vivent de vrais traumatismes, et se retrouvent privés d’une part importante de leur identité.

Afin de faciliter la résolution des cas d’enlèvement international, le Japon a adhéré en janvier 2014 à la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils d’enlèvement international d’enfant. Cette dernière vise à « protéger l’enfant sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non‑retour illicite et établit des procédures en vue de garantir le retour immédiat d l’enfant dans l’état de sa résidence habituelle et assurer la protection du droit de visite ». Après cette adhésion, le Japon, sur la base d’une loi spécifique, ne satisfait pas pleinement aux obligations imposées par la convention de La Haye du 25 octobre 1980. Cela concerne le défaut d’exécution d’ordonnances de retour et des décisions accordant un droit de visite au parent Français.

Les parents français de ces enfants se retrouvent dans l’impossibilité d’exercer au Japon leurs droits parentaux sous peine de se retrouver placés en garde à vue par les autorités japonaises. En outre, beaucoup de parents japonais rencontrent également des difficultés pour exercer au Japon leurs droits parentaux après une procédure de divorce ou une séparation. En effet, le droit japonais ne reconnaît pas le partage de l’autorité parentale ni la garde alternée s’agissant du droit de visite, il est laissé à l’appréciation du juge aux affaires familiales et son exercice dépend du bon vouloir du parent auquel a été attribuée l’autorité parentale.

Conscient des difficultés que rencontrent ces parents séparés, le Président de la République s’est exprimé devant la communauté française de Tokyo en juin 2019, lors d’un déplacement officiel au Japon :« Je sais les difficultés des pères français séparés de leurs conjointes japonaises et la souffrance qu’ils vivent pour retrouver, partager la vie de leurs enfants, là‑dessus il y a un très gros travail qui est fait par l’ambassade que nous menons aussi sur le plan consulaire pour, au‑delà des pratiques, des habitudes qui sont parfois installées dans les moeurs, que les droits de chacun puissent être défendus et je voulais leur dire que nous sommes aussi à leurs côtés et que nous continuerons à mener ce combat ».

L’inquiétude des états européens, dont la France, est également partagée par les Etats‑Unis. En effet, en 2018, le département d’Etat américain a classé le Japon parmi les pays qui ne se conforment pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la Convention de La Haye en indiquant dans un rapport sur les enlèvements internationaux des enfants que le Japon était dans l’incapacité d’exécuter de manière rapide et effective les ordonnances de retour prises en application de la convention du 25 octobre 1980.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies s’est également penché sur les manquements du Japon à ses obligations conventionnelles. Dans ses observations finales concernant les quatrième et cinquième rapports périodiques du Japon, publiées le 1er février 2019, il recommande aux autorités nippones de :

– déployer tous les efforts nécessaires pour prévenir et combattre les déplacements et non‑retours illicites d’enfants ;

– aligner la législation nationale sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ;

– faire en sorte que les décisions judiciaires relatives au retour des enfants et aux relations personnelles soient convenablement et rapidement exécutées ;

– renforcer le dialogue et les consultations avec les pays concernés, à commencer par ceux avec lesquels il a signé un accord relatif au droit de garde et au droit de visite.

Compte tenu des actions diplomatiques, le 10 mai 2019, le parlement japonais (Diète) a adopté une loi modifiant la loi relative à l’exécution des décisions en matière civile. Cette nouvelle loi autorise la remise de l’enfant en l’absence du parent ayant perdu l’autorité parentale. De plus, elle prévoit que les juridictions et les agents de la force publique devront veiller à ce que la remise de l’enfant ne nuise pas à son bien‑être mental ou physique.

Cette réforme va dans le bon sens. Il est essentiel de préserver les liens des enfants avec les deux parents, tout en préservant les différences culturelles.

Prenant acte de la réforme adoptée par la Diète, le département d’État américain a retiré le Japon de sa liste des pays qui ne respectent pas pleinement les obligations auxquelles ils sont tenus en vertu de la Convention de La Haye. Il demeure cependant « extrêmement préoccupé à la fois par l’absence de mécanismes efficaces d’application des ordonnances prises en vertu de la convention, et par le nombre considérable de cas relatifs à des enlèvements survenus avant l’entrée en vigueur de la convention ».

Le respect de l’intérêt supérieur des enfants franco‑japonais doit être mis en avant afin que les autorités japonaises puissent faire évoluer leur législation en la matière sans remettre en cause la souveraineté du Japon et en rappelant les liens d’amitié qui existent entre nos deux pays.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est proposé d’adopter la présente proposition de résolution qui tend à prévenir l’enlèvement des enfants binationaux sur le territoire français et que cette question soit examinée au sein des organisations internationales dont la France est membre.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Convention sur les relations consulaires, conclue à Vienne le 24 avril 1963,

Vu la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980,

Vu la Convention relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989,

Vu la résolution du Sénat n° 52 du 25 janvier 2011 tendant à permettre aux parents français d’enfants franco‑japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce,

Vu le projet de loi n° 595 du 15 avril 2021 autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part,

Rappelle que le Japon est partie à la Convention relative aux droits de l’enfant, dont l’article 3, alinéa 1, dispose que dans « toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », et dont l’article 9, alinéa 3, dispose que les « États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant » ;

Rappelle que depuis le 24 janvier 2014, le Japon est partie à la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, qui vise, d’une part, à « assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant » et, d’autre part, à « faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant » ;

Note avec préoccupation que les parents français de ces enfants sont dans un désarroi absolu, que nombre d’entre eux n’ont pas vu leur enfant depuis plusieurs années, que certains d’entre eux se voient refuser la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour par les autorités japonaises, et que tous courent le risque d’être placés en garde à vue par la police japonaise à chaque fois qu’ils tentent d’entrer en contact avec leur enfant ;

Observe que de nombreux parents japonais rencontrent également des difficultés pour exercer au Japon leurs droits parentaux après un divorce ou une séparation ;

Souhaite qu’il soit procédé régulièrement à un recensement le plus exhaustif possible des cas d’enfants binationaux au centre d’un conflit parental ;

Constate avec satisfaction que le 6 mars 2018, les ambassadeurs des États membres de l’Union européenne représentés au Japon ont adressé une lettre au ministre de la justice japonais, avec lequel ils se sont également entretenus le 27 avril 2018, en vue de « signaler l’importance de l’exécution des décisions des tribunaux japonais » ;

Affirme sa volonté de voir émerger rapidement une solution acceptable pour tous et respectueuse de l’intérêt supérieur des enfants issus de couples franco‑japonais ;

Se félicite que les autorités japonaises souhaitent échanger des bonnes pratiques et des connaissances avec les États membres de l’Union européenne ;

Souligne la nécessité d’améliorer l’accès des ressortissants français et japonais à une information claire, transparente et objective en matière de droit de la famille ;

Recommande d’améliorer la sensibilisation des magistrats français aux problématiques liées à l’enlèvement international d’enfants ;

Encourage le Gouvernement à renforcer les mesures visant à prévenir l’enlèvement des enfants binationaux résidant sur le territoire français ;

Souhaite que le Gouvernement porte la question des enlèvements internationaux d’enfants au sein des organisations internationales dont la France est membre.