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N° 1697

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le mercredi 20 février 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à augmenter le salaire minimum et interprofessionnel de croissance et les salaires en accompagnant les très petites entreprises et petites et moyennes entreprises,

 

 

 

Par M. Stéphane PEU,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1610.


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Léchec de politiques de loffre devenues synonymes de montée des inégalités et de précarisation

A. Un pouvoir dachat en berne, de plus en plus contraint et inégalement réparti

1. Le frein exercé par la stagnation des salaires et le retour de linflation

2. Le poids toujours plus important des dépenses contraintes

3. Des écarts de salaires qui ne cessent de se creuser

B. Des travailleurs devenus les grands perdants du partage des richesses

1. Un partage des richesses défavorable au travail

2. Léchec des politiques dabaissement du coût du travail

3. Des négociations salariales encore davantage affaiblies par la dérégulation du droit du travail

II. Laugmentation des salaires comme levier incontournable de pouvoir dachat et de relance économique

A. Une relance salariale attendue et bénéfique pour lensemble de léconomie

B. Un levier de croissance économique en France comme en europe

III. Lenclenchement dun nouveau cycle de partage des richesses fondé sur la revalorisation du travail et le soutien aux tpe-PME

A. Faire que le salaire paye, pour que le travail paye

B. Soutenir les TPE-PME, poumons économiques de nos territoires

COMMENTAIRES DARTICLES

Article premier Revalorisation progressive du SMIC et ouverture de négociations salariales obligatoires au niveau des branches professionnelles

I. La revalorisation du smic et des salaires : une nécessité pour redonner du pouvoir dachat aux salariés

1. Un salaire minimum dont le niveau stagne depuis des années

a. Les mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail

b. Labsence récurrente de « coup de pouce » au SMIC

2. Laugmentation du salaire minimum, a fortiori lorsquelle donne lieu à une renégociation des salaires minima conventionnels, a des effets positifs sur le niveau des salaires

II. Le dispositif proposÉ

1. Une revalorisation progressive du SMIC sur quatre ans

a. La revalorisation proposée

b. Le coût de la revalorisation du SMIC sera largement compensé pour les entreprises, en particulier pour les TPE-PME

c. Les effets attendus

2. Louverture obligatoire de négociations sur les salaires minima hiérarchiques au niveau des branches

Article 2 Suppression progressive de la réduction de 6 points de la cotisation patronale dassurance maladie

I. CICE et allÈgements de charges : des politiques dabaissement du coÛt du travail coÛteuses, dont lefficacitÉ en matiÈre demploi nest pas avérÉe

II. le droit proposé

Article 3 Fonds de soutien aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand

Article 4 Versement dune aide à la revalorisation des salaires pour les TPE-PME

I. une aide à la revalorisation des salaires pour accompagner les tpe-pme dans la hausse du smic

1. Assiette et montant de laide

2. Modalités de calcul de laide

3. Conditions de majoration

II. Le versement dune aide complémentaire pour encourager lembauche en CDI

III. Conditions de versement et de suspension des aides

1. Modalités de versement

2. Conditions de suspension du versement et du remboursement des aides indues en cas de fraude avérée

IV. Évaluation du dispositif

Article 5 Gage

annexeS

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

annexe  2 : liste des textes susceptibles dêtre abrogés ou modifiés à loccasion de lexamen de la proposition de loi

compte rendu des travaux

Titre


—  1  —

   Avant-propos

● 82 % de la croissance économique créée dans le monde en 2017 a bénéficié aux 1 % les plus riches ([1]).

Bénéfices records, explosion des dividendes versés, nouvelles formes de concentration des richesses… ces traductions de la croissance économique n’auraient pourtant pas existé sans l’effort des travailleurs.

Ce constat est d’autant plus alarmant qu’il ne cesse de s’aggraver en France. Les entreprises du CAC 40, notamment, n’ont jamais procédé à une répartition aussi inégalitaire des richesses qu’en 2017. Couplée à un grand écart salarial, cette situation fait des travailleurs les grands perdants de la reprise économique.

L’« exception française », hier placée au service du progrès et de l’égalité, se distingue donc désormais sur le terrain du creusement des inégalités et de la précarisation des travailleurs.

● Nul ne peut se résoudre à considérer cette réalité comme une fatalité ou une nécessité – à l’exception, peut-être, des seuls privilégiés.

Inspirées par une pensée libérale largement dominante, les politiques de loffre ont été mises en œuvre en France comme chez nos voisins depuis trente ans.

Loin d’avoir entraîné un ruissellement des richesses bénéfique à l’ensemble des Français, ces politiques n’ont pas produit les effets économiques que ses soutiens avaient théorisés et se sont traduites, au contraire, par une montée des inégalités et une stagnation des salaires.

● Leur sentiment d’appauvrissement est loin d’être infondé ou théorique.

Les dernières annonces gouvernementales faisant état d’une amélioration du pouvoir d’achat reposent sur un indicateur qui retient le pouvoir d’achat brut du revenu disponible de l’ensemble des ménages. Cet indicateur n’indique néanmoins pas le poids des dépenses de consommation contraintes, dont la part dans le budget des ménages n’a cessé de croître.

Les comptes nationaux attestent ainsi d’un poids sans cesse plus lourd dans le budget des ménages de ces dépenses dites « pré-engagées », telles que le logement, l’électricité ou les télécommunications.

Un décalage substantiel en résulte, entre la précarisation constatée sur le terrain, prenant la forme de fins de mois toujours plus difficiles, et les signaux laissant croire à une illusoire relance du pouvoir d’achat.

● La stagnation continue du pouvoir d’achat est d’autant plus défavorable aux salariés qu’elle s’accompagne de nombreuses régressions en matière sociale.

Les réformes intervenues en 2016 et en 2017 ont méthodiquement affaibli la capacité des travailleurs et de leurs représentants syndicaux à agir sur la négociation des salaires, et ont espacé la périodicité maximale des négociations.

La flexibilité offerte à l’employeur, à l’inverse, s’est considérablement renforcée, que ce soit via la facilitation des licenciements économiques et des restructurations ou la limitation du coût de licenciements sans cause réelle et sérieuse.

● Ce constat rend indispensable l’ouverture immédiate d’un nouveau cycle de répartition des richesses.

Les outils pour le mettre en œuvre sont à la fois bien connus, évalués et immédiatement opérationnels. Ils doivent permettre simultanément aux salariés de renforcer leur pouvoir de négociation dans le partage de la valeur ajoutée et aux entreprises d’interroger leur responsabilité sociale dans la situation actuelle.

Le premier d’entre eux, l’augmentation du SMIC et sa répercussion sur les salaires, permettra de rattraper les effets délétères d’un pouvoir d’achat devenu le grand absent de la reprise économique (article 1er).

Pilier de la croissance économique, l’augmentation des salaires est surtout un facteur décisif de lutte contre la pauvreté au travail. Cette dernière touche chaque jour un peu plus les salariés, en particulier les femmes, les jeunes et les moins qualifiés. Loin d’être isolée, la France rejoindra ses voisins méditerranéens d’ores et déjà engagés sur le chemin de la relance salariale.

L’augmentation directe des salaires viendra se substituer aux allègements de cotisations sociales patronales, qui ont uniquement eu pour effet de déresponsabiliser les employeurs de leur mission de valorisation salariale tout en appauvrissant la Sécurité sociale. Les cotisations sociales sont des droits différés qui ne sauraient être réduites à une quelconque « charge » (article 2).

Cette politique s’accompagnera, enfin, d’un soutien déterminé aux TPE-PME, en particulier dans les outre-mer, afin de les accompagner sans les pénaliser dans le processus d’augmentation du SMIC (articles 3 et 4).

Ce nouveau cycle peut être enclenché dès aujourd’hui, par le simple vote de cette proposition de loi. Il revient désormais à la représentation nationale de prendre ses responsabilités.

I.   L’échec de politiques de l’offre devenues synonymes de montée des inégalités et de précarisation

La stagnation des salaires et le recul associé du pouvoir d’achat ne sont pas les fruits d’une conjoncture économique défavorable au travail. Ils sont la conséquence directe d’une répartition des richesses sans cesse plus favorable au capital.

Deux trajectoires doivent ainsi être analysées en parallèle : celle du pouvoir d’achat et des salaires, d’une part ; celle de la rémunération du capital, d’autre part.

A.   Un pouvoir d’achat en berne, de plus en plus contraint et inégalement réparti

1.   Le frein exercé par la stagnation des salaires et le retour de l’inflation

L’analyse du pouvoir d’achat implique de comparer la trajectoire du revenu disponible – les salaires et les prestations, auxquels on soustrait les prélèvements obligatoires – à celle de l’inflation.

● Les salaires, en premier lieu, sont enfermés dans une stagnation continue.

Alors que le salaire mensuel par tête (SMPT) a augmenté en moyenne de 1,3 % entre 2000 et 2010, et 0,8 % pour le salaire mensuel de base (SMB), un décrochage important s’observe à compter de 2010 : entre le troisième trimestre de l’année 2010 et le troisième trimestre 2018, le SMPT n’a évolué en moyenne que de 0,4 % et 0,5 % pour le SMB.

 

 

Compte tenu des mécanismes de revalorisation du SMIC, qui tiennent compte du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE), le rythme de croissance du SMIC a été divisé par dix entre les années 2000 et 2010 : le SMIC a ainsi crû de 2 % en moyenne entre 2001 et 2010, contre 0,2 % en moyenne entre 2010 et 2018.

Source : Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

● L’inflation, quant à elle, dépasse de nouveau la barre de 2 %, connaissant une augmentation supérieure à celle salaires. Elle a ainsi été multipliée par trois en deux ans.

Ce niveau d’inflation étant plus élevé que les salaires nominaux, depuis le début de l’année 2016, les gains salariaux sont quasi nuls en réel (+ 0,1 %).

Évolution de l’indice des prix à la CONSOMMATION
(France, hors Mayotte)

Source : INSEE, octobre 2018.

Selon les travaux de l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les ouvriers et employés sont les plus affectés par le ralentissement de la croissance salariale observé depuis 2010. Or, ces derniers sont également plus exposés à la crise du marché du travail, qui se traduit par une précarité accrue des contrats et une élévation du niveau du chômage.

Évolution des salaires depuis 2000

 

Salaire moyen par tête

Salaire mensuel de base

Ouvriers

+ 0,9 %

+ 0,5 %

Employés

+ 0,8 %

+ 0,4 %

Cadres

+ 0,6 %

+ 0,5 %

Professions intermédiaires

+ 0,6 %

+ 0,5 %

Source : OFCE.

● Le pouvoir d’achat en berne résulte donc de la conjugaison d’une stagnation des salaires et d’une inflation repartie à la hausse.

Retraçant l’évolution du pouvoir d’achat depuis 1996, l’INSEE met en lumière une augmentation inférieure à 1 % d’un trimestre à l’autre – voire négative sur plusieurs trimestres consécutifs.

Source : INSEE.

Cette stagnation du pouvoir d’achat se confirme aujourd’hui.

Selon les dernières données disponibles de la DARES ([2]), la croissance salariale dans les entreprises d’au moins dix salariés du secteur privé se limitera à 1,6 % en 2018.

Conjuguée à une augmentation de l’indice des prix à la consommation de 1,4 % sur cette même période, la croissance réelle des salaires en 2018 aura donc été quasi-nulle, comme l’illustre le graphique infra.

Glissement annuel des salaires et des prix à la consommation

Source : DARES et INSEE

2.   Le poids toujours plus important des dépenses contraintes

● La stagnation du pouvoir d’achat emporte des conséquences d’autant plus nocives qu’elle s’accompagne d’une augmentation de la part occupée par les dépenses contraintes – c’est-à-dire les dépenses de consommation qui devront de toute façon être payées.

Outre le pouvoir d’achat en soi, qui correspond au revenu brut disponible de l’ensemble des ménages, l’indicateur du revenu réel « arbitrable » apporte un éclairage supplémentaire.

Il correspond au revenu disponible une fois déduites les dépenses de consommation pré-engagées, et recouvre donc à titre principal les dépenses liées à l’eau et à l’énergie, aux services de télécommunications et de télévision et aux assurances.

● Sur le long terme, la part des dépenses pré-engagées est passée de 12,4 % du revenu disponible en 1959 à 29,4 % en 2017.

Le poste du logement explique les trois quarts de cette augmentation, retracée dans le graphique infra.

Dépenses de consommation des ménages pré-engagées à prix courants

Source : INSEE « L’économie française, comptes et dossiers », octobre 2018.

● Sur la dernière année, l’augmentation des prix à la consommation est particulièrement marquée pour les dépenses d’alimentation et d’énergie.

Évolution de l’indice des prix à la consommation 2017-2018

(évolutions annuelles en % ; base 100 : année 2015)

 

Pondérations 2018

Octobre 2017

Septembre 2018

Ensemble IPC*

10 000

1,1

2,2

Alimentation

1 627

1,5

2,8

- produits frais

243

4,5

11,2

- autre alimentation

1 384

1,1

1,4

Tabac

193

2,4

16,8

Énergie

777

4,8

12,8

Produits manufacturés

2 594

-0,3

-0,2

Services

4 809

1,0

1,1

Ensemble IPCH**

10 000

1,2

2,5

* : indice des prix à la consommation

** : indice des prix à la consommation harmonisé

Source : INSEE, octobre 2018.

Cet alourdissement du poids des dépenses pré-engagées constitue la principale explication de l’écart entre le constat d’appauvrissement vécu dans la réalité et l’annonce théorique d’une augmentation du pouvoir d’achat.

En définitive, d’après une étude réalisée pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES )([3]), le salaire décent pour une personne seule active logée dans le parc social s’élève à 1 424 euros, et à 3 284 euros pour un couple actif sans enfants. Ces montants s’élèvent à 1 571 euros et 3 515 euros pour des locataires du parc privé. Au regard de ces critères, le montant du SMIC en France ne permet donc pas de vivre décemment.

3.    Des écarts de salaires qui ne cessent de se creuser

● Cette stagnation du pouvoir d’achat ne doit toutefois pas être considérée comme uniforme pour l’ensemble des niveaux de revenus.

Les deux premiers budgets du quinquennat du Président de la République ont, pour l’essentiel, bénéficié aux 1 % les plus riches. Tel est le constat dressé par l’Institut des politiques publiques (IPP) lors de l’évaluation dressée à l’automne 2018.

L’injustice de la politique menée s’illustre encore davantage au sein des 1 % les plus riches. Ainsi, le dernier centile – correspondant aux 0,1 % les plus riches – apparaît comme le grand gagnant de la politique menée par le Gouvernement, leur gain de pouvoir d’achat s’élevant à 17 %.

Gain et perte de revenu disponible des ménages projetés en 2019

Source : Institut des politiques publiques, Évaluations du budget 2019, octobre 2018.

● Un grand écart salarial en résulte, augmentant d’années en années.

Se tassant à la base, les rémunérations explosent en revanche par le haut. L’écart entre la rémunération des dirigeants des grandes entreprises et celle de leurs salariés croît sans cesse.

Exemple révélateur, le PDG d’une entreprise du CAC 40 gagnait en moyenne 119 fois plus que la moyenne de ses salariés. Ce ratio, excessif en valeur absolue, l’est aussi dans sa trajectoire : il se situait à « seulement » 96 en 2009 ([4]).

B.   Des travailleurs devenus les grands perdants du partage des richesses

1.   Un partage des richesses défavorable au travail

● La stagnation du pouvoir d’achat est d’autant moins compréhensible qu’elle contraste avec une part des richesses accordées au capital toujours plus importante.

En 2016, les entreprises du CAC 40 ont versé deux tiers de leurs bénéfices aux actionnaires, sous la forme de dividendes. Alors qu’il s’élevait à 27 % en 2000, ce taux n’a cessé d’augmenter par la suite.

L’essentiel des bénéfices restants (27,3 %) ont été consacrés aux réinvestissements, seuls 5,3 % étant versés aux salariés sous la forme de primes.

Au total, depuis 2009, l’augmentation de la rémunération des salariés aura été quatre fois inférieure à celle des actionnaires.

Une telle disproportion n’est d’ailleurs pas la norme en Europe. Les dividendes versés par les plus grandes entreprises françaises – 51 milliards d’euros en 2017 – dépassent l’ensemble de nos voisins d’Europe continentale. À titre de comparaison, les grandes entreprises allemandes ont versé cette même année 33 milliards d’euros de dividendes.

● Un partage aussi inégal n’est pourtant pas une fatalité, et implique d’ouvrir le débat relatif au partage de la valeur ajoutée.

Ce débat doit être mené par les acteurs du dialogue social de terrain, via les négociations de branche sur les salaires et les négociations d’entreprise sur les rémunérations et le partage de la valeur ajoutée.

Il doit également l’être à l’échelle nationale, dans le cadre de la définition d’un nouveau projet social où les privilégiés de la mondialisation ne feraient plus sécession avec le corps social.

S’appuyant sur une productivité intensive en travail, la relance du pouvoir d’achat peut aller de pair avec celle des gains de productivité, sans qu’il soit nécessaire d’opposer la première aux seconds.

Le pari d’une relance par les salaires et la productivité doit donc être fait, afin de replacer la justice sociale au-dessus des pouvoirs économiques et financiers.

2.   L’échec des politiques d’abaissement du coût du travail

● Les vagues d’allègements de cotisations sociales se succèdent depuis 1993 sans que leur effet sur l’emploi ou l’activité ne fasse l’objet d’un consensus.

Si certaines évaluations ont pu conclure à des créations d’emplois, elles sont pour la plupart contestables dans leurs résultats, tant les données et les résultats laissent apparaître un manque de « robustesse ». À titre d’exemple, les créations d’emploi constatées à partir de la fin des années 1990 – près de 350 000 – pourraient bien davantage relever de la réduction du temps de travail que des allègements de cotisations.

Est robuste, en revanche, la répercussion d’une part importante des montants engagés dans les marges des entreprises. Dans son analyse de 2015, l’Institut des politiques publiques (IPP) fait ainsi état d’une transmission significative de la baisse du coût du travail dans l’augmentation du taux de marge.

Il en résulte un constat alarmant, dont nul ne peut se satisfaire : « Notre analyse empirique a montré de fortes répercussions de la réduction des charges sociales sur le taux de profit, mais peu deffets robustes sur la croissance de lemploi et des entreprises en général » ([5]).

Un constat identique est dressé par la CFDT, dans sa contribution au dernier rapport du groupe d’experts sur le SMIC, explicite à sa seule lecture : « Le coût du travail au niveau du salaire minimum en France est redevenu compétitif vis-à-vis de nos principaux partenaires européens (en 2017 : 18 941 € brut chargé pour la France, 21 468 € pour lAllemagne […]) sans pour autant susciter une vague de création demplois comme les défenseurs de lapproche par le coût du travail le promettaient il y a peu » ([6]).

● Quelles que soient leurs conséquences, ces politiques sont extrêmement coûteuses et reviennent à consacrer une part substantielle des moyens budgétaires à des dispositifs dont les résultats restent contestés.

L’annexe 5 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 ([7]) chiffre ainsi à 63,1 milliards d’euros le coût total des mesures d’exonérations sur le champ des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Elles reviennent à engager des sommes considérables sans qu’aucune évaluation globale ne soit exigée ou simplement disponible. Les structures mises en place à l’occasion du CICE – avec notamment un comité de suivi à l’échelle nationale – permettent de disposer d’une évaluation ne distinguant par exemple pas les emplois créés des emplois dits « sauvegardés », et restent prudents dans les effets constatés. Les conséquences des allègements de cotisations sur l’appareil productif, la formation ou les investissements ne sont absolument pas documentées.

La LFSS pour 2019 en a encore davantage renforcé le coût, au point de pousser le processus de suppression des cotisations sociales patronales à son terme – ces dernières seront nulles au niveau du SMIC à compter du 1er octobre 2019.

L’absence de toute évaluation rigoureuse et globale de ces politiques extrêmement coûteuses contredit donc toute règle de bonne gestion publique et laisse aujourd’hui très ouvert le débat sur l’effet réel des politiques d’allègements de cotisations conduites depuis trois décennies.

● L’échec des politiques d’abaissement du coût du travail place la France dans une double impasse :

– l’impasse des trappes à bas salaires, d’une part, incitant les employeurs à maintenir la rémunération à un niveau ouvrant droit aux exonérations. Les salariés sont alors enfermés malgré eux dans de faibles niveaux de salaires et de qualifications ;

– l’impasse de pertes de recettes devenues systématiques pour la sécurité sociale, devenue dépendante des compensations ou non par l’État.

Cette impasse se double d’une polarisation toujours plus forte du marché du travail, conduisant la France à rejoindre la triste situation des États-Unis ou du Royaume-Uni dans ce domaine.

3.   Des négociations salariales encore davantage affaiblies par la dérégulation du droit du travail

La précarisation des travailleurs est d’autant plus inquiétante qu’elle risque d’être aggravée par le nouveau droit du travail applicable depuis les ordonnances du 22 septembre 2017 ratifiées par la loi du 29 mars 2018 ([8]).

Trois éléments doivent plus précisément retenir l’attention.

D’une part, il revient désormais aux partenaires sociaux de définir, via la négociation d’un accord de méthode, les négociations obligatoires au sein de l’entreprise et de la branche. Certaines priorités pourront donc être écartées ou oubliées dans l’accord de méthode, telle que la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Or, cette négociation est un facteur clef de progression salariale des femmes, en première ligne sur le terrain des contrats précaires et des durées réduites de travail à l’origine de bas salaires. Ce risque avait d’ailleurs été souligné par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) relatif aux ordonnances précitées.

D’autre part, ces mêmes ordonnances ont espacé de trois à quatre ans la durée maximale de négociation de branche sur les salaires pouvant être définie par accord. Cette négociation n’est donc annuelle que par défaut, en l’absence d’accord. Il en va de même pour la négociation d’entreprise relative à la rémunération, au temps de travail et au partage de la valeur ajoutée. La périodicité maximale négociée par accord est portée de trois à quatre ans, et ne sera annuelle qu’en l’absence d’accord.

Enfin, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont souhaité déconcentrer les négociations au niveau de l’entreprise, diminuant de facto le rôle protecteur des branches professionnelles, notamment en matière de salaires.

Il résulte de ces modifications législatives une forte dégradation du pouvoir de négociation salariale, en particulier dans les petites entreprises, où les négociations ne peuvent être conduites à armes égales entre l’employeur et ses salariés, ces derniers étant le plus souvent peu aguerris à la pratique de la négociation de facto, seuls 12 000 accords ont été conclus en 2017.

Le sentiment d’impuissance des salariés né de la déconcentration de la négociation sur les rémunérations au niveau de l’entreprise est, d’après le sociologue M. Yann Le Lann, auditionné par le rapporteur, l’une des principaux facteurs d’explication de l’émergence des gilets jaunes : les travailleurs, appauvris dans le partage de la valeur ajoutée, le sont en effet désormais également dans leurs capacités de négociation sur ce partage.

II.   L’augmentation des salaires comme levier incontournable de pouvoir d’achat et de relance économique

La demande de revalorisation du travail et des salaires qui le rémunèrent est aujourd’hui unanime, appuyée par l’ensemble du corps social.

Le débat politique doit donc se concentrer sur les moyens de satisfaire cette demande, au bénéfice du plus grand nombre de travailleurs.

A.   Une relance salariale attendue et bénéfique pour l’ensemble de l’économie

Les effets d’une augmentation du SMIC sur l’emploi restent, aujourd’hui encore, largement débattus et soumis à précaution.

Loin du consensus dessiné par les théories libérales, écartant d’un revers de main tout scénario de relance salariale, la relation entre les salaires et l’emploi est ambivalente et sujette à caution.

Dans une étude publiée en 2012, à l’occasion du dernier « coup de pouce » au SMIC, les économistes Éric Heyer et Mathieu Plane ([9]) ont analysé les effets d’une telle augmentation sur le coût du travail et les comptes publics. Ils concluent à une création d’emploi pour les salaires au-dessus du SMIC, résultant d’un coût du travail abaissé par le renforcement de l’allègement de charges (cf. encadré infra).

La revalorisation des salaires constituerait donc un gain immédiat de pouvoir d’achat pour les travailleurs et un soutien direct à l’activité économique. Loin du postulat dessiné par les thèses libérales, cette revalorisation s’accompagnerait d’un effet différencié sur l’emploi selon le niveau de rémunération.

Impact sur l’emploi d’une hausse du SMIC de 1 % selon les déciles de salaires

(en milliers demplois)

Source : OFCE.

Dans un pays où le salaire minimum n’a connu aucun « coup de pouce » en dix ans, à l’exception de 2012, nul ne peut faire du niveau du SMIC le responsable des destructions d’emplois connues ces dernières années.

La France est d’ailleurs loin d’être le pays disposant du salaire minimum le plus élevé en Europe. Selon Eurostat, elle occupe en 2018 la cinquième position, ex aequo avec l’Allemagne, derrière le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique.

À tout prendre, le pari d’une relance économique par la revalorisation des salaires doit donc être étudié avec sérieux, comme l’ont d’ores et déjà constaté plusieurs de nos voisins européens.

Les conséquences économiques dun coup de pouce au SMIC selon lOFCE

Publiée le 17 juillet 2012, l’étude de l’OFCE analyse les effets multiples d’un coup de pouce au SMIC, dépendant principalement de la diffusion de l’augmentation sur la pyramide des autres salaires.

Les effets de la hausse du SMIC sont projetés à la fois sur les salaires, le niveau des allègements de charges, l’emploi et les finances publiques.

S’agissant des salaires, l’effet est considéré comme maximal pour le 1er décile de salaire, puis s’établit à + 2,2 % pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, avant de s’annuler au-delà. Au total, une augmentation de 1 % du SMIC entraînerait une augmentation de l’ensemble des salaires du secteur marchand de 0,1 %.

S’agissant du niveau des charges, le profil dégressif des allègements de cotisations patronales revient à en renforcer le niveau une fois le SMIC augmenté. Pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, le gain issu de l’allègement de cotisations serait supérieur au coût du complément de salaire versé par l’employeur. Une baisse du coût du travail est alors constatée. Au-delà du 6e décile, ces effets seraient nuls.

S’agissant de l’emploi, un choc de demande favorable aux salariés est à mettre en regard avec le choc d’offre défavorable aux chefs d’entreprise. Le premier, se traduisant par une relance de la consommation, s’accompagnerait de la création de 11 500 emplois. Le second, correspondant à une augmentation du coût du travail, entraînerait la destruction de 26 000 emplois. L’effet précité relatif aux allègements de cotisations viendrait néanmoins atténuer cette projection. Le nombre de destructions d’emplois occasionnées par une augmentation de 1 % du SMIC, à l’horizon d’un an, passerait de 14 500 à 2 100.

Il s’agit donc d’un effet quasi-neutre sur l’emploi, ce nombre pouvant être assimilé à la marge d’erreur.

S’agissant des finances publiques, enfin, cette même augmentation du SMIC dégraderait le solde public de 0,02 point de PIB à l’horizon d’un an.

D’autres études concluent également à l’absence d’effets négatifs d’une augmentation du SMIC sur l’emploi – voire à un effet de création d’emplois. Dans la lignée des travaux conduits par MM. David Card et Alain Krueger ([10]), une étude de M. Arindrajit Dube & al. ([11]) témoigne d’une création d’emplois mesurée dans 138 cas de hausses significatives du salaire minimum aux États-Unis entre 1979 et 2016.

L’affirmation sans débat ni chiffres d’une augmentation du SMIC nuisible à l’emploi doit donc, à tout le moins, être nuancée et débattue.

B.   Un levier de croissance économique en France comme en europe

● L’engagement en France d’une politique de relance salariale serait loin d’être un exemple isolé en Europe.

L’Espagne a ainsi fait le choix d’augmenter le salaire minimum de 22 % en 2019.

Au Portugal, également, le salaire minimum a augmenté de 3,4 % au 1er janvier 2019. Depuis 2015, les augmentations cumulées du SMIC auront atteint 18,8 %.

L’Allemagne, quant à elle, a mis fin à une triste exception en instaurant en 2015 un SMIC légal. Les effets négatifs sur l’emploi ou l’activité économique, avancés pendant tant d’années par les pourfendeurs d’un tel outil, n’ont pas été constatés.

● Au-delà des revalorisations salariales décidées dans chaque État, le débat relatif à la création d’un « SMIC européen » doit également être mené à son terme.

Son principe fait aujourd’hui largement consensus chez les représentants des travailleurs, tels qu’ils se sont exprimés lors des auditions du rapporteur.

Ses modalités d’application, en revanche, restent à préciser. Plutôt qu’un SMIC unique, applicable sans distinction, une fixation en fonction d’un autre indicateur apparaîtrait plus proche des réalités de chaque État.

Un SMIC en proportion du salaire médian constaté dans l’État-membre, par exemple, est l’une des solutions les plus pertinentes.

● La définition d’un salaire minimum apte à « satisfaire les besoins des travailleurs et de leur famille » a d’ailleurs été consacrée dans le socle européen des droits sociaux.

Proclamé par les dirigeants de l’Union européenne le 17 novembre 2017, lors du sommet social tenu à Göteborg, en Suède, ce socle contient une série d’engagements devant enclencher une convergence sociale par le haut.

Seul un SMIC européen pourra néanmoins concrétiser sans attendre cette convergence, et garantir à chaque travailleur une vie décente.

Il s’agit désormais de passer des déclarations aux actes.

III.   L’enclenchement d’un nouveau cycle de partage des richesses fondé sur la revalorisation du travail et le soutien aux tpe-PME

L’ouverture d’un nouveau cycle de partage des richesses entre le travail et le capital est aujourd’hui indispensable. Répondant à la demande de revalorisation du travail exprimée par le corps social, ce nouveau partage permettra d’interrompre le processus de précarisation des travailleurs et de répartir équitablement les fruits de la croissance économique.

A.   Faire que le salaire paye, pour que le travail paye

● L’augmentation des salaires constitue à la fois l’attente la plus forte exprimée dans le mouvement des gilets jaunes et l’outil le plus fondamental de revalorisation du travail.

Les politiques conduites depuis les premiers allègements de charges, dans les années 1990, ont voulu revaloriser le travail tout en désocialisant les salaires. La contradiction de cette approche ne peut plus être écartée.

Vouloir que le travail paye sans que le salaire paye est illusoire.

D’ailleurs, la prime d’activité privilégiée par le Gouvernement pour revaloriser le pouvoir d’achat va résolument à l’encontre de cet objectif. Pire, en intervenant à la place d’employeurs défaillants pour compléter les bas salaires via ce dispositif, l’État méconnait la valeur du travail et soumet les salariés à des variations de revenus incontrôlées, car dépendantes des charges de famille.

Plutôt qu’une course sans limite vers la suppression de toute cotisation, il convient de réaffirmer l’attachement à une sécurité sociale assise sur le travail et financée tant par le salarié que par l’employeur.

Tel est l’objectif de l’article 1er, qui fait le choix d’une augmentation directe du SMIC – se répercutant sur l’échelle des salaires via les négociations salariales – plutôt que d’une nouvelle et inefficace politique d’allègement de cotisations.

● Les TPE-PME seront les premières bénéficiaires de la revalorisation du niveau général des salaires.

Elles emploient la majeure partie des 2 millions de salariés du secteur privé percevant le SMIC, jusqu’à deux fois plus que les entreprises de plus de 500 salariés.

La proportion des bénéficiaires du SMIC tend d’ailleurs à s’accroître parmi les activités qui concentrent les emplois les plus précaires, lesquelles sont fortement représentées au sein des TPE-PME ([12]). Ainsi, au 1er janvier 2018, la proportion des salariés directement concernés a davantage progressé dans les TPE que dans les autres entreprises ([13]).

Les TPE-PME sont également les plus nombreuses à recourir aux différentes formes d’emploi précaires – contrats à durée déterminée, emplois aidés, temps partiels. Or, la part des salariés percevant le SMIC est trois fois plus élevée parmi ceux qui travaillent à temps partiel ([14]).

Réaffirmer la valeur du travail se traduit donc nécessairement par un soutien particulier apporté aux plus petites entreprises.

● La suppression progressive, par l’article 2, de l’allègement de la cotisation patronale de 6 points – dernier né des dispositifs inefficaces d’allègements de charges permettra de mettre fin à une politique coûteuse et d’ores et déjà vouée à l’échec, tout en dégageant des marges de manœuvre pour accompagner les entreprises en ayant besoin compte tenu de la revalorisation du SMIC.

B.   Soutenir les TPE-PME, poumons économiques de nos territoires

● Les TPE-PME sont au cœur du tissu économique de notre pays et occupent une place prépondérante dans l’emploi salarié du secteur privé.

Sur les 4,2 millions d’entreprises privées dénombrées en France en 2016, près de 96,5 % d’entre elles emploient moins de 250 salariés dont 3,9 millions microentreprises et 135 000 PME ([15]). Parmi les 690 000 entreprises créées en 2018, plus de 300 000 sont d’ailleurs des microentreprises ([16]). Au total, les TPE‑PME emploient ainsi plus de 6 millions de salariés et représentent près de la moitié des emplois salariés dans le secteur tertiaire marchand, à hauteur d’environ 20 % pour les TPE et de 30 % pour les PME ([17]).

Ces entreprises sont fortement représentées dans les secteurs peu concentrés, tels que le commerce, l’hôtellerie-restauration ou la construction. Il s’agit principalement d’activités de proximité, essentielles à l’économie locale et ne pouvant être délocalisées : ainsi, près de 40 % des salariés des TPE exercent une activité artisanale.

De nombreuses PME se sont par ailleurs tournées avec succès vers l’industrie, les activités scientifiques et techniques. En parallèle de leur ancrage territorial, 32 % d’entre elles exportent leur production hors des frontières et assurent ainsi leur croissance grâce aux marchés internationaux ([18]).

Elles réalisent en outre 43 % de la valeur ajoutée des entreprises des secteurs marchands non agricoles et non financier ([19]) : leur rôle moteur dans le développement économique français mérite d’être pleinement valorisé.

● Pourtant, les TPE-PME sont davantage confrontées à des difficultés de financement de leurs projets d’investissement.

En raison de leur taille, de leur difficulté à mobiliser des fonds propres et du caractère récent et risqué de leur projet de développement, elles rencontrent des difficultés structurelles de financement auprès du système bancaire comme des investisseurs privés. Si les entreprises les plus importantes sont près de 96 % à investir, cette proportion chute ainsi à 61 % parmi celles qui emploient moins de 10 salariés.

Les montants investis par les plus petites entreprises sont également les plus faibles. Si le montant investi médian des entreprises de plus de 250 salariés s’élève à 2,3 millions d’euros, il est bien inférieur pour les PME (400 000 euros) et les TPE (60 000 euros) ([20]). Le caractère amont de leur développement nécessite pourtant des apports financiers importants que le secteur privé n’est pas toujours en mesure de leur offrir.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent « reprendre la main » et donner aux TPE-PME les moyens d’assurer durablement leur croissance économique.

● L’accompagnement et le soutien des TPE-PME doivent en conséquence être placés au rang des priorités économiques qui favoriseront sans attendre l’augmentation de l’activité et la création d’emplois.

Outre l’augmentation du SMIC, qui soutiendra la demande et nourrira donc les carnets de commandes de ces entreprises, la proposition de loi mobilise deux outils à destination directe des TPE-PME.

Le fonds de soutien aux TPE-PME, en premier lieu, créé par l’article 3, apportera des solutions financières concrètes, par exemple via des aides directes ou des prêts à taux zéro. S’appuyant sur les acteurs territoriaux, et en coordination avec les acteurs du système public bancaire, ce fonds bénéficiera également aux acteurs du secteur tertiaire non-marchand et soutiendra ainsi également les acteurs du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire. Il intégrera une clause anti-abus visant à empêcher le bénéfice de ces fonds au seul titre d’un montage constitué à cette fin.

En second lieu, l’aide publique directe aux TPE-PME, créée par l’article 4, viendra compenser le coût supporté par l’employeur au titre de l’augmentation progressive du SMIC. Cette subvention directe compensera également compenser la suppression de la transformation du CICE en allègement de cotisations sociales patronales, et pourra, en outre, venir valoriser la sécurisation des contrats, par exemple au titre du passage d’un salarié du CDD au CDI.

L’ensemble de ces dispositifs à destination des TPE-PME prendront en compte l’urgence économique des outre-mer, et seront en conséquence majorés dans ces territoires.

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   COMMENTAIRES D’ARTICLES

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de la proposition de loi.

Article premier
Revalorisation progressive du SMIC et ouverture de négociations salariales obligatoires au niveau des branches professionnelles

Supprimé par la commission

Cet article propose le relèvement progressif du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en quatre étapes, échelonnées entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2022.

En outre, pour inciter l’ensemble des secteurs d’activité à relever l’échelle des salaires, cet article invite les branches professionnelles à engager des négociations sur la question des salaires minima hiérarchiques, dans un délai d’un an à compter de la publication de cette loi.

I.   La revalorisation du smic et des salaires : une nécessité pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés

1.   Un salaire minimum dont le niveau stagne depuis des années

Selon l’article L. 3231-2 du code du travail, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est censé assuré aux travailleurs dont les rémunérations sont les plus faibles « la garantie de leur pouvoir dachat », ainsi que « la participation au développement économique de la nation ». Pourtant, faute de revalorisation significative du SMIC depuis des années, cet objectif est loin d’être atteint.

a.   Les mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail

Afin de garantir – en théorie – le pouvoir d’achat des salariés et la participation au développement économique de la nation, le code du travail prévoit plusieurs mécanismes de revalorisation du SMIC :

 en premier lieu, au titre de la garantie du pouvoir d’achat des salariés, le SMIC est indexé sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation. Ainsi, chaque augmentation d’au moins 2 % de l’indice national des prix à la consommation est automatiquement suivie d’un relèvement du SMIC dans les mêmes proportions (articles L. 3231-4 et L. 3231-5 du code du travail) ;

 en outre, au titre de la participation des salariés au développement économique de la nation, le taux du salaire minimum de croissance est obligatoirement révisé et fixé chaque année par décret, avec effet au 1er janvier, pour tenir compte de l’évolution de l’économie et de la conjoncture (articles L. 3231-6 et L. 3231-7 du même code). Cette revalorisation ne peut être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère chargé du travail (article L. 3231-8 du même code). Ainsi, le SMIC augmente automatiquement au 1er janvier sous l’effet combiné de l’inflation et de la moitié de la hausse du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE) ;

 enfin, en cours d’année, le Gouvernement peut décider de manière discrétionnaire de donner un « coup de pouce » supplémentaire au SMIC, en le portant à un niveau supérieur à celui qui résulterait de la seule évolution des prix (article L. 3231-10 du même code). Le cas échéant, ces améliorations du pouvoir d’achat sont prises en compte pour l’application de la règle fixée à l’article L. 3231-8 : cette règle revient donc, le plus souvent, à amoindrir, voire annuler les effets d’une hypothétique revalorisation en cours d’année.

b.   L’absence récurrente de « coup de pouce » au SMIC 

En pratique, de tels « coups de pouce » apportés en cours d’année au SMIC sont rarissimes : au cours des dix dernières années, le salaire minimum n’a été revalorisé qu’une seule fois à titre exceptionnel, le 1er juillet 2012, pour une hausse limitée à 0,6 %.

Le groupe d’experts sur le SMIC, dont la composition est largement sujette à caution, porte sans doute une importante part de la responsabilité dans cette stagnation du SMIC. Année après année, les rapports du groupe d’experts recommandent en effet inlassablement une revalorisation de la prime d’activité, au détriment du SMIC, alors même que les données utilisées pour motiver cette décision ne sont pas comparables. Dans son rapport annuel 2017 ([21]), par exemple, le groupe d’experts estime qu’une revalorisation de 2,6 % de la prime d’activité serait préférable à une augmentation du SMIC de 1 %... mais le groupe ne fournit aucun chiffrage pour une hausse du SMIC à hauteur de 2,6 %.

Quelles que soient les raisons de cette absence de coup de pouce, l’évolution du SMIC horaire brut depuis une décennie est très faible : il s’établit au 1er janvier 2019 à 10,03 euros, contre 8,82 euros au 1er janvier 2009, soit seulement 12 % d’évolution en dix ans.

Évolution du Taux horaire du SMIC brut depuis 2009

Date deffet

SMIC horaire

Date deffet

SMIC horaire

Au 01-01-2018

9,88 €

Au 01-07-2012

9,40 €

Au 01-01-2017

9,76 €

Au 01-01-2012

9,22 €

Au 01-01-2016

9,67 €

Au 01-12-2011

9,19 €

Au 01-01-2015

9,61 €

Au 01-01-2011

9,00 €

Au 01-01-2014

9,53 €

Au 01-01-2010

8,86 €

Au 01-01-2013

9,43 €

Au 01-07-2009

8,82 €

Source : Commission des affaires sociales.

Pour un salarié travaillant 35 heures par semaine, le niveau du smic brut mensuel s’élève donc à 1 521,22 euros au 1er janvier 2019.

2.   L’augmentation du salaire minimum, a fortiori lorsqu’elle donne lieu à une renégociation des salaires minima conventionnels, a des effets positifs sur le niveau des salaires

L’absence de « coup de pouce » ampute directement le pouvoir d’achat des travailleurs au SMIC. En équivalent net, le SMIC s’élève ainsi à 62 % du revenu médian, soit à peine plus que le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian. Par comparaison, le salaire minimum portugais correspond à 64 % du salaire médian  ([22]).

Du reste, cette précarisation des salariés au SMIC affecte des catégories de salariés d’ores et déjà fragilisées par ailleurs : ainsi, 21,1 % des travailleurs à temps partiel sont rémunérés au SMIC – contre 5,9 % pour les emplois à temps complet. De même, 21,1 % des emplois en contrat à durée déterminée (CDD) sont rémunérés sur la base du SMIC, contre 7,6 % des emplois en contrat à durée indéterminée (CDI). Les jeunes de moins de 25 ans sont également particulièrement concernés par la stagnation du SMIC – 28,1 % d’entre eux sont rémunérés au SMIC, contre 6,6 % des salariés de 30 à 39 ans –, de même que les femmes : 12,7 % des salariées sont au SMIC, contre 5,5 % des hommes ([23]).

La stagnation du niveau du salaire minimum est d’autant plus regrettable que plusieurs études ont démontré que l’augmentation du SMIC a un effet positif sur l’ensemble de l’échelle des salaires même si l’effet est plus prononcé sur les bas salaires , et ce à plus forte raison lorsque l’augmentation du SMIC donne lieu à une renégociation des accords collectifs sur les salaires.

Les mécanismes collectifs de revalorisation salariale interviennent en effet à plusieurs niveaux :

 au niveau national, le SMIC est revalorisé au moins une fois par an par l’État, en application du mécanisme prévu à l’article L. 3231-6 du code du travail ;

 au niveau des branches professionnelles, les partenaires sociaux représentatifs au niveau de la branche peuvent définir les salaires minima applicables à chaque niveau de la classification des métiers représentatifs dans leur convention collective. En application du 1° de l’article L. 2253-1 du code du travail, la définition des garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques relève en effet légalement de la primauté de l’accord de branche ; un accord d’entreprise ne peut y déroger qu’à la condition d’assurer des garanties « au moins équivalentes ». Ces salaires minima – dits « conventionnels » ou « hiérarchiques » – ne peuvent être inférieurs au SMIC ;

enfin, une négociation sur les salaires effectifs doit se tenir au moins une fois tous les quatre ans dans les entreprises d’au moins cinquante salariés où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales (article L. 2242-1 du même code).

En principe, le SMIC et les minima conventionnels n’affectent les salaires individuels qu’en cas de rattrapage, c’est-à-dire lorsque les salaires se situent en dessous de ces montants « planchers » : ils doivent en effet être mécaniquement relevés, sous peine d’illégalité. Mais l’on constate dans les faits que la revalorisation de ces salaires planchers se répercute fréquemment sur les salaires plus élevés.

Plusieurs économistes expliquaient ainsi, dans une note publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de juillet 2018 ([24]), que les hausses de salaires référentiels collectifs ont des effets significatifs sur les salaires individuels : « une hausse de 1 % du SMIC par exemple un coup de pouce au moment dune revalorisation déjà prévue, ce qui correspondrait à un choc sur le SMIC réel entraîne une augmentation moyenne des salaires de base de 0,08 % un an après le choc ».

L’effet de la négociation collective, qu’elle soit de branche ou d’entreprise, est également positif sur le niveau des salaires individuels : ainsi, « la probabilité que le salaire individuel change est augmentée de 2,1 points lorsque les minima conventionnels augmentent de 1 % et de 11,0 points quand un accord dentreprise est conclu ». La hausse de 1 % des minima conventionnels de branche se traduit, selon les mêmes auteurs, par une augmentation de 0,13 % des salaires de base.

Par un effet domino, tous les salariés bénéficieraient ainsi d’une revalorisation du SMIC et de la négociation sur les minima conventionnels.

II.   Le dispositif proposÉ

Compte tenu des effets positifs du relèvement du salaire minimum tant sur le pouvoir d’achat des salariés rémunérés à ce niveau plancher que sur l’ensemble de l’échelle des salaires, cet article propose, d’une part, de relever progressivement le niveau du SMIC et, d’autre part, d’obliger les branches à ouvrir des négociations sur les salaires minima hiérarchiques, pour tirer les conséquences de la hausse du SMIC sur les salaires.

1.   Une revalorisation progressive du SMIC sur quatre ans

a.   La revalorisation proposée

Le I de cet article vise à revaloriser significativement le montant du SMIC mensuel brut, de 1 521,22 euros à 1 800 euros bruts mensuels, d’ici à 2022.

Il complète à cette fin l’article L. 3231-4 du code du travail, en proposant une augmentation en quatre temps du montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l’indexation prévue au même article. Le montant du SMIC mensuel brut ne pourrait ainsi être inférieur à :

1 620 euros au 1er juillet 2019 ;

1 680 euros au 1er janvier 2020 ;

1 740 euros au 1er janvier 2021 ;

1 800 euros au 1er janvier 2022.

Ainsi, dès l’été 2019, les salariés au SMIC verraient leur fiche de paie augmentée d’une centaine d’euros bruts : une mesure simple et efficace, qui correspond à une vraie revalorisation du pouvoir d’achat de ces travailleurs précaires.

Ces nouveaux montants serviraient de référence pour le calcul de l’indexation prévue à l’article L. 3231-4 du code du travail et, par cohérence, pour l’application de l’ensemble des mécanismes de revalorisation du SMIC prévus par le code du travail.

Le tableau ci-après indique les montants horaires bruts correspondant aux montants mensuels bruts proposés : la revalorisation correspond ainsi à une hausse de près de deux euros bruts de l’heure en quatre ans.

Équivalence SMIC mensuel et SMIC horaire brut

 

 

SMIC mensuel brut

Équivalence en SMIC horaire brut

Pourcentage dévolution

Montant observé

Au 1er janvier 2019

1 521,22 €

10,03 €

Montants proposés

Au 1er juillet 2019

1 620 €

10,68 €

+ 6,5 %

Au 1er janvier 2020

1 680 €

11,08 €

+ 3,5 %

Au 1er janvier 2021

1 740 €

11,47 €

+ 3,4 %

Au 1er janvier 2022

1 800 €

11,87 €

+ 3,4 %

Source : Commission des affaires sociales.

b.   Le coût de la revalorisation du SMIC sera largement compensé pour les entreprises, en particulier pour les TPE-PME

L’augmentation du SMIC par étapes jusqu’à 2022 représente un coût pour les entreprises, que le rapporteur tient toutefois à relativiser au regard du montant important des aides publiques dont celles-ci bénéficient, sans que ces aides soient liées à une quelconque conditionnalité en termes d’embauches ou d’investissements.

Depuis 2013, quelle que soit leur taille, les entreprises bénéficient en effet du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), au titre des rémunérations versées inférieures à 2,5 SMIC. Depuis sa mise en œuvre, ce dispositif très lucratif pour les entreprises représente un coût de plus de 20 milliards d’euros par an pour l’État.

Au 1er janvier 2019, le CICE est remplacé par une diminution de la cotisation patronale de six points, mais continuera de produire ses effets de telle sorte que les deux dispositifs se cumuleront en 2019 et, dans une moindre mesure, jusqu’en 2022 (cf. commentaire de l’article 2). Si, pour l’État, le coût de cette transition sera exorbitant en 2019 de l’ordre de 40 milliards d’euros , pour les entreprises, le gain est double : elles bénéficieront cette année non seulement du crédit d’impôt, mais aussi de la baisse des cotisations sociales patronales, sans aucune conditionnalité en termes d’emploi ou d’investissement.

En attendant la suppression progressive de ces aides, proposée à l’article 2 de cette proposition de loi, le rapporteur considère que la revalorisation du SMIC proposée au présent article serait amplement couverte, pour l’année 2019, par les aides octroyées par l’État aux entreprises dans le cadre du CICE et de la diminution de la cotisation patronale qui s’y substitue depuis 2019. Ainsi, le surcoût correspondant à la revalorisation du SMIC de 98,78 euros au 1er juillet 2019 représentera sur l’ensemble de l’année 2019 un montant cumulé de 592,68 euros, pour un salarié employé au SMIC. Or, le montant d’aide cumulé versé pour ce même salarié est près de quatre fois plus élevé, puisqu’il s’établit à 2 261,68 euros (dont la moitié correspondant au CICE et la moitié correspondant à l’allègement de cotisations patronales de six points).

À compter de 2020, toutefois, les aides versées ne compenseront plus que partiellement la hausse de la revalorisation du SMIC, compte tenu des dispositions de l’article 2 de cette proposition de loi qui réduit la baisse de cotisations patronales. Or, cette non-compensation partielle peut s’avérer problématique pour les très petites entreprises (TPE) au sein desquelles les salariés rémunérés au SMIC sont surreprésentés mais également pour les petites et moyennes entreprises (PME).

Aussi, dès 2020, la revalorisation du SMIC sera compensée, pour les entreprises ou structures du secteur tertiaire non marchand de moins de 250 salariés, par l’aide à la revalorisation des salaires créée par l’article 4 de cette proposition de loi, ainsi que par les aides complémentaires susceptibles d’être versées par le fonds de soutien créé à l’article 3.

c.   Les effets attendus

Dès le 1er juillet 2019, environ deux millions de salariés du secteur privé rémunérés au niveau du SMIC ([25]) soit un salarié sur dix bénéficieront de la revalorisation du SMIC prévue au présent article.

Les employeurs sont, en outre, tenus de revaloriser immédiatement les salaires individuels lorsque ceux-ci sont rattrapés par une hausse du SMIC. Aussi, grâce au relèvement du salaire minimum prévu au présent article, les salariés du secteur privé dont le salaire brut mensuel est situé entre le niveau du SMIC fixé au 1er janvier 2019 et les nouveaux montants mensuels bruts prévus par cet article bénéficieront également d’une hausse de leur rémunération. Par exemple, un salarié rémunéré 1 700 euros bruts par mois verrait automatiquement son salaire augmenter de quarante euros minimum par mois dès le 1er janvier 2021, puis de soixante euros minimum au 1er janvier 2019, pour atteindre 1 800 euros bruts.

D’autre part, comme il a été dit, ce relèvement du salaire minimum devrait avoir un effet positif sur les autres salaires, car les hausses du SMIC entraînent, par capillarité, un relèvement de l’ensemble de l’échelle des salaires.

2.   L’ouverture obligatoire de négociations sur les salaires minima hiérarchiques au niveau des branches

La revalorisation progressive du SMIC proposée au présent article aura un effet positif de la rémunération des salariés dont le salaire s’élève jusqu’à 1 800 euros bruts mensuels, puisque ce montant constituera, dès 2022, le seuil minimal de rémunération des salariés.

Pour tenir compte de la revalorisation progressive du SMIC, les branches professionnelles devront en conséquence renégocier les salaires minima hiérarchiques afin que ces derniers soient au moins égaux au nouveau montant du salaire minimum.

Or, l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a fortement affaibli le pouvoir des partenaires sociaux, en desserrant la périodicité des négociations sur les salaires au sein des branches. Un accord de méthode conclu au sein de la branche peut ainsi décider de négocier sur les salaires tous les deux, trois voire quatre ans : la seule obligation d’ordre public posée par l’article L. 2241-1 du code du travail en termes de périodicité est que cette négociation intervienne au moins « une fois tous les quatre ans ». À défaut d’accord de méthode, néanmoins, les branches doivent se réunir au moins une fois par an pour négocier sur les salaires (article L. 2241-8 du même code).

Afin de mieux anticiper les effets du relèvement du salaire minimum sur l’ensemble de l’échelle des salaires, le II invite donc les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel à ouvrir une concertation, dès la promulgation de la loi, sur la question des salaires et notamment des salaires minima hiérarchiques.

À l’issue de cette concertation, et dans un délai d’un an après la publication de la loi, le II oblige chaque branche professionnelle à ouvrir des négociations en vue de revaloriser les salaires minima hiérarchiques sans attendre, donc, l’échéance de négociation sur les salaires éventuellement fixée par accord de branche.

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*     *

Article 2
Suppression progressive de la réduction de 6 points
de la cotisation patronale dassurance maladie

Supprimé par la commission

L’article 2 supprime progressivement la réduction forfaitaire de 6 points de la cotisation patronale d’assurance maladie, en vigueur depuis le 1er janvier 2019 afin de compenser la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

I.   CICE et allÈgements de charges : des politiques d’abaissement du coÛt du travail coÛteuses, dont l’efficacitÉ en matiÈre d’emploi n’est pas avérÉe

Depuis les années 1990, plusieurs politiques d’allègements de cotisations patronales sur les salaires ont été mises en place par les gouvernements successifs. Alors qu’elles représentent un coût de l’ordre de 60 milliards d’euros par an, les effets de ces politiques sur l’emploi et, a fortiori, sur la compétitivité, sont très mitigés.

 Mesure phare du quinquennat précédent, le crédit dimpôt pour la compétitivité et lemploi (CICE) a été créé suite à ladoption dun amendement du Gouvernement au dernier projet de loi de finances rectificative pour 2012 ([26]), sans que le sujet ait été abordé à loccasion des élections présidentielle et législatives pourtant intervenues six mois auparavant. Il sagissait de créer ce qui est vite devenu la première dépense fiscale de lÉtat, dépassant 20 milliards deuros par an.

Le CICE est un crédit d’impôt sur les bénéfices ([27]) assis sur les rémunérations n’excédant pas 2,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Son taux, fixé à 4 % pour les rémunérations versées en 2013, a été porté à 6 % entre 2014 et 2016, puis à 7 % en 2017, avant d’être ramené à 6 % pour 2018 ([28]).

La principale critique adressée au CICE est le décalage dans le temps entre le versement des rémunérations et le plein bénéfice du crédit dimpôt afférent, dans la généralité des cas. En effet, le CICE simpute sur limpôt dû par le contribuable au titre de lannée de versement des rémunérations, sachant que limpôt dû au titre dune année N est définitivement liquidé en N+1. Si le montant de CICE excède celui de limpôt dû, lexcédent est utilisé pour payer limpôt des trois années suivantes, et cest seulement à lexpiration de cette période que léventuel solde de créance est remboursé. Cela signifie concrètement quune créance née en 2019 au titre des rémunérations servies en 2018 peut « vivre » jusquen 2022 si son montant excède limpôt dû au titre des exercices 2019 à 2021 ([29]). Selon léconomiste Henri Sterdyniak, auditionné par le rapporteur, ce mécanisme est « un exemple de ce quil ne faut pas faire », car le décalage dun an entre la naissance de la créance et le versement par lÉtat représente une « entourloupe comptable » qui pose de nombreuses difficultés, notamment lorsquil sagit de mettre fin à un tel dispositif.

● Pour tenter d’éteindre le feu des critiques pesant sur le CICE, et conformément à un engagement de campagne de l’actuel Président de la République, l’article 86 de la loi de finances pour 2018 ([30]) a supprimé le CICE pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2019, pour lui substituer un nouvel allègement de cotisations patronales de sécurité sociale. Cette substitution est opérée par l’article 9 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ([31]), qui a compensé la suppression du CICE par l’instauration d’un nouvel allègement de cotisation patronale de sécurité sociale, applicable à compter du 1er janvier 2019.

Le nouvel article L. 241-2-1 du code de la sécurité sociale créé à cette occasion a en effet réduit de 6 points le taux de la cotisation patronale maladie ([32]), sur la même assiette que le CICE (rémunérations jusquà 2,5 SMIC). Cette nouvelle réduction forfaitaire, une sorte d « équivalent-CICE », a un coût denviron 22 milliards deuros pour les administrations de sécurité sociale (ASSO).

● En 2019, les employeurs ([33]) bénéficieront donc cumulativement :

 de la créance de CICE acquise au titre des rémunérations versées en 2018 ;

 de la réduction forfaitaire de 6 points de la cotisation patronale maladie.

En comptabilité nationale, l’année 2019 apparaît donc comme une année « double », au cours de laquelle s’additionneraient le coût de la nouvelle réduction forfaitaire et celui des créances de CICE acquises au titre de 2018, soit plus d’une quarantaine de milliards d’euros. Cela ne signifie pas que le coût budgétaire sera du même niveau ; en effet, les modalités d’imputation du CICE ne sont pas modifiées, et la créance acquise au titre de 2018 sera donc imputable, selon le profil des résultats des entreprises, jusqu’en 2022.

En tout état de cause, le choix fait par le Gouvernement et la majorité aboutit à un niveau de soutien public aux entreprises absolument inégalé, et qui mérite d’être interrogé.

L’interrogation est d’autant plus légitime que le bénéfice du CICE ou de la réduction forfaitaire de 6 points de cotisation patronale maladie n’est soumis à aucune condition spécifique, ce que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a toujours contesté, depuis la création du CICE.

II.   le droit proposé

● L’article 2 de la présente proposition de loi prévoit l’extinction progressive de la réduction forfaitaire prévue par l’article L. 241-2-1 du code de la sécurité sociale, en trois temps :

 cette réduction serait ramenée de 6 à 4 points pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2020 (I du présent article, qui insère deux nouveaux alinéas après le premier alinéa de l’article L. 241-2-1) ;

 puis, elle serait ramenée à 2 points pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2021 (I également) ;

 enfin, l’article L. 241-2-1 serait abrogé à compter du 1er janvier 2022 (II).

● Les marges de manœuvre dégagées s’élèveraient ainsi à 7 milliards d’euros en 2020, 14 milliards en 2021, et 21 milliards à partir de 2022.

Ces ressources seraient affectées prioritairement au soutien des très petites et petites et moyennes entreprises (TPE-PME) pour favoriser le développement économique, la revalorisation des salaires, les embauches et les dépenses d’investissement, notamment via la création du fonds de soutien aux TPE-PME créé par l’article 3 et des aides publiques directes proposées à l’article 4.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, ces ressources pourraient en outre être rapidement mobilisées pour « revaloriser le point dindice des fonctionnaires » gelé depuis 2010 , et permettre à l’État de financer « des politiques ambitieuses dans le domaine du logement, de la santé, de la protection sociale, dans lobjectif global de réduire la fracture sociale et territoriale ».

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Article 3
Fonds de soutien aux TPE-PME et aux structures
du secteur tertiaire non marchand

Supprimé par la commission

Cet article propose de créer, à compter du 1er janvier 2020, un fonds de soutien assurant le versement d’aides aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux structures du secteur tertiaire non marchand hors administration publique, afin de les accompagner dans le relèvement progressif du montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et la hausse générale du niveau des salaires prévue par l’article 1er.

I.   Soutenir Les petites entreprises et structures du secteur tertiaire non marchand pour préserver l’emploi

● La majeure partie des 2 millions de salariés du secteur privé percevant le SMIC est employée au sein de très petites entreprises ou petites et moyennes entreprises (TPE-PME), qui constituent l’essentiel du tissu économique de notre pays : sur les 4,2 millions d’entreprises privées dénombrées en France en 2016, près de 96,5 % d’entre elles emploient moins de 250 salariés.

Or, ces entreprises emploient proportionnellement davantage de salariés au SMIC que les entreprises de 250 salariés ou plus – jusqu’à deux fois plus, en moyenne, que dans les entreprises d’au moins 500 salariés par exemple.

Proportion de salariés rémunérés sur la base du SMIC
en 2013 en fonction de la taille de l’entreprise (*)

De 10 à 19 salariés

11,3 %

De 20 à 49 salariés

12,2 %

De 50 à 99 salariés

12,5 %

De 100 à 249 salariés

8,9 %

De 250 à 499 salariés

8,4 %

500 salariés ou plus

5,5 %

(*) Champ : salariés des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé (hors apprentis, stagiaires), ensemble des secteurs hors agriculture, activités extraterritoriales, activités des ménages en tant qu’employeurs ; France métropolitaine.

Source : DARES Analyses, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du SMIC », mars 2016, n° 014.

Cela s’explique notamment par une forte représentation des TPE-PME dans les secteurs d’activité où la proportion de salariés rémunérés sur la base du SMIC est élevée, tels que la restauration et l’hébergement (21,3 % de l’ensemble des salariés sont rémunérés au SMIC) ou le commerce (12,8 %).

En conséquence, les TPE-PME sont directement affectées par les revalorisations du salaire minimum : 80 % des bénéficiaires de la revalorisation du SMIC au 1er janvier 2018 (soit près d’1,6 million de personnes) étaient ainsi salariés d’une TPE-PME. Elles seront donc d’autant plus concernées par la hausse progressive du SMIC instaurée par l’article 1er au risque, pour les plus fragiles d’entre elles, de mettre en péril certains emplois, en particulier lorsqu’elles sont confrontées par ailleurs à des difficultés importantes pour se financer ou pour offrir à leurs salariés la garantie d’un emploi pérenne.

● Les structures du secteur tertiaire non marchand – hors administration publique –, en particulier les associations, sont elles aussi particulièrement fragiles au regard de l’emploi. Comme l’a montré une récente communication ([34]) de Mme Marie-George Buffet et M. Pierre-Alain Raphan, la santé économique des 70 000 associations employant un ou plusieurs salariés en France a été particulièrement fragilisée par la diminution drastique du nombre de contrats aidés, dès l’automne 2017.

● Il apparaît dès lors nécessaire d’accompagner ces différentes entités dans la durée, pour sécuriser leur activité et, surtout, l’emploi. Ce besoin d’accompagnement apparaît d’autant plus important que les plus petites entreprises et les structures du secteur tertiaire non marchand connaissent des difficultés importantes pour offrir à leurs salariés la garantie d’un emploi pérenne.

II.   Le dispositif proposé

Cet article propose donc la création, à compter du 1er janvier 2020, d’un fonds de soutien offrant aux TPE-PME et aux entreprises du secteur tertiaire non marchand une palette d’aides variées, spécifiquement adaptées pour les accompagner dans la hausse progressive du niveau des salaires et assurer durablement leur développement économique (aides à l’innovation, prêts à taux nul ou préférentiel, apports en garantie, investissements en fonds propres…).

Il prévoit le financement de ce fonds par des concours financiers de l’État, rendus disponibles du fait de l’extinction progressive du dispositif de réduction de la cotisation patronale prévue par l’article 2, tout en permettant aux collectivités territoriales d’y contribuer.

Il définit enfin la composition et le rôle du comité stratégique chargé de définir, de mettre en œuvre et d’évaluer la politique de soutien assurée par ce fonds, et en interdit tout recours abusif.

1.   Champ et date de création du fonds

Les aides proposées par le fonds de soutien sont accordées (I) :

– d’une part, aux entreprises employant moins de deux cent cinquante salariés ;

– d’autre part, aux structures du secteur tertiaire non marchand, hors administration publique.

L’octroi des aides proposées par le fonds de soutien ne sera pas subordonné à un seuil maximum d’effectifs salariés dans les structures du secteur tertiaire non marchand, ces dernières – en particulier les associations rencontrant – des difficultés propres en matière de maintien de l’emploi.

● La date du 1er janvier 2020 retenue pour la création du fonds de soutien coïncide avec la diminution des aides versées au titre du CICE ou de l’allègement de la cotisation patronale de 6 points.

Lors du deuxième semestre de l’année 2019 en effet, la première tranche de revalorisation du SMIC (+ 6,5 %) sera largement compensée par le maintien des effets du CICE ainsi que par les allégements de cotisations sociales consentis de manière indifférenciée à l’ensemble des entreprises, avec un taux de couverture du surcoût lié au SMIC de près de 381,6 %.

Or, du fait de la poursuite de l’augmentation du SMIC en 2020 (+ 3,7 %), 2021 (+ 3,6 %) et 2022 (+ 3,4 %), et de l’extinction progressive du dispositif d’allégements de cotisations sociales sur la même période, prévues à l’article 2, ce taux de couverture ne sera que de 61,4 % au 1er janvier 2020, puis de 58 % au 1er janvier 2021.

À compter du 1er janvier 2022, la hausse du SMIC ne sera d’ailleurs plus compensée par des avantages fiscaux ou sociaux (cf. commentaire de l’article 2). En outre, les aides publiques directes proposées par l’article 4 n’accompagneront que la phase de montée en charge du SMIC, et s’éteindront également en 2022. Cette situation justifie d’apporter dès le 1er janvier 2020 un soutien pérenne aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand, lorsque les premiers effets de la suppression des baisses de cotisations sociales se feront ressentir.

2.   Assiette et nature des aides proposées

Deux catégories d’aides sont susceptibles d’être proposées aux entreprises et aux structures du secteur tertiaire non marchand par le fonds (I) :

– des aides directes visant à accompagner la revalorisation progressive du montant du SMIC, d’une part ;

– des aides au financement de projets d’investissements matériels, d’autre part.

● La première catégorie d’aides intervient en complément des aides ponctuelles créées par l’article 4. Contrairement à ces dernières, qui visent uniquement à atténuer le coût de la revalorisation du SMIC lors de sa montée en charge, les aides prévues au présent article ont pour objectif de soutenir les TPE-PME et les structures du secteur tertiaire non marchand dans la durée, afin qu’elles puissent faire face au relèvement général et durable du niveau des salaires. Le montant des aides directes versées par le fonds de soutien sera défini par décret (II).

● Pour permettre aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire non marchand de réaliser leurs projets d’investissement matériels, dont les actifs sont destinés à être utilisés durablement par l’entreprise comme moyens de production (constructions, installations techniques, matériel et outillage industriels…), le fonds pourra également verser des aides au financement.

Les outils, conditions et modalités de versement de ces aides seront définies par une convention signée par le fonds avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance et La Banque Postale. L’expérience de ces différentes institutions financières dans le soutien financier des plus petites entreprises leur offrira la possibilité d’accéder à des financeurs et des investisseurs compétents, spécialisés et performants, à même d’examiner leurs demandes et de les satisfaire, grâce à une palette complète d’instruments financiers adaptés.

Les modalités de sélection des opérations pouvant donner lieu à l’attribution d’aides au financement seront définies par décret (II).

3.   Conditions de majoration

Des aides complémentaires, dont le montant sera également défini par décret (II), sont accordées par le fonds de soutien lorsqu’un salarié, précédemment lié à l’entreprise par un contrat de travail à durée déterminée (CDD) et dont la rémunération prévue au contrat de travail est inférieure ou égale au SMIC horaire majoré de 30 %, conclut un contrat de travail à durée indéterminée (CDI).

En outre, le fonds peut décider de financer deux types d’aides complémentaires :

– lorsque le lieu d’exécution du contrat concerné par la revalorisation du SMIC prévue à l’article 1er est situé dans les collectivités d’outre-mer (COM) ;

– lorsque l’entreprise ou la structure susceptible de bénéficier des aides octroyées par le fonds de soutien embauche un salarié sous forme de CDI.

Ces dispositions ont pour but d’apporter un soutien renforcé aux entreprises et aux structures ultra-marines confrontées à des difficultés économiques importantes, ainsi que de sécuriser l’emploi salarié lors de l’embauche ou à travers la pérennisation d’une relation de travail précaire.

4.   Financement du fonds de soutien

Le II propose d’assurer principalement le financement du fonds de soutien par des concours financiers de l’État, tout en laissant subsidiairement la possibilité aux collectivités territoriales d’y contribuer.

Ce financement est rendu possible par la suppression de l’allègement de la cotisation patronale prévue par l’article 2, qui permettra d’économiser plus de 20 milliards d’euros par an à compter de 2022. L’affectation prioritaire de tout ou partie des fonds ainsi dégagés au soutien du développement économique des TPE‑PME et des structures du secteur associatif − notamment − n’aura donc pas d’incidence financière supplémentaire pour l’État.

En outre, un tel financement permettra d’assurer une meilleure et une plus juste allocation des ressources publiques, ciblées en direction des entités qui rencontrent le plus de difficultés à l’investissement et à l’emploi et occupent une place primordiale dans l’économie française.

Afin de permettre une allocation pertinente et efficace des aides octroyées par le fonds, au plus près des besoins des territoires, les collectivités territoriales auront la possibilité d’abonder son financement.

5.   Définition, mise en œuvre et évaluation de la politique de soutien

Le II prévoit la désignation d’un comité stratégique chargé de fixer les principes et d’examiner la mise en œuvre de la politique de soutien du fonds créé par le I. La répartition des membres appelés à siéger au sein du comité est divisée en quatre catégories, dont chacune représente 25 %. Il s’agit :

– de représentants de l’État ;

– de représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

– de représentants des collectivités territoriales ;

– de personnalités qualifiées.

Le président du comité stratégique est nommé par décret, sur proposition des membres du comité.

Des comités régionaux sont par ailleurs instaurés en vue d’assurer la mise en œuvre de la politique de soutien du fonds, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Les modalités de gouvernance du fonds et de sélection des projets retenus pour bénéficier des aides mentionnées au I seront définies par décret.

L’évaluation et le contrôle de l’efficacité de la politique de soutien, telle que définie par le comité stratégique et mise en œuvre par les comités régionaux, sera assurée par la rédaction annuelle d’un rapport transmis aux commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, exposant et analysant les actions conduites par le fonds, et formulant des recommandations quant aux améliorations pouvant y être apportées. Un décret en précise les modalités.

6.   Interdiction des abus

Le III propose de rendre le recours au fonds de soutien exclusif de tout montage ou série de montages mis en place pour en obtenir, à titre principal ou au titre d’un des objectifs principaux, les bénéfices ou les droits.

En effet, de nombreuses entreprises occupant moins de 250 salariés appartiennent en réalité à des grands groupes de sociétés liées entre elles par des participations au capital, parmi lesquelles seule la plus importante exerce un pouvoir de décision sur les autres. Ainsi, près de 20 % des entreprises entre 20 et 50 salariés appartiennent à des groupes de 250 salariés ou plus ([35]) et, selon les données transmises au rapporteur au cours des auditions, la moitié des TPE-PME en France appartient à de grands groupes.

Ce mécanisme permettra de prévenir tout recours abusif aux dispositifs d’aides proposés par le fonds de soutien, incitant les entités auxquels ils sont destinés à se conformer aux modalités d’attribution des aides définies par décret.

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Article 4
Versement dune aide à la revalorisation des salaires pour les TPE-PME

Supprimé par la commission

Cet article propose la création d’une aide publique destinée à soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) ainsi que les structures du secteur tertiaire non marchand, dans le cadre de la revalorisation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) proposée à l’article 1er.

Il crée également une aide visant à inciter les employeurs à transformer les contrats à durée déterminée (CDD) de leurs salariés en contrat à durée indéterminée (CDI).

I.   une aide à la revalorisation des salaires pour accompagner les tpe-pme dans la hausse du smic

Afin de compenser la revalorisation du SMIC proposée à l’article 1er de cette proposition de loi, le I crée une aide à la revalorisation des salaires pour l’ensemble des entreprises dont l’effectif est inférieur à 250 salariés, et pour les structures du secteur tertiaire non marchand – hors administration publique.

1.   Assiette et montant de l’aide

L’aide proposée est réservée aux entreprises employant un ou plusieurs salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée (CDD) ou à durée indéterminée (CDI) dont la rémunération horaire prévue au contrat de travail s’élève jusqu’à 1,3 SMIC. Les salariés concernés devront, en outre, avoir été présents dans l’entreprise au moins six mois au cours des douze mois de l’exercice précédent.

L’aide est versée en année N, au titre des rémunérations versées en année N-1, et le premier versement interviendra en 2020. En 2019, les employeurs bénéficieront en effet simultanément de la créance de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) versée au titre des années précédentes, et de la baisse de 6 points des cotisations patronales, qui compenseront largement la revalorisation d’une centaine d’euros du SMIC mensuel brut en juillet 2019.

L’aide pourra être accordée pour une durée allant jusqu’à trois ans, si l’employeur remplit les conditions requises. Il s’agit en effet d’accompagner les petites entreprises et les structures du secteur non marchand pendant les trois années de montée en charge du SMIC. À l’issue de ces trois années, les entreprises ou structures qui souhaitent bénéficier d’un soutien pourront continuer à solliciter les aides versées par le fonds de soutien créé à l’article 3.

Selon le II, le montant maximum hors majoration de l’aide accordée pour chaque salarié remplissant les conditions précitées s’élève à :

2 000 euros, pour le versement en 2020 d’une aide versée au titre de l’exercice 2019 ;

2 500 euros, pour le versement en 2021 d’une aide versée au titre de l’exercice 2020 ;

3 000 euros, pour le versement en 2022 d’une aide versée au titre de l’exercice 2021.

En fonction de la quotité de temps de travail du salarié au cours de l’exercice concerné, et notamment en cas de périodes d’absence sans maintien de la rémunération, le montant de l’aide sera réévalué au prorata de la présence effective du salarié dans l’entreprise. Cette précaution vise à éviter tout effet d’aubaine : il serait en effet illégitime de verser le montant maximum d’aide à un employeur dont le salarié n’aurait été recruté qu’en cours d’année, par exemple.

2.   Modalités de calcul de l’aide

Les montants d’aide retenus par cet article n’ont pas été choisis au hasard : ils permettent en effet de compenser le plus justement possible la hausse du SMIC proposée à l’article 1er, ainsi que la diminution des allègements de cotisations patronales prévue à l’article 2 de cette proposition de loi.

En 2019, pour un salarié rémunéré au SMIC, le montant total des aides versées à l’employeur au titre du CICE et de la baisse de la cotisation patronale d’assurance maladie serait ainsi équivalent à 2 261,68 euros, pour une rémunération brute totale versée de 18 487,32 euros (tenant compte de la revalorisation du SMIC à 1 620 euros en juillet 2019).

La revalorisation du SMIC au second semestre de l’année 2019, qui représente un surcoût de 592,68 euros pour l’employeur, serait donc très largement couverte par les aides versées à l’employeur (2 261,68 euros).

Cette équation n’est cependant plus valable à compter de 2020, puisque sous l’effet de la diminution de la réduction de la cotisation patronale d’assurance maladie à 4 points (cf. commentaire de l’article 2) et de l’expiration du CICE, le surcoût annuel lié à la revalorisation du SMIC de soixante euros au 1er juillet 2020 ne sera que partiellement compensé : le surcoût annuel représente en effet un montant de 1 312,68 euros, pour un montant d’aides s’élevant à 806,40 euros (soit une couverture de 61,4 % de la hausse du SMIC par l’allègement de cotisations patronales).

Afin de sécuriser l’emploi au sein des TPE-PME, plus sensibles au coût du travail que les grandes entreprises, l’aide de 2 000 euros proposée en 2020 viendra compenser cette « perte sèche » pour l’employeur : le total d’aides accordé s’élèverait en effet à 2 806,40 euros.

Au total, pour les seuls salariés au SMIC, le coût de cette aide directe en 2020 serait équivalent à environ 4 milliards d’euros, soit un montant bien inférieur au coût annuel du CICE.

La détermination du montant de l’aide pour 2021 et 2022 a été guidée par les mêmes principes :

 en 2021, la revalorisation du SMIC à 1 740 euros bruts mensuels entraînera un surcoût de 720 euros annuels par salarié pour l’employeur par rapport au 1er janvier 2020. À l’inverse, l’aide correspondant à l’allègement de 4 points de la cotisation patronale d’assurance maladie ne représentera que 417,60 euros, ne permettant pas de compenser intégralement la revalorisation du SMIC. L’aide de 2 500 euros, cumulée aux 417,60 euros, permettra ainsi de compenser le surcoût pour l’employeur ;

 en 2022, le surcoût annuel lié à la revalorisation du SMIC sera au même niveau qu’en 2021 (720 euros), mais l’employeur ne bénéficiera plus de l’allègement de cotisation patronale d’assurance maladie. L’aide de 3 000 euros versée au titre de l’exercice 2021 compensera néanmoins ce surcoût. 

3.   Conditions de majoration

Le montant de l’aide prévu au I peut être majoré de 20 % lorsque le lieu d’exécution du contrat de travail du salarié remplissant les conditions précitées est situé dans les collectivités d’outre-mer (COM) (II).

II.   Le versement d’une aide complémentaire pour encourager l’embauche en CDI

Si, au cours de lexercice visé, le salarié titulaire dun contrat de travail à durée déterminée (CDD) ouvrant droit à laide conclut avec le même employeur un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), lentreprise peut bénéficier dune aide complémentaire dun montant fixe de 1 000 euros (III), majoré le cas échéant de 20 % si le lieu dexécution du contrat se situe dans les collectivités doutre-mer.

L’objectif de cette disposition est d’encourager les employeurs à pérenniser l’embauche grâce à des contrats à durée indéterminée, par nature moins précaires et donc plus sécurisants pour les salariés. 

III.   Conditions de versement et de suspension des aides

1.   Modalités de versement

Les aides seront gérées par l’Agence de services et de paiement (ASP), dans le cadre d’une convention avec l’État (IV), et versées au cours du premier semestre de l’année qui suit l’exécution du contrat de travail  par exemple, au premier trimestre 2020 pour un contrat exécuté en 2019 (II, sous réserve que l’employeur ait adressé sa demande à l’ASP dans les trois mois suivant la fin de l’exercice ouvrant droit au bénéfice de l’aide.

Afin d’éviter toute fraude, l’employeur doit accompagner sa demande :

 d’un certificat sur l’honneur, prouvant son éligibilité aux conditions de versement de l’aide mentionnées au I ;

 dune attestation, transmise sous forme dématérialisée et dans des conditions précisées par arrêté, justifiant la présence du salarié pour une durée au moins égale à six mois au cours des douze mois de lexercice précédent, et mentionnant le cas échéant les périodes dabsence du salarié sans maintien de la rémunération.

2.   Conditions de suspension du versement et du remboursement des aides indues en cas de fraude avérée

Il est précisé au V que l’Agence de services et de paiement dispose de moyens étendus pour effectuer le contrôle de l’éligibilité de l’aide : elle peut ainsi se faire communiquer, dans un délai d’un mois, tout document de l’employeur justifiant l’éligibilité à l’aide. Elle dispose également d’un droit d’accès aux données de certaines administrations publiques, telles que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA).

Le versement de l’aide à la revalorisation des salaires peut être suspendu si l’employeur n’a pas transmis l’attestation justifiant la présence du salarié mentionnée au IV, ou en cas de non présentation en temps requis des documents permettant à l’ASP de contrôler les conditions d’éligibilité à l’aide (V).

De plus, en cas de déclaration ou d’attestation inexacte de l’employeur, toutes les sommes perçues devront être reversées (V).

Le VI précise en outre que le recours aux aides versées à titre de compensation de la revalorisation du SMIC ou de l’embauche en CDI d’un salarié en CDD « est exclusif de tout montage ou série de montages ayant été mis en place pour en obtenir, à titre dobjectif principal ou au titre dun des objectifs principaux, le bénéfice ».  

IV.   Évaluation du dispositif

Le VII prévoit la remise au Parlement et au ministre chargé de l’économie d’un rapport d’évaluation des effets économiques, sociaux et budgétaires du dispositif de soutien aux TPE-PME prévu à cet article.

Ce rapport, rédigé par un comité dont la composition sera déterminée par décret, et dont les membres siégeront à titre bénévole, devra détailler notamment les effets des aides prévues en termes d’évolution de la structure des salaires dans les entreprises concernées (), d’évolution sur l’emploi () et de revalorisation des territoires ().

Il devra être réalisé « au plus tard six mois avant lextinction » du dispositif, soit au plus tard le 31 juin 2021.

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Article 5
Gage

Supprimé par la commission

Cet article a pour objet de permettre la recevabilité financière de la présente proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

Il prévoit un mécanisme de compensation, pour l’État et pour les collectivités territoriales, des charges qui résulteraient de la mise en place des articles 1er à 4 de cette proposition de loi.

Le dispositif proposé repose sur une majoration à due concurrence :

 d’une part, des droits pesant sur les tabacs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ;

d’autre part, de la dotation globale de fonctionnement (DGF).


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   annexeS

annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

    Table ronde des organisations syndicales représentatives de salariés

 Confédération française de lencadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Gérard Mardiné, secrétaire national, et M. Renan Francastel, chargé d’études économiques

 Confédération générale du travail (CGT) – M. Boris Plazzi, membre de la direction confédérale, et M. Alain Alphon-Layre, conseiller confédéral

 Force ouvrière (CGT-FO)  M. Michel Beaugas, secrétaire confédéral

    Table ronde sur le bilan des politiques dallègements de cotisations sociales et daides aux entreprises

 M. Henri Sterdyniak, économiste

 France Stratégie – Mme Amandine BrunSchammé, Mme Rozenn Desplatz, et M. Antoine Naboulet, co-rapporteurs du comité de suivi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE)

    Table ronde sur les effets de laugmentation des salaires sur lemploi et léconomie

 Conseil économique, social et environnemental (CESE) – M. Frédéric Boccara, économiste et membre

 Institut de recherches économiques et sociales (IRES) M. Michel Husson, économiste, chercheur associé

 Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision

    M. Jean-Christophe Le Duigou, économiste

    Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) M. Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyse et prévision

    Table ronde de sociologues

 M. Bernard Friot, sociologue et économiste

 M. Yann Le Lann, sociologue du travail


—  1  —

annexe n° 2 :
liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro darticle

1er

Code du travail

L. 3231-4

2

Code de la sécurité sociale

L. 241-2-1


—  1  —

   compte rendu des travaux

  La commission examine la proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum et interprofessionnel de croissance et les salaires en accompagnant les très petites entreprises et petites et moyennes entreprises (n° 1610) (M. Stéphane Peu, rapporteur) lors de sa séance du mercredi 20 février 2019.

  http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7294482_5c6d0dcdcaf8f.commission-des-affaires-sociales--proposition-de-loi-sur-le-smic-et-l-accompagnement-des-pme-20-fevrier-2019

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre commission est réunie ce matin pour examiner la proposition de loi visant à augmenter le salaire minimum et interprofessionnel de croissance (SMIC) et les salaires en accompagnant les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) n° 1610 de M. Stéphane Peu, qui en est le rapporteur, et du groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR).

Monsieur le rapporteur, nous vous souhaitons la bienvenue dans notre commission.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Merci, madame la présidente.

Depuis un an et demi, nous entendons très régulièrement qu’il faut « que le travail paye », dans la bouche du Président de la République, du Premier ministre, des membres du Gouvernement, de la majorité parlementaire mais aussi et plus généralement de nombreux responsables publics et syndicaux. On a également entendu cette aspiration dans le mouvement des « gilets jaunes ». On peut dire qu’il y a dans notre pays un accord au moins sur ce point : donner la priorité à la valorisation du travail.

Cette priorité relève d’ailleurs de l’évidence : comment peut-on s’accommoder d’une société où les travailleurs pauvres se multiplient, où les bas salaires nourrissent la précarité et où le chômage de masse reste une réalité ? Pourtant, force est de constater qu’il s’agit aujourd’hui d’une priorité de papier. L’injustice des arbitrages budgétaires du début du quinquennat ne fait plus aucun doute. L’ambition de justice sociale a laissé la place à une politique favorisant les plus riches et faisant le pari d’un ruissellement dont chacun sait ici qu’il n’est qu’un mirage. 

La responsabilité n’incombe d’ailleurs pas au seul Gouvernement actuel. Elle est le résultat de trente années de politiques de l’offre ayant systématiquement sacrifié la rémunération du travail sur l’autel de la compétitivité et de bénéfices toujours plus grands pour les actionnaires et une poignée de privilégiés. Trente années où les majorités successives ont tenté – en vain – d’importer des modèles étrangers, tantôt scandinaves, tantôt allemand, tantôt anglo-saxons, niant par là-même la singularité de la France. Trente années où la dérégulation du droit du travail n’a cessé de se renforcer au détriment de la protection de l’emploi.

Le travail est ainsi devenu le grand perdant du partage des richesses. La proposition de loi que je défends aujourd’hui au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine est une invitation à ouvrir un nouveau cycle de politique économique au service du progrès social.

Avant d’entrer dans son détail, nous devons au préalable nous départir d’un certain nombre d’a priori ou d’idées reçues qui paralysent chaque jour le débat.

Premièrement, les cotisations sociales ne sont pas des « charges », qui pèseraient injustement sur les employeurs. Je reprends à mon compte cette phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. » Les cotisations sociales sont des droits et des créances pour l’avenir, financés à la fois par les salariés et les employeurs. Désocialiser les salaires, ce n’est ni soutenir le travail, ni aider l’économie : cela revient uniquement à appauvrir la sécurité sociale, les exonérations étant de moins en moins compensées par l’État.

Deuxièmement, l’augmentation du SMIC ne conduit pas à des destructions d’emplois. Les études ne confirment nullement les scénarios catastrophiques que l’on nous prédit parfois, et les diverses auditions que nous avons conduites ces dernières jours nous l’ont rappelé. L’effet d’une augmentation du SMIC sur l’activité, en revanche, est bien réel. Par un effet de diffusion, il contribue à l’augmentation générale du niveau des salaires, comme de nombreux travaux économiques le démontrent. En alimentant la consommation des ménages, il pourrait être le principal levier de relance de l’activité économique. Investir dans les salaires est donc un bon investissement, qui en outre ne partira ainsi ni dans la spéculation ni dans les paradis fiscaux.

Troisième remarque : le salaire ne peut être financé par l’impôt, comme le fait le Gouvernement avec l’augmentation de la prime d’activité. Le salaire est la reconnaissance de la contribution des travailleurs à la création de richesses. Les travailleurs ne demandent pas une allocation : ils veulent vivre de leur travail.

En outre, c’est l’efficacité redistributive de la prime d’activité pour lutter contre la précarité et augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs qui peut être ainsi remise en cause. Seul un salarié au SMIC sur deux sera concerné par la revalorisation de la prime d’activité, dont l’octroi est conditionné par la structure de chaque foyer. Contrairement au salaire, cette prime n’ouvre aucun droit. Elle ne se traduira pas dans l’évolution de leur carrière ou de leur qualification et n’entrera pas non plus dans le calcul de la retraite ni, bien sûr, des allocations chômage. Pour le Gouvernement, il s’agit encore une fois de contourner la problématique du partage des richesses, au détriment du travail. Pour les entreprises, il s’agit d’un facteur de déresponsabilisation au profit des pouvoirs publics. Pourquoi feraient-elles l’effort d’augmenter les salaires si l’État ou la puissance publique se substitue à elles en augmentant la prime d’activité ? Dans tous les cas, le recours à un tel dispositif périphérique aux salaires est un mauvais signal qui ne répond pas aux attentes et aux aspirations de nos concitoyens.

Quatrième remarque : il faut en finir avec l’addiction française aux politiques d’allégement de cotisations sociales patronales, politiques au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour les travailleurs, enfermés dans des trappes à bas salaires. Alors que l’on pointe souvent les gaspillages d’argent public, on est en droit de s’interroger sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont l’efficience est davantage fondée sur la croyance que sur des résultats réels.

J’ai été extrêmement surpris d’apprendre, lors de l’audition des représentants de France Stratégie mais aussi d’autres acteurs, que les appareils de statistiques et de suivi français, des plus officiels aux plus indépendants, ne possèdent aucune capacité d’évaluer le CICE, qui existe pourtant depuis 2014. Ce flou peut d’ailleurs se comprendre puisque, comme il n’y a pas de contrepartie, il n’y a évidemment pas de critère d’évaluation. Quand on connaît les montants alloués, quelque vingt milliards par an, cela pose tout de même problème, quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur la mesure.

La seule évaluation qui existe fait état, de manière très approximative, de « 100 000 emplois créés ou sauvegardés », une nuance en soi difficile à apprécier. Avec 20 milliards d’euros engagés chaque année, voilà une véritable gabegie d’argent public. Aucun gain n’a été constaté sur le terrain des exportations ni celui de la compétitivité, qui était pourtant l’objectif initial. Le grand gagnant de ce dispositif n’aura été donc ni l’emploi ni la compétitivité, mais probablement davantage les marges des entreprises, qui ont atteint des niveaux records grâce à ces financements de l’État.

C’est dans ce contexte qu’intervient cette proposition de loi, entrant directement en écho avec les revendications de nos concitoyens et du mouvement populaire et social qui agite notre pays depuis quelques mois. Nous affirmons ici un principe, haut et fort : pour que le travail paye, il faut d’abord que le salaire paye !

Deux leviers doivent être actionnés sans attendre. D’une part, l’augmentation immédiate et continue des salaires. Initiée au niveau du SMIC, qui atteindrait 1 800 euros bruts mensuels en 2022, cette augmentation irriguerait progressivement l’ensemble de l’échelle des salaires, notamment grâce à l’ouverture obligatoire de négociations salariales dans chaque branche.

D’autre part, la suppression de dispositifs inefficaces – le CICE hier, sa bascule en allégement de cotisations sociales patronales aujourd’hui – permettra de responsabiliser les employeurs et d’en finir avec la double impasse de ces politiques : la création de trappes à bas salaires et les effets nocifs sur les comptes de la sécurité sociale. Tels sont les objectifs des articles 1er et 2.

Par ce texte, nous faisons également le pari de la responsabilité des entreprises et de l’État, qui doit reprendre la main sur la question du partage des richesses dans notre pays.

L’augmentation des salaires, et en particulier du SMIC, ne sera pas neutre pour nos entreprises. Nous savons que le tissu économique de notre pays n’est pas homogène. Les TPE-PME, en particulier, sont les véritables poumons économiques de nos territoires et doivent donc être accompagnées dans la trajectoire d’augmentation des salaires.

L’ère des financements et aides publiques sans contrepartie, cependant, est révolue. Nous préférons des dispositifs de soutien ciblés et évalués, accompagnant les entreprises dans leurs investissements et les employeurs dans la sécurisation des parcours des salariés.

Deux outils, dans cette proposition de loi, y concourent. En premier lieu, le fonds de soutien aux TPE-PME, prévu à l’article 3, mobilisera toute une palette d’outils afin de financer l’augmentation des salaires et d’assurer un développement économique durable. Des aides à l’innovation ou des prêts à taux nul ou préférentiel seront ainsi financés par l’État, à partir des financements rendus disponibles par la suppression de la bascule du CICE en allégement de cotisations patronales.

En second lieu, l’aide publique aux TPE-PME, créée à l’article 4, prendra la forme de subventions destinées à accompagner l’augmentation du SMIC et à encourager les embauches durables. Un employeur proposant un CDI à un salarié au terme de son CDD bénéficierait par exemple d’une aide complémentaire de 1 000 euros. Précisons que le montant des aides proposées n’est pas le fruit du hasard : un chiffrage précis a été réalisé en amont du dépôt de cette proposition de loi, pour que les aides accompagnent le plus justement possible les petites entreprises dans le processus de revalorisation du SMIC et des salaires.

Je tiens à préciser que cette aide publique sera assortie d’un mécanisme anti-abus afin d’éviter les pratiques illégales de la part des groupes vis-à-vis de leurs filiales.

Enfin, une attention particulière est portée aux territoires ultra-marins, dont les atouts et les opportunités ne sont pas suffisamment valorisés aujourd’hui faute de dispositifs adaptés. L’ensemble des aides prévues dans cette proposition de loi seront donc majorées et viendront amplifier le mouvement de relance salariale dans ces territoires de la République trop souvent négligés.

Mes chers collègues, cette proposition de loi doit nous amener à ouvrir un nouveau cycle de répartition de la richesse créée, plus juste, plus équilibré, plus responsable. Les options que nous formulons ne sont ni excessives ni clivantes : elles visent simplement à permettre à chacun de vivre de son travail.

On ne peut pas continuer à déplorer la précarisation des travailleurs et une concentration toujours plus forte des richesses à l’autre bout de la chaîne ; nous devons passer aux actes. Le Premier ministre a déclaré la semaine dernière, en réponse à l’interpellation du président Chassaigne sur cette niche parlementaire : « Ayons le plaisir démocratique et l’exigence républicaine de débattre ensemble. » Alors je vous dis chiche ! Prenons ce plaisir, relevons ce défi, débattons, ne censurons pas, ne supprimons pas les articles, mais allons au bout de la discussion. Pour cela, mobilisons des arguments, confrontons les chiffres et faisons le bilan des politiques passées.

Les amendements déposés par la majorité ne vont malheureusement pas dans ce sens et je le regrette. Je formule donc le vœu que notre réunion de commission donne l’occasion à chacun de s’exprimer en responsabilité sur les articles que nous proposons. C’est à cette condition que les citoyens qui nous regardent prendront acte de notre appropriation de l’enjeu du pouvoir d’achat. C’est à cette condition que nous pourrons, enfin, faire en sorte que le travail paye.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Fadila Khattabi.  Monsieur le rapporteur, avant de vous exposer la position de notre groupe, il me semble opportun de souligner dès à présent que nous partageons avec vous un point essentiel, à savoir l’augmentation du pouvoir d’achat de nos concitoyens. Oui, tout comme vous, nous voulons faire en sorte que le travail paye mieux. Nous partageons cet objectif mais nous ne déployons pas les mêmes moyens pour y parvenir.

Vous proposez en effet d’agir directement sur le montant du salaire minimum en l’augmentant de manière progressive sur trois ans, à hauteur de 18 %. Or cette augmentation nous paraît contre-productive, voire dangereuse. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), cette hausse de 18 % du SMIC provoquerait la destruction d’au moins 270 000 emplois.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, dans le cadre des mesures d’urgence économique et sociale votées en décembre dernier, de revaloriser la prime d’activité. C’est en effet une stratégie qui nous permet d’améliorer le pouvoir d’achat tout en préservant l’emploi.

De plus, la loi votée l’été dernier pour la liberté de choisir son avenir professionnel vise à lutter contre le chômage de masse en montant en compétences, notamment chez les publics les plus fragiles, tout en répondant aux besoins des entreprises. Nous sommes en effet convaincus que c’est en luttant contre le chômage de masse, en soutenant la création d’emplois que nous pourrons observer des effets positifs sur l’évolution des salaires.

Par ailleurs, à travers les ordonnances travail, nous avons choisi de renforcer le dialogue social dans l’entreprise, un dialogue qui implique désormais une négociation annuelle obligatoire portant entre autres sur les salaires effectifs. De plus, la loi PACTE prévoit une meilleure redistribution des dividendes aux salariés, via notamment la suppression du forfait social.

Pour finir, vous proposez la création d’un dispositif encore plus complexe que le CICE, par le biais d’un fonds de soutien aux TPE-PME et d’aides directes octroyées de manière variable, avec une gestion territoriale mais aussi nationale, selon des critères non encore définis. Nous faisons, quant à nous, le choix de transformer le CICE en baisses de charges pérennes, mécanisme moins lourd et plus facilement accessible, notamment pour les petites structures et le monde associatif, que nous ne devons pas oublier.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche votera contre cette proposition de loi.

M. Stéphane Viry. Il existe indéniablement une situation d’urgence dans notre pays et la question sociale s’impose à nous tous. Celle-ci implique de traiter le sujet du pouvoir d’achat, et ce qui prime, c’est le coût de la vie, avec des biens et des services, dont le logement, qui grèvent les budgets d’un grand nombre de ménages.

Au-delà de cette proposition de loi, se pose à nous tous la question d’un modèle économique et social qui apparaît exsangue, à bout de souffle et qui ne peut in fine que conduire notre pays vers une forme d’effondrement économique, d’épuisement social et peut-être démocratique. C’est la raison pour laquelle le débat proposé par ce texte est d’actualité.

Force est de constater que le SMIC français coûte peu aux employeurs, du fait des baisses de cotisations sociales, ce qui pose la question du financement de notre protection sociale. Je tiens également à rappeler que le SMIC français est le cinquième plus élevé d’Europe ; certains pays ont des SMIC très inférieurs et d’autres, tels que la Suède, le Danemark, l’Italie, n’en ont pas.

Je n’ai pas le même avis que vous, monsieur le rapporteur, sur le CICE. Il est d’ailleurs trop tôt, à mon avis, pour évaluer un tel dispositif. Il faut au minimum cinq à dix ans pour procéder  à l’évaluation d’une politique publique. Nous étions opposés à l’usine à gaz du CICE, préférant une réponse pérenne et simple avec la baisse des cotisations sociales. Je le dis parce que vous financez votre dispositif par le CICE.

Votre proposition d’augmentation du SMIC conduirait à augmenter le coût du travail, ce qui détériorerait la capacité des entreprises à embaucher des jeunes, des seniors, des travailleurs non qualifiés et serait dramatique, considérant la situation que connaît notre pays. Cela impacterait par ailleurs les finances de l’État par le mécanisme des exonérations et, enfin, représenterait un fort risque de trappes à bas salaires, bloquant un grand nombre de salariés.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne peut soutenir cette proposition de loi.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Nous examinons ce matin une proposition de loi visant à augmenter le SMIC et les salaires en accompagnant les TPE et PME.

Notre pays traverse depuis plusieurs semaines une crise majeure. Les attentes des Français en matière de pouvoir d’achat sont, nous le savons, nombreuses et reviennent régulièrement dans les débats qui sont organisés à travers le territoire. Le Gouvernement et notre assemblée ont entendu la détresse de certains de nos concitoyens. Les mesures d’urgence que nous avons votées au mois de décembre dernier ont ainsi procédé à une hausse des rémunérations au niveau du SMIC par une augmentation de la prime d’activité et un élargissement du panel des bénéficiaires. Il s’agit d’une mesure forte à destination des ménages modestes et qui n’augmente pas le coût du travail.

Le taux d’emploi des personnes peu qualifiées reste aujourd’hui trop bas. Nous devons continuer, comme nous le faisons actuellement, à investir dans les compétences des personnes peu qualifiées pour améliorer leur employabilité. C’est l’objectif du plan d’investissement dans les compétences, qui devrait rapidement porter ses fruits. La hausse du SMIC proposée par le présent texte ne répondra pas à cette problématique et risquerait de provoquer un effet de rattrapage, avec écrasement des salaires.

Par ailleurs, nous croyons que la transformation du CICE en baisses de charges pérennes, que nous avons votée lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), permettra de diminuer le coût du travail directement chaque mois, dynamisant ainsi l’embauche de manière durable, notamment sur les bas niveaux de salaire.

Le grand débat national en cours nous invite à réfléchir à des solutions visant à améliorer le quotidien des Français. Nous voyons émerger de nombreuses propositions qui devront être entendues et examinées avec la plus grande attention. Celle qui nous est présentée ce matin ne nous semble pas répondre de manière adéquate à l’enjeu qui est le nôtre.

Le groupe MODEM et apparentés ne votera donc pas ce texte.

M. Boris Vallaud. Depuis vingt mois, le Gouvernement n’a de cesse de proclamer qu’il faut que le travail paye, mais dans votre esprit cette formule n’est pas équivalent à un autre adage populaire selon lequel « tout travail mérite salaire », puisque ce n’est pas le salaire qui paye le travail mais la solidarité nationale, et singulièrement les retraités, dont vous avez augmenté la contribution sociale généralisée (CSG). Dans votre esprit, c’est même l’inverse puisque l’étude d’impact du PLFSS indique que le basculement des charges sur la CSG va entraîner « une convergence à la baisse des salaires bruts ». On voit bien que vous êtes sur une politique de modération salariale et certainement pas d’accroissement des rémunérations.

Pourtant, c’est bien la question des salaires qui est aujourd’hui posée, à l’aune d’une croissance qui, même si elle demeure modeste, a été retrouvée, d’une distribution sans précédent de dividendes par les grandes entreprises, et d’écarts de rémunération insondables et injustifiables. Depuis trente ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a cessé de baisser. Voilà pourquoi un certain nombre de pays compétitifs, l’Allemagne, les États-Unis, l’Espagne, se posent la question de l’augmentation du salaire minimum, et je crois que nous devons nous-mêmes nous poser cette question avec urgence.

Si notre groupe est favorable à ce débat sur l’augmentation du SMIC, nous souhaitons le corréler à d’autres sujets que vous avez écartés dans un certain nombre de débats parlementaires. Je pense à la question des écarts de rémunération, que nous avons voulus contenir. Emmanuel Faber, lorsqu’il était vice-président de Danone, faisait un calcul simple et disait : « Si nous diminuons de 30 % le salaire des 1 % de salariés les mieux payés de Danone, cela permettrait de doubler le salaire des 20 % les moins bien payés. » Vous voyez bien que le problème, dans ces grandes entreprises exposées à la concurrence internationale, ce n’est pas tant le SMIC que les rémunérations délirantes de leurs dirigeants.

Il faut également modifier la gouvernance d’entreprise. Il n’y aurait pas de rémunérations excessives ou de salaires ridiculement bas si les salariés étaient représentés comme il se doit dans les conseils d’administration. Il convient en outre de préférer les stratégies industrielles et la distribution de salaires aux dividendes.

Enfin, il faut se poser la question de la justice fiscale. Elle est posée dans le débat. Songez que, pour les 0,1 % de Français les mieux payés, le taux effectif d’imposition est de l’ordre de 25 % alors que, pour les salariés au SMIC, il est plutôt de 45 %. Voilà pourquoi on peut augmenter le SMIC si l’on pose une question bien plus large de justice dans l’entreprise et de justice fiscale.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Dans un contexte où le reste à vivre et les difficultés à boucler les fins de mois constituent une préoccupation majeure pour bon nombre de nos concitoyens, nous partageons les préoccupations à l’origine de cette proposition de loi. Pour autant, même si son intention est louable, nous ne pouvons qu’y être défavorables. Le dispositif vise à porter le SMIC à 1 800 euros brut en quatre ans, couplé à une extinction progressive des allégements de charges, et à remplacer le CICE. Il s’agirait d’un renchérissement net du coût du travail potentiellement très destructeur d’emplois. Je rappelle qu’une augmentation du SMIC de 1 % constituerait un frein net à la création d’emplois dans des proportions, qui varient, il est vrai, selon les économistes, de 2 500 à 30 000 voire 40 000 emplois détruits.

Par ailleurs, en raison de l’écrasement de l’échelle des salaires en France, une augmentation du SMIC signifierait la nécessité d’augmenter les salaires situés juste au-dessus de ce seuil, avec des conséquences également très négatives sur l’emploi.

Du strict point de vue économique, cela aurait également comme conséquence à moyen terme une inflation accrue entraînant une annulation du gain de pouvoir d’achat, à rebours de l’effet recherché.

Lors de l’examen du projet de loi « gilets jaunes » en décembre dernier, nous avions exprimé notre préférence pour l’utilisation de la prime d’activité comme la moins mauvaise des solutions pour redonner du pouvoir d’achat et lutter contre la précarité, plutôt qu’une hausse du SMIC au-delà de la revalorisation légale, potentiellement destructrice d’emplois. Nous restons cependant attachés au symbole que constitue le bulletin de salaire, preuve du labeur accompli et de la contribution personnelle à la société. La charge symbolique attachée à une augmentation du montant sur la fiche de paye serait indéniablement bien plus forte. Par ailleurs, le montant porté sur la fiche de paye reste le critère essentiel pris en compte par les banques dans leur prise de décision de crédit aux particuliers. Nous préconisons donc d’inscrire le montant de la prime d’activité versée aux individus sur la feuille de paye, une procédure facilitée par la mise en place du prélèvement à la source.

Notre groupe ne votera donc pas cette proposition de loi.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à augmenter le SMIC jusqu’à 1 400 euros nets mensuels. C’est une mesure que le groupe La France insoumise soutiendra sans réserve, notamment parce que nous avions porté cette proposition lors de l’élection présidentielle.

Le groupe GDR propose également la fin progressive de l’exonération de cotisations sociales qui remplace désormais le CICE. C’est une bonne mesure puisque les rapports successifs ont montré l’inefficacité du CICE, qui n’a pas créé d’emplois et n’a pas permis d’en maintenir de façon suffisante.

Pour terminer, cette proposition de loi propose d’instaurer un fonds d’aide aux TPE-PME et aux associations avec l’argent qui sera récupéré par la fin du CICE. C’est une bonne idée car les entreprises qui créent réellement de l’emploi et de la richesse partagée, et font vivre nos villes, sont justement les TPE et PME.

Nous soutiendrons toutes ces mesures car nous pensons qu’elles auront un effet positif sur l’emploi et sur l’économie française.

Cependant, il est important de prendre en compte la situation particulière des outre-mer. La prime de vie chère, que vous connaissez, est un complément de salaire octroyé par l’État à ses fonctionnaires vivant en outre-mer car les pouvoirs publics reconnaissent que le coût de la vie est plus élevé dans nos territoires que dans l’Hexagone. Mais la vie est chère pour l’ensemble des salariés. Cette différence de traitement entre fonctionnaires et salariés du privé fracture notre société, laissant penser aux uns que les autres bénéficient d’un privilège. Le meilleur moyen d’abolir cette injustice est d’accorder cette prime à toute la population. Évidemment, il faudra que l’État assume ses responsabilités et pense à un dispositif d’accompagnement économique pour les entreprises. Pour le passage de ce texte en séance publique, au nom de l’égalité je proposerai donc un amendement pour appliquer la prime de vie chère aux salariés et employés du secteur privé en outre-mer.

M. Pierre Dharréville. Une forte exigence de justice traverse la société. Pour l’immense majorité de celles et ceux qui vivent de leur force de travail, la rémunération du travail, précisément, est en berne. La logique de modération salariale à l’œuvre en France est pour partie inscrite dans des textes européens. Nous pensons qu’il est temps d’en changer en augmentant résolument les salaires et la rémunération du travail. La richesse est produite par le travail mais captée par un petit nombre, notamment les actionnaires. Toutes les statistiques confirment ce transfert de la valeur ajoutée du travail vers le capital. Nous ne pouvons plus laisser perdurer cette logique destructrice pour nos sociétés.

Nous voulons donc une juste rémunération du travail. Vous affirmez, chers collègues de la majorité, votre volonté d’augmenter le pouvoir d’achat, mais on ne peut pas encore constater sa concrétisation. Si le capital n’était pas mis à contribution, toute augmentation du pouvoir d’achat serait autofinancée et relèverait donc du mirage. Vous avez aussi annoncé à plusieurs reprises votre volonté de réduire de coût du travail, mais cela se traduit systématiquement sur la fiche de paie des salariés. Il faut sortir de cette spirale mortifère.

Loin de s’en tenir à de simples slogans, le groupe GDR a formulé des propositions concrètes qui tiennent compte de la complexité de l’économie et de la place qu’y occupent les TPE et les PME. Le système que nous prônons est certes plus élaboré que celui du CICE, une mesure aveugle qui a produit des effets très contestables. Nous proposons d’enclencher un cercle vertueux en sortant de l’opposition entre l’emploi et les salaires, qui alimente la spirale dont j’ai parlé dans laquelle le travail est mal reconnu et mal rémunéré, et qui ne résout pas le problème de l’emploi. La proposition de loi qui vous est soumise vise à répondre à des aspirations profondes et nous espérons que cette discussion pourra aboutir.

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de nous donner l’occasion de débattre de l’augmentation du SMIC, une question sur laquelle les économistes sont divisés. Depuis vingt-cinq ans, la France privilégie le recours aux mesures de baisse du coût du travail : la réduction des cotisations patronales est un levier historique. Bien qu’il ait évité des suppressions d’emploi, le CICE n’a pas produit les effets escomptés. Il a surtout profité aux grandes entreprises, en particulier dans le secteur de la grande distribution, au détriment des TPE et des PME et sans entraîner d’effet massif sur la création d’emploi.

C’est pourquoi le groupe Libertés et Territoires voit d’un bon œil les mesures qui nous sont proposées car elles apportent une solution au principal problème du CICE en orientant les économies engendrées par sa suppression progressive en direction du soutien aux TPE et PME, notamment par la création d’un fonds de soutien dédié. Nous ne pouvons qu’approuver le fléchage des aides en direction des petites entreprises car elles sont les premières créatrices d’emploi et permettent de maintenir l’activité dans les territoires. Cette mesure participerait en outre de l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs et permettrait de relancer la consommation en augmentant du même coup le produit de la TVA.

Malgré ses avantages, cette proposition suscite toutefois des questions encore en suspens, en ce qui concerne par exemple son incidence budgétaire au regard de nos engagements européens.

Vous proposez de bonifier les aides aux entreprises des collectivités d’outre-mer : c’est une bonne chose, étant donné les difficultés particulières que rencontrent ces territoires.

Si nous approuvons la proposition sur le fond, reste à se pencher sur son application effective. Les aides directes et indirectes et le dégel du point d’indice seront-ils réellement compensés par la fin de la réduction des cotisations ?

Quoi qu’il en soit, le groupe Libertés et Territoires aborde l’examen de cette proposition dans un esprit d’ouverture en souhaitant soutenir le pouvoir d’achat des salariés rémunérés au SMIC et l’emploi dans les territoires.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux interventions des députés.

Mme Monique Iborra. La présentation de cette proposition de loi se comprend dans le contexte actuel, mais je reviendrai tout de même sur trois points. Vous commentez le CICE, monsieur le rapporteur, mais peut-être ignorez-vous que dans certains cas – comme j’ai pu le constater moi-même –, il a servi à augmenter les salaires alors que ce n’était pas son but initial. D’autre part, il s’est traduit par des investissements qui n’auraient pas été réalisés sans cette mesure. Quant aux emplois créés, on peut certes regretter qu’ils n’aient pas été plus nombreux mais il y en a bel et bien eu.

D’aucuns jugeront cette proposition de loi généreuse, mais elle est tout de même un peu simpliste. En effet, les PME et les PMI que vous souhaitez accompagner – pourquoi pas ? – ne créent des emplois que si leur carnet de commandes est bien rempli. L’augmentation du SMIC ne suffira donc pas à elle seule à créer des emplois pérennes. Pour assurer des salaires décents et des emplois pérennes, il faut une intervention beaucoup plus large et cohérente consistant non seulement à répondre à l’urgence ressentie en matière de pouvoir d’achat – ce que nous faisons avec la prime d’activité – mais aussi à conduire une politique complémentaire de qualification et de formation. Les politiques publiques doivent notamment privilégier une croissance riche en emplois. Votre proposition de loi omet ces exigences et, bien qu’elle semble généreuse, n’est donc pas adaptée à la situation à laquelle nous sommes confrontés.

Mme Isabelle Valentin. Notre pays marche parfois sur la tête et cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir de vrais débats. En effet, la France qui travaille est souvent celle qui est la plus pénalisée. Les entreprises croulent sous les charges, la suradministration et la surnormalisation, et les salariés, asphyxiés par les impôts, subissent tous une baisse de leur pouvoir d’achat. Depuis plusieurs années, les classes moyennes sont les plus touchées par cette politique qui vise à dévaloriser le travail.

Pour remettre les choses à l’endroit, trois mesures d’urgence s’imposent. La première consiste à faire en sorte qu’un salarié qui travaille doit toujours gagner plus qu’un bénéficiaire des revenus de solidarité. Le deuxième doit permettre de donner de l’oxygène aux entreprises grâce à des mesures adaptées, car trop de petites et moyennes entreprises mettent la clef sous la porte à cause de la hausse de leurs charges et de leurs impôts, mais aussi des normes françaises excessives qui augmentent les coûts de production.

Enfin et surtout : les baisses de charges sur les bas salaires sont inefficaces car elles incitent à moins rémunérer les salariés. Nous mesurons depuis des années qu’elles ne fonctionnent pas. L’augmentation du SMIC présente un risque majeur pour la compétitivité de nos entreprises. Peut-être faudrait-il envisager de baisser les charges sur les salaires moyens, compris entre 1 400 et 1 600 euros nets par mois, afin d’inciter les employeurs à mieux rémunérer les salariés sans surcoût pour les entreprises tout en gardant à l’esprit l’objectif de compétitivité. Revalorisons le travail qui fait la grandeur de la France, pour que chaque salarié puisse récolter dignement les fruits de son travail.

M. Sébastien Chenu. Comme vous l’indiquiez dans votre propos liminaire, monsieur le rapporteur, la détérioration du pouvoir d’achat des Français est la conséquence d’une stagnation des salaires par rapport à l’inflation et de l’augmentation des dépenses de consommation contraintes dans le budget des ménages. Vous citez à juste titre une étude de l’INSEE d’octobre 2018 qui montre que la part des dépenses pré-engagées est passée de 12,4 % du revenu disponible en 1959 à 29,4 % en 2017. L’augmentation des plus bas revenus est donc une piste à envisager pour augmenter le pouvoir d’achat des Français les plus modestes. Elle ne doit cependant pas être la seule.

Votre rapport prône l’augmentation du SMIC sans évoquer le minimum vieillesse ni les petites retraites. Selon certains économistes, une augmentation générale du SMIC et des salaires les plus faibles se traduit mécaniquement par une hausse de l’inflation et, par conséquent, du prix des produits de consommation. La hausse générale du SMIC se ferait donc au détriment des retraités les plus modestes, qui subiraient directement la hausse des prix de consommation.

Dès lors, envisagez-vous, parallèlement à la hausse du SMIC, de revaloriser le minimum vieillesse dans les mêmes proportions et selon le même calendrier ? Les députés du Rassemblement national proposent quant à eux d’instaurer une prime de pouvoir d’achat à destination des bas revenus et des petites retraites – c’est-à-dire pour les revenus inférieurs à 1 500 euros par mois – qui serait financée par une contribution sociale de 3 % sur les importations.

M. Bernard Perrut. J’insisterai pour ma part sur la nécessité d’une baisse des charges pour tous les niveaux de salaire. La baisse des seules charges liées au SMIC risquerait d’enfermer une grande partie des travailleurs français dans le salaire minimum. Il faut agir pour relancer la création d’emplois et redonner du pouvoir d’achat aux salariés. Oui, il faut que le montant du salaire net se rapproche de celui du salaire brut grâce à la diminution et à la disparition de certaines cotisations.

Les petites entreprises ne seraient d’ailleurs pas en mesure de supporter une hausse aussi importante et rapide du salaire minimum. En outre, cette mesure dissuaderait l’embauche de travailleurs peu qualifiés dont le salaire se rapprocherait de salariés plus diplômés.

Je rappellerai quelques-unes de nos propositions, monsieur le rapporteur. Le groupe Les Républicains propose par exemple de simplifier radicalement le code du travail, ainsi qu’un choc de libération fiscale pour relancer la compétitivité des entreprises par des baisses de charges ou d’impôts de production afin de diminuer le coût du travail. Nous voulons que le travail paie toujours plus que l’assistanat. Aujourd’hui, il existe 47 aides sous conditions de ressources dont le coût avoisine 100 milliards d’euros et a doublé depuis 2009. Nous proposons de créer une allocation sociale unique permettant de répondre à cette attente. Quelles que soient les positions des uns et des autres ici, l’objectif est de soutenir la création d’emplois et le développement économique. Or nous sommes conscients des difficultés que rencontrent nos concitoyens, dont les mouvements en cours dans la France entière se font l’écho.

M. Julien Aubert. Je commencerai par répondre aux arguments du groupe majoritaire concernant ce texte. L’augmentation de la prime d’activité ne saurait selon moi être placée sur le même plan qu’une augmentation du SMIC. En effet, la prime d’activité est en réalité une subvention qui permet de disposer d’un reste à vivre acceptable. Elle est payée par le contribuable dans une logique de revenu universel que certains ont autrefois prônée. Elle n’entre pas dans le calcul de la retraite. C’est donc certes un palliatif de court terme qui ouvre un accès au pouvoir d’achat, mais ce n’est aucunement une solution structurelle.

En face, le rapporteur nous propose une solution structurelle d’augmentation. Ma principale critique porte sur le fait que votre analyse se fait en termes nominaux : le problème ne tient pas tant au revenu qu’à ce qui peut en être fait. Il n’est que de constater l’évolution des prix du logement : dès lors qu’en vingt ans, le prix du mètre carré parisien a doublé voire triplé, comment voulez-vous qu’un smicard puisse se loger à Paris ? Il en va de même des prix de l’énergie : le prix de la facture d’électricité a bondi de 40 %. Autrement dit, la réflexion sur le niveau du salaire ne peut pas être décorrélée du reste à vivre et du système fiscal adossé au salaire, qui permettent de jouir d’un mode de vie décent. De plus, en se concentrant perpétuellement sur le salariat, on oublie d’autres catégories de population comme les agriculteurs et les indépendants qui, eux, ne sont pas concernés par ce type de mesures alors qu’ils rencontrent aussi des problèmes réels.

Enfin, pour transcender les critiques qui vous ont été adressées par nos collègues communistes et socialistes, il existe en effet un déport de la valeur ajoutée du travail vers le capital. Pour y répondre, il faut faire des salariés des capitalistes. C’est le projet de la participation que défendait autrefois le général de Gaulle, et c’est selon moi la seule manière de surmonter ce dilemme.

Mme Josiane Corneloup. Le mouvement des « gilets jaunes » traduit un mécontentement des Français, exaspérés par l’augmentation des taxes et du carburant. La France, c’est ce salarié de Saône-et-Loire qui parcourt quatre-vingts kilomètres par jour pour se rendre à son travail ; ce sont ces infirmiers qui font jusqu’à deux cents kilomètres pour soigner leurs patients ; ce sont des artisans, des familles et des retraités. Cette crise a mis en lumière les difficultés qu’ont les classes moyennes à s’en sortir et à vivre convenablement de leur travail. Jamais il n’y a eu autant de prélèvements obligatoires affectant directement le pouvoir d’achat de nos concitoyens, notamment les plus fragiles.

Je suis naturellement favorable à un coup de pouce aux salaires des classes moyennes afin qu’elles retrouvent davantage de pouvoir d’achat, mais la transformation du CICE en fonds d’aide ne me semble pas être la bonne solution. Vous justifiez la suppression du CICE, monsieur le rapporteur, par ses résultats incertains et par une absence de création d’emplois. Toutefois, le but premier du CICE n’était pas la création d’emplois ; il visait à redonner des marges de manœuvre aux entreprises pour investir et prospecter sur de nouveaux marchés.

Le SMIC français est le cinquième plus élevé d’Europe. Son augmentation reviendrait à renchérir le coût du travail, détériorerait de ce fait notre capacité à créer des emplois et réduirait notre compétitivité. Or le déficit de la balance commerciale française, qui s’élève à 59,9 milliards d’euros, a atteint un nouveau record en 2018. Les produits français sont encore trop chers et se situent sur le segment de moyenne gamme, ce qui les met en porte-à-faux par rapport aux produits à haute valeur ajoutée et aux produits provenant de pays à bas coût de main-d’œuvre. Dès lors, la France ne parvient pas à gagner des parts de marché sur la scène internationale. C’est pourquoi il ne me paraît pas judicieux de renchérir le prix des produits français.

Mme Nadia Ramassamy. Cette proposition de loi est l’occasion de débattre de la question importante de l’augmentation du SMIC, en l’occurrence de 200 euros nets en trois ans. Élue d’un territoire particulièrement touché par la pauvreté et les bas salaires, je ne peux que souscrire à l’objectif de la proposition de loi, à savoir aider les plus modestes. Toutefois, si nous partageons le même but, nous n’avons pas les mêmes méthodes. Les entreprises françaises sont lourdement taxées ; c’est un fait que confirment toutes les comparaisons internationales. Dans le contexte d’une économie mondialisée, cette situation les pénalise et les empêche de créer des emplois.

Ce qui est vrai dans l’Hexagone l’est encore davantage dans les territoires ultramarins. La Réunion, par exemple, est en concurrence avec Maurice et Madagascar, où le coût du travail est nettement plus faible. La conséquence sur les entreprises cherchant à s’installer dans notre région est directe : elles ne viennent pas chez nous.

Selon moi, la résolution du problème de la pauvreté passe avant tout par le développement économique des entreprises. Il nous faut donc réfléchir à des méthodes alternatives de promotion du tissu entrepreneurial local afin de permettre aux entreprises d’augmenter les salaires.

M. Stéphane Peu, rapporteur. À constater le ratio entre le nombre d’intervenants qui disent souscrire à notre projet et ceux qui s’apprêtent à désapprouver le texte, je me dis que nous avançons. Autre remarque d’ordre général : après 1989, un débat politique et économique a eu lieu autour du fait que la chute du mur ouvrait une nouvelle ère, celle de la fin de l’histoire, qu’un seul modèle – celui du capitalisme libéral – allait s’imposer au monde et qu’il ne serait plus question de le contester mais simplement de l’aménager. Trente ans plus tard, le Président Macron, lors des vœux qu’il a prononcés le 1er janvier, a eu cette déclaration étonnante : le capitalisme ultralibéral et financier, a-t-il dit, va vers sa fin. Autrement dit, en trente ans, on nous a d’abord annoncé la fin de l’histoire au profit d’un modèle unique puis la fin de ce même modèle – une nouvelle fin de l’histoire, en quelque sorte. Le rapprochement des deux dates m’a paru pertinent parce que l’idée répandue en France et dans beaucoup d’autres sociétés selon laquelle il n’existe qu’un seul modèle possible, dans lequel nous serions enfermés et qu’il ne faudrait qu’adapter ou réformer à la marge, me semble être dans une large mesure à l’origine de la crise politique, sociale et démocratique que nous connaissons. Il nous appartient aussi de réfléchir au moment que nous vivons en tâchant de nous libérer des dogmes dans lesquels certains d’entre vous, ou d’entre nous – j’essaie de m’en libérer autant que possible – se sont enfermés, décourageant encore davantage les citoyens de s’intéresser à la politique qui, en fin de compte, ne défend qu’un modèle unique.

Pour répondre plus précisément aux intervenants, je m’étonne des affirmations concernant les conséquences d’une augmentation du SMIC d’une part et, d’autre part, des mérites du CICE que ne corrobore aucun économiste ni aucune structure, même la plus officielle. Peut-être certains députés disposent-ils de sources qui m’ont échappé au fil des auditions, mais même le cabinet de la ministre du travail nous a expliqué que le CICE était à l’évidence un échec par rapport à ses ambitions initiales. À ce propos, je rappelle à Mme Corneloup qui prétend que l’objectif du CICE ne concernait pas l’emploi que l’emploi figure dans son acronyme : crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. C’est si vrai qu’à sa création, le président du MEDEF de l’époque a arboré à sa boutonnière un badge promettant un million d’emplois. Or, tout le monde constate cet échec – à commencer par France Stratégie, l’organisme placé auprès du Premier ministre et chargé d’évaluer les résultats du CICE, et le ministère du travail. J’invite donc les députés du groupe majoritaire à ne pas se faire plus royalistes que le roi : il n’est pas nécessaire que le débat cède à des excès quasiment religieux. Si l’église affirme que c’est faux, vous n’êtes pas obligés de continuer à croire !

Mme Khattabi a formulé un autre argument difficile à prouver : une augmentation du SMIC, moyennant les contreparties et les aides que nous proposons, aurait-elle des conséquences aussi négatives sur l’emploi que vous le prétendez ? Les économistes ne sont pas d’accord sur ce point. Selon l’étude la plus aboutie qui nous a été livrée et qui est annexée au rapport, produite par Mathieu Plane pour l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une augmentation du SMIC dans les conditions que nous proposons aurait sur l’emploi des conséquences « de l’épaisseur du trait » qu’il est très difficile d’évaluer. De même, personne n’évalue les conséquences positives pour l’emploi d’une relance de la consommation par la hausse des bas salaires. Chacun sait que l’augmentation des bas salaires ne se retrouve ni dans les paradis fiscaux, ni dans l’épargne, ni dans la spéculation mais dans la consommation. Quelle serait l’effet de ce regain de consommation sur l’emploi ? Force est de constater que la politique de l’offre pratiquée depuis trente ans a échoué. L’idée selon laquelle les profits d’aujourd’hui feront les investissements de demain et les emplois d’après-demain, ressassée depuis plus de trois décennies, ne recueille plus le crédit de nos concitoyens puisque les profits d’avant-hier ont pour l’essentiel fait les dividendes d’hier, maintenu le chômage de masse d’aujourd’hui et accru la précarité et la pauvreté des salariés qui touchent des bas salaires. Peut-être ce théorème n’est-il pas faux en tous points mais au moins n’est-il plus crédible pour nos concitoyens.

Quant aux ordonnances sur le travail, madame Khattabi, elles prévoient que les négociations obligatoires, par exemple sur un accord de branche, ne soient plus annuelles mais quadriennales. On ne saurait donc renvoyer la seule question salariale aux négociations dans l’entreprise. J’ajoute que le mouvement des « gilets jaunes », qui ne s’adresse qu’à l’État et pas ou peu à l’entreprise, témoigne surtout – un fait sans doute rassurant à court terme pour le patronat et le MEDEF, mais inquiétant à long terme – que l’entreprise n’est plus un espace de négociation salariale, et qu’il faut constamment faire appel à l’État. Ce n’est guère rassurant quant à la qualité du dialogue social et des relations dans le monde du travail.

Je partage entièrement votre argument, monsieur Viry, selon lequel la stagnation voire la baisse du pouvoir d’achat tient non seulement à la question salariale mais aussi à celle de la part des dépenses contraintes, en particulier les dépenses de logement. Selon une récente étude de l’INSEE, la part des dépenses de logement dans le revenu disponible des ménages était en moyenne de 10 % en 1959 alors qu’elle atteint désormais 25 %. En zone tendue, où la pression qui pèse sur le marché du logement est la plus forte mais où les bas salaires sont à peu près identiques, cette part est supérieure et atteint souvent 40 %, en Île-de-France par exemple.

J’attends, monsieur Vallaud, de connaître la position de votre groupe sur cette proposition de loi ; sans doute viendra-t-elle à l’issue de nos débats. En ce qui concerne le partage des richesses, les PDG des entreprises du CAC 40 gagnent en moyenne 119 fois plus que leurs salariés. Rappelons que les négociateurs du Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du MEDEF, lors de l’élaboration des accords de Grenelle en 1968, étaient mandatés pour obtenir un écart-plancher de 1 à 20 sur l’échelle des salaires. Voilà l’écart qui était jugé acceptable en 1968 ; il est aujourd’hui de 1 à 120. Cette évolution accroît nécessairement les inégalités perçues et réelles.

Enfin, monsieur Chenu, la revalorisation du minimum vieillesse n’est pas l’objet de la proposition de loi puisqu’elle porte précisément sur la question du salaire, en particulier du SMIC. Il n’est pas à exclure, cependant, que l’augmentation du SMIC aura des conséquences sur le calcul des pensions de retraite et de différentes allocations.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er
Revalorisation progressive du SMIC et ouverture de négociations salariales obligatoires au niveau des branches professionnelles

La commission examine l'amendement AS2 de Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 1er. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, nous partageons l’objectif – lutter contre la précarité en améliorant le pouvoir d’achat – mais nous nous opposons à la mesure prévue dans cet article : une augmentation du SMIC étalée sur trois ans pour qu’il atteigne 1 800 euros en brut, soit 1 440 euros en net. En augmentant le coût du travail, cette mesure mettrait à mal la compétitivité de nos entreprises et aurait un impact négatif sur leur activité et donc sur l’emploi. Je ne rappelle pas les chiffres de la DARES qui vont dans ce sens.

Néanmoins, nous sommes conscients qu'il est urgent d'agir en faveur du pouvoir d'achat. Nous avons d'ailleurs été élus sur cette thématique-là. C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour la revalorisation de la prime d'activité qui touche un plus grand nombre de personnes puisqu'elle englobe les revenus allant de 0,5 à 1,5 SMIC. Contrairement à ce qui a été dit, elle concerne également les fonctionnaires et les entrepreneurs. Dans le cadre des mesures d'urgence économique et sociale, cette prime est ainsi octroyée à 1 million de bénéficiaires supplémentaires.

Pour un salarié au SMIC vivant seul, le salaire minimum perçu représente 1 204 euros de salaire net par mois, auxquels s'ajoutent dorénavant 240 euros de prime d'activité, ce qui fait un montant net total de 1 444 euros par mois. Nous parvenons ainsi à améliorer le pouvoir d'achat sans mettre à mal l'emploi. Pour toutes ces raisons, nous vous proposons la suppression de cet article.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Avant de répondre sur les arguments précis, je vais faire deux remarques de fond.

Ce n’est pas pour rien que, dans mon propos introductif, j’ai cité la réponse d’Édouard Philippe à André Chassaigne. Alors que le Président de la République et le Gouvernement ont lancé un grand débat, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale répond par des amendements de suppression à notre proposition de loi qui se veut équilibrée et sérieuse. On peut ne pas être d'accord avec les mesures mais notre proposition de loi est sérieuse. En agissant ainsi, le groupe majoritaire empêche le débat. Il me semble que cela n’est pas conforme à la philosophie du moment. Pourquoi s’autoriser un grand débat dans le pays et s’interdire le débat dans l'enceinte de l'Assemblée nationale qui devrait être le cœur battant de la République ?

Je voudrais aussi réagir à votre phrase : « Nous avons d'ailleurs été élus sur cette thématique-là. » Je suis élu dans une circonscription comprenant une ville de plus de 100 000 habitants, Saint-Denis. Au premier tour des élections présidentielles, le Président de la République a recueilli 23 % des voix dans cette ville très populaire, c'est-à-dire un pourcentage inférieur à son score moyen national. Au deuxième tour de l'élection présidentielle, il y a obtenu le score le plus élevé dans une ville de plus de 100 000 habitants : 86 %. Pensez-vous que ces personnes – 86 % des votants – ont donné leur voix à Emmanuel Macron parce qu’ils approuvaient son programme ou parce qu’ils voulaient empêcher un danger bien plus grand pour notre pays, c'est-à-dire l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir ? En 2002, Jacques Chirac avait fait la même erreur en ne prenant pas en compte les conditions de l'élection du deuxième tour et la diversité des électeurs : il avait considéré le vote comme une approbation de son programme, ce qui revenait à une usurpation. Tout cela n'est pas pour rien dans la crise démocratique que traverse actuellement notre pays. Je vous invite donc à faire attention à ne pas manier cet argument avec trop de précipitation parce qu'il peut se retourner et accroître la crise démocratique. Faites attention et soyez responsable. Si je vous le dis ce n’est pas parce qu’il y va mon intérêt politique mais parce qu’il y va de l'intérêt du débat démocratique dans notre pays.

J’en viens à vos arguments précis, madame Khattabi. La prime d'activité bénéficiera à un salarié au SMIC sur deux. Nous ne sommes donc pas du tout sur le même champ. On dit : il faut que le travail paie. Pour que le travail paie, le seul moyen est d’agir sur le salaire. Ce n’est pas en agissant sur des allocations – la prime d'activité en est une – que l’on revalorisera le travail. Pour revaloriser le travail, il faut revaloriser le salaire et la place du salarié dans l’entreprise. Rappelons que le SMIC n’a fait l’objet que d’un seul coup de pouce, c'est-à-dire d’une augmentation supérieure à l'inflation, au cours des dix dernières années. Ce fut le cas en 2012. L’augmentation que nous proposons pourrait presque être considérée comme un rattrapage.

Enfin, on peut promouvoir l'idée de créer un SMIC européen. Ce salaire minimum n’aurait pas la même valeur partout mais il serait fixé en fonction du salaire médian de chaque pays. On peut toujours citer les pays qui n'ont pas de SMIC. On peut également citer des pays comme l’Allemagne qui, face à la montée massive des travailleurs pauvres, ont récemment créé un salaire minimum. On peut aussi citer des pays comme le Portugal, où le salaire minimum – rapporté au salaire médian – est supérieur à celui de la France, ce qui entraîne des conséquences positives sur la croissance économique et l'emploi bien supérieures à celles enregistrées chez nous. Les exemples peuvent être maniés de différentes manières.

M. Pierre Dharréville. J'ai entendu dire que cette proposition était généreuse. Elle n’est pas généreuse, elle est juste. Ce n'est pas la même chose. J'ai entendu dire que cette proposition était simpliste. Elle est adaptée, ce n'est pas la même chose.

Je veux bien parler du carnet de commandes des TPE-PME car c'est une vraie question posée à l'économie de notre pays. Cela étant, il faut du pouvoir d’achat pour que nous puissions mieux répondre à nos besoins et mieux consommer. Il faut donc amorcer la pompe et sortir du cercle vicieux dans lequel nous sommes enfermés. C'est la proposition que nous faisons.

Vous donnez l’impression de vouloir augmenter le pouvoir d’achat en augmentant tout sauf le salaire. Ça ne peut pas fonctionner. Pourquoi ce tabou ? Pourquoi refuser de discuter de cette question salariale ? C’est incompréhensible. Nous posons cette question avec force. Nous demandons comment vous allez notamment mettre à contribution les profits des grandes entreprises et des actionnaires afin d’augmenter les salaires. Il y a là une contradiction qu'il faut affronter. Ce n’est pas en essayant d'installer quelques petites perfusions, qui maintiennent d'ailleurs des régimes de bas salaires, que l’on réglera ce problème.

Nous avons aussi déposé une proposition de loi sur la revalorisation du pouvoir d'achat des retraités. Chaque chose en son temps car on ne peut évidemment pas tout mettre dans une proposition de loi examinée à la faveur d’une niche parlementaire. Quoi qu’il en soit, ces questions nous semblent importantes et nous ne croyons pas qu’il soit possible de faire l'impasse sur la nécessaire augmentation du SMIC et des salaires. Nous proposons donc de ne pas adopter cet amendement de suppression.

Mme Fadila Khattabi. Monsieur le rapporteur, nous ne sommes en aucun cas responsables de la montée de l'extrême droite dans notre pays. Nous ne sommes élus que depuis un an et demi, il est important de le souligner.

Nous pouvons poursuivre le débat mais je maintiens que nous avons été élus sur cette thématique du pouvoir d'achat. Nous avons d'ailleurs adopté des mesures en faveur du pouvoir d'achat : la suppression de la taxe d'habitation, le reste à charge zéro, la revalorisation des minima sociaux et de la prime d'activité. Nous faisons le choix de soutenir la compétitivité de nos entreprises. Quant à vous, vous proposez une augmentation de 18 % du SMIC. Même si elle est progressive, cette hausse mettrait à mal l'activité de nos entreprises et elle aurait donc in fine un impact négatif sur l'emploi.

M. Boris Vallaud. Instruit de ce qu’a été notre dernière niche parlementaire, je ne peux que regretter avec Stéphane Peu que, au moment où se déroule le grand débat national, le seul endroit où l’on ne puisse pas vraiment débattre, c’est ici. En réalité, je ne m'étonne pas du peu de considération à l’égard du Parlement et des oppositions. Pour répondre à l’interpellation de Stéphane Peu, je voudrais dire que nous ne voterons évidemment pas pour la suppression de cet article.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Si elle répond à un véritable enjeu que nous ne voulons pas nier, la hausse du SMIC proposée entraînerait une hausse significative du coût du travail, ce qui représenterait un vrai risque pour les embauches. La prime pour l'emploi, même si elle est perfectible en ce qu'elle ne touche pas tous les travailleurs, et notamment ceux qui travaillent à temps très partiel, a permis de redonner du pouvoir d'achat à un nombre important de salariés dans le cadre des mesures d'urgence. C’est pourquoi nous sommes plutôt favorables à la suppression de cet article.

M. Pierre Dharréville. On nous oppose qu’il ne faut pas augmenter les salaires pour ne pas créer du chômage. On ne peut pas établir une telle opposition. Poussée à l’extrême, cette logique ferait dire qu’il faut baisser les salaires pour créer de l'emploi. D’ailleurs, c’est un peu ce qui est en train de se passer d’une façon mécanique. Je crois que l’on ne peut pas entrer dans ces logiques de dumping et que, au contraire, il faut y mettre fin. Je suis très attentif à la qualité des emplois que nous créons et à la nature de leur rémunération. Il faut vraiment enclencher d'autres dynamiques économiques. C’est cela qui est à l'ordre du jour.

Mme Jeanine Dubié. Des mesures ont été prises pour augmenter le pouvoir d'achat mais notre débat du jour porte sur une meilleure rémunération du travail par la revalorisation du SMIC. C’est pourquoi nous ne voterons pas pour la suppression de cet article.

M. Laurent Pietraszewski. Cher collègue Boris Vallaud, nous ne faisons pas grief à votre groupe ou à d’autres groupes d’opposition d’avoir déposé, à moult reprises, des amendements de suppression concernant les textes que nous défendons. Nous ne voudrions pas penser que votre lecture de la démocratie serait à sens unique. Connaissant votre rigueur intellectuelle, je sais que vous serez d’accord avec moi sur ce point. À vous comme à notre rapporteur, je dirais aussi que nous débattons bien du fond de cette proposition de loi en discutant de cet amendement de suppression. C’est le fonctionnement de notre démocratie participative.

Mme Monique Iborra. Je voulais revenir sur l'aspect démocratique de la situation.

Premier point : certaines propositions de loi peuvent être généreuses ; elles peuvent aussi être opportunistes. On ne peut pas le nier. Entre nous, on peut même se l’avouer.

Deuxième point : alors que le grand débat national est un succès, pourquoi ne pas attendre ses conclusions pour formuler des réponses adaptées ? Notre débat est important. Dans la situation actuelle, celui des citoyens l'est encore plus. Attendons que tous les gens, y compris les « gilets jaunes » qui participent peu à peu au débat, s'expriment de façon démocratique. Nous verrons ensuite ce que nous faisons.

Dernier point : dans ce cadre-là, les partenaires sociaux ont largement leur mot à dire. Vous avez dû les auditionner. Ils sont concernés par le grand débat national. Ils pourront nous donner leurs propositions pour peu qu'ils soient tous d'accord sur les solutions à adopter.

En l’occurrence, la démocratie est largement respectée. Vos propos font partie du jeu parlementaire, mais ne faisons pas croire à nos concitoyens que nous n'avons tous que de pures intentions.

La commission adopte l'amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement AS6 du rapporteur tombe.

Après l’article 1

La commission est saisie de l'amendement AS7 du rapporteur.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Cet amendement confie à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle la compétence pour désigner les membres du groupe d'experts relatif au SMIC. Il s'agit ainsi de garantir une indépendance totale de ses membres et un avis reflétant la diversité des points de vue exprimés dans le domaine de la revalorisation salariale.

Enfin, l’amendement maintient le renvoi au pouvoir réglementaire de la définition des modalités de fonctionnement du groupe.

Pour faire écho aux propos de Mme Iborra, j’indique que cet amendement résulte notamment des auditions des partenaires sociaux.

La commission rejette l'amendement.

Article 2
Suppression progressive de la réduction de 6 points de la cotisation patronale d’assurance maladie

La commission examine l'amendement AS3 de Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Nous nous opposons à l'article 2 qui vise à supprimer les réductions de cotisations, adoptées dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. Il nous paraît contre-productif de revenir sur cette disposition qui simplifie le système. Plusieurs simulations économiques, entre autres celle de l'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE –, montrent que la baisse des cotisations aura un impact positif sur la création d'emploi. Je sais, monsieur le rapporteur, que nous n'allons pas être d'accord sur ce point. Quoi qu’il en soit, c’est ce qu’affirme l'OFCE. Revenir sur cette mesure provoquerait, à l'inverse, la destruction de nombreux emplois.

Compte tenu du rôle de modérateur indéniable que jouent les allégements de cotisations sur le coût du travail mais aussi sur la création et la sauvegarde de l'emploi, nous proposons de supprimer l'article 2.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Effectivement, nous ne sommes absolument pas d'accord avec vous. Nous avons auditionné des experts de l'OFCE. Ils nous ont déclaré qu’ils ne disposaient d'aucun document statistique sur les effets du CICE sur l'emploi ou même sur la compétitivité.

Prenons des sources à caractère plus officiel comme les collaborateurs de la ministre du travail ou les analystes de France Stratégie. Les collaborateurs de la ministre du travail nous parlent d'un échec patent.

Les analystes de France Stratégie disent qu’ils n’ont peut-être pas le recul nécessaire pour évaluer les effets du CICE et que la notion d’emploi préservé est assez aléatoire, peu scientifique. Or, alors que les montants d’argent public engagé sont considérables, le nombre d’emplois créés ou préservés est estimé à 100 000 tout au plus. Nombre d’économistes auditionnés considèrent que le CICE a échoué, qu’il constitue un immense gâchis d'argent public et qu'il faut le revisiter. Je parle du CICE mais aussi du dispositif qui va lui succéder à partir de cette année, c'est-à-dire de l’allégement pérenne des cotisations patronales.

Cet article correspond, selon nous, à une vérité scientifique qui nous a été fournie par les auditions.

M. Pierre Dharréville. Je passe sur le procès en opportunisme qui m'a été fait pour venir appuyer les propos du rapporteur. Nous avons les moyens ici de redonner de l’efficacité à de l’argent public qui a été rendu inutile sinon nuisible. Il a été jusqu’à alimenter une spéculation contre les développements économiques nécessaires à notre pays. Cette possibilité est d’autant plus importante que le montant du CICE a été doublé cette année en raison de la transformation de la mesure en allégement pérenne de charges. Le montant total est de 42 milliards d'euros, ce qui est considérable. On peut critiquer la manière dont cet argent a été distribué. On peut utiliser cet argent autrement et le rendre utile au développement économique et social de notre pays. Nous pouvons prendre immédiatement une mesure utile qui va redonner de l'air à la fois dans la sphère publique et dans la sphère privée.

La commission adopte l'amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Article 3
Fonds de soutien aux TPE-PME et aux structures du secteur tertiaire
non marchand

La commission examine l'amendement AS4 de Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Nous sommes contre la création d’un fonds de soutien spécifiquement dédié aux TPE-PME. Cette mesure nous apparaît d’autant plus contre-productive que les critères d'intervention semblent complexes et peu clairs. Selon l’OFCE, le critère de la taille d’une entreprise n'est pas le plus approprié. La démarche peut se heurter aux règles de la concurrence et bon nombre d’entreprises appartiennent à des réseaux beaucoup plus vastes. Les petites structures, qui disposent rarement des ressources humaines nécessaires, auront aussi du mal à se saisir d’un dispositif particulièrement lourd et complexe.

Nous préférons appliquer une baisse des cotisations pérenne. Ce mécanisme simple fonctionne par le biais des déclarations des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales – URSSAF –, ce qui permet de toucher l'ensemble des structures visées.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l'article 3.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Il n’est pas raisonnable de considérer que le tissu économique de notre pays est homogène. Toutes les entreprises ne rencontrent pas les mêmes difficultés pour rémunérer le travail, former, transformer les contrats courts en contrats durables. Pour les PME, TPE, commerçants et artisans, la problématique n’est pas la même que pour les grands groupes du CAC 40 et les multinationales. Vous devez tous rencontrer des dirigeants de PME sur vos territoires et vous devez tous savoir que leur situation n’a rien à voir avec celle des patrons de grande entreprise. En lui-même, ce système aveugle, qui distribue de l'argent public sans contrepartie, est donc problématique.

Vous critiquez la complexité de notre mesure. On peut aussi supprimer toutes les règles et distribuer l'argent public en open bar. Quand il s'agit des allocations chômage ou d’allocations sociales diverses, on sait ajouter des règles et du contrôle. Je n’ai rien contre. En revanche, je ne vois pas pourquoi il faudrait contrôler de manière tatillonne les aides à nos concitoyens qui sont le plus dans la difficulté et distribuer de manière aveugle et sans contrôle les aides aux entreprises. C'est intenable. C'est cette distorsion-là qui est insupportable à nos concitoyens. Cet usage de l'argent public est injuste et il relève du gaspillage puisqu’il ne produit pas de résultats : le chômage reste élevé, la pauvreté et la précarité s'accroissent.

Il faut donc tenir compte du fait que le tissu économique n’est pas homogène et que les TPE-PME, commerçants et artisans sont le vrai poumon économique de notre pays. Ce sont les entreprises qui produisent le plus d’emploi dans les territoires. Il faut aussi conditionner l’aide aux résultats : transformation des contrats courts et précaires en contrat à durée indéterminée – CDI –, embauches, investissements. Il me paraît à tout le moins nécessaire que l’octroi d’argent public s’accompagne d’exigences.

Nous ciblons les entreprises les plus productives de richesse. Nous créons un volet destiné à prévenir les abus et les effets d’aubaine. Pour que les grands groupes ne se mettent pas à multiplier le nombre de leurs filiales, nous créons des butoirs. Le dispositif est au plus près de la réalité de notre tissu économique et il impose des contreparties à l’octroi d’argent public. C'est le minimum. Pourquoi avoir ce genre d’exigences vis-à-vis des chômeurs ou des allocataires sociaux et ne pas l’avoir à l’égard des chefs d’entreprise ? L’octroi d’argent public implique un contrôle. Ce n’est pas ici que je devrais être obligé de convaincre de cette nécessité.

Mme Monique Iborra. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, ce n’est pas ici que vous devez convaincre de cette nécessité.

Je vais vous donner un exemple qui concerne l'assurance chômage et la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel – vous n’avez pas voté en faveur de ce texte mais je ne vous en fais pas grief. Qu’a dit cette majorité ? Si l’on touche à la permittence, il faut mettre en place le bonus-malus. Nous avons inscrit dans la loi ce principe contesté. Voyez qu’il ne faut pas caricaturer parce que, dans ce cas, il existe une vraie contrepartie. Va-t-elle s'appliquer ? Cela va dépendre des partenaires sociaux. Il est normal de leur laisser la priorité, vous êtes d’accord avec nous sur ce point. Ne portez pas de jugement caricatural car nous pouvons vous fournir des exemples qui contredisent vos propos même s’il est normal et démocratique que nous ne soyons pas d’accord sur tout.

Mme Fadila Khattabi. Monsieur le rapporteur, je suis d'accord avec vous sur un point : le tissu économique n'est absolument pas homogène. Pour notre part, nous avons opté pour plus de simplification. Je suis née dans une région fortement industrialisée, celle de Montbéliard, où est implanté un constructeur automobile. Je peux vous dire que beaucoup de TPE et PME gravitent autour de lui, et que leur activité dépend énormément de lui. Quand le constructeur automobile, qui emploie des centaines et des centaines de salariés, est en difficulté, toutes les TPE et PME sont aussi en difficulté. La situation est beaucoup plus complexe que celle que vous décrivez.

Mme Catherine Fabre. Selon les TPE-PME, la situation peut être très différente, y compris au sein d’entreprises de même taille. C’est la raison pour laquelle je ne crois pas vraiment à cette idée qu’il faudrait d’une part augmenter le SMIC et, d’autre part, mettre en place un fonds de soutien géré de manière très centralisée.

Selon moi, il est préférable de mettre en œuvre des dispositifs beaucoup plus souples, qui puissent s’adapter à chaque cas particulier. C’est le sens des mesures permettant par exemple aux conventions collectives de branche d’inclure des clauses spécifiques pour les PME ou, comme nous le proposons dans la loi PACTE, facilitant la participation.

Laisser des marges de manœuvre aux entreprises et aux branches est, selon nous, beaucoup plus efficace que de mettre en place un dispositif général. Ce n’est d’ailleurs pas le souhait des entrepreneurs, qui ne demandent pas à être aidés mais veulent qu’on leur donne des outils leur permettant de s’adapter aux circonstances, bonnes ou mauvaises.

Mme Michèle de Vaucouleurs. La transformation du CICE en baisse de charges a permis aux TPE d’en profiter davantage, notamment parce qu’elles n’ont plus à supporter le décalage de trésorerie. Cela leur permet d’embaucher à nouveau, et les premiers effets sur l’emploi se font sentir.

Votre proposition en revanche me paraît complexe à mettre en œuvre compte tenu des multiples niveaux autour desquels s’organise le dispositif. Je doute qu’elle permette de prendre en compte la spécificité des TPE, dont le fonctionnement et les politiques salariales sont extrêmement divers.

M. Stéphane Peu, rapporteur. J’entends dans les observations qui me sont faites un certain nombre de contradictions. En effet, vous nous dites, d’un côté, que les entreprises ne veulent pas être aidées. Or nous proposons justement d’éteindre le dispositif d’aide aveugle aux entreprises qu’était le CICE, aujourd’hui pérennisé sous la forme d’une baisse des charges. Cette suppression me paraît d’autant plus sensée que le premier facteur de développement d’une entreprise, c’est son carnet de commandes. De l’autre côté pourtant, vous avez adopté des aides massives aveugles et sans conditions, ce qui est une incohérence.

Vous dites ensuite que le dispositif que nous proposons est trop complexe et trop centralisé, qu’il convient d’agir au plus près des entreprises. Là encore, notre proposition vise à réorienter une partie des aides, qui s’appliquent indistinctement à toutes les entreprises de manière indifférenciée, quelles que soient les difficultés qu’elles rencontrent, le secteur et le marché sur lesquels elles évoluent. Nous proposons au contraire un système centré sur les TPE, les PME et les artisans, comportant des mécanismes différents, avec des enjeux et des contreparties distinctes. Sans doute n’est-ce pas encore assez adapté à la réalité de chaque entreprise, mais ça l’est en tout cas davantage que le CICE.

M. Pierre Dharréville. La question du soutien aux TPE-PME est importante, et nous avons veillé dans cette proposition de loi à bien prendre en compte la spécificité du tissu économique de notre pays. Il faut accorder d’autant plus de soin au traitement que nous réservons à ces entreprises de petite taille, parce qu’elles sont trop souvent dépendantes, voire victimes de donneurs d’ordre qui pratiquent une  externalisation des coûts à leur détriment. Il est donc nécessaire de procéder à un rééquilibrage pour compenser la captation d’une part des profits produits par le travail de ces PME par les donneurs d’ordre.

J’ajoute que notre ambition est de développer une dynamique d’augmentation des salaires dans notre pays. Pour cela, il faut une impulsion publique forte et des garanties collectives. Or, aujourd’hui, il n’y a pas nécessairement de négociations salariales dans les TPE, et de nombreux salariés sont au SMIC, lequel constitue la protection minimale. C’est donc par là qu’il faut commencer, d’autant que 58 % des salariés payés au SMIC sont des femmes. Ce que nous proposons va donc également dans le sens de l’égalité professionnelle.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé, et les amendements AS8, AS9 et AS10 du rapporteur tombent.


 

Article 4
Versement d’une aide à la revalorisation des salaires pour les TPEPME

La commission en vient à l’examen de l’amendement AS5 de Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Le dispositif proposé dans les articles 3 et 4 nous paraît complexe et donc contreproductif pour  les TPE-PME. Pour autant, notre politique est résolument tournée vers nos entreprises qu’il nous faut absolument accompagner – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons renforcé les prérogatives de la BPI –, et ce afin de favoriser leur croissance, leur développement et leur transformation, notamment en ce qui concerne le numérique.

Nous sommes conscients que ces entreprises forment le maillage économique de nos territoires et qu’elles constituent de ce fait un atout majeur pour le développement de l’emploi et le rayonnement de notre économie. C’est d’ailleurs l’un des objectifs visés par les mesures de la loi PACTE.

Nous demandons donc la suppression de cet article.

M. Stéphane Peu, rapporteur. L’article 4 s’articule avec l’article 1er, puisqu’il propose un dispositif d’aides directes aux TPE-PME pour accompagner la revalorisation du SMIC prévue à l’article 1er. C’est un dispositif financé grâce à la suppression des allégements de charges, qui doit permettre aux entreprises les plus fragiles de faire face à la revalorisation du SMIC.

Notre objectif, avec cette proposition de loi, est de valoriser le travail par le salaire et non par des allocations, d’encourager les contrats pérennes et d’accompagner les petites entreprises pour soutenir l’emploi. Mais votre amendement de suppression montre que vous préférez opter pour des solutions économiques et sociales qui maintiennent dans la précarité les travailleurs au SMIC, en particulier les jeunes, les femmes et les moins qualifiés, même si, alors qu’il représentait auparavant le salaire minimum consenti aux personnes les moins qualifiées, le SMIC constitue aujourd’hui le salaire d’entrée dans l’emploi de salariés y compris très qualifiés. Ce qui est un vrai problème, car cela contribue à accroître la précarité des travailleurs pauvres, en particulier, je le répète, chez les catégories les plus exposées, à savoir les jeunes et les femmes.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est supprimé, et les amendements AS11 et AS12 du rapporteur  tombent.


Article 5
Gage

La commission examine l’amendement AS1 de Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Compte tenu des arguments que j’ai défendus au sujet des articles précédents, nous vous proposons de supprimer l’article 5, qui gage les dépenses de l’État et des collectivités territoriales.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 5 est supprimé.

Titre

La commission rejette successivement les amendements rédactionnels AS13 et AS14 du rapporteur.

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*     *

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 

 


([1]) OXFAM France – Basic, « CAC : 40 des profits sans partage », 2018.

([2]) DARES indicateurs n° 006, « Évolution des salaires de base et conditions d’emploi dans le secteur privé », février 2019.

([3]) Crédoc et IRES, étude « Budgets de référence », réalisée  à la demande de l’ONPES, juillet 2014, p. 115.

([4]) OXFAM France – Basic, Ibid.

([5]) Institut des politiques publiques, « Coût du travail et exportations : analyses sur données d’entreprises », janvier 2019, p. 30.

([6]) Rapport du groupe d’experts sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), novembre 2018, p. 191.

([7]) Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([8]) Loi 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 20171340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

([9]) Les notes de l’OFCE, « Quelles conséquences économiques d’un coup de pouce au SMIC ? », n° 22, 17 juillet 2012.

([10]) MM. David Card et Alan Krueger, « Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage », Princeton University Press, 1995.

([11])  M. Arindrajit Dube & al., « The Effect of Minimum Wages on Low-Wage Jobs », Centre for Economic Performance, 2018.

([12]) DARES Analyses n° 014, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du SMIC », mars 2016.

([13]) DARES Résultats n° 052, « La revalorisation du Smic au 1er janvier 2018 », novembre 2018.

([14]) INSEE Références, « Les entreprises en France », édition 2018.

([15]) INSEE Références, Ibid.

([16]) INSEE Chiffres-clés, « Création d’entreprises en France par activité en 2018 », février 2019.

([17]) DARES Résultats n° 061, « L’emploi dans les très petites entreprises fin 2017 », décembre 2018.

([18]) INSEE Première « Les petites entreprises réalisent près de 17 % des exportations », mars 2018 n° 1692.

([19]) INSEE Références, « Les entreprises en France », édition 2018.

([20]) INSEE Références, Ibid.

([21]) Rapport du groupe dexperts sur le SMIC, 1er décembre 2017, p. 88.

([22]) Eurostat, Statistiques sur le salaire minimum, février 2018.

([23])  DARES Analyses n° 014, « Les emplois du privé rémunérés sur la base du Smic », mars 2016.

([24]) INSEE Références Emploi, chômage et revenus du travail, « Le rôle des accords collectifs sur la dynamique des salaires », 2018.

([25]) Données au 1er janvier 2018. Source : DARES Résultats n° 052, « La revalorisation du SMIC au 1er janvier 2018 ».

([26]) Article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

([27]) Impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu, selon l’entreprise.  

([28]) Depuis 2015, ce taux est majoré pour les rémunérations versées dans les exploitations situées dans les départements d’outre-mer (DOM) : 7,5 % en 2015, 9 % depuis 2016.

([29]) Certaines entreprises, auxquelles il apparaît prioritaire d’apporter un soutien accru, peuvent bénéficier d’un remboursement immédiat de leur créance : petites et moyennes entreprises, entreprises nouvelles (pendant cinq ans), jeunes entreprises innovantes, entreprises en difficulté (notamment en cas de redressement judiciaire).

([30]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017. Par ailleurs, l’article 87 de la loi de finances pour 2018 a supprimé le crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS), duplication du CICE au profit des organismes du secteur non lucratif, qui par construction ne pouvaient pas bénéficier du CICE faute d’être assujettis à l’impôt sur les bénéfices, mais qui pouvaient en revanche se trouver en concurrence avec des entreprises commerciales en bénéficiant. Construit sur le modèle du CICE, le CITS allège la taxe sur les salaires, et non l’impôt sur les bénéfices, et à un taux plus faible, de 4 %. Comparativement à celui du CICE, le coût du CITS est très modeste (environ 600 millions d’euros).

([31]) Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017.  

([32]) Le taux de droit commun, fixé par voie réglementaire à 13 %, est donc ramené à 7 % pour les employeurs éligibles à la réduction forfaitaire.

([33]) Il s’agit, pour faire simple, des employeurs du secteur privé, ou plus exactement de ceux qui sont assujettis à l’obligation d’affiliation à l’assurance chômage.  

([34]) Communication de Mme Marie-George Buffet et de M. Pierre-Alain Raphan, députés rapporteurs de la mission flash sur la réduction des emplois aidés dans les associations culturelles et sportives, Commission des affaires culturelles de lAssemblée nationale, avril 2018.

([35]) INSEE Références, « Les PME organisées en groupe : un phénomène important dès les unités de petite taille », édition 2016.