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N° 1697

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 20 février 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à augmenter le salaire minimum et interprofessionnel de croissance et les salaires en accompagnant les très petites entreprises et petites et moyennes entreprises,

 

VOLUME I

AVANT-PROPOS, COMMENTAIRES DARTICLES ET ANNEXES

 

 

Par M. Stéphane PEU,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1610.


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Léchec de politiques de loffre devenues synonymes de montée des inégalités et de précarisation

A. Un pouvoir dachat en berne, de plus en plus contraint et inégalement réparti

1. Le frein exercé par la stagnation des salaires et le retour de linflation

2. Le poids toujours plus important des dépenses contraintes

3. Des écarts de salaires qui ne cessent de se creuser

B. Des travailleurs devenus les grands perdants du partage des richesses

1. Un partage des richesses défavorable au travail

2. Léchec des politiques dabaissement du coût du travail

3. Des négociations salariales encore davantage affaiblies par la dérégulation du droit du travail

II. Laugmentation des salaires comme levier incontournable de pouvoir dachat et de relance économique

A. Une relance salariale attendue et bénéfique pour lensemble de léconomie

B. Un levier de croissance économique en France comme en europe

III. Lenclenchement dun nouveau cycle de partage des richesses fondé sur la revalorisation du travail et le soutien aux tpe-PME

A. Faire que le salaire paye, pour que le travail paye

B. Soutenir les TPE-PME, poumons économiques de nos territoires

COMMENTAIRES DARTICLES

Article premier Revalorisation progressive du SMIC et ouverture de négociations salariales obligatoires au niveau des branches professionnelles

I. La revalorisation du smic et des salaires : une nécessité pour redonner du pouvoir dachat aux salariés

1. Un salaire minimum dont le niveau stagne depuis des années

a. Les mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail

b. Labsence récurrente de « coup de pouce » au SMIC

2. Laugmentation du salaire minimum, a fortiori lorsquelle donne lieu à une renégociation des salaires minima conventionnels, a des effets positifs sur le niveau des salaires

II. Le dispositif proposÉ

1. Une revalorisation progressive du SMIC sur quatre ans

a. La revalorisation proposée

b. Le coût de la revalorisation du SMIC sera largement compensé pour les entreprises, en particulier pour les TPE-PME

c. Les effets attendus

2. Louverture obligatoire de négociations sur les salaires minima hiérarchiques au niveau des branches

Article 2 Suppression progressive de la réduction de 6 points de la cotisation patronale dassurance maladie

I. CICE et allÈgements de charges : des politiques dabaissement du coÛt du travail coÛteuses, dont lefficacitÉ en matiÈre demploi nest pas avérÉe

II. le droit proposé

Article 3 Fonds de soutien aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand

Article 4 Versement dune aide à la revalorisation des salaires pour les TPE-PME

I. une aide à la revalorisation des salaires pour accompagner les tpe-pme dans la hausse du smic

1. Assiette et montant de laide

2. Modalités de calcul de laide

3. Conditions de majoration

II. Le versement dune aide complémentaire pour encourager lembauche en CDI

III. Conditions de versement et de suspension des aides

1. Modalités de versement

2. Conditions de suspension du versement et du remboursement des aides indues en cas de fraude avérée

IV. Évaluation du dispositif

Article 5 Gage

annexeS

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

annexe  2 : liste des textes susceptibles dêtre abrogés ou modifiés à loccasion de lexamen de la proposition de loi


—  1  —

Avant-propos

● 82 % de la croissance économique créée dans le monde en 2017 a bénéficié aux 1 % les plus riches ([1]).

Bénéfices records, explosion des dividendes versés, nouvelles formes de concentration des richesses… ces traductions de la croissance économique n’auraient pourtant pas existé sans l’effort des travailleurs.

Ce constat est d’autant plus alarmant qu’il ne cesse de s’aggraver en France. Les entreprises du CAC 40, notamment, n’ont jamais procédé à une répartition aussi inégalitaire des richesses qu’en 2017. Couplée à un grand écart salarial, cette situation fait des travailleurs les grands perdants de la reprise économique.

L’« exception française », hier placée au service du progrès et de l’égalité, se distingue donc désormais sur le terrain du creusement des inégalités et de la précarisation des travailleurs.

● Nul ne peut se résoudre à considérer cette réalité comme une fatalité ou une nécessité – à l’exception, peut-être, des seuls privilégiés.

Inspirées par une pensée libérale largement dominante, les politiques de loffre ont été mises en œuvre en France comme chez nos voisins depuis trente ans.

Loin d’avoir entraîné un ruissellement des richesses bénéfique à l’ensemble des Français, ces politiques n’ont pas produit les effets économiques que ses soutiens avaient théorisés et se sont traduites, au contraire, par une montée des inégalités et une stagnation des salaires.

● Leur sentiment d’appauvrissement est loin d’être infondé ou théorique.

Les dernières annonces gouvernementales faisant état d’une amélioration du pouvoir d’achat reposent sur un indicateur qui retient le pouvoir d’achat brut du revenu disponible de l’ensemble des ménages. Cet indicateur n’indique néanmoins pas le poids des dépenses de consommation contraintes, dont la part dans le budget des ménages n’a cessé de croître.

Les comptes nationaux attestent ainsi d’un poids sans cesse plus lourd dans le budget des ménages de ces dépenses dites « pré-engagées », telles que le logement, l’électricité ou les télécommunications.

Un décalage substantiel en résulte, entre la précarisation constatée sur le terrain, prenant la forme de fins de mois toujours plus difficiles, et les signaux laissant croire à une illusoire relance du pouvoir d’achat.

● La stagnation continue du pouvoir d’achat est d’autant plus défavorable aux salariés qu’elle s’accompagne de nombreuses régressions en matière sociale.

Les réformes intervenues en 2016 et en 2017 ont méthodiquement affaibli la capacité des travailleurs et de leurs représentants syndicaux à agir sur la négociation des salaires, et ont espacé la périodicité maximale des négociations.

La flexibilité offerte à l’employeur, à l’inverse, s’est considérablement renforcée, que ce soit via la facilitation des licenciements économiques et des restructurations ou la limitation du coût de licenciements sans cause réelle et sérieuse.

● Ce constat rend indispensable l’ouverture immédiate d’un nouveau cycle de répartition des richesses.

Les outils pour le mettre en œuvre sont à la fois bien connus, évalués et immédiatement opérationnels. Ils doivent permettre simultanément aux salariés de renforcer leur pouvoir de négociation dans le partage de la valeur ajoutée et aux entreprises d’interroger leur responsabilité sociale dans la situation actuelle.

Le premier d’entre eux, l’augmentation du SMIC et sa répercussion sur les salaires, permettra de rattraper les effets délétères d’un pouvoir d’achat devenu le grand absent de la reprise économique (article 1er).

Pilier de la croissance économique, l’augmentation des salaires est surtout un facteur décisif de lutte contre la pauvreté au travail. Cette dernière touche chaque jour un peu plus les salariés, en particulier les femmes, les jeunes et les moins qualifiés. Loin d’être isolée, la France rejoindra ses voisins méditerranéens d’ores et déjà engagés sur le chemin de la relance salariale.

L’augmentation directe des salaires viendra se substituer aux allègements de cotisations sociales patronales, qui ont uniquement eu pour effet de déresponsabiliser les employeurs de leur mission de valorisation salariale tout en appauvrissant la Sécurité sociale. Les cotisations sociales sont des droits différés qui ne sauraient être réduites à une quelconque « charge » (article 2).

Cette politique s’accompagnera, enfin, d’un soutien déterminé aux TPE-PME, en particulier dans les outre-mer, afin de les accompagner sans les pénaliser dans le processus d’augmentation du SMIC (articles 3 et 4).

Ce nouveau cycle peut être enclenché dès aujourd’hui, par le simple vote de cette proposition de loi. Il revient désormais à la représentation nationale de prendre ses responsabilités.

I.   L’échec de politiques de l’offre devenues synonymes de montée des inégalités et de précarisation

La stagnation des salaires et le recul associé du pouvoir d’achat ne sont pas les fruits d’une conjoncture économique défavorable au travail. Ils sont la conséquence directe d’une répartition des richesses sans cesse plus favorable au capital.

Deux trajectoires doivent ainsi être analysées en parallèle : celle du pouvoir d’achat et des salaires, d’une part ; celle de la rémunération du capital, d’autre part.

A.   Un pouvoir d’achat en berne, de plus en plus contraint et inégalement réparti

1.   Le frein exercé par la stagnation des salaires et le retour de l’inflation

L’analyse du pouvoir d’achat implique de comparer la trajectoire du revenu disponible – les salaires et les prestations, auxquels on soustrait les prélèvements obligatoires – à celle de l’inflation.

● Les salaires, en premier lieu, sont enfermés dans une stagnation continue.

Alors que le salaire mensuel par tête (SMPT) a augmenté en moyenne de 1,3 % entre 2000 et 2010, et 0,8 % pour le salaire mensuel de base (SMB), un décrochage important s’observe à compter de 2010 : entre le troisième trimestre de l’année 2010 et le troisième trimestre 2018, le SMPT n’a évolué en moyenne que de 0,4 % et 0,5 % pour le SMB.

 

 

Compte tenu des mécanismes de revalorisation du SMIC, qui tiennent compte du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE), le rythme de croissance du SMIC a été divisé par dix entre les années 2000 et 2010 : le SMIC a ainsi crû de 2 % en moyenne entre 2001 et 2010, contre 0,2 % en moyenne entre 2010 et 2018.

Source : Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

● L’inflation, quant à elle, dépasse de nouveau la barre de 2 %, connaissant une augmentation supérieure à celle salaires. Elle a ainsi été multipliée par trois en deux ans.

Ce niveau d’inflation étant plus élevé que les salaires nominaux, depuis le début de l’année 2016, les gains salariaux sont quasi nuls en réel (+ 0,1 %).

Évolution de l’indice des prix à la CONSOMMATION
(France, hors Mayotte)

Source : INSEE, octobre 2018.

Selon les travaux de l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les ouvriers et employés sont les plus affectés par le ralentissement de la croissance salariale observé depuis 2010. Or, ces derniers sont également plus exposés à la crise du marché du travail, qui se traduit par une précarité accrue des contrats et une élévation du niveau du chômage.

Évolution des salaires depuis 2000

 

Salaire moyen par tête

Salaire mensuel de base

Ouvriers

+ 0,9 %

+ 0,5 %

Employés

+ 0,8 %

+ 0,4 %

Cadres

+ 0,6 %

+ 0,5 %

Professions intermédiaires

+ 0,6 %

+ 0,5 %

Source : OFCE.

● Le pouvoir d’achat en berne résulte donc de la conjugaison d’une stagnation des salaires et d’une inflation repartie à la hausse.

Retraçant l’évolution du pouvoir d’achat depuis 1996, l’INSEE met en lumière une augmentation inférieure à 1 % d’un trimestre à l’autre – voire négative sur plusieurs trimestres consécutifs.

Source : INSEE.

Cette stagnation du pouvoir d’achat se confirme aujourd’hui.

Selon les dernières données disponibles de la DARES ([2]), la croissance salariale dans les entreprises d’au moins dix salariés du secteur privé se limitera à 1,6 % en 2018.

Conjuguée à une augmentation de l’indice des prix à la consommation de 1,4 % sur cette même période, la croissance réelle des salaires en 2018 aura donc été quasi-nulle, comme l’illustre le graphique infra.

Glissement annuel des salaires et des prix à la consommation

Source : DARES et INSEE

2.   Le poids toujours plus important des dépenses contraintes

● La stagnation du pouvoir d’achat emporte des conséquences d’autant plus nocives qu’elle s’accompagne d’une augmentation de la part occupée par les dépenses contraintes – c’est-à-dire les dépenses de consommation qui devront de toute façon être payées.

Outre le pouvoir d’achat en soi, qui correspond au revenu brut disponible de l’ensemble des ménages, l’indicateur du revenu réel « arbitrable » apporte un éclairage supplémentaire.

Il correspond au revenu disponible une fois déduites les dépenses de consommation pré-engagées, et recouvre donc à titre principal les dépenses liées à l’eau et à l’énergie, aux services de télécommunications et de télévision et aux assurances.

● Sur le long terme, la part des dépenses pré-engagées est passée de 12,4 % du revenu disponible en 1959 à 29,4 % en 2017.

Le poste du logement explique les trois quarts de cette augmentation, retracée dans le graphique infra.

Dépenses de consommation des ménages pré-engagées à prix courants

Source : INSEE « L’économie française, comptes et dossiers », octobre 2018.

● Sur la dernière année, l’augmentation des prix à la consommation est particulièrement marquée pour les dépenses d’alimentation et d’énergie.

Évolution de l’indice des prix à la consommation 2017-2018

(évolutions annuelles en % ; base 100 : année 2015)

 

Pondérations 2018

Octobre 2017

Septembre 2018

Ensemble IPC*

10 000

1,1

2,2

Alimentation

1 627

1,5

2,8

- produits frais

243

4,5

11,2

- autre alimentation

1 384

1,1

1,4

Tabac

193

2,4

16,8

Énergie

777

4,8

12,8

Produits manufacturés

2 594

-0,3

-0,2

Services

4 809

1,0

1,1

Ensemble IPCH**

10 000

1,2

2,5

* : indice des prix à la consommation

** : indice des prix à la consommation harmonisé

Source : INSEE, octobre 2018.

Cet alourdissement du poids des dépenses pré-engagées constitue la principale explication de l’écart entre le constat d’appauvrissement vécu dans la réalité et l’annonce théorique d’une augmentation du pouvoir d’achat.

En définitive, d’après une étude réalisée pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES )([3]), le salaire décent pour une personne seule active logée dans le parc social s’élève à 1 424 euros, et à 3 284 euros pour un couple actif sans enfants. Ces montants s’élèvent à 1 571 euros et 3 515 euros pour des locataires du parc privé. Au regard de ces critères, le montant du SMIC en France ne permet donc pas de vivre décemment.

3.    Des écarts de salaires qui ne cessent de se creuser

● Cette stagnation du pouvoir d’achat ne doit toutefois pas être considérée comme uniforme pour l’ensemble des niveaux de revenus.

Les deux premiers budgets du quinquennat du Président de la République ont, pour l’essentiel, bénéficié aux 1 % les plus riches. Tel est le constat dressé par l’Institut des politiques publiques (IPP) lors de l’évaluation dressée à l’automne 2018.

L’injustice de la politique menée s’illustre encore davantage au sein des 1 % les plus riches. Ainsi, le dernier centile – correspondant aux 0,1 % les plus riches – apparaît comme le grand gagnant de la politique menée par le Gouvernement, leur gain de pouvoir d’achat s’élevant à 17 %.

Gain et perte de revenu disponible des ménages projetés en 2019

Source : Institut des politiques publiques, Évaluations du budget 2019, octobre 2018.

● Un grand écart salarial en résulte, augmentant d’années en années.

Se tassant à la base, les rémunérations explosent en revanche par le haut. L’écart entre la rémunération des dirigeants des grandes entreprises et celle de leurs salariés croît sans cesse.

Exemple révélateur, le PDG d’une entreprise du CAC 40 gagnait en moyenne 119 fois plus que la moyenne de ses salariés. Ce ratio, excessif en valeur absolue, l’est aussi dans sa trajectoire : il se situait à « seulement » 96 en 2009 ([4]).

B.   Des travailleurs devenus les grands perdants du partage des richesses

1.   Un partage des richesses défavorable au travail

● La stagnation du pouvoir d’achat est d’autant moins compréhensible qu’elle contraste avec une part des richesses accordées au capital toujours plus importante.

En 2016, les entreprises du CAC 40 ont versé deux tiers de leurs bénéfices aux actionnaires, sous la forme de dividendes. Alors qu’il s’élevait à 27 % en 2000, ce taux n’a cessé d’augmenter par la suite.

L’essentiel des bénéfices restants (27,3 %) ont été consacrés aux réinvestissements, seuls 5,3 % étant versés aux salariés sous la forme de primes.

Au total, depuis 2009, l’augmentation de la rémunération des salariés aura été quatre fois inférieure à celle des actionnaires.

Une telle disproportion n’est d’ailleurs pas la norme en Europe. Les dividendes versés par les plus grandes entreprises françaises – 51 milliards d’euros en 2017 – dépassent l’ensemble de nos voisins d’Europe continentale. À titre de comparaison, les grandes entreprises allemandes ont versé cette même année 33 milliards d’euros de dividendes.

● Un partage aussi inégal n’est pourtant pas une fatalité, et implique d’ouvrir le débat relatif au partage de la valeur ajoutée.

Ce débat doit être mené par les acteurs du dialogue social de terrain, via les négociations de branche sur les salaires et les négociations d’entreprise sur les rémunérations et le partage de la valeur ajoutée.

Il doit également l’être à l’échelle nationale, dans le cadre de la définition d’un nouveau projet social où les privilégiés de la mondialisation ne feraient plus sécession avec le corps social.

S’appuyant sur une productivité intensive en travail, la relance du pouvoir d’achat peut aller de pair avec celle des gains de productivité, sans qu’il soit nécessaire d’opposer la première aux seconds.

Le pari d’une relance par les salaires et la productivité doit donc être fait, afin de replacer la justice sociale au-dessus des pouvoirs économiques et financiers.

2.   L’échec des politiques d’abaissement du coût du travail

● Les vagues d’allègements de cotisations sociales se succèdent depuis 1993 sans que leur effet sur l’emploi ou l’activité ne fasse l’objet d’un consensus.

Si certaines évaluations ont pu conclure à des créations d’emplois, elles sont pour la plupart contestables dans leurs résultats, tant les données et les résultats laissent apparaître un manque de « robustesse ». À titre d’exemple, les créations d’emploi constatées à partir de la fin des années 1990 – près de 350 000 – pourraient bien davantage relever de la réduction du temps de travail que des allègements de cotisations.

Est robuste, en revanche, la répercussion d’une part importante des montants engagés dans les marges des entreprises. Dans son analyse de 2015, l’Institut des politiques publiques (IPP) fait ainsi état d’une transmission significative de la baisse du coût du travail dans l’augmentation du taux de marge.

Il en résulte un constat alarmant, dont nul ne peut se satisfaire : « Notre analyse empirique a montré de fortes répercussions de la réduction des charges sociales sur le taux de profit, mais peu deffets robustes sur la croissance de lemploi et des entreprises en général » ([5]).

Un constat identique est dressé par la CFDT, dans sa contribution au dernier rapport du groupe d’experts sur le SMIC, explicite à sa seule lecture : « Le coût du travail au niveau du salaire minimum en France est redevenu compétitif vis-à-vis de nos principaux partenaires européens (en 2017 : 18 941 € brut chargé pour la France, 21 468 € pour lAllemagne […]) sans pour autant susciter une vague de création demplois comme les défenseurs de lapproche par le coût du travail le promettaient il y a peu » ([6]).

● Quelles que soient leurs conséquences, ces politiques sont extrêmement coûteuses et reviennent à consacrer une part substantielle des moyens budgétaires à des dispositifs dont les résultats restent contestés.

L’annexe 5 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 ([7]) chiffre ainsi à 63,1 milliards d’euros le coût total des mesures d’exonérations sur le champ des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Elles reviennent à engager des sommes considérables sans qu’aucune évaluation globale ne soit exigée ou simplement disponible. Les structures mises en place à l’occasion du CICE – avec notamment un comité de suivi à l’échelle nationale – permettent de disposer d’une évaluation ne distinguant par exemple pas les emplois créés des emplois dits « sauvegardés », et restent prudents dans les effets constatés. Les conséquences des allègements de cotisations sur l’appareil productif, la formation ou les investissements ne sont absolument pas documentées.

La LFSS pour 2019 en a encore davantage renforcé le coût, au point de pousser le processus de suppression des cotisations sociales patronales à son terme – ces dernières seront nulles au niveau du SMIC à compter du 1er octobre 2019.

L’absence de toute évaluation rigoureuse et globale de ces politiques extrêmement coûteuses contredit donc toute règle de bonne gestion publique et laisse aujourd’hui très ouvert le débat sur l’effet réel des politiques d’allègements de cotisations conduites depuis trois décennies.

● L’échec des politiques d’abaissement du coût du travail place la France dans une double impasse :

– l’impasse des trappes à bas salaires, d’une part, incitant les employeurs à maintenir la rémunération à un niveau ouvrant droit aux exonérations. Les salariés sont alors enfermés malgré eux dans de faibles niveaux de salaires et de qualifications ;

– l’impasse de pertes de recettes devenues systématiques pour la sécurité sociale, devenue dépendante des compensations ou non par l’État.

Cette impasse se double d’une polarisation toujours plus forte du marché du travail, conduisant la France à rejoindre la triste situation des États-Unis ou du Royaume-Uni dans ce domaine.

3.   Des négociations salariales encore davantage affaiblies par la dérégulation du droit du travail

La précarisation des travailleurs est d’autant plus inquiétante qu’elle risque d’être aggravée par le nouveau droit du travail applicable depuis les ordonnances du 22 septembre 2017 ratifiées par la loi du 29 mars 2018 ([8]).

Trois éléments doivent plus précisément retenir l’attention.

D’une part, il revient désormais aux partenaires sociaux de définir, via la négociation d’un accord de méthode, les négociations obligatoires au sein de l’entreprise et de la branche. Certaines priorités pourront donc être écartées ou oubliées dans l’accord de méthode, telle que la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Or, cette négociation est un facteur clef de progression salariale des femmes, en première ligne sur le terrain des contrats précaires et des durées réduites de travail à l’origine de bas salaires. Ce risque avait d’ailleurs été souligné par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) relatif aux ordonnances précitées.

D’autre part, ces mêmes ordonnances ont espacé de trois à quatre ans la durée maximale de négociation de branche sur les salaires pouvant être définie par accord. Cette négociation n’est donc annuelle que par défaut, en l’absence d’accord. Il en va de même pour la négociation d’entreprise relative à la rémunération, au temps de travail et au partage de la valeur ajoutée. La périodicité maximale négociée par accord est portée de trois à quatre ans, et ne sera annuelle qu’en l’absence d’accord.

Enfin, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont souhaité déconcentrer les négociations au niveau de l’entreprise, diminuant de facto le rôle protecteur des branches professionnelles, notamment en matière de salaires.

Il résulte de ces modifications législatives une forte dégradation du pouvoir de négociation salariale, en particulier dans les petites entreprises, où les négociations ne peuvent être conduites à armes égales entre l’employeur et ses salariés, ces derniers étant le plus souvent peu aguerris à la pratique de la négociation de facto, seuls 12 000 accords ont été conclus en 2017.

Le sentiment d’impuissance des salariés né de la déconcentration de la négociation sur les rémunérations au niveau de l’entreprise est, d’après le sociologue M. Yann Le Lann, auditionné par le rapporteur, l’une des principaux facteurs d’explication de l’émergence des gilets jaunes : les travailleurs, appauvris dans le partage de la valeur ajoutée, le sont en effet désormais également dans leurs capacités de négociation sur ce partage.

II.   L’augmentation des salaires comme levier incontournable de pouvoir d’achat et de relance économique

La demande de revalorisation du travail et des salaires qui le rémunèrent est aujourd’hui unanime, appuyée par l’ensemble du corps social.

Le débat politique doit donc se concentrer sur les moyens de satisfaire cette demande, au bénéfice du plus grand nombre de travailleurs.

A.   Une relance salariale attendue et bénéfique pour l’ensemble de l’économie

Les effets d’une augmentation du SMIC sur l’emploi restent, aujourd’hui encore, largement débattus et soumis à précaution.

Loin du consensus dessiné par les théories libérales, écartant d’un revers de main tout scénario de relance salariale, la relation entre les salaires et l’emploi est ambivalente et sujette à caution.

Dans une étude publiée en 2012, à l’occasion du dernier « coup de pouce » au SMIC, les économistes Éric Heyer et Mathieu Plane ([9]) ont analysé les effets d’une telle augmentation sur le coût du travail et les comptes publics. Ils concluent à une création d’emploi pour les salaires au-dessus du SMIC, résultant d’un coût du travail abaissé par le renforcement de l’allègement de charges (cf. encadré infra).

La revalorisation des salaires constituerait donc un gain immédiat de pouvoir d’achat pour les travailleurs et un soutien direct à l’activité économique. Loin du postulat dessiné par les thèses libérales, cette revalorisation s’accompagnerait d’un effet différencié sur l’emploi selon le niveau de rémunération.

Impact sur l’emploi d’une hausse du SMIC de 1 % selon les déciles de salaires

(en milliers demplois)

Source : OFCE.

Dans un pays où le salaire minimum n’a connu aucun « coup de pouce » en dix ans, à l’exception de 2012, nul ne peut faire du niveau du SMIC le responsable des destructions d’emplois connues ces dernières années.

La France est d’ailleurs loin d’être le pays disposant du salaire minimum le plus élevé en Europe. Selon Eurostat, elle occupe en 2018 la cinquième position, ex aequo avec l’Allemagne, derrière le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique.

À tout prendre, le pari d’une relance économique par la revalorisation des salaires doit donc être étudié avec sérieux, comme l’ont d’ores et déjà constaté plusieurs de nos voisins européens.

Les conséquences économiques dun coup de pouce au SMIC selon lOFCE

Publiée le 17 juillet 2012, l’étude de l’OFCE analyse les effets multiples d’un coup de pouce au SMIC, dépendant principalement de la diffusion de l’augmentation sur la pyramide des autres salaires.

Les effets de la hausse du SMIC sont projetés à la fois sur les salaires, le niveau des allègements de charges, l’emploi et les finances publiques.

S’agissant des salaires, l’effet est considéré comme maximal pour le 1er décile de salaire, puis s’établit à + 2,2 % pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, avant de s’annuler au-delà. Au total, une augmentation de 1 % du SMIC entraînerait une augmentation de l’ensemble des salaires du secteur marchand de 0,1 %.

S’agissant du niveau des charges, le profil dégressif des allègements de cotisations patronales revient à en renforcer le niveau une fois le SMIC augmenté. Pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, le gain issu de l’allègement de cotisations serait supérieur au coût du complément de salaire versé par l’employeur. Une baisse du coût du travail est alors constatée. Au-delà du 6e décile, ces effets seraient nuls.

S’agissant de l’emploi, un choc de demande favorable aux salariés est à mettre en regard avec le choc d’offre défavorable aux chefs d’entreprise. Le premier, se traduisant par une relance de la consommation, s’accompagnerait de la création de 11 500 emplois. Le second, correspondant à une augmentation du coût du travail, entraînerait la destruction de 26 000 emplois. L’effet précité relatif aux allègements de cotisations viendrait néanmoins atténuer cette projection. Le nombre de destructions d’emplois occasionnées par une augmentation de 1 % du SMIC, à l’horizon d’un an, passerait de 14 500 à 2 100.

Il s’agit donc d’un effet quasi-neutre sur l’emploi, ce nombre pouvant être assimilé à la marge d’erreur.

S’agissant des finances publiques, enfin, cette même augmentation du SMIC dégraderait le solde public de 0,02 point de PIB à l’horizon d’un an.

D’autres études concluent également à l’absence d’effets négatifs d’une augmentation du SMIC sur l’emploi – voire à un effet de création d’emplois. Dans la lignée des travaux conduits par MM. David Card et Alain Krueger ([10]), une étude de M. Arindrajit Dube & al. ([11]) témoigne d’une création d’emplois mesurée dans 138 cas de hausses significatives du salaire minimum aux États-Unis entre 1979 et 2016.

L’affirmation sans débat ni chiffres d’une augmentation du SMIC nuisible à l’emploi doit donc, à tout le moins, être nuancée et débattue.

B.   Un levier de croissance économique en France comme en europe

● L’engagement en France d’une politique de relance salariale serait loin d’être un exemple isolé en Europe.

L’Espagne a ainsi fait le choix d’augmenter le salaire minimum de 22 % en 2019.

Au Portugal, également, le salaire minimum a augmenté de 3,4 % au 1er janvier 2019. Depuis 2015, les augmentations cumulées du SMIC auront atteint 18,8 %.

L’Allemagne, quant à elle, a mis fin à une triste exception en instaurant en 2015 un SMIC légal. Les effets négatifs sur l’emploi ou l’activité économique, avancés pendant tant d’années par les pourfendeurs d’un tel outil, n’ont pas été constatés.

● Au-delà des revalorisations salariales décidées dans chaque État, le débat relatif à la création d’un « SMIC européen » doit également être mené à son terme.

Son principe fait aujourd’hui largement consensus chez les représentants des travailleurs, tels qu’ils se sont exprimés lors des auditions du rapporteur.

Ses modalités d’application, en revanche, restent à préciser. Plutôt qu’un SMIC unique, applicable sans distinction, une fixation en fonction d’un autre indicateur apparaîtrait plus proche des réalités de chaque État.

Un SMIC en proportion du salaire médian constaté dans l’État-membre, par exemple, est l’une des solutions les plus pertinentes.

● La définition d’un salaire minimum apte à « satisfaire les besoins des travailleurs et de leur famille » a d’ailleurs été consacrée dans le socle européen des droits sociaux.

Proclamé par les dirigeants de l’Union européenne le 17 novembre 2017, lors du sommet social tenu à Göteborg, en Suède, ce socle contient une série d’engagements devant enclencher une convergence sociale par le haut.

Seul un SMIC européen pourra néanmoins concrétiser sans attendre cette convergence, et garantir à chaque travailleur une vie décente.

Il s’agit désormais de passer des déclarations aux actes.

III.   L’enclenchement d’un nouveau cycle de partage des richesses fondé sur la revalorisation du travail et le soutien aux tpe-PME

L’ouverture d’un nouveau cycle de partage des richesses entre le travail et le capital est aujourd’hui indispensable. Répondant à la demande de revalorisation du travail exprimée par le corps social, ce nouveau partage permettra d’interrompre le processus de précarisation des travailleurs et de répartir équitablement les fruits de la croissance économique.

A.   Faire que le salaire paye, pour que le travail paye

● L’augmentation des salaires constitue à la fois l’attente la plus forte exprimée dans le mouvement des gilets jaunes et l’outil le plus fondamental de revalorisation du travail.

Les politiques conduites depuis les premiers allègements de charges, dans les années 1990, ont voulu revaloriser le travail tout en désocialisant les salaires. La contradiction de cette approche ne peut plus être écartée.

Vouloir que le travail paye sans que le salaire paye est illusoire.

D’ailleurs, la prime d’activité privilégiée par le Gouvernement pour revaloriser le pouvoir d’achat va résolument à l’encontre de cet objectif. Pire, en intervenant à la place d’employeurs défaillants pour compléter les bas salaires via ce dispositif, l’État méconnait la valeur du travail et soumet les salariés à des variations de revenus incontrôlées, car dépendantes des charges de famille.

Plutôt qu’une course sans limite vers la suppression de toute cotisation, il convient de réaffirmer l’attachement à une sécurité sociale assise sur le travail et financée tant par le salarié que par l’employeur.

Tel est l’objectif de l’article 1er, qui fait le choix d’une augmentation directe du SMIC – se répercutant sur l’échelle des salaires via les négociations salariales – plutôt que d’une nouvelle et inefficace politique d’allègement de cotisations.

● Les TPE-PME seront les premières bénéficiaires de la revalorisation du niveau général des salaires.

Elles emploient la majeure partie des 2 millions de salariés du secteur privé percevant le SMIC, jusqu’à deux fois plus que les entreprises de plus de 500 salariés.

La proportion des bénéficiaires du SMIC tend d’ailleurs à s’accroître parmi les activités qui concentrent les emplois les plus précaires, lesquelles sont fortement représentées au sein des TPE-PME ([12]). Ainsi, au 1er janvier 2018, la proportion des salariés directement concernés a davantage progressé dans les TPE que dans les autres entreprises ([13]).

Les TPE-PME sont également les plus nombreuses à recourir aux différentes formes d’emploi précaires – contrats à durée déterminée, emplois aidés, temps partiels. Or, la part des salariés percevant le SMIC est trois fois plus élevée parmi ceux qui travaillent à temps partiel ([14]).

Réaffirmer la valeur du travail se traduit donc nécessairement par un soutien particulier apporté aux plus petites entreprises.

● La suppression progressive, par l’article 2, de l’allègement de la cotisation patronale de 6 points – dernier né des dispositifs inefficaces d’allègements de charges permettra de mettre fin à une politique coûteuse et d’ores et déjà vouée à l’échec, tout en dégageant des marges de manœuvre pour accompagner les entreprises en ayant besoin compte tenu de la revalorisation du SMIC.

B.   Soutenir les TPE-PME, poumons économiques de nos territoires

● Les TPE-PME sont au cœur du tissu économique de notre pays et occupent une place prépondérante dans l’emploi salarié du secteur privé.

Sur les 4,2 millions d’entreprises privées dénombrées en France en 2016, près de 96,5 % d’entre elles emploient moins de 250 salariés dont 3,9 millions microentreprises et 135 000 PME ([15]). Parmi les 690 000 entreprises créées en 2018, plus de 300 000 sont d’ailleurs des microentreprises ([16]). Au total, les TPE‑PME emploient ainsi plus de 6 millions de salariés et représentent près de la moitié des emplois salariés dans le secteur tertiaire marchand, à hauteur d’environ 20 % pour les TPE et de 30 % pour les PME ([17]).

Ces entreprises sont fortement représentées dans les secteurs peu concentrés, tels que le commerce, l’hôtellerie-restauration ou la construction. Il s’agit principalement d’activités de proximité, essentielles à l’économie locale et ne pouvant être délocalisées : ainsi, près de 40 % des salariés des TPE exercent une activité artisanale.

De nombreuses PME se sont par ailleurs tournées avec succès vers l’industrie, les activités scientifiques et techniques. En parallèle de leur ancrage territorial, 32 % d’entre elles exportent leur production hors des frontières et assurent ainsi leur croissance grâce aux marchés internationaux ([18]).

Elles réalisent en outre 43 % de la valeur ajoutée des entreprises des secteurs marchands non agricoles et non financier ([19]) : leur rôle moteur dans le développement économique français mérite d’être pleinement valorisé.

● Pourtant, les TPE-PME sont davantage confrontées à des difficultés de financement de leurs projets d’investissement.

En raison de leur taille, de leur difficulté à mobiliser des fonds propres et du caractère récent et risqué de leur projet de développement, elles rencontrent des difficultés structurelles de financement auprès du système bancaire comme des investisseurs privés. Si les entreprises les plus importantes sont près de 96 % à investir, cette proportion chute ainsi à 61 % parmi celles qui emploient moins de 10 salariés.

Les montants investis par les plus petites entreprises sont également les plus faibles. Si le montant investi médian des entreprises de plus de 250 salariés s’élève à 2,3 millions d’euros, il est bien inférieur pour les PME (400 000 euros) et les TPE (60 000 euros) ([20]). Le caractère amont de leur développement nécessite pourtant des apports financiers importants que le secteur privé n’est pas toujours en mesure de leur offrir.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent « reprendre la main » et donner aux TPE-PME les moyens d’assurer durablement leur croissance économique.

● L’accompagnement et le soutien des TPE-PME doivent en conséquence être placés au rang des priorités économiques qui favoriseront sans attendre l’augmentation de l’activité et la création d’emplois.

Outre l’augmentation du SMIC, qui soutiendra la demande et nourrira donc les carnets de commandes de ces entreprises, la proposition de loi mobilise deux outils à destination directe des TPE-PME.

Le fonds de soutien aux TPE-PME, en premier lieu, créé par l’article 3, apportera des solutions financières concrètes, par exemple via des aides directes ou des prêts à taux zéro. S’appuyant sur les acteurs territoriaux, et en coordination avec les acteurs du système public bancaire, ce fonds bénéficiera également aux acteurs du secteur tertiaire non-marchand et soutiendra ainsi également les acteurs du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire. Il intégrera une clause anti-abus visant à empêcher le bénéfice de ces fonds au seul titre d’un montage constitué à cette fin.

En second lieu, l’aide publique directe aux TPE-PME, créée par l’article 4, viendra compenser le coût supporté par l’employeur au titre de l’augmentation progressive du SMIC. Cette subvention directe compensera également compenser la suppression de la transformation du CICE en allègement de cotisations sociales patronales, et pourra, en outre, venir valoriser la sécurisation des contrats, par exemple au titre du passage d’un salarié du CDD au CDI.

L’ensemble de ces dispositifs à destination des TPE-PME prendront en compte l’urgence économique des outre-mer, et seront en conséquence majorés dans ces territoires.

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   COMMENTAIRES D’ARTICLES

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de la proposition de loi.

Article premier
Revalorisation progressive du SMIC et ouverture de négociations salariales obligatoires au niveau des branches professionnelles

Supprimé par la commission

Cet article propose le relèvement progressif du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en quatre étapes, échelonnées entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2022.

En outre, pour inciter l’ensemble des secteurs d’activité à relever l’échelle des salaires, cet article invite les branches professionnelles à engager des négociations sur la question des salaires minima hiérarchiques, dans un délai d’un an à compter de la publication de cette loi.

I.   La revalorisation du smic et des salaires : une nécessité pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés

1.   Un salaire minimum dont le niveau stagne depuis des années

Selon l’article L. 3231-2 du code du travail, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est censé assuré aux travailleurs dont les rémunérations sont les plus faibles « la garantie de leur pouvoir dachat », ainsi que « la participation au développement économique de la nation ». Pourtant, faute de revalorisation significative du SMIC depuis des années, cet objectif est loin d’être atteint.

a.   Les mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail

Afin de garantir – en théorie – le pouvoir d’achat des salariés et la participation au développement économique de la nation, le code du travail prévoit plusieurs mécanismes de revalorisation du SMIC :

 en premier lieu, au titre de la garantie du pouvoir d’achat des salariés, le SMIC est indexé sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation. Ainsi, chaque augmentation d’au moins 2 % de l’indice national des prix à la consommation est automatiquement suivie d’un relèvement du SMIC dans les mêmes proportions (articles L. 3231-4 et L. 3231-5 du code du travail) ;

 en outre, au titre de la participation des salariés au développement économique de la nation, le taux du salaire minimum de croissance est obligatoirement révisé et fixé chaque année par décret, avec effet au 1er janvier, pour tenir compte de l’évolution de l’économie et de la conjoncture (articles L. 3231-6 et L. 3231-7 du même code). Cette revalorisation ne peut être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère chargé du travail (article L. 3231-8 du même code). Ainsi, le SMIC augmente automatiquement au 1er janvier sous l’effet combiné de l’inflation et de la moitié de la hausse du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE) ;

 enfin, en cours d’année, le Gouvernement peut décider de manière discrétionnaire de donner un « coup de pouce » supplémentaire au SMIC, en le portant à un niveau supérieur à celui qui résulterait de la seule évolution des prix (article L. 3231-10 du même code). Le cas échéant, ces améliorations du pouvoir d’achat sont prises en compte pour l’application de la règle fixée à l’article L. 3231-8 : cette règle revient donc, le plus souvent, à amoindrir, voire annuler les effets d’une hypothétique revalorisation en cours d’année.

b.   L’absence récurrente de « coup de pouce » au SMIC 

En pratique, de tels « coups de pouce » apportés en cours d’année au SMIC sont rarissimes : au cours des dix dernières années, le salaire minimum n’a été revalorisé qu’une seule fois à titre exceptionnel, le 1er juillet 2012, pour une hausse limitée à 0,6 %.

Le groupe d’experts sur le SMIC, dont la composition est largement sujette à caution, porte sans doute une importante part de la responsabilité dans cette stagnation du SMIC. Année après année, les rapports du groupe d’experts recommandent en effet inlassablement une revalorisation de la prime d’activité, au détriment du SMIC, alors même que les données utilisées pour motiver cette décision ne sont pas comparables. Dans son rapport annuel 2017 ([21]), par exemple, le groupe d’experts estime qu’une revalorisation de 2,6 % de la prime d’activité serait préférable à une augmentation du SMIC de 1 %... mais le groupe ne fournit aucun chiffrage pour une hausse du SMIC à hauteur de 2,6 %.

Quelles que soient les raisons de cette absence de coup de pouce, l’évolution du SMIC horaire brut depuis une décennie est très faible : il s’établit au 1er janvier 2019 à 10,03 euros, contre 8,82 euros au 1er janvier 2009, soit seulement 12 % d’évolution en dix ans.

Évolution du Taux horaire du SMIC brut depuis 2009

Date deffet

SMIC horaire

Date deffet

SMIC horaire

Au 01-01-2018

9,88 €

Au 01-07-2012

9,40 €

Au 01-01-2017

9,76 €

Au 01-01-2012

9,22 €

Au 01-01-2016

9,67 €

Au 01-12-2011

9,19 €

Au 01-01-2015

9,61 €

Au 01-01-2011

9,00 €

Au 01-01-2014

9,53 €

Au 01-01-2010

8,86 €

Au 01-01-2013

9,43 €

Au 01-07-2009

8,82 €

Source : Commission des affaires sociales.

Pour un salarié travaillant 35 heures par semaine, le niveau du smic brut mensuel s’élève donc à 1 521,22 euros au 1er janvier 2019.

2.   L’augmentation du salaire minimum, a fortiori lorsqu’elle donne lieu à une renégociation des salaires minima conventionnels, a des effets positifs sur le niveau des salaires

L’absence de « coup de pouce » ampute directement le pouvoir d’achat des travailleurs au SMIC. En équivalent net, le SMIC s’élève ainsi à 62 % du revenu médian, soit à peine plus que le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian. Par comparaison, le salaire minimum portugais correspond à 64 % du salaire médian  ([22]).

Du reste, cette précarisation des salariés au SMIC affecte des catégories de salariés d’ores et déjà fragilisées par ailleurs : ainsi, 21,1 % des travailleurs à temps partiel sont rémunérés au SMIC – contre 5,9 % pour les emplois à temps complet. De même, 21,1 % des emplois en contrat à durée déterminée (CDD) sont rémunérés sur la base du SMIC, contre 7,6 % des emplois en contrat à durée indéterminée (CDI). Les jeunes de moins de 25 ans sont également particulièrement concernés par la stagnation du SMIC – 28,1 % d’entre eux sont rémunérés au SMIC, contre 6,6 % des salariés de 30 à 39 ans –, de même que les femmes : 12,7 % des salariées sont au SMIC, contre 5,5 % des hommes ([23]).

La stagnation du niveau du salaire minimum est d’autant plus regrettable que plusieurs études ont démontré que l’augmentation du SMIC a un effet positif sur l’ensemble de l’échelle des salaires même si l’effet est plus prononcé sur les bas salaires , et ce à plus forte raison lorsque l’augmentation du SMIC donne lieu à une renégociation des accords collectifs sur les salaires.

Les mécanismes collectifs de revalorisation salariale interviennent en effet à plusieurs niveaux :

 au niveau national, le SMIC est revalorisé au moins une fois par an par l’État, en application du mécanisme prévu à l’article L. 3231-6 du code du travail ;

 au niveau des branches professionnelles, les partenaires sociaux représentatifs au niveau de la branche peuvent définir les salaires minima applicables à chaque niveau de la classification des métiers représentatifs dans leur convention collective. En application du 1° de l’article L. 2253-1 du code du travail, la définition des garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques relève en effet légalement de la primauté de l’accord de branche ; un accord d’entreprise ne peut y déroger qu’à la condition d’assurer des garanties « au moins équivalentes ». Ces salaires minima – dits « conventionnels » ou « hiérarchiques » – ne peuvent être inférieurs au SMIC ;

enfin, une négociation sur les salaires effectifs doit se tenir au moins une fois tous les quatre ans dans les entreprises d’au moins cinquante salariés où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales (article L. 2242-1 du même code).

En principe, le SMIC et les minima conventionnels n’affectent les salaires individuels qu’en cas de rattrapage, c’est-à-dire lorsque les salaires se situent en dessous de ces montants « planchers » : ils doivent en effet être mécaniquement relevés, sous peine d’illégalité. Mais l’on constate dans les faits que la revalorisation de ces salaires planchers se répercute fréquemment sur les salaires plus élevés.

Plusieurs économistes expliquaient ainsi, dans une note publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de juillet 2018 ([24]), que les hausses de salaires référentiels collectifs ont des effets significatifs sur les salaires individuels : « une hausse de 1 % du SMIC par exemple un coup de pouce au moment dune revalorisation déjà prévue, ce qui correspondrait à un choc sur le SMIC réel entraîne une augmentation moyenne des salaires de base de 0,08 % un an après le choc ».

L’effet de la négociation collective, qu’elle soit de branche ou d’entreprise, est également positif sur le niveau des salaires individuels : ainsi, « la probabilité que le salaire individuel change est augmentée de 2,1 points lorsque les minima conventionnels augmentent de 1 % et de 11,0 points quand un accord dentreprise est conclu ». La hausse de 1 % des minima conventionnels de branche se traduit, selon les mêmes auteurs, par une augmentation de 0,13 % des salaires de base.

Par un effet domino, tous les salariés bénéficieraient ainsi d’une revalorisation du SMIC et de la négociation sur les minima conventionnels.

II.   Le dispositif proposÉ

Compte tenu des effets positifs du relèvement du salaire minimum tant sur le pouvoir d’achat des salariés rémunérés à ce niveau plancher que sur l’ensemble de l’échelle des salaires, cet article propose, d’une part, de relever progressivement le niveau du SMIC et, d’autre part, d’obliger les branches à ouvrir des négociations sur les salaires minima hiérarchiques, pour tirer les conséquences de la hausse du SMIC sur les salaires.

1.   Une revalorisation progressive du SMIC sur quatre ans

a.   La revalorisation proposée

Le I de cet article vise à revaloriser significativement le montant du SMIC mensuel brut, de 1 521,22 euros à 1 800 euros bruts mensuels, d’ici à 2022.

Il complète à cette fin l’article L. 3231-4 du code du travail, en proposant une augmentation en quatre temps du montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l’indexation prévue au même article. Le montant du SMIC mensuel brut ne pourrait ainsi être inférieur à :

1 620 euros au 1er juillet 2019 ;

1 680 euros au 1er janvier 2020 ;

1 740 euros au 1er janvier 2021 ;

1 800 euros au 1er janvier 2022.

Ainsi, dès l’été 2019, les salariés au SMIC verraient leur fiche de paie augmentée d’une centaine d’euros bruts : une mesure simple et efficace, qui correspond à une vraie revalorisation du pouvoir d’achat de ces travailleurs précaires.

Ces nouveaux montants serviraient de référence pour le calcul de l’indexation prévue à l’article L. 3231-4 du code du travail et, par cohérence, pour l’application de l’ensemble des mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail.

Le tableau ci-après indique les montants horaires bruts correspondant aux montants mensuels bruts proposés : la revalorisation correspond ainsi à une hausse de près de deux euros bruts de l’heure en quatre ans.

Équivalence SMIC mensuel et SMIC horaire brut

 

 

SMIC mensuel brut

Équivalence en SMIC horaire brut

Pourcentage dévolution

Montant observé

Au 1er janvier 2019

1 521,22 €

10,03 €

Montants proposés

Au 1er juillet 2019

1 620 €

10,68 €

+ 6,5 %

Au 1er janvier 2020

1 680 €

11,08 €

+ 3,5 %

Au 1er janvier 2021

1 740 €

11,47 €

+ 3,4 %

Au 1er janvier 2022

1 800 €

11,87 €

+ 3,4 %

Source : Commission des affaires sociales.

b.   Le coût de la revalorisation du SMIC sera largement compensé pour les entreprises, en particulier pour les TPE-PME

L’augmentation du SMIC par étapes jusqu’à 2022 représente un coût pour les entreprises, que le rapporteur tient toutefois à relativiser au regard du montant important des aides publiques dont celles-ci bénéficient, sans que ces aides soient liées à une quelconque conditionnalité en termes d’embauches ou d’investissements.

Depuis 2013, quelle que soit leur taille, les entreprises bénéficient en effet du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), au titre des rémunérations versées inférieures à 2,5 SMIC. Depuis sa mise en œuvre, ce dispositif très lucratif pour les entreprises représente un coût de plus de 20 milliards d’euros par an pour l’État.

Au 1er janvier 2019, le CICE est remplacé par une diminution de la cotisation patronale de six points, mais continuera de produire ses effets de telle sorte que les deux dispositifs se cumuleront en 2019 et, dans une moindre mesure, jusqu’en 2022 (cf. commentaire de l’article 2). Si, pour l’État, le coût de cette transition sera exorbitant en 2019 de l’ordre de 40 milliards d’euros , pour les entreprises, le gain est double : elles bénéficieront cette année non seulement du crédit d’impôt, mais aussi de la baisse des cotisations sociales patronales, sans aucune conditionnalité en termes d’emploi ou d’investissement.

En attendant la suppression progressive de ces aides, proposée à l’article 2 de cette proposition de loi, le rapporteur considère que la revalorisation du SMIC proposée au présent article serait amplement couverte, pour l’année 2019, par les aides octroyées par l’État aux entreprises dans le cadre du CICE et de la diminution de la cotisation patronale qui s’y substitue depuis 2019. Ainsi, le surcoût correspondant à la revalorisation du SMIC de 98,78 euros au 1er juillet 2019 représentera sur l’ensemble de l’année 2019 un montant cumulé de 592,68 euros, pour un salarié employé au SMIC. Or, le montant d’aide cumulé versé pour ce même salarié est près de quatre fois plus élevé, puisqu’il s’établit à 2 261,68 euros (dont la moitié correspondant au CICE et la moitié correspondant à l’allègement de cotisations patronales de six points).

À compter de 2020, toutefois, les aides versées ne compenseront plus que partiellement la hausse de la revalorisation du SMIC, compte tenu des dispositions de l’article 2 de cette proposition de loi qui réduit la baisse de cotisations patronales. Or, cette non-compensation partielle peut s’avérer problématique pour les très petites entreprises (TPE) au sein desquelles les salariés rémunérés au SMIC sont surreprésentés mais également pour les petites et moyennes entreprises (PME).

Aussi, dès 2020, la revalorisation du SMIC sera compensée, pour les entreprises ou structures du secteur tertiaire non marchand de moins de 250 salariés, par l’aide à la revalorisation des salaires créée par l’article 4 de cette proposition de loi, ainsi que par les aides complémentaires susceptibles d’être versées par le fonds de soutien créé à l’article 3.

c.   Les effets attendus

Dès le 1er juillet 2019, environ deux millions de salariés du secteur privé rémunérés au niveau du SMIC ([25]) soit un salarié sur dix bénéficieront de la revalorisation du SMIC prévue au présent article.

Les employeurs sont, en outre, tenus de revaloriser immédiatement les salaires individuels lorsque ceux-ci sont rattrapés par une hausse du SMIC. Aussi, grâce au relèvement du salaire minimum prévu au présent article, les salariés du secteur privé dont le salaire brut mensuel est situé entre le niveau du SMIC fixé au 1er janvier 2019 et les nouveaux montants mensuels bruts prévus par cet article bénéficieront également d’une hausse de leur rémunération. Par exemple, un salarié rémunéré 1 700 euros bruts par mois verrait automatiquement son salaire augmenter de quarante euros minimum par mois dès le 1er janvier 2021, puis de soixante euros minimum au 1er janvier 2019, pour atteindre 1 800 euros bruts.

D’autre part, comme il a été dit, ce relèvement du salaire minimum devrait avoir un effet positif sur les autres salaires, car les hausses du SMIC entraînent, par capillarité, un relèvement de l’ensemble de l’échelle des salaires.

2.   L’ouverture obligatoire de négociations sur les salaires minima hiérarchiques au niveau des branches

La revalorisation progressive du SMIC proposée au présent article aura un effet positif de la rémunération des salariés dont le salaire s’élève jusqu’à 1 800 euros bruts mensuels, puisque ce montant constituera, dès 2022, le seuil minimal de rémunération des salariés.

Pour tenir compte de la revalorisation progressive du SMIC, les branches professionnelles devront en conséquence renégocier les salaires minima hiérarchiques afin que ces derniers soient au moins égaux au nouveau montant du salaire minimum.

Or, l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a fortement affaibli le pouvoir des partenaires sociaux, en desserrant la périodicité des négociations sur les salaires au sein des branches. Un accord de méthode conclu au sein de la branche peut ainsi décider de négocier sur les salaires tous les deux, trois voire quatre ans : la seule obligation d’ordre public posée par l’article L. 2241-1 du code du travail en termes de périodicité est que cette négociation intervienne au moins « une fois tous les quatre ans ». À défaut d’accord de méthode, néanmoins, les branches doivent se réunir au moins une fois par an pour négocier sur les salaires (article L. 2241-8 du même code).

Afin de mieux anticiper les effets du relèvement du salaire minimum sur l’ensemble de l’échelle des salaires, le II invite donc les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel à ouvrir une concertation, dès la promulgation de la loi, sur la question des salaires et notamment des salaires minima hiérarchiques.

À l’issue de cette concertation, et dans un délai d’un an après la publication de la loi, le II oblige chaque branche professionnelle à ouvrir des négociations en vue de revaloriser les salaires minima hiérarchiques sans attendre, donc, l’échéance de négociation sur les salaires éventuellement fixée par accord de branche.

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*     *

Article 2
Suppression progressive de la réduction de 6 points
de la cotisation patronale dassurance maladie

Supprimé par la commission

L’article 2 supprime progressivement la réduction forfaitaire de 6 points de la cotisation patronale d’assurance maladie, en vigueur depuis le 1er janvier 2019 afin de compenser la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

I.   CICE et allÈgements de charges : des politiques d’abaissement du coÛt du travail coÛteuses, dont l’efficacitÉ en matiÈre d’emploi n’est pas avérÉe

Depuis les années 1990, plusieurs politiques d’allègements de cotisations patronales sur les salaires ont été mises en place par les gouvernements successifs. Alors qu’elles représentent un coût de l’ordre de 60 milliards d’euros par an, les effets de ces politiques sur l’emploi et, a fortiori, sur la compétitivité, sont très mitigés.

 Mesure phare du quinquennat précédent, le crédit dimpôt pour la compétitivité et lemploi (CICE) a été créé suite à ladoption dun amendement du Gouvernement au dernier projet de loi de finances rectificative pour 2012 ([26]), sans que le sujet ait été abordé à loccasion des élections présidentielle et législatives pourtant intervenues six mois auparavant. Il sagissait de créer ce qui est vite devenu la première dépense fiscale de lÉtat, dépassant 20 milliards deuros par an.

Le CICE est un crédit d’impôt sur les bénéfices ([27]) assis sur les rémunérations n’excédant pas 2,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Son taux, fixé à 4 % pour les rémunérations versées en 2013, a été porté à 6 % entre 2014 et 2016, puis à 7 % en 2017, avant d’être ramené à 6 % pour 2018 ([28]).

La principale critique adressée au CICE est le décalage dans le temps entre le versement des rémunérations et le plein bénéfice du crédit dimpôt afférent, dans la généralité des cas. En effet, le CICE simpute sur limpôt dû par le contribuable au titre de lannée de versement des rémunérations, sachant que limpôt dû au titre dune année N est définitivement liquidé en N+1. Si le montant de CICE excède celui de limpôt dû, lexcédent est utilisé pour payer limpôt des trois années suivantes, et cest seulement à lexpiration de cette période que léventuel solde de créance est remboursé. Cela signifie concrètement quune créance née en 2019 au titre des rémunérations servies en 2018 peut « vivre » jusquen 2022 si son montant excède limpôt dû au titre des exercices 2019 à 2021 ([29]). Selon léconomiste Henri Sterdyniak, auditionné par le rapporteur, ce mécanisme est « un exemple de ce quil ne faut pas faire », car le décalage dun an entre la naissance de la créance et le versement par lÉtat représente une « entourloupe comptable » qui pose de nombreuses difficultés, notamment lorsquil sagit de mettre fin à un tel dispositif.

● Pour tenter d’éteindre le feu des critiques pesant sur le CICE, et conformément à un engagement de campagne de l’actuel Président de la République, l’article 86 de la loi de finances pour 2018 ([30]) a supprimé le CICE pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2019, pour lui substituer un nouvel allègement de cotisations patronales de sécurité sociale. Cette substitution est opérée par l’article 9 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ([31]), qui a compensé la suppression du CICE par l’instauration d’un nouvel allègement de cotisation patronale de sécurité sociale, applicable à compter du 1er janvier 2019.

Le nouvel article L. 241-2-1 du code de la sécurité sociale créé à cette occasion a en effet réduit de 6 points le taux de la cotisation patronale maladie ([32]), sur la même assiette que le CICE (rémunérations jusquà 2,5 SMIC). Cette nouvelle réduction forfaitaire, une sorte d « équivalent-CICE », a un coût denviron 22 milliards deuros pour les administrations de sécurité sociale (ASSO).

● En 2019, les employeurs ([33]) bénéficieront donc cumulativement :

 de la créance de CICE acquise au titre des rémunérations versées en 2018 ;

 de la réduction forfaitaire de 6 points de la cotisation patronale maladie.

En comptabilité nationale, l’année 2019 apparaît donc comme une année « double », au cours de laquelle s’additionneraient le coût de la nouvelle réduction forfaitaire et celui des créances de CICE acquises au titre de 2018, soit plus d’une quarantaine de milliards d’euros. Cela ne signifie pas que le coût budgétaire sera du même niveau ; en effet, les modalités d’imputation du CICE ne sont pas modifiées, et la créance acquise au titre de 2018 sera donc imputable, selon le profil des résultats des entreprises, jusqu’en 2022.

En tout état de cause, le choix fait par le Gouvernement et la majorité aboutit à un niveau de soutien public aux entreprises absolument inégalé, et qui mérite d’être interrogé.

L’interrogation est d’autant plus légitime que le bénéfice du CICE ou de la réduction forfaitaire de 6 points de cotisation patronale maladie n’est soumis à aucune condition spécifique, ce que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a toujours contesté, depuis la création du CICE.

II.   le droit proposé

● L’article 2 de la présente proposition de loi prévoit l’extinction progressive de la réduction forfaitaire prévue par l’article L. 241-2-1 du code de la sécurité sociale, en trois temps :

 cette réduction serait ramenée de 6 à 4 points pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2020 (I du présent article, qui insère deux nouveaux alinéas après le premier alinéa de l’article L. 241-2-1) ;

 puis, elle serait ramenée à 2 points pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2021 (I également) ;

 enfin, l’article L. 241-2-1 serait abrogé à compter du 1er janvier 2022 (II).

● Les marges de manœuvre dégagées s’élèveraient ainsi à 7 milliards d’euros en 2020, 14 milliards en 2021, et 21 milliards à partir de 2022.

Ces ressources seraient affectées prioritairement au soutien des très petites et petites et moyennes entreprises (TPE-PME) pour favoriser le développement économique, la revalorisation des salaires, les embauches et les dépenses d’investissement, notamment via la création du fonds de soutien aux TPE-PME créé par l’article 3 et des aides publiques directes proposées à l’article 4.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, ces ressources pourraient en outre être rapidement mobilisées pour « revaloriser le point dindice des fonctionnaires » gelé depuis 2010 , et permettre à l’État de financer « des politiques ambitieuses dans le domaine du logement, de la santé, de la protection sociale, dans lobjectif global de réduire la fracture sociale et territoriale ».

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Article 3
Fonds de soutien aux TPE-PME et aux structures
du secteur tertiaire non marchand

Supprimé par la commission

Cet article propose de créer, à compter du 1er janvier 2020, un fonds de soutien assurant le versement d’aides aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux structures du secteur tertiaire non marchand hors administration publique, afin de les accompagner dans le relèvement progressif du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et la hausse générale du niveau des salaires prévue par l’article 1er.

I.   Soutenir Les petites entreprises et structures du secteur tertiaire non marchand pour préserver l’emploi

● La majeure partie des 2 millions de salariés du secteur privé percevant le SMIC est employée au sein de très petites entreprises ou petites et moyennes entreprises (TPE-PME), qui constituent l’essentiel du tissu économique de notre pays : sur les 4,2 millions d’entreprises privées dénombrées en France en 2016, près de 96,5 % d’entre elles emploient moins de 250 salariés.

Or, ces entreprises emploient proportionnellement davantage de salariés au SMIC que les entreprises de 250 salariés ou plus – jusqu’à deux fois plus, en moyenne, que dans les entreprises d’au moins 500 salariés par exemple.

Proportion de salariés rémunérés sur la base du SMIC
en 2013 en fonction de la taille de l’entreprise (*)

De 10 à 19 salariés

11,3 %

De 20 à 49 salariés

12,2 %

De 50 à 99 salariés

12,5 %

De 100 à 249 salariés

8,9 %

De 250 à 499 salariés

8,4 %

500 salariés ou plus

5,5 %

(*) Champ : salariés des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé (hors apprentis, stagiaires), ensemble des secteurs hors agriculture, activités extraterritoriales, activités des ménages en tant qu’employeurs ; France métropolitaine.

Source : DARES Analyses, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du SMIC », mars 2016, n° 014.

Cela s’explique notamment par une forte représentation des TPE-PME dans les secteurs d’activité où la proportion de salariés rémunérés sur la base du SMIC est élevée, tels que la restauration et l’hébergement (21,3 % de l’ensemble des salariés sont rémunérés au SMIC) ou le commerce (12,8 %).

En conséquence, les TPE-PME sont directement affectées par les revalorisations du salaire minimum : 80 % des bénéficiaires de la revalorisation du SMIC au 1er janvier 2018 (soit près d’1,6 million de personnes) étaient ainsi salariés d’une TPE-PME. Elles seront donc d’autant plus concernées par la hausse progressive du SMIC instaurée par l’article 1er au risque, pour les plus fragiles d’entre elles, de mettre en péril certains emplois, en particulier lorsqu’elles sont confrontées par ailleurs à des difficultés importantes pour se financer ou pour offrir à leurs salariés la garantie d’un emploi pérenne.

● Les structures du secteur tertiaire non marchand – hors administration publique –, en particulier les associations, sont elles aussi particulièrement fragiles au regard de l’emploi. Comme l’a montré une récente communication ([34]) de Mme Marie-George Buffet et M. Pierre-Alain Raphan, la santé économique des 70 000 associations employant un ou plusieurs salariés en France a été particulièrement fragilisée par la diminution drastique du nombre de contrats aidés, dès l’automne 2017.

● Il apparaît dès lors nécessaire d’accompagner ces différentes entités dans la durée, pour sécuriser leur activité et, surtout, l’emploi. Ce besoin d’accompagnement apparaît d’autant plus important que les plus petites entreprises et les structures du secteur tertiaire non marchand connaissent des difficultés importantes pour offrir à leurs salariés la garantie d’un emploi pérenne.

II.   Le dispositif proposé

Cet article propose donc la création, à compter du 1er janvier 2020, d’un fonds de soutien offrant aux TPE-PME et aux entreprises du secteur tertiaire non marchand une palette d’aides variées, spécifiquement adaptées pour les accompagner dans la hausse progressive du niveau des salaires et assurer durablement leur développement économique (aides à l’innovation, prêts à taux nul ou préférentiel, apports en garantie, investissements en fonds propres…).

Il prévoit le financement de ce fonds par des concours financiers de l’État, rendus disponibles du fait de l’extinction progressive du dispositif de réduction de la cotisation patronale prévue par l’article 2, tout en permettant aux collectivités territoriales d’y contribuer.

Il définit enfin la composition et le rôle du comité stratégique chargé de définir, de mettre en œuvre et d’évaluer la politique de soutien assurée par ce fonds, et en interdit tout recours abusif.

1.   Champ et date de création du fonds

Les aides proposées par le fonds de soutien sont accordées (I) :

– d’une part, aux entreprises employant moins de deux cent cinquante salariés ;

– d’autre part, aux structures du secteur tertiaire non marchand, hors administration publique.

L’octroi des aides proposées par le fonds de soutien ne sera pas subordonné à un seuil maximum d’effectifs salariés dans les structures du secteur tertiaire non marchand, ces dernières – en particulier les associations rencontrant – des difficultés propres en matière de maintien de l’emploi.

● La date du 1er janvier 2020 retenue pour la création du fonds de soutien coïncide avec la diminution des aides versées au titre du CICE ou de l’allègement de la cotisation patronale de 6 points.

Lors du deuxième semestre de l’année 2019 en effet, la première tranche de revalorisation du SMIC (+ 6,5 %) sera largement compensée par le maintien des effets du CICE ainsi que par les allégements de cotisations sociales consentis de manière indifférenciée à l’ensemble des entreprises, avec un taux de couverture du surcoût lié au SMIC de près de 381,6 %.

Or, du fait de la poursuite de l’augmentation du SMIC en 2020 (+ 3,7 %), 2021 (+ 3,6 %) et 2022 (+ 3,4 %), et de l’extinction progressive du dispositif d’allégements de cotisations sociales sur la même période, prévues à l’article 2, ce taux de couverture ne sera que de 61,4 % au 1er janvier 2020, puis de 58 % au 1er janvier 2021.

À compter du 1er janvier 2022, la hausse du SMIC ne sera d’ailleurs plus compensée par des avantages fiscaux ou sociaux (cf. commentaire de l’article 2). En outre, les aides publiques directes proposées par l’article 4 n’accompagneront que la phase de montée en charge du SMIC, et s’éteindront également en 2022. Cette situation justifie d’apporter dès le 1er janvier 2020 un soutien pérenne aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand, lorsque les premiers effets de la suppression des baisses de cotisations sociales se feront ressentir.

2.   Assiette et nature des aides proposées

Deux catégories d’aides sont susceptibles d’être proposées aux entreprises et aux structures du secteur tertiaire non marchand par le fonds (I) :

– des aides directes visant à accompagner la revalorisation progressive du montant du SMIC, d’une part ;

– des aides au financement de projets d’investissements matériels, d’autre part.

● La première catégorie d’aides intervient en complément des aides ponctuelles créées par l’article 4. Contrairement à ces dernières, qui visent uniquement à atténuer le coût de la revalorisation du SMIC lors de sa montée en charge, les aides prévues au présent article ont pour objectif de soutenir les TPE-PME et les structures du secteur tertiaire non marchand dans la durée, afin qu’elles puissent faire face au relèvement général et durable du niveau des salaires. Le montant des aides directes versées par le fonds de soutien sera défini par décret (II).

● Pour permettre aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand de réaliser leurs projets d’investissement matériels, dont les actifs sont destinés à être utilisés durablement par l’entreprise comme moyens de production (constructions, installations techniques, matériel et outillage industriels…), le fonds pourra également verser des aides au financement.

Les outils, conditions et modalités de versement de ces aides seront définies par une convention signée par le fonds avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance et La Banque Postale. L’expérience de ces différentes institutions financières dans le soutien financier des plus petites entreprises leur offrira la possibilité d’accéder à des financeurs et des investisseurs compétents, spécialisés et performants, à même d’examiner leurs demandes et de les satisfaire, grâce à une palette complète d’instruments financiers adaptés.

Les modalités de sélection des opérations pouvant donner lieu à l’attribution d’aides au financement seront définies par décret (II).

3.   Conditions de majoration

Des aides complémentaires, dont le montant sera également défini par décret (II), sont accordées par le fonds de soutien lorsqu’un salarié, précédemment lié à l’entreprise par un contrat de travail à durée déterminée (CDD) et dont la rémunération prévue au contrat de travail est inférieure ou égale au SMIC horaire majoré de 30 %, conclut un contrat de travail à durée indéterminée (CDI).

En outre, le fonds peut décider de financer deux types d’aides complémentaires :

– lorsque le lieu d’exécution du contrat concerné par la revalorisation du SMIC prévue à l’article 1er est situé dans les collectivités d’outre-mer (COM) ;

– lorsque l’entreprise ou la structure susceptible de bénéficier des aides octroyées par le fonds de soutien embauche un salarié sous forme de CDI.

Ces dispositions ont pour but d’apporter un soutien renforcé aux entreprises et aux structures ultra-marines confrontées à des difficultés économiques importantes, ainsi que de sécuriser l’emploi salarié lors de l’embauche ou à travers la pérennisation d’une relation de travail précaire.

4.   Financement du fonds de soutien

Le II propose d’assurer principalement le financement du fonds de soutien par des concours financiers de l’État, tout en laissant subsidiairement la possibilité aux collectivités territoriales d’y contribuer.

Ce financement est rendu possible par la suppression de l’allègement de la cotisation patronale prévue par l’article 2, qui permettra d’économiser plus de 20 milliards d’euros par an à compter de 2022. L’affectation prioritaire de tout ou partie des fonds ainsi dégagés au soutien du développement économique des TPE‑PME et des structures du secteur associatif − notamment − n’aura donc pas d’incidence financière supplémentaire pour l’État.

En outre, un tel financement permettra d’assurer une meilleure et une plus juste allocation des ressources publiques, ciblées en direction des entités qui rencontrent le plus de difficultés à l’investissement et à l’emploi et occupent une place primordiale dans l’économie française.

Afin de permettre une allocation pertinente et efficace des aides octroyées par le fonds, au plus près des besoins des territoires, les collectivités territoriales auront la possibilité d’abonder son financement.

5.   Définition, mise en œuvre et évaluation de la politique de soutien

Le II prévoit la désignation d’un comité stratégique chargé de fixer les principes et d’examiner la mise en œuvre de la politique de soutien du fonds créé par le I. La répartition des membres appelés à siéger au sein du comité est divisée en quatre catégories, dont chacune représente 25 %. Il s’agit :

– de représentants de l’État ;

– de représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

– de représentants des collectivités territoriales ;

– de personnalités qualifiées.

Le président du comité stratégique est nommé par décret, sur proposition des membres du comité.

Des comités régionaux sont par ailleurs instaurés en vue d’assurer la mise en œuvre de la politique de soutien du fonds, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Les modalités de gouvernance du fonds et de sélection des projets retenus pour bénéficier des aides mentionnées au I seront définies par décret.

L’évaluation et le contrôle de l’efficacité de la politique de soutien, telle que définie par le comité stratégique et mise en œuvre par les comités régionaux, sera assurée par la rédaction annuelle d’un rapport transmis aux commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, exposant et analysant les actions conduites par le fonds, et formulant des recommandations quant aux améliorations pouvant y être apportées. Un décret en précise les modalités.

6.   Interdiction des abus

Le III propose de rendre le recours au fonds de soutien exclusif de tout montage ou série de montages mis en place pour en obtenir, à titre principal ou au titre d’un des objectifs principaux, les bénéfices ou les droits.

En effet, de nombreuses entreprises occupant moins de 250 salariés appartiennent en réalité à des grands groupes de sociétés liées entre elles par des participations au capital, parmi lesquelles seule la plus importante exerce un pouvoir de décision sur les autres. Ainsi, près de 20 % des entreprises entre 20 et 50 salariés appartiennent à des groupes de 250 salariés ou plus ([35]) et, selon les données transmises au rapporteur au cours des auditions, la moitié des TPE-PME en France appartient à de grands groupes.

Ce mécanisme permettra de prévenir tout recours abusif aux dispositifs d’aides proposés par le fonds de soutien, incitant les entités auxquels ils sont destinés à se conformer aux modalités d’attribution des aides définies par décret.

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Article 4
Versement dune aide à la revalorisation des salaires pour les TPE-PME

Supprimé par la commission

Cet article propose la création d’une aide publique destinée à soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) ainsi que les structures du secteur tertiaire non marchand, dans le cadre de la revalorisation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) proposée à l’article 1er.

Il crée également une aide visant à inciter les employeurs à transformer les contrats à durée déterminée (CDD) de leurs salariés en contrat à durée indéterminée (CDI).

I.   une aide à la revalorisation des salaires pour accompagner les tpe-pme dans la hausse du smic

Afin de compenser la revalorisation du SMIC proposée à l’article 1er de cette proposition de loi, le I crée une aide à la revalorisation des salaires pour l’ensemble des entreprises dont l’effectif est inférieur à 250 salariés, et pour les structures du secteur tertiaire non marchand – hors administration publique.

1.   Assiette et montant de l’aide

L’aide proposée est réservée aux entreprises employant un ou plusieurs salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée (CDD) ou à durée indéterminée (CDI) dont la rémunération horaire prévue au contrat de travail s’élève jusqu’à 1,3 SMIC. Les salariés concernés devront, en outre, avoir été présents dans l’entreprise au moins six mois au cours des douze mois de l’exercice précédent.

L’aide est versée en année N, au titre des rémunérations versées en année N-1, et le premier versement interviendra en 2020. En 2019, les employeurs bénéficieront en effet simultanément de la créance de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) versée au titre des années précédentes, et de la baisse de 6 points des cotisations patronales, qui compenseront largement la revalorisation d’une centaine d’euros du SMIC mensuel brut en juillet 2019.

L’aide pourra être accordée pour une durée allant jusqu’à trois ans, si l’employeur remplit les conditions requises. Il s’agit en effet d’accompagner les petites entreprises et les structures du secteur non marchand pendant les trois années de montée en charge du SMIC. À l’issue de ces trois années, les entreprises ou structures qui souhaitent bénéficier d’un soutien pourront continuer à solliciter les aides versées par le fonds de soutien créé à l’article 3.

Selon le II, le montant maximum hors majoration de l’aide accordée pour chaque salarié remplissant les conditions précitées s’élève à :

2 000 euros, pour le versement en 2020 d’une aide versée au titre de l’exercice 2019 ;

2 500 euros, pour le versement en 2021 d’une aide versée au titre de l’exercice 2020 ;

3 000 euros, pour le versement en 2022 d’une aide versée au titre de l’exercice 2021.

En fonction de la quotité de temps de travail du salarié au cours de l’exercice concerné, et notamment en cas de périodes d’absence sans maintien de la rémunération, le montant de l’aide sera réévalué au prorata de la présence effective du salarié dans l’entreprise. Cette précaution vise à éviter tout effet d’aubaine : il serait en effet illégitime de verser le montant maximum d’aide à un employeur dont le salarié n’aurait été recruté qu’en cours d’année, par exemple.

2.   Modalités de calcul de l’aide

Les montants d’aide retenus par cet article n’ont pas été choisis au hasard : ils permettent en effet de compenser le plus justement possible la hausse du SMIC proposée à l’article 1er, ainsi que la diminution des allègements de cotisations patronales prévue à l’article 2 de cette proposition de loi.

En 2019, pour un salarié rémunéré au SMIC, le montant total des aides versées à l’employeur au titre du CICE et de la baisse de la cotisation patronale d’assurance maladie serait ainsi équivalent à 2 261,68 euros, pour une rémunération brute totale versée de 18 487,32 euros (tenant compte de la revalorisation du SMIC à 1 620 euros en juillet 2019).

La revalorisation du SMIC au second semestre de l’année 2019, qui représente un surcoût de 592,68 euros pour l’employeur, serait donc très largement couverte par les aides versées à l’employeur (2 261,68 euros).

Cette équation n’est cependant plus valable à compter de 2020, puisque sous l’effet de la diminution de la réduction de la cotisation patronale d’assurance maladie à 4 points (cf. commentaire de l’article 2) et de l’expiration du CICE, le surcoût annuel lié à la revalorisation du SMIC de soixante euros au 1er juillet 2020 ne sera que partiellement compensé : le surcoût annuel représente en effet un montant de 1 312,68 euros, pour un montant d’aides s’élevant à 806,40 euros (soit une couverture de 61,4 % de la hausse du SMIC par l’allègement de cotisations patronales).

Afin de sécuriser l’emploi au sein des TPE-PME, plus sensibles au coût du travail que les grandes entreprises, l’aide de 2 000 euros proposée en 2020 viendra compenser cette « perte sèche » pour l’employeur : le total d’aides accordé s’élèverait en effet à 2 806,40 euros.

Au total, pour les seuls salariés au SMIC, le coût de cette aide directe en 2020 serait équivalent à environ 4 milliards d’euros, soit un montant bien inférieur au coût annuel du CICE.

La détermination du montant de l’aide pour 2021 et 2022 a été guidée par les mêmes principes :

 en 2021, la revalorisation du SMIC à 1 740 euros bruts mensuels entraînera un surcoût de 720 euros annuels par salarié pour l’employeur par rapport au 1er janvier 2020. À l’inverse, l’aide correspondant à l’allègement de 4 points de la cotisation patronale d’assurance maladie ne représentera que 417,60 euros, ne permettant pas de compenser intégralement la revalorisation du SMIC. L’aide de 2 500 euros, cumulée aux 417,60 euros, permettra ainsi de compenser le surcoût pour l’employeur ;

 en 2022, le surcoût annuel lié à la revalorisation du SMIC sera au même niveau qu’en 2021 (720 euros), mais l’employeur ne bénéficiera plus de l’allègement de cotisation patronale d’assurance maladie. L’aide de 3 000 euros versée au titre de l’exercice 2021 compensera néanmoins ce surcoût. 

3.   Conditions de majoration

Le montant de l’aide prévu au I peut être majoré de 20 % lorsque le lieu d’exécution du contrat de travail du salarié remplissant les conditions précitées est situé dans les collectivités d’outre-mer (COM) (II).

II.   Le versement d’une aide complémentaire pour encourager l’embauche en CDI

Si, au cours de lexercice visé, le salarié titulaire dun contrat de travail à durée déterminée (CDD) ouvrant droit à laide conclut avec le même employeur un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), lentreprise peut bénéficier dune aide complémentaire dun montant fixe de 1 000 euros (III), majoré le cas échéant de 20 % si le lieu dexécution du contrat se situe dans les collectivités doutre-mer.

L’objectif de cette disposition est d’encourager les employeurs à pérenniser l’embauche grâce à des contrats à durée indéterminée, par nature moins précaires et donc plus sécurisants pour les salariés. 

III.   Conditions de versement et de suspension des aides

1.   Modalités de versement

Les aides seront gérées par l’Agence de services et de paiement (ASP), dans le cadre d’une convention avec l’État (IV), et versées au cours du premier semestre de l’année qui suit l’exécution du contrat de travail  par exemple, au premier trimestre 2020 pour un contrat exécuté en 2019 (II, sous réserve que l’employeur ait adressé sa demande à l’ASP dans les trois mois suivant la fin de l’exercice ouvrant droit au bénéfice de l’aide.

Afin d’éviter toute fraude, l’employeur doit accompagner sa demande :

 d’un certificat sur l’honneur, prouvant son éligibilité aux conditions de versement de l’aide mentionnées au I ;

 dune attestation, transmise sous forme dématérialisée et dans des conditions précisées par arrêté, justifiant la présence du salarié pour une durée au moins égale à six mois au cours des douze mois de lexercice précédent, et mentionnant le cas échéant les périodes dabsence du salarié sans maintien de la rémunération.

2.   Conditions de suspension du versement et du remboursement des aides indues en cas de fraude avérée

Il est précisé au V que l’Agence de services et de paiement dispose de moyens étendus pour effectuer le contrôle de l’éligibilité de l’aide : elle peut ainsi se faire communiquer, dans un délai d’un mois, tout document de l’employeur justifiant l’éligibilité à l’aide. Elle dispose également d’un droit d’accès aux données de certaines administrations publiques, telles que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA).

Le versement de l’aide à la revalorisation des salaires peut être suspendu si l’employeur n’a pas transmis l’attestation justifiant la présence du salarié mentionnée au IV, ou en cas de non présentation en temps requis des documents permettant à l’ASP de contrôler les conditions d’éligibilité à l’aide (V).

De plus, en cas de déclaration ou d’attestation inexacte de l’employeur, toutes les sommes perçues devront être reversées (V).

Le VI précise en outre que le recours aux aides versées à titre de compensation de la revalorisation du SMIC ou de l’embauche en CDI d’un salarié en CDD « est exclusif de tout montage ou série de montages ayant été mis en place pour en obtenir, à titre dobjectif principal ou au titre dun des objectifs principaux, le bénéfice ».  

IV.   Évaluation du dispositif

Le VII prévoit la remise au Parlement et au ministre chargé de l’économie d’un rapport d’évaluation des effets économiques, sociaux et budgétaires du dispositif de soutien aux TPE-PME prévu à cet article.

Ce rapport, rédigé par un comité dont la composition sera déterminée par décret, et dont les membres siégeront à titre bénévole, devra détailler notamment les effets des aides prévues en termes d’évolution de la structure des salaires dans les entreprises concernées (), d’évolution sur l’emploi () et de revalorisation des territoires ().

Il devra être réalisé « au plus tard six mois avant lextinction » du dispositif, soit au plus tard le 31 juin 2021.

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Article 5
Gage

Supprimé par la commission

Cet article a pour objet de permettre la recevabilité financière de la présente proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

Il prévoit un mécanisme de compensation, pour l’État et pour les collectivités territoriales, des charges qui résulteraient de la mise en place des articles 1er à 4 de cette proposition de loi.

Le dispositif proposé repose sur une majoration à due concurrence :

 d’une part, des droits pesant sur les tabacs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ;

d’autre part, de la dotation globale de fonctionnement (DGF).


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   annexeS

annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

    Table ronde des organisations syndicales représentatives de salariés

 Confédération française de lencadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Gérard Mardiné, secrétaire national, et M. Renan Francastel, chargé d’études économiques

 Confédération générale du travail (CGT) – M. Boris Plazzi, membre de la direction confédérale, et M. Alain Alphon-Layre, conseiller confédéral

 Force ouvrière (CGT-FO)  M. Michel Beaugas, secrétaire confédéral

    Table ronde sur le bilan des politiques dallègements de cotisations sociales et daides aux entreprises

 M. Henri Sterdyniak, économiste

 France Stratégie – Mme Amandine BrunSchammé, Mme Rozenn Desplatz, et M. Antoine Naboulet, co-rapporteurs du comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE)

    Table ronde sur les effets de laugmentation des salaires sur lemploi et léconomie

 Conseil économique, social et environnemental (CESE) – M. Frédéric Boccara, économiste et membre

 Institut de recherches économiques et sociales (IRES) M. Michel Husson, économiste, chercheur associé

 Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision

    M. Jean-Christophe Le Duigou, économiste

    Observatoire français des conjonctures économiques  M. Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyse et prévision

    Table ronde de sociologues

 M. Bernard Friot, sociologue et économiste

 M. Yann Le Lann, sociologue du travail


—  1  —

annexe n° 2 :
liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro darticle

1er

Code du travail

L. 3231-4

2

Code de la sécurité sociale

L. 241-2-1

 

 


([1]) OXFAM France – Basic, « CAC : 40 des profits sans partage », 2018.

([2]) DARES indicateurs n° 006, « Évolution des salaires de base et conditions d’emploi dans le secteur privé », février 2019.

([3]) Crédoc et IRES, étude « Budgets de référence », réalisée  à la demande de lONPES, juillet 2014, p. 115.

([4]) OXFAM France – Basic, Ibid.

([5]) Institut des politiques publiques, « Coût du travail et exportations : analyses sur données dentreprises », janvier 2019, p. 30.

([6]) Rapport du groupe d’experts sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), novembre 2018, p. 191.

([7]) Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([8]) Loi 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 20171340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

([9]) Les notes de l’OFCE, « Quelles conséquences économiques d’un coup de pouce au SMIC ? », n° 22, 17 juillet 2012.

([10]) MM. David Card et Alan Krueger, « Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage », Princeton University Press, 1995.

([11])  M. Arindrajit Dube & al., « The Effect of Minimum Wages on Low-Wage Jobs », Centre for Economic Performance, 2018.

([12]) DARES Analyses n° 014, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du SMIC », mars 2016.

([13]) DARES Résultats n° 052, « La revalorisation du Smic au 1er janvier 2018 », novembre 2018.

([14]) INSEE Références, « Les entreprises en France », édition 2018.

([15]) INSEE Références, Ibid.

([16]) INSEE Chiffres-clés, « Création d’entreprises en France par activité en 2018 », février 2019.

([17]) DARES Résultats n° 061, « L’emploi dans les très petites entreprises fin 2017 », décembre 2018.

([18]) INSEE Première « Les petites entreprises réalisent près de 17 % des exportations », mars 2018 n° 1692.

([19]) INSEE Références, « Les entreprises en France », édition 2018.

([20]) INSEE Références, Ibid.

([21]) Rapport du groupe dexperts sur le SMIC, 1er décembre 2017, p. 88.

([22]) Eurostat, Statistiques sur le salaire minimum, février 2018.

([23])  DARES Analyses n° 014, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du Smic », mars 2016.

([24]) INSEE Références Emploi, chômage et revenus du travail, « Le rôle des accords collectifs sur la dynamique des salaires », 2018.

([25]) Données au 1er janvier 2018. Source : DARES Résultats n° 052, « La revalorisation du SMIC au 1er janvier 2018 ».

([26]) Article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

([27]) Impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu, selon l’entreprise.  

([28]) Depuis 2015, ce taux est majoré pour les rémunérations versées dans les exploitations situées dans les départements d’outre-mer (DOM) : 7,5 % en 2015, 9 % depuis 2016.

([29]) Certaines entreprises, auxquelles il apparaît prioritaire d’apporter un soutien accru, peuvent bénéficier d’un remboursement immédiat de leur créance : petites et moyennes entreprises, entreprises nouvelles (pendant cinq ans), jeunes entreprises innovantes, entreprises en difficulté (notamment en cas de redressement judiciaire).

([30]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017. Par ailleurs, l’article 87 de la loi de finances pour 2018 a supprimé le crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS), duplication du CICE au profit des organismes du secteur non lucratif, qui par construction ne pouvaient pas bénéficier du CICE faute d’être assujettis à l’impôt sur les bénéfices, mais qui pouvaient en revanche se trouver en concurrence avec des entreprises commerciales en bénéficiant. Construit sur le modèle du CICE, le CITS allège la taxe sur les salaires, et non l’impôt sur les bénéfices, et à un taux plus faible, de 4 %. Comparativement à celui du CICE, le coût du CITS est très modeste (environ 600 millions d’euros).

([31]) Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017.  

([32]) Le taux de droit commun, fixé par voie réglementaire à 13 %, est donc ramené à 7 % pour les employeurs éligibles à la réduction forfaitaire.

([33]) Il s’agit, pour faire simple, des employeurs du secteur privé, ou plus exactement de ceux qui sont assujettis à l’obligation d’affiliation à l’assurance chômage.  

([34]) Communication de Mme Marie-George Buffet et de M. Pierre-Alain Raphan, députés rapporteurs de la mission flash sur la réduction des emplois aidés dans les associations culturelles et sportives, Commission des affaires culturelles de lAssemblée nationale, avril 2018.

([35]) INSEE Références, « Les PME organisées en groupe : un phénomène important dès les unités de petite taille », édition 2016.