N° 1370

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2018.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la Géorgie
relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels,

PAR M. Éric GIRARDIN

Député

——

 

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 

 Voir les numéros :

Sénat : 792 (2013-2014), 525, 526 et T.A. 118 (20142015).

Assemblée nationale : 1127 rect.


 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

 Pages

introduction

I. La Géorgie, un pays ami

A. Les choix politiques sans équivoque de la Géorgie

1. L’engagement européen et atlantique

2. Le choix de la démocratie

B. Les relations bilatérales

C. la présence géorgienne en France

1. Des flux de personnes limités

2. La suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours : un impact réel mais à ne pas exagérer

3. Un pays qui coopère pour l’exécution des mesures d’éloignement

II. Un Accord qui s’inscrit dans un cadre européen, le « Partenariat pour la mobilité »

A. Le cadre européen

B. Les déclinaisons nationales

1. Les accords sur la mobilité entre la Géorgie et d’autres États-membres

2. Les accords sur la mobilité entre la France et d’autres pays

III. Un accord qui ouvre des perspectives mesurées

A. Les dispositions de l’accord

B. Un accord dont la bonne application exigera une réelle mobilisation des autorités politiques et des administrations

1. Des clauses à la portée normative plus ou moins grande

2. L’expérience décevante d’accords précédents

3. L’importance de l’accompagnement administratif

4. Une occasion à saisir pour clarifier le statut des volontaires internationaux en entreprise ?

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : texte adopté par la commission


—  1  —

   introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

L’accord qui est l’objet du présent projet de loi a été conclu le 12 novembre 2013 à Paris entre le ministre français de l’intérieur d’alors, M. Manuel Valls, et son homologue géorgien, M. Irakli Garibashvili.

Relatif « au séjour et à la migration circulaire de professionnels », il constitue la déclinaison nationale, pour la France, d’une politique de l’Union européenne, celle des « partenariats pour la mobilité » proposés aux pays voisins. Un tel partenariat européen a été signé avec la Géorgie en 2009.

Cet accord s’inscrit aussi dans une série d’accords signés par la France avec des pays européens (non membres de l’Union) ou africains entre 2006 et 2014, soit pour décliner, comme c’est le cas en l’espèce, des accords-cadres européens, soit de manière autonome. Tous ces accords visent à faciliter la délivrance de titres de séjour autorisant à travailler, mais d’une durée limitée, à d’anciens étudiants, des « jeunes professionnels », des « talents » ou des professionnels de métiers connaissant en France des problèmes de recrutement (« métiers en tension »). Il s’agit de favoriser une migration économique légale, mais dans une optique de retour au pays ensuite (ou d’allers-retours), d’où le qualificatif de « circulaire ».

Votre rapporteur approuve le principe de cette démarche, car l’ouverture de voies légales effectives pour les migrations de travail permet seule d’éviter les contournements, qui passent notamment par le dépôt de demandes d’asile. S’agissant des Géorgiens, la dispense de visa de court séjour dont ils bénéficient depuis mars 2017 pour entrer dans l’espace Schengen a entraîné une forte croissance des demandes d’asile dans les pays de l’Union, en particulier en France. Dans notre pays, le nombre de ces demandes a doublé en 2017 par rapport à 2016 et est parti pour tripler encore en 2018 ; les Géorgiens sont devenus la 5ème nationalité pour le nombre de dossiers d’asile, alors même que leur probabilité d’obtenir le statut est faible.

La Géorgie étant par ailleurs un pays ami de la France et plus généralement de l’Union européenne, ainsi qu’un pays démocratique, votre rapporteur soutient la démarche de mobilité légale encadrée et « circulaire » qui est au cœur de l’accord.

Un élément d’actualité très significatif vient d’ailleurs illustrer l’intensité de l’amitié entre la France et la Géorgie, ainsi que l’importance de la mobilité des personnes : le prochain chef de l’État géorgien a de bonnes chances d’être une personnalité franco-géorgienne ([1]). Mme Salomé Zourabichvili est née en France dans une famille d’origine géorgienne et, après avoir servi la diplomatie française pendant trente ans – son dernier poste étant l’ambassade de France à Tbilissi –, est devenue en 2004-2005 ministre des affaires étrangères de la Géorgie, puis y a continué une carrière politique.

Votre rapporteur vous invite donc à adopter le présent projet de loi, afin que l’accord puisse enfin entrer en vigueur. Ce vote est d’autant plus justifié que l’accord a été signé en novembre 2013, ratifié dès le 27 janvier 2014 par la partie géorgienne et déjà approuvé par le Sénat en juin 2015 : il est temps de parachever la procédure.


—  1  —

I.   La Géorgie, un pays ami

A.   Les choix politiques sans équivoque de la Géorgie

Après son indépendance en 1991, l’histoire de la Géorgie a surtout été marquée par les affrontements avec les régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, soutenues par la Russie. Le paroxysme a été atteint en 2008, au cours de la brève guerre russo-géorgienne. Le relatif apaisement que l’on constate depuis (reprise des contacts politiques, levée de mesures russes d’embargo commercial et de restriction de la circulation des personnes) ne s’est accompagné d’aucun règlement de fond, d’autant que la Russie a reconnu l’indépendance des deux pseudo-États séparatistes, puis a signé en 2014-2015 avec eux des traités qui ressemblent à une annexion de facto (intégration militaire et douanière, subventions du budget fédéral…).

1.   L’engagement européen et atlantique

La Géorgie a fait en conséquence des choix résolument « européens » et « atlantistes » et s’y tient nonobstant les alternances politiques.

Elle a signé le 27 juin 2014 un accord d’association avec l’Union européenne, lequel comprend notamment un volet de libre-échange « complet et approfondi » correspondant à une intégration au marché unique (alignement sur les réglementations européennes). Une libéralisation du régime des visas de court séjour est intervenue en 2017 (voir infra).

Membre du « Partenariat pour la paix » depuis 1994, la Géorgie a été, parmi les pays non membres de l’OTAN, le plus important fournisseur de troupes en Afghanistan. Au sommet de Bucarest de 2008, les Alliés ont déclaré que la Géorgie avait « vocation » à rejoindre l’Alliance atlantique, puis lui ont octroyé en 2014 un « paquet substantiel » de mesures.

2.   Le choix de la démocratie

Comme celle des autres républiques ex-soviétiques, la vie politique de la Géorgie indépendante a souvent été agitée, avec même des périodes de guerre civile dans les années 1990. En 2003, le pays a connu la première des « révolutions de couleur », la « révolution des Roses », qui a conduit au pouvoir M. Mikhaïl Saakachvili, lequel a fait clairement le choix de la démocratie libérale. En 2012, la victoire électorale de la coalition d’opposition du « Rêve géorgien » (reconduite ensuite en 2016) a été un exemple assez rare, dans l’ex-Union soviétique, d’alternance politique opérée sans violences ni tentative de maintien au pouvoir des perdants.

La Géorgie a également conduit d’importantes réformes en matière de gouvernance, destinées à la doter de législations et d’institutions honnêtes, efficaces, favorables au développement socio-économique. Elle obtient en conséquence un remarquable 9ème rang (sur 190) au classement Doing Business 2018 de la Banque mondiale, qui prétend mesurer l’adaptation des environnements réglementaires nationaux au développement des entreprises. Elle atteint également un honorable 46ème rang (sur 180) dans le classement annuel 2017 de Transparency International sur la corruption, ce qui constitue le meilleur score des ex-républiques soviétiques hors pays Baltes.

Elle s’efforce de tirer avantage de sa situation de pays de transit, notamment pour les hydrocarbures du bassin caspien. La croissance s’est maintenue à près de 3 % en 2015 et 2016, puis a atteint 4,8 % en 2017 et devrait rester au-dessus de 4 % en 2018.

B.   Les relations bilatérales

Les relations bilatérales sont soutenues au niveau politique. Le président François Hollande s’était rendu en mai 2014 en visite officielle à Tbilissi et avait reçu son homologue géorgien en France en avril 2016.

La coopération culturelle donne la priorité à la formation des élites géorgiennes par un programme incitatif de bourses et le développement de filières universitaires. Créée en septembre 2006, l’École française du Caucase compte plus de 360 élèves à la rentrée 2017. Une université franco-géorgienne est mise en place sous forme de réseau pour accueillir des étudiants à partir de septembre 2018.

Les échanges économiques restent en revanche modestes, avec, en 2017, 180 millions d’euros d’exportations françaises vers la Géorgie et 36 millions d’euros d’importations depuis ce pays. Les exportations vers la Géorgie ne représentent que 0,04 % du total de nos exportations mondiales. Vue du point de vue géorgien, la pénétration économique française apparaît également faible, puisque la France n’a fourni en 2017 que 1,7 % des importations géorgiennes.

Le stock d’investissements directs (IDE) français en Géorgie était valorisé en 2015 à 95 millions d’euros par la Banque de France (0,01 % de tous les IDE français dans le monde). Des entreprises telles qu’Accor, Aéroports de Paris et Lactalis, qui a racheté la plus grosse laiterie du pays, sont implantées en Géorgie.

C.   la présence géorgienne en France

La présence humaine géorgienne en France est limitée. Elle s’est modérément accrue depuis un an dans le contexte de la suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours de ressortissants géorgiens dans l’espace Schengen.

1.   Des flux de personnes limités

La Géorgie se situait en 2013 au 54ème rang parmi les pays d’origine des migrants établis en France. La communauté géorgienne était alors d’environ 8 500 personnes.

En 2016, dernière année pleine avant la suppression de l’obligation de visa de court séjour, 8 852 visas français ont été demandés en Géorgie et 8 235 ont été délivrés. La grande majorité de ces visas étaient des visas de court séjour (tourisme, affaires, visites familiales…). 250 à 300 visas de long séjour sont attribués annuellement à des Géorgiens, principalement à des étudiants (150 à 200 par an). Le nombre d’étudiants géorgiens en France durant l’année scolaire 2016-2017 était de 495. La migration économique « officielle », via un visa de travail, est marginale : moins de 30 titres par an.

Les ressortissants étrangers peuvent aussi obtenir un titre de séjour une fois en France (après généralement une entrée avec un visa de tourisme) : cela a été le cas de 1 189 Géorgiens en 2016, principalement en raison de liens familiaux (462 en 2016), en tant que bénéficiaires de l’asile (237 la même année) ou pour raison de prise en charge dans le système de santé (235).

2.   La suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours : un impact réel mais à ne pas exagérer

La réglementation des visas de court séjour relève de l’Union européenne, ou plus précisément de l’espace Schengen (on parle de « visas Schengen »).

L’accord de voyage sans visa adopté entre l’Union européenne et la Géorgie, qui est entré en vigueur le 28 mars 2017, autorise désormais les ressortissants géorgiens détenteurs d’un passeport biométrique à entrer dans l’espace Schengen pour une durée maximale de 90 jours par période de 180 jours.

Ceci a eu pour conséquence une forte augmentation de la demande d’asile d’origine géorgienne dans plusieurs pays européens.

En 2017, le nombre de demandes d’asile de Géorgiens dans l’ensemble des pays de l’Union européenne a augmenté de 35 % par rapport à 2016. Ils ont déposé près de 10 000 demandes dans l’Union, dont 31 % en Allemagne et 19 % en France. Il convient toutefois de garder à l’esprit que ces 10 000 demandes ne représentent que 1,5 % des 650 000 demandes enregistrées toutes nationalités confondues, les Géorgiens n’étant qu’au 19ème rang des nationalités demandeuses.

En France, le nombre de demandes d’asile par des Géorgiens, qui était de l’ordre de mille par an de 2014 à 2016, a doublé en 2017, où il s’est élevé à 2 096. Cette évolution s’est accentuée durant les derniers mois : les Géorgiens ont déposé 4 807 demandes d'asile en France sur les neuf premiers mois de 2018, soit 4,8 % du total des dossiers. Ils se situent désormais au 5ème rang des nationalités demandeuses.

On constate donc, suite à la suppression de l’obligation de visa, une forte accélération des demandes d’asile, lesquelles constituent pour les personnes entrées dans l’Union le moyen pratique le plus accessible pour régulariser leur séjour (à court terme, pendant la procédure d’asile, et potentiellement à long terme si elle aboutit positivement). Pour autant, dans l’absolu, les effectifs concernés ne sont pas considérables.

Le taux d’attribution d’une protection internationale (asile ou « protection subsidiaire ») aux ressortissants géorgiens est faible : en première instance en France (OFPRA), il a oscillé entre 10 % et 20 % sur les dix dernières années.

3.   Un pays qui coopère pour l’exécution des mesures d’éloignement

Sur les années 2015-2017, environ 1 500 mesures d’éloignement ([2]) ont été prononcées par an à l’encontre de Géorgiens, avec un taux d’exécution (départs volontaires ou non) de l’ordre de 20 %. Les Géorgiens ont représenté pour ces exercices environ 1,5 % des décisions d’éloignement prononcées en France. L’année 2018 est marquée par une accélération du rythme de ces décisions, dans le contexte décrit supra, avec déjà près de 1 600 mesures d’éloignement prononcées sur neuf mois.

Les autorités géorgiennes se montrent coopératives pour faciliter la mise en œuvre des mesures. Sur les exercices 2015-2017, ce sont plus ou moins 150 laissez-passer consulaires (LPC) qui leur ont été demandés annuellement (soit environ 2,5 % de tous les LPC demandés par la France), afin de mettre en œuvre des retours forcés. En moyenne sur ces exercices, 85 % des demandes faites à la Géorgie ont été satisfaites en temps utile pour l’exécution de ces mesures, alors qu’au niveau mondial le taux n’est que de 51 % (2017). Le début de l’année en cours a vu là-aussi une accélération de rythme, couplée à une très bonne coopération bilatérale : sur les neuf premiers mois de 2018, on dénombre déjà 266 demandes de LPC, dont 260 ont été satisfaites (98 %).


—  1  —

II.   Un Accord qui s’inscrit dans un cadre européen, le « Partenariat pour la mobilité »

A.   Le cadre européen

Le présent accord s’inscrit dans le cadre général de l’« approche globale de la question des migrations et de la mobilité » (AGMM) : ce concept acté par les institutions européennes en 2005 vise à établir une politique migratoire équilibrée et globale en partenariat avec les pays tiers.

En 2007, dans une communication ([3]), la Commission européenne a proposé aux États-membres de décliner l’AGMM à travers des « partenariats pour la mobilité ». L’idée générale était d’établir avec les partenaires extérieurs des programmes de mobilité légale en contrepartie de leur coopération à la lutte contre l’immigration illégale. Mais la Commission reconnaissait elle-même que ces partenariats recouvriraient des clauses très diverses, adaptées aux spécificités des partenaires et aux engagements qu’ils seraient prêts à prendre, et que leur nature juridique serait complexe, du fait de la diversité de leurs composants, certains relevant de la compétence communautaire et les autres de celle des États-membres.

Huit accords européens de « partenariat pour la mobilité » ont été conclus entre 2008 et 2014 : avec le Cap-Vert et la Moldavie (2008), la Géorgie (2009), l’Arménie (2011), l’Azerbaïdjan et le Maroc (2013), la Jordanie et la Tunisie (2014). Ces accords s’inscrivent pour la plupart dans les deux grandes « politiques de voisinage » de l’Union – politique euro-méditerranéenne et « partenariat oriental » – et sont complétés par des accords de réadmission et des accords sur les visas.

Le partenariat pour la mobilité avec la Géorgie est financé sur fonds bilatéraux émanant des États membres, ainsi que par les instruments financiers géographiques (instrument européen de voisinage et de partenariat) ou thématiques (programme thématique pour les migrations et l'asile) de l’Union européenne. Il comprend une liste d’initiatives dans le domaine migratoire à mettre en œuvre par les seize États-membres qui s’y sont engagés. Sa conférence de lancement a eu lieu le 16 février 2010 à Tbilissi.

B.   Les déclinaisons nationales

1.   Les accords sur la mobilité entre la Géorgie et d’autres États-membres

Outre la France, quinze autres États-membres ont conclu avec la Géorgie des accords bilatéraux dans le cadre du dispositif de partenariat pour la mobilité : l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Suède et la République tchèque.

2.   Les accords sur la mobilité entre la France et d’autres pays

En Europe, la France a par ailleurs signé des accords comparables au présent accord (comprenant des clauses sur l’accueil d’étudiants, de stagiaires, de « jeunes professionnels », de « talents » et/ou de travailleurs dans les « métiers en tension ») avec la Macédoine, le Monténégro, la Russie, la Serbie (tous en 2009) et la Bosnie-Herzégovine (en 2014).

Des accords de même ordre existent avec Maurice (2008) et le Liban (2010). Il faut enfin mentionner les sept accords dits de « gestion concertée des flux migratoires » signés avec des pays africains : le Sénégal (2006), le Bénin, le Congo et le Gabon (2007), le Cap-Vert et la Tunisie (2008), enfin le Burkina-Faso (2009).


—  1  —

III.   Un accord qui ouvre des perspectives mesurées

A.   Les dispositions de l’accord

L’accord prévoit quatre types de facilitation de la mobilité professionnelle, dont trois sont unilatérales (engagements de la France) et une autre réciproque.

● L’article 1.1 de l’accord prévoit que la France délivrera un titre de séjour temporaire d’une durée de validité de douze mois, pour recherche d’emploi, aux étudiants géorgiens ayant obtenu un diplôme de niveau master ou licence professionnelle en France ou sous conditions en Géorgie (dans un établissement d’enseignement supérieur géorgien lié à un établissement d’enseignement supérieur français par une convention de délivrance de diplôme en partenariat international). Le droit au séjour sera prolongé si les intéressés trouvent effectivement un emploi durant ces douze mois.

● L’article 1.2.1 prévoit la délivrance d’un titre de séjour d’une durée d’un an renouvelable à des Géorgiens pour l’exercice de 50 métiers (listés en annexe I de l’accord) sans que leur soit opposée la situation de l’emploi, dans la limite annuelle de 500 personnes.

● Selon l’article 1.2.2, les deux pays conviennent de développer des échanges réciproques de « jeunes professionnels » (âgés de dix-huit à trente-cinq ans, déjà engagés ou entrant dans la vie active), en vue d’améliorer leurs perspectives de carrière grâce à cette expérience. La situation de l’emploi ne sera pas opposable pour la délivrance de titres de séjour. Pour les jeunes professionnels géorgiens, la durée initiale de travail autorisée variera de six à douze mois et pourra être prolongée, dans la limite de dix-huit mois. Pour les jeunes Français, le titre de séjour initial de six à douze mois pourra être renouvelé conformément à la législation en vigueur en Géorgie. Le contingent maximal prévu de part et d’autre est fixé à 150 par an. L’annexe II de l’accord précise les modalités de mise en œuvre de cette mobilité des jeunes professionnels : leurs demandes seront centralisées par une administration ou un organisme désigné par leur État ; ils devront bénéficier de documentations et d’informations.

● Enfin, l’article 1.2.6 prévoit que « la partie française s’engage à faciliter » la délivrance de la carte « compétence et talents » aux ressortissants géorgiens qui en remplissent les critères et sous réserve que cette expérience soit « profitable à leur retour, notamment dans la perspective de la création d’entreprises génératrices d’emplois nécessaires en Géorgie ».

L’article 2 précise les autorités gouvernementales compétentes pour la mise en œuvre de l’accord et l’article 3 institue un comité de suivi qui devra se réunir une fois par an. Les articles 4 et 5 comprennent des clauses habituelles en matière de champ d’application, d’entrée en vigueur, d’interprétation, d’éventuelles modifications ou dénonciation de l’accord.

B.   Un accord dont la bonne application exigera une réelle mobilisation des autorités politiques et des administrations

L’analyse des clauses de l’accord et l’expérience d’accords comparables antérieurs montrent qu’il ne pourra « vivre », conduire à l’ouverture de canaux innovants de mobilité, que s’il est réellement porté par les autorités politiques, lesquelles devront veiller à la mobilisation des administrations.

1.   Des clauses à la portée normative plus ou moins grande

Outre que les ouvertures prévues par l’accord sont pour la plupart contingentées, il n’est pas certains qu’elles offrent aux jeunes Géorgiens des droits allant beaucoup plus loin que ceux dont bénéficient de manière générale les étrangers en France.

Cela apparaît clairement pour l’engagement de facilitation de l’attribution de la carte « compétences et talents » (depuis lors remplacée par le « passeport talents »), qui est rédigé en termes génériques et dont la portée effective est incertaine. Que signifie s’engager à « faciliter » l’octroi d’un titre de séjour tout en restant dans le cadre de la réglementation nationale de droit commun ?

Mais c’est également le cas quant à la possibilité pour les jeunes Géorgiens fraîchement diplômés en France d’y bénéficier d’un droit au séjour de douze mois pour rechercher un emploi. En effet, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (article L. 313-8) prévoit de manière générale cette possibilité pour les jeunes étrangers. L’accord ne paraît aller au-delà du droit commun que sur un point de portée tout de même limitée : l’extension de cette ouverture aux jeunes diplômés en Géorgie dans un établissement partenaire d’un établissement français.

Quant à la non-opposabilité de la situation de l’emploi pour la délivrance de titres de séjour pour l’exercice d’un « métier en tension », on sait qu’elle est également prévue par la législation de droit commun. L’apport de l’accord porte donc seulement sur la liste de ces métiers, différente et plus large que la liste nationale (déclinée par régions) qui a été fixée en 2008 et jamais revue depuis lors.

2.   L’expérience décevante d’accords précédents

Comme rappelé supra, la France a signé entre 2006 et 2009 des accords dits en général « de gestion concertée des flux migratoires » et de « codéveloppement » ou « développement solidaire » avec plusieurs pays africains.

En contrepartie d’engagements des partenaires africains pour la réadmission des migrants en situation irrégulière, ces accords comprenaient des ouvertures en matière de migrations légales de même nature que celles du présent accord : droit pour les jeunes fraîchement diplômés de l’enseignement supérieur en France d’y rechercher un emploi ([4]) ; délivrance d’autorisations de travail, dans la limite de contingents annuels, à des « jeunes professionnels » ([5]) ; délivrance de cartes « compétences et talents » ; délivrance de cartes de séjour pour le travail dans une liste de métiers en tension annexée à l’accord (entre 9 et 77 métiers mentionnés selon les accords !) et dans la limite de contingents.

L’OCDE a publié une analyse ([6]) de cette politique qui montre des résultats décevants. Suite aux accords, les arrivées annuelles de personnes en emploi en provenance de l’ensemble des pays signataires africains n’auraient augmenté que d’environ 500, dont seulement une centaine dans des métiers en tension listés dans les accords, alors que la somme des contingents annuels figurant pour ces métiers dans les différents accords dépassait les 6 000. S’agissant des contingents de cartes « compétences et talents » figurant dans certains accords, ils sont loin d’avoir été remplis : en moyenne 52 cartes délivrées annuellement à des Tunisiens pour 1 500 prévues (soit 3,5 % de réalisation) et des résultats encore plus faibles pour plusieurs pays subsahariens.

L’OCDE confirme le constat que, « dans les faits, les [accords] n’ont en dernière analyse pas accru significativement les possibilités de migration légale : à bien des égards, beaucoup des dispositions énoncées dans les accords entrés en vigueur figuraient déjà dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dans le même ordre d’idée, pour certains pays, beaucoup des métiers listés dans l’accord étaient déjà ouverts grâce à la liste des 30 métiers en tension dont bénéficient tous les ressortissants des pays tiers ».

Il faut par ailleurs noter que, dans l’autre sens, les accords n’ont pas vraiment servi les objectifs de lutte contre les migrations illégales qui étaient prioritaires pour la France (pas d’amélioration de la délivrance des laissez-passer consulaires par les pays signataires).

3.   L’importance de l’accompagnement administratif

Selon le présent accord, la délivrance de titres de séjour aux « jeunes professionnels » géorgiens ou aux professionnels de métiers en tension est subordonnée à la production d’un contrat de travail. Alors même qu’ils ne sont, par construction, pas encore rentrés sur le territoire français, les intéressés doivent donc y avoir déjà trouvé un emploi. Un dispositif aussi exigeant ne peut fonctionner que si les demandeurs sont réellement aidés par les administrations dans leurs démarches.

C’est ce que prévoit l’annexe II de l’accord s’agissant d’une des ouvertures de l’accord, celle concernant les « jeunes professionnels » : elle mentionne dans chacun des deux pays un « organisme chargé (…) de centraliser et de présenter les demandes, [qui devra faire tout son] possible pour assurer l’instruction des demandes dans les meilleurs délais [et mettre] à la disposition des candidats la documentation nécessaire pour la recherche d’un employeur [et] des informations sur les conditions de vie et de travail dans l’État d’accueil (…) ».

La mise en œuvre effective de cet accompagnement administratif et son extension aux professionnels des métiers en tensions et aux « talents » susceptibles d’obtenir le « passeport talent » sont nécessaires pour que le présent accord atteigne ses objectifs : offrir des voies de migrations légales et circulaires (avec une perspective de retour au pays) afin de décourager les voies détournées telles que la demande d’asile déposée au cours d’un déplacement « touristique ».

Les autorités politiques devront veiller à ce que cet accompagnement administratif soit mis en place.

4.   Une occasion à saisir pour clarifier le statut des volontaires internationaux en entreprise ?

Le programme du volontariat international en entreprise (VIE) ou en administration (VIA) constitue une belle réussite, avec désormais en « stock » environ 10 000 jeunes concernés dans le monde. Il permet à des jeunes Français d’avoir une première expérience professionnelle à l’étranger tout en offrant aux entreprises françaises des opportunités de développer à faible coût leur présence à l’international. En effet, le programme est subventionné par les régions (qui prennent en général en charge la moitié des indemnités versées aux bénéficiaires).

Toutefois, le déploiement des VIE-VIA se heurte souvent à des difficultés administratives dans les pays d’accueil, car leur statut est sui generis et les autorités locales peuvent les assimiler à une sorte d’immigration de travail subventionnée.

Il y a actuellement en Géorgie 4 VIA et 2 VIE. Il semble que leur présence ne pose pas trop de difficultés, car les autorités géorgiennes sont compréhensives, mais ne rentre pas toujours « dans les clous » du droit. Le présent accord, qui met en valeur les échanges de « jeunes professionnels », pourrait être l’occasion d’obtenir une reconnaissance explicite du statut de VIE en Géorgie.

 


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 7 novembre 2018, la commission examine le présent projet de loi.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Alain David. Ce rapport concerne un nombre limité de personnes. En 2016, la communauté géorgienne en France était composée d’environ 8 500 personnes, tandis que la communauté française en Géorgie était d’environ 300 personnes. La Géorgie se situe au 54ème rang des pays comptant le plus d’immigrés en France, la principale cause de cette immigration étant humanitaire. Ceci étant dit, il importe de soutenir la Géorgie, ce petit pays du Caucase peuplé d’environ 4,5 millions d’habitants, en raison de ses relations avec l’Union européenne et bien entendu avec la France. Le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de ce projet de loi.

Mme Mireille Clapot. Je salue cet accord bilatéral qui vise à faciliter une migration professionnelle temporaire fondée sur la mobilité et l’incitation à un retour des compétences en Géorgie. Je voudrais faire remarquer que cet accord date de 2013 et qu’il comporte une annexe avec les 50 métiers ouverts aux ressortissants géorgiens, dans lesquels ne figurent pas des métiers qui sont aujourd’hui en tension, comme ceux des services à la personne ou de la santé. À nouveau, je suggère que cette liste soit régulièrement réactualisée, ce qui n’est pas le cas.

M. Éric Girardin, rapporteur. L’intérêt de cet accord est de souligner que, quand on est capable de mettre en place des systèmes de coopération qui favorisent la montée en compétence et le retour au pays des travailleurs, le tout au bénéfice de la stratégie nationale de développement, c’est bénéfique pour tous.

Mme Marielle de Sarnez, présidente. Je trouve absolument scandaleux que la liste des « métiers en tension » ne soit pas réactualisée. Elle date de 2008 ; cela fait dix années qu’elle est restée inchangée, ce qui n’a absolument aucun sens. Nous l’avions demandé dans le cadre du rapport pour avis sur l’immigration, et nous attendons toujours un signe du gouvernement vers cette actualisation, plus que jamais nécessaire me semble-t-il.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1127.


—  1  —

   annexe :
texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Géorgie relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels (ensemble deux annexes), signé à Paris le 12 novembre 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 1127)


([1]) Mme Zourabichvili, qui est soutenue par le parti au pouvoir du « Rêve géorgien », est arrivée en tête, avec près de 39 % des suffrages, au 1er tour de l’élection présidentielle, qui s’est tenu ce 28 octobre. Son principal adversaire, le leader de l’opposition Grigol Vachadze, a recueilli un peu moins de 38 % des voix. Le second tour est prévu le 28 novembre.

([2]) Obligations de quitter le territoire français (OQTF), expulsions, interdictions du territoire, etc.

 

([3]) 16.5.2007, COM(2007) 248 final, « Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative aux migrations circulaires et aux partenariats pour la mobilité entre l’Union européenne et les pays tiers ».

([4]) Prévu dans tous les accords sauf ceux avec le Sénégal et, hors Afrique, la Russie.

([5]) Prévue dans tous les accords sauf celui avec le Burkina-Faso.

([6]) OCDE, 2017, « Le recrutement des travailleurs immigrés : France 2017 ».