Logo2003modif

N° 990

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2018.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information,

 

 

 

Par MBruno STUDER,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  799, 949 et 978.

 


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

 Pages

PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTéES PAR LA COMMISSION

introduction

I. Lutter contre la manipulation de linformation à lheure numérique : un enjeu démocratique majeur auquel la proposition de loi entend répondre de façon proportionnée

II. éduquer aux médias et à linformation pour permettre lacquisition dune véritable citoyenneté numérique

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. Discussion générale

II. Examen des articles

TITRE I dispositions modifiant le code électoral

Article 1er Nouveaux outils de lutte contre la diffusion de fausses informations durant la période électorale

Article 2 Application aux élections sénatoriales

Article 3 Application à l’élection en France des représentants au Parlement européen

Article 3 bis (nouveau) Application aux opérations référendaires

Après l’article 3

TITRE II dispositions modifiant la LOI DU 30 SEPTEMBRE 1986 RELATIVE À LA LIBERTÉ DE COMMUNICATION

Avant l’article 4

Article 4 Refus de conventionnement par le Conseil supérieur de laudiovisuel des services de radio et de télévision diffusés par des réseaux nutilisant pas les fréquences hertziennes

Article 5 Suspension temporaire par le Conseil supérieur de laudiovisuel de la diffusion dun service de radio et de télévision étranger conventionné pendant la période électorale

Après l’article 5

Article 5 bis (nouveau) Correction rédactionnelle

Article 6 Résiliation unilatérale de la convention conclue avec un service contrôlé par un État étranger

Article 7 Application des conditions du prononcé des sanctions prévues par larticle 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 à la sanction prévue par le nouvel article 42-6

Article 8 Extension du champ du référé en matière de communication audiovisuelle

TITRE III  DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI DU 21 JUIN 2004 POUR LA CONFIANCE DANS L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE (Division et intitulé supprimés)

Avant l’article 9

Article 9 Devoir de coopération et de transparence des fournisseurs daccès à internet et des hébergeurs

Article 9 bis (nouveau) Accords interprofessionnels dans le domaine de la lutte contre la diffusion de fausses informations

TITRE III bis dispositions relatives à l’éducation aux médias et à l’information (Division et intitulé nouveaux)

Article 9 ter (nouveau) Renforcement de l’éducation aux médias et à l’information dans le cadre de l’enseignement moral et civique

Article 9 quater (nouveau) Renforcement de l’éducation aux médias et à l’information dans le cadre de l’enseignement moral et civique

Article 9 quinquies (nouveau) Missions des écoles supérieures du professorat et de l’éducation en matière d’éducation aux médias et à l’information

Article 9 sexies (nouveau) Éducation aux médias et à l’information dispensée par les centres de formation des apprentis

Article 9 septies (nouveau) Contribution à l’éducation aux médias et à l’information des chaînes hertziennes privées

Après l’article 9

TITRE IV dispositions relatives à l’outre-mer

Article 10 Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna

Titre

annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Annexe 2 : Contributions écrites adressées au rapporteur

Annexe 3 : liste des textes susceptibles dêtre abrogés ou modifiés à loccasion de lexamen de la proposition de loi

annexe 4 : les résultats de la consultation publique


—  1  —

 

    

   PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTéES PAR LA COMMISSION

Réunie le mercredi 30 mai, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a adopté la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations, dont elle a modifié le titre pour mentionner, non plus les fausses informations, mais la manipulation de l’information. Elle a en outre apporté plusieurs modifications aux articles initiaux :

– l’article 4 a fait l’objet d’une réécriture globale afin de préciser les motifs particuliers sur lesquels le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut se fonder pour refuser une demande de conventionnement ; il est notamment précisé que les intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier des institutions, peuvent fonder une décision de refus ; par ailleurs, le présent article prévoit désormais que, dans le cas où la demande est formulée par un service de radio ou de télévision placé sous la dépendance d’un État étranger, le CSA peut tenir compte d’éléments extrinsèques pour apprécier ladite demande ;

– l’article 5 prévoit désormais que le CSA peut suspendre la diffusion d’un service sous la dépendance d’un État étranger si ledit service diffuse de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ;

– à l’article 6, la mention d’une « entreprise de déstabilisation » a été supprimée, comme aux articles suivants, la Commission ayant considéré que la notion était comprise dans celle des « intérêts fondamentaux de la Nation » ; le dernier alinéa, qui portait atteinte au principe constitutionnel de personnalité des peines, a également été supprimé ;

– l’article 8 a été modifié afin de permettre au CSA de saisir le juge d’une demande de cessation de la diffusion ou de la distribution d’une chaîne dépendante d’un État étranger, y compris lorsque celle-ci n’a pas fait l’objet d’une convention avec le régulateur ;

 l’article 9 a fait l’objet d’une réécriture globale visant à favoriser l’autorégulation des plateformes dans certains domaines tels que la lutte contre les faux comptes, la promotion des contenus issue de la presse de métier, le fonctionnement des algorithmes et l’information des utilisateurs ; il donne également de nouveaux pouvoirs au CSA vis-à-vis des opérateurs de plateformes en ligne, en lui permettant de prendre, dans ce domaine, toute recommandation qu’il juge nécessaire, et de tirer le bilan de l’application des mesures prises par les plateformes dans le domaine de la lutte contre la diffusion de fausses informations.

À l’initiative de Mme Fabienne Colboc et du groupe La République en Marche, un article additionnel a été adopté afin de prévoir la conclusion d’accords, dans ce domaine, entre les opérateurs de plateformes, les éditeurs de presse et de médias audiovisuels, les agences de presse, les journalistes et les annonceurs.

À l’initiative du rapporteur, la Commission a également adopté plusieurs amendements tendant à renforcer la place de l’éducation aux médias et à l’information dans les programmes scolaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


—  1  —

   introduction

 

 

La Commission est aujourd’hui saisie de la proposition de loi n° 799 relative à la lutte contre les fausses informations, déposée le 21 mars dernier par le groupe La République en Marche, et inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 7 juin prochain.

La diffusion de fausses informations, notamment à des fins politiques ou géostratégiques, ne saurait être analysée comme un fait nouveau. En effet, comme le souligne François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), « la désinformation est un phénomène historique. Homo sapiens savait déjà mentir, Ulysse ruser et Sun Tzu inventait des stratagèmes il y a vingt-quatre siècles » ([1]). Nombreux sont notamment les responsables politiques à avoir fait les frais de telles informations : on ne compte pas le nombre de fois où la mort de Louis XIV a été annoncée à tort pendant son règne par des gazettes étrangères ([2]), et certains estiment même que les fausses informations qui ont circulé à propos de Marie-Antoinette par le biais de « canards » à son effigie ont pu jouer un rôle indirect dans son exécution, en alimentant une « haine pathologique » à son égard ([3]).

Si la rumeur peut apparaître comme « le plus vieux média du monde » ([4]), le numérique donne une dimension nouvelle, et problématique, à ce phénomène. Le monopole de l’information est désormais dénié aux journalistes et chacun a le sentiment de pouvoir légitimement remplir cet office ; l’intermédiaire que formaient auparavant les médias entre l’information brute et les citoyens – qui assuraient donc sa vérification et son éditorialisation – est relégué au second plan, derrière les réseaux sociaux qui proposent un accès direct à l’information. Dans l’univers numérique, toutes les informations apparaissent alors sur un pied d’égalité : comme l’indique avec justesse Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, dans sa contribution aux travaux du rapporteur, « les informations traitées avec une rigueur journalistique côtoient toutes sortes dinformations privées, qui peuvent être dordre personnel ou professionnel, ou de publicités (…) Labsence déditorialisation offre ainsi une même publicité à des informations pourtant fort différentes ». Il en résulte également, comme l’indique le professeur Jayson Harsin, « que des citoyens, peut-être soutenus par des acteurs politiques plus puissants qui voient là lopportunité de les exploiter, peuvent tromper des millions de leurs concitoyens » ([5]).

La fausse information peut aujourd’hui être aisément fabriquée par n’importe quelle personne, les capacités de création de fausses informations ayant été démultipliées par les possibilités offertes par les technologies actuelles pour forger des faux de plus en plus crédibles. De fait, « le numérique implique que limage (comme le son, ou le texte…) puisse être supprimée, modifiée, retravaillée, combinée, copiée et multipliée, propagée… au bit près. Et ce à très faible coût, avec des exigences de plus en plus faibles en termes de compétences techniques (logiciels plus simples et accessibles). Par ailleurs, les ressources documentaires, banques dimages, bases dinformation en ligne, immédiatement, gratuitement… permettent de piocher dans des réserves de données qui permettent de forger des trucages vraisemblables. Le travail du faussaire est donc facilité pour ne pas dire banalisé » ([6]). À tel point que c’est désormais le phénomène des « deepfakes », une technique consistant à remplacer, grâce à l’intelligence artificielle, un visage par un autre dans une vidéo, qui inquiète, notamment si elle venait à être associée aux nouvelles capacités à synthétiser les voix humaines.

Par ailleurs, les réseaux sociaux, par leur audience mondiale et leurs modalités de fonctionnement, constituent aujourd’hui un vecteur de propagation bien plus redoutable que les « nouvellistes de bouches » qui colportaient dès le XVIIe siècle des informations douteuses à l’ombre des arbres des Tuileries ou du Luxembourg, ou que les « paragraph men » anglais qui, au XVIIIe siècle, « recueillaient les ragots dans les cafés, puis griffonnaient quelques phrases sur un bout de papier quils remettaient à des éditeurs-imprimeurs », certains dans l’unique « but que de manipuler lopinion en faveur de ou contre une personnalité publique, une pièce ou un livre » ([7]).

Le réseau social Twitter a d’ailleurs été analysé sous ce prisme, ses fonctionnalités propres répondant singulièrement aux mécanismes de la rumeur : « les 140 caractères ne sont pas suffisants pour discuter les doutes concernant une fausse information, lajout de hashtags généralise la rumeur en linsérant dans le flot des messages rapportant un événement (qui plus est, anxiogène), et la possibilité de retransmettre en un seul "clic" un message accentue la circulation de la rumeur. Les retweets, majoritaires dans notre corpus, permettent dattacher aux messages relayés les signes participant à lautorité dun profil. Les profils paraissant ainsi les plus "réputés" renforcent la crédibilité des informations quils font circuler » ([8]).

Les réseaux sociaux ont ainsi, dans ce domaine, un « avantage supplémentaire (…) la forme du réseau se prête à une attaque par linformation : tout dun coup, des milliers de gens se mettent à répéter une histoire, à partager un document, à reprendre une "révélation", accusation ou récrimination et laffaire devient "virale" » ([9]). Il est ainsi relativement aisé, à partir d’un petit nombre d’individus, de robots ou de publicités, d’organiser la diffusion d’une fausse information via ces réseaux.

Pour autant, il convient de ne pas négliger la dimension humaine du processus : la diffusion de la fausse information, comme de la rumeur, répond à une réelle demande sociale. Comme l’a indiqué l’une des personnes entendues par le rapporteur, le phénomène peut en partie s’analyser comme une « extension du domaine du café du commerce ». La diffusion individuelle de fausses informations, aussi appelée « curation spontanée », n’est pas nécessairement malveillante et peut aussi être liée à la volonté de se mettre en avant, de chercher à créer des liens avec autrui ou de partager certaines théories avec sa communauté. De fait, « la diffusion de fausses informations est au cœur des interactions humaines en ligne : la recherche de lémotion, de la surprise et de la nouveauté sont autant de facteurs humains qui peuvent faire privilégier des informations fausses sur des informations avérées » ([10]).

Par ailleurs, comme l’indiquent Valérie Igounet et Rudy Reichstadt, « une fausse information peut être diffusée par erreur ou dans une perspective satirique. Lorsquelle procède dune entreprise délibérée dintoxication du débat public et répond à un agenda idéologico-politique, il est dusage de parler de désinformation. Les "fake news" ou "fausses nouvelles" qui ont envahi internet et les réseaux sociaux au cours des dernières années sinscrivent résolument dans cette catégorie » ([11]). Ainsi, toutes les fausses informations ne sauraient faire l’objet de l’attention du législateur ou du juge : seules celles qui sont fabriquées dans le but de nuire, de troubler l’ordre public, de manipuler l’opinion ou de déstabiliser les institutions démocratiques doivent faire l’objet d’une réponse de la part des pouvoirs publics. En revanche, les fausses informations diffusées par erreur, celles qui ont un objet purement humoristique ou satirique ainsi que ce qui relève de l’expression d’une opinion ne relèvent pas, à l’évidence, de la présente proposition de loi.

L’intervention du législateur, nécessairement prudente s’agissant de la liberté d’expression, apparaît justifiée par les analyses et sondages disponibles, qui donnent à voir un univers informationnel particulièrement inquiétant. Une étude de l’institut BVA récemment dévoilée indique que trois quarts des Français interrogés estiment avoir été confrontés, sur les réseaux sociaux, à une information fausse destinée à les influencer et 18 % d’entre eux déclarent même avoir été induits en erreur par une telle information ([12]). Par ailleurs, l’entreprise de conseil et de recherche Gartner estime que d’ici 2022, le public sera plus exposé à de fausses informations qu’à de vraies informations et que d’ici 2020, l’intelligence artificielle comme outil de création et de propagation de fausses informations devancera l’intelligence artificielle mise au service de leur détection ([13]).

Or, les conséquences de ces mutations pour notre démocratie ne sont pas neutres, en particulier lorsque les fausses informations véhiculées ont trait à la sécurité et à la défense nationales, à l’environnement et à la santé, aux relations internationales, ou encore à la probité des responsables politiques. En effet, des informations volontairement inexactes, si elles sont diffusées à un moment opportun, par exemple peu de temps avant un scrutin, peuvent déstabiliser nos institutions et porter atteinte au bon fonctionnement de notre démocratie.

De fait, la qualité de l’information est indispensable à celle du débat démocratique. Comme l’indique Marcel Gauchet, « lune des conditions implicites, nulle part écrite dans les textes, mais déterminante du processus démocratique [est] sa condition cognitive, qui est la possibilité de compter sur des faits établis avant de discuter de linterprétation à leur donner et des décisions à en tirer » ([14]). Si la Cour européenne des droits de l’homme a récemment reconnu que la fourniture d’informations authentiques constituait, en période électorale, un but légitime dans une société démocratique ([15]), Mathieu de Combarel de Leyval, rapporteur de la loi du 27 juillet 1849 relative à la presse, justifiait ainsi l’infraction de diffusion de fausses nouvelles dans son rapport : « dans une société où les droits politiques appartiennent à tous, la publication de pièces fausses peut exercer une influence coupable et fausser dans son principe la souveraineté populaire qui na pas les moyens de les contrôler » ([16]).

Même s’il n’est pas établi, pour l’heure, que la diffusion de fausses informations ait pu avoir un impact sur l’issue des récents scrutins ayant eu lieu dans les pays développés, il est clair que l’exposition répétée des électeurs à des informations contrefaites nuit profondément au débat démocratique et qu’aucune démocratie n’est à l’abri de telles interférences ([17]). D’ailleurs, en ce qui concerne la dernière élection présidentielle française, analysée par l’entreprise de conseil Bakamo, il existe « une vulnérabilité préoccupante du débat public au sein des sociétés ouvertes, qui met à mal un fondement du processus démocratique. Notre travail montre que les échanges autour des élections ont été perturbés par lirruption de contrevérités promulguées par des réseaux déditeurs de médias non traditionnels, qui sappuyaient sur les médias sociaux pour diffuser leurs contenus. Ces contre-récits réduisent la possibilité dun dialogue à visée consensuelle et exposent de larges pans dutilisateurs aux tentatives russes dinfléchir la perception du public » ([18]).

Le défi est donc de taille : comment assurer la liberté d’expression, constitutionnellement et conventionnellement garantie, indispensable à toute société démocratique, tout en limitant les externalités négatives qu’elle peut présenter lorsqu’elle est aux mains de personnes ou d’organisations malintentionnées ? La présente proposition de loi vise précisément à répondre, sur cette ligne de crête, aux enjeux soulevés dans ce domaine par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

 

Une procédure particulière : la délégation d’articles

Saisie au fond, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a délégué l’examen des titres Ier et IV (articles 1er, 2, 3 et 10) à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis ([19]). Cette méthode, qui permet de tenir compte de la nature transversale d’un texte et de respecter les compétences de chacune des commissions sans recourir à une commission spéciale, a déjà été utilisée à plusieurs reprises sous la précédente législature et, encore tout récemment, sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

Ainsi, le présent rapport porte uniquement sur les articles 4 à 9 de la présente proposition de loi et renvoie, pour chacun des articles délégués, aux commentaires publiés dans le rapport pour avis n° 978 présenté par Mme Naïma Moutchou au nom de la commission des Lois, déposé le 23 mai dernier.

 

 


—  1  —

I.   Lutter contre la manipulation de linformation à lheure numérique : un enjeu démocratique majeur auquel la proposition de loi entend répondre de façon proportionnée

 Le cadre juridique actuel, essentiellement répressif, peine à appréhender les nouveaux modes de propagation des informations volontairement contrefaites. Comme l’ont indiqué de nombreuses personnes entendues par le rapporteur, le cadre juridique actuel suffit théoriquement à réprimer la diffusion de fausses informations. En effet, tant la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse – laquelle a été rendue applicable par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique aux fausses nouvelles diffusées sur internet – que le code électoral prévoient des sanctions pénales particulières à la diffusion volontaire de fausses nouvelles réalisée dans un but précis, qu’il s’agisse de troubler la paix publique ou de porter atteinte à la sincérité d’un scrutin.

En particulier, l’article 27 de la loi de 1881 prévoit que la « publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie dune amende de 45 000 euros ». Par ailleurs, l’article 97 du code électoral punit ceux « qui, à laide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à sabstenir de voter, seront punis dun emprisonnement dun an et dune amende de 15 000 euros » ([20]).

Ces sanctions, rarement mises en œuvre dans les faits, présentent des inconvénients majeurs eu égard au mode de diffusion actuel des fausses informations. En effet, ces infractions ne frappent, par définition, que l’émetteur originel d’une fausse information, les personnes participant ensuite à la diffusion d’une information ayant perdu son caractère nouveau échappant à la répression.

En outre, elles ne permettent pas d’embrasser le comportement de ceux qui, de bonne foi, diffusent des informations fausses et participent à les rendre virales. Sans qu’il soit nullement question de pénaliser ce comportement, il apparaît nécessaire de trouver d’autres leviers d’actions – telle l’éducation aux médias et à l’information, le développement de la vérification de faits ou encore l’autorégulation des plateformes – pour limiter la diffusion de fausses informations lorsqu’elles ont pour effet ou pour objet de troubler l’ordre public ou de porter atteinte au bon fonctionnement des institutions démocratiques.

 

 Plusieurs initiatives, issues de la société civile, ont émergé pour tenter de remédier au problème.

Les grands médias, publics et privés, ont naturellement développé un certain nombre d’outils pour prévenir la diffusion de fausses informations. Dans le domaine de la radio et de la télévision, le service public met actuellement en œuvre plusieurs mesures visant, d’une part, à assurer la qualité de l’information transmise au public par ses rédactions et, d’autre part, à déconstruire les fausses informations qui circulent sur d’autres supports ou médias.

Ainsi, France Télévisions s’est doté d’un outil numérique particulier, une chaîne de messagerie instantanée utilisant l’application WhatsApp, pour permettre à l’ensemble de ses rédactions – journaux télévisés de France 2 et France 3, Franceinfo TV et franceinfo.fr – de partager au plus vite les informations vérifiées par l’agence mise en place par Radio France (cf. infra) et ainsi être en mesure de démentir rapidement des informations erronées. Par exemple, l’information inexacte selon laquelle l’auteur de l’attentat de Trèbes aurait été naturalisé après avoir été inscrit au fichier des personnes recherchées a pu être démentie en une dizaine de minutes sans jamais être diffusée sur les antennes du groupe.

L’Agence France Info

France Info a créé, en 2016, une agence de vérification de l’information délivrée par les antennes de Radio France, la chaîne Franceinfo et les sites internet associés. Ainsi, toutes les informations, y compris lorsqu’elles sont issues d’agences de presse, sont systématiquement vérifiées lorsque les sources ne sont pas clairement identifiées. Cela permet aux antennes de ne pas employer le conditionnel ou de ne pas faire usage de mentions vagues telles que « personnes proches du dossier ». Une fois l’information vérifiée – l’Agence fonctionne sept jours sur sept et presque 24 heures sur 24 –, l’Agence publie une dépêche « jaune » adressée aux rédactions de Radio France, qui bénéficient toutes de ce travail autant qu’elles l’alimentent, notamment par le biais du réseau local de France Bleu.

Le service public s’est également associé à la presse écrite, pendant l’élection présidentielle française, autour du projet de journalisme collaboratif CrossCheck mis en œuvre sous l’égide du Google News Lab et de l’association First Draft. Ainsi, « du 27 février au 5 mai 2017, plus dune centaine de journalistes de 33 rédactions ([21]) ont suivi les allégations et les rumeurs, ainsi que les images et les vidéos trafiquées qui circulaient sur les réseaux sociaux. Lorsque des informations trompeuses ou manipulées étaient largement partagées, CrossCheck publiait un rectificatif sur son site. 64 articles ont ainsi été mis en ligne dans le cadre du projet. Chacun dentre eux saccompagnait dune classification du contenu (par ex. : "vrai", "faux", "preuves insuffisantes", etc.) et dune icône conçue pour décrire le type de contenu (par ex. : "trompeur", "faux", etc.). Il affichait également le logo des rédactions impliquées dans la procédure de vérification du contenu en question » ([22]). D’après une récente étude faisant le bilan de cette initiative ([23]), ce projet a eu des répercussions tant sur les journalistes impliqués, pour lesquels cette collaboration a conduit à un journalisme de meilleure qualité, que pour le public interrogé, dont le niveau de confiance dans le traitement de l’information s’est accru. Fort de cette expérience, le service public dans son ensemble travaille actuellement à la création d’une plateforme commune de décryptage de l’information, qui devrait prochainement voir le jour.

Par ailleurs, plusieurs émissions, diffusées à la radio, à la télévision ou sur internet, ont également été créées pour répondre à ce besoin nouveau : les vidéos de WTFake, disponibles uniquement sur Slash et touchant en particulier les jeunes adultes, l’intervention du journaliste Samuel Laurent des Décodeurs du Monde sur le plateau du magazine C à vous, Lœil du 20 h du journal télévisé de France 2, les épisodes Info ou Intox ou l’émission des Observateurs de France 24, L’Épreuve des faits de Radio France internationale ou encore la rubrique « Désintox » du journal 28 minutes d’Arte visent précisément à apporter au public des réponses fiables aux diverses informations notamment véhiculées via les réseaux sociaux. Il apparaît que le service public, associé aux entreprises de presse, est responsable de la majeure partie de ces initiatives. Seule la radio Europe 1 propose une émission de ce type, le Vrai-Faux de linfo.

Au-delà de la vérification de faits, dont certains estiment qu’elle s’assimile à un « processus de vérification ostentatoire destiné à créer, de fait, une sorte de label pour le travail de lensemble des rédactions concernées », sans pour autant offrir une réelle « garantie de vérification de lensemble des contenus » ([24]), le path checking, qui vise à « identifier les chemins de production et de diffusion des informations » afin de « contextualiser le succès dun contenu ou dune information en fonction de son cheminement au sein dune ou plusieurs communautés (ce qui permet didentifier la présence de bots ou dactions coordonnées dacteurs dans une intention dinstrumentalisation quelconque) » pourrait être mieux appréhendé par les rédactions, comme le souligne le groupe de réflexion Renaissance numérique ([25]). Certaines équipes de vérification de faits, telle les Décodeurs du Monde, ont d’ores et déjà adopté ce type de méthodes, par la constitution de bases de données dédiées.

L’idée d’une labellisation des sources d’information fiables est également avancée pour répondre au problème soulevé par la diffusion massive de fausses informations, notamment sur les réseaux sociaux. Reporters sans frontières a ainsi proposé, en partenariat avec l’Association française de normalisation (AFNOR) l’établissement d’un référentiel portant sur la transparence de la propriété des médias, l’indépendance éditoriale, les méthodes journalistiques et le respect des règles de déontologie, susceptible de donner lieu à l’établissement d’une certification par un organisme indépendant. Plus globalement, l’Initiative pour la fiabilité de l’information (JTI pour Journalism trust initiative) dans laquelle s’inscrit cette certification vise à favoriser le respect des processus de production journalistique et à donner des avantages concrets à ceux qui les mettent en œuvre, par exemple en matière d’indexation des contenus par les plateformes ou d’octroi d’aides à la presse.

Les syndicats représentant les éditeurs de presse proposent, quant à eux, de s’appuyer sur la définition des services de presse en ligne issue de la loi n° 86‑897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse pour permettre l’identification, par les plateformes, des contenus répondant à un traitement journalistique réel. Ainsi, tout « service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public dun contenu original, dintérêt général, renouvelé régulièrement, composé dinformations présentant un lien avec lactualité et ayant fait lobjet dun traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire dune activité industrielle ou commerciale » bénéficierait du label « Presse de métier » que les plateformes seraient contraintes de faire apparaître clairement.

Si certains sont opposés à l’idée d’une labellisation, estimant que l’effet pourrait en être contreproductif sur les personnes d’ores et déjà enclines à douter des informations diffusées par les médias traditionnels ou les services de l’État, certaines applications ou réseaux sociaux réfléchissent aujourd’hui à adopter une démarche analogue. C’est notamment le cas de l’application Snapchat, dont la rubrique d’actualités « Discover » ne donne accès qu’à l’information diffusée par des organes de presse avec lesquels un accord a été passé. Seuls huit médias français, dont Le Monde et LExpress pour ce qui est de l’information, sont ainsi présents sur le réseau social. Facebook a également annoncé en avril le lancement d’une nouvelle fonctionnalité permettant de soumettre à l’utilisateur, sur le sujet traité par un article apparaissant dans son fil d’actualité, des articles tirés de médias fiables. Un lien vers la page Wikipédia de l’éditeur et des informations sur l’auteur de l’article sont également prévus.

La question des fausses informations n’est également pas nouvelle pour un moteur de recherche tel que Google, dont l’intérêt est de promouvoir une information fiable et de qualité. Un dispositif spécifique, assurant la primauté d’informations de sources journalistiques, a ainsi été mis en place pendant les périodes d’attentats, afin d’éviter la diffusion de fausses informations, qu’elle soit intentionnelle ou non. Dans de tels cas de figure, le critère de fraîcheur de l’article de l’algorithme est désactivé pour éviter que des « fermes à trolls » ne puissent faire apparaître les articles qu’ils produisent haut dans les résultats de recherche. De la même façon, sur la plateforme de partage de vidéos Youtube, des sanctions sont d’ores et déjà mises en œuvre à l’égard des vidéos qui, sans relever du droit pénal, sont problématiques : l’entreprise prive alors leur auteur de la possibilité de monétiser son contenu, la vidéo ne fait l’objet d’aucune recommandation de la part du site et des pages intermédiaires – comme une page d’identification – sont imposées pour décourager l’utilisateur d’accéder au contenu.

Des initiatives ont également été prises dans le domaine de la publicité. Facebook a ainsi entrepris d’exclure les « appeaux à clics » – ces sites dont le fonds de commerce réside dans la diffusion de fausses informations à des fins financières – de ses programmes de rémunération. Dans ce domaine, il appartient également aux annonceurs de prendre la mesure de l’impact de leur financement sur l’écosystème qui a vu naître le phénomène de fausses informations et de limiter la parution de leurs publicités sur ce type de site.

 La proposition de loi vise à compléter ces initiatives porteuses, notamment par un renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de laudiovisuel vis-à-vis de chaînes sous linfluence dun État étranger et par une meilleure coopération entre les acteurs dinternet et les pouvoirs publics dans ce domaine.

La présente proposition de loi n’a pas pour objet de renforcer le cadre répressif déjà existant, mais de donner les moyens aux pouvoirs publics, en coopération avec les acteurs d’internet, d’agir, non plus sur l’émission primaire d’informations contrefaites et malveillantes, mais sur leur diffusion secondaire. C’est notamment l’objet des titres Ier et IV de la présente proposition de loi. La création d’une nouvelle voie de droit, à l’article 1er, permettra par ailleurs de freiner la propagation de fausses informations en période électorale, tandis que les dispositions relatives aux plateformes des articles 1er et 9 révèlent les exigences renouvelées du législateur à leur égard.

En effet, si certaines d’entre elles ont d’ores et déjà mis en œuvre des mesures efficaces dans ce domaine (cf. supra), parfois encouragées par la nécessité de protéger leur réputation et leur modèle économique, d’autres refusent de prendre leur part à la lutte contre un phénomène qu’elles contribuent de facto à nourrir en lui fournissant des moyens jusqu’ici inégalés. C’est cette forme de déni de responsabilité dans laquelle certains réseaux sociaux se complaisent aujourd’hui que les dispositions de la présente proposition de loi visent à pallier.

Les exigences de transparence sont donc renforcées par l’article 1er, afin de permettre aux consommateurs des services offerts par ces plateformes d’évaluer, par eux-mêmes, le degré de fiabilité d’une information, notamment lorsque sa diffusion fait l’objet d’un financement par son émetteur. L’article 9 pose en outre une obligation nouvelle de coopération à l’égard de ces acteurs et vise, par ce biais, à améliorer leur autorégulation. De fait, le statut d’hébergeurs dont bénéficient aujourd’hui les plateformes limite fortement la coercition législative dans ce domaine ; mais, en tout état de cause, le rapporteur estime qu’il appartient aux plateformes elles-mêmes d’identifier et de mettre en œuvre les moyens et les techniques les plus appropriés à leurs propres modalités de fonctionnement.

La présente proposition de loi vise également à doter le Conseil supérieur de l’audiovisuel de moyens plus efficaces à l’encontre de médias qui, bien que soumis à sa régulation, ne respecteraient pas les règles d’honnêteté et de pluralisme de l’information. Les récents scrutins ont montré, dans plusieurs pays, que des médias étrangers pouvaient être tentés de diffuser de fausses informations dans le but d’influer sur le cours des élections. C’est pourquoi il est proposé de permettre au Conseil supérieur de l’audiovisuel d’agir plus promptement à l’encontre des médias étrangers qui chercheraient à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Le rapporteur n’ignore pas que les dispositions de la présente proposition de loi font l’objet de critiques nourries de la part de certains observateurs, qui considèrent qu’elles sont susceptibles de porter atteinte à la liberté d’expression. Il considère toutefois, comme le Conseil d’État, que ces dispositions, dans l’ensemble, font l’objet d’un encadrement qui assure la conciliation entre d’une part, la sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’expression constitutionnellement garantie. Notamment, les mesures les plus critiquées ne peuvent être actionnées que pendant une durée limitée à la période électorale et sont mises en œuvre, soit par le juge judiciaire, soit par une autorité administrative indépendante dont les décisions sont susceptibles de recours devant la juridiction administrative. Ainsi, si certains ajustements sont nécessaires (cf. infra), ces dispositions n’apparaissent pas intrinsèquement contraires à la Constitution, au droit communautaire ou à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par ailleurs, d’aucuns estiment que la notion de « fausses informations », parfois associée, dans le texte, à celle de « fausses nouvelles », est insuffisamment précise et pourrait dès lors porter atteinte à la liberté d’expression. Il est évident qu’un choix doit être opéré, dans le texte, entre ces deux notions. Le rapporteur explicite plus bas les raisons qui le poussent, comme le Conseil d’État, à privilégier la notion de « fausses informations », qui apparaît, à bien des égards, plus adaptée que celle de « fausses nouvelles ». Pour autant, il est également nécessaire de la définir plus précisément, même s’il convient de se garder de toute définition trop stricte qui priverait le juge ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel de toute marge de manœuvre. La définition proposée par le Conseil d’État est, en ce sens, judicieuse : entreraient dans le champ de la proposition de loi les « informations dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les rendre vraisemblables », tandis qu’en seraient naturellement exclues les simples opinions ou appréciations ou encore les remarques humoristiques ou satiriques.

Certaines critiques formulées à l’encontre de la proposition de loi peuvent sembler plus opérantes, en ce qu’elles concernent la mise en œuvre concrète des dispositions présentées. En particulier, l’article 9 relatif au devoir de coopération des plateformes suscite un certain nombre d’interrogations. L’obligation de permettre le signalement de fausses informations, que certaines plateformes appliquent déjà, pourrait être aisément détournée de son objectif premier pour noyer la plateforme et l’autorité publique compétente sous un flot de données difficilement exploitables. Par ailleurs, la finalité de l’utilisation des données ainsi recueillies n’est pas précisée et pourrait bien, selon les moyens dont l’autorité publique disposera dans les faits, relever du pur affichage. Face à ces remarques légitimes, le rapporteur estime qu’il convient d’approfondir la réflexion sur l’objectif qui sous-tend l’article 9, à savoir favoriser l’autorégulation des plateformes, afin de parvenir à un dispositif plus efficace.

● La présente proposition de loi, si elle fournit dores et déjà de nouveaux outils aux pouvoirs publics pour limiter la diffusion de fausses informations, doit être complétée de mesures de nature préventive.

Il importe en particulier de donner aux citoyens les moyens d’une plus faible perméabilité aux fausses informations, limitant ainsi leur diffusion par la curation individuelle mais aussi leurs effets potentiels sur les lecteurs de telles informations mensongères. La labellisation, sur les réseaux sociaux, des publications issues d’entreprise de presse reconnues, la plus grande visibilité donnée à la vérification de faits réalisées par des journalistes et, au-delà, une plus grande confiance des citoyens dans les entreprises de presse – par exemple par la mise en place du conseil de presse qu’une partie de la profession appelle de ses vœux –, une meilleure information donnée aux utilisateurs des réseaux sociaux sur le contexte dans lequel une page est partagée – nombre de partages, nature humaine ou automatisée du partage, données personnelles à l’origine du ciblage, etc. – sont autant de mesures de nature à limiter les effets individuels de l’exposition à une fausse information. Pour autant, il est un point sur lequel la présente proposition de loi est incomplète : l’éducation aux médias et à l’information.

II.   éduquer aux médias et à l’information pour permettre l’acquisition d’une véritable citoyenneté numérique

● Léducation aux médias et à linformation apparaît aujourdhui indispensable à lépanouissement dune véritable citoyenneté numérique et, partant, à la prévention des effets délétères que peut avoir une exposition répétée à de fausses informations. Seuls des citoyens formés à l’analyse de l’information disponible et conscients de leurs responsabilités dans l’univers numérique, auront suffisamment de distance et d’esprit critique pour appréhender une fausse information.

C’est d’ailleurs la conclusion du groupe d’experts sur les fausses informations mis en place par la Commission européenne : il propose, dans son récent rapport, de mettre l’accent sur l’autorégulation en parallèle d’un renforcement de l’éducation aux médias et à l’information ([26]). Plus précisément, il recommande que l’éducation aux médias et à l’information fasse partie intégrante de la formation des enseignants, et que les compétences qui en sont issues figurent au titre des acquis exigés des élèves au niveau national comme des éléments évalués au sein de classements internationaux tel que le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA).

 LÉducation nationale comme la société civile se sont emparées du sujet et de nombreuses initiatives relatives à léducation aux médias et à linformation ont vu le jour au cours des dernières années.

En ce qui concerne l’éducation nationale, la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques a ainsi complété l’article L. 312-15 du code de l’éducation, relatif à l’enseignement moral et civique, par un nouvel alinéa visant à ce que les élèves soient « formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de linformation disponible et dacquérir un comportement responsable dans lutilisation des outils interactifs lors de leur usage des services de communication au public en ligne. Ils sont informés des moyens de maîtriser leur image publique, des dangers de lexposition de soi et dautrui, des droits dopposition, de suppression, daccès et de rectification prévus par la loi n° 7817 du 6 janvier 1978 relative à linformatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que des missions de la Commission nationale de linformatique et des libertés. »

Par la suite, la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a complété le code de l’éducation afin de donner pour mission à l’école primaire de contribuer « à la compréhension et à un usage autonome et responsable des médias, notamment numériques » ([27]). L’article L. 332-5 du même code a également été modifié afin que la formation dispensée au collège comprenne nécessairement une éducation aux médias et à l’information. La formation des enseignants, à travers la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, a également été enrichie d’un volet dédié à « lusage pédagogique des outils et ressources numériques » ([28]).

Ainsi, léducation aux médias et à linformation est désormais dispensée, de façon plus ou moins poussée, à tous les niveaux denseignement. Le cycle 2, du CP au CE2, est consacré aux apprentissages fondamentaux, tandis que le cycle 3, du CM1 à la sixième, est consacré à leur consolidation. Est notamment prévue, au cycle 3, que les élèves soient en mesure de sinterroger sur la provenance des informations et la fiabilité des sources et de distinguer une information dune opinion, dune rumeur ou dun propos relevant de la propagande. À lissue de ce cycle, lélève est supposé reconnaître les comportements et contenus inappropriés, quil sagisse dune tentative de manipulation ou de contenus odieux, et y faire face.

Au cycle 4, consacré aux approfondissements, l’éducation aux médias et à l’information est disséminée à travers l’ensemble des enseignements dispensés de la cinquième à la troisième, qu’il s’agisse du français, de l’histoire-géographie, de la physique-chimie, des sciences de la vie et de la terre ou des langues étrangères. Ainsi, tous les professeurs, y compris les professeurs-documentalistes, sont supposés transmettre ces enseignements. Pour autant, peu de professeurs semblent réellement formés à cette mission et, pour ce qui concerne plus spécifiquement la manipulation de l’information, ce sont souvent des partenaires extérieurs qui interviennent au sein des classes, qu’il s’agisse d’associations ou de réservistes citoyens de l’éducation nationale.

De fait, un certain nombre d’initiatives porteuses ont émergé de la société civile dans ce domaine, au sein de l’école – comme la Semaine de la presse et des médias dans l’école, sous l’égide du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI), qui avait d’ailleurs cette année pour thème « D’où vient l’info ? » – mais aussi en dehors. L’entreprise Google travaille ainsi avec des associations françaises comme Les petits débrouillards pour permettre aux jeunes d’accéder à une information de qualité, avec l’objectif de former 40 000 jeunes l’an prochain dans ce cadre. La Fédération française des télécoms a également soutenu la mise en place d’InfoHunter, un parcours pédagogique visant à « aider les jeunes à mieux comprendre la fabrique de linformation et développer leur esprit critique ».

Si la ministre de la Culture a annoncé le doublement des crédits consacrés à l’éducation aux médias et à l’information, certains souhaiteraient, comme l’association Journalisme et Citoyenneté, la création, sur la base du CLEMI, d’une Agence nationale pour l’éducation à l’information, afin de coordonner les initiatives fructueuses qui émaillent aujourd’hui le territoire autour d’une réelle stratégie impliquant l’ensemble des acteurs publics : « le ministère de la Culture avec tous les potentialités qu’offrent le réseau irremplaçable des bibliothèques et les médiathèques, l’égalité des territoires, l’égalité entre les femmes et les hommes, la jeunesse, le numérique ; l’Intérieur ou la Santé pour les interventions en milieu hospitalier ou dans l’univers carcéral ; sans oublier l’Agriculture en charge de l’enseignement professionnel agricole. Une structure transverse donc, collaborative, en prise avec les territoires et les acteurs de la société civile les plus concernés, les mouvements d’éducation populaire, les journalistes et les médias. » ([29])

France Télévisions développe aussi de nombreuses initiatives dans ce domaine : « l’Instant Détox », visible sur les espaces numériques du groupe, met en scène le journaliste Julien Pain allant à la rencontre de citoyens pour leur présenter de fausses informations et les confronter, ensuite, à l’information vérifiée ; Mon fil info, le site dédié aux enfants et adolescents, devrait bientôt s’enrichir d’une séquence dédiée à la fabrication d’un sujet par son auteur ; plusieurs co‑productions, comme « Les clés des médias », « Retour vers le futur de l’info », « Dans la toile », « Regards pour voir » ou, dans le domaine des sciences, la série documentaire « DataScience vs fake news » qui devrait paraître en octobre, participent également de l’éducation aux médias et à l’information.

 Il apparaît aujourdhui nécessaire de renforcer et de systématiser la place de cet enseignement dans les parcours scolaires, notamment au collège. S’il est tout à fait pertinent que l’ensemble du corps enseignant participe à l’éducation aux médias et à l’information, le rapporteur estime nécessaire que, dans le domaine plus circonscrit de la manipulation de l’information, certains enseignants soient plus clairement identifiés comme responsables de cette formation et formés à cette fin. Les professeurs chargés de l’éducation morale et civique, comme les professeurs-documentalistes, sont naturellement appelés à être en première ligne sur ce sujet.

Par ailleurs, il estime nécessaire qu’un temps particulier, dans le cursus scolaire, soit consacré à la manipulation de l’information : une année au sein du cycle 4 pourrait ainsi être dédiée, au sein de l’enseignement d’éducation aux médias et à l’information, à cette thématique en particulier. Des initiatives permettant aux élèves de créer eux-mêmes une rumeur, un complot ou une fausse information, tel qu’il en existe aujourd’hui ([30]), pourraient permettre aux élèves de prendre conscience de leurs mécanismes, tant cognitifs que technologiques, de propagation. Les périodes électorales devraient constituer un contexte particulièrement favorable à l’approfondissement de ce thème au sein des classes.

 

*

 


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   Discussion générale

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation auditionne, conjointement avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et procède à une discussion générale sur les propositions de loi organique (n° 772) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure) et ordinaire (n° 799) (M. Bruno Studer, rapporteur, et Mme Naïma Moutchou, rapporteure pour avis) relatives à la lutte contre les fausses informations, lors de sa séance du 22 mai 2018 à seize heures trente.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mes chers collègues, la commission des Lois et la commission des Affaires culturelles sont réunies aujourd’hui pour entamer l’examen de deux propositions de loi, l’une organique, l’autre ordinaire, relatives à la lutte contre les fausses informations. Ces textes ont été déposés par le président du groupe La République en Marche et l’ensemble des députés qui en sont membres ou apparentés.

Avec Bruno Studer et les députés présents, nous sommes heureux de vous accueillir, madame la ministre de la culture, à l’occasion de cette discussion générale. Le sujet est important, je le rappelle en quelques mots : il s’agit de lutter contre la mise en œuvre de campagnes de désinformation massive ayant pour but de perturber les processus électoraux. L’actualité récente, en France et plus encore à l’étranger – aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Catalogne… –, témoigne de l’ampleur de ce phénomène qui est susceptible de porter préjudice à la sincérité des scrutins et, partant, à la démocratie.

Nos deux commissions ont décidé de se partager le travail en bonne intelligence, en fonction de leurs compétences : la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication relève éminemment de la commission des Affaires culturelles, alors que le code électoral est la « chasse gardée » de la commission des Lois.

La commission des Affaires culturelles, compétente au fond, a donc décidé de se concentrer sur les titres II et III de la proposition de loi ordinaire et a accepté de déléguer les titres Ier et IV à la commission des Lois, qui interviendra sur ces parties comme si elle en était saisie au fond. La commission des Lois s’est par ailleurs saisie pour avis du titre III alors que la proposition de loi organique
– qui tire les conséquences de la loi ordinaire pour l’élection présidentielle – lui a été renvoyée conformément au Règlement de notre assemblée.

Je vais donner la parole en premier lieu à M. Bruno Studer, en sa double qualité de président et de rapporteur au nom de la commission des Affaires culturelles, puis ce sera le tour de Mme Naïma Moutchou, en sa triple qualité de rapporteure au fond, rapporteure par délégation et rapporteure pour avis.

La ministre de la culture interviendra ensuite.

Les orateurs des groupes concluront cette première phase : ils disposeront de quatre minutes – à partager éventuellement entre deux orateurs au titre de chacune des deux commissions. Nous donnerons également la parole à M. Pieyre‑Alexandre Anglade, qui nous fera part de ses observations au nom de la commission des Affaires européennes.

Après les réponses des rapporteurs et du Gouvernement, ceux qui le souhaitent pourront prendre la parole.

M. Bruno Studer, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, rapporteur. Madame la ministre, je me réjouis en effet de vous accueillir pour cette discussion générale sur les propositions de loi organique et ordinaire relatives à la lutte contre les fausses informations. Comme l’a indiqué Mme la présidente de la commission des Lois, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation m’ayant désigné comme rapporteur de la proposition de loi et plus spécifiquement de ses titres II et III, les titres Ier et IV ayant été délégués au fond à la commission des Lois, je vais temporairement quitter mon rôle de président pour endosser celui de rapporteur.

Après l’ensemble des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteur, j’ai le sentiment, probablement partagé, que la désinformation constitue l’un des principaux défis – pour ne pas dire fléaux – auxquels vont devoir faire face, à court terme, nos sociétés démocratiques, ouvertes et pluralistes.

Les progrès technologiques ont toujours leurs revers et, dans le domaine de l’intelligence artificielle, des technologies du type de celle développée par Google pour synthétiser une voix humaine montrent que les fake news seront bientôt dépassées par le deep fake, des informations si bien fabriquées qu’il deviendra difficile à l’être humain d’établir leur caractère contrefait. Il me semble donc que les propositions de loi que nous examinerons dans les prochains jours et, pour ce qui concerne la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, le 30 mai prochain, tombent à point nommé.

Pour répondre à certaines inquiétudes soulevées pendant les auditions, je tiens à rappeler qu’elles n’ont pas vocation à s’appliquer à toutes les « fausses informations », mais bien à ce que l’on appelle la désinformation, c’est-à-dire la fausse information produite de façon délibérée et destinée à porter préjudice à une personne, une organisation, un pays. Les fausses informations à visée humoristique ou satirique, ainsi que celles qui sont diffusées de bonne foi, par erreur ou inattention, n’entrent évidemment pas dans le champ de la loi. L’objet des textes que nous allons examiner dans les prochaines semaines est bien de combattre la manipulation de l’information : je proposerai d’ailleurs de modifier les titres des propositions de loi organique et ordinaire en ce sens, pour plus de clarté.

Ces propositions de loi signent, d’une certaine façon, la fin de la naïveté. Il faut reconnaître la perméabilité de nos sociétés aux tentatives de manipulation provenant d’États ou d’entités étrangères et en tirer les conséquences ; il faut que nos concitoyens prennent conscience du fait que, dans le flot d’informations qui leur est proposé, notamment sur les réseaux sociaux, toutes ces informations ne sont pas de la même qualité et peuvent faire l’objet de manipulation, à des fins économiques ou politiques.

Ces propositions de loi ne font que tirer les conséquences du changement de paradigme de la société numérique ; certes, il y a toujours eu de fausses informations et, jusqu’alors, les dispositions existantes pouvaient apparaître suffisantes. Mais le numérique a, dans ce domaine comme dans tant d’autres, radicalement changé la donne.

D’ailleurs, le phénomène de fausses informations tel qu’on le comprend aujourd’hui s’est développé sur le terreau du numérique, dans une perspective initialement motivée par l’argent : on crée des informations croustillantes, donc susceptibles d’être partagées par beaucoup, pour générer des revenus publicitaires. Non seulement certaines de ces informations concernent aujourd’hui le domaine politique, et ont donc potentiellement des effets politiques, mais cet écosystème est désormais utilisé par certains à des fins exclusivement politiques.

C’est précisément contre ces fausses informations que les propositions de loi entendent agir, et c’est la raison pour laquelle les mesures les plus fortes du texte se concentrent sur la période électorale, propice à la manipulation la plus éhontée.

Le but du texte n’est pas de limiter l’émission de fausses informations, mais bien de limiter leur diffusion. En effet, il n’est nullement souhaitable, dans une démocratie, d’empêcher les citoyens de partager les informations qu’ils souhaitent, qu’elles soient vraies ou fausses. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) l’a très clairement indiqué en 2005 : même s’il est légitime, en période électorale, de rechercher les moyens de fournir à nos concitoyens des informations authentiques, cela ne saurait faire obstacle « à la discussion ou à la diffusion d’informations reçues, même en présence d’éléments donnant fortement à croire que les informations en question pourraient être fausses. En juger autrement reviendrait à priver les personnes du droit d’exprimer leurs avis et opinions au sujet des déclarations faites dans les mass medias et ce serait ainsi mettre une restriction déraisonnable à la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention ».

Pour autant, nous nous devons d’agir sur l’écosystème numérique qui permet aujourd’hui à des acteurs malveillants d’atteindre facilement une certaine viralité, notamment par des moyens artificiels. Il nous faut également résoudre le conflit d’intérêts dans lequel la plupart des plateformes sont aujourd’hui prises : elles ont presque toutes intérêt à ce que des informations, vraies ou fausses, soient massivement diffusées, pour accroître le temps passé par les utilisateurs sur la plateforme et générer ainsi des revenus publicitaires.

Entre l’enjeu de réputation, qui est heureusement de plus en plus prégnant, et les intérêts économiques et financiers de court terme des plateformes, il me semble que le législateur doit intervenir pour faire pencher la balance du bon côté et assurer un comportement vertueux de la part de ces opérateurs qui tiennent un rôle central dans la vie de nos concitoyens et qui ont, en tant que « places publiques numériques », une responsabilité importante.

Nous ne pouvons pas accepter que les plateformes, via leurs algorithmes, promeuvent des contenus trompeurs et manipulateurs ni qu’elles recommandent individuellement à leurs utilisateurs des sites et des pages à visée explicitement désinformative ; pas plus que nous ne devons accepter qu’elles soient rémunérées pour promouvoir de tels contenus.

Mais la difficulté à laquelle le législateur se heurte est double : d’une part, leur statut d’hébergeur leur confère une responsabilité limitée quant aux contenus stockés sur leurs serveurs ; d’autre part, il ne faudrait pas, en obligeant les plateformes à retirer les contenus trompeurs, leur donner un pouvoir qui appartient aujourd’hui à la justice et aux journalistes, celui d’établir la vérité, dans toutes les limites philosophiques de la notion.

Dès lors, seules des démarches partenariales entre l’ensemble des parties prenantes – plateformes, journalistes, éditeurs de presse, agences de presse, médias audiovisuels, annonceurs, fournisseurs d’accès à internet – pourront permettre des avancées dans ce domaine et faciliter l’autorégulation des plateformes. La Commission européenne est d’ailleurs également sur cette ligne, avec le code de bonne conduite qu’elle soumettra à l’été.

Pour ce qui est des plateformes, je propose donc de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) un pouvoir de recommandation vis-à-vis de ces acteurs. Il pourra de surcroît, dans son rapport annuel, établir le bilan des actions menées par les plateformes dans des domaines précis : transparence des algorithmes, promotion d’informations fiables, lutte contre les faux comptes, transparence sur les contenus sponsorisés ou poussés par des moyens artificiels, etc. C’est en mettant en jeu la réputation des plateformes sur ce point que nous pourrons obtenir des avancées tangibles dans ce domaine. Je souhaiterais recueillir votre point de vue sur une telle évolution du texte, madame la ministre.

Pour ce qui est des médias au sens traditionnel du terme, le problème se pose de façon plus simple : ils ont une responsabilité éditoriale et un régulateur qu’il faut doter de moyens plus efficaces face à des acteurs qui diffusent sciemment de fausses informations dans le but de nuire. La question ici est celle de la nature de l’espace médiatique que l’on souhaite défendre en France : si l’on souhaite des médias libres, indépendants et pluralistes, alors il faut s’en donner les moyens et ne pas permettre à ceux qui ne respectent pas les règles d’éthique et de déontologie à des fins de manipulation de diffuser en toute impunité sur le territoire. C’est précisément l’objet des dispositions des articles 4 à 8 de la proposition de loi ordinaire.

Ces dispositions relèvent, à mon sens, de l’indispensable. Pour autant, nous ne devons pas passer à côté de l’essentiel : d’une part, la confiance que les citoyens placent dans la presse et les médias ; d’autre part, l’éducation aux médias et à l’information.

Le phénomène auquel nous sommes confrontés souligne en réalité à quel point nous avons aujourd’hui besoin des journalistes, à quel point nous avons besoin d’entreprises de presse fortes, indépendantes et en lesquelles les citoyens ont confiance. Les citoyens ont développé une certaine appétence pour la vérification des faits : qu’en est-il, madame la ministre, de la plateforme de décryptage que vous aviez appelée de vos vœux ?

Par ailleurs, j’ai pu percevoir, au cours des auditions, un vrai souhait de la profession dans son ensemble de voir émerger un conseil de presse ou de déontologie. Cette initiative, pour être fructueuse, doit recueillir l’assentiment de l’ensemble de la profession, et je la soutiendrai de toutes les façons possibles. Là encore, quelle est votre position, madame la ministre ?

En ce qui concerne l’éducation aux médias et à l’information, elle me paraît très en deçà des enjeux actuels, telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre au sein du système scolaire. Pour lutter contre les biais cognitifs qui nous poussent à donner systématiquement du crédit aux informations qui vont dans le sens de nos préjugés, il me semble absolument nécessaire de donner aux adultes de demain les moyens d’analyser de façon critique l’ensemble des informations auxquelles ils sont aujourd’hui confrontés. Je présenterai, en lien avec le ministre de l’éducation nationale, des amendements en ce sens.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Depuis le temps de la presse imprimée et de la loi fondatrice du 29 juillet 1881, depuis l’époque où seuls les journalistes portaient la parole publique, le monde a beaucoup évolué. Ce sont désormais des millions de Français qui peuvent, à tout moment, publier, diffuser des articles ou des écrits, réagir à l’actualité quasi instantanément. C’est, bien sûr, une extraordinaire avancée dans le débat démocratique. Mais c’est aussi un risque de voir les abus d’expression et les manipulations de l’esprit se multiplier.

J’ai beaucoup plaidé – au sens propre du terme, comme avocate – pour la liberté de la presse, pour la liberté d’expression. J’ai appris qu’il n’y a pas de vérité qui puisse s’imposer ; mais il existe des outils, dans la loi, qui nous permettent de garantir que chacun puisse s’exprimer librement, de la même manière que, la liberté d’expression ne permettant pas tout, il existe aussi des outils de répression venant sanctionner les dérives du langage.

Cet équilibre que nous avons su créer, nous nous devons de le préserver. II en va de ce que nous sommes, une grande démocratie, grande parce qu’elle proclame haut et fort que nous pouvons librement communiquer, sans crainte d’oppression, grande aussi parce qu’elle a pris conscience qu’il n’y a pas d’immunité en la matière.

Cet équilibre a été mis à mal, du moins est-il confronté depuis plusieurs années au phénomène des fausses informations. Certes, les rumeurs malveillantes ont existé de tout temps, mais leur propagation exponentielle est une nouveauté, et il est évident que ne pouvons plus lutter contre ce phénomène à la même échelle qu’auparavant. S’il y avait des limites hier, elles n’existent quasiment plus aujourd’hui, car internet n’a pas de frontières.

Or, le risque induit est des plus dangereux : la multiplication d’informations fausses mine la confiance des citoyens. Elle est même susceptible d’altérer leur jugement au moment de faire un choix crucial, au moment où s’exprime aussi la démocratie. C’est contre ces tentatives de déstabilisation que nous voulons lutter.

Ce n’est pas théorique, c’est bien une réalité, un enjeu d’actualité : les élections présidentielles américaine et française, le référendum sur le Brexit ou sur l’indépendance de la Catalogne sont autant d’exemples qui justifient, qui imposent que le législateur se saisisse du sujet.

Tous ceux qui ont été auditionnés, et ils sont nombreux – plus d’une cinquantaine de personnes : journalistes, opérateurs de plateformes, fournisseurs d’accès à internet, avocats, magistrats ou professeurs de droit –, affirment qu’il est nécessaire de lutter contre la diffusion des fausses informations.

C’est ce que nous faisons avec les deux propositions de loi qui vous seront soumises. Je le dis d’emblée, c’est un premier outil de travail que nous proposons et la loi, à elle seule, ne résoudra pas tout. D’autres instruments devront être mis en place ou renforcés, c’est indispensable pour parvenir à nos objectifs : il faut notamment une meilleure gouvernance de l’internet et une coordination à ce sujet au niveau européen et même international – nous y travaillons –, il faut aussi impliquer davantage la société civile, la sensibiliser aux règles de fonctionnement des réseaux sociaux.

En tant que législateur, nous devons prendre notre part au débat et à la réflexion. C’est tout l’objet des deux textes que nous allons examiner et dont j’évoquerai rapidement le contenu.

Je rappelle que la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation nous a délégué, au fond, l’examen du titre Ier modifiant le code électoral – les articles 1 à 3 – et du titre IV relatif à l’outre-mer – l’article 10. La commission des Lois s’est également saisie pour avis du titre III – l’article 9.

À l’article 1er, nous vous soumettrons deux mesures phares devant s’appliquer pendant la période électorale. D’une part, nous proposons de renforcer les obligations de transparence financière imposées aux opérateurs de plateformes pour qu’ils rendent publique, au-delà d’un certain seuil, l’identité des annonceurs qui les ont rémunérées en contrepartie de la promotion de contenus d’information, outre la mention du montant de ces rémunérations.

D’autre part, une nouvelle voie de référé civil est créée, qui permettra de faire cesser la diffusion artificielle et massive de fausses informations de nature à altérer la sincérité d’un scrutin. Il s’agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l’information est fausse. Ce ne sont donc pas, dans l’esprit de la loi, les journalistes de métier, professionnels et scrupuleux dans leur enquête qui sont visés, ni les contenus satiriques ou parodiques.

L’article 9, enfin, modernise les dispositions prévues par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, en étendant à la lutte contre les fausses informations les dispositifs prévus au titre du devoir de coopération des fournisseurs d’accès et des hébergeurs de contenus sur internet sur les infractions odieuses.

L’ensemble de ces leviers, auxquels s’ajouteront toutes les mesures proposées par mon collègue Bruno Studer, permettront de combattre avec efficacité la diffusion virale des fausses informations.

Cependant, à l’issue du travail que j’ai conduit, il me semble que certains points restent perfectibles. Sans remettre en cause l’équilibre de ce texte, des améliorations sont possibles. Je les présenterai demain sous la forme de plusieurs amendements, et je souhaite en évoquer quelques-unes avec vous.

Premièrement, des précisions doivent être apportées afin d’encadrer rigoureusement les dispositifs que nous souhaitons mettre en œuvre. Par exemple, la délimitation des périodes électorales et la définition de ce qui constitue une fausse information doivent être utilement précisées.

Deuxièmement, les obligations de transparence financière renforcée ne concernent, en l’état du texte, que les plateformes. Madame la ministre, que pensez-vous d’une extension de ce dispositif aux annonceurs eux-mêmes, pour que soit dévoilée l’identité réelle de tous les acteurs participant directement ou indirectement à la promotion de contenus d’information ? Les internautes méritent de savoir ce qui est à l’origine de l’information qui leur est présentée, dans l’ordre où elle leur est présentée.

Troisièmement, la nouvelle voie de référé civil ouverte par l’article 1er appelle quelques éclaircissements. Les mesures susceptibles d’être prononcées par le juge des référés doivent notamment s’inscrire dans un objectif de proportionnalité. L’effet utile de cette procédure de référé conduit également à encadrer aussi bien les voies de recours et l’intérêt à agir que les modalités de saisine du tribunal compétent. Je formulerai à cet égard plusieurs propositions.

Quatrièmement, le devoir de coopération prévu à l’article 9 doit être revu : il ne peut pas se calquer par analogie sur ce que la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit en matière de crimes odieux.

Comme vous le voyez, madame la ministre, nos préoccupations se rejoignent. Si les textes doivent être enrichis, je demeure absolument convaincue de toute leur nécessité comme de leur utilité, car ils ont vocation, non pas à remettre en cause l’ensemble de notre arsenal législatif mais à le compléter, en l’adaptant efficacement aux enjeux auxquels notre démocratie doit désormais faire face. Nous serons extrêmement soucieux de protéger cet équilibre fondamental.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. L’histoire nous enseigne que la démocratie n’est jamais un acquis. Elle réclame notre intransigeance permanente, notre vigilance et notre engagement de chaque instant, pour la faire vivre, pour la défendre dès qu’elle est attaquée. L’histoire nous enseigne aussi que les plus grandes menaces ne sont pas toujours les plus éclatantes. Parfois la démocratie les enfante elle-même. Ces menaces commencent à bas bruit, elles s’installent comme une gangrène. Et au moment où elles apparaissent aux yeux de chacun, il est déjà trop tard.

Notre responsabilité commune – à vous, élus de la Nation, à moi, représentante du Gouvernement – est de tirer la sonnette d’alarme dès que la menace apparaît et de prendre les dispositions qui s’imposent, par-delà les clivages, pour protéger ce modèle qui nous unit.

Aujourd’hui notre démocratie est face à une menace de cet ordre. Une menace qui a su faire sa place dans nos vies quotidiennes, qui s’est presque banalisée et qu’il faut d’urgence affronter avant que notre vigilance ne retombe : cette menace, c’est la montée en puissance des fausses informations.

Je remercie vos commissions de m’avoir invitée à m’exprimer sur cet enjeu, qui est au cœur de notre démocratie, et sur ces propositions de loi qui, je le dis d’emblée, contiennent des mesures nécessaires pour relever le défi. Je remercie les rapporteurs de ce texte. Je salue également le travail de Pieyre-Alexandre Anglade, auteur d’un rapport d’information au nom de la commission des Affaires européennes sur ces propositions de loi.

Le renforcement de la lutte contre les fausses informations est une priorité du Gouvernement. Le Président de la République a annoncé, à l’occasion de ses vœux à la presse en janvier, sa volonté ferme d’agir en actionnant tous les leviers qui sont à notre disposition.

Il en existe plusieurs. La loi n’est pas le seul – j’y reviendrai –, mais c’est un levier indispensable. Comme vous le savez, la France n’a pas attendu 2018 pour le mobiliser. Plusieurs infractions pénales ont été créées pour lutter contre les fausses nouvelles dès le XIXe siècle. La loi de 1881 vise celles qui troublent la paix publique : votre rapporteure Naïma Moutchou a parfaitement rappelé les enjeux, il n’est pas question de toucher à ce texte fondamental. Le code électoral vise celles qui altèrent la sincérité du scrutin.

Pourquoi vouloir un nouveau texte aujourd’hui ? D’une part, pour compléter notre arsenal juridique, d’autre part, pour se donner les moyens de lutter efficacement contre la propagation des fausses informations. C’est le sens des deux propositions de loi qui ont été déposées par le groupe majoritaire, et que le Gouvernement soutient pleinement.

Ce soutien repose sur trois fondements, que je veux détailler devant vous.

Sur un diagnostic, d’abord, qui motive le recours à ce nouveau texte et que nous partageons ; sur l’ambition des solutions proposées, ensuite, à laquelle nous souscrivons ; enfin, sur la politique plus large que ces textes viennent compléter, notamment en matière d’éducation aux médias, et dont je voudrais dire un mot.

Le constat, pour commencer : si les lois existantes sont insuffisantes pour lutter efficacement contre les fausses informations, c’est que le paysage a changé. Les fausses informations, les manipulations et les rumeurs ne sont pas un phénomène nouveau : elles ont, de tout temps, accompagné l’humanité. Ce qui est nouveau, en revanche, depuis quelques années, c’est leur viralité, résultat de la révolution numérique, qui a eu deux grandes conséquences dans le domaine de l’information.

La première est la multiplication des sources d’information, qui a brouillé les repères des citoyens, en particulier la frontière entre information professionnelle et information non vérifiée – je pense notamment aux réseaux sociaux.

La seconde est l’accélération de la diffusion de l’information, due à deux facteurs. D’une part, la multiplication des canaux, notamment les blogs et les réseaux sociaux, qui sont des caisses de résonance pour les fausses informations ; d’autre part, l’émergence de technologies de promotion artificielle des contenus, comme le sponsoring, qui permettent aux émetteurs de fausses informations d’acheter de la visibilité aux plateformes, dans des stratégies politiques de manipulation de l’opinion.

C’est une nouvelle forme d’« économie de la propagande » qui a émergé : elle est cautionnée par les plateformes, qui fuient leurs responsabilités. Mark Zuckerberg est auditionné aujourd’hui même par le Parlement européen sur l’affaire Cambridge Analytica, qui a montré comment les données personnelles des internautes pouvaient être utilisées à des fins de ciblage de la propagande politique.

Dans le même temps, ce marché de la manipulation fragilise les médias traditionnels, qui voient leurs recettes publicitaires basculer vers les plateformes, ce qui met en danger leur capacité à produire une information de qualité.

Au total, les fausses informations ne sont pas nécessairement plus nombreuses qu’avant, mais elles sont relayées plus rapidement et plus massivement. Elles se propagent jusqu’à six fois plus vite que les informations vérifiées, et font donc plus de dégâts qu’avant, comme l’exposé des motifs de ces propositions de loi le démontre parfaitement.

C’est le cœur de nos démocraties qui est visé. Les fausses informations pèsent notamment sur le bon déroulement des moments charnières que sont les élections, comme nous en avons fait l’expérience en France lors de la dernière élection présidentielle. Aucun camp politique n’est à l’abri et toutes les démocraties du monde sont exposées. La dernière campagne présidentielle américaine en a été une démonstration particulièrement frappante. Je rappelle ce chiffre, révélé par le réseau social Facebook lui-même : la moitié de ses utilisateurs américains, soit 126 millions de personnes, ont potentiellement été exposés à de fausses informations sur le réseau. Ce phénomène est particulièrement nocif en période électorale.

Les fausses informations sont un poison lent pour nos démocraties, parce qu’elles alimentent une crise de confiance des citoyens envers leurs institutions démocratiques, les journalistes, les médias, les pouvoirs publics et les élus. Il est de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux, ce qui fait que nos concitoyens finissent par ne plus savoir qui croire. Une information fausse finit toujours par être démentie. Mais entre-temps, le mal est fait : le doute s’est installé.

La prolifération des fausses informations appelle une réaction urgente, qui doit être collective : c’est toute la société qui doit se mobiliser, faire front dans cette bataille. Les pouvoirs publics n’en ont pas le monopole. La société civile et la presse ne nous ont d’ailleurs pas attendus, elles sont fortement mobilisées.

Je veux rendre ici hommage au travail des journalistes et des professionnels des médias, qui non seulement s’engagent chaque jour pour nous fournir une information de référence, mais qui multiplient les initiatives pour lutter directement contre les fausses informations. Cela se fait avec des émissions de décryptage – les exemples ne manquent pas sur les chaînes de service public, et je veux les saluer –, mais aussi avec des outils de vérification des faits, comme les Décodeurs du Monde, ou le CheckNews de Libération – qui vient d’ailleurs de recevoir le prix international de l’innovation dans le factchecking. Il y en a d’autres, accessibles à tous et d’une très grande efficacité.

Le premier et le meilleur rempart contre les fausses informations, ce sont eux, les journalistes, les professionnels des médias, et ce sera toujours eux. Le premier moyen de lutte des pouvoirs publics contre les fausses informations consiste donc à garantir l’existence d’une presse forte, libre, indépendante et pluraliste, à protéger la liberté d’expression et à maintenir le soutien à la filière. C’est ce que nous faisons et c’est indispensable, mais cela ne suffit plus face à l’ampleur prise par le phénomène.

Il y a deux grands enjeux. Premièrement, il faut lutter plus efficacement contre la propagation des fausses informations. Nous ne pouvons rien contre leur production : elles ont toujours existé et existeront toujours. En revanche, nous avons la responsabilité de tout faire pour limiter leur impact. Pour cela, il faut se doter de nouveaux moyens à la hauteur des nouvelles technologies numériques.

Le deuxième enjeu consiste à aider les citoyens à faire face aux fausses informations quand ils y sont confrontés malgré tout. C’est la question de l’éducation, sur laquelle je reviendrai.

Mieux lutter contre la propagation des fausses informations, c’est tout le sens des propositions de loi que vous allez examiner. Le Gouvernement partage leur ambition, qui est de renforcer les responsabilités des acteurs participant aujourd’hui à la circulation des fausses informations et en tirant profit, c’est-à-dire principalement les plateformes numériques.

Nous ne pouvons pas laisser des entreprises se faire de l’argent sur le dos de nos démocraties, ni sur le dos de la filière de la presse que nous soutenons. Cette volonté de responsabilisation des acteurs des fausses informations n’est pas un acte isolé, vous le savez. C’est l’un des volets du vaste chantier que nous sommes en train de conduire au niveau national et européen pour responsabiliser véritablement les plateformes.

Le Président de la République et le Premier ministre ont marqué clairement leur détermination en la matière. C’est le sens des réflexions engagées pour la création d’un statut intermédiaire entre l’éditeur et l’hébergeur, pour la lutte contre les contenus illicites. C’est le sens du travail mené par Bercy pour obliger les plateformes à se conformer à nos règles fiscales. C’est aussi le travail que je mène pour obliger les plateformes à rémunérer les éditeurs de presse quand elles recyclent leurs contenus, avec la création d’un droit voisin à l’échelle européenne. Enfin, c’est le travail visant à faire participer les plateformes au financement de la création audiovisuelle française et européenne, et à créer un devoir de coopération pour les plateformes de partage de vidéos contre les discours haineux avec la directive « Services des médias audiovisuels » (SMA) – je serai d’ailleurs à Bruxelles demain pour y travailler. La responsabilisation des plateformes dans la lutte contre les fausses informations s’inscrit dans ce mouvement.

Le droit français ne prévoit aucune obligation à l’heure actuelle. Ces deux propositions de loi visent à compléter notre arsenal juridique dans trois directions.

Premièrement, il s’agit de créer un devoir de coopération pour les plateformes vis‑à‑vis de tous ceux qui s’engagent en France contre les fausses informations, à savoir les pouvoirs publics, la presse et la société civile. En effet, les plateformes échappent à notre modèle de responsabilité et de régulation. La création de ce devoir de coopération répondrait à cette anomalie, en créant une forme de co-régulation. La proposition du texte va donc dans le bon sens.

Je souhaite néanmoins que nous puissions travailler ensemble à préciser davantage le contenu de ce devoir de coopération. J’ai entendu les interrogations exprimées par les professionnels et les réserves formulées par le Conseil d’État. Je crois que nous pouvons y répondre ensemble, en détaillant davantage les engagements attendus de la part des plateformes, en encourageant la conclusion de chartes de bonnes pratiques associant les médias et les journalistes, et en confiant à une autorité indépendante le soin d’en évaluer l’efficacité. Vous l’avez évoqué très clairement, monsieur le rapporteur, et vos travaux vont dans ce sens. Votre proposition de confier de nouvelles compétences au CSA pour être le garant du devoir de coopération des plateformes a le plein soutien du Gouvernement. Le CSA – qui dispose déjà d’une compétence en matière d’honnêteté de l’information, et qui est appelé à développer un rôle de co-régulation à l’occasion de la future transposition de la directive SMA – serait pleinement légitime dans ce rôle.

Deuxièmement, il s’agit de renforcer les obligations de transparence des plateformes vis-à-vis de leurs utilisateurs, ce qui est également une très bonne initiative. Je pense en particulier à la transparence sur les contenus dits « sponsorisés » dans les moments clés que sont les campagnes électorales. Aujourd’hui, il est impossible pour un internaute d’identifier ces contenus.

En période électorale, il faut obliger les plateformes à une transparence absolue. Elles doivent indiquer clairement à leurs utilisateurs si une entreprise, un groupe de pression ou encore un État étranger a dépensé de l’argent pour qu’un contenu se retrouve « en haut de l’affiche », sur le fil Facebook ou Twitter des utilisateurs. Le cas échéant, il faut que les plateformes indiquent clairement qui a payé et combien. C’est une mesure extrêmement forte, qui figure dans le texte que vous examinerez.

Troisièmement, enfin, il s’agit de donner aux autorités compétentes des moyens d’action adaptés à la rapidité de propagation des fausses informations. Pour ce qui est des plateformes, l’autorité compétente est le juge judiciaire, à qui il faut donner les moyens d’intervenir en urgence pendant la période électorale.

Aujourd’hui, quand un contenu est signalé, il peut faire beaucoup de dégâts avant que les procédures judiciaires n’aboutissent – ce qui peut durer des semaines ou des mois. La création d’une procédure spéciale de référé – précisément encadrée pour éviter tout risque d’atteinte à la liberté d’expression – est nécessaire. C’est ce que propose le texte, avec des critères cumulatifs pour permettre au juge d’intervenir : il faut que l’information soit manifestement fausse, que la diffusion soit massive, et qu’elle soit artificielle.

Pour ce qui est des médias audiovisuels, l’autorité compétente est le CSA. J’ai mis l’accent sur les plateformes jusqu’ici, mais on voit aussi des stratégies d’influence et des campagnes de désinformation orchestrées par des chaînes de télévision pilotées par des États étrangers, qui tentent de s’ingérer dans nos affaires intérieures. Ce sujet sera certainement de nouveau abordé lors du déplacement du Président de la République en Russie, où je l’accompagne après-demain.

Le CSA est insuffisamment armé pour y répondre, ce à quoi nous devons remédier, car c’est un enjeu de souveraineté majeur. C’est l’un des objets de la proposition de loi, qui vise à compléter la gamme de pouvoirs du CSA dans des conditions très précisément définies, et nous y sommes favorables.

Le texte proposé est équilibré : il complète l’arsenal juridique de la France de façon décisive, sur ces trois volets, tout en prévoyant les gardes fous nécessaires à la protection de la liberté d’expression. On ne peut défendre la démocratie que par la démocratie. Le droit fait partie des anticorps à mobiliser quand le système est attaqué.

L’autre, c’est l’éducation, et je terminerai là-dessus. Ce qui renforce la légitimité des propositions de loi que nous discutons aujourd’hui, c’est qu’elles viennent compléter d’autres digues que nous sommes en train de bâtir contre les fausses informations. Je considère que l’éducation est la mère des batailles. Je sais que votre rapporteur Bruno Studer partage cette position et travaille sur des amendements pour enrichir le texte dans le domaine ; ils seront particulièrement bienvenus.

Il faut former les citoyens, et notamment les plus jeunes, pour les aider à reconnaître les fausses informations, à les appréhender, à s’en protéger. C’est le rôle de ce qu’on appelle « l’éducation à l’information et aux médias ». Notre objectif commun doit être d’en faire un « passage obligé » de la scolarité, pour tous les élèves, comme l’éducation civique aujourd’hui.

Nous partageons cette bataille avec la société civile, qui là encore est déjà très investie. Médias, associations, acteurs du champ éducatif sont nombreux à agir. L’État soutient déjà des initiatives mais doit faire plus. J’en fais une priorité de mon ministère. J’ai doublé le budget pour l’éducation à l’information et aux médias, qui passe de 3 à 6 millions d’euros cette année. Je lancerai l’an prochain un vaste programme de Service civique pour que des jeunes forment le grand public aux fausses informations, en intervenant dans des bibliothèques, dans des lieux d’éducation populaire. Et j’ai mobilisé les six sociétés de l’audiovisuel public français – ARTE, France Télévisions, France Médias Monde, TV5 Monde, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel – qui créeront une plateforme commune de décryptage des fausses informations. Vous m’interrogiez à ce sujet, monsieur le rapporteur : les sociétés y travaillent et me présenteront un projet la semaine prochaine. C’est une mission dont le service public doit se saisir.

Mesdames et messieurs les députés, nous n’avons pas le droit d’attendre. Nous ne pouvons prendre le risque de nous habituer, de laisser les fissures se creuser. Ne pas céder à la passivité, en se retranchant derrière la complexité de ces questions. Ne pas céder à la naïveté, en comptant sur l’autorégulation des acteurs numériques. Ne pas céder à la démagogie, en renvoyant à la seule capacité de discernement des citoyens.

Il y a une ligne de crête entre la protection intransigeante des libertés publiques et la condamnation des acteurs qui les retournent contre la démocratie elle-même. C’est au Parlement français, et à lui seul, qu’il appartient de définir cette ligne de crête. C’est un immense défi mais il est encore temps. Ces propositions de loi font partie de la solution pour la démocratie. Je veux remercier tous les contributeurs et les rapporteurs pour leur travail et je me tiens prête à répondre à vos questions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, madame la ministre.

La parole est d’abord à Pieyre-Alexandre Anglade pour la commission des Affaires européennes.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, au nom de la commission des Affaires européennes. La commission des Affaires européennes qui a déposé un rapport pour observation sur les fausses informations.

Je souhaite en premier lieu saluer l’initiative de mes collègues, avec deux propositions de loi dans lesquelles je me retrouve totalement.

Les exemples récents de périodes électorales déstabilisées par les fausses informations ne manquent pas, que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne, avec la Catalogne, ou bien en France. Aujourd’hui, c’est tout l’écosystème des élections qui est rendu vulnérable par les fausses informations, des candidats aux électeurs, en passant par les médias traditionnels, papier ou numériques. Les fausses informations ne datent pas d’hier mais Internet leur offre une caisse de résonance inédite. Je le disais la semaine passée en commission des Affaires européennes, les chiffres sont éloquents : aujourd’hui, pour 40 000 euros vous pouvez lancer des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux, pour 5 000 euros vous pouvez acheter 20 000 commentaires haineux, et pour 2 600 euros vous pouvez acheter 300 000 followers sur Twitter. À ce prix-là, des sites entiers, des pages Facebook, des fils Twitter colportent de fausses informations et sèment le trouble dans l’esprit de nos concitoyens. À ce prix-là, la relation de confiance qui existe entre les citoyens et leurs représentants se trouve sapée. Les populismes, les complotismes de toutes sortes irriguent nos sociétés, et le débat et la sincérité du scrutin se trouvent menacés.

Il est donc proposé, grâce à l’action rapide du juge, de maintenir les conditions équitables et normales du débat et de la confrontation politiques en période électorale. L’enjeu est simple : protéger coûte que coûte la confrontation d’idées des manipulations d’opinion à grande échelle afin de rendre le débat politique hermétique aux tentatives de déstabilisation extérieure. Je parle à dessein dans mon rapport de déstabilisation extérieure car la dissémination des fausses informations ne se fait pas au hasard ; elle répond souvent à une véritable stratégie politique, financée parfois par des États tiers à la frontière orientale de l’Union européenne, visant à diviser nos sociétés et à affaiblir le projet européen.

Cette guerre hybride dont l’ennemi et les modes d’action sont difficilement identifiables expose tous les peuples européens, et puisqu’aucun État de l’Union européenne n’est épargné, la réponse doit donc être globale et inclusive. Dans cette perspective, les propositions de loi que nous avons examinées fournissent des éléments de réponse que je considère satisfaisants et proportionnés à l’objectif, mais j’estime aussi que la réponse à la désinformation ne peut s’arrêter aux frontières nationales, compte tenu de la dimension continentale du problème, et doivent faire l’objet d’une réponse européenne commune.

Les institutions européennes ont récemment pris conscience de la dimension de ce problème, comme en témoigne la communication de la Commission européenne du 26 avril dernier. Quelle que soit l’approche qui sera retenue dans les mois à venir, le message politique est clair : les plateformes doivent accepter de voir leur responsabilité évoluer, à la hauteur de leur rôle dans l’accès à l’information. Ces géants ne peuvent plus nier leur responsabilité dans la tenue d’un débat démocratique de qualité, à une époque où 57 % des citoyens européens accèdent à l’information par le biais des médias sociaux, des agrégateurs d’information et des moteurs de recherche.

Par-delà la dimension européenne, la réponse à apporter aux fausses informations doit être inclusive et dépasser le seul cadre de la répression, comme vous l’avez souligné. Toutes les sociétés en Europe ne sont pas égales face aux fausses informations. Le niveau d’éducation, la culture démocratique, les inégalités, jouent un rôle décisif dans leur degré de propagation. C’est donc aussi par l’éducation aux médias numériques que l’Union européenne et nos États membres peuvent lutter efficacement contre les fausses informations. C’est la raison pour laquelle je considère, dans mon projet de rapport, que le programme « Europe Créative » pourrait participer au financement des programmes nationaux d’éducation numérique et soutenir les projets menés en ce sens par les organisations non gouvernementales, les associations ou les start-up.

Par ailleurs, afin de maintenir la diversité des points de vue médiatiques, il nous incombe de protéger et de valoriser le secteur de la presse. L’enjeu est considérable puisqu’il s’agit de protéger le pluralisme des médias et son corollaire, la liberté d’expression. Dans cette perspective, je salue le soutien apporté par la Commission européenne à la labellisation des médias reconnus comme respectueux de stricts principes déontologiques, de l’indépendance des journalistes et de la capacité à vérifier les faits qu’ils relatent.

Enfin, les échéances électorales à venir rendent d’autant plus crucial le combat européen contre les fausses informations. Vous le savez, dans un an presque jour pour jour, se tiendront les élections européennes qui devront permettre de choisir la forme que prendra l’Union européenne dans les dix années à venir. Or ces élections sont particulièrement vulnérables, d’une part parce que l’accumulation des vingt-sept scrutins nationaux ouvrent autant de fenêtres pour la propagation des fausses informations, et d’autre part parce que de nombreux citoyens connaissent trop peu ou mal ce que fait l’Union européenne.

J’ai donc deux questions. Estimez-vous, madame la ministre, que les dispositifs des propositions de loi seront efficaces lors des élections européennes à venir ? Quelles méthodes de collaboration entre les États membres et les institutions européennes permettraient selon vous d’éviter les menaces qui pèsent actuellement sur ce scrutin et, plus globalement, pensez‑vous que l’approche nationale définie par les propositions de loi en cours d’examen et l’approche européenne peuvent se concilier ?

M. Guillaume Vuilletet. L’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne : sites, plateformes, chaînes télévisuelles en ligne… C’est pourquoi le groupe La République en Marche a souhaité qu’une proposition de loi s’empare rapidement du sujet de la lutte contre les fausses informations, qui a été, je le rappelle, un engagement de campagne de notre majorité. Nous serons ainsi l’un des premiers pays de l’Union européenne à légiférer sur ce phénomène. C’est pour cela que nous devons à la fois faire preuve d’innovation mais également de prudence, car les regards de nos voisins seront tournés vers nous.

Comme vous l’avez rappelé fort justement madame la rapporteure, nous nous apprêtons à nous doter de nouveaux outils pour faire cesser la diffusion des fausses informations. La nouveauté est là : nous ne recherchons pas les auteurs, nous cherchons à faire cesser le trouble efficacement et rapidement.

La proposition de loi prévoit également, et c’est une excellente chose, une obligation de transparence des plateformes sur l’identité des personnes et le montant consacré à des contenus sponsorisés. À cet égard, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’étendre cette obligation de transparence au-delà de la période électorale, et nous aimerions avoir votre sentiment sur ce point.

Parce que cette notion de transparence est centrale, elle est demandée par les acteurs et elle est nécessaire à la vigilance des citoyens. Nous voyons bien que le contenu des médias Internet demande une exigence accrue de la part des citoyens, qui sont confrontés à une profusion d’informations, et les règles de diffusion – les fameux algorithmes – permettent d’être facilement saturés par des informations invérifiables. Il faut donc avoir une vraie connaissance, une vraie vigilance, et l’éducation est centrale dans ce projet.

La société à laquelle nous sommes confrontés est aujourd’hui une société de l’information ; elle doit permettre à chacun de se faire son opinion par rapport à des échéances, en particulier électorales, mais elle doit aussi permettre à chacun d’avoir une information fiable qui ne soit pas l’objet d’une censure, ni d’une autocensure des plateformes. C’est l’objet de ces deux propositions de loi et nous vous remercions de nous éclairer sur votre sentiment à cet égard.

Mme Fabienne Colboc. On l’a dit et on l’a vu, les fausses informations ont touché un grand nombre de pays aux dernières élections, souvent sous l’impulsion d’États étrangers. Plusieurs fausses informations ont été relayées massivement lors des élections françaises mais aussi au cours des élections américaines et lors des discussions sur le Brexit. C’est un problème global.

La Commission européenne s’est d’ailleurs saisie du sujet en mettant en place une consultation publique et un groupe d’experts, comme vous l’avez rappelé dans votre rapport, monsieur Anglade. D’autres États européens ont également décidé d’agir. C’est le cas de l’Allemagne qui a instauré une loi obligeant les réseaux sociaux à supprimer dans les vingt‑quatre heures les contenus litigieux.

La proposition de loi met en place à la fois des dispositifs de prévention pour éclairer les utilisateurs des plateformes en ligne et des dispositifs de sanction pour endiguer la propagation de fausses nouvelles.

Elle poursuit trois objectifs principaux. Le premier est d’éviter la diffusion de fausses informations sur les plateformes en ligne dans les périodes cruciales pour notre démocratie que sont les périodes électorales. Le second est de renforcer le pouvoir de contrôle du CSA sur les chaînes qui diffusent des informations susceptibles de déstabiliser nos institutions ou de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation par la diffusion de fausses nouvelles. Enfin, elle vise à impulser une responsabilisation des plateformes et des distributeurs de services pour qu’ils s’engagent dans la lutte contre les fausses informations.

Cette proposition de loi porte une idée particulièrement intéressante, celle d’encourager une autorégulation des plateformes pour lutter contre la diffusion de fausses informations. Le titre III prévoit en effet une obligation pour les fournisseurs d’accès et les hébergeurs d’informer les autorités publiques des fausses informations qui leur seraient signalées et de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces fausses informations. Cette obligation de coopération est un premier pas important qui va permettre d’associer l’ensemble des acteurs concernés à la régulation des fausses informations.

Nous pouvons sûrement compléter les obligations prévues par le titre III pour rendre cette coopération encore plus effective et encourager les initiatives de lutte contre les fausses informations créées par les journalistes ou les vérificateurs d’information.

Mme Brigitte Kuster. Avant de nous pencher sur le fond de la proposition de loi relative aux fausses informations, deux questions préalables devraient se poser à nous. Y a-t-il vraiment lieu de légiférer et, si tel est le cas, sommes-nous absolument certains que les bienfaits de la loi sont de très loin supérieurs aux dérives qu’elle est susceptible d’engendrer ? Par dérives, je veux parler d’atteintes à la liberté d’expression, à la liberté de commercer ou même à celle d’entreprendre, rien de moins.

À la première question, « faut-il légiférer ? », le groupe Les Républicains est bien entendu tenté de répondre oui. L’actualité récente, notamment aux États-Unis, a démontré que les élections majeures pouvaient faire l’objet de campagnes massives de désinformation, y compris émanant d’un pays étranger, au point, même si cela reste à prouver, de remettre en cause la sincérité des résultats. La clé de voûte et l’unique source de légitimité de la démocratie, ce sont les élections libres. Jeter le discrédit sur une élection, c’est risquer de voir la démocratie s’effondrer tel un château de cartes. Les enjeux, nous en sommes tous d’accord, sont donc considérables.

Bien sûr, en France, le droit positif n’est pas muet, s’agissant de la lutte contre la diffamation, l’injure, la provocation, mais, comme le Conseil d’État le précise dans son avis, la diffusion de fausses informations s’effectue désormais selon des logiques et des vecteurs nouveaux que la législation en vigueur ne parvient pas à appréhender dans toute leur diversité. Dans cette perspective, et dans cette perspective d’abord, la nécessité de légiférer semble donc s’imposer.

Cela étant, les vraies difficultés ne font que commencer. Sur quelle base juridique se fondent les nouvelles obligations imposées aux plateformes, des obligations qui vont jusqu’à constituer des restrictions à la libre expression des services de la société de l’information ? Le Conseil d’État invoque une notion inédite, celle de « raison impérieuse d’intérêt général », qu’il assortit de trois limites qui, pour l’une, apparaît d’ailleurs dans la proposition de loi mais en des termes différents, et pour les deux autres n’y figurent tout simplement pas, ce qui est pour nous regrettable.

Première limite : la durée durant laquelle s’exerce ce régime d’obligations et de contrôle. Le texte évoque un délai à compter de la publication du décret de convocation des électeurs et la fin des opérations de vote. Le Conseil d’État préfère lui substituer un délai plus précis de trois mois, ce qui semble en effet une mesure de bon sens.

Deuxième limite : la haute juridiction estime que la notion de fausses informations doit être rattachée à celle de « débat d’intérêt général », et ce afin de restreindre le champ d’application des obligations et d’éviter d’éventuelles atteintes à la liberté d’expression. Là encore, nous serions bien avisés de faire nôtre cette rédaction plus rigoureuse.

Troisième limite : le Conseil d’État souligne qu’en elle-même, la notion de fausse information ne révèle aucune intentionnalité. L’intention de nuire devrait pourtant être l’élément caractéristique de l’infraction, ce qui n’est pas le cas dans la proposition de loi. Il est donc indispensable, toujours dans un souci de respect de la liberté d’expression, que cette intention soit mentionnée expressément dans le texte.

Mais plus préoccupantes encore sont les observations du Conseil d’État s’agissant du nouveau référé, qui constitue pourtant le cœur de la réforme. D’après lui, la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, n’empêchera pas la propagation des fausses informations. Dès lors, la seule utilité du référé sera d’offrir aux candidats diffamés l’opportunité de se prévaloir d’une décision juridictionnelle pour répliquer dans le débat public. Peut-on se satisfaire d’un rôle aussi limité ? La position du Gouvernement, madame la ministre, sur ce point précis comme sur les trois que j’ai précédemment mentionnés, vous le comprendrez, est pour nous particulièrement importante et même essentielle.

De la même façon, je crois qu’il est indispensable d’être très attentif aux difficultés que risque de rencontrer le CSA aux différents stades d’intervention qui seront les siens. Qu’il s’agisse de son rôle en matière de refus de suspension ou de résiliation de conventionnement, le CSA est exposé à d’importantes difficultés, notamment en matière d’interprétation de la loi. Comment établir à la fois le caractère mensonger de l’information et l’intention de nuire ? Comment articuler les notions d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et de déstabilisation de ses institutions avec celle de l’altération de la sincérité du scrutin ? Comment assurer un contrôle le plus large possible en y intégrant des contenus diffusés par les filiales des plateformes ? Enfin, le CSA est-il capable d’assumer un nouveau mécanisme de conventionnement avec cette plateforme ? Le CSA est la cheville ouvrière de la réforme ; il est donc important et primordial de clarifier ses compétences.

En conclusion, il ne faut pas trop attendre de cette loi. Elle constitue sans doute une mise à niveau nécessaire de notre arsenal législatif face à un phénomène en plein essor mais elle ne peut en aucune manière être l’alpha et l’oméga de la lutte contre les désinformations.

M. Laurent Garcia. Le combat pour la confiance en la presse a toujours été pour le Mouvement démocrate un impératif. Car c’est bien là le corollaire du texte que vous présentez, mes chers collègues : derrière la lutte contre les fausses informations, contre tous ces phénomènes viraux que nous constatons tous les jours et dont nous pouvons parfois être nous-mêmes victimes, il y a bien l’idée que le plus important est de replacer le journalisme dans sa dimension d’analyse, d’expertise, bref d’information sûre et de qualité. Il ne vous étonnera donc pas, madame la ministre, mes chers collègues du groupe La République en Marche, que notre groupe vous apporte un soutien ferme et entier dans cette initiative.

Les exemples sont désormais légion de ces « informations » que l’on voit circuler sur le Web et dont la véracité, la vérification ne semblent pas être le souci premier de ceux qui les initient ni même a fortiori de ceux qui les diffusent et les rediffusent. Cela pourrait n’être qu’un épiphénomène si ces fausses informations restaient de l’ordre du particulier, mais nous savons bien qu’aujourd’hui internet et ses différents réseaux sont aussi devenus un lieu de pouvoir et d’influence, et qu’il convient que notre législation se dote des moyens d’y faire face et d’y répondre.

C’est l’objet de vos propositions de loi. Diverses dispositions sont prévues, à commencer par celles applicables aux périodes électorales. Vous avez raison de cibler ces temps forts de notre démocratie car ils sont bien ceux qui font l’objet de la concentration la plus forte de ces fausses informations – les dernières élections nationales comme étrangères sont là pour le prouver. Nous souscrivons à votre démarche et nous soutenons ces mesures qui nous paraissent indispensables. Bien sûr, se pose la question de leur extension aux élections locales, qui sont elles aussi, les élections municipales surtout, touchées par ces phénomènes. Il nous semble qu’il serait possible de trouver un arsenal juridique capable de couvrir aussi ces élections.

Le titre II de la proposition de loi ordinaire relatif à la liberté de communication comporte des dispositions qui permettent de mieux encadrer et, au besoin, de sanctionner un service si celui-ci, sous l’influence ou l’action directe d’un État étranger, contrevenait à l’ordre public. Là aussi, il nous semble important de renforcer le CSA dans ses prérogatives. Toutefois, l’ériger en gardien de l’ordre public par l’appréciation qu’il devrait porter sur les informations diffusées, c’est-à-dire confier cette responsabilité à une autorité administrative, alors même qu’il s’agit d’une responsabilité politique, nous semble quelque peu problématique par la confusion que cela ne manquerait pas d’engendrer.

Enfin, nous veillerons particulièrement à ce que ces textes luttent non seulement contre les fausses informations politiques mais aussi contre les fausses informations scientifiques, qui font elles aussi des ravages en induisant beaucoup de nos concitoyens en erreur. Nous avons bien noté les dispositions de l’article 9, qui prévoit un devoir de coopération des prestataires de services, disposition qui pourrait donc s’appliquer aux cas que j’évoque. Cela nous semble néanmoins insuffisant pour lutter efficacement contre les fausses informations à caractère scientifique. Aussi, nous souhaiterions, madame la ministre, monsieur le rapporteur, avoir des précisions à ce sujet.

Plus largement, mais cela a été évoqué à maintes reprises, l’essentiel tient bien évidemment à l’éducation, celle des plus jeunes, certainement, mais celle des citoyens en général. C’est par l’exercice de l’esprit critique, en aiguisant les consciences et les pensées, que l’on parviendra à sortir par le haut de ce poison qui mine la société et la démocratie. Sur ce point, madame la ministre, vous avez bien sûr tout notre soutien, et ça c’est une vraie information ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Bournazel. Si le sujet des fausses nouvelles n’est en rien une nouveauté – Marc Bloch évoque ainsi les faux récits qui foisonnent durant la Grande Guerre –ce sont bien les mutations sans précédent des technologies numériques, en particulier l’essor des plateformes, qui leur donnent leur caractère inédit aujourd’hui. Ces mutations d’ampleur légitiment l’intervention du législateur, plus d’un siècle après la grande loi sur la liberté de la presse qui définissait déjà le délit de fausse nouvelle.

Ces fausses informations sont le fruit de campagnes calibrées, concertées, parfois pilotées par des pays hostiles qui utilisent les failles de nos États de droit pour tenter d’influencer nos élections démocratiques. Le groupe UDI Agir et Indépendants salue donc l’initiative que vous portez ; elle est d’autant plus essentielle dans un contexte de perte de confiance dans nos institutions. Ce texte sur les fausses nouvelles a le mérite de rappeler que l’information est au cœur de la démocratie, que le travail journalistique répond à un devoir de vérité et de vérification des faits qui ne peut se faire sans un cadre déontologique précis.

Avec la loi Bloche promulguée en novembre 2016, le législateur a notamment traité la question de l’indépendance des journalistes en obligeant chaque entreprise de presse à se doter d’une charte déontologique ou à se référer aux textes existants, et en donnant aux journalistes le droit de refuser tout acte contraire à sa conviction professionnelle. Mais le législateur doit aussi se préoccuper des publics qui sont les premières victimes des dérèglements de l’information. Pour rétablir la fiabilité de l’information et renouer le lien de confiance entre l’opinion et les médias, nous devons nous interroger sur l’opportunité de créer en France une instance de régulation indépendante et tripartite : syndicats de journalistes, groupes de presse, associations et experts. La plupart des démocraties d’Europe sont dotées d’un conseil de presse, au-delà d’une autorité régulatrice de type CSA.

Le second mérite de ce texte consiste à accélérer la responsabilisation des plateformes, qui ne sont pas de simples hébergeurs mais dont le rôle s’apparente de plus en plus à celui d’un éditeur. Il y a chez ces nouveaux acteurs une prise de conscience de leur responsabilité sociale et de la nécessité de réguler davantage. Cette initiative parlementaire participe à des contraintes : agir plus vite et plus efficacement. Néanmoins, nous aurons également besoin d’une réponse coordonnée au niveau européen.

De manière très pratique et concrète, je voudrais vous poser quelques questions. La création d’une nouvelle procédure de référé ouverte uniquement pendant les périodes électorales précédant les scrutins d’ampleur nationale, afin d’enjoindre aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet de stopper la diffusion d’une fausse information, part d’une bonne intention, mais comment s’assurer de l’effectivité de cette procédure lorsqu’on sait qu’un contenu peut, par la magie de la viralité, être partagé par plusieurs millions de personnes en même temps en quelques heures ?

Deuxièmement, si le juge des référés doit se pencher sur le vrai du faux, si j’ose dire, hormis les cas les plus flagrants, n’y a-t-il pas un risque qu’il se dessaisisse en se déclarant incompétent ? Cela rend d’ailleurs d’autant plus pertinente la création d’un conseil indépendant de la presse.

Troisièmement, échappe à ce texte l’enjeu de la diffusion des propos haineux et racistes sur les réseaux sociaux, contre laquelle ni notre droit ni les solutions des plateformes n’apportent de réponses aujourd’hui efficaces. Pourquoi ne pas profiter de l’opportunité offerte par ces textes pour traiter ce sujet si important ?

Enfin, nous sommes convaincus que, sur ce sujet plus que sur aucun autre, l’éducation aux médias et à l’information est fondamentale : il s’agit d’un enjeu décisif.

Je finirai en citant Marc Bloch : « Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance ; elle n’est fortuite qu’en apparence, ou, plus précisément, tout ce qu’il y a de fortuit en elle c’est l’incident initial, absolument quelconque, qui déclenche le travail des imaginations ; mais cette mise en branle n’a lieu que parce que les imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement. »

Mme George Pau-Langevin. La désinformation est un problème important aujourd’hui en Europe. La masse d’informations et de messages qui circulent sur les réseaux sociaux est positive, car c’est un accès de tous à la connaissance, aux réflexions, aux échanges, mais aussi une manière de mettre au goût du jour de vieilles lunes, des recettes fantaisistes, de colporter des rumeurs inacceptables ou des propos haineux. Il est donc important d’endiguer l’avalanche de désinformation.

Nous trouvons dommage que, face à un problème si important, la proposition de loi se cantonne à quelque chose de très précis, à savoir la diffusion de fausses informations en période de campagne électorale. Par ailleurs, comme c’est une proposition de loi, nous n’avons pas d’étude d’impact et notamment pas de bilan précis de l’application des lois existantes, loi de 1881, loi de 2004, loi de 2014… Nous aurions aimé savoir précisément ce qui manque sur le terrain avant de légiférer à nouveau. Nous avons du mal à apprécier l’intérêt de cette nouvelle procédure de référé, faute de bilan de la situation devant les tribunaux. Le Conseil d’État a souligné quelques difficultés à ce propos. Il serait positif, madame la ministre, que vous nous indiquiez comment répondre à ces observations pour justifier l’intérêt de ce texte et de cette procédure.

Le groupe Nouvelle Gauche considère qu’on ne peut faire l’économie d’une réflexion plus globale, et c’est pourquoi la mission d’information sur la communication audiovisuelle à l’ère numérique, que dirige M. Bournazel, me semble devoir faire partie de notre réflexion. Nous attaquons le problème par la petite porte et c’est vraiment dommage.

M. Hervé Saulignac. Sur un sujet si sensible et complexe, je serais tenté de vous dire, en introduction : good luck ! Je suis persuadé que, si nous devions confronter les bonnes intentions de ce texte à la réalité et aux compétences techniques des spécialistes de la fausse information, cela démonterait cette proposition de loi ligne après ligne.

Que fait-on pour la vraie information ? On ne peut pas traiter que de la fausse information, on doit aussi permettre à la presse qui respecte les règles de la profession de s’organiser pour que le distinguo puisse être fait de manière plus claire et plus facile entre ceux qui produisent de la fausse information, de l’information mal intentionnée, et ceux qui produisent de la bonne information.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une fausse information et que fait-on de la fausse information divulguée de bonne foi, car cela peut aussi arriver ?

Comment un juge peut-il qualifier une information en quarante-huit heures, a fortiori lorsqu’en période électorale sont diffusées des fausses informations du type : « Tel candidat dispose d’un compte en Suisse » ? Comment peut-on prouver quoi que ce soit en la matière dans un tel délai ?

Dans le prolongement, va-t-on remettre en cause le secret des sources, qui sera dans certains cas au cœur de la question ?

Vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, quand la diffusion est massive, le mal est fait. Chacun sait que, lorsque la vérité est rétablie, elle se diffuse malheureusement beaucoup moins vite que la fausse information.

Fallait-il un nouveau texte ? Pensez-vous que les tentatives de déstabilisation par des fake news lors de la dernière élection présidentielle auraient été repoussées par le dispositif que vous nous invitez à adopter ?

M. Michel Larive. Le groupe de La France insoumise n’est pas opposé à la lutte contre les fausses informations, seulement nous considérons que la méthode de la majorité n’est pas la bonne. Nous proposons une autre méthode pour lutter contre ces fausses nouvelles. Nous préconisons d’utiliser d’abord l’arsenal législatif existant et de donner des droits nouveaux aux journalistes en renforçant le secret de leurs sources. Nous voulons faire participer les citoyens en créant un conseil de déontologie du journalisme qui serait composé de représentants des usagers, des médias et de représentants des journalistes, y compris précaires et pigistes, et je suis ravi que le président Studer l’évoque ici. Cette mesure est en vigueur en Belgique : tous les citoyens belges peuvent saisir cet organisme en cas de manquement à la déontologie dans un reportage, une émission ou un article. Le média responsable est alors obligé de publier un rectificatif.

Nous considérons que la lutte contre les fausses informations serait plus efficace avec une transparence accrue du côté de ceux qui possèdent les médias. Je rappelle qu’ils jouent un rôle majeur dans la vie démocratique de notre pays. Ils ont le pouvoir de façonner le débat public. Ce pouvoir peut donner lieu à des abus. Comment lutter contre les fausses informations sans tenir compte du fait que les médias dépendent de neuf milliardaires pour 90 % d’entre eux ?

Enfin, nous souhaitons que la lutte contre les fausses informations soit un enjeu de l’école républicaine. L’éducation et le discernement restent les meilleures clés pour fermer la porte aux fake news.

Cette proposition de loi ne permet pas de lutter contre les fausses informations. Elle ne sera rien d’autre qu’un outil de censure.

Tout d’abord, les pouvoirs du CSA seront accrus. Il pourra suspendre ou mettre fin à la diffusion d’un service de télévision contrôlé par un État étranger en période électorale ou n’importe quand si cette interdiction répond à une nécessité d’ordre public. Il sera également en mesure de prononcer la suspension d’un média en période électorale et pré-électorale. Pour prendre de telles décisions, il ne se fondera que sur les contenus diffusés dont il fera une analyse forcément subjective.

Ensuite, un seul magistrat pourra juger de la véracité des contenus, qui plus est dans un délai quarante-huit heures, ce qui nous semble particulièrement rapide.

Enfin, il est prévu une compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris. Cela n’aboutit-il pas à exclure tout appel ?

Ce texte est en rupture totale avec la tradition de la liberté de la presse telle qu’elle s’est construite après les Lumières et la Révolution française, dans la loi de 1881 notamment. Vous vous apprêtez à mettre à mal la liberté de communiquer et de s’informer, la protection du secret des sources et la liberté d’expression et d’opinion.

La France insoumise ne votera pas en faveur de cette proposition pour trois raisons : premièrement, ce texte comporte des aspects qui le rapprochent de la censure ; deuxièmement, l’objectif affiché de la majorité – lutter contre les fausses informations – ne sera pas atteint ; troisièmement, la loi ne règle aucun problème. L’action de la majorité ne permet pas d’améliorer la situation des personnels et prestataires des médias qui voient leurs conditions de travail se précariser : journalistes, photographes, techniciens, secrétaires de rédaction, kiosquiers, imprimeurs, transporteurs, tous subissent des plans sociaux, des contrats de travail précaires, des retards de paiement.

La proposition de loi ne changera rien : les médias seront toujours la propriété de quelques oligarques et les citoyens seront toujours exclus du contrôle de la presse. Elle contribuera en outre à attenter aux libertés. Le groupe de La France insoumise fera usage de son droit d’amendement pour préciser sa position.

Mme Elsa Faucillon. La lecture de cette proposition de loi n’a fait qu’accroître mon impatience et celle du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à voir traiter les questions centrales à nos yeux que sont la liberté de la presse, la déconcentration des médias, l’affectation équitable des aides à la presse entre le papier et le numérique, le combat fiscal face aux GAFAM
– Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

Les dispositions de ce texte comportent beaucoup de risques : multiplication des contentieux ; instrumentalisation voire judiciarisation des campagnes électorales, atteinte à la liberté d’expression, censure et auto-censure mais aussi mesures de rétorsion des États étrangers. Face à la fermeture d’une chaîne diffusée en France, ceux-ci pourraient être tentés d’opposer la même sanction aux chaînes françaises. Ce qui m’inquiète, c’est la vision autocentrée sur laquelle repose cette mesure. Prêtons aussi attention à la façon dont les États étrangers nous perçoivent. En Côte d’Ivoire, par exemple, je sais que RFI peut être considérée comme un média de propagande qui s’ingère dans les affaires du régime.

Comme cette proposition de loi est directement issue d’une commande expresse formulée par le Président de la République lors de ses vœux à la presse, je crois qu’il est extrêmement important que nous déterminions qui elle vise. Le terme de « services de communication au public en ligne » est susceptible d’intégrer les éditeurs de presse en ligne, ce qui remettrait en cause l’article 1er de la loi de 1881, considérée à juste titre comme le texte juridique fondateur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression en France.

Nous devons préciser ce qu’est une fausse information, notion encore très floue dans le texte. Une de nos collègues s’est interrogée sur la volonté de nuire qui la caractériserait. Nous devons être très prudents. Demandons-nous, par exemple, si les informations de Mediapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy pourraient être considérées comme une « fausse information » au sens de la proposition de loi.

Enfin, la propagation de fausses informations n’est pour nous que le symptôme d’un mal beaucoup plus profond. Sur l’éducation aux médias, nous formulerons des propositions car elle nous semble être la meilleure réponse. C’est l’intelligence collective et l’esprit critique qui nous aideront à lutter contre ce phénomène.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur Anglade, les élections européennes pourraient effectivement être particulièrement affectées par les fausses nouvelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons voir cette proposition de loi adoptée rapidement afin qu’elle soit applicable dès les prochaines élections, en 2019.

De manière générale, je ne peux que me réjouir des initiatives de la Commission européenne, notamment de la mise en place d’un groupe d’experts de haut niveau. C’est le signe qu’elle a pleinement conscience de l’importance des enjeux. Pour l’instant, les pistes qu’elle a retenues reposent surtout sur l’auto‑régulation des plateformes, solution qui nous paraît manquer d’ambition. En appeler uniquement à la responsabilité des acteurs du numérique risque en effet de conduire à une forme de censure privée.

Les États membres ont toute légitimité à se saisir de cette problématique. Plusieurs d’entre eux l’ont déjà fait : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la Suède et plus récemment la Lettonie, qui nous a demandé conseil. Il serait bon toutefois de parvenir à une législation européenne harmonisée.

La France insiste fortement sur la redéfinition du régime de responsabilité des plateformes numériques, ce qui suppose une révision de la directive « e‑commerce » et la création d’un statut intermédiaire entre éditeurs et hébergeurs pour sortir du statut d’irresponsabilité absolue des plateformes d’hébergement. Dans cette attente, le cadre actuel offre des marges de manœuvre qu’il serait dommage de ne pas exploiter.

Monsieur Vuilletet, vous évoquiez la limitation aux périodes électorales de la transparence des contenus sponsorisés. L’obligation de transparence vise la publication d’informations pouvant relever de la liberté du commerce. Cette limitation se veut strictement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire lutter contre les atteintes à la démocratie pendant les périodes électorales. C’est durant ces périodes particulièrement exposées que les citoyens ont le plus besoin de connaître l’origine des informations. Nous avons vu comme l’activité des bots avait explosé pendant la campagne référendaire du Brexit puis comme elle est retombée une fois le vote intervenu. Étendre cette obligation de transparence pour la rendre applicable à tout moment au motif que les opinions ne se forment pas uniquement pendant les périodes électorales nous exposerait à un risque juridique.

Madame Colboc, beaucoup d’autres pays ont pris des initiatives mais elles se réduisent pour l’instant soit à l’auto-régulation comme en Allemagne soit à une régulation exercée par l’État. Notre dispositif vise à donner au juge des référés la possibilité d’intervenir, à permettre aux citoyens de disposer d’une information transparente en période électorale et à renforcer les obligations de signalement à travers le devoir de coopération, qui nous semble constituer une piste prometteuse. La Commission européenne a fait en ce domaine des propositions qui peuvent alimenter notre travail. Plusieurs initiatives de factchecking ont émergé dans les médias : Les Décodeurs du Monde ou le moteur de recherche Checknews de Libération. Nous pouvons nous appuyer aussi sur la labellisation de l’information émanant de la presse professionnelle, sur la publication d’une liste noire de sites spécialisés dans la désinformation. Nous réfléchirons à une mobilisation des acteurs de la publicité pour priver de ressources financières les sites spécialisés dans la désinformation. La réécriture qui sera proposée par votre rapporteur va dans le sens d’un élargissement des formes de coopération susceptibles d’être mises en œuvre.

L’enjeu essentiel, de mon point de vue, est que les initiatives prises par les plateformes puissent être discutées collectivement et être inscrites dans des chartes de bonnes pratiques ou des accords interprofessionnels associant journalistes, médias et annonceurs et faire l’objet d’évaluations par une instance indépendante.

Madame Kuster, je suis d’accord avec vous pour retenir un délai de trois mois pour la période électorale.

Vous évoquiez le degré de précision des critères. Le CSA devra démontrer que la chaîne est contrôlée par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci. La notion de contrôle est très précisément définie par l’article 41-3 de la loi de 1986. L’influence ne fait pas l’objet d’une définition mais elle peut être établie par la technique du faisceau d’indices. Le CSA peut déterminer si la chaîne en question porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation des institutions. Le premier concept existe déjà en droit français : il est défini dans le code pénal et dans le code de sécurité intérieure. Le deuxième constitue une innovation : il renvoie à une volonté délibérée de saper les fondements mêmes de la démocratie. Ces concepts sont généraux mais c’est précisément le rôle du régulateur que d’appliquer des principes abstraits à des situations concrètes en s’appuyant sur des éléments tangibles et objectifs. Ajoutons que les décisions du CSA seront systématiquement soumises au contrôle du juge administratif. Il n’y a donc pas de risque d’arbitraire.

Quant au référé, il constitue un complément nécessaire par rapport aux voies de droit existant en matière pénale et électorale. Il est d’ores et déjà possible de poursuivre pénalement les auteurs de fausses informations mais la mise en route de la procédure est forcément lente car il faut identifier le premier émetteur d’une fausse information sur Internet et établir la mauvaise foi. Le juge électoral peut annuler un scrutin s’il constate que sa sincérité a été altérée par des manquements aux règles du droit électoral mais seulement après le scrutin.

Le référé judiciaire a pour objet non pas de sanctionner l’auteur de la diffusion d’une fausse information ou d’annuler un scrutin mais d’endiguer la propagation de la fausse information en sollicitant le concours des intermédiaires de l’Internet tels que les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux. C’est ce qui permet une réaction rapide, indispensable pendant la période électorale où la propagation de fausses nouvelles se fait sur un mode viral et peut causer des dommages graves et irréversibles sans qu’il soit toujours possible de riposter par des moyens démocratiques. Plus la diffusion de la fausse nouvelle est proche du moment du scrutin, moins il est possible d’y répliquer pour rétablir la vérité des faits.

Monsieur Garcia, le dispositif de la proposition de loi est pour l’instant circonscrit aux scrutins nationaux – élections présidentielles, législatives, sénatoriales – et européens, qui sont les plus susceptibles d’être visés par des campagnes de désinformation massives et organisées dont les conséquences sont potentiellement graves et irréversibles, comme nous avons pu le constater dans certains pays. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas se contenter du contrôle a posteriori du juge électoral et qu’il faut disposer de la possibilité de réagir en temps réel avant le scrutin. Cela ne veut pas dire que les scrutins locaux ne méritent pas eux aussi d’être protégés. Le devoir de coopération pourra être utile à cet égard.

Vous évoquiez aussi une extension aux fausses informations scientifiques. Celles-ci pourraient entrer dans le champ du devoir de coopération qui vise les fausses informations qui troublent l’ordre public, dont la salubrité et la santé publiques font partie. Il ne serait pas opportun d’étendre l’obligation de transparence des contenus sponsorisés ou le référé civil à ce type d’informations car ces deux dispositions ont un objet bien précis : protéger la sincérité du scrutin ; elles n’ont vocation à s’appliquer qu’en période électorale.

S’agissant de l’intervention préventive du CSA, rappelons que la proposition de loi donne à cette instance le pouvoir de refuser de conventionner une chaîne contrôlée par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci en cas de risque d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participation à une entreprise de déstabilisation des institutions. Il s’agit d’empêcher la reprise dans les offres de distributeurs destinés au public français de programmes audiovisuels dont le but est de saper le fonctionnement de notre démocratie. Comme le souligne le Conseil d’État, le CSA devra établir l’existence de ce risque en apportant des éléments matériels objectifs, en se fondant notamment sur le comportement passé de la chaîne qui demande le conventionnement, y compris dans d’autres pays ou sur son site internet. Cette disposition ne confère en aucun cas au CSA un pouvoir arbitraire. La crainte d’éventuels procès d’intention est là encore infondée.

Monsieur Bournazel, vous évoquiez l’idée de créer une instance de régulation tripartite. Restaurer la confiance des citoyens dans leurs médias passe sans nul doute par un renforcement de la déontologie. La loi Bloche de 2016 va dans ce sens en prévoyant la rédaction obligatoire de chartes déontologiques dans les entreprises de la presse et de l’audiovisuel et la constitution par les éditeurs de services de télévision et de radio de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, dispositions dont nous pourrons faire un bilan de la mise en œuvre. Nous sommes bien évidemment prêts à réfléchir à de nouvelles améliorations. Toutefois, en matière de déontologie, c’est l’auto-régulation de la profession qui nous paraît constituer la meilleure réponse. Je ne crois pas qu’il appartienne à l’État de s’y substituer. C’est la raison pour laquelle nous suivons avec beaucoup d’intérêt les initiatives de la profession qui visent à offrir au public des garanties quant au respect des règles déontologiques. Je pense notamment à la Journalism Trust Initiative, lancée par Reporters sans frontières ou au conseil de presse proposé par l’Observatoire de la déontologie de l’information.

Vous vous interrogez sur la possibilité d’établir en urgence la véracité d’une information. Les procès relatifs aux fausses nouvelles sont souvent complexes. La réunion des preuves demande du temps. Il y a toutefois des cas qui relèvent de l’évidence manifeste. L’assertion selon laquelle « le nombre d’étrangers résidant en France a été multiplié par dix au cours des cinq dernières années » peut, par exemple, facilement être vérifiée sans enquête lourde. Le juge des référés est le juge de l’évidence. Il ne fera usage de son pouvoir pour obtenir le retrait d’une information que s’il a la certitude qu’elle est manifestement fausse et qu’il n’existe aucun doute raisonnable et sérieux sur ce point. Cela peut contribuer à lever toute ambiguïté et à apaiser les craintes. Le texte pourrait être modifié pour ne viser que les « nouvelles manifestement fausses ».

Madame Pau-Langevin, nous considérons que le nouveau référé permet plusieurs améliorations. Les procédures existantes ne sont pas adaptées à la problématique de la désinformation en ligne. Le référé prévu par la loi de 1881 ne s’applique pas au délit de fausses nouvelles mais uniquement à des infractions comme la diffamation ou l’injure. Le référé dit « LCEN », en référence à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, repose sur des critères très généraux, qui sont difficiles à appliquer à la divulgation de fausses informations. La nouvelle procédure permet de fournir au juge un mode d’emploi en définissant précisément les critères : « diffusion artificielle et massive d’une fausse information » et « risque d’altération de la sincérité du scrutin ». Les conditions d’appréciation du juge sont ainsi mieux encadrées, ce qui concourt à la sécurité juridique et protège contre toute atteinte à la liberté d’expression. En outre, cette procédure spéciale présente deux spécificités qu’il faut souligner ici : la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris et, surtout, un délai maximal de quarante-huit heures.

Monsieur Saulignac, vous vous interrogez sur le soutien que nous apportons à la presse. Nous sommes très attachés à garantir aux citoyens un accès à une information pluraliste, fiable et de qualité. C’est la raison pour laquelle nous accordons une grande importance au soutien à la presse professionnelle : le travail des journalistes est le meilleur rempart contre la prolifération des fausses nouvelles. Les aides au pluralisme, aux médias sociaux de proximité, à l’émergence et à l’innovation sont intégralement préservées dans le budget pour 2018. Le Gouvernement s’est mobilisé pour répondre aux difficultés que connaît actuellement la distribution de la presse au numéro, notamment grâce au soutien à Presstalis. Par ailleurs, nous accompagnons l’Agence France Presse, pilier essentiel du secteur de la presse, garante de l’accès à une information fiable, rigoureuse et impartiale, dans la redéfinition de son modèle économique.

Le combat se joue aussi au niveau européen. Je suis attentive à ce que l’objectif légitime de protection de la vie privée ne conduise pas à adopter des règlementations qui fragiliseraient excessivement le modèle économique des éditeurs. Je pense au règlement « Eprivacy » qui comporte le risque de priver la presse de revenus publicitaires. En outre, je me bats avec détermination pour faire reconnaître à l’échelon européen un droit voisin des éditeurs de presse et éviter que les modalités techniques de sa mise en œuvre ne le vident pas de sa substance dans les discussions qui ont lieu au sein de la Commission. Je me rends d’ailleurs demain à Bruxelles dans cet objectif.

S’agissant du secret des sources, madame Faucillon, monsieur Larive, je reviendrai sur ce qui est désormais un véritable cas d’école : l’article de Mediapart publié durant la campagne présidentielle de 2012 sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Si la présente proposition de loi était adoptée, le juge serait-il en mesure de bloquer une telle publication ? vous demandez-vous. La réponse est non pour deux raisons principales : d’une part, l’information n’a pas fait l’objet d’une diffusion artificielle sur les réseaux sociaux ; d’autre part, elle a été produite par des journalistes qui peuvent se prévaloir du secret des sources. L’information est issue d’une enquête et le juge ne pourra pas considérer qu’elle est manifestement fausse. Il n’en irait pas de même pour l’information selon laquelle l’agent du FBI à l’origine des fuites d’e-mails d’Hillary Clinton aurait été retrouvé assassiné chez lui, qui a été massivement relayée sur les réseaux sociaux américains deux jours avant l’élection de 2016. Elle n’avait pas d’auteur et la preuve de son caractère manifestement faux n’aurait pas été difficile à apporter dans le délai prescrit. La diffusion d’une fausse information de ce type pourrait être bloquée grâce au nouveau texte de loi.

Vous avez eu raison de souligner l’importance majeure de l’éducation aux médias. Bruno Studer y reviendra certainement.

Vous doutez, monsieur Larive, de la légitimité du juge à établir la véracité d’une information. Le droit existant confie déjà au juge le soin de dire si une information est vraie ou fausse, à l’occasion des procès en diffamation, par exemple, ou sur le fondement du délit de fausse nouvelle. Sa légitimité pour le faire n’est ni contestée ni contestable. Notre Constitution prévoit que le juge judiciaire est le garant des libertés publiques. En l’espèce, le référé ne vise pas à confier au juge le soin de statuer sur la véracité de n’importe quelle information. Seules sont concernées en période électorale les informations diffusées de manière massive et artificielle et qui sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Enfin, vous avez évoqué les chaînes étrangères, madame Faucillon. La loi ne vise pas la simple diffusion des fausses informations qui peuvent survenir occasionnellement sur n’importe quelle chaîne de télévision, généralement par erreur. Le CSA a déjà les moyens de réagir à ce type d’incident en usant de son pouvoir de mise en demeure voire de sanction. Ce que vise la proposition de loi, c’est l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou la participation à une entreprise délibérée de déstabilisation des institutions. Force est de reconnaître aujourd’hui que ce ne sont pas les chaînes françaises ou européennes qui sont susceptibles de se rendre coupables de telles pratiques. Le texte est donc volontairement circonscrit aux chaînes contrôlées par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, madame la ministre, pour vos réponses très complètes.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Madame Kuster, je vous remercie d’avoir assisté à quelques-unes de nos auditions. Quant aux libertés fondamentales, soyez assurée qu’aucune n’est mise en danger par ce texte – nous y reviendrons lors la discussion en commission.

Monsieur Garcia, Mme la ministre vous a répondu sur les fausses informations scientifiques : effectivement l’ordre public inclut la santé et la salubrité publiques. Par ailleurs, la nouvelle rédaction de l’article 9 que nous vous proposerons lors de l’examen du texte en commission répondra sans doute à vos inquiétudes.

Madame Pau-Langevin, monsieur Saulignac, vos interrogations font écho à celles que nous avons entendues lors des auditions : ce texte est-il nécessaire ? Bien entendu ! J’en profite également pour répondre à Mme Faucillon. La paternité de ce texte reviendrait au Président de la République : en toute humilité, j’ai échangé directement avec lui et mes collègues vous diront à quel point le sujet fondamental de la désinformation m’anime depuis que j’ai pris mes fonctions. Je porte donc ce texte avec beaucoup de détermination.

Des adaptations législatives sont absolument indispensables : sur la transparence des contenus sur Internet, sur l’extension du référé audiovisuel aux distributeurs de service – dispositions prévues à l’article 8. Au-delà de la consolidation de la jurisprudence sur la capacité du CSA à suspendre ou à refuser un conventionnement, ces avancées ne sont pas suffisamment mises en avant.

J’espère que la rédaction que je proposerai pour l’article 9 vous satisfera ou, à tout le moins, vous encouragera à voter ce texte. Les dispositions qu’il contient sont en l’état actuel rattachées à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Les modifications que nous allons y apporter
– intervention du CSA, coopération avec les plateformes et autorégulation – les rattacheront à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Je veux le souligner devant Mme la ministre : la France s’honore de prendre ces engagements. Ils s’inscrivent dans une logique plus globale d’avancées sur les droits d’auteur, les droits voisins des éditeurs de presse ou ceux obtenus sur la nouvelle directive relative aux services de médias audiovisuels (SMA). Il est important que la France montre l’exemple.

Monsieur Anglade, je vous remercie d’avoir insisté sur la nécessité de rouvrir le débat sur le statut des plateformes, régi en l’état actuel du droit par la directive « E‑commerce » du 8 juin 2000, transposée dans la loi française par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Sur certains sujets, nos partenaires européens nous montrent la voie. Mais en matière de responsabilisation des plateformes numériques, nous la leur indiquons.

Ces plateformes jouent un rôle majeur dans la vie quotidienne des 500 millions de citoyens européens : c’est la raison pour laquelle il y a urgence à garantir la sincérité du prochain scrutin électoral majeur en France et en Europe – les élections européennes. Des dispositions législatives doivent être rapidement votées, sans attendre les résultats de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l'ère numérique que j’ai souhaité créer.

Cette proposition de loi montre également que nous ne sommes plus naïfs face aux géants du numérique. Nous avançons sur la taxation des Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), grâce aux efforts de la France dans les négociations européennes.

Monsieur Larive, madame Obono, vous représentez le groupe de La France insoumise. Vous ne pouvez pas dire que rien ne change ! La question fondamentale de l’éducation aux médias et à l’information fera l’objet d’amendements concernant tant l’enseignement primaire que secondaire, la formation des enseignants que celle des jeunes apprentis dans les centres de formation des apprentis. Elle va devenir une priorité des programmes d’éducation morale et civique.

Vous ne pouvez pas non plus dire que rien ne change quand nous consolidons la distribution de la presse quotidienne française au numéro : l’État soutient Presstalis pour qu’il continue à faire son travail – vous savez à quel point sa situation est fragile.

Enfin, vous ne pouvez pas dire que rien n’est fait pour la presse alors que nous avons combattu des amendements visant à mettre fin au taux hyper-réduit de TVA pour la presse ! La presse est en effet consubstantielle à la démocratie.

Vous ne pouvez pas affirmer que l’on ne s’occupe pas de ceux qui font la « bonne information » ! Ce texte est précisément l’occasion de réaffirmer que nous avons plus que jamais besoin d’un journalisme de qualité pour garantir une information plurielle et libre. Nos concitoyens doivent être fiers de leur presse quotidienne régionale et nationale, de leurs chaînes de télévisions et de leurs radios. Elles produisent une information de qualité, mais cette information a un coût, car elle a une valeur : cette valeur est absolument essentielle.

Je me réjouis donc que ces nouvelles dispositions soient portées par la représentation nationale française. Avec Naïma Moutchou, rapporteure pour la commission des Lois, nous travaillons à l’amélioration du dispositif et ne désespérons pas de vous convaincre que nous protégeons les Français, les journalistes français et, au-delà, que nous envoyons un message au reste de l’Europe.

Je vous remercie par avance de votre apport constructif à nos débats.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Mme la ministre et Bruno Studer ont parfaitement répondu à toutes les questions. Si nous ne sommes pas d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, nous convergeons tous sur l’objectif : le combat contre la désinformation. En outre, j’entends les critiques, mais n’ai pas entendu beaucoup d’alternatives, si ce n’est peut-être sur le volet éducatif ou de coopération – que nous traitons déjà.

Si la liberté d’expression est sacrée – nous y sommes tous attachés –, elle ne peut être synonyme d’immunité : certains discours ne peuvent pas être tenus et doivent être sanctionnés. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne dit d’ailleurs pas autre chose : elle élève la liberté d’expression au plus haut rang, tout en sanctionnant et en prévoyant des garde-fous. Cette proposition de loi ne fait que l’adapter aux nouvelles technologies.

Il ne s’agit pas de censure – on est là dans la fausse information ; il n’y a pas ceux qui protègent les journalistes et les autres. Le mécanisme de la proposition de loi est précisément encadré et proportionné. Je vous invite à examiner les amendements qui seront déposés. Nous pourrons en discuter. Sachez que nous sommes aussi soucieux que vous de l’équilibre du texte.

Mme Aurore Bergé. Que ce soit en matière de piratage, de terrorisme, de pédopornographie, de haine sur internet et aujourd’hui, de fausses informations, les plateformes ne peuvent plus s’exonérer de leurs responsabilités dans la diffusion et la propagation de ces contenus. Je ne vois d’ailleurs dans la lutte contre ces dérives aucune atteinte à la liberté d’expression, à la liberté d’entreprendre ou au secret des sources, mais bien au contraire, l’affirmation de nos valeurs démocratiques. La proposition de loi formulée par notre majorité permet précisément de répondre à cette urgence démocratique : la sincérité d’un scrutin électoral ne doit pas être altérée volontairement. Or les tentatives en la matière ont été nombreuses à l’étranger, mais aussi en France.

Madame la ministre, des avancées européennes importantes sont en cours : la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) prévoit ainsi l’engagement de la responsabilité des plateformes dans certains cas. Comment s’articuleront les nouvelles dispositions nationales relatives aux fausses informations et ces avancées européennes ?

La présente proposition de loi fait référence à la promptitude des plateformes pour déréférencer des contenus. Doit-on caractériser plus précisément le délai de déréférencement ? Si oui, comment ? Durant les campagnes électorales, cette promptitude est fondamentale pour lutter contre le risque d’altération du scrutin.

M. Frédéric Reiss. Fallait-il légiférer sur ce sujet épineux ? La question a déjà été posée. À l’évidence, c’est une réponse à un phénomène d’ampleur qui – hélas – n’épargne personne. Mais une vérité officielle ne viendra-t-elle pas se substituer à une fausse information ? Madame la rapporteure, vous avez affirmé qu’il n’y a pas de vérité qui puisse s’imposer.

On ne peut qu’être d’accord pour mettre les réseaux sociaux devant leurs responsabilités. De quelle manière les nouveaux instruments législatifs permettront-ils aux acteurs d’internet de déterminer rapidement si une demande de déréférencement, de suppression ou de blocage est bien fondée ? Je pense non seulement à la propagande politique illicite ou nuisible en période électorale, mais aussi aux discours radicalisés, haineux ou discriminatoires. Ne faudrait-il pas envisager la création d’un médiateur – certains parlent d’un ombudsman – chargé du respect des règles de déontologie ?

Madame la ministre, vous avez évoqué une plateforme commune de l’audiovisuel public chargée de décrypter l’information et d’éduquer aux médias : l’éducation nationale sera-t-elle associée à cette plateforme dès sa création ?

Mme Danièle Obono. Il a beaucoup été question d’urgence et de naïveté dans les interventions précédentes. L’urgence n’est-elle pas précipitation en l’espèce ? Les droits fondamentaux – liberté de la presse, liberté d’expression et droit à l’information – méritent que l’on fasse très attention à ce qu’on fait... Invoquer l’urgence ne suffit pas à légitimer cette proposition de loi !

Par ailleurs, je souhaiterais être éclairée sur la définition que vous comptez donner aux « fausses informations ». Plusieurs collègues ont soulevé cette question, mais je n’ai pas entendu les précisions attendues. Mme Moutchou a indiqué qu’un amendement allait clarifier ces termes : n’est-il pas problématique qu’il arrive si tard ? Les Nations unies se sont ainsi émues à plusieurs reprises que ce concept soit utilisé à tort et à travers, par exemple par le Président des États-Unis Donald Trump – pour qui tout est fake news. Plus près de nous, lors des débats sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, des membres de votre majorité au sein de notre Parlement ont estimé que les critiques apportées à ce texte étaient des fake news… Ce terme n’est donc pas utilisé que par des États étrangers, mais également pour contrer le débat démocratique et délégitimer des propos. Cet usage du concept par des représentants de la majorité parlementaire est problématique.

Quels moyens comptez-vous donner au CSA dont le champ de responsabilités est étendu ? Ces nouvelles compétences nécessitent d’importants moyens techniques et financiers, sans qu’aucun ne soit prévu dans votre proposition de loi…

Mme Paula Forteza. Plusieurs associations et chercheurs ont soulevé l’impact que les algorithmes de recommandation, de classement ou de référencement de contenus peuvent avoir sur la diffusion des fausses nouvelles, ou plus largement d’un certain type d’informations – courtes, non vérifiées, à caractère polémique, polarisant ou simpliste. En effet, le modèle d’affaires de plusieurs plateformes est basé sur le ciblage publicitaire : elles cherchent donc à maximiser le temps d’attention des utilisateurs sur les contenus mis en avant plutôt que de veiller à leur qualité – c’est ce qu’on appelle parfois l’économie de l’attention.

Une solution à ce phénomène ne serait-elle pas d’avancer sur la transparence des algorithmes, comme nous cherchons à le faire dans le secteur public, afin que chaque utilisateur puisse prendre connaissance et évaluer les critères utilisés pour proposer un contenu plutôt qu’un autre et puisse ainsi choisir ses sources d’information en toute connaissance de cause ?

Certes, le secret des affaires ne nous permettra pas d’obtenir la transparence absolue. Mais peut-être pourrions-nous obtenir la communication de statistiques agrégées sur le résultat de ces algorithmes – les outputs. Cela permettrait à des acteurs de la société civile, des associations, des citoyens ou des chercheurs de comparer l’impact des différents algorithmes sur la mise en avant de chaque type d’informations sur la base de critères objectifs.

Madame la ministre, que pensez-vous de cette proposition ? Plus largement, quelle est votre opinion sur le rôle des algorithmes de certaines plateformes dans la diffusion de fausses nouvelles ? Quelle place pouvons-nous faire à ce sujet dans la présente proposition de loi ?

M. Gabriel Attal. Je voulais revenir sur la question de l’éducation aux médias, à l’information et au décryptage. Elle est essentielle pour accompagner cette proposition de loi et les nouveaux outils de régulation que nous proposons.

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la mise en place par les groupes de l’audiovisuel public – à votre demande – d’une plateforme de décryptage. Notre mission d’information, qui se penche sur la réforme de l’audiovisuel public, soutient cette idée : c’est le rôle de l’audiovisuel public, sur les antennes comme sur Internet, d’apporter les clés pour comprendre et décrypter l’actualité – de faire de la « désintox » selon le terme employé par certains médias.

Savez-vous déjà comment cela pourrait s’organiser ? Cette plateforme de décryptage fera-t-elle uniquement appel aux journalistes des différentes antennes ou le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI)
– particulièrement compétent sur le sujet – sera-t-il associé, afin que les jeunes soient informés de l’existence de cette plateforme ?

M. Rémy Rebeyrotte. Le numérique dépasse largement nos frontières : la fausse information peut naître à l’étranger, y être diffusée ou, au contraire, partir de France à destination d’autres pays. La mondialisation des échanges justifie donc de compléter la loi de 1881 précitée. Madame la ministre, le Gouvernement travaille-t-il avec ses homologues aux niveaux européen et international pour lutter contre la diffusion massive de fausses informations ? Ces questions sont-elles des enjeux diplomatiques et à quel niveau sont-elles abordées ?

Vous avez dit que l’éducation était un outil efficace de lutte contre les fausses informations. J’y ajouterai le pluralisme : comment renforcer le pluralisme de l’information et des sources d’information, notamment au plan européen ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Aurore Bergé, vous m’interrogez sur l’articulation de ces dispositions avec le calendrier européen. La responsabilisation des plateformes est au cœur des discussions européennes, tant en matière de lutte contre les propos haineux ou le piratage – thématiques que j’ai relancées récemment – que dans le cadre de la directive SMA. Celle-ci devra être transposée dans la loi le plus vite possible.

Vous évoquez des mécanismes de censure privée : nous avons évalué les différents mécanismes, en discussion ou déjà votés comme en Allemagne, et ne sommes pas favorables à ce système. Un dispositif législatif nous semble préférable, avec un devoir de coopération plus étayé des plateformes lorsque les contenus seront signalés.

Madame Obono, Mme Naïma Moutchou pourra vous répondre sur la définition des fausses informations, sujet sur lequel elle a plus particulièrement travaillé. Il y a urgence à agir car les rendez-vous électoraux se rapprochent et vous connaissez tous les conséquences de la diffusion virale et massive de fausses nouvelles. Pour autant, nous nous laissons le temps de la réflexion et de la discussion pour aboutir au meilleur résultat possible.

Madame Forteza, la transparence des algorithmes est un sujet majeur. Le devoir de coopération inclut cette question. Comment faire en sorte que les algorithmes mettent en avant les informations labellisées et étayées, et que celles qui font l’objet de signalements soient sous-référencées ?

À cet égard, les exigences ont été récemment renforcées par le règlement européen du 27 avril 2016 sur la protection des données à caractère personnel (RGDP) et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Cette dernière a confié à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) une réflexion sur l’éthique des algorithmes. L’évaluation de la loi du 7 octobre 2016 pourrait être l’occasion de faire un bilan de son application et de proposer, si besoin, des évolutions législatives. Le débat doit également continuer au niveau européen, le sujet constituant une préoccupation pour l’ensemble des États membres.

Monsieur Reiss, il n’y a pas de vérité officielle, ni de ministère de la vérité. Ce n’est pas au Gouvernement de s’ériger en arbitre du vrai et du faux. La proposition de loi renforce simplement les capacités d’action du CSA en matière de conventionnement et d’arrêt de diffusion de médias audiovisuels étrangers qui chercheraient à déstabiliser nos institutions. Sur Internet, seul le juge judiciaire intervient. Les deux autorités compétentes sont donc parfaitement indépendantes de l’exécutif et sont d’ailleurs déjà chargées de veiller à l’équilibre entre liberté d’expression et abus. Constitutionnellement, le juge judiciaire a toujours été le garant des libertés individuelles. Nous souhaitons, par ailleurs, améliorer l’information des citoyens et des médias en renforçant la transparence en période électorale.

La coopération avec les gouvernements étrangers est un enjeu diplomatique, que j’aborde régulièrement avec mon collègue Jean-Yves Le Drian – ce sera le cas après-demain en Russie. En outre, j’évoque régulièrement cette question au niveau européen, notamment avec Mme Mariya Gabriel, commissaire à l’économie et à la société numérique, et avec les autres ministres de la culture, soit en conseil des ministres européens de la culture, soit à l’occasion de moments plus informels que j’ai organisés – ainsi par exemple lors du festival Séries Mania à Lille.

Monsieur Attal, bien évidemment la coopération avec le CLEMI est centrale. La transformation de l’audiovisuel public à l’heure du numérique est essentielle et l’information – la bonne information – fondamentale pour lutter contre les fausses informations. Certes, l’audiovisuel public doit toucher un public de jeunes, promouvoir la culture et soutenir la création, unir, mais il doit surtout bien informer. La coopération entre les différentes sociétés de l’audiovisuel leur permettra de proposer ensemble une plateforme unique et numérique de décryptage de l’information. Actuellement, chacune d’elles développe des dispositifs extrêmement intéressants et met, par exemple, des journalistes à disposition pour contribuer à la formation. Mais ce travail était réalisé en ordre dispersé.

Nous avons bien entendu informé le ministère de l’éducation nationale. J’ai d’ailleurs participé avec Jean-Michel Blanquer au lancement de la Semaine de la presse à l’école. Une semaine par an, c’est clairement insuffisant… L’éducation aux médias doit être permanente. La meilleure façon de lutter contre les fausses nouvelles, c’est de donner la possibilité aux jeunes citoyens de développer leur esprit critique, de leur apprendre à décrypter une image, tout au long de leur formation.

Quand elles sont isolées, ces initiatives perdent en efficacité. La future plateforme, dont la construction a déjà bien avancé, s’intitulera sans doute Franceinfo, et nous sera probablement présentée dès la semaine prochaine.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il y a urgence à agir, ce qui ne signifie pas que nous voulons légiférer avec précipitation. Au contraire, ce sujet est déjà sur la table depuis quelque temps et, avec le rapporteur et la ministre, nous y travaillons depuis plusieurs mois en concertation avec tous les acteurs.

Madame Obono, j’ai cru comprendre que vous approuviez le fait qu’un amendement soit bientôt déposé afin de définir la fausse information, mais que vous déploriez qu’il ne soit pas encore connu. Vous me permettrez de ne retenir que votre première appréciation. Vous savez pertinemment que nous examinons rarement des textes parfaits qui ont tout prévu. Il nous revient d’amender ceux qui nous sont soumis pour les enrichir. C’est notre rôle, et je suis certaine que, demain, en commission des Lois, puis, au mois de juin, en séance publique, vous aurez des propositions sur ce sujet.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Il n’y a aucune précipitation dans notre démarche : dans notre pays, nombreux sont ceux qui travaillent dans l’urgence, mais sans précipitation. Il y a urgence parce que les élections européennes se déroulent bientôt. J’admettrais que vous parliez de précipitation s’il ne s’était pas passé six mois entre la déclaration du Président de la République sur le sujet et l’inscription du texte en commission, s’il n’y avait pas eu des dizaines et des dizaines d’auditions, si le texte avait été examiné au mois d’avril ou de mai en séance publique. Je ne peux pas vous laisser dire que nous confondons urgence et précipitation : nous avons effectué un travail de fond, et le texte est en cours d’amélioration. C’est le rôle du Parlement, et c’est à cela que sert le droit d’amendement : améliorer les textes de loi.

Voilà tout le sens des travaux que vous mènerez au sein de la commission des Lois, de ceux que nous effectuerons, mercredi prochain, en commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, et celui de nos débats communs, dans l’hémicycle, le 7 juin prochain.

Mme Paula Forteza, l’article 9, tel que je propose de le reconstruire, comportera des éléments de réponse s’agissant des algorithmes, sujet qui vous est cher et qui l’est également à de nombreux membres de la représentation nationale. Il faut que nous nous en emparions afin d’améliorer encore le texte.

Mme Céline Calvez. Madame la ministre, vous souhaitez faire de l’éducation aux médias un passage obligé de la scolarité qui ne se résume pas à la seule Semaine de la presse et des médias à l’école. Vous avez, à juste titre, parlé de responsabilités partagées en la matière entre l’école, les parents, les citoyens, les journalistes et les médias eux-mêmes. Dans les années 1990, les émissions de télévision de référence contribuaient ainsi fortement à aiguiser notre esprit critique – je pense à Arrêts sur images ou à Culture Pub. Il est vrai qu’à cette époque, les jeunes regardaient la télé, et qu’il est aujourd’hui beaucoup plus difficile de les toucher parce que les sources d’information sont multiples et éclatées.

Aujourd’hui se développent de nombreuses initiatives de la part d’associations, d’écoles, ou de journalistes pour former tous les citoyens, en particulier les plus jeunes, ce qui constitue un défi. Vous avez indiqué comment une plateforme de décryptage pouvait être mise en œuvre par les sociétés de l’audiovisuel public. Quelles sont les marges de manœuvre pour aller plus loin et dépasser la coopération de ces sociétés avec le ministère de l’éducation ou le CLEMI en associant à la démarche les plateformes elles-mêmes ? Ces dernières, dénoncées comme des médias non assumés, sont très critiquées, mais peut-on imaginer de les associer à la plateforme de décryptage, sous l’égide des sociétés de l’audiovisuel public ? Est‑ce complètement inenvisageable, sachant qu’elles seraient les premières visées par cette démarche de décryptage, et si oui pourquoi ? Plus globalement, pourquoi cette démarche de décryptage ne pourrait-elle pas constituer une occasion de sortir, dans les textes aussi bien que dans les esprits, d’une vision non globale des médias ? Il s’agirait de ne pas s’arrêter aux médias traditionnels, mais de les associer et, grâce à la plateforme de décryptage, de penser le média global ?

Mme Marie-France Lorho. La loi sur les fausses informations ne peut manquer d’interroger à l’Assemblée nationale, car, dans ces lieux, il fut un temps où se côtoyaient des légitimistes, des orléanistes, des républicains, des modérés et des radicaux, des socialistes ou des communistes, des bonapartistes, et même quelques indépendants. Ces élus possédaient et animaient des journaux dans les colonnes desquels ils se brocardaient bien plus violemment que ce que nous pouvons nous dire aujourd’hui. Ils cultivaient surtout des grilles de lecture et des visions du monde qui brillaient par leur diversité, par leur volonté d’appréhender le réel par un bout, si infime soit-il.

Aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens se désespèrent d’observer une course à la nonchalance intellectuelle et applaudissent au moindre signe de vigueur politique renouvelée – il suffit d’observer le succès de nos collègues de La France insoumise pour s’en convaincre. Nous assistons à une sélection étatique de la parole, notamment par l’intermédiaire de subventions énormes accordées à la presse et des commandes publiques ou parapubliques de journaux. Plutôt que de craindre de supposées intrusions russes dans notre démocratie, ne serait-il pas temps de s’interroger largement sur la création ou la subvention étatique d’un conformisme médiatique qui fait le lit de tous les complotismes et de toutes les manipulations ?

Mme Sophie Mette. Afin d’identifier les médias respectant des principes déontologiques et éthiques stricts dans la gestion de leur information et dans la communication de celle-ci au public, un projet de recours à une labellisation de l’information émerge. Comptez-vous mettre en place un tel système ? Comment cette labellisation s’articulera-t-elle ? Ne serait-il pas opportun de travailler également sur un label européen en s’appuyant sur la Journalism Trust Initiative, initiée au mois d’avril par l’association Reporters sans frontières ?

Mme Maud Petit. Le développement de l’usage des nouvelles technologies de l’information et la communication dans nos vies quotidiennes aurait dû faire l’objet d’un apprentissage, forme d’éducation citoyenne légitime. L’éducation au numérique devra être une obligation, car la société dans laquelle nous vivons dispose de codes découlant directement du numérique, codes qui lui sont propres et dont les règles peuvent sembler abstraites et difficiles à appréhender sans aide. J’en veux pour preuve la question de la lutte contre les fausses informations.

Certes, l’annonce du doublement de l’enveloppe financière consacrée à l’éducation aux médias est une bonne nouvelle pour les générations futures, nos enfants, nos adolescents, les jeunes, mais quel dispositif, quelles solutions pouvons-nous apporter aux générations seniors ? Très impliqués dans la vie politique, les 60-69 ans votent beaucoup plus que les 18‑24 ans, et cette catégorie de la population fait partie de celles qui sont les plus vulnérables face aux fake news, d’une part, parce qu’ils ne sont pas des digital natives, et, d’autre part, parce qu’ils sont très exposés aux flux d’informations : 76 % des 60-69 ans possèdent un ordinateur, et 80 % d’entre eux ont un accès à internet. Ils constituent une force vive de notre société que nous ne devons pas oublier sur ce sujet. Quelle solution proposez-vous pour eux ?

M. Bertrand Sorre. Nous avons tous constaté dans notre entourage les méfaits que peuvent susciter des fausses nouvelles, à destination des enfants ou des adolescents. Au-delà des outils et des plateformes qui pourraient être mis en place, ne serait-il pas judicieux, voire indispensable, d’inscrire, dans le code de l’éducation, la nécessité pour l’école de dispenser cette éducation aux médias, de donner cette capacité à vérifier l’information de façon très transversale, et également d’assurer la formation des enseignants afin qu’ils soient en mesure d’accompagner les jeunes générations face aux médias ?

M. Alexandre Freschi. Si la loi offre aujourd’hui le cadre qui permet de prévenir, de faire cesser ou de sanctionner les fausses informations issues d’auteurs malveillants, il est essentiel de considérer la responsabilité des publics, qu’ils soient lecteurs, auditeurs, internautes ou téléspectateurs, dans le traitement de ces informations, et le rôle que chacun tient dans leur mise en circulation. Le ministère a annoncé de futures mesures en faveur de l’éducation à l’information, à l’image et aux médias dans les programmes scolaires. Dans quel cadre, vous-même et le ministre de l’éducation nationale, souhaitez-vous que se développe le CLEMI ?

M. Stéphane Testé. L’utilisation de la procédure en référé à des fins de communication politique constitue l’un des risques que ferait courir l’adoption de la proposition de loi relative aux fausses informations. Même s’il sait qu’il perdra en justice, un candidat qui s’estime lésé pourra introduire un référé. Cette pratique est déjà beaucoup utilisée en communication politique avec des attaques en diffamation. Il s’agit d’une arme dangereuse surtout si le calendrier électoral est utilisé : le référé peut avoir lieu une ou deux journées avant que les médias ne puissent plus communiquer sur le sujet. Partagez-vous ma crainte à ce sujet, et comment envisagez-vous de lutter contre ce type d’abus ?

Mme Sandrine Mörch. En tant qu’ancienne journaliste, je veux souligner l’importance d’accompagner cette loi par d’autres mesures pour mobiliser les journalistes dans la lutte contre les fausses informations. Avec ma collègue députée, Michèle Victory, nous venons de remettre nos conclusions après avoir mené une mission flash sur la prévention de la radicalisation à l’école. Nous avons constaté la grande fragilité des jeunes en matière de désinformation. Elle concerne le complotisme qui n’est qu’une partie visible de l’iceberg, mais aussi des informations bien plus banales du quotidien qui déforment parfois la réalité de manière plus insidieuse. Je pense à l’information qui véhicule des images fausses et stigmatise certaines populations sur le fondement de chiffres erronés, d’histoires caricaturales ou d’images qui suscitent en permanence la peur et privilégient la sinistrose – même si ce problème est bien au-delà de cette proposition de loi.

Les journalistes doivent se saisir plus régulièrement de ces questions et il faut aussi qu’ils aient à nouveau du temps pour effectuer un travail de qualité
– parce qu’il est cent fois plus rapide d’élaborer une fausse information qu’une bonne information, et qu’ils sont souvent pressés comme des citrons.

Comment pouvons-nous nous mobiliser, plus généralement, sur la qualité de l’information fournie pour accompagner cette loi sans froisser, sans brider, mais en désignant plus franchement tout ce qui fausse l’information, y compris le manque de moyens et la course à l’audimat ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Le faisceau de questions qui revient sur l’éducation aux médias et l’importance du travail de la presse nous montre que ces sujets sont essentiels.

Madame Lhoro, nous sommes extrêmement fiers de notre presse, de nos journalistes, et du fait que nous disposons, dans notre pays, d’une information pluraliste. C’est pour résister aux attaques du type de celles que vous évoquiez que nous avons besoin d’une presse pluraliste à laquelle nous apporterons avec détermination notre soutien – en lui permettant aussi d’être distribuée. L’audiovisuel public effectue un travail de décryptage qui va également dans le sens du pluralisme.

Madame Calvez, pour nous adresser aux jeunes qui ont de nouveaux usages des médias, nous avons demandé au service public de travailler sur une plateforme numérique qui comportera des contenus spécifiques avec de nouvelles formes d’écriture et des formats diffusables sur tous les écrans – portables, tablettes.

Madame Mette, en matière de labellisation de la presse, nous regardons avec beaucoup d’attention ce que fait Reporters sans frontières mais, je le répète : nous n’avons pas à intervenir, et il appartient à la presse de s’organiser.

Plusieurs éléments de réponses peuvent être apportés à la question relative à l’éducation des seniors au numérique. Parmi les mesures que j’ai annoncées figure la possibilité que des moments d’information soient organisés dans les bibliothèques grâce à des personnes qui effectuent leur Service civique. Je rappelle que j’ai demandé aux sociétés de l’audiovisuel public de présenter une plateforme lisible et très accessible.

De façon générale, la presse effectue un travail de décryptage mis en valeur dans ses propres colonnes – voyez la rubrique de décodage de Libération. Un véritable faisceau d’intentions, et de nombreux faits vont dans ce sens.

Monsieur Testé, le détournement du référé à des fins politiciennes ne ferait que desservir celui qui l’utiliserait, car cela lui reviendrait en boomerang. Votre argument ne doit pas nous dissuader de mettre en place un dispositif qui donne des moyens de lutter contre le fléau des fausses informations, grâce au CSA et au juge des référés, en responsabilisant les citoyens, dans un contexte d’éducation aux médias qui développera le sens critique. Il s’agit d’un dispositif global.

M. Michel Larive. La menace de fausses nouvelles est avérée et ancienne. Elle peut déjà être totalement contrecarrée par le droit en vigueur, pourvu qu’on l’utilise. Avec cette proposition de loi, on ne sait pas ce qu’englobent les fausses informations, et on ignore d’où elles viennent. On ne peut pourtant pas nier que la concentration de 90 % des médias dans les mains de neuf milliardaires ne permet pas de donner des leçons sur la santé de notre presse.

Reporters sans frontières s’en alarme d’ailleurs, et il est incontestable que des gouvernements ont déjà altéré des informations à des fins politiques. Ce fut le cas lorsqu’on a prétendu que l’Irak détenait l’arme nucléaire : les conséquences de ce mensonge répandu de façon planétaire ont été catastrophiques. Lorsqu’un secrétaire d’État annonce, au cœur de cet hiver, que l’on compte une cinquantaine de personnes sans domicile fixe dans Paris, est-ce une véritable information ? Un autre danger existe donc bien : les fausses informations diffusées par les outils de communication, proches du pouvoir en place. Nous pensons que confier le contrôle des médias au CSA, organe dont les liens avec l’exécutif sont étroits, ne permettra pas un contrôle suffisamment indépendant. Par ailleurs, nous nous inquiétons de ce que ce conseil ne soit pas doté de nouveaux moyens pour lui permettre d’assurer sa nouvelle mission.

M. Studer évoquait en introduction le souhait des professionnels de voir se mettre en place un conseil de déontologie des journalistes qui permette d’assurer l’effectivité de leurs droits et d’effectuer un contrôle indépendant sur l’information. Madame la ministre, nous voudrions savoir si vous souhaitez mettre en place un tel conseil. Il se révèle utile en particulier au Québec et en Belgique. Pourriez-vous nous dire, le cas échéant, quelle forme il prendrait ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. J’ai répondu à Mme Mette qu’il revenait à la presse de s’organiser. Nous pouvons soutenir un conseil de déontologie, mais il ne nous appartient pas de le mettre en place.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Testé, il y a toujours un risque qu’une disposition que nous avons votée soit appliquée de façon différente de ce que nous avons souhaité. Le candidat qui utilisera le référé à des fins dilatoires pourra être sanctionné. Il pourra être assigné par celui qui s’estime victime, pour abus de droit et dénonciation calomnieuse. Il y a des garde-fous et des leviers pour réprimer de telles dérives.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Je reste convaincu que nous examinons un texte nécessaire pour lequel nous avons pris le temps d’un travail extrêmement sérieux. Nous sommes sur une ligne de crête avec un texte qui touche aux libertés fondamentales. Nous vous démontrerons qu’elles constituent pour nous une préoccupation constante.


—  1  —

II.   Examen des articles

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine les articles de la proposition de loi de M. Richard Ferrand relative à la lutte contre les fausses informations (n° 799) (M. Bruno Studer, rapporteur) lors de sa séance du mercredi 30 mai 2018.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Je suis heureuse d’assurer la présidence cette réunion pour l’examen de la proposition de loi présentée par le groupe La République en Marche, relative à la lutte contre les fausses informations. Ce texte a été déposé le 21 mars dernier sur le bureau de l’Assemblée ; le président Bruno Studer, qui en est le premier cosignataire pour notre commission, a été désigné rapporteur le 28 mars.

La présente proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, sera examinée en séance jeudi 7 juin, en même temps que la proposition de loi organique des mêmes auteurs, qui porte sur l’élection présidentielle et a été renvoyée à la commission des lois. Ces deux textes ont fait l’objet d’un avis du Conseil d’État rendu le 27 avril.

Comme vous en avez été informés par le président Studer dans un courrier du 26 mars dernier, en accord avec la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Yaël Braun-Pivet, l’examen des titres Ier – articles 1er, 2, 3 – et IV – article 10 – de la proposition de loi, qui modifient le code électoral, a été délégué à ladite commission, qui a statué au fond à leur sujet lors de sa réunion du 23 mai dernier.

Cette méthode d’examen, qui permet de tenir compte de la nature transversale d’un texte et de respecter les compétences de chacune des commissions sans recourir à une commission spéciale, a déjà été utilisée à plusieurs reprises sous la précédente législature et, encore tout récemment, pour le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

En conséquence, notre commission procédera ce matin à l’adoption formelle de ces articles en s’en tenant, à ce stade, à l’avis et aux amendements adoptés mercredi dernier par la commission des lois. Les débats à leur sujet pourront bien évidemment se prolonger en séance.

Je souhaite à ce propos la bienvenue à notre collègue Naïma Moutchou, rapporteure par délégation de la commission des lois pour les titres Ier et IV, mais également rapporteure pour avis sur le titre III.

Le rapporteur du texte, Bruno Studer, s’est quant à lui consacré à l’analyse des articles 4 à 9 de la proposition de loi, qui concernent les services de médias audiovisuels et les prestataires techniques des services de communications électroniques.

Monsieur le rapporteur, vous avez procédé à de très nombreuses auditions pour recueillir l’avis des personnes concernées par les dispositions de ce texte complexe, délicat car touchant une matière sensible, la liberté d’expression et de communication, mais un texte nécessaire pour préserver la sincérité des scrutins, la libre expression du suffrage et, plus largement, la démocratie à l’ère numérique. Votre projet de rapport, communiqué vendredi aux membres de la commission, présente une analyse détaillée des dispositifs juridiques proposés et ouvre des perspectives vers les compléments indispensables à l’adaptation de notre droit, tout particulièrement en matière d’éducation aux médias et au numérique.

Je rappelle que la discussion générale s’est tenue mardi dernier, à l’occasion de l’audition commune de la ministre de la culture, Françoise Nyssen.

Avant d’en venir à l’examen des quelque 160 amendements déposés sur le texte, je vais donner la parole, pour les articles 1er, 2 et 3 du titre premier, à Naïma Moutchou afin qu’elle présente rapidement l’avis de la commission des Lois et les amendements que celle-ci a adoptés. Puis je les mettrai aux voix, sans débat.

TITRE I
dispositions modifiant le code électoral

 

Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission. Je remercie également le rapporteur du texte, M. Studer, avec qui nous avons travaillé en parfaite intelligence pour vous proposer un texte qui, je l’espère, emportera votre adhésion. Nous nous sommes montrés d’emblée très soucieux de respecter un équilibre entre ce que nous souhaitons protéger, c’est-à-dire le droit, pour des électeurs, de disposer d’une information claire, transparente et loyale, et le respect de la liberté d’expression.

Il s’agit ici de lutter contre ce qui devient un fléau, notamment à cause des nouvelles technologies, à savoir la diffusion de fausses informations, en particulier en période électorale, comme on a pu le constater lors de l’élection présidentielle aux États-Unis ou pendant l’élection présidentielle française, mais également en Catalogne ou à l’occasion du référendum sur le Brexit, avec ces tentatives de déstabilisation, notamment de puissances étrangères.

J’ai, au sein de la commission des lois, proposé vingt-quatre amendements dont huit rédactionnels, tous adoptés, qui précisent et renforcent les dispositions visées à l’article 1er. Soucieuse de l’intelligibilité de la loi et en cela suivant la recommandation du Conseil d’État, la commission des lois a d’abord défini la notion de fausse information – demande récurrente lors des auditions que nous avons organisées – en précisant qu’il s’agit de : « Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable. » Cette définition a ensuite été adossée à une nouvelle infraction pénale qui vise à punir l’auteur d’une fausse information et qui complète les dispositions de l’article 97 du code électoral.

La commission des lois a souhaité limiter la durée d’application des obligations de transparence et du nouveau référé. Elle a remplacé la référence au décret de convocation des électeurs, qui n’était pas de nature à garantir une limitation stricte de leur application dans le temps, par une durée fixe de trois mois à compter du premier jour du mois de l’élection. Dans le même amendement, la commission a également restreint l’application des dispositifs aux seules élections générales, à l’exclusion, donc, des élections plus locales ou des élections partielles.

En ce qui concerne la nouvelle action de référé devant le juge civil, la commission des lois a expressément soumis au critère de mauvaise foi du diffuseur la possibilité de recours et elle a laissé au requérant le choix de porter celui-ci devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris ou devant le tribunal territorialement compétent.

La commission des lois a adopté, à l’initiative du groupe La République en Marche, un amendement visant à compléter les informations données par une plateforme sur les annonceurs qui ont contracté avec celle-ci et un amendement du groupe La France insoumise qui prend en compte la pluralité des intermédiaires entre la plateforme et l’annonceur.

Enfin, un amendement a été adopté pour rendre les dispositions prévues par l’article 1er applicables aux opérations référendaires.

Article 1er
Nouveaux outils de lutte contre la diffusion de fausses informations durant la période électorale

Cet article a été délégué à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis (voir l’avis n° 978 ([31])).

*

La commission adopte successivement les amendements AC14 à AC36 de la commission des lois.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2
Application aux élections sénatoriales

Cet article a été délégué à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis (voir l’avis n° 978 (1)).

*

La commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3
Application à l’élection en France des représentants au Parlement européen

Cet article a été délégué à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis (voir l’avis n° 978 (1)).

*

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 3 bis (nouveau)
Application aux opérations référendaires

Cet article a été délégué à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis (voir l’avis n° 978 ([32])).

*

La commission adopte l’amendement AC37 de la commission des lois.

Après l’article 3
 

La commission examine l’amendement AC85 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Nous souhaitons que l’acquisition de parts dans un média se fasse de manière transparente vis-à-vis du public. En effet, acheter des parts du capital d’une société spécialisée dans l’information n’est pas une acquisition anodine puisqu’il s’agit, pour une personne nécessairement fortunée, d’acheter un moyen de diffuser de l’information.

Or, les personnes amenées à consulter ces informations doivent nécessairement être en mesure de connaître les détenteurs des médias qu’ils consultent et, par conséquent, de ne pas avoir à effectuer de recherches particulières pour savoir si le média qu’ils ont l’habitude de consulter change de propriétaire, même en partie. Par ailleurs, l’acquisition d’une part significative du capital d’une telle entreprise est de nature à peser sur sa ligne éditoriale, ce qui rend d’autant plus légitime la volonté des citoyens d’en être informés.

M. Bruno Studer, rapporteur. L’amendement que vous défendez, monsieur Larive, est le premier d’une série déposée par votre groupe et qui concerne la transparence financière des entreprises de presse et de médias audiovisuels, la concentration dans le secteur de la presse, la nomination des membres du conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ou encore la situation sociale des sociétés de production et de France Télévisions. J’en ai bien pris connaissance. Après l’article 9, nous examinerons de nombreux amendements ayant trait aux aides à la presse et au statut des journalistes, à la déontologie de la profession, à la publicité…

Je souhaite d’ores et déjà vous faire part de mon avis sur la forme.

La proposition de loi ne porte pas sur la presse ni sur les médias mais vise à limiter la diffusion de fausses informations à des fins de manipulation politique, en particulier sur les réseaux sociaux et pendant une période électorale. Nous avons délibérément restreint l’objet du texte pour des raisons d’intelligibilité et de lisibilité de la loi. Aussi, nombre des amendements que nous allons examiner sont des cavaliers législatifs. J’ai bien conscience malgré tout que vos amendements représentent un vrai travail au fond. Reste que, pour la clarté du débat, il faut rappeler, comme je viens de le faire, l’objet du texte.

Par exemple, votre amendement sur les véhicules diesel aurait davantage sa place dans un texte relatif à l’environnement. De même, vous savez que j’ai souhaité la création d’une mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique, présidée par M. Bournazel et dont Mme Bergé est rapporteure, mission préalable au dépôt, publiquement annoncé par le Gouvernement, d’un projet de loi sur l’audiovisuel. Or, c’est dans le cadre de ce projet de loi que les amendements que vous avez déposés ayant trait à l’audiovisuel public, au CSA, à l’audiovisuel en général ont leur place. Il me paraît donc important d’attendre les conclusions de la mission d’information avant de légiférer.

Pour ce qui est des mesures que vous proposez relatives à la presse et aux journalistes, je n’ignore pas qu’aucun texte n’est pour l’heure annoncé par le Gouvernement, ce qui laisse au Parlement toute latitude pour agir. Il vous est donc tout à fait possible, cher collègue, si vous souhaitez traiter globalement de la presse, de déposer une proposition de loi. Au reste je vous rejoins sur plusieurs de vos exigences.

Par ailleurs, je suis quelque peu gêné par l’amalgame qui résulterait de l’adoption de vos amendements. Il ne faut pas confondre les très rares fausses informations diffusées par la presse, la télévision ou la radio – généralement par erreur – et les fausses informations malveillantes qui relèvent pour leur part de la manipulation de l’information, de la désinformation, et qui ne sont pas le fait des médias et des journalistes que vous visez par vos amendements. Le présent texte est également l’occasion de rappeler que l’immense majorité des journalistes fait un travail remarquable de vérification de l’information et il s’agit ici, en particulier, de protéger ce travail. Et, encore une fois, rien n’empêche votre groupe de présenter, le moment venu, une proposition de loi sur la presse.

Vous souhaitez, à travers le présent amendement et le suivant, apporter des modifications à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il peut en effet apparaître nécessaire d’opérer une forme d’harmonisation entre les dispositions applicables à la presse et celles applicables aux médias audiovisuels. Nous pouvons tout à fait y réfléchir mais il paraît prématuré d’adopter ici un tel dispositif.

En outre, si je suis tout à fait favorable à ce que les informations tenues à la disposition du public figurent sur le site internet des entreprises concernées, il me semble que cette précision relève plutôt du pouvoir réglementaire, puisqu’il s'agit de définir la modalité pratique de la publicité obligatoire.

Enfin, les dispositions que vous souhaitez modifier ont été ajoutées en 2016. Je suggère d’en faire un bilan sérieux avant toute nouvelle modification.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL86 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. En effet, monsieur le rapporteur, nous avons déposé des amendements, tout simplement parce que c’est notre travail de parlementaires de l’opposition : nous avons été élus pour cela. Tous les amendements que nous allons défendre ont un rapport direct avec le texte et, surtout, avec la démocratie. Ainsi, c’est en vertu des principes démocratiques que je vais défendre nos amendements les uns après les autres.

Mme Frédérique Dumas, présidente. C’est bien pourquoi vous avez la parole…

M. Michel Larive. Nous souhaitons que la détention de parts dans un média soit transparente vis-à-vis du public. À cet effet, nous proposons de renforcer les obligations en vigueur, en demandant que soient en plus accessibles pour les citoyens un certain nombre d’informations que nous voudrions voir diffusées sur le site internet de l’entreprise de presse concernée.

M. Bruno Studer, rapporteur. C’était bien, monsieur Larive, par considération pour votre travail que j’ai pris le temps de répondre de façon globale à votre démarche. Nous nous trouvons donc vous et moi en bonne intelligence sur ce sujet.

Avis défavorable ici aussi.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC88 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Nous proposons de limiter la concentration verticale dans le domaine médiatique afin par exemple d’éviter la détention d’un journal, d’une radio et d’une chaîne de télévision par un même actionnaire. La lutte contre la concentration verticale pour un même type de média est indispensable pour assurer le pluralisme des opinions et garantir aux journalistes la protection de leur indépendance. Cette lutte consiste donc essentiellement à mettre fin aux situations de monopole ou de quasi-monopole national ou régional dans la presse, l’audiovisuel et l’édition, en abaissant la part de marché qui peut être détenue par un seul éditeur par le biais du nombre d’autorisations de services de télévision, de la part d’audience radio ou encore de la part de la diffusion presse.

En matière de presse, l’amendement prévoit d’abaisser de moitié le seuil de concentration verticale et étend le champ d’analyse de la concentration aux publications d’information dans leur ensemble, alors que la loi, dans sa rédaction actuelle, ne considère que les publications quotidiennes.

M. Bruno Studer, rapporteur. Un abaissement du seuil de concentration d’une telle ampleur – de 30 % à 15 % – nécessiterait une étude d’impact. En attendant, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC87 de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. Nous proposons de renforcer les sanctions pour non-respect des obligations de transparence des entreprises de presse quant à leur actionnariat, cela en augmentant les amendes et en donnant explicitement intérêt à agir à tout lecteur afin qu’il puisse porter plainte. Cette entorse au droit n’est pas sanctionnée en pratique : certaines publications sont détenues par une holding, sur l’actionnariat de laquelle aucune information n’est fournie, ce qui anéantit les dispositions de la loi de 1986.

Le présent amendement a donc pour objet, d’une part de faire de chaque lecteur le dépositaire d’un droit à connaître qui détient effectivement une publication, d’autre part de durcir les sanctions pénales, enfin de préciser la notion de détention de titre de presse pour ceux appartenant à un groupe.

M. Bruno Studer, rapporteur. Vous souhaitez augmenter le quantum de la sanction qui, en effet, n’est pas très dissuasive. Reste qu’il me paraît inutile de préciser que chaque lecteur pourrait rechercher la responsabilité pénale des dirigeants et directeurs de publication des entreprises de presse, puisqu’il suffit qu’une plainte soit déposée pour que l’action publique soit déclenchée. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

TITRE II
dispositions modifiant la LOI DU 30 SEPTEMBRE 1986 RELATIVE À LA LIBERTÉ DE COMMUNICATION

Avant l’article 4
 

La commission examine l’amendement AC89 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Nous proposons de renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en procédant à une désignation de ses membres par le Parlement et par scrutin public.

L’importance que vous entendez conférer au CSA par cette proposition de loi nécessite que soient revues les procédures prévues pour sa composition afin d’assurer l’indépendance réelle de cette institution.

En effet, actuellement, le président du CSA est désigné par le Président de la République, trois membres sont désignés par le président du Sénat et trois autres par le président de l’Assemblée. Dans chaque assemblée parlementaire, les conseillers sont désignés après avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Or, la nomination des membres du CSA n’est pas une procédure anodine, qui plus est après l’extension de leurs prérogatives en cas d’adoption de la présente proposition de loi.

Nous proposons donc une procédure bien plus démocratique qui aura nécessairement un impact positif sur la légitimité des membres du conseil et, par conséquent, sur celle de l’institution elle-même.

M. Bruno Studer, rapporteur. Sur le fond, encore une fois, ce sujet mérite d’être traité dans le prochain texte sur l’audiovisuel, auquel réfléchit la mission d’information dont il a été précédemment question. Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AC91 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Afin de lutter efficacement contre les fausses informations en renforçant l’expression et le pluralisme des idées et des opinions, nous souhaitons que la part de fréquences attribuées aux radios et chaînes de télévision locales et associatives augmente sensiblement. Pour cela, nous inscrivons clairement cet objectif dans la mission d’attribution des fréquences dévolue au CSA.

En effet, une partie significative de notre population ne s’informe que par la radio ou par la télévision et ne consulte pas la presse écrite. Or, contrairement à la presse quotidienne régionale, les chaînes locales de télévision et de radio souffrent d’un manque de visibilité indéniable. Ainsi, pour favoriser l’information des citoyens sur des sujets qui les touchent dans leur quotidien, il est indispensable d’accompagner les chaînes locales et associatives dans leur développement en leur offrant plus de visibilité.

M. Bruno Studer, rapporteur. Il est important de rappeler que sur les 850 stations de radio qui ont obtenu une fréquence hertzienne, plus de 500 relèvent de la catégorie A à laquelle appartiennent les radios locales et associatives. De plus, le CSA attribue régulièrement des fréquences à des chaînes de télévision locales et associatives.

Ensuite, on imagine que le hertzien est totalement gratuit alors qu’après l’attribution, gratuite, de la fréquence, il a un coût qui représente une charge pour ces chaînes associatives et locales. En revanche, la diffusion sur internet offre non seulement un champ infini de possibilités pour trouver des publics mais est financièrement bien plus intéressante pour elles.

Avis défavorable même si, j’y insiste, la pluralité de l’information est essentielle à la démocratie – et si elle est garantie par le fonctionnement actuel, elle le sera plus encore par les possibilités qu’offrira l’écosystème numérique.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC90 de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. Cet amendement d’appel vise à lutter efficacement contre les fausses informations en renforçant la qualité du travail de l’audiovisuel public. Nous souhaitons instaurer des critères sociaux pour l’achat de productions par le service public audiovisuel à des sociétés privées. Cela garantira que le service public ne profite pas indirectement de l’exploitation de salariés par des entreprises peu scrupuleuses.

Par conséquent, le service public de l’audiovisuel ne pourra effectuer l’achat d’une production réalisée par une société privée si le nombre de contrats à durée déterminée dépasse celui des contrats à durée indéterminée, si l’écart de rémunération dépasse un ratio allant de 1 à 20 entre le mieux rémunéré et le moins bien rémunéré, enfin si la médiane de rémunération est supérieure au niveau du salaire net médian national de l’année précédente.

M. Bruno Studer, rapporteur. Encore une fois, la question sera traitée par le prochain texte sur l’audiovisuel. Ensuite, à très court terme, vous pouvez en effet restreindre le champ des sociétés de production audiovisuelle auxquelles France Télévisions peut recourir mais vous ne réglez pas vraiment la situation des salariés précaires et les sociétés pour lesquelles ces derniers travaillent aujourd’hui seraient privées de revenus importants donc…

M. Michel Larive. Donc on continue à exploiter les salariés !

M. Bruno Studer, rapporteur. Je le répète : je comprends votre motivation mais elle a vocation à être éventuellement satisfaite par un autre texte, d’autant que l’application de votre proposition, ici, créerait des effets indésirés et par vous et par moi. Avis défavorable.

Mme Frédérique Dumas, présidente. J’ajoute que, lors de l’examen du projet de loi de finances, vous avez soutenu des propositions sur la précarité au sein de l’audiovisuel public. Aussi les règles doivent-elles s’appliquer partout.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC93 rectifié de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. Nous proposons de consacrer l’indépendance des chaînes de télévision parlementaires de pressions de toute sorte, par l’élection, par le Parlement, des présidents de la société LCP-Assemblée nationale et de la société Public Sénat.

Les modalités actuelles de nomination – par le bureau de chaque assemblée sur proposition de son président – des présidents-directeurs généraux de ces deux chaînes ne satisfont ni aux exigences d’impartialité que nécessite la nomination du dirigeant d’une société ayant vocation à faire état des débats parlementaires auprès de la population, ni aux garanties d’indépendance vis-à-vis de la majorité parlementaire que doit nécessairement apporter un média quel qu’il soit.

Un vote à la majorité en séance publique de chaque assemblée permettra la tenue d’un débat qui, outre son caractère nettement plus démocratique, sera de nature à renforcer la légitimité du président de la chaîne concernée, ce qui, aux vues des polémiques récentes, pourrait être considéré comme un renforcement tout à fait bienvenu.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je ne crois pas que LCP et Public Sénat soient particulièrement à l’origine de diffusions de fausses informations – objet de ce texte. Vous pourrez faire valoir votre souci de renforcer la crédibilité des médias publics en France, au moment où nous examinerons le projet de loi sur l’audiovisuel. Avis défavorable à cet amendement qui a un rapport très ténu avec le texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC94 rectifié de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Afin de consacrer pleinement l’indépendance de la presse vis‑à‑vis des pressions gouvernementales et financières dans le but de lutter contre les fausses informations, le présent amendement prévoit l’élection des présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société chargée de l’audiovisuel extérieur de la France par les deux chambres du Parlement.

Le CSA est amené à voir ses compétences largement augmentées, à la fois par l’adoption de la proposition de loi que vous soumettez à notre examen, mais aussi par la réforme de l’audiovisuel prévue pour bientôt ainsi que par application du bon sens qui voudrait que le numérique puisse aussi relever de son giron.

Nous pensons qu’avec de telles missions, il faut assurer plus en profondeur l’indépendance de cette institution, indépendance qui permettra de garantir son bon fonctionnement et sa volonté de lutter efficacement contre les fausses informations.

C’est l’objet de tous les amendements que j’ai précédemment défendus. Garantir l’indépendance de ceux qui vont juger de la véracité d’une information relève bel et bien du texte.

M. Bruno Studer, rapporteur. On voit bien en tout état de cause le type d’amendements que vous pourrez déposer à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel qui traitera bien des sujets que vous évoquez et non pas de la lutte contre la diffusion de fausses informations. Avis défavorable.

Mme Marie-George Buffet. Je suis saisie d’un doute au sujet de l’amendement présenté par notre collègue M. Michel Larive. Faire désigner les présidents des chaînes publiques par le Parlement fait de leur nomination une nomination politique. Je pense qu’il faudrait plutôt que les conseils d’administration, dont la composition serait modifiée, élisent leur président, comme cela se pratique dans de très nombreux organismes.

Faisons attention : passer d’une nomination par le Président de la République à une nomination par le Parlement ne règle pas la question du rapport des chaînes publiques au pouvoir politique. Laissons-les plutôt choisir elles-mêmes leur président – ou leur présidente.

Mme Fabienne Colboc. Le texte traite bien de la diffusion de fausses informations, non de la gouvernance de l’audiovisuel. Il s’agit de savoir de quels moyens disposera le CSA pour lutter contre la diffusion de fausses informations, non de réformer la gouvernance prévue par la loi de 1986.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC97 rectifié de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Par cet amendement d’appel, afin de lutter efficacement contre les fausses informations en renforçant la qualité du travail de l’audiovisuel public, nous proposons d’expérimenter la titularisation des permittents – ces personnes ne travaillant plus que par intermittence et non en permanence – du service public de l’audiovisuel afin d’observer si leur changement de statut contribue à l’amélioration de la qualité du service.

En effet, le travail précaire est de nature à éroder la qualité du travail des salariés, ce qui se traduit par une perte de productivité, donc une érosion de la qualité du service produit par l’entreprise. En expérimentant la titularisation de permittents pour une durée de deux ans, le Gouvernement sera en mesure d’évaluer la pertinence d’une généralisation de ce type de contrat à l’ensemble des permittents du service public de l’audiovisuel. Puisqu’il s’agit de contrats à durée indéterminée, les permittents titularisés pourront toujours être licenciés, pour des motifs aussi bien économiques que personnels ; il ne s’agit donc pas d’une situation irréversible susceptible de mettre à mal l’organisation et le fonctionnement de la chaîne.

M. Bruno Studer, rapporteur. Avant de passer à une telle disposition, il me semble tout de même important d’attendre le résultat des arbitrages en cours en ce qui concerne l’audiovisuel public et sa réforme. Le calendrier se précise, puisque, dans les prochains jours et les prochaines semaines, le ministre de la culture fera des annonces, tout comme le Premier ministre.

Nous prendrons ainsi de manière globale la mesure de l’indispensable réforme de l’audiovisuel public. Pour le moment, je vous demande de le retirer, à défaut je serais défavorable à cet amendement qui s’écarte de l’objet du texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC98 rectifié de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Puisque vous voulez des rapports, je vais en demander un… Afin de lutter efficacement contre les fausses informations, nous proposons que le Gouvernement réalise une étude comparative de la qualité et la diversité des programmes diffusés par l’audiovisuel public en France et dans les autres pays, ce qui permettra au Parlement de mesurer l’impact de la faiblesse des financements alloués à l’audiovisuel public sur la qualité du travail réalisé.

Il existe effectivement de grandes disparités entre le montant du financement de l’audiovisuel public en France et en Allemagne, par exemple. Ainsi, France Culture rapportait en décembre 2017 que la redevance allemande produit sept milliards d’euros par an, quasiment le double de la France, pour alimenter une vingtaine de chaînes – contre six en France et neuf chaînes outremer – et trois fois plus de stations de radio.

L’audiovisuel public offre des garanties d’indépendance vis-à-vis des puissances économiques. On sait que 90 % des médias français sont détenus par seulement neuf personnes. Il est donc d’intérêt général de promouvoir le développement des médias publics, afin que les citoyens disposent d’une information complète et de qualité. Ce rapport sera l’occasion d’établir précisément l’apport de l’audiovisuel public en termes de qualité des programmes et de diversité de contenus proposés.

M. Bruno Studer, rapporteur. Effectivement, le Parlement a toujours besoin d’information. C’est pourquoi notre commission a officiellement désigné et identifié, dans chaque groupe politique, des députés chargés de suivre les grands groupes de l’audiovisuel public, ce qui leur en donnera une connaissance plus fine que celle que leur procure leur participation aux conseils d’administration.

Les outils de cette meilleure connaissance de l’audiovisuel public n’existant que depuis quelques mois, il ne faut pas hésiter à s’en servir davantage. Ne craignez pas, monsieur M. Michel Larive, de vous tourner vers les collègues qui ont été désignés. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 4
Refus de conventionnement par le Conseil supérieur de laudiovisuel des services de radio et de télévision diffusés par des réseaux nutilisant pas les fréquences hertziennes

Le présent article modifie l’article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication afin de définir les cas dans lesquels le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut refuser de conclure la convention prévue par ledit article pour la diffusion de certains services de radio et de télévision, empêchant ainsi cette dernière.

1.   Le droit applicable

L’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 définit les procédures applicables aux services de radio et de télévision relevant des compétences de la France et distribués par les réseaux nutilisant pas les fréquences attribuées par le CSA – soit des réseaux comme le câble, le satellite ou l’ADSL.

Plusieurs procédures sont applicables selon la nature du service de radio ou de télévision souhaitant être diffusé en France. Le I de larticle 33-1 dispose que les services de radio et de télévision diffusés par les réseaux précités doivent, préalablement à leur diffusion, conclure avec le CSA une « convention définissant les obligations particulières de ces services » ([33]).

La convention ainsi conclue porte sur les obligations générales de ces services, notamment en matière de recours à la langue française, de retransmission des événements d’importance majeure, de respect des principes de pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion, de protection des mineurs, d’honnêteté et d’indépendance de l’information, de droits de la personne, mais aussi sur les obligations particulières auxquelles ils doivent répondre et qui concernent notamment leur programmation, l’accès des personnes sourdes et malentendantes à leurs programmes, la publicité, le parrainage et le télé-achat mais également la diffusion et la production d’œuvres audiovisuelles.

 

Exemple de convention conclue au titre de l’article 33-1
de la loi du 30 septembre 1986 :
extrait des obligations déontologiques de la chaîne Africa 24

 

« Article 2-3-1 : pluralisme de lexpression des courants de pensée et dopinion

Léditeur assure le pluralisme des courants de pensée et dopinion, conformément aux délibérations n° 2009-60 du 21 juillet 2009 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision et n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale.

Les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs dantenne veillent à respecter une présentation honnête des questions prêtant à controverse et à assurer lexpression des différents points de vue.

Léditeur transmet à la demande du Conseil, pour chacune des périodes quil lui indique, le relevé des temps dintervention des personnalités politiques, syndicales et professionnelles. »

« Article 2-3-6 : honnêteté de linformation et des programmes

Lexigence dhonnêteté sapplique à lensemble des programmes.

Léditeur veille à éviter toute confusion entre information et divertissement.

Pour les émissions dinformation politique et générale, il fait appel à des journalistes.

Il vérifie le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, lorigine de celle-ci doit être indiquée. Linformation incertaine est présentée au conditionnel.

Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de linformation.

Il veille à ladéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet quelles illustrent. Toute utilisation dimages darchives est annoncée par une incrustation à lécran, éventuellement répétée. Si nécessaire, mention est faite de lorigine des images.

Les images produites pour une reconstitution ou une scénarisation de faits réels, ou supposés tels, doivent être présentées comme telles aux téléspectateurs.

Sous réserve de la caricature ou du pastiche, lorsquil est procédé à un montage dimages ou de sons, celui-ci ne peut déformer le sens initial des images ou des propos recueillis, ni abuser le téléspectateur.

Dans les émissions dinformation, léditeur sinterdit de recourir à des procédés technologiques permettant de modifier le sens et le contenu des images. Dans les autres émissions, le public doit être averti de lusage de ces procédés lorsque leur utilisation peut prêter à confusion.

Le recours aux procédés permettant de recueillir des images et des sons à linsu des personnes filmées ou enregistrées doit être limité aux nécessités de linformation. Il doit être restreint aux cas où il permet dobtenir des informations difficiles à recueillir autrement. Il doit être porté à la connaissance du public. Les personnes et les lieux ne doivent pas pouvoir être identifiés, sauf exception ou si le consentement des personnes a été recueilli préalablement à la diffusion de lémission.

Le recours aux procédés de « micro-trottoir » ou de vote de téléspectateurs, qui ne peut être qualifié de sondage, ne doit pas être présenté comme représentatif de lopinion générale ou dun groupe en particulier, ni abuser le téléspectateur sur la compétence ou lautorité des personnes sollicitées. »

« Article 2-3-7 : indépendance de linformation

Léditeur veille à ce que les émissions dinformation politique et générale soient réalisées dans des conditions qui garantissent lindépendance de linformation, notamment à légard des intérêts de ses actionnaires. Il porte à la connaissance du Conseil les dispositions quil met en œuvre à cette fin. (...) »

 

Source : Convention conclue entre le CSA et la chaîne Africa 24 le 24 novembre 2014

Toutefois, le II de larticle 33-1 prévoit, par dérogation, que les services de radio et de télévision dont le budget annuel est inférieur à un certain seuil ([34]), ainsi que, depuis 2013 ([35]), les services de médias audiovisuels à la demande, ne sont soumis quà une déclaration préalable.

Enfin, les services de télévision relevant de la compétence de la France en application des articles 43-4 et 43-5 de la loi du 30 septembre 1986 ne sont, quant à eux, soumis à aucune formalité préalable en application du III de larticle 33-1 ([36]). Sont ainsi concernés les services de télévision qui ne sont pas considérés comme étant établis en France au sens de l’article 43-3 de la loi précitée, mais qui utilisent une liaison montante vers un satellite à partir d’une station située en France ou une capacité satellitaire relevant de la France ([37]). Ces éditeurs demeurent néanmoins soumis aux obligations prévues par la loi de 1986 ainsi qu’au contrôle du CSA, qui peut prononcer des sanctions à leur encontre.

2.   Les modifications envisagées par la proposition de loi

Le présent article complète l’article 33-1 par deux alinéas.

Le premier alinéa du paragraphe IV qu’il est envisagé d’ajouter à la fin de l’article 33‑1, permettrait au CSA de refuser de conclure la convention prévue par ce même article lorsque linterdiction de diffuser qui en découle est nécessaire à la sauvegarde de lordre public, ou si la programmation de la chaîne, en raison de sa nature même, méconnaît les autres dispositions des articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 relatifs, notamment, au respect de la dignité humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la protection de l’enfance et de l’adolescence, aux besoins de la défense nationale, aux exigences de service public ou encore à l’incitation à la haine ou à la violence.

L’actuelle rédaction de l’article 33-1 ne rend nullement obligatoire la conclusion d’une convention dès qu’une demande est formulée en ce sens par un service de radio ou de télévision. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs reconnu dans une décision du 11 février 2004 concernant le refus, né du silence du CSA, de conclure une convention avec la société Medya TV : « les services de télévision qui souhaitent être diffusés par satellite ou distribués sur les réseaux câblés doivent conclure avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel une convention ; (…) ces dispositions donnent au Conseil compétence pour refuser de conclure une telle convention » ([38]). Il lui appartient, en effet, de concilier l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle avec les principes mentionnés à l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986, parmi lesquels figure la sauvegarde de l’ordre public.

En l’espèce, le CSA a considéré qu’il existait un faisceau d’indices concordants révélant l’existence de liens étroits entre la chaîne et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), inscrit depuis 2002 sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Le Conseil d’État a considéré que « les risques pour l’ordre public susceptibles d’être créés, tant en France que dans plusieurs pays européens, par la diffusion du programme de télévision proposé par la société Medya TV, étaient d’une gravité suffisante pour justifier le rejet de la demande de conventionnement présentée par la société » ([39]).

Il n’est toutefois pas inutile de rappeler, dans la loi, la possibilité offerte au CSA de refuser de conclure une telle convention, qui équivaut dès lors, comme le Conseil d’État l’a d’ailleurs noté dès 1998 ([40]), à une autorisation d’émettre sur les réseaux non hertziens. Il apparaît également pertinent de rappeler que ce refus, qui constitue une limite à la liberté de communication, ne peut être opposé qu’à raison de motifs particuliers, notamment énoncés aux articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 précitée.

Cependant, la distinction opérée par le deuxième alinéa du présent article entre les deux cas de figure envisagés pour justifier un refus du CSA - d’une part, un refus nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, une chaîne qui, par sa nature même, méconnaît les « autres dispositions » des articles 1er et 15 ‑ manque de clarté. Le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur les marges de manœuvre laissées au CSA dans ce domaine. Ainsi, dans la décision de 2004 précitée ([41]), le Conseil d’État a reconnu la compétence du CSA pour refuser de conclure une convention avec un service de télévision en se fondant sur la nécessité de sauvegarder l’ordre public (cf. supra) ; dans une autre décision, il a au contraire jugé que le CSA devait refuser le conventionnement d’un service qui, par sa nature même, aurait pour effet de contrevenir aux lois en vigueur, et notamment à l’interdiction de promotion des boissons alcooliques à la télévision découlant de l’article L. 3323-2 du code de la santé publique ([42]). Aussi la rédaction proposée ne reprend-t-elle que partiellement la jurisprudence actuelle.

Le second alinéa du IV dont l’introduction est envisagée prévoit un cas particulier dans lequel le CSA peut refuser de conclure ladite convention. Plusieurs conditions doivent alors être réunies :

– la demande de conventionnement émane d’une personne morale « contrôlée par un État étranger » ou « sous linfluence dun État étranger » ;

– le service est susceptible, soit de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit de participer à une entreprise de déstabilisation des institutions, en particulier par la diffusion de fausses informations ;

– les engagements internationaux de la France ne s’opposent pas à un refus du CSA.

Il est précisé que, pour apprécier le risque présenté par la diffusion d’une telle chaîne, le CSA peut tenir compte, entre autres, des contenus que le demandeur, ses filiales, la personne morale qui le contrôle et ses propres filiales, éditent sur les autres services de communication au public par voie électronique ([43]), notion large qui va au-delà de la communication audiovisuelle pour englober, notamment, les sites internet.

Le dernier alinéa du présent article soulève également plusieurs critiques. En premier lieu, certains avancent qu’il est difficile de déterminer avec précision le champ des personnes morales auxquelles cet alinéa est applicable. En effet, au-delà des personnes contrôlées au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, qui répondent à des critères objectifs, la disposition serait applicable aux personnes « sous l’influence d’un État étranger », notion qui ne fait l’objet d’aucune définition.

Pour autant, cette mention présente l’indéniable utilité de viser les sociétés qui, bien que n’ayant aucun lien capitalistique direct ou indirect avec un État, se trouvent placées sous la pression du pouvoir étatique et de facto sous la dépendance de ce dernier. La plasticité de la notion permettra au CSA d’y inclure un ensemble de cas de figure difficilement saisissables, a priori, par la loi et de déterminer, par le biais d’un faisceau d’indices, si une société a agi en toute indépendance, ou pas, eu égard au contexte politique dans lequel elle évolue. La possibilité d’introduire un recours contre la décision de refus du CSA devant le juge administratif apparaît constituer, dans ce domaine, un garde-fou suffisant pour garantir la liberté de communication.

C’est également ce qu’indique le Conseil d’État dans son avis du 19 avril dernier sur la présente proposition de loi : « d’une part, le Conseil d’État a été sensible aux possibilités de contournement auquel s’exposerait le premier critère s’il était unique, par l’instrumentalisation de personnes morales tierces. D’autre part, le maniement par le CSA du second critère ne sera légalement possible que s’il est en mesure d’établir, sur la base d’éléments concrets et convergents qui, en cas de recours, seront soumis au contrôle normal du juge de l’excès de pouvoir, que la personne morale en cause est sous l’influence d’un État étranger ».

En deuxième lieu, les motifs justifiant le refus du CSA dans l’hypothèse particulière prévue par le dernier alinéa du présent article paraissent redondants.

En effet, la notion d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation figure au sein du code pénal comme du code de la sécurité intérieure, sans qu’il en soit d’ailleurs fait mention. L’article 410-1 du code pénal dispose ainsi que les « intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. » De façon plus précise, la notion regroupe, sous ce titre, plusieurs infractions comme l’espionnage, le sabotage, l’attentat, le complot, la participation à un mouvement insurrectionnel, etc.

Toutefois, le présent article fait également référence à la participation « à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles » pour justifier le refus de conventionnement du CSA. La notion de déstabilisation des institutions, si elle est inédite, paraît toutefois déjà couverte au titre de la protection des « intérêts fondamentaux de la Nation ». En effet, le Conseil d’État a indiqué, dans l’avis précité, « qu’au nombre des intérêts fondamentaux de la Nation figure, en substance, la lutte contre la déstabilisation de ses institutions » et que, « dans ces conditions, il préconise de ne pas conserver de façon distincte ce second terme, qui nuit à l’intelligibilité générale de la disposition. En tout état de cause, il est constant que ces deux notions renvoient à des agissements d’une particulière gravité, formant ainsi un ensemble nettement plus restreint que la notion d’ordre public. » La mention de moyens spécifiques que constitue la diffusion de fausses informations permet toutefois de pallier tout risque contentieux.

En tout état de cause, la rédaction du présent article, tout particulièrement la juxtaposition des alinéas 2 et 3, aboutit à un paradoxe apparent, soulignée par certaines personnes entendues par le rapporteur : « Son champ d’application semble paradoxalement plus réduit que celui de l’alinéa précédent, puisque le CSA ne pourrait refuser le conventionnement qu’en cas de menaces pour les intérêts fondamentaux de la Nation. Le Conseil d’État n’a pas manqué, dans son avis, de relever que cette notion, qui ressort plutôt du droit pénal, était plus restrictive que celle d’ordre public, issu davantage du droit public. Les deux peuvent pourtant se recouper dans une certaine mesure, dès lors qu’un certain nombre d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation peuvent également être considérées comme des troubles à l’ordre public. Cette notion, visée par l’article 1er de la loi de 1986, étant plus large, il ne paraît donc pas nécessaire d’ajouter un motif de refus aussi précis. » ([44]).

Le présent article, dans l’hypothèse où la demande serait formulée par un service dépendant d’un État étranger, confie au CSA le pouvoir d’étayer son analyse en s’appuyant, lorsque cela est pertinent, sur des éléments d’information indirects. Il paraît effectivement utile de préciser, au nom de la sécurité juridique, les éléments objectifs à l’aune desquels le CSA peut se prononcer dans cette hypothèse précise. S’agissant d’une demande préalable à la diffusion d’une chaîne, il apparaît en outre nécessaire que le CSA puisse prendre en compte les contenus diffusés par ladite société sur d’autres supports, de même que ceux diffusés par des sociétés apparentées à cette dernière.

Enfin, le Conseil d’État, a suggéré de substituer à la notion de « fausses nouvelles » celle de « fausses informations », et ce dans l’ensemble de la proposition de loi. En effet, si la notion figure à l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, « il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la notion de "fausses nouvelles" est interprétée comme désignant les nouvelles se rattachant à un fait précis et circonstancié, non encore divulgué et dont le caractère mensonger est établi de façon objective. Le champ d’application de la notion de "fausses informations" est plus large en ce qu’il supprime la condition tenant à l’absence de divulgation préalable de l’information litigieuse », comme le relève le Conseil d’État dans l’avis précité.

La référence aux « fausses nouvelles » est donc particulièrement problématique, puisque l’exigence de leur caractère de nouveauté ferait obstacle à ce que la diffusion d’informations inexactes mais déjà diffusées une première fois fassent l’objet d’une intervention du CSA. La notion de fausses informations, entendues par le Conseil d’État comme « les informations dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les rendre vraisemblables », semble bien plus adaptée aux phénomènes que la proposition de loi entend combattre, notamment en raison du fait que, dans l’univers numérique, il sera difficile de déterminer à quel moment une information a été diffusée pour la première fois et cesse donc ensuite d’être une « nouvelle ».

3.   Les modifications apportées par la Commission

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission a adopté un amendement visant à :

– substituer à un renvoi aux articles 1er et 15 la mention explicite des principes sur le fondement desquels le CSA peut refuser une demande de conventionnement : la dignité de la personne humaine, la liberté et à la propriété d’autrui, le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, la protection de l’enfance et de l’adolescence, la sauvegarde de l’ordre public, les besoins de la défense nationale et les intérêts fondamentaux de la Nation. Cette dernière notion fait également l’objet d’une précision importante : elle inclut, dans le texte adopté par la Commission, le fonctionnement régulier des institutions ;

– reprendre la jurisprudence du Conseil d’État relative au non-respect des lois en vigueur par la nature même du programme ;

– mettre en cohérence d’une part, les services soumis à une obligation de conventionnement et, d’autre part, le champ des personnes concernées par un possible refus du CSA ;

– substituer à la notion de « fausses nouvelles » celle de « fausses informations » ;

– modifier les dispositions prévues par le dernier alinéa afin de prévoir que le CSA, lorsque la demande concerne un service sous la dépendance d’un État étranger, peut prendre en compte des éléments extrinsèques pour apprécier la demande et fonder sa décision.

*

La commission examine l’amendement AC146 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Par cet amendement, nous proposons que, lorsque le CSA conclut des conventions avec des éditeurs de services de télévision et de radio, il exerce un rôle réel de limitation et d’encadrement des pressions sur les journalistes, et s’engage contre les manquements graves à l’indépendance des journalistes qui peuvent être induits par un actionnaire privé ou public.

Regardons un cas concret : la convention entre le CSA et la chaîne TF1 de 2017. Nous estimons que, dans une telle convention, le CSA devrait explicitement demander à ce que les intérêts commerciaux de Bouygues n'influencent pas la ligne éditoriale et le traitement de l’information par TF1, et prévoir qu’il veillera particulièrement à son impartialité en prenant en compte le traitement des mêmes sujets par le reste des médias. Ce n’est pas le cas.

Nous proposons que le CSA sorte d’un flou artistique préjudiciable et soit plus précis et concret dans les garanties qu’il attend pour le respect de la déontologie journalistique et du pluralisme.

M. Bruno Studer, rapporteur. Dans le droit fil de mon propos de tout à l’heure, je propose que nous parlions du CSA à l’occasion de la prochaine réforme de l’audiovisuel. Je vous invite ainsi à déposer plutôt cet amendement lors de l’examen du texte correspondant. Avis défavorable.

M. Michel Larive. Le CSA jouera pourtant le rôle de régulateur. Mon amendement n’est donc pas sans lien avec l’objet de ce texte, qui lui confie de nouvelles prérogatives, notamment celle de donner ou de reprendre des autorisations de diffusion. Nous voulons savoir comment il les mettra en œuvre et dans quelles conditions.

M. Bruno Studer, rapporteur. Ces conditions seront définies dans les articles qui suivent, notamment l’article 9. Vous obtiendrez ainsi des réponses sur la thématique propre des fausses informations.

Quant à l’articulation des fonctions du CSA avec celles d’autres organismes importants, notre commission s’en est saisie, en désignant une mission d’information présidée par M. Pierre-Yves Bournazel. Attendons-en les prochains résultats.

M. Michel Larive. Si nous devons attendre les résultats d’une mission d’information, pourquoi examiner cette loi ?

M. Bruno Studer, rapporteur. Nous n’allons pas recommencer la discussion générale de ce texte.

M. Michel Larive. Puisque vous tenez le même discours, je fais les mêmes réponses.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cette loi est nécessaire pour les raisons exposées au cours de la discussion générale, notamment l’urgence à protéger certains scrutins électoraux, dans le respect des libertés constitutionnelles et conventionnelles. Tel est l’important et délicat sujet de cette loi.

Il ne nous semble pas opportun d’élargir outre mesure les dispositions législatives contenues dans ce projet qui vise à lutter contre la manipulation de l’information. Les missions du CSA relèvent du champ de réflexion très large de la mission d’information en cours.

Cette loi est nécessaire. Le rôle du CSA est prévu par les articles que nous allons examiner. Pour le reste, une réflexion globale est engagée, qui débouchera sur un projet de loi susceptible d’être amendé par vous.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Ce projet de loi vise à lutter contre les fausses informations, en renforçant les pouvoirs du CSA. Si nous allions beaucoup plus loin sur la gouvernance, ce serait dangereux car nous toucherions à tout un écosystème, dont l’évolution doit fait l’objet de concertations. Laissons ce projet de loi traiter son propre sujet.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC47 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Le présent amendement procède à une réécriture de l’article 4. D’une part, il tend à placer les dispositions nouvelles à la fin du titre I de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui concerne spécifiquement le conventionnement. D’autre part, pour plus de sécurité juridique, il précise les motifs du refus que le CSA peut opposer à un service de radio ou de télévision. Enfin, il propose une rédaction plus cohérente du dernier alinéa – étant entendu que le CSA peut refuser la demande de conventionnement sur la base du deuxième alinéa de l’article 4 – en indiquant de façon claire que, lorsque la demande émane d’un service de radio ou de télévision dépendant d’un État étranger, le CSA peut faire preuve d’une vigilance accrue en se fondant sur des éléments plus larges.

La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC143 et AC144 de M. Michel Larive, AC118 de Mme Valéria Faure-Muntian, AC77 de Mme Elsa Faucillon, AC165 et AC145 de M. Michel Larive, les amendements identiques AC6 de M. M’Jid El Guerrab, AC70 de Mme Elsa Faucillon, AC79 de M. Jean-Félix Acquaviva et AC158 de Mme George Pau-Langevin, les amendements AC62 de M. Christophe Lejeune, AC151 de Mme George Pau-Langevin et AC71 de Mme Elsa Faucillon tombent.

M. Bruno Studer, rapporteur. J’avais déposé cet amendement en amont, dès jeudi dernier, en vue d’une clarté et d’une efficacité accrue. Certains d’entre vous avaient déposé des amendements eux aussi. Permettez-moi de répondre aux interrogations qu’ils soulevaient, de façon que notre débat soit le plus éclairé possible.

Une partie des amendements déposés sont satisfaits par la rédaction que j’ai proposée, et ce sera également le cas sur d’autres articles : la notion d’« entreprise de déstabilisation » est partout supprimée ; la notion de « nouvelles » est remplacée par celle d’« informations » ; les « notamment » sont chassés du texte autant que possible.

Pour répondre plus précisément à M. Larive, auteur de l’amendement AC144, il me semble que votre amendement est satisfait par la nouvelle rédaction de l’article 4, puisque le CSA peut refuser le conventionnement en cas de risque grave d’atteinte au pluralisme des courants de pensées et d’opinions.

Pour ce qui est des autres amendements, il me paraît nécessaire de conserver la notion d’« influence » d’un État étranger, pour éviter tout contournement des règles de contrôle capitalistique ; le Conseil d’État a d’ailleurs reconnu l’intérêt de la notion. Celle-ci sera définie par la pratique du CSA et la jurisprudence administrative, par le biais de la méthode du faisceau d’indices. Elle me paraît toutefois suffisamment large pour répondre aux préoccupations exprimées par certains d’entre vous sur l’existence d’un lien de subordination.

Il ne me paraît en revanche pas souhaitable d’étendre l’application de ces dispositions à toute entreprise placée sous l’influence « d’une personne physique ou morale », car elles le sont toutes, nécessairement. Or, c’est bien les tentatives de manipulation étatiques que nous tentons de déjouer ici.

C’est d’ailleurs ce qui m’amène à être défavorable aux amendements étendant les dispositions du texte aux tentatives de manipulation et de désinformation dans un but commercial : ce n’est pas l’objet du texte. Pardon de vous décevoir, monsieur Larive ! Par ailleurs, les pratiques commerciales trompeuses sont d’ores et déjà prohibées par le code de commerce et, si une chaîne venait à en faire son fonds de commerce, il est clair qu’elle serait sanctionnée par le CSA ; et, encore une fois, la question de l’indépendance éditoriale des chaînes relève de la future loi audiovisuelle.

Sur la notion d’intérêts fondamentaux de la Nation, il me paraît inopportun de renvoyer au code pénal, qui ne pose pas une définition, mais donne en réalité des exemples d’intérêts fondamentaux, en lien avec les infractions définies dans le chapitre éponyme. Cette notion n’est donc pas fermée ; elle aura, au sens de la loi de 1986, une portée un peu distincte, et permettra de protéger, au-delà de la forme républicaine des institutions, leur fonctionnement régulier.

Le recours à des éléments extrinsèques par le CSA me paraît fondamental, notamment lorsqu’il s’agit de conventionner une chaîne dépendante d’un État étranger et qui n’a pas encore commencé à émettre ; je vous rejoins toutefois, Mme Faucillon, sur la nécessité de supprimer cette mention s’agissant de l’article 6, puisqu’il s’agit d’une sanction administrative. Pour le reste, la disposition me paraît particulièrement utile.

Article 5
Suspension temporaire par le Conseil supérieur de laudiovisuel de la diffusion dun service de radio et de télévision étranger conventionné pendant la période électorale

Le présent article a pour objet de permettre au CSA, en période électorale, de suspendre la diffusion d’un service de radio ou de télévision étranger avec lequel il a conclu une convention, dès lors que sa diffusion porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation – notamment par la diffusion de fausses nouvelles – ayant pour objet ou pour effet d’altérer la sincérité du scrutin en question.

1.   Le droit applicable

La loi du 30 septembre 1986 prévoit plusieurs cas de figure dans lesquels la diffusion d’une chaîne peut être suspendue de façon définitive ou temporaire.

Tout d’abord, le CSA peut faire usage de son pouvoir de mise en demeure à légard des éditeurs, des distributeurs et des opérateurs satellitaires, tel qu’il est énoncé par l’article 42 de la loi précitée, pour assurer le respect des obligations découlant des textes législatifs et réglementaires. Le CSA a notamment fait usage de ce pouvoir en mars 2005 à l’encontre de la chaîne iranienne Sahar 1, dont il a obtenu la cessation de la diffusion par le biais d’une mise en demeure adressée à l’opérateur satellitaire Eutelsat.

Ensuite, dans le cadre des pouvoirs de sanction du CSA, celui-ci peut, à la suite d’une mise en demeure, prononcer la sanction de « suspension de lédition, de la diffusion ou de la distribution du ou des services, dune catégorie de programme, dune partie du programme, ou dune ou plusieurs séquences publicitaires pour un mois au plus » ([45]) ou, de façon plus définitive, celle de « retrait de lautorisation ou de résiliation unilatérale de la convention » ([46]) pour les chaînes soumises à ces obligations. Le CSA a ainsi prononcé, à l’encontre de la chaîne BFM TV, en 2012, la suspension de tout écran publicitaire de 18 heures à 19 heures, durant deux jours de semaine consécutifs, en réponse au non-respect par la chaîne de la règlementation applicable à la durée des messages publicitaires.

De telles sanctions ne peuvent être prises qu’après mise en demeure de la chaîne de cesser le manquement constaté aux lois et règlements. Il existe toutefois une exception à ce principe : en application de l’article 42-3 de la loi précitée, le CSA peut retirer une autorisation sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles lautorisation avait été délivrée.

Par ailleurs, l’article 42-10 de la loi précitée permet au CSA de saisir le président de la section du contentieux du Conseil dÉtat, en cas de manquement aux obligations prévues par la loi, afin d’ordonner à la personne en cause de se conformer aux dispositions de la loi, de mettre fin à l’irrégularité constatée ou d’en supprimer les effets. Le juge peut alors, en urgence, prendre toute mesure conservatoire visant à mettre fin au manquement ou à en supprimer les effets, au besoin sous astreinte, et sans qu’une mise en demeure préalable et non suivie d’effet ne soit nécessaire ([47]).

Le CSA peut également demander au juge de faire cesser la diffusion, par un opérateur satellitaire, d’un service de télévision relevant des compétences de la France dont les programmes portent atteinte aux principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 et 15 de la loi de 1986. Cette mesure de police issue de la loi n° 2004‑669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle devait permettre au CSA de faire face au problème soulevé par la chaîne Al Manar TV, dont les programmes comportaient des incitations à la haine et à la violence à caractère antisémite ([48]).

Enfin, s’agissant spécifiquement des chaînes relevant de la compétence dun État membre de lUnion européenne ou partie à laccord sur lEspace économique européen ([49]), qui sont diffusées sur les réseaux non hertziens sans aucune formalité préalable, le CSA peut, en application de l’article 43-8 de la loi de 1986, suspendre provisoirement leur retransmission si des émissions susceptibles de nuire de façon manifeste, sérieuse et grave à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ou comportant une incitation à la haine ont été diffusées à plus de deux reprises au cours de l’année écoulée et si la violation persiste après sa notification. Cette disposition permet de pallier l’absence d’application, à ces services, du référé spécifique prévu en matière de communication audiovisuelle (cf. infra).

2.   Les modifications envisagées par la proposition de loi

Le présent article permet au CSA d’ordonner de lui-même la suspension temporaire de la diffusion dune chaîne conventionnée contrôlée par un État étranger ou sous l’influence de ce dernier, en période électorale, dès lors :

– qu’il constate que la diffusion de ce service porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles,

– et que cela a pour objet ou pour effet daltérer la sincérité du scrutin à venir.

Le CSA peut alors ordonner la suspension de la diffusion de la chaîne pour prévenir le trouble résultant de laltération de la sincérité du scrutin ou, si laction a déjà commencé à produire des effets, intervenir pour le faire cesser. Tous les moyens de communication électronique assurant la diffusion des chaînes en question, y compris leurs sites internet, sont concernés par cette mesure.

Dans le cadre de cette mesure de nature conservatoire, la suspension ainsi prononcée ne peut être que temporaire, puisqu’elle ne peut être mise en œuvre qu’à compter du décret de convocation des électeurs et prend nécessairement fin à l’issue des opérations de vote. Avant et après ces dates, le CSA sera contraint de saisir le juge des référés ou de mettre en demeure les opérateurs satellitaires en vue d’obtenir la suspension de la diffusion de la chaîne incriminée.

Par ailleurs, seuls les scrutins d’ampleur nationale – les élections du Président de la République, des députés, des sénateurs, des représentants au Parlement européen et les référendums – sont concernés par le présent article.

Le présent article confère au CSA un pouvoir important concernant les chaînes placées sous la dépendance d’États étrangers. Néanmoins, l’encadrement temporel de la mesure, comme son champ limité, assurent un équilibre entre la liberté de communication et la sauvegarde de l’ordre public. Pour autant, bien qu’il s’agisse d’une mesure de police administrative, n’appelant pas les mêmes garanties constitutionnelles que des mesures de nature répressive, le Conseil d’État a souligné la nécessité de compléter le présent article par deux gardefous : la motivation des décisions du CSA et le respect d’une procédure contradictoire préalable ([50]).

3.   Les modifications apportées par la Commission

Suivant l’avis du rapporteur et du Conseil d’État, la Commission a adopté un amendement complétant l’article initial par deux alinéas permettant d’assurer le respect d’une procédure contradictoire préalable – sauf en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ou lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales – ainsi que la motivation de la décision du CSA.

En outre, le premier alinéa de l’article 33-1-1 a fait l’objet de plusieurs modifications rédactionnelles et prévoit désormais que lorsqu’un service dépendant d’un État étranger diffuse, de façon délibérée, de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, alors le CSA est compétent pour ordonner la suspension de la diffusion du service.

*

La commission examine l’amendement AC48 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Le présent amendement tend à tirer les conséquences de l’avis du Conseil d’État sur l’article 5, en créant une procédure contradictoire préalable et une obligation de motivation. Il simplifie également la rédaction du deuxième alinéa afin d’assurer une plus grande lisibilité au dispositif en ciblant les services de radio ou de télévision dépendant d’États étrangers qui diffusent sciemment de fausses informations de nature à altérer la sincérité d’un scrutin.

Mme Brigitte Kuster. Par ce procédé, nos amendements à plusieurs articles tombent systématiquement.

L’un de ceux que j'avais déposés à cet article reprenait une recommandation du Conseil d’État. Car le groupe des Républicains, qui a aussi travaillé sur ce texte, prend en compte les travaux du Conseil d’État. Deux bonnes dispositions de l’article nouvellement rédigé trouvent ainsi leur origine dans nos propres amendements, celle qui définit le calendrier d’application comme la période des trois mois précédant le jour de l’élection et celle qui concerne le rôle du CSA, l’altération de la sincérité du scrutin n’étant plus mentionnée.

Mme Frédérique Dumas, présidente. La méthode choisie peut sembler compliquée, mais elle est transparente, car la nécessité d’une nouvelle rédaction avait été annoncée ; ses objectifs étaient partagés par nombre d’entre nous. Le rapporteur a ainsi déposé ses amendements dès jeudi dernier ; il était possible jusqu’à ce matin de les sous‑amender, les sous-amendements n’étant pas soumis à un délai de dépôt.

Mme Fabienne Colboc. La réécriture de ces articles est liée aux recommandations du Conseil d’État. Nous pouvons nous réjouir qu’il ait ainsi été entendu.

M. Jean-Félix Acquaviva. Si vous me permettez une pointe d’humour, je dirais que, dans une démocratie, il est bon aussi, parfois, de voter les amendements des autres. Nous sommes nombreux à en avoir déposé sur cet article. Il était possible d’émettre à leur endroit un avis favorable, surtout quand ils suivent des recommandations du Conseil d’État.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Je répète qu’il était possible jusqu’à ce matin de sous-amender les amendements du rapporteur, les sous‑amendements n’étant pas soumis à un délai de dépôt. Il n’y a donc pas de problème de démocratie.

M. Bruno Studer, rapporteur. Madame Kuster, vous avez assisté aux auditions que j’ai conduites, ce que peu de députés ont pu faire, tout comme vous avez suivi les travaux du Conseil d’État. Les divers amendements déposés ont été satisfaits par celui que nous avons adopté pour garantir un maximum de clarté et d’intelligibilité du texte, qui intègre ainsi un travail conduit en commun.

J’en veux pour preuve que votre amendement sur le point de départ de la mesure de suspension par le CSA est satisfait par celui que nous venons d’adopter. Sur le reste, il ne me paraît pas judicieux de supprimer la mention de la « sincérité du scrutin » s’agissant d’une mesure qui n’a vocation à s’appliquer qu’en période électorale, car nous perdrions alors tout lien entre la mesure et ce contexte électoral. En revanche, j’ai souhaité rationaliser les critères d’application de la disposition afin de gagner en clarté et en efficacité.

Monsieur Acquaviva, ma méthode était la plus transparente possible et mes amendements étaient en ligne dès jeudi dernier.

La commission adopte l’amendement et l’article 5 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC65 de Mme Brigitte Kuster, AC123 de Mme Valéria Faure-Muntian, AC76 de Mme Elsa Faucillon, AC147 et AC166 de M. Alexis Corbière, les amendements identiques AC72 de Mme Elsa Faucillon, AC80 de M. Jean-Félix Acquaviva et AC159 de Mme George Pau-Langevin, les amendements AC63 de M. Christophe Lejeune, AC152 de Mme George PauLangevin, AC66 de Mme Brigitte Kuster, AC5 de M. M’Jid El Guerrab et AC83 de M. Jean-Félix Acquaviva tombent.

 

 

Après l’article 5
 

La commission examine l’amendement AC92 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Par cet amendement nous proposons de limiter la concentration horizontale dans le domaine médiatique, en encadrant la détention simultanée d’un même canal et en interdisant d’être propriétaire de plusieurs formats de support identique.

Les grands groupes de presse ne doivent pas pouvoir posséder plusieurs journaux, radios, télévisions et sites d’information. Le présent amendement a donc pour objet de renforcer les dispositions de pluralisme et d’anti-concentration.

Ainsi, en matière audiovisuelle et multimédia, notre amendement divise par deux le plafond de chalandise des radios, en termes tant de zones desservies que d’audiences potentielles cumulées terrestres ; abaisse de 7 à 2 le nombre d’autorisations de services de télévision détenues par une même personne, hors chaînes publiques ; abaisse de moitié les seuils pour mettre en œuvre la règle anti‑concentration horizontale, dite « deux sur trois ». Il crée aussi un nouveau cas d’exclusion pour les détenteurs de publications non quotidiennes d’information politique et générale.

Si vous êtes d’accord pour supprimer cette horizontalité, adoptons mon amendement.

M. Bruno Studer, rapporteur. Sur ce point aussi, attendons les résultats de la mission d’information.

Sur le fond, je me permets de livrer ici mon sentiment : à l’heure où les GAFA (pour Google, Apple, Facebook, Amazon) sont extrêmement puissants et se trouvent dans une position monopolistique, il ne paraît pas opportun de mettre des bâtons dans les roues aux groupes qui se constituent en France et qui pourraient monter en puissance. Ils seront sinon encore plus démunis devant des acteurs qui ne sont, quant à eux, soumis à aucune règle. Soyons donc extrêmement prudents. Avis défavorable.

Mme George Pau-Langevin. Alors que nous avons vu tomber, grâce à la méthode de travail du rapporteur, des amendements que nous avions déposés, je m’aperçois d’un paradoxe : nous finissons par ne discuter que des amendements dénués de rapport avec le texte…

M. Michel Larive. Mais si nous voulions réguler les GAFA ?

M. Bruno Studer, rapporteur. Le Président de la République souhaite une régulation à l’échelle mondiale, ce qui ne peut que vous réjouir. L’examen de l’article 9 vous montrera que la France est à la pointe du débat sur les droits d’auteur et sur les éditeurs de presse. Mais ce que vous proposez est, en l’état, prématuré et inadapté.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Je rappelle que la discussion sur les amendements du rapporteur reste possible.

La commission rejette l’amendement.

Article 5 bis (nouveau)
Correction rédactionnelle

Cet article additionnel, adopté sur proposition du rapporteur, répare une coquille rédactionnelle de l’article 421 de la loi du 30 septembre 1986, relatif au régime des sanctions.

*

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC49 du rapporteur.

Article 6
Résiliation unilatérale de la convention conclue avec un service contrôlé par un État étranger

Le présent article a pour objet de permettre au CSA de résilier unilatéralement la convention conclue avec un service contrôlé par un État étranger ou sous son influence, si sa diffusion porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles.

1.   Le droit applicable

L’article 42-1 de la loi de 1986 permet au CSA, à titre de sanction, de prononcer la résiliation unilatérale de la convention conclue en application de l’article 33-1 si, à la suite d’une mise en demeure de se conformer aux textes législatifs et réglementaires comme aux principes définis par les articles 1er et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, l’éditeur, le distributeur ou l’opérateur satellitaire commet un nouveau manquement à ses obligations. En cas de contestation de la décision du CSA devant la justice, le juge administratif est amené à apprécier la proportionnalité entre la sanction prononcée et le manquement qui en est à l’origine.

Le CSA a notamment mis en œuvre cette sanction en 2004 à lencontre de la chaîne Al Manar, qui sest rendue coupable, par la diffusion de programmes à connotation antisémite, dun « manquement grave aux exigences dhonnêteté de linformation et à lobligation de la chaîne de traiter avec pondération et rigueur les sujets susceptibles dalimenter ou dentraîner, en France et en Europe, des tensions et des antagonismes, envers certaines communautés ou certains pays » ([51]).

2.   Les modifications envisagées par la proposition de loi

Le présent article rétablit l’article 42-6 de la loi du 30 septembre 1986 afin de permettre au CSA, après mise en demeure, de résilier unilatéralement la convention passée avec une personne morale contrôlée par un État étranger ou placée sous son influence, lorsqu’il a constaté que la diffusion de la chaîne incriminée portait atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participait à une entreprise de déstabilisation de ses institutions. Le prononcé de cette sanction est toutefois conditionné au respect des engagements internationaux de la France.

S’il apparaît redondant avec l’article 42-1 de la loi de 1986, le présent article a néanmoins l’intérêt de permettre au CSA de prononcer directement cette sanction de résiliation dès lors que les conditions prévues par le présent article sont réunies, sans qu’il soit nécessaire au juge, en cas de contentieux, d’apprécier le quantum de la peine prononcée.

Il est en outre précisé que l’atteinte peut être appréciée par le CSA en tenant compte des contenus diffusés tant par la société avec laquelle il a conclu ladite convention, que par la personne morale qui la contrôle et leurs filiales respectives, sur tout autre support de communication au public par voie électronique. Dès lors, la sanction qu’il est envisagé de créer pourrait être prononcée à raison de contenus diffusés par une autre personne morale que la société conventionnée.

Dans la mesure où la résiliation unilatérale de la convention a un caractère répressif, l’ensemble des garanties constitutionnelles entourant le prononcé des sanctions pénales doit s’appliquer à la nouvelle mesure prévue par le présent article (cf. infra). Il en va notamment du principe de responsabilité pénale personnelle, dont le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il découlait des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ([52]) et traduit, dans le code pénal, par son article 121-1, qui dispose que « nul nest responsable pénalement que de son propre fait. »

Le Conseil d’État a pu faire application de ce principe à une personne morale, en considérant que le fait de prononcer un blâme à l’encontre d’une société à raison de faits commis par une société qu’elle a absorbée postérieurement à la commission des faits était contraire au principe de personnalité des peines ([53]). Dès lors, la constitutionnalité du dispositif permettant au CSA de prononcer la sanction prévue par le présent article lorsqu’elle se fonde uniquement sur les agissements d’une société distincte de celle qui a conclu la convention ne saurait être assurée.

En tout état de cause, le Conseil dÉtat a considéré, dans son avis, que « le fait de sanctionner une personne morale en raison des seuls agissements commis par dautres personnes morales, qui peuvent être sans lien direct avec elle, apparaît difficilement conciliable avec les principes constitutionnels de responsabilité personnelle et de personnalité des peines, garantis par les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 » ([54]). De surcroît, « cette mention est, en tout état de cause, moins pertinente dans un cadre répressif, puisque le Conseil pourra sappuyer sur les contenus problématiques des programmes déjà diffusés pour justifier la sanction prise » ([55]), comme la souligné, à juste titre, le Conseil dÉtat.

3.   Les modifications apportées par la Commission

La Commission a donc adopté un amendement du rapporteur tendant à supprimer la dernière phrase du présent article. Elle a également procédé à des coordinations rédactionnelles avec les articles précédemment adoptés et a supprimé la référence à une entreprise de déstabilisation des institutions (cf. commentaire de l’article 4).

*

La commission examine l’amendement AC50 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cet amendement tend, d’une part, à supprimer la dernière phrase de l’article 6, dont le Conseil d’État a estimé qu’elle était contraire au principe de personnalité des peines, d’autre part, à supprimer la mention d’une « entreprise de déstabilisation » des institutions, dont il a estimé qu’elle était comprise dans la notion, plus large, d’intérêts fondamentaux de la nation.

Autant, avant de prononcer une contravention, on peut se contenter d’observer l’écosystème que constitue la chaîne de circonstances y menant, autant, lorsqu’il s’agit de prononcer une peine, le principe de la personnalité des peines doit s’appliquer. Il n’était pas possible, de ce point de vue, de conserver la première rédaction de l’article 6.

Madame Faucillon, votre amendement de suppression du dernier alinéa est ainsi satisfait.

La commission adopte l’amendement et l’article 6 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC4 de M. M’Jid El Guerrab, AC129 de Mme Valéria Faure-Muntian, AC78 de Mme Elsa Faucillon, AC167 et AC148 de Mme Sabine Rubin, les amendements identiques AC74 de Mme Elsa Faucillon, AC81 de M. Jean-Félix Acquaviva et AC160 de Mme George Pau-Langevin, les amendements AC64 de M. Christophe Lejeune, AC153 de Mme George PauLangevin, AC75 de Mme Elsa Faucillon et AC5 de M. M’Jid El Guerrab tombent.

Article 7
Application des conditions du prononcé des sanctions prévues par larticle 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 à la sanction prévue par le nouvel article 42-6

Le présent article vise à appliquer au nouvel article 42-6, rétabli par l’article 6 de la présente proposition de loi, les garanties prévues par l’article 42-7 relatives au prononcé de sanctions par le CSA.

Si le Conseil constitutionnel a admis, en 1988, la constitutionnalité des pouvoirs de sanction confiés au CSA, dès lors quils sont nécessaires à lexercice de ses missions ([56]), il a également rappelé, quelques mois plus tard, quil était nécessaire que « la sanction susceptible dêtre infligée [soit] exclusive de toute privation de liberté » et que « lexercice du pouvoir de sanction [soit] assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » ([57]). Ainsi, daprès la jurisprudence constitutionnelle, les principes applicables aux sanctions pénales sont également applicables aux sanctions administratives. Il en est ainsi du principe de légalité des délits et des peines, de nécessité et de proportionnalité des peines, de la nonrétroactivité de la loi pénale plus sévère et du respect des droits de la défense ([58]).

C’est la raison pour laquelle l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit un certain nombre de garanties. En premier lieu, l’engagement des poursuites et l’instruction préalable au prononcé de la sanction sont confiés à un rapporteur indépendant, nommé par le vice-président du Conseil d’État après avis du CSA. Par ailleurs, le rapporteur indépendant est doté d’un pouvoir d’auto‑saisine et peut mener toutes les auditions et consultations qu’il estime nécessaires. S’il décide d’engager une procédure de sanction, alors les personnes mises en cause ont le droit de consulter le dossier constitué par le rapporteur et de présenter leurs observations dans un délai d’un mois. De la même façon, elles peuvent accéder au rapport que le rapporteur remet au CSA ainsi qu’aux pièces sur lesquelles il se fonde et être entendues par le CSA lors de la séance pendant laquelle le rapporteur expose son opinion. Enfin, la décision du CSA est motivée, notifiée aux personnes visées et publiée au Journal Officiel.

Les dispositions prévues par l’article 42-6 rétabli (cf. supra) ayant la nature de sanction, il apparaît logique que les garanties prévues par l’article 42-7 leur soient applicables. Le présent article procède donc à la coordination nécessaire.

*

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC51 du rapporteur et l’article 7 est ainsi rédigé.

Article 8
Extension du champ du référé en matière de communication audiovisuelle

Le présent article a pour objet d’étendre le champ du référé prévu par l’article 42-10 de la loi de 1986 en matière de communication audiovisuelle aux distributeurs. Il précise, en outre, l’applicabilité du dispositif aux cas dans lesquels une chaîne placée sous la dépendance d’un État étranger porterait atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participerait à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles.

1.   Le droit applicable

Un référé spécifique à la communication audiovisuelle a été introduit par la loi du 30 septembre 1986 afin de pallier les lacunes que présentait alors la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. En effet, la Haute autorité de la communication audiovisuelle ne pouvait, à l’époque, que procéder au retrait des autorisations préalablement délivrées – sanction peu utilisée du fait de son caractère excessif dans le cas de manquements peu importants –, sans avoir toutefois les moyens de faire appliquer ses décisions.

Le référé qui figure désormais à l’article 42-10 de la loi de 1986 permettait ainsi, en cas de manquement aux obligations imposées par la loi, de saisir le président de la section du contentieux du Conseil d’État afin que la personne responsable dudit manquement se conforme à ses obligations, mette fin à l’irrégularité constatée ou en supprime les effets. Dès 1986, le président de la section du contentieux du Conseil d’État s’est vu doté du pouvoir de prendre, même d’office, toute mesure conservatoire.

Si, initialement, le référé n’était applicable qu’aux services soumis à une autorisation de l’autorité administrative, il a été progressivement étendu aux services soumis à une convention ou à une déclaration préalable, voire à aucune formalité. Il est aujourd’hui applicable :

– aux services de radio et de télévision soumis à autorisation et, par extension, aux services soumis à la conclusion d’une convention,

– aux sociétés nationales de programme ([59]),

– aux services de médias audiovisuels à la demande relevant des compétences de la France ([60]),

– aux services de télévision extra-communautaires relevant des compétences de la France ([61]),

– depuis 2004, aux opérateurs satellitaires dont l’activité a pour effet de faire relever des services de télévision de la compétence de la France ([62]).

Ne peuvent ainsi faire l’objet de cette mesure les services relevant de la compétence d’un autre État membre de l’Union européenne, d’un État parti à l’accord sur l’Espace économique européen ou à la convention européenne du 5 mai 1989 (cf. supra), ainsi que les distributeurs de services.

2.   Les modifications envisagées

Le deuxième alinéa du présent article permet d’étendre aux distributeurs de services la disposition aujourd’hui limitée aux seuls opérateurs satellitaires. Le CSA pourra ainsi demander au président de la section du contentieux du Conseil d’État de faire cesser la diffusion d’un service par son ou ses distributeurs.

Ceux-ci sont définis, par l’article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986, comme « toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques » – câble, ADSL, fibre, téléphonie mobile, etc. – ou qui « constitue une telle offre en établissant des relations contractuelles avec dautres distributeurs ».

L’inclusion des distributeurs dans le champ de l’article 42-10 complète de façon opportune le dispositif, comme l’a d’ailleurs reconnu le Conseil d’État : « Cet élargissement, qui vise à permettre au président de la section du contentieux du Conseil d’État d’intervenir, indépendamment du procédé de communication électronique en cause, pour faire cesser la diffusion litigieuse, contribue utilement à renforcer l’effectivité de cette procédure de référé spécifique. » ([63]).

Par ailleurs, les troisième et quatrième alinéas du présent article visent à préciser que la demande du président du CSA peut notamment avoir pour objet de faire cesser la diffusion ou la distribution, par un opérateur satellitaire ou un distributeur de services, dun service relevant des compétences de la France et contrôlé par un État étranger, s’il porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles.

Il est précisé que pour évaluer cette atteinte, le président de la section du contentieux du Conseil d’État peut notamment tenir compte des contenus diffusés par les autres services de communication au public par voie électronique de la société en question, de ses filiales, de la personne qui la contrôle ainsi que des filiales de cette dernière.

3.   Les modifications apportées par la Commission

Concernant la cessation de la diffusion des chaînes placées sous la dépendance d’États étrangers, il apparaît dommageable de limiter la portée du dernier alinéa du présent article aux seules chaînes conventionnées. C’est également le sens de l’avis du Conseil d’État qui « suggère en revanche, dune part, de remplacer, au 2° de cet article, les termes "la société avec laquelle il a conclu la convention" par les termes "la société éditant le service litigieux", en cohérence avec loffice du juge, qui ne se borne pas aux seules sociétés conventionnées mais peut également cibler les services qui ne sont titulaires daucune convention ou autorisation émanant des autorités nationales. » ([64]). La Commission a donc adopté un amendement du rapporteur en ce sens, qui a également opéré plusieurs harmonisations rédactionnelles en lien avec les articles précédemment adoptés.

*

La commission examine l’amendement AC52 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cette rédaction me semble optimale à l’heure actuelle. Mais vous pourrez naturellement l’améliorer au cours de la séance publique.

Le présent amendement procède à quelques modifications rédactionnelles et à une coordination avec le code de la justice administrative. Il vise, en outre, à supprimer la mention d’une « entreprise de déstabilisation » des institutions considérant, comme le Conseil d’État, que cette notion doit être comprise dans celle, plus large, « d’intérêts fondamentaux de la Nation ». Il étend également le pouvoir d’appréciation du juge à l’ensemble des services, au‑delà de ceux qui ont fait l’objet d’une convention avec le CSA.

Mme Fabienne Colboc. Ces deux éléments sont importants à prendre en compte dans cet article 8, notamment l’élargissement du référé audiovisuel aux distributeurs de services. Aussi cette nouvelle rédaction me semble-t-elle pertinente.

La commission adopte l’amendement et l’article 8 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC131 de Mme Valéria FaureMuntian, AC149 et AC168 de M. Alexis Corbière, les amendements identiques AC82 de M. Jean-Félix Acquaviva et AC161 de Mme George PauLangevin et l’amendement AC154 de Mme George PauLangevin tombent.

TITRE III
DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI DU 21 JUIN 2004 POUR LA CONFIANCE DANS L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE
(Division et intitulé supprimés)

Avant l’article 9

La commission adopte l’amendement AC46 du rapporteur.

En conséquence, le titre III est supprimé.

Article 9
Devoir de coopération et de transparence des fournisseurs daccès à internet et des hébergeurs

Le présent article a pour objet de faire peser sur les prestataires techniques des services de communications électroniques définis par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans le respect des dispositions issues du droit communautaire, un nouveau devoir de coopération dans le domaine des fausses informations.

1.   Le droit applicable

Les fournisseurs daccès à internet comme les hébergeurs de contenus issus de tiers sont soumis à un régime de responsabilité limitée, en application de la directive sur le commerce électronique ([65]) et de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Ainsi, en application de l’article 6 de la loi précitée, les « personnes dont lactivité est doffrir un accès à des services de communication au public en ligne » comme les « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, décrits, dimages, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » ne peuvent a priori pas voir leur responsabilité engagée à raison des contenus et données transportés ou stockés sur leur infrastructure. Toutefois, les hébergeurs sont tenus dagir promptement afin de retirer les contenus litigieux ou den rendre laccès impossible dès lors quils ont eu connaissance du caractère illicite de l’activité ou de l’information stockée à la demande du destinataire du service. Cette obligation, si elle n’est pas respectée, peut entraîner leur mise en cause aux plans civil et pénal.

De la même façon, si les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs n’ont pas à exercer une surveillance généralisée des informations transmises ou stockées par eux, ni à rechercher les traces d’activités illicites, ils ont néanmoins, dans des domaines particuliers, certaines obligations à respecter. Il en est ainsi de « lapologie des crimes contre lhumanité, de la provocation à la commission dactes de terrorisme et de leur apologie, de lincitation à la haine raciale, à la haine à légard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de lincitation à la violence, notamment lincitation aux violences faites aux femmes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine » ([66]). Les fournisseurs d’accès à internet comme les hébergeurs doivent alors concourir à la lutte contre ces infractions, et notamment :

– mettre en place un « dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données » ;

– informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites de ce type qui leur seraient signalées ;

– de rendre publics les moyens qu’elles consacrent à la lutte contre ces activités illicites.

De la même façon, dans le domaine des jeux d’argent, ces mêmes prestataires ont pour obligation de signaler à leurs abonnés les services de communication au public en ligne tenus pour répréhensibles par les autorités et de les informer des risques encourus lorsqu’ils participent à des jeux d’argent en violation de la loi.

2.   Les modifications envisagées par la proposition de loi

Le présent article tend à prévoir, pour lutter contre la diffusion de fausses informations, un dispositif similaire à celui prévu pour les infractions dapologie des crimes contre lhumanité, d’apologie du terrorisme et de pornographie enfantine, etc.

Les fournisseurs d’accès à internet comme les hébergeurs auraient ainsi l’obligation de :

– mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance une fausse information transportée ou stockée par eux ;

– d’informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité de diffusion de fausses informations par les destinataires de leurs services ;

– de rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre la diffusion de fausses informations.

Le présent article a fait l’objet de critiques tout à fait fondées de la part du Conseil d’État. En effet, comme il l’a souligné, « une telle disposition confie un large pouvoir d’appréciation aux prestataires techniques qui, pour ne pas être accusés de manquer à leurs obligations, pourraient retenir une acception large des fausses informations, au détriment de la liberté d’expression. D’autre part, (…) l’utilité d’une transmission aux autorités publiques compétentes est moins évidente, puisque les fausses informations dont la diffusion leur serait signalée ne sont, en principe, pas pénalement répréhensibles. Enfin, il souligne que cette obligation de coopération ne suffira pas, en elle-même, à mettre en cause la responsabilité des hébergeurs à raison des contenus comportant des fausses informations qu’ils stockent. » ([67])

Le présent article, qui reprend le dispositif aujourd’hui applicable à des infractions relativement lourdes, n’apparaît de fait pas adapté à l’objectif poursuivi, qui est de faire participer autant que possible les plateformes à la lutte contre la diffusion des fausses informations.

3.   Les modifications apportées par la Commission

S’appuyant sur ce constat, la Commission a adopté un amendement du rapporteur modifiant intégralement le dispositif initial, afin de susciter, auprès des plateformes, une forme d’autorégulation à même de limiter plus efficacement, par les outils les plus appropriés, la diffusion de fausses informations.

Le présent article, dans la rédaction issue des travaux de la Commission, confie au CSA une mission de lutte contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Il est ainsi doté d’un pouvoir de recommandation à l’égard des opérateurs de plateformes en ligne. Ces derniers ont l’obligation de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à leurs utilisateurs de porter à leur connaissance de telles informations, y compris lorsqu’elles sont issues de contenus financés par un tiers.

Ils doivent également rendre publics les moyens et les mesures prises en matière de transparence de leur algorithme, de promotion des contenus issus d’entreprises et d’agences de presse et de services de médias audiovisuels, de certification des comptes de leurs utilisateurs, d’information des utilisateurs sur la nature, l’origine et les modalités de diffusion des contenus et d’éducation aux médias et à l’information. À l’initiative de Mme Fabienne Colboc et des membres du groupe La République en marche, ces mêmes mesures sont précisées dans le cadre d’une déclaration annuelle faite au CSA. Ce dernier est chargé d’en faire périodiquement le bilan et peut, pour ce faire, se voir transmettre toutes les informations nécessaires par les opérateurs.

*

La commission examine l’amendement AC73 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Permettez-moi quelques mots sur notre méthode de travail, que je découvre. Sans en faire une affaire personnelle, je la trouve, seulement, à l’expérience, peu susceptible de nous laisser travailler en commission.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Il fallait sous-amender les amendements que j’ai déposés jeudi dernier !

Mme Elsa Faucillon. Ne le prenez pas personnellement, mais j’estime que cela ne permet pas de faire un vrai travail de commission.

S’agissant de mon amendement, il vise à supprimer l’article car la mesure proposée pourrait être source de sérieuses autocensures sur les réseaux sociaux. Alerté par un internaute, l’hébergeur pourrait être incité à supprimer de facto les contenus manifestement illicites – c’est ce qu’on voit déjà se produire. En jetant la suspicion, cette mesure néglige le potentiel et la richesse de l’expression sur la Toile.

Je trouve que l’ensemble du texte met en danger à la fois la liberté d’expression et la liberté de la presse. Nous n’avons cependant pas déposé d’amendements relatifs à ces libertés, car nous considérons que ce texte doit tout simplement mettre à part les éditeurs de presse. C’est pourquoi je n’ai pas non plus réagi aux amendements présentés par mon collègue Michel Larive : nous ne voulons pas inscrire dans cette loi de mesure touchant à la presse.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Sur ces sujets, je crois que nous sommes tenus de faire œuvre de précision, car nous ne devons pas attenter à la liberté d’expression, tout en garantissant aussi une certaine sécurité. N’hésitons pas à aller dans le détail, pour éviter de contribuer, par des déclarations trop générales, à une mauvaise information sur le texte lui‑même.

M. Bruno Studer, rapporteur. Madame Faucillon, je partage vos préoccupations sur l’article 9 tel qu’il était rédigé. Nous avons vu notamment les conséquences chez nos concitoyens européens d’Allemagne. Nous ne voulons pas reproduire pareille situation en France. C’est pourquoi je suis défavorable à la suppression de cet article, qui interdirait d’en proposer une nouvelle rédaction.

Encore une fois, j’ai été le plus transparent possible concernant le déroulé des travaux. J’ai bien dit que cet article 9, par exemple, serait entièrement réécrit, mais que vous auriez la liberté de déposer des sous-amendements, donc d’en débattre comme nous le faisons ce matin. Voilà pourquoi, même si on peut en regretter la forme, je ne pense pas que l’on puisse dire que, sur le fond, ce débat a été tronqué.

Je suis donc défavorable à votre demande de suppression.

La commission rejette l’amendement AC73.

Elle examine l’amendement AC53 du rapporteur, qui fait l’objet des sousamendements AC106 et AC 110 rectifié de Mme Fabienne Colboc.

M. Bruno Studer, rapporteur. Le présent amendement procède à la réécriture globale de l’article 9. Tirant les conséquences de l’avis du Conseil d’État, il supprime l’obligation d’informer promptement les autorités en cas de diffusion de fausses informations, et intègre les dispositions restantes au sein de la loi du 30 septembre 1986.

Concrètement, tel qu’il était précédemment rédigé, l’article 9 était rattaché à la loi de 2004 sur la confiance sur l’économie numérique. Comme nous confions au CSA un rôle de supra-régulateur, que nous allons détailler tout à l’heure, nous avons décidé de rattacher ces dispositions à la loi de 1986. Le CSA disposera d’un pouvoir de recommandation et de suivi, et pourra faire régulièrement le bilan des mesures prises par les plateformes dans la lutte contre les manipulations de l’information.

Cette proposition de rédaction est tout à fait en accord avec les dispositions et les recommandations prises par la Commission européenne. Je me suis d’ailleurs rendu la semaine dernière auprès de M. Andrus Ansip, vice‑président de la Commission européenne, chargé du marché numérique unique. J’ai également rencontré les cabinets des commissaires Julian King et Mariya Gabriel, ainsi que des parlementaires européens en charge de cette question.

Même si l’on peut souhaiter une régulation plus globale, on est bien dans une logique d’articulation de la politique de la France avec celle de l’Union européenne. C’est un moment important que nous vivons, dans la mesure où nous demandons toujours davantage de transparence, de coopération interprofessionnelle aux plateformes qui interviennent au quotidien dans la vie de nos concitoyens. Voilà pourquoi je me réjouis du débat que nous pourrons avoir en commission et en séance.

Mme Fabienne Colboc. Le sous-amendement AC106 vise à préciser quels types de mesures peuvent être mises en œuvre par les hébergeurs afin de remplir leur obligation de coopération, dans le but de lutter contre la manipulation de l’information et les fausses informations.

La présente proposition de loi précise en effet que les acteurs concernés doivent rendre publics les mesures et les moyens consacrés à la lutte contre la diffusion des fausses informations. Préciser ici ces mesures leur fournit un cadre et les moyens à utiliser pour lutter contre la diffusion des fausses informations. Les acteurs visés sont ainsi incités à prendre des initiatives concernant la transparence de leurs algorithmes, ou encore la certification des comptes de leurs utilisateurs, afin que les plateformes fassent fermer de façon plus efficace les comptes qui n’appartiennent pas à des personnes physiques, ou qui ne font que diffuser de fausses informations.

Ce sous-amendement fait la promotion des « bons » contenus, à savoir ceux issus d’entreprises et d’agences de presse et ayant fait l’objet d’une procédure de reconnaissance formelle, comme un label ou une certification.

Enfin, il souligne la nécessité d’informer les utilisateurs de la nature ou l’origine du contenu qui leur est présenté par la plateforme, et ce par différents biais : demandes de ciblage ; information sur le financement, son origine, sa nature, s’il a pu faire l’objet de signalements dans le passé, et selon quelles modalités.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je suis tout à fait favorable à ce sous‑amendement de précision, qui indique clairement aux plateformes dans quels domaines nous attendons qu’elles prennent des mesures.

Mme Fabienne Colboc. Afin de répondre aux devoirs de transparence et de coopération visés par la présente proposition, le sous-amendement AC110 rectifié vise à préciser l’obligation de coopération que la loi impose aux plateformes : elles devront adresser au CSA une déclaration annuelle dans laquelle seront précisées les mesures mises en œuvre pour lutter contre les fausses informations.

M. Bruno Studer, rapporteur. Vous demandez que cette déclaration soit adressée tous les ans au CSA. J’y suis tout à fait favorable.

Mme George Pau-Langevin. Vous allez dans un sens plus conforme aux travaux européens. Il est essentiel de travailler à la transparence des algorithmes et de rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre la diffusion de fausses informations. Mais vous avez choisi de faire confiance aux plateformes pour qu’elles puissent elles-mêmes procéder à la régulation. Selon moi, c’est une façon de sous-traiter au secteur privé et aux grandes structures une mission qui mériterait d’être confiée à une structure publique. Je sais bien que le CSA est chargé de surveiller tout cela de loin ; il reste que je trouve un peu optimiste de faire confiance aux grands groupes, en imaginant qu’ils vont eux-mêmes se réguler.

Mme Fabienne Colboc. Nous souhaitons en effet travailler en collaboration et compter sur l’autorégulation des acteurs concernés, le CSA intervenant comme « supra régulateur ». Mais le fait de demander ce compte rendu annuel amènera les acteurs à s’engager sur des dispositions précises, permettra de savoir concrètement si les objectifs ont été ou non respectés, et éventuellement d’apporter des corrections.

Mme Valéria Faure-Muntian. Certains de mes amendements sont tombés, comme ceux de plusieurs de mes collègues ; je veux cependant saluer le travail effectué par le rapporteur et par le groupe La République en marche : nous sommes parvenus à un équilibre entre la protection de la liberté d’expression et le contrôle de certaines informations, tout en respectant les valeurs françaises et européennes.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je mentirais en vous disant que cette remarque ne me fait pas chaud au cœur. Merci !

Madame Pau-Langevin, je comprends que vous ne soyez pas satisfaite. Je vous répondrai toutefois que nous évoluons dans un cadre conventionnel qui est fixé par la directive e-commerce, que la loi pour la confiance dans l’économie numérique a permis de transposer dans le droit français.

Cette directive indique clairement que les plateformes ont un statut d’hébergeurs, et pas d’éditeurs. Il me semble donc qu’avec la rédaction de l’article 9 que nous vous proposons, nous allons au maximum de ce que nous pouvons faire, sans nous engager dans la direction prise par d’autres pays comme l’Allemagne.

Je le disais tout à l’heure, cet article est absolument essentiel dans la mesure où, à terme, la question de la régulation des plateformes va se poser. Dans un premier temps, nous préférons tabler sur la confiance, tout simplement parce que c’est la base de leur modèle économique : si les consommateurs ne leur font plus confiance, ils finiront par s’en détourner. J’en veux pour preuve le coup de semonce adressé pour la première fois à l’une de ces plateformes qui compte plusieurs milliards d’utilisateurs, qui s’est déjà traduit par certains engagements.

La confiance n’excluant pas le contrôle, il m’a semblé important que CSA puisse intervenir en tant qu’organe supra régulateur, et par des rapports réguliers qui permettront de savoir publiquement qui a fait quoi, et qui n’a pas fait quoi. Nous allons appliquer aux plateformes le name and shame, qui est à la base de leur modèle économique.

Faut-il aller plus loin ? C’est un combat dans lequel vous vous êtes engagée par le passé. Nous vous rejoignons aujourd’hui, et nous œuvrerons ensemble à l’avenir. Mais s’il est nécessaire, à terme, de mettre en place cette régulation, dans l’état actuel du droit constitutionnel et conventionnel, il n’est pas possible d’aller plus loin que ce qui vous est proposé aujourd’hui. Je précise que cette rédaction a déjà été améliorée par les travaux du groupe La République en marche, en tenant compte du rapport de la commission des affaires européennes qui vous avait été présenté par M. Pieyre-Alexandre Anglade lors de la discussion générale.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Il ne serait pas exact de dire que nous accordons aux acteurs une confiance absolue et aveugle : il s’agit d’un travail de coopération, assorti d’un suivi et d’un contrôle.

Mme George Pau-Langevin. Cette démarche me laisse un peu sceptique. Selon moi, cette coopération entre des particuliers assez démunis et de très grandes plateformes qui ont des pouvoirs considérables, peut-être même plus importants que ceux de nos instances européennes, est un peu comme le pâté d’alouette… On peut toujours essayer d’avancer et de responsabiliser les hébergeurs. Mais en raison de l’importance des groupes concernés et des intérêts financiers en jeu, j’ai bien peur que la seule demande d’autorégulation ne soit pas suffisante.

Je suis consciente que nous aurons à intervenir ultérieurement en la matière, et qu’on ne pourra pas régler le problème aujourd’hui. En elle-même, votre proposition est sans doute intéressante mais, à mon avis, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter, mais selon moi, la situation va évoluer dans le bon sens. Je pense que les plateformes sont déjà en train prendre des mesures qui vont encore plus loin que ce que l’on imagine.

La commission adopte successivement les sous-amendements AC106 et AC110 rectifié.

Puis elle adopte l’amendement AC53 sous-amendé et l’article 9 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AC96 de Mme Sabine Rubin, AC155 de M. Hervé Saulignac, AC2 de M. M’Jid El Guerrab, AC38 de la commission des lois, AC150 de M. Alexis Corbière, AC40 et AC41 de la commission des lois, et AC133 de Mme Valéria Faure-Muntian tombent.

Article 9 bis (nouveau)
Accords interprofessionnels dans le domaine de la lutte contre la diffusion de fausses informations

À l’initiative de Mme Fabienne Colboc et des membres du groupe La République en Marche, la Commission a adopté un amendement prévoyant la signature d’accords interprofessionnels entre les opérateurs de plateforme en ligne, les agences de presse, les éditeurs de publication de presse ou de services de presse en ligne, les éditeurs de services de communication audiovisuelle, les annonceurs, les organisations représentatives des journalistes et toute autre organisation susceptible de contribuer à la lutte contre la diffusion de fausses informations.

*

La commission est saisie de l’amendement AC109 de Mme Fabienne Colboc.

Mme Fabienne Colboc. Cet amendement vise à inciter les acteurs concernés à conclure des accords de type interprofessionnel. En effet, il apparaît nécessaire que les plateformes, agences de presse, éditeurs en ligne, annonceurs et organisations représentatives de journalistes soient vivement encouragés à se réunir de manière régulière, par le biais de leurs représentants, afin d’échanger et de pouvoir conclure des accords permettant une synergie accrue en matière de transparence et de coopération.

Cette recommandation s’inscrit dans le prolongement de l’obligation d’informer les autorités publiques de toute activité de diffusion de ces fausses informations, et de rendre publics les moyens consacrés à la lutte contre celles-ci. Les objectifs de coopération et de transparence de ces prestataires visés par la loi sont ainsi renforcés.

M. Bruno Studer, rapporteur. Vous proposez de mettre tous les acteurs autour de la table pour que chacun contribue, selon ses moyens, à la lutte contre la diffusion de fausses informations. Avis évidemment favorable.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 9 bis
 

Elle examine l’amendement AC84 de Mme Sophie Mette.

Mme Sophie Mette. Au cours de l’audition de Mme Nyssen, le mardi 22 mai 2018, le sujet d’une labellisation de l’information a été abordé. Mme la ministre a précisé qu’elle soutenait l’initiative, mais que c’était à la profession de travailler et de s’organiser.

Cependant, au regard des propositions faites par les professionnels qui souhaitent créer un référentiel juridique sur la base de garanties minimales comme la transparence, l’indépendance éditoriale ou l’absence de conflits d’intérêts, il convient de rappeler qu’il existe déjà une instance qui permet de répondre à ses souhaits : la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). En effet, même si l’agrément qu’elle délivre n’est pas un label, il permettrait d’identifier clairement le caractère professionnel du service. Les critères de délivrance de l’agrément reprennent les principales garanties souhaitées par les professionnels du secteur.

Cet amendement permettrait donc au lecteur d’avoir une plus grande confiance dans l’information délivrée par le service de presse en ligne.

J’ajoute que cet agrément est déjà inscrit dans les mentions légales du service de presse en ligne. Il convient juste de le mettre en avant pour assurer à un lecteur une certaine qualité. Cela offrirait une preuve supplémentaire au juge, l’application serait donc rapide et sans coût.

Cet amendement vise ainsi à aider le lecteur d’un service de presse en ligne à identifier clairement un site d’information de qualité, reconnu par l’État, et bénéficiant d’aides en faveur de la presse en matière de taxes fiscales.

M. Bruno Studer, rapporteur. Madame Mette, sur le fond, je suis tout à fait favorable à cet amendement. Sa mise en œuvre est possible dans le cadre de l’article 9 nouvellement rédigé. Pour autant, il me paraît préférable de laisser le secteur lui-même décider de la forme de labellisation ou de certification la plus appropriée.

L’initiative prise dans ce domaine par Reporters sans frontières (RSF) est intéressante, et il ne faudrait pas la tuer dans l’œuf. Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’y serais défavorable.

Mme Sophie Mette. Je vous fais confiance et je retire mon amendement, si vous me dites qu’on y retravaillera.

M. Bruno Studer, rapporteur. C’est possible, compte tenu de la rédaction de l’article 9.

L’amendement AC84 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement AC67 rectifié de Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. Par cet amendement, je propose que le Conseil supérieur de l’audiovisuel élabore à destination des opérateurs de plateforme en ligne, des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à internet, un code de bonne conduite visant à encourager et à faciliter la mise en œuvre des nouvelles obligations de transparence et de coopération qui leur sont faites par la présente proposition de loi. Nous en avons déjà parlé.

M. Bruno Studer, rapporteur. De fait, le sujet est déjà en cours de traitement. Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, j’y serais défavorable. Le travail d’élaboration de codes de bonne conduite, entamé à l’échelle européenne, doit nous servir d’exemple.

Mme Brigitte Kuster. Dans la nouvelle rédaction de l’article 9, il est bien question d’un code de bonne conduite et de ses modalités de mise en œuvre ?

Mme Fabienne Colboc. Des objectifs ont été fixés, et un travail sur les bonnes pratiques a été engagé. Mais nous n’avons pas voulu détailler spécifiquement ce qu’elles recouvrent parce que c’est avant tout, on l’a dit, un travail d’autorégulation. Par ailleurs, le rapport annuel nous permettra de les identifier.

En revanche, la Commission européenne a détaillé les bonnes pratiques. Son travail pourra servir de repère et inspirer les plateformes et les acteurs concernés.

L’amendement AC67 rectifié est retiré.

La commission examine l’amendement AC68 rectifié de Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. Le CSA dispose d’un pouvoir général de recommandation, dont il n’était nulle part fait mention dans la proposition de loi. C’est pourtant un moyen efficace d’expliciter les nouvelles obligations qui seront introduites dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

L’objet de cet amendement est d’étendre le pouvoir de recommandation du CSA aux opérateurs de plateforme en ligne, afin d’assurer, tout au long de l’année, une lutte plus efficace contre la propagation des fausses informations.

Cet amendement paraît satisfait par la nouvelle rédaction de l’article 9.

M. Bruno Studer, rapporteur. Nous nous rejoignons donc, et je vous demande de le retirer.

L’amendement A68 rectifié est retiré.

La commission examine successivement les amendements AC157 et AC156 de Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Ces amendements visent à assurer une meilleure transparence des algorithmes des plateformes afin de mieux lutter contre la prolifération de fausses informations.

À cette fin, l’amendement AC157 prévoit d’insérer un nouveau titre III bis intitulé : « Dispositions relatives au code de la consommation ». Quant à l’amendement AC156, il prévoit de mentionner pour chaque contenu la part de chaque voie d’accès – directement ou via une recommandation –, et de publier et de rendre accessibles à tous ces statistiques. En effet, aujourd’hui, le système fonctionne d’une façon qui n’est pas officielle.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je comprends bien l’intérêt de cette mesure, mais je pense qu’elle est couverte par le nouvel article 9 de cette proposition de loi : le CSA pourra émettre des recommandations en ce sens s’il l’estime opportun, et cela pourra faire partie des mesures prises par les plateformes pour accroître la transparence du fonctionnement de leur algorithme. Aussi, je vous suggère d’attendre les mesures que nous prenons, et que l’Union européenne prend de son côté, avant de voir s’il faut d’aller plus loin dans la contrainte législative.

Je vous demande donc de retirer vos amendements. À défaut, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement AC130 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Cet amendement a un rapport très étroit avec cette proposition de loi, qui vise à lutter contre les fausses informations.

Au cours des dernières années, les vecteurs les plus puissants de la propagation de ces fausses informations ont été les GAFAM – pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – et certaines applications, qui ciblent, collectent et utilisent les données des utilisatrices et utilisateurs pour influencer, au moment des périodes électorales, le vote des citoyens.

Nous proposons donc de supprimer le profilage des utilisatrices et des utilisateurs en ligne qui contrevient tant aux droits fondamentaux – vie privée et familiale – qu’à l’objectif de ce texte.

M. Bruno Studer, rapporteur. Vous entendez interdire l’utilisation de données personnelles à des fins de ciblage publicitaire ou commercial. Avec le nouveau règlement sur la protection des données personnelles, les règles entourant l’utilisation des données personnelles sont renforcées, notamment en ce qui concerne le consentement et l’usage de ces données.

Je suis d'accord avec vous sur le fait qu’il faut probablement renforcer le cadre existant en ce qui concerne les périodes électorales. J’ai d’ailleurs engagé ces dernières semaines une réflexion sur les dispositions que nous pourrions prendre en ce sens dans les mois prochains, voire d’ici la séance.

Toutefois, ce n’est pas l’objet de votre amendement, qui va bien au-delà et concerne l’ensemble des activités de publicité ou des activités commerciales des plateformes. Mon avis sera donc défavorable.

M. Michel Larive. J’entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur. Mais les GAFAM peuvent constituer un fichier, et s’en servir au moment de l’élection. C’est pour cela que nous avons proposé d’étendre plus largement cette interdiction.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je comprends le sens de votre amendement. Nous voulons ici protéger les élections, c’est-à-dire la période électorale, la campagne et le scrutin. Il est donc intéressant, et même indispensable, de réfléchir à l’utilisation des données personnelles au cours de cette période.

Pour autant, il n’est pas possible d’étendre l’interdiction à l’ensemble des données, et de façon indéfinie dans le temps ; cela se ferait en violation des libertés fondamentales garanties par la Constitution et les traités européens.

M. Michel Larive. Malheureusement, les fausses informations ne se cantonnent pas à la période électorale. Des fausses informations d’une gravité exceptionnelle peuvent être distillées, diffusées en dehors de cette période. Par exemple, quand on parle de détention d’armes de destruction massives, et que cela entraîne une guerre…

Mme Fabienne Colboc. Je précise que le travail de coopération et d’autorégulation de tous les acteurs concernés pourra porter toute l’année sur les fausses informations et sur tous les moyens nécessaires pour y mettre fin. Il est donc important de prendre en compte cet article 9 dans sa rédaction actuelle.

M. Bruno Studer, rapporteur. J’ajoute, monsieur Larive, que, tel qu’il est rédigé, votre amendement aurait des effets dévastateurs pour la presse en ligne et pour son modèle économique. Encore une fois, donnons-nous le temps de réfléchir à ce qu’il est possible de faire.

M. Michel Larive Jusqu’à l’hémicycle, donc.

Mme Frédérique Dumas, présidente. On ne peut pas aller plus loin parce qu’il faut respecter les libertés fondamentales garanties par la Constitution, parmi lesquelles la liberté d’expression. En appliquant les dispositions que vous proposez, on adopterait un système qui s’apparenterait à un état d’urgence permanent. C’est un petit clin d’œil… Mais vous avez raison : les fausses informations sont diffusées à tout moment.

La commission rejette l’amendement.

TITRE III bis
dispositions relatives à l’éducation aux médias et à l’information
(Division et intitulé nouveaux)

Article 9 ter (nouveau)
Renforcement de l’éducation aux médias et à l’information dans le cadre de l’enseignement moral et civique

À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant l’article L. 312-15 du code de l’éducation, relatif à l’enseignement moral et civique, afin de renforcer la place de l’éducation aux médias et à l’information.

À cette fin, il est précisé que l’enseignement moral et civique, qui doit « amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi » est également applicable à l’usage que font les élèves de l’internet et des services de communication au public en ligne.

Par ailleurs, dans le cadre de cet enseignement, les élèves seront informés des moyens existants tendant à vérifier la fiabilité d’une information, quel qu’en soit le support.

*

La Commission examine les amendements identiques AC44 du rapporteur et AC162 de Mme George Pau-Langevin.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je constate avec plaisir que nous nous sommes rejoints à plusieurs reprises, avec le groupe Nouvelle Gauche, sur ces amendements relatifs à l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

Le présent amendement propose un nouvel intitulé pour le titre III : « Dispositions relatives à l’éducation aux médias et à l’information ».

Je l’ai toujours dit à l’occasion des auditions et pendant les débats qui ont précédé ce travail en commission, ce texte procède à d’indispensables adaptations législatives. Au-delà, l’essentiel repose sur le rapport des citoyens à leurs médias, à leurs organes de presse, à leurs organes d’information. D’où l’importance de l’éducation aux médias et à l’information.

Je n’en fais pas une solution miracle, car je ne suis pas naïf. Mais il me semble essentiel de renforcer le rôle de l’école et des lieux d’apprentissage dans l’éducation aux médias et à l’information. C’est pour cela que je vous propose ce nouveau titre.

Mme George Pau-Langevin. Même si des lois régissent ce secteur, il est très important que les particuliers, notamment les plus jeunes, qui sont les plus vulnérables, puissent recevoir une éducation aux médias et à l’information.

Dans la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous avions introduit cette possibilité et confié cette mission à l’école primaire. Je crois qu’il nous faut la renforcer pour que les élèves, futurs citoyens et futures citoyennes, puissent comprendre ce qui se passe, identifier les sources de ces informations et exercer librement leur jugement sur ce qui leur est dit. C’est sans doute un élément essentiel pour que les fausses informations ne puissent pas être diffusées de manière immodérée.

La commission adopte les amendements.

Article 9 quater (nouveau)
Renforcement de l’éducation aux médias et à l’information dans le cadre de l’enseignement moral et civique

À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant l’article L. 332-5 du code de l’éducation afin que soit dispensée, dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information dont bénéficient tous les élèves de collège, une formation à l’analyse critique de l’information disponible, quel qu’en soit le support.

*

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements AC56 du rapporteur et AC163 de Mme George Pau-Langevin.

M. Bruno Studer, rapporteur. Le présent amendement complète l’article L. 312‑15 du code de l’éducation afin de renforcer, dans le cadre de l’éducation morale et civique, la place accordée au développement d’un sens critique vis-à-vis des informations qui circulent en ligne, et de mieux former les élèves à la vérification de l’information.

C’est une thématique que nous avons eu le temps d’examiner au fond : d’abord dans le cadre de la mission d’information sur l’école dans la société numérique, que je préside et dont je suis le rapporteur, en articulation avec le ministère de l’éducation nationale puisque ces dispositions législatives devront trouver une traduction réglementaire ; ensuite dans le cadre du travail que nous avons pu mener, notamment avec Mme Cathy Racon-Bouzon, autour de l’encadrement des téléphones portables à l’école.

Ces deux textes nous permettent d’harmoniser les dispositions relatives à l’éducation aux médias et à l’information, qui doit devenir une priorité de l’éducation nationale dans les mois et les années qui arrivent.

Mme George Pau-Langevin. Mon amendement vise à renforcer, dans le cadre de l’enseignement moral et civique, le sens critique et la réflexion des élèves, y compris dans leur utilisation d’internet et des services de communication en ligne, et à mieux les former au décryptage des informations, des images et vidéos en ligne et à la vérification de leur fiabilité. Il convient notamment de leur faire prendre conscience du fonctionnement des algorithmes, qui peuvent jouer un rôle sous-jacent, permettant à certaines informations d’émerger.

M. Bruno Studer, rapporteur. Il me semble que votre amendement est assez proche de celui que je propose, qui me paraît toutefois un peu plus normatif. Par exemple, la notion de « décryptage » aurait toute sa place dans une circulaire ou un programme.

Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j’y serai défavorable.

L’amendement AC163 est retiré.

La commission adopte l’amendement AC56.

Article 9 quinquies (nouveau)
Missions des écoles supérieures du professorat et de l’éducation en matière d’éducation aux médias et à l’information

À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant l’article L. 721-2 du code de l’éducation afin que les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), chargées de la formation initiale et continue des enseignants, aient pour mission de les préparer aux enjeux de l’éducation aux médias et à l’information et d’organiser des formations de sensibilisation à la manipulation de l’information.

*

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements AC57 du rapporteur et AC164 de Mme George Pau-Langevin.

M. Bruno Studer, rapporteur. Le présent amendement complète l’article L. 332‑5 du code de l’éducation relatif aux missions des collèges, afin d’y rendre obligatoire, dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information qui y est déjà dispensée, une formation à l’analyse critique de l’information disponible.

Nous renforçons encore l’EMI dans les missions éducatives des collèges.

Mme George Pau-Langevin. Mon amendement est dans la même lignée. Nous voulons, notamment, apprendre aux enfants à décrypter les images et les techniques utilisées pour filmer et monter les images et le son.

M. Bruno Studer, rapporteur. Là encore, je vous rejoins entièrement. Néanmoins, il me semble que l’amendement que je propose satisfera le vôtre, sans qu’il soit nécessaire d’introduire dans la loi des éléments qui relèvent plutôt d’une circulaire ou d’un programme scolaire. Là encore, madame Pau-Langevin, je vous demande de retirer votre amendement.

Mme George Pau-Langevin. Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup de prise sur le niveau réglementaire. Je préfère donc que ce soit dit clairement dans la loi.

Mme Brigitte Kuster. Vous souhaitez améliorer l’éducation aux médias et à l’information des élèves, aussi bien dans les écoles que dans les collèges, ainsi que la formation des enseignants en la matière. Je n’ai pas le temps de sous‑amender le texte, mais je le trouve assez général.

Vous avez évoqué des rencontres préalables avec le ministère de l’éducation nationale. Mais je m’étonne que vous proposiez de modifier le code de l’éducation, alors que c’est habituellement un exercice difficile, en déposant des amendements à un article d’une proposition de loi sur les fausses informations.

En l’occurrence, vous insérez une nouvelle donnée dans les programmes. Je ne le remets absolument pas en cause. Néanmoins, je ne suis pas sûre que cela suffise pour aboutir. En tout cas, je ne vois pas comment vous réussirez à rendre opérantes ces dispositions, étant donné la manière dont vous rédigez les différents amendements. Pouvez-vous nous dire concrètement comment vous voyez les choses ? Vous souhaitez assurer une meilleure information des enfants. Mais sous quelle forme ? Et qui formera les enseignants ? Envisagez-vous d’y associer le monde de la presse ?

Votre objectif, encore une fois, est tout à fait légitime et nous devons tous le partager. Mais il mérite qu’on y réfléchisse de façon plus approfondie.

Mme Emmanuelle Anthoine. Il est très intéressant de développer le sens critique des jeunes. On sait que l’enseignement moral et civique comporte des informations complètes sur le sujet, mais, dans les faits, il reste limité parce qu’il est associé au cours d’histoire et géographie. Il y a fort à parier que les enseignements prévus ne sont pas réellement dispensés. Ne faudrait-il pas organiser un temps dédié à ce sujet ?

M. Bruno Studer, rapporteur. Madame Kuster, nous partageons beaucoup sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur. Dans sa première vague d’auditions, la mission d’information sur l’école dans la société numérique, dont j’ai voulu la création, a reçu un grand nombre des acteurs concernés. Il y a une frustration du législateur par rapport au fonctionnement règlementaire de l’éducation nationale, car il doit se contenter de donner de grandes directions alors qu’il voudrait aller plus loin.

Dans le cadre de leur mission constitutionnelle de contrôle, il sera cependant important que les députés analysent comment ces dispositions ont trouvé des applications concrètes. Par exemple, les actions menées par des personnes extérieures très compétentes donnent parfois lieu à un foisonnement qui marque aussi quelquefois un certain désarroi. Il est dans certains cas nécessaire de consacrer toute une année scolaire à l’éducation aux médias et à l’information. Nous disposons des ressources nécessaires. Les professeurs d’histoire et géographie sont évidemment en première ligne, mais on peut aussi compter sur les professeurs documentalistes qui sont certifiés et disposent de véritables compétences concernant ces sujets – il reste à trouver le lieu où ils enseigneraient. Des réformes ont été annoncées visant à renforcer les médiathèques, y compris au sein des établissements scolaires, en particulier au collège et au lycée.

La commission adopte l’amendement AC57.

En conséquence, l’amendement AC164 n’a plus d’objet.

Article 9 sexies (nouveau)
Éducation aux médias et à l’information dispensée par les centres de formation des apprentis

À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant l’article L. 6231-1 du code du travail afin de préciser que les centres de formation des apprentis « concourent au développement des connaissances, des compétences et de la culture nécessaires à l'exercice de la citoyenneté », y compris dans l’utilisation de l’internet et des services de communication au public en ligne.

*

La commission examine l’amendement AC58 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cet amendement vise à modifier l’article 721-2 du code de l’éducation afin de renforcer la formation initiale et continue des personnels enseignants dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information, en complétant les missions des écoles supérieures du professorat et de l’éducation à cette fin.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC59 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. La modification concerne cette fois le code du travail. Il vise à préciser que les centres de formation des apprentis concourent au développement des connaissances, des compétences et de la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté, y compris dans l’utilisation de l’internet et des services de communication au public en ligne.

La commission adopte l’amendement.

Article 9 septies (nouveau)
Contribution à l’éducation aux médias et à l’information des chaînes hertziennes privées

À l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant l’article 28 de la loi n° 86 1067 du 30 septembre 1986 afin d’inscrire dans les conventions que le Conseil supérieur de l’audiovisuel passe avec les chaînes hertziennes privées les mesures propres à contribuer à l’éducation aux médias et à l’information.

*

La Commission en vient à l’amendement AC45 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cet amendement vise à modifier l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il apparaît en effet nécessaire que les chaînes privées utilisant le réseau hertzien contribuent à l’éducation aux médias et à l’information. L’importance de leurs audiences cumulées justifie qu’elles mènent, dans ce domaine, des initiatives adaptées à leurs publics.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 9
 

La Commission est saisie de l’amendement AC127 de Mme Sabine Rubin.

M. Michel Larive. Nous proposons que soit envisagé l’accès gratuit des jeunes de moins de vingt-cinq ans aux médias bénéficiant d’une aide publique.

À l’instar de Robespierre, nous pensons que « la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses semblables est l’attribut le plus frappant qui distingue l’homme de la brute. Elle est tout à la fois le signe de la vocation immortelle de l’homme à l’état social, le lien, l’instrument de la société, le moyen unique de la perfectionner, d’atteindre le degré de puissance de lumière et de bonheur dont il est susceptible ».

Ce bonheur du développement de l’esprit critique, de la pensée organisée, du débat des idées est aussi à notre sens l’unique moyen de lutter efficacement contre une forme de paresse qui consisterait à suivre l’information la plus facilement accessible.

De ce fait, nous pensons que toutes les productions des entreprises de presse bénéficiant d’aides d’État doivent être rendues gratuites pour les jeunes de moins de vingt‑cinq ans, dont l’esprit critique est en formation, et dont les rapports avec la presse, entre défiance et rejet, ne sont pas au beau fixe.

M. Bruno Studer, rapporteur. Au-delà du fait que l’état financier de nombreux titres de presse rendrait indispensable une compensation financière par l’État qui serait difficilement envisageable, votre amendement pourrait servir d’amendement d’appel dans le cadre de l’élaboration du Pass culture. Ces journaux, qui sont des acteurs de l’offre, pourraient très bien rejoindre ce dispositif. Je rappelle que la phase de test du Pass culture a été lancée ; l’expérimentation, qui doit commencer au mois de septembre dans certains territoires métropolitains et ultramarins sera généralisée en 2019. Rien n’empêche les journaux qui le souhaitent – je ne peux que les encourager à le faire – de s’inscrire dans le dispositif.

Sur la forme, je suis donc défavorable à l’amendement. Sur le fond, réfléchissons à d’autres voies pour informer nos jeunes concitoyens.

M. Michel Larive. Nous avons introduit cette disposition à ce stade car, dans le Pass culture, la mesure aurait été limitée par un financement donné.

Mme Fabienne Colboc. Le lien qui pourrait être fait avec le Pass culture conformément à la proposition du rapporteur me semble être la bonne solution. Nous voterons contre l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

M. Bruno Studer, rapporteur. Nous allons examiner une série d’amendements du groupe La France insoumise sur lesquels j’ai émis un point de vue global. À mon sens, ils portent sur des sujets importants et devraient faire l’objet d’un texte spécifique – je vous suggérais de faire inscrire une proposition de loi dans l’une de vos journées réservées. L’objet de ces amendements ne se confond pas avec la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui. Il me semble même qu’il en est très éloigné.

M. Michel Larive. Je serai pour ma part très content de défendre les amendements que nous avons préparés ; c’est le processus démocratique.

La commission examine l’amendement AC125 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Nous proposons une réécriture générale des grands principes qui dictent l’attribution des aides à la presse. Pour assurer le pluralisme des idées et l’essor d’un journalisme de qualité, elles doivent être articulées autour de quatre principes.

Il faut d’abord que ces aides soient dirigées uniquement vers l’information politique et générale. Il faut ensuite qu’elles soient dirigées vers des journaux qui ne sont pas, d’une manière ou d’une autre, liés à des puissances d’argent qui mettent les journalistes dans un étau et qui les empêchent de pouvoir exercer leur devoir d’enquête de façon absolument libre. Les publications en ligne ne reçoivent actuellement des aides que du fonds stratégique pour le développement de la presse, les autres aides étant attribuées de façon discriminante aux journaux papier. Nous considérons qu’il faut envisager une nouvelle façon d’attribuer ces aides de façon équitable. Enfin, pour assurer une indépendance des journaux par rapport au pouvoir politique, nous pensons qu’il faut confier au Conseil national de déontologie, dont nous appelons la création de nos vœux, le pouvoir d’attribuer ces aides.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je suis défavorable à l’amendement en l’état. L’attribution des aides à la presse fait l’objet de critiques récurrentes. Elles devraient être plus équitablement réparties entre la presse en ligne et la presse papier. Le recentrage que vous proposez sur l’information politique et générale (IPG) a été largement opéré par la réforme de 2016 et 98 % des aides directes à la presse sont aujourd’hui ciblées sur l’IPG.

Je suis d’accord avec vous sur le fait que le Parlement doit se saisir de ce sujet. Il l’a déjà fait dans d’innombrables rapports. Toutefois, les critères précis d’attribution de ces aides ne sauraient relever que du domaine règlementaire, même s’il est loisible au législateur de fixer, dans ce domaine, de grands principes. En lien avec notre texte, certains ont proposé de conditionner l’attribution de ces aides au respect d’obligations déontologiques garantissant l’indépendance de la publication.

Pour autant, sur le fond, je doute que le fait de confier à un conseil de déontologie une compétence de « répartition » soit une bonne chose : c’est au ministère de la culture de distribuer, sur la base de critères transparents, les aides publiques à la presse. Je vois mal comment un conseil financé par les entreprises de presse serait à même de répartir équitablement ces aides. Votre amendement aurait toutefois l’avantage de faire réaliser beaucoup d’économies au contribuable, puisque les publications nationales IPG recourant à la publicité seraient privées d’aides à la presse.

M. Michel Larive. Nous proposons de faire distribuer les aides par le Conseil de déontologie afin de garantir l’impartialité de la répartition. Tout dépend de la constitution de ce conseil. Si vous décidez qu’il sera composé des neuf personnages qui détiennent 90 % de la presse aujourd’hui, vous avez raison de vous inquiéter. S’il est constitué de façon beaucoup plus large, en particulier si les usagers sont associés, cela permettra une plus grande transparence et un processus absolument démocratique.

Mme Frédérique Dumas, présidente. Le rapporteur a raison : vous imaginez le mélange des genres ? Il y aurait, d’un côté, une tâche complexe de certification, qui nécessite de susciter la confiance, et, de l’autre, une répartition d’argent. Ce serait une catastrophe.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC121 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Afin de lutter efficacement contre les fausses informations, nous souhaitons suspendre pour un temps et une durée limités, de manière proportionnée, le bénéfice des aides publiques, dites « aides à la presse », pour les supports et publications de presse condamnés pour incitation à la haine, violation de la vie privée ou atteinte à la dignité des personnes.

En effet, on note, ces dernières années, une prolifération inquiétante de ce type de propos au sein de notre société, et on constate des condamnations non suivies de tempérance. Afin d’endiguer cette vague d’intolérance, nous proposons, d’une part, d’inciter les médias à ne pas les diffuser, d’autre part, de priver ces entreprises de financements publics qui ne devraient jamais servir à rétribuer la diffusion de propos contraires à nos valeurs républicaines.

Nous estimons que cet amendement garantit un équilibre entre la liberté d’expression, le pluralisme de la presse et les nécessités d’ordre public. En effet, ces mesures de suspension sont décidées pour des montants et durées proportionnés, et pourront par ailleurs être contestées devant le juge administratif par la procédure d’urgence ou par la procédure normale de recours.

M. Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Je note que votre amendement ne précise pas qui prononcerait les peines complémentaires. Il est par ailleurs sans rapport direct avec le texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC113 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Les aides à la presse doivent être dirigées vers l’intérêt général et l’utilité commune. Par conséquent, de façon logique, la presse d’information politique et générale doit être la seule à percevoir ces aides publiques.

Le droit à l’information des citoyens et des citoyennes doit être soutenu par la puissance publique, tout le monde partage cette allégation. Mais nous pensons que seule l’information politique et générale ne se finançant pas par la publicité doit pouvoir bénéficier de ce soutien. C’est la condition d’une information revigorée, de qualité, plus forte et plus indépendante, sous réserve que l’octroi de ces aides soit déterminé par un organe indépendant de l’État, ce que nous proposons dans un amendement de réécriture globale des principes des aides à la presse. Cela va dans le sens de vos propos précédents, monsieur le rapporteur, et cela s’accompagnera d’économies.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Défavorable, car le contenu de la convention-cadre que vous prévoyez entre l’État et les bénéficiaires d’aides à la presse n’est pas défini.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC112 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Nous demandons à ce que, dans un délai de deux mois, le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur l’attribution des aides à la presse par un Conseil national de déontologie. Ce rapport étudiera la nécessité de lier la distribution des aides au respect d’une charte de déontologie et à une indépendance accrue par rapport au pouvoir économique. Ce document évaluera la pertinence d’en faire un conseil paritaire composé de journalistes et de citoyens, et s’assurera de l’efficacité de sanctions symboliques. Ce rapport mettra en avant les moyens d’investigation dont pourra disposer ce conseil afin d’évaluer la diffusion d’une fausse information.

Monsieur le président Studer, lors de l’audition de la ministre de la culture, le 22 mai dernier, vous aviez rappelé que les professionnels de la presse font souvent part de la nécessité que soit constitué un tel conseil.

M. Bruno Studer, rapporteur. J’ai rappelé que certains d’entre eux avaient exprimé le souhait lors des auditions. Pour autant, permettez-moi de dire que votre amendement illustre quelque peu le malentendu qui est le nôtre aujourd’hui.

La proposition de loi vise les fausses informations diffusées par des puissances étrangères ou des personnes malveillantes, généralement sur des blogs ou sur les réseaux sociaux, alors que vous visez la diffusion de fausses informations par les journalistes eux‑mêmes, ce qui n’est absolument pas l’objet du texte puisqu’il s’agit fort heureusement le plus souvent d’erreurs.

Je suis favorable à une réflexion pour accompagner la création d’un conseil de presse, je suis favorable à ce que l’on réfléchisse à la conditionnalité des aides en fonction de l’application d’obligations déontologiques, néanmoins je suis opposé, par principe, aux demandes de rapport, comme vous le savez, et, sur le fond, je ne suis pas favorable à ce que les aides à la presse soient attribuées par le nouvel organe que vous proposez de faire financer par les entreprises de presse, dans un autre amendement.

M. Alexis Corbière. Disons-le clairement : Russia Today et Sputnik sont les seuls exemples de sites que l’on m’ait donnés pour justifier la nécessité de ce texte. Vous visez bien les journalistes qui y travaillent ou en tout état de cause des gens qui se prétendent journalistes, même si vous estimez qu’ils ne font pas un travail sérieux. S’ils ne sont pas concernés, nos débats ne reposent plus sur aucune réalité.

J’ai cité, dans une autre commission, une chaîne de télévision étrangère qui a diffusé de fausses informations, en particulier sur la situation à Paris après les attentats en diffusant de fausses images montrant des incendies et des attaques en différents points de la capitale. Il s’agit de Fox News, média auquel le Président de la République a jugé bon de donner une interview il y a quelques jours. Si vous ne visez même pas ces organes, tout cela n’a plus de sens.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC124 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Le financement de la presse rencontre aujourd’hui deux écueils, que ces propositions de loi ont bien identifiés mais qu’elles ne corrigent pas. La dépendance par rapport aux mastodontes économiques, d’une part, qui modifie parfois la ligne journalistique, ou écorche même le droit d’enquête des journalistes, d’autre part, la dépendance à l’égard du pouvoir politique qui présente le risque d’une information dictée par les gouvernements.

Pour limiter ces risques, nous proposons, en plus d’une unification des aides d’État attribuées par un conseil de déontologie des journalistes indépendants, d’effectuer une mutualisation des services extérieurs à la production de contenus stricto sensu. Cette mutualisation serait financée par une forme de cotisation, d’une part, et par les aides publiques pour le même montant qu’aujourd’hui, d’autre part.

Comme le signale Pierre Rimbert, dans son article publié par le Monde diplomatique en décembre 2014, intitulé « Projet pour une presse libre », cette mutualisation aurait de nombreux avantages en matière d’impression et de logistique. Elle permettrait par exemple d’importantes économies d’échelle.

Sa centralisation et ses moyens lui font remplir l’obligation de sécurité et de confidentialité des données personnelles plus facilement que dans la configuration actuelle, où s’empilent des dizaines de prestataires privés. Au moment où les géants du Web transforment ces informations en marchandise, cette qualité ne relèverait pas de l’anecdote.

M. Bruno Studer, rapporteur. Nous sommes à nouveau loin de ce qui nous occupe précisément aujourd’hui.

Je suis défavorable à cette demande de rapport. Si le secteur souhaite créer un service commun d’impression, de gestion des abonnés et de distribution des publications IPG, pourquoi pas ? Mais je ne vois pas ce que pourrait apporter un rapport du Gouvernement sur le sujet.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC126 de M. Michel Larive.

M. Alexis Corbière. Nous pensons qu’il est nécessaire que les aides à la presse soient rénovées.

Certes, le Gouvernement a prévu de revoir les méthodes de distribution de la presse et a commandé à cet effet deux rapports, mais ils sont restés dans le secret des tiroirs du ministère de la culture. La Cour des comptes alerte le Gouvernement depuis des années sur l’iniquité des aides à la presse.

Nous pensons que favoriser des modèles d’entreprises de presse exclusivement tournés vers l’information, qui ne trouvent pas dans la publicité une modalité de financement qui les annihile, permettrait une plus grande indépendance de la presse et rendrait aux médias la confiance des citoyens. La presse numérique doit être bien plus soutenue qu’elle ne l’est afin de limiter la dépendance de ces médias aux plateformes en ligne et aux annonceurs. Les liens entre les annonceurs et les journalistes sont clairement l’un des vecteurs par lesquels l’éclatement de la vérité est ralenti, voire prohibé.

Pour assurer la lutte contre les fausses informations nous devons renforcer les droits des journalistes et l’aide qui leur est apportée afin de les soutenir dans leur travail de reportage et d’enquête.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Il existe d’ores et déjà de nombreux rapports sur la réforme des aides à la presse. Au Gouvernement d’agir et d’entreprendre une telle réforme, s’il le souhaite.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements AC142 de M. Alexis Corbière et AC138 de M. Michel Larive.

Elle examine l’amendement AC140 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Cet amendement vise à rendre obligatoire la déclaration de collaborations extérieures et l’autorisation par l’employeur, toute autorisation devant être communiquée aux organisations syndicales représentatives pour information. Nous reprenons la formulation de l’article 7 de la convention collective des journalistes : « Les collaborations extérieures des journalistes professionnels employés régulièrement à temps plein ou à temps partiel doivent au préalable être déclarés par écrit à chaque employeur. […] L’employeur qui les autorisera le fera par écrit en précisant, s’il y a lieu, les conditions, notamment celle d’être informé de leur cessation. »

Nous souhaitons y adjoindre l’obligation d’information des syndicats afin de permettre aux organisations syndicales de s’assurer du respect de la déontologie par tous les journalistes, et d’éviter des cas où des passe-droits préjudiciables à l’indépendance du journaliste professionnel et de son employeur.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Vous souhaitez introduire dans la loi une disposition qui figure déjà dans la convention collective. Cela me semble inutile. Par ailleurs, vous ajoutez une obligation d’information des syndicats, sans souci du droit au respect de la vie privée des salariés. Sur la forme, c’est un cavalier de plus !

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC141 de Mme Sabine Rubin.

M. Alexis Corbière. Il s’agit de soutenir la qualité et le pluralisme du travail des journalistes, en garantissant l’indépendance de ces derniers à l’égard des puissances d’argent publiques et privées. Pour ce faire nous introduisons l’obligation d’informer le public des autorisations de collaborations extérieures que l’on appelle communément « les ménages ». Les informations seraient rendues anonymes afin de respecter le droit à la vie privée et familiale. Cela permettra notamment aux citoyens et citoyennes de pouvoir prendre connaissance des activités extérieures des journalistes d’un même organe d’information, afin de pouvoir pleinement avoir conscience du type d’activités externes autorisées par l’employeur.

M. Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Même si je suis évidemment sensible à votre préoccupation s’agissant de la vie privée des journalistes, cet amendement reste un cavalier.

La commission repousse l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur la commission rejette successivement les amendements AC111 de Mme Sabine Rubin, AC100 et AC119 de M. Michel Larive.

Elle est saisie de l’amendement AC117 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Cet amendement vise à lutter contre les inégalités salariales au sein des médias en limitant l’écart entre les rémunérations de un à vingt. Nous sommes en effet surpris par les différences existant au sein des entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou dans une ou plusieurs agences de presse, au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

La notion de rémunération implique nécessairement les salaires et assimilés, indemnités, primes et gratifications qui peuvent être à l’origine d’inégalités salariales. Certains salaires semblent incompréhensibles : 230 000 euros annuels pour un grand présentateur des journaux télévisés du service public – je suis magnanime, je ne cite pas son nom. En l’absence de transparence, il est difficile de savoir s’il s’agit des salaires seuls ou de salaires augmentés de primes et gratifications.

Instaurer une limitation des rémunérations au sein de ces entreprises permettra de lutter contre les inégalités salariales et la situation précaire que peuvent subir indûment de nombreux et nombreuses journalistes.

M. Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Une mesure similaire a été mise en œuvre en 2012 pour les dirigeants mandataires sociaux des entreprises publiques. C’est une chose d’appliquer cette mesure à des entreprises publiques, c’en est une autre de vouloir l’appliquer à des acteurs privés. Encore une fois, le lien avec la manipulation de l’information est très ténu.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC115 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Cet amendement vise à garantir pleinement l’application du code du travail qui prévoit, dans son article L. 7113-2, que « tout travail commandé ou accepté par l’éditeur d’un titre de presse au sens de l’article L. 13235 du code de la propriété intellectuelle, quel qu’en soit le support, est rémunéré, même s’il n’est pas publié. »

Il existe actuellement de nombreux abus, car un travail dûment effectué et rendu peut parfois ne pas donner lieu à paiement. Afin de dissuader des rédacteurs en chefs méconnaissant le droit du travail, nous proposons de prévoir une sanction spécifique de 3 750 euros, qui doublerait en cas de récidive.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Cette situation doit être réglée devant le conseil de prud’hommes.

La commission examine l’amendement AC116 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Nous proposons de soutenir la qualité et le pluralisme du travail journalistique en luttant contre la précarité économique et sociale des journalistes – même si cela relève des prud’hommes. Il s’agit de garantir aux journalistes, en particulier aux pigistes, le paiement de leur travail dans un délai de trente jours au maximum, en l’alignant sur le délai existant notamment dans le code du commerce. En effet, il existe de nombreux cas d’abus où un travail dûment effectué peut être payé dans des délais excessivement longs entraînant des difficultés économiques inacceptables, alors même que ce travail a été dûment effectué.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Défavorable à cet amendement qui est un cavalier.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AC114 de Mme Sabine Rubin.

M. Alexis Corbière. Nous voulons soutenir la qualité et le pluralisme du travail journalistique, en luttant contre la précarité économique et sociale de la profession de journaliste.

En l’état du droit, l’existence d’un salaire minimum pour les piges des journalistes, n’a été consacrée par décret dans le milieu journalistique que pour les photojournalistes.

Nous estimons qu’un seuil socle de 80 euros bruts pour certains types de piges ‑ feuillet en presse écrite, document commandé papier… – est nécessaire afin d’éviter les abus. Ces minimums permettent de fixer une rémunération de base pour les principaux types de pige et n’empêchent en outre, en aucun cas, des conventions collectives ou rémunérations plus favorables.

Conscients des nombreux autres facteurs de précarité qui affectent les journalistes notamment pigistes, nous proposons en outre dans nos autres amendements de garantir le principe que les piges commandées doivent être payées ; qu’une fois la prestation réalisée, la rémunération due soit acquittée dans les trente jours ; de limiter la différence entre les rémunérations au sein d’une même entreprise de presse de un à vingt.

M. Bruno Studer, rapporteur. Défavorable. Outre le fait qu’il s’agit d’un cavalier, ces sujets relèvent de la négociation collective ou du domaine réglementaire.

La commission repousse l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC105 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Nous proposons de consacrer le principe selon lequel un journaliste accusé d’avoir outrepassé le secret des affaires, le secret professionnel ou la confidentialité, ne peut être jugé, pour les actes non détachables de l’exercice de son travail d’enquête et de sa mission d’information du public, que sur le fondement du droit de la presse, donc par un juge judiciaire, et non sur la base du droit commercial – pour ce qui concerne le secret professionnel, le secret des affaires, la confidentialité – ou du délit pénal de recel – qui concerne actuellement le secret professionnel, le secret des affaires, le secret de l’enquête et de l’instruction.

Nous proposons une nouvelle mouture prenant totalement en compte la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

Il est prévu que, dans le cadre strict de leur travail de journalistes et de leur mission d’information du public, et pour les actes non détachables de ces activités, les journalistes bénéficient d’une immunité au titre d’atteintes au secret professionnel des affaires, et d’une immunité pénale pour les délits les plus utilisés pour tenter de les museler – recel de violation du secret professionnel ou du secret des affaires.

Nous partageons ce souci de garantir pleinement la liberté d’informer. La liberté de la presse est consubstantielle à notre identité républicaine. Selon l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ». Or, la loi du 29 juillet 1881, qui constitue le fondement de la conception française de la liberté de la presse, dispose bien, dans son article 45, que « les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels […] », et non aux tribunaux de commerce !

Il est absolument nécessaire que des informations susceptibles de concerner de potentielles atteintes à l’intérêt général soient connues de tous. Il serait aberrant qu’au nom du secret des affaires, les principes les plus essentiels de notre République soient méconnus, principes sans lesquels la liberté d’entreprendre ne pourrait d’ailleurs être assurée.

M. Bruno Studer, rapporteur. En tant que président de commission, j’ai à cœur de faire en sorte que le travail de commission prépare véritablement le travail dans l’hémicycle. Ce qui est débattu et expliqué en commission ne devrait pas être présenté dans l’hémicycle, si tant est que les explications fournies aient donné satisfaction. J’ai le souci de faire de la commission une institution incontournable de l’Assemblée nationale.

Monsieur Larive, je ne suis pas certain que votre amendement soit plus conforme à la Constitution que l’article 4 de la loi dite « Bloche », censuré par le Conseil constitutionnel. Il me semble que l’immunité que vous accordez ainsi aux journalistes est encore trop large pour concilier, d’une part, la liberté d’expression et de communication, à laquelle nous sommes viscéralement attachés, vous comme moi, et d’autre part le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, les exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d’infractions et la prévention des atteintes à l’ordre public, nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Pour l’ensemble de ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.

Mme Fabienne Colboc. Je précise que la proposition de loi transposant la directive européenne sur le secret des affaires préserve le droit à l’information.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC101 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Par cet amendement, nous souhaitons étendre le bénéfice de la protection du secret des sources aux collaborateurs des rédactions non titulaires d’une carte de journaliste, tout en respectant les bornes posées par le Conseil constitutionnel en 2016.

Le travail journalistique ne se résume pas à celui des seuls journalistes. Les collaborateurs de rédaction non titulaires d’une carte de journaliste effectuent en effet un travail considérable dans la fabrique de l’information, qui ne se résume pas à assister dans leurs tâches les journalistes stricto sensu. En effet, une grande partie de leur travail consiste à recueillir des informations auprès de tiers, ce qui, nécessairement, implique que soient assurées les mêmes garanties offertes par la transmission d’informations à un journaliste, sans quoi le concept même de protection du secret des sources n’aurait aucun sens.

En l’état du droit, les journalistes bénéficient d’une immunité pénale pour les délits les plus utilisés pour tenter de les museler. Or, le Conseil constitutionnel avait censuré en 2016 l’article 4 de la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui consacrait cette immunité pénale, parce que celle-ci était trop large et pas assez proportionnée et devait être conciliée avec d’autres principes à valeur constitutionnelle.

Par cet amendement, nous prenons en compte la censure du Conseil constitutionnel en consacrant le droit à la protection des sources aux collaborateurs de rédaction, qui sont définis de manière plus restrictive : « toute personne qui, par sa fonction au sein de la rédaction dans une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1°, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations ».

M. Bruno Studer, rapporteur. Je vous renvoie de nouveau à la censure par le Conseil constitutionnel de l’article 4 de la loi Bloche. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine l’amendement AC102 de M. Michel Larive.

M. Alexis Corbière. Le rapporteur pense qu’il s’agit de cavaliers mais nous pensons quant à nous que les conditions matérielles de production de l’information sont au cœur de la problématique.

Le droit à l’information des citoyens doit être garanti dans notre pays. L’unique moyen est de faire en sorte qu’une charte de déontologie, inspirée de la charte de Munich et des préconisations du syndicat national des journalistes (SNJ), soit enfin adoptée. Par cet amendement, nous en proposons une rédaction, qui pourra évidemment faire l’objet de discussions et, nous l’espérons, d’éventuels sous-amendements avant son adoption.

C’est en effet le moyen le plus certain de lutter contre les fausses informations, parfois, voire souvent, produites par les journalistes eux-mêmes. Il nous semble très dangereux que la loi actuelle repose sur « une intention délibérée de nuire », selon les recommandations du Conseil d’État. En effet, cette intention délibérée vise à exclure du contrôle du juge des référés les travaux des journalistes, alors même que les fausses informations qu’ils peuvent parfois diffuser ont, sur l’opinion, des conséquences qui sont tout aussi dangereuses, voire plus, du fait de l’autorité morale qu’ils tirent de la possession d’une carte de presse.

Par exemple, quand la totalité des médias français relaient la fausse information sur M. Abderazak Besseghir, le bagagiste de Roissy soupçonné à tort d’être un terroriste en janvier 2003, ils détruisent la vie de cet individu. Que ce mensonge ait été commis sans intention et que les médias aient ensuite reconnu leur erreur, n’y change rien. De la même manière, les mensonges colportés par le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal, en 2003, sur les armes de destruction massive en Irak ont produit leur effet sur l’opinion et ont eu des conséquences graves sur la vie de millions de personnes. Il est donc fondamental que les journalistes soient aussi soumis à des règles fondamentales de déontologie, ce que nous proposons par cette charte.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je tiens tout d’abord à souligner les avancées de la loi Bloche, du nom de mon prédécesseur à la présidence de la commission des Affaires culturelles, qui contraint déjà les entreprises de presse à se doter de chartes de cette nature. Pour le reste, je ne crois pas qu’une charte de déontologie ait sa place dans la loi, dans la mesure où elle relève par définition ce qu’on appelle le droit souple. C’est à la profession elle‑même d’aller dans ce sens.

Mme Fabienne Colboc. Il est important également de souligner que les journalistes travaillent déjà pour vérifier les informations avant de les diffuser, et ce de plus en plus.

La commission rejette cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC103 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Les professionnels de la presse, journalistes en tête, réclament la création d’un conseil national de déontologie journalistique qui devrait s’appuyer sur la rédaction d’une charte d’éthique des journalistes. Ce conseil, nous en proposons la création par cet amendement d’appel. Nous nous réjouissons que le président de la commission des affaires culturelles l’ait mentionné dans son introduction à l’audition de la ministre de la culture le 22 mai dernier.

Les modalités précises seront, nous l’espérons, débattues en commission et dans l’hémicycle, par voie de sous-amendements et par l’appui, après l’adoption de ce texte, des travaux du Conseil d’État.

M. Bruno Studer, rapporteur. Un vrai mouvement se fait jour au sein de la profession. L’initiative doit venir de la presse et certainement pas du législateur. Si la profession souhaite aller dans ce sens, je l’ai dit publiquement et je le répète, nous accompagnerons cette démarche.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine l’amendement AC104 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Aux États-Unis, de 1949 à 1980, une règle imposait aux journalistes de présenter tous les sujets faisant débat en consacrant un peu de temps d’antenne ou de lignes pour exposer les idées adverses à l’idée développée de façon majoritaire. Certains journaux s’y emploient, beaucoup ne le font pas et ne présentent d’un sujet qu’un aspect, allant souvent dans le sens des intérêts des classes dominantes.

La doctrine Fairness de l’impartialité avait deux fondements : elle créait l’obligation pour les diffuseurs de l’information de consacrer une certaine partie de leur temps d’antenne à discuter des sujets controversés concernant l’intérêt général, et de présenter sur ces sujets des visions adverses. Les stations conservaient toutefois une certaine latitude pour définir comment elles présentaient ces vues alternatives : cela pourrait être fait aujourd’hui par le biais de nouveaux outils, comme les émissions consacrées à des sujets d’intérêt général ou des éditoriaux.

Comme le souligne Pierre Rimbert, dans un article publié en mai 2012 dans Le Monde Diplomatique : « Longtemps, cette doctrine offrit une large audience aux idées minoritaires, des plus progressistes aux plus réactionnaires, en passant par les plus farfelues. »

Cette variété de points de vue et leur relais par les médias nous semble importants pour lutter contre la défiance vis-à-vis de médias mais aussi et surtout pour faire en sorte que les médias s’intéressent aux manifestations d’opinions qui peuvent heurter leurs intérêts corporatistes.

M. Bruno Studer, rapporteur. Avis défavorable. Encore une fois, on est bien loin de l’objet de ce texte, qui vise à lutter contre la manipulation de l’information. Pour autant, l’amendement me semble satisfait par le travail journalistique lui-même puisque la déontologie journalistique permet d’assurer l’impartialité des publications. Enfin, le pluralisme s’entend, s’agissant de la presse, de façon externe : il doit exister des titres de presse couvrant tous les courants de pensée et d’opinion. L’écosystème numérique a permis de faire émerger de nouveaux acteurs.

M. Michel Larive. Cela a à voir avec le texte : ce genre de processus permettait aux gens d’avoir accès à diverses informations. La première chose à privilégier dans une loi sur les fausses informations, c’est l’éducation et le discernement.

La commission rejette cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC108 de M. Michel Larive.

M. Alexis Corbière. Nous connaissons tous le travail remarquable de la journaliste Élise Lucet et ses émissions dans lesquelles elle interpelle des responsables politiques ou économiques afin d’obtenir des réponses aux questions soulevées par son travail d’enquête. Sa notoriété et la réputation de ses reportages lui permettent d’obtenir des réponses qu’un journaliste moins connu se verrait refuser.

Par cet amendement, nous proposons de créer un droit à obtenir une réponse aux questions posées par tout titulaire d’une carte de presse ou par une association reconnue d’utilité publique. Ces questions devront être directement liées à un travail d’enquête sur la légalité de l’activité de l’entreprise ou sur un possible préjudice grave porté à l’intérêt général. Cette transparence permettra de lutter contre certaines pratiques douteuses et contre les fausses informations. Elle pose comme principe la définition du service public d’information, nécessaire à une démocratie qui fonctionne.

M. Bruno Studer, rapporteur. Sur la forme, c’est un cavalier. Sur le fond, vous créez une confusion entre ce qui relève du travail de la justice et du travail de journaliste. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine l’amendement AC120 de M. Alexis Corbière.

M. Michel Larive. Par cet amendement, nous proposons de renforcer les protections statutaires des journalistes à travers la reconnaissance juridique des conseils de rédaction, et ce afin de garantir l’élaboration d’une information de qualité seule à même de lutter contre les fausses informations.

À cet effet, nous nous inscrivons dans une lignée transpartisane, puisque ces dispositions sont tirées des propositions de loi de la sénatrice UDI Mme Nathalie Goulet déposée en 2014, ainsi que de celle proposée en 2010 par le député PS M. Patrick Bloche, elles-mêmes inspirées directement des travaux du SNJ.

Conférer un statut juridique aux rédactions, consacrer la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle, permet de protéger les journalistes de pressions qu’ils pourraient subir, en leur donnant la possibilité de réagir sur le terrain du droit. L’existence même d’un statut protecteur deviendra ipso facto un frein à d’éventuelles tentatives de pression.

M. Bruno Studer, rapporteur. Sur la forme, c’est un cavalier. Sur le fond, je vois au moins deux problèmes. Tout d’abord, vous remettez potentiellement en cause la ligne éditoriale, avec un problème quant à la responsabilité juridique du directeur de publication. Ensuite, l’amendement crée un problème de concurrence avec les instances représentatives du personnel. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement AC135 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il s’agit d’interdire la pratique dite de greenwashing ou « lessivage vert » de campagnes publicitaires agressives faites par des industriels qui peuvent distordre la réalité dans le but de faire encore et toujours des profits.

Ainsi, avec l’ajout proposé au code de la consommation, seraient considérées comme des fausses informations susceptibles de rentrer dans le champ de l’article L. 121-1 du code de la consommation qui réprime la publicité mensongère, les publicités de grandes entreprises pétrolières comme Total qui présentent leur activité principale d’extraction, de raffinage et de distribution d’énergies fossiles à travers des séquences montrant une nature épanouie et des écosystèmes sains, à l’inverse de ce que cause directement leur activité.

Cet amendement permettra aux associations et particuliers de porter plainte pour demander la condamnation pour publicité mensongère et fausse information de tels agissements de la part de personnes souhaitant délibérément manipuler les citoyens.

M. Bruno Studer, rapporteur. Cet amendement n’a strictement aucun lien avec le texte. J’y suis défavorable.

M. Alexis Corbière. On peut considérer que des campagnes de publicité sont de fausses informations en vue de manipuler le consommateur. Cela me semble au moins aussi dangereux qu’une page, encore une fois, sur le site Sputnik ! Des millions de gens sont concernés par les publicités abusives, alors que l’impulsion de cette loi est quelque chose d’infinitésimal qui n’a eu aucune conséquence sur la vie publique.

Mme Frédérique Dumas, présidente. La publicité mensongère ou abusive n’est pas de la fausse information, même si c’est un problème en soi.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine l’amendement AC134 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Nous souhaitons mettre fin à l’utilisation de l’attention des enfants à des fins commerciales ainsi qu’au machisme publicitaire. La diffusion de publicités adressées aux enfants entre deux programmes qui leur sont destinés est absolument inacceptable car cela contribue à formater leur conscience en les rendant plus enclins à la consommation, et même à leur inculquer parfois des comportements qui s’éloignent de nos conceptions républicaines, dans le but de réaliser des profits sur le dos de personnes qui n’ont pas encore eu le temps de former leur esprit critique et leur capacité de discernement. Ces atteintes à la dignité humaine doivent être combattues par les pouvoirs publics et par conséquent sanctionnées par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

M. Bruno Studer, rapporteur. Je regrette que, dans votre passage sur le sexisme, vous sembliez oublier les hommes, qui peuvent tout autant être présentés de façon sexualisée dans la publicité – c'est un clin d’œil…

M. Alexis Corbière. J’en discuterai avec Marlène Schiappa… Vous considérez qu’il y a aujourd’hui des campagnes publicitaires qui visent à détériorer l’image de l’homme ; peut‑être, mais quel poids cela a-t-il par rapport au machisme ? Mais j’ai bien compris le clin d’œil.

M. Bruno Studer, rapporteur. Votre logique, qui applique une même législation aux femmes et aux enfants alors que les femmes ne sont plus considérées comme des mineurs depuis longtemps dans notre droit, me paraît anachronique.

Mme Fabienne Colboc. Les annonceurs sont sensibles à tout ce qui est fausse publicité. Ils participent d’ailleurs, cela a été souligné à l’article 9, à la coopération pour lutter contre les fausses informations, et sont très soucieux de la qualité des annonces publicitaires qu’ils font.

La commission rejette cet amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AC136 de Mme Sabine Rubin.

Elle examine l’amendement AC137 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Par cet amendement, nous proposons de lutter contre les fausses informations en consacrant la neutralité de l’internet, en interdisant donc que des rémunérations différentes des fournisseurs d’accès puissent induire des accès différenciés à une information pluraliste.

En effet, imagine-t-on que l’argent puisse restreindre l’accès effectif à certains sites internet d’information générale ou thématique ? Ceci est la conséquence directe d’une protection incomplète de la neutralité du Net.

Il semble exister un consensus national transpartisan en France pour renforcer et préserver la neutralité du Net. La France Insoumise s’en félicite et souhaite renforcer ce principe.

En attendant cette proposition de constitutionnalisation, il est ainsi pertinent de renforcer la neutralité du Net au niveau législatif, en en précisant sa portée. La neutralité du Net est un principe fondateur d’internet qui garantit que les opérateurs télécoms ne discriminent pas les communications de leurs utilisateurs, mais demeurent de simples transmetteurs d’information. Ce principe permet à tous les utilisateurs, quelles que soient leurs ressources, d’accéder au même réseau dans son entier. Or, la neutralité est aujourd’hui remise en cause à mesure que les opérateurs développent des modèles économiques qui restreignent l’accès à internet de leurs abonnés, en bridant ou en bloquant l’accès à certains contenus, services ou applications en ligne – protocoles, sites web, etc. – ainsi qu’en limitant leur capacité de publication. Face à ces velléités de mettre à mal l’architecture décentralisée d’internet, et la liberté de communication et d’innovation qu’elle rend possible, il est indispensable que le législateur garantisse la neutralité du Net. Les opérateurs doivent être sanctionnés s’ils discriminent de manière illégitime les communications internet, que ce soit en fonction de la source, du destinataire ou de la nature même de l’information transmise. À défaut, seuls les utilisateurs d’internet en mesure de payer un accès privilégié pourront bénéficier des pleines capacités du réseau.

M. Bruno Studer, rapporteur. J’ai souvent souligné que les amendements relevaient du domaine réglementaire, mais, sur cette question de la neutralité d’internet, je vous invite à présenter cette disposition dans le cadre de la révision constitutionnelle. Le présent texte n’est pas le bon véhicule.

M. Michel Larive. Il s'agit pourtant de garantir la diffusion maximale de l’information.

La commission rejette cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement AC128 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Par cet amendement, nous proposons l’accès libre au public des rapports publics élaborés ou commandés par le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement, ainsi que ceux des corps d’inspection de l’État, avec biffage des mentions couvertes par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client – article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2 –, ainsi que la protection de la vie privée et familiale – article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les rapports publics, notamment ceux des corps d’inspection de l’État peuvent être de différentes natures : évaluation des politiques publiques, ressources humaines, thématique précise, pré-disciplinaire… Ils sont de manière évidente d’intérêt public en tant qu’ils éclairent la décision publique et aident à la prise de décision. Or, de nombreux rapports ont été tenus volontairement secrets par le pouvoir politique, par exemple sur les partenariats publics privés, les trente‑cinq heures, les compagnies low cost, le CHU de la Réunion… Ces rapports ont été produits par des fonds publics et pour éclairer la décision du décideur public, ils ne doivent pas être enterrés !

M. Bruno Studer, rapporteur. Avis défavorable. Ces rapports sont généralement publics et accessibles en ligne. Ils peuvent, autrement, être demandés aux administrations, même si la procédure peut être assez lourde. Vous oubliez par ailleurs le secret de l’instruction. En outre, il s’agit d’un cavalier.

M. Michel Larive. Vous avez dit « généralement » : ce n’est donc pas « complètement ». En revanche, nous avons en effet oublié le secret de l’instruction.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine l’amendement AC132 de M. Michel Larive.

M. Michel Larive. Ce sont des critiques qui nous animent aussi, dans l’observation attentive que nous faisons du traitement médiatique de sujets allant à l’encontre des intérêts de la classe dominante. Or, malgré cette méfiance du public, malgré les alertes formulées depuis quelques décennies par RSF, rien ne change. Nous pensons que le fait de donner des droits aux lectrices et lecteurs permettra aux comités de rédaction de connaître les défauts de leurs publications et d’affûter leurs analyses et méthodes de travail. Le droit à l’information est en effet particulier : par son utilité commune, il s’apparente à une mission de service rendu au public. Les modalités de contrôle par les citoyens nous semblent dès lors devoir ressembler aux modalités de contrôle existant dans la vie démocratique.

M. Bruno Studer, rapporteur. Je vois mal la valeur normative de cet amendement. Avis défavorable.

La commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement AC99 de M. François Ruffin.

M. Michel Larive. Par cette demande de rapport, afin de lutter efficacement contre les fausses informations, nous proposons que le Gouvernement réalise une étude permettant d’analyser l’impact du rabotage budgétaire sur la dégradation de la qualité de l’information et des services de l’Agence France Presse.

En effet, le travail de l’Agence France Presse est de plus en plus handicapé par une logique marchande qui pousse depuis plusieurs années à réduire les financements publics qu’elle perçoit au titre de ses missions de collecte, de vérification et de diffusion de l’information. Pour garantir son indépendance, la loi exige qu’elle équilibre son budget, après amortissement comptable des investissements, l’AFP ayant de plus accès aux marchés financiers pour emprunter. Or, nous considérons que ce mode de financement est au contraire plus enclin à détériorer les garanties d’indépendance que peut offrir un média.

En juin 2017, le SNJ-CGT a ainsi fait savoir que l’AFP aurait pu révéler « l’affaire Ferrand » – prise illégale d’intérêt – avant que Le Canard enchaîné le fasse, mais s’en est abstenue. Ce type de révélation, couplé à un mode de financement qui amène l’AFP à emprunter sur les marchés financiers, est de nature à éroder le lien de confiance que les lecteurs peuvent avoir avec l’Agence et, par voie de conséquence, avec les médias qui reprennent les informations qu’elle diffuse.

M. Bruno Studer, rapporteur. Nous aborderons le sujet en auditionnant le nouveau président de l’AFP. Avis défavorable.

M. Gabriel Attal. Je suis surpris par cet exposé des motifs qui jette des accusations contre un collègue, en l’occurrence le président du groupe En Marche. Je ne pense pas que l’on puisse parler d’« affaire » : il n’y a pas eu de condamnation. Je suis surpris par ces méthodes.

M. Michel Larive. Je n’accuse ni ne condamne personne, mais je lis les journaux.

La commission rejette cet amendement.

TITRE IV
dispositions relatives à l’outre-mer

Article 10
Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna

Cet article a été délégué à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis (voir l’avis n° 978 ([68])).

*

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC42 de la commission des lois.

Puis elle adopte l’article 10 modifié.

Titre

La commission est saisie de l’amendement AC43 du rapporteur.

M. Bruno Studer, rapporteur. La proposition de loi ne vise pas à lutter contre l’ensemble des fausses informations : celles qui sont diffusées à des fins humoristiques ou satiriques, ou par erreur, n’entrent pas dans le champ.

C’est la raison pour laquelle il est proposé d’en modifier le titre : la notion de « manipulation de l’information » correspond mieux aux dispositions comme aux enjeux du texte.

Mme Fabienne Colboc. À la suite des échanges que nous avons eus durant les auditions et pour l’examen des articles du texte, il semble important d’aller dans cette direction : nous voterons l'amendement.

M. Bruno Studer, rapporteur. J’en profite, puisque c’est le dernier amendement, pour vous remercier pour la qualité de nos échanges. La méthode n’a pas empêché le débat.

Je remercie également l’administratrice de la commission pour l’excellent travail qu’elle a accompli à mes côtés ces derniers mois. Nous parlons souvent des moyens qui doivent nous accompagner à l’Assemblée nationale pour remplir nos missions : nous avons besoin de ces moyens et même de moyens supplémentaires. Je salue la qualité et l’engagement des administrateurs et de tous les fonctionnaires à nos côtés.

La commission adopte l'amendement et le titre de la proposition de loi est ainsi modifié.

 

La commission adopte enfin l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

*

*  *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 


—  1  —

annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

            Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) – M. Patrick Eveno, président

            Google France (*)  M. Benoît Tabaka, directeur des relations institutionnelles, et M. Thibault Guiroy, responsable des relations institutionnelles

            Fédération française des Télécoms (FFT) – M. Anthony Colombani, directeur des affaires publiques Bouygues Télécom, Mme Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles chez Orange, M. Michel Combot, directeur général de la Fédération Française des Télécoms, M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques Fédération Française des Télécoms et M. Thomas Puijalon, responsable des affaires publiques SFR

            Facebook (*)  M. Anton Battesti, et Mme Ophélie Gerullis, responsables des affaires publiques

            Table ronde réunissant :

       France Télévisions (*) M. Pascal Doucet-Bon, directeur délégué à l’information, M. Francis Donnat, secrétaire général et Mme Juliette Rosset-Cailler, directrice des relations institutionnelles

       Arte(*) M. Bruno Patino, directeur éditorial

       Radio France (*)  Mme Maïa Wirgin, secrétaire générale, M. Vincent Giret, directeur de Franceinfo, M. Olivier Zegna Rata, directeur des relations institutionnelles et internationales, et M. François-Stéphane Hamon, responsable des relations parlementaires et européennes

            Twitter (*) – Mme Audrey Herblin-Stoop, directrice des affaires publiques France et Russie

            Snapchat – Mme Clyde Long de Lugo, gestionnaire des politiques publiques

            Conseil économique, social et environnemental (CESE) –  M. Gérard Aschieri (groupe des personnalités qualifiées), Mme Agnès Popelin (groupe environnement et nature)

            M. Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication, à l’Institut français de presse de l’Université Paris II Panthéon-Assas

            Table ronde réunissant :

       le Syndicat de la presse quotidienne (SPQN)  M. Denis Bouchez, directeur, et M. Samir Ouachtati, responsable des affaires juridiques et sociales

       le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) (*)  Mme Karen Autret, directrice, et M. Loïc Lebrun, membre du bureau du Spiil, en charge des sujets institutionnels, président d'APM International

       l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG)  M. Georges Sanerot, président

       le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR)  Mme Maud Grillard, directrice, et Mme Haude d’Harcourt, conseillère chargée des relations avec les pouvoirs publics

       le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM)(*) : Mme Pascale Marie, directrice générale

       la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) – M. Laurent Bérard-Quélin, président, et Mme Catherine Chagniot, directrice générale

       le Syndicat de la presse hebdomadaire et régionale (SPHR)  M. Bruno Hocquart de Turtot, directeur général

            M. Emmanuel Derieux, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas

            Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (GESTE)  M. Amélien Delahaie, juriste, M. Antoine Daccord, directeur de RTL Net, M. Scherer Eric, directeur de la prospective et du medialab à France Télévisions, et M. Parody Emmanuel, associé et directeur de rédaction chez Mind

            Konbini  M. Mathieu Marmouget, directeur général

            Reporter sans frontières (RSF)  M. Christophe Deloire, secrétaire général, et Mme Isabel Amosse

            Audition commune réunissant :

       Agence France Presse  M. Christophe Schmidt, adjoint de la directrice de l’information

       Fédération française des agences de presse  Mme Kathleen Grosset, présidente, M. Christian Gerin, président du SATEV et vice-président de la FFAP, et Mme Florence Braka, directrice générale

            Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – M. Nicolas Curien, président, M. Guillaume Blanchot, directeur général, et Mme Anissa Zeghlache, directrice de cabinet

            Table ronde réunissant :

       Fake off de 20 minutes  Mme Mathilde Cousin

       Les décodeurs du Monde  M. Samuel Laurent et M. Adrien Sénécat

       France 24  M. Marc Saikali, directeur de France 24, Mme Cécile Mégie, directrice de RFI, M. Derek Thomson, rédacteur en chef des Observateurs de France 24, et Mme Fanny Boyer, adjointe au directeur en charge des relations institutionnelles

            Audition commune réunissant Mme Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ) et M. Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT

            Association française de normalisation (AFNOR)(*)  M. Olivier Peyrat, directeur général du groupe, M. JeanFrançois Legendre, responsable développement Afnor Normalisation, et M. Christophe Rondel, conseil en communication

            Le Gorafi - M. Sébastien Liebus et M. Pablo Mira

            Table ronde réunissant :

       TF1 : M. Anthony Level, directeur des affaires réglementaires numériques, M. Thierry Thullier, directeur général adjoint information groupe, M. Fabien Namias, directeur général adjoint de LCI

       Groupe M6 – Mme Karine Blouët et M. Stéphane Gendarme

       Groupe Canal Plus(*) M. Gérald-Brice Viret, directeur général des antennes, Mme Amélie Meynard, responsable des affaires publiques, et M. Thomas Bauder, directeur de l’information déléguée de CNews

       Groupe Nextradio TV  Mme line Pigalle, directrice de la rédaction de BFMTV, et M. Aurélien Pozzana, membre du conseil de NextRadioTV

            CNIL  M. Thomas Dautieu, directeur adjoint à la direction de la conformité, et Mme Thiphaine Havel, conseillère pour les questions institutionnelles et parlementaires

            Audition commune réunissant M. Romain Badouard, sociologue et M. Pascal Froissart, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication

            Association « Journalisme et citoyenneté » – M. Jérôme Bouvier, directeur de la publication et de la rédaction

            Qwant (*) M. Eric Léandri, président, M. Léonard Cox, vice-président en charge des affaires publiques et de la RSE, et Mme Eleonore Lasou, consultante

            Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP)(*) – M. François d’Aubert, président, M. Stéphane Martin, directeur général, et Mme Magali Jalade, directrice des affaires publiques et réglementaires

            Médiapart – M. Edwy Plenel, président

            Déplacement du 23 mai à Radio France :

     M.Vincent Giret, directeur de Franceinfo

     Mme Estelle Cognacq, directrice de l’Agence

     M. Erik Kervellec, directeur de la rédaction de Franceinfo

     François-Stéphane Hamon, responsable des relations parlementaires et européennes

            Déplacement du 24 mai à Bruxelles :

       M. Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, chargé du marché unique numérique

       Mme Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen

       Mme Marjory Van Den Broeke, chef d’unité en charge du porteparolat

       M. Florent Le Montagner, conseiller auprès du directeur général à la communication

       M. Manuel Mateo Goyer, membre du cabinet de la Commissaire Mariya Gabriel, chargée de l’économie et de la société numériques

       Mme Julie Ruff, membre du cabinet du Commissaire Julian King, chargé de la sécurité

(*) Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


—  1  —

   Annexe 2 :
Contributions écrites adressées au rapporteur

 

            M. Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, LID2MS - Aix-Marseille Université

            Renaissance numérique

            Union des annonceurs

            Tech In France

            Vers le Haut

 

 

 

 


—  1  —

   Annexe 3 :
liste des textes susceptibles d’être abrogés
ou modifiés à l’occasion de l’examen
de la proposition de loi

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

1er

Code électoral

L97

1er

Code électoral

L112 [rétabli]

1er

Code électoral

L163-1 A, L1623-1 et L163-2 [nouveaux]

2

Code électoral

L306 [rétabli]

2

Code électoral

L327

3

Loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen

14-2 [nouveau]

3 bis

Code électoral

L558-46

4

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

33-1

5

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

33-1-1 [nouveau]

5 bis

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

42-1

6

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

42-6 [rétabli]

7

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

42-7

8

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

42-10

8

Code de la justice administrative

L553-1

9

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

17-2 [nouveau]

9 ter

Code de l'éducation

L312-15

9 quater

Code de l'éducation

L332-5

9 quinquies

Code de l'éducation

L721-2

9 sexies

Code du travail

L6231-1

9 septies

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

28

10

Code électoral

L388

10

Code électoral

L395

10

Code électoral

L439

10

Loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen

26

10

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

108

10

Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

57

 


—  1  —

   annexe 4 :
les résultats de la consultation publique

À l’initiative du rapporteur, une consultation publique a été organisée du 4 au 23 mai 2018 sur les principales mesures dont la Commission était saisie. Au total, environ 230 personnes y ont participé, principalement en raison d’un intérêt professionnel.

 Les internautes ont d’abord été invités à répondre, de façon libre, à la question suivante : « Quelles sont‚ pour vous‚ les fausses informations dont la diffusion doit être limitée par les différentes mesures figurant dans la proposition de loi ? À quels critères doivent-elles répondre ? ». 469 contributions ont été enregistrées.

Si quelques répondants ont tenté de circonscrire la notion, l’immense majorité d’entre eux n’a pas répondu à la question, estimant qu’il n’est pas possible de définir les fausses informations sans ouvrir la voie à la censure. Une large proportion des répondants privilégie l’éducation à la rigidité de la loi, parce qu’elle permet justement de ne pas définir de façon statique la fausse information mais d’en avoir une approche pratique et donc plus nuancée. Le rôle que pourraient jouer les professeurs documentalistes a d’ailleurs été très régulièrement évoqué dans les réponses.

Un certain nombre de contributions ont ainsi estimé que les seules fausses informations dont l’État pouvait entraver la diffusion étaient déjà encadrées par la loi. La lutte contre la diffamation a ainsi été jugée légitime, y compris lorsqu’en période électorale le juge peut être amené à se prononcer en 24 heures. Par ailleurs, la lutte contre les propos racistes, sexistes et homophobes a également été citée. Ces éléments ne nécessitaient pas, selon les répondants, d’aménagement législatif.

Des contributeurs ont estimé que les fausses informations politiques, trop complexes à caractériser, n’étaient pas la priorité. Ils s’inquiètent plutôt de la désinformation en matière de santé, autour des questions de vaccination et d’avortement, qui mettent directement en danger la santé et l’intégrité physique des individus. Certains sites, sous une apparence objective et bien intentionnée, ont en effet pour but de désinformer. Leur impact est donc plus direct, plus facilement démontrable, et plus concret que celui des fausses informations politiques.

Certains ont néanmoins souligné l’importance du processus de fabrication et de diffusion dans l’appréciation de ce qu’est une fausse information nuisible. Ils ont enfin parfois choisi de définir la fausse information non pas à partir de son contenu, mais plutôt à partir de son processus de fabrication et de diffusion. Ils ont plaidé pour un travail sur la traçabilité de l’information, et ont rappelé que les véritables tentatives de désinformation reposaient sur des techniques complexes à déceler mais connues, à savoir des attaques massives fondées sur un effort d’anonymisation ainsi que sur la multiplication des foyers de fausses informations. C’est donc une propagande caractérisée par ses méthodes de diffusion que la loi devrait, selon eux, viser. Quelques répondants ont également estimé, avec le Conseil d’État, que les diffuseurs de fausses informations devaient avoir l’intention de nuire pour être condamnés. À l’inverse, les « bonnes » informations ne devraient pas nécessairement être définies en fonction de la véracité des faits qu’elles relatent, mais plutôt à partir de la qualité du processus journalistique qui a permis de les produire.

 Les internautes étaient ensuite invités à indiquer quels pouvoirs ils souhaitaient voir confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel dans ce domaine, correspondants aux articles 4, 5 et 6 de la proposition de loi.

Sur 126 personnes ayant répondu à cette question, 58 % se sont déclarées favorables à ce que le CSA puisse refuser de signer une convention avec une chaîne sous la dépendance d’un État étranger si elle est susceptible de déstabiliser les institutions par la diffusion de fausses informations ; 65 % se sont déclarées favorables à la résiliation unilatérale de la convention d’une chaîne sous la dépendance d’un État étranger si elle participe à une entreprise de déstabilisation des institutions par la diffusion de fausses informations et 46 % à la suspension temporaire‚ en période électorale‚ sans en référer à un juge‚ d’une chaîne conventionnée‚ placée sous la dépendance d’un État étranger et qui participe à une entreprise de déstabilisation des institutions par la diffusion de fausses informations.

Les internautes ont également été interrogés sur la nécessité d’étendre les pouvoirs confiés par la proposition de loi au CSA à d’autres acteurs. Sur les 104 personnes ayant répondu à cette question, 72 % ont estimé souhaitable de les étendre à toute chaîne conventionnée participant à une entreprise de déstabilisation des institutions par la diffusion de fausses informations‚ y compris si elle n’est pas sous la dépendance d’un État étranger. Seuls 57 % des répondants ont jugé utile d’étendre la mesure prévue à l’article 5 à toutes les chaînes conventionnées ou non conventionnées diffusées par le câble‚ le satellite‚ les box ou internet.

 La question 5 visait à déterminer quelle pourrait être l’autorité en charge de la définition d’une fausse information.

Sur les 132 personnes ayant répondu à la question, la majorité (52 %) estime que les plateformes doivent être responsables des contenus postés par leurs utilisateurs et devraient être dans l’obligation de prendre des mesures pour limiter la diffusion de fausses informations et 26 % ont estimé qu’il appartenait plutôt à une autorité administrative indépendante de déterminer si un contenu véhicule une fausse information et s’il doit faire l’objet de mesures visant à en limiter la diffusion. Seuls 22 % des répondants ont estimé que seul un juge pouvait déterminer ce qui constitue une fausse information et prendre des mesures visant à en limiter la diffusion.

 Les internautes étaient ensuite interrogés sur l’éducation aux médias et à l’information.

Sur les 160 personnes ayant répondu à la question, 88 % ont estimé que cette tâche revenait à l’école, 55 % aux parents, 30 % aux médias et aux journalistes et seulement 10 % au CSA.

 Enfin, les internautes étaient invités à formuler des propositions de modifications à la proposition de loi. 395 contributions ont été enregistrées.

La majorité des contributeurs s’est prononcée en faveur de l’abandon pur et simple de la proposition de loi. Faire l’effort de mieux appliquer les lois existantes apparaît nécessaire et suffisant.

Plus nombreux encore sont ceux qui estiment que la seule solution viable réside dans l’éducation aux médias, qui fait l’objet du plus grand nombre de commentaires, et à laquelle il leur semble falloir allouer plus de moyens. Les répondants ont proposé de multiples pistes, dans lesquelles le recours aux professeurs documentalistes, qu’il apparaît nécessaire de continuer à former, est dominant. L’ouverture de postes supplémentaires, ainsi que la légitimation de leur travail apparaissent notamment essentielles. Le renforcement des modules d’éducation aux médias et à l’information, notamment au travers de l’intervention de journalistes professionnels, est également privilégié, et ce tout au long du cursus scolaire et dès la primaire. Certains évoquent enfin un renforcement du rôle du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI). Le lancement d’une grande campagne de publicité à la télévision, à la radio et dans les villes, a ainsi été préconisé afin de sensibiliser la population à ce sujet. Certains répondants ont suggéré d’imposer aux médias de créer des émissions ou d’écrire des articles dédiés au décryptage de l’information.

Les contributeurs ont également insisté sur le rôle de la presse traditionnelle et sur ses moyens d’action pour regagner la confiance des citoyens. De nombreux répondants ont ainsi plaidé pour la création d’un conseil de presse, ainsi que pour la rédaction d’un code de déontologie. Quelques-uns s’y sont néanmoins opposés en estimant que la Charte de Munich suffisait. La transparence en matière de financement des médias a également été soutenue : chaque lecteur, selon certains répondants, devrait pouvoir immédiatement identifier les actionnaires du journal qu’il lit. Les répondants expriment tous le désir d’une presse exemplaire, seule à même de lutter contre les fausses nouvelles et de regagner la confiance des citoyens. Il leur semble nécessaire de continuer à réfléchir à l’éthique journalistique.

Ces réserves mises à part, nombre de répondants ont suggéré de mettre en avant les publications de journaux reconnus pour faire face à la désinformation. L’un d’eux suggère par exemple d’obliger les GAFA à ne publier que des sites labellisés en période électorale. Certains souhaitent également que la loi exclue expressément les services de presse en ligne reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse du périmètre de la loi, pour protéger leur droit à l’erreur.

Une minorité des répondants a néanmoins estimé qu’une loi pouvait être bénéfique à condition d’être enrichie. L’un d’eux a suggéré de remplacer le terme de « fausses informations » dans le titre de la loi par celui de « désinformation ». Certains ont également défendu des ajustements destinés à renforcer l’effectivité du dispositif, en appelant à étendre les mesures proposées en dehors des périodes électorales.

D’autres ont enfin suggéré d’insérer de nouveaux dispositifs. Un répondant a ainsi proposé, en période électorale, d’imposer aux plateformes de détecter et de signaler aux autorités publiques et aux candidats les envois sponsorisés massifs de contenus susceptibles d’influer sur le cours de l’élection. D’autres ont proposé de faciliter la levée de l’anonymat des internautes qui diffusent des fausses informations, notamment afin de déceler plus facilement les robots et les envois provenant de l’étranger. Enfin, certains répondants ont rappelé l’intérêt des méthodes d’assèchement financier des sites qui vivent de la désinformation : à ce titre, ils ont souligné la responsabilité des annonceurs qui financent ces sites, parfois sans le savoir, et qui devraient donc travailler à un meilleur contrôle de leurs campagnes publicitaires sur internet.

 

 

 

 


([1]) F.-B. Huyghe, « Désinformation : armes du faux, lutte et chaos dans la société de l’information », Sécurité globale, 6, 2016, p. 64.

([2]) A. Lévrier, « Les fausses morts du Roi-Soleil, ou l’impossible contrôle de l’information », Le Temps des médias, 2018/1, n° 30.

([3]) R. Darnton, « On retrouve tout au long de l’histoire l’équivalent de l’épidémie actuelle de "fake news" », Le Monde, 20 février 2017.

([4]) J-N. Kapferer, Rumeurs : le plus vieux média du monde, Paris, Éditions du Seuil, 1987.

([5]) J. Harsin, « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie », Pouvoirs, 2018/1, n° 164, p. 105.

([6]) F.-B. Huyghe, id., p. 65.

([7]) R. Darnton, ibid.

([8]) C. Alloing, N. Vanderbiest, « La fabrique des rumeurs numériques. Comment la fausse information circule sur Twitter ? », Le Temps des médias, 2018/1, n° 30, p. 120.

([9]) F.-B. Huyghe, id., p. 66

([10]) Renaissance numérique, Fake News ? Faire face aux troubles informationnels à l’ère numérique, mars 2018, p. 48.

([11]) V. Igounet et R. Reichstadt, « Négationnisme et complotisme : des exemples typiques de désinformation », Le Temps des médias, 2018/1, n° 30, p. 139.

([12]) Sondage BVA pour La Villa Numeris, « Les Français et les fake news », avril 2018.

([13]) Gartner, « Gartner Reveals Top Predictions for IT Organizations and Users in 2018 and Beyond » communiqué de presse du 3 octobre 2017.

([14]) Marcel Gauchet, « La guerre des vérités », Le Débat, 2017/5, n° 197, p. 21.

([15]) Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 septembre 2005, Salov c./ Ukraine, n° 65518/01.

([16]) Rapport fait par M. Combarel de Leyval au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la presse, Moniteur Universel de 1849, p. 2407.

([17]) En ce qui concerne la dernière élection présidentielle américaine, voir H. Allcott et M. Gentzkow, « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Journal of Economic Perspectives, Volume 31, n° 2, 2017, pages 211–236.

([18]) Bakamo.social, Synthèse des rapports sur le paysage des médias sociaux lors de l’élection présidentielle française de 2017, p. 2.

([19]) La commission des Lois est par ailleurs saisie au fond, conformément au Règlement de l’Assemblée nationale, de la proposition de loi organique n° 772 des mêmes auteurs, qui tire les conséquences de la proposition de loi ordinaire pour l’élection présidentielle ; Mme Naïma Moutchou a été désignée rapporteure au fond sur cette proposition de loi organique.

([20]) D’autres infractions, plus générales, ayant trait à la diffamation ou à l’injure publiques, à la contestation des crimes contre l’humanité, à la provocation à la haine ou aux montages photographiques, peuvent également être mobilisées par les victimes de fausses informations.

([21]) Dont Le Monde, Les Échos, Libération, LCI, France 24, France Télévisions et Bloomberg.

([22]) N. Smyrnaios, S. Chauvet et E. Marty, L’impact de CrossCheck sur les journalistes & les publics. Rapport de recherche sur un projet de journalisme collaboratif lors de l’élection présidentielle française de 2017, novembre 2017, p. 4.

([23]) Id.

([24]) L. Bigot, « Rétablir la vérité via le fact-checking : l’ambivalence des médias face aux fausses informations », Le Temps des médias, 2018/1, n° 30, p. 70 à 72.

([25]) Renaissance numérique, Fake News ? Faire face aux troubles informationnels à l’ère numérique, mars 2018, p. 22-23.

([26]) Commission européenne, A multi-dimensional approach to disinformation. Report of the independent high level group on fake news and online disinformation, 2018, disponible ici : https://blog.wan-ifra.org/sites/default/files/field_blog_entry_file/HLEGReportonFakeNewsandOnlineDisinformation.pdf

([27]) Article L. 321-3 du code de l’éducation.

([28])  Article L. 721-2 du code de l’éducation.

([29]) J. Bouvier, Pour une agence nationale de l’éducation à l’information, 2018.

([30]) Les élèves du lycée Madeleine Vionnet de Bondy ont ainsi créé une vidéo conspirationniste sur la « véritable identité des chats », en partenariat avec la plateforme pédagogique du BAL, la Fabrique du regard, tandis que des élèves du collège Notre-Dame de Poligny ont, avec la complicité de France Bleu Besançon, fait naître diverses rumeurs à la suite à la dissémination, dans la ville, de guirlandes de sous‑vêtements.

([31]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0978.pdf

([32]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0978.pdf

([33]) Cette disposition n’est toutefois pas applicable aux services de radio et de télévision consistant en la reprise intégrale et simultanée d’une chaîne du service public, de La chaîne parlementaire, d’Arte ou d’une chaîne de radio ou de télévision ayant reçu l’autorisation, délivrée par le CSA, d’être diffusée par la voie hertzienne terrestre (TNT), sauf si cette reprise a pour effet de faire passer la population de la zone desservie par un service de télévision locale à plus de dix millions d’habitants.

([34]) 75 000 euros pour la radio et 150 000 euros pour la télévision.

([35]) Loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.

([36]) Cette dérogation a été introduite par la loi du n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers dans le but de faciliter la suspension des chaînes ne respectant pas les dispositions légales et règlementaires.  N’ayant pas à faire l’objet d’une procédure de conventionnement, leur suspension devait, dans l’esprit du législateur, intervenir plus rapidement.

([37]) C’est également le cas, en application de l’article 43-7 de la loi du 30 septembre 1986, des services de télévision relevant de la compétence d’un autre État membre de la Communauté européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen et les services de télévision relevant de la compétence d’un autre État partie à la Convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontière.

([38]) Décision du Conseil d’État du 11 février 2004, Société Medya TV, n° 249175.

([39]) Id.  

([40]) Décision du Conseil d’État du 25 novembre 1998, Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, n° 168125.

([41]) Décision du Conseil d’État du 11 février 2004, Société Medya TV, n° 249175.

([42]) Décision du Conseil d’État du 11 juillet 2012, Société Média Place Partners, n° 351253 : « Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le programme thématique "Deovino" est intégralement consacré au vin et à la viticulture et vise à en présenter les mérites et les attraits ; qu'eu égard à sa nature même, la diffusion de ce programme impliquerait une violation de l'interdiction, prévue par la loi, de toute propagande, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques sur les services de télévision ; que, dès lors, en dépit des conditions restrictives prévues par certaines clauses de la convention conclue le 6 juillet 2011, le CSA a, en acceptant de la conclure, méconnu les dispositions de l'article L. 3323-2 du code de la santé publique ».

([43]) La communication au public par voie électronique est définie par l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 comme « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, décrits, dimages, de sons ou de messages de toute nature qui nont pas le caractère dune correspondance privée ».

([44]) Contribution de P. Mouron aux travaux du rapporteur.

([45]) 1° de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986.

([46]) 4° de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986.

([47]) Conseil d’État, Ordonnance du Président de la Section du Contentieux du 16 mars 1988, n° 95256.

([48]) Conseil d’État, Juge des référés, 13 décembre 2004, CSA c/ Eutelsat, n° 274757.

([49]) En sont membres les États membres de l’Union européenne ainsi que l’Islande, le Lichtenstein et la Norvège.

([50]) Avis du Conseil d’État sur les propositions de lois relatives à la lutte contre les fausses informations, p. 9 : « 31. Le Conseil d’État appelle cependant l’attention des auteurs des propositions de loi sur les conséquences à tirer de cette qualification en tant que mesure de police : si elle rend inopérante l’invocation des principes constitutionnels régissant la matière répressive, une telle qualification implique que les décisions prises par le CSA sur ce fondement soient motivées et, sauf urgence exceptionnelle, soumise au respect d’une procédure contradictoire préalable. ».

([51]) Décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel n° 2004-526 du 17 décembre 2004 prononçant une sanction à l’encontre de la société Lebanese Communication Group SAL.

([52]) Décision du Conseil constitutionnel n° 99-411 DC du 16 juin 1999 : « 7. Considérant, en deuxième lieu, quen labsence dévénement de force majeure tel que le vol de véhicule, le refus du titulaire du certificat dimmatriculation dadmettre sa responsabilité personnelle dans la commission des faits, sil en est lauteur, ou, dans le cas contraire, son refus ou son incapacité dapporter tous éléments justificatifs utiles seraient constitutifs dune faute personnelle ; que celle-ci sanalyserait, en particulier, en un refus de contribuer à la manifestation de la vérité ou en un défaut de vigilance dans la garde du véhicule ; quest ainsi respecté le principe, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, selon lequel nul nest punissable que de son propre fait ».

([53]) Conseil d’État, Section, du 22 novembre 2000, n° 207697.

([54]) Avis du Conseil d’État sur les propositions de lois relatives à la lutte contre les fausses informations, 19 avril 2018, p. 9.

([55]) Id., p. 10.

([56]) Décision du Conseil constitutionnel n° 88-248 DC du 17 janvier 1989.

([57]) Décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.

([58]) Décision du Conseil constitutionnel n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, considérants 35 et suivants.

([59]) Article 48-9 de la loi du 30 septembre 1986.

([60]) III de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986.

([61]) III de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986.

([62]) Loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle.

([63]) Avis du Conseil d’État sur les propositions de lois relatives à la lutte contre les fausses informations, 19 avril 2018, p. 10.

([64]) Ibid.

([65]) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

([66]) 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

([67]) Avis du Conseil d’État sur les propositions de lois relatives à la lutte contre les fausses informations, 19 avril 2018, p. 11.

([68])  http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0978.pdf