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N° 1682

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 13 février 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés,

 

VOLUME I

AVANT-PROPOS, COMMENTAIRES D’ARTICLE ET ANNEXES

 

 

Par Mme Marie-George BUFFET,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  805.

 

 


 

 

 

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. L’AAH : une prestation fragilisée par la concurrence entre une logique de solidarité et une logique de compensation

A. Garantir un revenu minimum d’existence aux personnes en situation de handicap

1. À l’origine de la création de l’AAH : la volonté de restaurer la dignité des personnes en situation de handicap

2. Une prestation soumise à condition et plafonnée

a. L’AAH : une allocation subsidiaire

b. L’AAH : une allocation différentielle

c. Un plafond de ressources fixé au niveau du foyer

B. Compenser l’éloignement durable de l’emploi

II. Faire de l’AAH une véritable garantie d’autonomie pour les personnes en situation de handicap

A. L’AAH peine À garantir des conditions d’existence dignes pour les personnes en situation de handicap

1. Des revalorisations bienvenues mais biaisées pour les bénéficiaires en couple

2. Les montants de l’AAH toujours trop éloignés du seuil de pauvreté

B. L’objectif de cette proposition de loi est d’individualiser l’AAH pour garantir l’autonomie des bénéficiaires

1. Faire primer la solidarité nationale sur la solidarité familiale

2. S’inscrire dans la refonte à venir des minimas sociaux

Commentaires d’articles

Article 1er Suppression de la majoration du plafond de cumul de l’AAH et de la rémunération garantie en ESAT lorsque le bénéficiaire est en couple

I. Le droit en vigueur

II. Le dispositif proposé

Article 2  Suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH et de la majoration de son plafonnement

Article 3 Remise d’un rapport au Parlement sur la situation des bénéficiaires de l’AAH

Article 4 Gage

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

annexe  2 : liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


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   Avant-propos

● « La dignité de tout homme dépend de son degré d’autonomie, et l’autonomie suppose des ressources suffisantes ». Par ces mots, M. René Lenoir, secrétaire d’État auprès de la ministre de la santé Simone Veil, sous la présidence de M. Valéry Giscard D’Estaing, défendait en 1974 devant l’Assemblée nationale la mise en place de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) par la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées ([1]).

Près de quarante-cinq ans après cette loi d’orientation et près de quinze ans après la loi de 2005 sur le handicap ([2]) qui réaffirme les principes d’une obligation nationale de solidarité en faveur des personnes handicapées et d’un droit à compensation des conséquences du handicap, où en sommes-nous du respect de la dignité et de l’autonomie de la personne en situation de handicap ? Quelle part de responsabilité est prise par la solidarité nationale pour garantir des conditions d’existence dignes à nos concitoyens touchés par le handicap ? 

● Alors que le nombre de bénéficiaires de l’AAH n’a cessé de croître depuis sa création, la situation de ces bénéficiaires et, plus généralement, des personnes en situation de handicap est aujourd’hui préoccupante, voire même critique. Selon une étude statistique conduite par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) d’octobre 2018 ([3]), le nombre d’allocataires de l’AAH a doublé entre 1990 et 2017. Ainsi, fin décembre 2017, 1,13 millions de personnes percevaient l’allocation aux adultes handicapés.

Comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ([4]), les personnes en situation de handicap sont particulièrement exposées au risque de précarité. Le CESE souligne que ces personnes connaissent d’importantes difficultés d’accès et de maintien à l’emploi. D’après des données de la DARES de 2015 ([5]), seuls 20 % des bénéficiaires de l’AAH étaient en emploi. Les personnes en situation de handicap sont aussi davantage exposées au risque de chômage y restant, en moyenne, deux cents jours de plus que les autres.

La présence d’un handicap expose aussi davantage à la pauvreté et aux bas niveaux de vie. D’après l’Observatoire des inégalités, s’appuyant sur des statistiques de l’INSEE, le taux de pauvreté varie selon le handicap et, sauf dans le cas du handicap auditif, conduit à un taux de pauvreté supérieur à celui du reste de la population ([6]).

Taux de pauvreté ([7])  selon le handicap

Type de handicap

Taux de pauvreté (en %)

Mental

19,8 %

Visuel

16,8 %

Psychique

16,6 %

Moteur

15,8 %

Auditif

9,4 %

 

 

Sans handicap

12,7 %

Ensemble des 15-64 ans

13,8 %

Observatoire des inégalités

● Compte tenu de ce contexte et des difficultés spécifiques des personnes en situation de handicap, votre rapporteure s’inquiète des choix qui ont été fait ces dernières années allant dans le sens d’un rapprochement entre l’AAH et les autres minimas sociaux et d’un recul de la solidarité nationale au profit d’une solidarité familiale contrainte.

La suppression du complément de ressources de l’AAH dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 ([8]), présentée comme une mesure de simplification par le Gouvernement actuel, suscite une vive inquiétude dans le monde associatif. L’association APF France handicap alerte sur les conséquences de la suppression de cette garantie de ressources des personnes les plus sévèrement handicapées. D’un montant de 179 euros par mois, ce complément à l’AAH permettait aux personnes dans l’incapacité de travailler de franchir le seuil de pauvreté.

Si votre rapporteure salue les mesures prises par le Gouvernement en faveur de la revalorisation du montant de l’allocation aux adultes handicapés, elle déplore que cette hausse soit en partie en trompe l’œil en excluant les bénéficiaires en couple. Pour rappel, cette revalorisation se fait en deux étapes :

– Au 1er novembre 2018 : le montant maximal de l’AAH a été porté à 860 euros ;

– Au 1er novembre  2019 : le montant maximal de l’AAH sera porté à 900 euros.

Malheureusement, cette revalorisation exceptionnelle de l’AAH ne bénéficiera pas à tous. La modification des règles de calcul du plafond de ressources, par une baisse du coefficient multiplicateur, exclut de facto les bénéficiaires en couple des effets de cette hausse.

● Alors que de nombreux progrès ont été faits en matière d’autonomie notamment physique et matérielle des personnes en situation de handicap, celles-ci sont encore considérées, d’une certaine manière, comme des « mineurs financiers ». Or, le besoin d’être reconnu comme individu à part entière est aujourd'hui plus fort que jamais. Cette demande d’émancipation, quelle que soit sa situation, irrigue l’ensemble de la réflexion sur la réforme attendue des minimas sociaux et des prestations sociales.

Cette proposition de loi s’inscrit dans cette évolution de la société allant dans le sens d’une individualisation des droits. Selon votre rapporteure, l’autonomisation des personnes en situation de handicap nécessite que soit mis fin au lien de dépendance financière entre le bénéficiaire de l’AAH et son conjoint. Il est donc proposé de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH afin d’en individualiser le plafond et le cumul de ressources. C’est une demande de longue date formulée par l’ensemble des associations de personnes en situation de handicap.

Pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes handicapées, il nous faut sortir de la logique du minimum social pour aller vers la création d’un revenu individuel d’existence, déconnecté des revenus du conjoint, afin de garantir de véritables conditions d’autonomie.

I.   L’AAH : une prestation fragilisée par la concurrence entre une logique de solidarité et une logique de compensation

L’allocation aux adultes handicapés est un minimum social bâti sur le principe de l’allocation différentielle et plafonnée.

Si le maintien d’un plafond de ressources propres est toujours justifié et compatible avec l’objectif d’autonomisation des personnes en situation de handicap, la prise en compte, dans ce plafond, des ressources du conjoint aboutit à des situations intolérables de dépendance financière pour les personnes concernées. Cette situation nous éloigne de l’ambition première de l’AAH qui était de restaurer la dignité des personnes en situation de handicap en tant qu’individu à part entière.

Ainsi, compte tenu des spécificités de la population qu’elle vise, votre rapporteure insiste sur la nécessité de prévoir des dérogations au droit commun de la solidarité nationale pour répondre au mieux aux besoins des personnes en situation de handicap. L’AAH ne doit pas, en ce sens, être réduite à un minima social comme un autre.

A.   Garantir un revenu minimum d’existence aux personnes en situation de handicap

1.   À l’origine de la création de l’AAH : la volonté de restaurer la dignité des personnes en situation de handicap

Créée en 1975 par la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées ([9]), l’allocation aux adultes handicapées a été instituée au titre de la solidarité nationale afin de garantir un revenu minimum d’existence aux personnes en situation de handicap qui ne peuvent, en raison de leur handicap, subvenir à leurs besoins.

M. René Lenoir, secrétaire d’État à l’origine de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées, affirmait devant les députés réunis pour examiner le projet de loi en première lecture en séance le 13 décembre 1974 qu’un des objectifs était de « donner des ressources suffisantes aux handicapés. La dignité de tout homme dépend de son degré d’autonomie, et l’autonomie suppose des ressources suffisantes ».

Le choix a été fait de ne plus tenir compte des ressources de la famille dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et de supprimer le mécanisme de récupération. Toutefois, dès sa création, l’allocation a été conditionnée à un plafond de ressources propres.

La philosophie qui sous-tend l’AAH est donc celle d’une aide de solidarité financière, prenant la forme d’un minimum social, destinée à compenser de faibles revenus, voire même parfois l’inexistence de revenus pour les personnes en situation de handicap.

2.   Une prestation soumise à condition et plafonnée

Pour bénéficier de l’allocation aux adultes handicapés, le demandeur doit satisfaire des conditions d’âge, de résidence et de ressources, à savoir des conditions dites « administratives » qui sont appréciées par les caisses d’allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (CMSA).

Les conditions liées au handicap sont appréciées par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), présente au sein de chaque maison départementale des personnes handicapées.

a.   L’AAH : une allocation subsidiaire

Pour pouvoir bénéficier de l’allocation aux adultes handicapés, le demandeur ne doit pas être éligible à un avantage vieillesse, à l’exception de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), ni à une pension d’invalidité ou à une rente d’accident du travail d’un montant au moins égal à l’AAH.

Ainsi, le versement de l’allocation prend fin à partir de l’âge minimum légal de départ à la retraite en cas d’incapacité comprise entre 50 % et 79 %. L’allocataire bascule alors dans le régime de retraite pour inaptitude.

Dans le cas où le demandeur perçoit un avantage d’un montant inférieur à celui de l’AAH, les deux peuvent se cumuler sans que le total ne dépasse le montant maximum de l’AAH à taux plein. Dans ce cas, une AAH différentielle est versée.

b.   L’AAH : une allocation différentielle

L’allocation aux adultes handicapés étant une allocation différentielle, le bénéficiaire a droit, mensuellement, à une allocation égale, selon les cas, au douzième ou au tiers de la différence entre le montant du plafond de revenus applicable en fonction de sa situation familiale et professionnelle et celui de ses ressources. Cette allocation différentielle ne peut excéder le montant mensuel de l’AAH à taux plein. Depuis la revalorisation exceptionnelle au 1er novembre 2018, le montant maximal mensuel de l’AAH a été porté de 819 euros à 860 euros.

Des dérogations à ces règles de droit commun ont toutefois été instaurées afin d’inciter les personnes en situation de handicap à retrouver une activité professionnelle en permettant un cumul partiel avec les revenus d’activité.

– Le bénéficiaire de l’AAH peut cumuler intégralement l’allocation et ses revenus d’activité pendant une durée maximale de six mois ;

– Au-delà de cette période de six mois, l’allocataire bénéficie d’un cumul partiel, un abattement sur les revenus professionnels étant effectué, sans limitation de durée.

Abattements applicables pour le cumul entre l’AAH et les revenus professionnels

– Un abattement de 80 % est applicable pour la part de revenus inférieure ou égale à 30 % de la valeur mensuelle du SMIC, soit jusqu’à 450 euros environ ;

– 40 % pour la part de revenus supérieure à 30 % de la valeur mensuelle du Smic.

c.   Un plafond de ressources fixé au niveau du foyer

Le bénéficiaire de l’AAH ne doit pas disposer de ressources supérieures à un certain plafond. Les conditions de ressources pour bénéficier de l’AAH diffèrent selon que la personne handicapée perçoit ou non des revenus d’activité professionnelle et selon sa situation familiale.

Si la personne handicapée est sans emploi ou admise dans un ESAT, le revenu net catégoriel du foyer au cours de l’année civile de référence ([10]) ne doit pas atteindre douze fois le montant de l’AAH pour une personne seule.

Si la personne handicapée exerce une activité professionnelle, ses ressources perçues durant le trimestre de référence ne doivent pas dépasser trois fois le montant de l’AAH.

Les revenus du conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité (PACS) du bénéficiaire de l’AAH sont également pris en compte dans le plafond de ressources. Comme le souligne le rapport de notre collègue sénatrice Mme Cathy Apourceau‑Poly ([11]), « la prise en compte du foyer dans l’attribution et le calcul de l’AAH n’a pas pour effet de majorer le montant de l’AAH versé, mais d’élargir substantiellement la base du public éligible ».

B.   Compenser l’éloignement durable de l’emploi

● L’AAH occupe une place particulière dans le champ des minima sociaux.

Dès sa création, l’AAH était conçue pour subvenir aux besoins des personnes qui, du fait de leur handicap, sont durablement éloignés de l’emploi. La personne en situation de handicap doit ainsi justifier d’un de ces deux critères d’incapacité pour en bénéficier :

– soit la reconnaissance d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 % (AAH 1 prévue à l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale) ;

– soit un taux d’incapacité compris entre 50 et 79 %, assorti d’une reconnaissance d’une « restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi » (AAH 2 prévue à l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale).

L’AAH1 représente environ 60% des bénéficiaires, l’AAH2 40% environ.

À la différence d’autres minimas sociaux, tel le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés ne peut pas être conçue comme une allocation provisoire ou temporaire. Les personnes adultes étant touchées par un handicap lourd font face à une situation durable et, le plus souvent, irréversible. En cela, l’AAH doit être considérée comme une prestation de compensation de l’éloignement durable et permanent de l’emploi.

II.   Faire de l’AAH une véritable garantie d’autonomie pour les personnes en situation de handicap

A.   L’AAH peine À garantir des conditions d’existence dignes pour les personnes en situation de handicap

1.   Des revalorisations bienvenues mais biaisées pour les bénéficiaires en couple

Depuis le 1er novembre 2018, l’allocation aux adultes handicapés à taux plein, soit pour une personne ne disposant pas d’autres ressources, a été portée à 860 euros soit une hausse de 41 euros par mois. Au 1er novembre 2019, l’AAH sera portée à 900 euros par mois, soit une hausse supplémentaire de 40 euros par mois.

Or, en parallèle, des modifications substantielles des modalités d’attribution de l’AAH ont été réalisées ayant pour conséquence d’exclure les bénéficiaires en couple des effets de la revalorisation du montant de l’AAH. Alors que jusqu’au 31 octobre 2018, le plafond de ressources d’un couple comprenant un bénéficiaire de l’AAH était doublé, soit majoré de 100 %, ce plafond de ressources n’est plus majoré que de 90 % depuis le 1er novembre 2019 puis le sera de 80 % à compter du 1er novembre 2019.

Du fait de l’abaissement du plafond de ressources, les effets de la revalorisation sont neutralisés pour les bénéficiaires de l’AAH en couple créant des inégalités selon le statut familial des allocataires. Selon les chiffres de l’APF France handicap, environ 250 000 bénéficiaires de l’AAH vivent en couple. Selon les données du Gouvernement, 155 000 d’entre eux, dont le niveau de ressources cumulé est inférieur en plafond, bénéficieraient de cette revalorisation. Votre rapporteure alerte donc sur les quelques 100 000 autres bénéficiaires exclus de la revalorisation de l’AAH.

Votre rapporteure tient à souligner le fait que cette mesure soit motivée par la volonté de rapprocher les règles de prise en compte de la situation familiale de celles des autres minimas sociaux. Ce rapprochement est préoccupant en ce qu’il nie les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et porte préjudice aux bénéficiaires en couple.

2.   Les montants de l’AAH toujours trop éloignés du seuil de pauvreté

Malgré les revalorisations exceptionnelles du montant de l’AAH, porté à 900 euros fin 2019, les bénéficiaires de l’AAH à taux plein restent en deçà du seuil de pauvreté qui est de 1026 euros par mois ([12]), soit 12,3 % en dessous de ce seuil.

La suppression du complément de ressources de l’AAH, dont le montant s’élevait à 179,31 euros par mois, marque un recul social pour les personnes les plus lourdement handicapées. Fusionné avec la majoration pour la vie autonome ([13]), le montant perçu est aligné vers le bas passant ainsi à 108 euros par mois. Même en tenant compte de la revalorisation à 900 euros qui interviendra au 1er novembre 2019, la garantie de ressources n’assurera plus le franchissement du seuil de pauvreté.

B.   L’objectif de cette proposition de loi est d’individualiser l’AAH pour garantir l’autonomie des bénéficiaires

1.   Faire primer la solidarité nationale sur la solidarité familiale

La loi d’orientation de 1975 en faveur des personnes handicapées et la loi dite handicap de 2005 ont fait évoluer les mécanismes de solidarité en émancipant les personnes en situation de handicap de la solidarité familiale imposée.  La solidarité nationale a pris le relais pour garantir aux personnes handicapées des conditions de vie digne en toute autonomie notamment au travers de l’allocation aux adultes handicapées.

Or, nous assistons aujourd’hui à un retour des mécanismes de solidarité familiaux ancestraux au détriment de la solidarité nationale selon des considérations plus financières qu’humaines. Ce basculement de la solidarité nationale vers la solidarité familiale porte atteinte au droit à l’autonomie des personnes en situation de handicap qui est garanti par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées de 2006.

Votre rapporteure s’inquiète des remontées de terrain qui lui ont été faites par APF France handicap, auditionnée dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, témoignant d’une régression du respect de l’autonomie des personnes handicapées. Selon l’association APF, les formulaires de demande d’AAH de certaines CAF imposent que soient renseignées les ressources des parents du demandeur. Nous assisterions à un dangereux retour en arrière, à l’époque où étaient prises en compte les ressources de la famille et des mécanismes de récupération que votre rapporteure ne peut que condamner.

2.   S’inscrire dans la refonte à venir des minimas sociaux

Cette proposition de loi porte une vraie mesure de progrès social et d’émancipation pour les personnes en situation de handicap en individualisant le calcul de l’AAH. Ne plus dépendre des revenus de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire de PACS est la condition sine qua non du respect du droit à l’autonomie des personnes handicapées.

Elle s’inscrit également dans une réflexion plus globale sur l’évolution des prestations sociales et des minimas sociaux. La demande d’individualisation des droits est de plus en plus forte quel que soit le statut de la personne concernée.

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   Commentaires d’articles

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

Article 1er
Suppression de la majoration du plafond de cumul de l’AAH et de la rémunération garantie en ESAT lorsque le bénéficiaire est en couple

Supprimé par la commission

Dans le cadre du cumul entre la rémunération garantie et l’allocation aux adultes handicapés (AAH) pour les travailleurs en établissement et service d’aide par le travail (ESAT), cet article vise à supprimer la majoration du plafond lorsque le bénéficiaire est marié, vit en concubinage ou est lié par un pacte civil de solidarité.

I.   Le droit en vigueur

L’article L. 821‑1 du code de la sécurité sociale prévoit qu’un travailleur en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) peut cumuler sa rémunération garantie, versée par l’ESAT et par l’État, avec l’allocation adulte handicapé (AAH).

La commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ([14]) considère que le fait d’exercer une activité à caractère professionnel en ESAT par un demandeur admis au bénéfice de la rémunération garantie est compatible avec la reconnaissance d’une « restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi », assortie d’un taux d’incapacité compris entre 50 % et 79 %.

Le statut des travailleurs handicapés en ESAT

Les travailleurs handicapés accueillis en ESAT ne sont pas considérés comme des salariés, mais comme des usagers d’établissements et services médico-sociaux. Ils sont soumis à un « contrat de soutien et d’aide par le travail » lequel reprend les dispositions relatives au contrat de séjour applicables aux établissements et services sociaux et médico–sociaux (ESSMS).

Tout travailleur handicapé accueilli dans un ESAT a droit à une rémunération garantie versée par l’établissement ou le service d’aide par le travail qui l’accueille. La rémunération garantie est comprise entre 55 % et 110 % du Smic horaire.

Cette rémunération garantie se compose d’une part financée par l’ESAT, qui ne peut être inférieure à 5 % du Smic, et d’une aide au poste financée par l’État, qui ne peut être supérieure à 50,7 % du Smic.

Le bénéfice de l’AAH pour les personnes admises en ESAT est soumis à condition de ressources. L’ensemble des autres ressources perçues durant l’année civile de référence doit être inférieur à un plafond égal à douze fois le montant de l’AAH au taux plein. L’année civile de référence est l’avant-dernière année précédant la période de paiement, soit 2017 pour l’AAH en 2019.

Ce cumul entre l’AAH et la rémunération garantie est également soumis à un plafond de ressources.

– Le cumul de l’AAH avec la rémunération garantie ne peut excéder 100 % du Smic brut calculé pour 151,67 heures par mois. Cela signifie que lorsque le total de l’AAH et de la rémunération garantie excède ce montant, l’allocation est réduite en conséquence ;

– Lorsque l’allocataire est marié et non séparé ou est lié à un pacte civil de solidarité ou vit en concubinage, ce plafond est majoré de 30 %. Il est majoré de 15 % lorsque l’allocataire a un enfant ou un ascendant à sa charge.

Plafonds de cumul entre AAH et revenus d’activité en ESAT

Situation du travailleur en ESAT

Plafond de cumul applicable

Montant du plafond

Personne seule

100 % du Smic brut (base 151,7 heures par mois)

1 521,50 € par mois

Personne en couple

130 % du Smic brut

1 978 € par mois

En couple avec personne à charge

145 % du Smic brut

2 206,20 € par mois

Source : Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale

En outre, pour le calcul de l’AAH, plusieurs niveaux d’abattements sont appliqués selon le niveau de la rémunération garantie perçu par l’allocataire travaillant dans un Esat.

Abattements sur les rémunérations versées par l’ESAT
dans le calcul de l’AAH

Pourcentage d’abattement

Montant de la rémunération directe versé par l’ESAT

3,5 %

Entre 5 % et 10 % du Smic

4 %

Entre 10 % et 15 % du Smic

4,5 %

Entre 15 % et 20 % du Smic

5 %

Entre 20 % et 50 % du Smic

Source : Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale

II.   Le dispositif proposé

L’article 1er modifie le dernier alinéa de l’article L. 821‑1 du code de la sécurité sociale et vise à supprimer la majoration du plafond de cumul de l’AAH avec la rémunération garantie lorsque le bénéficiaire « est marié ou vit maritalement ou est lié par un pacte civil de solidarité ».

La majoration du plafond de cumul est toutefois maintenue lorsque le bénéficiaire a une ou plusieurs personnes à charge.

Cet article complète l’article 2 de la proposition de loi qui vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint, concubin ou partenaire lié par un Pacs dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés.

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Article 2
Suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH et de la majoration de son plafonnement

Supprimé par la commission

Cet article vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) tant pour apprécier le cumul des ressources avec l’AAH que le plafond de ressources qui aujourd’hui varie en fonction de la situation maritale du bénéficiaire.

L’objectif est d’individualiser le calcul de l’AAH afin de permettre aux personnes en situation de handicap de retrouver une certaine autonomie financière.

Le présent article vise à modifier l’article L. 821‑3 du code de la sécurité sociale relatif à la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

D’une part, l’article L. 821-3 prévoit la possibilité de cumul entre les ressources personnelles de la personne en situation de handicap et, le cas échéant, celles de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité.

D’autre part, ce même article limite ce cumul de ressources par un plafond, déterminé par décret, qui varie selon que le bénéficiaire de l’AAH est marié, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité et selon qu’il a une ou plusieurs personnes à sa charge.

Conséquences de la modification des plafonds de ressources applicables selon la situation de l’allocataire de l’AAH

Si la personne en situation de handicap exerce une activité professionnelle, ses ressources perçues durant le trimestre de référence ([15]), ne doit pas dépasser trois fois le montant de l’allocation aux adultes handicapés.

Ce plafond est majoré selon la situation matrimoniale et familiale du bénéficiaire de l’AAH.

Jusqu’au 31 octobre 2018, le plafond de ressources était doublé pour les bénéficiaires mariés et non séparés, liés par un pacte civil de solidarité ou vivant en concubinage. À compter du mois de novembre 2018, le plafond est majoré de 89 % pour les allocataires en couple.

Les plafonds de ressources applicables pour une personne isolée sont majorés de 50 % par enfant à charge.

Depuis le 1er novembre 2018, les plafonds de ressources applicables sont les suivants :

– 10 320 euros par an pour une personne seule ;

– 19 504,80 euros par an (au lieu de 20 640 euros avant le 01/11/18) pour un couple ;

– Majorés de 5 160 euros par an par enfant à charge.

Le plafond de ressources ainsi diminué a pour effet d’atténuer l’effet positif de l’augmentation du montant de l’allocation aux adultes handicapés avec la revalorisation exceptionnelle du 1er novembre 2018 portant son montant à 860 euros.

Le présent article a pour objet de supprimer, à l’article L. 821‑3 du code de la sécurité sociale, la mention des revenus du conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité.

Il vise également à supprimer la variation du plafond de ressources en fonction de la situation maritale de l’allocataire.

L’individualisation du calcul de l’allocation aux adultes handicapé, tout en améliorant la situation matérielle et financière des allocataires en couple qui bénéficieront au même titre que les autres allocataires de l’augmentation du montant de l’AAH, vise à rétablir la priorité donnée à la solidarité nationale devant la solidarité familiale.

En ce sens, cette mesure s’inscrit dans la logique de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et plus généralement de la dynamique d’individualisation des droits et prestations dans laquelle semble être engagée la réforme des minima sociaux ([16]) et de la mise en place d’une allocation de revenu unique.

Article 3
Remise d’un rapport au Parlement sur la situation des bénéficiaires de l’AAH

Supprimé par la commission

Cet article prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport sur la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

Le présent article prévoit que le Gouvernement remettra au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport sur la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’AAH.

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Article 4
Gage

Supprimé par la commission

Cet article vise à prévoir un mécanisme de compensation des charges pour les organismes de sécurité sociale et pour l’État, qui résulteraient de la mise en place des articles 1er et 2 de cette proposition de loi.

Le dispositif proposé repose sur une augmentation à due concurrence des droits pesant sur les tabacs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et qui concernent : les cigarettes, cigares, cigarillos, tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes ainsi que les autres tabacs à fumer, priser et mâcher.

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   annexes

annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

            Caisse centrale de la mutualité agricole (CCMSA)  Mme Christine Dupuy, directrice de la réglementation, et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires

            Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)  Mme Cécile Tagliana, adjointe du directeur général de la cohésion sociale et cheffe de service des politiques sociales et médico-sociales, et M. Jean Dhérot, adjoint au chef de bureau minima sociaux

            Association La Vie Active M. Guillaume Alexandre, directeur général

            Association des Paralysés de France (APF)Mme Pascale Ribes, administratrice, secrétaire d’APF France handicap, et Mme Méliné Matossian, chargée d’étude

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale

 


—  1  —

annexe n° 2 :
liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d'article

1er

Code de la sécurité sociale

L. 821-1

2

Code de la sécurité sociale

L. 821-3

 

 


([1]) Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées

([2])  Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

([3])  Études & résultats de la DREES, « Le nombre des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés a doublé depuis 1990 », numéro 1087, Octobre 2018.

([4]) Avis du CESE, « Revenu minimum social garanti », Marie-Aleth Grard et Martine Vigneau, Avril 2017

([5]) DARES, La situation professionnelle des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, Dares analyse n° 36, mai 2015

([6]) https://www.inegalites.fr/Le-handicap-expose-a-la-pauvrete-et-aux-bas-niveaux-de-vie  

([7]) à 60 % du revenu médian.  

([8]) Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019

([9]) Loi n° 75‑534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées  

([10]) Soit l’avant-dernière année précédant la période de paiement.  

([11]) http://www.senat.fr/rap/l18-044/l18-044.html

([12]) Seuil à 60 % du revenu médian

([13]) Concerne les personnes présentant un taux d’incapacité d’au moins 80 % tout en ayant la faculté de travailler

([14]) La CDAPH apprécie l’état ou le taux d’incapacité de la personne en situation de handicap justifiant l’attribution de l’AAH.

([15]) Le droit à l’AAH est examiné trimestriellement au regard des revenus perçus au cours des trois mois civils précédant la période des droits.  

([16])  « Repenser les minimas sociaux : vers une couverture socle commune », mission confiée à M. Christophe Sirugue, rapport au Premier ministre remis en avril 2016.