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N° 1612

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi pour des mesures durgence contre la désertification médicale,

 

VOLUME II

COMPTE RENDU DES TRAVAUX

 

 

Par MGuillaume GAROT,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1542.

 


 


  1  

SOMMAIRE

___

Pages

Compte rendu des débats

Article 1er Limitation de l’accès au conventionnement pour les médecins dans les zones suffisamment dotées

Article 2 Constitution de territoires « innovation santé »

Article 3 Réduction à un an de la période probatoire des médecins titulaires de diplômes étrangers lauréats des épreuves de vérification des connaissances

Article 4 Assouplissement des modalités d’assistance aux médecins exerçant en zones sous-denses

Après l’article 4

Article 5 Mise en place d’un cadre expérimental relatif à la dispensation de certains médicaments à prescription obligatoire dans le cadre de protocoles de coopération

Article 6 Gage


  1  

   Compte rendu des débats

La commission examine au cours de ses séances du mercredi 23 janvier 2019 la proposition de loi pour des mesures d’urgence contre la désertification médicale (n° 1612) (M. Guillaume Garot, rapporteur).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7167338_5c4823fecc033.commission-des-affaires-sociales--propositions-de-lois-diverses-23-janvier-2019

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7173935_5c4892d3e189e.commission-des-affaires-sociales--propositions-de-lois-diverses-23-janvier-2019

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen de la proposition de loi pour des mesures d’urgence contre la désertification médicale, dont M. Guillaume Garot est le rapporteur.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, la crise des gilets jaunes et les cahiers de doléances ont mis en lumière une réalité que beaucoup d’entre nous connaissent : je veux parler du quotidien des territoires qui perdent leurs bureaux de poste, leurs gares, leurs perceptions, mais aussi leurs cabinets médicaux, que ce soit dans la Creuse, en Seine-Saint-Denis, dans la Meuse ou dans le Lot.

Pour y remédier, la proposition de loi que nous vous soumettons ce matin s’attache à définir des mesures d’urgence contre la désertification médicale. Que recouvre cette expression en janvier 2019 ?

Paradoxalement, le nombre de médecins inscrits à l’ordre a augmenté au cours des dernières années, puisqu’on comptait 297 000 médecins en 2018 contre seulement 255 000 il y a dix ans. Mais il faut aller plus loin dans le constat, car tous ces médecins ne sont pas en activité médicale, tant s’en faut : le nombre de médecins en activité régulière recule, leur proportion étant passée de 78 % en 2008 à 66,7 % aujourd’hui.

Surtout, les inégalités territoriales sont criantes. En ce qui concerne les médecins généralistes libéraux, le rapport entre le département le moins bien doté et le département le mieux doté est de 2,2 : autrement dit, il y a deux fois plus de médecins généralistes libéraux par habitant dans les départements les mieux dotés. Cet écart est encore plus fort pour certaines spécialités : le rapport entre les départements les moins bien dotés et les mieux dotés est de 1 à 12 pour les ophtalmologistes, de 1 à 24 pour les pédiatres, et de 1 à 23 pour dermatologues – compte non tenu des deux départements qui en sont totalement dépourvus ! Le problème est d’autant plus grave que la situation ne va pas s’améliorer dans les cinq ni même les dix prochaines années, car toute une génération de médecins va prochainement partir en retraite, ce qui va provoquer un creux démographique en 2025.

Face à cette réalité que nul ne conteste, ni le Gouvernement, ni aucun des acteurs que nous avons auditionnés, la ministre de la santé a annoncé un plan d’action, « Ma santé 2022 », qui tente d’apporter certaines réponses, dont certaines me semblent aller dans le bon sens – ainsi la suppression du numerus clausus ou la création des assistants médicaux, visant à libérer du temps médical.

Le problème, c’est que ce plan ne s’attaque pas au cœur du sujet, c’est-à-dire à ces inégalités territoriales. Celles-ci n’ont fait que s’accentuer entre 2010 et 2017. La Nièvre a perdu 27 % de ses médecins généralistes et l’Indre en a perdu 24 % alors que, dans le même temps, d’autres départements ont vu le nombre de leurs médecins augmenter : la Savoie a connu une augmentation de 8 %, les Pyrénées-Atlantiques de 3 %, la Charente-Maritime de 4 % et le Var de 3 % – ce qui, dans ce département, représente 150 médecins supplémentaires rien qu’entre 2012 et 2017.

Le plan annoncé par le Gouvernement présente donc un angle mort, celui des inégalités territoriales, car il ne produira réellement ses effets qu’à moyen et long terme. Or, l’urgence se fait ressentir dès aujourd’hui. Cette urgence est médicale, mais aussi politique, car elle représente un enjeu de solidarité et de responsabilité pour nous tous – législateur, mais aussi élus locaux et professionnels de santé. Je suis convaincu qu’on ne peut faire face à l’urgence territoriale et sociale d’aujourd’hui avec les réponses d’hier : continuer dans cette logique reviendrait à dire aux Français qui se sentent abandonnés que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre de nouvelles solutions pour leur venir en aide, ce qui ne serait pas responsable. C’est pourquoi nous vous proposons ces mesures d’urgence, dans un souci d’efficacité et avec la conviction qu’il va falloir faire preuve d’audace, en mettant en œuvre des solutions inédites pour lutter contre la désertification médicale.

Partant du constat que toutes les mesures prises jusqu’à présent, quels qu’aient été les gouvernements, n’ont pas produit les effets qu’on en attendait, l’article 1er pose le principe d’une régulation appliquée au moyen d’un conventionnement territorial. Il étend ainsi aux médecins des mesures de régulation par voie conventionnelle – j’insiste sur ce point –, à l’instar de ce qui existe déjà pour d’autres professions de santé. L’objectif de cet article est de contenir la densification des médecins généralistes et spécialistes dans les zones suffisamment dotées, où les besoins de santé sont correctement pourvus.

Nous savons qu’il faut agir sans tarder. C’est pourquoi l’article 1er prévoit dans son troisième alinéa que, si la négociation conventionnelle n’aboutit pas dans les douze mois, c’est la puissance publique qui prendra le relais pour poser le cadre de la régulation. Par ailleurs, lorsqu’on parle d’accès aux soins, l’un des principaux enjeux est celui de l’accessibilité géographique, mais aussi sociale : en certains points du territoire, on trouve beaucoup plus de médecins en secteur 2 que de médecins en secteur 1. Par exception, le conventionnement territorial que nous proposons ne concernerait donc pas les médecins qui s’installeraient en secteur 1 dans les zones où les besoins sont bien pourvus.

Le principe de cette régulation est extrêmement simple : cela consiste à dire aux médecins qu’ils ne doivent pas aller s’installer là où les besoins de santé sont déjà pourvus, et à les encourager à le faire partout ailleurs, là où de nombreux patients les attendent – en d’autres termes, là où on a besoin d’eux.

J’entends des voix s’élever pour dénoncer une atteinte insupportable à la liberté d’installation. Ce à quoi je réponds d’abord qu’il faut se garder d’agiter un chiffon rouge pour éviter d’avoir à traiter le vrai problème… Ensuite, je maintiens qu’encadrer la liberté d’installation relève de l’intérêt général, et qu’il est parfaitement légitime que la Nation, qui forme les médecins et garantit leurs revenus grâce à l’assurance maladie, exprime ses préoccupations et demande qu’il soit apporté une réponse aux carences dans l’offre de soins. Dès lors, il revient au législateur de mettre au point des solutions efficaces, auxquelles seront associés les médecins.

On me dit parfois aussi que la régulation, cela ne fonctionne pas. À cela, j’ai envie de répondre que la régulation n’est qu’une solution parmi d’autres, et qu’elle doit systématiquement être associée à l’incitation : c’est en se combinant que les deux mécanismes atteignent une pleine efficacité.

Au demeurant, si la régulation est aussi inefficace que le prétendent certains, pourquoi en a-t-on retenu le principe pour d’autres professions de santé, notamment les pharmaciens, les infirmiers et infirmières, les kinésithérapeutes et les sages-femmes ? Pourquoi ce qui fonctionne très bien pour toutes ces professions ne fonctionnerait-il pas pour les médecins ?

Voilà pour l’article 1er, qui pose le principe de la régulation à travers le conventionnement territorial.

Les articles 2, 3, 4 et 5 actionnent d’autres leviers afin de parvenir à la plus grande efficacité possible, et c’est bien dans leur globalité qu’il faut considérer toutes ces solutions, qui doivent être mises en œuvre sans jamais perdre de vue l’équilibre que nous devons maintenir.

L’article 2 vise à concentrer les moyens publics sur les projets de santé qui améliorent l’attractivité des territoires, en d’autres termes à flécher des crédits publics vers les projets de territoire les plus innovants, en ce qu’ils répondent aux attentes en termes de pratique médicale, en particulier chez les jeunes générations de médecins. Bon nombre d’entre eux disent préférer exercer en groupe plutôt que de manière isolée : des projets en ce sens peuvent leur être proposés. Ils disent avoir besoin de maintenir un lien avec l’hôpital : il faut privilégier ce lien entre la ville et l’hôpital, et notamment permettre aux médecins libéraux, généralistes et aux spécialistes, d’accéder au plateau technique de l’hôpital. Ils souhaitent pouvoir travailler en télé-expertise et en télémédecine : on peut promouvoir des projets de ce type.

Si, par ailleurs, certains projets de territoire sont de nature à organiser harmonieusement la permanence des soins – ce qu’on appelle les gardes –, ce sera une raison supplémentaire de favoriser leur mise en œuvre. Il s’agit en fait de concentrer des moyens afin de « booster » l’attractivité de territoires qui, s’ils sont peut-être les plus en souffrance en termes de présence médicale, sont souvent aussi les plus audacieux, les plus agiles, les plus innovants en termes de réponses apportées aux demandes des médecins. C’est pourquoi nous proposons une labellisation « territoire innovation santé » destinée à mettre en valeur l’ambition des territoires concernés et surtout à marquer le soutien de la puissance publique à des projets très innovants,

L’article 3 tend à adopter une proposition, adoptée à une large majorité par la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale, dont Philippe Vigier était le rapporteur. Il s’agit de réduire la période probatoire pour les médecins diplômés à l’étranger, hors Union européenne, qui, après avoir réussi le concours, exerceraient en zone sous-dense. Plusieurs points méritent d’être précisés : premièrement, ni le concours ni les épreuves de maîtrise de la langue française ne sont supprimés. Deuxièmement, la période probatoire n’est pas non plus supprimée, ce que proposait du reste la commission d’enquête : il est simplement proposé de la ramener de trois ans à un an – comme cela se fait déjà pour les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes.

L’article 4 reprend deux propositions contenues dans le rapport d’enquête que je viens d’évoquer. D’une part, il introduit le médecin de renfort dans les zones sous-dotées, d’autre part, il étend le recours au médecin adjoint, afin de prévoir la possibilité d’une assistance temporaire en cas de carence de l’offre de soins.

Le dernier article de la proposition de loi, l’article 5, qui s’inscrit également dans le prolongement d’une proposition de la commission d’enquête rapportée par Philippe Vigier, vise à instituer un cadre expérimental de coopération entre les pharmaciens et les médecins, en particulier dans les zones où les besoins de santé sont difficilement pourvus. Pour ce faire, nous avons repris le dispositif proposé à l’occasion du dernier PLFSS par un amendement de notre collègue Delphine Bagarry ; il s’inscrit dans le cadre des projets de santé, en particulier celui des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui constituent l’un des objectifs du plan « Ma santé 2022 ». Et surtout, il est « protocolisé », soumis à une démarche très encadrée, rigoureuse et destinée à rassurer. Le but est de permettre aux pharmaciens de prescrire des médicaments pour des pathologies bénignes – par exemple des conjonctivites, des cystites ou des rhinites – selon un protocole extrêmement normé, ce qui suppose un accord d’ordre technique entre médecins et pharmaciens. Cet article, qui viendrait compléter ce qui est prévu pour les infirmiers en pratique avancée (IPA), vise en fait à élargir l’éventail des solutions destinées à faciliter l’accès aux soins et surtout à faire baisser la pression qui pèse aujourd’hui sur les salles d’attente des généralistes.

Cette proposition de loi ne prétend évidemment pas être l’unique solution à tous les problèmes de désertification. Mais elle est constituée d’un ensemble de leviers qui, actionnés tous ensemble – j’insiste sur ce point – donneront leur pleine efficacité à tous les dispositifs mis en œuvre séparément et sans résultat au cours des dix dernières années.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que, si les médecins sont et doivent rester au centre de notre système de soins, nous avons avec eux la coresponsabilité d’apporter des réponses à l’attente tellement légitime exprimée par nos concitoyens en termes d’accès aux soins – à cette question tout à la fois simple et forte : « Comment vais-je faire demain pour être soigné près de chez moi, quand il n’y aura plus de médecins sur le territoire où je vis ? ». Pour répondre à cette question, mes chers collègues, nous avons le devoir de faire preuve d’audace. On ne peut pas continuer comme si de rien n’était ; on ne peut pas légiférer en vase clos, sans entendre ce que nous disent les territoires, ce que nous disent des patients qui perdent peu à peu leurs médecins et qui, demain, risquent fort d’être confrontés à des difficultés encore plus redoutables.

L’accès à la médecine et aux soins n’est ni plus ni moins qu’un des fondements du pacte républicain : tous les Français doivent avoir un égal accès à la santé. C’est un principe qui nous vient de la Résistance. Pour que ce droit continue d’être garanti, nous devons aujourd’hui refonder le pacte républicain, sous la forme d’un nouveau contrat conclu entre la Nation avec nos médecins : tel est le sens de cette proposition de loi.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Avant de passer la parole aux orateurs des groupes, je vous informe que le projet de loi Santé sera déposé sur le bureau de l’Assemblée le 13 février prochain ; l’examen en commission aura lieu durant la semaine du 11 mars, et l’examen en séance publique au cours de la semaine du 18 mars : autrement dit, c’est imminent.

Je donne maintenant la parole aux orateurs des groupes, en commençant par le groupe La République en Marche.

Mme Audrey Dufeu Schubert. Vous avez raison, cher collègue Garot. L’enjeu est partagé, dans quelque groupe que nous siégions : nous devons apporter une réponse à nos concitoyens en matière d’offre de soins. La question trouve un écho particulier dans l’actualité, les doléances citoyennes en témoignent : nous avons la responsabilité de garantir l’accès aux soins.

Notre majorité en a pris conscience il y a plusieurs mois, avant même l’élection du Président de la République : d’abord dans le cadre du programme proposé lors de la campagne présidentielle, évidemment élaboré en concertation, puis à l’occasion du rapport de notre collègue Thomas Mesnier sur l’accès aux soins ou encore de la mission sur la formation des professionnels de santé confiée à Stéphanie Rist au premier semestre de l’année 2018. Ce à quoi viendra s’ajouter, au cours des prochaines semaines, le projet de loi relatif à la santé que présentera Agnès Buzyn dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 ».

Il est donc intéressant d’étudier, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi relative à la désertification médicale, question à laquelle il est urgent de répondre. Une étude transpartisane doit nous permettre une réponse collective.

Cependant, nous nous interrogerons également sur la notion de conventionnement sélectif. Cette proposition de loi a déjà été déposée par le groupe auquel vous appartenez, monsieur le rapporteur, elle a même été déposée sous la présidence de François Hollande. Pourquoi donc des mesures qui avaient alors été rejetées ne le seraient-elles pas aujourd’hui ?

Toujours soucieuse de voir adopter des mesures législatives pertinentes, notre majorité est ravie de pouvoir examiner ce matin cette proposition de loi et peut-être d’offrir à nos territoires ruraux, mais aussi urbains, une réponse de nature à résoudre certains paradoxes, à remédier à de profondes disparités en matière d’accès aux soins. Quand on parle de désertification, on parle de phénomènes en réaction à des changements…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je suis obligée de vous prier de conclure, chère collègue. Chaque porte-parole de groupe n’a que deux minutes.

Mme Audrey Dufeu Schubert. … Il sera de notre responsabilité de les observer.

M. Jean-Carles Grelier. Monsieur le rapporteur, merci d’ouvrir devant notre commission ce débat d’une actualité particulière sur la démographie médicale et la présence des médecins sur notre territoire ; la question est d’actualité, mais depuis déjà des mois. Nombreux sont les groupes d’opposition de l’Assemblée nationale qui, par leurs propositions de loi, ont appelé l’attention sur ce problème, sans avoir jusqu’à présent retenu celle de la majorité.

Avec le groupe Les Républicains, je me réjouis que les débats sur « Ma santé 2022 » s’ouvrent dans quelques semaines, mais je déplore qu’il soit prévu de traiter les questions des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et de l’implantation des médecins par voie d’ordonnances. Cela privera la représentation nationale d’un débat important.

À mon avis, monsieur le rapporteur, il est une dimension que vous n’avez pas suffisamment prise en compte, notamment à l’article 1er : l’hôpital est devenu le premier concurrent de la médecine de ville. Pour un étudiant en médecine, il est beaucoup plus attractif que l’exercice libéral, ce que la suppression, envisagée dans le cadre de « Ma santé 2022 », du concours de praticien hospitalier ne fera qu’accentuer. Là réside la vraie difficulté. Tant que nous n’aurons pas corrigé ce problème, nous ne ramènerons pas les médecins vers la médecine de ville. Le message qu’adresse votre article 1er, avec cette coercition qui ne dit pas son nom, induira immanquablement un report des médecins vers l’hôpital et non vers la médecine de ville. Tous les syndicats de jeunes médecins, tous les syndicats d’étudiants en médecine sont opposés à tout ce qui pourrait restreindre leur liberté d’installation.

Réfléchissons plutôt aux raisons pour lesquelles celui qui entame aujourd’hui un cursus médical ne se destine pas à la médecine générale : il n’y est pas incité, il n’en a pas le goût et, lors des examens classants nationaux, elle n’est pas la filière d’excellence. Ce sont là les véritables questions, sur lesquelles votre proposition de loi, à mon grand regret, n’ouvre pas le débat.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Cette proposition de loi de notre collègue Guillaume Garot fait écho à celle que nous avions examinée l’an dernier. Elle est étoffée de plusieurs dispositions intéressantes, notamment aux articles 4 et 5 qui prévoient respectivement des mécanismes d’assistance aux médecins en zone sous-dotée et une expérimentation qui concerne les pharmaciens.

Toute la question réside dans le conventionnement territorial : est-ce efficace ? Notre conviction est que non ; c’est même contre-productif. Vous donnez une mauvaise réponse à la question, prioritaire, de la désertification médicale, à l’heure où seuls 15 % des jeunes médecins s’installent en libéral. Avec ce dispositif, leur appétence pour la médecine libérale sera encore moindre, et ils continueront de s’orienter vers l’hôpital. Nous proposons un amendement de suppression de l’article 1er.

Toutefois, parce qu’il est favorable à une vision holistique, et non symptomatique, de notre système de santé, le groupe MODEM examinera et bienveillance les articles 4 et 5 qui prévoient des mesures concrètes de soutien, et non des contraintes, et une extension à titre expérimental des compétences des pharmaciens d’officine.

M. Boris Vallaud. Je remercie Guillaume Garot pour sa constance et sa persévérance.

La majorité annonce une loi prochaine, mais un certain nombre des propositions formulées aujourd’hui l’avaient déjà été il y a un an. Vous y aviez répondu de façon dilatoire en assurant que le meilleur viendrait certainement des propositions que la majorité formulerait. On entend s’exprimer une demande de justice, d’égalité dans l’accès aux services publics, en particulier le service public de la santé. Force est de constater que cette égalité n’est pas assurée dans nos territoires, ce n’est pas normal et cela suscite un considérable sentiment d’abandon. On reproche donc à la puissance publique de ne pas se donner les moyens de ses ambitions et de sa politique.

Pourquoi n’avons-nous pas pris les mesures proposées par M. Garot plus tôt, en particulier dans le précédent quinquennat ? Oui, nous aurions dû le faire. Ne pas répondre à une demande sociale forte fait des dégâts, non seulement sanitaires mais aussi politiques ; nous le voyons lucidement.

La proposition du groupe Socialistes et apparentés est équilibrée : c’est une mesure de régulation, qui prend en compte l’évolution des pratiques professionnelles des médecins et répond à une demande d’innovation qui émane non pas seulement de nos concitoyens mais aussi des praticiens. Je connais bien les médecins installés dans les territoires ruraux ; s’ils n’avaient pas le sens de leur mission, certains auraient pris leur retraite il y a longtemps.

Nous appelons la représentation nationale à faire preuve d’audace en adoptant cette proposition de loi qui répond à une demande sociale.

M. Paul Christophe. Merci, monsieur le rapporteur, d’inscrire une nouvelle fois à l’ordre du jour de notre commission le sujet de la désertification médicale. Même s’il ne figure pas explicitement parmi les quatre thèmes retenus pour le grand débat national, nous savons tous à quel point ces difficultés d’accès à un médecin préoccupent quotidiennement nos concitoyens. La question de la désertification médicale se pose de manière trop récurrente, puisque nous n’avons pas encore trouvé la bonne solution, l’équilibre qui respecterait tout à la fois la liberté d’installation des médecins et la nécessité d’une bonne répartition dans les territoires.

Vous proposez, monsieur le rapporteur, de faire du conventionnement des médecins un outil de régulation pour ainsi rééquilibrer l’offre de soins au profit des zones insuffisamment dotées. Sans remettre en cause la liberté d’installation des médecins, vous conditionnez leur conventionnement à la densité de l’offre de soins sur le territoire ; malheureusement, cette mesure ne garantirait pas la présence de médecins dans certaines zones rurales. Vous proposez d’empêcher l’installation dans des zones surdotées mais en oubliant d’agir sur l’attractivité des zones sous-dotées. Les bénéfices de cette mesure demeureront par ailleurs limités quand on sait que neuf médecins diplômés sur dix choisissent d’exercer à l’hôpital. Il ne faut donc pas seulement rendre plus attractive l’installation dans certains territoires : il faut également rendre plus attractive la médecine de ville.

Vous proposez également, dans le cadre d’une expérimentation, de s’appuyer sur les pharmaciens d’officine. Ils pourront dispenser certains médicaments à prescription médicale obligatoire. Les pharmaciens ne sont pas prescripteurs. Cependant, ils sont présents sur tout le territoire, en raison de règles d’installation bien plus contraignantes. La pharmacie constitue aujourd’hui un lieu de santé de proximité dans les territoires que les médecins ont préféré déserter. Dans le cadre de la campagne de vaccination antigrippale, les pharmaciens ont déjà démontré qu’ils pouvaient aider ; pourquoi donc ne pas aller plus loin, notamment dans le cas de pathologies mineures, et nous appuyer sur notre formidable maillage pharmaceutique ? Choisir de mener une expérimentation me semble cohérent.

Cette proposition de loi, qui ne compte que peu d’articles, ne prétend pas à elle seule, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, résoudre toutes les inégalités territoriales d’accès aux soins. Cependant les mesures proposées ont le mérite de faire bouger les choses.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants les examinera avec bienveillance, même si certaines dispositions pourraient trouver à s’intégrer dans le projet de loi qui nous sera très prochainement soumis dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

M. Jean-Hugues Ratenon. Les inégalités d’accès à la santé sont criantes et s’aggraveront encore au cours des prochaines années, si nous ne faisons rien. La population médicale continuera de diminuer jusqu’en 2025, compte tenu du nombre de médecins sur le point de partir à la retraite. : les médecins âgés de soixante ans ou plus représentent 47 % de l’ensemble des médecins inscrits au tableau de l’ordre – ils n’étaient que 25 % en 2007.

Comme l’année dernière, le groupe socialiste et apparentés présente une proposition de loi visant à lutter contre la désertification médicale. Cette nouvelle version reprend une des propositions phares de la précédente : le conventionnement sélectif de des médecins. Concrètement, il s’agit d’empêcher qu’un médecin s’installe, comme il peut actuellement le faire, dans une zone déjà dense. À l’époque, nous avons ardemment défendu cette proposition, même si elle est moins ambitieuse que nos solutions, même si le groupe LR et d’autres l’ont jugée « soviétique ». La situation va empirer, chers collègues. Il y a urgence à agir. Nous sommes donc favorables aux mesures relatives au conventionnement des médecins.

En revanche, deux autres points nous inspirent de vives inquiétudes. Premièrement, nous nous interrogeons sur le plus large recours aux praticiens diplômés hors de l’Union européenne, sans réflexion sur leur statut et leurs conditions de travail. Deuxièmement, la proposition de permettre aux pharmaciens de délivrer des médicaments sans prescription obligatoire nous inquiète vivement. Paradoxalement, cette mesure entérine une désertification à laquelle elle offre un bien étrange palliatif, comme si le problème de l’accès aux soins était un problème d’accès aux médicaments, alors qu’il s’agit surtout d’un problème d’accès à l’examen médical en lui-même. Déplacer la responsabilité de la prescription vers les pharmaciens nous semble, dans le contexte actuel, très dangereux.

Le groupe La France insoumise attend donc des précisions sur ces deux points.

M. Pierre Dharréville. Les déserts médicaux et l’accès à la médecine sont un sujet majeur dont nous avons déjà eu à traiter à plusieurs reprises dans le cadre de cette commission, notamment l’an dernier, déjà à l’initiative de Guillaume Garot et de son groupe. Il est urgent d’agir.

Nous avons accueilli favorablement la remise en cause du numerus clausus que nous demandions depuis très longtemps mais, pour être réellement efficace, cette mesure doit s’accompagner d’une volonté de former des médecins en plus grand nombre. Or, pour l’instant, nous considérons que ce n’est pas le cas.

Ensuite, même si ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, j’appelle l’attention de notre commission sur l’opportunité d’un fort développement des centres de santé. Cela ne s’oppose pas à ce qui est proposé par notre collègue, mais c’est une des réponses que nous devons donner aux aspirations nouvelles des jeunes médecins qui cherchent à s’installer.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, votre article 5 et le rôle que vous souhaitez pouvoir faire jouer au pharmacien nous inspirent quelque doute. Un certain nombre de pharmaciens de ma circonscription étaient déjà dubitatifs sur le rôle qui leur était donné en matière de vaccination, en vertu d’une disposition précédemment adoptée. Nous ne sommes pas certains que cette solution soit bonne.

Le groupe GDR n’en soutient pas moins l’esprit de cette proposition de loi et estime que le conventionnement sélectif pourrait être un outil de régulation. Il est absolument nécessaire de donner à la puissance publique un outil d’intervention qui lui permette de mieux répartir l’offre médicale sur le territoire.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le rapporteur, l’examen de votre proposition de loi nous permet d’évoquer ce matin, une fois encore, le sujet de l’accès aux soins, prégnant pour beaucoup de citoyens, et qui participe largement au malaise de notre société. Et, vous avez raison, il y a urgence. J’ai ainsi constaté l’échec des dispositifs mis en œuvre jusqu’à présent pour lutter contre ces inégalités, en particulier tous les dispositifs incitatifs. Or le groupe Libertés et territoires ne peut accepter que des Français soient plus ou moins bien soignés selon le territoire où ils vivent.

Il nous faut parvenir à un équilibre entre la liberté d’installation des médecins, à laquelle nous sommes attachés, et un accès à la santé garanti à chaque Français. Eu égard à l’urgence de la situation, nous considérons que toutes les solutions peuvent et doivent être débattues, d’autant plus que la solution régulatrice proposée par M. Garot et ses collègues du groupe socialiste, si elle est appliquée à d’autres professionnels de santé, n’a jamais été mise en œuvre ni même expérimentée pour les médecins.

Cependant, les dispositions proposées par ce texte dont nous reconnaissons tout l’intérêt ne restent malheureusement que des mesures d’urgence. Faute d’une politique forte et globale en faveur de l’attractivité des territoires – au-delà de la question de la santé –, l’efficacité de ces dispositifs de coercition risque d’être limitée, s’ils ne se révèlent pas contre-productifs.

Afin d’apporter une réponse équilibrée à une dramatique désertification médicale, la récente commission d’enquête sur l’égal accès aux soins, dont Philippe Vigier était le rapporteur, a formulé plusieurs propositions ambitieuses. Il s’agit avant tout de mobiliser le maximum de professionnels de santé sur tout le territoire, grâce à des mesures simples d’effet immédiat : ainsi l’exonération de cotisations retraite pour les médecins exerçant en cumul emploi-retraite dans les zones en tension, la création d’un statut de médecin volant pour des médecins « thésés », la création d’un statut de médecin assistant de territoire ou encore la révision de la procédure d’autorisation d’exercice.

En tout état de cause, nous soutenons votre texte, mais nous considérons que ces mesures intéressantes ne sont pas suffisantes pour relever le défi de l’égal accès aux soins.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux questions des députés.

M. Jean-Pierre Door. Nous sommes tous d’accord effectivement sur le constat, monsieur le rapporteur, mais, pour nous, membres du groupe Les Républicains, ce n’est pas la bonne réponse. Vous ressortez cette vieille lune de conventionnement sélectif que tous les ministres de gauche comme de droite, même la ministre actuelle, ont repoussé, ainsi d’ailleurs que tous les représentants des étudiants en médecine. N’oublions pas que moins de 8 % des étudiants choisissent la médecine générale, soit – ce sont les chiffres du conseil de l’ordre – environ 600 généralistes par an pour 100 départements. Faites le calcul par département…

Vous allez dissuader les étudiants de choisir la médecine libérale et plus encore la médecine générale. Vous écrivez dans votre rapport que le principe de la liberté d’installation demeure, mais c’est hypocrite : en vérité, le conventionnement sélectif le remettra bel et bien en cause. Déconventionner un médecin revient finalement à dérembourser les malades ; vous dérembourseriez les patients des médecins qui s’installeraient où ils veulent – et aucun médecin n’ira où il ne veut pas aller, il faut le savoir. Jamais vous ne parviendrez à l’y contraindre en l’y poussant avec un couteau dans le dos.

Nous réaffirmons pour notre part qu’une politique de santé publique ne peut se faire contre les professionnels de santé. Or ceux-ci forment leur projet professionnel dès l’entrée en premier ou deuxième cycle. Si au terme des douze à quinze ans d’études qu’ils font pour réaliser leur projet professionnel, vous les engagez à aller ailleurs, ils choisiront le salariat à l’hôpital. Ce que vous proposez, monsieur le rapporteur, a échoué en Allemagne, en Autriche et en Belgique. J’ai été y voir comment cela se passait. Ne faisons pas pareil.

Mme Delphine Bagarry. Cette proposition de loi vise à améliorer la couverture médicale en ciblant spécifiquement les territoires les moins dotés. Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. La suppression du numerus clausus, dont nous débattrons lors de l’examen du projet de loi consacré à santé que nous proposera prochainement le Gouvernement, n’est qu’une solution de long terme, qui ne peut répondre à ce besoin immédiat. Il faut malgré tout faire attention et nous en débattrons, en veillant à ne pas créer d’autres déséquilibres. Ne pensez-vous pas que nous prenons le risque de démultiplier les déconventionnements ? Ne pensez-vous pas que nous prenons aussi le risque d’une offre de soins toujours plus favorable aux médecins et non aux patients ? Il n’en reste pas moins qu’un dispositif équivalent existe pour d’autres professions de santé et que la proposition que vous nous faites, monsieur le rapporteur, mérite débat afin de nous assurer de sa pertinence.

Pour ma part il me semble plus intéressant d’insister davantage sur l’organisation des soins et l’articulation entre les professionnels, entre l’hôpital et la médecine ambulatoire. Ce sera l’enjeu du futur projet de loi si nous entendons résoudre partiellement le problème que pose cette baisse de la démographie médicale.

À vous entendre, monsieur le rapporteur, les jeunes médecins ne voudraient s’installer qu’en équipe ; à mon avis, le travail en équipe est davantage un moyen de répondre aux besoins liés à l’organisation des soins et aux maladies chroniques qu’une réelle volonté des jeunes médecins.

Enfin, je souscris totalement au dispositif que vous proposez à l’article 5 – je l’avais moi-même proposé lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Il faut insister sur le fait qu’il valorise les compétences des uns et des autres, qu’il valorise la coordination entre les différents professionnels et qu’il facilite l’accès aux soins, qui pourront être fournis plus rapidement et plus efficacement.

Mme Isabelle Valentin. Le nombre de médecins n’a jamais été aussi élevé. Pourtant, la désertification médicale s’aggrave, et le manque de médecins entraîne, nous le savons, l’engorgement des urgences et la désorganisation et le dysfonctionnement de notre système de santé. Bientôt, un médecin sur deux aura plus de soixante ans. La médecine générale est peu valorisée et attire peu de jeunes. Si nous ne prenons pas de mesures efficaces, cette situation va s’accentuer, et la suppression du numerus clausus ne portera ses effets que dans quinze ans. Les jeunes médecins sont attachés à leur projet de vie, et la féminisation de la profession, le souhait de travailler ensemble et en équipe sont des éléments à prendre compte dans nos réflexions.

La création des maisons de santé est aussi une des solutions qui fonctionne relativement bien dans mon département, mais l’agence régionale de santé (ARS) doit assouplir les règles ; abaisser le seuil obligatoire de deux médecins à un médecin a tout son sens dans les communes rurales. Dans mon département de Haute-Loire, des médecins, des dentistes diplômés hors de l’Union européenne ne peuvent s’installer alors que nous manquons des professionnels de santé. L’assouplissement des règles d’exercice et des procédures d’autorisation de ces praticiens diplômés mérite d’être étudié. Une validation des compétences après un an d’exercice en structure, en France, paraît intéressante et de nature à favoriser les installations de professionnels de santé.

La loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui visait notamment à favoriser le maintien à domicile, a désengorgé les hôpitaux mais surchargé les professionnels de santé de ville et les services d’aide à la personne, sans que le travail de ceux-ci bénéficie d’aucune revalorisation financière. Nous devons impérativement nous pencher sur la révision de la nomenclature des infirmiers libéraux et sur le remboursement des frais kilométriques de nos professionnels de santé et des services d’aide à domicile, dont le statut doit lui aussi être valorisé.

M. Julien Borowczyk. Monsieur le rapporteur, je voudrais vous interroger sur l’envers du décor, autrement dit sur les chiffres. Aujourd’hui, sans tomber dans l’archéologie politique, nous payons un peu les pots cassés. La courbe d’évolution du numerus clausus a marqué une baisse drastique à partir des années quatre-vingt : c’était un choix politique que de diminuer le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine. Tant et si bien que, à croire les chiffres officiels, nous nous classions en 2014 au vingtième rang, derrière la Lettonie, en nombre de médecins pour 100 000 habitants !

Il y a jamais eu autant de médecins, avez-vous dit. Je l’entends, mais nous savons aujourd’hui – c’est aussi cela, l’envers du décor – qu’il faut en fait deux à trois médecins pour faire un médecin, parce que les médecins travaillent différemment et que se pose la question du temps médical efficace. Aujourd’hui, grâce à certaines réformes, en particulier la création des assistants médicaux, nous allons pouvoir supprimer du temps administratif et rendre du temps médical au médecin ; c’est important, et c’est un facteur d’attractivité. Rendre un quart de temps médical partout en France aux médecins de toutes les spécialités, c’est, mathématiquement, comme si nous augmentions de 25 % le nombre de médecins. C’est un nouveau souffle pour la médecine ; et cela fait partie de la réforme « Ma santé 2022 » et du projet de loi bientôt déposé.

Pour ce qui est des pharmacies, même si la profession est réglementée, n’oublions pas que le coût de rachat d’une pharmacie est énorme, et que cela donne lieu à des effets d’aubaine. Des groupes rachètent aujourd’hui des pharmacies et les fusionnent. Cela aussi doit nous amener à nous interroger.

M. Joël Aviragnet. Nous sommes dans une situation d’urgence. Le droit à la santé, comme l’a très bien rappelé notre rapporteur Guillaume Garot est un droit de base que revendique la population. Avec les difficultés d’accès, nous assistons à de plus en plus de manifestations d’agressivité et d’incivilités envers le corps médical – n’oublions pas que la maladie nourrit l’angoisse.

Rappelons d’ailleurs que c’est une des premières revendications des gilets jaunes : trouver des moyens pour qu’à la fin de leurs études les jeunes médecins, avant même d’aller à l’hôpital ou ailleurs, travaillent un temps en milieu rural. Compte tenu de l’échec des mesures incitatives – nous en prenons depuis un certain temps –, une régulation doit être instaurée. À défaut, je crains que ces cabines de consultation qui ont le vent en poupe ne remplacent le corps médical, au risque de faire disparaître toute dimension relationnelle, toute dimension clinique de l’exercice médical. Et restera-t-il des pharmacies ? Comme il y aura moins de prescriptions, nous pourrions également nous retrouver avec de moins en moins de pharmacies.

M. Bernard Perrut. La désertification médicale est un des symptômes de cette fracture territoriale que nous évoquons souvent. Je partage bien sûr le constat du rapporteur : la désertification est un problème majeur de notre pays. M. Garot évoque bien sûr les territoires ruraux, mais n’oublions pas que le phénomène touche certains quartiers de nos villes moyennes et grandes villes.

Cependant, des mesures coercitives qui remettent notamment en cause la liberté d’installation des médecins ne remédieront pas aux déserts médicaux. Cela a été largement rejeté dans un certain nombre de pays où des expérimentations ont été faites.

Les professionnels de santé doivent être acteurs de cette lutte, en lien avec les élus locaux, inquiets et très mobilisés. Je crois beaucoup, pour ma part, aux maisons de santé, à leur réussite et à la complémentarité des activités pour les médecins qui peut à la fois exercer en hôpital ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et développer une activité libérale sur un territoire beaucoup plus large. Un certain nombre d’exemples montrent que cela permet d’assurer un maillage territorial – j’ai déjà évoqué le sujet. Il faut pouvoir développer cela.

Cette proposition de loi remet en cause le conventionnement d’un médecin libéral dans une zone d’excédent d’offre de soins, mais comment disposer d’un vivier suffisant de médecins généralistes qui ne seraient pas effrayés par ce déconventionnement sélectif ? Comment également éviter d’encourager le choix du secteur 3 et la pratique d’honoraires libres ? Ce dispositif trouve très vite un certain nombre de limites. C’est la raison pour laquelle votre proposition, cher collègue Garot, me trouve quelque peu réticent. Je suis pour ma part très favorable à une évolution qui joue sur des complémentarités – élément à mes yeux essentiel.

M. Thomas Mesnier. Nous revenons, monsieur le rapporteur, à une thématique qui vous est chère, comme à toutes et tous ici. Je me félicite que nous débattions de santé et d’accès aux soins dans notre commission, un mois avant l’examen du projet de loi du Gouvernement. Cependant, je rappellerai les mots des jeunes professionnels de santé auditionnés, ces jeunes médecins avec qui nous devons faire le système de santé de demain : ils ont qualifié, monsieur le rapporteur, votre proposition de dangereuse, de démagogique et d’inefficace – ce sont leurs propres termes ! Comme eux, je crois que vous prenez un peu le sujet à l’envers. Nul, dans cette salle où notre commission siège, ne vous dira que son territoire compte trop de médecins. La qualification de zones sur-denses n’est qu’une notion purement statistique.

Vous avez évoqué des territoires ruraux – ma Charente ne fait pas exception, qui perd malheureusement des médecins chaque année – mais nous pourrions aussi évoquer Paris, zone on ne peut plus urbaine, qui en a perdu 28 % en un an ! Ce problème de démographie médicale qui nous concerne toutes et tous va s’aggraver jusqu’en 2025.

Le cœur du sujet, c’est le nombre de médecins, c’est le temps médical, et je crois que vos propositions, notamment ce conventionnement sélectif qui est l’objet de l’article 1er, nous exposent à de graves risques. Il entraînerait – certains collègues l’ont dit – des inégalités financières d’accès aux soins, puisque des déconventionnements interviendraient. Ce serait aussi probablement un nouveau coup porté à l’exercice libéral, très dangereux alors que nous manquons de médecins ; à l’heure actuelle, 25 % des jeunes médecins n’exercent pas.

Je m’interroge aussi sur l’article 3. J’ai le sentiment que vous êtes prêts à mettre la sécurité et la qualité du soin en jeu dans des zones sous-denses, mais l’examen des articles nous donnera l’occasion d’en débattre.

Mme Josiane Corneloup. Merci, monsieur le rapporteur, pour cette proposition de loi. La lutte contre la désertification médicale est un sujet qui nous préoccupe tous.

L’article 1er vise à déconventionner sélectivement des médecins, ce qui pourrait avoir des effets pervers en contradiction avec l’objectif visé : les jeunes médecins risquent de se détourner de la médecine générale qui est déjà le parent pauvre de la médecine en France – seuls 8 % choisissent la médecine générale. Je suis plus favorable à des mesures incitatives qu’à des mesures coercitives.

Quant à l’article 2, le fonds d’intervention régional (FIR) finance des actions et des expérimentations validées par les agences régionales de santé en faveur de la performance, de la qualité, de la coordination, de la prévention, de la promotion, ainsi que de la sécurité sanitaire. Je suis bien évidemment favorable aux innovations, notamment celles construites à partir des territoires : les problèmes de démographie médicale n’ont pas de solution unique et nous devons être novateurs. Cependant, faire de cela une mission supplémentaire du FIR n’est pas forcément pertinent au vu de son objet même, qui est de soutenir l’innovation et la promotion de la santé.

La mesure proposée dans votre article 3 vise à favoriser l’accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire, de même que l’article 4. Nous ne pouvons qu’y être favorables.

Enfin, pour ce qui est de l’article 5, compte tenu du maillage harmonieux du territoire par les pharmacies, l’idée de les autoriser, dans le cadre d’expérimentations d’une durée de trois ans, à dispenser certains médicaments à prescription médicale obligatoire, me paraît judicieuse. Cela contribuera à pallier les difficultés croissantes que rencontrent nos concitoyens pour obtenir une consultation médicale dans un délai raisonnable et à proximité de chez eux ; mais n’oublions pas pour autant le rôle des infirmiers et infirmières qui ont une connaissance parfaite de leurs patients et de leur environnement. Ce sont des acteurs sur lesquels nous devons nous appuyer. Il est indispensable que leur nomenclature soit révisée et leur indemnisation kilométrique revalorisée.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je vous remercie pour ces interventions argumentées. Je ne répondrai pas à chacune dans le détail, mais rappellerai quels sont l’esprit et l’objectif de cette proposition de loi.

Prendre les choses dans le bon sens, monsieur Mesnier, ce n’est pas se faire le porte‑parole de telle ou telle corporation ou organisation syndicale ; c’est répondre aux problèmes de nos concitoyens. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à envisager le problème non pas du point de vue du médecin, mais d’abord de celui du citoyen, pour ensuite trouver les solutions avec les professionnels de santé. C’est cela, notre rôle de législateur ; dois-je vous le rappeler ?

Nous devons trouver une nouvelle cohérence. Tous ceux qui se sont prononcés contre la régulation nous appellent à continuer avec l’incitation. Autrement dit avec ce qu’on fait depuis des années et des années. Et pour quels résultats, chers collègues ? Dois-je vous rappeler l’ensemble des dispositifs contractuels et des aides conventionnelles mis en œuvre, et qui coûtent une fortune aux organismes de l’assurance maladie et à la nation dans son ensemble ? J’en ai dressé la liste, qui figure dans mon rapport.

Devant ce constat, pourquoi vous empêchez-vous d’envisager de recourir à la régulation ? Du reste, celle-ci existe déjà pour d’autres professions de santé sans poser aucune difficulté. La régulation vise à assurer une répartition juste et harmonieuse sur l’ensemble du territoire national. Le résultat est là, comme on le voit à travers l’exemple des pharmaciens : on en trouve partout – sauf précisément là où il n’y a plus de médecins pour prescrire. Là est donc bien le problème, et voilà pourquoi je vous ai dit tout à l’heure que le médecin, et particulièrement le médecin généraliste, était au centre du dispositif.

La responsabilité nous commande de ne pas dire : « Continuons à faire comme nous avons toujours fait, nous ne voulons surtout pas faire autrement. » En effet, c’est précisément le genre de discours que les Français n’acceptent plus. Vous devez tout de même avoir conscience de ce qui se passe dans nos territoires, de l’attente de nos concitoyens. Et nous répondrions, ce matin : « Eh bien non, ce n’est pas possible parce que cela ne s’est jamais fait. » Je m’excuse de le dire, mais ce n’est pas là, cela ne peut pas être la bonne réponse.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La bonne réponse n’est pas non plus de faire ce que vous proposez !

M. Guillaume Garot, rapporteur. Certains me disent que cela ne marche pas à l’étranger. Prenons le cas du Royaume-Uni : si la régulation n’y a pas fonctionné, c’est tout simplement parce que le nombre de médecins formés était largement inférieur aux besoins. Tel était le cœur du problème.

M. Gilles Lurton. C’est aussi le cas en France…

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le problème en France, cher Gilles Lurton, est que certains territoires sont largement dotés par rapport à d’autres, en matière de généralistes comme de spécialistes. Dois-je vous rappeler les chiffres que j’ai cités tout à l’heure ? Il faut bien que remédions à cette inégalité, parce que les Français ne la comprennent pas – et ils ont raison. Nous devons donc trouver des solutions.

Jean-Carles Grelier m’a objecté que les médecins – en particulier les jeunes – allaient se reporter sur l’hôpital, au détriment de l’exercice libéral. Mais il ne suffit pas de venir frapper à la porte de l’hôpital pour s’y faire embaucher : encore faut-il qu’il y ait des postes… En soi, cela constitue d’ailleurs une forme de régulation : on ne va pas exactement où on veut, mais là où il y a des postes.

Mme Dufeu Schubert et plusieurs de nos collègues, en particulier du groupe Les Républicains, m’ont objecté que si aucun gouvernement n’avait essayé de faire ce que nous proposons, il devait y avoir de bonnes raisons à cela. Cette explication n’est pas suffisante. Au demeurant, Boris Vallaud a souligné la constance de cette proposition. En effet, nous l’avons déjà présentée l’an dernier. De plus – je vais faire un peu d’histoire –, j’étais de ceux qui soutenaient déjà l’idée d’une régulation sous la précédente majorité, à laquelle j’appartenais. Or savez-vous qui d’autre défendait l’idée à cette époque, qui proposait un conventionnement territorial ? Ma voisine, Brigitte Bourguignon.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Oh ! Ce n’est pas très élégant !

M. Gilles Lurton. Ce n’était pas le cas de Marisol Touraine !

M. Guillaume Garot, rapporteur. Ça, c’est vrai…

Brigitte Bourguignon, mais aussi d’autres membres éminents de la majorité actuelle – ils ne sont pas dans cette salle mais sont, qui au Gouvernement, qui à la présidence de l’Assemblée nationale – soutenaient donc l’idée. C’est à eux qu’il faut demander pourquoi ils l’ont abandonnée. En ce qui me concerne, je crois avoir le mérite de la persévérance et de la constance. Je suis absolument convaincu que la régulation est une solution ; je ne dis pas qu’elle est la seule, mais c’est une des solutions qu’il faut mettre en œuvre pour que toutes les autres soient efficaces.

La régulation seule, je viens de le dire, n’est pas suffisante. C’est la raison pour laquelle il faut une incitation très forte – ce que je propose dans l’article 2, avec les territoires innovation santé. L’objectif est de répondre aux attentes et aux besoins exprimés par les jeunes générations de médecins en termes de pratiques médicales – qu’il s’agisse des liens développés avec les plateaux techniques des hôpitaux, de la télé-expertise et de la télémédecine, ou encore de l’organisation de la permanence des soins. Tout cela est de nature à développer l’attractivité d’un territoire. Jeanine Dubié a tout à fait raison : il faut non seulement traiter de la santé, mais aussi envisager la question de l’attractivité dans un cadre beaucoup plus vaste. Nous pouvons tous en témoigner : nous nous battons tous, là où nous sommes élus, là où nous faisons notre œuvre de députés de terrain, pour renforcer l’attractivité de nos territoires, mais il est vrai qu’on doit lier l’attractivité médicale aux autres activités. L’attractivité vaut aussi dans le domaine économique, pour les transports et les services – et on en revient, à cet égard, à la question des services publics, qui est posée dans notre pays.

J’ai entendu certaines réserves, voire des préventions, à l’égard des articles 3 à 5. Pierre Dharréville a dit que nous nous occupons de la médecine libérale, mais qu’il y a aussi d’autres formes de pratique, notamment le salariat. Bien sûr ; de nombreux jeunes médecins éprouvent même une appétence forte pour cette forme d’exercice. Même si nous n’abordons pas le sujet dans cette proposition de loi, il va de soi que la médecine salariée a toute sa place dans le cadre des territoires innovation santé. Mais cela va mieux en le disant.

M. Mesnier a dit, à propos de l’article 3 – il s’agit des médecins formés en dehors de l’Union européenne et venant exercer en France –, que nous mettons en péril la sécurité. Permettez-moi de vous dire qu’il ne faut pas raconter n’importe quoi, ni diffuser des informations inexactes. En effet, l’article 3 se borne à modifier la durée de la période probatoire, qui s’ajoute à l’examen des connaissances théoriques du médecin étranger et à l’évaluation de sa pratique de la langue française. Il ne s’agit donc en aucun cas de remettre en cause ces deux examens : l’exigence vis-à-vis des qualifications des médecins – que ce soit sur le plan théorique et technique ou s’agissant de leurs connaissances linguistiques – reste strictement la même. Simplement, puisqu’il faut dégager du temps médical – comme vous le recommandiez à juste titre, monsieur Mesnier –, nous proposons de réduire la durée de la période probatoire de trois ans à un an. Cela met-il en péril la sécurité ? Non. S’il y a le moindre doute sur un médecin, je suis sûr que celui-ci n’aura pas satisfait au contrôle de ses connaissances et de sa maîtrise de la langue française – aspect qui pose souvent problème.

J’ajoute, cher Thomas Mesnier, que vous avez certainement voté en faveur du rapport de la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins.

M. Thomas Mesnier. Certes, mais sans en approuver toutes les propositions.

M. Guillaume Garot. Or, il se trouve que celle-ci proposait même de supprimer purement et simplement la période probatoire. Il faut donc être cohérent : on ne peut pas voter en faveur d’une chose au mois de juillet et préconiser le contraire au mois de janvier.

M. Thomas Mesnier. Je suis cohérent : je n’ai justement pas approuvé cette proposition !

M. Guillaume Garot, rapporteur. En ce qui concerne le niveau du numerus clausus, monsieur Borowczyk, quand on regarde de près la situation à la fin des années 1990 et au début des années 2000, on considérait alors qu’il était à peu près conforme aux besoins estimés. Actuellement, nous savons qu’il faudra attendre 2025 pour retrouver le niveau de 2018. Cela pose d’autant plus problème que la situation de l’année 2018 est moins bonne que celle du début des années 2000.

Nous allons poursuivre le débat cet après-midi à l’occasion de l’examen des amendements. Je préciserai alors tel ou tel argument, répondrai à telle ou telle réserve. Quoi qu’il en soit, ce que j’attends de notre débat, c’est que nous répondions vraiment à l’attente des Français et que nous considérions les médecins comme des partenaires dans notre recherche collective. Les Français attendent de nous des actes clairs. Les solutions qui ont été tentées jusqu’à présent n’ont pas apporté les résultats que les uns et les autres avaient espérés. Il nous faut donc du courage et de l’audace. Surtout, nous devons faire preuve, ensemble, de sens des responsabilités. Je suis sûr que ce sera le cas.

Article 1er
Limitation de l’accès au conventionnement pour les médecins dans les zones suffisamment dotées

La commission examine les amendements identiques AS1 de Mme Marine Brenier, AS3 de M. Cyrille Isaac-Sibille, AS6 de M. Jean-Carles Grelier, AS7 de Mme Stéphanie Rist et AS20 de Mme Audrey Dufeu Schubert.

Mme Marine Brenier. Monsieur le rapporteur, je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit ce matin. Je partage le constat qui a été fait sur ce besoin impérieux de pouvoir lutter contre la désertification médicale en jouant de nombreux mécanismes.

L’amendement AS1 vise à supprimer l’article 1er car le conventionnement territorial reste une mesure coercitive. Or, comme nous l’avons démontré par le passé, les mesures coercitives ne fonctionnent malheureusement pas. Elles vont même à l’encontre de la logique de l’exercice libéral, à un moment précisément où celui-ci tente de moins en moins de nouveaux médecins.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Si nous partageons le constat et si l’intention de l’article 1er est louable, comme l’a dit ce matin mon collègue Cyrille Isaac-Sibille, notre groupe estime que cette contractualisation s’avérerait contre-productive. C’est pourquoi notre amendement AS3 propose également de supprimer l’article 1er.

M. Jean-Carles Grelier. L’amendement AS6 est défendu : même punition, même motif !

Mme Stéphanie Rist. L’article 1er, qui donne l’illusion du bon sens, est en réalité inefficace et même contre-productif. La régulation négative est par essence inefficace. Le conventionnement sélectif ne peut pas fonctionner si nous avons une démographie médicale négative. Or la grande cause connue est évidemment le numerus clausus qui existe depuis quarante-cinq ans. On comptait 8 000 étudiants formés en 1971, et 8 200 en 2018 ; or, durant la même période, la population en France a augmenté de plus de 30 %…

Par ailleurs, les expériences étrangères au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche ont démontré l’inefficacité d’une telle mesure.

Vous prenez l’exemple des pharmacies. Or, monsieur le rapporteur, la répartition territoriale des médecins généralistes est équivalente à celle des pharmacies. Pourtant, vous jugez le maillage territorial de celles-ci correct.

C’est vrai, nous avons un devoir face à la désertification médicale. Nous prenons nos responsabilités avec le plan « Ma santé 2022 », qui permet la suppression du numerus clausus, qui incite la coopération entre professions de santé, qui libère du temps médical, qui attire les jeunes dans nos territoires dès leur formation, ce qui est essentiel lorsque l’on sait que 63 % des jeunes médecins s’installent dans la région où ils ont été diplômés.

Nous faisons le choix de la confiance envers les professionnels de santé, notamment des jeunes médecins qui n’ont qu’une volonté : s’organiser pour mieux soigner. D’où mon amendement de suppression AS7.

Mme Audrey Dufeu Schubert. L’amendement AS20 du groupe La République en Marche vise également à supprimer l’article 1er.

Bien que nous comprenions l’intention de M. Garot au travers de cette proposition de loi, la mesure risque de créer des inégalités entre les secteurs 1 et 2, avec une augmentation du nombre de praticiens exerçant en secteur 2 dans les zones sous-dotées. Cela risque surtout d’encourager les jeunes médecins à se tourner vers une activité salariée. Nous pensons qu’il faut être extrêmement vigilants quant aux conséquences possibles de cet article.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Mon avis sera défavorable, cela ne vous étonnera pas…

Je veux partager avec vous quelques arguments, même s’il ne s’agit pas de revenir sur le débat, vif mais passionnant, qui a eu lieu ce matin et qui concerne les vrais choix que nous devons faire en matière d’offre de soins.

Monsieur Grelier, ce n’est pas de la coercition, mais de la régulation. L’installation des pharmaciens se fait-elle de façon coercitive ? Non. On conserve la liberté de pouvoir s’installer là où c’est possible. Nous proposons simplement que là où les besoins de santé sont déjà pourvus, là où l’offre de soins est correctement assurée, on n’autorise plus d’installation, sauf si on constate un problème d’accès en secteur 1 pour certains publics. Cela suppose effectivement un zonage précis : c’est possible, c’est à notre portée. C’est pourquoi l’article 1er propose de travailler au plus près des territoires avec les agences régionales de santé. Il va de soi, et c’est l’objet de la négociation conventionnelle, que rien ne sera possible ni faisable sans les médecins. C’est la raison pour laquelle je propose qu’on commence par discuter avec les principaux partenaires concernés, à savoir les médecins. Si l’on ne parvient pas à trouver un terrain d’entente, alors la puissance publique assumera son rôle. Il faudra évidemment ménager un délai raisonnable, en laissant la discussion, la négociation s’opérer.

La régulation serait inefficace, me dit-on, elle aurait même montré par le passé qu’elle avait été inefficace. Je ne sais pas à quel passé, à quel épisode de l’histoire récente de la France vous vous référez : la régulation de l’installation des médecins n’a jamais été expérimentée… Vous êtes en train de vous priver d’un outil qui, je le répète inlassablement, rendra tous les autres plus efficaces. Le principe est de ne plus accepter d’installations là où les besoins de santé sont correctement pourvus ; en revanche, vous pouvez vous installer n’importe où ailleurs parce qu’on a besoin de vous. Voilà le sens de cette proposition.

J’insiste sur le fait que la régulation existe pour toutes les autres professions de santé. Ce matin, personne n’a pu me dire pourquoi cela ne pourrait pas fonctionner pour les médecins, alors que cela fonctionne pour les autres professions de santé. Vous qui vous faites ici les porte-parole des syndicats de médecins, expliquez-moi pourquoi cela ne fonctionnerait pas pour les médecins ! Qu’y a-t-il de si différent entre un pharmacien et un médecin ? Qu’y a-t-il d’ontologiquement singulier chez les médecins, qui empêcherait par nature l’idée d’une régulation ? Cet argument n’est pas solide.

Je sais gré à Mme Rist de reconnaître la légitimité de la régulation : elle y voit un principe intéressant, mais qui vaudra dans dix ans. Contrairement aux autres orateurs qui se bornent à vouloir supprimer cet article, elle considère qu’il faut travailler avec cette régulation. Il y a peut-être là matière à discuter. Je regrette donc qu’elle ait déposé un amendement de suppression, mais je sens dans ses propos que l’idée a gagné en crédibilité et en légitimité.

En revanche, Madame Rist, je ne vois pas au nom de quoi le principe d’une régulation, autrement dit d’une répartition la plus harmonieuse possible par la puissance publique à l’échelle du territoire national vaudrait lorsque la démographie est élevée, mais ne vaudrait plus lorsqu’elle est plus serrée. La responsabilité du législateur commande de proposer des solutions acceptables en toutes circonstances, lorsque l’urgence le commande comme aujourd’hui, mais également dans dix ans, lorsque situation sera plus détendue. Si on veut préparer correctement la régulation pour dans dix ans, c’est dès à présent qu’il faut le faire. Ce sera d’autant plus facile à faire à ce moment-là que le mécanisme aura été bien éprouvé.

Voilà ce que je voulais vous dire à ce stade de notre discussion. J’ai promis de faire court, madame la présidente. (Sourires)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’était qu’une promesse !

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS10, AS8, AS16 et AS11 tombent.

Article 2
Constitution de territoires « innovation santé »

La commission rejette l’article.

Article 3
Réduction à un an de la période probatoire des médecins titulaires de diplômes étrangers lauréats des épreuves de vérification des connaissances

La commission examine l’amendement AS21 de Mme Audrey Dufeu Schubert.

Mme Audrey Dufeu Schubert. Les candidats à la profession de médecin, titulaires d’un diplôme obtenu en dehors des États membres de l’Union européenne, doivent justifier de trois ans de fonctions accomplies dans un service ou organisme agréé pour la formation des internes. L’article 3 de la proposition de loi vise à ramener cette durée à un an lorsque le candidat déclare à l’autorité compétente vouloir s’établir dans une zone caractérisée par des difficultés dans l’accès aux soins. En l’absence d’autres garanties, une telle réduction ne permet pas de sécuriser les connaissances et les compétences des candidats, en particulier pour certaines spécialités telles que la chirurgie. Un temps plus long de probation est nécessaire. Les difficultés d’accès aux soins ne pouvant justifier une diminution de la sécurité apportée aux patients, cet amendement propose donc de supprimer cette disposition.

La création de disparités entre les zones dites surdotées ou sous-dotées en termes de sécurité sur la validation des médecins en dehors de l’Union européenne ne nous paraît pas opportune.

Enfin, monsieur Garot, nous sommes des députés de la majorité, et non des représentants des syndicats de médecins. Nos remarques prouvent tout simplement que nous avons suivi très attentivement les auditions que vous avez vous-même conduites.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je confirme que vous avez été très attentifs à certaines interventions durant les auditions. J’aurais souhaité que vous portiez la même attention à ce que vous ont dit les usagers, les citoyens, et à ceux qui viennent aujourd’hui dans vos permanences remplir des cahiers de doléances, ceux qui se déplacent en mairie pour participer au grand débat national.

Que vous disent-ils ? Qu’ils ont besoin d’être écoutés, qu’eux aussi ont droit à un médecin pas loin de chez nous, à un égal accès à la santé, parce que c’est le pacte républicain. Mais, dans les votes que vous émettez aujourd’hui et dans les amendements que vous déposez, vous oubliez tout cela. Vous dites oui lorsque vous êtes dans vos territoires, mais vous dites non dans vos votes aujourd’hui. Tout ce que vous invoquez, c’est l’impossibilité de faire autrement que ce qu’on a toujours fait depuis dix ans. Or tout ce que nous avons fait, tous ensemble, depuis dix ans ne répond pas aux ambitions que nous nous étions assignées : répondre aux besoins de présence médicale. Les mesures d’incitation n’ont pas fonctionné. Les leçons en ont été tirées par Philippe Vigier, rapporteur de la commission d’enquête dont nous avons voté, les uns et les autres, les conclusions. Je suis très surpris de voir que certains d’entre vous ont déposé des amendements de suppression d’articles qui ne font que reprendre des préconisations que vous aviez adoptées l’été dernier. Je demande en tout cas à ceux qui étaient membres de cette commission d’enquête, et qui ont déposé aujourd’hui des amendements de suppression, de faire preuve d’un peu de cohérence.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’en déduis donc que vous êtes défavorable à cet amendement.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Oui, madame la présidente.

Vous évoquez le risque qu’il y aurait à ramener la période probatoire de trois ans à un an. Je rappelle que la commission d’enquête dont vos collègues ont signé les conclusions proposait purement et simplement de la supprimer… Encore un revirement qu’il faudra expliquer !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. L’argument a bien été compris.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Ajoutons que cette durée d’un an est juste alignée sur ce qui existe aujourd’hui pour les chirurgiens-dentistes et pour les sages-femmes !

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé et les amendements AS19 et AS12 tombent.

Article 4
Assouplissement des modalités d’assistance aux médecins
exerçant en zones sous-denses

La commission est saisie de l’amendement AS12 de M. Sébastien Cazenove.

M. Sébastien Cazenove. Après discussion avec mes collègues, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement AS22 de Mme Audrey Dufeu Schubert.

Mme Audrey Dufeu Schubert. Cet amendement propose une rédaction un peu différente de l’article 4 et plus précise, afin d’éviter toute confusion entre le médecin adjoint, le médecin remplaçant et le médecin de renfort. Il étend ainsi la possibilité de recourir à des médecins adjoints dans les zones caractérisées par des difficultés d’accès aux soins ou lorsqu’il est constaté une carence particulière par l’Ordre des médecins.

Nous considérons qu’il s’agit d’un article positif qui comporte une mesure de bon sens puisqu’il renforce l’accès aux soins et la démographie médicale. Cependant, il faut être vigilant puisque ce titre de médecin de renfort n’existe pas dans le code de déontologie. C’est pourquoi notre amendement précise quelle est l’intention de la proposition de loi.

M. Guillaume Garot, rapporteur. L’invocation du code de déontologie pour repousser la proposition du médecin de renfort n’est pas opérante car le code de déontologie relève de la partie réglementaire. Nous souhaitons le prévoir au niveau législatif ; c’est pourquoi l’article 4 est dans la ligne des préconisations du rapport de notre collègue Vigier que nous avons tous voté, quelles que soient nos sensibilités.

Cet article, qui concerne aussi les médecins adjoints, prévoit la possibilité de l’exercice d’une médecine de renfort – ce serait une forme de statut sur mesure – dans les zones sous-denses. Il s’agit donc seulement d’une mise en conformité juridique. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rédigé.

Après l’article 4

La commission étudie l’amendement AS17 de M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Cet amendement vise à exonérer de toute cotisation retraite, sans condition de plafond de revenu annuel, les médecins exerçant en situation de cumul emploi-retraite dans les zones en tension. Il reprend en cela l’une des propositions du rapport de la commission d’enquête demandée par notre groupe et chère à M. le rapporteur.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Vous avez raison, c’est une des propositions de la commission d’enquête. Toutefois, cela fait partie des dispositions sur lesquelles j’avais exprimé des réserves, pour des raisons de construction et de principe.

Lorsque des médecins – et il faut les en remercier – continuent d’exercer une activité libérale alors qu’ils sont à la retraite, quelques heures par semaine, une demi-journée, ou deux demi-journées, pour répondre à la demande des patients, ils continuent de cotiser à la caisse d’assurance vieillesse pour la retraite. Mais est-ce pour eux ou pour le système, pour la société ? Le régime d’assurance vieillesse comporte certes une partie assurantielle, mais il repose avant tout sur l’idée que les cotisations des actifs financent les retraites des inactifs. Ceux qui sont en activité continue donc de contribuer au financement du système des retraites. La solution ne consiste pas à supprimer les cotisations retraite, mais plutôt à demander au régime de l’assurance maladie, qui est bien content de trouver des médecins sur place pour assurer les consultations, de prendre en charge les cotisations vieillesse de ces praticiens qui rendent un vrai service dans nos territoires.

Nous maintenons donc le principe de la cotisation des actifs pour ceux qui sont en retraite, mais parce que les médecins qui acceptent de continuer à exercer font un vrai geste de solidarité, je propose que l’assurance maladie prenne en charge ces cotisations.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Thomas Mesnier. Nous avons déjà abordé ce sujet à l’occasion de la discussion des deux dernières lois de financement de la sécurité sociale.

Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, nous avions déjà quadruplé le plafond d’exonération pour les médecins retraités, qui est passé de 11 000 à 40 000 euros par an. Pour ma part, j’ai préconisé, dans un rapport que j’ai remis à la ministre sur l’égal accès aux soins, de multiplier par deux ce plafond afin que davantage de médecins puissent en bénéficier et cumuler une activité avec leur retraite. La ministre n’avait pas souhaité fragiliser la caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) ni interférer dans les négociations qui auront lieu dans le cadre du comité de suivi du plan pour l’égal accès aux soins dans les territoires qui doit se réunir le mois prochain, mais elle s’était engagée par voie réglementaire après les négociations.

À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Article 5
Mise en place d’un cadre expérimental relatif à la dispensation
de certains médicaments à prescription obligatoire
dans le cadre de protocoles de coopération

La commission est saisie de l’amendement AS14 de M. Sébastien Cazenove.

M. Sébastien Cazenove. Avec l’article 5, vous voulez autoriser les pharmacies à dispenser certains médicaments. Il serait bon d’exclure a priori certains médicaments, notamment les substances à visée psychotrope. J’aimerais que vous nous apportiez des précisions en la matière. Cela dit, je suppose que cette mesure ferait l’objet d’un arrêté ministériel.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Vous avez raison de poser le problème, mais il ne faut pas se faire peur.

L’article 5, qui reprend d’ailleurs ce qu’avait proposé une de vos collègues lors de l’examen du PLFSS, prévoit une expérimentation pour une durée de trois ans. L’autorisation de délivrer certains médicaments sera prise dans le cadre d’une discussion extrêmement serrée et rigoureuse entre médecins et pharmaciens. Et vous imaginez bien que les médicaments et les pathologies qui présenteraient le moindre risque seraient immédiatement exclus par les médecins et les pharmaciens de la liste. Il faut faire confiance à la négociation et au sens des responsabilités des uns et des autres.

Quelles pathologies pourraient être traitées ? La présidente du Conseil de l’ordre des pharmaciens nous a fait part, en commission, de son vif intérêt pour la mesure : elle a évoqué les cystites, conjonctivites et rhinites. Une disposition similaire est déjà en vigueur en Suisse où, au terme d’un accord extrêmement rigoureux entre médecins et pharmaciens, on traite les pathologies suivantes : cystite, pharyngite, sinusite, conjonctivite, piqûres de tique, lombalgies, brûlures, asthme aigu, asthme conseil. La liste est limitée et soumise à un protocole très rigoureux. Et en cas de doute, il va de soi que le pharmacien en réfère immédiatement au médecin, et en particulier au médecin traitant.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle rejette l’article 5 modifié.

Article 6
Gage

La commission adopte l’article sans modification.

Enfin, elle adopte la proposition de loi modifiée.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Permettez-moi de vous faire part de mon immense déception. En fait, vous avez dévitalisé ce texte, il n’en reste plus grand-chose, c’est devenu une peau de chagrin. Finalement, on est bien loin de l’ambition initiale.

Cela signifie, et c’est politiquement grave, que vous n’entendez pas ce qui se passe dans le pays aujourd’hui, que vous n’entendez pas la colère qui monte des territoires. Vous vous interdisez des solutions qui n’ont jamais été éprouvées, qui pourraient être tentées pour l’intérêt général. Vous auriez pu envoyer un signal clair à tous ces citoyens qui attendent des actes forts de la part du législateur et de leurs dirigeants en général, afin que l’on puisse refonder, comme je le disais ce matin, ce pacte républicain : nous avons tous droit au même accès à la santé, qui que nous soyons, quels que soient nos revenus et où que nous habitions. Or ce pacte républicain est fragilisé : bon nombre de Français n’ont pas de médecin traitant. Dans mon département, la Mayenne, qui compte 300 000 habitants, c’est le cas de 10 000 Mayennais. Que dites-vous à ces millions de Français qui vivent en zone sous-dense ? Vous ne répondez pas à leurs attentes, vous n’entendez pas la voix des territoires qui se sentent abandonnés. Une discussion aura lieu dans l’hémicycle, mais je vous rappelle que nous légiférons sous le regard des citoyens français ; ils attendent qu’on prenne enfin en considération leur mal-être et leurs difficultés du quotidien. Hélas, ce n’est pas ce que vous faites.

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/ta-commission/r1612-a0.pdf).