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N° 910

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2018.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne,

 

 

 

Par MPatrick MIGNOLA,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  849.



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  SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. LA DIFFICULTÉ, POUR LES ÉDITEURS ET AGENCES DE PRESSE, DE PROTÉGER ET DE RENTABILISER LEURS INVESTISSEMENTS DANS LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL

A. La captation, par les infomÉdiaires, de la valeur des contenus des Éditeurs et agences de presse

B. L’insuffisante protection des investissements des Éditeurs et agences de presse par le droit d’auteur

II. LES INCERTITUDES ENTOURANT LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 22 MAI 2001 SUR L’HARMONISATION DE CERTAINS ASPECTS DU DROIT D’AUTEUR ET DES DROITS VOISINS DANS LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION

A. L’État d’avancement des nÉgociations

1. Le contenu de la proposition de directive du 14 septembre 2016

2. Les modifications envisagées au gré des débats sur la proposition de directive

B. Les incertitudes subsistantes

1. La question des hyperliens et des « snippets »

2. La question des photographies

3. Le sort des agences de presse et de la presse spécialisée

a. L’extension du droit voisin aux agences de presse

b. L’inclusion de la presse spécialisée parmi les éditeurs bénéficiaires du droit voisin

III. LA NÉCESSITÉ DE CONFORTER LA POSITION FRANçAISe PAR L’ADOPTION D’UNE LÉGISLATION NATIONALE RECONNAISSANT UN DROIT VOISINS AUX ÉDITEURS DE SERVICES DE PRESSE EN LIGNE ET AUX AGENCES DE PRESSE

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. DISCUSSION générale

II. examen des articles

Article 1er  Reconnaissance d’un droit voisin aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse

Article 2 Articulation avec les exceptions aux droits voisins

Article 3 Durée du droit voisin reconnu aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse

Article 4 Sanction de la violation du droit voisin reconnu aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse

Après l’article 4

Annexe 1: Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

Annexe 2: Liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi


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   Introduction

Le 27 avril dernier, le Comité des représentants permanents des États membres de l’Union européenne (COREPER) n’est pas parvenu à trouver un accord sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, et en particulier sur l’article 11 de ce texte qui vise à rééquilibrer le partage de la valeur créée par la diffusion de l’information en ligne en reconnaissant un droit voisin aux éditeurs de presse.

C’est dire s’il faut se garder de tenir pour acquis le changement d’approche du partage de la valeur créée par la circulation de l’information en ligne – et, plus largement, dans la façon de faire valoir des exigences démocratiques élémentaires à l’égard des « GAFAM » ([1]) – que la Commission européenne a tenté d’amorcer il y a de cela bientôt deux ans.

Profitant de la valeur créée par la diffusion de contenus qu’ils ne produisent pas, les « GAFAM » captent ainsi aujourd’hui plus de 90 % de la croissance du marché publicitaire en ligne, dont plus des deux tiers pour les seuls Google et Facebook ([2]).

L’immixtion de ces « infomédiaires » ([3]) entre les éditeurs de presse et leur public met en péril la viabilité économique des entreprises de presse écrite qui développent des sites d’information en ligne comme celle des services de presse « tout en ligne » (« pure players »). En effet, en tirant des bénéfices de la diffusion de l’information produite par les éditeurs de presse sans les en rétribuer, les infomédiaires captent les revenus de ceux qui créent les contenus et en supportent les charges. Le modèle économique de ces producteurs de contenus originaux s’en trouve déstabilisé.

Les agences de presse sont exposées aux mêmes risques de captation de la valeur par les infomédiaires, d’autant qu’une fois que leurs contenus sont transmis à leurs clients et utilisés par ceux-ci, elles perdent tout contrôle sur eux.

À travers la survie économique des éditeurs et agences de presse, c’est celle du pluralisme des médias, et donc de la liberté de la presse, qui est menacée. Or, l’apport considérable et incontestable des éditeurs de presse à ce pluralisme, tout comme la multiplicité des agences de presse, et donc des sources d’informations, sont essentiels à la vie de nos démocraties.

Il est donc urgent, pour préserver la pérennité économique et financière des éditeurs et agences de presse, et, à travers elle, la pérennité du pluralisme, de faire entrer les infomédiaires dans un cadre démocratique qui suppose non seulement qu’ils consentent à l’impôt et qu’ils respectent l’état de droit en assumant une responsabilité éditoriale (par exemple, à l’occasion de la diffusion de fausses informations – ou « fake news »), mais aussi qu’ils ne portent pas indirectement atteinte à la liberté de la presse en asséchant les revenus que les éditeurs devraient pouvoir tirer de leur travail d’éditorialisation et de leurs investissements numériques.

De la même manière que des droits voisins ont été reconnus aux producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle pour protéger et rentabiliser les investissements auxquels ils procèdent afin d’accompagner la création, de même l’octroi d’un droit voisin aux éditeurs et agences de presse permettrait de protéger et de rentabiliser les investissements que ces acteurs font, notamment en matière numérique, pour produire une information fiable et de qualité.

Il est en effet légitime de protéger non plus seulement le contenu des titres de presse par les droits d’auteur des journalistes, mais également les titres de presse eux-mêmes, en tant que contenants, afin de reconnaître et de protéger pleinement l’acte de création résidant dans l’agencement de l’information et dans la singularité du traitement éditorial.

C’est dans cette voie que s’est engagée la Commission européenne en proposant, le 14 septembre 2016, dans le cadre de la révision de la directive 2001/29/CE, que « les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse [des droits voisins] pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse » ([4]).

On ne peut qu’adhérer à ce renouvellement de la conception du partage de la valeur créée par la diffusion de l’information sur internet. La reconnaissance, à l’échelle de l’Union européenne, d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse devrait en effet permettre de rééquilibrer ce partage au profit des éditeurs de contenus.

Toutefois, le rapporteur souligne que de nombreuses incertitudes planent sur l’issue de cette initiative européenne. En premier lieu, dans la version initiale de la proposition de directive présentée par la Commission européenne, les agences de presse ne sont pas incluses parmi les bénéficiaires du droit voisin qu’il s’agirait de créer pour l’utilisation numérique des publications de presse. Il est vrai que le rapporteur allemand désigné par la commission des Affaires juridiques du Parlement européen (dite « commission JURI »), M. Axel Voss (membre du Parti populaire européen – PPE), plaide en faveur de l’extension aux agences de presse du droit voisin qu’il est envisagé de reconnaître aux éditeurs de presse. Mais un tel élargissement est loin d’être acquis.

En second lieu, il n’est pas certain que l’adoption même de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique intervienne avant les prochaines échéances électorales européennes du printemps 2019. Lancées il y a bientôt deux ans, les négociations achoppent toujours sur un certain nombre de difficultés. Le vote de la commission « JURI », qui devait initialement avoir lieu en mars dernier, a été reporté au mois d’avril avant d’être finalement fixé aux 20 et 21 juin prochains. Et rien ne garantit qu’une majorité de cette commission – ni, a fortiori, le Parlement européen dans son ensemble –  approuve la proposition de directive.

Face à toutes ces incertitudes, deux stratégies sont concevables. La première consiste à considérer qu’il ne faudrait surtout rien entreprendre au niveau national qui puisse interférer avec les négociations en cours et avec les positions défendues par la Représentation permanente de la France auprès de l’Union. Certains craignent en effet que l’adoption, à l’échelle nationale, d’un texte qui octroierait un droit voisin aux éditeurs et agences de presse fournisse un argument à ceux qui combattent la reconnaissance de ce droit à l’échelle européenne au motif que ces derniers pourraient arguer de l’existence d’une législation nationale pour faire valoir l’inutilité de l’adoption d’une législation comparable au niveau européen.

La seconde stratégie, dont le rapporteur estime qu’elle est bien plus pertinente, consiste à soutenir que l’adoption d’une législation nationale qui reconnaîtrait un droit voisin aux éditeurs et agences de presse peut permettre d’influer positivement sur les négociations en cours au sein des institutions européennes, et de convaincre ceux qui douteraient de l’opportunité de consacrer un tel droit voisin. Ainsi conçue, la présente proposition de loi vise davantage à conforter qu’à affaiblir les positions défendues par la France.

Pourquoi alors n’avoir pas opté pour une résolution européenne sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution ([5]) ? Pour la bonne et simple raison que, sous la précédente législature, l’Assemblée nationale a déjà adopté une proposition de résolution européenne sur les propositions de la Commission européenne relatives au droit d’auteur. En effet, le 4 décembre 2016, une proposition de résolution européenne présentée par Mme Marietta Karamanli et M. Hervé Gaymard a clairement affirmé que l’Assemblée nationale « soutient la création d’un droit voisin pour assurer la juste rémunération des éditeurs de presse pour la diffusion de leurs écrits en ligne » ([6]). Le « véhicule » de la résolution européenne ayant déjà été utilisé, il paraissait inutilement redondant d’y recourir à nouveau.

Pourquoi alors légiférer au niveau national sur un sujet qui se trouve au cœur d’un rapport de force à l’échelle du continent européen ? Le rapporteur a pu se voir opposer l’argument selon lequel il n’y aurait de solution qu’européenne au problème du partage de la valeur entre les éditeurs et agences de presse, d’une part, et les infomédiaires, d’autre part, compte tenu du poids économique de ces derniers.

Dans la mesure où la mise en œuvre d’une réponse européenne prend du temps, au point d’être encore incertaine, il est capital, pour la survie économique d’acteurs qui se trouvent confrontés à des réalités qui, elles, ne temporisent pas, de manifester la capacité des autorités politiques nationales à légiférer sur leur propre sol. Il en va de la crédibilité de l’institution politique elle-même, face à des infomédiaires qui pourraient être tentés de penser que tout leur est permis si les élus reculent sur ce point.

Par ailleurs, le rapporteur note que ce ne serait pas la première fois que la France serait pionnière au sein de l’Union européenne sur les questions liées à la presse. En 2014, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la loi appliquant un taux de TVA super-réduit de 2,1 % à la presse en ligne ([7]). C’était trois années avant que la Commission européenne ne s’oriente dans la même direction, à l’occasion de la révision – toujours en cours – de la directive relative au système commun de TVA ([8]).

Aujourd’hui encore, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation s’apprête à débattre d’une proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations, dont les implications sont indubitablement d’ordre européen… ce qui n’empêche pas le législateur français de légiférer en la matière, fût-ce de manière isolée à l’échelle de l’Union.

Dès lors, pourquoi ce qui est envisageable pour lutter contre les « fake news » ne le serait pas pour lutter contre les menaces pesant sur la liberté de la presse ? Il est vital pour celle-ci d’offrir aux éditeurs et agences de presse un droit qui leur permette de décider, ex ante, de céder ou non, à titre gratuit ou onéreux, leurs contenus, et donc de peser davantage dans un rapport de force aujourd’hui déséquilibré et préjudiciable à leur survie.

Les auditions menées par le rapporteur ont révélé que l’initiative de la présente proposition de loi faisait l’objet d’un soutien quasi‑unanime de la part des organisations d’éditeurs et agences de presse. Aussi bien les représentants des syndicats de la presse quotidienne nationale (SPQN) et régionale (SPQR), que ceux des syndicats de la presse hebdomadaire régionale (SPHR) et des éditeurs de la presse magazine (SEPM), ou encore de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (GESTE), de la Fédération française des agences de presse (FFAP) et de l’Agence France-Presse (AFP) ont approuvé la démarche. Pour preuve, le 17 avril dernier, le SPQN, le SPHR et l’Union de la presse en région (UPREG) ont adressé conjointement une lettre au Président de la République, au Premier ministre, ainsi qu’à la ministre de la Culture, Mme Françoise Nyssen, afin d’attirer leur attention sur la présente proposition de loi et sur la nécessité de l’accompagner, dans la mesure où « les discussions à Bruxelles s’avèrent complexes et font s’éloigner la perspective rapide d’une protection ».

Le rapporteur forme donc le vœu que la représentation nationale adopte la présente proposition de loi, gardant à l’esprit les mots prononcés le 17 avril par le Président de la République, M. Emmanuel Macron, qui, devant le Parlement européen, a pris la peine d’« insister sur l’un de [ses] travaux en cours, essentiel à [s]es yeux, celui du droit d’auteur, de la protection des créateurs, et de la création artistique », car « ce qui nous tient ensemble, ce n’est pas seulement une monnaie ou un traité, c’est un sentiment d’appartenance, autrement dit une culture » ([9]) .


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I.   LA DIFFICULTÉ, POUR LES ÉDITEURS ET AGENCES DE PRESSE, DE PROTÉGER ET DE RENTABILISER LEURS INVESTISSEMENTS DANS LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL

D’après les chiffres fournis lors de son audition par Mme Corinne Denis, vice-présidente du GESTE, en 2016, sur 3,5 milliards d’euros d’investissements publicitaires dans le digital en France, 2,4 milliards d’euros ont été absorbés par Google et Facebook.

C’est dire si les éditeurs et agences de presse, qui, compte tenu de l’évolution très rapide des technologies numériques, réalisent aujourd’hui des investissements considérables – non seulement dans le travail journalistique, mais aussi dans la modernisation de l’éditorialisation – voient les richesses générées par la circulation des contenus qu’ils produisent quasi-intégralement absorbées par des infomédiaires qui captent l’essentiel des profits sans assumer les coûts de production (A).

Certes, à la suite d’un conflit l’opposant aux associations d’éditeurs de presse qui revendiquaient la création d’une redevance pour le référencement et la mise en ligne de liens renvoyant à leurs sites (ce qu’elle refusait), l’entreprise Google a financé la création, en février 2013, d’un « fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique » (FINP) pour financer l’innovation numérique des éditeurs de la presse française à hauteur de 60 millions d’euros sur trois ans (soit 20 millions d’euros par an). Mais, outre que, selon certains éditeurs, le FINP n’a proposé que des financements aux montants infimes au regard de la captation de valeur réalisée par Google et que, selon certains acteurs, « les comités d’attribution des aides du FINP ont fonctionné de façon très opaque » ([10]), ce fonds est arrivé à expiration à la fin de l’année 2016.

Depuis 2017, les éditeurs de presse français n’ont d’autre choix que de présenter leurs demandes de financements au « fonds Google européen », qui, baptisé « Digital News Initiative » (DNI) et directement géré par Google, a été doté de 150 millions d’euros sur trois ans – soit environ 50 millions d’euros par an ([11]) pour l’ensemble des éditeurs de l’Union européenne. S’il est vrai que, dans ce cadre, des éditeurs français ont pu obtenir des financements, il n’en demeure pas moins que, dans la mesure où le fonds « DNI » est ouvert à l’ensemble des éditeurs de presse européens, les éditeurs de presse français ne peuvent désormais espérer de financements qu’à hauteur de montants qui sont deux à quatre fois inférieurs aux financements annuels de l’ancien FINP : 4,38 millions d’euros en 2016, 5,6 millions d’euros en 2017.

Au-delà de ces aides ciblées, les représentants de Google mettent en avant le fait que l’entreprise met en œuvre, depuis plusieurs années, des accords de partage de revenus publicitaires plus avantageux pour les éditeurs de presse que ceux qu’elle conclue avec d’autres partenaires. Au niveau mondial, 12,6 milliards de dollars de revenus publicitaires auraient ainsi été partagés par Google avec les éditeurs de presse l’an dernier.

C’est aussi l’argument développé par Facebook dont le représentant n’a pas manqué, lors de son audition, de faire la promotion des dispositifs de « partage de la valeur » mis en œuvre par l’entreprise à travers :

– une offre d’hébergement sur le réseau social (« Instant articles ») d’articles de presse gratuits ou payants dont les revenus publicitaires sont reversés aux éditeurs de presse soit en partie (à hauteur des deux tiers) soit en intégralité, selon que les tâches de régie publicitaire sont assumées ou non par Facebook ;

– un système de « paywall » favorisant la conclusion d’abonnements en ligne auprès des éditeurs de presse via Facebook et garantissant auxdits éditeurs le reversement de l’intégralité des revenus qui en découlent – étant précisé que, depuis le 1er mars dernier, Apple a renoncé à percevoir à l’occasion de la conclusion de ces abonnements la commission de 30 % qu’elle prélève d’ordinaire pour les achats réalisés via son application « Appstore ».

À en croire les représentants de Facebook, les pouvoirs publics devraient donc prioritairement s’intéresser aux acteurs technologiques qui ne partagent pas la valeur créée par la circulation de l’information en ligne, avant que de soumettre leur entreprise à de nouvelles règles.

Cependant, quand on sait que « produire en moyenne un article original supplémentaire par jour augmente le nombre moyen de visiteurs uniques quotidiens de 14 000 » ([12]), on peut se demander si l’optimisation de l’« expérience utilisateur » de Facebook ou de Google, grâce aux contenus de qualité qui y sont diffusés, ne génère pas, pour ces infomédiaires, des gains dépassant largement les seuls revenus publicitaires liés aux contenus de presse consultés et, par conséquent, si la rétribution proposée par Facebook ou Google aux éditeurs de presse à travers leurs offres de « partage de la valeur » est réellement équitable.

Il est en fait permis d’en douter quand les représentants de Google invitent à se contenter de ces dispositifs ponctuels et de la protection déjà existante au titre du droit d’auteur, qui s’avère pourtant nettement insuffisante (B).

A.   La captation, par les infomÉdiaires, de la valeur des contenus des Éditeurs et agences de presse

Mesurer la valeur générée par les contenus d’information au bénéfice des infomédiaires n’est pas chose aisée. On peut néanmoins en prendre la mesure quand on sait que les bénéfices réalisés par Facebook ont dépassé 40 milliards de dollars en 2017 (soit une augmentation de 47 % par rapport à 2016) ([13]) et que l’information est le second motif de connexion à Facebook – étant précisé que les résultats d’un sondage réalisé par l’Institut Reuters en 2017 ont révélé que, si la plupart des personnes interrogées se souviennent du chemin d’accès à une information (invoquant Facebook et Google en tête), moins de la moitié d’entre elles se remémore le nom du média d’arrivée ([14]).

D’après un rapport publié par le même Institut Reuters, en France, seule une personne sur dix paie pour l’accès à l’information en ligne (quand ce chiffre dépasse les 25 % en Norvège) et 43 % des usagers de Facebook disent l’utiliser pour l’accès à l’information ([15]). Or, outre que l’information est devenue l’un des premiers motifs d’attraction de Facebook, seule une minorité d’utilisateurs s’en sert comme d’un intermédiaire pour s’orienter vers les sites d’information sources, leur besoin d’information étant satisfait par les contenus repris et diffusés par le réseau social. Comme l’a relevé, lors de son audition, le président de la FNPS, M. Laurent Bérard-Quelin, la contextualisation de certains articles est telle que les lecteurs ne ressentent plus l’utilité de consulter le contenu originel sur le site de l’éditeur de presse qui l’a produit et qui n’en perçoit donc pas les retombées en termes de trafic.

Ainsi, non seulement les éditeurs de presse ne perçoivent pas de revenus pour la reprise de leurs contenus sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, mais en plus ces derniers captent une partie substantielle du marché publicitaire digital.

D’après les données transmises au rapporteur par l’Union de la presse en région (UPREG), les investissements réalisés par les éditeurs dans la qualité de la production éditoriale et dans la transition numérique ont permis de faire passer la couverture, par la presse d’information, de la population française âgée de plus de 15 ans de 83 % en 2000 à 90 % en 2017, notamment en portant à 86 % le taux de pénétration de la presse d’information politique et générale (IPG) auprès des jeunes de 18 à 24 ans… Or, dans le même temps, le revenu par visiteur unique sur les sites internet des éditeurs de presse d’IPG reste inférieur de 94 % au revenu par exemplaire papier vendu.

Alors qu’en 2017, la publicité sur les réseaux sociaux et moteurs de recherche a participé à hauteur de 92 % à la croissance de la publicité digitale, les autres acteurs n’y ont contribué que pour 8 % ([16]). La même année, Google et Facebook ont capté, comme en 2016, 90 % des revenus de la publicité digitale sur le mobile ([17]). Ces infomédiaires absorbent ainsi l’essentiel des revenus de la publicité en ligne grâce à l’attrait que les contenus d’informations leur confèrent, quand bien même ils ne supportent aucun des coûts liés à la production, à l’édition et à la mise en ligne de ces contenus. Car, comme l’a expliqué, lors de son audition, M. Charles-Henry Dubail, président de la commission juridique de la FNPS, c’est bien l’information ayant fait l’objet d’un traitement journalistique qui crée de la valeur pour les infomédiaires, en particulier sur les réseaux sociaux. Celle-ci est de plus en plus utilisée pour vérifier, valider ou infirmer les « rumeurs » qui se propagent sur ces réseaux.

Or les éditeurs de presse engagent des investissements considérables pour encadrer et soutenir le travail des journalistes : financement de correspondants à l’étranger, construction et fonctionnement de salles de presse, vérification et validation des contenus (la responsabilité du contenu de l’information diffusée incombant aux éditeurs de presse), développement de modèles économiques innovants pour s’assurer une visibilité en ligne.

On pourrait en dire autant des agences de presse qui participent, au côté des journalistes et des éditeurs de presse, à la recherche, au traitement, à l’analyse et à la vérification des sources d’information ([18]) et qui, pour exister dans le paysage numérique, ont été conduites à réaliser des investissements importants. Celles-ci fournissent en effet aux éditeurs de publications de presse aussi bien des textes, articles et interviews, que des photos ou des vidéos. Chaque mois, les quelque 236 agences de presse que compte notre pays produisent près de 160 000 dépêches, 1 600 articles, 3 000 infographies et 230 000 photos. Deux tiers des photographies des magazines et quotidiens français proviennent ainsi des agences de presse photographiques ([19]).

À elle seule, l’Agence France‑Presse (AFP) produit chaque jour en moyenne 5 000 dépêches, entre 3 000 et 4 000 photos et plus de 200 vidéos, en six langues différentes. Selon une récente étude, l’AFP a été en 2013 la première à émettre une publication sur un évènement dans la moitié des cas. La même année, elle a couvert 93 % des évènements quand les autres médias ne couvrent que 16 % des évènements en moyenne ([20]).

Afin de remplir leur mission de délivrance d’une information fiable, les agences de presse emploient des journalistes salariés dans des proportions qui sont, en moyenne, plus importantes que les titres de presse au regard de leurs masses salariales respectives. Par ailleurs, afin de perdurer dans leur rôle de fournisseur d’une information diverse, plurielle et vérifiée, les agences de presse ont dû, ainsi que les éditeurs de presse, prendre le virage du numérique. Elles ont augmenté leurs investissements pour rester visibles dans l’univers de l’information et maintenir leur position de pourvoyeuses d’informations face aux sites d’information en ligne qui n’ont pas toujours la même exigence d’impartialité et d’exactitude.

Ainsi, les agences de presse ont fait face ces dernières années à des coûts importants, pour organiser la dématérialisation des photographies notamment ou encore assurer leur présence sur des plateformes collectives (telle que « Pix Palace », plateforme réunissant les photographies des agences photos pour les professionnels de l’image). Si ces investissements permettent aux journaux et éditeurs de presse de trouver des contenus photographiques plus facilement et à moindre coût, ils n’ont pas été compensés par une augmentation des tarifs des agences de presse.

Par ailleurs, le statut des agences de presse encadre très strictement leurs ressources. Aux termes de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 portant réglementation des agences de presse, telle que modifiée par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, les agences de presse sont des « entreprises commerciales qui collectent, traitent, mettent en forme et fournissent à titre professionnel tous éléments d’information ayant fait l’objet sous leur propre responsabilité d’un traitement journalistique et dont la moitié au moins du chiffre d’affaires provient de la fourniture de ces éléments à des entreprises éditrices de publications de presse, au sens de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, à des éditeurs de services de communication au public par voie électronique et à des agences de presse ». Et l’article 3 de la même ordonnance du 2 novembre 1945 interdit aux agences de presse de faire de la publicité pour des tiers, dans un souci de garantie de leur impartialité.

Outre que leur modèle économique est fortement contraint par le cadre légal, les agences de presse ne peuvent bénéficier que d’un seul type d’aides : celles du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) ([21]). Or les aides de ce fonds sont plafonnées à 450 000 euros pour les projets portés par une agence de presse, contre 1,5 millions d’euros pour les autres structures ([22]). Le FSDP a financé sept projets d’agences de presse en 2012, onze en 2013, mais un seulement en 2014 et trois en 2015. Cette année-là, si trois des quatre agences de presse qui avaient présenté un dossier de demande d’aides ont été déclarées éligibles (Wostok Press, ALP et ANDIA), le montant des subventions attribuées (27 000 euros) ne représentait que 0,3 % du volume total des aides alors délivrées par le FSDP.

Ne pouvant bénéficier de revenus publicitaires et ne percevant qu’une part infime d’aides publiques, les agences de presse sont fortement dépendantes de leurs relations avec les médias, et donc avec les éditeurs de presse dont les difficultés financières les impactent par ricochet.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017, la rapporteure pour avis de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation sur les crédits alloués à la presse, Mme Virginie Duby-Muller, a noté dans son rapport que « de nombreux titres de presse renommés avaient des délais de paiement allant de deux mois et demi à un an, au mépris des dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce » ([23]). Il semblerait que ces retards de paiement aient même pu provoquer la faillite de certaines agences. Selon la Fédération française des agences de presse (FFAP), 29 % des agences de presse ont disparu depuis 2011. Et la situation est encore plus difficile pour les agences de presse photographiques, dont le nombre est passé de 26 à 13 au cours des quinze dernières années.

Qui plus est, des médias se détournent des agences de presse comme source d’information dans une logique de réduction de leurs coûts. Cette attrition de la clientèle des agences de presse n’est pas de nature à convaincre les banques de leur prêter des fonds.

Or, dans ce contexte de diminution des ressources des agences de presse et d’augmentation de leurs coûts et de leurs besoins d’investissement, les revenus liés aux contenus produits par ces agences sont massivement captés par les infomédiaires.

À l’heure des « fake news », malgré la garantie de fiabilité de l’information qui résulte de la définition même des agences de presse par l’ordonnance du 2 novembre 2045 – et plus précisément de ce qu’elles sont responsables du traitement journalistique des informations qu’elles fournissent –, les usagers de l’information se tournent de plus en plus vers des plateformes de partage et vers des logiciels agrégeant des données de diverses sources (ou « agrégateurs »).

En outre, le fonctionnement des moteurs de recherche et autres agrégateurs met en péril la viabilité économique des agences de presse. Ceux-ci ne se limitent pas toujours à l’indexation des contenus : ils permettent de consulter des contenus qu’ils n’ont pas produits. Par exemple, les crédits photographiques ne sont souvent indiqués que sur la page de l’éditeur, et pas sur celle du moteur de recherche. Les techniques d’incorporation de contenu d’un site internet sur un autre site internet (« framing ») n’incitant pas les internautes à naviguer vers le site de l’éditeur, des banques d’images se constituent ainsi sans autorisation des agences. Des contenus (articles, photos, infographies, etc.) produits par les agences de presse se retrouvent mis à disposition des internautes sur des plateformes sans recueillir l’autorisation des agences ni aucune contrepartie financière pour ces dernières.

En effet, si des agences de presse consentent à céder des licences à leurs clients, cela ne les autorise pas à céder ces contenus aux agrégateurs ou aux moteurs de recherche, sauf mention explicite de cette autorisation dans le contrat liant l’agence à l’éditeur de presse. En général, les licences accordent le droit à la reproduction, dans un cadre précis, des productions de l’agence. Elles prévoient parfois cette reproduction sur le site internet du client, mais cela n’entraîne pas cession du droit aux agrégateurs, plateformes et moteurs de recherche.

Comme l’explique l’AFP, si « d’une manière générale, les éditeurs peuvent trouver des avantages à l’indexation de leurs contenus par les moteurs de recherche, car celle-ci leur assure un trafic à destination de leurs sites, trafic qui est monétisé par les éditeurs », « une grande partie de ces contenus n’appartient pas aux éditeurs mais aux agences de presse. Ces dernières leur ont consenti une licence pour leur publication en ligne, laquelle n’emporte pas le droit pour un moteur de recherche de les reproduire séparément sur ses pages. Les agences de presse se trouvent juridiquement démunies face à des moteurs de recherche qui reproduisent et diffusent comme libres de droits sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies, sans licence, et qui causent de ce fait un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs. Ces moteurs de recherche qui n’emploient aucun journaliste sont devenus de véritables banques d’information, en exploitant un contenu qu’ils n’ont pas créé » ([24]).

De la même manière que pour les éditeurs de presse, les agences de presse voient leurs marges diminuer alors que les infomédiaires augmentent leurs revenus publicitaires grâce aux contenus attractifs qu’elles produisent. Au-delà de la captation de ces revenus, ce sont aussi toutes les données (« data ») liées aux « clics » des internautes qui sont monétisées par les infomédiaires. Comme l’a fort bien souligné Mme Corinne Denis, vice-présidente du GESTE, lors de son audition, non seulement le « clic » est rémunérateur, mais la « data » obtenue grâce au clic l’est aussi (voire encore davantage). 

À travers la survie économique et financière des éditeurs et agences de presse, ce qui est en jeu dans la captation des revenus liés à la diffusion de l’information par les infomédiaires, c’est l’existence même de médias capables de fournir une information fiable et de qualité.

Mme Corinne Denis a ainsi expliqué qu’au Portugal, l’existence même des médias nationaux était menacée à horizon d’une dizaine d’années compte tenu de la vitesse d’absorption de leur marché publicitaire par des GAFAM qui, à l’instar des réseaux sociaux Facebook et Twitter, prétendent devenir les premiers médias mondiaux, sans pour autant employer aucun journaliste. C’est ce qui a récemment conduit 80 % des médias portugais à se regrouper pour « plateformiser » leurs audiences et peser davantage face aux GAFAM.

À moyen terme, le métier d’éditeur de presse pourrait donc être soumis à un risque de disparition – avec toutes les conséquences que cela implique pour le secteur de la presse et l’information pluraliste et fiable des citoyens.

Si l’on en croit les représentants de Google, la protection des éditeurs et agences de presse par le biais des droits d’auteur serait aujourd’hui amplement suffisante. Le rapporteur estime au contraire qu’il n’en est rien.

B.   L’insuffisante protection des investissements des Éditeurs et agences de presse par le droit d’auteur

Les instruments juridiques de protection dont disposent les éditeurs de presse sur le terrain du droit des marques et de la responsabilité civile dans le domaine physique sont inefficients dans le domaine numérique. Si les éditeurs ont un droit sur l’œuvre collective que constitue le titre de presse dans son ensemble, ils n’en ont pas sur l’utilisation de chaque article ou partie d’article considéré(e) isolément, alors qu’aujourd’hui la concurrence se joue davantage entre articles qu’entre titres de presse.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé, dans un arrêt « Reprobel » du 12 novembre 2015, que les éditeurs de presse ne subissaient aucun préjudice du fait de copies privées, dans la mesure où ils ne figuraient pas au nombre des titulaires du droit de reproduction tel que prévu à l’article 2 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ([25]). Par conséquent, les dispositions de cette directive « s’opposent à une législation nationale […] qui autorise l’État membre à attribuer une partie de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés ».

Il est vrai que les éditeurs de presse peuvent se faire céder le droit d’auteur des journalistes ([26]), mais cela constitue une protection insuffisante dans le monde numérique.

Le droit d’auteur des journalistes

La protection des œuvres des journalistes pour leur exploitation sur internet est prévue par les articles L. 132-35 à L. 132-45 du code de la propriété intellectuelle (CPI), depuis la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Aux termes de l’article L. 132-37 du CPI, la première exploitation des œuvres des journalistes sur les supports (papier, numérique…) d’un titre de presse durant la « période d’actualité » (tenant compte de la périodicité du titre) est rémunérée par le versement d’un salaire. Les exploitations ultérieures à cette période font l’objet ou bien d’une majoration salariale, ou bien du versement de droits d’auteur aux journalistes (article L. 132-38 du CPI).

Une rémunération complémentaire est également prévue en cas d’exploitation de l’œuvre journalistique au sein d’une « famille cohérente de presse ». La « famille cohérente de presse » est définie par accord collectif de l’entreprise lorsque celle-ci édite plusieurs titres de presse (selon l’article L. 132-39 du CPI).

Enfin, la cession de l’œuvre du journaliste à un tiers par l’éditeur de presse, soumise à accord de l’auteur, ouvre droit à versement de droits d’auteur. Pour les journalistes pigistes auteurs d’images fixes, un salaire minimum conditionnant la cession des droits d’exploitation est fixé.

En cas de litige devant la justice, l’éditeur de presse doit, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, apporter la preuve que tous les auteurs lui ont cédé leur droit en l’autorisant à le faire valoir en justice. Mais le cadre actuel des droits d’auteur échoue à protéger les publications de presse contre une copie massive, du fait de la quasi-impossibilité de démontrer la contrefaçon du droit d’auteur : l’éditeur doit être à même de prouver que le ou les extraits compilés et ressortis par un agrégateur sont bien issus de l’article en question, article dont l’originalité doit également être prouvée. En effet, l’originalité est un prérequis fondamental à la protection d’une œuvre dans le cadre du droit d’auteur. La charge de la preuve de ces éléments est difficilement supportable pour les éditeurs de presse et leurs conseils : il s’agirait de traiter les centaines de milliers d’extraits que les agrégateurs rassemblent afin de démontrer la présence d’une partie originale de l’article initial.

De la même façon, les agences de presse qui invoqueraient le droit d’auteur doivent démontrer l’originalité du contenu, comme pour toute perception de droit d’auteur, mais également justifier la cession des droits de l’ensemble des personnes ayant concouru à la production du contenu qu’elles cherchent à protéger. Or il peut s’agir d’un très grand nombre d’intervenants. Quand l’AFP produit environ 3 000 photos par jour, il est inenvisageable pour elle d’engager des actions contentieuses sur la base du droit d’auteur et de produire les preuves demandées pour l’ensemble de ses contenus, d’autant plus que le nombre d’usagers qu’elle pourrait poursuivre se compte potentiellement en millions : avec la viralité d’internet, il est matériellement impossible pour quiconque d’intenter un procès pour chaque utilisation ou exploitation abusive.

Outre l’obstacle juridique tenant à la pratique des agrégateurs et moteurs de recherche de « reprise massive de contenus [qui rend] impossible toute action en contrefaçon nécessitant – individuellement, pour chacun des contenus reproduits sans l’accord du titulaire de droits – de rapporter la preuve de l’originalité », l’AFP fait valoir, dans une note remise au rapporteur, « l’impossibilité économique de se retourner contre les clients éditeurs de presse qui, pour avoir une visibilité sur internet [et donc pour avoir de l’audience, en tirer profit et, indirectement, payer les agences de presse], sont contraints d’accepter l’indexation et la reproduction de leur contenu par les agrégateurs et moteurs de recherche, alors qu’ils ne disposent pas contractuellement de ce droit de la part des agences de presse ».

Certes, il existe actuellement une protection spécifique des bases de données (définies comme les recueils d’œuvres, de données ou autres éléments indépendants disposés de manière synthétique ou méthodique et individuellement accessibles), depuis la transposition, aux articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.

Tandis que le droit d’auteur pour les bases de données protège la structure de la base et les éléments nécessaires à son fonctionnement et sa consultation avec des dérogations au droit commun du droit d’auteur, un droit sui generis permet au producteur de la base d’interdire l’extraction ou la réutilisation du contenu de la base. Pour autant, les agences de presse ne peuvent en bénéficier qu’en justifiant de leurs investissements pour la structure qui hébergent leurs contenus. Si ceux-ci sont importants, ils ne sont qu’une petite partie du coût lié à la création des données elles-mêmes (salaire des journalistes notamment, mais aussi locaux, salles de presse…). Pour que les contenus puissent être protégés par le droit sui generis des bases de données, les agences de presse doivent prouver la substantialité de l’extraction pour chacun des contenus sur lesquels elle souhaite percevoir des droits. Le coût procédural est évidemment dissuasif pour les agences de presse. Par ailleurs, comme le souligne l’AFP dans une note remise au rapporteur, « quand bien même une agence de presse exercerait avec succès son droit d’auteur ou son droit  de  producteur  de  base  de  données  auprès  d’un  moteur  de  recherche,  elle  s’exposerait  à  un  déréférencement des contenus publiés. Ces contenus étant repris par les clients des agences, le fait, pour les agences, d’opposer ce droit d’auteur conduirait à priver leurs clients de référencements sur internet » ([27]).

Or, pour épargner aux éditeurs et agences de presse l’obligation d’engager des contentieux longs et coûteux pour faire valoir leurs droits, en essayant de démontrer l’originalité et/ou la substantialité des extractions de leurs contenus par les infomédiaires, il existe, sur le terrain de la propriété intellectuelle, un instrument propice à la protection et à la rentabilisation de leurs investissements : celui des droits voisins.

Les droits voisins sont des droits exclusifs accordés à certains auxiliaires de la création littéraire et artistique : artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, entreprises de communication audiovisuelle ([28]). Ces droits s’exercent indépendamment du droit d’auteur sur les œuvres, comme le prévoit l’article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs », de sorte qu’aucune disposition légale relative aux droits voisins « ne doit être interprétée de manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires » ([29]).

L’octroi de droits voisins aux éditeurs et agences de presse allégerait la charge de la preuve qu’un infomédiaire a reproduit tout ou partie de leurs contenus sans autorisation. Ce droit étant basé sur la fixation d’une œuvre (c’est-à-dire sa fixation sur un support afin de permettre sa communication au public), il suffit au bénéficiaire de ce droit de prouver qu’une partie de cette œuvre a été utilisée indépendamment de son support de fixation. Les éditeurs ou agences de presse pourront ainsi plus aisément prouver la reproduction – puisqu’ils n’auront pas à démontrer l’originalité du contenu en cause – et pourront ainsi plus facilement agir contre la reproduction de masse de leurs publications.

Certains États de l’Union européenne ont entrepris de reconnaître des droits voisins ou assimilés aux éditeurs de presse. C’est notamment le cas de l’Allemagne et de l’Espagne. 

En Allemagne, une loi du 7 mai 2013 entrée en vigueur le 1er août 2013, dite « loi Google » a instauré un droit voisin pour les éditeurs de presse. Aux termes de cette loi, l’utilisation d’extraits de presse à des fins commerciales par les moteurs de recherche peut donner lieu au versement de droits voisins, pendant une période d’un an après la date de la publication, et en dehors de l’utilisation des « très courts extraits ». Cette loi visait ainsi à assurer un transfert de valeur des infomédiaires aux éditeurs de presse, quand les seconds supportent les investissements dus à la production de contenus alors que les premiers en retirent les bénéfices par l’affichage de publicités.

Or, Google est parvenu à contourner l’obligation légale dès son entrée en vigueur en mettant en place un système d’« opt-in » : l’entreprise a conditionné le référencement de quelque 4 000 éditeurs de presse allemands à la signature d’une licence d’utilisation gratuite. Cela a conduit la moitié d’entre eux, soit environ 2 000 éditeurs, qui ont souhaité faire valoir leur nouveau droit à rémunération de la part de Google, à être déréférencés du moteur de recherche. Google a par ailleurs refusé la négociation avec 200 éditeurs de presse allemands, qui, regroupés au sein d’un organisme de gestion collective, demandaient à bénéficier de 6 à 11 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Déréférencés par Google, ces 200 éditeurs ont été contraints, compte tenu de la chute de trafic vers leurs sites, d’accepter les conditions de Google et de ramener leurs prétentions à 360 millions d’euros. Ayant intenté des actions en justice devant l’autorité allemande de la concurrence, l’office allemand des brevets et des marques et le tribunal régional de Berlin, les éditeurs de presse ont tous été déboutés et ont finalement accordé cette licence gratuite pour l’exploitation de leurs contenus demandée par Google.

En Espagne, la teneur de l’expérience est sensiblement différente : aucun nouveau droit comparable à un droit voisin n’a été créé, mais le champ de l’exception de la courte citation a été réduit par une loi de 2014 prévoyant le versement, par les agrégateurs de contenus, d’une rémunération aux éditeurs de presse. Cette rémunération devait être fixée et gérée par une société de gestion collective. Google a alors fait le choix de fermer immédiatement le service Google News en Espagne, plutôt que d’entamer une négociation avec les éditeurs de presse. Le gouvernement n’ayant en outre pas pris les décrets d’application, aucune rémunération ne semble avoir été versée aux éditeurs de presse.

Du point de vue du rapporteur, si ces expériences se sont révélées décevantes, c’est en grande partie en raison du choix fait par Google de se placer en dehors du champ d’application de la loi, en déréférençant des éditeurs de presse, plutôt que d’œuvrer à sa bonne application.

Lors de leur audition, les représentants de Google ont prévenu qu’en cas d’adoption d’une nouvelle législation consacrant un droit voisin au profit des éditeurs de presse, le scénario se répéterait vraisemblablement. Selon eux, Google est en effet contraint de déréférencer tout éditeur dont il n’aurait pas obtenu d’accord préalable pour utiliser ses contenus, sous peine de se rendre coupable du délit de contrefaçon.

Les représentants de Google ne semblent guère envisager que des négociations pourraient être conduites pendant le processus d’élaboration de la législation afin d’éviter qu’à la date de son entrée en vigueur, le moteur de recherche n’ait d’autre choix que de déréférencer pour ne pas être en situation d’infraction. Une négociation conduite parallèlement à la gestation de la législation et aboutissant préalablement ou concomitamment à son entrée en vigueur permettrait pourtant d’éviter ces déréférencements brutaux et les coûts de transactions considérables qui en résultent le temps de la négociation.

Si les expériences conduites en Allemagne et en Espagne se sont soldées par des échecs, c’est clairement parce que les infomédiaires utilisent leur puissance dans un rapport de forces totalement déséquilibré pour s’autoriser à contourner la loi.

Ces expériences ont avorté d’abord parce qu’elles ne prévoyaient pas la gestion collective des droits voisins, qui renforce les éditeurs face aux infomédiaires dans les négociations. Un éditeur seul, vulnérable au risque de déréférencement, est moins fort qu’un collectif d’éditeurs et d’agences.

La présente proposition de loi pose donc clairement la reconnaissance de droits voisins mais en donne aussi des capacités d’application efficace, afin que le droit théorique devienne un droit réel.

Et, si les expériences allemande et espagnole ont connu des revers, c’est sans doute aussi parce qu’isolément, ces deux pays n’étaient pas en mesure de peser suffisamment dans le rapport de forces avec les infomédiaires.

C’est la raison pour laquelle des initiatives ont été engagées au niveau de l’Union européenne depuis 2016 afin de tenter d’apporter aux difficultés rencontrées une réponse globale à l’échelle d’un continent.

La présente proposition de loi reprend donc précisément les termes du texte proposé par la Commission européenne, et défendu par le rapporteur Axel Voss au Parlement européen, pour en soutenir la substance et la capacité réelle d’application, dans le cadre des négociations en cours.

Si lesdites négociations piétinaient encore après deux années de débats, la législation nationale qui devancerait la législation européenne, suffisamment solide pour armer les éditeurs et les agences face aux GAFAM, éviterait une nouvelle année de pertes irrécouvrables de recettes pour la presse française.

Et si elles pouvaient aboutir avant la fin de l’année, il convient de tout faire pour qu’elles ne s’éloignent pas du texte initial, en affaiblissant les droits voisins ou en rendant leur définition et leur application incertaines.

Le vote d’une proposition de loi en première lecture témoignerait ainsi de cette détermination de la France, par analogie aux initiatives gouvernementales en matière de fiscalité des GAFAM et de lutte contre les « fake news ».

II.   LES INCERTITUDES ENTOURANT LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 22 MAI 2001 SUR L’HARMONISATION DE CERTAINS ASPECTS DU DROIT D’AUTEUR ET DES DROITS VOISINS DANS LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION

Dans le cadre de la révision de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la Commission européenne a proposé aux États membres de l’Union européenne de reconnaître aux éditeurs de presse un droit voisin pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse (A). Le sort de cette proposition formulée il y a bientôt deux ans reste aujourd’hui entouré d’incertitudes, non seulement quant à ses modalités, mais aussi quant à son principe même, compte tenu des prochaines échéances électorales européennes (B).

A.   L’État d’avancement des nÉgociations

Le dispositif visant à reconnaître aux éditeurs de presse un droit voisin au titre de l’utilisation numérique de leurs publications de presse, tel qu’il ressortait de la proposition de directive présentée par la Commission européenne en septembre 2016, a quelque peu évolué au gré des négociations conduites sous la présidence estonienne du Conseil européen (qui s’est achevée à la fin de l’année 2017) et sous l’actuelle présidence bulgare.

1.   Le contenu de la proposition de directive du 14 septembre 2016

Estimant qu’« un partage équitable de la valeur est également nécessaire pour garantir la viabilité du secteur des publications de presse », que « les éditeurs de presse ont des difficultés à accorder des licences portant sur l’utilisation en ligne de leurs publications et à obtenir une part équitable de la valeur générée », et que « cette situation pourrait avoir, à terme, des répercussions négatives sur l’accès des citoyens à l’information », la Commission européenne a, le 14 septembre 2016, proposé la création d’« un nouveau droit pour les éditeurs de presse en vue de faciliter la concession de licences portant sur l’utilisation en ligne de leurs publications, le recouvrement de leurs investissements et le respect effectif de leurs droits » ([30]).

Le considérant n° 32 de la proposition de directive explique qu’il est « nécessaire d’assurer au niveau de l’Union une protection juridique harmonisée des publications de presse à l’égard des utilisations numériques » et que « cette protection devrait être assurée de manière efficace par l’introduction, dans le droit de l’Union, de droits voisins du droit d’auteur pour la reproduction et la diffusion auprès du public de publications de presse dans le cadre des utilisations numériques ».

En conséquence, l’article 11 de la proposition de directive prévoit que « les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse », c’est-à-dire les droits exclusifs d’autoriser ou d’interdire :

– la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, de leurs publications de presse ;

– la mise à la disposition du public.

Dans la version initiale de l’article 11 de la proposition de directive, il est prévu que « ces  droits  [...]  expirent  20  ans  après  la  publication  de  la publication  de  presse » et que « cette  durée  est  calculée  à  partir  du  1er janvier  de  l’année suivant la date de publication ».

Le considérant 34 de la proposition de directive précise que « les droits [ainsi] conférés aux éditeurs de publications de presse […] devraient en outre être soumis aux mêmes dispositions en matière d’exceptions et de limitations que celles applicables aux droits établis dans la directive 2001/29/CE, y compris l’exception de citation à des fins de critique ou de revue » ([31]).

Par ailleurs, le considérant n° 35 établit clairement que le droit voisin des éditeurs de presse, pour l’utilisation numérique de leurs contenus, ne saurait concurrencer le droit d’auteur des journalistes. En effet, selon ce considérant, « la protection accordée aux éditeurs de publications de presse en vertu de la présente directive ne devrait pas porter atteinte aux droits des auteurs et autres titulaires de droits à l’égard des œuvres et autres objets protégés intégrés dans ces publications, notamment en ce qui concerne la mesure dans laquelle les auteurs et autres titulaires de droits peuvent exploiter leurs œuvres ou autres objets protégés indépendamment de la publication de presse dans laquelle ils sont intégrés. Par conséquent, les éditeurs de publications de presse ne devraient pas pouvoir opposer aux auteurs et autres titulaires de droits la protection qui leur est accordée. Cet élément est sans préjudice des modalités contractuelles fixées entre les éditeurs de publications de presse, d’une part, et les auteurs et autres titulaires de droits, d’autre part ».

Du reste, l’article 11, § 2, de la proposition de directive énonce clairement que les droits qu’il s’agit de reconnaître aux éditeurs de presse « laissent  intacts  et  n’affectent  en  aucune  façon  les droits  conférés  par  le  droit  de  l’Union  aux  auteurs  et  autres  titulaires  de  droits,  à l’égard des œuvres et autres objets protégés inclus dans une publication de presse. Ces  droits  sont  inopposables   aux  auteurs   et  autres   titulaires   de   droits   et,   en particulier, ne sauraient les priver de leur droit d’exploiter leurs œuvres et autres objets  protégés  indépendamment  de  la  publication  de  presse  dans  laquelle  ils  sont inclus ».

Il est en effet tout à fait possible de différencier le droit de reproduction au titre du droit d’auteur et le droit de reproduction au titre d’un droit voisin, comme l’a récemment illustré un arrêt rendu par la Cour suprême fédérale d’Allemagne. Dans un arrêt rendu le 31 mai 2016, la cour de Karlsruhe a ainsi jugé, au sujet d’un producteur de phonogramme, que le seuil de reproduction « partielle » d’une œuvre protégée par le droit voisin incluse dans une autre œuvre pouvait être significativement inférieur au seuil de reproduction partielle d’une œuvre protégée par le droit d’auteur ([32]).

Le dispositif conçu par la Commission européenne il y a bientôt deux ans a quelque peu évolué au cours des négociations toujours en cours.

2.   Les modifications envisagées au gré des débats sur la proposition de directive

Une fois soumis à l’appréciation des États membres, l’article 11 de la proposition de directive n’a pas emporté l’adhésion de la totalité d’entre eux. Certains ont en effet suggéré une alternative qui viserait à reconnaître aux éditeurs de presse non pas un « droit » d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou la mise à la disposition du public de leurs contenus, mais une « présomption de représentation » des auteurs d’œuvres littéraires contenues dans leurs publications. Cette « présomption de représentation » permettrait aux éditeurs de presse de poursuivre en justice, en leur nom propre, les personnes (et notamment les agrégateurs en ligne du type de Google News) qui portent atteinte aux droits dont sont titulaires les auteurs des œuvres figurant dans leurs publications.

Ainsi, deux options ont été « mise sur la table ». L’« option A » (résultant du texte initial de la proposition de directive) consisterait à créer un nouveau droit pour les éditeurs de presse leur permettant d’autoriser ou non l’utilisation de leurs contenus. Cela pourrait faciliter la concession de licences portant sur l’utilisation en ligne de leurs publications. Cette option est défendue par la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Grèce, le Royaume-Uni, la Roumanie, le Danemark, Malte et Chypre. La Hongrie, jusqu’ici opposée à l’octroi, aux éditeurs de presse, d’un droit d’autoriser (ou non) l’utilisation de leurs contenus, a récemment rejoint ce groupe de pays favorables à l’« option A », privant de minorité de blocage le « camp » des tenants de l’« option B ».

Cette « option B », soutenue notamment par les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Finlande et la Pologne, consisterait à instaurer, au bénéfice des éditeurs de presse, une « présomption de représentation » leur permettant d’appliquer un droit à la reproduction et à la diffusion de leurs contenus.

La présidence estonienne du Conseil européen n’est pas parvenue à faire émerger un consensus entre États membres à la fin de l’année 2017.

Constatant qu’aucune des deux options ne satisfait les délégations nationales, la présidence bulgare du Conseil œuvre, depuis le 1er janvier 2018, au rapprochement des points de vue, en prenant pour base l’« option A ». Elle a ainsi proposé, en janvier dernier, des amendements à l’article 11 de la proposition de directive qui visent à étendre le champ de l’autorisation des éditeurs de presse à l’utilisation d’extraits (« snippets »), à exclure les utilisations individuelles des contenus du champ d’application du dispositif, et à réduire la durée de protection ouverte aux éditeurs de presse de 20 à 10 ans, puis de 10 ans à un an, d’après une proposition d’amendement plus récente.

En mars dernier, prenant lui aussi pour base de travail l’« option A », à laquelle il est favorable, le rapporteur allemand désigné par la commission des Affaires juridiques (« JURI ») du Parlement européen, M. Axel Voss (PPE), a à son tour présenté des amendements. Ces derniers visent à étendre aux agences de presse les droits reconnus par l’article 11 aux éditeurs de presse et à instaurer une exception destinée à permettre aux particuliers de partager des contenus en ligne dès lors qu’ils le font « à des fins légitimes, privées et non-commerciales ».

Les modifications proposées à l’article 11 n’emportant pas encore l’adhésion d’une majorité d’États membres, le vote de la commission « JURI » a dû être reporté une première fois au mois d’avril, puis une seconde fois au mois de juin prochain.

Tout en laissant subsister des interrogations quant à l’opportunité d’assortir le droit voisin des éditeurs de presse sur les parties d’une publication de presse d’un critère de taille ou d’originalité, la présidence bulgare du Conseil européen a, le 13 avril dernier, publié une nouvelle version de la proposition de directive qui comporte l’intégralité des amendements au texte initial qu’elle suggère, aux seules fins de pouvoir obtenir du « COREPER » ([33]), réuni le 27 avril, un mandat afin d’entamer un « trilogue » avec le Parlement européen et la Commission européenne. Ce mandat lui a été refusé, faute de majorité qualifiée : les discussions piétinent toujours sur la question de savoir si le droit voisin des éditeurs de presse doit reposer sur un critère d’originalité plutôt que de taille des contenus, certains États membres estimant que les robots qui seraient chargés de faire le tri entre les contenus protégés et ceux qui ne le seraient pas seraient incapables de déterminer quand un contenu est, ou non, original.

C’est dire si l’adoption définitive d’une proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique s’inscrit encore dans un horizon relativement lointain. Et ce d’autant plus que, non sans lien avec les débats sur l’article 11 de la proposition de directive, les négociations butent également sur son article 13 qui concerne l’« utilisation de contenus protégés par des prestataires de services de la société de l’information » et qui vise à réduire le décalage entre les profits que tirent les plateformes d’un contenu protégé et ce que perçoivent réellement les créateurs de ce contenu. Cet article 13 tend à obliger les « prestataires de services de la société de l’information » qui stockent et proposent au public des œuvres et objets protégés par des droits de propriété intellectuelle à conclure des contrats de licence avec les titulaires de droits, sauf s’ils jouent un rôle passif dans la diffusion de ces œuvres et objets ([34]). Les notions de « prestataire de services de la société de l’information » et de « mise à disposition d’œuvres ou objets protégés » (autrement dit d’« acte de communication au public ») suscitent de vives discussions qui contribuent à épaissir le flou entourant l’avenir de la réforme.

B.   Les incertitudes subsistantes

Un certain nombre de points restent à trancher au sujet de l’établissement d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et les agences de presse. La question de savoir si les snippets seront également protégés par les droits voisins des éditeurs de presse reste en débat, tout comme le sort des agences de presse et de la presse spécialisée.

1.   La question des hyperliens et des « snippets »

Le considérant n° 33 de la proposition de directive énonce expressément que la protection instituée au bénéfice des éditeurs de presse « ne s’étend pas aux actes de création de liens hypertextes qui ne constituent pas une communication au public ».

Ce faisant, la Commission européenne a entendu entériner la jurisprudence progressivement façonnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui tend à assurer la protection des titulaires de droits contre les contrefaçons, tout en s’efforçant de préserver le « droit de lier » – que d’aucuns jugent consubstantiel à internet.

L’évolution de la jurisprudence de la CJUE
sur les « actes de communication au public »

Dans un arrêt « Svenson » (CJUE, 18 février 2014, e.a c/ Retriever Sverige AB, aff. C‑466/12), la Cour de Luxembourg a jugé qu’un acte de communication au public consistait en la fourniture d’un lien pointant vers une œuvre protégée, mais qu’il ne nécessitait l’autorisation de l’auteur que si l’œuvre était portée à la connaissance d’un public nouveau, c’est-à-dire à « un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public ».

La même année, dans un arrêt « Bestwater » (CJUE, 21 octobre 2014, Bestwater International GmbH, aff. C-348/13), la Haute juridiction a précisé que « le seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur internet, est insérée sur un autre site internet au moyen d’un lien utilisant la technique du  framing  ([35]), telle que celle utilisée dans l’affaire au principal, ne peut être qualifié de communication au public, au sens de l’article 3 de la directive du 22 mai 2001, dans la mesure où l’œuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine ».

Puis, dans un arrêt « GS Media » (CJUE, 8 septembre 2016, GS Media BV c/Sanoma Media Netherlands BV e.a, aff. C-160/15), la CJUE a estimé qu’avant de conclure à la présence d’une « communication au public » illégale, il revenait aux tribunaux de vérifier si l’internaute qui publie le lien « ne poursuit pas un but lucratif » et s’il « ne sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre avait été publiée sur internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur ».

Enfin, dans un arrêt « Ziggo » (CJUE, 14 juin 2017, Stichting Brein contre Ziggo BV, XS4ALL Internet BV, aff. C610/15), la Cour de Luxembourg a jugé que « la notion de “ communication au public ”, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la mise à disposition et la gestion, sur internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) ».

Or, comme le relève Mme Laurence Franceschini, dans son récent rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, malgré la jurisprudence dégagée par la CJUE, le considérant n° 33 de la proposition de directive demeure ambigu : il ne permet pas de déterminer si tous les liens hypertextes sont couverts, ou seulement certains d’entre eux ([36]).

De l’avis de certains acteurs, la présence de liens hypertextes sans transclusion (c’est-à-dire sans affichage du contenu des articles) ne saurait donner lieu à autorisation préalable et/ou à rémunération, car la circulation de l’information sur internet ne devrait pas être trop largement contrainte ([37]).

Pour cette raison, Mme Laurence Franceschini, dans le rapport qu’elle a remis en juillet 2016 au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), a proposé d’exclure du périmètre d’un éventuel droit voisin des éditeurs de presse les activités d’indexation ou de référencement par les moteurs de recherche qui renvoient sur le site de l’éditeur de presse et lui permettent donc d’augmenter son audience. Selon Mme Laurence Franceschini, « le droit voisin pourrait être fondé sur la mise à disposition du public en ligne et être neutre quant aux usages visés. Une telle notion pourrait simplement exclure : le cas des transmissions techniques de contenus de presse comme celui des indexations par les moteurs de recherche qui permettent un accès gratuit aux articles de presse sur le site des éditeurs - envoi de trafic. Il importe que ce droit nouveau, reconnu en propre aux éditeurs de presse n’empêche pas, au nom du respect du principe de liberté d’information, la fluidité de la circulation de l’information et ne soit pas confiscatoire » ([38]).

Toutefois, la question s’est posée, au cours des discussions au sein du Conseil européen, de savoir si la notion d’« hyperlien » recouvrait, ou non, les « extraits », « fragments », « résumés » ou « aperçus » de publications de presse, désignés en anglais par le terme de « snippets ». À l’origine, cette notion correspond, en programmation informatique, à une petite portion réutilisable de code source. Il est désormais également utilisé pour désigner les extraits ou citations d’articles qui sont publiés sur les réseaux sociaux ou agrégés par les moteurs de recherche et qui ne sont pas assimilables aux « courtes citations » relevant des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins, dans la mesure où ils constituent, en tant que tels, de l’information.

La question de l’assimilation ou non de ces « snippets » aux « hyperliens » qui, aux termes du considérant n° 33, seraient exclus du champ de la protection des éditeurs de presse au titre des droits voisins, est cruciale. En effet, comme le montre la Commission européenne dans l’étude d’impact relative à la proposition de directive, une proportion non négligeable d’utilisateurs de réseaux sociaux (47 %) se contente de lire l’extrait publié sur le réseau social ou l’agrégateur pour avoir de l’information, sans cliquer sur le lien pour afficher l’article en entier sur la page de l’éditeur de presse. Cela représente une part importante du lectorat de la presse d’information, dans la mesure où, toujours selon l’étude d’impact de la Commission, 57 % des utilisateurs de presse la consultent par le biais des réseaux sociaux et des agrégateurs.

Du point de vue de Mme Laurence Franceschini, « il y a là une véritable concurrence déloyale, le moteur de recherche ne se contentant pas de publier des références ou des hyperliens, mais reproduisant des parties significatives d’articles publiés par des éditeurs de presse, sélectionnant et classant l’information, allant parfois jusqu’à en modifier le contenu. Il ne se comporte pas dans ce cas comme un  intermédiaire passif et joue un quasi rôle d’éditeur de presse » ([39]).

Par conséquent, compte tenu du « caractère massif de la reprise et de l’utilisation des snippets permis par le numérique d’abord, le fait que beaucoup d’entre eux sont très aisément substituables aux articles de presse eux-mêmes ensuite », « limiter le champ du droit voisin en excluant les snippets reviendrait à réduire considérablement la portée de ce nouveau droit qui ne s’appliquerait alors en fait qu’à l’agrégation de l’intégralité d’un article » ([40]).

De fait, il existe une différence de nature entre les hyperliens et les « snippets » qui justifie que les premiers soient exclus du champ de la protection du droit voisin des éditeurs de presse tandis que les seconds devraient y être inclus. En effet, comme l’explique Mme Laurence Franceschini, « un hyperlien est avant tout une technologie. Techniquement, un hyperlien intègre seulement l’URL de la page d’arrivée. […] Les snippets, eux, vont au-delà de la référence URL [de sorte que] l’argument qui consiste à dire que si les hyperliens ne sont pas couverts par le droit d’auteur ni a fortiori par le droit voisin, les snippets ne peuvent l’être non plus, n’est pas juste puisqu’il y a une différence significative entre les hyperliens et les snippets » ([41]).

La logique voudrait donc que, dès lors qu’ils vont bien au-delà du simple hyperlien, en incluant plus d’informations qu’une URL, et que leur exclusion du champ du droit voisin des éditeurs de presse priverait d’utilité la consécration de ce nouveau droit, les snippets qui pourraient éviter au lecteur la consultation du contenu originel ne soient pas assimilés aux hyperliens mentionnés au considérant n° 33 de la proposition de directive.

Toutefois, il s’agit là d’une question qui fait toujours débat, comme celle de l’inclusion ou non des photographies dans le périmètre de la protection accordée par la proposition de directive aux éditeurs de presse.

2.   La question des photographies

La question de savoir si les photographies, ou plus largement les contenus vidéos et audios, doivent, ou non, être inclus parmi les publications de presse dont l’utilisation numérique serait subordonnée à l’autorisation des éditeurs de presse est d’autant plus décisive que ces supports sont de plus en plus utilisés pour transmettre l’information.

Les contenus audios et vidéos sont également de plus en plus partagés et reproduits. Comme le montre le sondage réalisé par l’Institut Reuters pour l’année 2017, la moitié des personnes interrogées avait regardé une vidéo d’information dans la semaine, mais seule une minorité d’entre elles avait regardé les vidéos directement sur les sites d’informations ([42]). En outre, actuellement, les agrégateurs tels que « Google Images » peuvent afficher les photographies issues des journaux non seulement en vignette, mais également dans le même format que sur le site source. L’utilisateur n’a ainsi pas besoin de se rendre sur le site de l’éditeur et peut enregistrer ou partager l’image directement à partir de la page de l’agrégateur. Selon le Centre of the Picture Industry (CEPIC), 85 % des images trouvées en ligne par des outils de reconnaissance visuelle sont des copies illégales ([43]). Il y a donc un double préjudice pour les éditeurs de ces photographies ainsi que pour les agences de presse qui, rappelons-le, fournissent près de 70 % des images des magazines et journaux français : d’une part, l’atteinte portée à l’exclusivité d’approvisionnement dont les éditeurs bénéficient auprès des agences, et, d’autre part, un préjudice lié au partage de la valeur (les utilisateurs n’étant pas automatiquement renvoyés vers le site source, les clics ne sont comptabilisés que sur le site de l’agrégateur et la valeur publicitaire de celui-ci augmente, tandis que celle du site source stagne).

Compte tenu de cette réalité, les contenus audios, vidéos et photographiques devraient être aussi bien protégés que les textes. Protégés par le droit d’auteur dès lors qu’elles satisfont au critère d’originalité, ils devraient également l’être au titre des droits voisins des éditeurs de presse qui visent avant tout à protéger les investissements de ces derniers.

Par conséquent, selon Mme Laurence Franceschini, « à l’instar des autres droits voisins consacrés par le droit de l’Union, il est indispensable de prévoir une définition de l’objet du droit voisin la plus générale possible » ([44]) d’autant qu’on comprend difficilement « ce qui pourrait conduire à énumérer le ou les objets du droit voisin des éditeurs de presse alors que tel n’est pas le cas pour des droits voisins comparables comme celui du producteur de phonogramme, du producteur de vidéogramme ou de l’éditeur d’un service de communication audiovisuelle.[…] Détailler l’objet de ce droit voisin des éditeurs de presse est dangereux au regard de l’ensemble des possibilités qu’offre le numérique. Aujourd’hui, les crawlers indexent et analysent des contenus de presse et les exploitent ensuite auprès de leurs propres clients sous forme de données agrégées. Ce mode de réutilisation de tout ou partie des publications de presse reste non rémunéré tant pour les éditeurs de presse que d’ailleurs pour les journalistes, en l’absence de doit voisin, et la valeur est préemptée par ces nouveaux acteurs du numérique mais demain d’autres modes de réutilisation de ces contenus peuvent apparaître. L’inventivité de l’univers numérique lui est consubstantielle et on ne peut concevoir de modifier les textes à l’occasion de chaque pratique nouvelle. Au surplus, l’adoption d’un droit voisin des éditeurs de presse générique et général permettra à chaque État membre, dans le cadre de la transposition nationale de la directive, d’adapter et éventuellement de préciser l’objet du droit voisin au regard des traditions juridiques et des réalités de marché » ([45]).

3.   Le sort des agences de presse et de la presse spécialisée

Dans la version initiale de la proposition de directive, deux producteurs de contenus sont restés hors du champ de la protection que la Commission européenne envisage d’accorder : les agences de presse, d’une part, et les éditeurs scientifiques, d’autre part.

a.   L’extension du droit voisin aux agences de presse

La question de savoir si les agences de presse pourront, ou non, être couvertes, n’est pas totalement tranchée.

Aux termes de l’article 2, § 4, de la proposition de directive, il faut entendre par « publication de presse » la « fixation d’une collection d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets et constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé, dans le but de fournir des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiés sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services ».

Selon cette définition, les agences de presses se retrouveraient de facto couvertes par la création d’un droit voisin des éditeurs de publications de presse.

Cependant, ainsi que le relève Mme Franceschini dans son rapport, l’article n’est pas explicite à ce sujet : « comme en droit français, la définition met en exergue le caractère périodique de la publication et l’actualisation régulière de l’information fournie, ce qui est le propre des sites de presse en ligne ainsi que le caractère neutre de cette définition au regard du support de diffusion. Cet article, proche de la définition française de la publication de presse, n’appelle pas d’observation autre que celle de savoir s’il peut englober les agences de presse ou s’il doit être complété à cette fin » ([46]).

M. Axel Voss, rapporteur de la commission « JURI » du Parlement européen, a fait savoir, par une série de propositions d’amendements, qu’il était favorable à ce que les agences de presse soient incluses dans le périmètre de la protection organisée par la proposition de directive. Mais cette extension est loin d’être acquise.

b.   L’inclusion de la presse spécialisée parmi les éditeurs bénéficiaires du droit voisin

Le considérant n° 33 de la proposition de directive définit « la notion de publication de presse de manière à couvrir uniquement les publications journalistiques, diffusées par un prestataire de services, périodiquement ou régulièrement actualisées sur tout support, à des fins d’information ou de divertissement. Ces publications pourraient inclure, par exemple, des journaux quotidiens, des magazines hebdomadaires ou mensuels généralistes ou spécialisés, et des sites internet d’information. [Mais] les publications périodiques qui sont diffusées à des fins scientifiques ou universitaires, telles que les revues scientifiques, ne devraient pas être couvertes par la protection accordée aux publications de presse en vertu de la [proposition de] directive ».

Une telle formulation risque d’instituer une discrimination au détriment de certaines publications en fonction de leur contenu, et de générer de probables distorsions entre les États membres selon les différentes définitions qu’ils retiendront de la notion de « publication à des fins scientifiques ».

Lors de leur audition, les représentants de la FNPS ont exprimé leur inquiétude à ce sujet.

*

Indubitablement, « la reconnaissance au niveau du droit de l’Union européenne de ce droit voisin des éditeurs de presse largement conçu est un gage de la volonté de l’Union d’accompagner le développement de ces acteurs dans le cadre de leurs investissements rendus indispensables compte tenu de la nécessité d’innover dans l’environnement numérique et de leur permettre de concrétiser de véritables partenariats avec les grands opérateurs du numérique pour un meilleur partage de la valeur » ([47]).

Cependant, tant d’incertitudes planent encore, aussi bien sur le calendrier que sur le contenu de la proposition de directive, qu’il est nécessaire d’accompagner la démarche engagée au niveau de l’Union européenne par l’adoption d’une législation nationale qui pourrait largement s’en inspirer.

En effet, dans la mesure où le temps passé à procrastiner représente autant de recettes qui ne seront jamais recouvrées par des éditeurs et agences de presse en situation financière délicate, il est vital, comme l’a rappelé, lors de son audition, M. Jean-Michel Baylet, président de l’Union de la Presse en Région (UPREG), d’avancer plus vite à l’échelle nationale qu’à celle de l’Union européenne et de montrer ainsi que la France est attentive à la question et soucieuse d’y apporter une réponse sans atermoiements. C’est une stratégie que Mme Laurence Franceschini a elle aussi jugée positive.

III.   LA NÉCESSITÉ DE CONFORTER LA POSITION FRANçAISe PAR L’ADOPTION D’UNE LÉGISLATION NATIONALE RECONNAISSANT UN DROIT VOISINS AUX ÉDITEURS DE SERVICES DE PRESSE EN LIGNE ET AUX AGENCES DE PRESSE

Les éditeurs et agences de presse satisfont à l’ensemble des critères qui, d’ordinaire, président à l’attribution d’un droit voisin aux acteurs qui accompagnent la création : un investissement éditorial réel et en croissance compte tenu des exigences liées à la numérisation, la création d’actifs immatériels à valoriser ainsi que la possibilité de contractualisation pouvant fonder des actions en contrefaçon ([48]).

Il est d’ailleurs surprenant qu’au regard des droits voisins accordés de longue date à d’autres acteurs qui investissent dans le domaine culturel (producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, entreprises de communication audiovisuelle, etc.), de simples considérations d’équité n’aient pas conduit le législateur français à octroyer le bénéfice de tels droits aux éditeurs et agences de presse ([49]).

Il faut toutefois signaler que des parlementaires ont pris des initiatives en ce sens, parmi lesquels le sénateur David Assouline qui, en 2016, a déposé une proposition de loi relative au référencement des productions des agences de presse et tendant à créer un droit voisin à leur profit ([50]). Mais ce texte n’a jamais été examiné par le Parlement.

Dans la mesure où, comme les producteurs de phonogrammes et vidéogrammes ou les entreprises de communication audiovisuelle, les éditeurs et agences de presse concourent à la diffusion de contenus protégés par le droit d’auteur (celui des journalistes, en l’occurrence), on voit mal pour quelle raison légitime les investissements de ces auxiliaires de la création intellectuelle continueraient de se voir refuser plus longtemps le bénéfice d’une protection.

Comme l’explique Mme Laurence Franceschini, « la responsabilité éditoriale fondée sur le travail journalistique suppose le respect des exigences de recoupement et de vérification de l’information diffusée, principes consubstantiels à l’exercice de la liberté d’expression. Cette responsabilité distingue les éditeurs de presse des plateformes numériques. L’octroi d’un droit voisin pour les éditeurs de presse participe, à l’ère numérique, de la défense de la liberté de la presse et de son corollaire la liberté d’expression. Cette exigence suppose d’investir en permanence, afin notamment de pouvoir créer des modèles économiques innovants […] Le droit voisin des éditeurs de publications de presse a pour vocation de protéger et de rentabiliser l’investissement réalisé par l’éditeur de presse, qu’il s’agisse de l’investissement financier ou de la fonction d’éditorialisation. Il s’agit donc d’un fondement clairement distinct du droit d’auteur. C’est en conséquence la reconnaissance, comme pour d’autres titulaires de droits voisins fondés sur l’investissement producteurs de phonogrammes, producteurs de vidéogrammes et organismes de radiodiffusion –, du rôle indispensable et de l’importance du métier de l’éditeur de presse pour assurer l’exercice du droit à l’information qui est en cause. À cet égard, il n’existe aucune raison objective de considérer que certains investissements pourraient justifier un droit voisin alors que d’autres ne seraient pas protégés à ce titre. Les investissements importants dans le numérique des éditeurs de presse forment un bloc insécable dont l’objectif commun est la pérennisation du développement de la presse dans l’univers numérique » ([51]).

De la même manière qu’un droit voisin doit être reconnu aux éditeurs de presse en contrepartie des investissements importants que nécessite le développement du numérique (infographies, production de contenus « live », vidéos, marketing, etc.), de même un droit voisin doit être reconnu aux agences de presse qui « sont confrontées aux mêmes difficultés que les publications de presse alors que, comme elles, elles ont dû beaucoup investir compte tenu des potentialités offertes par le numérique. C’est assez naturel en particulier pour les photographies des agences dont les droits n’ont été cédés aux organes de presse que pour un usage précis et limité » ([52]).

Selon l’AFP, « ce droit voisin doit en conséquence couvrir toutes les activités d’intermédiation dans la communication au public des contenus des agences, y compris les activités des agrégateurs et moteurs de recherche dans la mesure où ceux-ci retirent des bénéfices de ces activités de façon directe (commercialisation des liens par les agrégateurs) ou indirecte (captation de l’audience, conservation de l’internaute dans l’écosystème du moteur de recherche, rémunération du moteur par la publicité réalisées sur les services connexes pour les moteurs) sans assumer la charge des investissements nécessaires à la production journalistique qu’ils exploitent. L’intervention de sociétés de gestion collective faciliterait la collecte des redevances et leur répartition entre de multiples acteurs » ([53]).

Il s’agit, en d’autres termes, de rééquilibrer le rapport de force et le partage de la valeur générée par la production et la circulation de contenus d’information en faveur des éditeurs et agences de presse. En effet, ces producteurs de contenus ne seront en capacité réelle de négocier leur rémunération à armes égales avec les infomédiaires que lorsqu’ils seront en mesure d’autoriser ou de refuser l’utilisation de ces contenus.

En garantissant la pérennité – aujourd’hui très menacée – des éditeurs et agences de presse par la création d’un droit voisin à leur profit, c’est aussi celle des journalistes que l’on préserverait et dont le droit d’auteur ne s’en trouve nullement amputé. Comme l’a rappelé, lors de son audition, le président de la FNPS, M. Laurent Bérard-Quelin, le but est de permettre aux éditeurs et agences de presse de continuer à payer les salaires de leurs journalistes.

Tandis que le droit d’auteur (des journalistes notamment) rémunère la création, le droit voisin (des éditeurs et agences de presse) rémunère l’investissement réalisé pour diffuser la création. L’un et l’autre sont complémentaires et non concurrents, comme le prévoit du reste très clairement l’article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle.

Comme le note Mme Laurence Franceschini, « protéger et permettre la rentabilisation de l’investissement de l’éditeur par le droit voisin, c’est d’abord soutenir la capacité de l’éditeur de presse à financer et à valoriser au mieux le travail journalistique (de proximité comme d’enquêtes au long cours, financement de correspondants à l’étranger, etc.) » ([54]).

Le rapporteur souligne d’ailleurs qu’au-delà de la préservation de leurs emplois, les journalistes pourraient tirer profit de la création d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs et agences qui les emploient. Selon le bilan de la rentabilité du droit voisin qu’il s’agit de créer, la rémunération des journalistes pourrait éventuellement être renégociée.

Pour toutes ces raisons, on ne peut qu’être convaincu de la pertinence et des vertus de la création d’un droit voisin au bénéfice des éditeurs et agences de presse à l’échelle nationale.

C’est tout l’objet de la présente proposition de loi dont l’article 1er pose le principe selon lequel toute reproduction, mise à disposition du public ou communication au public de tout ou partie des productions des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse doit être préalablement autorisée par ces derniers.

S’agissant du cas précis des contenus qui, produits par des agences de presse, sont mis en ligne par des éditeurs de presse en vertu d’un contrat, il va de soi que les autorisations des deux catégories d’acteurs n’ont pas vocation à être exigées cumulativement. Dès lors qu’un éditeur de presse est contractuellement titulaire des droits pour diffuser en ligne un contenu produit par une agence de presse, c’est bien sûr l’autorisation de l’éditeur (et elle seule) qui devra être recueillie.

Comme l’explique Mme Laurence Franceschini, pour les productions des agences de presse, il convient « de distinguer clairement ce qui relève du droit voisin de l’agence (production propre de l’agence) ou du droit voisin de l’éditeur de presse (article rédigé à partir d’une dépêche d’agence, par exemple) » ([55])

Pour ce qui est de « la justification du droit voisin de l’agence de presse, [elle] existe donc :

– si c’est l’exact contenu qu’elle a fourni qui est repris (pour l’article ou le résumé d’article du journaliste de la publication de presse, c’est le seul éditeur de presse qui doit disposer de ce droit). C’est particulièrement vrai pour la photo, le  piratage  des agences étant particulièrement prégnant pour les photographies et les vidéographies puisque ce sont bien les images des agences qui sont reproduites par les moteurs et agrégateurs ;

– pour les productions “B to C” qu’elle développe. » ([56])

Au-delà du principe même du droit voisin des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, l’article 1er de la proposition de loi en organise les modalités de mise en œuvre, en permettant notamment que leur gestion puisse (et non doive) être confiée à un organisme collectif de perception et de répartition des droits qui regrouperait les éditeurs et agences de presse qui le souhaitent pour mieux peser dans les négociations avec les infomédiaires (ceux-ci n’ayant pas pour autant vocation à intégrer la gouvernance d’un tel organisme).

Le rapporteur tient à souligner le caractère facultatif du recours à un organisme de gestion collective. Il a pu constater que les représentants des éditeurs, et en particulier du SEPM et du GESTE, y étaient très attachés, tout comme ceux des agences de presse. Lors de son audition, le directeur général et gérant               du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), M. Philippe Masseron, a vanté les mérites d’une gestion collective fondée sur le volontariat, soulignant que la gestion collective imposée pour le droit de reproduction par reprographie avait mis beaucoup de temps à être acceptée par les ayants droit.

Outre que la gestion d’organismes de gestion collective n’est pas toujours simple, il faut, selon la vice-présidente du GESTE, Mme Corinne Denis, préserver la possibilité pour certains éditeurs qui s’en estimeraient capables de mener des négociations seuls avec les infomédiaires.

Le principe de réalité commanderait toutefois, du point de vue de la directrice générale du SEPM, Mme Pascale Marie, de favoriser l’association la plus large possible des éditeurs pour entreprendre des négociations avec des opérateurs technologiques de dimension mondiale. Ce point de vue rejoint celui de M. Philippe Masseron, pour qui la gestion collective est pertinente au regard de la masse des ayants-droit et des utilisateurs susceptibles d’être concernés par le nouveau droit voisin des éditeurs et agences de presse.

Lors de leur audition conjointe, les représentants des syndicats de la presse quotidienne nationale (SPQN), de la presse quotidienne régionale (SPQR) et de la presse hebdomadaire régionale (SPHR) ont tous affirmé leur volonté de travailler ensemble – le président de l’Union de la presse en région (UPREG), M. Jean‑Michel Baylet, soulignant que ce qui rassemble les éditeurs adhérant à tous ces syndicats est désormais beaucoup plus important que ce qui les divise.

La Fédération française des agences de presse (FFAP) et l’AFP ont également approuvé l’idée d’une gestion collective associant éditeurs et agences de presse. Comme l’explique l’AFP, « une confrontation bilatérale entre les agences et les moteurs de recherche ne permet pas aux agences, compte tenu du rapport de force, de faire valoir individuellement leurs droits. En revanche, un droit voisin exercé via des sociétés de gestion collective est de nature à remédier à ce déséquilibre » ([57]).

Toutefois, au regard des différends qui opposent parfois les uns et les autres, par exemple en matière de délais de paiement, la FFAP a exprimé le souhait qu’un médiateur neutre puisse éventuellement être désigné en cas de désaccords, notamment sur la clé de répartition des sommes perçues au titre des droits voisins qui ne devrait pas, selon M. Christophe Mansier, vice-président de la FFAP, aboutir à ce qu’une agence majeure comme l’AFP capte l’intégralité de ces sommes.

Même s’il sait pertinemment que ce serait inédit à l’échelle européenne, le rapporteur forme le vœu que cet organisme de gestion collective puisse être européen, et pas national, afin que les éditeurs et agences de presse puissent mieux peser dans le rapport de force qui les oppose aux infomédiaires, et en particulier aux GAFAM ([58]).

À défaut d’organisme européen, une société de perception et de répartition des droits comme le CFC pourrait peut-être, compte tenu de son expérience, assurer la gestion des nouveaux droits voisins reconnus aux éditeurs et agences de presse ([59]). Son directeur général et gérant, M. Philippe Masseron, s’y est montré très ouvert, rappelant que le CFC regroupe déjà tous les éditeurs de presse.

L’article 2 de la proposition de loi insère le nouveau droit voisin reconnu aux éditeurs et agences de presse dans le cadre juridique plus général applicable aux différents droits voisins consacrés par le code de la propriété intellectuelle. Il étend ainsi à ce nouveau droit voisin les exceptions prévues pour les autres droits voisins tout en précisant que ces exceptions ne sauraient causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes d’un éditeur d’un service de presse en ligne ou d’une agence de presse.

Dans la même logique, l’article 3 de la proposition de loi fixe la durée des droits patrimoniaux des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, au titre de leurs droits voisins, à vingt ans. Il s’agissait d’aligner la durée de ces droits voisins consacrés au niveau national sur celle initialement envisagée par la proposition de directive de la Commission européenne, étant précisé que la présidence bulgare du Conseil européen a récemment suggéré d’amender la proposition de directive pour ramener cette durée à un an.

Enfin, l’article 4 étend aux droits voisins des éditeurs et agences de presse les sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle en cas de violation des autres droits voisins déjà reconnus.

*

Aux yeux du rapporteur, l’ensemble de ces dispositions constitue une base solide qui pourra éventuellement être enrichie à l’occasion de la navette parlementaire et, au besoin, précisée par la jurisprudence et au gré des négociations contractuelles qu’implique la détermination des modalités de perception et de gestion des droits voisins reconnus aux éditeurs et agences de presse.

Rien ne justifie donc que l’on ajourne sine die l’adoption d’un texte qui contribue à l’élaboration d’un cadre juridique applicable aux infomédiaires à l’heure où, comme l’a justement rappelé, lors de son audition, M. Nicolas Beytout, président-fondateur de L’Opinion, leur modèle est questionné à la faveur du scandale « Cambridge Analytica » ([60])  et de l’audition, à ce titre, du président‑directeur général de Facebook, M. Mark Zuckerberg, devant le Sénat américain, le 10 avril dernier.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   DISCUSSION générale

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine, lors de sa séance du mercredi 9 mai 2018, la proposition de loi de M. Patrick Mignola et plusieurs de ses collègues visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne (n° 849).

M. Patrick Mignola, rapporteur. En 2016 en France, 2,4 des 3,5 milliards d’euros d’investissements publicitaires dans le numérique ont été absorbés par Google et Facebook, qui captent à eux seuls plus des deux tiers de la croissance du marché publicitaire en ligne. Si l’on ajoute les autres moteurs de recherche, réseaux sociaux et plateformes d’échange, près de 90 % de la croissance de ce marché est accaparé par ces « infomédiaires ».

Or, même si l’on ne dispose guère de données chiffrées sur la part de ces revenus publicitaires liée à la diffusion de contenus d’information en ligne, on peut néanmoins en prendre la mesure quand on sait par exemple que l’information est le second motif de connexion à Facebook, d’après une étude publiée l’an dernier par l’Institut Reuters. Comme Twitter, ce réseau social prétend devenir l’un des premiers médias au monde… alors qu’ils n’emploient aucun journaliste.

Et c’est là tout le paradoxe : les Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM) et autres infomédiaires profitent aujourd’hui d’une manne de revenus créée par la circulation de contenus d’information dont ils n’assument pas la charge des coûts de production. Cette charge est assumée par des éditeurs et agences de presse qui non seulement paient des journalistes, mais réalisent en outre des investissements considérables dans la transition numérique et le travail d’éditorialisation.

Certes, un fonds Google-Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) pour l’innovation numérique a été créé en 2013 pour financer les projets numériques des éditeurs de presse française. Mais ce fonds a expiré à la fin de l’année 2016.

Certes, il a été remplacé par un « fonds Google européen », mais la part des financements proposés par ce fonds aux éditeurs français est quatre fois inférieure aux financements annuels de l’ancien fonds français.

Certes, Google et Facebook ont conclu des accords de partage de revenus publicitaires qui sont plus avantageux pour les éditeurs de presse que pour d’autres partenaires. Mais l’optimisation de l’expérience utilisateur de Facebook ou de Google grâce aux contenus de qualité qui y sont diffusés génère des gains publicitaires bien supérieurs, liés à l’exploitation des données, par le biais de la publicité ciblée.

La captation de ces revenus, conjuguée à l’absence de rémunération versée au titre de la reprise massive de leurs contenus, met en péril la survie économique et financière de nombreux éditeurs et agences de presse. Comme cela a été expliqué lors de la douzaine d’auditions que j’ai menées, au Portugal, l’existence même de médias nationaux est menacée à horizon d’une dizaine d’années, compte tenu de la vitesse d’absorption de leur marché publicitaire par les GAFAM. Et ce pourrait bientôt être le cas des médias français : près de 30 % des agences de presse françaises ont disparu depuis 2011.

Il est donc urgent et vital pour nos démocraties de préserver le pluralisme des médias en rééquilibrant le partage de la valeur créée par la circulation de l’information en ligne.

Pour ce faire, il nous faut faire entrer les infomédiaires dans un cadre démocratique qui suppose non seulement qu’ils consentent à l’impôt – ils n’en paient pas, ou peu – et qu’ils respectent l’État de droit en assumant une responsabilité éditoriale, notamment en cas de diffusion de fausses informations
– comme le prévoit le projet de loi sur lequel nous serons amenés à voter dans quelques semaines –, mais aussi qu’ils ne portent pas indirectement atteinte à la liberté de la presse en asséchant les revenus que les éditeurs et agences devraient pouvoir tirer de leurs investissements.

C’est précisément ce à quoi s’attachent actuellement les institutions européennes. Le 14 septembre 2016, la Commission européenne a amorcé un renouvellement de la conception du partage de la valeur générée par la circulation de l’information sur internet, dans le cadre de la révision de la directive de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. L’article 11 de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique prévoit ainsi de reconnaître aux éditeurs de presse un droit voisin pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse.

Tout comme des droits voisins ont été reconnus aux producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle pour protéger et rentabiliser les investissements auxquels ils procèdent afin d’accompagner la création, un droit voisin serait octroyé aux éditeurs de presse afin de protéger et de rentabiliser leurs investissements
– notamment numériques – pour produire une information fiable et de qualité. Il est d’ailleurs surprenant que l’on ait légiféré sur les phonogrammes, les vidéogrammes et même les droits sportifs à la télévision, avant de légiférer en faveur de la liberté de la presse…

Dans la mesure où ce droit voisin rémunérerait l’investissement réalisé pour diffuser la création, il n’empiéterait en aucune façon sur le droit d’auteur des journalistes qui, lui, rémunère la création et demeure inchangé. L’un et l’autre seraient complémentaires et non concurrents, comme le prévoient du reste très clairement les dispositions de la proposition de directive et la proposition de loi qui vous est soumise.

Malgré les initiatives européennes conduites depuis deux ans, de très nombreuses incertitudes planent sur le contenu de cette proposition de directive, sur son vote comme sur son calendrier. En termes de contenu, l’octroi aux éditeurs de presse d’un nouveau droit leur permettant d’autoriser ou non la reproduction et la mise à disposition du public de leurs contenus est loin d’emporter l’adhésion unanime de tous les États membres. Si cette « option A » est défendue notamment par la France, l’Allemagne, l’Espagne ou encore l’Italie, elle est en revanche rejetée par les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et certains pays d’Europe centrale, favorables à une « option B » consistant à ne reconnaître aux éditeurs de presse qu’une présomption de représentation des auteurs d’œuvres littéraires contenues dans leurs publications, qui leur permettrait seulement de poursuivre en justice en leur nom propre les personnes portant atteinte aux droits de ces auteurs.

Même dans l’hypothèse où l’option A consacrant un véritable droit voisin des éditeurs de presse serait privilégiée, les débats – vifs – s’enlisent autour des snippets, ces extraits de publications de presse : doivent-ils ou non être assimilés aux hyperliens, pour l’instant exclus du champ de la protection ? S’ils étaient exclus, le droit voisin des éditeurs de presse perdrait tout son sens… De même, les photographies et les contenus audios et vidéos doivent-ils être inclus dans les publications de presse dont l’utilisation numérique serait subordonnée à l’autorisation des éditeurs ? En outre, le droit voisin consacré par la proposition de directive doit-il être étendu aux agences de presse comme le propose à juste titre, le rapporteur allemand de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, M. Axel Voss ? Enfin, ce droit voisin doit-il être élargi aux éditeurs de la presse spécialisée et scientifique, pour l’heure exclus ?

C’est dire si le changement d’approche du partage de la valeur engagé par la Commission européenne est encore loin d’être acquis. Les points de vue divergent tellement que la présidence estonienne du Conseil européen a échoué à faire émerger un accord avant la fin de l’année 2017. Depuis le 1er janvier, la présidence bulgare œuvre à l’émergence d’un consensus en multipliant les concessions : au gré de ses amendements, la durée de la protection ouverte aux éditeurs de presse est ainsi passée de vingt ans à un an ! Si le principe d’un droit voisin est reconnu, mais qu’on le vide de son contenu, tout en réduisant la durée de protection, le droit théorique ne deviendra pas réel. Il faut donc soutenir la proposition européenne dans son format initial, quitte à prendre des initiatives parlementaires nationales permettant de rétablir le projet de directive tel qu’il était porté par la Commission et l’eurodéputé Axel Voss.

Les discussions piétinent depuis deux ans… et tout le temps passé à procrastiner représente autant de pertes de recettes potentielles pour des éditeurs et agences de presse dont la situation économique et financière ne fait que s’aggraver.

Face à cela, deux stratégies sont concevables. La première consiste à considérer qu’il ne faudrait surtout rien entreprendre au niveau national qui puisse interférer avec les négociations en cours – même si elles sont inquiétantes – et avec les positions défendues par la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. D’aucuns craignent en effet que l’adoption d’un texte qui octroierait un droit voisin aux éditeurs et agences de presse à l’échelle nationale ne fournisse un argument à ceux qui combattent la reconnaissance de ce droit à l’échelle européenne, au motif que l’existence d’une législation nationale rendrait inutile l’adoption d’une législation comparable au niveau européen.

La seconde stratégie, dont j’estime qu’elle est bien plus pertinente, consiste à soutenir que l’adoption de notre proposition de loi peut influer positivement sur les négociations en cours et conforter les positions défendues par la France. Dans le cas où la législation européenne n’aboutirait pas d’ici à la fin de l’année, il serait possible d’examiner la proposition de loi en deuxième lecture, afin que la presse puisse négocier un droit voisin.

Nous aurions pu adopter une résolution européenne, mais elle aurait été redondante avec celle du 4 décembre 2016, le sujet faisant l’objet de débats et de rapports – notamment ceux de Mme Duby-Muller, ici présente – depuis longtemps.

Pour ceux qui se demanderaient pourquoi nous légiférerons au niveau national sur un sujet qui se trouve au cœur d’un rapport de force à l’échelle du continent européen, je tiens à rappeler les précédents échecs liés aux votes de lois en Allemagne en 2013 et en Espagne en 2014. Il est vrai que ces expériences ont été décevantes, non seulement parce qu’isolément, ces deux États étaient moins forts que l’Union européenne, mais aussi parce que Google avait délibérément fait le choix de se placer en dehors du champ d’application de la loi et menacé de déréférencer les éditeurs de presse. Cette stratégie de chantage a fonctionné car les dispositifs allemand et espagnol ne prévoyaient pas de gestion collective des droits voisins. La négociation individuelle de chaque éditeur de presse était dans ces conditions vouée à l’échec et le droit théorique ne pouvait devenir un droit réel.

Nous en tirons les conséquences, en inscrivant cette proposition de loi dans les pas du projet de directive, dans sa rédaction initiale, et en rendant possible la gestion collective de ce droit voisin – les éditeurs et agences de presse y sont désormais prêts. C’est l’objet de l’article 1er. À défaut d’un organisme de gestion collective européen, le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) est prêt à assumer cette gestion. Son directeur nous l’a confirmé.

L’article 2 de la proposition de loi insère ce nouveau droit voisin dans le cadre juridique plus global applicable aux différents droits voisins consacrés par le code de la propriété intellectuelle. Il étend ainsi les exceptions prévues pour les autres droits voisins à ce nouveau droit voisin. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir lors de l’examen de l’amendement de nos collègues de La France insoumise.

Dans la même logique, l’article 3 de la proposition de loi fixe la durée des droits patrimoniaux à vingt ans. Il s’agit d’aligner la durée nationale sur celle initialement envisagée par la proposition de directive de la Commission européenne, et de marquer ainsi l’attachement du législateur français à ce que les négociations en cours au niveau européen ne s’éloignent pas trop de la proposition de directive initiale.

Enfin, l’article 4 étend aux droits voisins des éditeurs et agences de presse les sanctions déjà prévues par le code de la propriété intellectuelle en cas de violation des droits voisins.

Ces dispositions constituent un édifice solide, reconnaissant un nouveau droit voisin et permettant son application réelle, le cas échéant nationale, d’ici à la fin de l’année. Notre proposition de loi porte surtout la parole de la France. L’Europe en sera d’autant plus forte.

Ces dispositions sont capitales pour la survie économique d’acteurs qui se trouvent confrontés à des réalités qui, elles, ne temporisent pas. Nous devons manifester la capacité des autorités politiques nationales à légiférer sur leur propre sol. Il en va de la crédibilité de notre institution, face à des infomédiaires qui pourraient être tentés de penser que tout leur est permis si les élus reculent. Nous avons eu l’occasion de les rencontrer et de constater en quelle estime ils tenaient notre pouvoir…

Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que la France serait pionnière au sein de l’Union sur les questions liées à la presse. En 2014, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le texte appliquant un taux de TVA super-réduit de 2,1 % à la presse en ligne, trois ans avant la Commission européenne.

Dans quelques jours, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation débattra d’une proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations, dont les implications sont indubitablement d’ordre européen… ce qui n’empêche pas le législateur français de légiférer isolément.

Les auditions que j’ai menées ont montré que la présente proposition de loi faisait l’objet d’un soutien quasi unanime de la part des organisations d’éditeurs et agences de presse.

Je forme donc le vœu que la représentation nationale l’adopte, gardant à l’esprit les mots prononcés le 17 avril par le Président de la République, M. Emmanuel Macron, devant le Parlement européen où il a pris la peine d’« insister sur l’un de [ses] travaux en cours, essentiel à [s]es yeux, celui du droit d’auteur, de la protection des créateurs, et de la création artistique ».

Mme Fannette Charvier. J’interviens au nom du groupe La République en Marche. Je ne vais pas évoquer à mon tour la nécessité pour les éditeurs et les agences de presse de se voir reconnaître un droit voisin car vous avez déjà parfaitement rappelé l’état des débats.

Je souhaitais revenir sur plusieurs points abordés lors de votre intervention ou mentionnés dans votre projet de rapport, que j’ai lu avec beaucoup d’attention. J’ai participé à vos côtés à l’ensemble des auditions et tous les interlocuteurs n’étaient pas nécessairement unanimes sur l’opportunité même de ce droit voisin.

Nous devons avoir conscience que cette question ne pourra se régler qu’à l’échelle européenne – c’est la position de notre groupe. Comme vous l’avez rappelé, la Commission européenne a publié en septembre 2016 une proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Après plusieurs mois de tergiversations au Conseil de l’Union européenne et dans les commissions du Parlement européen, les discussions sont en voie d’aboutir. S’il a donné lieu à des débats approfondis pendant plusieurs mois, le principe du droit voisin au profit des éditeurs de presse est désormais acquis.

Même si le Comité des représentants permanents (COREPER) n’a pas débouché sur un accord le 28 avril dernier, à cause de divergences sur plusieurs points techniques, notamment l’exclusion des courts extraits – les snippets – du champ du droit voisin et la durée de ce droit, on s’achemine apparemment vers une sortie du blocage lors de la prochaine réunion prévue fin mai. Au Parlement européen, le vote sur le rapport de la commission des affaires juridiques interviendra les 20 et 21 juin prochains, ce qui permettra d’engager les trilogues. Il est donc désormais clair que l’adoption de la directive interviendra d’ici à la fin de l’année.

Dans ce contexte, l’adoption d’un texte purement national à ce stade des discussions risque d’être extrêmement mal comprise par nos partenaires, par la présidence bulgare du Conseil européen et par la Commission européenne. Elle pourrait même s’avérer contre-productive, en renforçant le camp des pays hostiles à la création de ce droit – ils font valoir qu’aucune initiative européenne n’est nécessaire, chaque État membre étant libre d’intervenir dans un cadre strictement national.

Lors de l’initiative française sur la TVA, le contexte européen n’était pas du tout le même. Par ailleurs, par le passé, certains pays membres ont déjà tenté de prendre des initiatives pour créer un droit voisin national au profit des éditeurs de presse. C’est le cas de la Belgique, de l’Allemagne et de l’Espagne, dont les éditeurs de presse ont tous subi des mesures de représailles, notamment de la part de Google. Les résultats produits par ces initiatives nationales n’ont eu jusqu’à présent que des effets très limités, voire contre-productifs. Ces exemples justifient une intervention européenne, afin de créer un cadre juridique commun à l’ensemble des pays de l’Union, permettant aux éditeurs de presse de négocier dans une position plus équilibrée avec les prestataires de services concernés.

Je vous rejoins sur l’urgence à agir pour conforter la pluralité de notre presse et rétablir les conditions d’un équilibre entre la protection des investissements réalisés par les éditeurs d’une part, et le besoin de diffusion de l’information sur internet, d’autre part. Mais, même si nous adoptions cette proposition de loi, la création d’un droit voisin ne pourrait pas intervenir avant la fin de l’année. En effet, après la navette parlementaire française, le texte devra faire l’objet d’une notification à la Commission européenne, du fait de son caractère opposable à des services de la société de l’information, ce qui repoussera de trois mois son adoption définitive.

On peut donc s’interroger sur l’opportunité de voter cette proposition de loi dont la mise en œuvre n’interviendra pas avant l’adoption de la directive. Si elle était adoptée en l’état, la proposition de loi devrait par ailleurs sans doute être significativement modifiée pour tenir compte des dispositions définitives de la directive.

Je tiens à vous remercier d’avoir attiré l’attention de notre commission sur ce sujet important. Mais nous estimons que votre proposition ne sera ni efficace, ni adéquate, étant donné les perspectives favorables au niveau européen.

Mme Constance Le Grip. Au nom du groupe Les Républicains, je souhaite souligner tout l’intérêt que nous portons à la création d’un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse. Le rapporteur l’a exposé, il est nécessaire d’adapter le modèle économique de la presse à l’univers numérique. L’urgence est à la fois économique et démocratique. Ce droit voisin est complémentaire de la reconnaissance du droit d’auteur des journalistes.

La presse – que certains qualifient de traditionnelle – s’est efforcée de faire face aux nouveaux défis numériques et voit son modèle économique gravement menacé par de nouveaux acteurs, les GAFAM. Votre projet de rapport, comme d’autres avant lui, le souligne : ces acteurs captent la majeure partie de la valeur créée. Ainsi, 90 % de la croissance du marché publicitaire en ligne leur revient. Ils profitent donc de la diffusion de contenus qu’ils ne produisent pas et pour lesquels ils ne rémunèrent pas les éditeurs. On ne dira jamais assez le rôle clé d’une presse libre, indépendante, économiquement viable et pluraliste face à la prolifération de fausses nouvelles, à la manipulation massive d’informations, à la désinformation et aux autres menaces pesant sur notre démocratie.

En conséquence, nous devons saisir toutes les opportunités : débattre de la nécessité d’adapter le modèle économique de la presse libre et indépendante, mais également prendre des initiatives et passer à l’acte.

Bien sûr, au niveau européen, des négociations sont en cours sur la proposition de directive révisée. J’ai siégé plus de sept ans au Parlement européen et ai été membre de la commission des affaires juridiques. J’ai donc participé depuis leur origine aux discussions. Dès le premier jour de ces débats, j’ai pu mesurer l’ampleur des réticences et les obstacles à la création d’un droit voisin : le fameux article 11 du projet de directive ne soulève pas spontanément l’enthousiasme… Le premier rapporteur désigné par la commission des affaires juridiques – avant M. Axel Voss – était ainsi résolument hostile à la création de droit voisin et souhaitait purement et simplement supprimer cet article. Les reports incessants du vote ne me rendent pas particulièrement optimiste sur l’aboutissement de ce dossier. Le COREPER peine également à trouver un accord.

Dans ce contexte, le Parlement français doit émettre un signal fort car l’urgence économique et démocratique est réelle. Le moment est venu de passer à l’acte.

M. Laurent Garcia. Le groupe MODEM estime que cette proposition de loi visant à instituer un droit voisin au profit des éditeurs et des agences et service de presse en ligne recouvre des enjeux démocratiques, économiques, politiques, voire éthiques.

La situation de ce secteur et la crise qu’il traverse appellent des réponses. Les enjeux sont bien connus de notre assemblée, qui s’est déjà prononcée en décembre 2016 – le rapporteur y a fait allusion – par le biais d’une résolution européenne pour soutenir toute initiative allant dans le sens du soutien au pluralisme de la presse, en particulier de la presse d’opinion.

Évidemment, le pluralisme ne se décrète pas, mais il se conditionne. C’est le rôle du législateur : quel avenir pour ce pluralisme si nous n’assurons pas à la presse les moyens de son développement indépendant ? Quel avenir pour l’expression politique, si nous n’instituons pas un équilibre dans les rapports entre les acteurs de l’internet – diffuseurs de contenus – et les producteurs de ces contenus, qui ont besoin d’internet pour être visibles. Tout écosystème vit sur un équilibre. Pour préserver le caractère démocratique de nos sociétés, nous devons nous soucier de le maintenir. Internet produit des effets bénéfiques considérables et facilite la circulation des biens, des informations et des idées. C’est une grande chance, mais il doit désormais investir le champ démocratique.

Certes, la réussite économique est là, mais ce n’est pas une raison pour que les GAFAM soient exemptés de toute responsabilité ! Le Gouvernement l’a bien saisi et s’est engagé à responsabiliser ces acteurs sur différents plans. Responsabilisation fiscale tout d’abord, le consentement à l’impôt étant la base du contrat démocratique : nul ne saurait lui échapper par divers montages, qui se font toujours au détriment des plus faibles. La responsabilité des GAFAM est ensuite pénale : en démocratie, chacun est responsable de ce qu’il dit ou de ce qu’il diffuse. À l’heure où notre assemblée se prépare à discuter de ce sujet, ce principe de base de notre État de droit doit être réaffirmé. Enfin, la responsabilité, c’est aussi la solidarité et la justice. La présente proposition de loi tente d’apporter une réponse sur ce troisième point.

Nous n’ignorons rien des diverses initiatives prises par certains États européens et par l’Union européenne. La présente proposition de loi tire les leçons des expériences de nos voisins et constitue un soutien affirmé au projet de directive européenne. Les dernières évolutions dans les négociations laissent craindre que cette dernière n’aboutisse avant plusieurs mois, voire malheureusement plusieurs années – sans compter le délai de transposition.

Il importe donc de ne pas laisser la presse française dans la situation difficile qu’elle connaît depuis plusieurs années et de lui donner les pleins moyens de sa réussite, pour qu’elle poursuive une transformation numérique déjà largement engagée. Rétablir l’équilibre économique, c’est rétablir les conditions de l’existence même d’une presse d’opinion pluraliste et indépendante dans notre pays. Accorder ce droit voisin, c’est donner la force nécessaire aux éditeurs et agences de presse de négocier d’égal à égal avec les opérateurs de plateformes en ligne. Quasi unanimement, les acteurs de la filière attendent ces dispositions. Nous souhaitons donc que la représentation nationale leur envoie un message fort, en soutenant cette proposition de loi.

M. Pierre-Yves Bournazel. Notre commission est saisie d’une proposition de loi déposée par nos collègues du groupe MODEM visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne. Le groupe UDI, Agir et Indépendants salue la qualité du travail du rapporteur. Il soulève un sujet essentiel pour la protection des éditeurs et agences de presse : celui du droit voisin.

Alors que les négociations sur ce sujet au niveau européen ont été lancées il y a presque deux ans, elles sont toujours bloquées. Le vote de la commission des affaires juridiques du Parlement européen sur la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique devait avoir lieu il y a deux mois. Il a finalement été reporté au mois d’avril, puis au mois de juin prochain. Rien n’indique que l’issue de ce vote sera favorable. De la même manière, il n’est pas certain que la proposition de directive soit adoptée en séance publique par le Parlement avant les prochaines élections européennes, ni qu’elle le soit dans des termes qui protègent efficacement l’ensemble des éditeurs et agences de presse.

Agir dès maintenant au niveau national pourrait consolider notre position au plan européen. Cela nous permettrait également de protéger plus efficacement les médias dans leur diversité, alors qu’ils seraient fortement pénalisés si le statu quo devait durer deux ans de plus.

Nous approuvons le principe et les orientations de cette proposition de loi qui vise à une meilleure répartition de la valeur créée par les éditeurs et agences de presse. Ces derniers ne peuvent actuellement pas négocier efficacement avec les nouveaux acteurs numériques ; la valeur créée leur échappe massivement et son partage actuel met en péril la viabilité économique des entreprises de presse écrite qui développent des sites d’information et des services de presse en ligne – les pure players. Les GAFAM tirent des bénéfices disproportionnés des contenus qu’ils exploitent, la recherche de l’information étant précisément l’une des raisons qui pousse les individus à se rendre sur un moteur de recherche ou à se connecter à leur compte Facebook.

Mme Laurence Franceschini, conseillère d’État, a rendu deux rapports soulignant la pertinence de reconnaître ces droits voisins aux éditeurs et agences de presse.

Il faut également noter que les opérateurs et les plateformes numériques ne sont pas de simples hébergeurs : ils jouent de plus en plus un rôle éditorial en hiérarchisant et en mettant en avant certains contenus.

La mutation profonde et l’accélération de la transformation de l’écosystème des médias et de l’industrie culturelle qu’entraîne le déficit de régulation des GAFAM imposent de prendre des mesures rapidement. Le Gouvernement a d’ailleurs conscience de la nécessité de construire un nouvel équilibre global avec les GAFAM, et de responsabiliser ces opérateurs et plateformes numériques. C’est le cas sur le plan fiscal et, avant tout, sur le plan éditorial – on pense aux fake news et la lutte contre les propos haineux. Il faut également le faire en mettant en place une nouvelle régulation de l’audiovisuel, en l’espèce avec la création de droits voisins.

Il nous paraît pertinent et cohérent de légiférer dès à présent sur ce sujet majeur et de montrer à nos partenaires européens, notre détermination à convaincre et agir. Le groupe UDI, Agir et Indépendants aborde ainsi favorablement l’examen de cette proposition de loi qui constitue un signal fort en direction d’un secteur qui a investi massivement pour s’adapter aux nouvelles technologies sans pour autant en retirer les bénéfices auxquels il pouvait légitimement prétendre.

Mme George Pau-Langevin. Notre droit doit évoluer parce que le numérique a bouleversé l’économie d’un système : les éditeurs dénoncent la situation actuelle, et des agences de presse s’estiment spoliées par une captation de la valeur de leur travail.

Vous présentez une proposition de loi qui a pour ambition de traiter le sujet, et de bousculer un peu les instances européennes qui semblent se hâter très lentement pour trouver une solution. En ce sens, le groupe Nouvelle Gauche considère que ce texte est positif.

Nous devons cependant bien réfléchir aux inconvénients d’un tel positionnement. Nous savons en effet qu’il est difficile de se situer par rapport aux instances européennes : si on les bouscule, ça ne va pas, et si on ne les bouscule pas, les choses n’avancent pas. Il semble impossible de faire un choix, bien que j’aie tendance à penser, comme vous, monsieur le rapporteur, que nous devons agir. Nous ne pouvons pas laisser tant de créateurs, de journalistes et d’agences de presse en grande difficulté. Je serais donc plutôt favorable à cette proposition de loi.

Certaines personnes soulignent que des expériences menées dans d’autres pays, notamment en Espagne, n’ont pas eu un résultat positif : elles auraient pénalisé des petits éditeurs indépendants et provoqué une diminution du trafic en ligne. Que répondez-vous à cette objection ?

M. Michel Larive. Les droits voisins des éditeurs de presse en ligne nécessitent une réforme en profondeur. Le secteur va mal. L’adaptation nécessaire au numérique a coûté une fortune aux éditeurs de presse, et ce changement doit être accompagné.

Cette proposition de loi propose, pour assurer la défense des éditeurs de presse, que soit constituée une commission paritaire, composée de représentants des plateformes ainsi que des sociétés éditrices, afin de négocier et de permettre une rémunération de ces dernières par les plateformes. Le groupe La France insoumise considère que cette solution n’est pas la bonne, car elle déplace le débat au niveau du droit voisin des éditeurs pour leur assurer une rémunération.

Cette proposition de loi nous déplaît à deux égards.

Les droits voisins des éditeurs de presse en ligne peuvent venir ligoter la liberté sur le net, ce que nous ne souhaitons pas. Le dispositif et l’exposé des motifs de votre proposition de loi l’affirment d’ailleurs clairement : « Avant toute reproduction, mise à disposition du public, échange, louage ou communication au public de tout ou partie de leurs productions de presse, l’autorisation des éditeurs de services de presse en ligne ou des agences de presse concernés est requise. » Vous créez donc un véritable droit de propriété incorporel.

Nous souhaitons au contraire que quiconque puisse toujours citer, gonfler les contenus, et s’inspirer sur internet pour créer, débattre et apprendre, sans autorisation et sans déférence. Avec cette proposition de loi, vous risquez de scléroser toute la communication numérique. Nous pensons que ce n’est pas la bonne solution.

Le véritable enjeu se situe au niveau de la rétribution des plateformes et des GAFAM par l’utilisation des données des utilisateurs et utilisatrices sur internet. Car c’est bien la collecte de données qui est la manne financière sur laquelle s’appuient ces plateformes. C’est sur la somme de ces données collectées par les éditeurs et par les plateformes qu’est fondée toute la structure économique d’internet.

Nous proposerons une interdiction du profilage des utilisatrices et utilisateurs en vue de la mise en place de publicités ciblées.

Comme le souligne le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne : « S’il doit y avoir une lutte contre la prédominance des GAFAM, ce doit être sur le terrain de l’équité fiscale par rapport à nos entreprises et l’exigence d’une transparence plus forte sur leurs pratiques, qu’il s’agisse du fonctionnement de leurs algorithmes et de leurs services ou de leurs pratiques en matière de respect de la concurrence ! »

Nous voterons en conséquence contre cette proposition de loi, et nous vous proposerons des amendements visant à susciter une réflexion plus globale sur l’économie du numérique.

Mme Céline Calvez. Au-delà de la question de la pertinence de cette proposition de loi au regard du calendrier d’examen de la proposition de directive européenne, se pose le problème des bénéficiaires des droits voisins. Actuellement, de nombreuses entreprises de presse agréées sont accusées de diffuser de fausses informations sur internet. Il apparaît qu’il est difficile de distinguer les entreprises concernées qui deviendraient donc bénéficiaires de droits voisins. La proposition de loi pourrait en conséquence fragiliser la lutte contre les fausses informations. Obliger les plateformes en ligne à subventionner de tels médias serait contre-productif et ne correspondrait ni à l’objectif du Gouvernement ni à celui des institutions européennes qui veulent lutter contre les fausses informations.

Comment peut-on se préserver de ce risque, et comment comptez-vous enrichir le dispositif ?

Mme Virginie Duby-Muller. Cette proposition de loi vise à reconnaître un droit voisin au profit des éditeurs de presse en ligne et des agences de presse. L’objectif est de leur donner le droit de délivrer des licences et d’être rémunérés pour l’utilisation de leur contenu.

Ce texte se veut ambitieux et porte une proposition forte pour les éditeurs de services de presse en ligne. Il fait le choix d’une large protection en visant tout ou partie des publications en ligne incluant aussi les snippets, liens vers les articles de presse accompagnés d’extraits ou de résumés, qui sont au cœur des débats à Bruxelles, mais également les agences de presse qui sont confrontées aux mêmes difficultés que les publications et ont dû consentir des investissements importants dans le numérique.

La numérisation de la presse a eu des effets bénéfiques nombreux et indéniables pour son lectorat en ligne. Le public est aujourd’hui toujours plus diversifié : 92 % des Français consultent la presse d’information générale et politique. Cependant l’indépendance financière de la presse et son pluralisme sont plus que jamais fragilisés par les GAFAM qui captent une partie de la valeur créée, nous en sommes tous conscients.

Aujourd’hui nos entreprises de presse appellent donc de leurs vœux la création d’un droit voisin comme condition indispensable pour consacrer la propriété intellectuelle de leur travail. Elles ont même évoqué une urgence démocratique à intervenir sur ce sujet.

Vous l’avez rappelé : depuis deux ans, les discussions à Bruxelles sont complexes et délicates autour de l’article 11 de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Le rapport de force pour le maintien de ce droit voisin n’est pas acquis et, alors que ce droit existe depuis 1993 pour des industries culturelles comme le cinéma, la musique, ou l’audiovisuel, il ne parvient pas à se mettre en place pour la presse, qui voit s’éloigner la perspective d’une protection à court terme.

Sans préjuger des débats européens, je crois que l’adoption par notre Parlement de la proposition de loi enverrait un signal fort sur la scène internationale. Elle aurait un impact immédiat sur l’économie de la presse et fournirait aux éditeurs des moyens juridiques de dialoguer et de négocier avec des plateformes mondiales, tout en les protégeant. Nous devons agir et être force de proposition sur ce sujet. Il en va de notre responsabilité en tant que parlementaires. Pour conclure, monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir cité mon rapport parlementaire d’octobre 2016 qui soulignait déjà cette urgence.

Mme Fabienne Colboc. Votre initiative pour la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse est une réponse pour améliorer le partage de la valeur créée par la diffusion de l’information sur internet. Comme vous l’avez rappelé, cette question est traitée au niveau européen, puisque les négociations sont en cours sur la directive dite « Copyright » qui souhaite mettre en place un droit similaire. Cela nous amène à considérer que cette proposition de loi n’intervient pas au moment opportun, car la future adoption de la directive nécessitera également une application en droit français.

Je m’interroge aussi sur l’articulation de ce nouveau droit avec la lutte contre les fausses informations qui fera l’objet de la présentation d’une proposition de loi au début du mois de juin. Ne faudrait-il pas prévoir des garanties pour éviter que cette nouvelle protection vienne créer une source de financement supplémentaire pour les entreprises de presse diffusant de fausses informations ?

M. Patrick Mignola, rapporteur. Madame Colboc, madame Calvez, je veux immédiatement vous rassurer : la création d’un droit voisin s’accompagnera de celle d’un organisme de gestion collective pour mener une négociation, puis effectuer la répartition des revenus des ressources ainsi obtenues. Un tel système de gestion collective – il en existe plusieurs en France, comme le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) que notre commission connaît bien – est constitué d’éditeurs connus qui, statutairement, s’acceptent les uns les autres. L’idée même qu’un éditeur diffusant des fausses informations, venant, par exemple, au hasard, de Russie, puisse participer à un organisme de gestion collective européen ou français est donc inenvisageable. Si je me souviens bien, l’objectif 5 du programme pour la culture du candidat à la présidence de la République, M. Emmanuel Macron, prévoyait à la fois de proposer une loi contre les fake news et de soutenir la création d’un droit voisin. Les deux sont donc compatibles.

Vous avez raison, madame Duby-Muller, c’est une chance exceptionnelle que notre pays connaisse une augmentation du lectorat de sa presse. Il s’agit d’un véritable atout démocratique qui nous rappelle notre responsabilité : nous devons faire en sorte que les éditeurs de presse subsistent, mais aussi les journalistes, car ils sont également menacés. Dans un premier temps, il faut assurer un nouvel équilibre de la presse, pour qu’elle continue à payer les salaires d’aujourd’hui, mais, demain, il faudra aussi que les éditeurs de presse soient en mesure de penser à la « co-rémunération » des journalistes si les revenus générés pouvaient excéder les recettes publicitaires attendues.

Monsieur Larive, j’entends ce que vous dites sur la question fiscale et la nécessité de redéfinir l’ensemble de la législation, mais la relation aux GAFAM comporte selon nous trois piliers, l’un est fiscal, l’autre concerne les fakes news, le troisième est relatif aux droits de la presse. Ces trois éléments ne sont pas fongibles, et il faut prendre garde à ne pas apporter une mauvaise réponse. Vous parlez de la liberté d’accès à internet, mais la création d’un droit voisin concerne les plateformes et les « infomédiaires », pas le consommateur final. Ce n’est pas lui qui aura à payer demain, mais bien les diffuseurs, les « tuyaux » de l’information.

Nous ne portons pas atteinte à la liberté de citer, de travailler, voire de parodier, dans la mesure où, comme pour le droit d’auteur, les liens hypertextes sont exclus de la notion de droits voisins.

Il s’agit d’ailleurs du problème vers lequel les GAFAM veulent nous emmener. Maintenant qu’ils ont à peu près compris que le principe du droit voisin serait reconnu puisqu’il fait quasiment l’unanimité en France et que, chemin faisant, une majorité se dégage au niveau européen, ils veulent réduire à néant, en passant par la fenêtre, ce qu’ils ne sont pas parvenus à empêcher en passant par la porte. Ils veulent assimiler le lien hypertexte qui, dans le cadre d’un droit de citation, sera très logiquement préservé et exclu du droit voisin, aux snippets qui pourraient, demain, être constituées de parties entières d’articles – ce qui viderait de sa substance même l’information élaborée par un journaliste.

Aujourd’hui, le droit voisin, loin de restreindre la liberté, permet qu’elle s’exerce. Si l’on reste dans l’état actuel des choses, la seule liberté qui existe est celle des GAFAM de s’enrichir sur le dos des éditeurs de presse, des agences de presse et des journalistes.

M. Pierre-Yves Bournazel a eu raison de bien rappeler le fondement du droit voisin, et ce qui le distingue du droit d’auteur. Ce fondement est la conséquence de l’organisation des éditeurs de presse et de leurs investissements pour la transition numérique.

Mme Pau-Langevin nous a fait part de son expérience de la relation à l’Europe. Faites, et vous ferez mal : c’est un peu comme l’éducation des enfants. S’agissant des expériences menées à l’étranger, je veux revenir sur le cas espagnol qui a conduit à une baisse de la fréquentation en ligne. Du jour au lendemain, lorsque les Espagnols ont créé une sorte de droit de péage, Google a réagi en fermant Google News. La création de ce droit de péage n’avait pas été négociée préalablement – Google a pris sa décision alors que les décrets d’application n’étaient pas signés. Nous avons désormais cinq ans de recul par rapport à des expériences qui ont été des échecs en matière de mise en place du droit voisin : nous savons que la méthode à utiliser ne peut être que collective et préalable. Ce droit voisin doit nécessairement être mis en œuvre dans le cadre d’organisme tel que le CFC, sur le modèle de la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Le cheminement des éditeurs de musique a été très long, mais nous savons bien aujourd’hui que l’industrie musicale se porte largement mieux que celle de la presse.

Je remercie M. Laurent Garcia pour le soutien qu’il apporte à cette proposition de loi que nous avons cosignée au sein du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. Il est important que la France ait une attitude cohérente. Il serait regrettable que nous donnions l’image d’un pays qui ne s’intéresse qu’à la fiscalité, ou aux fake news en période électorale, mais qui procrastine quand il s’agit de faire avancer les droits de la presse.

Je remercie Mme Constance Le Grip dont l’expérience et le témoignage permettent de tempérer l’optimisme de notre collègue Fannette Charvier qui pense que l’aboutissement européen est certain, inéluctable et proche. Je le répète, à ce stade, nous n’avons que des votes reportés et un texte tronqué. Si d’aventure ce projet, dont on nous dit qu’il pourrait être adopté avant la fin de l’année – je n’y crois pas une seconde, mais admettons – arrivait sur la table, la période de validité des droits voisins serait ramenée de vingt ans à un an et ses dispositions se perdraient dans les méandres des confusions entre les hyperliens et les snippets. Ce ne serait même pas la peine de le voter !

Cela dit, admettons, chiche ! La directive aboutit : la réunion a lieu au mois de mai, le vote se déroule au mois de juin, et en septembre, le Parlement européen vote pour – on serait allé au bout du « trilogue », et on aurait battu le record de vitesse de la directive européenne au cours de l’été 2018… Cela ne nous empêche en rien de voter cette proposition de loi le 17 mai prochain. En effet, si la directive était publiée dès le mois d’octobre ou de novembre prochain, nous pourrions la transposer en commission des affaires culturelles lors de la deuxième lecture, au cours de la prochaine « niche parlementaire » du groupe MODEM au mois de novembre – je suis sûr que M. Marc Fesneau, le président de notre groupe, serait susceptible d’accepter que nous l’inscrivions à ce moment-là.

Nous pourrions donc faire œuvre utile puisque, si la directive était votée, comme on nous l’annonce au ministère de la culture, nous n’aurions plus qu’à la transposer, et nous battrions aussi un record de vitesse. À défaut, nous pourrons doter notre pays d’une législation nationale qui fonctionne parce qu’elle a tiré les conséquences des échecs passés d’autres législations.


— 1 —

II.   examen des articles

Article 1er
Reconnaissance d’un droit voisin aux éditeurs de services de presse en ligne
et aux agences de presse

Le présent article a pour objet de reconnaître aux éditeurs de services de presse en ligne ainsi qu’aux agences de presse un droit voisin pour l’utilisation numérique des contenus qu’ils produisent.

À cet effet, il introduit un chapitre VIII (« Droits des éditeurs et agences de presse ») dans le titre unique du livre II (« Les droits voisins du droit d’auteur ») de la première partie (« La propriété littéraire et artistique ») du code de la propriété intellectuelle.

En l’état du droit, ce livre II, consacré aux droits voisins du droit d’auteur, comporte, après un chapitre Ier regroupant des dispositions générales relatives aux droits voisins, six chapitres énonçant le régime applicable aux différents droits voisins aujourd’hui reconnus par la loi, à savoir :

– ceux des artistes-interprètes (chapitre II, articles L. 212-1 à L. 212-15, et chapitre IV, articles L. 214-1 à L. 214-6) ;

– ceux des producteurs de phonogrammes (chapitre III, articles L. 213-1 et L. 213-2, et chapitre IV, articles L. 214-1 à L. 214-6) ;

– ceux des producteurs de vidéogrammes (chapitre V, article L. 215-1) ;

– ceux des entreprises de communication audiovisuelle (chapitre VI, articles L. 216-1 et L. 216-2) ;

– ceux prévus au titre de la télédiffusion par satellite ou de la retransmission par câble, simultanée, intégrale et sans changement, sur le territoire national, de la prestation d’un artiste-interprète, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou des programmes d’une entreprise de communication audiovisuelle (chapitre VII, articles L. 217-1 à L. 217-3).

Il s’agirait d’ajouter à cette liste les droits voisins des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, en complétant le titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle par un chapitre VIII (nouveau) comprenant quatre articles.

En effet, après avoir défini les bénéficiaires des droits voisins – et donc ce qu’il faut entendre par « producteur de phonogramme », « producteur de vidéogramme » et « entreprise de communication audiovisuelle » –, ces différents articles prévoient que l’autorisation de ces derniers est « requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public » d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme (selon le cas).

De la même façon, après avoir précisé ce qu’il faut entendre par « éditeur d’un service de presse en ligne » et par « agence de presse », l’article L. 218‑1 (nouveau) dispose que leur autorisation « est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange, le louage, ou communication au public de tout ou partie de leurs productions ».

Ce droit d’autoriser la reproduction, la mise à disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou la communication au public de tout ou partie de leurs productions est constitutif du droit voisin ainsi reconnu aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse.

Il faut préciser qu’aux termes de l’article L. 218-1 (nouveau), il convient d’entendre par éditeurs de services de presse en ligne ceux qui éditent un service de communication au public au sens du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. Aux termes de cet alinéa, « on entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ».

Par ailleurs, pour déterminer ce qu’il convient d’entendre par « agence de presse », l’article L. 218-1 (nouveau) renvoie à la définition qu’en donne l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 portant réglementation provisoire des agences de presse. Aux termes de cet article 1er, « sont considérées comme agences de presse […] les entreprises commerciales qui collectent, traitent, mettent en forme et fournissent à titre professionnel tous éléments d’information ayant fait l’objet sous leur propre responsabilité d’un traitement journalistique et dont la moitié au moins du chiffre d’affaires provient de la fourniture de ces éléments à des entreprises éditrices de publications de presse, au sens de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ([61]), à des éditeurs de services de communication au public par voie électronique et à des agences de presse ».

Cet article L. 218-2 (nouveau) dispose que deux types d’acteurs devront obtenir l’autorisation préalable des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, pour la reproduction, la mise à disposition du public et la communication au public de tout ou partie de leurs productions, à savoir :

– les prestataires de services qui exploitent ces productions à des fins directement ou indirectement commerciales ;

– les opérateurs de plateformes en ligne qui mettent à la disposition du public ces productions (en tout ou partie) ou qui permettent au public d’y accéder (en tout ou partie, là encore).

Afin de préciser ce qu’il faut entendre par « opérateur de plateforme en ligne », l’article L. 218-2 (nouveau) renvoie à la définition qu’en donne l’article L. 111-7 du code de la consommation. Le I de cet article L. 111-7 dispose en effet qu’« est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° La mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. »

La possibilité ouverte aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse de céder leur droit voisin n’a rien d’exorbitante. Par exemple, les droits voisins des artistes-interprètes peuvent également faire l’objet de cessions – c’est-à-dire de transferts de propriété définitifs, à titre gratuit ou onéreux, entre vifs ou à cause de mort –, tout comme les droits d’auteur ([62]).

Il n’y a rien non plus d’exceptionnel à prévoir que les droits voisins des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse pourront faire l’objet de licences d’exploitation, c’est-à-dire de concessions d’un droit d’usage précaire sur tout ou partie des productions, pour une durée et périmètre géographique déterminés, en contrepartie d’un prix, d’un forfait ou d’une redevance. C’est aussi le cas pour les autres droits voisins, comme celui des entreprises de communication audiovisuelle, dont c’est le « mode habituel d’exercice » ([63]). La loi impose même une licence aux artistes-interprètes et aux producteurs titulaires de droits voisins sur les phonogrammes du commerce, en contrepartie d’une rémunération. L’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle dispose en effet que « lorsqu’un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer : 1° à sa communication directe dans un lieu public, dès lors qu’il n’est pas utilisé dans un spectacle ; 2° à sa radiodiffusion et à sa câblo-distribution simultanée et intégrale, ainsi qu’à sa reproduction strictement réservée à ces fins, effectuée par ou pour le compte d’entreprises de communication audiovisuelle en vue de sonoriser leurs programmes propres diffusés sur leur antenne ainsi que sur celles des entreprises de communication audiovisuelle qui acquittent la rémunération équitable ».

L’article L. 321-1 de ce code dispose que « les organismes de gestion collective sont des personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l’objet principal consiste à gérer le droit d’auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, […] à leur profit collectif, soit en vertu de dispositions légales, soit en exécution d’un contrat. Ces organismes doivent : 1° soit être contrôlés par leurs membres titulaires de droits [d’auteur ou de droits voisins] ; 2° soit être à but non lucratif ».

Les organismes de gestion collective des droits d’auteur
et des droits voisins en France

On dénombre une vingtaine d’organismes de gestion collective chargés de percevoir et de répartir des droits d’auteur et des droits voisins en France :

- douze sociétés d’auteurs et d’éditeurs : Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF), Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Société civile des auteurs multimédia (SCAM), Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA), Société civile des éditeurs de langue française (SCELF), Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs (SDRM), Société des auteurs et éditeurs de musique (SEAM), Guichet commun gérant les droits des auteurs dans le multimédia  (SESAM), Société des auteurs de jeux (SAJE) ;

- deux sociétés d’artistes-interprètes : Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM) ;

- cinq sociétés de producteurs : Agence nationale de gestion des œuvres audiovisuelles (ANGOA), Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) ; Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), Société civile des producteurs associés (SCPA), Société des producteurs de cinéma et de télévision (PROCIREP) ;

- deux sociétés communes à différentes catégories : Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE), Copie-France, société pour la perception de la rémunération de la copie privée sonore et audiovisuelle.

Ces organismes doivent agir au mieux des intérêts des titulaires de droits qu’ils représentent et ne peuvent leur imposer des obligations qui ne sont pas objectivement nécessaires pour protéger leurs droits et leurs intérêts ou pour assurer une gestion efficace de leurs droits.

Ils peuvent notamment mener des actions de promotion de la culture et fournir des services sociaux, culturels et éducatifs dans l’intérêt des titulaires de droits qu’ils représentent et du public.

L’article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle ajoute que « les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant. Ils ont également qualité pour siéger au sein des organes compétents pour délibérer en matière de protection sociale, prévoyance et formation des titulaires de droits qu’ils représentent, sous réserve des règles applicables à la représentation des syndicats professionnels conformément aux dispositions du code du travail ».

En vertu de l’article L. 322-3 du même code, l’autorisation de gestion des droits par l’organisme de gestion collective porte, au choix du titulaire, sur tout ou partie des droits, catégories de droits, types d’œuvres ou autres objets protégés et territoires définis par les statuts ou le règlement général de l’organisme. L’étendue de cette autorisation est précisée dans un document auquel le titulaire de droits a donné son consentement, y compris par voie électronique.

Il faut cependant préciser que la liberté de définir l’étendue des droits que leur titulaire autorise un organisme à gérer ne fait pas obstacle à ce que l’organisme fixe, compte tenu de son objet social, de son activité et de ses moyens, les cas dans lesquels un apport de droits indissociables peut être imposé en vue d’en garantir une gestion efficiente.

En application de l’article L. 322-4 du code de la propriété intellectuelle, les organismes de gestion collective sont tenus d’accepter la gestion des droits dans les conditions prévues à l’article L. 322-3, dès lors que cette gestion relève de leur domaine d’activité. Les conditions qu’ils peuvent fixer doivent reposer sur des critères publics, objectifs, transparents et non discriminatoires. Le refus d’un organisme d’accéder à une demande de gestion de droits patrimoniaux doit être écrit et énoncer les motifs de droit et de fait de la décision.

L’organisation et le fonctionnement des organismes de gestion collective sont détaillés aux chapitres III, IV et V du titre II du livre III de la première partie du code de la propriété intellectuelle.

Le chapitre VI de ce même titre II prévoit un certain nombre d’exigences de transparence, d’obligations d’information et de procédures de contrôle, à l’initiative des commissaires aux comptes mais aussi du ministre chargé de la culture. Ainsi, conformément à l’article L. 326-9 du code de la propriété intellectuelle, les projets de statuts et de règlements généraux des organismes de gestion collective sont adressés, préalablement à la constitution de ceux-ci, au ministre chargé de la culture. Dans les deux mois de leur réception, le ministre peut saisir le tribunal de grande instance au cas où des motifs réels et sérieux s’opposeraient à la constitution d’un de ces organismes. Le tribunal apprécie alors la qualification professionnelle des fondateurs de ces organismes, les moyens humains et matériels qu’ils proposent de mettre en œuvre pour assurer le recouvrement des droits et l’exploitation de leur répertoire ainsi que la conformité de leurs statuts et de leur règlement général à la réglementation en vigueur.

Tout organisme de gestion collective est par ailleurs tenu de communiquer ses comptes annuels au ministre chargé de la culture ([64]) qui peut également demander à ce que lui soit transmis tout document relatif à la perception et à la répartition des revenus provenant de l’exploitation des droits, dans le respect de la vie privée, du secret des affaires et de la protection des données personnelles ([65]). Doit en outre être porté à sa connaissance, deux mois au moins avant son examen par l’assemblée générale, tout projet de modification de ses statuts, de son règlement général ou de sa politique générale de répartition des sommes dues aux titulaires de droits ([66]). Si le ministre chargé de la culture estime que des motifs réels et sérieux justifient la dissolution d’un organisme de gestion collective, il peut saisir le tribunal compétent ([67]).

Sans aller jusqu’à cette extrémité, il peut aussi, à tout moment, saisir la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins lorsque ses observations tendant à la mise en conformité des dispositions des statuts, du règlement général ou d’une décision des organes sociaux avec la réglementation en vigueur n’ont pas été suivies d’effet dans un délai de deux mois à compter de leur transmission, ou de six mois si une décision de l’assemblée des membres est nécessaire ([68]).

Le chapitre VII du titre II du livre III de la première partie du code de la propriété intellectuelle institue en effet une commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins qui assure :

– 1° une mission permanente de contrôle des comptes et de la gestion des organismes de gestion collective ainsi que de leurs filiales et des organismes contrôlés par elles ;

– 2° une mission de contrôle du respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle par les organismes de gestion collective et leurs filiales ;

– 3° une mission de médiation entre les organismes de gestion collective, d’une part, et, d’autre part, les prestataires de services en ligne, pour les litiges relatifs à l’octroi d’autorisations d’exploitation, ou les titulaires de droits, les prestataires de services en ligne ou les autres organismes de gestion collective, pour les litiges relatifs aux autorisations d’exploitation multiterritoriales de droits en ligne sur les œuvres musicales ([69]).

La commission de contrôle est composée d’un collège des sanctions et d’un collège de contrôle, composés respectivement de trois et cinq membres nommés par décret et appartenant aux institutions que sont la Cour des comptes, le Conseil d’État et la Cour de cassation et, s’agissant du collège de contrôle, aux corps de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de l’administration des affaires culturelles (IGAC) ([70]).

Le renvoi aux dispositions du titre II du livre III de la première partie du code de la propriété intellectuelle qu’opère le second alinéa de l’article L. 218‑3 (nouveau) garantit ainsi l’application du dispositif très encadré actuellement applicable aux organismes de gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins, si les éditeurs de services de presse en ligne et les agences de presse souhaitent recourir à ce type d’organismes pour assurer une gestion optimale des droits voisins que leur reconnaît l’article L. 218-1 (nouveau).

Ainsi, les prestataires de services qui exploitent tout ou partie de leurs productions à des fins directement ou indirectement commerciales et les opérateurs de plateformes en ligne qui mettent à la disposition du public tout ou partie de ces mêmes productions ou qui permettent au public d’y accéder devront conclure des conventions :

– soit directement avec les éditeurs et agences de presse titulaires des droits voisins ;

– soit avec leurs organisations représentatives ;

– soit avec les organismes de gestion collective auxquels des éditeurs de services de presse en ligne et/ou des agences de presse auront décidé de confier la gestion de leurs droits.

Comme pour d’autres droits voisins, comme celui des artistes-interprètes, la rémunération des éditeurs de services de presse ligne et des agences de presse titulaires de droits voisins pourra être soit proportionnelle à l’exploitation de leurs productions par les débiteurs desdits droits voisins, soit forfaitaire.

Enfin, sur le modèle de ce qui est prévu pour les accords fixant le barème et les modalités de versement des rémunérations conclus entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant lesdits phonogrammes ([71]), le ministre chargé de la culture pourra, par arrêté, rendre obligatoires pour l’ensemble des intéressés les stipulations des accords passés entre les débiteurs du droit voisin des éditeurs et des agences de presse, d’une part, et les titulaires de ce droit, leurs organisations représentatives ou leurs organismes de gestion collective, d’autre part.

Le recours à de tels arrêtés d’extension est bien connu en matière d’accords de rémunération conclus entre les artistes-interprètes et les producteurs d’œuvre audiovisuelle ([72]). Il est donc cohérent de le prévoir pour les accords de rémunération susceptibles d’intervenir entre titulaires et débiteurs du droit voisin des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse.

– conclus dans les six mois suivant la publication de la présente loi ;

– renégociés ou prorogés en temps utile, s’ils ont déjà été conclus une ou plusieurs fois.

  Là encore, le dispositif proposé est cohérent avec ce qui est prévu pour d’autres droits voisins.

Ainsi, s’agissant des accords de rémunération conclus entre artistes‑interprètes et producteurs d’œuvre audiovisuelle, l’article L. 212-9 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu’« à défaut d’accord conclu […] à la date d’expiration du précédent accord, les modes et les bases de rémunération des artistes-interprètes sont déterminés, pour chaque secteur d’activité, par une commission présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par le premier président de la Cour de cassation et composée, en outre, d’un membre du Conseil d’État, désigné par le vice-président du Conseil d’État, d’une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé de la culture et, en nombre égal, de représentants des organisations de salariés et de représentants des organisations d’employeurs. La commission se détermine à la majorité de membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante. La commission se prononce dans les trois mois suivant l’expiration [du précédent accord]. Sa décision a effet pour une durée de trois ans, sauf accord des intéressés intervenu avant ce terme ».

De la même façon, s’agissant des accords de rémunération conclus entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant les phonogrammes, l’article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « si aucun accord n’est intervenu à l’expiration du précédent accord, le barème de rémunération et des modalités de versement de la rémunération sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en nombre égal, d’une part, de membres désignés par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, d’autre part, de membres désignés par les organisations représentant les personnes qui, dans la branche d’activité concernée, utilisent les phonogrammes. Les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture. La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante. Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel de la République française » ([73]).

C’est plus particulièrement de ce dernier dispositif que le II de l’article L. 218-4 (nouveau) tend à s’inspirer.

Ce II prévoit en effet qu’à défaut de conclusion d’un accord sur la rémunération des éditeurs et agences de presse titulaires du droit voisin dans les six mois à compter de la publication de la présente loi, ou avant la date d’expiration d’un précédent accord, le montant et les modalités de cette rémunération sont établis par une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en nombre égal, de membres désignés par les organisations représentatives, d’une part, des créanciers et, d’autre part, des débiteurs de ladite rémunération.

Les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

Enfin, les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel de la République française.

*

La commission examine l’amendement AC5 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. En préalable, permettez-moi d’indiquer que je suis favorable à la création d’un droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne eu égard aux impératifs économiques et éthiques évoqués par M. le rapporteur et nombre de nos collègues.

Cet amendement, qui vise à améliorer le texte, affirme le principe de transparence et de droit à l’information des ayants droit, principe qui figure d’ailleurs dans la proposition de directive européenne.

Face à la puissance des GAFAM, il est important d’établir, de manière claire, des obligations de transparence dans le cadre des futures négociations des accords entre les différentes parties, en particulier lorsque les titulaires de droits ont confié la gestion de ceux-ci à un ou plusieurs organismes de gestion collective.

M. Patrick Mignola, rapporteur. Avis défavorable. Entre les lignes, on voit que la question de la rémunération des journalistes est posée. La transparence de l’organisme de gestion doit être totale. Cependant l’amendement serait redondant avec l’alinéa 12 de l’article 1er de la proposition de loi.

À mon avis, la « co-rémunération » des journalistes doit relever de ce qui a été proposé par le Parlement français dans le cadre des ordonnances sur le travail, c’est-à-dire des accords d’entreprise. Je ne doute pas que le Syndicat national des journalistes (SNJ) sera en mesure de défendre les prérogatives des journalistes si, demain, les droits en question pouvaient être appliqués et faire l’objet de rémunérations.

Mme Fannette Charvier. Cet amendement ne permettrait pas d’atteindre l’objectif poursuivi puisque, d’une part, l’obligation de fournir des informations sur l’exploitation des œuvres n’est imposée qu’au cessionnaire des droits – les plateformes numériques ne sont pas cessionnaires des droits des éditeurs, elles bénéficient seulement d’une autorisation de diffusion. D’autre part, l’obligation de fournir des informations ne porterait que sur l’exploitation des œuvres et des interprétations. Dans ces conditions, seuls les auteurs et les artistes-interprètes pourraient bénéficier de ces informations, les éditeurs ne seraient pas concernés. Le groupe La République en Marche votera contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

Article 2
Articulation avec les exceptions aux droits voisins

Le présent article vise à garantir que les exceptions aux droits voisins prévues par l’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes d’un éditeur d’un service de presse en ligne ou d’une agence de presse.

En effet, l’article L. 211-3 précité transpose peu ou prou, sur le terrain des droits voisins, les exceptions au monopole d’auteur prévues par l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

Les exceptions au droit d’auteur

En vertu de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :

1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;

2° Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des œuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde […] ainsi que des copies ou des reproductions d’une base de données électronique ;

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;

b) Les revues de presse ;

c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de télédiffusion, à titre d’information d’actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles ;

d) Les reproductions, intégrales ou partielles d’œuvres d’art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue d’une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les œuvres d’art mises en vente ;

e) La représentation ou la reproduction d’extraits d’œuvres, sous réserve des œuvres conçues à des fins pédagogiques et des partitions de musique, à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, y compris pour l’élaboration et la diffusion de sujets d’examens ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que cette représentation ou cette reproduction est destinée, notamment au moyen d’un espace numérique de travail, à un public composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche nécessitant cette représentation ou cette reproduction, qu’elle ne fait l’objet d’aucune publication ou diffusion à un tiers au public ainsi constitué, que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie […] ;

4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ;

5° Les actes nécessaires à l’accès au contenu d’une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l’utilisation prévue par contrat ;

6° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire […] ;

[…] la reproduction et la représentation par des personnes morales et par les établissements ouverts au public, tels que les bibliothèques, les archives, les centres de documentation et les espaces culturels multimédia, en vue d’une consultation strictement personnelle de l’œuvre par des personnes atteintes d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques et empêchées, du fait de ces déficiences, d’accéder à l’œuvre dans la forme sous laquelle l’auteur la rend disponible au public ;

8° La reproduction d’une œuvre et sa représentation effectuées à des fins de conservation ou destinées à préserver les conditions de sa consultation à des fins de recherche ou d’études privées par des particuliers, dans les locaux de l’établissement et sur des terminaux dédiés par des bibliothèques accessibles au public, par des musées ou par des services d’archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial ;

9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur ; […]

10° Les copies ou reproductions numériques réalisées à partir d’une source licite, en vue de l’exploration de textes et de données incluses ou associées aux écrits scientifiques pour les besoins de la recherche publique, à l’exclusion de toute finalité commerciale […] ;

11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».

Toutes ces exceptions ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

L’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle assortit les droits voisins des mêmes exceptions que celles prévues pour le droit d’auteur, à quelques réserves près.

En application de ce texte, les bénéficiaires des droits voisins ne peuvent interdire l’utilisation de la source de leurs droits à des fins de représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille, de copie privée, d’analyses et de courtes citations, de revues de presse, de diffusion de discours à titre d’actualité, ou encore de parodie. La loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a également étendu aux droits voisins les exceptions prévues pour :

– les reproductions provisoires ;

– les utilisations au profit de personnes en situation de handicap ;

– les reproductions effectuées par des bibliothèques accessibles au public, des musées ou des services d’archives ;

 – l’utilisation à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche.

Par ailleurs, tout comme le droit d’auteur, les droits voisins « ne peuvent faire échec aux actes nécessaires à l’accomplissement d’une procédure parlementaire de contrôle, juridictionnelle ou administrative prévue par la loi, ou entrepris à des fins de sécurité publique » ([74]).

Il faut cependant noter que certaines exceptions, prévues par l’article L. 122-5 précité pour le droit d’auteur, ne sont pas reprises à l’article L. 211-3 pour les droits voisins. Ainsi, l’exception faite au monopole d’auteur pour « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière » (article L. 122-5, 9°), ne figure pas à l’article L. 211-3. Pas plus, du reste, que l’exception de panorama introduite au 11° de l’article L. 122-5 par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, ou que l’exception concernant l’exploration de données introduite au 10° du même article L. 122-5 par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

 Il faut également rappeler que des exceptions énoncées par d’autres textes que l’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle sont propres aux droits voisins. Par exemple, l’article L. 212-3-5 du même code prévoit que « les artistes-interprètes ne peuvent interdire la reproduction et la communication publique de leur prestation si elle est accessoire à un événement constituant le sujet principal d’une séquence d’une œuvre ou d’un document audiovisuel ».

Afin de tirer les conséquences, pour le dispositif des exceptions aux droits voisins, de la création, par l’article 1er de la proposition de loi d’un nouveau droit voisin au bénéfice des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, le présent article propose de compléter le dernier alinéa de l’article L. 211‑3 du code de la propriété intellectuelle. Ainsi, il sera garanti que les exceptions aux droits voisins ne peuvent causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse ni porter atteinte à l’exploitation normale de leurs productions.

*

La commission est saisie de l’amendement AC1 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Il vise à corriger un défaut de notre législation relative au droit d’auteur. L’article 2 de la proposition de loi permet d’éviter un écueil important que pourrait susciter la mise en place des droits voisins : l’interdiction de la citation via des hyperliens sur le web. Sans cette disposition, les droits voisins pourraient emporter une véritable censure sur internet, comme le soulignait le professeur Christian Höppner, spécialiste allemand de droit commercial : « Ceci est un droit à la prohibition. C’est un droit qui permet de s’assurer qu’il n’y a pas de plateformes qui apparaissent n’importe où, n’importe quand, exploitent des contenus publiés ailleurs et basent là-dessus leur modèle commercial. Le but premier et principal est d’empêcher ces exploitations commerciales – purement et simplement, d’empêcher leur existence. »

Nous proposons d’étendre au droit d’auteur cette disposition qui permet d’autoriser les courtes citations et analyses sans qu’elles touchent au droit voisin des sociétés éditrices de presse en ligne.

En effet, une importante quantité de contenus est protégée par le droit d’auteur sur internet : si les courtes citations et analyses sont possibles concernant la presse, elles ne le sont pas pour tout ce qui touche aux productions audiovisuelles. Il faut aujourd’hui corriger cela.

M. Patrick Mignola, rapporteur. Avis défavorable. Nous sommes d’accord sur l’objectif, mais je crois qu’il y a malentendu pour ce qui concerne l’application du texte. Le droit voisin est un droit économique parallèle au droit d’auteur : les exclusions du droit voisin sont les mêmes que celles du droit d’auteur. De fait, l’utilisation des hyperliens reste possible et ne peut pas être empêchée par le droit voisin.

En revanche, en voulant bien faire, vous ajoutez huit mots dans le code de la propriété intellectuelle, « dans la mesure justifiée par le but poursuivi », qui risquent de fragiliser l’ensemble du dispositif, car ils obligeraient l’utilisateur d’un hyperlien à se justifier. Je ne suis pas favorable à l’idée de renverser la charge de la preuve pour la faire peser sur l’usager : elle doit s’imposer aux GAFAM.

Cette approche serait par ailleurs restrictive. On peut aujourd’hui utiliser les hyperliens dans un cadre privé ou non commercial. Il est préférable de s’en tenir à l’état actuel du code de la propriété intellectuelle qui exclut l’ensemble des hyperliens de l’application des droits d’auteur.

Mme Fannette Charvier. Compte tenu de la façon dont il s’insère dans le code de la propriété intellectuelle, cet amendement vise les droits d’auteur concernant les œuvres audiovisuelles. Il ne concerne ni les droits voisins, ni les éditeurs de presse. Il faut bien conserver la distinction entre les droits d’auteur, qui constituent un droit de création, un droit intellectuel, et les droits voisins qui sont en droit d’investissement, un droit économique. Il faut bien différencier les deux pour pouvoir préserver les rémunérations tant des journalistes que des éditeurs de presse.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3
Durée du droit voisin reconnu aux éditeurs de services de presse en ligne
et aux agences de presse

Le présent article fixe à vingt ans la durée des droits patrimoniaux reconnus aux éditeurs de services de presse en ligne et aux agences de presse au titre de leurs droits voisins – étant précisé que ce délai vicennal court à compter du 1er janvier de l’année suivant la date de publication de la publication de presse.

À cette fin, le présent article complète l’article L. 211-4 du code de la propriété intellectuelle qui fixe la durée des droits patrimoniaux attachés aux différents droits voisins reconnus par la loi.

Le I de cet article dispose ainsi que « la durée des droits patrimoniaux des artistes-interprètes est de cinquante années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de l’interprétation » ([75]).

C’est également une durée de cinquante années qui a été retenue, respectivement par les II, III et IV du même article, pour les droits patrimoniaux des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle – étant précisé que, selon le cas, cette durée court à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première fixation d’une séquence de son ([76]), ou d’une séquence d’images, sonorisées ou non ([77]), ou de la première communication au public des programmes.

S’agissant des droits voisins des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse, le présent article propose de retenir une durée, non pas de cinquante années, mais de vingt années à compter du 1er janvier de l’année suivant celle de la date de la publication de la publication de presse.

Il s’agit en effet de prévoir une durée des droits patrimoniaux des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse qui soit cohérente avec celle envisagée au paragraphe 4 de l’article 11 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, présentée le 14 septembre 2016. Le paragraphe 4 de cet article 11 prévoit en effet que le droit voisin qui serait reconnu aux éditeurs de publications de presse, pour l’utilisation numérique desdites publications, en vertu du paragraphe 1 du même article expire « 20 ans après la publication de la publication de presse » et que « cette durée est calculée à partir du 1er janvier de l’année suivant la date de publication ».

*

La commission rejette l’article 3.

Article 4
Sanction de la violation du droit voisin reconnu aux éditeurs de services
de presse en ligne et aux agences de presse

Le présent article vise à étendre au régime des droits voisins des éditeurs de services de presse en ligne et des agences de presse les sanctions prévues en cas de violation des autres droits voisins.

Pour ce faire, le présent article modifie le premier alinéa de l’article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle.

En l’état du droit, ce texte dispose qu’« est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artisteinterprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l’entreprise de communication audiovisuelle ».

Il s’agit de sanctionner également par trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende la fixation, la reproduction, la communication ou la mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou encore la télédiffusion d’une publication de presse, lorsqu’elle a été réalisée sans l’autorisation de l’éditeur d’un service de presse en ligne ou d’une agence de presse, alors même que cette autorisation était requise.

Il convient de préciser que, conformément au dernier alinéa de l’article L. 335-4 précité, ces peines seront portées à sept ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende lorsque le délit de fixation, reproduction, communication, mise à disposition du public, ou télédiffusion de la publication de presse sans l’accord de l’éditeur d’un service de presse en ligne ou de l’agence de presse, aura été commis en bande organisée.

Il n’y a en revanche pas lieu d’étendre au régime des droits voisins des éditeurs et agences de presse les dispositions des deuxième à quatrième alinéas de l’article L. 335-4, qui incriminent spécifiquement des faits portant atteinte aux droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes.

*

La commission rejette l’article 4.

Après l’article 4

La commission examine l’amendement AC2 de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. La proposition de loi que nous examinons entend rétablir un droit à autorisation et à rémunération des éditeurs de presse en ligne, par la mise en place d’une commission qui serait chargée de la négociation avec les GAFAM.

Cette rémunération semble rendue nécessaire par les efforts d’adaptation au numérique consentis par les éditeurs de presse. Elle pourrait sembler juste au vu des profits que les GAFAM tirent de l’utilisation des données personnelles des utilisateurs et utilisatrices des données en ligne produites par ces éditeurs. Ces données permettent aux GAFAM de vendre des encarts publicitaires très ciblés et d’en tirer un profit qui ne revient pas aux éditeurs de presse.

Au-delà de la question de savoir qui s’empare du butin amassé grâce à l’utilisation des données personnelles à des fins commerciales, le souci réside selon moi dans la possibilité que ces sociétés prélèvent des données personnelles, avec les dérives de manipulation de l’information et de l’opinion que cela induit. Nous proposons en conséquence d’interdire l’utilisation des données personnelles à des fins commerciales par les GAFAM.

M. Patrick Mignola, rapporteur. Avis défavorable. J’entends le propos, monsieur Larive, mais je crains que cette proposition de loi ne soit pas le véhicule idoine pour votre amendement. Ce texte vise à régler un type de relation entre, d’une part, les éditeurs et agences de presse et, d’autre part, les GAFAM, et non à entrer dans le moteur de ces derniers – même si plusieurs des phrases que vous avez prononcées peuvent trouver un écho favorable dans l’esprit d’un certain nombre d’entre nous.

La commission rejette amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC3 de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. Cet amendement prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la rénovation des aides à la presse en ligne afin d’étudier non seulement l’aide à la transition au numérique des titres existants, mais aussi l’aide à la création de nouveaux médias.

La création de nouveaux médias en ligne est un véritable combat. Le modèle économique des aides à la presse en ligne ne permet pas aux titres qui se créent de s’inscrire avec sérénité dans la durée.

Le groupe MODEM a identifié le problème de financement des éditeurs de presse en ligne, et il a raison, mais je considère que sa solution n’est pas la bonne. Elle s’appuie sur un modèle économique qui ne respecte pas les droits et libertés des usagers. Le rapport que nous appelons de nos vœux permettrait d’apporter des solutions nouvelles plus protectrices pour les internautes, et plus sûres pour nos éditeurs et éditrices.

M. Patrick Mignola, rapporteur. C’est intéressant parce que s’il y a l’irruption d’une nouveauté dans le cadre démocratique aujourd’hui, c’est bien celle de l’omniprésence des GAFAM. Nous pourrions disposer d’un rapport qui s’intéresse au fiscal, à l’éditorial, à l’intime, à la donnée personnelle, à l’économie. Cela pourrait particulièrement intéresser le Gouvernement pour ce qui concerne les aides à la presse en ligne. Dans une période où, si j’ai bien compris, l’État est désargenté, il ne serait pas complètement inutile, dans l’hypothèse où un droit voisin serait adopté pour les éditeurs de presse, que demain, ces derniers n’aient plus besoin d’être soutenus par de l’argent public. Avis favorable.

Mme Fannette Charvier. Chaque année, à l’occasion de l’examen des crédits budgétaires, les aides à la presse font l’objet d’évaluation détaillée par le Parlement sur la base de questionnaires adressés au Gouvernement. L’exercice est encore renforcé cette année dans le cadre du « Printemps de l’évaluation ». La ministre de la culture sera ainsi auditionnée par la commission des finances sur l’évaluation des aides à la presse, en présence de la rapporteure spéciale, Mme Marie-Ange Magne, qui établira ensuite un rapport d’évaluation.

Dans ce contexte, la remise d’un rapport spécifique par le Gouvernement sur la rénovation des aides à la presse semble superfétatoire. Le groupe La République en Marche votera donc contre cet amendement.

Mme Constance Le Grip. J’apporte le soutien du groupe Les Républicains à cet amendement. Des données et des informations sont certes déjà disponibles, mais elles sont parfois dispersées et parviennent au Parlement au gré des sujets abordés. Il serait intéressant de disposer d’un rapport exhaustif qui actualise les éléments dont nous avons besoin pour nourrir nos débats.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC4 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Cet amendement demande qu’un rapport soit remis au Parlement comprenant une analyse prospective poussée des conséquences de la prise en compte des résultats au titre du chiffre d’affaires pour la détermination de l’assiette de l’impôt des GAFAM.

Ce rapport devra déterminer la meilleure méthode de calcul de l’impôt pour les finances publiques et définira des sanctions appropriées pour décourager les GAFAM de procéder à de l’évasion ou de la fraude fiscale.

Nous suggérons par exemple de mener une réflexion sur la possibilité de ne plus imposer les GAFAM sur le bénéfice réalisé, mais sur le chiffre d’affaires, ce qui permettrait d’avoir une appréhension territoriale de l’activité et des résultats réalisés sur un lieu géographique déterminé.

La France insoumise mène actuellement une campagne de lutte contre l’exil fiscal : les différents acteurs avec lesquels nous sommes entrés en contact pointent directement du doigt Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Nous enverrions un signal fort en réfléchissant à une taxation plus juste de ces entreprises.

M. Patrick Mignola, rapporteur. Avis défavorable. Comme pour l’amendement précédent, je crains que la proposition de loi ne soit pas le bon véhicule. J’ajoute, qu’avant de savoir si l’on taxe le chiffre d’affaires ou le résultat net des GAFAM, il faudrait déjà parvenir à taxer ces derniers. Aujourd’hui, l’impôt sur les sociétés ne s’appliquent pas forcément à ces entreprises comme il le devrait, en tout cas, pas comme il s’applique aux PME comme celle que j’ai l’honneur de diriger.

Je profite de ma dernière prise de parole pour saluer le travail effectué par les administrateurs de notre commission sur ce texte, et remercier celles et ceux qui ont participé aux auditions, en espérant que le mauvais signal que nous enverrons aux éditeurs de presse en rejetant cette proposition de loi en commission sera rectifié, la semaine prochaine, dans l’hémicycle.

La commission rejette l’amendement.

*

*     *

La commission ayant rejeté l’ensemble des articles, la proposition de loi est rejetée.

En conséquence, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte initial de la proposition de loi.

 

 


—  1  —

Annexe 1:
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(par ordre chronologique)

 

     Google (*)  M. Cédric Manara, directeur juridique chargé des questions de droits d’auteur, et M. Thibault Guiroy, responsable des relations institutionnelles

     Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (GESTE)Mme Corinne Denis, ancienne présidente, directrice du numérique et du développement des revenus chez Lagardère Active, Mme Marie-Pierre Ombrédanne, fondatrice de Delicity, et M. Amélien Delahaie, juriste

     Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) ‑ M. Laurent Bérard-Quelin, président, M. Christian Bruneau, président d’honneur, M. Charles-Henry Dubail, président de la commission juridique, et M. Boris Bizic, directeur juridique

     Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) (*)  Mme Pascale Marie, directrice générale, et M. Patrick Sergeant, représentant du SEPM au conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA)

     Mme Laurence Franceschini, conseillère d’État, auteure de deux rapports sur le droit voisin des éditeurs de publications de presse présentés au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA)

     Agence France presse (AFP) M. Fabrice Fries, président-directeur général, Mme Christine Buhagiar, directrice Europe et M. Christophe Walter-Petit, directeur juridique

     Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) M. Philippe Masseron, directeur général-gérant

     L’Opinion – M. Nicolas Beytout, président fondateur de « L’Opinion » et de lopinion.fr, directeur de la publication et directeur de la rédaction

 

     Audition commune :

       Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN)  M. Francis Morel, président, et M. Denis Bouchez, directeur

       Union de la presse en région (UPREG) – M. Jean-Michel Baylet, président, Mme Maud Grillard, directrice, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère relations avec les pouvoirs publics

       Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR) M. Bruno Hocquart de Turtot, directeur général, M. Jean-Pierre de Kerraoul, vice-président

     Fédération française des agences de presse (FFAP) ‑ M. Christophe Mansier, vice-président, président du Syndicat des agences de presse photographiques d’information et de reportage (SAPHIR), et Mme Florence Braka, chargée de mission affaires juridiques et sociales

     Facebook (*)  M. Anton Battesti, responsable des affaires publiques

     Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) (*) M. Jean-Christophe Boulanger, président du SPIIL, président de Contexte, et Mme Karen Autret, directrice du SPIIL

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale


—  1  —

Annexe 2:
Liste des textes susceptibles d’être abrogés
ou modifiés à l’occasion de l’examen
de la proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

1er

Code de la propriété intellectuelle

Chapitre VIII du titre unique du livre II de la première partie [nouveau]

2

Code de la propriété intellectuelle

L211-3 dernier alinéa

3

Code de la propriété intellectuelle

L211-4 après dernier alinéa

4

Code de la propriété intellectuelle

L335-4 premier alinéa

 


([1])  Par référence à Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

([2])  O. Ubertalli, « L’offensive des médias français pour survivre aux Gafa », Le Point, 28 août 2017.

([3])  Le terme « infomédiaires » désigne les moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateformes d’échange et autres acteurs technologiques qui organisent l’accès à l’information pour les internautes. Il s’agit notamment des « GAFAM », qui sont devenus incontournables sur le marché de l’information en ligne.

([4])  Article 11 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, 14 septembre 2016.

([5])  Cet article dispose que « selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions [d’actes, notamment législatifs, de l’Union européenne] ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne ».

([6])  Proposition de résolution européenne n° 4137 (XIVe législature).

([7]) Loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.

([8]) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006.

([9]) Voir le lien suivant : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-au-parlement-europeen/

([10]) Rapport n° 4126, tome VI, (XIVe législature) sur le projet de loi de finances pour 2017, présenté, au nom de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, par Mme Virginie Duby-Muller, députée, octobre 2016, p. 46.

([11]) D’après les représentants de la FNPS, Google aurait en outre lancé une offre, à l’échelle mondiale, pour financer à hauteur de 300 millions d’euros des projets destinés à aider à la modernisation de la diffusion de l’information.

([12]) Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, L’information à tout prix, INA Éditions, 2017.

([13]) Facebook, Reports Fourth Quarter and Full Year 2017 Results, p. 1. Voir le lien suivant : https://s21.q4cdn.com/399680738/files/doc_news/Facebook-Reports-Fourth-Quarter-and-Full-Year-2017-Results.pdf

([14]) Reuters Institute for the Study of journalism, Digital News Report 2017, p. 9. Voir le lien suivant : https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/Digital%20News%20Report%202017%20web_0.pdf

([15]) Ibidem, p. 69.

([16]) Syndicat des régies Internet (SRI), 19e observatoire de l’e-pub – bilan 2017, janvier 2018. Voir le lien suivant : http://www.sri-france.org/etudes-et-chiffre-cles/observatoire-de-le-pub-sri/19eme-observatoire-de-pub-sri/

([17]) Idem.

([18])  À cet égard, le directeur juridique de l’AFP, M. Christophe Walter-Petit, a fait remarquer, lors de son audition, qu’alors que le directeur de l’AFP était mis en examen plusieurs fois par an au cours de sa carrière au titre de sa responsabilité éditoriale, les GAFAM qui reprennent les contenus des éditeurs et agences de presse ne peuvent, pour l’instant, pas être inquiétés à ce titre, dans la mesure où ils constituent, au regard de la loi française, de simples hébergeurs.

([19])  FFAP, « Un droit voisin pour les agences de presse », note remise au rapporteur. Voir également le lien suivant : http://www.ffap.fr/ffap/actualites/338-un-droit-voisin-pour-les-agences-de-presse

([20]) Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, L’information à tout prix, INA Éditions, 2017.

([21]) Seule l’AFP, parmi les agences de presse, bénéficie d’aides complémentaires au titre de la compensation de ses missions d’intérêt général (MIG).

([22]) FSDP, Rapport d’activité pour l’exercice 2015, p. 6.

([23])  Ce texte prévoit que « sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ».

([24]) AFP, Les droits voisins des agences de presse, 7 juin 2017. Voir le lien suivant : https://www.afp.com/sites/default/files/2017-06-07_note_droits_voisins.pdf

([25]) CJUE, 12 novembre 2015, Hewlett-Packard Belgium SPRL c/ Reprobel, affaire C-572/13.

([26])  À cet égard, les représentants de la FNPS ont indiqué, lors de leur audition, qu’en qualité de cessionnaires des droits d’auteur des journalistes, ils étaient en train de négocier une licence avec certains agrégateurs, comme Factiva ou Edd, afin d’organiser une rémunération de l’utilisation de leurs contenus par ces derniers. Il semblerait toutefois que jusqu’à présent, aucun des agrégateurs n’ait signé cette licence dite « licence crawlers », par référence aux acteurs de la veille stratégique sur internet qui, grâce à des robots qui captent l’ensemble des contenus des éditeurs, offrent à leurs clients différentes prestations permettant à ces derniers d’analyser l’impact de leur communication et d’anticiper les évolutions d’un marché (analyse de la notoriété, retours sur le lancement d’un produit, veille concurrentielle, technologique et juridique, identification des besoins des consommateurs…). D’après une étude du cabinet Postmédia Finance réalisée en septembre 2016 pour le compte de l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG), le marché des « crawlers » représentait environ 31 millions d’euros en France à cette date.

([27])  AFP, Les droits voisins des agences de presse, 7 juin 2017. Voir le lien suivant : https://www.afp.com/sites/default/files/2017-06-07_note_droits_voisins.pdf

([28])  Certains auteurs, comme le professeur André Lucas, rapproche des droits voisins le droit sui generis reconnu au producteur de base de données par les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle (« Droits voisins du droit d’auteur », Jurisclasseur, LexisNexis, septembre 2017).

([29]) La consécration de l’existence des droits voisins est relativement récente. Ces droits sont en effet intimement liés aux évolutions techniques qui ont permis de relayer la voix ou l’instrument de musique en fixant et reproduisant des sons, puis des images. Comme l’explique le professeur André Lucas, « les prétentions des artistes-interprètes et des producteurs d’enregistrements suscitèrent l’opposition des auteurs eux-mêmes, inquiets de la concurrence, et des organismes de radiodiffusion désireux d’utiliser librement et gratuitement les phonogrammes du commerce. Elles n’en furent pas moins accueillies au plan international par la Convention de Rome internationale sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961. En France, la jurisprudence s’employa à rechercher une solution sur le terrain de la responsabilité civile. Mais le palliatif se révéla insuffisant. Il fallait un droit exclusif. Tel fut l’un des objets principaux de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle. […] La solution a été généralisée dans les pays de l’Union européenne grâce à la directive 92/100/CE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle qui, en même temps qu’elle [a] consacr[é] le principe d’un droit de location et de prêt, [a] impos[é] aux États membres de reconnaître les droits voisins déjà énumérés par la loi française. […] Les droits voisins ont en commun d’être des droits exclusifs accordés [aux]  auxiliaires ”de la création littéraire et artistique, qu’ils concourent à mettre à la disposition du public. Mais ils sont loin de constituer une catégorie homogène. On ne peut en effet confondre l’artiste-interprète, qui met sa personnalité au service de l’œuvre, et le producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou l’entreprise de communication audiovisuelle, qui revendiquent une protection à raison de la responsabilité qu’ils ont prise sur le plan technique et financier » (A. Lucas, « Droits voisins du droit d’auteur », Jurisclasseur, LexisNexis, septembre 2017, §§ 1-2).

([30])  Exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Voir le lien suivant :

https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/FR/1-2016-593-FR-F1-1.PDF

([31])  Pour autant que ces citations concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

([32]) Bundesgerichtshof (BGH), 1BVR, 1585/13, « Metall-auf-Metall ».

([33])  Le Comité des représentants permanents (ou « COREPER ») est un organisme de l’Union européenne qui prépare les travaux du Conseil de l'Union. Il est composé des représentants permanents de chacun des États membres auprès de l’Union (ou leurs adjoints) et est présidé par l’ambassadeur de l'État membre qui assure la présidence du Conseil. Il assure également le lien entre le Conseil des ministres et les autres institutions.

([34])  Très exactement, l’article 13, dans sa version initiale, dispose que « les prestataires de services de la société de l’information qui stockent un grand nombre d’œuvres ou d’autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs et qui donnent accès à ces œuvres et autres objets prennent, en coopération avec les titulaires de droits, des mesures destinées à assurer le bon fonctionnement des accords conclus avec les  titulaires de droits en ce qui concerne l’utilisation de leurs œuvres ou autres objets protégés ou destinées à empêcher la mise à disposition, par leurs services, d’œuvres ou d’autres objets protégés  identifiés  par  les titulaires de droits en coopération avec les prestataires de services. Ces mesures, telles que  le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus, doivent être appropriées et proportionnées. Les prestataires de services fournissent aux titulaires de droits des informations suffisantes sur le fonctionnement et la mise en place des mesures, ainsi que, s’il y a lieu, des comptes rendus réguliers sur la reconnaissance et l’utilisation des œuvres et autres objets protégés ».

([35])  Le « framing » (ou « transclusion ») est l’inclusion dynamique d’un document ou d’une partie d’un document internet dans un autre document. Grâce à cette technique, le document apparaît à l’utilisateur dans l’environnement graphique du site internet sur lequel figure le lien, et non dans celui du site d’origine où figure la source reliée, en sorte que ledit utilisateur n’a pas le sentiment d’avoir été transféré vers un autre site.

([36])  L. Franceschini, Rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique le 13 février 2018, p. 17.

([37])  Ce point de vue n’est pas partagé par certaines agences de presse comme l’AFP qui, elle, milite pour l’extension d’un éventuel droit voisin des agences de presse aux liens hypertextes faisant l’objet d’un usage commercial (mais pas à ceux faisant l’objet d’un usage familial ou dans un cercle amical).

([38]) L. Franceschini, Rapport de la mission de réflexion sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en juillet 2016, p. 18.

([39])  L. Franceschini, Rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique le 13 février 2018, p. 18.

([40]) Ibidem, p. 4.

([41]) Ibidem, p. 19 et p. 21.

([42]) Reuters Institute for the Study of journalism, Digital News Report 2017, p. 18.

([43]) CEPIC, « Criticism of the new Google Image Search », 17 mai 2017. Voir le lien suivant : http://cepic.org/news/criticism-of-the-new-google-image-search 

([44])  L. Franceschini, Rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique le 13 février 2018, p. 14.

([45])  Ibidem, p. 15.

([46])  Ibidem, p. 9.

([47]) Ibidem, p. 5.

([48]) Ch. Caron, « Vers un droit voisin de l’éditeur (de presse) ? », Communication Commerce électronique, n° 7-8, juillet 2016, repère n° 7.

([49])  Comme l’explique l’UPREG, dans une note remise au rapporteur, « compte tenu du faible développement de la distribution en ligne de la presse dans les années 2000, les éditeurs n’étaient pas confrontés à la problématique de maîtrise de la diffusion de leur contenu dans les mêmes termes que les producteurs de musique et de vidéogrammes (développement des supports d’enregistrements comme la cassette ou le CD) ou que les chaînes de télévision (distribution par câble ou par satellite). Or, les usages et les modes de consommation de l’information ont considérablement évolué depuis 2001, comme en témoignent les audiences massives de la presse sur les supports numériques. Les autres industries culturelles (cinéma, musique, audiovisuel) sont aujourd’hui mieux protégées que le secteur de la presse grâce à ce droit voisin. […] Les services audiovisuels peuvent ainsi interdire ou autoriser la reprise de leurs contenus sur des plateformes telles que Youtube, ou encore faire interdire, par décision de justice, la rediffusion de leurs émissions à des plateformes audiovisuelles de type playtv.fr ».

([50])  Proposition de loi n° 749 (session ordinaire 2015-2016).

([51])  L. Franceschini, Rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique le 13 février 2018, pp. 12-13.

([52]) Ibidem, p. 5.

([53]) AFP, Les droits voisins des agences de presse, 7 juin 2017. Voir le lien suivant : https://www.afp.com/sites/default/files/2017-06-07_note_droits_voisins.pdf

([54])  L. Franceschini, Rapport sur l’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse, présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique le 13 février 2018, p. 11.

([55])  Ibidem, p. 5.

([56])  Ibidem, p. 32. Les productions « B to C » désignent les productions « business to consumer » (littéralement « de l’entreprise au consommateur ») que les agences fournissent à des clients qui ne sont pas des professionnels de l’information et des médias. Il s’agit par exemple de la couverture d’événements à la demande d’entreprises ou d’institutions.

([57])  AFP, Les droits voisins des agences de presse, 7 juin 2017. Voir le lien suivant : https://www.afp.com/sites/default/files/2017-06-07_note_droits_voisins.pdf

([58]) Cette idée a toutefois suscité des réserves chez certaines des personnes auditionnées. Estimant qu’un organisme européen de gestion collective pourrait se heurter à des difficultés tenant à la diversité des langues et des cultures juridiques, M. Philippe Masseron a suggéré de préférer la conclusion, avec les différents organismes de gestion collective nationaux, de conventions dont le contenu serait néanmoins homogène d’un État membre à l’autre.

([59])  Lors de son audition, Mme Laurence Franceschini a également suggéré la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA).

([60]) La société « Cambridge Analytica » aurait participé en 2016 à la campagne électorale de M. Donald Trump, président des États-Unis d’Amérique, en collectant et en exploitant à leur insu les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook.

([61])  En application de l’article 1er, alinéa 1er, de cette loi, « l’expression “ publication de presse  désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers ».

([62])  Les droits d’auteurs, pour être exploités, peuvent être cédés à titre gratuit ou onéreux, au moyen d’un contrat de cession : contrat d’édition, contrat de représentation, contrat de production audiovisuelle‑diffusion, etc. Ces contrats de cession sont régis par les articles L. 131-1 à L. 131-9 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que par les articles L. 132-1 à L. 132-30 du même code.

([63])  D. Lefranc, « Propriété littéraire et artistique – Droits voisins du droit d’auteur – Droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle », Jurisclasseur, fascicule n° 1470, février 2018, § 25.

([64])  Article L. 326-10 du code de la propriété intellectuelle.

([65])  Article L. 326-12 du même code.

([66])  Article L. 326-10 du code de la propriété intellectuelle.

([67]) Article L. 326-13 du même code.

([68])  Article L. 326-11 du même code.

([69]) Article L. 327-1 du même code.

([70])  Articles L. 327-3 et L. 327-4 du même code.

([71])  Voir l’article L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle.

([72])  Voir l’article L. 212-8 du même code. En application de cette disposition, le ministre chargé de la culture a, par exemple, pris, le 23 avril 2014, un arrêté d’extension des stipulations de l’accord du 24 octobre 2011 de prorogation de la convention du 6 janvier 2005 relative aux droits des artistes-interprètes dans leur activité de doublage, dénommée « convention DAD-R ».

([73])  Voir également le III de l’article L. 212-14 du code de la propriété intellectuelle, s’agissant des garanties de rémunération minimale assortissant la mise à disposition de phonogrammes.

([74]) Article L. 331-4 du code de la propriété intellectuelle.

([75])  Toutefois, si, durant cette période, une fixation de l’interprétation dans un vidéogramme ou un phonogramme fait l’objet d’une mise à la disposition du public, par des exemplaires matériels, ou d’une communication au public, les droits patrimoniaux de l’artiste-interprète expirent :

1° Pour une interprétation fixée dans un vidéogramme, cinquante ans après le 1er janvier de l’année civile suivant le premier de ces faits ;

2° Pour une interprétation fixée dans un phonogramme, soixante-dix ans après le 1er janvier de l’année civile qui suit le premier de ces faits.

([76])  Toutefois, si, durant la période de cinquante ans, un phonogramme fait l’objet d’une mise à la disposition du public par des exemplaires matériels ou d’une communication au public, les droits patrimoniaux du producteur de phonogrammes expirent soixante-dix ans après le 1er janvier de l’année civile suivant la mise à la disposition du public de ce phonogramme ou, à défaut, sa première communication au public.

([77])  Toutefois, si, durant la période de cinquante, un vidéogramme fait l’objet d’une mise à la disposition du public par des exemplaires matériels ou d’une communication au public, les droits patrimoniaux du producteur de vidéogrammes expirent cinquante ans après le 1er janvier de l’année civile suivant le premier de ces faits.