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N° 1983

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2023.

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse,

 

(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉ

au nom de M. Emmanuel MACRON,

Président de la République,

au nom de Mme Élisabeth BORNE,

Première ministre,

par M. Éric DUPOND‑MORETTI,
Garde des sceaux, ministre de la justice

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

En France, la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est aujourd’hui garantie par la loi. Depuis la loi fondatrice du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, le législateur a pleinement pris ses responsabilités, comme l’y invitait Simone Veil dans son discours à l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974. Très récemment encore, avec la loi du 2 mars 2022 qui a élargi et conforté l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, le Parlement a ajusté l’équilibre nécessaire en veillant, comme le disait Simone Veil, à apporter « à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste ».

Constatant à propos de cette loi (décision n° 74‑54 DC du 15 janvier 1975) et, depuis lors, qu’il ne disposait pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, le Conseil constitutionnel n’a jamais contrarié cette œuvre du législateur. Pour autant, la haute juridiction n’a pas conféré de valeur constitutionnelle à la liberté de la femme de recourir à l’interruption volontaire de grossesse en tant que telle, même s’il l’a rattachée à « la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (décision n° 2001‑446 DC du 27 juin 2001).

Si, dans notre pays, cette liberté n’est pas aujourd’hui directement menacée ou remise en cause, hormis par quelques courants de l’opinion heureusement très minoritaires, tel n’est pas le cas dans d’autres États et non des moindres.

Le 24 juin 2022, la Cour suprême des États‑Unis a rendu une décision relative à l’interruption de grossesse qui a produit l’effet d’une onde de choc pour les libertés à travers le monde. En mettant un terme à sa célèbre jurisprudence « Roe v. Wade » de 1973, la Cour Suprême a fait la démonstration que les droits et libertés qui nous sont les plus précieux peuvent être menacés alors qu’ils semblaient solidement acquis. Malheureusement, cet événement n’est pas isolé : dans nombre de pays, même en Europe, des courants cherchent coûte que coûte à entraver la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse si elles le souhaitent.

Fidèle à sa vocation, notre pays doit soutenir le combat universel pour cette liberté essentielle, sur notre continent et partout dans le monde. La voix de la France sonne toujours singulièrement en matière de droits et libertés et elle est attendue par toutes celles et ceux qui résistent aux menées les plus rétrogrades.

Dans un tel contexte, l’inscription de cette liberté dans notre Loi fondamentale ferait de la France l’un des premiers pays au monde et le premier en Europe à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse et permettrait de la consacrer au niveau le plus élevé de notre hiérarchie des normes, nous prémunissant ainsi contre toute remise en cause par la loi.

À ces fins, plusieurs propositions de loi visant à constitutionaliser l’interruption volontaire de grossesse ont été déposées sur le bureau de chacune des deux assemblées. Le 24 novembre 2022, l’Assemblée nationale, soutenue par le Gouvernement, a adopté à une large majorité transpartisane une proposition de loi constitutionnelle en ce sens. Le texte voté prévoyait la création d’un nouvel article 66‑2 de la Constitution garantissant aux femmes l’effectivité de l’interruption volontaire de grossesse ainsi que son égal accès. À son tour, le 1er février 2023, le Sénat a adopté cette proposition de loi, tout en lui préférant une nouvelle rédaction qui visait à modifier l’article 34 de la Constitution afin de prévoir que : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

Si les deux assemblées se sont ainsi clairement prononcées en faveur de l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, elles se sont séparées sur la manière de l’écrire.

Le 8 mars 2023, à l’occasion de l’hommage national à Gisèle Halimi et de la journée internationale des droits des femmes, le Président de la République a exprimé son attachement à la constitutionalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Il a annoncé qu’un projet de loi constitutionnelle proposerait d’inscrire dans la Constitution la liberté des femmes d’y recourir, en vue d’une adoption par le Congrès du Parlement. Lors des célébrations du 65e anniversaire de la Constitution, le 4 octobre dernier, le Président de la République a réaffirmé son souhait de parvenir à cet objectif.

Ainsi, conformément à la volonté du chef de l’État d’adresser « un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient aujourd’hui cette liberté bafouée » et pour répondre à l’appel des deux assemblées, le présent projet de loi constitutionnelle vous est présenté en application de l’article 89 de la Constitution.

Il comporte une disposition unique ayant pour objet de modifier l’article 34 de la Constitution en y ajoutant, après le dix‑septième alinéa, un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Cette rédaction constitue un juste équilibre entre les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le projet de loi retient les mots « interruption volontaire de grossesse » afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté sur l’objet de la protection constitutionnelle. Il consacre l’existence d’une liberté, conformément à l’esprit de la loi du 17 janvier 1975. Par ailleurs, en constitutionnalisant l’interruption volontaire de grossesse à l’article 34 de la loi fondamentale, le texte reconnaît le rôle du Parlement dans l’établissement des conditions dans lesquelles s’exerce cette liberté, comme c’est le cas depuis 1975, mais en fondant la garantie de cette liberté dans la Constitution elle‑même. De la sorte, cette liberté sera juridiquement protégée sous le contrôle du juge constitutionnel saisi, soit directement à l’issue du vote d’une loi, soit ultérieurement par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité.

C’est le sens du présent projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis, au nom du Président de la République, par le Gouvernement.

 

 

 

 

 


1

projet de loi constitutionnelle

Le Président de la République,

Sur la proposition de la Première ministre,

Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l’article 89 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui sera chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.

 

Article unique

Après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

 

 

 

 

 

 

 

Fait le 12 décembre 2023.

Signé : Emmanuel MACRON

 

Par le Président de la République :
La Première ministre

Signé : Élisabeth BORNE

 

Par la Première ministre :

Le Garde des sceaux, ministre de la justice,
Signé : Éric DUPOND MORETTI