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N° 938

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI
 

renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (n° 778),

 

 

PAR Mme Alexandra LOUIS

Députée

——

 

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 778, 895 et 938.

 

 


  1  

SOMMAIRE

___

Pages

I. des violences sexuelles et sexistes protéiformes et destructrices pour les victimes

A. des violences multiples et variÉes

1. Les résultats préoccupants des enquêtes de victimation

2. Les chiffres plus modestes des plaintes recueillies et des condamnations prononcées

B. des consÉquences importantes pour les victimes et la sociÉtÉ

1. Une violation de plusieurs droits fondamentaux

2. Un bouleversement dans le parcours de vie de la victime

II. un projet de loi pour couvrir les angles morts de la lÉgislation pÉnale qui s’inscrit dans un plan plus global

A. un arsenal rÉpressif relativement complet qui comporte toutefois des faiblesses À combler

1. Un arsenal pénal déjà large…

2. … qui comporte toutefois des angles morts à couvrir

a. La protection des mineurs victimes de violences sexuelles

b. La prise en compte des nouvelles formes de harcèlement sur internet

c. La répression des outrages sexistes

B. Le volet pÉnal d’un plan en faveur de l’ÉgalitÉ entre les femmes et les hommes

1. Renforcer l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et sexistes

2. Davantage éduquer à l’égalité entre les femmes et les hommes

III. LES PRINCIPAUX APPORTS de la COMMISSION DES LOIS

A. faciliter la caractÉrisation des infractions sexuelles

B. Durcir la rÉpression des infractions sexuelles

C. mieux combattre le harcÈlement de rue

DISCUSSION GÉnÉrale

EXAMEN des articles

TITRE Ier dispositions renforçant la protection des mineurs contre les violences sexuelles

Chapitre Ier Dispositions relatives à la prescription

Avant l’article 1er

Article 1er (art. 7 et 9-1 du code de procédure pénale) Allongement à trente ans du délai de prescription de l’action publique de certains crimes commis sur des mineurs

Après l’article 1er

Chapitre II Dispositions relatives à la répression des infractions sexuelles sur les mineurs

Avant l’article 2

Article 2 (art. 222-22-1 et 227-26 du code pénal et 351 du code de procédure pénale) Renforcement de la répression des abus sexuels sur les mineurs

Après l’article 2

Article 2 bis (nouveau) Rapport sur les dispositifs locaux d’aide à la mobilité  des victimes de violences sexuelles

Après l’article 2 bis

TITRE II dispositions relatives auX dÉlitS de harcÈlement sexuel  et de harcÈlement moral

Avant l’article 3

Article 3 (art. 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal) Élargissement de la définition du harcèlement  aux agissements concertés non répétés

Après l’article 3

Article 3 bis (nouveau) (art. 132-80, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-24, 222-28,  222-33, 222-33-2-1 et 222-33-2-2 du code pénal) Circonstances aggravantes

Après l’article 3 bis

TITRE III dispositions rÉprimant l’outrage sexiste

Article 4 (art. 621-1 [nouveau] du code pénal) Instauration d’une contravention d’outrage sexiste

Après l’article 4

Article 4 bis (nouveau) (art. 2-2 du code de procédure pénale) Possibilité pour les associations de se constituer partie civile  dans les procédures d’outrage sexiste

Après l’article 4 bis

TITRE IV dispositions relatives À l’outre-mer

Article 5 (art. 804 et 711-1 du code pénal) Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna

Titre

fiche n° 1 : principales infractions sexuelles sur mineurs et peines encourues par leurs auteurs

fiche n° 2 : affaires de viol et d’agression sexuelle autre que le viol orientÉes par les parquets et structure de la rÉponse pÉnale (2012-2016)

fiche n° 3 : procès-verbal type utilisÉ par  la gendarmerie nationale pour l’audition  d’une victime de violences sexuelles

CONTRIBUTION DE M. philippe dunoyer,  co-rapporteur sur la mise en application de la loi

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

 


  1  

   INTRODUCTION

 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Violences les plus intimes, les violences sexistes et sexuelles sont certainement les plus difficiles à aborder. Les combattre n’en est que plus compliqué car au poids de ces souffrances s’ajoute celui du silence. Ce silence subi ou choisi parfois par l’entourage, la société ou la victime elle-même s’érige comme un obstacle dans le traitement de cette problématique.

Ces violences pourtant ne connaissent ni frontières sociales, ni frontières géographiques et s’immiscent dans le quotidien de nombreuses personnes selon des formes variées, dans tous les aspects de la vie des victimes.

Regards insistants, sifflements inopportuns, gestes déplacés, remarques obscènes, « frottage » dans les transports en commun, poursuites dans la rue… les violences sexuelles et sexistes touchent, à titre principal, les femmes. Trop peu nommées pour ce qu’elles sont vraiment, difficiles à esquiver et parfois banalisées, elles sont encore plus rarement sanctionnées. Dans ces conditions, comment, lorsqu’on en est victimes, pouvoir les combattre ? Comment ne pas se résoudre, par fatalisme autant que par impuissance, à « consentir contre sa volonté » ([1]) ?

Consentir contre leur volonté, c’est le lot de certains enfants et adolescents, qui constituent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles alors même que, incapables de discernement, ils ne disposent pas de la force suffisante pour résister à des actes sexuels imposés par des adultes.

Consentir contre leur volonté, voilà ce qui conduit nombre de victimes de violences sexuelles à taire, plusieurs années durant, les actes qu’elles ont subi, par peur, honte, incapacité psychologique ou effet de sidération, à s’empêcher de se remémorer les faits et encore plus à les révéler à l’autorité judiciaire avant qu’ils ne cessent d’être poursuivables.

Consentir contre leur volonté, tel peut être, enfin, l’état d’esprit des victimes de violences en ligne. Le renouvellement du mode opératoire de ces violences psychologiques, facilité par les fonctionnalités des réseaux sociaux, permet à certains de leurs auteurs de ne pas être poursuivis pour harcèlement alors que les faits en cause ont les mêmes conséquences sur la santé ainsi que la vie sociale et intime des victimes.

C’est à ces situations de non-droit et d’impuissance, encore trop nombreuses malgré les efforts de prévention et de répression mis en œuvre ces dernières années, que le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 14 mars 2018, entend répondre. Il tend à combler les « angles morts » qui subsistent en la matière dans notre législation pénale.

Ce texte est le fruit d’une large concertation engagée par la Secrétaire d’État après du Premier ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marlène Schiappa, au travers des 824 ateliers départementaux du « Tour de France de l’égalité » auxquels ont participé près de 55 000 personnes. Il s’est également nourri des travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ([2]), d’experts réunis dans le cadre de missions de consensus ([3]) ou pluridisciplinaires ([4]) ainsi que de parlementaires ([5]). Il est une traduction concrète du volontarisme politique porté par le Président de la République dès le 25 novembre 2017, lorsque l’égalité entre les femmes et les hommes fut déclarée « Grande cause nationale » du quinquennat. Il entend contribuer à la prise de conscience et au ressaisissement de la société sur la question des violences sexuelles et sexistes, qui ont des effets dévastateurs sur les victimes et affectent des droits fondamentaux.

D’autres pierres viendront compléter, demain, cet édifice, en vue d’améliorer la prévention de ces violences, la prise en compte des victimes par les services enquêteurs et judiciaires et l’accompagnement de celles-ci tout au long de leur parcours de reconstruction.

 

 


  1  

I.   des violences sexuelles et sexistes protéiformes et destructrices pour les victimes

Un constat s’impose à la lecture des enquêtes de victimation : les violences sexuelles et sexistes, bien que de forme et de gravité variables, sont encore trop nombreuses (A) et constituent autant d’atteintes à certains droits fondamentaux des personnes qui en sont victimes (B).

A.   des violences multiples et variÉes

Les violences sexuelles et sexistes sont nombreuses et variées. Même si des enquêtes de victimation permettent de lever le voile sur l’ampleur réelle de ces violences (1), seule une fraction de celles-ci est poursuivie et condamnée par les autorités judiciaires (2).

1.   Les résultats préoccupants des enquêtes de victimation

D’après la dernière enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité » conduite par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ([6]), près de 220 000 personnes seraient victimes chaque année de viols, de tentatives de viol et d’attouchements sexuels parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans. Cinq grands constats se dessinent :

––  premier constat, le plus important : ces violences affectent de manière disproportionnée certaines catégories de la population, à commencer par les femmes (83 % des victimes) et les jeunes âgés de 18 à 29 ans (35 % des victimes) ;

––  deuxième constat : dans deux cas sur trois, les victimes connaissent leur agresseur (conjoint, ancien conjoint ou concubin de 30 % d’entre-elles) ;

––  troisième constat, lié aux liens qui existent souvent entre la victime et son agresseur : les violences se déroulent fréquemment au domicile de celle-ci et que les agressions sexuelles sont souvent répétées ;

––  quatrième constat : ces violences sexuelles s’accompagnent quatre fois sur dix de violences physiques et, pour 60 % des victimes, il en résulte des séquelles psychologiques importantes ;

––  cinquième et dernier constat : une minorité de victimes se tourne vers les professionnels de santé, les services sociaux ou les associations d’aide aux victimes et 8 % seulement portent plainte.

Les victimes de violences sexuelles en france mÉtropolitaine (2008-2016)

Analyse Interstats n° 18, « Viols, tentatives de viol et attouchements sexuels », décembre 2017, p. 2.

Selon l’enquête Virage menée par l’Institut national d’études démographiques (INED) ([7]), 62 000 femmes et 2 700 hommes âgés de 20 à 69 ans déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol sur une année, tandis que près de 553 000 femmes et 185 000 hommes déclaraient avoir été victimes d’au moins une agression sexuelle autre que le viol (attouchements du sexe, des seins ou des fesses, baisers imposés, actes de « pelotage »).

Proportions et effectifs annuels de victimes de violences sexuelles
(hors harcÈlement et exhibition) par catÉgorie juridique et sexe

(1) La catégorie « Autre acte ou pratique sexuel.le forcé.e » regroupe plusieurs types de violences sexuelles qui ne peuvent être classées dans les catégories juridiques au vu des informations disponibles.

(2) Une personne pouvant avoir déclaré des faits dans plusieurs espaces de vie, ce chiffre n’est pas égal à la somme des sphères.

Source : INED, Enquête Virage 2015.

Sur l’échelle d’une vie, une femme sur sept et un homme sur vingtcinq vivraient une violence sexuelle, hors harcèlement et exhibition sexuels. Parmi les femmes victimes de viol, 56 % l’ont été avant l’âge de 18 ans, 40 % avaient moins de 15 ans ; 76 % des hommes avaient moins de 18 ans, 60 % moins de 15 ans. Pour les femmes comme pour les hommes, le cercle familial est la première sphère de vie où ont lieu les viols, avant le couple. Dans huit cas sur dix, les violences intrafamiliales ont lieu avant les 15 ans de la victime.

Proportion des violences sexuelles (hors harcÈlement et exhibition)
par catÉgorie juridique, espace de vie et sexe sur une vie entiÈre

(1) La catégorie « Autre acte ou pratique sexuel.le forcé.e » regroupe plusieurs types de violences sexuelles qui ne peuvent être classées dans les catégories juridiques au vu des informations disponibles.

Source : INED, Enquête Virage 2015.

D’après cette même enquête, plus d’un million de femmes et 500 000 hommes âgés de 20 à 69 ans auraient subi, sur une année, une forme de harcèlement sexuel (propos ou attitudes à caractère sexuel mettant mal à l’aise, avances sexuelles insistantes malgré un refus, suivi persistant dans la rue…). Si la majeure partie de ces faits sont recensés dans la rue ou les transports en commun, ils s’exercent également sur les lieux de travail.

Le harcèlement sexuel et sexiste en ligne prend des proportions inquiétantes :

––  8 % des personnes majeures interrogées lors d’un sondage avaient déjà subi du cyber-sexisme, dont 10 % des femmes et 6 % des hommes ([8]) ;

––  les jeunes filles sont des cibles privilégiées, une fille sur cinq déclarant avoir subi au moins une forme de violence sur internet ou par SMS ([9]).

2.   Les chiffres plus modestes des plaintes recueillies et des condamnations prononcées

L’ampleur de ces chiffres contraste avec les statistiques établies par les services de police et de justice à partir des victimes de violences sexuelles qui se présentent à eux et des condamnations prononcées par les juridictions. Ce contraste révèle ce que les personnes auditionnées par votre rapporteure ont désigné comme le « chiffre noir » des faits de violences qui ne sont pas connus des services de police et de justice.

Bien qu’en augmentation depuis 2012, le nombre de procédures ouvertes par la justice reste nettement en-dessous des chiffres des enquêtes de victimation :

––  en 2016, 13 674 affaires de viol et 23 400 affaires d’agression sexuelle étaient orientées par les parquets, contre respectivement 12 163 et 21 983 affaires en 2012 ;

––  mais très peu d’affaires sont poursuivables, leur proportion oscillant, selon les cas, entre 28 % et 33 %, en raison, la plupart du temps, de l’impossibilité de caractériser l’infraction, tout particulièrement dans le cas de faits anciens ou commis sans témoin, où les déclarations de la victime ne sont corroborées par aucun élément objectif, ou de l’absence d’identification du mis en cause et, dans une moindre mesure, pour des motifs juridiques tenant à l’irresponsabilité pénale de l’auteur, l’irrégularité de la procédure ou la prescription de l’action publique ([10]) ;

––  une fois caractérisées, ces infractions font rarement l’objet d’un classement sans suite en opportunité, en dehors des cas où le plaignant se désiste ou ne répond plus aux convocations, et leurs auteurs font peu l’objet de mesures alternatives aux poursuites, sauf pour les faits les moins graves ou mettant en cause d’auteurs mineurs très jeunes.

Les condamnations pour viol et agression sexuelle autre que le viol et, au‑delà, pour d’autres violences sexuelles (exhibition, harcèlement, atteinte…) stagnent, voire baissent, depuis 2007, à l’exception notable de celles pour harcèlement sexuel qui demeurent toutefois très limitées en volume, compte tenu de la difficulté à caractériser cette infraction.

Ces condamnations révèlent la part très importante des auteurs mineurs dans le champ des infractions sexuelles. En 2016, alors que 8 % des condamnations, tous contentieux confondus, avaient été prononcées par les juridictions pour mineurs, la part des condamnations prononcées par ces juridictions atteignait près de 26 % en matière d’agression sexuelle et 31,5 % en matière de viol.

Évolution des Condamnations en infraction principale pour viol, agression, exhibition, harcÈlement et atteinte sexuels

Infraction

Juridiction

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016 (*)

Viol

Toutes juridictions

1 668

1 496

1 412

1 361

1 258

1 275

1 196

1 078

1 027

1 012

dont juridictions pour mineurs

505

467

411

389

414

388

357

327

320

319

Part des juridictions pour mineurs

30,3%

31,2%

29,1%

28,6%

32,9%

30,4%

29,8%

30,3%

31,2%

31,5%

Agression sexuelle

Toutes juridictions

5 614

5 526

5 496

4 907

4 761

4 838

4 422

4 159

4 232

4 260

dont juridictions pour mineurs

1 427

1 455

1 487

1 278

1 237

1 299

1 185

1 129

1 186

1 105

Part des juridictions pour mineurs

25,4%

26,3%

27,1%

26,0%

26,0%

26,8%

26,8%

27,1%

28,0%

25,9%

Exhibition sexuelle

Toutes juridictions

1 948

1 935

1 634

1 511

1 485

1 543

1 430

1 374

1 402

1 365

dont juridictions pour mineurs

79

89

62

55

68

52

48

51

44

42

Part des juridictions pour mineurs

4,1%

4,6%

3,8%

3,6%

4,6%

3,4%

3,4%

3,7%

3,1%

3,1%

Harcèlement sexuel

Toutes juridictions

56

53

54

48

42

22

16

48

69

88

dont juridictions pour mineurs

1

1

1

1

6

4

Part des juridictions pour mineurs

1,8%

1,9%

3,7%

2,1%

8,7%

4,5%

Atteinte sexuelle

Toutes juridictions

427

458

455

429

418

393

377

322

344

323

dont juridictions pour mineurs

10

15

9

14

12

5

8

17

4

3

Part des juridictions pour mineurs

2,3%

3,3%

2,0%

3,3%

2,9%

1,3%

2,1%

5,3%

1,2%

0,9%

(*) Données provisoires pour l’année 2016.

Source : Casier judiciaire national – Traitement DACG-PEPP.

B.   des consÉquences importantes pour les victimes et la sociÉtÉ

Quels qu’en soient le nombre et la gravité, ces faits portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui les subissent (1) et ont un impact négatif parfois extrêmement grave sur leur vie ainsi que celle de leurs entourages (2).

1.   Une violation de plusieurs droits fondamentaux

Les violences sexuelles et sexistes constituent une violation des droits fondamentaux des victimes, parmi lesquels le respect de l’intégrité physique, la dignité ou l’égalité, et affectent, plus généralement, la société dans son ensemble en déstabilisant les fondements de la famille et les règles de vie commune.

Ces observations valent particulièrement lorsqu’il est question d’actes particulièrement violents, tels que les viols ou les atteintes sexuelles graves.

C’est également le cas en présence de violences sexuelles sur mineurs qui, a fortiori lorsqu’elles sont incestueuses, représentent une violation absolue des droits de l’enfant. Alors que la famille devait constituer, pour lui, un « cercle de confiance » au sein duquel il puisse grandir et bénéficier, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, d’une protection spéciale ([11]), elle se transforme en source de violences traumatisantes et auxquelles il lui est très difficile de résister.

Elles valent aussi à l’égard d’autres comportements, en apparence moins graves ou plus anodins, qui n’en constituent pas moins des formes de violences sexuelles et sexistes particulièrement préjudiciables pour les victimes.

Il en va ainsi du harcèlement sexuel, dont les conséquences potentielles ne sont pas seulement psychologiques. Il a également un impact sur l’insertion socio-professionnelle présente et future des victimes, en les maintenant éloignées de secteurs d’activité dans lesquels elles ont subi des faits de harcèlement ou craignent de les subir.

C’est également le cas des faits dits de « harcèlement de rue »
– commentaires dégradants sur l’attitude vestimentaire ou l’apparence de la personne, regards insistants, sifflements, poursuites dans la rue… – qui ont pour conséquence de limiter la liberté d’aller et de venir des femmes qui en sont victimes et de porter atteinte à leur droit à la sécurité, en les obligeant à modifier leur tenue vestimentaire, leurs horaires de sortie ou leur mode de transport.

C’est enfin le principe de l’accès égal à l’espace public, au travail et aux transports en commun qui est affecté avec le risque, pointé du doigt par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, d’« intériorisation du système de genre par les femmes » et de transformation de l’espace public en « un espace sexué » qui « légitime et perpétue ces violences » ([12]).

2.   Un bouleversement dans le parcours de vie de la victime

Comme le soulignait le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son avis précité du 5 octobre 2016, « les violences faites aux femmes constituent le socle des inégalités entre les femmes et les hommes », « alimentent le sentiment de peur et de perte de confiance en soi chez [les] victimes » et constituent « une arme de destruction des femmes comme en témoignent les conséquences nombreuses qu’elles génèrent » ([13]).

Ces conséquences, aussi bien physiques que psychiques, ont des répercussions lourdes sur le parcours de vie de la victime, l’exposant à un risque important de suicide, à une détresse psychologique et à un état de stress posttraumatique qui empêche la saisine rapide des services de police et de justice.

Alors qu’ils représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles, les mineurs sont aussi les victimes pour lesquelles l’acte sexuel subi est le plus déstabilisant et préjudiciable pour l’avenir, la majorité de ces violences intervenant de surcroît dans un cadre intra-familial. Lors de son audition par votre rapporteure, M. Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie, a évoqué les multiples psychotraumatismes des enfants victimes de violences sexuelles « compte tenu des conséquences redoutables sur le plan psychologique (trouble de la personnalité, tentatives de suicide, troubles addictifs, troubles de comportement alimentaire) et social (exclusion sociale, troubles du comportement, délinquance) » ([14]).

Le harcèlement sur les réseaux sociaux a lui aussi des conséquences graves sur la vie des personnes, en particulier lorsqu’il intervient en pleine adolescence, à un moment où le mineur est fragile et réceptif aux discours qui sont portés sur lui. Ces conséquences peuvent même devenir dramatiques, comme dans le cas d’une adolescente américaine qui, en décembre 2016, s’était suicidée après avoir été victime, sur les réseaux sociaux, d’insultes répétées sur son poids et de la création d’un faux profil sur des sites de rencontre avec son numéro et sa photo.

Il convient également de souligner les répercussions que ce type de violences peut engendrer chez les parents et les proches de la victime.

II.   un projet de loi pour couvrir les angles morts de la lÉgislation pÉnale qui s’inscrit dans un plan plus global

Le projet de loi vise à apporter des réponses à celles de ces violences que l’arsenal législatif actuel, quoique déjà très vaste, peine à réprimer efficacement (A). Ses dispositions, qui ne forment que le volet pénal d’une stratégie plus globale, devra s’accompagner d’actions en faveur d’une meilleure prévention de ces violences et d’un accompagnement renforcé de leurs victimes (B).

A.   un arsenal rÉpressif relativement complet qui comporte toutefois des faiblesses À combler

Si beaucoup a déjà été fait, par le passé, pour renforcer la législation pénale applicable en matière de violences sexuelles et sexistes (1), certains angles morts persistent, que le projet de loi vise à combler (2).

1.   Un arsenal pénal déjà large…

Notre législation pénale compte un grand nombre d’infractions permettant de réprimer un large spectre de violences sexuelles, allant des agressions sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise (viols en cas d’acte de pénétration et agressions sexuelles autres que le viol en l’absence de pénétration) ([15]) à la mise en péril de mineurs ([16]) en passant par l’exhibition et le harcèlement sexuels ([17]), le proxénétisme ([18]) ou le recours à la prostitution ([19]).

Les violences sexuelles commises sur des mineurs de moins de 15 ans, âge de la maturité sexuelle, sont plus sévèrement punies et tout acte sexuel commis sur leur personne par un majeur, même avec leur consentement, est réprimé du chef d’atteinte sexuelle, qui figure parmi les infractions de mise en péril de mineurs.

Les violences sexuelles intrafamiliales, susceptibles d’être qualifiées d’incestueuses ([20]), font l’objet de dispositions spécifiques : la qualité d’ascendant ou de personne ayant autorité sur le mineur et l’âge de la victime sont tantôt des circonstances aggravantes des infractions d’agressions et d’atteinte sexuelle, tantôt des éléments constitutifs de ces infractions.

Depuis les années 1980 et notamment sous l’influence d’une directive européenne relative à la lutte contre les abus sexuels des enfants ([21]), l’arsenal législatif a été considérablement renforcé pour réprimer efficacement les agressions sexuelles et le viol ainsi que les comportements susceptibles de mettre en péril les mineurs.

Des règles procédurales spécifiques aux infractions de nature sexuelle ont ainsi été instituées, comme l’allongement des délais de prescription de l’action publique en matière délictuelle ([22]) et le report du point de départ du délai à la majorité de la victime pour la plupart des crimes et délits commis sur un mineur ([23]).

Un régime d’enquête adapté a également été mis en place, tout particulièrement à l’égard des victimes mineures pour lesquelles l’audition est obligatoirement enregistrée sur un support audiovisuel afin d’éviter le renouvellement des dépositions ([24]) et des lieux d’audition spécialement aménagés ([25]).

Les auteurs d’agressions sexuelles sont par ailleurs soumis à plusieurs mesures destinées à mieux prévenir la récidive, comme le suivi socio‑judiciaire, qui comporte des mesures de surveillance et des obligations, notamment médicales, dont l’inobservation entraîne l’exécution d’une peine de prison ([26]), l’injonction de soins ([27]), l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, qui entraîne l’obligation pour la personne de justifier régulièrement de son domicile ([28]) et, dans certains cas, la rétention ou la surveillance de sûreté à l’issue de la détention ([29]).

Après avoir adopté plusieurs lois concentrées sur une plus forte répression des auteurs de violences intrafamiliales ([30]), le législateur a cherché, ces dernières années, à mieux prendre en compte la spécificité des violences faites aux femmes et les besoins des victimes de violences sexuelles :

––  la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a créé l’ordonnance de protection des victimes visant à stabiliser, en urgence, la situation juridique de la victime afin de lever les obstacles susceptibles de la contraindre à demeurer dans la situation de violences ;

––  la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a établi un lien direct entre les violences faites aux femmes et les inégalités entre les femmes et les hommes, renforcé l’ordonnance de protection des victimes, créé le téléphone « grave danger » et mis l’accent sur la formation de l’ensemble des professionnels impliqués dans la prévention, la détection ou le traitement des violences intrafamiliales et aux femmes.

Comme l’a fait observer à votre rapporteure Mme Élisabeth Moiron‑Braud, secrétaire générale de la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), ces évolutions se prolongent aujourd’hui par diverses initiatives tendant à améliorer l’identification des victimes de violences sexuelles, notamment par l’instauration d’un questionnement systématique par les professionnels de santé de leurs patients, et à mieux accompagner ces victimes tout au long de leur parcours médical et judiciaire, par exemple avec la création d’un parcours local de prise en charge de la victime.

2.   … qui comporte toutefois des angles morts à couvrir

Trois angles morts ont toutefois été identifiés par le Gouvernement, qu’il propose de combler au travers des dispositions contenues dans le présent projet de loi.

a.   La protection des mineurs victimes de violences sexuelles

En premier lieu, les mineurs victimes de violences sexuelles ne trouvent pas toujours, auprès des services de police et de justice, la considération et l’écoute que la gravité des actes qu’ils subissent exigerait.

D’une part, le temps qui leur est laissé pour faire connaître ces actes à la justice n’est pas toujours suffisant, malgré le caractère dérogatoire des règles de prescription de l’action publique. Des mécanismes psychologiques complexes sont parfois à l’œuvre, comme l’« amnésie post-traumatique » ([31]) ou des troubles dissociatifs entraînant une anesthésie émotionnelle qui empêche la révélation immédiate des violences. Ces mécanismes ont été confirmés notamment par M. Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie, et Mme Carole Azuar, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, au cours de leur audition par votre rapporteure. Il n’est ainsi pas rare qu’au moment où ils sont en mesure de dénoncer les faits, ceux-ci se trouvent prescrits.

C’est la raison pour laquelle l’article 1er du projet de loi porte de vingt à trente ans le délai de prescription de l’action publique des crimes commis sur les mineurs les plus graves, principalement de nature sexuelle ou violente.

D’autre part, la législation actuelle exige de s’assurer du défaut de consentement de la victime à l’acte sexuel, quel que soit son âge, en caractérisant l’existence d’une violence, contrainte, menace ou surprise. Si aucune de ces circonstances n’est réunie, l’auteur d’un acte de pénétration sur mineur ne pourra être poursuivi ou sera acquitté du chef de viol et ne pourra être poursuivi ou condamné que du chef d’atteinte sexuelle, délit nettement moins sévèrement réprimé que le crime de viol. Cette situation a trouvé une résonance particulière lors de deux affaires judiciaires récentes, dont l’une a conduit à l’acquittement d’un jeune homme accusé du viol d’une mineure de 11 ans.

L’article 2 du projet de loi procède à trois modifications visant à répondre à cette situation qui a suscité, à juste titre, un certain émoi :

––  il précise dans le code pénal que, dans le cas d’un viol ou d’une agression sexuelle, lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de 15 ans, la contrainte ou la surprise pourront résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaires pour consentir à ces actes ;

––  si le viol ne peut pas être caractérisé, il aggrave les sanctions de l’atteinte sexuelle d’un majeur sur un mineur de 15 ans en portant la peine d’emprisonnement de cinq à dix ans et l’amende de 75 000 à 150 000 euros lorsqu’un acte de pénétration sexuelle aura été commis sans violence, contrainte, menace ou surprise ;

––  il oblige la cour d’assises à se poser la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle, ce qui permettra d’éviter l’acquittement pur et simple de la personne poursuivie du chef de viol si celui-ci n’est pas caractérisé.

b.   La prise en compte des nouvelles formes de harcèlement sur internet

En deuxième lieu, les infractions existantes en matière de harcèlement, en particulier les délits de harcèlement sexuel et moral, non limité à la sphère professionnelle ou conjugale, ne permettent pas de poursuivre efficacement les nouvelles pratiques numériques et particulièrement les « raids numériques ». Alors que l’infraction de harcèlement repose sur l’exigence de répétition des propos ou comportements d’un auteur déterminé, le cyber-harcèlement se concrétise de plus en plus par l’action unique d’une pluralité de personnes agissant de concert. Chaque personne n’a donc agi qu’une seule fois, ce qui n’est pas répréhensible au regard de l’infraction de harcèlement, mais les propos et comportements subis par la victime ont bien été répétés, parfois de manière massive. Ce type de « raids numériques » a les mêmes effets néfastes sur la santé psychique des victimes mais est difficilement sanctionnable sous l’empire du droit positif.

C’est pourquoi l’article 3 complète les articles 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal afin d’assimiler à ces deux formes de harcèlement les propos et comportements « imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ».

c.   La répression des outrages sexistes

En troisième et dernier lieu, le projet de loi s’attache à apporter une réponse pénale claire à un ensemble de comportements relevant aujourd’hui d’une zone grise que les règles de vie en société prohibent mais que la législation n’interdit pas expressément (sifflements, commentaires lourds, présence envahissante et opprimante, regards insistants, questions intrusives sur la vie sexuelle de la personne, invitations insistantes…).

À cette fin, l’article 4 crée une nouvelle incrimination d’outrage sexiste, définie comme le fait « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Sauf dans les cas où de tels propos ou comportements pourront être poursuivis du chef de violences, d’exhibition sexuelle ou de harcèlement, ils constitueront, dans un souci d’opérationnalité et de proportionnalité, une contravention de la 4e classe, susceptible de faire l’objet de la procédure simplifiée d’amende forfaitaire ([32]), ou, s’ils sont commis avec certaines circonstances aggravantes, une contravention de la 5e classe ([33]). Des peines complémentaires sont également prévues, dont une nouvelle peine de stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes.

B.   Le volet pÉnal d’un plan en faveur de l’ÉgalitÉ entre les femmes et les hommes

Votre rapporteure tient à souligner que ce texte ne forme que le volet pénal d’une stratégie plus globale en faveur d’un accompagnement renforcé des victimes de violences sexuelles et sexistes (1) et d’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes (2).

1.   Renforcer l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et sexistes

Dans le cadre du cinquième plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019), plusieurs mesures vont être déployées afin de mieux accompagner les victimes de violences sexuelles et sexistes, dont le parcours judiciaire n’est pas toujours aisé.

Le développement et l’approfondissement de la formation des professionnels susceptibles d’intervenir auprès de ces victimes (médecins, policiers, gendarmes…) constituent des objectifs depuis 2013. Si ces professionnels ont déjà été largement formés à la question des violences intrafamiliales, l’enjeu est d’élargir le spectre des modules de formation à tous les types de violences sexuelles, de rendre plus spécifique le contenu de la formation initiale délivrée dans ce domaine et de l’étendre aux agents d’accueil des brigades et commissariats.

Des efforts doivent également être menés afin d’éviter qu’un traumatisme judiciaire ne s’ajoute au traumatisme sexuel subi par la victime. Votre rapporteure se félicite qu’ait ainsi été créée et généralisée une trame d’audition intégrée au logiciel de la police et de la gendarmerie nationales permettant de guider les enquêteurs vers des questions non stigmatisantes. Les initiatives prises pour limiter la violence de la confrontation entre l’agresseur et sa victime doivent être poursuivies, notamment en privilégiant les moyens techniques de médiation (visioconférence) ou en la remplaçant par le visionnage d’extraits de la plainte de la victime préalablement enregistrée.

De nombreuses personnes auditionnées ont appelé au renforcement des moyens financiers consacrés à la présence de travailleurs sociaux au sein des commissariats et des brigades, dans la mesure où ils permettent de faire le lien entre les enquêteurs, les victimes et les associations de défense des victimes.

Enfin, Mme Élisabeth Moiron‑Braud, secrétaire générale de la MIPROF, a fait part à votre rapporteure d’autres mesures destinées à faciliter les démarches de la victime, par leur simplification et leur centralisation :

––  la mise en place d’une procédure de signalement en ligne pour faciliter le dépôt de plainte et orienter vers les centres d’aide ainsi que le lancement d’une application numérique pour les victimes de cyber-harcèlement devraient contribuer à améliorer le repérage et la révélation des faits ;

––  lorsqu’une victime se rend dans une unité médico-judiciaire (UMJ) pour qu’il soit procédé à certains examens médicaux et prélèvements biologiques, elle devrait pouvoir déposer plainte dans la foulée et rencontrer une association d’aide aux victimes ;

––  la victime devrait disposer, au sein de toutes les UMJ, de la faculté de voir les preuves matérielles des actes qu’elle a subis collectées et conservées sans exiger d’elle qu’elle porte préalablement plainte, comme c’est le cas à la cellule d’accueil d’urgence des victimes d’agressions de Bordeaux grâce à un partenariat entre l’hôpital et l’autorité judiciaire ;

––  l’effort de formation et de sensibilisation des personnels des services d’urgence, en première ligne dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles en l’absence d’UMJ, devrait être poursuivi ;

––  la prise en charge psychologique des femmes victimes de violences pourrait être renforcée avec l’ouverture annoncée de nouveaux centres de psychotrauma.

2.   Davantage éduquer à l’égalité entre les femmes et les hommes

Au-delà du volet répressif et du renforcement de l’accompagnement des victimes, votre rapporteure estime indispensable, comme la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de faire de l’éducation le premier levier du combat culturel en faveur de cette égalité, déclarée « Grande cause nationale » du quinquennat dès novembre 2017.

La Fédération nationale solidarité femmes, réseau de 67 associations en France qui accompagnent et hébergent les femmes victimes de violences conjugales principalement, que votre rapporteure a auditionné, a reçu le label « Grande cause nationale » au titre de l’année 2018, ce qui lui octroie le droit d’obtenir des diffusions gracieuses de sa campagne de communication et d’information sur les radios et les télévisions publiques. Cette campagne de communication, qui pourrait s’inspirer de celle menée pour la sécurité routière, devrait permettre de sensibiliser la société en vue d’une prise de conscience collective, d’informer les victimes sur les démarches à mener et de responsabiliser les témoins d’agissements répréhensibles.

Cet effort de communication et d’information devrait trouver son prolongement dans une série de mesures d’éducation et de sensibilisation à cette question :

––  par la formation des professionnels de la petite enfance pour déconstruire les représentations sexistes dès le plus jeune âge ;

––  par des opérations visant à lutter contre la pornographie et le cyberharcèlement au collège à destination des élèves et de leurs parents ;

––  au travers de contacts avec le monde publicitaire, l’industrie de la mode et le secteur des jeux en vue de mieux combattre les stéréotypes sexistes.

Enfin, des initiatives devraient être prises en faveur de la formation à cette problématique de l’ensemble des agents de l’État, avec la mise en place d’un grand plan de formation initiale et continue dans le secteur public, dans un premier temps auprès des cadres.

III.   LES PRINCIPAUX APPORTS de la COMMISSION DES LOIS

Tout en approuvant les grandes orientations de ce projet de loi, la commission des Lois a précisé, clarifié et complété certaines de ses dispositions en vue d’en améliorer l’application et de mieux réprimer toutes les formes de violences sexuelles et sexistes.

A.   faciliter la caractÉrisation des infractions sexuelles

En premier lieu, la commission des Lois a veillé à davantage faciliter la caractérisation des infractions sexuelles, dans le respect des principes qui régissent le droit pénal :

––  elle a modifié la rédaction du dispositif relatif à la contrainte morale et à la surprise en présence de victimes mineures de moins de 15 ans : plutôt que de résulter de « l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir » aux actes sexuels, la contrainte morale et la surprise seront caractérisées par « l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir » (I de l’article 2) ;

––  elle a élargi la définition du crime de viol pour inclure les actes de pénétration sexuels imposés par l’auteur des faits sur sa personne et non sur celle de la victime (I bis de l’article 2) ;

––  elle a adopté une nouvelle rédaction de l’article 3 permettant de mieux tenir compte de la réalité des pratiques numériques en matière de cyberharcèlement : seront réprimés non seulement les propos ou comportements imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes agissant une seule fois mais aussi les propos ou comportements imposés à l’instigation de l’une de ces personnes ou ceux successivement imposés par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent qu’ils caractérisent une répétition ;

––  elle a étendu la surqualification pénale d’inceste aux actes sexuels commis sur des personnes majeures et à l’auteur cousin germain de la victime (I quinquies de l’article 2).

B.   Durcir la rÉpression des infractions sexuelles

En deuxième lieu, la commission des Lois a significativement renforcé la répression des infractions sexuelles :

––  en ajoutant une aggravation des peines pour toutes les agressions sexuelles commises dans les transports en commun (I ter et quater de l’article 2) ;

––  en portant de cinq à sept ans d’emprisonnement la peine d’emprisonnement encourue en cas d’atteinte sexuelle d’un majeur sur un mineur de 15 ans sans violence, contrainte, menace ou surprise (I sexies de l’article 2) ;

––  en complétant la liste des circonstances aggravant les peines d’un certain nombre d’infractions parmi lesquelles figurent les faits de violences, de viol, d’agression sexuelle autre que le viol et de harcèlement conjugal, sexuel ou moral, lorsque les faits sont commis dans le couple ou le cercle familial (article 3 bis).

C.   mieux combattre le harcÈlement de rue

En dernier lieu, la commission des Lois a enrichi les dispositions relatives à l’outrage sexiste :

––  par un élargissement de la définition de cette nouvelle infraction aux propos ou comportements tenus à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée, de la victime (I de l’article 4) ;

––  par une extension de la liste des personnes qui seront habilitées à constater cette infraction, pour y inclure notamment les policiers municipaux et les agents de sûreté de la SNCF ou de la RATP (IV et V de l’article 4) ;

––  par l’ouverture aux procédures d’outrage sexiste de la possibilité qu’ont certaines associations de se constituer partie civile dans certaines affaires (article 4 bis).

 


  1  

   DISCUSSION GÉnÉrale

Lors de ses trois réunions du mercredi 9 mai 2018, la commission des Lois examine le projet de loi (n° 778) renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (Mme Alexandra Louis, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons aujourd’hui le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je vous propose de travailler ce matin jusqu’à 13 heures et de reprendre nos travaux vers 18 heures, à l’issue du débat inscrit en séance publique sur les institutions, thème qui concerne la commission des Lois au premier chef. Nous poursuivrons ce soir et notre journée sera donc très chargée.

Je remercie Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, d’être présente parmi nous et je l’invite à nous présenter le projet de loi.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le présent projet de loi, fruit d’un long travail mené depuis maintenant près de deux ans, est la traduction des engagements pris par le Président de la République pendant la campagne électorale. Il s’était en effet engagé à allonger le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs et à verbaliser le harcèlement de rue. En faisant de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat, le Président de la République a, dans un discours prononcé le 25 novembre 2017 à l’Élysée, complété ses engagements de campagne par d’autres propositions pour mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles ; certaines d’entre elles sont venues enrichir ce texte qui constitue en outre une réponse aux attentes exprimées par les citoyens que nous avons écoutés lors du tour de France de l’égalité femmes-hommes, qui s’est déroulé au cours de ces derniers mois sur l’ensemble du territoire, avec plus de 55 000 participants en métropole et outre-mer – ce qui, en nombre, en fait la plus grande consultation « citoyenne » jamais organisée par un gouvernement.

Le projet de loi s’inspire des travaux de nombreux experts, à commencer par les recommandations de la mission de consensus menée sous la précédente législature par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs. Il se fonde aussi sur les travaux de parlementaires – je pense au rapport de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, rédigé par sa présidente, Mme Marie-Pierre Rixain, et par Mme Sophie Auconie, mais aussi aux préconisations du groupe de travail des députés sur la verbalisation du harcèlement de rue. Enfin, le Premier ministre a installé une mission pluridisciplinaire d’experts sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs, dont les conclusions très claires et consensuelles ont permis d’éclairer le Gouvernement lors de la préparation du texte.

Agir contre les violences sexistes et sexuelles, c’est la première des priorités de la grande cause du quinquennat du Président de la République ; ce projet de loi apparaît comme un outil majeur, essentiel à la réalisation de cette ambition affirmée. L’objectif principal est de mieux condamner les violences sexistes et sexuelles. Trop peu d’agresseurs sont poursuivis et donc trop peu sont sanctionnés pour leurs actes : seules 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte et seules 10 % des plaintes déposées aboutissent à des condamnations – ces chiffres sont tirés de l’Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol, remis en 2016 par le Haut Conseil à l’égalité des femmes et des hommes. On peut en déduire que seulement 1 % des violeurs sont effectivement condamnés. Or le but de notre action, c’est de permettre aux victimes de voir leur agresseur véritablement sanctionné.

Le 25 novembre 2017, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination des violences envers les femmes, le Président de la République a lancé la grande cause de son quinquennat et a pris des engagements forts. Il a présenté un plan d’action ambitieux pour faire reculer les violences sexistes et sexuelles, qui s’articule autour de trois axes principaux : mieux prévenir les violences, mieux accompagner les victimes, mieux sanctionner les agresseurs.

De nombreuses mesures sont d’ores et déjà appliquées par le Gouvernement : ainsi l’ouverture, dans le courant de l’année, à titre expérimental, de dix centres de soins du psycho-traumatisme pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, ce qui permettra de les accompagner dans les soins au-delà desdites violences et en marge de la condamnation de l’auteur des violences ; le lancement, le mois prochain, d’une plateforme de signalement en ligne administrée par les forces de l’ordre, sous l’égide directe du ministère de l’intérieur, pour pouvoir informer et orienter les victimes des violences, afin qu’elles soient accompagnées de la meilleure manière dans la judiciarisation qui commence par le dépôt de plainte ; la mise en place d’un grand plan de formation initiale et continue de tous les professionnels du secteur public, personnels de santé, forces de l’ordre mais aussi magistrats, sous l’égide notamment de la mission interministérielle de protection des femmes (MIPROF) ; enfin une série de mesures élaborées en concertation avec les partenaires sociaux et les organisations patronales pour mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail – mesures que je présenterai cet après-midi en compagnie de la ministre du travail, et qui participent à l’objectif que s’est fixé collectivement le Gouvernement : ne rien laisser passer et donc agir partout, tout le temps, contre les violences sexistes et sexuelles.

En faisant de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat, le Gouvernement a décidé d’y allouer les moyens nécessaires. Ainsi, 4 millions d’euros seront consacrés à la diffusion, en septembre prochain, d’une campagne de communication de grande ampleur visant à sensibiliser et à responsabiliser l’ensemble de la société – nous serons, je crois, tous d’accord pour considérer que, au-delà des lois, au-delà de la sanction, la communication est importante, la pédagogie est importante : c’est un combat culturel que nous devons mener ; il faut donc interpeller la société tout entière.

Comme je l’ai annoncé hier, nous lançons par ailleurs un appel à projets d’un montant de 1 million d’euros pour soutenir les initiatives locales de lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Nous avons pour cela choisi l’échelle régionale – en métropole et outre-mer – afin que les réponses soient apportées au plus près de la vie des femmes victimes, au plus près de leur quotidien.

J’ajoute enfin que, contrairement à ce qui est dit et répété ici ou là, nous n’avons pas diminué d’un seul centime les subventions allouées aux associations nationales qui luttent contre les violences sexistes et sexuelles. Je le répète : pas un seul centime. Certaines de ces subventions nationales ont même été augmentées dans un double objectif d’efficacité et de transparence. J’ai en revanche souhaité modifier la procédure d’attribution de ces subventions en la confiant à une commission spécifique chargée d’évaluer les dossiers en toute indépendance et formuler des préconisations afin, précisément, que les décisions soient prises de manière collégiale et éclairée.

Le présent projet de loi vise en outre à combler les insuffisances du droit positif et à mieux sanctionner les agresseurs. Comptant quatre dispositions, il est volontairement court, condensé, de manière à garder le cap sur notre objectif : renforcer la condamnation des auteurs de violences sexistes et sexuelles.

Le premier article a ainsi pour objet d’allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur mineurs en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime qui pourra donc, après promulgation du texte – si vous le votez –, porter plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. Cette évolution correspond à la nécessité de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à signaler les faits, difficulté d’autant plus importante lorsque la victime est jeune, et d’autant plus forte lorsque les crimes ont été commis dans la sphère proche, familiale, dans l’entourage du mineur.

Cette évolution correspond également à une meilleure prise en compte d’un phénomène que l’on méconnaissait il y a encore quelques années mais qu’on comprend désormais mieux grâce à la recherche : l’amnésie traumatique. Des progrès ont été réalisés dans les techniques de recueil, de conservation et d’exploitation des preuves qui nous semblent en corrélation avec l’objectif que nous poursuivons. Par ailleurs, l’allongement du délai de prescription donnera davantage de temps à la victime pour surmonter son traumatisme avant d’engager une action en justice, et permettra d’augmenter le nombre de dépôts de plaintes et donc, nous l’espérons, de condamnations.

C’est donc la traduction concrète des conclusions de la mission de consensus présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, que le Président de la République s’était engagé à mettre en œuvre. Néanmoins, afin d’assurer une plus grande protection des victimes mineures, nous avons souhaité aller plus loin que les préconisations de la mission en proposant d’étendre cet allongement du délai de prescription à l’ensemble des crimes commis sur des mineurs, au-delà des seuls crimes sexuels. Cette évolution se fonde sur la reconnaissance de la gravité et de la spécificité des crimes commis sur les mineurs que la réforme récente avait effacée en portant à vingt ans le délai de prescription applicable en matière criminelle. Le présent projet de loi prévoit donc de rétablir la différence de délai de dix ans qui existait avant la loi du 27 février 2017 votée à l’initiative de MM. Tourret et Fenech.

Allongé de dix ans, le délai de prescription applicable aux crimes commis sur les mineurs ne portera atteinte ni à la lisibilité ni à la cohérence de l’architecture actuelle du droit de la prescription qui prévoit déjà, pour certains crimes particulièrement graves, un délai de prescription de l’action publique de trente ans : je pense aux actes de terrorisme et infractions connexes, trafic de stupéfiants, infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive, crimes de guerre, etc.

L’article 2 vise à renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze ans. C’est la disposition qui aura probablement suscité le plus de débats au sein de votre commission mais aussi dans l’opinion publique parce que c’est un sujet particulièrement sensible et délicat, y compris sur le plan technique. Je me réjouis donc de pouvoir apporter plusieurs éléments de clarification.

D’abord, pour ce qui est du seuil d’âge en dessous duquel un mineur sera présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur, conformément aux recommandations de la mission pluridisciplinaire qui a rendu son avis le 1er mars dernier, nous avons décidé collectivement de retenir l’âge de 15 ans qui constitue déjà une référence en matière de protection pénale des mineurs puisque c’est notamment l’âge de la « majorité sexuelle ». Je l’affirme nettement : nous avons retenu l’âge de 15 ans pour ne pas abaisser le niveau de protection des mineurs en vigueur. Plus encore, nous renforçons cette protection en prenant en compte la vulnérabilité particulière des jeunes adolescents, des enfants, d’un point de vue psychique et physique puisqu’il a été attesté scientifiquement que le développement du cerveau et le niveau de maturité sont très variables jusqu’à l’âge de quinze ou de seize ans.

Deuxième sujet de débat, l’institution d’une présomption de non-consentement. Le fait d’affirmer qu’un mineur en dessous d’un certain âge est présumé ne pas avoir consenti à un acte sexuel avec un majeur – c’est la philosophie dont procède la démarche du Gouvernement – fait également débat. Il s’agit d’un enjeu de civilisation et l’article 2 en est la traduction juridique, dans des termes qui respectent l’architecture du droit et les principes constitutionnels.

Comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis rendu le 15 mars, la notion de présomption n’existe qu’en matière contraventionnelle – comme pour les infractions au code de la route –, mais elle ne peut être admise qu’à titre très exceptionnel en matière délictuelle. Cette notion est encore plus forte en matière criminelle, compte tenu de la gravité de l’enjeu pour le « présumé coupable ». L’institution d’une présomption légale en matière criminelle serait donc contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la présomption d’innocence, et c’est pour cela que le Gouvernement a retenu la solution paraissant juridiquement la plus efficace et la plus correcte pour améliorer la lutte contre les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Cette solution consiste, d’une part, à préciser la notion de contrainte morale ou de surprise lorsqu’une atteinte sexuelle est commise sur un mineur de moins de quinze ans pour favoriser, dans cette hypothèse, le recours à la qualification de viol ou d’agression sexuelle, et, d’autre part, à aggraver la répression des pénétrations sexuelles sur des mineurs, même lorsque celles-ci ne constituent pas un viol. Et, j’y insiste, c’est cela qui nous permet de poser cet interdit de civilisation : l’interdit du rapport sexuel entre un adulte et un enfant de moins de quinze ans, que celui-ci ait manifesté ou non son consentement.

Il s’agit donc, premièrement, de mieux prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans grâce aux précisions apportées par les nouvelles dispositions ; il n’y aura plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou le consentement du mineur à un acte sexuel. Nous proposons ainsi de ne retenir que deux des éléments constitutifs du viol : la contrainte morale et la surprise, qui peuvent résulter « de l’abus d’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité et du discernement nécessaire pour consentir à ces actes de manière éclairée ». La force de cette proposition réside aussi dans son applicabilité immédiate sitôt la loi promulguée. Nous avons donc visé l’efficacité afin de permettre aux magistrats de s’en saisir rapidement, y compris, et c’est une précision très importante, pour les affaires en cours. L’article 2 apporte les précisions nécessaires en indiquant très clairement la limite de quinze ans et donne au juge des éléments d’appréciation complémentaires lui permettant de déduire de l’âge la contrainte ou la surprise qui rattachent l’acte au viol tel que défini par les textes en vigueur, et ainsi de poursuivre immédiatement pour viol. Il s’agit de poser un cadre clair qui permette au juge de caractériser l’infraction en identifiant ces éléments constitutifs sur la base de critères très précis.

Deuxièmement, cet article permet de mieux sanctionner le délit d’atteinte sexuelle en portant la peine de cinq à dix ans d’emprisonnement lorsque l’atteinte comporte une pénétration sexuelle. Là encore, je tiens à lever les interrogations que cette disposition a pu susciter, et que je comprends dans la mesure où nous touchons à des sujets particulièrement techniques sur lesquels il convient par conséquent d’être le plus précis possible.

Non seulement cette disposition ne va pas conduire à la déqualification des viols commis sur les mineurs de moins de quinze ans, mais, bien au contraire, elle vise à et elle aura pour effet d’éviter le recours à la correctionnalisation. Nous entendons en effet, la garde des Sceaux et moi-même, éviter le recours à la correctionnalisation grâce à la facilitation de l’établissement de la contrainte ou de la surprise par le nouvel article 222-22-1 du code pénal, et au principe de la question subsidiaire obligatoire sur la qualification d’atteintes sexuelles prévue par l’article 351 du code de procédure pénale : au cours d’un procès pour viol aggravé, s’il n’a pas été possible d’établir l’existence des éléments constitutifs de l’infraction – menace, violence, contrainte, surprise –, le juge devra désormais poser la question de la requalification en atteinte sexuelle afin d’éviter un acquittement : très concrètement, nous aurons ou une condamnation pour viol, y compris lorsque l’on soutient que l’enfant ne s’est pas débattu, car avoir moins de quinze ans, c’est constitutif de la définition du viol, ou, lorsque le juge ne peut pas aller dans ce sens, qualifier l’acte d’atteinte sexuelle pour éviter, je le répète, un acquittement. Nous avons vraiment à cœur, en effet, de ne laisser aucune atteinte, aucun viol, aucune agression sexuelle sans réponse et sans condamnation. L’article 2 répond donc bien au double objectif que nous nous sommes assignés : renforcer l’interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans et renforcer les sanctions à l’égard des auteurs de ces infractions sexuelles.

Les ateliers du tour de France de l’égalité femmes-hommes ont massivement montré que les jeunes gens, et notamment les jeunes femmes, sont particulièrement exposés à de nouvelles formes de violences sexistes et sexuelles dans ce qui est devenu un nouvel espace public : internet. Ces violences en ligne sont massives : dans tous les ateliers que nous avons organisés avec des jeunes, quel que soit le lieu où ils vivent, quel que soit le milieu dont ils sont issus, tous nous ont parlé du cyber-harcèlement. Ces violences prennent les mêmes formes dans le cyber-espace que dans le monde réel : insultes, harcèlement moral, harcèlement sexuel, menaces sexistes, menaces de viol, voire de mort ; et ces violences commises dans l’espace virtuel ont les mêmes causes et les mêmes conséquences sur la santé, sur la vie sociale et intime des victimes que celles commises dans le monde réel. Toutes ces formes de violence doivent être prises en considération : c’est le sens de l’article 3.

Il s’agit d’adapter le droit à cette nouvelle configuration et aux nouvelles possibilités qu’internet offre aux agresseurs. Cet article vise donc particulièrement ce que nous avons appelé les « raids numériques », à savoir la publication par plusieurs auteurs de propos sexistes ou violents, proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible. Une telle forme de violence n’est pas prévue par les textes en vigueur définissant le harcèlement, lequel est constitué seulement lorsque les propos ou les comportements sont répétés plusieurs fois par une même personne. Nous proposons par conséquent d’adapter cette définition du harcèlement sexuel et moral en prévoyant que la répétition puisse résulter d’une action unique mais concertée de plusieurs personnes à l’encontre d’une même victime. L’article 3 élargit ainsi la définition du harcèlement moral et sexuel, intégrant la notion de harcèlement concerté. Le texte permettra ainsi de sanctionner les agissements concertés de plusieurs personnes à l’égard d’une même personne et ainsi d’écarter la condition de répétition aujourd’hui nécessaire pour retenir et qualifier le délit de harcèlement.

L’évolution que nous proposons facilitera en outre les dépôts de plaintes par les victimes de ces « raids numériques » qui, jusqu’alors impunis, contribuent à faire en sorte qu’internet est trop souvent perçu comme une zone de non-droit. Il ne peut plus l’être et le texte permettra au juge de condamner l’ensemble des auteurs qui auront participé à l’attaque de manière concertée, proportionnellement, évidemment, à la gravité de leurs agissements. Nous voulons envoyer un message très clair aux harceleurs en ligne et à ceux qui les incitent, les relaient ou prennent part à des opérations de déferlement de haine en ligne : la République française ne tolère pas de tels agissements et ceux-ci ne pourront plus rester impunis.

Enfin, la quatrième et dernière disposition a pour objet de sanctionner le harcèlement dit de rue en créant une nouvelle infraction que le groupe de travail des députés a proposé d’appeler « outrage sexiste », proposition que le Gouvernement a retenue. Cette disposition est l’un des engagements forts que le Président de la République a pris dès la campagne présidentielle en évoquant notamment l’insécurité spécifique vécue par les femmes dans l’espace public. Le harcèlement dit de rue est l’un des angles morts de notre droit positif : ces comportements, qui pour l’heure ne sont pas réprimés, entravent pourtant fortement les femmes dans leur liberté et dans leur autonomie.

Alors que huit femmes sur dix déclarent avoir peur de sortir seules le soir dans les rues en France, d’après une étude récente de l’IFOP et de la fondation Jean-Jaurès, le harcèlement de rue est bien une atteinte fondamentale à la liberté de circulation, à la liberté d’aller et de venir des femmes et cette atteinte à leurs droits a des conséquences sur l’ensemble de leur vie. Des femmes qui, dans leur trajet quotidien pour se rendre au travail, doivent avant tout se préoccuper de leur sécurité et élaborer, parfois, des stratégies d’évitement voire, n’ayons pas peur des mots, de survie, ne peuvent avoir l’esprit libre pour assurer leur réussite professionnelle : concrètement, lorsqu’on vient de passer quarante minutes à essayer de trouver le trajet le plus opportun pour ne pas être agressée, harcelée, intimidée, menacée, on ne peut pas arriver sur son lieu de travail avec l’esprit suffisamment disponible pour élaborer ce que les sociologues appellent des stratégies de carrière. De même, les jeunes femmes qui se rendent à l’université ne peuvent pas réussir sereinement leurs examens si, chaque jour, elles doivent consacrer une partie de leur temps de trajet à se préoccuper de leur propre sécurité, notamment dans les transports en commun. Ces stratégies de survie, bien des femmes les connaissent et les ont mises en œuvre. Le harcèlement de rue affecte ainsi durablement leur vie quotidienne en les poussant parfois, je le répète, à modifier leur trajet, à ne pas sortir trop tard, à envisager des solutions de repli.

Pour mettre un terme à l’impunité des agresseurs et mieux protéger les femmes qui subissent ces attaques quotidiennes, nous proposons donc la création de cette nouvelle infraction d’outrage sexiste. Elle vise à réprimer l’ensemble des propos ou comportements à connotation sexiste ou sexuelle imposés à une personne et qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Ces comportements seront désormais verbalisés d’une amende de la quatrième classe, soit 750 euros maximum, pouvant faire l’objet d’une procédure simplifiée de l’amende forfaitaire, à savoir 90 euros si elle est réglée immédiatement. Si les faits sont commis avec certaines circonstances aggravantes, comme sur un mineur de quinze ans ou dans les transports en commun, le projet de loi prévoit une contravention de la cinquième classe, punie d’une amende maximale de 1 500 euros ou de 3 000 euros en cas de récidive. Par ailleurs, les auteurs des faits pourront être condamnés à plusieurs peines complémentaires, dont l’obligation de suivre un stage contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ces comportements, facilement identifiables, pourront être verbalisés immédiatement par les forces de police, notamment par la police de la sécurité du quotidien : ainsi que l’a annoncé le ministre d’État, ministre de l’intérieur, M. Gérard Collomb, les 10 000 policiers de la sécurité du quotidien qui seront recrutés seront également formés et équipés pour verbaliser l’outrage sexiste et donc garantir l’efficacité de cette mesure.

L’existence d’une telle infraction dans la loi permettra enfin de poser un interdit social clair en signifiant que ces comportements ne relèvent plus d’une incivilité trop longtemps tolérée, mais bien de la loi pénale : ce faisant, nous affirmerons que la République française ne tolère pas que l’on intimide, que l’on menace les femmes dans l’espace public.

Mesdames et messieurs les députés, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ne sera pas possible tant que continueront de s’exercer aussi massivement des violences sexistes et sexuelles. Le Gouvernement a donc fait le choix de passer de la fatalité à la responsabilité en s’engageant avec une détermination absolue dans la lutte contre toutes ces formes de violence, notamment lorsqu’elles sont commises à l’encontre de mineurs.

Le projet de loi que je viens de vous présenter constitue une avancée fondamentale pour répondre à cette exigence qui est aussi une urgence. Nos concitoyens et particulièrement, oserai-je dire, nos concitoyennes, nous le rappellent chaque jour : ils – et elles – attendent que nous combattions avec la plus grande fermeté tout ce qui porte atteinte à leur dignité, à leur sécurité, à leur liberté. Nous devons être collectivement à la hauteur de cette attente pour faire avancer la société dans le respect des droits fondamentaux de la République française et c’est tout le sens du texte dont vous allez débattre.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La secrétaire d’État venant de nous présenter le projet de loi, je souhaite vous faire part de l’état d’esprit dans lequel j’aborde cette discussion. Ma réflexion s’est nourrie des nombreuses auditions que nous avons organisées pour un total de près de vingt heures. Elles nous ont permis de rencontrer des associations, des magistrats, des enquêteurs, des médecins, des avocats et des universitaires.

La lutte contre les violences sexuelles et sexistes et l’amélioration de la prise en charge de leurs victimes, particulièrement lorsqu’elles sont mineures, sont deux objectifs partagés sur tous les bancs. Le présent texte apporte trois améliorations cruciales pour, précisément, atteindre ces objectifs.

La première de ces améliorations consiste à donner aux victimes et à la justice le temps suffisant pour engager des poursuites : le projet de loi porte de vingt à trente ans le délai de prescription de l’action publique d’un certain nombre de crimes commis sur des mineurs. Faut-il rappeler que, dans la majeure partie des cas, la victime de viol ou d’agression sexuelle, femme ou homme, a moins de quinze ans au moment des faits ? Parallèlement, très peu d’auteurs sont condamnés. Derrière ces chiffres anonymes se cachent trop de victimes réduites au silence pendant des jours, des mois, voire des années. L’allongement du délai de prescription à trente ans se justifie donc par la nécessité de tenir compte des mécanismes psychologiques complexes, dont l’amnésie traumatique, ou des obstacles matériels qui peuvent empêcher la victime de se remémorer ou de révéler des faits commis durant son enfance.

Faut-il aller plus loin en rendant ces crimes imprescriptibles ? Je ne le crois pas. L’imprescriptibilité est réservée au seul crime par nature imprescriptible : le crime contre l’humanité. Si le législateur de 1964 a tenu à le rappeler, c’est qu’à travers cette infraction c’est l’humanité en tant que valeur qui est protégée. Comme le précise à juste titre la professeure Hardouin-Le Goff, « le crime contre l’humanité s’identifie à une dénégation de l’homme, dénégation de l’humanité de l’homme qui en est victime ». Concéder le caractère imprescriptible à d’autres infractions, aussi terribles soient-elles, reviendrait à priver le crime contre l’humanité de son ultime degré de gravité.

La deuxième amélioration que permet ce texte est de créer les conditions d’une juste et efficace répression des auteurs d’agressions sexuelles, tout particulièrement lorsque la victime est mineure. Nous aurons un débat certainement riche, peut-être parfois passionné, sur cette question de société qui cristallise l’attention et fait écho notamment à de récents faits divers très médiatisés qui nous ont tous bouleversés. Elles ont mis en lumière des zones d’ombre de notre droit dans la protection des mineurs. Fort de ce constat, le Gouvernement a décidé, par ce projet de loi, de fixer un âge seuil de 15 ans pour la définition des viols et agressions sexuelles. La rédaction proposée allège considérablement la preuve de la contrainte ou de la surprise pour les mineurs de moins de quinze ans. Surtout, ce texte permet de guider le juge dans son appréciation du discernement du mineur, et ce avec application immédiate, c’est-à-dire aux dossiers en cours, donc pour des faits commis antérieurement à la loi.

Je vous proposerai cependant plusieurs amendements visant à améliorer et enrichir le projet de loi.

Je crois en effet nécessaire de clarifier les modalités d’appréciation du manque de discernement du mineur.

Par ailleurs, la définition du crime de viol devrait être complétée afin de viser les actes de pénétration imposés par l’auteur sur sa personne, et pas seulement sur sa victime, actes qui ne sont pas aujourd’hui considérés comme des viols mais comme de simples agressions sexuelles.

Enfin, les circonstances aggravantes des violences sexuelles mériteraient d’être étendues, notamment pour tenir compte de l’éventuelle présence d’enfants qui assisteraient aux faits.

La troisième et dernière amélioration consiste à adapter notre droit aux violences sexuelles et sexistes que nous avons trop longtemps banalisées. Je pense au cyber-harcèlement et au « harcèlement de rue ». Ces violences qui font irruption dans le quotidien des victimes ne sont pas acceptables en ce qu’elles portent atteinte à leurs droits et libertés, liberté d’aller et venir, vie privée, ainsi qu’à leur dignité.

Je salue l’avancée que constitue l’article 3 du projet de loi, qui permettra de punir pénalement les « raids numériques », ces contenus vécus par la victime comme du harcèlement compte tenu de leur caractère répété et massif alors même que chaque auteur n’a agi qu’une seule fois. Je vous proposerai d’en compléter le dispositif pour lever les interrogations qui ont pu naître autour de la notion de concertation, afin d’inclure deux types de propos ou comportements : ceux imposés par plusieurs personnes à une même victime à l’instigation de l’une de ces personnes et ceux imposés successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savaient qu’ils caractérisent une répétition, par un phénomène en quelque sorte de surenchère.

Le harcèlement de rue sera désormais interdit par la loi pénale par le biais de la nouvelle infraction d’outrage sexiste ; il me semble nécessaire, dans un souci d’opérationnalité, d’étendre la liste des agents qui seront habilités à constater cette infraction, en visant notamment les policiers municipaux et les agents de sûreté des organismes de transport en commun.

Enfin, je remercie Mme la secrétaire d’État de s’être montrée disponible et à l’écoute de ces réflexions, ainsi que mon collègue Dimitri Houbron, qui défendra au nom du groupe de La République en marche certaines de ces propositions.

Tout notre travail a été la recherche d’un équilibre, un équilibre indispensable entre protection effective des victimes et respect des garanties constitutionnelles.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais maintenant donner la parole aux deux corapporteurs de la Délégation aux droits des femmes, qui s’est saisie de ce texte pour avis, Mme Rixain et M. Balanant.

Mme Marie-Pierre Rixain, présidente et corapporteure de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a choisi de faire des violences faites aux femmes une priorité et a donc souhaité se saisir du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Avant de vous présenter les grandes lignes de notre rapport sur ce projet et nos principales recommandations, je voudrais rappeler que les violences contre les femmes sont encore omniprésentes dans notre société, toujours empreinte de stéréotypes sexués continuant d’assigner aux femmes et aux hommes des rôles prédéfinis qui légitiment des rapports de domination inacceptables.

Les violences sexistes et sexuelles sont ainsi une réalité massive aux conséquences insupportables et extrêmement destructrices pour les victimes. Comme cela nous a été dit au cours de nos nombreuses auditions, ces violences ont en effet des conséquences physiologiques et psychologiques graves, profondes et durables pour les victimes. En outre, quand un homme, une femme ou un enfant est violenté, blessé physiquement et psychiquement, atteint dans son être même, ce sont en réalité tous nos principes républicains qui sont bafoués. Un acte de violence sexiste ou sexuel n’est pas une question privée, une question intime qui ne concernerait que la victime et son agresseur, mais bien une question sociétale. D’une part, nous ne pouvons tolérer que des femmes et des filles soient inquiétées, harcelées, violentées, agressées, violées dans notre République : les victimes doivent être mieux soutenues et les agresseurs mieux sanctionnés. D’autre part, il est impératif de mettre fin à ces violences pour permettre l’établissement d’une société de réelle égalité entre les femmes et les hommes.

C’est dans cette double optique que nous avons conduit nos travaux sur ce projet de loi qui nous semble constituer une avancée extrêmement positive. Je tiens à souligner que notre réflexion a été utilement enrichie des précédents travaux réalisés sur le viol, dans le cadre de la délégation, par Mme Sophie Auconie et moi-même pendant plus de quatre mois. Ce précédent rapport nous a permis de nous appuyer sur un travail de constats et d’analyses approfondies sur les crimes de viol et leur traitement judiciaire, y compris dans les cas de viols commis par des majeurs sur des mineurs. Nous avons complété ces travaux par de nombreuses auditions qui nous ont permis de nous pencher en détail sur les trois principaux champs couverts par le projet de loi : les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs, les cyber-violences et le harcèlement sexiste dans l’espace public. Dans ce cadre, nous avons d’ailleurs pu entendre la secrétaire d’État sur le projet de loi, lors de son audition du 17 avril dernier.

Notre rapport d’information, adopté à l’unanimité par la délégation, formule seize recommandations, qui visent à conforter et à amplifier ces avancées quant à la protection des victimes et à la répression des auteurs de ces violences, selon trois axes.

Nous nous sommes tout d’abord intéressés au renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles. Nous apportons notre complet soutien à ces mesures, proposées aux articles 1er et 2 du projet de loi, qui vont dans le sens d’une plus grande protection des mineurs contre les crimes sexuels, en renforçant notamment le seuil d’âge de quinze ans, ce qui semble en effet fondamental. Il est pour nous essentiel d’introduire une telle précision dans le code pénal, et l’article 2 du présent projet permet de mieux tenir compte de l’immaturité sexuelle, non pas seulement physique mais également psychologique des enfants et des adolescents de moins de quinze ans. Nous soutenons donc pleinement ce dispositif, tout en proposant d’en clarifier la rédaction afin d’en garantir l’efficacité et la bonne utilisation.

S’il nous semble évident et absolument fondamental de retenir ce seuil de quinze ans dans la loi, il nous a paru intéressant de poursuivre le débat, de l’ouvrir sur cette problématique fondamentale de la protection des enfants contre les violences sexuelles en nous posant cette question : devons-nous également établir un seuil de treize ans avec des interdictions encore plus claires et des sanctions encore plus strictes ? C’est ce débat que nous avons souhaité lancer en proposant la création de deux nouvelles infractions qui interdiraient explicitement tout acte sexuel d’un majeur sur un mineur de treize ans et renforceraient les sanctions applicables dans de tels cas.

M. Erwan Balanant, corapporteur de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le deuxième axe de notre travail a porté sur la répression des cyber-violences. Le dispositif proposé à l’article 3 nous semble particulièrement bienvenu pour lutter contre ce phénomène devenu massif. Internet ne saurait être un espace de non-droit et nous devons être vigilants pour garantir le respect des droits des femmes, y compris dans les espaces virtuels. Nous proposons donc de faciliter le signalement de tous les comportements répréhensibles commis par voie numérique, par la création d’une plateforme de signalement des cyber-violences intégrée à un portail d’information et de pré-dépôt de plainte contre toutes formes de violence sur le modèle du dispositif Pharos ; la secrétaire d’État vient de l’évoquer.

Concernant enfin l’outrage sexiste, nous adhérons pleinement au dispositif proposé à l’article 4 du projet, qui permet de faire évoluer le cadre répressif et de poser un interdit très clair qui permettra de faire changer les comportements et évoluer les mentalités afin, je l’espère, de mettre fin à ce fléau dans l’espace public. Nous souhaitons toutefois augmenter l’efficacité de ce dispositif en prévoyant la possibilité pour tout agent de police judiciaire adjoint et tout agent assermenté au titre du code des transports de constater cette infraction.

Comme nous l’avons déjà révélé, il s’agit de faire baisser le seuil d’acceptation sociale de ces comportements et d’agir au plus tôt, convaincus que nous empêcherons ainsi le développement d’autres violences.

En conclusion, nous tenons à rappeler que les violences sexistes et sexuelles contribuent à renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes, et doivent être combattues le plus sévèrement possible. Par ce projet de loi, nous envoyons un signal extrêmement fort à l’ensemble de notre société : nous n’accepterons plus ces violences et la réponse pénale sera sans faille.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons maintenant entendre un orateur par groupe.

M. Dimitri Houbron. Une étude de 2015 démontre que, chaque année, 124 000 jeunes filles et 30 000 jeunes garçons sont victimes de viol ou de tentative de viol. Pourtant, encore aujourd’hui, à peine 10 % des victimes de viol déposent plainte. Ce combat, nous devons le mener ensemble. Ce combat n’a pas de couleur politique : il est commun. Les récentes affaires ne sont pas ce qui nous pousse à légiférer, elles ne sont que le reflet d’un mal profond contre lequel notre mobilisation s’impose.

Cette loi, à elle seule, ne suffira pas à endiguer ces tragédies mais elle se doit de montrer la voie. Elle se doit d’envoyer un signal fort aux victimes : le signal qu’elles ne sont plus seules, le signal que la représentation nationale est à leur côté, que nous partageons leur souffrance et que nous agissons.

Mais cette loi envoie également un signal aux auteurs et futurs auteurs d’agressions sexuelles : le signal que le sentiment d’impunité n’est plus permis, que leurs actes ne resteront plus impunis.

Ces quelques articles doivent être le fer de lance d’une véritable politique nationale ambitieuse. Cette politique d’accompagnement des victimes, cette politique de pédagogie, je sais, madame la secrétaire d’État, que vous la porterez avec force et conviction et les membres du groupe de La République en Marche seront à vos côtés partout sur le territoire. Cet enjeu national nous impose d’être exemplaires, de ne pas sombrer dans les solutions de facilité et de rester les garants de l’État de droit, de faire triompher la raison.

Ce projet de loi est une avancée majeure dans la répression des auteurs de violences sexuelles ou sexistes.

L’article 1er vise à étendre la durée de prescription de vingt à trente ans pour les mineurs victimes d’agressions sexuelles à compter de leur majorité. L’ambition est de permettre à une victime traumatisée de porter plainte malgré les années passées.

L’article 2 vise à caractériser l’un des éléments constitutifs du viol, à savoir la contrainte, en permettant qu’elle se déduise de la minorité de moins de quinze ans de la victime. À cela s’ajoutent l’aggravation des peines d’atteintes sexuelles à dix ans d’emprisonnement et l’obligation pour le président de la cour d’assises de prévoir subsidiairement une qualification d’atteinte sexuelle afin que l’auteur ne reste pas impuni.

L’article 3 complète la définition du délit de harcèlement moral et sexuel en indiquant que l’infraction sera également constituée lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes : sont notamment visés ici les « raids numériques ».

Enfin, l’article 4 introduit dans le code pénal un nouvel article réprimant l’outrage sexiste, contravention de la quatrième classe. Cette disposition permettra aux forces de police de verbaliser immédiatement ces comportements facilement identifiables. Enfin, un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les hommes et les femmes pourra être prononcé à titre de peine complémentaire.

Ce projet de loi fera l’objet de quelques modifications à la suite des travaux parlementaires, mais toujours avec une ambition commune : mieux protéger les victimes de violences sexuelles ou sexistes. Je remercie les collègues qui ont activement travaillé sur ce texte, chacun avec ses convictions et son histoire, et je suis persuadé que nos débats enrichiront encore davantage le texte.

M. Stéphane Viry. Le thème qui nous réunit aujourd’hui relève d’une action continue, résolue et adaptée tout au long de cette législature. Au-delà de nos convictions personnelles et de nos engagements de groupe, nous sommes tous d’accord sur le sujet. Plus généralement, le combat pour le droit des femmes est d’ordre culturel et pas seulement politique – je vous rejoins sur ce point, madame la secrétaire d’État. Les principes d’égalité et de citoyenneté qui prévalent dans notre République sont suffisamment forts pour nous permettre de lutter contre les comportements sexistes, et avant de raisonner en termes de nouvelles dispositions législatives, essentiellement pénales, notre pays, nos acteurs institutionnels, nos entreprises privées, nos services publics, notamment l’éducation nationale, nos associations doivent communiquer, sensibiliser, alerter, car il nous faut lutter contre ce déficit sociétal, contre ce problème culturel, une caractéristique, probablement, de notre France à consonance latine. Il faut faire évoluer les mentalités, les regards et les comportements.

Sur certains sujets, nous n’avons pas besoin de loi spécifique. On reproche parfois aux parlementaires de trop légiférer, avec des lois parfois peu applicables ou peu appliquées. Certaines réponses sociales ne sont pas forcément du registre de la loi mais davantage de la sensibilisation, à partir des moyens publics mis à disposition des acteurs.

Il y a quelques semaines, le Sénat s’est également saisi du sujet avec une proposition de loi très élaborée, après plus de cent dix auditions qui ont permis d’avancer des propositions.

Pour aller à l’essentiel, il va de soi que, sur la question du renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles, il nous faut parfaire nos textes dans l’intérêt des victimes. Nous présenterons des amendements pour ajuster les réponses pénales en termes soit de prescription, soit de répression.

S’agissant de la répression des délits de harcèlement moral et sexuel, votre texte va évidemment dans la bonne direction.

En ce qui concerne l’article 4, je déplore que le groupe de travail mis en place sur la verbalisation du harcèlement de rue n’ait pas intégré un député du groupe Les Républicains, ce qui nous aurait permis d’être associés en amont à ces réflexions. Même si l’on peut comprendre l’engagement fort du Président de la République, il n’en demeure pas moins à nos yeux, et à ce stade du débat, que la traduction juridique est baroque et de nature à créer de l’insécurité juridique. Il va de soi que la protection des femmes dans l’espace public et dans l’espace privé est une absolue nécessité, et il convient très probablement de chercher à faire beaucoup mieux, mais notre cadre juridique n’est pas vide : plusieurs infractions existent déjà et il serait possible d’étendre leur champ d’application pour permettre de réprimer et d’envoyer des messages afin que les choses bougent sur le plan culturel.

Enfin, puisque nous allons répondre au harcèlement de rue par une contravention, il me semble que la fixation des contraventions et des peines encourues relève de la compétence du pouvoir réglementaire et non du domaine de la loi. Autrement dit, nous aurions pu, tout en abordant cette question, nous épargner de légiférer sur ce point.

Mme Isabelle Florennes. Le projet de loi que nous nous apprêtons à débattre arrive au terme d’un cycle médiatique et sociétal majeur pour les femmes. Dans le sillage des nombreuses révélations qui ont jalonné l’affaire Harvey Weinstein, les femmes ont pris la parole et ont, peut-être pour la première fois, bénéficié d’une véritable écoute. Ce projet donne vie à certains des nombreux espoirs portés à la suite de ce mouvement en les inscrivant dans la loi. Il incarne à cet égard une politique volontariste plus globale du Gouvernement en matière de promotion d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes et de lutte contre la violence faite aux femmes, politique à laquelle le groupe du Mouvement démocrate et apparentés est particulièrement attaché.

Complétant un arsenal législatif et juridique important mais encore trop lacunaire, ce texte a le mérite de cibler un type particulier de violences dont les femmes sont les premières victimes et qui les entravent dans tous les aspects de leur vie : les violences sexuelles. Là encore, de manière inédite, le projet de loi aborde l’ensemble des manifestations de ces violences, qu’elles prennent l’enfance pour cible, qu’elles se nichent au sein de l’espace public, dans les transports, sur internet avec les « raids numériques », qu’elles se traduisent par des atteintes directes ou par un harcèlement insupportable car toujours répété.

Pour enrichir cette approche, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés se propose de compléter les dispositions relatives à la protection de l’enfance, objet des articles 1er et 2 du texte, en présentant quatre amendements qui visent à permettre la tenue d’un véritable débat sur la prescription pour certains crimes de nature sexuelle ou violente commis sur les mineurs. Si notre groupe se félicite en effet de l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les mineurs de vingt à trente ans, nous souhaiterions engager un débat de fond sur la question de la prescription pour ce type de crimes, notamment en raison de la problématique de l’amnésie traumatique, qui retarde considérablement la prise de parole des victimes. Les avancées scientifiques récentes en la matière pourraient apporter un nouvel éclairage à ce débat.

Nous souhaitons également consacrer le principe de présomption simple de contrainte morale pour un accusé auteur de violences sexuelles commises sur un mineur de quinze ans. Il s’agit ici d’inverser la charge de la preuve et de soulager le mineur en déplaçant cette charge vers le défendeur. Cette proposition garantit un équilibre entre les droits de la défense et la difficulté, que nous connaissons tous ici, à prendre la parole et à prouver de tels préjudices pour les victimes.

Il conviendrait également de renforcer les sanctions pour les atteintes sexuelles qui ont lieu dans les transports collectifs de voyageurs en en faisant une circonstance aggravante et, enfin, d’exiger des établissements abritant des activités sportives qu’ils procèdent à la déclaration de l’ensemble des éducateurs sportifs professionnels et bénévoles qui les accompagnent.

Ces propositions sont le fruit d’une réflexion menée à l’aune de l’actualité récente, qui nous a tous et toutes ici saisis d’effroi, bouleversés, mais qui doit nous interpeller quant aux failles de notre système. Je veux redire ici, au nom de l’ensemble de notre groupe, tout notre attachement à la protection de l’enfance et à la promotion des droits des femmes. Ce texte ouvre la voie d’une sanctuarisation de l’enfance, et par ailleurs vient sanctionner des pratiques, le harcèlement de rue et le cyber-harcèlement, qui sont autant d’obstacles à l’émancipation des femmes dans l’espace public.

Mme Sophie Auconie. Pour avoir travaillé à plusieurs reprises sur cette thématique, au titre de présidente de Femmes au Centre mais également dans le cadre du groupe de travail sur l’outrage sexiste et le harcèlement de rue, puis en tant que corapporteure d’un rapport sur les crimes sexuels avec Mme Marie-Pierre Rixain, j’ai eu l’occasion de mesurer, lors de nombreuses auditions et visites sur le terrain, combien ce sujet devait être transpartisan pour être efficace.

Je considère que le présent texte a le mérite d’exister, mais que nous devons aller beaucoup plus loin. Nos débats doivent l’enrichir afin de faire cesser l’inacceptable et de combattre comme il se doit les violences invisibles, indicibles, que nul ne devrait connaître. Rappelons que le viol est le crime le plus répandu en France et en même temps le plus impuni.

Les articles 1er et 2 tendent vers une meilleure protection des mineurs – or la moitié des victimes d’agressions sexuelles dans notre pays sont mineures. Le temps de prescription est rallongé à trente ans, ce qui à mes yeux n’est pas encore satisfaisant : c’est mon seul point de désaccord avec Mme Marie-Pierre Rixain, dans les vingt-quatre propositions de notre rapport. Je considère que ce crime doit être, quand la victime est mineure, imprescriptible. Des enfants qui vivent sous l’ascendant de majeurs auteurs de ces crimes n’osent pas avouer les faits dont ils ont été victimes. Or très souvent, les criminels en questions sont de véritables prédateurs qui se sont attaqués à un certain nombre de jeunes mineurs : il faut que leurs victimes, même après trente ou quarante ans, puissent ensemble apporter un témoignage qui permette de les condamner. Une limite d’âge de quarante-huit ans ne me paraît pas satisfaisante : nous devons rendre ce crime imprescriptible. Nos enfants sont l’humanité et nous devons mieux les protéger.

Quant à l’article 2, sur le même sujet, il est trop timide. Il faut poser un interdit clair : tout acte sexuel, avec ou sans pénétration, sur mineur de treize ans est un viol ou une agression.

Sur l’article 4 et le délit d’outrage sexiste, il faudrait le coupler avec un travail pédagogique de l’éducation nationale. Il n’est qu’à voir comment les enfants se comportent aujourd’hui : ils ont perdu le sens du respect et du consentement dans la relation à l’autre, qu’elle soit verbale, tactile, intime. Il faut également une campagne nationale d’information et de sensibilisation, en portant une attention particulière au harcèlement. Il me semble indispensable d’accompagner le dispositif proposé par des mesures préventives et éducationnelles.

Les contenus pornographiques et l’image de la femme sur internet sont absents du projet et je le regrette. Un enfant sur deux a eu accès avant dix ans à des images pornographiques. L’âge moyen de premier visionnage d’un film pornographique est de quatorze ans. Je ne sais pas si vous avez vu des films pornographiques ; j’en ai vu dans le cadre du rapport avec Mme Marie-Pierre Rixain. La découverte de la sexualité dans ce cadre-là n’est pas acceptable. Nous avons testé l’accès à un site pornographique : à l’entrée, le site demande à l’internaute s’il est majeur. Si vous répondez non, l’accès vous est interdit. Mais il suffit de revenir sur la page en répondant cette fois que vous êtes majeur, avec le même ordinateur, la même adresse IP, pour qu’il vous soit immédiatement autorisé ! La facilité avec laquelle les enfants reçoivent les messages sexuels à travers ces sites n’est pas tolérable.

J’ai oublié d’évoquer l’article 3 et le harcèlement sexuel et moral sur internet. Cet article permet d’incriminer chaque personne ayant participé à un « raid numérique ». Il est nécessaire d’adapter notre arsenal législatif à l’ère numérique, et cet article est un progrès. Beaucoup d’innovations sont nécessaires, mais relèvent du domaine réglementaire : j’en appelle à l’autorité de Mme la secrétaire d’État pour que des mesures cohérentes soient mises en œuvre rapidement, ce qui ne me semble pas évident au vu du texte tel qu’il nous est proposé. Pour mieux protéger les victimes, il est urgent d’envoyer un signal fort et un message non équivoque de tolérance zéro pour les crimes sexuels. Le Président de la République s’y était engagé lorsqu’il a organisé, au mois de novembre, la conférence sur la lutte contre les violences faites contre les femmes érigée en grande cause du quinquennat ; or je ne retrouve pas forcément cet engagement dans le texte.

Mme Marietta Karamanli. Ce projet de loi, très attendu, entend prévenir et réprimer plus efficacement et plus durablement les atteintes à l’intégrité physique et psychologique et les violences sexuelles. Les attentes de nos concitoyens sont fortes dans ce domaine et ce texte leur apporte des réponses dont certaines sont adaptées et nécessaires tandis que d’autres suscitent des interrogations quant à leur portée et leur efficacité.

Ce projet s’inscrit dans une lignée récente de textes législatifs convergents qui se sont faits plus nombreux au cours des toutes dernières années : ainsi, la loi d’août 2012 a donné une définition plus précise du harcèlement sexuel et a renforcé la protection des victimes, notamment dans le cadre professionnel.

Parmi les apports de principe de ce texte, citons l’allongement du délai de prescription à trente ans pour les crimes sexuels à l’encontre des mineurs, le renforcement de la répression des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze ans, la nouvelle incrimination d’outrage sexiste, l’extension de la définition de harcèlement en vue de réprimer les « raids numériques ».

Restent que plusieurs questions continuent à se poser, sur lesquelles, au nom du groupe de la Nouvelle Gauche, je souhaiterais insister.

S’agissant de la répression des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze ans, les notions de contrainte morale et de surprise sont redéfinies, mais la justice aura à se poser à chaque fois la question du discernement de la victime. Compte tenu de l’alourdissement des peines en cas d’atteintes sexuelles, le dispositif fait craindre une moindre répression des viols qui seront plus souvent correctionnalisés. C’est la raison pour laquelle notre groupe a déposé plusieurs amendements pour proposer une nouvelle définition du viol et pour inscrire l’âge de treize ans comme la limite en deçà de laquelle une relation sexuelle est qualifiée de viol.

En ce qui concerne le harcèlement de rue, cette nouvelle incrimination ne paraît utile que si l’on est en mesure de concilier l’insécurité des personnes commettant de tels actes et une application réaliste. Comme nous l’avons rappelé dans le cadre du groupe de travail, le sentiment de harcèlement provient pour partie d’une absence d’application de dispositions existantes dans le code pénal qui répriment d’ores et déjà les violences verbales, les menaces de violences légères, les violences physiques et l’exhibition. Notre groupe propose de créer une contravention d’outrage sexiste, quand bien même cela relève a priori du domaine réglementaire.

En matière de harcèlement de rue, notre groupe note l’insuffisance d’une politique globale de prévention et notamment d’éducation. L’éducation à la sexualité – vecteur significatif pour aborder les relations entre personnes d’un genre différent et le nécessaire respect des personnes et des sexes avec des jeunes parfois prisonniers d’une image forgée au sein d’un groupe familial ou culturel – n’est parfois plus dispensée. Il nous semble indispensable d’évaluer ce qui est réellement enseigné tout au long de la scolarité, du primaire au lycée, pour soutenir une démarche globale. Nous souhaitons aussi que soit évalué le processus d’accompagnement des victimes en matière de prise en charge intégrale par l’assurance maladie des frais médicaux et paramédicaux que doivent assumer les victimes de violences sexistes et sexuelles.

Si nous émettons un jugement a priori favorable sur ce texte, nous veillerons à ce qu’il soit amélioré et complété.

Profitant de votre présence, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais vous poser deux questions.

Quels moyens opérationnels seront consacrés à la mise en œuvre de ces mesures au sein de la justice, de la police, de l’éducation nationale et du secteur de la santé ? S’agit-il de redéploiements ou de nouveaux moyens ?

En ce qui concerne l’outrage sexiste, l’étude d’impact cite quelques États qui pénalisent des comportements sexistes dans l’espace public, mais ne fournit aucune donnée sur les poursuites engagées et les condamnations prononcées. Disposez-vous d’éléments nous permettant d’évaluer l’efficacité de la législation et les conditions de son effectivité ? De tels éclairages nous aideraient à améliorer et compléter le texte.

Mme Clémentine Autain. Ce texte était attendu : des mots positifs avaient été prononcés, notamment par vous, madame la secrétaire d’État, au moment du formidable mouvement de libération de la parole qu’a constitué la campagne #MeToo. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la montagne a finalement accouché d’une toute petite souris. Au-delà des mots, il y avait une attente de moyens et d’une loi qui permette de répondre aux besoins des victimes. Or ce texte ne répond pas aux besoins des victimes.

De notre point de vue, il aurait fallu une loi-cadre, c’est-à-dire un texte doté de moyens permettant aux pouvoirs publics d’accompagner le mouvement, de prendre le problème à bras-le-corps pour que les victimes puissent être accompagnées et obtenir justice.

Les quatre articles tendent à accroître les sanctions. C’est peut-être bienvenu, mais le problème majeur reste que la loi – qui, au fond, est déjà assez sévère – n’est pas appliquée. Pourquoi n’est-elle pas appliquée ? Moins de 9 % des victimes portent plainte, seulement 1 % des viols débouchent sur une condamnation, 70 % des plaintes sont classées sans suite, 80 % des procédures sont mal vécues par les victimes. À cet égard, les fameux cinq cents témoignages recensés il y a peu sur l’accueil dans les commissariats font franchement froid dans le dos : les conditions actuelles de recueil de la parole des femmes dans les commissariats et ensuite devant la justice ne sont pas correctes. Rappelons que 60 % des plaintes sont refusées ou découragées, particulièrement les plaintes pour violences conjugales. Vous avez vous aussi recueilli des témoignages de femmes dans vos circonscriptions : c’est vraiment à pleurer. Nous avons un réel problème de formation. Il faut déjà passer ces premières étapes avant de passer au niveau supérieur.

Il s’agit donc de prendre la mesure des besoins et de situer correctement le problème. Pour ma part, je trouve l’exposé des motifs de ce texte assez indigent : il ne prend absolument pas la mesure de l’ampleur sociale, historique et politique du viol. Les violences sexistes et sexuelles n’arrivent pas de nulle part ; elles s’inscrivent dans un processus de rapports de domination. Elles constituent l’acte ultime, sorte de point d’orgue de la domination masculine sur l’ensemble de la société. C’est pourquoi je suis étonnée, madame la secrétaire d’État, que vous ayez laissé passer, par exemple, le terme d’« abus sexuel ». Je crois que nous en sommes arrivés à une étape supérieure. Dans l’exposé des motifs d’un texte sur les violences sexuelles, on peut estimer que l’on n’abuse pas, mais que l’on agresse. Les mots sont très importants, y compris pour la reconstruction des femmes victimes.

Nous voulions une loi-cadre pour prendre le problème à la racine, comme l’ont fait les Espagnols en 2004. L’éducation contre les stéréotypes sexistes doit être prise en charge par les pouvoirs publics dès la prime enfance. Il faut aussi tenir compte des inégalités professionnelles et de la précarité qui affectent les femmes. Si l’on veut lutter contre le harcèlement sexuel, qui se passe souvent au travail, il ne faut peut-être pas supprimer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : on sait que c’est un des premiers endroits où les femmes peuvent s’exprimer. Des sujets comme la traite des êtres humains, les mariages forcés et les mutilations sexuelles sont totalement absents de ce texte.

Que dire des espaces médiatiques et de la publicité ? Les énonciations sexistes, banalisées au quotidien, participent à l’intériorisation des rôles – féminin passif, masculin actif –, le corps des femmes étant considéré comme un objet. De tout cela, votre texte n’en parle pas, ce qui ne permet pas d’agir sur le point majeur : la prévention des violences sexistes et sexuelles.

J’ai parlé de l’amont, venons-en maintenant à l’aval. Je suis très étonnée qu’il n’y ait strictement rien sur le traitement des violeurs. Une fois que les violeurs sont en prison, peut-on enfin s’intéresser à la façon dont ils sont traités ? Je ne dis pas que c’est simple, mais nous devrions au moins chercher des méthodes parce que de nombreux hommes restent des violeurs après être passés par la prison. Il faut mettre le paquet sur le traitement des violeurs.

Si j’ai parlé d’une loi-cadre, c’est parce que la question des moyens est vitale. S’il n’y a pas de moyens, je ne vois pas comment on accompagne les femmes victimes. Il faut des moyens pour former la police et la justice, mais aussi pour les associations qui travaillent sur ce terrain. Au moment du mouvement #MeToo, la permanence téléphonique de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a tout simplement explosé… C’est une excellente nouvelle, mais si les associations ne peuvent plus répondre au téléphone par manque de personnel, les pouvoirs publics passent à côté de leur mission qui est d’apporter des réponses concrètes à cette libération de la parole.

Comparons les moyens consacrés à ces questions par la France et l’Espagne, pays dont les budgets publics ne sont pas particulièrement plus fringants que les nôtres. En Espagne, on consacre 0,54 euro par habitant à la lutte contre les violences faites aux femmes, contre 0,33 euro en France. Vous avez dit que vous allez mettre 4 millions d’euros plus un million d’euros sur la table. Malgré tout, je ne vois pas bien comment va augmenter la part consacrée à cette lutte. Vos moyens, madame la secrétaire d’État, représentent 0,0066 % du budget de la France… On devrait pouvoir faire mieux pour une grande cause nationale.

Je conclus très brièvement sur les quatre articles du projet de loi. Nous approuvons certaines mesures comme l’extension du délai pour le dépôt de plainte. Mais certains manques – notamment en matière de vocabulaire – nous paraissent assez graves : le consentement doit entrer dans le droit et l’outrage devrait être qualifié d’agissement. Enfin, nous sommes préoccupés par le déclassement juridique du harcèlement ou la correctionnalisation accrue du viol. Le harcèlement et le viol sont des crimes qui doivent être jugés devant les assises.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La discussion générale est close. Nous allons pouvoir passer à l’examen des 244 amendements dont nous sommes saisis sur ce texte.

 

 

 

 


  1  

   EXAMEN des articles

TITRE Ier
dispositions renforçant la protection des mineurs
contre les violences sexuelles

Chapitre Ier
Dispositions relatives à la prescription

Avant l’article 1er

La Commission est saisie de l’amendement CL188 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Le Gouvernement propose d’établir un âge minimum en dessous duquel un enfant ou un adolescent est présumé non consentant à un acte sexuel. La question reste toutefois entière pour ce qui est d’une présomption de non-consentement de tous – mineurs ou majeurs – à une relation sexuelle.

Nous proposons de supprimer les mots « des mineurs » dans le titre Ier pour ouvrir l’application des mesures aux majeurs.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Ce titre Ier comporte bien des dispositions destinées à renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles. Il n’y a donc pas lieu de le modifier.

Je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, j’y serai défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Même avis, pour les mêmes motifs.

L’amendement est retiré.

Article 1er
(art. 7 et 9-1 du code de procédure pénale)
Allongement à trente ans du délai de prescription de l’action publique
de certains crimes commis sur des mineurs

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er du projet de loi porte de vingt à trente ans le délai de prescription de l’action publique de certains crimes commis sur les mineurs (meurtre ou assassinat précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou commis en état de récidive légale ; tortures ou actes de barbarie ; viol ; traite des êtres humains commise avec une circonstance aggravante, en bande organisée ou en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie ; proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans ; violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur un mineur de moins de 15 ans, sur un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante, ou sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur).

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, en portant le délai de prescription de l’action publique des crimes de droit commun de dix à vingt ans, a conduit à aligner sur cette durée le délai jusque-là dérogatoire de vingt ans qui s’appliquait aux crimes précédemment cités.

Modifications adoptées par la commission des Lois :

La Commission a adopté cet article après lui avoir apporté des modifications de cohérence.

1.   Le droit en vigueur

La prescription, cause d’extinction de l’action publique, constitue un obstacle à l’exercice de poursuites contre l’auteur d’une infraction à l’issue d’un délai fixé, en principe, à six années en matière délictuelle et vingt années en matière criminelle.

Ses règles doivent tenir compte de plusieurs exigences contradictoires, rassemblées par M. Jean Danet, maître de conférences à l’Université de Nantes et avocat honoraire au barreau de Nantes, s’exprimant devant la mission d’information sur la réforme de la prescription pénale mise en place en 2015 par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, sous la forme d’« un quadruple équilibre » :

––  entre le droit à la sécurité et celui au procès équitable ;

––  entre le droit des victimes d’obtenir réparation et celui de chacun d’être jugé dans un délai raisonnable ;

––  entre la mise en œuvre des moyens techniques d’élucidation des infractions et la nécessité de délimiter le champ du travail de la police ;

––  et entre les différents foyers de sens de la peine (rappel de la loi et défense de la société d’un côté, sens éducatif, principe de proportionnalité, nécessité et utilité de la peine de l’autre) ([34]).

Le législateur a souhaité, depuis plusieurs dizaines d’années, marquer la gravité particulière des infractions, notamment sexuelles, commises sur les mineurs et leur laisser le temps suffisant pour obtenir justice. Il a soumis la plupart de ces infractions à un régime de prescription de l’action publique dérogatoire du droit commun en leur appliquant des délais allongés et en prévoyant le report du point de départ de ces délais, normalement fixé au jour où l’infraction a été commise, à la majorité de la victime lorsque celle-ci était mineure au moment des faits.

Le caractère dérogatoire de ce report peut toutefois être contesté dans la mesure où l’âge de 18 ans correspond à l’âge requis par la loi pour ester en justice.

En matière délictuelle, les infractions concernées par ce régime dérogatoire se prescrivent par dix ou vingt ans en fonction de la gravité du délit, contre six années dans le droit commun (deuxième et troisième alinéas de l’article 8 du code de procédure pénale).

liste des dÉlits commis sur mineurs soumis À un
dÉlai de prescription de l’action publique dÉrogatoire

Article du
code pénal

Délit

Quantum de la peine d’emprisonnement encourue

Délai de prescription de l’action publique

222-12
(1° à 15°)

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours commises :

–  sur un mineur de moins de 15 ans (1°)

–  sur un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante (2° à 15°)

5 ans

20 ans

222-12 (avant‑dernier alinéa)

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours commises sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou par une personne ayant autorité

10 ans

20 ans

222-29-1

Agression sexuelle autre que le viol imposée à un mineur de moins de 15 ans

10 ans

20 ans

222-27

Agression sexuelle autre que le viol sur un mineur de 15 ans ou plus

5 ans

10 ans

222-28

Agression sexuelle autre que le viol sur un mineur de 15 ans ou plus commise avec une circonstance aggravante

7 ans

10 ans

222-29

Agression sexuelle autre que le viol sur un mineur de 15 ans ou plus en situation de particulière vulnérabilité apparente ou connue de l’auteur des faits

7 ans

10 ans

222-30

Agression sexuelle autre que le viol sur un mineur de 15 ans ou plus en situation de particulière vulnérabilité apparente ou connue de l’auteur des faits, commise avec une autre circonstance aggravante

10 ans

10 ans

225-4-1 (II)

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur

10 ans

10 ans

225-7 (1°)

Proxénétisme à l’égard d’un mineur de 15 ans ou plus

10 ans

10 ans

225-12-1

Recours à la prostitution de mineurs

3 ans

10 ans

225-12-2
(alinéa 1)

Recours à la prostitution de mineurs commis avec une circonstance aggravante

5 ans

10 ans

225-12-2
(alinéa 6)

Recours à la prostitution de mineurs de moins de 15 ans commis avec une circonstance aggravante

7 ans

10 ans

227-22 (alinéa 1)

Favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur de 15 ans ou plus

5 ans

10 ans

227-22

(alinéa 1)

Favoriser ou tenter de favoriser la corruption d’un mineur de 15 ans ou plus lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ou que les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux

7 ans

10 ans

227-22

(alinéa 2)

Fait, pour un majeur, d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ou d’assister en connaissance de cause à de telles réunions

5 ans

10 ans

227-22 (alinéa 3)

Favoriser ou de tenter de favoriser la corruption :

–  d’un mineur de 15 ans ou plus, lorsque les faits sont commis en bande organisée

–  d’un mineur de moins de 15 ans

10 ans

10 ans

227-22-1

(alinéa 1)

Fait, pour un majeur, de faire des propositions sexuelles à un mineur de moins de 15 ans en utilisant un moyen de communication électronique

2 ans

10 ans

227-22-1

(alinéa 2)

Fait, pour un majeur, de faire des propositions sexuelles à un mineur de moins de 15 ans en utilisant un moyen de communication électronique lorsque les propositions ont été suivies d’une rencontre

5 ans

10 ans

227-23

(alinéas 1 et 2)

–  Fixer, enregistrer ou transmettre une image ou une représentation pornographique d’un mineur

–  Offrir, rendre disponible ou diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, l’importer ou l’exporter, la faire importer ou la faire exporter

5 ans

10 ans

227-23

(alinéa 3)

Commettre les infractions prévues aux deux premiers alinéas lorsqu’un réseau de communications électroniques a été utilisé pour la diffusion de l’image ou de la représentation du mineur

7 ans

10 ans

227-23

(alinéa 4)

Consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, d’acquérir ou de détenir une telle image ou représentation par tout moyen

2 ans

10 ans

227-23

(alinéa 5)

Infractions prévues à l’article 227-23 en bande organisée

10 ans

10 ans

227-24

Fabrication ou diffusion de messages à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, lorsque ces messages sont susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur

3 ans

10 ans

227-24-1

–  Provoquer un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle, lorsque la mutilation n’a pas été réalisée

–  Inciter directement autrui à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d’un mineur, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée

5 ans

10 ans

227-25

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de moins de 15 ans

5 ans

10 ans

227-26

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de moins de 15 ans, commise avec une circonstance aggravante

10 ans

20 ans

227-27

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de 15 ans ou plus, commise par un ascendant ou une personne ayant autorité

3 ans

10 ans

En matière criminelle, les infractions sur mineurs se prescrivent par vingt ans, comme les crimes de droit commun (deuxième alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale).

Cette durée a longtemps été dérogatoire par rapport au délai de prescription de l’action des crimes de droit commun établi à dix ans. La loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a mis un terme à cette exception en portant de dix à vingt ans le délai de prescription de l’action publique des crimes de droit commun.

La liste des crimes concernés sont ceux mentionnés aux articles 706-47 du code de procédure pénale et 22210 du code pénal lorsqu’ils sont commis sur un mineur :

––  le meurtre ou l’assassinat précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou commis en état de récidive légale ;

––  les tortures ou actes de barbarie ;

––  le viol ;

––  la traite des êtres humains commise avec une circonstance aggravante, en bande organisée ou en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie ;

––  le proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans ;

––  les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur un mineur de moins de 15 ans, sur un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante, ou sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur.

2.   Le projet de loi

Les infractions commises sur les mineurs, particulièrement celles de nature sexuelle, occupent une place particulière dans le « quadruple équilibre » auquel est soumis le droit de la prescription. La gravité des comportements en cause, la vulnérabilité des victimes, la nécessaire protection des intérêts de l’enfant et les progrès réalisés en matière de techniques d’élucidation plaident en faveur de délais de prescription allongés. Cela est d’autant plus nécessaire que des mécanismes d’occultation complexes sont à l’œuvre chez les victimes d’actes subis durant l’enfance, repoussant le moment de l’action judiciaire.

Auditionné par la mission d’information sur la prescription pénale, M. Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie infanto‑juvénile à l’Université Lille I, faisait ainsi observer que si « les crimes de cette nature sont souvent révélés pendant la minorité des enfants (…), beaucoup demeurent cachés » en raison d’un « enkystement psychologique défensif (…) empêchant l’évocation » et conduisant à « une amnésie pouvant être durable ». Il résulte de ce phénomène d’amnésie traumatique que « c’est souvent après une longue période que ces crimes peuvent être évoqués et qu’une demande de réparation peut être introduite, souvent sur la provocation d’un tiers », qu’« un délai long de prescription est donc légitime pour tenir compte de cet état psychologique » et qu’« il devrait prendre date au moment où la capacité d’évocation est devenue possible » ([35]).

Ce constat a été confirmé par la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, qui ont estimé que « les crimes sexuels commis sur les mineurs présentent des spécificités telles que le phénomène de l’emprise, le conflit de loyauté, la honte et parfois une amnésie traumatique ». Elle constatait que « le délai en vigueur ne prend pas suffisamment en compte le caractère tardif de la révélation » et que « l’amnésie traumatique est souvent levée après 40 ans, soit quand les faits sont déjà couverts par la prescription » ([36]).

Auditionné par votre rapporteure, M. Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie, tout en relevant la rareté des amnésies traumatiques avérées, a souligné la fréquence des troubles dissociatifs chez les victimes de violences sexuelles durant l’enfance, qui conduisent celles-ci dans un état d’« anesthésie émotionnelle » les empêchant de révéler les faits qu’elles ont subis. Pour Mme Carole Azuar, neurologue à la Pitié‑Salpêtrière, également entendue par votre rapporteure, « le syndrome de stress post-traumatique induit par les agressions est un modèle de stress aigu et chronique, associé à des modifications cérébrales biologiques et structurelles qui s’installent de manière durable (durée supérieure à 20 ans) et ayant un impact négatif sur le fonctionnement cérébral, notamment sur les principales fonctions cognitives et comportementales ».

Pour tenir compte de la gravité des crimes en question et de la difficulté pour les victimes à révéler les faits et à désigner l’auteur de l’agression, l’article 1er rétablit une différence de dix années entre le délai de prescription criminelle de droit commun et le délai applicable aux crimes commis sur mineurs en prévoyant que ces infractions se prescriront non plus par vingt mais par trente années à compter de la majorité de la victime.

liste des crimes commis sur mineurs soumis au nouveau
dÉlai de prescription de l’action publique de 30 ans

Article du
code pénal

Infraction

221-1

Meurtre d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou commis en état de récidive légale

221-2

Meurtre d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou commis en état de récidive légale :

–  précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime

–  ayant pour objet de préparer ou de faciliter un délit, de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité de l’auteur ou du complice d’un délit

221-3

Assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou commis en état de récidive légale

221-4

Meurtre précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou commis en état de récidive légale sur un mineur de moins de 15 ans (1°) ou un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante (2° à 10°)

222-1

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur

222-2

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur précédé, accompagné ou suivi d’un crime autre que le meurtre ou le viol

222-3
(alinéas 1 à 16)

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur de moins de 15 ans (1°) ou un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante (2° à 10°)

222-3 (alinéa 17)

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur accompagnés d’agressions sexuelles autres que le viol

222-3
(avant‑dernier alinéa)

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur.

222-4

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur de moins de 15 ans commis en bande organisée ou de manière habituelle

222-5

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente

222-6

Tortures ou actes de barbarie sur un mineur ayant entraîné la mort de la victime sans intention de la donner

222-23

Viol sur un mineur de 15 ans ou plus

222-24 (2°)

Viol sur un mineur de moins de 15 ans

222-24
(1° et 3° à 13°)

Viol sur un mineur de 15 ans ou plus commis avec une circonstance aggravante

222-25

Viol sur un mineur ayant entraîné la mort de la victime

222-26

Viol sur un mineur précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie

225-4-2 (II)

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur commise avec une circonstance aggravante

225-4-3

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur commise en bande organisée

225-4-4

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie

225-7-1

Proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans

222-10

Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente commises sur un mineur de moins de 15 ans (1°) ou un mineur de 15 ans ou plus avec une circonstance aggravante (2° à 10°)

222-10

(avant-dernier alinéa)

Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente commises sur un mineur de moins de 15 ans par un ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur

Ce nouveau délai de prescription sera identique à celui prévu pour les crimes d’eugénisme et de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, terroristes, de guerre ou relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive ([37]).

Cumulé avec le report du point de départ du délai au jour de la majorité des victimes, cet allongement permettra, dans le cas d’un viol subi à l’âge de 5 ans, le lancement des poursuites durant un maximum de 43 années suivant les faits, contre 33 ans aujourd’hui, et, en tout état de cause, jusqu’à l’âge de 48 ans de la victime, contre 38 ans en l’état du droit.

*

*     *

La Commission est saisie de l’amendement CL117 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à étendre aux majeurs l’allongement de vingt à trente ans de la durée du délai de prescription de l’action publique. Cela ne va pas forcément de soi, c’est une question épineuse.

Notre conviction est que les faits remontent à la mémoire des victimes à des moments qui ne sont pas évidents. La possibilité même de déposer plainte arrive à des moments très variables d’une personne à l’autre. En la matière, nous estimons donc qu’il ne faut pas faire de différence entre les personnes selon qu’elles ont été victimes quand elles étaient mineures ou majeures. D’où la proposition de supprimer le terme « mineurs ».

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’échelle de gravité retenue pour la prescription est, en effet, une question épineuse.

Le phénomène d’amnésie traumatique touche effectivement aussi bien les adultes que les enfants. Cependant, le délai de prescription de droit commun en matière criminelle, fixé à vingt ans, est suffisant pour permettre aux adultes, compte tenu de leur âge, de leur maturité et de l’environnement dans lequel ils évoluent, de révéler les faits et de les porter à la connaissance de la justice. Lors des auditions, il est apparu que les traumatismes survenus pendant l’enfance sont beaucoup plus prégnants. Outre l’amnésie traumatique, les phénomènes d’emprise touchent particulièrement les mineurs. Nous avons donc choisi d’allonger les délais de prescription pour les mineurs.

Par conséquent, je suis défavorable à votre amendement. En revanche, je serai favorable à une évolution s’agissant des personnes majeures vulnérables, mais nous y viendrons dans quelques instants.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y a en effet une question d’échelle. La mesure est exceptionnelle dans la mesure où elle s’applique pour des crimes d’une particulière gravité commis sur des personnes particulièrement vulnérables : des mineurs. Nous souhaitons vraiment inscrire ce délai de prescription dérogatoire de dix ans supplémentaires pour tous les crimes, sexuels ou autres, commis à l’encontre de mineurs. Le projet de loi corrige ainsi une anomalie qui existait depuis la réforme de 2017. Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. On imagine le traumatisme profond et spécifique que subit un mineur dont les premières relations sexuelles prennent la forme d’une agression ou d’un viol. Nous devons néanmoins faire très attention : une femme violée à répétition par son mari pendant cinq ans, alors qu’elle a entre vingt et vingt-cinq ans, qui parvient à en réchapper, peut avoir envie d’en parler à quarante-cinq ans. Or cela lui sera impossible alors que, je vous l’assure, le traumatisme peut être tout à fait terrifiant.

Il me semble que la spécificité est plus liée à la mémoire et à la possibilité de parler pour les crimes sexuels qu’au traumatisme lui-même. Je ne sais pas si je me fais comprendre car l’idée ne va pas de soi et peut être débattue dans tous les groupes. Ce n’est pas évident à comprendre. Je me réfère à l’expérience des associations qui accompagnent ces personnes. Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) explique, par exemple, qu’une femme de soixante-dix ans peut appeler et raconter, pour la première fois, un viol qu’elle a subi à quinze ou trente ans. Ces personnes peuvent toujours aller déposer une plainte, mais elles s’entendront dire qu’on ne peut rien en faire. C’est évidemment difficile.

Je ne suis pas pour une imprescriptibilité qui pourrait bouleverser l’ensemble du droit. En règle générale, je ne suis d’ailleurs pas pour l’imprescriptibilité. Cela étant, comme on allonge le délai de prescription pour les mineurs, on peut aussi réfléchir à le faire pour les majeurs, au regard de la spécificité de la mémoire et de ces crimes.

Mme Laetitia Avia. Si je comprends les arguments de ma collègue Clémentine Autain, il me semble qu’il faut revenir à l’essence et à la cohérence de cet article et de ce texte. Contrairement à ce que l’on a pu entendre à l’extérieur de cette commission, la mesure n’est pas entièrement focalisée sur les seuls viols de mineurs : nous voulons étendre la prescription à l’ensemble des crimes commis à l’encontre des mineurs, c’est-à-dire aussi bien les meurtres que les actes de barbarie ou les viols. Étendre le délai de prescription pour les viols commis sur des personnes majeures reviendrait à altérer l’essence de ce texte.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Chère collègue Clémentine Autain, outre le traumatisme, il faut évidemment prendre en compte la difficulté à verbaliser. Soulignons néanmoins que les phénomènes d’emprise et d’amnésie sont beaucoup plus prégnants chez les mineurs.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL192 de la rapporteure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Cet amendement de cohérence vise à clarifier l’ordonnancement des dispositions relatives à la prescription de l’action publique dans le code de procédure pénale.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL212 de M. Diard tombe.

Puis elle examine l’amendement CL108 de Mme Laetitia Avia.

Mme Laetitia Avia. Cet amendement de clarification a pour objet de préciser que seuls les crimes mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale sont prescrits par trente années révolues à compter de la majorité des mineurs : les meurtres, actes de barbarie et viols. Par conséquent, les délits commis à l’égard de mineurs sont exclus du champ de cette disposition.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Seuls sont visés les crimes mentionnés à l’article 706-47 : les règles dérogatoires de prescription ne s’appliqueront qu’aux infractions criminelles parmi toutes celles mentionnées à cet article. Il n’y a donc aucun risque que les délits soient concernés. La rédaction actuelle, outre qu’elle n’a jamais posé problème, permet de modifier la liste des infractions visées à l’article 706-47 sans procéder à des coordinations à l’article 7 du code de procédure pénale.

En conséquence, je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL109 et CL110 de M. Gilles Lurton, les amendements identiques CL12 de Mme Laëtitia Romeiro Dias, CL137 de M. Sébastien Huyghe et CL191 de M. Xavier Paluszkiewicz, l’amendement CL13 de Mme Laëtitia Romeiro Dias et l’amendement CL190 de M. Xavier Paluszkiewicz.

M. Gilles Lurton. Mes amendements CL109 et CL110 sont défendus.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. La proposition d’allonger le délai de prescription est une avancée et je propose à mes collègues, par mon amendement CL12, de poursuivre la démarche protectrice en allant jusqu’à l’imprescriptibilité.

Le Gouvernement s’est appuyé sur la mission de consensus menée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, que je trouve troublante sur ce point : le contenu et les arguments me semblent plaider pour l’imprescriptibilité alors que le rapport conclut qu’il ne faut pas la proposer.

Lors d’une audition à la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’ai eu l’occasion d’interroger les auteurs à ce sujet. Il est apparu que la mission avait adopté une conclusion de compromis. Devons-nous faire des compromis en ce domaine ? Anticipant nos débats, les auteurs ont, en outre, craint que le législateur ne soit pas mature pour adopter l’imprescriptibilité. Il s’agissait donc essentiellement d’éviter le statu quo.

Or une étude américaine de 2010, parmi d’autres, montre un lien de corrélation très clair entre les violences subies dans l’enfance et la santé d’un adulte. Elle va même jusqu’à établir que c’est le principal déterminant de la santé à cinquante-cinq ans.

Dans ce débat, le symbole de la justice doit être celui qui guide le législateur : la balance de Thémis. Sur un plateau, nous avons les conséquences des crimes sur mineurs jusqu’à la fin de leur vie : syndromes post-traumatiques, difficultés d’insertion sociale, scolaire et professionnelle, maladies chroniques, réduction de l’espérance de vie, suicides.

Sur l’autre plateau, nous retrouvons les arguments utilisés contre l’imprescriptibilité. Réservée aux seuls crimes contre l’humanité, elle aurait une symbolique forte et ne devrait pas être appliquée à d’autres crimes. Or la reconnaissance de la particulière gravité de ces crimes sur mineur n’enlève rien à l’atrocité des crimes contre l’humanité. Les adversaires de l’imprescriptibilité invoquent aussi la difficulté de rassembler des preuves, si la procédure est lancée trop tardivement, ce qui est aussi le cas lorsque le délai de prescription est de trente ans. Quant à la prétendue inconstitutionnalité de l’imprescriptibilité, elle a été écartée par la Cour de cassation en 2012 et par le Conseil constitutionnel en 2015. Il y aurait aussi un plus grand risque de ne pas aboutir à une condamnation, mais c’est le propre de toute procédure judiciaire : on n’en connaît jamais l’issue au commencement. Est-ce à dire que nous devons retirer le droit à agir aux victimes ? C’est une question que l’on peut se poser.

La balance de la justice penche incontestablement vers l’imprescriptibilité. Je demande à mes collègues de voter pour cet amendement et de suivre l’exemple de la Suisse, qui a fait évoluer sa législation dans ce sens.

M. Sébastien Huyghe. Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit par notre collègue. L’augmentation du délai de prescription à trente ans permet à une personne de quarante-huit ans de porter plainte, mais le phénomène de l’amnésie traumatique peut se révéler à n’importe quel âge. Nombre de personnes qui l’ont vécu ont redécouvert les faits dont elles avaient été victimes à l’occasion d’un événement marquant de leur vie : un mariage, un divorce, la naissance d’un enfant ou d’un petit-enfant. À partir du moment où nous reconnaissons ce phénomène, pourquoi imposer un délai de prescription ? Cela revient à considérer que la victime ne peut recouvrer la mémoire que jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. Pourquoi laisser ces victimes dans la plus grande détresse, seules face à ce traumatisme ?

La pédophilie est un crime de la plus haute gravité. L’imprescriptibilité est réservée aux crimes contre l’humanité mais ne pouvons-nous pas considérer que la pédophilie en est un ? C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir voter pour mon amendement CL137. Il y a quelques années, j’avais déposé une proposition de loi dans le même sens. On nous a toujours objecté que seuls les crimes contre l’humanité pouvaient être imprescriptibles. Je pense que s’attaquer ainsi à des enfants est un crime contre l’humanité.

M. Xavier Paluszkiewicz. Je partage évidemment l’avis de mes collègues. Au vu de la gravité des actes commis, de la réelle difficulté que la victime peut éprouver à déposer plainte et des conséquences psychotraumatiques qui peuvent se traduire par une amnésie dissociative, l’imprescriptibilité des crimes mentionnés à l’article 706-407 du code de procédure pénale doit se substituer au délai de prescription actuel.

Rappelons que le délai de prescription est fixé conformément aux règles de droit commun, c’est-à-dire en fonction, soit de la nature de l’infraction commise, soit de la peine applicable. À titre de comparaison, l’Angleterre ou le Pays de Galles ont rendu imprescriptibles les infractions les plus graves.

L’idée de rendre ces crimes ou délits imprescriptibles s’inscrit dans une démarche protectrice, consistant à s’assurer que leurs auteurs – dont les victimes sont, rappelons-le, des enfants – ne soient jamais tranquilles et ne puissent jamais considérer que ces actes odieux ont pu être effacés par le temps. J’appelle mes collègues à prendre la mesure de ces forfaits et à voter mon amendement CL191.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Mon amendement CL13 est un amendement de repli, qui propose d’étendre le délai de prescription à cinquante ans.

M. Xavier Paluszkiewicz. Il en est de même pour mon amendement CL190, qui propose un délai de prescription de quarante ans.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous touchons là à un sujet particulièrement sensible. Comme je l’ai rappelé dans mon propos introductif, l’imprescriptibilité est réservée dans notre droit, depuis 1964, aux crimes contre l’humanité, en raison de leur nature particulière, en ce qu’ils portent atteinte à l’espèce humaine tout entière et nient l’homme. Malgré l’extrême gravité des crimes sexuels, qu’ils soient d’ailleurs commis sur des enfants ou des adultes, ceux-ci ne me paraissent pas de même nature que les crimes contre l’humanité.

Je ferai miens les propos de M. Robert Badinter qui, en 1996, indiquait que « l’imprescriptibilité est née du refus de nos consciences d’accepter que demeurent impunis, après des décennies, les auteurs des crimes qui nient l’humanité, et ne saurait être étendue dans une sorte de mouvement émotionnel à d’autres crimes ». Je rappelle encore que le crime contre l’humanité est une norme internationale d’une nature toute particulière ; il me semble qu’au lendemain de la commémoration du 8 mai 1945, priver le crime contre l’humanité de son ultime degré de gravité serait un signal particulièrement malvenu en ce moment de recueillement.

L’allongement de la durée de prescription de vingt à trente ans représente une avancée considérable pour les victimes de ce type d’infractions. Pour commencer, elle rétablit la spécificité que constitue le fait que la victime soit mineure, spécificité qu’avait gommée la loi du 27 février 2017, puisque le délai de prescription des crimes commis contre des mineurs entrait dans le droit commun et avait été aligné sur celui applicable aux crimes commis contre des personnes majeures.

Il ressort des conclusions de la mission de consensus qu’un délai de vingt ans après la majorité de la victime était insuffisant, dans la mesure où cela équivalait à n’autoriser l’action en justice que jusqu’à l’âge de trente-huit ans, soit à une période de la vie où les victimes supportent généralement d’importantes contraintes familiales. D’où la recommandation formulée par la mission de porter ce délai à trente ans, ce qui permettra en outre de poursuivre des prédateurs sexuels récidivistes qui, des années après les faits, sont encore en contact avec des mineurs. Cette avancée mérite d’être soulignée.

La mission de consensus ne recommande pas l’imprescriptibilité, qui doit rester réservée aux crimes contre l’humanité. Le principe même de la prescription a été déjà acté en 2017, et il ne me paraît pas opportun de revenir sur ce point. Quant au droit britannique de la prescription, il obéit à un autre système que le nôtre.

Je suis donc défavorable à ces amendements ainsi qu’aux amendements de repli, qui ne sont pas cohérents avec l’échelle des prescriptions sur laquelle repose notre droit positif.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. J’entends et je comprends vos arguments en faveur de l’imprescriptibilité, que défendent également certaines associations de victimes, considérant que les conséquences d’un viol subi dans l’enfance vous poursuivent tout au long de la vie, y compris après la condamnation de l’agresseur.

Néanmoins, je crois qu’il est important de rappeler que l’objectif poursuivi par le Gouvernement, c’est de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à révéler les faits, difficulté d’autant plus importante que la victime est jeune et que les crimes sont commis par un membre de la sphère familiale ou de l’entourage. Or, étendre le délai de prescription est rendu possible aujourd’hui par les progrès scientifiques qui ont été accomplis en matière de conservation et d’exploitation des preuves ; cela correspond également à une meilleure compréhension des mécanismes de l’amnésie traumatique ou de la mémoire traumatique. Il me semble donc que cet allongement à trente ans donnera aux victimes le temps nécessaire pour saisir la justice, pour juridiciariser les violences subies, pour peu évidemment qu’elles le souhaitent, ce qui participe du processus de reconstruction.

Sur le plan strictement juridique, vos amendements risquent de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel, qui n’admet l’imprescriptibilité que pour les crimes « touchant l’ensemble de la communauté internationale », ce qui n’inclut pas les crimes à l’encontre des mineurs, en dépit de leur particulière gravité. J’ajoute que, dans notre droit, d’autres crimes très graves ne bénéficient pas de l’imprescriptibilité : le délai de prescription est de vingt ans pour les meurtres, de trente ans pour les crimes de guerre ou les crimes terroristes. C’est une des raisons pour lesquels le rapport de la mission de consensus n’a pas opté pour l’imprescriptibilité mais pour l’allongement du délai de prescription à trente ans, proposition que nous avons décidé de reprendre.

Je voudrais rendre ici hommage à cette mission de consensus, dont je ne peux, hélas ! m’attribuer le mérite, puisqu’elle a été mise en place sous la précédente législature. Composée de tenants de l’imprescriptibilité comme de tenants d’un simple allongement des délais, elle a procédé à de très nombreuses auditions pour s’arrêter sur la solution la plus consensuelle et la plus acceptable, qui ne présente aucun risque d’inconstitutionnalité.

Quant aux propositions consistant à porter le délai de prescription à quarante ou cinquante ans, elles seraient une source de complexification et de déstructuration du droit de la prescription en réduisant à néant l’important effort de simplification qui a été accompli avec la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

Le droit actuel ne connaît que le délai de prescription de droit commun, d’une durée de vingt ans, et le délai dérogatoire de trente ans pour certains crimes. D’un point de vue juridique, ajouter un nouveau délai dérogatoire se justifierait difficilement, et le Gouvernement est donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme Sophie Auconie. Madame la secrétaire d’État, avant de travailler sur ce sujet, je pensais comme vous. Puis, en rencontrant des représentants d’associations de victimes, j’ai pu mesurer à quel point certaines de ces victimes, inconsciemment, soit occultaient ce qui leur était arrivé pendant bien plus longtemps que le délai de prescription, soit demeuraient pendant tout ce temps sous l’emprise de leur agresseur. Nous parlons ici de prédateurs, d’auteurs d’actes pédophiles réitérés, qui tout au long de leur vie font du mal à nos enfants. Or nos enfants, c’est l’humanité, et s’attaquer à nos enfants est un crime contre l’humanité !

Si l’on prend, par exemple, le cas de David Hamilton, un délai de prescription de trente ans ne permettra pas à certains des enfants qui ont été abusés par cet homme d’être reconnus comme victimes, ce qui ne peut qu’être préjudiciable à leur reconstruction, même après quarante-huit ans. En l’occurrence, ce monsieur a décidé de mettre fin à ses jours, mais si cela n’avait pas été le cas, pourrait-on accepter qu’il ne soit pas condamné ? Que ne soient pas condamnés non plus certains prêtres coupables d’actes pédophiles ? Ce n’est pas acceptable pas plus qu’il n’est acceptable que ces personnes continuent d’agir en toute impunité, du fait du laxisme avéré de certaines communautés.

Je vous demande donc, madame la ministre, de rencontrer les collectifs de victimes pour mesurer l’impact du choix que vous faites sur ces victimes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je les ai évidemment déjà rencontrés.

M. Erwan Balanant. En ce qui me concerne, je pensais, avant de m’être penché sur la question, que les crimes sexuels contre des mineurs devaient être imprescriptibles. Mais, après avoir lu les travaux de la mission de consensus et assisté à plusieurs des auditions qu’a menées notre commission, après avoir analysé les équilibres sur lesquels repose notre droit, je suis désormais convaincu que l’imprescriptibilité introduirait dans notre code pénal une série de désordres au final préjudiciables à l’ensemble des victimes.

En allongeant le délai de prescription de vingt à trente ans, ce projet de loi franchit une étape importante. À partir de là, nous devons poursuivre notre réflexion sur l’opportunité – philosophique et juridique – de reconsidérer ce délai, lorsque les progrès de la science le permettront – je pense notamment à l’imagerie médicale, qui permettra sans doute un jour de mettre en évidence les traces d’un traumatisme ancien. Donnons-nous donc rendez-vous dans plusieurs années. Je comprends naturellement l’émotion que soulèvent ces sujets terribles, mais notre devoir de législateur est d’adopter des textes efficaces, dans le respect de l’équilibre de notre droit.

M. Nicolas Démoulin. Madame la secrétaire d’État, je n’arrive pas à être convaincu par vos arguments contre l’imprescriptibilité. Vous avez évoqué, d’une part, la spécificité des crimes contre l’humanité et, d’autre part, la difficulté de plus en plus grande au fil du temps de conserver des preuves. Outre le fait que je ne suis pas particulièrement gêné par le fait qu’un agresseur ait des difficultés à se défendre quarante ou cinquante ans après les faits, je note que vous ne tenez pas compte de l’allongement de la durée de vie. L’espérance de vie a augmenté de seize ans en soixante ans, ce qui signifie que les agresseurs peuvent récidiver à l’âge de soixante-dix ans.

Vous avez également invoqué l’équilibre du code pénal, mais ce qui m’intéresse, moi, c’est la protection des enfants : violer un enfant, c’est un crime contre l’humanité. Si, en 1964, le curseur a été mis là où il a été mis et si, pour des questions de hiérarchisation des crimes, on ne peut envisager l’imprescriptibilité, faisons au moins en sorte de choisir des délais qui s’en rapprochent – quarante, cinquante, soixante, voire cent ans.

Mme Élise Fajgeles. Il faut bien distinguer deux choses. D’un côté, un sentiment profond d’humanité que nous partageons tous, des témoignages que nous avons tous entendus et qui nous poussent à souhaiter l’imprescriptibilité des crimes sexuels. Mais de l’autre côté, notre responsabilité politique, notre responsabilité de législateur n’est pas de légiférer avec nos sentiments, mais de garantir la protection effective des victimes et de voter des lois qui auront des effets concrets. Qui plus est, les risques d’une censure du Conseil constitutionnel ne doivent pas être pris à la légère. Nous y exposer inconsidérément reviendrait à rendre vain tout notre travail, autrement dit à réduire à néant toute protection des victimes.

Nous devons donc saluer ce projet de loi, qui correspond à une avancée pour les victimes. En nous fondant sur la parole des experts et des juristes, nous sommes parvenus à un consensus qui va nous permettre de faire évoluer les sanctions et d’améliorer concrètement la protection des victimes, quitte à laisser de côté, c’est vrai, une part d’émotion. Notre rôle ici n’est pas de redéfinir ce qu’est le crime contre l’humanité, qui relève d’un statut international. Cela risquerait de nous revenir « en boomerang » dans la figure.

M. Sébastien Huyghe. J’ai le sentiment que le seul argument valable contre l’imprescriptibilité, c’est le risque de censure par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ne le prendrions-nous pas, dès lors que nous le considérons nécessaire pour la reconstruction de victimes qui ont subi un syndrome d’amnésie traumatique ? Ce serait un acte politique fort.

Quant à l’idée selon laquelle le fait de rendre imprescriptibles les crimes sexuels porterait atteinte à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, pardonnez-moi, madame la rapporteure, mais je trouve cet argument assez limite : il ne faut jamais opposer les victimes les unes aux autres.

M. Éric Diard. Si nos prédécesseurs s’étaient arrêtés à chaque fois qu’ils craignaient la censure du Conseil constitutionnel, certains progrès n’auraient jamais eu lieu. De temps en temps, le législateur doit savoir prendre des risques.

Mme Catherine Kamowski. L’émotion et l’indignation sont tout à fait légitimes face aux violences sexistes et sexuelles, mais notre rôle est de légiférer, et donc de dépasser l’émotion et l’indignation, pour apporter une réponse graduée et raisonnée à des faits qui, de toute façon, resteront odieux.

Si nous rendons imprescriptibles ces actes ou certains de ces actes, en particulier lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, nous les plaçons dans notre droit au niveau des crimes contre l’humanité, c’est-à-dire de meurtres ou d’exactions à grande échelle, commis souvent par des gouvernements ou des groupes humains contre d’autres groupes humains. Cela revient à supprimer toute gradation dans l’échelle des crimes et à considérer – pourquoi pas ? – que d’autres types de crimes, en particulier les crimes de sang, pourraient tout aussi bien être imprescriptibles, ce qui aura pour effet d’induire la plus grande confusion dans la hiérarchisation de l’horreur.

Quels que soient précisément l’horreur et le désir de punir que nous inspirent les violences sexistes et sexuelles, en particulier à l’encontre des mineurs, il convient de prendre en compte le contexte dans lesquels sont commis ces crimes perpétrés le plus souvent par une personne de l’entourage familial, et dont la victime est un enfant. Allongé à trente ans le délai de prescription permettra à cet enfant, devenu adulte et plus ou moins émancipé des pressions de ses proches, de porter plainte et de voir celle-ci traitée dans des circonstances qui permettront encore la tenue de l’instruction et du procès du présumé coupable, encore en vie. Parce qu’en effet, si le présumé coupable est mort, toute action s’arrête.

D’aucuns ont insisté sur les conséquences physiques ou psychologiques d’un viol, en particulier chez un jeune enfant ou un adolescent : il me semble pourtant qu’il ne faut pas confondre cause et conséquence, et c’est bien la cause qu’il nous appartient de traiter.

Par ailleurs, il s’agit également d’enfermer les coupables, et il faudrait à ce titre que les peines prononcées soient effectivement menées à leur terme, car c’est la mise à l’écart du violeur, du pédophile, qui permettra au public et donc à l’humanité, d’être en sécurité.

M. Didier Paris. La loi prévoit le prolongement de la prescription de vingt à trente ans, ce qui en soi n’est déjà pas d’une claire évidence : la dernière loi de réorganisation de la prescription ne date que de février 2017, elle est donc encore en cours d’application et nous ne disposons sans doute pas du recul nécessaire pour en apprécier correctement les effets.

Le Gouvernement a néanmoins choisi d’étendre le délai de prescription ; dont acte. Le groupe majoritaire ira dans cette direction, tout en s’interrogeant sur la nécessité d’aller plus loin. Bien avant de s’interroger sur les risques d’anticonstitutionnalité, se posent des questions morales, notamment sur la pertinence de remettre en cause la gradation qui fait du crime contre l’humanité, qui se caractérise moins par la nature de ses victimes que par les méthodes employées et son caractère à la fois collectif, concerté et programmé, le pire de tous les crimes. Il y a peu de raison de perdre le sens de la peine, de perdre l’approche collective de cette gradation indispensable dans les consciences publiques et collectives de ce qu’est le crime contre l’humanité, qui reste le « haut du spectre » en la matière. L’allongement du délai de prescription est déjà un signe largement suffisant de la réprobation collective que doivent susciter les crimes sexuels.

Mme Marie-Pierre Rixain. L’allongement de la prescription est l’une des recommandations de la mission de consensus menée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, que la Délégation aux droits des femmes a auditionnés. Tous deux rappellent la nécessité de prendre en considération cette amnésie traumatique dont nous avons parlé et de permettre aux victimes mineures qui se trouvaient dans l’incapacité de révéler ces crimes de pouvoir porter plainte.

Il s’agit d’une avancée essentielle, qui montre que nous nous situons clairement dans le camp des victimes, tout en agissant avec le souci responsable de préserver la sécurité juridique. Enfin, cette mesure s’inscrit dans la continuité politique d’une démarche entamée sous le mandat précédent, et je salue à ce titre l’approche pragmatique de Mme la secrétaire d’État.

Mme Clémentine Autain. Avec l’imprescriptibilité ne se joue pas uniquement la gravité des faits, mais également l’articulation des normes de droit les unes avec les autres.

À cet égard, un meurtre est un acte d’une violence inouïe, pour lequel il n’existe pourtant pas d’imprescriptibilité. Ouvrir la boîte de Pandore conduirait, me semble-t-il, à une forme de remise en cause des normes du droit français et du principe du droit à l’oubli. Certains peuvent le considérer comme contestable, mais il est établi que, lorsqu’on commet un crime, nous n’avons pas à en rendre compte à la société sa vie durant. En posant le principe de l’imprescriptibilité des viols, nous remettrions en cause toute la logique du droit français.

C’est pourquoi il me semble que prolonger de dix ans le délai de prescription pour les viols traduit déjà notre considération pour tout ce qui, sur le plan de la mémoire, en fait une agression spécifique, et il me paraîtrait raisonnable d’en rester là. Sans doute certaines victimes auraient-elles envie que nous allions plus loin – ce que j’entends –, mais il faut bien mesurer ce que cela représenterait pour notre droit.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Le risque d’inconstitutionnalité, souligné à juste titre par Mme la secrétaire d’État, n’est évidemment pas à prendre à la légère, sachant que, si le Conseil constitutionnel est attentif à cette question, c’est qu’elle touche à un élément essentiel de notre droit. La prescription est en effet au cœur des équilibres et de la cohérence sur lesquels repose notre système juridique, d’autant que cette question a déjà été débattue dans le cadre d’une loi extrêmement récente.

Pour ce qui est de la possibilité pour la victime de se reconstruire lorsque l’action est prescrite, les auditions que nous avons menées, notamment celle du directeur général de la gendarmerie, ont montré qu’elle peut toujours se rendre au commissariat et y être entendue. Ce dispositif a été mis en place et j’espère qu’il sera développé : la société prend en compte le fait que les auteurs de ces faits sont des prédateurs toute leur vie et qu’il est possible d’ouvrir des enquêtes. Je tenais à vous rassurer sur ce point.

Enfin, il ne faut pas ignorer la question de la preuve, inhérente à ce type d’affaires : le temps joue défavorablement en matière probatoire. À supposer qu’un dossier soit ouvert cinquante ou soixante ans après la commission des faits, vous n’aurez plus de témoins ni de preuves matérielles. Cela peut aboutir à un non-lieu, désastreux, voire dramatique pour la reconstruction des victimes.

Il me paraît important de souligner que ce texte tient compte des propositions de la mission de consensus et qu’il constitue une avancée en faveur des victimes et de la société.

La Commission rejette successivement les amendements CL109 et CL110.

Puis elle rejette les amendements identiques CL12, CL137 et CL191.

Enfin, la Commission rejette successivement les amendements CL13 et CL190.

La Commission est saisie de l’amendement CL103 de Mme Lætitia Avia.

Mme Lætitia Avia. L’article 1er vise l’ensemble des crimes sur mineurs, y compris les meurtres, actes de torture et de barbarie. Sa rédaction actuelle fait courir la prescription à compter de la majorité de la victime, âge qu’elle n’a malheureusement pu atteindre en cas de meurtre ou d’assassinat. Cet amendement vise à prescrire l’action publique par trente années à compter de la date de la commission de l’acte ou, en cas de tentative de meurtre ou d’assassinat, par trente années révolues à compter de la majorité de la victime, notamment en raison d’une possibilité d’amnésie traumatique.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La rédaction de cette disposition est identique à celle qui existe depuis de très nombreuses années, et qui ne pose aucun problème d’application. Concrètement, le report du point de départ à la majorité de la victime ne s’opère que si nécessaire, en l’occurrence lorsque le mineur est toujours vivant.

Loin d’en faciliter la lecture, cette nouvelle rédaction compliquerait la compréhension de la disposition. Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme Lætitia Avia. Si ce point ne nécessite pas de clarification, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL208 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à étendre l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur toute personne dont la particulière vulnérabilité, due à une déficience physique ou psychique, est apparente ou connue de son auteur.

Il s’agit de prendre en compte la spécificité des crimes sur les personnes vulnérables, notamment les personnes handicapées. La vulnérabilité de la victime est déjà reconnue dans le droit pénal comme une circonstance aggravante d’une infraction. Pourtant, le régime général des prescriptions n’est pas satisfaisant puisqu’il estompe la spécificité des crimes sexuels à l’égard des personnes vulnérables qui relèvent aujourd’hui du droit commun. Cette situation n’apparaît pas conforme aux réalités de la vulnérabilité de ces personnes ni aux attentes de la société.

Quatre femmes handicapées sur cinq seraient victimes de violences sexuelles. Or la loi ne prend pas suffisamment en compte l’évolution des connaissances relatives aux personnes vulnérables victimes d’infractions sexuelles ou violentes. Il a été démontré que la vulnérabilité de la victime au moment des faits est de nature à entraîner une difficulté à révéler les faits, à s’exprimer ou à désigner l’auteur de l’agression, notamment en cas d’emprise ou de conflit de loyauté en raison des liens entre l’auteur et la victime. En effet, ces crimes sont régulièrement perpétrés au sein des institutions spécialisées.

Notons par ailleurs le cas spécifique des femmes atteintes de troubles psychiques, souvent manipulables, victimes idéales pour les prédateurs sexuels : elles parleront rarement, et si elles le font, auront toutes chances de ne pas être prises au sérieux.

Certaines personnes vulnérables mettront des décennies à mettre des mots sur les sévices subis. La législation doit ainsi prendre en compte les spécificités des personnes vulnérables : l’allongement à trente ans de la prescription des crimes sur personnes vulnérables doit permettre de réaffirmer la lutte contre les crimes sexuels et violents à l’égard de ces personnes comme une priorité de politique de pénale. Il s’agit enfin de mettre fin à un problème sociétal gravissime, qui doit être pris en compte par les pouvoirs publics.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je connais votre engagement et votre travail pour améliorer la prise en compte des spécificités des personnes handicapées. Votre amendement est très intéressant ; toutefois, sa rédaction mériterait d’être ajustée afin d’aligner cette disposition sur celles usuellement pratiquées en matière de vulnérabilité de la personne. Je vous invite donc à le retirer, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Gouvernement est très sensible aux arguments que vous avez présentés en défense de votre amendement. Toutefois, celui-ci pose des difficultés sur le plan opérationnel, notamment s’agissant de la preuve de la vulnérabilité, qui devra être apportée jusqu’à trente ans après les faits. Or certaines vulnérabilités ne sont pas pérennes. Par ailleurs, il conviendrait de revoir sa rédaction pour l’aligner sur celle du code pénal. J’émets un avis de sagesse.

Mme Albane Gaillot. Je retire l’amendement afin d’en présenter une nouvelle rédaction en séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission examine les amendements identiques CL42 de M. Thibault Bazin, CL71 de M. Xavier Breton et CL249 de M. Stéphane Viry.

M. Thibault Bazin. Mon amendement CL42 reprend une disposition contenue dans la proposition de loi relative à l’orientation et à la programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles. Fruit d’une importante concertation, ce texte a été adopté au Sénat à une large majorité.

Les témoins de maltraitances sur un enfant sont tenus de les dénoncer immédiatement, faute de quoi ils peuvent faire l’objet de poursuites pénales : l’abstention fautive constitue un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Malheureusement, cet outil n’est pas assez efficace et n’incite pas suffisamment au signalement des violences, sexuelles ou non, infligées aux mineurs. L’infraction ne semble pas suffisamment dissuasive en raison du régime de prescription. Selon l’interprétation de la jurisprudence actuelle, le délai de prescription court à partir du jour où l’auteur du délit a eu connaissance de l’infraction à dénoncer.

Je vous propose de reporter le point de départ du délai de prescription. Cela permettrait de faciliter les signalements, en particulier dans les environnements familiaux, d’encourager toute personne ayant connaissance de tels faits à les signaler le plus rapidement possible. En adoptant cet amendement, nous renforcerons effectivement la lutte contre les violences sexuelles.

M. Xavier Breton. En visant à reporter le point de départ du délai de prescription au jour où les éléments constitutifs de l’infraction ont cessé, mon amendement CL71 affirme le caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles sur mineurs. Cette disposition est indispensable pour assurer l’effectivité de cette incrimination, qui oblige tout particulièrement à signaler les faits de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur.

M. Stéphane Viry. Mon amendement CL249, dans la même logique, vise à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements subis par un mineur. Pour favoriser l’information, il convient de reporter le point de départ au jour où la situation illicite prend fin.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous proposez de reprendre une disposition de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles ; je ne doute pas que le Sénat, lorsqu’il sera saisi du présent projet de loi, saura y introduire les dispositions qu’il souhaite.

Mais je m’interroge sur l’intérêt d’une telle disposition. Par définition, aussi longtemps que la victime subit des mauvais traitements et que la personne en a connaissance, l’infraction peut être poursuivie. Par ailleurs, la rédaction de ces amendements me paraît peu compatible avec l’exigence de clarté de la loi pénale. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Même avis, pour les mêmes motifs.

M. Thibault Bazin. J’avoue ne pas comprendre. En quoi cette disposition nuirait-elle à la clarté de la loi pénale ? Nous nous demandons comment dissuader davantage les violences. On sait que les outils concernant la non-dénonciation des faits, notamment le point de départ du délai de prescription, ne sont pas suffisants. Il faut adapter le dispositif et je ne vois pas en quoi reporter le point de départ rendrait la loi illisible.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la rapporteure, pourriez-vous nous épargner la prochaine fois l’argument consistant à dire que c’est au Sénat qu’il revient d’introduire une disposition lorsqu’elle est issue d’un texte sénatorial ? Les parlementaires peuvent s’enrichir des discussions qui se tiennent dans l’autre chambre, et l’on peut espérer que celle-ci en fasse autant !

Nous avons longuement discuté de l’imprescriptibilité, évoquant l’impossibilité ou la difficulté éprouvée par les victimes mineures à se remémorer les faits. Le silence fautif y participe et nous nous intéressons aux proches de la victime, qui se doivent de la protéger. L’objectif est de renforcer la sécurité juridique du mineur.

J’en conviens, il ne faut pas modifier les délais de prescription d’un crime pour des raisons d’opinion publique ou de conviction personnelle au motif qu’il serait considéré comme plus grave à un moment donné du débat public. Mais obliger les adultes de l’entourage présents à dénoncer des actes commis à l’encontre d’un mineur me semble plutôt de bon sens.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’obligation de dénoncer existe déjà dans notre droit positif et cette disposition n’apporte rien : l’intérêt de ce projet est de mettre en cohérence les infractions. Il faut prendre garde à l’articulation des textes, particulièrement en matière pénale. Celui-ci ne contient que quatre articles, car nous n’avons visé que les points qui comportaient des zones d’ombre. Cette disposition a d’autant moins de sens que la question de la continuité de l’infraction se pose, dans la mesure où il peut s’agir d’infractions successives.

La Commission rejette les amendements identiques.

Elle examine l’amendement CL178 de Mme Nathalie Elimas.

Mme Isabelle Florennes. Les crimes de nature sexuelle commis sur les mineurs sont particulièrement éprouvants pour les victimes directes ou indirectes et ce, sans qu’il faille considérer un délai.

Constatant la nécessité de rechercher l’équilibre optimal entre la réparation du préjudice subi par les victimes et la garantie des droits de l’accusé, il est demandé au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement, prémisse à l’ouverture d’un nouveau débat de fond sur la prescription.

Les découvertes scientifiques sur l’amnésie traumatique des victimes rendraient d’autant plus intéressant un tel rapport, qui permettrait de clarifier la relation entre ces phénomènes et le dispositif de prescription de l’action publique.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je tiens à préciser que vingt-cinq amendements demandant la remise d’un rapport ont été déposés sur ce texte de quatre articles…

La pertinence de l’allongement des délais de prescription de l’action publique pour les crimes commis sur les mineurs a déjà fait l’objet de très nombreux rapports, parlementaires notamment. Le dernier a été corédigé par notre collègue député Alain Tourret.

Le Parlement peut s’autosaisir de ce sujet s’il le souhaite, le cas échéant au moment de l’évaluation de la mise en œuvre de la présente loi, sans qu’il soit nécessaire de demander un rapport au Gouvernement. Avis défavorable.

M. Philippe Latombe. Nous ne parlons pas d’un document parlementaire, mais d’un rapport rédigé par le Gouvernement. Celui-ci est en possession d’un certain nombre d’éléments, notamment statistiques, qui éclaireraient utilement nos débats.

M. Fabien Di Filippo. Le nombre de rapports demandés n’est pas fonction du nombre d’articles, mais de l’importance du sujet.

Nous avons entendu des positions très contradictoires s’exprimer et la question est loin d’être réglée. Un collègue de la majorité a même dit que nous serions obligés de revenir sur cette disposition. Même si nous avons allongé de dix ans le délai de prescription pour les crimes commis sur mineur, et probablement pour les crimes commis sur personne vulnérable, les problèmes subsistent, notamment la difficile reconstruction des victimes.

Il faut continuer de creuser la question et savoir s’il est nécessaire de revenir rapidement sur cette disposition. Nous devons en tout cas montrer aux victimes que nous ne les abandonnons pas ad vitam aeternam à leur sort malheureux.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je ne pense pas que la multiplicité des rapports, même sur un sujet aussi important que celui que nous abordons, permette de mieux prendre en charge les victimes ou d’avancer sur la question. Un rapport et plusieurs travaux ont été publiés très récemment ; je ne vois pas l’intérêt d’un nouveau rapport.

M. Philippe Gosselin. Il n’y a pas que le nombre de rapports, il y a aussi la qualité ! Je connais la jurisprudence de la commission des Lois et le souhait de ne pas adopter les amendements de ce type à tout-va. Mais la prescription est un sujet d’importance, qui dépasse largement celui des violences sexuelles : la société évolue et le droit à l’oubli est remis en question. Celui-ci était autrefois reconnu, au travers de la prescription, dans une singulière alchimie profitant à la fois aux victimes et à la société. Il convient à nouveau de réfléchir à ces questions : ce texte est l’occasion de le faire, même si les débats sont passionnés. Le Gouvernement aurait tout intérêt à présenter sa vision complète du sujet au Parlement.

M. Erwan Balanant. Nous avons besoin, pour mener une réflexion approfondie, d’un rapport qui fasse état de statistiques précises recueillies par le ministère de la justice, que viendraient compléter les études scientifiques et l’état des progrès médicaux. Je salue l’étape que nous franchissons aujourd’hui, mais le travail de réflexion doit se poursuivre, sur des bases solides. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un rapport parlementaire mais d’un rapport circonstancié élaboré par le Gouvernement, avec les moyens statistiques de la chancellerie.

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre II
Dispositions relatives à la répression des infractions sexuelles sur les mineurs

Avant l’article 2

La Commission est saisie de plusieurs amendements pouvant être soumis à discussion commune.

Elle examine d’abord l’amendement CL246 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. L’article 2, unique article du chapitre II, modifie le droit existant en matière de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Cet amendement vise à uniformiser les termes employés dans le projet de loi, en remplaçant les mots « abus sexuels » par les mots « infractions sexuelles ».

Par ailleurs, même si les termes d’« abus sexuels » sont consacrés depuis de nombreuses années pour définir de manière générique l’ensemble des infractions à caractère sexuel, leur usage peut laisser sous-entendre qu’il s’agit d’abuser, d’utiliser de manière exagérée ou de violer un droit dont on dispose. Il convient donc de modifier l’intitulé du chapitre en préférant les termes d’« infractions sexuelles » à ceux d’« abus sexuels ».

La Commission examine ensuite les amendements identiques CL45 de Mme Marie-Pierre Rixain et CL219 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marie-Pierre Rixain. Les termes d’« abus sexuels » semblent mal adaptés car ils ne renvoient pas suffisamment aux cas de violences sexuelles pris en compte au chapitre II, à savoir le viol, l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle.

Notre amendement CL45, issu de la recommandation n° 5 de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, vise à remplacer les mots « abus sexuels » par les mots « violences sexuelles », afin de gagner en précision et en justesse.

Mme Cécile Untermaier. Nous considérons que les mots « abus sexuels » ne reflètent pas le contenu de ce texte qui concerne le viol, l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle. Nous proposons donc par notre amendement CL219 de leur substituer les mots « violences sexuelles ».

La Commission examine enfin l’amendement CL8 de Mme Laurence Gayte.

Mme Laurence Gayte. Le terme d’« abus » désigne un usage mauvais ou excessif. Comme le souligne Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’égalité, cela laisse à penser qu’il existe des abus sexuels sur mineurs qui sont acceptables ou non excessifs. Je propose de lui substituer le terme d’« agissements ».

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je partage l’appréciation concernant l’usage des termes « abus sexuels ». Cette notion ne sied pas particulièrement au texte. J’émets un avis favorable sur l’amendement CL246 et je suggère aux auteurs des amendements suivants de se rallier à cette rédaction, qui vise à substituer les mots « infractions sexuelles » aux mots « abus sexuels ».

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. La notion d’« abus » appliquée à la matière sexuelle n’est pas comprise ni interprétée comme un usage mauvais ou excessif d’un droit à la sexualité avec un mineur. Outre le fait que ce terme est utilisé dans le vocabulaire courant, il est employé, sans que cela n’emporte la moindre ambiguïté, en droit européen — notamment par la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie. On ne peut pas parler d’un usage mauvais ou excessif.

Cela étant, dans un souci de cohérence, et parce qu’il entend les arguments des députés, le Gouvernement émet un avis favorable à l’amendement CL246, qui vise à uniformiser les termes employés dans le projet de loi. Je demande aux auteurs des amendements suivants de bien vouloir les retirer.

M. Erwan Balanant. Il s’agit en réalité d’un problème sémantique : si le mot « abus » est utilisé dans les textes européens, c’est parce que la traduction est erronée. En droit, un abus est le mauvais usage d’un droit, d’une prérogative ou d’un privilège. Je comprends les arguments de Mme la secrétaire d’État, mais il est difficile de conserver la rédaction initiale.

La proposition de M. Houbron et du groupe de La République en marche ne me satisfait pas davantage car il me semble que les termes d’« infractions sexuelles » ne sont pas aussi forts et explicites que ceux de « violences sexuelles ». Je demande à la majorité d’y réfléchir et d’adopter les termes de « violences sexuelles », tels que nous les avons définis dans le rapport de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Mme Marietta Karamanli. Madame la secrétaire d’État, vous insistez depuis longtemps sur la question des violences sexuelles et vous rappelez régulièrement qu’il faut dire les choses de manière très claire. Le terme d’« infractions » n’est pas clair pour l’opinion publique ni pour les personnes concernées. C’est un terme technocratique, administratif, qui ne parle pas aux gens. Celui de « violences » a le mérite d’être bien plus explicite et de faire clairement l’unanimité parmi les associations et les praticiens du droit.

Mme Lætitia Avia. Je ne crois pas que l’opinion publique va analyser le détail des titres des chapitres du projet de loi... Ce qui compte in fine, c’est le titre de la loi – « projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes » – et son contenu. L’article 2 va renforcer la répression contre les infractions sexuelles commises sur les mineurs et le changement proposé par l’amendement CL246 est cohérent.

Mme Clémentine Autain. Ne nous donnez pas le sentiment que vous allez retenir les termes d’« infractions sexuelles » uniquement parce que la proposition vient du groupe majoritaire. J’ai la conviction qu’on ne peut combattre correctement que ce que l’on nomme correctement. C’est la raison pour laquelle je plaide en faveur des termes de « violences sexuelles ». Dans le langage courant, une infraction désigne de petites choses. Or nous traitons ici de faits d’une extrême gravité. Vous le savez toutes et tous, entre une agression sexuelle et un viol, il n’y a pas nécessairement de proportionnalité dans le traumatisme. Une agression sexuelle peut engendrer des traumatismes parfois plus profonds qu’un viol. Appelons un chat un chat : une violence sexuelle est une violence sexuelle.

M. Stéphane Viry. Le terme d’abus est impropre par rapport à l’objet et au sens du projet de loi. Quant à celui d’infraction, il me paraît trop technocratique, voire sans âme. Je préconise que nous retenions le terme de « violences », qui reprend le titre même de ce projet de loi.

La Commission adopte l’amendement CL246.

En conséquence, les amendements CL45, CL219 et CL8 tombent.

Article 2
(art. 222-22-1 et 227-26 du code pénal et 351 du code de procédure pénale)
Renforcement de la répression des abus sexuels sur les mineurs

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article renforce la répression des abus sexuels sur les mineurs à travers trois modifications du droit existant :

––  il précise que la contrainte morale ou la surprise, qui figurent parmi les éléments constitutifs des agressions sexuelles, peut résulter « de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes » lorsqu’elle est âgée de moins de 15 ans ;

––  il porte de cinq à dix ans d’emprisonnement la sanction du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans lorsque l’atteinte comporte un acte de pénétration sexuelle, dans le cas où le viol ne pourrait être constitué ;

––  il oblige la cour d’assises statuant sur un viol commis sur un mineur de moins de 15 ans de statuer sur la culpabilité de la personne mise en cause du chef d’atteinte sexuelle si les éléments constitutifs du viol sont contestés au cours des débats, afin d’éviter un acquittement.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal a déjà explicité l’un des éléments constitutifs de l’agression sexuelle, en précisant, à l’article 222-22-1 du code pénal, que la contrainte « peut être physique ou morale » et « résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

Modifications adoptées par la commission des Lois :

La Commission a modifié cet article pour remplacer les dispositions relatives à la caractérisation de la contrainte morale ou de la surprise par la seule mention de l’abus de vulnérabilité de la victime mineure de 15 ans ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à une relation sexuelle.

Elle a par ailleurs complété cet article par de nouvelles dispositions visant à :

––  élargir la définition du crime de viol pour y inclure l’acte de pénétration sexuelle imposée à la victime par et sur l’auteur ;

––  ajouter une circonstance aggravante pour le crime de viol et le délit d’agression sexuelle autre que le viol dans le cas où les faits sont commis dans les transports en commun ;

––  appliquer la surqualification pénale d’inceste aux victimes majeures d’actes sexuels intrafamiliaux et lorsque l’auteur de ces actes est le cousin germain de la victime ;

––  aggraver les peines encourues en cas d’atteinte sexuelle non aggravé.

1.   Le droit en vigueur

a.   Les principales infractions mobilisables

Les infractions d’agressions sexuelles (articles 222-22 à 222-31 du code pénal), d’atteintes sexuelles (articles 227-25 à 227-27 du code pénal) et de corruption de mineur (article 227-22 du code pénal) constituent les trois piliers de la répression des auteurs de violences sexuelles sur mineurs ([38]).

Les agressions sexuelles sont diversement sanctionnées selon la nature de l’atteinte subie par la victime :

––  le viol, constitué en cas d’acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, est un crime puni de quinze ans de réclusion à la réclusion criminelle à perpétuité (articles 222-23 à 222‑26) ;

––  les autres agressions sexuelles sont constituées des atteintes sexuelles commises sans pénétration mais avec violence, contrainte, menace ou surprise et punies de peines délictuelles allant de cinq à dix ans d’emprisonnement (articles 222‑27 à 222-31).

Le mineur de 15 ans est donc réputé par le législateur incapable de consentir librement à une relation sexuelle avec un majeur : ce seuil constitue l’âge de la majorité sexuelle en‑dessous duquel tout rapport sexuel avec un adulte est réprimé de cinq à dix ans d’emprisonnement (articles 227-25 et 227-26). L’atteinte sexuelle contre un mineur âgé de 15 à 18 ans n’est incriminée que si elle est commise par un ascendant, une personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou qui abuse de ses fonctions ; elle est punie de trois ans d’emprisonnement (article 227-27).

b.   La caractérisation du défaut de consentement de la victime d’agression sexuelle

Le défaut de consentement chez la victime d’actes sexuels est au cœur de la caractérisation des agressions sexuelles. Elle suscite, en France, de nombreuses interrogations, tout particulièrement lorsque sont en cause des victimes mineures, alors que d’autres pays ont fait le choix d’écarter la question du consentement lorsque les actes sont commis sur des enfants.

i.   À l’étranger

Le Canada ainsi qu’un grand nombre de pays présument, d’une manière ou d’une autre, l’absence de consentement des enfants aux actes sexuels de la part d’un majeur dès lors qu’ils n’ont pas atteint un certain âge, compris entre 13 et 16 ans :

––  certains de ces pays, comme la Belgique, le Canada ou le Royaume‑Uni, qualifient de viol tout acte sexuel commis à l’encontre d’un mineur d’un certain âge et ne font pas de l’absence de consentement de ce dernier un élément constitutif de l’infraction ;

––  d’autres, à l’instar de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark, des Pays‑Bas et du Portugal, répriment de manière générale tout acte sexuel commis à l’encontre d’un mineur d’un certain âge sans exiger de caractériser le défaut de consentement.

Deux pays se distinguent, l’Espagne et l’Italie, dont les législations se rapprochent de celle qui prévaut en France :

––  tout acte sexuel commis sur un mineur sans contrainte y est réprimé en-dessous d’un certain âge ;

––  la question du consentement de la victime est toujours posée pour caractériser l’agression sexuelle ;

––  le fait que la victime soit mineure constitue une circonstance aggravante de l’agression sexuelle.

 


  1  

PRISE en compte DU CONSENTEMENT DE LA VICTIME MINEURE DANS LES Législations étrangères

PAYS

PRISE EN COMPTE DU CONSENTEMENT

ÂGE DU MINEUR

PEINE D’EMPRISONNEMENT ENCOURUE

Pays dans lesquels l’infraction sexuelle sur un mineur est constituée, dans tous les cas, sans considération relative à son consentement

ALLEMAGNE

Non prise en compte du consentement

Moins de 14 ans

Entre 6 mois et 10 ans (minimum 2 ans en cas d’acte de pénétration sexuelle)

AUTRICHE

Non prise en compte du consentement

Moins de 14 ans

Entre 1 an et 10 ans en cas d’acte de pénétration

Entre 6 mois et 5 ans pour tout autre acte sexuel

BELGIQUE

Non prise en compte du consentement

Moins de 14 ans

Entre 15 et 20 ans (de 20 à 30 ans si l’enfant est âgé de moins de 10 ans)

PAYS-BAS

Non prise en compte du consentement

Moins de 12 ans

12 ans

PORTUGAL

Non prise en compte du consentement

1° Moins de 14 ans

2° De 14 à 16 ans (si l’auteur abuse de l’inexpérience de la victime)

3° De 14 à 18 ans (si la victime avait été confiée à l’auteur à des fins d’éducation ou d’assistance)

1° De 3 à 10 ans en cas d’acte de pénétration et de 1 an à 8 ans dans les autres cas

2° 3 ans en cas d’acte de pénétration et 2 ans dans les autres cas

3° De 1 an à 8 ans

ROYAUME-UNI

Non prise en compte du consentement

1° Moins de 13 ans

2° Moins de 16 ans (si l’auteur est majeur et ne pouvait raisonnablement penser que la victime avait plus de 16 ans)

3° Moins de 18 ans (si l’auteur est majeur, en position d’autorité et ne pouvait raisonnablement croire que la victime était majeure)

1° Perpétuité en cas d’acte de pénétration et de 6 mois à 14 ans dans les autres cas

2° 14 ans en cas d’acte de pénétration et de 6 mois à 14 ans dans les autres cas

3° De 6 mois à 5 ans

 


  1  

Pays dans lesquels l’infraction sexuelle sur un mineur est constituée, sous réserve d’exceptions, sans considération relative à son consentement

CANADA

Non prise en compte du consentement, sauf si :

1° La victime est âgée de 12 et 13 ans et l’auteur est de moins de deux ans son aîné ;

2° La victime est âgée de 14 et 15 ans et l’auteur est de moins de cinq ans son aîné ;

3° L’accusé a pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que la victime était âgée de 16 ans

Moins de 16 ans

Entre 1 an et 14 ans pour les contacts sexuels et incitations à de tels contacts (entre 90 jours et 2 ans en cas de reconnaissance préalable de culpabilité)

Perpétuité en cas d’usage d’arme à feu ou si l’auteur blesse, mutile ou défigure la victime ou la met en danger.

DANEMARK

Non prise en compte du consentement, sauf si l’auteur ignorait l’âge de la victime (dans ce cas, peine « proportionnée »)

1° Moins de 12 ans

2° De 12 à 15 ans

1° 12 ans

2° 8 ans

SUISSE

Non prise en compte du consentement, sauf si la différence d’âge ne dépasse pas trois ans

Moins de 16 ans

5 ans

3 ans si l’auteur a agi en pensant que sa victime avait 16 ans)

Pays dans lesquels l’âge de la victime n’empêche pas la recherche de son consentement mais constitue une circonstance aggravante de l’infraction

ESPAGNE

Âge comme circonstance aggravante

Moins de 16 ans

De 12 à 15 ans en cas de viol, de 5 à 10 ans en cas d’agression sexuelle et de 2 à 6 ans pour tout autre acte

ITALIE

Âge comme circonstance aggravante

Actes avec contrainte :

1° Moins de 10 ans

2° De 10 à 14 ans

Actes sans contrainte :

1° Moins de 10 ans

2° De 10 à 14 ans

3° De 14 à 16 ans (si l’auteur est un ascendant, parent ou tuteur du mineur)

4° De 16 à 18 ans (si l’auteur est un ascendant, parent ou tuteur du mineur)

Actes avec contrainte :

1° De 7 à 14 ans

2° De 6 à 12 ans

Actes sans contrainte :

1° De 7 à 14 ans

2° De 5 à 10 ans

3° De 5 à 10 ans

 

4° De 3 à 6 ans

Source : étude d’impact (NOR : JUSD1805895L/Bleue-1) annexée au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, pp.26-32.

 


  1  

ii.   En France

Pour apprécier le défaut de consentement de la victime, qu’elle soit mineure ou non, le droit français cherche à déterminer les conditions dans lesquelles la victime a été forcée à l’acte sexuel, par le recours à la violence, l’usage d’une contrainte ou l’emploi de menaces, ou si son consentement a été surpris, faute d’avoir pu donner son accord éclairé.

Le principe selon lequel la preuve du défaut de consentement résulte de la violence, de la contrainte ou de la surprise est ancien dans notre droit – il date de 1857 – et a été complété en 1994 par l’ajout des menaces. Inscrites dans la loi comme éléments constitutifs de l’agression sexuelle, ces notions très proches – la violence peut être physique mais aussi morale en cas de contrainte, dont les menaces sont une variété – ont été interprétées in concreto par la jurisprudence.

Illustrations jurisprudentielles de la violence, contrainte, menace ou surprise

La contrainte, physique ou morale, est l’élément central de l’incrimination car elle englobe souvent les violences, les menaces ou les moyens de surprise, toutes de nature à annihiler la capacité de résistance d’une personne.

La violence est principalement physique et peut consister en des coups sur la victime (Cass. crim., 22 juillet 2009, n° 09-82.966), le fait de la ligoter (17 octobre 1978, n° 77‑93.172), de la bâillonner (14 septembre 2005, n° 04-87.601) ou de la brutaliser (5 juin 2007, n° 07-81.837). Elle peut également résulter de la disproportion des forces en présence (29 mai 2002, n° 02-82.125) et de la supériorité physique de l’agresseur (24 septembre 1998, n° 98-83.624). Elle doit en principe être dirigée contre la victime, celle exercée sur un tiers ou une chose ne pouvant être prise en considération que si elle a un impact sur la volonté de la victime, comme la menace de tuer l’enfant de la victime ou le comportement d’un individu très violent s’en prenant aux choses pour terroriser la victime.

La menace, forme de la contrainte, peut résulter d’intimidations verbales, comme les menaces de mort (23 octobre 2002, n° 02-85.715), le chantage à la prison (29 avril 1960), à la dénonciation (23 janvier 2001, n° 00‑87.327) ou affectif (19 septembre 2001, n° 01-84.557), ou prendre la forme de la menace par une arme (5 février 1991, n° 90-86.709).

La surprise n’est pas celle exprimée par la victime mais correspond aux manœuvres dolosives et aux abus de faiblesse, dans le cas où l’auteur de l’agression a recours à une supercherie pour surprendre le consentement de la victime ou l’empêcher de le délivrer de manière lucide, comme lorsqu’il abuse de sa faiblesse d’esprit (8 juin 1994) ou physique, telles que l’ivresse (18 octobre 2006, n° 06-85.924) ou l’hypnose (4 avril 2007, n° 07-80.253), de son état de choc (13 mars 1984) ou lorsqu’il lui administre une substance médicamenteuse (10 décembre 2008, n° 08-86.558).

Quoi qu’il en soit, le consentement ne saurait être déduit du seul fait que la victime n’a pas opposé de résistance physique. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que « les obligations positives qui pèsent sur les États membres en vertu des articles 3 [interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants] et 8 [droit au respect de la vie privée] de la Convention commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique » ([39]).

D’importants problèmes de preuve se posent. Si les constatations de la médecine légale ont un rôle décisif pour établir des blessures ou irritations susceptibles de caractériser des violences, elles ne suffisent pas toujours et sont parfois réalisées trop tard.

Ces problèmes probatoires se posent avec une acuité particulière dans le cas de personnes – mariées, concubines, partenaires ou amants – qui ont une vie sexuelle commune. Si l’existence de telles relations n’empêche pas aujourd’hui la qualification pénale de viol dès lors qu’un acte de pénétration sexuelle a été imposé, tel n’a pas toujours été le cas puisque, jusqu’en 2010, le deuxième alinéa de l’article 222-22 prévoyait une « présomption de consentement des époux à l’acte sexuel » jusqu’à preuve du contraire.

Ils sont également très délicats à résoudre s’agissant de victimes mineures puisque la prise en compte de l’âge dans l’appréciation du défaut de consentement par la jurisprudence a évolué au fil du temps :

––  jusqu’en 1995, elle considérait que l’état de contrainte résultait de plein droit de l’âge des mineurs victimes lorsque celui-ci était trop peu élevé pour que les enfants aient conscience de ce qu’est la sexualité et puissent apprécier la gravité des actes ;

––  en 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la contrainte ou la surprise ne pouvaient résulter du seul âge de la victime ([40]) au motif que celui-ci ne pouvait être à la fois un élément constitutif de l’infraction et une circonstance aggravante ([41]) ;

––  en 2005, la chambre criminelle est quelque peu revenue sur sa position en approuvant des décisions qui avaient considéré que la contrainte pouvait résulter de la différence d’âge et de l’autorité de fait exercée par l’agresseur sur la victime, sous réserve d’établir en quoi cette circonstance avait effectivement empêché le consentement, mais cet arrêt s’appliquait à des enfants très jeunes – âgés de 18 mois à 5 ans – pour lesquels il faisait peu de doute que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » ([42]).

Cette évolution a conduit le législateur, en 2010, à préciser, à l’article 22222-1 du code pénal, que la contrainte « peut être physique ou morale » et « résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

La caractérisation du défaut de consentement de très jeunes victimes a suscité récemment de sérieuses interrogations à la suite de deux affaires judiciaires :

––  l’acquittement, en novembre 2017, par la cour d’assises de la Seine‑et‑Marne, d’un majeur âgé de 22 ans au moment des faits, accusé de viol à l’encontre d’une mineure alors âgée de 11 ans, la cour d’assises ayant estimé qu’aucun des éléments caractérisant le viol, à savoir l’usage de la contrainte, de la menace, de la violence ou de la surprise, n’était établi et n’ayant notamment pas retenu la contrainte morale résultant de la différence d’âge entre les deux protagonistes ([43]) ;

––  la qualification d’atteinte sexuelle retenue par le ministère public pour caractériser les relations sexuelles entre un homme et une fillette de 11 ans constituées d’une fellation et d’une pénétration et le renvoi de cet individu devant le tribunal correctionnel de Pontoise, avant que, finalement, celui-ci ne se déclare incompétent et qu’une information judiciaire pour viol ne soit ouverte.

Ces deux décisions ont créé un vif émoi dans l’opinion publique du fait de l’insuffisante prise en compte du très jeune âge de ces victimes mineures. C’est la raison pour laquelle un renforcement du dispositif légal a été envisagé dans le respect du cadre constitutionnel et conventionnel en vigueur.

2.   Le cadre constitutionnel et conventionnel

Les réponses susceptibles d’être apportées aux difficultés de caractérisation du défaut de consentement des personnes mineures victimes de violences sexuelles de la part de majeurs doivent respecter plusieurs exigences constitutionnelles et conventionnelles, parmi lesquelles la légalité des délits et des peines, la proportionnalité, l’élément intentionnel du crime, le respect des droits de la défense et la présomption d’innocence.

C’est ce cadre contraint qui a conduit le Gouvernement à faire évoluer le contenu de ses propositions par rapport à ses intentions initiales, qui ont consisté successivement à instaurer une présomption irréfragable de non-consentement en fonction d’un seuil d’âge de la victime puis à modifier les éléments constitutifs de l’agression sexuelle afin d’inclure dans cette qualification toute atteinte sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur, « lorsque celui-ci connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ».

a.   Le cadre applicable aux présomptions de culpabilité

La première réponse envisagée, l’institution d’une présomption irréfragable de non‑consentement d’un mineur à tout acte sexuel en-dessous d’un certain âge, doit être appréciée à l’aune du principe constitutionnel et conventionnel de la présomption d’innocence, résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ([44]) et de l’article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ([45]).

Ce principe implique que la charge de la preuve appartienne à l’accusation. Il interdit l’institution d’une présomption irréfragable de culpabilité – insusceptible d’être combattue par une preuve contraire – et encadre la mise en œuvre d’une présomption simple de culpabilité – susceptible d’être combattue par la preuve contraire selon des modalités déterminées limitativement ou le régime probatoire ordinaire.

Pour le Conseil constitutionnel, le législateur ne peut, en principe, instituer une présomption de culpabilité en matière répressive. Une telle présomption n’est admise qu’à titre exceptionnel à une triple condition :

––  la présomption doit être simple ;

––  les droits de la défense doivent être respectés ;

––  les faits doivent induire raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité.

A ainsi été admise l’instauration, dans le champ contraventionnel, de la présomption simple pesant sur le titulaire du certificat d’immatriculation en matière de contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées ([46]) et, dans le champ délictuel, de présomptions de fraude fiscale ([47]) ou de responsabilité en matière d’infractions de presse ([48]).

En revanche, d’autres présomptions ont été censurées, comme le dispositif permettant de suspendre l’abonnement à internet d’une personne en raison des actes de contrefaçon commis à partir de son adresse internet ([49]) ou la présomption irréfragable de culpabilité instituée par le législateur par la répression d’une peine contraventionnelle du fait pour le représentant légal d’un mineur de ne pas s’être assuré du respect par celui-ci du « couvre-feu » pour les mineurs ([50]).

Pour la CEDH, le droit de toute personne mise en cause en matière pénale à être présumée innocente n’est pas absolu et les États peuvent instituer des présomptions de fait ou de droit, à la condition de les enserrer « dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense » ([51]) et pour certains motifs, notamment punir un fait matériel ou objectif procédant ou non d’une intention délictueuse ou d’une négligence, comme dans le cas d’une présomption pour trafic découlant de la possession de stupéfiants ([52]) ou en matière routière ([53]).

b.   Le cadre applicable à la modification des éléments constitutifs de l’infraction d’agression sexuelle

La seconde réponse envisagée consiste dans la répression spécifique et objective de l’infraction d’agression sexuelle lorsque les faits sont commis par un majeur sur un mineur d’un certain âge, non par l’aggravation du quantum des peines encourues mais par la suppression de l’un des éléments constitutifs de l’infraction que sont la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cette option doit également respecter certaines exigences, rappelées par le Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi ([54]) :

––  l’élément intentionnel de l’infraction, qui est une exigence posée de manière générale par le Conseil constitutionnel s’agissant des crimes et délits ([55]) et revêt une importance encore plus forte pour les crimes : il exige, en l’espèce, que l’auteur présumé de l’infraction ait eu conscience d’exercer une coercition sur la victime ;

––  le principe d’égalité devant la loi pénale, empêchant qu’un même comportement tombe sous le coup de deux incriminations distinctes : la suppression, à droit constant, de la « violence, contrainte, menace ou surprise » des éléments constitutifs de l’infraction d’agression sexuelle permettrait de poursuivre l’auteur de violences sexuelles sur un mineur de 15 ans sans acte de pénétration du chef d’agression autre que le viol ou d’atteinte sexuelle, deux infractions sanctionnées de peines de prison très différentes ;

––  le principe de légalité des délits et des peines, qui semble interdire qu’un fait soit, dans le même temps, un élément constitutif d’une infraction et une circonstance aggravante de cette infraction ([56]) : or la violence sexuelle commise par un majeur à l’encontre d’un mineur de 15 ans constitue déjà une circonstance aggravante de l’infraction de viol et d’agression sexuelle autre que le viol.

Enfin, il doit être tenu compte des « effets de seuil » inhérents à tout dispositif lié à un critère d’âge, que ce soit pour la définition d’une présomption de non-consentement ou d’une incrimination spécifique. Ainsi, dans l’hypothèse d’un seuil établi à 15 ans, la relation préexistante entre un garçon de 17 ans et demi et une mineure de 14 ans deviendrait, dès les 18 ans du jeune homme, un crime de viol en cas d’acte de pénétration ou, à défaut, une agression sexuelle.

3.   Le projet de loi

Le Gouvernement propose, par l’article 2 du projet de loi, trois séries de réponses tenant compte de ce cadre juridique contraint.

a.   Faciliter la démonstration de la contrainte ou de la surprise constitutives d’une agression sexuelle pour les mineurs de 15 ans

Le I désigne certaines circonstances de fait sur lesquelles le juge pourra se fonder pour caractériser la contrainte ou la surprise dans le cadre de la qualification pénale de viol ou d’agression sexuelle. À cette fin, il précise, à l’article 222-22-1 du code pénal, que la contrainte morale ou la surprise peut résulter « de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes » lorsque celle-ci est âgée de moins de 15 ans.

Cette précision s’inspire, dans le principe, de l’intervention du législateur qui a inscrit dans le code pénal, en 2010, que la contrainte « peut être physique ou morale » et « résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

En ne modifiant pas les éléments constitutifs du viol et des autres agressions sexuelles, elle s’appliquera immédiatement, y compris aux faits antérieurs à la loi, permettant de couvrir des faits anciens.

Plusieurs notions juridiques sont mobilisées :

––  celle d’abus de l’ignorance de la victime, tirée de l’infraction définie à l’article 223-15-2 du code pénal qui réprime « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité (…) est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables » ;

––  celle de discernement, généralement définie comme « l’aptitude à distinguer le bien du mal qui, apparaissant chez le mineur à l’âge de raison, le rend capable de s’obliger délictuellement et condition de la responsabilité civile » ([57]), est connue à la fois du droit civil – pour déterminer quand l’enfant peut être entendu en justice dans le cadre d’une adoption plénière ([58]) ou dans toute procédure ([59]) – et du droit pénal : seul un mineur capable de discernement peut faire l’objet de poursuites pénales ([60]) et l’abolition ou l’altération du discernement en raison de troubles psychiques ou neuropsychiques est au fondement des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation ([61]) de la responsabilité pénale ;

––  dans une moindre mesure, celle de maturité, qui figure dans le code civil s’agissant des modalités d’association des enfants aux décisions qui les concernent en matière d’adoption plénière ([62]) et d’exercice de l’autorité parentale ([63]).

b.   L’aggravation des sanctions encourues en cas d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans sans violence, contrainte, menace ou surprise

Le II porte de 5 à 10 ans d’emprisonnement la sanction du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans lorsque l’atteinte comporte un acte de pénétration sexuelle.

Cette nouvelle circonstance aggravante de l’infraction d’atteinte sexuelle s’ajoutera aux circonstances déjà prévues par l’article 227-26 du code pénal lorsque l’atteinte sexuelle est commise par un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ou par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, ou lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques.

Elle pourra être mobilisée lorsque le viol ne peut être constitué à défaut de pouvoir caractériser une violence, contrainte, menace ou surprise.

c.   L’obligation procédurale de poser la question subsidiaire de l’atteinte sexuelle lors des débats en cour d’assises

Le III apporte une précision à l’obligation faite par l’article 351 du code de procédure pénale au président de la cour d’assises de poser une ou plusieurs questions subsidiaires « s’il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation », afin de permettre la condamnation de l’auteur des faits du chef de cette qualification.

Ainsi, le jury pourra se prononcer sur la culpabilité de l’auteur des faits au regard de la qualification d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, dans l’hypothèse où l’existence d’une violence, contrainte, menace ou surprise aurait été contestée au cours des débats, afin d’empêcher l’acquittement pur et simple de la personne poursuivie.

Par ces trois dispositifs, le Gouvernement propose donc de renforcer, à plusieurs niveaux, les outils à la disposition des juridictions pour améliorer la prise en compte de l’absence de consentement du mineur ou, à défaut, aggraver les peines encourues dans le cas d’atteintes sexuelles d’une particulière gravité, dès lors qu’elles comportent un acte de pénétration sexuelle, et faciliter la condamnation par la cour d’assises des auteurs majeurs d’abus sexuels sur mineurs qui ne pourraient constituer un viol.

4.   Les modifications apportées par la Commission

La commission des Lois a amélioré la rédaction de cet article et l’a complété de dispositions visant à renforcer la répression des violences sexuelles.

a.   La clarification des circonstances caractérisant la contrainte morale ou la surprise dans le cas de victimes mineures de 15 ans

Sur proposition de votre rapporteure et de M. Dimitri Houbron, député du groupe de La République en marche, avec l’appui du Gouvernement, la Commission a clarifié les dispositions du I afin de faciliter la caractérisation de l’absence de consentement des victimes mineures de moins de 15 ans. Elle a prévu que la contrainte morale ou la surprise, au lieu de pouvoir résulter de « l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir » aux actes sexuels, seraient caractérisées par « l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir ».

Pour votre rapporteure, la rédaction initialement proposée par le Gouvernement soulevait deux difficultés mises en exergue par de nombreuses personnes auditionnées :

–– d’une part, la mention de la notion d’« abus de l’ignorance de la victime » paraissait restrictive et source de confusions, en semblant exiger la caractérisation de l’abus d’ignorance ou de faiblesse défini par l’article 223‑15‑2 du code pénal comme « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité (…) est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables » ;

–– d’autre part, la référence à la maturité du mineur introduisait une notion subjective, juxtaposée à celle, bien connue des magistrats, de discernement.

b.   L’élargissement de la définition du viol

Sur l’initiative de votre rapporteure et suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission a élargi la définition du crime de viol posée par l’article 222-23 du code pénal pour y inclure l’acte de pénétration sexuelle imposée à la victime par et sur l’auteur, aujourd’hui considéré comme une agression sexuelle autre que le viol, à la différence de l’acte de pénétration imposé par l’auteur sur la personne de la victime (I bis).

En effet, la Cour de cassation, s’en tenant à la lettre de l’article 222‑23 précité, qui prévoit que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol », considère que l’élément matériel du crime de viol n’est caractérisé que si l’auteur réalise l’acte de pénétration sexuelle sur la personne de la victime. N’est donc pas constitutif d’un viol le fait pour une femme d’abuser de l’autorité dont elle dispose sur un jeune garçon pour lui imposer d’avoir des relations sexuelles ([64]) ou les fellations pratiquées par l’auteur sur la victime ([65]).

c.   L’extension des circonstances aggravantes applicables en cas de viol ou d’agression sexuelle autre que le viol

À l’initiative de M. Erwan Balanant et de Mme Aude Luquet, députés du groupe du Mouvement démocrate, et suivant l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, la Commission a complété la liste des circonstances aggravantes pour le crime de viol (I ter) et le délit d’agression sexuelle autre que le viol (I quater) pour viser les faits commis dans les transports en commun.

d.   L’application de la surqualification pénale d’inceste à une liste élargie d’actes incestueux

Sur proposition de M. Dimitri Houbron, député du groupe de La République en marche, et de M. Xavier Breton, député du groupe Les Républicains, la Commission, suivant l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, a élargi le champ des actes susceptibles de recevoir la surqualification pénale d’inceste en vertu de l’article 222-31-1 du code pénal (I quinquies) :

––  aux actes sexuels commis sur des majeurs, alors que la surqualification est aujourd’hui réservée aux auteurs d’actes sexuels commis sur des victimes mineures, considérant que le caractère intrafamilial des violences sexuelles ne disparaissait pas avec la majorité (1° et a) et b) du 2°) ;

––  aux auteurs cousins germains de la victime (c) du 2°).

e.   L’aggravation des peines encourues en cas d’atteinte sexuelle non aggravée

Tirant les conséquences de la gravité particulière des actes sexuels, mêmes consentis, commis par un majeur sur un mineur de 15 ans, la Commission, suivant l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, a adopté un amendement de M. Xavier Breton portant de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende les peines encourues en cas d’atteinte sexuelle non aggravée en application de l’article 227-25 du code pénal (I sexies).

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La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1 de M. Jean-Louis Masson, CL68 de M. Xavier Breton et CL248 de M. Stéphane Viry.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CL1 propose de créer une présomption irréfragable d’absence de consentement pour les mineurs de 15 ans et donc de viol en cas de pénétration sexuelle par une personne majeure ainsi qu’en cas d’inceste et de crimes sexuels commis par des personnes ayant autorité sur des mineurs de 18 ans.

Tout le monde est conscient de la gravité des violences sexuelles sur les mineurs et il importe d’être très rigoureux dans la rédaction des articles du code pénal.

M. Xavier Breton. Le seuil proposé par le Gouvernement risque de poser plus de questions que d’en résoudre. Mon amendement CL68 prévoit d’instituer une présomption de contrainte pour qualifier de viol une relation sexuelle entre un majeur et un mineur dans deux hypothèses : l’incapacité de discernement du mineur ou l’existence d’une différence d’âge significative entre l’auteur majeur et le mineur.

Prenant en compte les phénomènes d’emprise, cette présomption permettrait d’assurer une protection de tous les mineurs, quel que soit leur âge, sans appliquer nécessairement une qualification criminelle de viol pour une relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur de 18 ans.

Pour respecter les principes posés par la Constitution de 1958 et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il s’agirait d‘instaurer une présomption simple, ce qui signifie que l’accusé pourrait apporter la preuve contraire. Imagine-t-on renvoyer devant la cour d’assises un jeune majeur de 18 ans pour une relation sexuelle avec une mineure de 14 ans et 11 mois sans pouvoir écarter la présomption de contrainte ?

M. Stéphane Viry. La rédaction actuelle de l’article 2 est complexe et n’est pas satisfaisante : elle sera source de contentieux et de recours. Par ailleurs, elle ne concerne que les mineurs de moins de quinze ans et risque de représenter un recul pour ceux qui sont âgés de seize ans et plus.

Mon amendement CL248 est issu de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles que le Sénat a adoptée. Il facilite la répression des viols commis à l’encontre des mineurs en instaurant une présomption simple de contrainte fondée sur l’incapacité de discernement du mineur ou sur l’existence d’une différence d’âge significative entre le mineur et l’auteur. Il reviendrait à l’auteur de démontrer l’absence de contrainte et donc le consentement. C’est une mesure complémentaire pour la protection des mineurs victimes de violences sexuelles.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avec l’article 2, nous abordons un sujet particulièrement sensible.

Il faut rappeler que nous poursuivons tous un même objectif : améliorer la prise en compte de la spécificité de violences sexuelles commises par des majeurs sur des mineurs.

Nos chemins divergent toutefois sur les moyens d’y parvenir, qui sont au nombre de trois : premièrement, éclairer la notion de contrainte et de surprise comme le propose le Gouvernement ; deuxièmement, instituer une présomption de contrainte ou de non-consentement ; troisièmement, créer des infractions sexuelles autonomes pour les mineurs.

Revenons sur la question de l’âge. Les nombreuses auditions que j’ai menées m’ont convaincue de la nécessité de conserver un haut niveau de protection en visant l’ensemble des mineurs de moins de 15 ans. Cet âge est reconnu par le code pénal comme celui de la maturité sexuelle. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État souligne la cohérence du seuil de 15 ans avec l’objectif poursuivi par les dispositions pénales envisagées. Reprenant les conclusions de la mission pluridisciplinaire, il fait valoir que « l’adolescent mérite, jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, une protection renforcée en raison des traces profondes provoquées par les traumatismes sexuels sur la structure et le fonctionnement du cerveau » et que « l’âge moyen du premier rapport sexuel chez les adolescents se situe de manière stable à dix-sept ans ». Abaisser l’âge à 13 ans, comme certains amendements le proposent, constituerait un recul par rapport au droit existant et créerait des effets de seuil pour les mineurs âgés de 13 à 15 ans.

Deuxième question : faut-il instaurer une présomption de contrainte ou de non-consentement ? Cette hypothèse a été soumise à l’expertise du Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi. Nous en avons très longuement discuté au cours des auditions. C’est l’une des questions qui a fait le plus débat. Une chose est certaine : il n’apparaît pas possible d’instituer une présomption irréfragable. Cela contreviendrait aux principes constitutionnels et conventionnels de la présomption d’innocence.

Qu’en est-il de la présomption simple ? A priori séduisante, cette idée n’en soulève pas moins de très sérieuses objections et pose nombre de difficultés. Le Conseil constitutionnel comme la Cour européenne des droits de l’homme n’ont admis l’existence d’une présomption de culpabilité en matière répressive que dans de très rares hypothèses, principalement dans le domaine contraventionnel, et généralement pour un fait matériel et objectif. En tout état de cause, les faits doivent induire raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité. Surtout, les droits de la défense doivent être préservés. Or il s’agirait ici d’instaurer une présomption simple de contrainte ou de non-consentement en matière criminelle qu’il serait bien difficile pour la personne poursuivie de renverser, à moins de se fonder sur les résultats incertains d’une expertise psychiatrique du mineur. La présomption instituée revêtirait donc en pratique toutes les caractéristiques d’une présomption irréfragable.

Cela me conduit à aborder l’option consistant à réprimer de manière spécifique les actes sexuels sur les mineurs sans exiger qu’ils aient été accompagnés de violence, contrainte, menace ou surprise. Incriminer de manière autonome les viols et agressions sexuelles sur mineurs reviendrait, pour faire simple, à criminaliser tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur d’un certain âge. Compte tenu du principe de proportionnalité, une telle proposition ne saurait s’appliquer indistinctement à tous les mineurs de moins de 15 ans. Elle serait source de difficultés pratiques et de contestations que ne manquerait pas de soulever l’instauration de seuils à différents âges. En outre, elle ignorerait la situation d’un auteur devenu majeur qui poursuivrait une relation librement consentie avec un mineur.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’émettrai un avis défavorable à l’ensemble des amendements visant à revenir sur l’alinéa 2, que je vous proposerai en revanche de clarifier dans le sens d’une plus grande protection des mineurs.

Je suis défavorable à l’amendement CL1 dont l’objet est la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle sur un mineur de 15 ans ou tout mineur de 18 ans dès lors que l’auteur a une relation d’autorité sur lui. Votre proposition, monsieur Masson, va en effet extrêmement loin puisqu’elle revient sur la liberté sexuelle entre mineurs, sauf exception. Par ailleurs, elle me paraît disproportionnée au regard des peines encourues pour les faits que vous visez.

L’amendement CL68 reprend une proposition formulée par le Sénat dans la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles qui a fait l’objet de nombreuses discussions.

Il revient sur le seuil de 15 ans, que plusieurs travaux préconisent de retenir et qu’il me paraît important d’inscrire dans le texte.

Toutes les personnes auditionnées ont souligné qu’une telle disposition soulevait de sérieuses difficultés.

Tout d’abord, rien n’est dit dans l’amendement du caractère simple ou irréfragable de la présomption. De sérieuses objections constitutionnelles peuvent être formulées à l’encontre d’une telle présomption, même simple, dès lors qu’elle s’applique en matière criminelle et à toutes les victimes mineures, quel que soit leur âge.

En outre, la mention d’une « différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur des faits » laisse libre place à toutes les interprétations et incertitudes possibles. Le législateur peut-il ainsi se défausser sur la jurisprudence pour fixer cette différence d’âge sans méconnaître sa compétence ?

Pour ces raisons, je suis défavorable à cet amendement tout comme à l’amendement CL248.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’amendement CL1 modifie les éléments constitutifs du viol sur mineur de moins de quinze ans en supprimant l’exigence de violence, menace, contrainte ou surprise. Cela pose un problème de constitutionnalité, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son avis du 15 mars 2018. Les deux alinéas suivants présentent un risque d’inconstitutionnalité encore plus fort. Le droit positif prend déjà en compte la relation d’autorité à l’article 222-22-1 du code pénal qui dispose que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. »

Sur les deux autres amendements, notre avis sera également défavorable. Nous préférons la disposition du projet de loi qui vise à fixer un seuil à 15 ans, d’autant que sa rédaction est améliorée par l’amendement que va présenter la rapporteure. L’intérêt de ces amendements nous paraît, en outre, relativement limité dans la mesure où la présomption repose sur des éléments imprécis qui supposent une interprétation. De plus, la modification qu’ils proposent est redondante avec l’article L. 222-22-1 du code pénal que je viens de citer.

Par principe, une présomption en matière criminelle poserait un problème de constitutionnalité, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis.

M. Philippe Latombe. La question soulevée par l’article 2 ne se limite pas à la fixation du seuil à 13 ou à 15 ans. C’est une question que l’ensemble de la société nous pose et il nous faut y répondre par un débat de fond : un mineur de 13 ans est-il libre ou non de consentir à une relation sexuelle ? Beaucoup d’acteurs nous demandent d’aller plus loin que les simples questions de constitutionnalité et nous devons le faire. Ayons le courage politique d’avancer et de poser une limite comme d’autres pays l’ont fait, sans que cela leur ait causé de souci particulier. Les attentes sont tellement fortes que ce serait une reculade que de ne pas fixer un seuil infranchissable.

M. Stéphane Viry. Madame la rapporteure, je tiens tout d’abord à vous préciser que l’amendement que j’ai défendu prévoit une présomption simple et non pas irréfragable.

Il faut savoir prendre parfois le risque de l’inconstitutionnalité, sinon les législateurs que nous sommes n’avanceraient plus. Faire la loi implique de faire bouger les lignes, de contraindre les uns et les autres à se positionner, y compris les juges suprêmes. Avoir pour seule ligne d’horizon la jurisprudence du Conseil constitutionnel limite toutes les possibilités d’avancées législatives. Comme cela a été rappelé, des progrès substantiels ont été obtenus au Parlement parce que des députés et des sénateurs courageux ont su faire fi de ces considérations.

Rappelons enfin qu’il est question d’arbitrer entre la parole d’un enfant et la parole d’un adulte qui l’a contraint à avoir une relation sexuelle – un adulte dont le cheminement intellectuel lui permet de développer une argumentation plus étayée et apparemment plus solide. Pour assurer l’égalité des armes, il me paraît utile de faire évoluer notre législation vers la présomption simple. C’est la raison pour laquelle je défends avec force cet amendement.

M. Philippe Gosselin. Nous abordons un sujet éminemment sensible et les clivages qui se font jour entre nous ne sont pas nécessairement politiques. Chacun aura à cœur d’améliorer la protection des mineurs et de renforcer la répression des atteintes sexuelles dont ils peuvent être victimes. Nous devons toutefois légiférer dans le cadre de notre système juridique et comparaison n’est pas raison : d’autres États ont un système juridique différent du nôtre. Certes, je tiens à ce que le législateur fasse preuve de courage et se montre capable de faire tomber des barrières mais la barrière ultime, dans un État de droit, c’est bien notre Constitution. Or le système juridique français place parmi les principes qui figurent à son sommet le respect des droits de la défense, qui me paraît incompatible avec la présomption irréfragable, pour des raisons évidentes, mais aussi avec la présomption simple, pour des raisons plus subtiles. Il faut prendre garde à ne pas mettre le doigt dans un engrenage juridique dangereux même si cette proposition peut paraître séduisante au regard des attentes sociétales actuelles. Le législateur se doit aussi de rappeler que celles-ci doivent s’insérer dans un cadre juridique. Au risque de passer pour un rabat-joie, je ne vois pas comment nous pourrions agir autrement dans un Parlement démocratique.

Mme Clémentine Autain. Madame la secrétaire d’État, il me semble que dans votre discours liminaire, vous avez fait une confusion entre le caractère irréfragable de la présomption, qui effectivement ne semble pas constitutionnel, et l’inversion de la charge de la preuve, autrement dit la possibilité de demander à une personne majeure de faire la preuve qu’elle n’a pas violé un enfant de 9 ans, de 10 ans, de 11 ans. Dans le cas d’un cambriolage, ou d’un meurtre, les preuves, ce sont des éléments concrets ; dans le cas de violences sexuelles à l’encontre d’un mineur, c’est autrement plus compliqué, surtout si la victime n’a pas été examinée dans un centre médico-légal immédiatement après les faits. Rappelons que deux petites filles se sont récemment vu opposer un « Circulez, il n’y a rien à voir » par la justice en l’absence de preuves.

Il faut donner un signal fort à la population : pour protéger les mineurs de ce type de décisions de justice, montrons que nous voulons donner aux magistrats des outils pour condamner plus lourdement les personnes qui violent des enfants – qui peuvent être des petites filles de CE2 ou de sixième, je ne sais pas si tout le monde s’en rend bien compte.

Il ne s’agit pas de renverser notre édifice normatif, mais de montrer que nous sommes prêts à des avancées. Nous avons tout à l’heure abouti à un compromis en augmentant le délai de prescription de dix ans sans pour autant aller jusqu’à l’imprescriptibilité ; nous pouvons nous accorder à présent sur la présomption simple sans aller jusqu’à la présomption irréfragable.

M. Xavier Breton. Madame la rapporteure, je tiens à répondre à vos objections.

Tout d’abord, nous avons pris en compte les risques d’inconstitutionnalité et avons retenu la présomption simple plutôt que la présomption irréfragable.

Par ailleurs, nous nous accordons avec vous sur le fait qu’il faut utiliser avec précaution le mécanisme de la présomption. Nous considérons toutefois qu’il importe de rééquilibrer le rapport de force entre le majeur et le mineur et que l’inversion de la charge de la preuve permet d’y parvenir.

Mme Naïma Moutchou. Pourquoi faudrait-il aller le plus loin possible pour être efficace ? Si c’était aussi simple, nous retiendrions cette option à chaque fois et il n’y aurait plus de débat. Bien sûr, il nous faut être courageux mais en tant que législateurs, nous devons nous inscrire dans un cadre juridique. Il convient de répondre aux attentes des victimes et de leurs familles mais dans un esprit de responsabilité en leur offrant les moyens d’agir de façon efficace, en toute sécurité. Et c’est ce que permet la proposition du Gouvernement, enrichie par la rapporteure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je tiens à rappeler qu’au cours des auditions, nous avons exploré toutes les pistes pour protéger au mieux les mineurs. Nous avons longuement débattu en prenant en compte la nécessaire protection des victimes d’infractions sexuelles mais aussi les garanties constitutionnelles, notamment le respect des droits de la défense.

Les affaires récentes nous ont tous bouleversés, à juste titre. Remarquons toutefois que l’une d’elles a donné lieu à appel et l’autre à l’ouverture d’une information judiciaire. Nous nous sommes rendu compte qu’il pouvait y avoir des zones d’ombre dans notre droit. Instaurer une présomption irréfragable n’est pas envisageable, toutes les personnes que nous avons auditionnées l’ont souligné. Quant à la présomption simple, elle suscite de très sérieuses objections constitutionnelles. En outre, ce que beaucoup veulent éviter, c’est que l’audience se focalise sur les victimes, ce qui ne manquerait pas d’arriver si l’une des parties devait apporter la preuve qu’il n’y a pas eu contrainte ou surprise. Or la présomption simple n’évitera pas ce débat : tout avocat en défense aura dans la plupart des cas tendance à vouloir renverser la présomption. La présomption de culpabilité est admise en matière contraventionnelle, notamment en ce qui concerne les infractions au code de la route où l’imputabilité va de soi. Mais en matière de crime, il est extrêmement difficile de l’instaurer car il n’y a pas deux dossiers qui se ressemblent.

La fixation de l’âge de non-consentement ne peut être séparée des débats sur les mesures renforçant la protection des mineurs. C’est un préalable indispensable.

Vous parlez de courage politique mais s’agissant d’un sujet aussi grave, il faut s’entourer de précautions. Pensez aux victimes dont les procédures seraient stoppées net sitôt la première question prioritaire de constitutionnalité soulevée. Faisons preuve de responsabilité et prenons en compte l’équilibre de notre droit pénal et de notre droit constitutionnel.

Par ailleurs, monsieur Viry, je le répète, rien ne permet dans votre amendement d’établir qu’il s’agit d’une présomption simple puisqu’il ne précise pas par quels moyens il est possible à l’accusé de la renverser en apportant la preuve contraire. Il se heurte à un écueil constitutionnel.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL20 de Mme Sophie Auconie, CL220 de Mme Marietta Karamanli et CL48 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Sophie Auconie. L’amendement CL20 a pour objectif de reconnaître que toute pénétration sexuelle commise par un adulte sur un mineur de 13 ans est un viol et toute atteinte sexuelle une agression sexuelle, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve qu’il y a eu violence, contrainte, menace ou surprise. Il est indispensable de poser une limite d’âge au-dessous de laquelle un mineur ne peut avoir consenti à un acte de pénétration sexuelle ou à un acte sexuel sans pénétration, de quelque nature qu’ils soient, dès lors qu’ils ont été commis sur sa personne par un majeur. Vous allez me dire, madame la rapporteure, que le Conseil constitutionnel s’oppose à de telles dispositions. Or il a simplement formulé une réserve d’interprétation sur ce point, ce qui suppose qu’il est possible de voir avec lui comment faire évoluer la loi. Rappelons qu’il s’agit de défendre les enfants, nos enfants.

Par ailleurs, il me semble que le fond du débat ne porte pas sur la présomption irréfragable ou simple, mais sur le fait que c’est la relation sexuelle qui est constitutive de l’infraction.

Mme Marietta Karamanli. Permettez-moi d’insister sur l’amendement CL220 qui pose la question centrale de l’âge, qu’a rappelée madame la rapporteure – en l’occurrence, l’âge de 13 ans. Nous proposons de préciser le dispositif de l’article 222-23-1 du code pénal afin de définir un interdit clair et absolu. Je m’appuie aussi sur vos propres propos, madame la secrétaire d’État : vous avez plusieurs fois pris la parole dans la presse pour préciser que le viol et l’agression sexuelle seraient caractérisés d’office pour tout enfant en deçà d’un certain âge. L’essentiel est là : cet amendement permet de mieux protéger les enfants. Le législateur doit franchir ce pas.

Mme Marie-Pierre Rixain. Dans la droite ligne des recommandations nos 7 et 8 de la Délégation aux droits des femmes, l’amendement CL48 vise à créer deux nouvelles infractions pour mieux protéger les enfants en définissant un interdit clair et absolu : un enfant de moins de 13 ans n’est pas apte à avoir un rapport sexuel avec une personne majeure. Ce type de rapports sexuels est interdit, qu’il y ait ou non pénétration.

Seules deux hypothèses seraient donc envisageables si la victime est un enfant de moins de 13 ans. Lorsqu’un acte sexuel sans pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 13 ans, la question de la contrainte, de la surprise, de la menace ou de la violence ne se pose pas : l’auteur serait dans tous les cas puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros. Lorsqu’un acte sexuel avec pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 13 ans, la question de la contrainte, de la surprise, de la menace ou de la violence ne se pose pas et l’auteur serait dans tous les cas puni d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle.

Il nous a semblé opportun d’ouvrir ce débat pour examiner s’il est nécessaire d’aller plus loin en ce qui concerne la question des violences sexuelles commises à l’encontre d’enfants de 13 ans.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous contournez le débat sur la présomption de non-consentement, madame Auconie, en instituant de nouvelles incriminations pénales assimilant au viol et à l’agression sexuelle autre que le viol toute atteinte sexuelle, le cas échéant avec acte de pénétration, commise par un majeur sur la personne d’un mineur de moins de 13 ans. Je comprends naturellement votre objectif mais il n’est pas conforme au nôtre, qui consiste à appliquer un niveau élevé de protection à l’ensemble des mineurs de moins de 15 ans et à guider le juge dans l’appréciation de la contrainte ou de la surprise.

De surcroît, l’institution d’incriminations spéciales pour les mineurs de 13 ans risquerait de créer des effets de palier peu compatibles avec les exigences en matière de répression pénale et serait une source de complexité. Enfin, on peut s’interroger sur la conformité de telles infractions au principe de proportionnalité. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement CL20 et, par cohérence, aux amendements CL220 et CL48.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous poursuivons tous, particulièrement les membres de la commission des Lois, le même objectif : celui de mieux protéger les enfants contre les violences sexuelles. Il me semble important de le souligner, car ce n’est pas le cas pour tous les projets de loi. Notre objectif est donc commun, même si les solutions proposées peuvent varier.

Le Gouvernement est résolu à fixer une limite d’âge claire : 15 ans, et non pas 13. Dans le présent projet de loi, nous fixons cette limite de deux manières : en englobant le fait d’avoir moins de 15 ans dans la définition du viol avec contrainte ou surprise, notamment, et en rappelant dans le deuxième volet de l’article que l’interdit subsiste, y compris lorsque le rapport sexuel serait réputé consenti. C’est ainsi que le projet prévoit la protection la plus ferme des enfants contre les viols, les violences sexuelles et, plus généralement, les rapports sexuels même en l’absence de preuve de viol.

Rappelons, puisqu’il y a été fait mention, le rôle du Conseil d’État : il conseille le Gouvernement afin d’aboutir à une rédaction des projets de loi qui soit conforme à la Constitution. J’entends la recommandation qui nous est faite d’échanger avec le Conseil d’État ; c’est ce que nous faisons non seulement avec lui et avec la chancellerie, mais aussi, au fil de dizaines d’heures d’auditions, de discussions et de rencontres, avec des associations : le tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes a permis d’auditionner 55 000 personnes ! – et avec des experts de terrain, des magistrats, des juristes, et ainsi de suite. C’est de ces échanges que résulte le projet de loi qui, loin d’avoir été écrit en quelques minutes, est le fruit d’un travail de plusieurs mois et dont la rédaction correspond à l’engagement du Président de la République à mieux protéger les enfants de moins de 15 ans contre les violences sexuelles.

Pourquoi le Président de la République et le Gouvernement ont-ils retenu l’âge de 15 ans ? Tout d’abord, cette option a été choisie au terme du tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes et d’une consultation en ligne. Ensuite, le groupe d’experts a confirmé ce choix pour plusieurs raisons : les neurosciences prouvent la fragilité psychique des enfants de moins de 15 ans et les dommages que provoquent chez eux les abus sexuels ; il faut donc instituer une protection renforcée. C’est également l’avis des experts de la mission pluridisciplinaire lancée par le Premier ministre en mars. En outre, l’âge de 15 ans constitue un repère pour les praticiens : c’est l’âge d’hospitalisation dans les services d’adultes. Par ailleurs, le seuil de quinze ans est déjà retenu dans la loi s’agissant du manque de discernement des mineurs : citons par exemple les atteintes sexuelles et autres délits, le droit numérique, et ainsi de suite. L’âge de 15 ans constitue également une référence en matière de protection pénale des mineurs : c’est le seuil permettant d’établir les éléments essentiels ou les circonstances aggravantes de nombreuses infractions. Enfin, il correspond à l’âge médian retenu dans les autres pays européens – 14 ans en Allemagne et 16 ans en Espagne – et il ne serait ni tolérable ni compréhensible pour l’opinion publique que l’on fasse le choix de protéger les mineurs de moins de 13 et que l’on refuse cette protection aux mineurs de plus de 13 ans. Au-delà de tel ou tel débat politique, cet âge fait consensus parmi tous les experts. Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements.

M. Erwan Balanant. J’entends les arguments des uns et des autres sur ce sujet complexe et délicat. La transformation du texte tel qu’il est proposé dans le projet de loi et tel qu’il sera sans doute amendé par la rapporteuse… (Murmures sur divers bancs.) Le mot « rapporteuse » est français et je continuerai à l’employer !

M. Philippe Gosselin. Mettons-nous d’accord une bonne fois pour toutes : le féminin de rapporteur est « rapporteure » !

M. Erwan Balanant. Puis-je poursuivre ? Le sujet me semble plus important que ce simple problème linguistique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous avez la parole, monsieur Balanant ; veuillez poursuivre.

M. Erwan Balanant. En adoptant le seuil de l’âge de quinze ans, vous renforcez la protection existante ; nul ne saurait prétendre le contraire. La nouvelle version du texte protège davantage que l’ancienne et il faut s’en réjouir.

Comme nous l’avons écrit dans le rapport de la Délégation aux droits des femmes, nous sommes plusieurs à souhaiter sacraliser l’enfance. Tous les spécialistes, médecins, cliniciens et autres personnes que nous avons auditionnés le disent : il existe une différence entre un enfant de moins de 13 ans et un enfant de plus de 13 ans, car la maturité sexuelle n’existe jamais en deçà de cet âge ; aucun scientifique ne nous a soutenu le contraire. Le débat doit donc être ouvert et nous devons avancer avec cet élément à l’esprit. L’amendement proposé par la Délégation aux droits des femmes permettait de sacraliser l’enfance ; à terme, c’est cet horizon que nous devons nous fixer.

Mme Sophie Auconie. J’approuve les propos de M. Balanant que je compléterai en vous disant ma grande déception, madame la secrétaire d’État, que ce texte constitue un immense recul…

M. Erwan Balanant. Je n’ai pas dit cela…

Mme Sophie Auconie. En effet : je complète votre propos. Ce texte est un recul par rapport à ce que vous disiez le 25 novembre, madame la secrétaire d’État, lorsque vous avez animé à l’Élysée une table ronde en présence du Président de la République et de nombreux ministres. Écoutez donc vos propos et relisez vos propositions ! En toute objectivité, votre texte manque d’ambition par rapport aux mesures que nous devrions adopter à l’unanimité pour protéger nos petits. Songez à l’histoire de cette petite fille de 11 ans dans une banlieue parisienne !

Mme Marietta Karamanli. Nous partageons certes un objectif commun, madame la secrétaire d’État, mais nous regrettons que vous n’acceptiez pas ces amendements car, ce faisant, vous ne protégerez pas mieux les enfants. Au fil des affaires et de la jurisprudence, nous avons tous constaté « des trous dans la raquette » et nous avions l’occasion de corriger ces manques en allant plus loin et en précisant dans le code pénal qu’un rapport sexuel avec un enfant de moins de treize ans est un viol.

M. Dimitri Houbron. Ces amendements présentent deux difficultés principales. La première est d’ordre constitutionnel : il est inconstitutionnel d’empêcher l’accusé de se défendre et de prouver son innocence, et même impossible en matière criminelle. Cela équivaudrait à une présomption irréfragable, puisque l’accusé ne pourra jamais apporter la preuve de son innocence.

M. Philippe Latombe. Si !

M. Dimitri Houbron. Non : l’accusé n’aura aucun moyen de se défendre puisque selon votre postulat, toute relation équivaut alors à un viol.

Mme Marietta Karamanli. Avoir un rapport sexuel avec un mineur de dix ans, oui, c’est un viol !

M. Dimitri Houbron. Je vous ai écouté avec respect et dans le silence ; je crois y avoir droit à mon tour. Outre qu’ils sont inconstitutionnels, les amendements proposés seraient également inconventionnels puisque la Cour européenne des droits de l’homme consacre notamment les droits de la défense. En les adoptant, nous prendrions le risque d’être sanctionnés dans quelques mois par le Conseil constitutionnel, laissant les mineurs sans aucune protection.

En outre, notre ambition est de donner un caractère immédiatement effectif à cette protection pour des faits passés. Or ces amendements empêcheraient toute rétroactivité de la protection accordée aux victimes ayant subi des faits en cours d’instruction. La rédaction que proposera la rapporteure dans quelques instants protégera davantage les mineurs tout en respectant l’État de droit.

Mme Lætitia Avia. Madame Auconie, vous rappeliez les propos tenus lors de la conférence du 25 novembre : j’y assistais tout comme vous et j’ai entendu le souhait de fixer ce seuil à 15 ans. Pas une fois au cours de cette table ronde sur la grande cause du quinquennat l’âge de 13 n’a été évoqué.

Je comprends que les affaires regrettables dont nous avons pris connaissance et qui ont fait la une des journaux nous incitent à engager cette réflexion, mais il ne faut pas pour autant jeter l’opprobre sur les juges. Au contraire, il faut mieux les armer et leur donner des éléments d’interprétation afin qu’ils ne se retrouvent pas dans une zone grise difficile ayant poussé certains d’entre eux à rendre des jugements que nous condamnons tous. C’est ce qui est proposé dans la rédaction, en l’état, du projet de loi. Certes, elle est perfectible : la rapporteure s’apprête à proposer un amendement en ce sens. Mme Auconie demandait à la secrétaire d’État de se réécouter : ce que, pour ma part, j’ai entendu ce jour-là, c’est qu’il faut veiller à ne plus faire le procès des enfants. Là est notre curseur, notre objectif essentiel. Et n’oublions jamais que le procès pénal n’est pas le procès de deux parties, mais aussi celui du ministère public et du juge qui concourent ensemble à la manifestation de la vérité.

La Commission rejette successivement les amendements.

La Commission examine l’amendement CL47 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Pierre Rixain. Issu de la recommandation n° 6 de la Délégation aux droits des femmes, le présent amendement vise à clarifier l’application de l’article 222–22–1 du code pénal qui dispose que la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. Cette précision de la notion de contrainte s’applique en effet non seulement à l’article 222–22, relatif à l’agression sexuelle, mais également à l’article 222–23, relatif au viol.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il est logique que seul l’article 222-22 du code pénal soit visé, dans la mesure où cet article figure dans les dispositions communes à l’ensemble des agressions sexuelles, qu’il s’agisse de viols ou d’agressions sexuelles autres que le viol, à la différence des articles 222-23 et suivants, qui sont propres à chacune de ces deux catégories d’infractions.

En conséquence, il ne fait pas de doute que la définition de la notion de contrainte s’applique à l’ensemble de ces infractions. Il n’y a pas lieu d’ajouter la précision que vous appelez de vos vœux.

Je vous invite à retirer votre amendement.

Mme Marie-Pierre Rixain. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL64 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. La contrainte peut être morale ou physique ; elle peut résulter de plusieurs situations, dont l’autorité de l’auteur sur la victime et la particulière vulnérabilité de celle-ci, qui peut affaiblir sa capacité de résistance.

Aussi proposons-nous que les mots « exerce sur la victime » soient remplacés par « a sur la victime » qui supposent que l’état d’autorité constitue à lui seul une contrainte sans que l’exercice de cette autorité soit exigé.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Cette question a été posée lors des auditions préparatoires : faut-il préciser la notion de contrainte ? À trop vouloir préciser les notions, on risque d’enfermer le juge dans des définitions trop strictes, qui empêchent parfois de cerner certaines situations.

Le choix a été fait de ne pas définir les notions de violence, contrainte, menace ou surprise dans le code pénal.

L’état de vulnérabilité de la victime est de longue date pris en compte par les juridictions au titre de la contrainte morale, comme dans le cas d’une femme vulnérable face à son médecin, par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 octobre 1994, d’une jeune fille timide face à un supérieur hiérarchique au caractère tyrannique ou d’une victime dépressive et souffrant de pathologies mentales. Il en va de même de l’autorité qu’a l’auteur des faits sur la victime, qui ne soulève en pratique aucune difficulté de caractérisation.

Il me semble donc qu’il faut laisser à la jurisprudence le soin de caractériser ces notions plutôt que de les graver dans le marbre de la loi. Pour ces raisons mon avis est défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL118 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement rédige l’alinéa 2 de la façon suivante : « Lorsque les faits sont commis sur un mineur de moins de 13 ans par une personne majeure d’au moins cinq ans son aînée, cette dernière doit apporter la preuve du consentement du mineur. »

Le dispositif prévu par le projet de loi ne suffit pas à protéger de façon convenable les mineurs victimes de viol, puisqu’il se borne à reprendre la jurisprudence. Il nous semble qu’en ce qui concerne de très jeunes mineurs, il faut a minima que la charge de la preuve soit inversée car, dans ce cas, la présomption de non-consentement est indispensable.

En l’état actuel du droit, il existe une forme de présomption de consentement : les corps des femmes et des jeunes filles sont présumés disponibles jusqu’à ce qu’elles apportent elles-mêmes la preuve du contraire. Cet état du droit nous semble archaïque, notamment quand il s’agit de jeunes victimes.

La spécificité des violences faites aux femmes, le très faible taux de condamnations et les difficultés à établir la preuve nécessitent un traitement spécifique. Il faut donner des outils supplémentaires aux magistrats et aux jurés afin d’éviter des non-lieux en matière de viols commis sur de très jeunes mineurs, mais aussi d’adresser un message à la société tout entière.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Cet amendement propose une présomption simple de non-consentement pour les faits commis sur un mineur de moins de 13 ans par une personne majeure d’au moins cinq ans son aînée.

Par cohérence avec la position que j’ai jusque-là défendue, je suis défavorable à cette rédaction qui ne manquerait pas d’être source d’importantes difficultés, pour au moins trois raisons.

Premièrement, il n’est pas certain qu’une telle présomption soit conforme à notre Constitution compte tenu de l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière, qui s’applique encore plus dans le domaine criminel, qui nous occupe aujourd’hui.

En second lieu, comme les autres propositions, elle crée des risques d’effets de palier, et revient sur le seuil de l’âge de 15 ans, dont le maintien nous paraît très important, comme l’ont montré tant les travaux de la secrétaire d’État que nos propres auditions.

Enfin, la question de l’écart d’âge serait source de complexité et de contestations.

Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

M. Ugo Bernalicis. J’évoquerai la décision n° 99-411 du 16 juin 1999 du Conseil constitutionnel : « en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité. »

Ainsi, des décisions du Conseil vont déjà dans ce sens, dès lors, pourquoi ne pas les intégrer au texte ? Cela permettrait de voir s’il nous donne les moyens de rendre constitutionnelle une telle intention.

Nous pourrions au moins nous retrouver sur l’intention : la ministre ayant indiqué qu’elle accepterait tous les amendements allant dans le sens de l’amélioration du texte, je ne doute pas de son soutien.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La décision du Conseil constitutionnel que vous évoquez traite de la matière contraventionnelle…

M. Ugo Bernalicis. « Notamment » !

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Or, nous nous situons ici dans le domaine criminel qui ne connaît aucune présomption et le Conseil d’État a émis les plus grandes réserves à ce sujet. Nous ne pouvons pas prendre le risque d’une censure du Conseil constitutionnel : cela s’est produit au sujet du harcèlement sexuel, ce qui a eu pour effet de faire tomber toute une série de procédures.

La rédaction que je vous proposerai permettra de recentrer la définition en fixant l’âge seuil à 15 ans.

Vous proposez par ailleurs une présomption simple qui n’empêchera jamais le débat sur le consentement de la victime, parce qu’elle implique que la défense puisse renverser cette présomption. Je n’ignore pas que beaucoup veulent éviter cela, c’est pourquoi le Gouvernement a proposé d’inscrire cet âge de 15 ans dans la loi en redéfinissant la contrainte ou la surprise, dont nous améliorons encore la définition, ce qui est beaucoup plus protecteur pour les mineurs.

En outre, elle s’appliquera aux dossiers pendants devant les juridictions, alors qu’une présomption ne pourrait concerner que les faits survenant après la promulgation de la loi.

Nous avons su trouver un texte d’équilibre et je vous donnerai plus de précisions en présentant mon amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL210 de Mme Albane Gaillot, CL104 de Mme Lætitia Avia, CL193 de la rapporteure, CL247 de M. Dimitri Houbron et CL46 de Mme Marie-Pierre Rixain, les amendements CL193 et CL247 étant identiques.

Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à prendre en compte plus spécifiquement les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes handicapées.

Dans le texte actuel, il n’est aucunement indiqué que le manque de « discernement » ou de « maturité » puisse résulter directement de la situation de handicap, ce qui ne facilite pas la preuve de la vulnérabilité. Il apparaît ainsi essentiel que les filles et femmes handicapées victimes de violences sexistes et sexuelles soient davantage protégées par la loi qu’elles ne le sont actuellement.

Mme Lætitia Avia. Notre amendement vise à mieux prendre en compte la vulnérabilité due à l’âge du mineur concerné.

Dans la mesure où il poursuit le même but que les amendements identiques de la rapporteure et de M. Houbron, dont la rédaction me semble meilleure, je le retire.

L’amendement CL104 est retiré.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Au cours des auditions, nous avons réfléchi à la façon d’améliorer la rédaction de cet article afin de le rendre beaucoup plus efficace et plus utilisable par les praticiens et les magistrats. Aussi nous proposons de substituer aux mots : « peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou », les mots : « sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas ». Ce qui nous conduit à substituer aux notions d’abus d’ignorance et de maturité celles de discernement et de vulnérabilité, auxquelles les magistrats et les spécialistes recourent bien plus couramment.

Cette rédaction permet de bien cerner la problématique du consentement, donc de la surprise et de la contrainte, notamment lorsqu’elles concernent des mineurs ; ce qui garantit aux intéressés une meilleure protection.

M. Dimitri Houbron. Cet amendement résulte des nombreuses auditions menées afin de trouver un équilibre en recourant à des notions régulièrement utilisées par les magistrats qui auront la charge de traiter ces affaires.

La rédaction proposée permettra de régler des affaires pendantes devant les tribunaux ainsi que des affaires à venir, et ne manquera pas de constituer un outil efficace dans les mains des juges pour régler ces difficultés.

M. Erwan Balanant. L’amendement CL46, issu de la recommandation n° 6 de la Délégation aux droits des femmes, vise à simplifier et à clarifier le fait que la contrainte ou la surprise, élément constitutif du viol ou de l’agression sexuelle, peuvent résulter d’un abus de l’ignorance de la victime âgée de moins de 15 ans qui, du fait de son âge, n’est pas en mesure de consentir à des actes sexuels.

Nous soutenons pleinement l’idée de faire figurer dans le code pénal que l’écart d’âge entre un mineur de 15 ans et un majeur peut être un élément constitutif de la contrainte ou de la surprise.

Toutefois, de nombreux experts nous ont signalé que la formulation retenue était trop complexe et risquerait de nuire à l’efficacité du dispositif en étant utilisée au bénéfice des mis en cause.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. S’agissant de l’amendement CL210, je rappelle que l’objet de l’article 2 était de lever une difficulté jurisprudentielle portant sur l’appréciation de la surprise et de la contrainte lorsqu’elles concernent les mineurs. Or la jurisprudence prend déjà en compte la notion de vulnérabilité, singulièrement dans les situations que vous évoquez.

C’est pourquoi je vous suggère de le retirer, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable. Mon avis sera par ailleurs défavorable à tous les autres amendements.

La rédaction que je propose répond à un besoin de clarté et permet de mieux protéger les mineurs et de mieux définir les notions de contrainte et de surprise pour qualifier les agressions sexuelles et les viols commis sur mineur.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Gouvernement est favorable à l’amendement CL193 de la rapporteure. Dans un souci d’apporter une plus grande protection, l’article 2 du projet de loi allège considérablement la preuve de la contrainte pour les mineurs de moins de 15 ans en posant une règle selon laquelle la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime lorsqu’elle ne disposait pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Et cette disposition, il est important de le rappeler, s’appliquera de manière rétroactive, c’est-à-dire qu’elle concernera aussi les procédures en cours, cela même pour les faits commis, mais non encore dénoncés, avant l’adoption de la loi. Cela montre qu’un réel souci d’efficacité a présidé à la rédaction de cet article.

Le renforcement de la protection des mineurs de 15 ans est en outre assuré par deux dispositions importantes : l’aggravation des peines d’atteintes sexuelles à dix ans d’emprisonnement lorsqu’un majeur commet un acte de pénétration sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans ; l’obligation pour le président de la cour d’assises, dans l’hypothèse où la qualification de viol serait contestée, de prévoir subsidiairement une qualification d’atteinte sexuelle pour que jamais aucun auteur de ces faits ne reste impuni.

C’est une mesure très forte et la mise en œuvre des dispositions du projet de loi aura également pour effet d’éviter le recours à la technique dite de correctionnalisation – la déqualification des faits de viol en délit afin de renvoyer l’auteur devant le tribunal correctionnel – grâce notamment à la facilitation de l’établissement de la contrainte par le nouvel article 222-22-1 du code pénal, et la question subsidiaire obligatoire sur la qualification d’atteintes sexuelles prévue par le même code.

En outre, la création du tribunal criminel départemental prévue par le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 s’inscrit également dans cet objectif très clair du Gouvernement d’éviter les correctionnalisations de viol, dont il convient de rappeler qu’elles sont aujourd’hui en grande partie liées à l’engorgement des cours d’assises ainsi qu’aux délais d’audiencement anormalement longs devant ces juridictions.

Pour ces raisons, le Gouvernement est favorable aux amendements identiques CL193 et CL247 et défavorable aux autres.

Mme Élise Fajgeles. Nous arrivons au cœur de ce qui nous préoccupe : garantir une protection accrue aux mineurs victimes de viols et éviter des décisions de justice ne permettant pas de retenir la qualification de viol parce qu’il est difficile de qualifier et de caractériser le défaut de consentement.

Les notions d’abus d’ignorance et de maturité qui figurent dans le texte ne sont probablement pas suffisamment fiables juridiquement et pas assez habituellement utilisées par les magistrats, ce qui risque à nouveau de laisser place à une interprétation trop floue, trop subjective, voire trop psychologisante.

L’amendement de la rapporteure propose un recentrage sur la notion de discernement ainsi que la prise en compte de la vulnérabilité due à l’âge. La notion de discernement est couramment utilisée par les magistrats et les experts, en droit civil comme en droit pénal ; or nous avons entendu à quel point la prise en compte explicite de la vulnérabilité était importante.

Mme Marie-Pierre Rixain. L’amendement présenté par la rapporteure est de nature à rassurer les membres de la Délégation aux droits des femmes, car il donne des armes au juge afin qu’il retienne la contrainte lorsque des violences sexuelles sont exercées sur des mineurs. Dans ces conditions, nous retirons notre amendement.

L’amendement CL46 est retiré.

Mme Clémentine Autain. En vous écoutant, madame la ministre, j’ai cru avoir confirmation de l’une de nos inquiétudes : en créant une sanction plus élevée pour un délit d’atteinte sexuelle avec pénétration, ne permettez-vous pas la correctionnalisation du viol ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je me suis exprimée assez longuement à ce sujet ce matin : l’objet de cet article est de disposer de deux seuils.

Il s’agit tout d’abord de ne laisser aucune situation sans réponse ; à cette fin, nous voulons provoquer le questionnement systématique par le magistrat, même lorsque la victime n’est pas capable de prouver le viol. Faute de quoi, nous constatons des acquittements ; or, le but de ce projet de loi est d’obtenir des condamnations.

Nous utilisons les mêmes chiffres, et vous savez comme moi que seulement 1 % des violeurs sont véritablement condamnés ; il n’est pas tolérable qu’en France 99 % des violeurs soient dans la nature : ils se promènent au parc, ils sont au restaurant, au travail, ils vont chercher leurs enfants à l’école, ils ne sont pas en prison. Ce que nous voulons, c’est une condamnation effective pour tous les cas.

La deuxième intention de cet article est de poser un interdit civilisationnel clair : l’interdit du rapport sexuel, même dit consenti, entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans. Même lorsque le mineur concerné dit qu’il n’y a pas viol, qu’il était consentant, et qu’il n’a pas pu être prouvé qu’il y avait défaut de contrainte, de surprise, etc. et que le magistrat ne dispose pas d’assez d’éléments, cet interdit devient l’atteinte sexuelle avec pénétration.

Tous les rapports sexuels ne sont pas des viols, mais nous voulons condamner tous les rapports sexuels impliquant des mineurs de 15 ans, en partant du principe qu’avant cet âge il n’est pas possible d’avoir un rapport sexuel avec un adulte. Notre intention est très claire ; elle est cohérente avec l’engagement du Président de la République ainsi qu’avec ceux que j’ai toujours pris, comme l’a fait aussi la majorité dès l’annonce de ce projet de loi.

M. Philippe Latombe. Je ne suis pas certain, madame la ministre, de bien saisir votre propos. Au mois de novembre dernier, vous avez considéré qu’en dessous d’un certain âge, il ne pouvait pas y avoir débat sur le consentement sexuel d’un enfant, et que tout enfant, en dessous d’un certain âge – le Haut Conseil à l’égalité préconise 13 ans, des parlementaires 15 ans – devait être considéré comme violé ou agressé sexuellement.

L’exigence de la preuve risque de conduire à la correctionnalisation ; or, nous avions tous compris que vous étiez partisane d’une criminalisation systématique, pas d’une correctionnalisation de ces actes.

C’est ce que nous attendons, même si peut-être, à travers nos paroles et nos amendements, nous ne l’exprimons pas clairement.

Mme Lætitia Avia. Nous ne devons pas oublier notre responsabilité de législateurs, qui est de veiller à ce que les textes que nous adoptons soient efficients et répondent à leur objectif premier : en l’occurrence, une zone grise doit être supprimée.

J’entends parler du risque de correctionnalisation, aujourd’hui la procédure est criminelle, et si d’aventure – et c’est là que le bât blesse – les éléments réunis ne permettent pas d’établir la matérialité du viol, à savoir contrainte, violence ou surprise, le prévenu est acquitté. Souhaitons-nous que le choix porte sur la condamnation ou sur la relaxe ?

Une graduation doit bien être prévue afin de pouvoir sanctionner en toutes hypothèses une personne ayant eu une relation sexuelle emportant un acte de pénétration avec un mineur. C’est ce que la ministre a dit au mois de novembre dernier ; nous ne cautionnons pas l’acte de pénétration ; mais s’il y a viol dès lors qu’il y a contrainte, violence ou surprise, qui sont les éléments constitutifs du viol, la condamnation est criminelle. En l’absence de ces éléments, on recourt à la notion d’atteinte sexuelle ; nous ne modifions donc pas notre droit, nous renforçons la sanction dès lors qu’il y a pénétration.

Mme Marie-Pierre Rixain. Dans le cadre des travaux conduits par la Délégation aux droits des femmes, il a été rappelé que 40 % des viols exercés sur des mineurs le sont par contrainte ou menace, et 42 % par surprise. On comprend donc aisément la nécessité de donner au juge les moyens de retenir la contrainte ou la menace.

La proposition du Gouvernement ainsi que la précision apportée par l’amendement de la rapporteure permettront au juge de retenir bien plus facilement la contrainte ou la menace ; ce qui renforcera la répression des violences sexuelles exercées sur les mineurs, et, in fine, la prévention.

Cette précision ne va pas dans le sens de la correctionnalisation de la procédure ; au contraire, elle favorisera une meilleure répression des violences sexuelles exercées sur les mineurs, qui seront sanctionnées beaucoup plus sévèrement. Elle permettra aussi d’adresser à l’ensemble de la population française le message qu’aujourd’hui, en 2018, les violences sexuelles exercées sur les mineurs ne seront plus tolérées, qu’elles aient eu lieu dans le cadre d’un viol ou même si les quatre éléments constitutifs ne peuvent être retenus par le juge.

Mme Danièle Obono. Nous avons tous compris que l’objet était le renforcement des condamnations et des sanctions.

Toutefois, vous prétendez vouloir accroître le nombre des condamnations, sans pour autant établir la distinction entre le viol, défini par l’acte de pénétration, et l’atteinte sexuelle. Vous ne faites ainsi que maintenir la tendance croissante à la correctionnalisation du viol. En effet, de plus en plus de plaintes font aujourd’hui l’objet d’une procédure correctionnelle : cela va plus vite et la chance d’aboutir à une condamnation est supérieure. Pour notre part, nous proposons d’inverser la charge de la preuve afin que les condamnations pour viol soient effectivement prononcées.

M. Didier Paris. À mesure que nous avançons dans nos débats, j’éprouve le sentiment que nous nous écartons de leur objet : que voulons-nous tous ensemble ? Qu’il n’y ait pas de « trou dans la raquette ».

Pour avoir présidé des cours d’assises, je sais que le débat judiciaire fait que l’on est parfois en mesure de démontrer une culpabilité et que cela est parfois plus difficile. Cela a été dit, nous essayons de sortir de cette logique de « on-off ».

Une cour d’assises peut parfaitement disqualifier des faits en correctionnelle et nous pourrions donc considérer que nous n’avons pas besoin de nouveau texte. N’oublions toutefois pas que les cours d’assises ont souvent tendance à rechercher s’il y a ou non culpabilité.

Ce texte permet de flécher le regard du magistrat vers une notion particulière et de répondre à des situations dans lesquelles les preuves objectives ne sont pas faciles à atteindre. Dans ces conditions précises, nous demandons au magistrat de poser a minima une question subsidiaire, ce qu’il aurait déjà pu faire puisque le fonctionnement des cours d’assises le permet. Simplement, la rédaction proposée offre sans conteste une garantie très supérieure pour aboutir à la condamnation des faits – pour autant qu’ils soient démontrés, car notre droit exige la démonstration.

M. Dimitri Houbron. Une collègue a soutenu tout à l’heure que la pénétration serait la caractéristique du viol. Elle ne l’est pas : c’est l’absence de consentement qui caractérise le viol.

Cette absence de consentement peut se constater de différentes manières, notamment par une contrainte morale ou par une surprise. Notre rédaction a pour objectif de faciliter la qualification de viol sur mineur de moins de 15 ans. Ce faisant, nous allons à l’opposé d’une correctionnalisation, puisque les faits pourront être plus facilement criminalisés.

D’autre part, le nouveau tribunal criminel départemental permettra d’obtenir une audience dans des délais beaucoup plus courts que devant une cour d’assises, où ils sont parfois trop longs, tant pour les victimes que pour le monde de la justice, de sorte qu’on recourt parfois de façon exagérée à la correctionnalisation. Des délais plus courts permettront, à notre sens, une qualification criminelle plus fréquente, ce qui répondra à l’impératif que nous partageons tous.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La correctionnalisation est en effet un problème que nous ne nions pas. Mais il ne faut pas tout confondre : la rédaction proposée par le Gouvernement améliore la protection des mineurs et ne crée pas de risque de correctionnalisation.

Pour rappel, nous évoquons trois infractions distinctes. Le viol, dont la pénétration constitue l’élément matériel, est établi s’il y a contrainte, surprise, menace ou violence. L’agression sexuelle, également caractérisée par ces éléments de contrainte, surprise, menace ou violence, ne requiert pas la pénétration pour être établie. Enfin les atteintes sexuelles sont des agissements perpétrés avec le consentement de la victime mineure par un majeur.

Ces dernières ne sanctionnent pas la violation d’un consentement, mais le fait qu’un adulte ne peut avoir de relation sexuelle avec un mineur de 15 ans. Punie aujourd’hui de cinq ans d’emprisonnement, cette interdiction, qui existe déjà dans la loi, serait désormais assortie d’une peine renforcée.

Le phénomène de correctionnalisation tient à différentes raisons. Il peut parfois tenir au fait que l’administration de la preuve est difficile à faire devant une cour d’assises. Les magistrats que j’ai entendus au cours de mes auditions sont très attentifs à la question et m’ont dit tout faire pour éviter la correctionnalisation. Malheureusement, il n’y a pas en ce dossier-type, mais une multitude de dossiers différents recouvrant des situations très complexes.

Que la preuve d’une pénétration soit difficile à apporter amène l’infraction à être jugée au niveau correctionnel. Nous devons prendre en compte cette réalité.

En matière pénale, les droits de la défense doivent également être respectés : s’il y a doute, il profite au mis en cause.

Nous sommes tout aussi conscients que le Gouvernement du problème que vous évoquez. La création du tribunal criminel départemental répondra aux besoins de clarification, en permettant la prise en charge des dossiers concernés.

Ce texte marque donc un pas en avant et permet de mieux sanctionner toute relation sexuelle d’un adulte avec un mineur de 15 ans.

Les amendements CL210, CL104 et CL46 sont retirés.

La Commission adopte les amendements identiques CL193 et CL247.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL262 de Mme Nathalie Elimas, CL38 de Mme Mireille Robert et CL179 de Mme Nathalie Elimas.

Mme Nathalie Elimas. Le premier amendement vise à mettre un terme aux discussions insupportables sur le consentement d’un enfant à une relation sexuelle avec un majeur.

Nous proposons de fixer deux seuils d’âge. Le premier, en dessous de 13 ans, afin que la contrainte soit établie sans aucune discussion sur un éventuel consentement de l’enfant. Dans ce cas, un seul élément constitutif du viol, la contrainte, est retenu pour permettre l’établissement de l’infraction. Cela n’empêchera cependant pas la défense de contredire les autres éléments constitutifs, ce qui évitera de porter atteinte à la présomption d’innocence.

Le deuxième seuil d’âge, entre 13 et 15 ans, vise au renversement de la charge de la preuve, en faisant peser une présomption simple de contrainte morale sur l’accusé auteur des faits.

Sans doute nous opposera-t-on que cet amendement est inconstitutionnel. Pour ma part, je ne connais qu’un juge de la constitutionnalité : non pas le Conseil d’État, mais le Conseil constitutionnel. La seule manière de savoir si une disposition est conforme ou non à la Constitution est de la lui soumettre, ce qui implique qu’elle soit adoptée par le Parlement.

Ne nous enfermons pas dans des craintes, légiférons plutôt.

Mme Albane Gaillot. La présomption simple et non irréfragable vise à améliorer encore les dispositions du code pénal relatives à la répression du viol, des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles.

Compte tenu de l’avis du Conseil d’État, saisi le 28 février 2018, il est proposé de renforcer la répression des abus sexuels sur les mineurs en inversant la charge de la preuve : au présumé coupable de prouver qu’il n’y a pas eu viol. Ce choix s’explique par la difficulté d’établir l’absence de consentement d’un jeune mineur. Il va plus loin que la simple précision de la notion de contrainte pour mieux prendre en compte la vulnérabilité des victimes mineures.

Aucune limite d’âge n’est retenue pour laisser le juge apprécier la maturité ou les capacités de discernement de la victime.

Mme Isabelle Florennes. Notre second amendement vise, dans le cadre de violences sexuelles commises sur un mineur de 15 ans, à renverser la charge de la preuve, en faisant peser une présomption simple de contrainte morale sur l’accusé auteur des faits.

Ainsi, il n’est plus question pour le mineur de prouver qu’il a été contraint à consentir les actes sexuels dont il est question mais pour le défendeur de prouver qu’il n’a pas exercé de contrainte morale sur le mineur victime de violences sexuelles.

Ces dispositions instaurent un meilleur équilibre entre la prise en compte du préjudice subi et la nécessaire préservation des droits de la défense, dans le cadre desquels l’accusé aura toujours la possibilité de prouver l’absence de contrainte morale. Nous soulignons donc la nécessité de déplacer la charge de la preuve, afin de lutter non seulement contre la vulnérabilité des mineurs face à ces situations, mais aussi, parfois, contre leur impuissance à prouver clairement cette contrainte morale.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. J’émets un avis défavorable à l’ensemble de ces amendements pour les raisons que j’ai précédemment évoquées.

M. Didier Paris. Voici encore un débat particulier. Depuis le début de nos débats, nous parlons de « présomption irréfragable », alors que cette notion ne s’applique pas à la matière pénale, mais uniquement à la matière civile. Efforçons-nous, à la commission des Lois, à plus de précision dans l’emploi des termes.

En outre, une question de constitutionnalité se pose, qui se ramène au fond aux droits de la défense. Dans les juridictions, la parole de l’enfant est en général très entendue, au point que c’est souvent elle qui prime. Nous nous trouvons donc déjà dans la situation où c’est à l’adulte, à l’auteur, de montrer que ce que dit l’enfant n’est pas exact.

Soyons vigilants sur ce point : laissons au moins la capacité à l’auteur présumé de faire une démonstration inverse dans les conditions normales de l’exercice du débat judiciaire. Pour l’avoir vu à plusieurs reprises, j’ajoute, sans crainte de choquer certains, que, même si beaucoup d’enfants sont victimes d’abus sexuels et de viols, d’autres sont parfois victimes d’une manipulation, tandis que d’autres encore sont eux-mêmes manipulateurs.

La parole de l’enfant doit être absolument entendue, mais cette parole doit pouvoir être critiquée. Si on allait jusqu’au bout de ce qui est proposé ici, la critique de la parole de l’enfant ne serait plus possible, alors qu’elle est fondamentale pour l’exercice normal de notre droit. Même si les cas que j’évoque sont en nombre limité, et quand bien même il n’y en aurait qu’un, nous ne pouvons nous permettre de systématiser et d’automatiser une peine sans tenir compte de la parole de l’un comme de l’autre.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL184 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Mon amendement propose une définition du consentement. Je m’étonne simplement qu’il soit examiné à ce moment de la discussion.

Dans la présente loi, il s’est agi pour le Gouvernement d’établir un âge minimum en dessous duquel un enfant ou un adolescent est présumé non consentant à un acte sexuel. La question reste cependant entière d’une présomption générale de consentement.

Le droit européen nous crée pourtant des obligations. En 2014, la France a ratifié la Convention d’Istanbul du Conseil d’Europe. Son article 36, relatif aux violences sexuelles, viol inclus, définit le consentement en son second paragraphe : « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. »

Dans son arrêt du 4 décembre 2003 sur une affaire concernant la Bulgarie, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a établi que « les autorités n’en ont pas moins l’obligation d’examiner tous les faits et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances. L’enquête et ses conclusions doivent porter avant tout sur la question de l’absence de consentement. »

La Cour incite ainsi les États parties à la Convention, dont la France, à ne plus définir prioritairement le viol à partir du comportement de l’auteur présumé, mais à partir de l’absence de consentement du plaignant.

L’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Le non recours à l’un de ces quatre procédés conduit généralement à la déqualification de l’acte criminel en acte délictuel.

Le code pénal ne définit pas à l’heure actuelle le consentement et, de facto, l’absence de consentement. Ainsi, l’absence de consentement ne suffit pas à constituer l’infraction pouvant ainsi conduire à la considération, implicite certes, mais toutefois indirectement appréciée, d’un consentement.

Les viols, criminalisés, viennent alors à être déqualifiés en agressions sexuelles, et donc en délits. Nommer les faits est pourtant un préalable au processus de reconstruction post-traumatique. Définir le consentement dans le code pénal est nécessaire pour mettre un terme à cette zone grise.

Il s’agit non seulement de renforcer la définition des éléments constitutifs du viol, d’en éviter les interprétations fluctuantes et le traitement différencié, mais aussi d’éviter le déplacement du registre des violences sexuelles vers celui de la relation sexuelle.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Par vos amendements, vous voulez intégrer la notion de consentement dans le code pénal. Or, elle transparaît déjà dans les notions de contrainte, surprise, menace et violence, de sorte qu’elle est prise en compte par les magistrats.

Ce texte a précisément pour objet de combler les angles morts de notre droit pénal. Vous proposez, pour votre part, de détricoter des infractions reposant sur des notions très bien maîtrisées par la jurisprudence, qui en donne des définitions précises permettant d’appréhender de nombreuses situations différentes.

La notion de consentement ne manque pas dans ces définitions, puisqu’elle est par essence prise en compte dans les différentes situations. Vous évoquez la jurisprudence de la CEDH qui, dans l’arrêt que vous citez, procède à une comparaison des législations européennes nationales. Or, la plupart d’entre elles font appel aux notions de contrainte et de surprise, sans nécessairement faire appel à celle de consentement. La CEDH, de même que la Convention d’Istanbul, exigent la prise en compte de ces notions, sans s’attacher au prisme par lequel cela doit passer.

Il nous paraît donc inutile et, à vrai dire, peu opportun d’introduire dans le texte que nous examinons la définition que vous proposez. Avis défavorable.

M. Didier Paris. J’abonderai dans le sens de la rapporteure.

Souvenons-nous en effet que le droit pénal est d’interprétation stricte, c’est-à-dire que n’est réprimé que ce qui y est expressément prévu. Si légitimes qu’elles puissent être, les précisions que vous voulez apportez, chères collègues, auraient probablement l’effet inverse de celui que vous recherchez : elles mettraient en effet sous contrainte la motivation judicaire et les motivations des condamnations, rendant plus difficile encore le débat judiciaire.

Nous irions ainsi totalement à l’encontre de notre volonté commune.

Mme Danièle Obono. Je ne comprends pas : alors que nous sommes plutôt d’accord pour dire qu’il y a un « trou dans la raquette », comme l’ont reconnu tant la ministre que la rapporteure, vous voulez le statu quo

Vous avez pourtant rappelé des chiffres faisant apparaître que les procédures ne débouchent pas sur des procès. Je ne suis pas d’accord avec notre collègue Didier Paris : si on maintient des zones grises, rien ne se passe ! C’est l’un des problèmes fondamentaux : les victimes refusent d’aller en justice parce que les éléments exigés par la définition légale pour que les procès aboutissent leur font défaut.

Toutes les personnes qui travaillent sur le sujet vous diront que le consentement est un élément fondamental dans tout acte sexuel, y compris quand on l’explique sur un plan pédagogique. Cette notion doit donc être formalisée dans le droit. Vous n’avez aucun argument à opposer à cette nécessité ; votre attitude est incompréhensible !

La Commission rejette l’amendement.

Madame la présidente Yaël Braun-Pivet. Notre ordre du jour étant très chargé, je n’accepterai plus qu’un orateur par groupe dans la discussion des amendements.

La Commission examine l’amendement CL4 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Il n’est pas acceptable, pour la plupart d’entre nous, qu’un enfant de moins de 13 ans puisse être réputé avoir consenti à des relations sexuelles avec un adulte.

Plusieurs députés. Personne n’a jamais dit ça !

M. Philippe Latombe. Il faut qu’on trouve une solution !

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL63 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je propose de préciser l’élément de violence, en indiquant que la violence n’est pas seulement physique, mais peut aussi être psychologique. Nous ajouterions ainsi : « La violence mentionnée au premier alinéa de l’article 22222 peut être de toute nature et, notamment, résulter de violences psychologiques mentionnées à l’article 222– 14–3 du même code. »

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous souhaitez redéfinir la notion de violence dans le code pénal. Toutefois, au fil des auditions, il nous est apparu qu’il n’était pas opportun de définir les notions de violence, menace, contrainte ou surprise que nous ne cessons d’évoquer.

Il convient en effet de laisser le juge apprécier des situations qui sont parfois très différentes. À vouloir trop le contraindre, nous risquerions de passer à côté de certaines particularités. J’émets donc un avis défavorable.

M. Xavier Breton. Cela ne restreint pas l’appréciation du juge. Au contraire, l’emploi du mot « notamment » permet d’évoquer d’autres cas. Ainsi, il est bien indiqué que les violences psychologiques sont également concernées. Nous opérons plutôt une ouverture qu’une fermeture.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL65 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de définir les menaces, au regard des décisions jurisprudentielles. Nous indiquons que la menace est constituée lorsque la victime peut craindre une atteinte à son intégrité physique ou à celle de ses proches, ou à ses biens, ou une atteinte grave à sa vie personnelle, professionnelle, sociale ou familiale.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable. Ces raisons sont particulièrement bien définies par la jurisprudence. Il n’y a absolument aucune zone grise en la matière.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL66 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Dans le cas de viols commis avec surprise, le consentement de la victime est vicié par des manœuvres dolosives ou par un abus de faiblesse. Contrairement aux autres modes opératoires, le consentement de la victime peut être donné sans qu’il soit libre ou éclairé.

L’analyse de la jurisprudence fait ressortir que la surprise est souvent retenue, dans trois types de cas bien définis. Il convient ainsi de préciser les circonstances dans lesquelles elle peut être retenue, afin de couvrir un large éventail de situations.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CL194 de la rapporteure et l’amendement CL256 de M. Erwan Balanant.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’amendement que nous proposons est issu des auditions que nous avons menées. Il s’agit de la définition du viol.

Nous prenons ainsi en compte les actes de pénétration commis sur la personne de l’auteur par la victime. Cela recouvre des cas auxquels la jurisprudence ne s’étend pas. Toutes les situations seraient ainsi prises en compte.

M. Erwan Balanant. L’amendement de la rapporteure reprend une proposition des associations. À la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, il nous pose cependant un problème.

À propos de l’amendement CL184, vous avez rappelé que c’est le quadriptyque des notions de contrainte, surprise, menace et violence qui définit le viol, et non le consentement ou l’absence de consentement. Or, en remplaçant les mots « commis par » par « imposés à », nous nous heurtons à une difficulté puisque nous réintroduisons de fait la notion de consentement.

Pour rappel, imposer signifie « faire connaître, reconnaître, accepter son autorité et sa volonté, entraîner telle action ou tel état ». C’est pourquoi je propose la rédaction « commis sur ou avec », qui est en réalité beaucoup plus simple, car elle fait l’économie de la notion d’imposition impliquant celle de consentement.

Nous réglons par là définitivement la question de la pénétration dans le sens inverse, si j’ose m’exprimer ainsi. Madame la rapporteure, votre amendement part d’un bon sentiment, mais il posera problème aux juges, en troublant le jeu qui avait définitivement – ou provisoirement ? – été établi par les notions de contrainte, surprise, menace et violence.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces amendements – y compris, même si elle n’est pas là pour le défendre, celui de Mme Marietta Karamanli, identique à celui de la rapporteure – vont en fait dans le même sens, malgré des divergences sémantiques. La définition proposée est nécessaire, parce qu’elle englobe des situations qui ne pourraient aujourd’hui être caractérisées comme des viols, mais seulement comme des agressions sexuelles.

Le Gouvernement émet donc un avis favorable à l’amendement CL194 et souhaite le retrait de l’amendement CL256 à son profit.

Mme Marie-Pierre Rixain. L’amendement de la rapporteure est en totale adéquation avec la recommandation n° 9 du rapport de la Délégation aux droits des femmes, invitant à une réflexion sur l’inclusion, dans la définition du viol, de tous les types de pénétration. Il importe en effet de traiter l’ensemble des victimes de viol de manière beaucoup plus homogène, en prenant en compte des situations jusqu’à présent exclues de la définition du viol, qui nous ont été présentées lors d’auditions. C’est pourquoi je salue cet amendement.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je réponds rapidement aux observations de M. Balanant. Quand on emploie des mots « imposé à », on qualifie matériellement l’infraction, alors que l’élément intentionnel relève toujours de la définition de la contrainte, de la violence, de la menace ou de la surprise. Il n’y a donc à mon sens pas de confusion possible et cet amendement permet précisément de prendre en compte des situations qui échappaient jusqu’à présent à la définition de l’élément matériel du viol.

La Commission adopte l’amendement CL194.

Par conséquent, l’amendement CL256 tombe.

La Commission en vient aux amendements, en discussion commune, CL148 de Mme Clémentine Autain, CL264 de M. Hugues Renson, CL176 de M. Ugo Bernalicis, et CL265 de M. Hugues Renson.

Mme Clémentine Autain. L’amendement CL148 porte sur la notion de consentement mais, avant de le présenter, ayant relevé quelques confusions, je rappellerai que, depuis la loi de 1980, la définition du viol est d’abord liée à l’acte de pénétration – précision qu’exigeaient les mouvements féministes dans les années 1970. C’est la pénétration qui différencie le viol de l’agression sexuelle, et la pénétration de quelque nature qu’elle soit, ce qui permet de comprendre dans la catégorie du viol la fellation, l’introduction d’objets etc.

J’en reviens au consentement. Cette notion ne figure pas dans la loi. L’arrêt Dubas rendu par la Cour de cassation en 1857 n’évoquait pas la pénétration mais définissait la notion de consentement de façon assez intelligente. Nous estimons qu’il faut la réintroduire dans le code pénal afin que le viol soit défini par l’absence de consentement de la victime, cela pour des raisons symboliques et juridiques. Symboliques parce que l’enjeu reste ce que nous appelons ici la zone grise, à savoir la non-reconnaissance par un partenaire de la volonté de l’autre d’avoir une relation sexuelle ; il faut d’ailleurs impérativement qu’entre dans la tête des hommes – qui sont la majorité des auteurs de viols – le besoin de connaître la volonté féminine, le désir féminin. Pour des raisons juridiques aussi car la définition proposée orientera le travail des magistrats qui devront, en premier lieu, déterminer si les partenaires se sont assurés de leur accord mutuel pour un acte de pénétration sexuelle.

C’est pourquoi nous tenons à ce que la notion de consentement soit réintroduite dans le code pénal.

M. Hugues Renson. L’amendement CL264 a pour objet de remettre le consentement au premier plan. On l’a dit, la définition du viol repose sur le mode opératoire de l’auteur – la violence, la contrainte, la menace ou la surprise – et non sur le vécu de la victime. La conséquence, problématique, en est que la charge de la preuve repose sur la victime et qu’il est difficile de l’établir en l’absence de l’un des quatre éléments que je viens d’énoncer. Il apparaît donc important de modifier la définition du viol puisqu’on peut noter, dans le droit en vigueur, une forme de présomption de consentement des femmes à l’activité sexuelle si l’auteur n’a pas recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. D’autres modes de contrainte peuvent donc avoir du mal à être reconnus, comme le lien hiérarchique ou la dépendance économique.

Par ailleurs, le Conseil de l’Europe fonde sa définition du viol sur l’absence de consentement.

Le présent amendement vise donc autant à éviter la correctionnalisation des viols provoquée par la difficulté de démontrer la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, qu’à aligner le droit pénal sur les engagements internationaux de la France.

M. Ugo Bernalicis. Au regard de l’évolution de la société et de la nécessité d’aider efficacement la lutte contre les violences sexuelles, en l’occurrence les viols, le groupe de La France insoumise, par le biais de l’amendement CL176, souhaite élargir la qualification de la contrainte et de l’intimidation en mettant l’accent sur la dimension économique.

On dénonce de plus en plus les actes de harcèlement liés à des contraintes sociales et économiques, et conduisant à des viols. L’affaire Weinstein est un exemple de cette contrainte s’exerçant sur de jeunes actrices qui ont subi des violences par intimidation, mais aussi une forme de chantage auquel pouvait se livrer le producteur du fait de sa position. Il n’est en effet pas impossible que des hommes de pouvoir utilisent leurs fonctions pour obtenir, en échange de « bons procédés », des « faveurs sexuelles » qui sont en réalité des viols.

Il est en outre nécessaire de s’interroger sur le fait que les victimes sont culpabilisées par la société, donc poussées à se réfugier dans le silence.

M. Hugues Renson. L’amendement CL264 concerne également l’absence de consentement – notion nécessaire pour fonder l’infraction de viol et qui n’est ni inscrite dans la loi, ni définie. Il vise à dénoncer les situations dont on déduit abusivement le consentement de la victime. Il vient d’être rappelé que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique fonde la définition du viol sur l’absence de consentement. D’autres pays ont adapté leur droit et, en faisant reposer le viol sur l’absence de consentement, ont inversé la charge de la preuve en définissant les situations dans lesquelles on ne saurait présumer un consentement : il appartient dès lors à l’accusé de prouver que la victime était consentante. Le présent amendement s’inspire du droit en vigueur au Canada et s’inscrit parfaitement dans la logique du présent texte.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je comprends votre souci de pédagogie sur la notion de consentement, votre exigence symbolique. Je rappellerai néanmoins l’objet du texte : combler des lacunes du droit pénal, en particulier s’agissant de la définition des notions de contrainte et de surprise pour ce qui concerne les mineurs.

La matière pénale est très spécifique et, dans un souci de sécurité juridique, il convient d’être vigilant, d’éviter de modifier des notions bien appréhendées par ses praticiens – notamment les magistrats. Si la pédagogie est importante, la sécurité juridique ne l’est pas moins.

En tant qu’avocate, j’ai souvent défendu des victimes de viol ; or, la notion de consentement est inhérente à chaque dossier. La question n’est jamais absente des débats, au stade non seulement de l’enquête mais aussi de l’audience. Aussi ce que vous demandez est-il déjà couvert par la jurisprudence.

Mme Danièle Obono. Non !

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je le répète, la notion de consentement est inhérente à la définition du viol telle qu’appréhendée sous le prisme de la violence, de la surprise, de la contrainte et de la menace.

J’émets donc un avis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme Sophie Auconie. Je les défends pour ma part, en particulier celui de M. Renson, partant du principe qu’une femme sur dix, seulement, porte plainte, et un seul auteur sur dix est sanctionné. Voulons-nous réellement faire avancer la cause ou pas ?

Mme Marie-Pierre Rixain. C’est en particulier la notion de consentement et la question de l’éventuelle décriminalisation du viol qui a poussé la Délégation aux droits des femmes à se saisir du sujet au mois de janvier dernier. Au cours de l’ensemble des auditions que nous avons réalisées, mais aussi de nos déplacements, notamment en Suède où la notion de consentement est au cœur d’un projet de loi, un grand nombre d’associations nous ont indiqué que revenir sur la définition pénale du viol serait moins protecteur pour les victimes. Pourquoi ? Parce que la loi de 1980 a permis de déplacer la caméra sur l’auteur des faits – si vous me permettez cette métaphore cinématographique – alors qu’elle était braquée auparavant sur le consentement de la victime. De fait, on imaginait que sa tenue vestimentaire, le lieu où elle se trouvait, les propos qu’elle avait pu tenir laissaient penser qu’elle avait pu consentir à une relation sexuelle. Or, le fait de décaler la caméra sur l’auteur permet de ne plus s’interroger sur le consentement de la victime mais d’examiner la manière dont l’auteur a pu agir et plusieurs associations, comme le Collectif féministe contre le viol, et institutions, comme le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ont fait valoir que ce dispositif était plus protecteur pour les victimes.

Aussi, même si la question s’est longuement posée pour nous, au cours de ces quatre mois de travail, de l’intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol, je ne suis pas favorable à ces amendements.

M. Philippe Latombe. Je suis de l’avis de Mme Auconie et donc voterai l’amendement CL264 de M. Renson ou bien, s’il est rejeté, son amendement CL265.

Mme Danièle Obono. Là encore nous sommes en pleine contradiction. Madame la rapporteure, vous indiquez que la question du consentement se pose lors de l’examen de tous les dossiers et qu’elle est même de fait inhérente, vous l’avez dit, à la définition du viol ; or si elle l’est dans la jurisprudence, elle ne l’est pas dans la loi.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Si !

Mme Danièle Obono. Vous voulez sécuriser le texte, mais non : la notion de consentement, je le répète, ne figure pas dans la loi donc vous ne sécurisez rien ! Ce n’est pas vrai que la question du consentement ne se pose pas. Toutes les victimes déclarent que leur parole est remise en cause, que leur absence de consentement est remise en question du fait de la manière dont elles étaient habillées. C’est toujours la victime dont on doute pour toutes les raisons possibles et imaginables. Donc, oui, le problème du consentement se pose toujours et, puisque vous l’avez reconnu, pourquoi refusez-vous de l’aborder ? La jurisprudence et la loi sont deux dimensions différentes.

Vous avez rencontré un certain nombre d’associations, nous en avons rencontré aussi qui, elles, posent la question du consentement. À nous d’apporter une réponse, mais vous ne pouvez pas dire que ce n’est pas un enjeu du débat. Ce qui est systématiquement mis en avant, dans les médias, au cours des procès, c’est le fait que la victime était peut-être, en fait, d’accord parce qu’elle était habillée comme ça, parce qu’elle avait bu un verre de trop, que sais-je. C’est bien le sujet majeur du débat et vous vous défaussez, pour le coup, de vos responsabilités en refusant de le reconnaître et en décidant de laisser les procédures en l’état alors qu’elles ne permettent pas d’aller jusqu’au bout, alors qu’à cause d’elles les faits sont déqualifiés de manière systématique. Nous attendons toujours les arguments qui permettraient de comprendre votre refus quasi dogmatique d’aborder la question. C’est franchement affligeant !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL263 de M. Hugues Renson.

M. Hugues Renson. Cet amendement concerne ce qu’on appelle les drogues du viol. Elles sont nombreuses. Depuis la fin de 2017, à Paris, l’absorption volontaire ou involontaire de gamma-hydroxybutyrate (GHB), dérivé du gamma-butyrolactone (GBL), a provoqué, chez des jeunes de 19 à 25 ans, dix comas et causé la mort d’une personne. Ces drogues modifient des fonctions physiologiques ou psychiques de l’organisme et entraînent des vertiges, des pertes de mémoire, allant jusqu’à la perte de conscience, au coma, à l’arrêt cardiaque ou à l’insuffisance respiratoire. Elles sont donc dangereuses, autant en raison du risque de viol – c’est leur destination – que pour la santé.

L’amendement vise par conséquent à reconnaître juridiquement la gravité de cette pratique. L’article 222-24 du code pénal punit plus sévèrement les agissements considérés par la société comme particulièrement graves. Or, on se trouve dans une situation assez étonnante : depuis 2017, cet article considère comme une circonstance aggravante le fait qu’un viol soit commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste et non le fait qu’un viol soit commis sur une victime sous l’emprise d’une ivresse stupéfiante. Ainsi, l’utilisation par l’auteur, pour parvenir à ses fins, d’une substance nuisible portant atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime constitue aujourd’hui un viol simple et non un viol aggravé par la vulnérabilité de la victime.

C’est pourquoi la préméditation du geste et la dangerosité pour la santé et la sécurité de la victime doivent automatiquement faire de l’administration à son insu d’un produit stupéfiant une circonstance aggravante.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Si votre proposition est intéressante, sa rédaction pose problème. Je vous propose par conséquent de retirer votre amendement afin de l’améliorer en vue de l’examen du texte en séance publique ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Hugues Renson. Je considère qu’il s’agit d’une main tendue. Dès lors je retire mon amendement à condition que nous puissions le retravailler d’ici à l’examen en séance.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL258 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Le présent amendement vise à créer une circonstance aggravante supplémentaire lorsque le viol est commis dans les transports en commun. En effet, la situation d’enfermement créée par les transports publics peut favoriser le passage à l’acte de certains individus et augmenter le sentiment de détresse et d’impuissance qu’une victime est susceptible de ressentir.

Or, dans sa version actuelle, l’article 222-24 du code pénal, énonçant les circonstances aggravantes du viol, ne désigne pas expressément les transports collectifs de voyageurs. À l’inverse, le projet de loi, dans son article 4, alinéa 11, prévoit l’introduction d’une telle circonstance aggravante pour l’outrage sexiste. Dès lors, il semble pertinent de l’étendre aux infractions sexuelles plus graves que sont les agressions sexuelles et le viol.

Mme Alexandra Louis, raporteure. Avis favorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cet amendement met en cohérence l’article du code pénal mentionné avec le projet de loi. Avis favorable.

Mme Clémentine Autain. Je n’arrive pas à comprendre cet amendement : pourquoi le fait que le viol soit commis dans un transport public constituerait-il une circonstance aggravante ?

M. Erwan Balanant. Madame Autain, imaginez l’angoisse d’une femme – ou d’un homme – violée dans un transport public, ce qui est déjà arrivé. Vous êtes enfermée… certes comme dans beaucoup d’autres cas, mais il faut tenir compte ici de la promiscuité et de la « facilité » pour le violeur d’agir quand il est seul – car on espère que cela n’arrive pas quand il y a du monde dans le wagon, même si l’on connaît des exemples où les voyageurs n’ont pas bougé en cas d’agression manifeste. Je livre cet amendement à la discussion et vous pouvez ne pas être d’accord.

Mme Clémentine Autain. Pardonnez-moi, et je n’y reviendrai plus, mais j’ai été violée sur des voies désaffectées et je n’ai pas le sentiment que si cela s’était produit dans un transport public, il se serait agi d’une circonstance aggravante. Je vous le dis franchement : il y a dans votre proposition quelque chose qui me dépasse. On pourrait dénombrer de multiples circonstances aggravantes et à trop en mentionner dans la loi, on risque de dénaturer les véritables circonstances aggravantes. Je réagis ainsi, je suis désolée. Les rails désaffectés étaient dans un sous-bois et non dans un espace confiné et l’idée que le viol d’une femme serait plus grave parce que commis dans un transport public me paraît des plus extravagantes. Surtout, ne dénaturons pas les autres circonstances aggravantes.

Mme Lætitia Avia. Je m’en tiendrai à des considérations purement juridiques, madame Autain. Le code pénal prévoit des infractions pour lesquelles il y a circonstance aggravante lorsqu’elles sont commises dans les transports publics, qu’il s’agisse de l’outrage sexiste, du vol ou d’autres. L’amendement apporte donc au droit une certaine cohérence.

M. Xavier Breton. Je m’interroge également sur la disposition proposée par notre collègue. Le sentiment d’insécurité dans les transports en commun est une réalité ; il est vrai au surplus qu’on peut s’interroger sur l’absence de réaction de certains voyageurs en cas d’agression ; mais créer une nouvelle circonstance aggravante ne résoudra pas le problème. Il me semblerait plus utile de retravailler l’amendement d’ici à l’examen du texte en séance publique. On a en effet l’impression qu’il s’agit d’un geste entre groupes afin de faire passer un amendement ; cela paraît quelque peu délicat sur un tel sujet.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL186 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Puisque nous évoquons les circonstances aggravantes, le présent amendement vise à sanctionner plus sévèrement les viols incestueux.

Dans la législation actuelle, que le viol soit commis par une personne du cercle familial ou par une personne qui en est étrangère, la sanction est la même. Pour un viol sur mineur, puni de vingt ans de réclusion criminelle, aucune sanction supplémentaire n’est prévue si le violeur est un membre du cercle familial comme spécifié à l’article 222-31-1 du code pénal.

Pourtant, je rappelle que les violences sexuelles incestueuses constituent environ 75 % des violences sexuelles sur mineurs. Elles engendrent par ailleurs des traumatismes d’une ampleur extrême parce que, précisément, l’agresseur est un proche ou appartient au cercle familial. Aujourd’hui, ce sont 4 millions de Français qui affirment avoir été victimes d’attouchements, d’agressions ou de viols incestueux.

Nous proposons par conséquent que le caractère incestueux d’un viol devienne une circonstance aggravante en ajoutant dix années de réclusion criminelle à la peine actuellement prévue. Il faut savoir que lorsqu’il s’agit d’une atteinte sexuelle, la circonstance aggravante est prise en compte quand la personne appartient au cercle rapproché.

Or, passer d’une peine de vingt à trente ans de réclusion, cela revient à entrer dans le cadre des peines prévues pour des actes ayant entraîné la mort de la victime. Aussi, par le biais de cet amendement, je souhaite que le viol commis par un ascendant soit désormais considéré comme un crime avec actes de barbarie et torture psychologique qui, certes, n’a pas entraîné la mort, mais justifie l’aggravation de peine proposée.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous abordez, chère collègue, un sujet très sensible qui a retenu notre attention au cours des auditions. Reste que votre amendement remet en cause la cohérence de l’échelle des peines en matière de répression des infractions sexuelles car il aurait pour effet de punir aussi sévèrement un viol incestueux et un viol ayant entraîné la mort de la victime.

J’ajoute que le législateur a récemment fait le choix de viser spécifiquement ces comportements par l’intermédiaire de la surqualification pénale d’inceste et qu’il convient de ne pas déstabiliser cet édifice.

Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme Annie Chapelier. Je comprends très bien votre argument et je l’avais d’ailleurs déjà intégré à mon raisonnement. Il est délicat, face à un sujet aussi grave, de ne pas chercher à modifier l’échelle des peines. Certes, vous remarquez que l’on mettrait au même niveau un acte ayant entraîné la mort de la victime et un acte qui ne l’aurait pas tuée, mais, en refusant ce changement d’échelle, vous mettez au même niveau un viol commis par un ascendant et un viol commis par un tiers… Dans les deux cas, la balance est déséquilibrée.

Je retire mon amendement car je sais très bien qu’il ne sera en aucun cas adopté, mais je regrette qu’on ne puisse reconsidérer l’échelle des peines, tâche à laquelle vous pourriez vous atteler, vous qui êtes membres de la commission des Lois.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL180 de Mme Aude Luquet.

Mme Aude Luquet. Je souhaite appeler votre attention sur les agressions sexuelles dans les transports en commun. En effet, en 2015, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes indiquait que 100 % des utilisatrices des transports en commun avaient été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agression sexuelle.

Ce sentiment d’insécurité dans les transports en commun est amplifié par la situation de promiscuité inhérente à ce mode de déplacement, particulièrement en période de forte affluence, dont les agresseurs, notamment ceux que l’on appelle les frotteurs, profitent pour passer à l’acte.

Or l’article 222-28 du code pénal, énonçant les circonstances aggravantes de l’agression sexuelle autre que le viol, ne désigne pas expressément les transports collectifs de voyageurs.

Face à ces agressions quotidiennes qui se multiplient dans les transports en commun, il est proposé de renforcer les sanctions en faisant de l’agression sexuelle dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs, une circonstance aggravante.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Par cohérence, j’émets un avis favorable. Il est vrai que les femmes sont particulièrement exposées aux violences et agressions sexuelles dans les transports en commun.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cet amendement est cohérent avec le texte et l’amendement CL258 précédemment adopté. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL185 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Dans la continuité du précédent, l’amendement CL185 permet de sanctionner plus sévèrement les agressions sexuelles incestueuses. Dans la législation actuelle, que l’agression sexuelle soit commise par une personne du cercle familial ou par une personne qui en est étrangère, la sanction est la même. Nous proposons une augmentation de la peine, qui passerait de dix à quinze ans, et une amende de 200 000 euros.

Si cela ne peut être entendu, on pourrait récrire l’amendement afin de prévoir au moins que la commission de l’acte par un ascendant soit considérée comme une circonstance aggravante.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Une aggravation des peines à dix ans d’emprisonnement est déjà prévue par le 2° de l’article 222-30 du code pénal lorsque l’agression sexuelle autre que le viol est commise par un ascendant. La circonstance aggravante existe donc déjà dans notre droit. Aller au-delà, comme vous le proposez, en instituant une peine d’emprisonnement de quinze ans, remettrait en cause l’échelle des peines des infractions sexuelles et, plus généralement, l’échelle des peines du code pénal. En effet, il n’existe pas, dans notre code pénal, de peine d’emprisonnement délictuel supérieure à dix ans : quinze ans de prison, c’est de la réclusion criminelle. J’ajoute que notre législation, comme je l’ai déjà indiqué, a fait le choix de viser spécifiquement ces comportements par l’intermédiaire de la surqualification pénale. Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme Clémentine Autain. Le caractère d’ascendant ou de personne ayant autorité est pris en compte dans le cadre de l’atteinte sexuelle mais non du viol. Spécifier une circonstance aggravante en matière de viol incestueux me paraît plus pertinent qu’une circonstance aggravante dans les transports en commun.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je vous lis le 4° de l’article 222-24 du code pénal relatif au viol : « le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle (…)  lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Je pense que cela répond à votre question.

Mme Annie Chapelier. La peine de quinze n’existe pas en effet mais, lorsque le viol est commis sur un mineur par un ascendant, la peine est la même que s’il est commis par un tiers.

La Commission rejette cet amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CL187 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Il manque à la définition des personnes pouvant commettre l’inceste les cousins et cousines germains, qui appartiennent pourtant au cercle familial proche.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. J’y suis favorable sous réserve que vous rectifiez votre amendement afin de préciser dans le dispositif, comme vous venez de le dire, qu’il vise les cousins germains et cousines germaines.

Mme Annie Chapelier. D’accord.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Avec les mêmes observations que la rapporteure, avis favorable.

Mme Caroline Abadie. Le mariage entre cousins étant autorisé, j’ai du mal à voir la cohérence de cette proposition.

Mme Annie Chapelier. Je ne suis pas juriste mais je crois que le mariage est également autorisé entre oncle et nièce ou tante et neveu, et pourtant oncle et tante font partie des personnes pouvant commettre l’inceste par définition.

Je précise que cet élargissement est demandé par de nombreuses associations. Beaucoup de personnes ont été violées par des cousins ou cousines qu’elles voyaient lors de réunions familiales.

La Commission adopte cet amendement ainsi rectifié.

Elle examine l’amendement CL183 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Dans le même cadre, je souhaite élargir la définition de l’inceste aux enfants du conjoint ou concubin d’une personne mentionnée aux 1° et 2° ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du partenaire de vie avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, élevés en commun avec le mineur de 15 ans. Vu le nombre de personnes vivant dans des familles recomposées, cela me paraît essentiel. Il n’y a pas lien de sang mais on considère déjà l’acte du concubin ou partenaire de vie sur l’enfant de son concubin ou partenaire comme un inceste, alors qu’il n’est pas le père de l’enfant.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’amendement étend considérablement la surqualification incestueuse. Je m’en remets à la sagesse des membres de cette commission.

M. Philippe Latombe. Je reviens sur l’amendement précédent : après vérification, le mariage est strictement interdit entre un oncle et une nièce ou entre une tante et un neveu. Il faudra donc voir d’ici à la séance si l’on maintient une telle rédaction, même avec la précision « cousins germains ou cousines germaines ».

S’agissant du présent élargissement, je suggère également que nous réfléchissions à quelque chose d’abouti d’ici à la séance plutôt que de prendre une décision aujourd’hui. Je m’abstiendrai.

Mme Clémentine Autain. Peut-être que spécifier le beau-père et la belle-mère, même si cela ne règle pas la question des demi-frères et demi-sœurs, permet d’avancer dans la reconnaissance du statut de beau-père et de belle-mère. Il pourrait être intéressant de l’introduire dans ce cadre.

M. Raphaël Gauvain. Le 4°, que madame la rapporteure a cité, dispose que lorsque le viol « est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » il est aggravé. Le présent amendement ne serait-il pas satisfait par cette disposition ? Ne faudrait-il pas voir d’ici à la séance si, du fait de la jurisprudence, les personnes ici visées ne sont pas déjà poursuivies ?

Mme Annie Chapelier. Il s’agit des enfants du compagnon, conjoint ou concubin du parent des enfants, et non des oncles ou tantes, c’est-à-dire des enfants élevés en commun, comme une fratrie, dans une famille recomposée.

J’accepte cependant de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie des amendements identiques CL69 de M. Xavier Breton et CL254 de M. Dimitri Houbron.

M. Xavier Breton. Cet amendement prévoit d’étendre la surqualification pénale de l’inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l’encontre de majeurs. Il n’existe aucun obstacle à cette extension aux victimes majeures ni aucune justification à la restriction actuelle aux seules victimes mineures.

M. Dimitri Houbron. Cette extension de la surqualification pénale de l’inceste pour les personnes majeures est en effet logique. L’exclusion des majeurs n’est plus raisonnable ni fondée sur des éléments objectifs.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis favorable. Cette préoccupation a été très souvent exprimée lors des auditions.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL70 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il tend à aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans, afin de rapprocher notre droit de celui de la plupart des autres pays européens. Il est ainsi proposé de prévoir sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte cet amendement.

Puis elle examine l’amendement CL119 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Le dispositif prévu par les alinéas dont nous demandons la suppression vise à sanctionner les atteintes sexuelles qui correspondent à des relations consenties entre une personne mineure et une personne majeure, par exemple une relation sexuelle entre une jeune fille de 15 ans et un homme de 18 ans, souhaitée par les deux. Cette qualification de l’atteinte n’a pas vocation à sanctionner des relations non consenties. Cet article est inadapté parce qu’il tombera nécessairement à côté de son objectif. S’il s’agit de sanctionner des relations sexuelles consenties entre deux jeunes, dont l’un n’a pas encore atteint la majorité sexuelle, alors la peine proposée, passant de cinq à dix ans, est hors de proportion. Si l’objectif est de protéger des personnes mineures dont on a du mal à estimer qu’elles aient pu être consentantes, parce qu’elles sont très jeunes ou manquent de discernement, le véhicule délictuel nous semble particulièrement inadapté parce qu’il risque d’avoir un grave corollaire : la correctionnalisation du viol.

Nous proposons donc de supprimer ces dispositions qui ajoutent de la complexité au dispositif pénal et n’offrent qu’un « moins disant » du point de vue de la lutte contre les violences sexuelles. Nous proposons plutôt, dans deux amendements conjoints, d’introduire une logique de présomption de consentement pour les mineurs de moins de 13 ans, ainsi qu’une redéfinition générale des éléments constitutifs du viol, qui devraient selon nous s’axer davantage sur l’absence de consentement.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable. Le I de l’article 2 a précisément pour objectif d’éviter au maximum la correctionnalisation des viols, en guidant davantage les juridictions et les jurys populaires dans l’appréciation du consentement de la victime mineure. Mais lorsque, malgré tout, aucune violence, contrainte, menace ou surprise ne peut être établie, il est important de pouvoir poser cette question subsidiaire. C’est ce qui est apparu dans les affaires récentes. La cour d’assises posera systématiquement cette question de manière à sanctionner l’auteur d’une atteinte sexuelle.

Presque toutes les personnes auditionnées ont été très favorables à la question subsidiaire. Je pense même que rendre ce caractère systématique clarifiera bien les débats.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte les amendements rédactionnels CL195 et CL196 de la rapporteure.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CL154 de Mme Bérengère Couillard.

Mme Bérengère Couillard. Issu de la proposition de loi sur les violences sexuelles adoptée par le Sénat, cet amendement vise dans son 1° à modifier l’article 223-6 du code pénal pour aggraver les peines lorsqu’une personne ne dénonce pas de manière volontaire des actes commis contre un mineur de moins de 15 ans alors qu’elle aurait pu empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle de ce mineur. Nous proposons de porter les peines encourues de cinq à sept ans d’emprisonnement, et de 75 000 à 100 000 euros d’amende.

Les chiffres relatifs à la maltraitance infantile, qu’elle soit physique, sexuelle ou psychologique, sont absolument alarmants. Dans 86,8 % des cas, ces violences ont lieu au sein de la cellule familiale.

L’amendement permettra de responsabiliser davantage les auteurs des infractions, et de montrer notre soutien à ceux qui en sont victimes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Autant je suis sensible au 1° de votre amendement, qui concerne l’aggravation des peines en cas de non-assistance à personne en danger lorsque la victime ou la personne en péril est un mineur de 15 ans, autant le 2° me paraît soulever des difficultés dans la mesure où il fait sortir du champ de la répression les non-dénonciations de mauvais traitements à l’égard des mineurs de 15 à 18 ans.

Je vous invite à retirer votre amendement afin de le retravailler d’ici à la séance publique.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Sur le principe, la lutte contre les abstentions coupables que sont la non-assistance à personne en danger et la non-dénonciation de mauvais traitements nécessite une politique pénale volontariste qui est menée par le Gouvernement.

Nous sommes tout à fait en phase avec vos arguments, madame la députée, et, à condition d’une réécriture pour correspondre au mieux au code pénal, le Gouvernement est prêt à donner un avis de sagesse.

Mme Bérengère Couillard. Si cet amendement est effectivement réécrit ensuite, comme madame la rapporteure et madame la secrétaire d’État le proposent, j’accepte de le retirer.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL266 de Mme Florence Lasserre-David.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement vise à imposer aux établissements proposant des activités physiques et sportives de déclarer les bénévoles auxquels ils font appel, quelle que soit la mission de ces derniers, auprès des services départementaux chargés de la cohésion sociale.

Les retours d’expérience dont disposent les associations de prévention de risques pédophiles en milieu sportif et d’aide aux victimes montrent que les prédateurs sexuels sollicitent bien souvent des missions d’éducateur sportif leur permettant d’être au contact de sportifs mineurs grâce à des fonctions d’encadrement.

Dans le but de prévenir de tels risques, les éducateurs sportifs, professionnels comme bénévoles, sont soumis à la même obligation d’honorabilité. Cependant, si cette condition est étroitement contrôlée par les services préfectoraux à l’occasion de la délivrance des cartes d’éducateurs sportifs professionnels, elle ne trouve aucune traduction concrète s’agissant des éducateurs sportifs bénévoles.

Afin de lutter contre un phénomène qui est loin d’être isolé, il est indispensable de prévenir les situations dans lesquelles des personnes condamnées au titre de crimes ou délits prévus par les dispositions du code pénal peuvent être autorisées à encadrer bénévolement des mineurs au sein de clubs sportifs.

Tel est l’objet du présent amendement qui tend à créer une obligation de déclaration des encadrants sportifs bénévoles auprès des services de la cohésion sociale dans le département, à l’image de ce qui existe déjà pour l’accueil collectif des mineurs via l’application Téléprocédure d’accueil des mineurs (TAM), laissant aux clubs sportifs la responsabilité de tirer les conséquences d’un manquement à l’obligation d’honorabilité d’un de ses éducateurs sportifs bénévoles.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Comme vous l’indiquez dans l’exposé sommaire, l’article L. 212-9 du code du sport interdit l’exercice de la fonction d’animateur sportif, y compris à titre bénévole, à toute personne condamnée pénalement pour des violences sexuelles de toute nature ainsi que pour toute infraction de mise en péril de mineurs.

Par ailleurs, l’autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer, à l’encontre de toute personne dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants, l’interdiction d’exercer ses fonctions, à titre temporaire ou définitif.

Votre intention me semble donc satisfaite, et je vous invite à retirer votre amendement.

Mme Isabelle Florennes. En attendant de vérifier la portée de l’article L. 212-9, nous retirons l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 2 bis (nouveau)
Rapport sur les dispositifs locaux d’aide à la mobilité
des victimes de violences sexuelles

Le présent article résulte de l’adoption, avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, d’un amendement défendu par Mme Laëtitia Avia, députée du groupe de La République en marche.

Il prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement, dans un délai de deux mois après la promulgation de la loi, un rapport « sur les dispositifs locaux d’aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles destinés à leur permettre de se déplacer, notamment pour un examen auprès d’un médecin légiste ou une audience, et de poursuivre leurs démarches de judiciarisation ».

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*     *

La Commission est saisie de l’amendement CL243 de M. Damien Pichereau.

Mme Laetitia Avia. Cet amendement vise à permettre au Gouvernement de valoriser les initiatives locales d’aide à la mobilité des victimes de violences sexuelles.

Dans le cadre d’un dépôt de plainte pour violence sexuelle, un examen de la victime par le médecin légiste est requis pour apporter une preuve de sévices corporels. Malheureusement, certains commissariats ne disposent pas de la présence de ces médecins dans leurs établissements ou leurs alentours proches. Nombre de ces victimes peuvent difficilement poursuivre les démarches de judiciarisation, par manque de moyens de transport pour se déplacer jusqu’au cabinet du médecin légiste ou pour se rendre à une audience. Cela est d’autant plus difficile en milieu rural où l’offre de transport public est moins développée et où il est plus onéreux de se déplacer.

Pour pallier ce manque, les gendarmes sont présents afin d’aider les victimes, mais il est aujourd’hui temps de prendre le relais. Ce sujet est essentiel dans le suivi et l’accompagnement des plaintes pour violences sexuelles. Le département de la Mayenne est en pleine expérimentation de cette aide qui permet aux gendarmes de contacter un taxi financé par le 115 afin qu’une victime puisse se rendre chez le médecin légiste.

Cet amendement, qui s’inscrit pleinement dans l’objectif d’une meilleure écoute des victimes, permettra, grâce au rapport demandé au Gouvernent, de généraliser et de promouvoir une politique publique ambitieuse, complémentaire de celle relative au recueil des preuves, présentée par le ministre d’État, M. Gérard Collomb, le 5 mars dernier.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je me suis exprimée tout au long des débats à l’encontre de l’empilement des rapports. Toutefois, l’enjeu de la mobilité des victimes de violences sexuelles confrontées à la nécessité d’effectuer de nombreux déplacements pour les auditions, les expertises, et le procès, mérite une attention particulière, comme cela a été souligné au cours des auditions menées pour préparer l’examen de ce projet. À titre exceptionnel, s’agissant d’une demande de rapport, j’émets donc un avis favorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce sujet est essentiel pour l’accompagnement des plaintes pour violences sexuelles, notamment en milieu rural où l’offre de transports publics est moins développée et où il est donc plus difficile et plus onéreux de se déplacer. De nombreuses initiatives locales ont été prises dans différents départements ; il convient de les référencer pour les généraliser et pour promouvoir une politique publique ambitieuse et, surtout, efficace en la matière.

Le Gouvernement est favorable à l’amendement, à condition toutefois qu’il soit rectifié afin que le rapport demandé soit remis dans un délai de six mois et non de deux mois après la promulgation de la loi.

La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

L’article 2 bis est ainsi rédigé.

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*     *

Après l’article 2 bis

La Commission examine l’amendement CL257 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Alors que les associations estiment qu’entre 6 000 et 10 000 mineurs se prostitueraient en France, aucune autorité publique n’a, à ce jour, consacré d’étude à ce phénomène. Cette situation se révèle particulièrement alarmante pour la protection de l’intérêt de l’enfant et, plus généralement, pour notre société.

Mon amendement vise à ce que le Gouvernement établisse sur la prostitution des mineurs un rapport poursuivant quatre objectifs principaux.

Tout d’abord, il permettrait d’identifier avec précision l’ampleur et les caractéristiques de ce phénomène.

De surcroît, il explorerait la pertinence des différentes réponses juridiques susceptibles d’être apportées et, éventuellement, modulées en fonction de l’âge du mineur concerné, selon qu’il peut ou non être reconnu victime d’atteinte sexuelle. Par exemple, il pourrait évaluer l’idée d’introduire une circonstance aggravante tenant à la minorité de la victime, applicable à l’infraction d’achat d’acte sexuel prévue à l’article 611-1 du code pénal. Une telle circonstance aggravante permettrait de renforcer la protection octroyée aux mineurs, notamment lorsqu’ils sont âgés de 15 à 18 ans et qu’ils ne peuvent plus être reconnus comme victimes d’atteinte sexuelle. En outre, si, conformément à l’article 225-6 du code pénal, le délit de proxénétisme est aggravé lorsqu’il est commis sur un mineur, la situation des mineurs de 15 ans n’est à ce jour pas spécifiquement prise en considération.

Ensuite, ce rapport pourrait formuler des préconisations relatives aux mesures de prévention et de lutte contre la prostitution des mineurs.

Enfin, il permettrait de détailler les mesures d’accompagnement juridique ou social des mineurs se livrant à la prostitution.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable. Vous connaissez ma position concernant les demandes de rapport. Je comprends votre intérêt pour ce sujet, et je le partage. Il est vrai que cette question a été abordée au cours des auditions, et que vous étiez présent.

Ce sujet important mérite qu’on y travaille, mais le lien avec le projet de loi n’est pas totalement établi, et il est possible de solliciter la création d’une mission d’information.

M. Erwan Balanant. Évidemment, nous pouvons demander une « mission flash » sur la prostitution des mineurs, ou nous pouvons rédiger un rapport parlementaire à ce sujet, mais nous souhaitons obtenir un rapport de la part du Gouvernement, qui dispose de chiffres bien plus précis que les parlementaires, puisqu’il est la source des données en la matière. Ce rapport est nécessaire pour évaluer la situation et faire évoluer notre dispositif juridique.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL261 de Mme Nathalie Elimas.

Mme Nathalie Elimas. Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’inceste, sur la place qu’il doit avoir dans le code pénal, sur les mesures de prévention, sur la prise en charge des victimes, et sur la mise en œuvre d’un « plan inceste ».

L’inceste existe depuis la nuit des temps, pourtant, aujourd’hui encore, il n’est pas réprimé. Nous savons que 9 % des femmes sont des survivantes de l’inceste, et que 75 % des plaintes déposées pour des affaires de pédocriminalité concernent des cas d’inceste. Il s’agit d’un véritable sujet de société, pourtant le mot « inceste » ne figure pas dans le code pénal en tant qu’infraction spécifique.

L’inceste est un crime de liens, qui prive la victime du soutien de sa famille. Psychologiquement, la vie après l’inceste est un parcours du combattant. Les blessures d’enfance ne se referment souvent jamais.

Ne faut-il pas créer un espace pénal plus adapté, un espace sanitaire plus sécurisant ? Une vraie prise de conscience de la société française est nécessaire devant un fléau dont l’ampleur est finalement méconnue et les ravages sous-estimés. Constatant la nécessité de poser clairement l’interdit de l’inceste en définissant la spécificité de l’infraction et de prendre en charge dignement les victimes, nous demandons au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement, car nous voulons que les violences sexuelles intrafamiliales soient prises en compte à la hauteur de leurs spécificités et de leur impact.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Aussi important qu’il soit, ce sujet peut parfaitement être étudié par le Parlement. Je sais que je répète la même réponse, et je le ferai à de nombreuses reprises encore, mais je suis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE II
dispositions relatives auX dÉlitS de harcÈlement sexuel
et de harcÈlement moral

Avant l’article 3

La Commission adopte l’amendement de précision CL 197 de la rapporteure, portant sur l’intitulé du titre II.

Article 3
(art. 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal)
Élargissement de la définition du harcèlement
aux agissements concertés non répétés

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article modifie le champ d’application du délit général de harcèlement et du harcèlement sexuel afin de l’adapter aux nouvelles formes de harcèlement, notamment sur internet. Il assimile à ces formes de harcèlement les propos ou comportements de même nature qui sont imposés à une victime de manière concertée par plusieurs personnes n’agissant pas de façon répétée.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le délit de harcèlement sexuel, qui existait depuis 1992, a été rétabli dans une nouvelle rédaction par la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel à la suite de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal par le Conseil constitutionnel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, en raison de l’insuffisante précision de la définition des éléments constitutifs de ce délit.

Le délit général de harcèlement, non limité à la sphère professionnelle ou conjugale et susceptible d’être aggravé, notamment en cas de cyber-harcèlement, a été créé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Modifications adoptées par la commission des Lois :

La Commission a adopté une rédaction alternative à celle proposée par le projet de loi initial, prévoyant que le harcèlement serait également caractérisé lorsque les propos ou comportements sont imposés « à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » ou « à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent qu’ils caractérisent une répétition ».

1.   L’état du droit

Le code pénal français connaît aujourd’hui quatre formes de harcèlement.

Est assimilé à ce comportement « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Le harcèlement sexuel est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de circonstance aggravante ([66]).

La définition de ce délit a évolué depuis sa création en 1992 ([67]). Initialement défini comme « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions », il a été redéfini en 2002 ([68]) comme le « fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Déclaré contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines par le Conseil constitutionnel en 2014 ([69]), faute pour le législateur d’avoir suffisamment précisé ses éléments constitutifs, la définition actuelle de ce délit résulte de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

Créée en 2002 ([70]), cette infraction n’a vocation à s’appliquer que dans le domaine professionnel.

Instauré en 2010 ([71]), ce délit est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsqu’il a causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours ou en l’absence d’incapacité de travail, et de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque les faits ont causé une ITT supérieure à huit jours.

Il est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende lorsqu’il a causé une ITT inférieure ou égale à huit jours ou en l’absence d’incapacité de travail, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de circonstance aggravante, notamment en cas de cyber-harcèlement ([73]), et de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de cumul de circonstances aggravantes.

2.   Le projet de loi

Le droit actuel, bien que récemment modifié, ne permet pas de couvrir l’ensemble des comportements délictueux observés, tout particulièrement sur les réseaux de communication au public en ligne.

Se sont en effet développées, ces dernières années, de nouvelles formes de harcèlement qui ne remplissent pas toujours les critères juridiques des infractions précédemment décrites, en l’absence notamment de propos répétés par le même auteur. Il s’agit en particulier du « harcèlement de meute » ou, pour reprendre les termes du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, de « raids » numériques consistant dans « la publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible » ([74]).

C’est la raison pour laquelle le présent article complète, respectivement aux articles 222‑33 et 222-33-2-2 du code pénal, la définition des éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel et du délit général de harcèlement moral, en prévoyant que ces infractions seront également constituées lorsque les propos ou comportements « sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ».

Le critère de la concertation, qui exige en droit pénal la commission des faits par plusieurs personnes et une entente préalable entre celles-ci pour agir, permet de répartir sur l’ensemble des coauteurs du harcèlement l’élément constitutif de la répétition qui est supprimé.

La rédaction retenue, qui ne fait pas référence au moyen utilisé pour commettre les actes répréhensibles, permettra de ne pas cantonner le dispositif répressif aux seuls faits commis sur internet mais de l’étendre au milieu professionnel, facilitant par exemple la poursuite de plusieurs personnes qui se mettraient d’accord pour harceler un collègue en ne commettant chacune qu’un seul acte.

Comme l’a indiqué à votre rapporteure M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire de Paris, cette extension utile des délits de harcèlement nécessitera de caractériser la concertation à travers des investigations approfondies (auditions, réquisitions aux opérateurs…) afin de prouver la communauté d’esprit et d’intention délictuelle et d’identifier les auteurs des messages publiés en ligne.

3.   Les modifications apportées par la Commission

À l’initiative conjointe de votre rapporteure et de M. Dimitri Houbron, député du groupe de La République en marche, approuvée par le Gouvernement, la Commission a adopté une nouvelle rédaction clarifiant celle initialement proposée par le Gouvernement et permettant de mieux cerner la diversité des agissements qui constituent les « raids numériques ». Cette rédaction vise des comportements ne relevant pas nécessairement de la concertation « expresse », parfois difficile à caractériser, a fortiori lorsqu’il est question de cyber‑harcèlement. Sont donc visés :

––  les propos ou comportements imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

––  les propos ou comportements imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent qu’ils caractérisent une répétition.

*

*     *

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL198 de la rapporteure, CL251 de M. Dimitri Houbron, et CL128 de Mme Bénédicte Taurine, les amendements CL198 et CL251 étant identiques.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’article 3 est relatif aux « raids numériques ». Nombre de nos concitoyens et concitoyennes sont l’objet de ce type de harcèlement en ligne qui peut prendre des proportions très importantes et avoir des effets dévastateurs sur ses victimes.

Nos auditions ont montré que l’utilisation de la notion de « concertation » introduite par l’article posait un problème pour définir ce harcèlement, car elle ne permettait pas de prendre en compte toutes les situations. En effet, sur internet, la concertation ne s’entend pas au sens strict comme une entente préalable : elle peut résulter d’effets de surenchère.

Nous proposons donc de réécrire l’article 3 afin d’être plus précis et de mieux cerner le phénomène.

L’amendement vise ainsi à inscrire dans le code pénal que l’infraction de harcèlement est constituée lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée – ce qui était déjà le cas dans l’article 3 du projet de loi – ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée. Il en sera de même lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent qu’ils caractérisent une répétition.

M. Dimitri Houbron. Les termes « de manière concertée », inscrits à l’article 3 du projet de loi, supposent une entente préalable effective pour caractériser le harcèlement. Ils suscitent une inquiétude que nous avons perçue lors des auditions. Il fallait choisir une approche plus large en utilisant la connaissance de la répétition d’un propos ou d’un comportement, même si l’auteur des actes en question n’a pas agi, pour ce qui le concerne, de façon répétitive. Nous pensons au harcèlement scolaire qui peut avoir lieu sur Facebook à partir d’une photo. Si l’on retient la rédaction actuelle de l’article 3, le fait que les auteurs ne se soient pas mis d’accord préalablement avant d’intervenir une seule fois empêcherait qu’ils soient sanctionnés.

Nous estimons avoir trouvé une nouvelle rédaction équilibrée qui permet de sanctionner des comportements qui nuisent à de nombreux jeunes, en particulier dans les collèges. Le groupe de La République en Marche votera donc ces deux amendements identiques.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL128 a été rédigé après que nous avons entendu un certain nombre d’associations. Il clarifie la définition du harcèlement sexuel et simplifie un certain nombre de procédures.

Afin de consacrer les évolutions jurisprudentielles et de clarifier l’état du droit, notre amendement vise à élargir le champ du harcèlement sexuel en incluant la commission d’un acte unique.

De notre point de vue, il faut maintenir le caractère délictuel et préserver l’office du juge afin de lutter contre tout acte, indifféremment de son caractère régulier ou réitéré. Le ou la magistrate pourra dans chaque cas d’espèce apprécier in concreto les éléments constitutifs pour caractériser l’infraction, notamment au regard de la gravité de l’acte en cause.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’arsenal que nous construisons pour protéger les femmes, notamment les plus jeunes d’entre elles, des violences sexistes et sexuelles doit être adapté aux nouvelles possibilités « offertes » aux agresseurs par l’espace numérique.

L’article 3 du projet de loi vise tout particulièrement les « raids numériques », c’est-à-dire la publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et/ou violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible. Une telle forme de violence n’entre pas dans la définition actuelle du harcèlement qui est constitué lorsque les propos ou les comportements sont répétés par une même personne. Il est donc proposé d’adapter cette définition du harcèlement sexuel et moral en prévoyant que la répétition puisse résulter de l’action unique mais concertée de plusieurs personnes à l’encontre d’une même victime.

La formation des policiers au cyber-harcèlement, le plan annoncé par le Président de la République, le 25 novembre dernier, au moment du lancement de la grande cause du quinquennat, et la brigade déployée par le ministère de l’intérieur permettront d’accélérer la lutte dans ces domaines.

Ces dispositions constituent une manière de responsabiliser les auteurs des messages haineux ainsi que les hébergeurs qui sauront davantage à quelles poursuites ils s’exposent. Même si l’on nous dit que la loi ne peut pas tout – ce que j’entends bien –, il incombe aux hébergeurs et aux réseaux sociaux, notamment, de prendre leurs responsabilités. Internet ne peut plus être une zone de non-droit. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec eux, en particulier à la question de la modération des contenus en ligne et à celle de leur suppression, puisque seulement 8 % des contenus à caractère sexiste sont supprimés alors que c’est le cas de la majorité des contenus dits « violents et non sexistes ».

Nous travaillons avec les hébergeurs. Nous avons rencontré Facebook Europe ainsi que Webedia, l’hébergeur du forum jeuxvidéo.com qui hébergeait notamment le site de discussion 18-25 dont les médias ont parlé – on y trouvait des appels au harcèlement, dirigés contre plusieurs femmes.

Le Gouvernement est favorable aux amendements CL198 et CL251 qui ont pour objet de clarifier le champ d’application de la nouvelle disposition proposée en matière de cyber-harcèlement. Outre les cas dans lesquels le harcèlement sera constitué en présence d’une concertation dite « explicite », lorsque les propos ou les comportements sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, l’infraction pourra également être retenue en cas de concertation dite « tacite ». Nous demandons en revanche le retrait de l’amendement CL128. À défaut, le Gouvernement y sera défavorable.

Mme Danièle Obono. Nous défendrons ultérieurement un amendement qui prend en compte la notion de « concertation », mais à ce stade nous proposons une approche globale qui permet de lutter efficacement contre le harcèlement, même lorsque les faits ne sont pas répétés. Un acte unique peut être constitutif du harcèlement. Au-delà des « raids numériques », cette rédaction permet aussi une clarification s’agissant du harcèlement sexuel.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Madame la députée, nous partageons le même objectif de mieux sanctionner les situations de harcèlement et les « raids numériques », en revanche, l’exigence de répétition me semble indissociable de la notion de harcèlement.

Les dictionnaires de langue française définissent le verbe « harceler » comme le fait de « provoquer, fatiguer, inquiéter par des attaques répétées et incessantes », « d’importuner, de tourmenter par des exigences ou des demandes répétées ».

Sur le plan juridique, la définition actuelle du délit de harcèlement sexuel résulte d’une loi de 2012, adoptée après que le Conseil constitutionnel a censuré la précédente définition qui ne caractérisait pas suffisamment l’infraction et méconnaissait donc le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Il avait été alors relevé que le harcèlement moral, à la différence du harcèlement sexuel, supposait de caractériser des agissements répétés.

Je vous rappelle aussi que l’article 222-33 du code pénal assimile déjà au harcèlement sexuel « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

Les textes et la précision de la rédaction de notre amendement permettent donc déjà de sanctionner les agissements que vous visez. Je suis défavorable à l’amendement CL128.

La Commission adopte les amendements identiques CL198 et CL251.

L’article 3 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CL128 tombe, ainsi que les amendements CL182 de Mme Annie Chapelier, CL121 de M. Ugo Bernalicis, CL245 de Mme Valérie Oppelt, CL57 et CL56, tous deux de M. Jean-François Mbaye, CL236 de Mme Pascale Fontenel-Personne, CL252 de M. Dimitri Houbron, et CL260 de M. M’jid El Guerrab.

Après l’article 3

La Commission est saisie de l’amendement CL153 de Mme Bérengère Couillard.

Mme Bérengère Couillard. Cet amendement vise à modifier l’article 132-80 du code pénal afin d’étendre aux couples non-cohabitants la circonstance aggravante prévue pour les infractions commises au sein du couple. En l’état du droit, la circonstance aggravante ne s’applique pas si les deux membres du couple ne vivent pas sous le même toit. Cette modification se justifie d’autant plus que le phénomène de non-cohabitation a tendance à se répandre.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement pour vous rallier à mon amendement CL199 qui vise le même objectif : préciser que la circonstance aggravante prévue pour les infractions commises au sein du couple s’applique y compris dans les cas de couples non-cohabitants.

L’amendement est retiré.

Article 3 bis (nouveau)
(art. 132-80, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-24, 222-28,
222-33, 222-33-2-1 et 222-33-2-2 du code pénal)
Circonstances aggravantes

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article complète la liste des circonstances aggravant les peines d’un certain nombre d’infractions parmi lesquelles figurent les faits de violences, de viol, d’agression sexuelle autre que le viol et de harcèlement conjugal, sexuel ou moral, afin de mieux réprimer ces faits lorsqu’ils sont commis dans le couple ou le cercle familial.

Le présent article résulte de l’adoption de deux amendements identiques de votre rapporteure et de M. Dimitri Houbron, député du groupe La République en marche, approuvés par le Gouvernement.

Par cet article, la commission des Lois a précisé et étendu la liste des circonstances susceptibles d’aggraver les peines encourues pour un certain nombre de violences sexuelles et sexistes en application du code pénal :

–– en premier lieu, l’article 3 bis précise que la circonstance aggravante générale, prévue par l’article 132-80 pour les infractions commises au sein du couple, s’applique y compris dans les cas de couples non-cohabitant, alors que les pratiques aujourd’hui observées en la matière varient d’une juridiction à l’autre, certains juges exigeant une cohabitation, d’autres privilégiant la communauté de vie et d’intérêts () ;

–– en deuxième lieu, il complète la liste des circonstances aggravantes prévues pour le harcèlement sexuel afin d’y ajouter les cas dans lesquels les faits sont commis par un ascendant ou une personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait d’une part, et par le conjoint, concubin ou partenaire de la victime d’autre part (b) du 2°) : cette situation n’est en effet pas totalement couverte par la définition, plus exigeante, du harcèlement conjugal, qui exige des faits répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime « se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » ;

–– en dernier lieu, il prévoit que les faits de violences, de viol, d’agression sexuelle autre que le viol et de harcèlement conjugal, sexuel ou moral seront aggravés dès lors qu’ils seront commis en présence d’enfants y assistant () : l’impact des violences conjugales sur les mineurs qui y assistent doit être davantage pris en compte, comme y invite l’article 46 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014 par la France.

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL199 de la rapporteure et CL253 de M. Dimitri Houbron.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Le présent amendement précise et étend la liste des circonstances susceptibles d’aggraver les peines encourues pour certaines violences sexuelles et sexistes.

Tout d’abord, cela vient d’être évoqué, il est précisé que la circonstance aggravante pourra être retenue même quand les membres du couple ne cohabitent pas. Actuellement, les pratiques varient d’une juridiction à l’autre, certains juges exigeant une cohabitation alors que d’autres privilégient la communauté de vie et d’intérêts. Même quand les deux membres du couple ne vivent pas ensemble, il peut y avoir des relations suivies et les mêmes phénomènes d’emprise et de violence que dans des couples de cohabitants.

Ensuite, l’amendement complète la liste des circonstances aggravantes prévues pour le harcèlement sexuel, afin d’y ajouter les cas dans lesquels les faits sont commis par un ascendant ou une personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, d’une part, ou par le conjoint, concubin ou partenaire de la victime, d’autre part. Cette mesure permet de prendre en compte le fait que le harcèlement est plus grave lorsqu’il est commis par une personne très proche.

Enfin, une dernière circonstance aggravante découle d’une proposition qui nous a fortement intéressés lors des auditions. Ainsi, nous proposons que soit retenu comme circonstance aggravante le fait que certains actes – infractions sexuelles ou violences volontaires – aient été commis en présence d’enfants. En cas de violences conjugales, les enfants sont très souvent présents et peuvent subir des traumatismes aussi graves que s’ils en étaient les victimes directes. Cette disposition nous permet de nous conformer à l’article 46 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014 par la France.

M. Dimitri Houbron. Nous partageons tous les arguments qui viennent d’être développés. Ces dispositions constituent une avancée en matière de lutte contre les violences que peuvent subir les femmes et elles permettent de prendre en considération d’autres victimes : les enfants qui en sont témoins. L’objectif est de protéger ces enfants, d’éviter qu’ils ne reproduisent ce schéma. Même s’ils ne sont pas les victimes directes des coups, ils subissent la violence des scènes qu’ils ont sous les yeux.

La Commission adopte les amendements.

L’article 3 bis est ainsi rédigé.

Après l’article 3 bis

La Commission en vient à l’amendement CL122 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Clémentine Autain. Si les dispositifs pénaux sont déjà précis en matière de haine proférée sur internet à l’égard des femmes, des personnes racialisées ou des lesbiens, gays, bisexuels, trans, queer ou intersex (LGBTQI), les dispositifs restent malheureusement très peu appliqués.

Le 31 mai 2016, Facebook, Twitter, You Tube et Microsoft ont signé un accord avec la Commission européenne. Ils s’y engagent à examiner « la majorité des signalements valides et à supprimer ou rendre inaccessibles les contenus haineux en moins de vingt-quatre heures ».

Cet accord reste hélas largement inappliqué, en dépit de ces engagements et malgré les conséquences pénibles, voire destructrices psychologiquement, que ces contenus peuvent avoir sur les victimes.

Par cet amendement, nous proposons que chaque contenu incitant à la haine, à la violence ou aux discriminations fondées sur le genre, l’origine ou l’orientation sexuelle puisse faire l’objet d’une condamnation exemplaire et dissuasive en matière de laisser-faire sur internet.

Dans votre projet de loi, on considère qu’il revient aux victimes de déposer plainte et, à aucun moment, on ne responsabilise les géants de l’internet. Alors que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) surveille les contenus de la télévision, il n’y a pas d’autorité pour réguler ceux des espaces numériques qui échappent à toute forme de contrôle. Nous estimons qu’il faudrait avancer sur ce terrain, prévoir des sanctions et ne pas attendre une régulation fondée uniquement sur les plaintes des victimes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les plateformes en ligne sont déjà soumises à certaines obligations de retrait de contenus illicites : obligation générale de concourir à la lutte contre la diffusion de ces contenus, mise en place d’un dispositif de signalement facilement accessible et visible, information prompte des autorités compétentes.

Dans ce domaine, l’enjeu principal est d’obtenir la coopération active de ces plateformes qui, trop souvent, se considèrent comme non soumises à notre législation. Des initiatives fortes ont été prises par la France et le Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne.

Une mission de réflexion et de propositions sur le renforcement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet a été confiée par le Premier ministre à notre collègue Laetitia Avia ainsi qu’à Karim Amellal et Gil Taïeb. Il me semble préférable d’attendre ses conclusions pour légiférer sur cette question qui ne concerne pas seulement la lutte contre les contenus incitant à la haine et à la violence. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL9 de M. Nicolas Démoulin.

M. Nicolas Démoulin. Cet amendement a été proposé par le Haut Conseil à l’égalité. Il concerne l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Il propose de prolonger d’un à trois ans le délai de prescription des délits de presse. L’idée est qu’avec l’arrivée des nouveaux outils numériques, le harcèlement sur ces médias peut provoquer des dégâts à long terme et être dévoilé au fur et à mesure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Le lien entre votre amendement et le texte étant un peu ténu, je vous propose de le retirer.

M. Nicolas Démoulin. C’est un peu sec comme réponse… Ne pourriez-vous pas proposer à Mme Laetitia Avia d’intégrer le sujet dans sa mission de réflexion ?

Mme Laetitia Avia. J’accepte la proposition. Nous intégrerons ces éléments dans les travaux de la mission qui doit rendre son rapport le 26 juillet prochain.

L’amendement est retiré.

TITRE III
dispositions rÉprimant l’outrage sexiste

Article 4
(art. 621-1 [nouveau] du code pénal)
Instauration d’une contravention d’outrage sexiste

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article vise à mieux réprimer le « harcèlement de rue » ou dans certains espaces, qui recouvre des réalités diverses : sifflements, commentaires sur le physique ou la tenue, présence envahissante… À cette fin, il sanctionne le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à sa dignité ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, par une contravention de la 4e classe ou, en cas de circonstance aggravante, de la 5e classe.

Le choix de la contravention, assortie de la procédure de forfaitisation, permettra une verbalisation immédiate des comportements visés.

Dernières modifications législatives intervenues :

Il s’agit d’une nouvelle infraction destinée à s’insérer dans le continuum des infractions pénales à caractère sexuel ou sexiste existant dans le code pénal.

Modifications adoptées par la commission des Lois :

Outre plusieurs amendements de cohérence et rédactionnels, la Commission a étendu la liste des agents qui seront habilités à constater les outrages sexistes, en permettant notamment aux policiers municipaux et aux agents des services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP de le faire.

1.   Le projet de loi

Le harcèlement sexuel et les violences sexuelles susceptibles de s’exercer dans l’espace public notamment, dans la rue en particulier, recouvrent une grande diversité d’agissements. La loi pénale punit déjà une grande partie de ces comportements au travers d’un continuum d’infractions de gravité variable allant de l’injure ou des menaces aux agressions sexuelles dans les cas les plus graves, en passant par l’exhibition ou le harcèlement sexuels.

les infractions pénales réprimant le harcèlement sexiste

Articles

Infractions

Peines encourues

R. 625-7 du code pénal

Provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non‑appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

Contravention de la 5e classe

R. 625-8 du code pénal

Diffamation non publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non‑appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

Contravention de la 5e classe

R. 625-8-1 du code pénal

Injure non publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non‑appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

Contravention de la 5e classe

24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non‑appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

1 an d’emprisonnement et
45 000 euros d’amende

32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Diffamation publique envers les particuliers

Diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

12 000 euros d’amende en cas de diffamation envers les particuliers

1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans les autres cas

33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Injure publique envers les particuliers non précédée de provocations

Injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap

12 000 euros d’amende en cas d’injure envers les particuliers
non précédée de provocations

1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans les autres cas

222-17 à 222-18-3 du code pénal

Menace

De 6 mois d’emprisonnement
et 7 500 euros d’amende à
7 ans d’emprisonnement et
100 000 euros d’amende

222-32 du code pénal

Exhibition sexuelle

1 an d’emprisonnement et
15 000 euros d’amende

222-33 du code pénal

Harcèlement sexuel

De 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende à
3 ans d’emprisonnement et
45 000 euros d’amende

227-25 à 227‑27-2 du code pénal

Atteinte sexuelle

De 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende à
10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

222-27 à 222-31 du code pénal

Agression sexuelle autre que le viol

De 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à
10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

222-23 à 222-26 du code pénal

Viol

De 15 ans de réclusion à
la réclusion à perpétuité

Certains des comportements sexistes constatés dans la rue, au travail ou dans les transports publics ne sont pas suffisamment réprimés par la loi pénale. Désignés sous le nom de « harcèlement de rue », ces comportements visent certaines personnes à raison de leur sexe principalement, dans les espaces publics et semi-publics, et consistent à les interpeller verbalement ou non, ou à leur envoyer des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants ou insultants.

Pour le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ([75]), les manifestations de ce phénomène sont multiples et assez largement couvertes par le droit actuel, à l’exception de certains comportements à la frontière des règles du savoir‑vivre et de l’infraction pénale, tels que :

––  les sifflements ;

––  les commentaires sur le physique, le comportement ou la tenue vestimentaire de la personne ;

––  la présence envahissante et opprimante (jambes écartées, obstruction du passage…) ;

––  les regards insistants (« déshabiller » du regard) ;

––  les questions intrusives sur la vie sexuelle de la personne et les confidences inappropriées de l’auteur sur sa propre vie sexuelle ;

––  les invitations insistantes.

Le présent article vise à combler ce vide juridique en facilitant la prévention et la répression de ces comportements sexistes que la loi n’interdit pas expressément.

Il fait suite aux préconisations formulées par le groupe de travail animé par plusieurs parlementaires sur la « verbalisation du harcèlement de rue », dont il ressortait la nécessité de « définir une nouvelle infraction visant à sanctionner cette zone grise que sont, entre autres, les gestes déplacés, les sifflements, les regards insistants ou remarques obscènes, le fait de suivre volontairement à distance une personne créant ainsi une situation d’angoisse » et, par-là, « poser un interdit social », « lutter contre le sentiment général d’insécurité en réaffirmant la neutralité de l’espace public » et « limiter le passage à l’acte sur des faits plus graves en tant que premier niveau de sanction » ([76]).

Il institue, au sein d’un nouvel article 621-1 du code pénal, une nouvelle infraction d’outrage sexiste, définie comme « le fait (…) d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (I). Cette définition s’inspire largement de celle retenue par le législateur pour le délit de harcèlement sexuel à l’article 222-33 du code pénal ([77]), mais supprime l’exigence de répétition des faits, propre au harcèlement, et y ajoute le caractère sexiste des propos ou comportements.

Cette nouvelle incrimination s’appliquerait « hors les cas prévus par les articles 222-13, 222-32, 222-33 et 222-33-2-2 » du code pénal, lorsque les faits ne seraient constitutifs ni de violences ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail, ni d’une exhibition sexuelle, ni du harcèlement sexuel ou général.

Le Gouvernement n’a pas cantonné le champ d’application de cette nouvelle infraction aux propos et comportements dans l’espace public, afin de permettre la poursuite de ces faits notamment au travail.

Dans un souci de proportionnalité et d’opérationnalité, ces faits seraient passibles d’une contravention de la 4e classe (amende de 750 euros susceptible de faire l’objet de la procédure simplifiée de l’amende forfaitaire ([78])) (II).

En cas de circonstance aggravante en raison de la qualité de la victime, de l’auteur ou du lieu de commission des faits, ces faits seraient punis d’une contravention de la 5e classe (amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive ([79])) (III).

Les six circonstances aggravantes de l’outrage sexiste

1° Les faits sont commis par une personne qui abuse de son autorité ;

2° Les faits sont commis sur un mineur de moins de 15 ans ;

3° Les faits sont commis sur une personne vulnérable à raison de son âge, d’une maladie, infirmité, déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse ;

4° Les faits sont commis sur une personne vulnérable ou dépendante en raison de la précarité de sa situation économique ou sociale ;

5° Les faits sont commis par plusieurs personnes coauteurs ou complices ;

6° Les faits sont commis dans les transports publics.

La personne reconnue coupable d’outrage sexiste pourra également être condamnée à plusieurs peines complémentaires (IV) parmi lesquelles figurent certaines des peines déjà prévues par l’article 131-16 du code pénal – stage de citoyenneté (2°), stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels (3°), stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes (4°) – et auxquelles est ajoutée « l’obligation d’accomplir (…) un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes » (). En cas de contravention de la 5e classe, la peine complémentaire de travail d’intérêt général pourrait également être prononcée pour une durée de 20 à 120 heures ([80]) (5°).

Cohérent avec l’échelle des peines en matière pénale eu égard à la place de l’outrage sexiste dans le continuum des violences sexuelles et sexistes, le choix d’une contravention de la 4e classe assortie de la procédure d’amende forfaitaire, déjà opérationnelle à la différence de celle pour les contraventions de la 5e classe, permettra une verbalisation immédiate et visible de tous par procès-verbal électronique, facilitée par le déploiement de la police de sécurité du quotidien et ne nécessitant pas le dépôt d’une plainte préalable. Le dépôt de plainte restera toutefois nécessaire dans le cas d’outrages sexistes survenant dans le milieu professionnel, qui nécessitent un travail approfondi d’enquête et d’auditions pour déterminer la réalité de l’infraction.

La procédure de l’amende forfaitaire
(articles 529 et suivants du code de procédure pénale)

La procédure de l’amende forfaitaire est applicable aux contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par le pouvoir réglementaire : contraventions au code de la route ou en matière d’assurance, de protection de l’environnement, de protection des animaux, d’offre de boissons alcooliques, de bruit…

Une minoration de l’amende est possible pour certaines infractions au code de la route dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État. Par ailleurs, le versement d’une « indemnité forfaitaire », versée à l’exploitant des transports en commun, est prévue pour les contraventions des quatre premières classes à la police des services publics de transports ferroviaires et des services de transports publics de personnes, réguliers et à la demande.

Cette procédure de l’amende forfaitaire n’est pas applicable si plusieurs infractions, dont l’une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément ou lorsque la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit.

Le montant de l’amende forfaitaire peut être acquitté soit entre les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de l’infraction, soit auprès du service indiqué dans l’avis de contravention, dans un délai de 45 jours. Le contrevenant doit s’en acquitter dans ce délai, à moins qu’il ne formule une requête en exonération. Faute de paiement ou de présentation d’une requête dans le délai prescrit, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par le ministère public.

Cette procédure a été étendue par la loi n° 2011‑1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles aux contraventions de la 5e classe. Elle est cependant restée inappliquée, faute du décret d’application qui aurait dû déterminer la liste des contraventions de la 5e classe faisant l’objet de cette procédure.

Sur la forme, le choix d’inscrire dans la loi ces deux contraventions contrevient aux articles 34 et 37 de la Constitution, dont il résulte que la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables relève de la seule compétence du pouvoir réglementaire. Ce point a été expressément relevé par le Conseil d’État qui a écarté en conséquence cette disposition et suggéré au Gouvernement de lui présenter un projet de décret.

Le Gouvernement a cependant fait le choix de maintenir cette contravention dans le projet de loi afin de poser avec fermeté et détermination ce nouvel interdit dans notre législation : ainsi que l’a rappelé devant votre rapporteure Mme Audrey Darsonville, professeure agrégée de droit privé et de sciences criminelles à l’Université Lille 2, la loi pénale conserve une « fonction expressive et une vertu pédagogique ».

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le législateur procède ainsi puisque, en 2016 ([81]), il avait également inscrit à l’article 611-1 du code pénal l’infraction de recours à la prostitution punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.

2.   Les modifications apportées par la commission des Lois

Sur proposition de Mme Laëtitia Avia, députée du groupe de La République en Marche, et suivant l’avis favorable de votre rapporteure et de sagesse du Gouvernement, la Commission a élargi la définition de l’outrage aux propos ou comportements tenus à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée, de la victime (I).

Par ailleurs, à l’initiative de votre rapporteure, la Commission a également mis en cohérence la liste des peines complémentaires en matière contraventionnelle, fixée à l’article 131‑16 du code pénal (I), ainsi que celle des mesures susceptibles d’être prononcées par le procureur de la République dans le cadre d’une procédure d’alternative aux poursuites, en vertu de l’article 41‑1 du code de procédure pénale, ou d’une composition pénale, en application de l'article 41-2 du même code (II), afin d’y ajouter la nouvelle peine de stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission a adopté deux amendements identiques de votre rapporteure et de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la Délégation aux droits des femmes, visant à améliorer l’efficacité de la répression de la nouvelle infraction d’outrage sexiste. Dans la mesure où les comportements incriminés se produisent très fréquemment dans la rue et dans les transports en commun, il est proposé d’élargir le champ des personnes qui seront habilitées à constater la contravention par procès-verbal : cette possibilité sera offerte, au‑delà des officiers et agents de police judiciaire, aux agents de police judiciaire adjoints (agents de police municipale, réservistes de la gendarmerie, agents de surveillance de Paris, adjoints de sécurité...) (IV) ainsi qu’aux agents et fonctionnaires autorisés à constater les infractions à la police des transports ferroviaires ou guidés, principalement les agents des services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP (V).

*

*     *

La Commission est saisie de l’amendement CL200 de la rapporteure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. C’est un amendement de cohérence visant à mieux ordonnancer les dispositions du code pénal relatives aux contraventions.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au-delà de son efficacité, la verbalisation de l’outrage sexiste a également une portée pédagogique. Il est logique de créer un titre spécifiquement dédié à cette nouvelle infraction au sein du livre VI qui est consacré aux contraventions, afin de pouvoir inscrire noir sur blanc dans les lois de la République qu’il ne s’agit plus d’un acte anodin non répréhensible. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements identiques CL112 de M. Jean-François Mbaye, CL130 de M. Ugo Bernalicis, CL268 de Mme Valérie Oppelt et CL95 de Mme Valetta Ardisson tombent.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL105 de Mme Laetitia Avia, CL41 de M. Jean-Marc Zulesi et CL126 de Mme Danièle Obono.

Mme Laetitia Avia. Cet amendement vise à élargir l’infraction d’outrage sexiste aux personnes LGBTQ, qui sont également victimes de ce type de harcèlement, et permet d’inclure des propos non explicitement sexistes mais produisant les mêmes effets.

Il reprend la formulation proposée par le groupe de travail transpartisan qui s’est intéressé à ce sujet. Nous proposons, à l’alinéa 3, de remplacer « à connotation sexuelle ou sexiste » par « à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée. »

Si une femme est suivie à la sortie du métro par quelqu’un qui lui pose 1 000 fois la même question, on considère qu’il s’agit d’un outrage sexiste. Pourtant, les propos n’ont pas une connotation sexiste ou sexuelle. En revanche, ce sont des propos tenus à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle de la personne.

Nous cherchons aussi à protéger les personnes LGBTQI en spécifiant que l’orientation sexuelle est « réelle ou supposée ». C’est bien le point de départ de ces agissements et comportements que nous souhaitons mieux réprimer.

M. Jean-Marc Zulesi. L’objectif de notre amendement est d’inclure, dans le champ de la définition de l’outrage sexiste, les propos à caractère discriminant, dégradant et humiliant à l’encontre des personnes LGBT, qui peuvent les placer dans des situations intimidantes, hostiles ou offensantes.

Mme Clémentine Autain. Pour être plus précis, nous souhaitons parler plutôt de genre que de sexe. C’est pourquoi, à l’alinéa 3, après la seconde occurrence du mot « sexiste », nous proposons d’insérer « ou relatif à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre ». En fait, on pourrait aboutir à un amendement de consensus en remplaçant « sexe » par « genre » dans l’amendement CL105 proposé par la majorité.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je comprends parfaitement l’ambition de ces amendements, qui est notamment de mieux protéger les personnes LGBT, mais leur rédaction soulève des questions. Le vôtre, madame Avia, exclut la connotation sexuelle ou sexiste. Je vous propose de le modifier en conservant « à connotation sexuelle ou sexiste » et d’y ajouter votre formulation, c’est-à-dire « ou à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée ».

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans la rédaction initiale, la simple référence à la connotation sexiste du propos ou du comportement nous semble suffisante pour réprimer de manière satisfaisante ces agissements : les descriptions ultérieures ne font qu’expliciter ce qui est à connotation sexiste. Néanmoins, j’entends vos demandes et remarques sur l’orientation sexuelle réelle ou supposée, le sexe ou le genre. Je m’en remets donc à votre sagesse concernant ces trois amendements.

M. Erwan Balanant. Nous pourrions effectivement parvenir à une rédaction consensuelle en écrivant « à raison du genre ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée. »

Mme Laetitia Avia. La rédaction initiale de cet article résulte de travaux d’un groupe transpartisan qui réunissait des députés des groupes de La République en Marche, Mouvement Démocrate et apparentés et de Nouvelle Gauche. Il est très important de continuer à avoir une démarche de consensus et de construction collective de cet article. C’est pourquoi je vous propose de modifier la rédaction de l’amendement CL105 et d’écrire « ou à raison de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée ».

Mme Clémentine Autain. Je suis ravie de cette proposition de consensus.

M. Jean-Marc Zulesi. Je suis tout aussi ravi et j’adhère à cette démarche de consensus.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je serais ravie de cet amendement de consensus s’il ne me posait pas une petite difficulté technique liée au mot « genre ». Je comprends parfaitement vos explications mais cette notion n’est pas présente telle quelle dans le code pénal. Dans un souci de cohérence, je préférerais que l’on garde la référence au sexe et à l’orientation sexuelle. La rédaction pourrait être « à connotation sexuelle ou sexiste ou à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée ».

Mme Clémentine Autain. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame Avia, pouvez-vous rappeler la rectification proposée de votre amendement pour que je puisse le mettre aux voix ? Peut-être préférez-vous qu’il soit adopté en l’état et rectifié pour la séance ?

Mme Laetitia Avia. Je vous propose d’en rester à la rédaction actuelle de l’amendement CL105 et je m’engage auprès de mes collègues, notamment ceux du groupe La France insoumise, à vérifier s’il est possible d’introduire l’identité de genre. Si c’est le cas, un nouvel amendement sera déposé en ce sens.

M. Erwan Balanant. Notre amendement CL50 serait également satisfait si nous parvenions à ce consensus.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Pour être plus précis dans la rédaction de cet amendement, plutôt que de remplacer « à connotation sexuelle ou sexiste », il faudrait insérer immédiatement après « à raison du sexe ou de l’orientation sexuelle, réelle ou supposée ».

La Commission adopte l’amendement CL105 ainsi rectifié.

En conséquence, les amendements CL41 et CL126 tombent.

L’amendement CL50 de Mme Marie-Pierre Rixain est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL202 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement CL129 de Mme Clémentine Autain.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement de repli, nous souhaitons réduire l’application du dispositif gouvernemental au seul champ pénal, en excluant explicitement ce qui concerne le harcèlement au travail.

Nous considérons en effet que le choix d’une contraventionnalisation conduit à un affaiblissement de la politique de lutte contre les violences sexuelles. En conséquence, nous souhaitons garder un niveau important de protection en maintenant la qualification délictuelle pour ce qui concerne le monde du travail. Cet argument est d’autant plus important qu’il s’agit aussi de palier la disparition des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui jouaient un rôle primordial dans la lutte contre le harcèlement au travail.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’outrage et le harcèlement se distinguent par une différence fondamentale : le premier peut être réprimé dès le premier propos ou comportement dégradant, humiliant, intimidant, hostile ou offensant, alors que le second suppose une répétition des faits dans un but précis.

Naturellement, l’application de l’outrage sexiste dans le milieu professionnel sera peut-être moins aisée que dans l’espace public en raison des difficultés de constatation immédiate. Cependant, il ne paraît pas opportun d’en exclure par principe l’application car certains comportements à caractère sexiste dans l’entreprise pourront être utilement réprimés par cette voie sur plainte de la victime. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Dans le groupe de travail transpartisan, nous avons toujours cherché à ne pas déclasser le droit existant et à ne pas fragiliser tout ce qui pourrait être fait pour lutter contre le harcèlement moral et sexuel.

L’agissement sexiste est déjà prévu dans le code du travail, ce qui complète l’arsenal. Votre amendement serait contre-productif : il conduirait à réduire la protection des salariés par rapport au niveau que nous allons atteindre grâce à ce texte.

Nous avions eu un large débat sur les notions d’espaces publics et d’espaces à usage collectif. Le Gouvernement a choisi de ne pas préciser d’espace géographique, ce qui est une très bonne idée à laquelle nous n’avions pas pensé. En ne précisant pas, on élargit et on protège bien mieux. Je pense qu’il faut rejeter cet amendement.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. La question de l’agissement sexiste au travail et de la manière dont on lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail est extrêmement importante.

Je ferais une observation préalable : les CHSCT n’ont pas disparu puisque leurs compétences, notamment en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, ont été intégralement reprises par les Comités sociaux et économiques (CES). De surcroît, les questions d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sont sanctuarisées au niveau des branches. Il n’y a donc aucune disparition ni aucune dégradation.

Peut-être ne le savez-vous pas parce que vous étiez en commission des Lois toute la journée, mais, avec la ministre du travail, nous avons annoncé le résultat des longues négociations avec les partenaires sociaux sur le renforcement de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

De nombreuses mesures ont été adoptées. Il a ainsi été décidé de confier un rôle de prévention des violences sexistes et sexuelles aux Commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) et aux branches. Un volet relatif à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a été ajouté aux négociations de branches sur l’égalité professionnelle, ce qui est extrêmement important.

Des référents formés aux violences, identifiables par tous les personnels, seront installés dans les entreprises de plus de 250 salariés. Dans les autres entreprises, le référent sera choisi parmi les élus du CES. La formation aux violences sexistes et sexuelles sera incluse dans la formation à la santé et la sécurité, ce qui en fait un bloc extrêmement solide. Il est prévu une modification réglementaire avec un nouveau volet obligatoire relatif aux violences sexistes et sexuelles dans le document unique d’évaluation des risques.

En matière d’information des victimes, nous avons retenu la proposition d’informer des voies de recours possibles par tous moyens, en rendant obligatoire la communication par l’employeur, sur le lieu de travail, des contacts du Défenseur des droits, de l’inspection du travail et du référent en médecine du travail.

En ce qui concerne la sanction des agresseurs, un guide sera diffusé d’ici à la fin de 2019. Corédigé par la direction générale du travail et par les partenaires sociaux, il fera le point des sanctions prévues en matière de violences sexistes et sexuelles et permettra d’accompagner les employeurs mais aussi les témoins de ce type de violences.

Tout cela s’ajoute à l’appel à projets d’un montant d’un million d’euros que j’évoquais dans ma déclaration introductive. Voyez qu’énormément d’actions sont menées contre les violences sexistes et sexuelles au travail. La question n’est donc pas ignorée, au contraire, on s’y attelle à bras-le-corps et les sanctions sont considérablement renforcées.

Mme Danièle Obono. Il n’en demeure pas moins que l’outrage, qui va être contraventionnalisé, risque de se substituer au délit de harcèlement. Les associations nous ont alertés quant à ce risque de déclassement. Nous proposions un amendement sur le harcèlement sexuel, qui permettait de renforcer l’outil existant, afin d’intervenir dans le domaine du travail.

Nous aurons à débattre de la représentativité des instances chargées de la lutte contre le harcèlement au travail. En tant que tels, les CHSCT disparaissent, même si une partie de leurs fonctions est reprise dans l’instance unique CES. Une bonne partie des associations de défense des droits des femmes pense que cette disparition va créer un problème et amoindrir les capacités de lutte contre le harcèlement au travail. C’est un fait. Nous verrons si les palliatifs proposés permettent de contrecarrer le phénomène. Nous essayerons de les renforcer, par défaut, puisque l’instance qui existait jusqu’à présent a été supprimée.

M. Erwan Balanant. La rédaction proposée est claire et sans ambiguïté, elle ne déclasse pas le harcèlement sexiste au travail, ni le harcèlement sexiste tout court.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL127 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à maintenir le caractère délictuel du dispositif. Nous pensons en effet que la création d’un outrage sexiste, qui introduit en quelque sorte un nouveau régime de sanctions, comporte un risque de déqualification du harcèlement sexuel.

À titre liminaire, il est important de préciser que cet article est probablement inconstitutionnel, en ce sens qu’il ne respecte pas les articles 34 et 37 de la Constitution, relatifs au domaine de la loi et du règlement. En effet, le régime des contraventions proposé ici, sous réserve que les peines prévues ne soient pas privatives de liberté, ne relève pas du pouvoir législatif.

Sur le fond, on constate depuis longtemps un mouvement de correctionnalisation des violences sexuelles, d’ailleurs consacré par l’article 469 du code de procédure pénale. Ce phénomène est un choc pour les victimes, qui le ressentent souvent comme une négation des faits. La contraventionnalisation de l’outrage sexiste participe de ce mouvement, qui conduit également à un éloignement des justiciables de la justice.

Enfin, encore une fois, le Gouvernement contourne les lacunes du budget de la justice, car, il faut le dire clairement, les magistrats ont besoin de moyens pour pouvoir instruire ces dossiers et condamner les auteurs de ces actes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il me semble précisément que le fait que le Gouvernement s’en remette à la représentation nationale montre toute l’importance qu’il accorde à la création de cette infraction d’outrage sexiste.

Les comportements visés par la nouvelle infraction s’inscrivent cela étant en bas de l’échelle des violences sexuelles et sexistes, en deçà du harcèlement sexuel. Notre intention n’est évidemment pas d’assimiler à un outrage sexiste le harcèlement tel qu’il est déjà défini dans la loi. Le principe de la contravention, qui permet un prononcé rapide de la sanction, répond à une forte demande des victimes d’outrages sexistes qui, malgré la gravité des faits, hésitent souvent à porter plainte au pénal. La contraventionnalisation facilitera donc la répression de ce type de comportements. Par ailleurs, la définition de l’outrage sexiste proposée par le texte le distingue clairement du harcèlement sexuel. Avis défavorable.

Mme Élise Fajgeles. Il est nécessaire de créer dans le continuum des violences faites aux femmes un échelon supplémentaire permettant de sanctionner un certain nombre de comportements inadmissibles, aujourd’hui totalement ignorés par la loi. Il s’agit de tous ces comportements humiliants qui ont pour cadre l’espace public ou le milieu professionnel et qui, sans être caractérisés, développent chez les femmes un sentiment d’insécurité, donc d’infériorité.

Le premier échelon contraventionnel que nous créons a pour but de sanctionner les violences qui s’inscrivent dans cette zone grise, parce qu’elles sont moins graves que les comportements délictuels déjà pris en compte par le législateur.

Le budget, il existe bel et bien : c’est celui de la police de sécurité du quotidien, dont M. Gérard Collomb a très expressément indiqué que l’une des missions principales serait de verbaliser le harcèlement de rue. Nous ne devons donc pas bouder notre plaisir devant la création de cette nouvelle infraction et d’une nouvelle police, précisément affectée à sa verbalisation.

M. Erwan Balanant. Cette nouvelle infraction comble un vide juridique en permettant de sanctionner des comportements qui ne tombaient pas sous le coup de la loi parce qu’ils n’étaient pas assimilables à du harcèlement.

Nous sommes évidemment conscients qu’il n’y aura pas, dans la rue, un policier derrière chaque femme, et qu’on ne pourra pas sanctionner la totalité des infractions. Mais, de la même façon que le code de la route établit qu’une ligne blanche ne se franchit pas, règle que chaque conducteur apprend à respecter en dehors même de la présence de la police, il s’agit ici de définir un interdit, l’objectif de ce projet de loi étant d’abaisser le seuil de tolérance de la société en matière de violences sexistes ordinaires.

Je vous invite enfin, madame Autain, à regarder le schéma qu’a réalisé la Délégation aux droits des femmes et qui dresse un état des infractions applicables en matière de violences sexuelles et sexistes : cela vous éclairera sur notre démarche.

Mme Clémentine Autain. Nous sommes très sceptiques quant à l’efficacité de cette disposition, qui risque d’être appliquée de manière très inégale selon les territoires. Compte tenu de la difficulté qu’ont déjà certaines villes à verbaliser les voitures, il y a fort à parier que la verbalisation des outrages sexistes sera assez limitée.

En revanche, le risque existe que des faits de harcèlement sexuel soient contraventionnalisés, dans l’idée d’appliquer des sanctions immédiates et d’éviter la lourdeur de la procédure pénale. Nous dénonçons ici la même logique que celle que nous évoquions tout à l’heure pour le viol et qui consiste à dépénaliser un certain nombre de faits. C’est contraire au sens de l’histoire – si tant est que l’histoire ait un sens – qui fait émerger des revendications fortes pour que le viol soit puni comme un crime et que le harcèlement sexuel s’inscrive dans un cadre pénal et non plus réglementaire.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Si les faits assimilables à du harcèlement de rue étaient déjà passibles de sanctions, nous ne serions pas là en train de débattre de la création d’un délit d’outrage sexiste. La création de cette nouvelle infraction a précisément pour but de pouvoir sanctionner tous les comportements qui ne peuvent l’être à l’heure actuelle : aujourd’hui, si on vous suit dans la rue, si on vous demande à plusieurs reprises votre numéro de téléphone ou si l’on tente de vous intimider d’une manière ou d’une autre, votre plainte ne sera pas enregistrée car ces faits ne sont pas caractérisés par la loi. Or, il est important qu’il soit écrit noir sur blanc dans les lois de la République que l’outrage sexiste est passible de sanction.

Pour ce qui concerne la nature de cette sanction, nous préférons la contravention à la sanction pénale par pur pragmatisme, et je vous invite à faire preuve de cohérence, madame Autain, puisque vous disiez vous-même tout à l’heure que les femmes portaient rarement plainte, soit parce qu’elles n’avaient pu identifier leur agresseur, soit parce qu’elles considéraient que ce qu’elles avaient subi n’était pas suffisamment grave.

Notre position n’est ni dogmatique ni idéologique, mais je ne peux laisser ces femmes sans réponse, et la solution pragmatique que je leur propose, c’est que, désormais, la police de la sécurité du quotidien puisse verbaliser en flagrant délit les outrages dont elles sont les victimes, sans qu’elles aient besoin d’aller déposer plainte dans un commissariat. Cela devrait vous réjouir puisque cela s’inscrit dans la logique des arguments que vous nous avez exposés.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL107 de Mme Lætitia Avia.

Mme Lætitia Avia. Cet amendement concerne les cas dans lesquels s’applique une contravention de cinquième classe – donc un passage devant le tribunal de police –, au vu de l’existence de circonstances aggravantes. L’article 4 énumère un certain nombre de ces circonstances aggravantes, dont le fait que l’outrage sexiste soit commis sur un mineur de 15 ans.

Nous proposons de préciser que la contravention de la cinquième classe s’applique dès lors que l’auteur ne pouvait ignorer l’âge de la victime, l’idée étant d’éviter qu’une relaxe soit prononcée parce que l’auteur des faits ignorait l’âge de sa victime. Concrètement cela vise entre autres les infractions commises aux abords d’une école.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La circonstance aggravante de l’outrage sexiste liée à la minorité de la victime est la même que celle qui figure pour l’ensemble des autres infractions pour lesquelles une telle circonstance est prévue. Par ailleurs, comme pour ces autres infractions, il s’agit d’une circonstance objective, peu importe que l’auteur ait eu ou non connaissance de l’âge de la victime.

Je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement CL107 est retiré.

La Commission adopte ensuite successivement les amendements de précision CL203, CL204, CL205 et l’amendement de cohérence CL206 de la rapporteure.

Elle examine les amendements identiques CL207 de la rapporteure et CL55 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Cet amendement répond à une demande formulée lors des auditions que nous avons menées. Il s’agit de permettre aux agents de police judiciaire adjoints et aux agents assermentés des transports en commun de verbaliser directement les auteurs d’outrages sexistes. Ce sont en effet souvent les premiers sur les lieux à pouvoir être les témoins de ces outrages, qu’ils pourront donc plus facilement sanctionner.

M. Erwan Balanant. En augmentant le nombre d’agents habilités à verbaliser ces infractions, nous accroissons l’efficacité du texte, ce qui va dans le sens de ce que souhaitaient Mmes Autain et Obono.

Je me réjouis par ailleurs que cet amendement reprenne l’une des recommandations de la Délégation aux droits des femmes.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La Commission est saisie de l’amendement CL161 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à faire bénéficier les femmes victimes de violences d’un dispositif d’hébergement d’urgence sécurisant, qui leur permette une réinsertion adaptée dans la société.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les quatrième et cinquième plans de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes comportent déjà des actions déterminées en faveur de l’accueil en urgence et de l’hébergement de ces femmes. Il existe à ce jour 4 500 places d’hébergement dédiées, l’objectif étant d’augmenter cette offre pour parvenir à 4 900 places. Il est également prévu de créer une centaine de solutions d’hébergement spécialisées dans la prise en charge des 18-25 ans sans enfants. Des appels à projets régionaux permettront de répondre localement aux besoins identifiés. Votre objectif me semble satisfait par ces initiatives. Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Nous aurons le débat en séance.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL159 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement concerne les femmes sans abri, qui sont victimes de nombreuses violences sexuelles, que ce soit dans la rue ou dans les structures qui leur portent assistance. Nous proposons que, lorsqu’elles en font la demande, elles puissent être accueillies dans des structures non mixtes, qui pourront les préserver de ce type de violences. La lutte contre les violences sexistes ne doit pas oublier les femmes les plus précaires, et il est nécessaire qu’un texte comme celui-ci prenne en considération leur situation.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous sommes naturellement sensibles comme vous aux violences sexuelles et sexistes de tous ordres, quelles que soient les personnes sur lesquelles elles s’exercent, y compris lorsqu’il s’agit de personnes sans domicile fixe. Je crois néanmoins que les dispositions actuelles du code de l’action sociale et des familles tiennent déjà compte de cette situation. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Bien que le Gouvernement soit globalement défavorable à toute forme de non-mixité, il s’agit ici d’un cas particulier, et l’on ne peut que souscrire, madame la députée, à l’objectif poursuivi par cet amendement, à savoir la possibilité pour les femmes sans abri d’être prises en charge dans un centre d’hébergement d’urgence, qui accueille des personnes du même sexe ou du même genre.

Lorsque c’est possible, c’est une demande qui est toujours acceptée. Au demeurant, l’État lui-même finance intégralement un certain nombre de centres d’accueil dédiés aux femmes, comme celui que j’ai récemment visité à Trappes, qui accueille des migrantes, des femmes sans domicile ou des femmes ayant subi des violences. Dans la mesure où ce type d’hébergements existe déjà, et pour cette unique raison, je donne donc un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL158 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement concerne les ordonnances de protection, qui permettent à une femme victime de violences conjugales de demander une protection avant même le dépôt de la plainte. Il s’agit d’un dispositif récent instauré par la loi votée à l’initiative de Mme Bousquet de 2010 et amélioré par la loi du 4 août 2014. Malheureusement, il reste très peu utilisé, parce qu’il est mal compris et défini de façon trop restrictive dans la loi. Nous souhaitons donc le repréciser pour qu’il soit à l’avenir mieux utilisé.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous souhaitez préciser que l’ordonnance de protection peut être délivrée même sans dépôt de plainte. Or, le texte de loi est déjà clair sur cette question : il n’est nul besoin d’une plainte préalable pour qu’une ordonnance de protection soit délivrée, la procédure nécessitant seulement « des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».

Il convient certainement de mieux informer les femmes de cette possibilité qui leur est offerte, mais il n’y a pas lieu à mon sens de modifier la rédaction du texte sur ce point. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL151 de Mme Mathilde Panot.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer ce qui nous semble être une scorie du code civil. Dans la liste des personnes qualifiées de vulnérables, ayant vendu un bien de façon lésionnaire, on trouve les majeurs sous tutelle, les mineurs, les absents et « les femmes mariées ». Cette dernière mention nous semble le résidu d’une époque patriarcale et sexiste, et il serait bon d’effacer ces traces d’un monde, espérons-le, révolu. Nous proposons donc la suppression de cette mention dans le deuxième alinéa de l’article 1676 du code civil.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Si l’on peut en effet s’interroger sur la survivance de cette disposition, vous conviendrez que l’objet de ce texte n’est pas de modifier le droit civil et que votre amendement est un cavalier législatif. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour la première fois, mon avis ne sera pas conforme à celui de la rapporteure. Le Gouvernement pense en effet que supprimer la présence des femmes mariées dans la liste des personnes vulnérables visées par les dispositions du code civil relatives à la rescision de la vente pour cause de lésion est une bonne idée. C’est une mention sexiste et datée qui relève d’une conception patriarcale de la société. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL146 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Nous avons déjà eu l’occasion de dire que, selon nous, ce projet de loi ne prenait pas suffisamment en considération tout ce qui permet de lutter contre la domination masculine, donc d’enrayer les violences sexistes.

Les outils éducatifs ont évidemment un rôle central à jouer si l’on veut parvenir à ce que les garçons et les filles aient d’autres relations que des rapports de domination dans lesquels entre de la violence sexiste et sexuelle.

Nous proposons donc par cet amendement d’inscrire dans le code de l’éducation que le socle de connaissances doit « inciter à la déconstruction des stéréotypes de genre et à la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons ».

Nous avons beaucoup regretté que le précédent gouvernement renonce aux ABCD de l’égalité, et il nous semble qu’aujourd’hui le moment est venu de porter l’offensive sur le terrain éducatif pour faire en sorte que chaque fille et chaque garçon reçoive un enseignement qui lui permette de déconstruire les stéréotypes et d’apprendre ce que pourrait recouvrir l’égalité réelle de demain, dont personne ne sait exactement à quoi elle ressemblera mais qu’il leur appartient d’inventer. Il me semble que cette ambition éducative devrait recueillir un large consensus.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je partage votre objectif, mais l’une des visées fondamentales du socle commun de connaissances dont doit disposer chaque élève est de le préparer à l’exercice de la citoyenneté, qui est indissociable de l’adhésion au principe d’égalité entre les femmes et les hommes et à ses corollaires. Si nous commençons à préciser les illustrations des objectifs de ce socle, pourquoi n’y faire figurer que les éléments que vous proposez ?

Par ailleurs, le code de l’éducation impose, en son article L. 316-12-17, de dispenser aux élèves, à tous les stades de la scolarité, une « information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple ». Votre intention me semble donc largement satisfaite. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Cet amendement va dans le sens de la recommandation n° 10 de la Délégation aux droits des femmes, pour un renforcement des politiques d’éducation à la sexualité. L’éducation à l’égalité est pour le moment insuffisante et inégale selon les écoles, les collèges et les lycées. Nous devons mener une réflexion approfondie sur cette question. Si les ABCD de l’égalité ont fait débat, cette initiative constituait à mon sens une piste intéressante.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement CL147 de Mme Danièle Obono.

Elle est saisie de l’amendement CL169 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à consacrer une égalité entre les personnes victimes de violences conjugales, eu égard aux protections que l’État doit leur accorder. Si nous voulons défendre toutes les femmes contre les violences sexuelles et sexistes, il convient aussi de prendre en compte la situation des personnes titulaires d’un droit de séjour temporaire.

Aujourd’hui, le titre de séjour temporaire ou son renouvellement n’est délivré automatiquement qu’aux personnes ayant obtenu une ordonnance de protection. À l’instar de la CIMADE (Comité inter mouvements auprès des évacués), nous demandons qu’une carte de séjour temporaire soit automatiquement délivrée aux personnes ayant été victimes de violences conjugales.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il n’y a pas lieu de refaire le débat qui s’est tenu lors de l’examen du projet de loi sur l’asile et l’immigration. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL168 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement, qui concerne le regroupement familial, est en cohérence avec les positions que nous avons défendues dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration. J’imagine que nous ne serons pas entendus par la secrétaire d’État et la rapporteure, mais nous défendrons cet amendement en séance publique.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL170 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Il s’agit de permettre aux magistrats de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) à l’encontre de personnes condamnées pour des violences ou des menaces commises contre leur conjoint, en abaissant le quantum de peine de cinq à deux ans.

Eu égard à la nécessaire protection des victimes de violences conjugales, le dispositif du PSEM constitue une mesure intéressante dont les magistrats doivent pouvoir se saisir en fonction des situations d’espèces. Le PSEM est une mesure spécifique permettant de suivre les déplacements, à distance et en temps réel, à l’intérieur de zones géographiques prédéterminées. Une alarme se déclenche, transmise à un pôle centralisateur et de contrôle lorsque la personne ne respecte pas les obligations prescrites quant aux heures et lieux. Dans le cas des violences conjugales, ce dispositif permettrait de définir des zones où la personne ne pourrait se rendre.

Ce dispositif, prévu à l’article 131-36-12-1 du code pénal, est actuellement trop restreint, ce qui le rend inefficace pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Le seuil retenu de cinq ans d’emprisonnement paraît pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi ; il ne paraît pas opportun de l’abaisser à deux ans. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL10 de M. Nicolas Démoulin.

M. Nicolas Démoulin. Lutter contre les violences sexuelles et sexistes, c’est aussi lutter contre les voies modernes qu’elles peuvent emprunter. Les logiciels de géolocalisation, comme MSpy, peuvent facilement être installés sur le téléphone portable du conjoint.

Le Haut Conseil à l’égalité a communiqué des chiffres qui font froid dans le dos. En Grande-Bretagne, 85 % des femmes accueillies par l’association Women’s Aid ont subi des violences dans la vie réelle et dans la vie numérique, et parmi elles, 29 % l’ont été via des logiciels de géolocalisation ; pour 48 % d’entre elles, les violences en ligne se sont développées après la séparation. Une enquête menée aux États-Unis auprès des centres d’hébergement de femmes victimes de violences au sein du couple nous apprend que 85 % de ces centres prennent en charge des victimes de cybercontrôle et que, parmi ces dernières, 75 % expliquent que leur agresseur a utilisé un logiciel pour espionner leurs conversations téléphoniques.

J’imagine que les chiffres doivent être similaires en France. Toutes les femmes que j’ai pu rencontrer dans les centres d’hébergement m’ont expliqué que leur ex-conjoint les surveillait de façon insidieuse. Ces agissements doivent être condamnés rapidement ; nous ne devons pas prendre de retard sur les progrès technologiques !

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les traitements de données de géolocalisation sont soumis à la règlementation applicable à la protection des données à caractère personnel : respect du principe de finalité, autorisation préalable de la personne concernée et information de celle-ci.

Le respect de ces règles est soumis au contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui peut prononcer des astreintes, des mises en demeure ou encore des sanctions pécuniaires. Par ailleurs, des dispositions pénales répriment déjà le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite et le fait de ne pas respecter le droit d’opposition de la personne au traitement des données qui la concernent.

Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

M. Nicolas Démoulin. Quelles sont les sanctions prononcées par la CNIL ? Comment condamne-t-elle ces agissements ?

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les articles 226-18 et 226-18-1 du code pénal satisfont votre demande, monsieur le député.

L’amendement est retiré.

Article 4 bis (nouveau)
(art. 2-2 du code de procédure pénale)
Possibilité pour les associations de se constituer partie civile
dans les procédures d’outrage sexiste

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article autorise les associations déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits et ayant pour objet statutaire la lutte contre les violences sexuelles, le harcèlement sexuel ou les violences exercées sur un membre de la famille, à se constituer partie civile dans les procédures d’outrage sexiste.

Dernières modifications législatives intervenues :

Ces associations pouvant déjà se constituer partie civile dans des procédures relatives à certaines infractions, parmi lesquelles figurent les atteintes à la vie, la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a permis aux ayants droits d’une victime décédée à la suite d’une infraction qualifiée comme telle d’autoriser une association à exercer les droits reconnus à la partie civile.

Le présent article résulte de l’adoption d’un amendement de Mme Danièle Obono, députée du groupe de La France Insoumise, avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement. Il complète les dispositions de l’article 2-2 du code de procédure pénale pour ouvrir aux associations déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits et ayant pour objet statutaire la lutte contre les violences sexuelles, le harcèlement sexuel ou les violences exercées sur un membre de la famille la possibilité de se constituer partie civile dans des affaires d’outrage sexiste.

En l’état du droit, ces associations peuvent déjà se constituer partie civile pour les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne, les agressions et autres atteintes sexuelles, l’enlèvement et la séquestration ainsi que la violation de domicile.

Cette possibilité restera soumise, comme pour les autres infractions visées par l’article 2-2 précité, à l’accord préalable de la victime.

Le présent article s’inscrit dans la continuité de l’article 4 en facilitant l’accompagnement et la collaboration étroite des associations de défense des droits des femmes notamment dans la politique de lutte contre tous les comportements constituant du « harcèlement de rue ».

*

*     *

La Commission examine l’amendement CL132 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. L’une des clés pour faire reculer ces infractions et inverser la courbe des procédures judiciaires est de permettre aux associations de se constituer partie civile.

Une telle mesure permettra aux associations de défense des droits des femmes et des LGBTQI de travailler en étroite collaboration avec les agents de police. Ces associations seront ainsi reconnues comme actrices majeures de la lutte contre les violences.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les associations jouent un rôle de soutien, d’assistance et de défense des intérêts. Leur permettre de se constituer partie civile serait une avancée pour elles et pour les victimes. Avis favorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Même avis.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 4 bis est ainsi rédigé.

Après l’article 4 bis

La Commission est saisie de l’amendement CL61 de M. Jean-François Mbaye.

M. Nicolas Démoulin. Il s’agit de renforcer la formation initiale des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie par un module dédié aux violences faites aux femmes. Cette formation traiterait des particularités liées à l’accueil des victimes, à l’audition et aux informations utiles pour accompagner les plaignantes.

La professionnalisation de la fonction d’accueil ou, a minima, la désignation d’un référent à l’accueil garantirait un premier contact rassurant avec l’institution.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je partage votre préoccupation. Les auditions que j’ai conduites ont démontré que des modalités spécifiques d’audition existaient déjà, aussi bien dans les commissariats que dans les brigades de gendarmerie : accueil personnalisé, mobilisation d’enquêteurs spécialement formés, PV types pour guider les enquêteurs dans les questions à poser.

Désormais, l’enjeu relève davantage du déploiement de ces bonnes pratiques dans l’ensemble du territoire. Cela nécessite un peu de temps et la mobilisation des moyens financiers nécessaires.

Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL164 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Lorsqu’une femme se rend dans un commissariat afin de déposer plainte pour violence sexiste ou sexuelle, elle doit pouvoir choisir de confier à une femme ces faits intimes et difficiles à raconter. Il ne s’agit pas de rendre obligatoire le recueil de la plainte par une personne de même sexe, mais d’offrir cette possibilité aux victimes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous partageons vos préoccupations concernant les conditions de recueil de la plainte lors de la première audition. Cette mesure est déjà mise en œuvre : les services de police et de gendarmerie font en sorte que les victimes soient, dans la mesure du possible, entendues par un enquêteur spécialisé et formé à ces questions, de préférence de sexe féminin si la victime est une femme. Une directive européenne le prévoit également. Votre préoccupation, fort légitime, est donc satisfaite par le droit positif. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Effectivement, l’article D1-6 du code de procédure pénale prévoit qu’« en cas de violences sexuelles, de violences fondées sur le genre ou de violences domestiques, la victime est entendue par un enquêteur du même sexe si elle en fait la demande ». Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Pensez-vous que cette mesure est appliquée et que cette possibilité est connue des victimes lorsqu’elles viennent déposer plainte ? Il y a sans doute matière à communiquer sur cette disposition légale !

M. Philippe Latombe. Dans la plupart des commissariats et des gendarmeries, un panneau à l’accueil indique que, dans le cas de violences sexistes ou sexuelles, la victime peut être reçue par une personne de même sexe.

M. Erwan Balanant. Dans le même ordre d’idées, nous pourrions imaginer que le dépôt de plainte puisse se faire à l’hôpital ou à la clinique dans le cas d’un viol, ce qui présenterait des avantages pour la victime et pour la collecte des preuves.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL59 de M. Jean-François Mbaye.

M. Nicolas Démoulin. La confrontation est un acte d’enquête souvent primordial en matière d’infraction sexuelle, mais potentiellement traumatisant pour la victime. L’enregistrement audiovisuel de la plainte de toutes les victimes d’infractions sexuelles, même majeures, semble être une piste intéressante. Elle peut, dans un premier temps, permettre d’éviter une confrontation dont la victime ne se sent pas capable. Le temps des investigations permet à la victime de mûrir sa démarche et d’envisager ensuite la confrontation.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je partage votre préoccupation, mais je vous demande de retirer votre amendement dans la mesure où il est satisfait par l’article 706-71 du code de procédure pénale, qui rend déjà possible, dans un très grand nombre de situations, le recours à des moyens de télécommunication, notamment dans le cas de confrontations et dès lors que les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL171 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de permettre aux magistrats de prononcer une mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique mobile (ARSEM) à l’encontre de personnes prévenues pour des violences ou des menaces commises au sein du couple. Cela permettrait de renforcer la protection des victimes, ce qui est l’un des objectifs de ce texte.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’ARSEM est une mesure de contrainte susceptible d’être prononcée comme alternative à la détention provisoire ou à des mesures de contrôle judiciaire. Le quantum de peine encourue par l’auteur permettant de prononcer une telle assignation a été fixé par le législateur à 2 ans, ce qui permet d’inclure dans le dispositif les auteurs de violences ou de menaces conjugales ou familiales. Votre intention étant satisfaite, je vous invite à retirer votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL39 de Mme Mireille Robert.

M. Jean-Marc Zulesi. Légalement, le viol est un crime. Or on estime que 50 % à 80 % des viols font l’objet d’une correctionnalisation. Cet amendement vise à permettre à la victime de contester la décision de correctionnalisation devant le tribunal correctionnel.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous abordons de nouveau le sujet de la correctionnalisation, auquel nous sommes tous sensibles.

Il est important de rappeler que la correctionnalisation des crimes est strictement encadrée par la loi. En premier lieu, elle nécessite l’accord des parties, qu’il s’agisse de la partie civile ou de la personne mise en examen, ainsi que celui du juge d’instruction et du magistrat du parquet. Par ailleurs, les parties à l’instruction conservent la possibilité de s’opposer à cette pratique en interjetant appel de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel si elles estiment que c’est la qualification criminelle qui aurait dû être retenue. Ensuite, une exception protectrice des intérêts de la victime est ménagée à l’impossibilité pour le tribunal correctionnel de se déclarer incompétent ultérieurement : lorsque la victime ne s’est constituée partie civile qu’après la clôture de l’instruction ou n’était pas assistée d’un avocat lorsque le renvoi a été ordonné.

Enfin, si cette pratique conduit à juger l’auteur des faits de manière plus rapide et moins solennelle, elle n’ôte rien au caractère réparateur de l’audience pour la partie civile reconnue ainsi officiellement comme victime. En tout état de cause, les magistrats professionnels siégeant au tribunal correctionnel peuvent prononcer des peines jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, quantum de peine plus aléatoire devant une cour d’assises, compte tenu de la présence du jury populaire.

Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL144 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Clémentine Autain. La publicité, en attribuant des rôles très stéréotypés aux hommes et aux femmes, est un vecteur important du sexisme. Par ailleurs, en véhiculant l’image de corps fort maigres, elle peut entraîner des troubles comme l’anorexie mentale.

Le CSA joue un rôle de régulation dans l’audiovisuel, mais il n’existe pas d’équivalent en matière de publicité, sinon des chartes peu efficaces.

Si les publicités les plus outrancières, telle celle vantant la crème Babette – « Je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole » – font l’objet de campagnes de mobilisation et sont finalement retirées, les messages sexistes demeurent. Nous proposons qu’ils contiennent désormais une information à caractère sanitaire et social, à l’image des messages faisant la promotion de boissons sucrées.

Cela inciterait les publicitaires à faire preuve d’imagination pour nous sortir de ces stéréotypes dégradants, et certainement pas de nature à faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Si je partage l’objectif de lutter contre des stéréotypes très prégnants, je diverge sur les moyens que vous proposez pour y parvenir. Je ne pense pas que ce dispositif soit une réponse satisfaisante à cette problématique, laquelle relève plus généralement de la considération que porte notre société aux femmes et à leur représentation.

Par ailleurs, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les infractions commises par voie de presse ou tout autre moyen de publication, notamment les contenus discriminatoires ou sexistes. Le CSA contrôle les messages qui peuvent porter atteinte à la dignité de la personne humaine dans le secteur de l’audiovisuel. Toujours pour la publicité télévisuelle, l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) doit obligatoirement rendre un avis avant la diffusion et veiller à l’image et au respect de la personne. Enfin, cette autorité peut, pour tout type de publicités, s’autosaisir d’un manquement constaté dès la diffusion et intervenir directement auprès des professionnels à l’origine du message.

Cet amendement, qui n’a d’ailleurs que peu de liens avec ce texte, me semble satisfait. Il n’en reste pas moins que les efforts de sensibilisation doivent être poursuivis – la secrétaire d’État s’y emploie et a multiplié les actions dans ce domaine.

Mme Clémentine Autain. L’ARPP vit grâce aux subsides que lui versent les publicitaires. Il faudrait commencer par confier la régulation des publicités au CSA plutôt qu’à une autorité dépendant des entités qu’elle est censée contrôler !

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL155 de Mme Bérengère Couillard.

M. Nicolas Démoulin. Cet amendement vise à incorporer, dans la définition de l’exercice de la profession de sage-femme, la « sensibilisation aux violences sexuelles ». La sage-femme est chargée d’accompagner les femmes avant, pendant et après leur accouchement. Ainsi, par son rôle et sa formation, elle peut sensibiliser les parents aux violences sexuelles.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les sages-femmes figurent parmi les professionnels soumis à l’obligation de formation initiale et continue en matière de violences sexuelles. Elles constituent l’un des publics priorisés par le cinquième plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes.

Il ne me paraît pas nécessaire d’aller au-delà en leur assignant comme objectif, parmi leurs missions médicales, la sensibilisation aux violences sexuelles. Je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL157 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Dans plus de 90 % des cas de dénonciations de situations de harcèlement sexuel au travail, phénomène qui touche majoritairement des femmes, ce sont les victimes qui quittent leur emploi du fait soit d’un licenciement, soit d’une démission. Cette situation conduit à laisser perdurer l’impunité parmi des harceleurs et harceleuses, qui ne sont pas confrontés aux conséquences de leurs actes ou propos sexistes.

La jurisprudence de la Cour de cassation – je pense à un arrêt de la chambre sociale du 6 janvier 2011 – permet déjà aux employeurs de prendre des mesures vigoureuses à l’encontre de ces salariés. Ils n’usent toutefois que très peu de la faculté qui leur est offerte. Par cet amendement, nous souhaitons renforcer cette possibilité. Rappelons que les personnes victimes de harcèlement sont en situation de péril physique et psychologique et que l’article 223-6 du code pénal relatif à la non-assistance à personne en danger leur est applicable. Les employeurs se doivent de dénoncer les actes de harcèlement ou les agressions sexuelles dont ils ont connaissance.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les dispositions du code du travail me semblent suffisamment claires en la matière. Aucune personne ne peut subir de sanction ou faire l’objet de discrimination pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou encore pour avoir témoigné ou relaté de tels faits. La loi est particulièrement protectrice. Par ailleurs, l’employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel et, dès lors qu’il en a connaissance, a obligation d’y mettre un terme et de les sanctionner. L’arsenal législatif du code du travail est déjà très rigoureux. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Le fait est qu’il existe déjà un arsenal législatif pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes et cela n’a pas empêché le Gouvernement de déposer un projet de loi pour le renforcer. Le problème, vous ne pourrez pas le nier, c’est que les dispositions ne sont pas suffisamment appliquées pour différentes raisons. Les chiffres montrent que les personnes victimes de harcèlement sexuel sont exposées à la précarité car elles quittent leur emploi.

Vous ne pouvez donc pas m’opposer qu’il existe déjà des dispositions dans le code du travail. Vous-même avez parlé de trous dans la raquette et notre amendement vise précisément à les combler.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL152 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Avec les ordonnances réformant le code du travail qui ont conduit à la disparition des CHSCT, la lutte contre toutes les formes de harcèlement au travail a été nettement fragilisée. Il est donc nécessaire de rappeler dans la loi que les délégués syndicaux ont la mission de veiller à ce qu’aucune violence de ce type ne puisse prospérer au sein des entreprises.

Mme la secrétaire d’État évoquait des dispositifs susceptibles d’enrayer les reculs que nous constatons en ce domaine. La mesure que nous proposons s’insérerait parfaitement dans ce cadre.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous sommes tous déterminés à lutter contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail mais je ne crois pas que ce soit ici le lieu de recommencer le débat sur la réforme du code du travail.

L’article L. 2312-9 du code du travail tel qu’il résulte de cette réforme confie au nouveau comité social et économique une compétence claire dans ce domaine : ce dernier « peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes », tout refus de l’employeur devant être motivé.

En matière de lutte contre le harcèlement, les institutions représentatives du personnel et le médecin du travail jouent également un rôle important.

Avis défavorable.

M. Philippe Latombe. La disparition des CHSCT n’a pas entraîné de fragilisation puisque toutes les compétences dont ils étaient dotés ont été transférées aux nouvelles instances. Il n’y a eu aucune perte pour les représentants du personnel : ils peuvent comme avant s’atteler à la lutte contre toutes les formes de harcèlement et ils savent parfaitement le faire. C’est une dimension très bien intégrée au sein des entreprises.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL131 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement porte sur la disposition visant à sanctionner les agissements sexistes, dotée d’une visée pédagogique selon le Gouvernement. Son objectif est de dissuader les contrevenants de tenir des propos déplacés à l’encontre des femmes et des personnes qui sortent des standards imposés afin de leur permettre de se déplacer plus librement dans l’espace public.

On constate déjà en matière de droits des femmes que de nombreuses dispositions pénales ne sont pas appliquées. Le Groupe F, groupe d’action qui dénonce l’inapplication de la loi pénale, a d’ailleurs récolté il y a quelques semaines les témoignages de 500 femmes qui racontent les circonstances dans lesquelles leurs plaintes ont été recueillies.

Si nous plaidons pour une loi-cadre, c’est précisément parce que nous pensons que la clé pour lutter contre les violences faites aux femmes passe par le développement massif de moyens destinés à la prévention ainsi que par l’application de la loi existante.

Nous souhaitons donc que le dispositif soit évalué pour s’assurer de son efficacité et le modifier éventuellement à l’aune des résultats obtenus.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vous connaissez mon engouement pour les demandes de rapport… Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL149 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Nous tenons à rappeler notre attachement à ce que les crimes sexuels continuent d’être jugés devant des cours d’assises et par des jurys populaires.

Au regard du faible nombre de condamnations prononcées par rapport à la totalité des viols commis chaque année en France, il est important de continuer à rendre visibles ces violences perpétrées majoritairement à l’encontre des femmes. Les jugements aux assises participent de cette symbolique selon laquelle la société condamne avec fermeté ces violences. Il est donc fondamental que ces procès d’assises puissent continuer à se tenir malgré la volonté du Gouvernement de réduire les coûts du fonctionnement de la justice, notamment en professionnalisant ce type de procédure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous sommes comme vous attachés aux jurys populaires qui ne sont pas appelés à disparaître. Rien dans ce projet de loi ne remet en cause cette exigence, bien au contraire. Le I de l’article 2 est destiné à renforcer la caractérisation de l’absence de consentement de la victime de viol.

Si vous faites référence à l’article 42 du projet de loi de programmation pour la justice, qui prévoit l’expérimentation de tribunaux criminels pour connaître de certains crimes, je vous propose que nous ayons ce débat lorsque notre assemblée examinera ce texte.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL150 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Il ne vous aura pas échappé que les textes de loi sont tous rédigés au masculin. La Constitution mentionne « le Président de la République », « le Président de l’Assemblée nationale », « le Président du Sénat », les « sénateurs » et les « députés ». Des lois ordinaires mentionnent « les présidents d’Université », les « chefs d’établissements publics »… La liste est longue.

Nous demandons qu’un rapport soit remis au Gouvernement pour étudier les moyens de sortir de cet universel masculin pour désigner les fonctions dans les lois.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Votre demande me paraît sans rapport avec l’objet de cette loi.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL160 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement ne va pas non plus vous plaire, madame la rapporteure, car il s’agit encore d’une demande de rapport, cette fois sur l’accueil des femmes dans les structures d’hébergement non mixtes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Sans surprise, mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Sur l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette successivement les amendements CL162 de Mme Danièle Obono, CL165 de Mme Bénédicte Taurine, CL166 de Mme Clémentine Autain et CL167 de M. Ugo Bernalicis.

Elle examine l’amendement CL172 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Il s’agit encore d’un amendement qui demande un rapport car ces documents peuvent être autant de bases pour la loi-cadre que nous appelons de nos vœux.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. 250 amendements ont été déposés sur ce projet de loi et je pense qu’il n’y a pas eu 250 demandes de rapport, preuve qu’un amendement peut avoir un autre objet.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Préférant la qualité des rapports à la quantité, j’émets encore un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendemnet CL173 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à demander un rapport sur le maillage territorial des associations et structures dédiées aux victimes de violences sexuelles et sexistes. Nous estimons qu’il serait bon d’évaluer la qualité de l’accès à ces structures.

Sur la quarantaine d’amendements que nous avons déposés, un seul a été adopté. Nous continuerons à défendre ce type d’amendements car nous considérons que cela permet de faire avancer le travail. Nous espérons vous convaincre de leur bien-fondé, si ce n’est en commission du moins en séance.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est une demande légitime. Les financements nationaux vont aux structures parisiennes plutôt qu’aux associations implantées en banlieue, dans les zones rurales ou les territoires d’outre-mer. Disposer d’une analyse fine du maillage territorial des associations est très précieux, mais de telles études sont menées chaque année par les services ministériels dédiés aux droits des femmes et nous pourrons vous les transmettre d’ici à la séance. Je me tiens à votre disposition pour échanger avec vous. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL259 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement vise à porter une attention particulière aux violences en ligne et à améliorer les connaissances sur ce sujet en demandant au Gouvernement d’établir un rapport dédié aux cyber-violences en général.

Il s’agit d’un phénomène intergénérationnel qui s’insère dans de multiples environnements. Le cyber-harcèlement peut être la poursuite sur internet d’un harcèlement qui a pris son essor dans la vie réelle. Tel est le cas, par exemple, du harcèlement dans l’univers professionnel ou en milieu scolaire où la victime est d’abord harcelée sur son lieu de travail ou son lieu d’études puis à son domicile via les réseaux sociaux.

Le harcèlement numérique peut s’avérer tout aussi nocif que le harcèlement dans la vie réelle. C’est un phénomène qui ne cesse jamais et qui place la victime dans une détresse extrême.

Il est urgent de dresser un bilan des violences en ligne en analysant le cyber-harcèlement, qu’il soit sexiste ou qu’il prenne d’autres formes.

Le rapport gouvernemental pourrait poursuivre cinq objectifs principaux.

Premièrement, il s’agirait d’identifier l’ampleur et les caractéristiques du phénomène, en complétant l’enquête Violences et rapports de genre (Virage) et en prenant soin de traiter tous les types de harcèlement en ligne.

Deuxièmement, ledit rapport envisagerait les différentes réponses juridiques susceptibles d’être apportées à ce phénomène.

Troisièmement, le Gouvernement pourrait formuler des préconisations concernant des mesures de sensibilisation destinées à lutter contre ce type de violences.

Quatrièmement, ce rapport viserait à identifier les possibilités de créer un instrument numérique adapté au problème des cyber-violences. Il étudierait l’opportunité de créer une plateforme en ligne de signalement de toutes les violences subies en ligne. Si la plateforme PHAROS (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements) permet actuellement le signalement de certains actes, elle a ses limites. Il n’est pas possible par exemple de rapporter les violences subies en milieu scolaire.

Cinquièmement, ce rapport proposerait des mesures d’accompagnement des victimes sur les plans juridiques et sociaux.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Malgré votre argumentation détaillée, je suis défavorable à cette ultime demande de rapport.

M. Philippe Latombe. Un tel rapport ne pourrait être élaboré dans le cadre d’une mission parlementaire. Le champ couvert par les cyber-violences est tellement large que nous avons besoin de l’appui du Gouvernement, de sa capacité à collecter des données issues de divers ministères. C’est un phénomène dont l’importance est croissante et cela serait aussi une façon de préparer les suites à donner au projet de loi que nous examinons.

M. Erwan Balanant. Ces technologies ont de plus en plus de poids dans nos vies personnelles et dans la société. Un rapport permettrait de se saisir des enjeux liés aux cyber-harcèlement dont l’importance va croissant.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE IV
dispositions relatives À l’outre-mer

Article 5
(art. 804 et 711-1 du code pénal)
Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française
et dans les îles Wallis et Futuna

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article prévoit l’application des nouvelles dispositions introduites par le projet de loi au sein du code pénal et du code de procédure pénale dans trois collectivités d’outre-mer pour lesquelles une telle précision est nécessaire : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna.

Conformément au principe dit de spécialité législative, en vertu duquel les lois et règlements ne sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna que sur mention expresse ([82]), le présent article étend à ces territoires :

––  les modifications apportées par le projet de loi au code de procédure pénale, à savoir l’allongement du délai de prescription de l’action publique des crimes commis sur mineurs prévu par l’article 1er et l’obligation pour le président de la cour d’assises de poser la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle posée par le III de l’article 20 (I) ;

––  les modifications du projet de loi au code pénal, c’est-à-dire la définition de la contrainte ou de la surprise dans le cas d’une agression sexuelle sur mineur de 15 ans et l’aggravation des peines encourues en cas d’atteinte sexuelle avec acte de pénétration prévues aux I et II de l’article 2, l’élargissement du harcèlement aux agissements concertés non répétés opéré par l’article 3 et la création de l’infraction d’outrage sexiste par l’article 4 (II).

*

*     *

La Commission adopte l’article 5, sans modification.

Titre

La Commission examine l’amendement CL102 de Mme Laetitia Avia.

Mme Lætitia Avia. Le projet de loi vise à renforcer les sanctions dans le cadre d’une lutte plus vaste contre les violences sexuelles et sexistes. Il me semble important de préciser qu’il porte uniquement sur les éléments de répression, en l’intitulant « projet de loi renforçant la répression des violences sexuelles et sexistes ».

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’objet de ce projet de loi n’est pas seulement de renforcer la répression des violences sexuelles et sexistes mais bien de lutter contre elles. Je vous invite donc à retirer votre amendement

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi (n° 778) renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 


  1  

   fiche n° 1 : principales infractions sexuelles sur mineurs et peines encourues par leurs auteurs

Article du code pénal

Qualification pénale

Peines encourues

Agressions sexuelles

222-23

Viol

15 ans de réclusion criminelle

222-24

Viol aggravé

(ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, sur un mineur de moins de 15 ans, sur une personne vulnérable, commis par un ascendant, toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, le conjoint, le concubin ou le partenaire de la victime, ou une personne agissant en état d’ivresse ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, avec usage ou menace d’une arme, lorsque la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques, commis en concours avec un ou plusieurs autres viols commis sur d’autres victimes ou, dans l’exercice de cette activité, sur une personne qui se livre à la prostitution)

20 ans de réclusion criminelle

222-25

Viol ayant entraîné la mort de la victime

30 ans de réclusion criminelle

222-26

Viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie

Perpétuité

222-27

Agressions sexuelles autres que le viol

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

222-28

Agressions sexuelles aggravées autres que le viol
(ayant entraîné une blessure ou une lésion, commises par un ascendant, toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, le conjoint, le concubin ou le partenaire de la victime, ou par une personne agissant en état d’ivresse ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, avec usage ou menace d’une arme, lorsque la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques ou, dans l’exercice de cette activité, sur une personne qui se livre à la prostitution)

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

222-29

Agressions sexuelles autres que le viol sur une personne vulnérable

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

222-29-1

Agressions sexuelles autres que le viol imposées
à un mineur de moins de 15 ans

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

222-30

Agressions sexuelles aggravées autres que le viol
sur une personne vulnérable
(ayant entraîné une blessure ou une lésion, commises par un ascendant, toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, ou une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, avec usage ou menace d’une arme)

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

222-33

(2° du III)

Harcèlement sexuel sur un mineur de moins de 15 ans

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

Proxénétisme

225-7

(alinéas 1 et 2)

Proxénétisme à l’égard d’un mineur

10 ans d’emprisonnement et 1 500 000 euros d’amende

225-7-1

Proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans

15 ans de réclusion criminelle et 3 000 000 euros d’amende

Recours à la prostitution

225-12-1 (second alinéa)

Recours à la prostitution de mineurs

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

225-12-2

(alinéas 1 à 5)

Recours à la prostitution de mineurs aggravé

(commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes, lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques, commise par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou lorsque l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences)

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

225-12-2

(dernier alinéa)

Recours à la prostitution de mineurs de moins de 15 ans

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

Mise en péril de mineurs

227-22

Corruption de mineur

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-22

(alinéa 1)

Corruption de mineur aggravée
(lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques ou que les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux)

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

227-22 (dernier alinéa)

Corruption à l’encontre d’un mineur de moins de 15 ans
ou en bande organisée

10 ans d’emprisonnement et 1 000 000 euros d’amende

227-22-1

Corruption par voie électronique d’un mineur de moins de 15 ans
en lui faisant des propositions sexuelles

2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

227-22-1

Corruption par voie électronique d’un mineur de moins de 15 ans lorsque les propositions ont été suivies d’une rencontre

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-23

(alinéas 1 et 2)

Diffusion, fixation, enregistrement ou transmission d’une image pornographique d’un mineur

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-23

(alinéa 3)

Diffusion, fixation, enregistrement ou transmission d’une image pornographique d’un mineur grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

227-23

(alinéa 4)

Consultation habituelle (ou occasionnelle si paiement) de sites internet comportant des images pédopornographiques, acquisition ou détention de telles images

2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende

227-23

Infractions prévues aux alinéas 1 à 4 commises en bande organisée

10 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

227-24

Exposition d’un mineur à des messages violents ou pornographiques

3 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-24-1

Provocation à une mutilation sexuelle d’un mineur (non suivie d’effet)

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-25

Atteinte sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

227-26

Atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans aggravée
(commise par un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ou par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, ou lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communications électroniques)

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

227-27

Atteinte sexuelle sur mineur de 15 à 18 an par un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

227-28-3

Incitation à commettre les délits d’agression sexuelle, de proxénétisme, de corruption de mineur, de diffusion, de fixation, d’enregistrement ou de transmission d’une image pornographique d’un mineur, de détention d’une telle image, de consultation de sites internet comportant une telle image et d’atteintes sexuelles

3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

227-28-3

Incitation à commettre un viol à l’encontre d’un mineur ou au proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans

7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

 


  1  

   fiche n° 2 : affaires de viol et d’agression sexuelle autre que le viol orientÉes par les parquets et structure de la rÉponse pÉnale (2012-2016)

VIOL SUR MAJEUR

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

6 221

6 324

6 496

6 356

7 202

Affaires non poursuivables

4 240

4 391

4 559

4 497

5 187

dont infraction insuffisamment caractérisée

2 987

3 138

3 267

3 267

3 729

dont défaut d'élucidation

538

527

516

464

560

Affaires poursuivables

1 981

1 933

1 937

1 859

2 015

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

6,2%

7,2%

6,9%

6,2%

9,0%

Classement sans suite inopportunité

345

317

344

301

398

Réponse pénale

1 636

1 616

1 593

1 558

1 617

Taux de réponse pénale

82,6%

83,6%

82,2%

83,8%

80,2%

Procédures alternatives

114

101

105

115

123

Taux de procédures alternatives

7,0%

6,3%

6,6%

7,4%

7,6%

dont composition pénale

6

10

7

5

7

Poursuites

1 522

1 515

1 488

1 443

1 494

Taux de poursuites

93,0%

93,8%

93,4%

92,6%

92,4%

VIOL SUR MINEUR

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

5 942

6 296

6 260

6 178

6 472

Affaires non poursuivables

3 708

4 096

4 066

4 104

4 376

dont infraction insuffisamment caractérisée

2 361

2 702

2 712

2 699

2 884

dont défaut d'élucidation

318

346

349

315

322

Affaires poursuivables

2 234

2 200

2 194

2 074

2 096

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

36,9%

35,3%

34,8%

35,6%

34,8%

Classement sans suite inopportunité

189

187

235

211

293

Réponse pénale

2 045

2 013

1 959

1 863

1 803

Taux de réponse pénale

91,5%

91,5%

89,3%

89,8%

86,0%

Procédures alternatives

140

146

140

119

132

Taux de procédures alternatives

6,8%

7,3%

7,1%

6,4%

7,3%

dont composition pénale

4

2

1

 

5

Poursuites

1 905

1 867

1 819

1 744

1 671

Taux de poursuites

93,2%

92,7%

92,9%

93,6%

92,7%

AGRESSION SUR MAJEUR

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

7 023

6 671

7 096

7 249

8 541

Affaires non poursuivables

4 496

4 348

4 704

4 736

5 709

dont infraction insuffisamment caractérisée

2 185

2 290

2 464

2 478

2 966

dont défaut d'élucidation

1 681

1 439

1 563

1 567

1 961

Affaires poursuivables

2 527

2 323

2 392

2 513

2 832

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

8,9%

9,2%

9,1%

15,8%

18,0%

Classement sans suite inopportunité

419

353

394

353

476

Réponse pénale

2 108

1 970

1 998

2 160

2 356

Taux de réponse pénale

83,4%

84,8%

83,5%

86,0%

83,2%

Procédures alternatives

471

446

467

525

639

Taux de procédures alternatives

22,3%

22,6%

23,4%

24,3%

27,1%

dont composition pénale

20

23

33

31

48

Poursuites

1 637

1 524

1 531

1 635

1 717

Taux de poursuites

77,7%

77,4%

76,6%

75,7%

72,9%

AGRESSION SUR MINEUR

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires orientées

14 960

15 122

15 249

14 839

14 859

Affaires non poursuivables

10 269

10 512

10 611

10 376

10 401

dont infraction insuffisamment caractérisée

6 426

6 746

6 839

6 579

6 570

dont défaut d'élucidation

950

950

868

802

798

Affaires poursuivables

4 691

4 610

4 638

4 463

4 458

Part des mineurs dans les auteurs des affaires poursuivables

43,8%

42,7%

43,5%

42,2%

45,8%

Classement sans suite inopportunité

336

362

426

403

507

Réponse pénale

4 355

4 248

4 212

4 060

3 951

Taux de réponse pénale

92,8%

92,1%

90,8%

91,0%

88,6%

Procédures alternatives

975

1 013

1 061

980

1 050

Taux de procédures alternatives

22,4%

23,8%

25,2%

24,1%

26,6%

dont composition pénale

21

15

13

23

16

Poursuites

3 380

3 235

3 151

3 080

2 901

Taux de poursuites

77,6%

76,2%

74,8%

75,9%

73,4%

Source : Ministère de la justice/SG-SDSE – SID-Cassiopée – Traitement DACG-PEPP.

 

 

 


  1  

fiche n° 3 : procès-verbal type utilisÉ par
la gendarmerie nationale pour l’audition
d’une victime de violences sexuelles

 


  1  

   CONTRIBUTION DE M. philippe dunoyer,
co-rapporteur sur la mise en application de la loi

La lutte contre les violences sexuelles et sexistes constitue un enjeu majeur pour notre société. L’initiative d’un projet de loi visant à mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes, qui s’inscrit dans un contexte de libération de la parole des femmes, est donc à saluer. Ce projet de loi doit avoir pour ambition de renforcer les dispositifs existants pour prévenir les violences à l’encontre des femmes, de mieux protéger et accompagner les victimes et de mettre fin à l’impunité, trop fréquente, des auteurs de ces violences.

Un travail important de diagnostic et de propositions a été mené ces derniers mois, notamment par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je tiens à cet effet à saluer le travail des députées Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, auteures d’un rapport d’information sur le viol, qui ont formulé de nombreuses propositions afin de mieux prendre en charge les victimes et de mieux condamner les crimes sexuels.

1. Améliorer la protection des victimes mineures

Ce projet de loi est consacré pour une large part à la répression des violences sexuelles à l’égard des mineurs. Ces dispositions sont nécessaires puisque les statistiques démontrent que les mineurs demeurent la classe d’âge la plus exposée à ces violences et qu’en dépit d’une législation abondante et régulièrement complétée (qualifications pénales et règles procédurales spécifiques aux mineurs), la protection des mineurs présente encore des défaillances.

En effet, selon les chiffres publiés par la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ([83]), pour la seule France métropolitaine, la moitié des femmes et les trois quarts des hommes qui déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol au cours de leur vie l’ont été lorsqu’ils étaient mineurs. La protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles demeure donc une composante essentielle de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Par son article 1er, ce projet de loi permet à l’allongement des délais de prescription, réforme longtemps défendue par un certain nombre de parlementaires sous la précédente législature, notamment à travers la proposition de loi des sénatrices Muguette Dini et Chantal Jouanno, de voir enfin le jour.

Les délais de prescription privent encore trop de victimes de la possibilité d’obtenir justice, en particulier lorsqu’elles ont été frappées d’une amnésie traumatique, qui les empêche d’avoir conscience des faits subis et qui ne se dissipe parfois que plusieurs décennies après l’agression.

En outre, la nécessité d’allonger les délais de prescription s’est renforcée depuis l’adoption de la réforme de la prescription pénale, initiée par la loi du 27 février 2017 ([84]). En doublant les délais de prescription des crimes et délits, cette loi a supprimé le caractère dérogatoire des délais de prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs par rapport aux crimes de droit commun. Il s’agit donc d’une mesure nécessaire, qui tient compte du caractère particulièrement traumatisant des crimes commis sur les mineurs.

Pour autant, nous pourrions, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, étudier la possibilité d’ajouter à cet allongement du délai de prescription le report du point de départ de ce délai « au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique », afin de prendre en compte la souffrance de la victime et de lui donner le temps nécessaire à la dénonciation des faits. On comprendrait difficilement que ce report, qui s’applique notamment aux infractions occultes, ne puisse bénéficier aux victimes qui ont souffert d’amnésie traumatique.

En outre, l’allongement du délai de prescription devra s’accompagner d’une politique active incitant à dénoncer les faits le plus tôt possible.

Les difficultés tenant à l’établissement de l’absence de consentement d’un mineur ayant fait l’objet d’une atteinte sexuelle par un majeur sont connues et anciennes. Ces difficultés perdurent comme l’ont rappelé plusieurs affaires récentes. Pour pallier ces difficultés, le projet de loi prévoit plusieurs dispositions destinées à mieux réprimer les abus sexuels sur les mineurs.

Prévoir une répression spécifique tenant compte à la fois de la particulière vulnérabilité des enfants dans l’appréciation des violences sexuelles et des difficultés à établir l’absence de consentement d’un mineur ayant fait l’objet d’une atteinte sexuelle par un majeur semble pleinement justifié. En renonçant à modifier les éléments constitutifs de l’infraction pour le délit d’agression sexuelle ou le crime de viol et en suivant ainsi l’avis du Conseil d’État du 15 mars 2018 sur le projet de loi, la rédaction finalement retenue par le Gouvernement permet de surmonter les obstacles constitutionnels, tout en répondant à l’objectif de renforcer la pénalisation des agressions sexuelles et viols commis par un majeur à l’encontre de mineurs de quinze ans.

2. Au-delà des mesures symboliques, mieux lutter concrètement contre le harcèlement

Le harcèlement en ligne est un phénomène grandissant que nous ne pouvons pas occulter. Le projet de loi complète utilement notre arsenal législatif qui ne prévoit pas le cas des « raids ». D’autres phénomènes inquiétants font leur apparition, comme le mouvement « Incels », récemment révélé par l’attaque à Toronto du 23 avril dernier, qui se matérialise sur la toile par une promotion du harcèlement envers les femmes, une glorification du viol et une générale incitation à la violence envers les femmes. Ces comportements inacceptables doivent être combattus avec force.

Le projet de loi entend également mieux lutter contre le harcèlement de rue : selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (avis du 16 avril 2015), 100 % des utilisatrices des transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles et, selon les conclusions de l’enquête Virage 2015 menée par l’Institut national des études démographiques, 25 % des femmes déclarent avoir subi au moins un fait de violence dans l’espace public en 2014.

L’article 4 de ce projet de loi propose une mesure symboliquement forte, qui peut, selon les termes de l’étude d’impact de ce projet de loi, « poser un interdit social clair » et « renforcer le discours civique et éducatif ».

En revanche, au-delà de la portée symbolique, l’application concrète de cette disposition peut soulever certaines interrogations. Une infraction doit être définie de façon suffisamment précise. Nous avons tous en mémoire la censure par le Conseil constitutionnel de la définition du harcèlement sexuel dans le code pénal, en 2012, qui avait laissé les victimes devant un vide juridique pendant plusieurs mois. Nous devrons avoir la garantie que des moyens seront suffisamment déployés pour permettre l’application effective de cette nouvelle contravention.

3. Mieux prendre en compte la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans les outre-mer

Ainsi que le révèle le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), intitulé « Combattre les violences faites aux femmes dans les outre-mer » (mars 2017), les violences faites aux femmes sont plus nombreuses dans les outre-mer et en particulier dans les collectivités du Pacifique. Selon ce même rapport, le taux déclaré de certaines violences faites aux femmes en Nouvelle-Calédonie est sept fois plus élevé qu’en métropole.

Pour autant, nous ne disposons pas de chiffres récents concernant les violences sexuelles et sexistes dans les outre-mer. Le rapport du CESE souligne que « les données statistiques disponibles actuellement ne permettent pas de brosser un tableau complet des violences faites aux femmes dans chacun des territoires ultramarins. Ce manque de connaissances est un frein à la mise en œuvre optimale et à l’ajustement des politiques publiques contribuant à lutter contre ce phénomène ».

Il est indispensable d’améliorer la connaissance statistique des violences faites aux femmes dans les outre-mer, notamment en déployant dans chacun de ces territoires l’enquête nationale Violences et rapports de genre (VIRAGE).

Pour lutter contre les freins à une amélioration de la lutte contre les violences sexuelles, nous devons conforter la formation des professionnels dans les outre-mer, promouvoir la prévention et la sensibilisation, consolider les parcours de sortie des violences.

À titre d’exemple, il conviendrait de déployer dans les outre-mer le dispositif du Téléphone Grave Danger (TGD) qui permet à la victime de joindre, en cas de danger, une plateforme d’assistance. D’une manière générale, sur l’ensemble du territoire français, ce dispositif, attribué aux victimes par le procureur de la République, est peu utilisé et mériterait d’être développé.

Dans son avis, le CESE a également préconisé qu’en Nouvelle-Calédonie, où coexistent le droit commun et le droit coutumier, le droit commun s’applique au civil dans tous les cas de violences faites aux femmes, afin que les victimes obtiennent rapidement protection. Cela nécessiterait une modification de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Le CESE a également recommandé d’accroître les solutions d’hébergement dans les outre-mer. Les femmes victimes de violences doivent pouvoir accéder rapidement à un lieu sécurisé compte tenu du danger qu’elles encourent en restant à proximité de l’agresseur notamment au regard du contexte insulaire.

Ce projet de loi doit prendre en compte cette prégnance des violences faites aux femmes dans les outre-mer et veiller à l’application sur l’ensemble du territoire des mesures visant à lutter contre ces violences.

Conclusion

Ce projet de loi comporte des mesures qui, si elles sont peu nombreuses, n’en sont pas moins fortes et hautement symboliques en ce qu’elles désignent clairement le coupable comme seul responsable et amorcent ainsi une véritable évolution des mentalités.

On constate néanmoins que ce projet de loi aborde essentiellement la question de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes sous un angle répressif. Nous devons également amplifier les actions de prévention, notamment à travers l’éducation, favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes et ainsi mettre en place, selon les termes utilisés par le groupe de travail du Sénat sur les infractions commises à l’encontre des mineurs (février 2018), « une politique ambitieuse de sensibilisation de toute la société ».

 


—  1  —

   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

ASSOCIATIONS DE VICTIMES

   Mme Emmanuelle Piet, présidente

   Mme Danaé Léger, bénévole

   Mme Clémentine Labatut, avocate et membre de la commission justice

   Mme Françoise Brié, directrice générale

   Mme Marine Stoll, secrétaire nationale

   Mme Julie Peigné, référente de l’antenne de Paris

   Mme Stéphanie Archat

   Mme Charline Ouarraki, co-fondatrice et présidente

   Mme Armelle Le Bigot-Macaux, présidente

   Mme Inès Révolat, chargée de mission plaidoyer

   Mme Claire Endberg-Bouteille, responsable du pôle juridique de l’association Agir contre la prostitution des enfants (APCE)

   Mme Lubna Poulet, chargée de mission juridique de l’APCE

   Mme Nadia Debbache, avocate

   M. Patrick Loiseleur

   Mme Isabelle Aubry

   Mme Laura Morin, directrice

   M. Yves Crespin, avocat

   Mme Martine Brousse, présidente

MAGISTRATURE

   M. Jean-Claude Marin, procureur général

   M. Sylvain Barbier Sainte Marie, avocat général référendaire

   M. Philippe Castel, conseiller doyen à la chambre criminelle

   M. Jacky Coulon, secrétaire national

   Mme Marie-Jane Ody, vice-présidente

   Mme Katia Dubreuil, présidente

   Mme Claire Danko, membre du bureau national

   Mme Michelle Jouhaud, membre du conseil national

   Mme Jeanne-Marie Vermeulin, vice-présidente, procureure générale près la cour d’appel d’Amiens

   Mme Véronique Malbec, vice-présidente, procureure générale près la cour d’appel de Versailles

   M. Marc-Emmanuel Gounot, secrétaire général

   Mme Ingrid Derveaux, vice-présidente

 

POLICE ET GENDARMERIE

   Général de division Jean-Philippe Lecouffe, sous-directeur de la police judiciaire

   M. Christian Sainte, directeur

   M. Vianney Dyevre, chef

 

AVOCATS

   M. Jérôme Karsenti, membre des commissions « Libertés et droits de l’Homme » et « Égalité »

   Mme Sophie Ferry-Bouillon, membre du Conseil de l’Ordre

   Mme Élisa Abhervé-Gueguen, chargée de mission relations institutionnelles

   Mme Béatrice Bruguès-Reix, membre du Conseil de l’Ordre

   Mme Patricia Lyonnaz, membre du bureau

 

PERSONNALITÉS QUALIFIÉES

   Mme Carole Azuar, neurologue à la Pitié-Salpêtrière

   M. Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie, vice-président du Conseil national professionnel de médecine légale et d’expertise légale

   Mme Audrey Darsonville, professeure agrégée de droit privé et de sciences criminelles à l’Université Lille 2

   Mme Sylvie Grunvald, maître de conférence à l’Université de Nantes, membre du laboratoire de recherche Droit et changement social

   Mme Julie Klein, professeure agrégée de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Rouen,

   Mme Véronique Tellier-Cayrol, maître de conférence à l’Université de Tours

 

ADMINISTRATIONS ET ORGANISMES DIVERS

   M. Rémy Heitz, directeur

   M. Francis Le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale

   Mme Monia Taleb, rédactrice au bureau de la législation pénale générale

   Mme Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale

   Mme Danièle Bousquet, présidente

   Mme Claire Guiraud, secrétaire générale

 

 


([1]) Homère, L’Iliade, IV, 43.

([2]) Avis n° 2015-04-16-VIO-16 du 16 avril 2015 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun ;

Avis n° 2016-09-30-VIO-022 du 5 octobre 2016 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles ;

Rapport n° 2017‑11‑16-VIO-030 du 16 novembre 2017 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes.

([3]) Rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, avril 2017.

([4]) Mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

([5]) S. Auconie, L. Avia, E. Balanant, E. Fajgeles et M. Karamanli, Rapport du groupe de travail « Verbalisation du harcèlement de rue », février 2018 ;

Rapport d’information (n° 721, XVe législature) fait par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes sur le viol, février 2018.

([6]) INSEE, Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2017, décembre 2017 (enquête réalisée en partenariat avec l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure).

([7]) Institut national d’études démographiques, Enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes (dite Virage), janvier 2017.

([8]) Opinion Way, « Les enjeux des espaces publics sur l’égalité femmes-hommes », enquête réalisée pour TEDx ChampsÉlyséesWomen, octobre 2017.

([9]) Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale, Note d’information n° 30, « Les actes de violence contre les filles sont plus fréquents dans les lycées professionnels comportant le plus de garçons », novembre 2016.

([10]) Jusqu’en 2017, la prescription de l’action publique ne faisait pas l’objet d’un motif de classement sans suite autonome mais était intégrée avec d’autres motifs juridiques d’extinction de l’action publique (décès de l’auteur, abrogation de la loi pénale, chose jugée), ce qui ne permet pas de disposer de statistiques sur le nombre d’affaires classées sans suite en raison de la prescription.

([11]) Comme le prévoient, notamment, le préambule de la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959 ou la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, dite Convention de Lanzarote, du 25 octobre 2007.

([12]) Avis n° 2015-04-16-VIO-16 du 16 avril 2015 précité, p. 17.

([13]) Avis n° 2016-09-30-VIO-022 du 5 octobre 2016 précité, p. 7.

([14]) Contribution écrite de M. Gérard Lopez, psychiatre, président de l’Institut de victimologie.

([15]) Articles 222-22 à 222-31 du code pénal.

([16]) Articles 227-15 à 227-28-3 du même code.

([17]) Articles 222-32 à 222-33 du même code.

([18]) Articles 225-5 à 225-12 du même code.

([19]) Articles 225-12-1 à 225-12-4 du même code

([20]) Articles 222-31-1 et 227-27-2-1 du même code.

([21]) Directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil.

([22]) Les délits concernés sont ceux mentionnés aux deuxième et avant-dernier alinéas de l’article 8 du code de procédure pénale et se prescrivent par dix ou vingt ans, contre six ans pour les délits de droits commun.

([23]) En application du premier alinéa de l’article 9-1 du code de procédure pénale.

([24]) Article 706-52 du code de procédure pénale.

([25]) Ces lieux sont dénommés « Mélanie », prénom de la première petite fille entendu avec un enregistrement vidéo.

([26]) Articles 131-36-1 à 131-36-8 du code pénal.

([27]) Article 706-47-1 du code de procédure pénale.

([28]) Articles 706-53-1 à 706-53-12 du même code.

([29]) Articles 706-53-13 à 706-53-22 du même code.

([30]) Par exemple, la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes a érigé en circonstance aggravante le fait que les violences soient commises par le conjoint ou le concubin ; la loi  2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a consacré le viol entre époux et étendu la circonstance aggravante aux anciens conjoints et concubins.

([31]) Qui correspond à la période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies.

([32]) Amende de 750 euros ; en cas de forfaitisation, amende de 135 euros, minorée à 90 euros ou majorée à 375 euros selon la date de paiement.

([33]) Amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive.

([34]) Rapport (n° 2778, XIVe législature) présenté par MM. Alain Tourret et Georges Fenech en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la prescription en matière pénale, mai 2015, pp. 79-80.

([35]) Rapport (n° 2778, XIVe législature) précité, p. 471.

([36]) Rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, avril 2017, p. 11.

([37]) Deuxième alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale.

([38]) Un grand nombre d’autres infractions existent mais sont moins fréquemment utilisées par les juridictions compte tenu du caractère général des qualifications d’agressions sexuelles, d’atteintes sexuelles et de corruption de mineur et du chevauchement important de certaines incriminations spécifiques (violences habituelles sur mineur, recours à la prostitution de mineurs, diffusion ou détention d’images pornographiques de mineur, consultation habituelle d’images pédopornographiques, provocation à une mutilation sexuelle d’un mineur…).

([39]) CEDH, 4 décembre 2003, M.C. c. Bulgarie, n° 39272/98, § 166.

([40]) Cass. crim., 1er mars 1995, n° 94-85.393.

([41]) Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843.

([42]) Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-81.316.

([43]) Le parquet a interjeté appel de cet arrêt.

([44]) Aux termes duquel « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».

([45]) Qui stipule que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

([46]) Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs : l’intéressé peut prouver la force majeure ou apporter tous éléments justificatifs permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur de l’infraction (cons. 5 et 6).

([47]) Décision n° 2017-659 QPC du 6 octobre 2017, Époux N. [Imposition des revenus réalisés par l’intermédiaire de structures établies hors de France et soumises à un régime fiscal privilégié] : cette présomption n’est pas irréfragable et le contribuable doit conserver la possibilité de prouver que la participation qu’il détient dans l’entité établie ou constituée hors de France n’a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d’évasion fiscales, la localisation de revenus à l’étranger (§ 7).

([48]) Décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J. [Responsabilité du « producteur » d’un site en ligne] : le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution la disposition permettant la mise en cause de la responsabilité pénale du créateur ou de l’animateur d’un site internet agissant en qualité de producteur et le prononcé, à son égard, de peines privatives ou restrictives de droit, à raison du contenu de messages à condition qu’elle n’ait pas pour conséquence d’engager sa responsabilité pénale à raison du seul contenu d’un message dont il n’avait pas connaissance avant la mise en ligne (cons. 7).

([49]) Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet : l’abonné était la seule personne susceptible de faire l’objet d’une sanction (pas seulement pécuniaire) et n’avait pas d’autre solution, pour s’exonérer de sa responsabilité, que de démontrer
– difficilement – que la contrefaçon provenait de la fraude d’un tiers (cons. 16 à 19).

([50]) Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : en permettant de punir le représentant légal à raison d’une infraction commise par le mineur, la disposition avait pour effet d’instituer, à l’encontre du représentant légal, une présomption irréfragable de culpabilité (cons. 38 et 39).

([51]) Idem.

([52]) CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France, n° 10519/83.

([53]) CEDH, 19 octobre 2004, Falk c. Pays-Bas, n° 66273/01.

([54]) Avis du Conseil d’État n° 394437 sur un projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs, 15 mars 2018.

([55]) Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 précitée : la « culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » et « la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celleci » (cons. 16).

([56]) Cela se déduit a contrario de la décision n° 2014-448 QPC du 6 janvier 2015 par laquelle le Conseil constitutionnel a considéré, à propos de la précision apportée par le législateur en 2010 à la notion de contrainte, que « dès lors qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits ».

([57]) G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF.

([58]) L’article 353 du code civil prévoit que « le mineur capable de discernement est entendu par le tribunal ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le tribunal à cet effet ».

([59]) L’article 338-1 du même code dispose que « le mineur capable de discernement est informé par le ou les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, le tuteur ou, le cas échéant, par la personne ou le service à qui il a été confié de son droit à être entendu et à être assisté d’un avocat dans toutes les procédures le concernant ».

([60]) L’article 122-8 du code pénal prévoit que « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet ».

([61]) Aux termes de l’article 122-1 du même code, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » mais « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ».

([62]) L’article 353 du code civil prévoit que « le mineur capable de discernement (…) doit être entendu selon des modalités adaptées à son âge et à son degré de maturité ».

([63]) L’article 371-1 du même code dispose que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

([64]) Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843.

([65]) Cass. crim., 22 août 2001, n° 01-84.024.

([66]) Lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, sur un mineur de quinze ans, sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur, sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ou par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.

([67]) Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes.

([68]) Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.

([69]) Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D. [Définition du délit de harcèlement sexuel].

([70]) Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 précitée.

([71]) Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes.

([72]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([73]) Lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jour ou ont été commis sur un mineur de quinze ans, sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ou par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.

([74]) Rapport n° 2017-11-16-VIO-030 du 16 novembre 2017 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes, pp. 37-38.

([75]) Avis n° 2015-04-16-VIO-16 du 16 avril 2015 précité, pp. 13-14.

([76]) S. Auconie, L. Avia, E. Balanant, E. Fajgeles et M. Karamanli, Rapport du groupe de travail « Verbalisation du harcèlement de rue », février 2018, p. 19.

([77]) « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

([78]) Amende forfaitaire de 135 euros, minorée à 90 euros ou majorée à 375 euros selon la date de paiement.

([79]) En vertu du premier alinéa de l’article 132-11 du code pénal.

([80]) Possibilité ouverte par le second alinéa de l’article 131-17 du même code.

([81]) Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

([82]) La Polynésie française et les îles Wallis et Futuna sont soumises à ce principe en vertu du troisième alinéa de l’article 74 de la Constitution et, respectivement, de l’article 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française et de l’article 4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer. Même si l’article 77 de la Constitution ne comporte pas de dispositions similaires pour la Nouvelle-Calédonie, ce territoire est soumis à ce principe en application de l’article 6-2 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

([83]) Mission présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes (rapport du 10 avril 2017).

([84]) Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.