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ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2018 - 2019

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 14 mars 2019

 

le 14 mars 2019

 

 

au nom de

 

LOFFICE PARLEMENTAIRE DÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

 

Les scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif dun arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040

 

par

 

 

Mme Huguette TIEGNA, députée, et M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur
 

 

 

 

 

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Premier vice-président de lOffice

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Président de lOffice



 

Composition de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

Premier vice-président

M. Cédric VILLANI, député

 

 

Vice-présidents

 

 M. Didier BAICHÈRE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

 M. Patrick HETZEL, député  M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur

 Mme Huguette TIEGNA, députée Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

 

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

M. Julien AUBERT

M. Didier BAICHÈRE

M. Philippe BOLO

M. Christophe BOUILLON

Mme Émilie CARIOU

M. Claude de GANAY

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Jean-Luc FUGIT

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Patrick HETZEL

M. Jean-Paul LECOQ

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

M. Cédric VILLANI

 M. Michel AMIEL

 M. Jérôme BIGNON

 M. Roland COURTEAU

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 Mme Véronique GUILLOTIN

 M. Jean-Marie JANSSENS

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Gérard LONGUET

 M. Rachel MAZUIR

 M. Pierre MÉDEVIELLE 

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 Mme Angèle PRÉVILLE

 Mme Catherine PROCACCIA

 M. Bruno SIDO



SOMMAIRE

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Pages

Saisine

SynthÈse

introduction

I. La convergence de multiples facteurs de changement

1. Combattre le changement climatique

2. Améliorer la qualité de lair

3. Rendre les villes plus silencieuses

4. Réduire la dépendance énergétique

5. Sinscrire dans une industrie automobile mondiale en mutation

i. Une croissance très rapide des ventes de véhicules électriques dans le monde

ii. Des investissements élevés, et pour une bonne part concentrés en Chine

II. Scénarios technologiques : quels enseignements ?

1. Les scénarios ou lexploration des avenirs possibles

2. Un outil central pour orienter les débats, mais par nature incertain

3. Les conditions de validité des scénarios énergétiques

4. Les principes des scénarios technologiques retenus dans létude commandée au groupement CEA-IFPEN

5. Des scénarios contrastés sur le plan des évolutions technologiques, mais fondés sur des hypothèses communes fortes.

a. Trois jeux dhypothèses sur les évolutions technologiques

i. Scénario Médian

ii. Scénario Pro-batterie

iii. Scénario Pro-hydrogène

b. Les hypothèses sur les aides à lachat

c. Les hypothèses communes aux trois scénarios

d. Dautres évolutions technologiques possibles, non prises en compte

6. Des évolutions similaires du parc de véhicules thermiques

7. Des émissions de CO2 en forte baisse

8. Les coûts associés à la transition

9. Un point de divergence sur le rôle du bioGNV

10. Les études et scénarios complémentaires

11. Les principaux enseignements des scénarios

12. Recommandations issues des scénarios CEA  IFPEN

III. CrÉer les conditions du changement

1. Redonner confiance et visibilité aux acteurs

a. Une incertitude porteuse de risques

b. Privilégier les objectifs ou les moyens ?

c. Réaffirmer le principe de neutralité technologique

2. Préparer les transformations industrielles

a. Un marché mondial de lautomobile en transition

b. Le moteur à combustion interne : un avantage compétitif européen à préserver

c. La perspective dun « airbus des batteries »

i. Un marché des batteries lithium-ion en forte croissance

ii. Une domination des acteurs asiatiques, y compris en Europe

iii. Une volonté européenne de préserver lindépendance de lindustrie

iv. Une introduction nécessaire de critères environnementaux

d. Le recyclage et la seconde vie des batteries

i. Une réglementation datant de plus de 10 ans

ii. Une seconde vie pour les batteries ?

iii. Un processus de recyclage complexe mais viable

e. La question de lapprovisionnement en métaux rares

i. Lithium, une vigilance indispensable

ii. Cobalt, la nécessité de la substitution et du recyclage

3. Assurer le déploiement des infrastructures

a. Les infrastructures de recharge pour véhicules électriques

i. Les infrastructures de recharge à usage privé

ii. Les infrastructures de recharge ouvertes au public

iii. Faciliter les déploiements

iv. Un impact limité sur le système électrique

v. Lintégration du véhicule électrique au réseau (vehicle-to-grid)

vi. Quelles alternatives aux bornes de recharge ?

b. Les infrastructures de distribution du gaz naturel véhicule (GNV)

c. Les infrastructures de distribution de lhydrogène sous pression

4. Maintenir les aides à lachat à un niveau suffisant

a. Le bonus-malus écologique, ou écotaxe

b. La prime à la conversion

c. Les aides des collectivités locales

5. Prendre en compte le coût total de possession des véhicules

a. Évaluer le coût dusage dun véhicule

b. Les composantes du coût total de possession des véhicules particuliers légers

i. Le prix dachat

ii. Linfrastructure de recharge

iii. Lentretien et lassurance

iv. La consommation énergétique

c. Synthèse des analyses de TCO pour les véhicules légers

6. Évaluer les émissions sur le cycle de vie des véhicules

a. Un outil indispensable dévaluation de limpact sur lenvironnement

b. Des unités de mesure diversifiées

c. Le potentiel du recyclage du véhicule et la durée de vie des batteries

Recommandations

Examen du rapport par lOffice

Liste des personnes entendues

ANNEXES

Compte rendu de laudition publique du 29 novembre 2018

Comptes rendus des auditions DES rapporteurs

Compte rendu de la mission en Norvège  du 14 au 16 novembre 2018

Source : Elbilforeningen

Synthèse de QUATRE études et scénarios complémentaires

CONTRIBUTIONS D’ENTREPRISES

éTUDE RéALISéE PAR LE GROUPEMENT CEA–IFPEN À LA DEMANDE DE LOFFICE – Scénarios technologiques de la mobilité en France et conditions de réalisation pour atteindre lobjectif darrêt des ventes de véhicules particuliers thermiques en 2040



   Saisine



   SynthÈse

Les commissions du Développement durable et de l’aménagement du territoire et des Affaires économiques de l’Assemblée nationale ont saisi l’Office parlementaire, le 2 juillet 2018, d’« une étude approfondie et prospective qui permettrait délaborer des scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif fixé pour léchéance de 2040 ». Les rapporteurs ont, d’une part, après appel à concurrence, eu recours à l’appui du CEA et de l’IFP Énergies nouvelles pour l’élaboration de scénarios technologiques, et, d’autre part, suivi une démarche d’investigation s’inscrivant dans les pratiques habituelles de l’Office parlementaire, en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, associations, acteurs institutionnels, industriels et représentants des différentes filières, qui leur a permis de rencontrer, au total, près de 150 interlocuteurs impliqués dans ce sujet.

 


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Cinq facteurs principaux de mutation

Depuis quelques années, une conjonction de changements techniques, réglementaires, et sociétaux contribue à accélérer la mutation du secteur des transports, et singulièrement des véhicules particuliers, vers des solutions plus respectueuses de l’environnement.

Les cinq facteurs principaux de cette mutation sont : la lutte contre le changement climatique, l’amélio-ration de la qualité de l’air, la diminution de la pollution sonore, la réduction de la dépendance énergétique, et la nécessité de s’inscrire dans un marché automobile mondial en mutation rapide.

Plusieurs évolutions récentes conduisent à anticiper une transformation rapide du marché au profit des véhicules à faibles émissions.

Tout d’abord, les ventes mondiales de véhicules électriques ont connu ces dernières années une croissance qui peut être qualifiée d’exponentielle : de 47 000 unités en 2011 à plus de 2 millions en 2018.

En Chine et aux États-Unis, la progression d’une année sur l’autre a dépassé 75 %, mais elle n’a été que de 34 % en Europe, principalement en raison de l’offre, la demande n’ayant pas été satisfaite.

Ce développement vaut aussi pour la France, avec une progression de plus de 25 % des ventes de véhicules électriques entre 2017 et 2018, et une nette accélération en fin d’année dernière, confirmée début 2019 (+ 60 % pour les 2 premiers mois de 2019 par rapport à 2018).

Dans le même temps, les annonces d’investissement des constructeurs automobiles dans le véhicule électrique sont impressionnantes. Début 2018, elles étaient évaluées à 80 milliards d’euros. Un an plus tard, elles sont supérieures à 265 milliards d’euros, dont la moitié en Chine.

Les constructeurs français annoncent de 9 à 10 milliards d’euros d’investissement.

L’afflux d’investissements en Chine s’explique notamment par la position dominante du marché chinois qui représente à lui seul plus de la moitié des ventes de voitures électriques en 2018, et à la levée progressive des obstacles aux investissements étrangers dans ce domaine.

L’investissement de l’industrie allemande en Chine, estimé à 120 milliards d’euros, constitue l’aboutissement d’une coopération de plusieurs années entre les deux pays.

Les autorités chinoises considèrent qu’une ou plusieurs entreprises locales pourraient devenir des cham-pions mondiaux de l’automobile, comme le sont déjà les fabricants de batteries chinois.

Il existe donc un véritable enjeu pour l’industrie automobile française et européenne.

Scénarios technologiques : quels enseignements ?

Les trois scénarios, intitulés Médian, Pro-batterie et Pro-hydrogène, se distinguent par les hypothèses sur les progrès technologiques.

Dans le scénario Médian, les progrès de la R&D sur les batteries et les piles à combustible sont conformes aux attentes d’une majorité de scientifiques. Dans le scénario Pro-batterie, ils sont plus rapides qu’attendu sur les batteries, et les coûts baissent plus vite. De même, dans le scénario Pro-hydrogène les progrès sur les piles à combustible et les réservoirs à hydrogène sont accélérés, tout comme la baisse des prix. Ces scénarios sont aussi fondés sur des hypothèses communes sur le mix électrique (46 % nucléaire et 50 % ENR en 2035), une taxe carbone à 100 €/t en 2030 et 141 €/t en 2040, et une augmentation continue des prix des véhicules thermiques.

Les évolutions du parc des véhicules thermiques sont similaires dans les trois scénarios, avec une disparition totale des véhicules thermiques non hybrides en 2040, et un volant résiduel de véhicules hybrides non rechargeables à peu près équivalent.

Le scénario Pro-batterie, qui correspond à des progrès technologiques plus rapides pour les batteries, conduit à des résultats similaires au scénario de référence Médian. Les ventes de véhicules électrifiés sont simplement anticipées de quelques années.

Le scénario Pro-hydrogène démontre que cette technologie pourrait jouer un rôle important, si deux conditions étaient réunies : des progrès techniques beaucoup plus rapides que prévu, permettant une baisse accélérée des prix, et un fort soutien public (l’aide à l’achat retenue est de 10 000 € jusqu’en 2040).

Dans les trois scénarios, après une hausse en début de période, les émissions de CO2 sont divisées par cinq entre aujourd’hui et 2040, pour atteindre les objectifs de décarbonation des transports, notamment la neutralité carbone, en 2050.

Les coûts associés à cette transition sont très élevés, de lordre de plusieurs centaines de milliards deuros cumulés sur une période de 20 ans. L’impact le plus important est lié à la disparition progressive de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ou TICPE (en 2019, la TICPE devrait atteindre 37,7 milliards d’euros, 45 % revenant au budget général de l’État, et 33 % aux collectivités territoriales).

Les coûts liés à la mise en place de l’infrastructure nécessaire (bornes de recharge et stations hydrogènes) sont évalués, pour les différents scénarios, entre 30,7 et 108 milliards d’euros.

À la suite des scénarios, le CEA et lIFPEN présentent sept ensei-gnements principaux et une quinzaine de recommandations. Celles-ci rejoignent les constats des rapporteurs, à l’exception des recommandations sur la poursuite de la R&D sur les biocarburants liquides de 2e et 3e générations. La piste du biogaz semble en effet plus opérationnelle dans le contexte dune forte baisse des besoins en hydrocarbures pour la mobilité.

Leur démarche d’investigation ayant aussi permis aux rapporteurs d’approfondir certaines des condi-tions nécessaires au développement des véhicules décarbonés, elle les a conduits à identifier une trentaine de recommandations opérationnelles.

Réaffirmer la neutralité techno-logique

La première condition porte sur le rétablissement de la confiance. Plusieurs interlocuteurs ont évoqué l’incertitude qui règne aussi bien chez les particuliers que les professionnels depuis l’affaire Volkswagen, dite du dieselgate. Pour rassurer sur les intentions des pouvoirs publics, les rapporteurs estiment qu’il faut réaffirmer le principe de neutralité technologique, garant de la liberté des industriels de trouver les meilleures solutions, et de celle de leurs clients d’adopter celles qui répondent le mieux à leurs besoins.

À cet égard, le moteur thermique continuera à jouer un rôle, dans une période de transition, au côté des véhicules électriques à batterie, par exemple dans les véhicules hybrides rechargeables. Les marchés aujour-d’hui les plus dynamiques, en dehors de la Chine, auront probablement plus de difficultés à réunir les conditions pour passer aux véhicules électriques. Alimenté en bioGaz, le moteur thermique peut d’ailleurs être plus vertueux.

La neutralité technologique permet aussi une transition plus progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.

Éviter la dépendance vis-à-vis des batteries asiatiques

Les batteries lithium-ion représentent aujourd’hui de 35 % à 50 % de la valeur des véhicules électriques, ce qui est considérable. Ce marché est dominé par les pays asiatiques : Japon, Corée du Sud et Chine. La Chine détient à elle seule 60 % du marché mondial. Tous ces constructeurs ont déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, si ce n’est déjà le cas. La domination des entreprises asia-tiques met les constructeurs automobiles européens dans une situation de forte dépendance.

Conscientes des risques, la Commission européenne, l’Al-lemagne et la France travaillent à constituer un ou plusieurs consortiums industriels européens pour reconquérir la maîtrise de la filière des batteries (« Airbus des batteries »). Pour y parvenir, il conviendrait de profiter d’un « saut technologique » à venir : le remplacement de l’électrolyte liquide des batteries lithium-ion par un électrolyte solide. Mais les entreprises asiatiques, qui ont une avance considérable, ne resteront pas sans réagir.

Une voie pour protéger le marché européen d’une concurrence trop intense, pourrait consister à définir des critères de qualité environ-nementale pour les batteries, par exemple pour leur empreinte CO2, le recyclage, et l’approvisionnement responsable en matières premières.

Préparer le recyclage et la seconde vie des batteries

Le recyclage des batteries lithium-ion constitue une autre piste de développement industriel à ne pas négliger. Il s’agit d’une perspective à moyen terme, car la montée en puissance sera progressive, et décalée d’une dizaine d’années par rapport à celle des ventes des véhicules. Mais il faut s’y préparer, d’autant que les batteries recyclées pourraient devenir une source d’approvisionnement en lithium et en cobalt.

Comme pour les batteries neuves, il faut définir dès à présent des critères exigeants, par exemple en termes de performance du recyclage, pour protéger cette industrie naissante. La réglementation européenne, qui date de plus de 10 ans, prévoit un seuil par défaut (les batteries lithium-ion n’avaient pas été prises en compte à l’époque), fixé à 50 % de taux de recyclage, alors que les entreprises françaises savent déjà recycler ces batteries à plus de 70 %. De la même façon, il faut préparer un statut spécifique des entreprises de recyclage, avec une réglementation adéquate. Cette question dépasse toutefois celle des batteries.

Assurer le déploiement des infrastructures

Pour que les véhicules électriques se développent, il faut évidemment aussi assurer, sur tout le territoire, un accès aisé à un point de charge, au domicile, sur le lieu de travail, ou dans l’espace public. En France, fin 2018, le nombre total de points de charge s’élevait à près de 240 000, dont environ 26 000 accessibles au public, plus de 85 000 chez les particuliers, et plus de 125 000 en entreprise, avec une progression de près de 40 % en un an.

En théorie, 65 % des logements pourraient être équipés d’un point de charge. C’est assez simple dans les logements individuels, plus complexe dans les bâtiments résidentiels collectifs. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle II, a créé un « droit à la prise ». Mais en pratique les délais sont longs et le processus compliqué pour un propriétaire ou un locataire qui veut installer à ses frais un point de charge individuel.

Les rapporteurs proposent de simplifier lexercice du droit à la prise, en demandant à toutes les copropriétés de décider des modalités de raccordement sans attendre que la question soit posée par un copropriétaire. Ainsi, la réponse sera beaucoup plus rapide. Un délai maximum de 2 mois pour cette réponse nous semble dans ces conditions suffisant.

Pour faciliter la recharge sur le lieu de travail, l’obligation de payer des charges sociales et des impôts sur la recharge d’un véhicule faite par un salarié dans son entreprise, oblige l’employeur à mettre en place un système complexe de comptage et de facturation. Lever cet obstacle permettrait aux 35 % de personnes, au moins, qui ne peuvent disposer d’un point de charge à domicile d’être rassurées sur la possibilité de recharger leur véhicule électrique dans leur entreprise.

Enfin, sur la question de l’impact de ces points de charge sur le réseau électrique, les rapporteurs considèrent qu’il n’y a pas de risque réel en termes de consommation d’électricité tout au long de l’année. En revanche, le problème existe bel et bien en termes dappel de puissance, avec un risque réel daggraver les pointes de consommation. Sur ce plan, il n’y a pas d’autre solution efficace à l’heure actuelle que le pilotage de la recharge. Aussi, les rapporteurs proposent d’étendre l’obligation du pilotage aux points de charge dans l’habitat collectif, en renforçant les aides.

Maintenir les aides à lachat à un niveau suffisant

Le surcoût des véhicules électriques à l’achat reste un problème majeur pour le développement de ce marché. En Norvège, cest avant tout un prix attractif pour les particuliers qui explique les fortes ventes de véhicules électriques, bien avant les autres avantages. Le Danemark en a aussi donné un exemple inverse : lorsqu’il a baissé ses aides à l’achat en 2015, les ventes de véhicules électriques se sont effondrées.

En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège est impossible, dans la mesure où celui-ci est fondé sur l’exonération de taxes très lourdes. Néanmoins, il faut maintenir les aides existantes, notamment le bonus écologique tant que les prix nauront pas baissé.

Une autre façon de convaincre les Français consiste à leur montrer que l’achat d’un véhicule électrique peut être intéressant sur le long terme, à la fois en termes financiers et de protection de l’environnement. C’est ce que permettent les calculs du coût total de possession d’un véhicule, et l’analyse de ses émissions de CO2 tout au long de son cycle de vie, et non plus seulement en utilisation, comme actuellement.

Aussi les rapporteurs proposent-ils la création, sur le modèle de létiquette énergie pour les logements, dun label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long de sa vie, sur la base d’une utilisation moyenne.

Conclusions

Au terme de leur étude, et en s’appuyant sur les travaux réalisés par le CEA et l’IFPEN, les rapporteurs estiment que le double objectif dune très forte réduction des émissions de CO2 et dune disparition des motorisations purement thermiques est réalisable pour les véhicules particuliers dici 2040.

Mais cette transformation sera certainement coûteuse, notamment du fait de la perte des revenus provenant de la TICPE, et aussi des infrastructures à mettre en place. La bonne nouvelle est que, pour les particuliers, elle pourrait au contraire s’avérer, à terme, favorable pour leur budget déplacement.

Il s’agira aussi d’une transformation majeure pour toute la filière automobile, industries et services compris, dans un contexte international lui-même très fluctuant.

Aussi les rapporteurs estiment qu’il faut agir avec prudence, en préparant ces transformations à l’avance, en prévoyant les mesures d’accompagnement nécessaires, et en laissant à chacun des acteurs la possibilité de jouer entièrement son rôle.

 


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   introduction

Présenté par le Gouvernement un an et demi après la signature de l’accord de Paris sur le climat, le Plan climat fixe un nouveau cap pour la lutte contre le changement climatique, celui de la neutralité carbone en 2050.

Parmi les objectifs inscrits dans ce plan, figure celui de « mettre fin à la vente de voitures émettant des gaz à effet de serre dici 2040 ».

Le transport routier, en particulier le parc de véhicules particuliers, est en effet l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, ainsi que de polluants atmosphériques.

Cet objectif de réduction de l’impact de la mobilité sur l’environnement s’inscrit dans le cadre d’une transformation rapide du paysage mondial de l’automobile, induite par les progrès technologiques, notamment dans le domaine des applications du numérique et des batteries, par les changements sociétaux, avec l’apparition de nouvelles pratiques en matière de mobilité, et par les stratégies industrielles, notamment celle de la Chine.

Les enjeux sont considérables, puisque la filière automobile représente 16 % du chiffre d’affaires de l’industrie manufacturière française, avec plus de 4 000 entreprises industrielles employant quelque 440 000 salariés, et, en aval, près de 130 000 entreprises de services employant 480 000 salariés.

Compte tenu des nombreuses incertitudes pesant sur l’évolution de ce secteur majeur et sur la faisabilité de l’ambition affichée par le Plan climat pour 2040, la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire ainsi que la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale ont décidé de faire appel à l’Office en lui demandant de réaliser « une étude approfondie et prospective qui permettrait délaborer des scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif fixé pour léchéance de 2040. »

Le sujet de la décarbonation de la mobilité a été traité au cours de la précédente législature, notamment en 2014 au sein de l’Office, par M. Denis Baupin, député, et de Mme Fabienne Keller, sénatrice, au travers d’un rapport sur « les nouvelles mobilités sereines et durables »[1], et en 2016, au nom de la commission du développement durable, par Mme Delphine Batho, députée, dans le cadre d’une mission d’information sur « loffre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale ». Mais ces travaux au long cours ne s’inscrivaient pas dans la préparation du prochain examen d’un projet de loi, et ne s’appuyaient pas sur la réalisation de scénarios prospectifs.

Pour répondre à cette saisine dans un délai compatible avec le calendrier d’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, les rapporteurs ont mené deux démarches en parallèle.

D’une part, compte tenu de l’expertise nécessaire pour mener à bien la réalisation de scénarios technologiques fondés sur des outils de modélisation complexes, ils ont fait appel à un appui extérieur.

Cette mission a été confiée, après appel à concurrence, à un groupement constitué du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l’IFP Énergies nouvelles, qui a permis de mobiliser les compétences de laboratoires de renommée mondiale dans des domaines aussi diversifiés que les batteries, les biocarburants, l’hydrogène et les piles à combustible, l’hybridation, les motorisations thermiques, ou encore les énergies renouvelables, ainsi que de bénéficier de la maîtrise de ces deux organismes en matière d’outils de modélisation de scénarios.

D’autre part, les rapporteurs ont suivi la démarche d’investigation habituelle de l’Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes, chercheurs, associations, acteurs institutionnels, industriels et représentants des différentes filières impliquées, au travers d’auditions individuelles, d’une audition publique consacrée à la question des infrastructures de recharge des véhicules électriques, et de deux déplacements à Grenoble, au Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du CEA, et en Norvège, pays qui a la part la plus importante de véhicules électriques dans son parc automobile, avec un objectif de 100 % de ventes de nouveaux véhicules électriques à l’horizon 2025. Ils ont au total pu dialoguer avec près de 150 interlocuteurs impliqués dans ces questions.

Ces démarches parallèles ont permis de croiser les informations et les conclusions des travaux du groupement constitué du CEA et de l’IFPEN avec les informations recueillies au cours des différents entretiens. C’était là une condition nécessaire pour que les rapporteurs puissent pleinement analyser et évaluer les recommandations issues des propositions de scénarios technologiques résultant de l’étude réalisée à la demande de l’Office.

En outre, ces démarches ont permis d’approfondir certaines des conditions nécessaires au développement des différents types de véhicules décarbonés, afin d’identifier des recommandations opérationnelles complémentaires, susceptibles de compléter le projet de loi d’orientation des mobilités.

La première partie de ce rapport rappelle quels sont les principaux facteurs à l’origine de la transformation en cours de l’industrie automobile mondiale.

La deuxième partie présente la démarche par scénarios, les principes retenus par le CEA et l’IFPEN pour la réalisation des trois scénarios technologiques, ainsi que les principales conclusions et recommandations découlant de ces scénarios.

La troisième partie aborde plusieurs aspects complémentaires, tels que la nécessité de clairement réaffirmer la neutralité technologique pour redonner confiance aux particuliers aussi bien qu’aux professionnels, les conditions du développement ou du maintien d’une activité industrielle dans des domaines tels que les moteurs thermiques, les batteries, ou leur recyclage, les modalités de déploiement des infrastructures nécessaires aux nouveaux types de véhicules, etc.

Au terme de leurs travaux, les rapporteurs sont globalement confiants dans la capacité de l’industrie et de la recherche française à tirer parti des transformations en cours dans l’industrie automobile. Néanmoins, ils considèrent qu’il convient de ne pas sous-estimer les risques associés à un tel bouleversement. Aussi les pouvoirs publics devront-ils savoir les accompagner en laissant aux différents acteurs la possibilité de jouer pleinement leur rôle.



I.   La convergence de multiples facteurs de changement

Depuis quelques années, une conjonction de changements techniques, réglementaires, et sociétaux contribue à accélérer la mutation du secteur des transports, et singulièrement des véhicules particuliers, vers des solutions plus respectueuses de l’environnement.

Le renforcement de la réglementation européenne en matière de mesure des émissions des véhicules, notamment à la suite du scandale provoqué par Volkswagen en 2015, dit dieselgate, est sans aucun doute un facteur majeur de cette transformation en Europe.

Mais ce phénomène n’est pas limité au continent européen, et un pays tel que la Chine, confronté à des niveaux de pollution alarmants pour la santé de sa population dans les grandes villes, a pris une avance certaine dans le domaine de la mobilité décarbonée, dont le développement constitue également pour ce pays une opportunité inespérée de prendre une position de premier plan dans l’industrie automobile mondiale, en faisant l’impasse sur le moteur thermique.

Les cinq facteurs principaux de cette mutation sont : la lutte contre le changement climatique, l’amélioration de la qualité de l’air, la diminution de la pollution sonore, la réduction de la dépendance énergétique et la nécessité de s’inscrire dans un marché automobile mondial en mutation rapide.

1.   Combattre le changement climatique

Dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat, l’Union européenne s’est engagée, en octobre 2016, à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030.

Le trafic routier constitue le principal émetteur de gaz à effet de serre en France, sa contribution représentant 28 % des émissions totales. En effet, les véhicules routiers produisent de grandes quantités de CO2, principal gaz à effet de serre, qui génère 71 % du potentiel de réchauffement global, contre 14 % pour le méthane, 10 % pour le protoxyde d’azote et 5 % pour les hydrofluorocarbures. Un peu plus de la moitié des émissions du transport routier proviennent des véhicules particuliers.

Émissions de GES par mode de transport en France en 2016 (source : CITEPA)

 

Si les émissions de CO2 ont baissé en France de 15 % entre 1990 et 2017, tel n’est pas le cas dans le secteur des transports, où elles ont augmenté de 9 % sur la même période, du fait d’un accroissement du trafic de 34 %.

Après une période d’amélioration, les émissions de CO2 dans les transports sont reparties à la hausse depuis trois ans, en raison de la croissance de la part de l’essence dans les ventes de véhicules légers, au détriment du diesel, les moteurs à essence produisant plus de CO2 que ces derniers.

Selon un accord intervenu le 17 décembre 2018, les voitures neuves issues des usines des constructeurs installés dans l’Union européenne devront réduire leurs émissions de CO2 de 15 % d’ici à 2025 et de 37,5 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 2021. Par ailleurs, les émissions de CO2 des camionnettes doivent baisser de 31 % à l’horizon 2030.

Jusqu’à présent, l’Union européenne n’avait jamais fixé d’objectif de réduction des émissions pour les poids lourds, mais selon les termes d’un accord entre la Commission européenne et le Parlement, qui doit encore être validé par ce dernier en session plénière ainsi que par les 28 États membres, les poids lourds devront aussi réduire leurs émissions, de 15 % d’ici 2025 et de 30 % d’ici 2030.

2.   Améliorer la qualité de l’air

La pollution de l’air est en baisse depuis les années 1990 en France, à l’exception notable de celle liée à l’ozone. Ainsi, d’après les mesures d’Airparif, de 2000 à 2010, la pollution de l’air a diminué à Paris de 53 % pour les particules fines PM2.5[2] et de 44 % pour les oxydes d’azote, alors que la part due au trafic routier a chuté de 64 % pour les particules fines PM2.5 et de 53 % pour les oxydes d’azote dans la même période.

Principaux polluants atmosphériques générés par les transports routiers

Oxydes dazote (NOx)  Les oxydes dazote, notamment le monoxyde (NO) et le dioxyde (NO2) dazote sont générés par la combustion. Ils participent à la formation dozone dans la basse atmosphère et contribuent au déclenchement de pluies acides. Le NO2 est irritant pour les bronches et peut faciliter les infections pulmonaires.

Ozone (O3)  Polluant secondaire produit par les oxydes dazote, de soufre et de carbone, lozone est irritant pour les yeux et le système respiratoire. Il contribue à la pollution photochimique et perturbe la photosynthèse.

Particules fines (PMx) – Classés par taille maximale, notée en indice et exprimée en micromètres (µm) : PM10, PM2.5 et PM1.0. Certaines PMx sont naturelles et certaines sont créées par lactivité humaine. LOMS les classe comme cancérogène pour lhomme. En général, plus la particule est petite, plus elle peut être inhalée profondément, et plus le risque de transfert dans la circulation sanguine ou les tissus du corps est important.

Monoxyde de carbone (CO)  Gaz incolore, inodore et très toxique, il provient dune combustion incomplète. Il ne se trouve normalement pas en concentration dangereuse dans lair mais peut nuire à la santé des personnes fragiles.

Les composés organiques volatils non méthaniques (COVNM)  Les COVNM proviennent principalement des moteurs et chaudières brûlant de la biomasse ou des hydrocarbures fossiles, ainsi que de certaines activités industrielles. Ils peuvent être cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques et exacerbent la production dozone troposphérique.

Malgré ces progrès, en 2016, près de 30 % de la population urbaine de l’Union européenne était exposée à des niveaux de polluants supérieurs aux seuils fixés par la réglementation européenne et 98 % à des niveaux dépassant ceux des lignes directrices de l’OMS, plus exigeantes.

D’après l’Agence européenne de l’environnement et l’OMS, la pollution atmosphérique provoque des maladies cardiovasculaires, pulmonaires, des infections respiratoires et de l’asthme. La pollution de l’air pourrait également entraîner ou faciliter un certain nombre de pathologies physiques (obésité, diabète de type 2, inflammation systémique, etc.), ou mentales (Alzheimer, démence, schizophrénie, etc.) Elle aurait également des impacts sur la fertilité et pourrait entraîner des retards de croissance intra-utérine, selon l’INSERM[3].

Les expositions aux particules fines (PM2.5), au dioxyde d’azote (NO2) et à l’ozone (O3) sont considérées par l’Agence européenne de l’environnement (AEE), comme responsables respectivement de 391 000, 76 000 et 16 400 décès prématurés au sein de l’Union Européenne dont respectivement 35 800, 9 700 et 1 800 en France[4].

3.   Rendre les villes plus silencieuses

Le bruit de la circulation nuit également à la santé humaine et à l’environnement. Encore trop souvent ignorées, les conséquences sanitaires du bruit sont aujourd’hui démontrées, notamment par plusieurs études publiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : l’exposition au bruit perturbe le sommeil, accroît les risques d’hypertension et de maladies cardiovasculaires, et génère des difficultés d’apprentissage[5].

 

Impact sanitaire du bruit des transports dans la zone dense francilienne (source : Bruitparif)

 

Au sein de la zone dense francilienne, le bruit dû aux transports est ainsi responsable, chaque année, de 107 766 années de vie en bonne santé perdues au total. Le bruit lié au transport routier est responsable de 61 % de ces impacts sanitaires[6].

4.   Réduire la dépendance énergétique

La consommation française annuelle d’hydrocarbures s’élève à 77 millions de tonnes d’équivalent pétrole (tep), dont 20 millions de tonnes de produits raffinés. Seulement 1 % de cette consommation est produite sur le territoire français, qui dispose de 64 gisements pétroliers et gaziers en exploitation, majoritairement situés dans les bassins aquitain et parisien. La France est donc très dépendante des importations d’hydrocarbure. En 2015, la facture pétrolière de la France, incluant les achats de pétrole brut et de produits raffinés, a atteint 31,6 milliards d’euros.

Le 19 décembre 2017, a été adoptée en lecture définitive la loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement. Cette loi interdit l’exploitation des gaz et pétroles de schiste en France et met fin à l’attribution de permis de recherche d’hydrocarbures sur le territoire français. De plus, aucune concession d’exploitation existante ne sera renouvelée au-delà de 2040.

L’origine des importations de pétrole brut étant assez diversifiée, le risque de dépendance énergétique à un seul pays se trouve néanmoins limité.

Origine des importations françaises de pétrole brut en 2015 par pays (©Connaissance des Énergies)

5.   S’inscrire dans une industrie automobile mondiale en mutation

Plusieurs évolutions récentes de la filière automobile mondiale conduisent à anticiper une transformation rapide du marché au profit des véhicules à faible émission. Dans ce contexte, les constructeurs qui n’auraient pas pris la mesure de ces évolutions pourraient assez rapidement perdre pied, comme cela a été le cas, à la fin du XIXe siècle, pour les fabricants de véhicules hippomobiles, ou plus récemment, à petite échelle, pour le constructeur japonais Mazda, dépourvu d’offre en matière de véhicules électriques sur le marché norvégien.

Certains pays ont, comme la France, défini des objectifs d’arrêt des ventes des véhicules particuliers à moteur thermique à échéance plus ou moins rapprochée, par exemple la Norvège et les Pays-Bas en 2025, l’Irlande en 2030, la Grande-Bretagne et Taïwan en 2040. Mais ces objectifs sont rarement contraignants, parfois mal définis, et susceptibles d’être révisés en cours de route, pour prendre en compte l’évolution du marché. En définitive, c’est avant tout ce dernier qui imprimera le rythme, plus ou moins rapide, de l’évolution de l’industrie automobile.

i.   Une croissance très rapide des ventes de véhicules électriques dans le monde

À cet égard, les ventes mondiales de véhicules électriques ont connu une croissance soutenue, qui peut même être qualifiée d’exponentielle, ces dernières années : de 47 000 unités en 2011 à plus de 2 millions en 2018.

Ventes des véhicules électriques à batterie et hybrides rechargeables dans le monde (source : EV Volumes)

En 2018, 93 % des ventes de véhicules électriques à batterie et hybrides rechargeables ont été réalisées en Chine, avec quelque 1,18 million d’unités, en Europe, avec 408 000 unités, et aux États-Unis, avec 358 000 unités.

La progression d’une année sur l’autre a dépassé les 75 % en Chine (alors même que les ventes de véhicules légers, toutes motorisations confondues, déclinaient pour la première fois depuis plus de 20 ans, de 6 %, sur la même période) et aux États-Unis, elle n’a été que de 34 % en Europe, principalement en raison d’une offre insuffisante au regard de la demande. Néanmoins, si ce rythme se maintient, dans seulement dix ans les véhicules électriques représenteront plus de 50 % des ventes en Europe.

En France également, alors que la progression des ventes de véhicules légers en 2018 par rapport à 2017 est restée mesurée, celles des véhicules électriques a connu une forte progression, à hauteur de 26,64 %, avec une nette accélération en fin d’année, qui s’est prolongée début 2019 (+ 60 % pour les deux premiers mois de 2019 par rapport à 2018).

ii.   Des investissements élevés, et pour une bonne part concentrés en Chine

Simultanément, les annonces d’investissement des constructeurs automobiles dans les véhicules électriques, l’année dernière évaluées à 80 milliards d’euros, se sont accélérées, pour atteindre un niveau inédit, supérieur à 265 milliards d’euros, dont près de la moitié serait réalisée en Chine. Par comparaison, ceux des constructeurs français, à hauteur de 9 à 10 milliards d’euros, apparaissent limités.

Cet afflux d’investissements en Chine s’explique par la position dominante du marché chinois qui, comme le montre le graphique précédent, représente à lui seul plus de la moitié (56 %) des ventes mondiales de voitures électriques en 2018, à des barrières dissuasives aux importations (par exemple, une voiture électrique étrangère, ou dotée d’une batterie non chinoise, ne bénéficie pas des aides à l’achat), à la levée progressive des obstacles aux investissements étrangers dans ce domaine (telles que l’obligation de création d’une co-entreprise avec part minoritaire pour l’investisseur étranger), et à l’introduction, en 2019, du « double score », qui oblige les constructeurs présents en Chine à respecter à la fois une proportion minimum de véhicules électriques : 10 % en 2019, 12 % en 2020, etc. et un critère d’émissions de CO2.

L’investissement de l’industrie allemande en Chine, estimé à 120 milliards d’euros, constitue l’aboutissement d’une coopération de plusieurs années entre les deux pays, coordonnée par le ministère fédéral allemand de l’économie et de l’énergie (BMWi), en lien avec le ministère de l’industrie et des technologies de l’information chinois, le ministère des sciences et de la technologie, le ministère des transports, et la Commission nationale du développement et de la réforme (en anglais, National Development and Reform Commission of the Peoples Republic of China ou NDRC). Dans ce cadre, « les entreprises allemandes se positionnent comme les principaux fournisseurs de technologies de mobilité électrique, une condition clef étant laccès sans entrave aux marchés porteurs, tels que celui de la Chine… Lobjectif de cette coopération accrue est de créer un environnement technique et stratégique propice au développement réussi de technologies de mobilité électrique permettant de résoudre les problèmes climatiques, environnementaux et de transport. »[7]

Investissement dans les véhicules électriques (source : Reuters analysis)

 

Pour faciliter la consolidation des entreprises locales et accroître la compétition, les autorités chinoises prévoient de mettre fin aux subventions pour les véhicules électriques dès 2020. Le programme stratégique chinois « Fabriqué en Chine 2025 » (en anglais, « Made in China 2025 »)[8] vise l’émergence d’un petit nombre de leaders nationaux, aptes à devenir des champions mondiaux de l’automobile, comme le sont déjà les fabricants de batteries chinois, qui détiennent 60 % du marché mondial, avec un objectif de 10 % de la production exportée en 2020.

Les principaux objectifs définis à l’horizon 2030 par le ministère chinois de l’industrie et des technologies de l’information dans la feuille de route pour les véhicules à économie d’énergie et les véhicules à énergies nouvelles publiée en 2016 sont résumés dans le tableau ci-dessous :

 

 

2020

2025

2030

Production annuelle de véhicules

30 millions

35 millions

38 millions

Proportion de véhicules propres

7 %

15 %

40 %

Degré dautomatisation

50 % de véhicules partiellement autonomes

15 % de véhicules hautement autonomes

10 % de véhicules totalement autonomes

Réduction de la consommation

20 %

35 %

50 %

Consommation moyenne

5,0 l/100 km

4,0 l/100 km

3,2 l/100 km

Objectifs de la feuille de route pour les véhicules à économie d’énergie et les véhicules à énergies nouvelles (source : ministère de lindustrie et des technologies de linformation de la République populaire de Chine)

 



II.   Scénarios technologiques : quels enseignements ?

La saisine adressée à l’Office par les présidents de la commission des Affaires économiques et de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, définit un axe d’étude prioritaire : l’élaboration de scénarios technologiques permettant d’atteindre l’objectif fixé par le Plan climat d’un arrêt des ventes de véhicules à essence et diesel à l’horizon 2040.

Les premières auditions menées par les rapporteurs ont confirmé, d’une part, le degré très élevé d’incertitude sur l’évolution des solutions de mobilité, aussi bien à l’échéance de 2040 qu’à un horizon plus rapproché, d’autre part, la nécessité, pour mener à bien la réalisation des scénarios technologiques demandés, de disposer de connaissances approfondies de l’ensemble des solutions technologiques touchant à la mobilité, ainsi que d’une maîtrise de la démarche d’élaboration des scénarios et des modèles mathématiques sur lesquels ceux-ci sont fondés.

Ces constats initiaux ont conduit à rechercher un appui extérieur pour disposer, dans un temps très court compatible avec le calendrier d’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, de l’ensemble des savoir-faire requis, un choix encore renforcé par le délai bref laissé pour la réalisation même des travaux de scénarisation et la préparation du rapport associé.

L’association de deux grands organismes de recherche, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN), a permis de mobiliser les compétences de laboratoires de renommée mondiale dans des domaines aussi diversifiés que les batteries, les biocarburants, l’hydrogène et les piles à combustible, l’hybridation, les motorisations thermiques, ou encore les énergies renouvelables. En outre, ces deux établissements avaient déjà contribué récemment à des travaux de scénarisation, ou en avaient eux-mêmes mené.

Les rapporteurs tiennent à saluer ici la qualité du travail réalisé par les équipes du CEA et de l’IFPEN dans un délai extrêmement contraint, qui témoigne de l’attachement de ces deux organismes à leur mission de conseil vis-à-vis de la représentation nationale. Leur rapport, présentant en détail les résultats de leurs travaux, est présenté en annexe au présent document.

1.   Les scénarios ou l’exploration des avenirs possibles

L’exploration des futurs possibles a souvent pris la forme d’utopies ou de dystopies, comme la cité idéale de Platon, ou l’Océania d’Orwell.

De façon similaire, les scénarios permettent d’explorer plusieurs avenirs envisageables, en fonction d’incertitudes identifiées au préalable, à l’inverse d’une démarche de prévision qui cherche à identifier l’avenir le plus probable.

Les militaires ont été les premiers à comprendre l’intérêt des scénarios et à systématiser leur usage à des fins de planification stratégique, souvent sous la forme de jeux de guerre.

Cependant les techniques modernes d’élaboration de scénarios n’ont été développées que dans la période de l’après deuxième guerre mondiale, essentiellement aux États-Unis, à partir de travaux menés au sein de la Rand Corporation, et, en France, de ceux du Centre d’études prospectives créé par Gaston Berger, auquel ont succédé Pierre Massé et Bertrand de Jouvenel, plus récemment Michel Godet.

À partir des années 1960, la technique des scénarios a été utilisée par de grandes sociétés, par exemple Shell et General Electric, ainsi que par des organisations gouvernementales, notamment le commissariat général du Plan, ou internationales. Les incertitudes créées par la première crise pétrolière ont considérablement accéléré la diffusion de la technique des scénarios[9].

La démarche par scénarios a encore gagné en visibilité avec la montée des préoccupations climatique, au travers du rapport spécial sur les scénarios d’émissions publié en 2000 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

2.   Un outil central pour orienter les débats, mais par nature incertain

Les scénarios énergétiques constituent un élément central du débat sur la conception du système énergétique. Ainsi, le débat national sur la transition énergétique qui a précédé l’examen de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, a donné lieu à la publication de multiples scénarios, par des agences publiques, des organisations non gouvernementales ou des institutions scientifiques.

Un scénario énergétique décrit une évolution possible du système énergétique et son état futur. L’étendue du système considéré et l’approche choisie dépendent des questions à examiner. Une étude peut, par exemple, s’intéresser au système énergétique d’une ville, d’un pays, d’un continent ou du monde entier. Certains scénarios traitent du système électrique, d’autres de la mobilité, sous l’angle du financement ou sous celui de la faisabilité technique.

Ces études constituent un défi scientifique, compte tenu de la complexité des facteurs techniques, économiques, sociaux et environnementaux en interaction. Afin d’analyser ces interactions, le système énergétique est décrit au travers de modèles mathématiques complexes, mais qui les simplifient nécessairement, avec des risques d’erreurs. S’ajoute au défi à relever le fait que les développements futurs du système énergétique dépendent de facteurs difficiles à cerner. En conséquence, les scénarios énergétiques sont par nature entachés d’une forme d’incertitude.

3.   Les conditions de validité des scénarios énergétiques

Pour que des scénarios énergétiques contribuent utilement aux décisions politiques et éclairent vraiment le débat public, en fournissant des indications pertinentes sur les perspectives d’évolution du système énergétique, ils doivent répondre à des conditions de validité scientifique, de transparence et de neutralité, d’ailleurs intrinsèques à toute forme de conseil scientifique[10].

En premier lieu, pour que des scénarios soient considérés comme scientifiquement valables, la communauté scientifique doit s’accorder sur l’adéquation, au regard des objectifs poursuivis, des méthodes, des modèles mathématiques et des données qui ont permis de les générer.

En deuxième lieu, pour satisfaire à l’exigence de transparence, une étude doit fournir toutes les informations nécessaires pour permettre aux différentes catégories de personnes intéressées de comprendre ses résultats, et à d’autres scientifiques de les vérifier.

En troisième lieu, les études de scénarios doivent offrir des garanties de neutralité, ce qui implique avant tout que les commanditaires n’influencent pas les résultats et les conclusions. Cette ingérence pourrait, par exemple, prendre la forme de restrictions sur les méthodes à utiliser, ou d’un souhait d’écarter certains résultats. Les rapporteurs peuvent attester que tel n’a pas été le cas.

4.   Les principes des scénarios technologiques retenus dans l’étude commandée au groupement CEA-IFPEN

Il n’existe pas de démarche unifiée pour réaliser des scénarios. Néanmoins, celle suivie par le CEA et l’IFPEN s’inscrit dans les pratiques établies de la prospective en France, notamment au travers de la mise en œuvre d’outils mathématiques élaborés d’analyse et de modélisation.

Pour la réalisation des scénarios technologiques, le CEA et l’IFPEN ont retenu le modèle MIRET (Model for Integrating Renewables in Energy and Transport ou modèle pour intégrer les énergies renouvelables dans l’énergie et les transports), spécifiquement développé par l’IFPEN pour la France. Ce modèle fait partie de la famille de modèles MARKAL.

MARKAL (concaténation de market et allocation, ou répartition des marchés) est un modèle numérique destiné à représenter l’évolution d’un système énergétique au niveau d’un pays sur une longue période. Différents paramètres, tels que les coûts énergétiques, les coûts des équipements ou installations, leurs performances, etc. peuvent être intégrés dans ce modèle, qui est ensuite à même d’en déduire une combinaison optimale de technologies, pour répondre à la demande à un coût minimal.

Ce choix est dûment justifié dans le rapport du CEA et de l’IFPEN et le fonctionnement du modèle y est expliqué en détail[11].

Les objets modélisés dans le cadre de l’élaboration des scénarios incluent : le système énergétique, les composants technologiques, et cinq grands types de véhicules.

Le système énergétique est constitué d’un mix électrique conforme au scénario AMPÈRE de RTE, des différents carburants liquides, du vecteur hydrogène, avec l’infrastructure de production décarbonée associée, centralisée ou décentralisée, les moyens de transport et le réseau de distribution.

Les composants technologiques regroupent les différents types de batteries lithium-ion destinés aux véhicules électriques à batterie ou hybrides, ainsi que les systèmes de piles à combustible et les réservoirs pour l’hydrogène.

Types de véhicules modélisés (source : CEA – IFPEN)

Enfin, cinq types de véhicules sont inclus dans l’étude :

– ICE (internal combustion engine vehicle), en français véhicule à moteur à combustion interne : véhicule doté d’un moteur à combustion interne, essence ou diesel ;

– HEV (hybrid electric vehicle), en français véhicule hybride électrique : véhicule doté d’un moteur à combustion interne et d’un moteur électrique, ainsi que d’une batterie ;

– PHEV (plug-in hybrid electric vehicle), en français véhicule hybride rechargeable : véhicule hybride électrique dont la batterie peut être rechargée par branchement à une source externe d’électricité ;

– BEV (battery electric vehicle), en français véhicule électrique à batterie : véhicule doté d’un moteur électrique et d’une batterie ;

– FCEV (fuel cell vehicle), en français véhicule à pile à combustible : véhicule électrique doté d’une pile à combustible à hydrogène.

Ces véhicules sont déclinés par segment, ou catégorie : citadine (segment A), moyenne gamme (segment B) et haut de gamme (segment C).

Seuls les véhicules à usage privé sont pris en compte, qu’il s’agisse de véhicules particuliers ou d’entreprise, c’est-à-dire achetés par des sociétés (véhicules de fonction) ou appartenant à des loueurs « longue durée ». Les véhicules commerciaux ne sont pas modélisés.

5.   Des scénarios contrastés sur le plan des évolutions technologiques, mais fondés sur des hypothèses communes fortes.

Trois scénarios sont envisagés, intitulés : Médian, Pro-batterie et Pro-hydrogène.

Conformément à la saisine, ces trois scénarios se distinguent principalement par les hypothèses formulées en matière de rythme d’évolution des technologies mises en œuvre, pour les véhicules électriques à batterie, et les véhicules à hydrogène. Ces différences ont évidemment un impact sur l’évolution du prix de ces véhicules.

Par ailleurs, les scénarios diffèrent également en partie sur l’évolution des aides à l’achat (bonus écologique) accordées. Mais, ils sont également fondés sur un certain nombre d’hypothèses communes. Les plus marquantes sont mentionnées infra.

a.   Trois jeux d’hypothèses sur les évolutions technologiques

Le détail de l’évolution des caractéristiques et des prix des différents composants technologiques est donné dans les scénarios technologiques, en pages 153 et suivantes. Les principaux points de divergence et de convergence sont résumés ci-après.

i.   Scénario Médian

Dans le scénario de référence, dit Médian, l’amélioration des performances et la baisse des prix des batteries lithium-ion, des moteurs électriques, des piles à combustibles à hydrogène, et de la production de ce dernier, sont conséquentes, tout en restant conformes aux attentes des experts du domaine.

Ainsi, à l’horizon 2040, la densité d’énergie des packs de batteries lithium-ion atteindrait 210 Wh/kg (contre 130 Wh/kg en 2018), alors que leur coût baisserait jusqu’au niveau de 120 €/kWh (contre 230 €/kWh en 2018).

Pour l’hydrogène, le prix des piles à combustible se réduirait à 110 €/kW (contre 250 €/kW en 2018), et celui de l’hydrogène décarboné aux environs de 4,5 €/kg, compte tenu de l’évolution du prix de l’électricité et de l’amélioration des caractéristiques des électrolyseurs.

ii.   Scénario Pro-batterie

Le scénario Pro-batterie est quant à lui caractérisé par des progrès techniques plus rapides pour les technologies liées au véhicule électrique à batterie, notamment pour les batteries lithium-ion, avec une densité d’énergie qui atteindrait cette fois 300 Wh/kg, et dont le prix descendrait jusqu’à 50 €/kWh (pour un pack de batterie complet).

A contrario, le rythme de développement des technologies hydrogène resterait identique à celui du scénario Médian.

iii.   Scénario Pro-hydrogène

À l’inverse, pour le scénario Pro-hydrogène, les hypothèses sur l’évolution des technologies liées aux véhicules à batteries sont similaires à celles du scénario Médian.

En revanche, le prix des piles à combustible descendrait en 2040 à 40 €/kW, et celui de l’hydrogène à 3 €/kg, notamment du fait de progrès plus importants sur les électrolyseurs.

b.   Les hypothèses sur les aides à l’achat

Une autre hypothèse qui diffère, pour partie, dans les trois scénarios concerne l’évolution des aides à l’achat (bonus écologique) pour les véhicules à faibles émissions de gaz à effet de serre.

Dans les trois scénarios, pour les véhicules électriques à batterie, le bonus est maintenu à 6 000 € jusqu’en 2030, puis passe à 3 000 €. De même, pour les véhicules hybrides rechargeables, le bonus baisse progressivement de 2 000 € à 0 € en 2040.

Par contre, pour les véhicules à hydrogène, le bonus est identique à celui des véhicules électriques à batterie dans les deux scénarios Médian et Pro-batterie, alors que, dans le scénario Pro-hydrogène, il est fixé à 10 000 € jusqu’en 2040.

c.   Les hypothèses communes aux trois scénarios

Par ailleurs, plusieurs hypothèses communes fortes sous-tendent les trois scénarios.

En premier lieu, les scénarios prévoient une forte augmentation de la taxe carbone : 100 € la tonne en 2030 et 141 € la tonne en 2040, sur la période considérée. Les prix à la pompe des carburants pétroliers, essence et gazole, atteindraient pratiquement 2,5 € par litre en 2040. Cette augmentation progressive résulterait à la fois d’un accroissement de la composante carbone de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et d’un doublement du prix du baril de pétrole sur la période.

Hypothèses d’évolution des prix des carburants, essence et gazole, à l’horizon 2040 (source : CEA-IFPEN)

 

En deuxième lieu, des hypothèses communes aux trois scénarios ont été formulées sur le mode de calcul du coût des véhicules, de leur maintenance, de leur exploitation, de leur consommation et de leur usage ([12]). Ces hypothèses conduisent à des coûts identiques pour les véhicules à essence, hybrides, et hybrides rechargeables.

À l’inverse, l’évolution de certains des composants n’étant pas identique dans les trois scénarios pour les véhicules électriques à batterie et les véhicules à hydrogène, le résultat obtenu varie d’un scénario à l’autre, même si les bases de calcul sont communes. Dans les trois scénarios, les coûts des véhicules thermiques augmentent de façon continue, en raison des contraintes réglementaires.

En troisième lieu, les trois scénarios se basent sur un mix électrique conforme au scénario AMPÈRE de RTE, comportant 49 % d’énergies renouvelables et 46 % d’énergie nucléaire à l’horizon 2035 (cf. ci-dessous), avec une extrapolation d’évolution à 2040.

Si la Programmation pluriannuelle de l’énergie pour 2019-2023 et 2024-2028 ne se conforme pas exactement au scénario AMPÈRE de RTE, elle s’en approche fortement, avec par exemple la fermeture de 14 réacteurs d’ici 2035, contre 16 dans ce dernier. Les hypothèses formulées pour les scénarios d’évolution du parc de véhicules particuliers, en termes de prix de l’électricité et d’émission de CO2, demeurent de ce fait pertinentes.

d.   D’autres évolutions technologiques possibles, non prises en compte

Plusieurs évolutions technologiques possibles à moyen terme ne sont pas prises en compte dans ces scénarios : la possibilité d’un chargement des véhicules électriques en mouvement par la route, les carburants de synthèse, le gaz naturel pour véhicules, les batteries de quatrième génération : batteries lithium-ion tout solide, ou utilisant des couples électrochimiques autres que lithium-ion, les motorisations intégrant un prolongateur d’autonomie[13], ou les hybrides rechargeables à pile à combustible (PHFCEV)[14], tels que le Mercedes GLC F-Cell.

Types de véhicules non modélisés (source : CEA – IFPEN)

 

6.   Des évolutions similaires du parc de véhicules thermiques

Comme le montrent les graphiques ci-après, les évolutions du parc des véhicules thermiques sont similaires dans les trois scénarios, avec une disparition totale des modèles non hybridés, et un volant résiduel de véhicules hybrides thermiques-électriques non rechargeables à peu près équivalent, supérieur à 5 millions de véhicules.

Pour les trois, la disparition progressive des motorisations purement thermiques se fera en faveur des hybrides thermiques-électriques non rechargeables dans un premier temps (jusqu’à 2025-2030), puis des véhicules partiellement ou intégralement électrifiés (à batterie et/ou à hydrogène selon le scénario).

De plus, dans tous les scénarios, les véhicules hybrides et hybrides rechargeables constituent encore une part significative du parc en 2040.

Le scénario Pro-batterie, qui correspond à des progrès technologiques plus rapides pour les batteries, conduit à des résultats similaires au scénario de référence Médian. Les ventes de véhicules électrifiés sont simplement anticipées de quelques années.

Le scénario Pro-hydrogène montre que cette technologie pourrait jouer un rôle important, si deux conditions sont réunies : des progrès techniques permettant une baisse rapide des prix, et un fort soutien public.

 

Évolution du parc de véhicules particuliers en milliers d’unités (source : CEA IFPEN)[15]

7.   Des émissions de CO2 en forte baisse

Dans les trois scénarios, les émissions de CO2 baissent fortement, après une hausse en début de période.

 

Évolutions comparées des émissions de CO2 entre le scénario Médian et les scénarios Pro-batterie et Pro-hydrogène

 

Dans les scénarios Médian et Pro-batterie, les émissions de CO2 sont divisées par 4,7 entre aujourdhui et 2040.

Pour atteindre les objectifs de décarbonation des transports, notamment la neutralité carbone en 2050, le CEA et lIFPEN soulignent quil resterait nécessaire de substituer aux carburants fossiles des biocarburants de deuxième ou troisième génération.

Ces biocarburants se distinguent de ceux de première génération par leurs intrants. En effet, les biocarburants de première génération sont produits à partir d’intrants alimentaires et fourragers, alors que ceux de deuxième génération sont produits à partir de déchets ou de biomasse ligno-cellulosique, et ceux de troisième génération à partir d’algues.

8.   Les coûts associés à la transition

Les coûts associés à cette transition sont très élevés, de l’ordre de plusieurs centaines de milliard d’euros cumulés sur une période de 20 ans.

L’impact le plus important est lié à la disparition progressive de la TICPE qui devrait atteindre 37,7 milliards d’euros en 2019, 45,1 % de cette somme, revenant au budget général de l’État, 32,6 % aux collectivités territoriales, 20,1 % au compte d’affectation spéciale « transition énergétique », notamment pour soutenir les énergies renouvelables électriques et le biométhane, et 3,2 % à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Les coûts liés à la mise en place de l’infrastructure nécessaire (bornes de recharge et stations hydrogènes) sont évalués, pour le scénario Médian entre 30,7 et 100,6 milliards d’euros, pour le scénario Pro-batterie entre 32,8 et 108 milliards d’euros, et pour le scénario Pro-hydrogène entre 42 et 103,9 milliards d’euros.

9.   Un point de divergence sur le rôle du bioGNV

Les auditions menées par les rapporteurs, ainsi que le recueil de documents complémentaires (cf. point suivant) leur ont permis de recouper les informations fournies dans le cadre de l’élaboration des scénarios technologiques de l’étude CEA – IFPEN.

Un seul point de divergence majeur est apparu, sur la question des biocarburants liquides et du bioGNV.

En effet, la production de biogaz connaît en France une croissance rapide, en synergie avec les activités agricoles et le réseau de stations-service GNV, destinées principalement aux véhicules lourds, se développe à un rythme soutenu.

Par ailleurs, les conditions de développement de nouvelles filières de biocarburants de deuxième et troisième générations restent à préciser, dans un contexte où la demande en carburants liquides pour le segment routier pourrait fortement diminuer entre 2018 et 2040, comme le montrent les scénarios technologiques.

De plus, les différences de densité énergétique et de facilité de manipulation entre carburants liquides et gazeux, qui sont a priori en défaveur du bioGNV, peuvent aussi être vues comme avantageuses dans une période de transition vers la mobilité électrique et hydrogène.

Enfin, en termes d’émission de CO2 et de polluants, le bioGNV pourrait présenter un net avantage par rapport aux carburants liquides. La différence de rendement entre les deux filières mériterait aussi d’être prise en compte.

Aussi, les rapporteurs considèrent quil conviendrait dapprofondir la comparaison entre le bioGNV et les biocarburants liquides dans un usage complémentaire à lélectricité pour la décarbonation du parc de véhicules particuliers et utilitaires légers.

10.   Les études et scénarios complémentaires

En parallèle de la réalisation des trois scénarios technologiques, une revue de la littérature a été menée pour identifier les études récentes consacrées à la décarbonation des transports en France ou à des problématiques complémentaires, par exemple le développement du gaz « vert ». De plus, plusieurs études internationales ont été examinées, afin de disposer de points de comparaison avec les études nationales.

Les différentes études prises en compte ont été publiées entre février 2017 et octobre 2018. Elles ont été réalisées par des institutions publiques, des agences internationales, des organismes de recherche et des organisations gouvernementales. Elles ont été choisies sur les critères de temporalité, par rapport à l’horizon 2040, ainsi que de crédibilité scientifique, compte tenu des modèles mis en œuvre et des hypothèses retenues, au regard des informations collectées lors des auditions.

Les huit études suivantes ont été analysées et prises en compte.

Nom organisme(s) et intitulé de létude

Thématique de létude

Date de parution

Périmètre

Carbon Tracker Initiative :

Electric vehicles : The catalyst to further decarbonisation

Bilan socio-économique/Coûts véhicules électriques/Demande énergétique

févr-17

Monde

Commissariat général au développement durable (CGDD) :

Analyse coûts/bénéfices

des véhicules électriques

Analyse du coût total de possession (TCO)/ Bilan socio-économique/Potentiel V2G

juil-17

France

Mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 ?

ADEME

100 % EnR/75% EnR/100 % EnR + biomasse limitée/100% EnR + pyrogazéification intensive

janv-18

France

UFC-Que Choisir :

Coût de détention des véhicules

Analyse du coût total de possession (TCO)

oct-18

France

IEA

Bilan socio-économique/Accords de Paris/

2 degrés/- 2 degrés

oct-18

Monde

IFPEN

Scenarios for the electrification of transports in Europe (SCelecTRA)

Développement de la mobilité électrique horizon 2030

juin-15

Europe

ADEME-IFPEN :

Étude économique, énergétique et environnementale pour les technologies du transport routier français (E4T)

Analyse TCO/Bilan environnemental

avr-18

France

Commission de régulation de l’énergie (CRE) :

Les réseaux électriques au service des véhicules électriques

Analyse de l’intégration des véhicules électriques aux réseaux

oct-18

France

11.   Les principaux enseignements des scénarios

Le CEA et l’IFPEN présentent sept enseignements principaux issus des scénarios technologiques :

-         « À lhorizon 2040, avec les hypothèses damélioration des coûts et performances des motorisations, tous les véhicules à faible empreinte carbone étudiés seraient sensiblement dans la même zone de compétitivité (TCO comparables).

-         Les politiques publiques auront un rôle majeur et des conséquences directes sur le parc de véhicules, mais aussi sur les budgets de lÉtat, des collectivités et des ménages.

-         Les simulations effectuées modélisent le développement des ventes de véhicules à faible empreinte carbone via leur compétitivité pour les acheteurs, en fonction des politiques publiques. Avec les hypothèses considérées, les objectifs poursuivis sont atteints pour les trois scénarios. Lélectrification du parc commence tôt avec les petits véhicules tout électriques pour les usages urbains et hybrides pour les gros véhicules à usage péri-urbains. Le recours à lhydrogène savère également possible, dès lors que les conditions sont réunies, et permet de garantir des performances comparables à celles des véhicules thermiques.

-         Les performances de décarbonation des parcs simulés dans le rapport aboutissent à une diminution dun facteur 5 des émissions directes de gaz à effet de serre en 2040. Ceci pourrait être encore amélioré grâce au recours aux biocarburants de seconde génération.

-         Le coût de la transition de la mobilité via les véhicules particuliers, tel quapproché dans cette étude serait de lordre de quelques dizaines de milliards deuros par an. Une bonne part de ce coût proviendrait des effets fiscaux, avec une quasi-disparition de la TICPE (sauf nouveau mécanisme), puis des subventions et enfin de la mise en place de linfrastructure publique. Cet ordre de grandeur est en correspondance avec dautres études. Une question politique forte sera de savoir comment les principaux agents (État, collectivités, entreprises, ménages) se répartiront leffort. Au total, le coût de la décarbonation du parc automobile français tel quenvisagé dans cette étude serait (avec toutes les précautions dusage) de lordre de 500 milliards deuros sur 20 ans. Ce montant savère en ordre de grandeur voisin de lamélioration de la balance commerciale du pays, même si ces agrégats ne sont pas directement comparables.


-         Latteinte des objectifs de décarbonation du parc de véhicules particuliers à lhorizon 2040 nécessite une augmentation majeure des performances technologiques. La France dispose de nombreux atouts en matière de recherche, développement en innovation sur lensemble des segments concernés. Elle est de plus structurée pour accompagner la compétitivité des acteurs industriels sur toute la chaîne de valeur de la mobilité décarbonée. Pour être dans la course suffisamment tôt, cest-à-dire dès maintenant, il faut augmenter leffort de recherche et développement, tant sur les technologies elles-mêmes, sur leur intégration et leur digitalisation, que sur leur expérimentation.

-         Lenjeu industriel de la transformation du parc des véhicules est de grande ampleur pour lindustrie automobile qui compte près de 400 000 emplois, auxquels il faut ajouter les groupes pétroliers dont la reconversion, déjà amorcée, pourrait saccélérer, et pour les producteurs et distributeurs délectricité. Les opportunités de créer de nouvelles filières industrielles sont nombreuses qui devront être encouragées et accompagnées sur la durée. »


12.   Recommandations issues des scénarios CEA – IFPEN

Dans la perspective notamment de l’examen prochain du projet de loi d’orientation des mobilités, le CEA et l’IFPEN formulent les seize recommandations suivantes :



III.   CrÉer les conditions du changement

En parallèle de la réalisation de scénarios par le consortium constitué du CEA et de l’IFPEN, les rapporteurs ont procédé à de nombreuses auditions, dont l’audition publique du 29 novembre 2018 consacrée aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, ainsi qu’à deux déplacements.

Cette démarche leur a permis d’approfondir certaines des conditions nécessaires au développement des différents types de véhicules décarbonés, afin d’identifier des recommandations opérationnelles complémentaires, susceptibles de compléter le projet de loi d’orientation des mobilités.

Le présent chapitre présente les différents aspects pour lesquels les rapporteurs ont considéré qu’une information plus détaillée sur les enjeux s’avérait nécessaire, tels que la neutralité technologique, le maintien ou le développement d’une activité industrielle dans des domaines comme celui des moteurs thermiques, les batteries, ou leur recyclage, les modalités de déploiement des infrastructures nécessaires aux nouveaux types de véhicules, etc.

1.   Redonner confiance et visibilité aux acteurs

a.   Une incertitude porteuse de risques

Plusieurs des interlocuteurs rencontrés au cours de cette étude ont évoqué, en public ou en privé, le désarroi provoqué, chez les industriels du secteur comme chez les consommateurs, par la brutalité du revirement survenu en 2015, à la suite de l’affaire Volkswagen, dite du dieselgate, à l’encontre d’une motorisation jusque-là largement favorisée par les pouvoirs publics nationaux et européens.

Les consommateurs européens subissent le contrecoup de ce scandale industriel et sanitaire, qui concerne quelque onze millions de véhicules du groupe Volkswagen, provoqué par l’utilisation, sur une période de plusieurs années, de techniques visant à réduire frauduleusement les émissions polluantes des véhicules lors des tests d’homologation.

Ainsi, M. Xavier Horent, délégué général du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), constate : « Aujourdhui, le consommateur est complètement perdu : que doit-il acheter, avec quelle motorisation, à quel horizon de temps, à quel coût, etc. ? » Il en va de même pour les industriels nationaux, qui s’interrogent sur les marges de manœuvre qui leur seront laissées par les nouvelles réglementations (une récente décision de la Cour de Justice de l’Union européenne remet d’ailleurs en cause leurs modalités d’application[16]).

Si elles devaient se prolonger, ces incertitudes pourraient avoir, à long terme, un impact aussi bien sur le dynamisme du marché automobile français, certains clients préférant attendre d’avoir plus de visibilité sur les évolutions à venir pour prendre une décision d’achat, que sur les investissements des industriels, qui peuvent difficilement en engager de nouveaux en France et en Europe si des inconnues sérieuses quant à leur adéquation perdurent.

b.   Privilégier les objectifs ou les moyens ?

Le débat sur le projet de loi d’orientation des mobilités constitue une occasion de redonner aux parties prenantes une visibilité de moyen terme sur l’avenir de la mobilité automobile en France.

Sur ce plan, il convient de décider si les pouvoirs publics doivent fixer des objectifs, en les accompagnant si nécessaire d’incitations, mais en laissant aux consommateurs et aux industriels la responsabilité finale de retenir les solutions techniques qui leur apparaissent les plus appropriées, ou s’ils doivent au contraire orienter fortement les choix vers telle ou telle solution technologique, voire en interdire certaines.

Les enseignements de l’affaire Volkswagen incitent à faire preuve de prudence en matière de choix technologiques. Même s’il est toujours facile de réécrire l’histoire a posteriori, il est probable qu’une plus grande neutralité sur ce plan dans le passé aurait permis l’émergence d’une offre française et européenne plus étoffée en matière de véhicules hybrides, de nouveaux développements sur les moteurs à essence, ou des avancées sur les véhicules électriques, ou même hydrogènes.

En outre, privilégier une option technologique peut avoir des conséquences inattendues, voire conduire à contrarier les objectifs visés. Ainsi, la remise en cause subite du diesel pourrait ralentir le remplacement des véhicules les plus polluants du parc français, comme l’a expliqué M. Rémi Cornubert, associé au cabinet Advancy : « Lune des conséquences de la crise du diesel est que les propriétaires des véhicules les plus anciens ne peuvent plus les renouveler. Leur valeur résiduelle est passée de quelques milliers deuros à zéro après le dieselgate et les annonces de bannissement dans certaines villes ».

Enfin, les inconnues sur l’évolution des différentes technologies disponibles : véhicules électriques à batterie, véhicules hybride rechargeables ou non, véhicules électriques à hydrogène ou à prolongateur hydrogène, biocarburants, e-carburants, bioGNV, etc., à la fois en termes de performances, de prix, ou de parts de marché, sont telles que les risques de se tromper à nouveau apparaissent relativement élevés.

c.   Réaffirmer le principe de neutralité technologique

Quelques années après le dieselgate, l’intérêt du principe de neutralité technologique, qui faisait à l’époque consensus, semble avoir été quelque peu perdu de vue. Les rapporteurs estiment quil convient de laffirmer à nouveau, afin doptimiser limpact des innovations sur la société et lenvironnement. Il revient aux pouvoirs publics dimposer des objectifs, tels que la réduction des émissions de CO2, et de laisser les acteurs libres dinnover et de choisir les meilleurs moyens pour les atteindre. Les entreprises seront ainsi en mesure de proposer des solutions plus efficaces et moins coûteuses, et les consommateurs de choisir celles correspondant le mieux à leurs besoins.

2.   Préparer les transformations industrielles

Indépendamment des évolutions à venir, les grands industriels européens de l’automobile ont d’ores et déjà engagé des investissements pour s’adapter aux conséquences du dieselgate sur la réglementation européenne et à l’évolution du marché automobile mondial, ainsi que l’ont confirmé les représentants des deux constructeurs français lors de leur audition.

Mais au-delà des grands constructeurs, la filière automobile française comprend, en amont, plus de 4 000 entreprises industrielles employant quelque 440 000 salariés, et, en aval, près de 130 000 entreprises de services employant environ 480 000 salariés. Le secteur automobile représente 16 % du chiffre d’affaires de l’industrie manufacturière française. Les enjeux des changements en cours sont donc considérables.

Pour préparer cette transformation, les représentants de l’industrie automobile et l’État ont signé en mai 2018 le Contrat stratégique de la filière automobile qui trace une feuille de route pour la filière automobile et comporte des engagements en termes d’objectifs et de conditions à créer pour les atteindre.

Plusieurs pistes pourraient faciliter cette transformation et en limiter les inconvénients éventuels.

a.   Un marché mondial de l’automobile en transition

Longtemps considéré comme scindé suivant plusieurs grandes régions distinctes, le marché automobile est progressivement devenu mondial. Aussi, toute décision sur l’avenir de la filière automobile doit-elle nécessairement prendre en compte son évolution globale.

La Chine, premier marché automobile mondial depuis 2009, avec 29 millions de véhicules légers[17] (voitures particulières et utilitaires légers) vendus en 2017, constitue, comme mentionné précédemment, l’un des principaux facteurs de développement de la mobilité électrique. Mais le ralentissement de la croissance chinoise a conduit en 2018 à un repli de 1,8 % des ventes de véhicules légers. L’accélération de ce repli en fin d’année et en début d’année 2019 (-20 % en janvier) ne permet pas d’avoir de certitude sur l’échéance d’une reprise à venir, même si le marché des véhicules électriques continue certainement à progresser fortement en 2019.

L’Europe (29,8 millions de véhicules légers vendus en 2017, dont 18,2 millions dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, et les quatre de l’Association européenne de libre-échange) et l’Amérique du nord (19,7 millions de véhicules légers vendus en 2017) constituent deux autres marchés majeurs mais matures, aux perspectives de développement limitées. Le premier s’est stabilisé en 2018, malgré le choc induit par l’entrée en vigueur des nouvelles normes européennes de mesure des émissions en septembre 2018. Le second a connu une légère croissance.

Une différence notable entre l’Europe et l’Amérique du nord concerne la mobilité électrique. Si les nouvelles normes européennes impriment un rythme de développement soutenu de cette dernière dans les prochaines années, malgré la réussite de la société Tesla, les États-Unis ne semblent pas décidés à imiter les Européens, puisque le gouvernement fédéral a annoncé, en décembre 2018, que l’achat de voitures électriques ne serait plus aidé à compter de 2020 ou 2021.

Il est assez logique que les Américains, devenus premier producteur mondial de pétrole, ne souhaitent pas voir disparaître les motorisations thermiques. Leurs constructeurs font d’ailleurs preuve d’une certaine prudence sur l’offre en matière de véhicules électriques, malgré les premiers produits proposés et les annonces. General Motors, Ford et Chrysler-Fiat continuent d’ailleurs à développer de nouveaux moteurs thermiques, respectivement un bi-turbo à 8 cylindres en V, un 3 cylindres essence, et un turbo 6 cylindres.

En définitive, avec la Chine, les marchés présentant des potentiels de croissance se situent en Inde, en Asie du Sud-Est, et en Afrique (1,2 million de véhicules légers vendus en 2017, dont 560 000 en Afrique du Sud). En 2018, le Brésil (2,2 millions de véhicules légers), la Russie (1,6 million de véhicules légers) et l’Inde (4 millions de véhicules légers) ont connu une forte croissance (respectivement de 14 %, 13 % et 8,5 %).

Dans l’ensemble de ces pays, le développement de la mobilité électrique sera nécessairement très progressif, pour des raisons variées, même si certains types de véhicules légers peuvent être électrifiés plus rapidement. L’infrastructure de recharge, la nécessité de renforcer les réseaux électriques, les conditions climatiques, les distances à parcourir, ou encore le coût à l’achat, constituent autant de freins potentiels, suivant la situation de chacun de ces pays.

Le moteur thermique pourrait donc encore représenter une part majeure de ces marchés à fort potentiel de développement pendant une période assez longue, du moins tant qu’un certain nombre d’obstacles à la mobilité électrique dans ces pays n’auront pas été levés.

Par conséquent, du point de vue de la mobilité électrique, le marché mondial apparaît actuellement divisé en deux grands ensembles, d’une part la Chine et l’Europe, fortement engagées pour assurer son développement rapide, et, d’autre part, les autres marchés, dans lesquels le moteur thermique devrait conserver une place significative pour une période plus longue.

b.   Le moteur à combustion interne : un avantage compétitif européen à préserver

L’avance considérable de l’industrie automobile européenne dans le domaine des moteurs à combustion, issue de plus d’un siècle de recherche et développement, lui a jusqu’à présent permis de résister à la montée en puissance des constructeurs chinois qui ne sont pas parvenus à atteindre le même niveau de maîtrise de cette technologie.

La disparition de cet avantage compétitif constituerait l’une des principales conséquences d’un abandon complet du moteur à combustion au profit du moteur électrique. Compte tenu de la simplicité de ce dernier, et du niveau de performance élevé atteint par les produits actuellement disponibles, par exemple en termes de rendement, il semble en effet difficile d’espérer reconstituer un tel différentiel concurrentiel.

Une autre conséquence directe d’un abandon rapide du moteur à combustion au profit du moteur électrique concerne les emplois du secteur automobile. Comme l’a rappelé M. Gilles Le Borgne : « En comparant un moteur électrique et un moteur à combustion interne de dernière génération de trois cylindres, avec quatre soupapes par cylindre, lensemble des systèmes déchappement, une boîte de six vitesses, etc. Il nest nullement nécessaire dêtre spécialiste pour constater que dans un cas la valeur ajoutée est beaucoup plus importante que dans lautre. »

Qui plus est, la disparition pure et simple des moteurs à combustion des véhicules des marchés français et européen, alors que ceux-ci continueront nécessairement à être commercialisés dans d’autres pays, impliquerait à relativement court terme, pour des raisons de rationalisation industrielle, le transfert des emplois correspondant vers les pays où ce type de motorisation sera toujours demandé.

De fait, les limites actuelles des véhicules à batterie, notamment en termes d’autonomie, vont laisser un espace au développement de motorisations hybrides, faisant appel à la fois à la motorisation électrique et thermique.

En outre, le moteur thermique restera incontournable pour certaines applications, par exemple dans le domaine des véhicules militaires, pour lesquels la densité énergétique des carburants liquides continuera à représenter un atout indispensable dans des situations de combat.

Continuer à laisser se développer, au côté des véhicules électriques à batterie, plusieurs autres options technologiques de décarbonation des transports, par exemple les véhicules hybrides rechargeables à moteur à combustion, permettrait une transition plus progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.

c.   La perspective d’un « airbus des batteries »

i.   Un marché des batteries lithium-ion en forte croissance

L’augmentation rapide de la demande de véhicules électriques à l’échelle internationale est largement imputable à la réduction du coût des batteries lithium-ion, qui représentent encore aujourd’hui de 35 % à 50 % de leur prix. Cette réduction résulte d’améliorations technologiques et d’économies d’échelle réalisées en raison de la demande accrue de batteries pour le stockage stationnaire, ainsi que pour les véhicules électriques eux-mêmes.

Le prix des batteries lithium-ion a ainsi chuté de 1 000 dollars par kilowattheure en 2010, à 209 dollars par kilowattheure en 2017, et devrait tomber à moins de 100 dollars par kilowattheure au milieu des années 2020.

Évolution du prix des batteries lithium-ion (source : BNEF)

 

Le marché des batteries lithium-ion représentait 17,4 milliards de dollars en 2017 et devrait atteindre environ 95 milliards de dollars d’ici 2025. En Europe, le marché des batteries s’élevait à environ 6 milliards d’euros en 2017 et pourrait atteindre 60 milliards d’euros en 2025[18].

ii.   Une domination des acteurs asiatiques, y compris en Europe

Le Japon, la Corée du Sud et la Chine, qui dominent actuellement ce marché, représentaient respectivement 48 %, 27 % et 25 % de l’offre mondiale en 2016 (la Chine étant également en tête de la production de véhicules électriques, avec 43 % de l’offre mondiale).

Ces constructeurs asiatiques ont d’ores et déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, ou d’augmenter leurs capacités de production existantes.

Ainsi, la nouvelle usine du coréen Samsung SDI située près de Budapest a commencé à produire des batteries, avec un volume annuel permettant d’équiper 50 000 véhicules. Samsung SDI dispose déjà d’une autre usine en Autriche fournissant Volkswagen et BMW.

Par ailleurs, la société coréenne LG Chem a indiqué viser une production annuelle d’environ 4 GWh dans sa nouvelle usine située près de la ville de Wroclaw en Pologne, pour fournir plusieurs constructeurs allemands : Audi, Porsche, Volkswagen et Daimler.

De même, le coréen SK Innovation prévoit de produire à partir de 2020 7,5 GWh de batteries par an dans une première usine en cours de construction en Hongrie, et a confirmé récemment la construction d’une deuxième.

Quant au plus grand fabricant mondial de batteries, le chinois Contemporary Amperex Technology Co (CATL), il a annoncé en 2018 la construction d’une usine de batteries destinées à la firme BMW en Allemagne, avec une cible de production de 14 gigawattheures (GWh) en 2022.

Projets de construction et d’expansion de gigafactory (source : Galaxy Ressouces)

La plupart de ces projets concernent l’assemblage des packs de batteries, plus rarement la production des cellules qui en constituent le composant de base.

iii.   Une volonté européenne de préserver l’indépendance de l’industrie

La domination des entreprises asiatiques sur le marché des batteries lithium-ion présente deux inconvénients majeurs pour lindustrie automobile européenne. Dune part, les constructeurs automobiles européens voient une part importante de la valeur ajoutée, de 35 % à 50 % par véhicule, leur échapper. Dautre part, une situation de dépendance est ainsi créée vis-à-vis de pays qui disposent de leur propre industrie automobile, ce qui place les constructeurs européens dans une situation périlleuse.

Les risques résultant de cette dépendance sont tout à fait réels, comme l’illustre un épisode survenu fin 2018 en Allemagne, LG Chem, principal fournisseur de batteries de Volkswagen, ayant vivement réagi à l’annonce par celui-ci d’une alliance avec son concurrent SK Innovation pour construire trois usines de batteries communes à proximité des centres de production de véhicules électrique de la marque. Les négociations se poursuivent depuis.

Il n’est donc pas surprenant que la Commission européenne, l’Allemagne et la France s’interrogent sur la possibilité de constituer un consortium industriel européen pour acquérir la maîtrise de la filière des batteries, en quelque sorte un « Airbus des batteries ».

Mi-décembre 2018, la France et l’Allemagne ont signé à cette fin un accord stratégique, en lien avec la Commission européenne. Les deux pays ont par ailleurs annoncé un financement pour la création d’une filière des batteries, respectivement à hauteur de 1 milliard et 700 millions d’euros. Début janvier 2019, le ministère de l’Économie et des finances a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour « identifier les entreprises qui pourraient participer, sur le territoire français, à ce premier projet denvergure concernant la conception et la production en Europe de cellules et de modules de batteries innovantes et respectueuses de lenvironnement ».

Plusieurs des interlocuteurs rencontrés au cours de l’étude ont confirmé les atouts dont dispose la France pour prendre une position sur ce marché.

Ainsi, M. Paul Parnière, ancien membre du conseil d’administration de l’Institut supérieur de l’automobile et des transports, délégué territorial Sud-Ouest de l’Académie des technologies, a souligné qu’en France « nous avons la chance de disposer dune chaîne de recherche et développement très structurée sur la question des batteries, avec le Réseau sur le stockage électrochimique de lénergie (RS2E), qui regroupe les plus grands laboratoires français et la plupart des industriels du secteur. De plus, SAFT, qui appartient désormais à TOTAL, est un industriel important du secteur des batteries. En se dotant dune vision claire à long terme, il est encore possible de remporter la bataille industrielle sur la prochaine génération de batteries, sachant que nous lavons perdue sur la génération actuelle. »

Compte tenu de l’expérience acquise par les constructeurs asiatiques sur la génération actuelle de batteries lithium-ion, il ne serait en effet envisageable de les affronter qu’à l’occasion d’un nouveau « saut technologique » permettant de rétablir un certain équilibre.

La nature de ce « saut technologique » a été explicitée par M. Patrice Simon, professeur à l’université Toulouse III-Paul Sabatier, directeur-adjoint du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie : « Toutes les technologies de batterie ont été découvertes en Europe, à lexception de la batterie lithium-ion traditionnelle à électrolyte liquide, brevetée au Japon. Nous avons donc perdu la guerre sur ce segment. Toutefois, tous les industriels et les universitaires sintéressent aujourdhui aux batteries solides, dans lesquelles lélectrolyte liquide est remplacé par un électrolyte solide Le tout solide a deux avantages majeurs. Dune part, il supprime quasiment totalement les problèmes de sécurité quengendre lemploi dun électrolyte liquide. Dautre part, il permet daugmenter lénergie massique des moteurs, donc lautonomie, car on gagne à la fois en place et en masse. Cette technologie a aussi lavantage de rendre possibles les montages bipolaires qui permettent une densification de la batterie. »

Ce point de vue a été confirmé, lors de la visite du CEA-LITEN, par sa directrice, Mme Florence Lambert.

Malgré les obstacles, un projet européen d’usine de production de batteries a d’ores et déjà été lancé en Suède par deux anciens cadres de Tesla, qui ont fondé la start-up Northvolt, à laquelle se sont associés ABB, Scania et Siemens. Elle doit lancer les travaux de construction de son usine de démonstration dans les prochains mois. Celle-ci servira à démontrer la viabilité du concept, à homologuer les produits et à industrialiser leur production, en vue d’une future usine de production à grande échelle de batteries lithium-ion à Skellefteå, dont la production annuelle pourrait atteindre 32 GWh. Si ce projet devait se concrétiser, la production de ces batteries bénéficierait de la très faible intensité carbone de l’électricité suédoise (75 g CO2 / kWh).

iv.   Une introduction nécessaire de critères environnementaux

Toutefois, un certain nombre de voix discordantes se sont fait entendre, pour alerter sur les risques d’échec d’un tel « Airbus des batteries », compte tenu de l’ampleur de l’avance technologique des fabricants asiatiques et des pratiques de certains d’entre eux.

À cet égard, la comparaison avec l’échec européen dans le domaine des panneaux photovoltaïques s’avère éclairante. En effet, celui-ci ne résulte nullement d’une absence d’investissement dans la fabrication de ces panneaux, puisque plusieurs jeunes entreprises européennes ont connu un développement rapide sur ce marché avant de faire faillite, la dernière étant l’allemand SolarWorld, en 2017. Toutes ces entreprises ont été victimes de la concurrence de l’industrie chinoise, qui est parvenue, en quelques années, à supplanter ses concurrents, en pratiquant des tarifs inférieurs au coût de production constaté en Europe.

Il est probable que les entreprises qui détiennent aujourd’hui plus de 95 % du marché des batteries lithium-ion ne resteront pas sans réaction face à la perspective de l’apparition d’une nouvelle concurrence européenne.

Conscient de ce risque, M. Patrick de Metz, directeur des affaires environnementales et gouvernementales de SAFT a posé trois conditions préalables au lancement d’un tel projet en Europe. Tout d’abord, « un soutien des pouvoirs publics » qui irait, sur le plan financier, au-delà des annonces déjà formulées. Ensuite, « la possibilité de signer des accords avec des constructeurs automobiles, soit sous forme de contrats de fourniture fermes, passés très en amont pour pouvoir lancer des investissements deux ou trois ans avant livraison des premiers produits, soit des accords capitalistiques, soit sous forme de groupement dintérêt économique (GIE) ». Enfin, une dernière condition concerne la définition de critères environnementaux pour les batteries utilisées en Europe, notamment en termes d’empreinte CO2, de recyclage avancé, et d’approvisionnement responsable en matières premières.

Ce dernier critère apparaît d’autant plus pertinent qu’il est cohérent avec les objectifs environnementaux français et européens.

Indépendamment de la suite qui sera donnée à « lAirbus des batteries », les rapporteurs jugent souhaitable de proposer la définition, au niveau européen, de critères environnementaux pour la production des batteries, notamment pour les véhicules électriques.

d.   Le recyclage et la seconde vie des batteries

Le recyclage des batteries lithium-ion des véhicules électriques pourrait apporter une réponse, au moins partielle, à la question de l’accès aux deux matériaux rares qui constituent les batteries lithium-ion, en l’occurrence le lithium et le cobalt. Mais cette possibilité ne pourra se concrétiser avant 2030, compte tenu de la durée de vie, d’une dizaine d’années, de ces batteries.

Même si les volumes de batteries en fin de vie ne croissent que très progressivement, le sujet du recyclage mérite d’être examiné dès à présent, ne serait-ce que pour en évaluer la faisabilité, déterminer les besoins éventuels en recherche et développement, et réexaminer les critères qui devraient être imposés aux fabricants des batteries, ou aux constructeurs qui les commercialisent dans leurs véhicules.

i.   Une réglementation datant de plus de 10 ans

La réglementation européenne applicable au recyclage des batteries de véhicules électriques comprend trois directives datant de plus d’une dizaine d’années, de 2000, 2002 et 2006, toutes transposées dans le droit français.

La directive 2000/53/CE du 18 septembre 2000 relative aux véhicules hors d’usage organise les filières de récupération, recyclage et transformation des épaves automobiles. Elle oblige les constructeurs automobiles à respecter un taux de réutilisation et de valorisation d’au moins 95 % du poids moyen par véhicule, et un taux de réutilisation et de recyclage de 85 %.

Par ailleurs, la directive 2002/96/CE relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE ou WEEE) requiert le démontage et la collecte séparée des batteries usagées d’un appareil électrique ou électronique et définit le responsable du recyclage.

Enfin, la directive 2006/66/CE relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs impose le recyclage de tous les accumulateurs au plomb à hauteur d’au moins 65 %, au nickel/cadmium à hauteur d’au moins 75 %, ainsi que le recyclage de 50 % des matériaux contenus dans les autres types de piles et accumulateurs. Cette dernière directive ne traite donc pas spécifiquement des batteries lithium-ion, auxquelles s’applique, en conséquence, le taux par défaut de 50 %.

ii.   Une seconde vie pour les batteries ?

L’une des solutions envisagées pour retarder le recyclage des batteries lithium-ion des véhicules électriques consiste à leur donner une seconde vie, en les réutilisant dans le cadre d’applications stationnaires moins exigeantes, par exemple le stockage de l’électricité produite en journée par des panneaux photovoltaïques.

Compte tenu de son intérêt économique potentiel, la faisabilité de cette solution fait l’objet de nombreuses études scientifiques. À l’occasion d’une visite au CEA-LITEN, les rapporteurs ont d’ailleurs pu mesurer leur complexité. En effet, l’absence de standardisation des batteries lithium-ion et une utilisation nécessairement diverse dans leur « première vie » rendent délicate la prévision de leur comportement en « deuxième vie ». Malgré tout, les chercheurs du CEA sont parvenus à mieux cerner les conditions pour qu’une batterie de voiture soit effectivement réutilisable.

Néanmoins, un travail considérable de recherche et développement reste à mener dans ce domaine, ainsi que sur la question du vieillissement des batteries lithium-ion, ne serait-ce que pour s’assurer de la viabilité économique de cette solution[19]. En tout état de cause, elle ne pourrait concerner qu’une part réduite des batteries qui seront issues, à terme, des véhicules électriques, les besoins en batteries pour les applications stationnaires étant plus limités[20].

Les rapporteurs considèrent quil convient de poursuivre les travaux de recherche sur le vieillissement des batteries et leur utilisation en seconde vie.

iii.   Un processus de recyclage complexe mais viable

Le recyclage des batteries lithium-ion présente de multiples difficultés, liées à la complexité intrinsèque de ce type de batterie, aux risques de réaction entre les éléments qui la constituent, et à l’hétérogénéité de la composition de leur cathode (LiCoO2, LiNiO2, LiFeOI4, NCM, etc.)[21]. Il nécessite en général de combiner plusieurs procédés : mécanique, pyrométallurgique et hydrométallurgique, voire biométallurgique.

Malgré ces obstacles, M. Éric Nottez, président de la Société nouvelle d’affinage des métaux (SNAM), a précisé que les procédés et les diagnostics prédictifs que sa société a développés avec le CEA pourraient rendre le recyclage des batteries lithium-ion rentable. D’une part, ils permettent de dépasser un taux de 85 % d’efficacité du recyclage. D’autre part, ils autorisent une réutilisation des matériaux recyclés pour fabriquer des batteries neuves à bas coût.

À ce stade, les obstacles au développement du recyclage des batteries lithium-ion apparaissent d’abord réglementaires.

Par exemple, faute d’un statut de recycleur spécifiquement adapté à cette activité, des réglementations différentes peuvent s’appliquer, suivant la localisation des installations. À ce sujet, M. Éric Nottez note que « nous sommes confrontés à un problème de différence dinterprétation. Un seul droit européen est transposé dans le droit français, par contre les interprétations sont différentes à Lyon, à Rodez, ou à Châteauroux. »

Pour ne pas freiner le développement des activités de recyclage, les rapporteurs recommandent de mieux coordonner les conditions dapplication à celles-ci des différentes réglementations existantes, en attendant la création dun statut adapté de recycleur, fixant des exigences en termes de respect de lenvironnement et de performance du recyclage.

e.   La question de l’approvisionnement en métaux rares

L’approvisionnement en métaux rares, notamment en lithium et en cobalt, tous deux indispensables aux batteries lithium-ion, constitue un point de vigilance pour le développement de la mobilité électrique (les batteries ne contiennent pas de terres rares, utilisées dans la fabrication des aimants permanents équipant les moteurs électriques synchrones sans balais, mais dont d’autres technologies de moteurs pour véhicules électriques sont exemptes).

En effet, si le développement de cette dernière conduit à remplacer une dépendance aux produits pétroliers par une autre aux métaux critiques, il convient d’en évaluer les conséquences en amont, afin de s’assurer que les ressources disponibles seront suffisantes pour couvrir les besoins à venir, et qu’il sera possible de disposer de plusieurs sources d’approvisionnement sûres permettant de limiter la dépendance ainsi que les risques.

La situation de ces deux métaux étant différente, à la fois sur le plan des ressources géologiques disponibles et sur celui des options techniques alternatives, il convient de les examiner séparément.

i.   Lithium, une vigilance indispensable

Comme pour toute autre matière première, il convient de distinguer entre les réserves et les ressources en lithiuM. Les premières désignent le lithium récupérable, aux conditions techniques et économiques du moment, dans des gisements exploités ou en passe de l’être. Les secondes correspondent à une estimation de l’ensemble du lithium contenu dans le sous-sol terrestre.

L’Institut d’études géologiques des États-Unis (en anglais, United States Geological Survey ou USGS) estime les réserves et les ressources mondiales en lithium respectivement à environ 14 et 62 millions de tonnes[22].

L’essentiel des réserves de lithium est réparti dans des pays développés de la sphère occidentale, notamment le Chili (8 millions de tonnes), l’Australie (2,7 millions de tonnes) et l’Argentine (2 millions de tonnes), suivis par la Chine (1 million de tonnes).

En 2018, l’Australie assurait plus de la moitié de la production mondiale (51 000 tonnes), suivie du Chili (16 000 tonnes), de la Chine (8 000 tonnes) et de l’Argentine (6 200 tonnes).

Répartition des réserves (cercles en traits pointillés) et de la production (cercles en trait plein) primaire mondiale avec les principales entreprises présentes sur les sites de production actuels et les projets en cours (source : IFPEN-ADEME USGS)

Une étude de l’ADEME et de l’IFPEN publiée en octobre 2018[23] met en évidence, à l’horizon 2050, sur la base d’une modélisation prospective de la contribution du secteur du transport dans l’évolution du marché du lithium en fonction des politiques énergétiques et environnementales mondiales, une marge assez faible entre la demande de lithium et les réserves actuelles pour les scénarios les plus ambitieux de développement des véhicules électriques.

Si les réserves apparaissent dans l’absolu suffisantes, comme pour toute matière première critique, l’approvisionnement en lithium devra continuer à faire l’objet d’une vigilance particulière, notamment au regard des politiques des pays producteurs de lithium et de celles des pays consommateurs, en premier lieu la Chine qui a déjà par le passé mis en œuvre des pratiques commerciales restrictives, telles que des quotas voire des embargos, sur des ressources comme les terres rares.

Source : ADEME - IFPEN

ii.   Cobalt, la nécessité de la substitution et du recyclage

Le cobalt représente un deuxième métal rare actuellement indispensable à la production des batteries lithium-ion.

L’USGS estime les réserves et les ressources mondiales en cobalt respectivement à environ 6,9 et 25 millions de tonnes. À ces dernières s’ajoutent 120 millions de tonnes contenues dans des nodules de manganèse situés au fond des océans atlantique, indien et pacifique[24].

Près de la moitié de ces réserves en cobalt est localisée en République Démocratique du Congo (3,4 millions de tonnes), pays suivi par l’Australie (1 million de tonnes) et Cuba (0,5 million de tonnes). De même, plus de la moitié de la production mondiale de cobalt en 2018 (140 000 tonnes) provenait de la République Démocratique du Congo (90 000 tonnes), suivie de très loin par la Russie (5 900 tonnes).

L’instabilité politique et économique de la République Démocratique du Congo constitue un risque majeur pour l’approvisionnement en cobalt. De plus, les conditions d’exploitation de ce dernier ont été dénoncées par plusieurs organisations non gouvernementales. Une autre difficulté résulte du fait que le cobalt est majoritairement un coproduit minier du nickel et du cuivre, si bien que son exploitation est directement liée à celle de ces deux métaux. Ainsi, en 2016, malgré une forte demande en cobalt, sa production a baissé de 2,5 %.

Une étude récente du Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne[25] conclut que la croissance rapide de la demande mondiale de cobalt liée au développement des véhicules électriques pourrait se traduire dès 2020 par un déficit de 8 000 tonnes, qui atteindrait 64 000 tonnes en 2030.

Ce défi nécessitera d’accroître les investissements dans l’exploitation minière, notamment en Europe (cf. carte ci-dessous), et de passer des accords avec des pays tels que l’Australie et le Canada, dont la production en cobalt est susceptible de monter en puissance et présente de meilleures garanties sur le plan éthique.

Carte prédictive du potentiel minéral de cobalt en Europe (source : ProMine)[26]

Par ailleurs, il conviendra de poursuivre les efforts de recherche pour réduire la teneur en cobalt des électrodes de batteries lithium-ion. C’est ce qu’a indiqué le professeur Patrice Simon, directeur adjoint du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie : « Concernant le cobalt, qui est très important pour la production des batteries actuelles, nous travaillons sur des électrodes riches en nickel, afin de diminuer leur teneur en cobalt. Tous les industriels tentent aujourdhui de faire des progrès sur cet axe de recherche. Dailleurs, la teneur en cobalt des électrodes, de 30 % au début de la décennie, se situe désormais entre 15 % et 20 %. Il semble possible que ce taux descende à 10 % dans les années à venir. »

Enfin, le recyclage mentionné précédemment pourrait progressivement devenir une source complémentaire significative de cobalt.

3.   Assurer le déploiement des infrastructures

L’utilisation au quotidien d’un véhicule électrique à batterie ou hybride rechargeable nécessite de pouvoir accéder facilement à un point de chargement. L’angoisse de l’autonomie, ou range anxiety en anglais, qui correspond à la crainte de ne pas trouver de borne pour recharger son véhicule, constitue encore un frein au développement de la mobilité électrique à ne pas négliger.

C’est ce qu’a souligné M. Jean-Philippe Hermine, directeur du plan environnement de Renault : « Pour réussir, un certain nombre de freins doivent être levés sur le déploiement des infrastructures de recharge, sur le droit à la prise, et sur le développement des bornes dans lespace public ».

Une enquête d’opinion parue en octobre 2018 concernant le regard des Français sur la mobilité électrique le confirme : 62 % des personnes interrogées jugent prioritaire de multiplier les bornes de recharge accessibles au public, 65 % d’assurer leur adaptation à tous types de véhicules, indépendamment de la marque et du modèle, et 50 % de permettre la recharge à domicile.

Il est donc essentiel d’assurer, sur tout le territoire, un accès aisé à un point de charge. La facilité à en implanter un à son domicile, la disponibilité de points de recharge publics à proximité de ce dernier et sur les voies de communication pour les longs parcours, sont des éléments déterminants dans le choix du passage à un véhicule électrique.

De la même façon, bien que les véhicules roulant à l’hydrogène ou aux biogaz soient à un stade de développement moins avancé, il convient de préparer la mise en place progressive d’une infrastructure de distribution de ces énergies.

a.   Les infrastructures de recharge pour véhicules électriques

Les infrastructures de recharge pour les véhicules électriques (IRVE) comprennent, d’une part, des équipements à usage privé, installés dans l’habitat ou en entreprise, et, d’autre part, des équipements ouverts au public, dans l’espace public ou dans des espaces privés ouverts au public.

En France, à la fin 2018, le nombre total de points de recharge s’élevait à 239 761, dont 26 100 points accessibles au public (11 %), 86 360 chez les particuliers (36 %), et 127 301 en entreprise (53 %)[27], avec une progression globalement de près de 40 % en un an (cf. graphique ci-dessous).

Évolution du nombre de points de recharge depuis 2015 (source : ENEDIS)

Dans le cadre des scénarios technologiques étudiés par le groupement CEA – IFPEN, le nombre total de points de recharge nécessaires à l’horizon 2040 a été évalué, dans le scénario médian, à quelque 30,2 millions, sur la base de 1,2 point de recharge par véhicule électrique, pour un coût total de 20 à 80 milliards d’euros, en prenant en compte les baisses de coûts unitaires des bornes et de leur raccordement.

i.   Les infrastructures de recharge à usage privé

La possibilité de recharger à domicile représente un atout majeur des véhicules électriques. Bien qu’une simple prise électrique puisse suffire, l’accès à celle-ci s’avère beaucoup plus compliqué en habitat collectif qu’en habitat individuel, et, même pour ce dernier, elle n’est pas toujours assurée.

En France, le parc de logements est constitué de 19,1 millions de maisons individuelles, dont 4,4 millions sans parking, et de 14,9 millions de logements collectifs, dont 8 millions sans parking. Deux tiers (64 %) des logements sont donc susceptibles d’être équipés d’une station de recharge, c’est-à-dire d’une borne associée à un emplacement de stationnement.

Comme l’a relevé M. Yannick Perez, professeur associé à CentraleSupélec, ces données sont à examiner avec prudence : « LINSEE estime quun habitat individuel dispose dune place de parking dès lors que la surface du terrain adjoint est suffisante, ce qui nimplique pas nécessairement que la place soit électrifiable. Il faut donc considérer les statistiques avec attention, car les critères dobservation ne sont pas toujours adaptés aux problématiques récentes. ».

De fait, lorsque cela s’avère possible, l’acquisition d’un véhicule électrique s’accompagne souvent de l’installation d’une borne permettant une recharge dite normale « standard », d’une puissance de 3,7 ou 7,4 kilovoltampères (kVA), en monophasé, ou normale « accélérée », d’une puissance de 11 ou 22 kVA, en triphasé.

L’utilisation d’une borne dédiée permet d’améliorer les performances de la recharge et de la sécuriser, notamment en assurant la mise à la terre du véhicule, en limitant le courant de charge en fonction du type de câble, en protégeant contre les surcharges, les courts-circuits et les défauts d’isolement, voire contre la foudre. Celle-ci peut également permettre un pilotage de la recharge, par exemple pour profiter de la tarification heures pleines et heures creuses.

Dans les bâtiments résidentiels collectifs, la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle II, a créé un « droit à la prise », qui peut être invoqué par un utilisateur de véhicule électrique, propriétaire ou locataire, pour installer une borne de charge individuelle dans le parking de son immeuble.

Cette disposition, entrée en vigueur le 1er novembre 2014[28], se heurte en pratique à des obstacles, principalement liés au délai de six mois laissé au syndic de l’immeuble pour s’opposer à une demande d’installation, ainsi qu’à la nécessité de réaliser les travaux dans les parties communes.

Lors de l’audition publique du 29 novembre 2018, M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France a insisté sur l’importance de « la question de linstallation dune prise de recharge dans les immeubles en copropriété, qui demeure encore aujourdhui un véritable parcours du combattant, avec des délais qui peuvent sallonger fortement. »

Les conditions d’exercice du « droit à la prise » doivent donc être significativement améliorées, pour permettre aux propriétaires ou locataires des quelque 7 millions de logements du parc résidentiel collectif équipés d’un emplacement de parking de pouvoir disposer d’une borne dans un délai suffisamment court pour engager sans hésiter l’acquisition d’un véhicule électrique.

Les rapporteurs considèrent que pour accélérer lexercice du « droit à la prise », dans toute copropriété susceptible dêtre équipée, il convient de prévoir que le syndic doive soumettre à la prochaine assemblée générale des copropriétaires une proposition de mode de raccordement et de comptage standardisé pour les places de parking de la copropriété, ainsi que les travaux de pré-équipement éventuellement nécessaires. En labsence dune telle décision préalable ou dune impossibilité technique, la solution de raccordement individuel soumise par un propriétaire ou locataire au titre du « droit à la prise » devrait être retenue par défaut, sauf contestation dans un délai de deux mois par le syndic, pour un motif sérieux.

ii.   Les infrastructures de recharge ouvertes au public

Les infrastructures de recharge ouvertes au public concernent principalement deux catégories d’utilisateurs : ceux dépourvus de moyen de recharge à domicile, ou ceux en déplacement. À ces deux usages principaux correspondent des bornes de caractéristiques différentes, avec, dans le premier cas, des bornes permettant une recharge « normale » et, dans le deuxième, des bornes permettant une « recharge rapide » en courant alternatif ou continu.

Comme l’a rappelé, à l’occasion de l’audition publique du 29 novembre 2018, M. Francis Vuibert, préfet honoraire, coordinateur interministériel pour la mobilité électrique, la France a très tôt engagé le déploiement des infrastructures de recharge publiques : « La loi de juillet 2010 portant engagement national pour lenvironnement a donné compétence aux communes pour créer et entretenir les infrastructures de recharge nécessaires à lusage des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, sous réserve dune offre inexistante, insuffisante, ou inadéquate sur leur territoire, ce qui était manifestement le cas en 2010.

Alors que les premiers véhicules électriques de nouvelle génération arrivaient à peine dans les concessions automobiles, lÉtat a mis en place dès 2011, puis en 2013, des dispositifs daccompagnement financiers, gagés sur le Programme dinvestissements davenir (PIA), et opérés par la Caisse des dépôts et consignations, puis par lAgence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie (ADEME), afin dencourager lémergence de réseaux territoriaux dinfrastructures de recharge portés par les collectivités territoriales. »

À la fin de l’année 2018, 26 100 points de recharge étaient accessibles au public pour 163 179 véhicules légers électriques immatriculés, soit 6,25 véhicules par point de recharge, un ratio nettement meilleur que celui de dix pour un préconisé par la directive 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs.

Toutefois, la répartition géographique de ces bornes sur le territoire s’avère inégale. Par exemple, l’Île-de-France, région la mieux dotée en nombre de points de recharge (3 708), comptabilise près de onze véhicules par borne. Surtout, il reste quelques « zones blanches », dépourvues de toute infrastructure de recharge, en particulier dans le Territoire de Belfort et dans la Creuse. Celles-ci constituent un frein à l’itinérance pour les territoires avoisinants, comme l’a souligné M. Emmanuel Charil, directeur général des services du Syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire, à l’occasion de la même audition publique.

Nombre de points de charge pour 100 000 habitants en septembre 2018 (Source : GIREVE)

Les rapporteurs recommandent quaprès un recensement de ces « zones blanches », les préfets concernés soient missionnés, en lien avec le coordinateur interministériel pour la mobilité électrique, pour trouver, avec les différents acteurs locaux ou nationaux impliqués, des solutions appropriées pour les réduire avant fin 2022.

Ces infrastructures de recharge ouvertes au public sont constituées de 65 % de points de recharge accélérée, de 11 à 22 kW, de plus de 25 % de points de recharge lente, de moins de 11 kW, et de moins de 10 % de points de recharge rapide, à plus de 24 kW.

Toutefois, ce décompte s’écarte de la caractérisation habituelle de la recharge rapide, correspondant, en général, à un point de charge d’une puissance minimale de 43 kVA en triphasé alternatif (CA) et 54 kVA en courant continu. La recharge dite ultra-rapide correspond à une puissance supérieure ou égale à 120 kVA en courant continu.

Dans cette dernière catégorie, CORRI-DOOR, le réseau le plus développé à ce jour en nombre de stations, financé sur des fonds européens, vise à déployer sur les autoroutes françaises des bornes rapides d’au moins 50 kW, tous les 80 kilomètres. Il comporte 200 bornes, gérées par la société IZIVIA, filiale d’EDF, auxquelles devraient s’ajouter 300 bornes supplémentaires.

 

D’autres réseaux de recharge rapide sont en cours de déploiement en France, comme celui du consortium IONITY, regroupant les principaux constructeurs allemands, qui prévoit à terme 80 stations sur des aires d’autoroute françaises, avec des bornes allant jusqu’à 350 kW. Pour leur part, RENAULT et NISSAN ont rejoint le consortium E-VIA FLEX-E, qui vise à déployer des bornes haute puissance en Europe du sud. TOTAL pour sa part évoque le déploiement de 1 000 bornes de recharge ultrarapides dans 300 de ses stations-service en Europe de l’ouest. La société TESLA a, quant à elle, installé en France plus de 90 stations de recharge dédiées à ses véhicules.

Le déploiement de ces bornes rapides ou ultrarapides ne devrait toutefois pas se limiter aux grands axes de circulation. Ainsi, un premier projet européen Metropolitan Greater Areas Electrified (MEGA-E), vise précisément à équiper les grands centres urbains européens de stations ultrarapides.

Lors de l’audition du 29 novembre 2018, M. Jean-Clair Fayolle, directeur de la Fédération départementale d’énergie du Lot (FDEL) a expliqué que le choix des communes de ce département touristique s’est orienté vers l’installation de bornes rapides : « Nous avons été extrêmement surpris de constater que la plupart des communes identifiées dans le schéma initial validé par lADEME nous ont suivis sur le choix des bornes rapides .... Nous avons ainsi installé au total 62 bornes, dont 56 rapides et 6 accélérées. »

Pour les scénarios technologiques, le ratio de un pour dix préconisé par la réglementation européenne a été retenu par le CEA et l’IFPEN, tous types de points de recharge confondus, avec une décomposition un peu différente : points de recharge ultra-rapide, d’une puissance supérieure à 120 kW, avec un ratio d’1 pour 10 000 véhicules, points de recharge rapide, d’une puissance supérieure à 40 kW, à raison de 3 % du nombre total, et, enfin, points de recharge lente.

iii.   Faciliter les déploiements

L’atteinte de l’objectif de 100 000 bornes déployées en 2022, fixé dans le cadre du Contrat stratégique de la filière automobile signé en mai 2018 (sous la réserve que la filière atteigne ses objectifs de vente d’un million de véhicules électriques et hybrides rechargeables) implique de déployer environ 25 000 nouveaux points de recharge sur chacune des trois prochaines années.

Or, l’une des difficultés majeures pointées lors de l’audition du 29 novembre 2018 par plusieurs intervenants concerne la rentabilité de l’exploitation des infrastructures de recharge ouvertes au public, indépendamment des profils d’utilisateurs concernés, qui ne permet pas de couvrir l’investissement initial, ni même de financer l’entretien, à un niveau de qualité satisfaisant, des installations existantes.

Ainsi, M. Emmanuel Charil constate, s’agissant du réseau de bornes à 22 kW déployé par son syndicat d’énergie, que « le nombre dabonnés est très inférieur à nos prévisions : nous comptons ainsi seulement 386 abonnés en 2018, alors que dans nos prévisions nous avions estimé que chaque propriétaire de véhicule électrique serait abonné, soit un total de 2 000 ».

De la même façon, Mme Juliette Antoine-Simon, directrice générale d’IZIVIA a indiqué, au sujet des bornes du réseau CORRI-DOOR : « Quel que soit le taux dutilisation, ce service nest aujourdhui pas rentable. En effet, sans parler des coûts dinvestissement, les coûts dexploitation des réseaux sont bien supérieurs aux revenus que lon peut en attendre. »

Il n’en va pas autrement pour le consortium IONITY, qui n’envisage pas d’atteindre la rentabilité avant plusieurs années[29].

Plusieurs orientations pourraient contribuer à améliorer la rentabilité des infrastructures de recharge ouvertes au public et à faciliter leur financement.

Tout d’abord, il est nécessaire de tirer les conséquences de cette situation dans les contrats de concession d’exploitation.

Les rapporteurs estiment que les contrats de concession dexploitation des infrastructures de recharge doivent prévoir une durée suffisante pour parvenir à la rentabilité à terme, ainsi quune compensation en cas de rupture prématurée du contrat du fait du concessionnaire.

Par ailleurs, un choix plus adéquat des emplacements des bornes de recharge pourrait permettre d’éviter que certaines d’entre elles soient pratiquement inutilisées, ainsi qu’en ont témoigné plusieurs des intervenants lors de l’audition du 29 novembre 2018, tout en permettant d’optimiser leur coût de raccordement au réseau électrique. Bien entendu, cette préoccupation ne doit pas conduire à l’absence totale de possibilité de recharge sur un espace étendu, ce qui risquerait de constituer un frein à la mobilité, comme dans le cas des « zones blanches » précitées.

La tâche s’avère difficile pour les bornes de recharge situées en ville, compte tenu du nombre de paramètres à prendre en considération. Du moins serait-il possible de tirer les enseignements de la fréquentation des bornes déjà déployées. À cet égard, M. Yannick Perez a indiqué, lors de son audition, qu’» il savère extrêmement complexe dobtenir des données récentes et correctement documentées sur le déploiement des infrastructures de recharge, leur fonctionnement, ou encore le nombre de personnes qui les utilisent. De telles données permettraient pourtant de disposer de critères dévaluation de la pertinence de lemplacement dune infrastructure à un endroit particulier. »

Il en va de même pour les données relatives aux caractéristiques du réseau de distribution, qui peuvent avoir une influence importante sur les coûts de raccordement des bornes.

Les rapporteurs suggèrent que puisse être mise à disposition des municipalités et des prestataires dinfrastructures par Enedis une cartographie des emplacements les plus propices au raccordement des infrastructures de recharge au réseau de distribution. Par ailleurs, les rapporteurs estiment quil serait utile dajouter sur le site RTE des capacités daccueil pour le raccordement aux réseaux de transport et de distribution des installations de production délectricité (Caparéseau), lindication des capacités disponibles pour les infrastructures de réseau.

Pour les bornes rapides situées sur les voies de communication, leur fréquentation est étroitement liée au trafic routier.

Les rapporteurs constatent que pour faciliter loptimisation des infrastructures de recharge rapides, il savère indispensable de rendre accessibles les données de fréquentation des grands axes routiers heure par heure.

Plus généralement, compte tenu de la multiplication des acteurs impliqués dans le domaine, de la dispersion des données et des enjeux liés à ces données, les rapporteurs estiment nécessaire de créer un observatoire chargé de les centraliser, qui pourrait être confié à un établissement, ou à un groupement détablissements universitaires.

La facilité d’utilisation et l’interopérabilité des bornes constituent une autre piste pour accroître leur fréquentation. À cet égard, le décret n° 2017-26 du 12 janvier 2017 relatif aux infrastructures de recharge pour véhicules électriques apporte une solution au problème de l’interopérabilité de la prise physique et du paiement.

De plus, un service permettant aux utilisateurs de planifier leurs trajets en réservant des points de recharge, indépendamment de l’opérateur et de la borne, a été récemment initié par le Groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules (GIREVE), qui rassemble Enedis, Renault, la CDC, EDF et la CNR.

Une autre possibilité pour contrebalancer ce problème de rentabilité consiste à mobiliser plus fortement les acteurs privés disposant d’emplacements de stationnement ouverts au public, et dont l’activité principale pourrait bénéficier de l’installation de bornes de recharge. Il apparaît somme toute logique de prévoir, pour les établissements les plus importants, par exemple les hypermarchés et supermarchés[30], un nombre minimal de points de recharge ; ainsi que l’a suggéré M. Yannick Perez : « Pour la recharge sur la voie publique, il faut aussi rechercher de nouveaux business model. Une première solution consisterait à électrifier massivement les stations-service. »

Les rapporteurs proposent détendre le champ dapplication des obligations dinstallation dinfrastructures de recharge, en prévoyant un étalement de cette mesure sur une durée de 5 ans : aux stations-service de plus de 8 pompes à raison dau moins une station de recharge rapide, à tous les ensembles commerciaux ou de cinéma comportant plus de 40 places de stationnement, à raison dau moins 10 % de la totalité des places du parking, enfin aux opérateurs privés de parkings publics situés en zones urbaines, dans les mêmes proportions.

L’évolution de l’offre en matière de bornes de recharge pourrait également conduire à une réduction des coûts, donc faciliter l’atteinte de la rentabilité. Une piste prometteuse concerne l’utilisation des lampadaires d’éclairage public pour la recharge des véhicules électriques, solution récemment expérimentée à Aix-en-Provence et à la Roche-sur-Yon, pourrait y contribuer en milieu urbain.

Les rapporteurs recommandent de continuer à soutenir lexpérimentation de nouvelles solutions de recharge susceptibles dabaisser les coûts dinstallation et de maintenance de ces infrastructures.

iv.   Un impact limité sur le système électrique

En France, le contenu énergétique de l’essence (10 458 000 m3) et du diesel (39 253 000 m3) consommés par les véhicules routiers en 2017[31], qui équivaut à 483 TWh, dépasse le total de la consommation d’électricité, soit 474 TWh en 2017 et 2018. Il n’est donc pas surprenant que l’impact sur le système électrique d’une électrification rapide de la mobilité puisse susciter des inquiétudes.

Toutefois, l’efficacité énergétique des véhicules électriques s’avère nettement supérieure à celle des véhicules thermiques. Par exemple, le rendement maximum d’un moteur électrique peut dépasser les 90 %, et se situe en utilisation réelle aux alentours de 85 %, alors que celui des dernières générations de moteurs à combustion interne atteint au mieux 40 %, mais descend facilement beaucoup plus bas en utilisation, notamment en ville.

En prenant l’hypothèse d’une consommation moyenne d’un véhicule particulier électrique de 18 kWh / 100 km, à raison de 13 000 kilomètres parcourus, sa consommation annuelle s’établit à 2,34 MWh. Au total, la consommation d’un parc de 32,4 millions de véhicules peut donc être estimée à 75,8 TWh, un besoin supplémentaire qui aurait pu être couvert en 2018 par le différentiel entre la production française d’électricité, de 548,6 TWh, et la consommation actuelle.

Ce résultat est cohérent avec les données annoncées dans les scénarios technologiques par le CEA et l’IFPEN : « Cette électrification totale du transport routier consommerait en ordre de grandeur 125 TWh délectricité, dont un peu plus de la moitié pour les véhicules particuliers », même si dans ces scénarios les besoins en électricité pour les véhicules particuliers en 2040 sont plutôt évalués à 45 TWh, voire 85 TWh en cas de développement accéléré des véhicules à hydrogène.

Source : RTE

Il est également en ligne avec les résultats du scénario AMPÈRE décrit dans le Bilan prévisionnel 2017 de RTE[32], qui évalue, à l’horizon 2035, la consommation d’un parc de 15,6 millions de véhicules électriques à 34,4 TWh, soit 7,2 % d’une consommation nationale d’électricité, évaluée à 480 TWh. Dans ce scénario, la production annuelle d’électricité de 608 TWh permettrait de faire face, le cas échéant, à un développement soutenu de la mobilité hydrogène. Les résultats de ce scénario relatif au mix électrique ont d’ailleurs été intégrés par le CEA et l’IFPEN dans leurs scénarios technologiques.

La consommation d’électricité ne représente donc pas un point bloquant pour l’électrification du parc de véhicules particuliers. Elle nécessitera néanmoins un suivi attentif de l’évolution des gains d’efficacité énergétique et des moyens de production d’électricité. Le mécanisme d’élaboration de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), auquel le Parlement est insuffisamment associé, constitue un cadre adéquat pour l’assurer.

Les rapporteurs regrettent que le Parlement ne soit pas plus étroitement associé à ce processus et considèrent, compte tenu des enjeux, que la Programmation pluriannuelle de lénergie (PPE) devrait faire au moins lobjet dun débat au Parlement, préalable à la publication du décret correspondant.

Si une gestion attentive de l’évolution du système énergétique devrait permettre de satisfaire les besoins supplémentaires d’électricité liés au déploiement des véhicules électriques, ces derniers représenteront également, en termes d’appel de puissance, une charge nouvelle significative pour le réseau électrique, à la fois au plan local et national.

En France, une majorité de logements individuels sont dotés d’un compteur électrique de 6 kVA. La recharge lente d’un seul véhicule électrique, à 3 ou 7 kW, représente déjà entre la moitié et la totalité de la puissance souscrite. Pour un immeuble de bureau hébergeant une centaine d’employés avec un abonnement à 30 kVA, la recharge simultanée de 10 véhicules à 3 ou 7 kW correspond à une à deux fois la puissance souscrite.

De même, la recharge simultanée de véhicules électriques situés dans des bâtiments différents pourrait induire localement une charge non négligeable sur les réseaux de distribution, et, au niveau national, celle de plusieurs millions de véhicules générer des déséquilibres sur le réseau de transport, ou aggraver des pointes de consommation dont la gestion s’avère déjà délicate, notamment en période hivernale.

Ainsi, la recharge simultanée et lente, à 3 kW, de la moitié d’un parc de 32,4 millions de véhicules correspondrait, à elle seule, à un appel de puissance de plus de 48 GW, équivalent à la puissance totale du parc nucléaire prévu à l’horizon 2035 dans le scénario AMPÈRE de RTE. Pour un parc d’un million de véhicules électriques, conforme à l’objectif visé en 2022 par le Contrat stratégique de la filière automobile, se rechargeant au même moment à 3 kW, l’appel de puissance pourrait atteindre 3 GW. S’il apparaissait en début de soirée, au retour des consommateurs dans leurs foyers, ce besoin supplémentaire viendrait réduire les marges de manœuvre pour la gestion déjà tendue des pointes hivernale.

Bien entendu, de telles simultanéités auraient peu de chance de survenir, mais ces exemples illustrent la nécessité de définir sans tarder une démarche appropriée pour faire face à moindre coût à ce besoin nouveau. À ce sujet, dans l’édition 2018 de son Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, RTE rappelle pour la période 2020-2023, que « toute action conduisant à maîtriser les pics de puissance confère des marges importantes ».

Comme l’a noté M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France, à l’occasion de l’audition publique du 29 novembre 2018 : « 80 % [des Français] parcourent moins de 50 kilomètres par jour, ce qui représente un besoin en recharge quotidien de moins de 7 kilowattheures, relativement faible ». Ces quelques kilowattheures représentent de l’ordre de 1 à 3 heures en recharge lente, suivant la puissance du point de charge. Celle-ci pourrait s’effectuer avec flexibilité, à n’importe quel moment de la nuit au domicile, ou durant la journée si le véhicule est relié à une borne, voire à puissance variable.

Courbe de charge associée à la recharge d’un million de véhicules pour un jour ouvré de janvier

selon le mode de pilotage de la recharge (source : RTE et CRE)

Comme l’illustre la courbe ci-dessus, la mise en place d’un dispositif de pilotage de la recharge des véhicules électriques, sur un principe similaire à celui utilisé pour les ballons d’eau chaude domestique, permettrait, par exemple, de décaler celle-ci après le démarrage de ces derniers, afin d’éviter un appel de puissance global trop important. Déployé à grande échelle, ce mécanisme permettrait de lisser la courbe de consommation électrique, en complément des ballons d’eau chaude, soit pour mieux compenser la période creuse de la nuit, soit pour absorber le pic de production photovoltaïque durant la journée[33]. Sur ce dernier aspect, M. Yannick Perrez a souligné que « les synergies existantes, entre électromobilité et énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, ne sont pas encore bien explorées et documentées, alors quil serait avantageux de les favoriser ».

L’installation d’un tel système ayant nécessairement un coût, elle pourrait constituer un frein à l’acquisition d’un véhicule électrique. Toutefois, l’investissement initial dans le pilotage du point de recharge serait assez vite compensé par la possibilité de garder le même abonnement, puisque les risques de dépassement de la puissance souscrite se trouveraient réduits. De plus, la généralisation de cette fonctionnalité permettant de produire les composants correspondant en grande série, elle en réduirait rapidement le coût unitaire.

Bien entendu, pour rendre ce pilotage effectif en incitant les consommateurs à modifier l’horaire de charge de leur véhicule, un signal tarifaire suffisamment marqué sera aussi indispensable.

Pour minimiser le coût d’une telle installation, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) suggère d’exploiter une fonctionnalité du compteur Linky, appelée « contact sec virtuel »[34]. Par ailleurs, certaines bornes du commerce disposent d’ores et déjà de cette fonctionnalité. Enfin, celle-ci pourrait être directement intégrée aux véhicules eux-mêmes par les constructeurs.

De la même façon, dans les immeubles collectifs ou de bureau, la mise en place d’un système de pilotage intelligent des recharges permettrait tout à la fois d’éviter d’aggraver les pics de consommation et de limiter la puissance appelée, évitant aussi à la copropriété de souscrire un abonnement plus coûteux.

Dans ces conditions, les rapporteurs estiment quil convient détendre à lhabitat collectif et au tertiaire lobligation, déjà prévue pour les bornes publiques, dinstallation dun système permettant de piloter la recharge.

Par ailleurs, le programme ADVENIR, financé par les CEE (certificats d’économie d’énergie), qui propose des aides au développement des infrastructures de recharge pour les entreprises, les personnes publiques et le résidentiel collectif, prévoit un bonus de 360 euros pour le pilotage de la recharge. Les bornes installées en maison individuelle bénéficient, pour leur part, d’un crédit d’impôt de 30 %.

Les rapporteurs proposent de renforcer le programme ADVENIR en létendant à linstallation de points de recharge en habitat individuel, en lieu et place du crédit dimpôt, et en systématisant la condition de pilotage énergétique des infrastructures de recharge.

Deux caractéristiques des infrastructures de recharge rapide et ultra-rapide rendent l’analyse de leurs impacts sur le réseau électrique particulièrement délicate : d’une part, leur puissance en croissance, les plus récentes atteignant 350 kW, soit l’équivalent de plus de 50 logements, et, d’autre part, l’imprévisibilité de leur usage, puisqu’il est très difficile d’estimer suivant quelle fréquence elles seront sollicitées, et pour quelle durée.

Ce sujet fait l’objet d’études qui sont encore à un stade préliminaire, par exemple sur les approches mathématiques les plus appropriées[35]. À ce stade, il est loisible de noter que la puissance cumulée de 3 000 points de recharge ultra-rapide à 350 kW répartis sur le territoire, correspondant au ratio de 1 pour 10 000 adopté dans les scénarios technologiques, serait égale 1,05 GW. L’enjeu du déploiement de ces bornes ne porterait donc pas principalement sur la pointe de consommation nationale, mais plutôt sur l’équilibre du réseau électrique, notamment au niveau local.

v.   L’intégration du véhicule électrique au réseau (vehicle-to-grid)

Si le chargement mal maîtrisé des véhicules électriques peut présenter des risques pour le fonctionnement du réseau, la technologie vehicle-to-grid ou V2G vise au contraire à les transformer en fournisseurs de service au réseau, afin d’améliorer sa stabilité et d’optimiser son fonctionnement. À cette fin, elle permet à un véhicule de communiquer avec le réseau électrique, soit pour injecter du courant stocké dans sa batterie, soit au contraire pour y stocker du courant électrique en excès.

Un parc de plusieurs milliers de véhicules électriques présente des caractéristiques très intéressantes pour le réseau électrique, de par son caractère distribué, sa puissance et sa capacité cumulées, ou encore son temps de réponse très court. Par ailleurs, la fourniture de ces services au réseau pourrait théoriquement être rémunérée, ce qui permettrait au propriétaire de réduire le coût de possession de son véhicule.

Toutefois, comme l’a indiqué M. Yannick Perez, « le vehicle-to-grid se résume pour linstant à des protocoles expérimentaux… Plus de cinquante expérimentations sont aujourdhui conduites à travers la planète pour rendre différents services au réseau. Les retours dexpérience sont jusquici favorables. »

Plusieurs difficultés doivent cependant encore être levées avant de pouvoir envisager de passer du stade expérimental à une mise en œuvre à grande échelle.

Tout d’abord, les échanges bidirectionnels entre le réseau et le véhicule pourraient réduire la durée de vie de la batterie, en la sollicitant pour d’autres besoins que la mobilité. Cette question fait l’objet de nombreuses recherches, dont certaines concluent à la possibilité, sous certaines conditions, que la durée de vie de la batterie puisse, au contraire, être prolongée[36]. Toutefois, la diversité des technologies de batteries lithium-ion et la connaissance encore trop partielle de leur comportement ne permet pas encore de prédire de façon suffisamment sûre les effets du vehicle-to-grid sur les batteries des véhicules.

Par ailleurs, le coût du dispositif d’électronique de puissance nécessaire pour réaliser une conversion bidirectionnelle du courant continu vers le courant alternatif pourrait réduire l’intérêt financier du vehicle-to-grid. Comme l’a précisé M. Yannick Perez, si ce dispositif est intégré au point de charge, le surcoût se chiffrerait entre 600 et 1 000 euros, par contre s’il devient un composant standard du véhicule, son coût de limitera à une centaine d’euros.

De plus, les modalités de communication entre le réseau, les bornes, et le véhicule restent à établir. Leur normalisation internationale demandera du temps. Une première étape pourrait consister à promouvoir l’adoption de protocoles européens tels que l’ISO-15-118 ou l’Open Charge Point Protocol (OCPP), ce qui permettrait d’assurer un avantage concurrentiel aux entreprises européennes qui les adoptent.

Mais le principal obstacle à la mise en œuvre du vehicle-to-grid est d’ordre réglementaire, ainsi que l’a indiqué M. Yannick Perez : « La réglementation actuelle représente une barrière pour le développement de services décentralisés et innovants, comme la recharge intelligente. »

Bien que les technologies vehicle-to-grid soient encore à un stade relativement préliminaire, les rapporteurs encouragent les différents acteurs concernés à préparer dès à présent, sous légide de la Commission de régulation de lénergie, et en lien avec le monde académique, les évolutions réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre, dautant que celles-ci devront être intégrées au niveau européen.

De plus, les expérimentations du vehicle-to-grid doivent être poursuivies. Les territoires d’outre-mer, de par l’autonomie de leur réseau électrique et les coûts élevés de production de l’énergie, présentent des avantages certains sur ce plan. Qui plus est, le développement de l’électromobilité pourrait apporter une amélioration du cadre de vie, favorable au tourisme.

Les rapporteurs recommandent que les territoires doutre-mer français deviennent des terres dexpérimentation aussi bien pour le vehicle-to-grid que pour la mobilité électrique.

vi.   Quelles alternatives aux bornes de recharge ?

Les bornes de recharge représentent aujourd’hui la solution universellement reconnue comme la plus pertinente pour assurer l’approvisionnement d’un parc de véhicules électriques. Néanmoins, elle présente des inconvénients, comme la nécessité de manipuler un câble, et des limites, notamment la nécessité de rester à l’arrêt durant une période prolongée.

Lors de l’audition d’ALSTOM, M. Yannick Legay, directeur technico-commercial, a décrit brièvement le système APS de captation par un troisième rail, mis au point à Bordeaux dans les années 2000, et qui fonctionne depuis une bonne quinzaine d’années. Toutefois, un tel système ne semble pas adapté à des véhicules particuliers, notamment parce que la sécurité y est, en principe, assurée par le recouvrement de la portion de rail alimentée par le véhicule. D’autres systèmes sont expérimentés pour les véhicules lourds, par exemple avec des caténaires.

Pour les véhicules particuliers, la commercialisation au premier trimestre de l’année 2019 d’un premier système de chargement sans fil par induction a été annoncée par un grand constructeur allemand. Il s’agit d’un dispositif de chargement d’un véhicule en stationnement, destiné à simplifier l’opération, en évitant de brancher un câble. Le chargement d’un véhicule électrique pourrait même ainsi devenir plus simple que celui d’un véhicule thermique.

Le chargement, sur le même principe, d’un véhicule en mouvement est toutefois envisageable. Il fait l’objet de nombreuses études. Au moins un produit opérationnel existe à ce jour, au stade du prototype. Ce dernier permettrait d’assurer un chargement de 20 kW en mouvement, ce qui serait suffisant pour qu’un véhicule roulant à moins de 100 km/h puisse gagner en autonomie sur la portion de route équipée.

Un tel dispositif permettrait de s’affranchir de la principale limite des bornes de recharge : la gestion des files d’attente, notamment en période de départs en vacances, ou en week-end.

Toutefois, de nombreux obstacles restent à lever : quelles plages de valeurs convient-il d’adopter pour les champs électromagnétiques ? Quid de la sécurité des objets métalliques à proximité, qui pourraient chauffer ? Quels composants faut-il intégrer dans le véhicule ou l’infrastructure ? Comment protéger les passagers des effets des champs électromagnétiques ?[37]

Compte tenu de l’intérêt de cette solution, les travaux de recherche et développement devraient se poursuivre à rythme soutenu sur ces questions.

L’idée d’échanger la batterie d’un véhicule électrique pour lui permettre de poursuivre son parcours en cours a été pour la première fois mise en œuvre à grande échelle de 1910 à 1924 dans le Connecticut, aux États-Unis, pour des camions de livraison électriques.

L’idée a été reprise à la fin des années 2000 par la startup Better Place, partenaire de Renault, qui a cependant déposé son bilan quelques années plus tard.

Plusieurs obstacles rendent, en effet, la réalisation d’un système d’échange de batteries difficile, notamment le coût du stock de batteries à immobiliser et la difficulté à convaincre les constructeurs d’adopter un même format.

Cette deuxième difficulté a été en partie contournée par une entreprise française, qui se propose de louer une remorque dotée de batteries permettant de prolonger l’autonomie d’un véhicule. Mais peu de modèles de véhicules électriques sont équipés d’une boule d’attelage et une adaptation du véhicule demeure nécessaire.

Néanmoins, ce principe d’échange de batteries, utilisé depuis plusieurs décennies pour les chariots élévateurs, pourrait s’avérer pertinent pour des flottes captives, par exemple de véhicules partagés, ou des véhicules électriques légers[38].

b.   Les infrastructures de distribution du gaz naturel véhicule (GNV)

Le développement d’une infrastructure de distribution du gaz naturel pour les véhicules s’inscrit dans le Cadre d’action national pour le développement des carburants alternatifs dans le secteur des transports (CANCA), adopté en application de la directive européenne 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs.

Faute d’infrastructure de distribution adaptée, l’utilisation du gaz naturel véhicule (GNV) a été limitée, par le passé, aux flottes captives d’utilitaires, par exemple de bennes à ordure, d’autobus, et de véhicules légers, toutes rattachées à un site disposant d’un ou plusieurs points d’avitaillement propres.

Le gaz naturel véhicule est généralement distribué sous forme gazeuse (GNC), stocké sous forme compressée à 200 bars. Par ailleurs, il est également commercialisé sous forme liquéfiée à -163 °C (GNL), pour les transports maritimes ou terrestres lourds.

Comme pour les véhicules électriques, le déploiement à grande échelle de véhicules roulant au gaz naturel véhicule (GNV) nécessite la création d’une infrastructure dédiée, constituée de points d’avitaillement intégrés à des stations-service, couvrant l’ensemble du territoire.

Lors de l’audition de l’Association française du gaz (AFG), son président, M. Patrick Corbin a estimé que « pour disposer dun réseau GNV relativement bien maillé, il faudrait approximativement un millier de stations. »

Source : AFGNV, Mobilité gaz Open Data

Ce réseau est avant tout destiné à alimenter des véhicules lourds de transport de marchandises ou de passagers, même si certains constructeurs commercialisent en Europe des véhicules particuliers roulant au GNV. Ainsi, plus de trente modèles GNV étaient commercialisés fin 2018 en France, par les marques du groupe Volkswagen, par FIAT et par le coréen SsangYong.

La création d’un tel réseau se heurte au « problème de l’œuf et de la poule », des véhicules GNV ne pouvant être déployés sans l’infrastructure correspondante, et cette dernière ne pouvant être pérenne sans un parc de clients suffisant. Cette difficulté a été résolue par la filière en s’assurant, en amont de la création d’un point d’avitaillement, de l’acquisition prochaine par les entreprises du secteur d’au moins une cinquantaine de véhicules lourds, nombre suffisant pour assurer la rentabilité de la station.

À fin 2018, le nombre de points d’avitaillement s’élevait à près de 200, conformément aux objectifs affichés par la filière. À l’occasion de la même audition, Mme Madeleine Lafon, directrice des affaires publiques et de la communication, précisait que le déploiement se poursuivait à un rythme soutenu : « Voici deux ans, le rythme était dune nouvelle station par mois, voici un an dune station toutes les deux semaines, et à présent plutôt dune station ou point davitaillement par semaine ».

La poursuite du développement de cette infrastructure est directement liée à l’intérêt que les transporteurs portent au carburant GNV, intérêt qui résulte pour l’essentiel d’une demande de plus en plus forte de la clientèle pour un « verdissement » du transport, des dispositions réglementaires permettant d’anticiper l’amortissement des véhicules GNV, et du prix à la pompe attractif du carburant lui-même.

Aussi les rapporteurs estiment-ils légitime de pérenniser sur les prochaines années le suramortissement à lachat des véhicules roulant au GNV, ainsi que de maintenir par une fiscalité différenciée lécart actuel entre les carburants gaz naturel pour véhicule et diesel.

c.   Les infrastructures de distribution de l’hydrogène sous pression

Comme pour les véhicules GNV, le développement d’un parc important de véhicule à hydrogène implique de déployer une infrastructure adéquate.

Toutefois, un tel déploiement n’est pas imposé par la directive européenne 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, comme dans le cas du GNV.

Pour autant, d’après l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), la France disposait fin 2018 de 28 stations hydrogène, dont 11 ouvertes au public, 12 privées, et 5 en construction, soit un réseau plus réduit que ceux du Japon, qui compte 91 stations, de l’Allemagne, avec 56 stations, et des États-Unis avec 40 stations.

Carte des stations hydrogène en France à fin 2018 (source : AFHYPAC)

Comme indiqué dans les scénarios technologiques, le nombre de stations à hydrogène françaises pourrait tripler d’ici 2023. Cette prévision est légèrement en dessous de l’objectif du plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique, annoncé par le Gouvernement en juin 2018, qui prévoit « 100 stations, alimentées en hydrogène produit localement à lhorizon 2023. » Tout comme l’AFG pour les stations GNV, l’AFHYPAC évalue le nombre de points d’avitaillement nécessaires à terme, pour une clientèle essentiellement professionnelle, à un millier.

La création de ces points d’avitaillement en hydrogène se heurte exactement à la même difficulté que celle des stations GNV : la nécessité d’assurer au préalable leur rentabilité, par une fréquentation locale suffisante. Cette question est d’autant plus sensible que le coût d’une station à hydrogène à 700 bars, standard de pression pour les véhicules légers, s’établit entre 200 000 et 1 million d’euros[39]. Pour contourner cet obstacle qui a déjà conduit à des fermetures de stations à hydrogène en Europe, comme les rapporteurs ont pu le constater à Oslo, la filière hydrogène met en œuvre une démarche par « cluster ».

Celle-ci a été explicitée, lors de son audition, par M. Fabio Ferrari, premier vice-président de l’AFHYPAC, et animateur de Mobilité hydrogène France : « Plutôt que dattendre que le grand public génère les besoins en stations, nous allons voir les professionnels, parce que nous pensons quils sont les plus intéressés par ces solutions, et développons des stations là où existera une flotte de véhicules. On sécarte du concept consistant à créer des stations sur les autoroutes, parce que ce sont les plus grands axes de passage, pour privilégier des stations un peu moins visibles, dans les zones industrielles, là où se trouvent les clients. ».

Le principe de déploiement d’une infrastructure pour l’hydrogène étant similaire à celui de l’infrastructure nécessaire au GNV, les conditions de sa poursuite sont les mêmes : parvenir à convaincre un nombre suffisant de clients d’acquérir des véhicules à proximité d’une station en projet.

Les rapporteurs considèrent que les véhicules à hydrogène devraient pouvoir bénéficier sur les prochaines années, pour assurer le déploiement de linfrastructure, dun suramortissement à lachat identique à celui dont bénéficient les véhicules roulant au GNV.

4.   Maintenir les aides à l’achat à un niveau suffisant

Comme l’illustrent les trois scénarios technologiques, les aides à l’achat constituent un élément incontournable de toute politique de décarbonation du parc de véhicules particuliers.

C’est ce que les rapporteurs ont aussi pu vérifier en Norvège, où la croissance rapide des ventes de véhicules électriques (40 % en 2018 par rapport à l’année précédente, 31,2 % des véhicules immatriculés étant électriques à batterie, et 49,1 % électriques à batterie ou hybrides rechargeables) résulte avant tout d’un prix à l’achat des véhicules électriques inférieur à celui de leurs équivalents thermiques. En effet, les véhicules électriques sont exemptés des différentes taxes qui s’appliquent aux véhicules thermiques : taxe sur le CO2, les NOx, le poids, et TVA à 25 %, dont le montant dépasse 12 500 euros pour une voiture de catégorie moyenne, un montant en général un peu supérieur au différentiel de prix à contrebalancer.

Certes, d’autres facilités sont également accordées localement, comme la gratuité du stationnement ou des péages, mais les acheteurs n’ignorent pas que ces mesures complémentaires auront nécessairement une fin. Même la possibilité de bénéficier d’une électricité décarbonée à bas coût (en 2017, 16,4 c€/kWh en Norvège contre 16,9 c€/kWh en France[40]) n’aurait probablement pas suffi à les convaincre sans cet avantage à l’achat.

La baisse brutale des ventes, divisées par sept, d’automobiles électriques au Danemark, consécutive à la décision, prise en 2015, de diminuer les aides à l’achat de ces véhicules, illustre l’importance de ces incitations, y compris dans des pays réputés particulièrement sensibles aux questions environnementales.

En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège ne peut être envisagé, les taxes sur les véhicules n’étant pas aussi élevées, mais deux aides gouvernementales s’appliquent aux véhicules électriques, ainsi qu’aux véhicules hybrides et thermiques les plus performants : le bonus écologique et la prime à la conversion.

a.   Le bonus-malus écologique, ou écotaxe

Le système du bonus-malus écologique a été créé voici plus de dix ans, à la suite des tables rondes du Grenelle de l’environnement. Il vise trois objectifs principaux : inciter les acheteurs de véhicules neufs à privilégier les véhicules à faibles émissions, accélérer le renouvellement du parc automobile et stimuler l’innovation technologique des constructeurs.

Le bonus-malus est assis sur le nombre de grammes de CO2 émis par kilomètre, la mesure étant effectuée à l’échappement, c’est-à-dire dans une analyse dite « du réservoir à la roue ».

Le malus appliqué aux voitures les plus polluantes doit permettre de financer le bonus d’aide à l’acquisition des véhicules propres. Conformément à l’article 91 de la loi de finances pour 2019, le malus pour les véhicule émettant plus de 117 g CO2 / km va de 35 € à 10 500 €. Toutefois, avec l’accroissement des ventes de véhicules à faibles émissions, le malus ne pourra croître au-delà d’une certaine limite.

En 2019, pour les véhicules électriques, et tout autre véhicule neuf émettant moins de 20 gCO2/km, le bonus écologique s’élève à 6 000 €, dans la limite de 27 % du prix d’achat. Pour l’instant, cette somme ne permet généralement pas de compenser à elle seule la différence de prix à l’achat entre un véhicule électrique ou à hydrogène et son équivalent thermique.

Aussi serait-il souhaitable de permettre aux acheteurs de pouvoir facilement évaluer les économies réalisables sur la durée d’utilisation de leur véhicule. À cette fin, un outil de calcul du coût total de possession devrait être prochainement mis à la disposition des acheteurs potentiels souhaitant évaluer celles-ci sur la base de l’utilisation prévue de leur véhicule. Mais un tel outil demandera une démarche proactive de la part de l’acheteur.

Les rapporteurs estiment utile de créer, sur le modèle de létiquette énergie pour les logements, un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession (cf. infra), sur la base dune utilisation moyenne de celui-ci.

b.   La prime à la conversion

Le bonus écologique est cumulable avec la prime à la conversion, pour les détenteurs de véhicules anciens. Initialement, cette aide complémentaire était attribuée lorsque l’achat ou la location d’un véhicule neuf s’accompagnait du retrait de la circulation, à des fins de destruction, d’un véhicule utilisant le gazole comme carburant principal.

En 2019, la prime à la conversion s’élève à 2 500 € pour l’acquisition d’un véhicule électrique ou hybride rechargeable neuf, à 1 000 € pour l’acquisition d’un véhicule électrique ou hybride rechargeable d’occasion, ou à 2 500 € pour un foyer non imposable.

Les véhicules thermiques les plus propres, et certains hybrides rechargeables, émettant moins de 122 g CO2 / km, sont également pris en compte dans ce cadre, à hauteur de 1 000 € pour un foyer imposable et de 2 000 € pour un foyer non imposable

Pour les personnes non imposables, dont le revenu de référence par part est inférieur à 6 300 €, ou travaillant à plus de 30 kilomètres de leur domicile ou parcourant plus de 12 000 kilomètres annuellement pour des déplacements professionnels, la prime à la conversion est doublée, passant à 4 000 ou 5 000 €, selon le véhicule acheté.

Les aides gouvernementales permettent donc d’abaisser de 6 000 à 11 000 € le coût d’achat d’un véhicule électrique, tandis que ces mêmes aides ne peuvent excéder 4 000 € pour un véhicule thermique.

Le tableau ci-dessous permet de visualiser, à titre d’exemple, le prix final payé par l’acheteur, après déduction du bonus-malus écologique et de la prime à la conversion, pour les deux véhicules particuliers électriques les plus vendus en France en 2018 : la Renault Zoé et de la Nissan Leaf.

 

Renault Clio

Renault Zoé

(achat de la batterie)

Nissan Leaf

Prix public constructeur

15 300 € à 19 650 €

32 100 € à 35 500 €

35 900 €

Bonus écologique déduit

Pas de bonus

26 100 € à 29 500 €

29 900 €

Prime à la conversion pour un foyer imposable déduite

14 300 € à 18 650 €

23 600 € à 27 000 €

27 400 €

Prime à la conversion déduite pour un foyer non imposable

13 300 € à 17 650 €

23 600 € à 27 000 €

27 400 €

Prime à la conversion pour un foyer non imposable avec un revenu de référence faible ou une personne ayant des obligations de déplacement

11 300 € à 15 650 €

21 100 € à 24 500 €

24 900 €

Dans la mesure où les véhicules thermiques peuvent eux aussi bénéficier de la prime à conversion, le différentiel de prix se situe donc aux alentours de 10 000 €.


c.   Les aides des collectivités locales

Certaines collectivités locales offrent des aides complémentaires au bonus-malus écologique et à la prime à la conversion.

Par exemple, la Métropole du Grand Paris propose, depuis fin 2018, un dispositif d’aide au remplacement d’un véhicule ancien allant jusqu’à 5 000 € pour l’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion électrique, hydrogène, hybride rechargeable, ou au GNV. Un dispositif similaire est mis en place dans le département des Bouches-du-Rhône.

En France, il est donc envisageable de bénéficier, dans certains cas, d’aides à l’achat équivalentes, voire supérieures, à celles existantes dans un pays comme la Norvège.

Les rapporteurs considèrent quil est nécessaire de maintenir sur plusieurs années les aides à lachat existantes, en attendant une baisse des coûts des véhicules à faibles émissions, afin de laisser suffisamment de visibilité aux constructeurs automobiles.

Aides à lachat de véhicules électriques en Chine

Les nouvelles règles sur les aides à l’achat sont entrées en vigueur au 12 février 2018. Les aides ont été supprimées pour les véhicules d’un rayon d’action inférieur à 150 km, alors que pour ceux capables de parcourir plus de 400 km elles sont passées de 44 000 Yuan (5 600 euros) à 50 000 Yuan (6 300 euros). Les aides des collectivités locales ne doivent pas être supérieures à 50 % de celles du gouvernement central. La suppression de toutes les aides à l’achat en 2020 constitue l’objectif affiché.

Dans les grandes métropoles chinoises confrontées à une forte pollution atmosphérique, ces aides se combinent à un système d’attribution des plaques d’immatriculation très contraignant pour les véhicules thermiques. Ainsi, à Pékin celles-ci sont attribuées par loterie, alors qu’à Shanghai elles sont vendues aux enchères plus de 12 000 euros. Les plaques d’immatriculation sont non seulement rapides à obtenir, mais aussi gratuites.

5.   Prendre en compte le coût total de possession des véhicules

Comme l’illustrent les exemples ci-dessus, le prix d’achat des véhicules à motorisations alternatives, notamment électriques à batterie, reste à ce jour significativement supérieur à celui des véhicules thermiques traditionnels. Toutefois, ces nouvelles motorisations permettent de réaliser des économies significatives sur leur période d’utilisation, notamment en usage soutenu.

Il apparaît souhaitable que ce coût dusage des véhicules puisse être évalué globalement, afin que les consommateurs disposent dinformations complètes et objectives sur limpact réel de tel ou tel modèle sur leur budget.

a.   Évaluer le coût d’usage d’un véhicule

Le coût total de possession (en anglais total cost of ownership, ou TCO) permet d’intégrer l’ensemble des coûts pris en charge par le consommateur, de l’achat du véhicule jusqu’à sa revente.

Ce coût est calculé, moyennant un certain nombre d’hypothèses, en prenant en compte les coûts d’achat ou de location du véhicule et son prix de revente, le cas échéant les coûts de remplacement de sa batterie et d’installation d’une infrastructure de recharge, d’entretien et d’assurance, du carburant, ainsi que la fiscalité et le nombre de kilomètres parcourus au long de la durée de vie du véhicule.

Certaines études incluent les coûts des péages et de stationnement, mais ces derniers sont fréquemment exclus du calcul du TCO, car ils ne sont pas discriminants.

Par ailleurs, le TCO des véhicules pourrait être amélioré en recourant au covoiturage, à l’auto-partage, voire à la monétisation des services au réseau utilisant la batterie des modèles électriques. Mais il semble difficile, à ce stade, de chiffrer la valeur financière de services encore trop peu répandus et dépendant fortement des habitudes des utilisateurs.

Malgré la prise en compte de ces différents postes de dépense, le TCO réel d’un véhicule ne peut être connu qu’à la fin de sa période de possession. En effet, il dépend d’un si grand nombre de paramètres qu’il est impossible de le calculer à l’avance avec certitude. L’Observatoire du véhicule d’entreprise de la banque BNP Paribas estime qu’environ 75 % du TCO d’un véhicule est prévisible, les 25 % restants dépendant des habitudes de conduite et de consommation.

Il convient par ailleurs de souligner que le prix de la batterie étant un critère déterminant dans le calcul du TCO d’un véhicule électrique, sa décroissance rend rapidement obsolètes, au moins pour partie, les études menées sur le sujet, qu’il faut considérer dans un délai relativement court après leur parution.

Trois études récentes se sont attachées à analyser les coûts de possession :

– Commissariat général au développement durable (CGDD) : « Analyse coûts-bénéfices des véhicules électriques : Les voitures », juillet 2017. Cette étude sur le coût de possession traite principalement des segments des citadines et des berlines, mais aussi des véhicules professionnels à usage intensif, comme les taxis et les VTC ;

– UFC-Que Choisir : « Véhicules à faibles émissions : L’intérêt économique des consommateurs rejoint enfin l’intérêt environnemental », octobre 2018. Cette étude couvre les segments des citadines, des berlines, mais aussi des SUV, avec de nouveaux modèles, notamment coréens, de plus en plus souvent électrifiés ;

– ADEME, IFPEN : « Bilan transversal de l’impact de l’électrification par segment », avril 2018. Cette étude s’intéresse aussi bien aux véhicules particuliers (citadines, polyvalentes, compactes, berlines) qu’aux véhicules utilitaires légers, aux poids lourds et aux bus.

Il a semblé intéressant, dans le cadre du présent rapport, d’en comparer les résultats, pour mettre en évidence les convergences ou divergences entre leurs conclusions.

b.   Les composantes du coût total de possession des véhicules particuliers légers

i.   Le prix d’achat

À ce jour, le prix d’achat d’un véhicule électrique est nettement supérieur à celui d’un véhicule thermique équivalent. Toutefois, ce différentiel pourrait se réduire de façon significative dans les prochaines années.

Plusieurs facteurs contribuent à accélérer la convergence des prix entre les véhicules électriques et thermiques. Mais le plus important est la diminution rapide du coût des packs de batterie, qui représente de l’ordre de 33 % à 42 % du prix de ces véhicules. L’Agence internationale de l’énergie[41] et Bloomberg New Energy Finance (BNEF)[42], qui publient annuellement, chacun de leur côté, un rapport sur la mobilité électrique, ont constaté une baisse de 79 % du coût des batteries entre 2010 et 2017. Le prix des batteries est ainsi passé de 1000 $ / kWh (870 € / kWh) en 2010 à 209 $ / kWh (182 € / kWh) fin 2017.

En supposant que cette baisse se poursuive asymptotiquement, BNEF estime que le prix d’achat des véhicules électriques deviendra compétitif dès 2024, sans aides financières gouvernementales, sur les segments d’entrée de gamme : citadines et polyvalentes, où les batteries sont de petite taille. En 2029, la parité de coûts entre motorisations électriques et thermiques serait atteinte sur la plupart des segments, y compris ceux des berlines et des SUV. En 2030, le coût des packs de batterie devrait atteindre, toujours selon les prévisions de BNEF, 70 $ / kWh (61 € / kWh).

Parallèlement à cette baisse des prix, la capacité des batteries des véhicules augmente. Par exemple, alors que la batterie d’une Renault Zoé I de 2012, avait une batterie de 22 kWh coûtant 12 287 €, la Renault Zoé II, produite à partir de 2018, est équipée d’une batterie de 41 kWh, pour une autonomie doublée, n’ayant coûté que 7 455 €. À l’horizon 2030, on peut penser que les véhicules électriques, même sur les segments les plus modestes, seront équipés de batteries de capacité encore plus conséquente, peut-être entre 60 et 80 kWh, offrant une autonomie réelle de 300 à 400 kilomètres, et coûtant entre 3 500 et 5 000 €.

ii.   L’infrastructure de recharge

Il est techniquement possible de recharger un véhicule électrique sur une simple prise domestique. Mais cela implique un temps de recharge long, permettant généralement un usage quotidien du véhicule pour des trajets courts du type domicile-travail, mais pas des trajets longs répétés. De plus, l’accès à une prise est rarement disponible en habitat collectif.

Aussi l’achat d’un véhicule électrique s’accompagne-t-il très souvent de l’installation au domicile d’une borne de recharge. Un boîtier de recharge coûte, selon le type de chargeur et la puissance délivrée, entre 700 et 2 000 €[43], auxquels peuvent s’ajouter des surcoûts de quelques centaines d’euros pour l’assurance ou l’extension du câble. Le raccordement d’une place de parking en habitat collectif ou sur le lieu de travail représente également un surcoût d’environ 2 000 €, d’après le CGDD.

Les rapports E4T et UFC-Que Choisir ne prennent toutefois pas en compte les prix de l’installation d’une infrastructure de recharge.

iii.   L’entretien et l’assurance

Dans les études considérées, les coûts de l’entretien et de l’assurance sont jugés inférieurs pour les véhicules électriques, qui nécessitent surtout moins d’entretien.

Le CGDD estime, en effet, que le coût de l’assurance annuelle d’un véhicule électrique est de 400 € contre 500 € pour un véhicule thermique. Le rapport E4T confirme ce surcoût de l’assurance d’un véhicule thermique par rapport à un véhicule électrique, en avançant un coût annuel de 560 € pour l’électrique et de 610 € pour le thermique (essence). Pour sa part, l’UFC-Que Choisir estime que les coûts de l’assurance sont égaux pour un véhicule électrique et un véhicule essence, à hauteur de 505 € par an, et un peu plus élevés pour un véhicule diesel (530 € par an).

Le CGDD extrapole le coût d’entretien à partir du nombre de kilomètres roulés. Il s’élèverait à 5,25 c€/km pour les véhicules thermiques et 4.73 c€/km pour les véhicules électriques. Pour l’ADEME et l’IFPEN, on atteint 4.5 c€/km pour les véhicules diesel, 3.5 c€/km pour les véhicules essence et seulement 1.5 c€/km pour les véhicules électriques. Quant à l’UFC-Que choisir, elle estime que le coût de l’entretien est 50 % moins élevé pour un véhicule électrique que pour un véhicule thermique.

Sur ce poste, le différentiel entre véhicule thermique et véhicule électrique s’établirait globalement entre 140 € et 180 € par an environ.

 

Thermique

Électrique

Kilométrage

8 000

12 000

15 000

8 000

12 000

15 000

Assurance

500 €

500 €

500 €

400 €

400 €

400 €

Entretien

420 €

630 €

787,50 €

378.4

567,60 €

709,50 €

Assurance et entretien

920 €

1 130 €

1 287,5 €

778,40 €

967,60 €

1 109,50 €

Source : données des études

iv.   La consommation énergétique

Le véhicule électrique est surtout intéressant en termes de coût total de possession sur le plan énergétique. En effet, l’électricité est peu chère en France et son coût est stable, contrairement au prix du carburant, qui fluctue erratiquement avec le cours du baril et selon la localisation géographique.

L’UFC-Que Choisir retient un coût moyen sur l’année 2018 pour les carburants. D’après le site du Ministère de la transition écologique et solidaire pris comme référence par l’UFC-Que Choisir, les prix moyens constatés sur l’année sont les suivants :

Carburant

Gazole

Super SP95

Super SP95-E10

Super SP98

Prix (€/L)

1,4372

1,5048

1,4825

1,5715

Source : données des études

Le CGDD aligne ces coûts sur les projections de l’Agence internationale de l’énergie pour les prix hors taxes du carburant en 2020, soit 0,63 €/L pour l’essence et 0,62 €/L pour le gazole, auxquels s’ajoutent la TICPE, à hauteur de 0,53 €/L pour sa composante hors carbone, respectivement de 0,12 €/L et 0,14 €/L pour le diesel et l’essence, ainsi que la TVA. In fine, les coûts du carburant sont proches de ceux utilisés par l’UFC-Que Choisir.

Quant à l’étude E4T, elle ne mentionne pas ses sources pour les prix énergétiques.

Concernant l’électricité, l’UFC-Que Choisir suppose que toutes les recharges s’effectuent en heures creuses, ce qui exclut la recharge sur le lieu de travail ou dans l’espace public en journée. De plus, l’association base ses coûts énergétiques sur les abonnements réservés aux détenteurs de véhicules électriques proposés par certains énergéticiens. Ces abonnements spécifiques proposent un prix du kilowattheure en heures creuses inférieur de 40 % à 50 % à celui en heures pleines. Au final, pour le prix TTC, les réductions s’échelonnent entre 32 % et 38 % environ. L’UFC retient un taux de réduction du prix TTC de 39 %. Au vu des résultats de l’étude, il semblerait que l’ADEME et l’IFPEN suivent la même hypothèse, tandis que le CGDD utilise plutôt les tarifs réglementés.

Fournisseur/Offre

Prix du kWh HT (€)

Prix du kWh TTC (€)

Heures pleines

Heures creuses

Heures pleines

Heures creuses

EDF/Vert Électrique Auto

0,1113

0,0655

0,1722

0,1172

Engie/Elec’Car

0,1

0,05

0,158

0,098

Total/Spring Mobilité Verte

0,0995

0,0498

0,1572

0,0976

Source : données des études

Le montant de la dépense énergétique est conditionné par les hypothèses retenues sur la consommation énergétique du véhicule. Sur le segment des citadines, les études de l’IFPEN, de l’ADEME et du CGDD se placent en milieu urbain, ce qui permet de réduire la consommation des véhicules électriques, grâce à la récupération d’énergie cinétique au freinage, et, à l’inverse, conduit à une hausse de la consommation énergétique des véhicules thermiques, ceux-ci ayant un rendement plus bas à faible vitesse. Néanmoins, l’étude du CGDD fournit une consommation moyenne pour les véhicules thermiques.

Pour les véhicules électriques, la consommation énergétique s’élève à 15 kWh selon l’étude E4T, et à 18 kWh d’après le CGDD qui se base sur un rapport du Joint Research Centre (JRC) publié en 2015[44]. Compte tenu des hypothèses de coût et des résultats subséquents obtenus par l’UFC-Que Choisir, on peut supposer que la consommation énergétique choisie pour les citadines électriques se situe entre 13 et 15,5 kWh/100 km, ce qui est relativement faible par rapport aux données affichées par les constructeurs, et correspond davantage à un usage urbain qu’à un usage mixte.

De la même manière, on peut comparer les consommations choisies pour les citadines essence et diesel, respectivement de 6,3 L/100 km et 4,7 L/100 kM. Celles-ci sont très proches de celles utilisées par le CGDD, de 6,1 L/100 km pour l’essence et 4,9 L/100 km pour le diesel. Sur le segment des citadines, l’étude E4T ayant choisi de se placer en milieu urbain et de n’étudier que le véhicule essence, la consommation énergétique du véhicule thermique est nettement plus élevée (9 L/100 km).

Le coût de la dépense énergétique sur la durée de vie du véhicule est calculé en formulant des hypothèses sur sa durée de vie et sur le nombre de kilomètres roulés. L’étude E4T retient une durée de vie de 10 ans, avec 12 000 kilomètres roulés par an, tandis que le CGDD estime la durée de vie à 16 ans, avec 13 000 kilomètres roulés par an. Quant à l’étude de l’UFC-Que Choisir, elle suppose que le véhicule est possédé par trois automobilistes différents sur 16 ans. La première main, la seule pour laquelle le TCO est détaillé poste par poste, dure 4 ans et implique que le détenteur du véhicule effectue 15 000 kilomètres par an.

 

Étude

Essence

Diesel

Électrique

Coût annuel (€)

UFC

1 425,75

1 021,75

227,25

E4T

1 140,00

-

180,00

CGDD

1 062,50

-

312,50

Coût kilométrique (c€/km)

UFC

9,5

6,8

1,5

E4T

9,5

-

1,5

CGDD

8,2

-

2,4

Source : données des études

Des économies importantes peuvent donc être réalisées annuellement sur le poste énergie avec un véhicule électrique. Elles sont nettement supérieures à celles qu’un véhicule diesel permet par rapport à un véhicule à essence.

Afin que le véhicule électrique devienne intéressant économiquement pour une majorité d’usagers, un abaissement du coût des batteries est cependant encore nécessaire, comme l’indiquent les récentes études de l’Agence internationale de l’énergie. D’après cette dernière, sur le segment des véhicules particuliers légers, la parité des coûts totaux de possession est atteinte après 10 000 kilomètres roulés annuellement pour une batterie à 100 € / kWh et après 20 000 kilomètres pour une batterie à 220 € / kWh.

c.   Synthèse des analyses de TCO pour les véhicules légers

Les conclusions des trois études précitées se rejoignent sur la comparaison des TCO et leur évolution à l’horizon 2030, même si les évaluations chiffrées diffèrent.

Sur le segment des citadines, les trois études s’accordent sur le fait que les véhicules électriques sont déjà compétitifs en termes de TCO, aides à l’achat comprises. Néanmoins, les études du CGDD et de l’UFC-Que Choisir se basent sur des hypothèses de distance parcourue et de durée de possession relativement élevées, respectivement 192 000 et 190 000 kilomètres sur 16 ans. Ces hypothèses maximisent les économies réalisées sur les dépenses énergétiques des véhicules, ce qui conduit à un TCO kilométrique des citadines électriques de 19,2 c€/km pour l’UFC-Que Choisir et de 22,7 c€/km pour le CGDD. Toutefois, pour de telles distances et une telle durée de détention, il apparaît peu réaliste d’exclure du TCO le coût du remplacement de la batterie à la moitié de la durée de vie du véhicule. L’étude E4T, qui utilise des hypothèses d’usage plus proches des moyennes constatées, de 120 000 km sur 10 ans, conduit à un TCO kilométrique de 26,7 c€/km pour une citadine électrique. Cette divergence entre les résultats des trois études confirme l’importance des hypothèses kilométriques formulées.

Le véhicule électrique est cependant déjà plus intéressant en termes de TCO que le véhicule thermique essence, dont le TCO kilométrique s’élèverait à 28,9 c€/km d’après l’ADEME et l’IFPEN. Cela rejoint les conclusions du CGDD et de l’UFC-Que Choisir qui calculent des TCO kilométriques de respectivement 24 c€/km et 27,6 c€/km pour un véhicule essence équivalent.

Ces résultats ont été produits pour un usage urbain du véhicule, qui favorise le véhicule électrique, en maximisant sa capacité à récupérer l’énergie cinétique au freinage, et désavantage le véhicule thermique, dont le rendement moteur est plus bas à faible vitesse. Il s’agit d’un scénario d’usage réaliste pour une citadine. Le CGDD indique par ailleurs que dans les zones très embouteillées, le TCO kilométrique des motorisations alternatives, capables de récupérer l’énergie cinétique au freinage, s’améliore tandis que celui des motorisations thermiques se dégrade[45].

À l’horizon 2030, l’ADEME, l’IFPEN et le CGDD s’accordent sur la diminution du TCO des véhicules électriques, grâce à la poursuite de la baisse tendancielle du coût des batteries, et l’augmentation de celui des véhicules thermiques, malgré l’amélioration de leur efficacité énergétique, en raison de la hausse du prix des carburants.

Ainsi, selon l’étude E4T, en 2030, le TCO kilométrique d’une citadine électrique ne serait plus que de 24,7 c€/km, contre 30,5 c€/km pour une citadine essence[46]. Selon le CGDD, le TCO kilométrique, à cette même date, d’une citadine électrique serait de 21,7 c€/km contre 25,2 c€/km pour une citadine essence.[47]

Sur le segment D, celui des berlines, en usage mixte, les résultats des diverses études sont plus contrastées. L’UFC-Que Choisir parvient aux mêmes conclusions que sur le segment des citadines, toujours en excluant le renouvellement de la batterie, plus coûteuse sur ce segment. Le TCO kilométrique d’une berline électrique (27,1 c€/km) serait de 7 à 9 c€/km moins élevé que celui d’une berline thermique (33,8 c€/km pour le diesel et 35,9 c€/km pour l’essence)[48]. Moins optimiste, le CGDD estime que, sur 16 ans de possession, une berline électrique engendre un surcoût de 8 250 € par rapport à son équivalent diesel[49]. Le TCO des berlines électrique et diesel commencerait à converger en 2030, avec un surcoût de seulement 1 250 €[50].

Enfin, l’étude E4T ne donne des résultats pour les segments C (compacte) et D (berline) qu’en 2030, l’offre de motorisations alternatives étant jugée aujourd’hui encore trop réduite. Comme pour les citadines, elle conclut que les véhicules électriques seront plus intéressants que les véhicules conventionnels à cette date, avec un TCO kilométrique inférieur de 32,3 % pour un véhicule électrique de 33,1 c€/km pour l’essence[51].

En définitive, le coût total de possession d’un véhicule électrique finit toujours, au bout d’un certain nombre de kilomètres roulés, par devenir inférieur à celui d’un véhicule à moteur thermique, compte tenu des coûts d’usage moindres de cette motorisation. Ce sont les gros rouleurs qui ont donc le plus intérêt à adopter la mobilité électrique, même si leurs besoins de mobilité peuvent se heurter aux limitations techniques de la mobilité électrique.

Il reste difficile de compenser le surcoût à l’achat des véhicules électriques, compris entre 6 000 et 15 000 €[52], à moins de parcourir au moins 15 000 kilomètres annuellement, pour une durée de possession du véhicule de 12 ans minimuM. La mise à niveau des véhicules thermiques pour satisfaire les nouvelles normes d’émission et l’abaissement du coût des batteries devrait cependant avoir pour effet de contribuer à combler l’écart existant entre motorisations thermique et électrique. En effet, les acteurs de la filière automobile estiment que le passage d’une limitation des émissions de 95 gCO2 / km à 68 gCO2 / km entraînera un surcoût de 2 000 € pour l’acquéreur d’un véhicule thermique d’ici 2030[53], tandis que, parallèlement, la diminution du coût des batteries devrait se poursuivre. Dès lors, il est raisonnable de penser que les véhicules électriques et thermiques auront des coûts d’achat similaires en 2030, avec le maintien des aides gouvernementales. Le TCO du véhicule électrique serait alors, à cette date, sensiblement inférieur à celui de son équivalent thermique.

6.   Évaluer les émissions sur le cycle de vie des véhicules

À ce jour, les mesures appliquées aux véhicules particuliers s’intéressent uniquement à leurs émissions en cours d’utilisation. Cette méthode présente le double avantage de la simplicité de mise en œuvre, et de l’adéquation à une offre de véhicules tous d’architecture relativement semblable, dont l’essentiel des émissions intervenait durant leur usage.

Avec la diversification des technologies mises en œuvre dans le domaine de la mobilité, et singulièrement l’apparition de la batterie de type lithium-ion associée à un moteur électrique, ce mode de mesure apparaît désormais inadapté. En effet, les émissions correspondant aux véhicules utilisant ces technologies interviennent non plus dans la phase d’utilisation, mais en amont.

Il apparaît donc nécessaire de prendre en compte les émissions qui interviennent à tous les stades de la vie d’un véhicule. Vouloir en ignorer certaines présente un risque d’erreur sur les gains envisageables avec telle ou telle option technologique.

Cette prise en compte de lensemble des émissions doit aussi permettre de mieux informer les consommateurs, par la création, à terme, dun label leur permettant de disposer dune estimation des émissions émises par un véhicule dans un usage moyen.

a.   Un outil indispensable d’évaluation de l’impact sur l’environnement

L’analyse du cycle de vie (ACV) permet d’évaluer l’impact d’un produit sur l’environnement, tout au long de son existence, depuis l’extraction des matières premières utilisées pour sa fabrication, jusqu’à son élimination finale ou son recyclage, en passant par son utilisation. Outil de mesure de l’impact final d’un produit sur l’environnement, cette analyse permet d’optimiser le processus de fabrication, en définissant les conditions les plus favorables. Elle doit également permettre d’éviter des phénomènes de déplacement de la pollution au cours du cycle de production et d’utilisation. C’est un outil indispensable pour développer des stratégies de développement durable.

Ainsi, un véhicule électrique, souvent qualifié de zéro émission, ne l’est pas réellement. En fonctionnement, il n’émet qu’une très faible quantité de particules, par frottement des pneumatiques sur les routes et par abrasion des plaquettes de freins, la masse du véhicule étant le facteur le plus déterminant pour évaluer les émissions d’un véhicule électrique. Il en va tout autrement au stade de la fabrication, de la production de l’électricité qui l’alimente, ou encore à l’étape du recyclage, en particulier celui de la batterie.

Les résultats des diverses études sur le sujet sont toutefois très disparates, en raison des différences dans les méthodes de calcul et de l’influence non négligeable des hypothèses posées sur les résultats.

Tout d’abord, il convient de distinguer entre les analyses complètes du cycle de vie, et les analyses dites du « puits à la roue » (well-to-wheel en anglais) ou du « réservoir à la roue » (tank-to-wheel en anglais).

Les analyses du réservoir à la roue correspondent à l’étude des émissions dues uniquement à l’usage du véhicule, c’est-à-dire résultant de la consommation du carburant par le véhicule lorsqu’il roule. La réglementation actuelle et les cycles d’homologation ne concernent que les émissions en phase d’usage, elles correspondent à ce type d’analyse.

Pour les carburants fossiles, les résultats découlant d’une telle analyse dépendent principalement de l’efficacité énergétique du véhicule, quantifiée en litres par cent kilomètres, et du facteur d’émission du carburant, exprimé en kgCO2eq/L (2,51 kgCO2eq/l pour le gazole et 2,28 kgCO2eq/l pour l’essence).

Dans une analyse du réservoir à la roue, un véhicule électrique est donc considéré comme « zéro émission » et un véhicule thermique peut être éventuellement peu émetteur, s’il est alimenté par un biocarburant.

L’analyse du puits à la roue donne une vision plus complète des émissions réelles d’un véhicule. En plus de la phase d’usage du véhicule, elle prend en compte la phase de production, et parfois d’acheminement du carburant, qu’il s’agisse d’électricité, de biocarburants, ou de carburants fossiles.

Dans ce type d’analyse, le véhicule électrique n’est plus à zéro émission, car la production d’électricité émet des gaz à effet de serre. Les émissions dépendent fortement de l’origine de l’électricité produite. De ce fait, en analyse du puits à la roue, les émissions d’un véhicule électrique sont très souvent calculées à partir d’une estimation du mix marginal énergétique d’un pays ou d’une région, et de ses émissions moyennes associées, exprimées généralement en gCO2eq/kWh (ou en gCO2eq/MJ, sachant qu’un kilowattheure vaut 3,6 mégajoules).

En analyse du puits à la roue, les estimations des émissions d’un véhicule électrique varient donc beaucoup en fonction de sa zone d’utilisation. Par exemple, un véhicule électrique roulant en Pologne, où une grande partie de l’électricité est produite à partir de charbon, sera bien moins avantageux écologiquement qu’un véhicule électrique roulant en France, où l’électricité est très peu carbonée, du fait de la proportion importante d’énergies nucléaire et renouvelable.

De plus, ce type d’analyse remet en cause l’usage des biocarburants, car leur production nécessite souvent un usage intensif des terres, ainsi que la mobilisation de nombreuses ressources émettant elles-mêmes des gaz à effet de serre. Les biocarburants, pour lesquels il est souvent admis qu’ils n’émettraient pas de CO2 pendant leur combustion, et qui sont beaucoup plus pauvres en soufre que les carburants classiques, peuvent alors devenir plus nocifs, en termes d’émissions de CO2, que leur équivalent fossile en analyse du puits à la roue.

Pour donner une information complète aux consommateurs sur les émissions des véhicules, c’est donc bien a minima sur une analyse du puits à la roue que celle-ci devrait se fonder.

b.   Des unités de mesure diversifiées

La manière dont les résultats sont présentés, tout particulièrement les unités employées importent également.

Les émissions peuvent être exprimées en « grammes de CO2 équivalents », ce qui représente le potentiel de réchauffement climatique de toutes les émissions de gaz à effet de serre : méthane, protoxyde d’azote, hydrofluorocarbures, etc. dont le pouvoir réchauffant est ramené à celui du dioxyde de carbone par un facteur de conversion, ou simplement en grammes de CO2, une unité qui correspond parfois uniquement aux émissions de dioxyde de carbone.

Par ailleurs, les émissions de CO2 pour les véhicules sont très souvent pondérées par le nombre de kilomètres parcourus, donc exprimées en gCO2eq/km.

D’autres études utilisent des kilomètres-passagers, abrégés pkm, qui prennent en compte le nombre de passagers occupant le véhicule, et estiment donc les émissions produites par le déplacement d’une seule personne. Cela permet de modéliser les avantages du covoiturage, et se révèle particulièrement pertinent pour estimer les émissions produites par les modes de transport en commun, comme les bus, qui émettent plus de manière absolue, mais moins si l’on considère qu’ils répondent aux besoins de mobilité d’un grand nombre de personnes. Le taux de remplissage des véhicules constitue donc également un critère pouvant influencer les résultats finaux. Ce taux, évalué à 1,58 passager par véhicule particulier par le CGDD, est en constante baisse depuis les années 1960. De même, les distances parcourues par les véhicules commerciaux, en particulier les poids lourds dédiés au transport de marchandises, sont parfois quantifiées en kilomètres-tonnes, abrégés tkm, afin de pondérer les émissions par la quantité de marchandises transportées par ces véhicules, et donc par le service qu’ils rendent.

Si l’on ramène les émissions au nombre de kilomètres parcourus en moyenne par un véhicule au cours de sa durée de vie, il est nécessaire de savoir si ce kilométrage pondère uniquement les émissions au cours de la phase d’usage ou les émissions sur l’ensemble du cycle de vie. Cela est d’autant plus important qu’un véhicule thermique est particulièrement émetteur pendant sa phase d’usage, tandis qu’un véhicule électrique est surtout émetteur pendant sa phase de production, du moins si l’électricité utilisée pour le faire fonctionner est relativement peu émettrice de gaz à effet de serre, comme en France. Un véhicule électrique gagne en effet en pertinence écologique par son usage, le fait de rouler beaucoup atténuant l’impact environnemental excédentaire de ce type de véhicule sur sa phase de production.

Par exemple, si un véhicule dont la fabrication émet 4 tonnes de CO2eq roule 150 000 kilomètres, ces émissions rapportées au kilomètre sont de 26,7 gCO2eq, alors que s’il roule 200 000 kilomètres, elles ne sont plus que de 20 gCO2eq. Cette diminution des émissions liées à la fabrication par l’usage se vérifie pour un véhicule n’émettant pas ou peu durant la phase d’utilisation.

Cet exemple montre à la fois l’intérêt écologique des véhicules n’émettant pas de gaz à effet de serre en analyse du puits à la roue, et l’influence prépondérante de l’hypothèse kilométrique sur les analyses en cycle de vie. En règle générale, plus le nombre de kilomètres parcourus par le véhicule est élevé, plus l’écart entre les émissions d’un véhicule thermique et d’un véhicule « zéro émission » se creuse, aussi bien en émissions absolues (volume total d’émissions) qu’en émissions relatives (émissions ramenées au nombre de kilomètres parcourus).

Aussi, pour donner une information facilement compréhensible au consommateur, il apparaît pertinent de présenter, sous une forme simplifiée, les émissions rapportées au kilomètre, en se basant sur l’usage moyen pour la catégorie de véhicule correspondante.

c.   Le potentiel du recyclage du véhicule et la durée de vie des batteries

Si les analyses du puits à la roue sont plus complètes et proches de la réalité que les analyses du réservoir à la roue, elles se limitent à la seule phase de production du carburant et ne prennent pas en compte la phase de production du véhicule, ou encore d’extraction des matières premières nécessaires à celle-ci. Les répercussions environnementales de ces phases amont de l’usage du véhicule sont elles aussi extrêmement dépendantes de leur localisation géographique. Ainsi, une batterie produite en Chine avec une électricité très carbonée aura un impact environnemental plus important qu’une même batterie produite en France, en Norvège ou en Suède, trois pays dont l’électricité est faiblement carbonée.

Les autres critères auxquels il faut porter une attention particulière dans les analyses en cycle de vie des émissions de véhicules sont, d’une part, le potentiel de recyclage du véhicule, et, d’autre part, pour les véhicules électrifiés, le type et la durée de vie de la batterie.

La production de la batterie constitue un point faible des véhicules électriques, car elle fait appel à des ressources dont l’extraction est souvent concentrée géographiquement dans des pays peu engagés dans la réduction des émissions, comme la République Démocratique du Congo, qui centralise 55 % de la production minière de cobalt, ou les pays du triangle du lithium (Argentine, Chili et Bolivie).

De plus, la majorité des batteries utilisant du cobalt et du lithium sont produites en Asie, notamment en Chine, où le mix électrique comporte une part élevée de charbon. La future Gigafactory de batteries Northvolt financées par la Banque européenne d’investissement, en construction en Suède, pays où l’électricité est encore moins carbonée qu’en France, constitue une exception notable.

Par ailleurs, la plupart des experts, constructeurs et équipementiers, estiment la durée de vie d’une batterie entre 8 et 10 ans, sachant qu’elle est considérée en fin de vie pour une utilisation dans un véhicule électrique quand sa capacité est réduite à 70 % ou 80 % de sa capacité initiale.

Toutefois, les batteries sont recyclables. Dans un grand nombre d’études, la possibilité d’un recyclage des véhicules se traduit par l’allocation de crédits de recyclage. Ces crédits, exprimés en tonnes de CO2 équivalents, représentent les économies d’émissions qui peuvent être réalisées grâce au recyclage des composants d’un véhicule. Comme il est possible de récupérer un grand nombre de composants des batteries, par des procédés de pyrométallurgie ou d’hydrométallurgie, et donc d’éviter l’extraction supplémentaire de ressources minières, ou bien de réutiliser une batterie de véhicule électrique usagée pour des applications de stockage stationnaire, les crédits de recyclage d’un véhicule électrique sont très souvent plus élevés que les crédits de recyclage d’un véhicule conventionnel. Dans les études, ces crédits sont déduits des émissions absolues d’un véhicule. En pratique, il faudrait mettre en place des circuits de recyclage pour maximiser le potentiel de recyclage des véhicules, en particulier des véhicules électriques.

La composition des batteries constitue aussi un critère déterminant, car l’extraction des matériaux nécessaires est plus ou moins polluante et le recyclage de ces matériaux est plus ou moins aisé et organisé dans les circuits de recyclage existants.

Ces différentes composantes des émissions seront probablement plus difficiles à prendre en compte dans une analyse des émissions au long du cycle de vie des véhicules électriques, néanmoins il conviendrait de les intégrer à terme.

 

    


   Recommandations

 

1. Créer un environnement propice au développement de lindustrie et des services pour lautomobile

1.1 Respecter la neutralité technologique, en fixant des règles et des objectifs, mais en laissant aux industriels la responsabilité de proposer aux clients finaux les technologies les plus appropriées et aux clients de choisir celles répondant le mieux à leur besoin.

1.2 Mettre en place une évaluation des émissions tout au long du cycle de vie des véhicules, et non plus seulement à l’échappement.

1.3 Lors de toute évolution de la réglementation nationale ou européenne en la matière, prévoir une mise en application progressive, laissant aux acteurs concernés un temps suffisant pour s’adapter.

 

2. Consolider et compléter les mesures existantes en faveur des véhicules décarbonés

2.1 Jusqu’à l’atteinte de la parité de prix d’achat des véhicules électriques avec les véhicules thermiques, maintenir le bonus écologique pour les véhicules émettant moins de 20 g de CO2 au kilomètre.

2.2 Donner la possibilité aux auto-écoles d’acquérir des véhicules électriques et hybrides rechargeables à moindre coût, ou de les amortir de manière accélérée sur une période plus courte.

2.3 Accélérer le renouvellement du parc automobile le plus ancien, (normes Euro 1 à Euro 4), responsable d’une majorité des émissions du parc actuel, par exemple en proposant une prime de conversion exceptionnelle.

2.4 Accentuer la mise en œuvre du plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique, en complétant son volet mobilité.

2.5 Sur le modèle de l’étiquette énergie pour les logements, créer un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long du cycle de vie, rapportés au kilomètre parcouru.

 

 

3. Accélérer le développement des infrastructures de recharge électrique et simplifier laccès des usagers

3.1 Renforcer le programme de primes CEE pour bornes de recharge des véhicules électriques (ADVENIR), en le conditionnant systématiquement au pilotage énergétique de la recharge.

3.2 Soutenir les démarches visant à rendre les infrastructures de recharge électrique ouvertes et interopérables.

3.3 Accélérer la mise en œuvre du droit à la prise dans les copropriétés, en prévoyant l’obligation d’anticiper l’étude de ses modalités de mise en œuvre dans les copropriétés, afin de raccourcir à 2 mois le délai de contestation d’une demande d’installation d’une borne par un locataire ou un propriétaire.

3.4 Rendre obligatoire l’installation d’au moins un point de recharge, dans toute station de service de 8 pompes ou plus, ou à proximité immédiate de celles‑ci, et sur tout parking de supermarché de plus de 50 places.

 

4. Faciliter laccès aux données sur les véhicules et la recharge

4.1 Créer un observatoire chargé de centraliser les données relatives à la mobilité électrique et d’assurer leur mise à disposition des équipes de recherche, des industriels et du public, qui pourrait être confié à un établissement, ou à un groupement d’établissements universitaires.

4.2 Rendre accessibles les données de fréquentation des grands axes routiers heure par heure, pour faciliter l’optimisation du déploiement des infrastructures de recharge rapide.

4.3 Intégrer les capacités disponibles pour le raccordement des infrastructures de recharge dans le site RTE Caparéseau (capacités d’accueil pour le raccordement aux réseaux de transport et de distribution des installations de production d’électricité).

4.4 Mettre à disposition des municipalités et des prestataires d’infrastructures de recharge une cartographie des emplacements les plus propices au raccordement de bornes de recharge au réseau de distribution électrique.


5. Favoriser le développement du pilotage intelligent des batteries de véhicules électriques

5.1 Promouvoir l’émergence et l’utilisation de normes européennes en matière de mobilité électrique, notamment l’ISO-15-118 pour la communication entre les bornes et les véhicules et la norme OCPP[54] pour les communications avec le réseau.

5.2 Définir les conditions d’accès des utilisateurs et des fournisseurs de services de recharge aux données relatives à l’état, notamment de charge, des batteries des véhicules, nécessaires à leur utilisation optimale dans différents environnements.

5.3 Adapter la réglementation relative aux services au réseau électrique, par exemple pour le réglage de fréquence du réseau, aux caractéristiques de volume et de temps propres aux véhicules électriques.

5.4 Favoriser l’expérimentation des services de réseau de véhicules électriques dans les territoires insulaires, où les surcoûts de consommation sont élevés et où les distances à parcourir facilitent leur usage.

 

6. Mettre lentreprise au cœur du développement de la mobilité électrique

6.1 Maintenir les avantages existants accordés aux entreprises pour les véhicules électriques, comme l’exonération de la taxe sur les véhicules de société.

6.2 Exonérer de toute taxation spécifique la recharge électrique fournie par l’entreprise à ses personnels, sous réserve qu’elle soit gracieuse.

6.3 Permettre aux entreprises de mettre à disposition de leurs salariés, à titre gracieux et sans charges supplémentaires, des véhicules électriques de leur parc pour les trajets domicile-travail en covoiturage.

6.4 Pour le calcul des avantages en nature des salariés dans le cadre de la location d’un véhicule électrique par une entreprise, tenir compte du bonus écologique dans le calcul de l’avantage en nature, de façon à ne pas avantager les véhicules thermiques.


7. Soutenir la création dune industrie européenne des batteries

7.1 Soutenir l’initiative franco-allemande visant à créer une filière européenne de batteries pour véhicules électriques.

7.2 Explorer les possibilités d’alliance industrielle en dehors de l’Union européenne, par exemple avec les fabricants coréens de batteries, eux aussi menacés par la concurrence chinoise.

7.3 Sur l’exemple des pratiques d’autres pays, tels que la Chine, protéger le marché européen des batteries, en instaurant notamment un critère d’émission de CO2 lors de leur fabrication.

7.4 Associer plus étroitement les différents organismes de recherche directement impliqués aux décisions relatives au développement de l’industrie européenne des batteries.

7.5 Définir un cadre spécifique s’appliquant aux recycleurs de batteries automobiles, intégrant des exigences de performance supérieures à celles actuellement imposées par la réglementation européenne (75 % du poids des batteries recyclé, contre 50 % par défaut actuellement).

 

8. Renforcer la formation, la recherche et linnovation sur les mobilités décarbonées

8.1 Intensifier les efforts de recherche sur les technologies contribuant à la mobilité décarbonée, en renforçant les moyens et en regroupant, pour chacune d’entre elles, les laboratoires au niveau national, au sein de réseaux, tels que RS2E pour les batteries, ou de fédérations, telles que FCLAB pour l’hydrogène.

8.2 Améliorer l’attractivité des filières de recherche sur la mobilité décarbonée en leur donnant une meilleure visibilité et en augmentant le nombre de financement pour les doctorants.

8.3 Renforcer les moyens de formation des personnels de la filière automobile et de son aval, notamment pour les métiers destinés à évoluer vers de nouvelles technologies.

 

    


   Examen du rapport par l’Office

Jeudi 14 mars 2018

Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice.- Je me réjouis de l’ordre du jour de ce matin. Ce sujet est à la fois extraordinairement d’actualité, grand public, et d’une vraie complexité sur le plan technologique, industriel, économique, social, et de l’aménagement du territoire. Il rassemble, dans une actualité brûlante, quasiment toute la problématique de la vie collective de notre pays.

Indépendamment de la commande qui nous a été adressée par les présidents Roland Lescure et Barbara Pompili, au nom respectivement de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, l’actualité du sujet n’échappe à personne, tant il est vrai que l’occupation des carrefours giratoires, et, le samedi, de l’avenue des Champs-Élysées, est assez largement liée à l’inquiétude de certains de nos compatriotes sur leur capacité à disposer d’une mobilité individuelle accessible, notamment au plan financier.

Je voudrais d’abord remercier chaleureusement nos collègues, la députée Huguette Tiegna et le sénateur Stéphane Piednoir, pour leur mobilisation. Vous avez été désignés le 12 juillet, et vous nous rendez un rapport aujourd’hui sur un sujet majeur. C’est un défi que vous avez relevé avec brio. Dans ce défi, vous avez été soutenus par un groupement constitué du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), institut pour lequel j’ai une sympathie toute particulière, puisqu’il a été mon premier employeur. Au terme d’un appel à concurrence, et à l’initiative du premier vice-président Cédric Villani, ces deux organismes scientifiques ont été désignés en tant que soutiens techniques, ce qui correspond à une évidente nécessité, même si vous avez fait par vous-même un important travail d’auditions pour donner à chacun la possibilité d’exprimer son point de vue, et vous permettre de les confronter. En définitive, vous faites apparaître des lignes de force qui sont très clairement exprimées dans votre rapport, et dans ses conclusions.

La saisine par les deux commissions est moins simple qu’il n’y paraît de prime abord. La première phrase de leur lettre commune de saisine du 2 juillet 2018 est porteuse, non pas d’ambiguïté, mais d’interrogations sur la signification de la volonté de l’exécutif : « Le Plan Climat annoncé par Monsieur Nicolas Hulot, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire » – à l’époque, depuis il a fait le choix de ne plus l’être –, « ...ambitionne » – ce terme n’a pas une signification juridique très claire, ambitionner signifiant que l’on va dans une direction, mais pas nécessairement qu’on l’atteint – « … un arrêt des ventes de véhicules à essence et diesel à lhorizon 2040. » L’ambiguïté résulte aussi du fait que l’on ambitionne d’arrêter les ventes de ces véhicules, mais pas d’en interdire la production. Vous l’évoquez d’ailleurs dans votre rapport, en indiquant que le marché mondial restera demandeur de véhicules thermiques.

Cela illustre la complexité du sujet. Le Plan climat est annoncé, mais il n’est pas décidé, parce qu’en tout état de cause, il implique toute une série de mesures législatives. En tant qu’Office parlementaire, il faut examiner les décisions législatives qui ont été prises ou qui devraient l’être, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que l’annonce d’un Plan Climat.

Sur la possibilité de produire, certes on peut ne plus vendre de véhicules à essence et diesel sur le territoire national, mais, le monde étant un village, cela n’empêche pas de les vendre dans d’autres parties du monde. Arrêter de vendre, cela paraît relativement simple. Mais le Plan Climat comporte un objectif très clair, auquel on peut souscrire : la neutralité carbone en 2050. Dix ans auparavant, le Plan Climat « ambitionne » d’arrêter la vente en France de véhicules émettant des gaz à effet de serre. Cela pose un problème, auquel vous allez certainement répondre : d’un côté, on évoque l’arrêt de la vente de véhicules essence et diesel, et de l’autre la vente et la circulation de véhicules émettant des gaz à effet de serre. Qu’en est-il des véhicules qui revendiquent, à tort ou à raison, la neutralité carbone, du fait de la nature de leur carburant ? Nous avons, dans nos assemblées respectives, des partisans enthousiastes des biocarburants, qui vont dire que les conditions de l’arrêt des ventes des véhicules essence et diesel sont en contradiction avec l’objectif, beaucoup plus clair en termes d’environnement, d’un arrêt de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, ce qui permettrait de vendre ceux dont la neutralité carbone est reconnue.

Ensuite, il découle du deuxième paragraphe de la lettre de saisine, que la commande concerne les véhicules électriques, puisqu’il indique : « relever le défi climatique : les véhicules électriques font partie de la solution ». Vous avez traité ce sujet, en divisant les véhicules électriques en deux grandes catégories : véhicules à batterie et véhicules à pile à combustible (PAC), utilisant l’hydrogène. Vous introduisez également une catégorie intermédiaire, le véhicule hybride, qui existe aujourd’hui, et dont vous pensez qu’il représente certainement un élément du cheminement vers l’objectif évoqué.

Le défi du véhicule électrique, question qui nous est posée en tant qu’Office parlementaire, tient aussi à ce qu’il représente une opportunité industrielle pour notre pays. Vous l’évoquez bien, plutôt comme une contrainte. La dimension positive apparaît moins nette, mais l’importance des enjeux en présence semble mériter un examen approfondi.

Quel est l’objectif : le véhicule électrique, la neutralité carbone, ou le fait d’être compatible avec les contraintes et les enjeux ? Votre rapport le montre bien. Vous y dévoilez un paysage beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait a priori. Le seul risque que vous prenez avec ce rapport, c’est d’être sollicités pour le poursuivre sur les aspects que vous n’avez pas eu le temps de traiter ! Nous avions ainsi, le 29 novembre 2018, évoqué le sujet plus spécifique du déploiement des infrastructures de recharge de véhicules électriques. On peut également se poser la même question sur les infrastructures de recharge de véhicules disposant d’une pile à combustible. Et il y a matière à approfondir encore le sujet, notamment s’agissant du phasage dans le temps des conséquences industrielles, donc aussi sociales, de cette évolution.

J’ajouterais un point qui n’était pas dans la commande que vous aviez reçue : la question de la neutralité carbone sur l’ensemble de la chaîne. Vous évoquez à juste titre le coût d’usage global pour le propriétaire du véhicule, l’acronyme anglais étant TCO (Total Cost of Ownership). La neutralité carbone n’est pas une affaire facile, dès lors que l’on prend en compte la totalité des événements qui entrent dans le bilan carbone global : la construction du véhicule, son entretien, l’infrastructure mise en place, et le traitement du véhicule en fin de vie, avec les batteries ou les piles à combustible.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. En premier lieu, je dirais que l’Office a pleinement joué son rôle, avec une saisine formelle émanant de deux commissions permanentes. Le fait de rendre un travail aux commissions permanentes est une première dans cette législature. L’Office joue ainsi pleinement son rôle pour accompagner la réflexion des commissions parlementaires en général.

Je me réjouis que nous ayons confié ce travail à un binôme de rapporteurs illustrant une parité à trois titres : Assemblée et Sénat, majorité et opposition, femme et homme.

Sur le fond, en parcourant le rapport, je me suis tout d’abord dit : enfin un argumentaire développé, et une étude qui permet de se projeter dans la durée, avec des documents, au travers de scénarios. Ces dernières années, les annonces de l’arrêt de la vente des véhicules carbonés, ou thermiques, à un certain horizon –dans certains cas en 2030, dans d’autres en 2040 –, ont fleuri, sans que l’on identifie bien ce qui justifiait le choix de la date. Avant de faire un tel choix, il est raisonnable de se lancer dans une véritable étude approfondie. Nous avons ici un document qui, pour la première fois, permet de discuter sur une base solide, ce qui est d’autant plus pertinent que nous nous inscrivons, avec cette étude, dans le calendrier législatif de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités.

Ajoutons que la présentation de ce rapport est prévue devant les deux commissions compétentes de l’Assemblée nationale mercredi prochain. C’est seulement à l’issue de cette présentation que le rapport sera communiqué aux médias, et donc à l’opinion publique et à l’ensemble de la société.

Il me semble que ces différents aspects font que nous discutons ce matin d’un travail assez exemplaire pour l’Office.

Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente, rapporteure. Avec Stéphane Piednoir, nous sommes arrivés au terme de six mois d’un travail acharné, dont nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui le résultat.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, ainsi que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ont demandé à l’Office, le 2 juillet dernier, « une étude approfondie et prospective qui permettrait délaborer des scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif fixé pour léchéance de 2040 ». L’Office nous a confié cette étude le 12 juillet 2018.

Pour répondre à cette saisine dans un délai compatible avec le calendrier d’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, nous avons mené deux démarches en parallèle.

D’une part, compte tenu de l’expertise nécessaire, nous avons souhaité, après quelques auditions préliminaires, faire appel à un appui extérieur pour nous aider dans l’élaboration des scénarios demandés. Ainsi que cela a été dit, après appel à concurrence, cette mission a été confiée à un groupement constitué du CEA et de l’IFPEN. Cela a permis de mobiliser les compétences scientifiques de ces deux grands établissements de recherche, et de bénéficier de leur maîtrise en matière de scénarios.

D’autre part, nous avons suivi une démarche d’investigation, s’inscrivant dans les pratiques plus classiques de l’Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, associations, acteurs institutionnels, industriels et représentants des différentes filières impliquées, au travers d’auditions individuelles, d’une audition publique consacrée à la question des infrastructures de recharge des véhicules électriques, et de deux déplacements, l’un au Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du CEA de Grenoble, l’autre en Norvège. Nous avons, au total, pu rencontrer près de 150 interlocuteurs impliqués dans ce sujet.

Nous avons concentré nos investigations sur les aspects technologiques propres aux véhicules particuliers, mais en y ajoutant quelques auditions consacrées aux utilitaires et véhicules lourds, en fin de parcours. Le temps disponible ne nous a pas permis d’explorer d’autres formes de mobilité, telles que les mobilités douces, les questions d’intermodalité, ou encore des aspects plus sociologiques de cette problématique.

Nous avons croisé les données et les conclusions des travaux du CEA et de l’IFPEN avec les informations que nous avions nous-mêmes recueillies. Cela nous a permis de bien analyser les scénarios proposés, et nous a conduits à nous approprier la majorité de leurs conclusions et recommandations. Cette démarche nous a également permis d’approfondir un certain nombre de sujets, afin d’identifier des recommandations aussi opérationnelles et précises que possible, susceptibles d’être débattues dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, ou d’autres textes.

Mon co-rapporteur, Stéphane Piednoir, va maintenant vous présenter les principaux facteurs à l’origine de la transformation en cours de l’industrie automobile mondiale.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Nous nous appuierons sur un court diaporama. Comme cela a été dit, depuis quelques années, on observe une conjonction de changements techniques, réglementaires, et sociétaux, qui ont contribué à accélérer la mutation du secteur des transports, singulièrement celui des véhicules particuliers, vers des solutions plus respectueuses de l’environnement.

Les cinq principaux facteurs de cette mutation sont : la lutte contre le changement climatique, l’amélioration de la qualité de l’air, la diminution de la pollution sonore, la réduction de la dépendance énergétique et la nécessité de s’inscrire dans un marché automobile mondial en pleine mutation.

Pour ne pas être trop long, je vais développer un peu plus ce dernier point. Plusieurs évolutions récentes conduisent à anticiper une transformation rapide du marché au profit des véhicules à faible émission de dioxyde de carbone.

Tout d’abord, les ventes mondiales de véhicules électriques ont connu une croissance soutenue ces dernières années en passant de 47 000 unités en 2011 à plus de 2 millions en 2018. On peut parler de croissance exponentielle !

Ce développement vaut aussi pour la France, malgré une croissance plus modeste, de l’ordre de 25 %, des ventes de véhicules électriques entre 2017 et 2018, et néanmoins une nette accélération en fin d’année dernière, confirmée début 2019 + 60 % pour les deux premiers mois de 2019, par rapport aux mêmes mois de 2018.

En ce qui concerne l’évolution de la part de chaque pays dans les ventes, on observe une proportion très forte en Chine, qui s’est vraiment engagée dans une conversion électrique pour les raisons évoquées dans le rapport, notamment l’impasse qui a été faite sur la production de véhicules à moteur thermique dans ce pays.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Non seulement la part de la Chine est très forte, mais elle semble augmenter. La croissance de la Chine est supérieure à la croissance mondiale.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est très net en 2014 et 2015 ; après, il faudrait le mesurer plus précisément.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Il est vrai que pour 2017 et 2018, ce n’est pas si clair. Mais sur les cinq dernières années, c’est manifeste.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Dans le même temps, les annonces d’investissement des constructeurs automobiles dans le domaine des véhicules électriques sont impressionnantes. Début 2018, elles étaient évaluées à 80 milliards d’euros. À présent, elles sont supérieures à 265 milliards d’euros, dont la moitié en Chine.

Les constructeurs français annoncent entre 9 et 10 milliards d’euros d’investissement, ce qui peut paraître faible au regard des montants que je viens de citer, mais reste quand même considérable.

Cet afflux d’investissements en Chine s’explique notamment par la position dominante du marché chinois, qui représente à lui seul plus de la moitié des ventes de voitures électriques en 2018, et par la levée progressive des obstacles aux investissements étrangers dans ce domaine.

Les autorités chinoises considèrent qu’une ou plusieurs entreprises locales pourraient devenir des champions mondiaux de l’automobile, comme le sont déjà les fabricants de batteries chinois. Il existe donc un véritable enjeu pour l’industrie automobile française et européenne. En ce sens, je rejoins les propos introductifs du président Longuet.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Au vu du graphique, l’industrie européenne, c’est surtout l’industrie allemande. Une petite ligne, presque un cheveu, part de la France pour aller vers la Chine, où elle vient rejoindre la grosse rivière des investissements allemands et chinois en Chine.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. S’agit-il des investissements annoncés par les constructeurs ou aussi par les équipementiers ? Je pose la question parce que les équipementiers français, essentiellement Faurecia, Valeo, et Plastic Omnium, ont des positions boursières liées à leurs positions commerciales à l’étranger, qui sont assez favorables. Mais j’ai l’impression qu’il s’agit plutôt des investissements des constructeurs.

M. Antoine Herth, député. Il s’agit d’une nuance importante. Les constructeurs français apparaissent aujourd’hui plutôt comme des assembleurs, alors que les constructeurs allemands conservent beaucoup de pièces fabriquées en interne.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Il faut retenir que sur les 39 milliards d’investissements américains, 34 milliards restent aux États-Unis, et que seul le reste va en Chine.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Il s’agit en effet uniquement des constructeurs. Dans ce graphique, à gauche, vous avez l’origine des investissements, et à droite, leur destination. Pour l’Allemagne, les 139 milliards d’euros se répartissent à parts égales entre la Chine et l’Allemagne.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Je vais à présent vous présenter une synthèse des scénarios technologiques du CEA et de l’IFPEN. Nous tenons d’abord à saluer la qualité du travail réalisé par leurs équipes dans un délai très court, qui témoigne de l’attachement de ces deux organismes à leur mission de conseil vis-à-vis de la représentation nationale.

Ces scénarios sont basés sur un modèle mathématique qui permet de déduire, à partir des paramètres fournis en entrée, une combinaison optimale de technologies pour répondre à la demande à un coût minimal.

Les objets modélisés dans les différents scénarios technologiques incluent : le système énergétique (mix électrique, carburants liquides, vecteur hydrogène), les composants technologiques (batteries, piles à combustible et réservoirs pour l’hydrogène), et cinq grands types de véhicules, véhicules à combustion interne (ICE), véhicules hybrides non rechargeables (HEV), véhicules hybrides rechargeables (PHEV), véhicules électriques à batterie (BEV), et véhicules électriques à piles à combustible (FCEV).

Ces véhicules sont déclinés par segments, ou catégories : citadine ou segment A, moyenne gamme ou segment B, et haut de gamme ou segment C. Seuls les véhicules à usage privé sont pris en compte dans l’étude, qu’il s’agisse de véhicules particuliers ou d’entreprise, c’est-à-dire achetés par des sociétés, les véhicules de fonction, ou appartenant à des loueurs de longue durée. Les véhicules commerciaux ne sont pas modélisés.

Les trois scénarios envisagés sont intitulés : Médian, Pro-batterie et Pro-hydrogène. Ils se distinguent principalement par les hypothèses formulées en matière de rythme d’évolution des technologies pour les véhicules électriques à batterie, et les véhicules à hydrogène. Les principales hypothèses, convergentes ou divergentes, sont présentées sur cette diapositive. Nous avons pris en compte les conditions de production d’électricité, c’est-à-dire le scénario Ampère de RTE, qui prévoit qu’en 2035, la production d’électricité serait à 46 % nucléaire, à 50 % renouvelable, et à 4 % fossile.

Comme le montrent les graphiques, l’évolution du parc des véhicules thermiques est similaire dans les trois scénarios à terme, avec une disparition totale des véhicules thermiques non hybrides, et un volant résiduel de véhicules hybrides non rechargeables à peu près équivalent.

Le président Gérard Longuet a justement évoqué la complexité de la saisine concernant l’arrêt de la vente et la neutralité carbone. Ces différents scénarios nous montrent qu’en fonction des choix initiaux et des évolutions technologiques qui vont intervenir dans le futur, on arrivera à diminuer drastiquement le pourcentage de CO2 émis, à condition d’investir massivement dans des solutions de plus en plus propres.

Dans ces trois scénarios, ce sont surtout les résultats en 2040 qui sont intéressants, une fois pris en compte les investissements et les conditions technologiques.

Le scénario Pro-batterie, qui correspond à des progrès technologiques plus rapides pour les batteries, conduit à des résultats similaires au scénario de référence (Médian). Les ventes de véhicules électrifiés sont simplement anticipées de quelques années.

Le scénario Pro-hydrogène montre que cette technologie pourrait jouer un rôle important, si deux conditions sont réunies : des progrès techniques beaucoup plus rapides que prévu, permettant une baisse accélérée des prix, et un fort soutien public ; dans le scénario, l’aide à l’achat a été maintenue à 10 000 € jusqu’en 2040.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. L’hydrogène ne se développe donc que s’il existe un réel volontarisme ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Effectivement, dans les scénarios Médian et Pro-batterie l’hydrogène est marginal. En revanche, si l’on axe les investissements sur l’hydrogène, celui-ci prend une part importante en 2040.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Dans le scénario Pro-batterie, la proportion finale de véhicules électriques est atteinte dès 2035. On atteint donc les objectifs plus vite. Dans le scénario Pro-hydrogène, l’hydrogène se développe au détriment de l’électrique.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Dans le scénario Pro-hydrogène, à quoi correspond la barre absente des autres colonnes ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Il s’agit du résidu des véhicules à combustion interne.

Pour les trois scénarios, les émissions de CO2 baissent fortement, après une hausse en début de période. Dans les scénarios Médian et Pro-batterie, les émissions de CO2 sont divisées par cinq entre aujourd’hui et 2040.

Pour atteindre les objectifs de décarbonation des transports, notamment la neutralité carbone en 2050, le CEA et l’IFPEN indiquent qu’il resterait nécessaire de substituer des biocarburants liquides aux carburants fossiles pour les véhicules hybrides.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Les émissions de CO2 correspondent-elles à l’analyse du cycle de vie ou au fonctionnement du véhicule ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Dans la mesure où nous sommes partis du scénario Ampère, les sources d’énergie sont bien prises en compte, avec une part prépondérante d’énergies nucléaire et renouvelable qui réduisent nettement les émissions de CO2 sur le cycle de vie. Mais il faut aussi tenir compte des interconnexions entre réseaux électriques au niveau européen.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Dans le rapport, la légende du graphique sur l’évolution du parc mériterait d’être explicitée.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Avez-vous examiné le cycle de vie de la batterie ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Oui, nous avons mené plusieurs auditions sur ce thème.

Les coûts associés à la transition recherchée sont très élevés, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards d’euros, cumulés sur une période de vingt ans.

L’impact le plus important est celui de la disparition progressive de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). En 2019, elle devrait atteindre 37,7 milliards d’euros, dont 45,1 % alimente le budget général de l’État, 32,6 % celui des collectivités territoriales, 20,1 % vont à un compte d’affectation spéciale « transition énergétique », notamment pour soutenir les énergies renouvelables électriques et le biométhane, et 3,2 % reviennent à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Les coûts liés à la mise en place de l’infrastructure nécessaire, bornes de recharge et stations hydrogène sont évalués, pour le scénario Médian, entre 30 et 100 milliards d’euros ; pour le scénario Pro-batterie, entre 33 et 108 milliards d’euros, et pour le scénario Pro-hydrogène, entre 42 et 104 milliards d’euros.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. La disparition complète de la TICPE semble peu vraisemblable. Autrefois, elle s’appelait taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Pour autant, à l’apparition des biocarburants, à aucun moment le ministère des finances n’a imaginé que ces produits, qui ne sont pas issus du pétrole, en soient exonérés. La disparition progressive de la TICPE doit être évoquée, mais il y aura toujours eu un impôt sur les déplacements.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. C’est l’occasion de mettre en avant une fiscalité verte non punitive.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. J’ajouterais que, lors du débat sur les biocarburants, l’absence d’application de la TIPP a été immédiatement présentée comme une dépense fiscale, puisque le budget renonçait à une recette.

M. Philippe Bolo, député. La fourchette d’évaluation du coût de mise en place des infrastructures pour le scénario Médian est importante : entre 30 et 100 milliards d’euros. Est-ce lié à des options technologiques différentes ou à des zones d’ombre ? Que pourrait-on faire pour réduire cette fourchette, et parvenir à une évaluation plus fine ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Il existe des incertitudes sur le coût des infrastructures, car on ne maîtrise pas l’évolution des coûts à vingt ans. On imagine qu’en massifiant le déploiement des bornes de recharge et des stations hydrogène, les coûts vont baisser, sans savoir dans quelles proportions. On donne aussi une fourchette du nombre de bornes. Dans cet intervalle, on obtient une fourchette d’investissement qui passe du simple au triple. Néanmoins, cela nous donne un bon ordre de grandeur.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Lors de l’audition du 29 novembre 2018, il est apparu que le mode d’emploi des systèmes de recharge n’est pas le même, suivant la durée d’utilisation, les implications étant très différentes pour une immobilisation de quatre heures ou d’une demi-heure.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Ces montants peuvent aussi varier en fonction du développement des bornes de recharge au domicile. Si chacun dispose d’une borne de recharge dans son logement individuel, cela va influer sur les bornes de recharge publiques, sachant qu’il restera toujours les grandes voies de circulation à équiper, comme les autoroutes, pour lesquelles il y a vraiment beaucoup d’incertitudes d’ici 2040.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Les ordres de grandeur dans les scénarios proposés, à l’échelle de l’Europe, par The Shift Project ou la Banque européenne d’investissement, sont de l’ordre de mille milliards d’euros. Ces mille milliards pour le budget européen consacré à la transition climatique représentent peut-être cent à deux cents milliards pour la France, pour la transition globale. Quelle est la part dans ces scénarios de la transition pour la mobilité ?

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. La mobilité représente un peu moins d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, avec l’industrie, la production représentant un très gros tiers, et le bâtiment, un autre tiers.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est exactement 28 % pour l’automobile.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Dans le coût de la transition, vous avez également retenu les subventions versées par la collectivité aux acheteurs de véhicules.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Les montants évoqués sont-ils mis sur la table pour la première fois, ou circulent-ils déjà ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Ils circulent déjà et sont aussi cohérents avec les scénarios européens. La fourchette évoquée à l’instant ne concerne que les infrastructures, pour lesquelles il existe beaucoup d’incertitudes. Dans des pays qui ont beaucoup développé la mobilité électrique, on s’aperçoit que, finalement, la recharge publique n’est pas si importante. J’ai le souvenir de ce qu’avait dit le préfet honoraire Vuibert lors de l’audition publique du 29 novembre 2018 : au début de l’automobile, les automobilistes avaient un bidon d’essence dans leur garage. Évidemment, ce n’est pas directement transposable à l’électricité, une prise étant disponible dans la plupart des maisons. Mais dans les pays qui ont beaucoup développé la mobilité électrique, on constate un ralentissement de l’implantation des infrastructures publiques. Il n’existe pas de besoin fort, si ce n’est pour les longues distances pour lesquelles il faut des recharges publiques rapides, par exemple lors des transports pour les congés d’été, le long des autoroutes.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. L’échelle européenne représente un autre facteur qui va influer sur la mise en place de l’infrastructure de recharge. Pour partir en vacances dans les pays voisins, il convient d’assurer la compatibilité des infrastructures entre les différents pays.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Une brique européenne sur les infrastructures serait utile.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Concernant la TICPE, on suppose que s’il n’y a plus de véhicules essence et diesel, la taxe va diminuer drastiquement. Peut-être faut-il réfléchir à un dispositif de substitution en effet. Il faudra financer la transition énergétique.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Pourquoi avez-vous évoqué la baisse des émissions de CO2 pour les scénarios Médian et Pro-batterie, mais pas pour le scénario Pro-hydrogène ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. À cette date, nous n’avons pas de données pour le troisième scénario, les émissions de CO2 étant plus difficiles à évaluer. Mais nous avons demandé des précisions au CEA et à l’IFPEN.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Le déploiement de l’hydrogène est aujourd’hui une véritable inconnue, avec beaucoup d’incertitudes.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Faut-il se lancer dans l’hydrogène dès aujourd’hui ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. On gagnerait à se lancer maintenant. Il reste beaucoup d’incertitudes sur ce sujet.

M. Antoine Herth, député. Pour répondre à la question de l’hydrogène, je me réfère aux auditions en commission des affaires économiques : il faut répondre aussi à la question du fret. En réalité, les constructeurs pensent d’abord à l’hydrogène pour le fret, avant de penser aux particuliers. Pour des voitures particulières, on ne peut pas, à ce stade, disposer d’une visibilité suffisante sur l’hydrogène.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Le groupe PSA a annoncé un véhicule particulier à hydrogène.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Je suis complètement de cet avis, l’hydrogène démarrera avec les véhicules utilitaires, les trains TER (transport express régional), les poids lourds, et aussi les véhicules de livraison pour le dernier kilomètre.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Effectivement, des études portent aussi sur le train à hydrogène. Alstom a des projets avec la SNCF et différentes régions. Lors de leur audition, les représentants d’Alstom ont évoqué la possibilité de créer des stations à hydrogène avec la SNCF, ce qui pourrait permettre, d’ici quelques années, de trouver des solutions pour réaliser des stations à hydrogène pour les particuliers, car les coûts actuels sont extrêmement élevés.

Nous vous proposons de reprendre notre présentation avec les enseignements et nos recommandations. À la suite de leur étude de scénarios, le CEA et l’IFPEN mettent en évidence sept enseignements principaux issus des scénarios technologiques, et une quinzaine de recommandations. Celles-ci rejoignent nos propres constats, et nous les partageons pour l’essentiel, à quelques exceptions près, notamment les recommandations sur les biocarburants liquides de deuxième et troisième générations. La piste du biogaz nous semble, en effet, plus prometteuse dans le contexte actuel, d’autant que pour faire des carburants liquides, il faut bien également de la matière première végétale.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. En parallèle de la réalisation des scénarios commandés au CEA et à l’IFPEN, nous avons procédé à de nombreuses auditions, dont l’audition publique du 29 novembre 2018 consacrée aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, ainsi qu’à deux déplacements, à Grenoble et en Norvège.

Cette démarche nous a permis d’approfondir certaines des conditions nécessaires au développement des véhicules décarbonés, d’identifier des recommandations pratiques qui concernent directement le projet de loi d’orientation des mobilités, dont l’examen commence mardi en séance au Sénat. Nous pourrons donc nous en emparer rapidement et explorer quelques exemples de recommandations.

La première condition porte sur le rétablissement de la confiance. Plusieurs de nos interlocuteurs ont évoqué le désarroi qui règne, aussi bien chez les particuliers que chez les professionnels, depuis l’affaire Volkswagen, dite du dieselgate.

Pour rassurer sur les intentions des pouvoirs publics, nous pensons qu’il faut réaffirmer une nouvelle fois le principe de neutralité technologique, qui est le garant de la liberté des industriels de trouver les meilleures solutions, et de celle de leurs clients d’adopter les solutions qui répondent le mieux à leurs besoins.

Ainsi, il serait dommageable de condamner par avance le moteur thermique, qui va continuer à jouer un rôle, au côté des véhicules électriques à batterie, par exemple dans les véhicules hybrides rechargeables. Alimenté en biogaz, il peut d’ailleurs être plus vertueux qu’aujourd’hui. La neutralité technologique permet aussi une transition plus progressive, limitant les impacts sur le tissu industriel et les emplois.

Un deuxième exemple de recommandation porte sur la dépendance vis‑à‑vis des batteries asiatiques. Les batteries lithium-ion représentent aujourd’hui de 35 % à 50 % de la valeur d’un véhicule électrique, ce qui est considérable. Ce marché est très dominé par les pays asiatiques : Japon, Corée du Sud et Chine. La Chine détient à elle seule 60 % du marché mondial. Tous ces constructeurs ont déjà annoncé leur intention de produire des batteries en Europe, si ce n’est déjà fait.

Cette domination des entreprises asiatiques met les constructeurs automobiles européens dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de pays souvent eux-mêmes exportateurs d’automobiles, ou qui aspirent à le devenir.

Conscientes des risques, la Commission européenne, l’Allemagne et la France travaillent à constituer un ou plusieurs consortiums industriels européens pour reconquérir la maîtrise de cette filière des batteries. On évoque ainsi un « Airbus des batteries ».

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. La Chine est un marché national assez fermé d’1,4 milliard d’habitants, confronté à des problèmes majeurs de pollution liés au charbon, avec une société extrêmement urbanisée. Cette économie centralisée dominée par un pouvoir volontariste, peut, en effet, consolider un marché national sur la base duquel les industriels de la batterie chinois pourront créer de telles économies d’échelle que le marché extérieur deviendra pour eux une sorte de déversoir, avec la possibilité de « tuer » toute concurrence émergente. On voit d’ailleurs bien que les Asiatiques investissent en Europe en phase finale, pas sur le cœur du métier, mais ces investissements seront suffisants pour prendre des parts de marché. Existerait-il un avantage technologique stratégique permettant de marquer une différence suffisante sur les batteries pour éviter que l’Europe devienne un déversoir des capacités excédentaires de l’industrie chinoise ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Pour parvenir à cette mutation, il s’agirait de profiter d’un « saut technologique » encore devant nous : le remplacement de l’électrolyte liquide des batteries lithium-ion par un électrolyte solide. Évidemment, les investisseurs asiatiques ne resteront pas inertes, mais je pense qu’il y a une carte à jouer sur le marché européen. Plusieurs de nos interlocuteurs ont dit que nous avions perdu la bataille sur les batteries de première génération, mais qu’il est encore possible de négocier le virage d’une nouvelle technologie de batterie.

Nous proposons, dans le cadre de ce rapport, pour protéger le marché européen d’une concurrence trop intense, une solution qui consisterait à définir des critères de qualité environnementale pour ces batteries, par exemple sur leur empreinte CO2, le recyclage, et l’approvisionnement responsable en matières premières. Mettre des conditions vertueuses sur la production des batteries, serait sans doute un coin mis dans la volonté asiatique de créer un déversoir sur le marché européen, comme le président Gérard Longuet vient de le dire.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Qu’en est-il des métaux rares ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Il n’existe pas de terres rares dans la batterie elle-même, le cobalt n’étant pas classé dans cette catégorie, mais c’est bien un métal critique.

Une autre piste de développement industriel résiderait dans le recyclage des batteries lithium-ion. C’est une perspective à moyen terme, car leur montée en puissance sera progressive, et décalée d’une dizaine d’années par rapport à celle des ventes des véhicules. Dix années correspondent à la durée de vie d’une batterie. Mais il faut s’y préparer dès maintenant, d’autant que les batteries recyclées pourraient devenir une source d’approvisionnement en lithium et en cobalt.

Comme pour les batteries neuves, nous pensons qu’il faut définir dès maintenant des critères exigeants, par exemple en termes de performance du recyclage, pour protéger cette industrie naissante. La réglementation européenne, qui date de plus de dix ans, prévoit un seuil par défaut, les batteries lithium-ion n’ayant pas été prises en compte à l’époque, fixé à 50 % de taux de recyclage, alors que les entreprises françaises savent déjà recycler ces batteries à plus de 70 %, voire 75 %.

C’est une vraie question qui figure dans nos préconisations : doit-on relever ce seuil, puisque nos entreprises sont capables de faire mieux ? Faut-il l’imposer pour faire obstacle à des industriels dont le taux de recyclage n’est que de 50 % ? De la même façon, il faudrait préparer un statut spécifique des entreprises de recyclage, avec une réglementation adéquate, ce statut n’existant pas aujourd’hui. C’est une question réglementaire qui dépasse celle des batteries.

Pour que les véhicules électriques se développent, il faut évidemment aussi assurer, sur tout le territoire, un accès aisé à un point de charge, au domicile, sur le lieu de travail, ou dans l’espace public. En France, fin 2018, le nombre total de points de charge s’élevait à près de 240 000, dont environ 26 000 accessibles au public, plus de 85 000 chez les particuliers, et plus de 125 000 en entreprise, avec une progression de près de 40 % en une seule année.

En théorie, 65 % des logements pourraient être équipés d’un point de recharge. C’est assez simple dans les logements individuels, il suffit de passer un câble électrique dans le garage, mais beaucoup plus compliqué dans les bâtiments résidentiels collectifs. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, a créé un « droit à la prise ». Mais en pratique, les délais de mise en œuvre sont très longs dans les copropriétés et le processus est compliqué pour un propriétaire ou un locataire qui veut installer à ses frais un point de charge individuelle.

Nous pensons néanmoins qu’il est possible d’améliorer l’exercice de ce droit à la prise, en demandant à toutes les copropriétés de décider des modalités de raccordement avant que la question ne soit concrètement posée par un habitant, de façon à avoir déjà une réponse. Ainsi, lorsque la question sera posée, la réponse pourra être beaucoup plus rapide. Nous préconisons un délai maximum de deux mois, au lieu de six mois aujourd’hui, pour favoriser ces conditions.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Les décisions dans les copropriétés sont conflictuelles. Ce ne sera pas facile.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Une autre solution évoquée consiste à prévoir des bornes de recharge payantes, ce qui peut éviter d’en installer sur les emplacements individuels.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Cela poserait d’autres problèmes pratiques, de libération de la place partagée.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Nous avons aussi une proposition pour faciliter la recharge sur le lieu de travail. L’un des freins très concrets apparu lors de l’audition publique du 29 novembre 2018 concerne l’obligation de payer des charges sociales et des impôts, lorsqu’un salarié recharge électriquement son véhicule dans son entreprise. Aujourd’hui, cela est considéré comme un avantage en nature, donc soumis aux cotisations et contributions sociales et pour le salarié à l’impôt sur le revenu. Cela oblige aussi l’employeur à mettre en place un système spécifique de comptage et de facturation, ce qui est très lourd.

Nous proposons de lever cet obstacle : je vais déposer un amendement en ce sens au Sénat la semaine prochaine pour exclure toutes charges sociales et fiscalisation, à condition que la recharge soit fournie à titre gracieux pour l’employé. Cela permettrait aux 35 % de personnes, au minimum, qui ne peuvent pas avoir de point de charge à domicile d’être rassurées sur la possibilité de recharger leur véhicule électrique dans leur entreprise.

Ensuite, il y a la question des bornes de recharge dans l’espace public, pour les personnes dépourvues de place de parking, pour leurs déplacements, ou habitant dans des copropriétés où cela se passe mal. Là aussi, nous avons identifié un obstacle majeur : l’absence de rentabilité, à ce stade, pour les acteurs privés. Le projet de loi d’orientation des mobilités comporte déjà des dispositions destinées à améliorer cette situation. Nous en proposons plusieurs autres, en commençant par une meilleure information des acteurs publics et privés sur les possibilités de raccordement et sur le trafic routier, de manière à poser des bornes là où une rentabilité peut être possible.

Enfin, il y a la question de l’impact de ces points de charge sur le réseau électrique. Après avoir entendu les acteurs du domaine, nous considérons qu’il n’y a pas de risque réel en termes de consommation d’électricité tout au long de l’année. Par contre, le problème existe bel et bien en termes d’appel de puissance, à des moments précis, avec un risque réel d’aggraver les pointes de consommation, en particulier l’hiver.

Sur ce plan, il n’y a pas d’autre solution efficace, à l’heure actuelle, que le pilotage de la recharge. Aussi, pensons-nous qu’il faut étendre l’obligation du pilotage aux points de recharge dans l’habitat collectif, en renforçant les aides.

Ces problèmes d’infrastructure se posent aussi, sous une autre forme, pour le gaz naturel véhicule et l’hydrogène. Ces réseaux se développent déjà pour des utilisateurs professionnels. Il faut donc avant tout inciter les professionnels à utiliser ces nouvelles énergies, moins carbonées et moins polluantes. Aussi pensons-nous qu’il faut poursuivre voire étendre les dispositions relatives au suramortissement des véhicules à hydrogène achetés par les entreprises, tout en veillant à ce que le prix de ce gaz « à la pompe » soit attractif.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Je suggère de communiquer ces recommandations non seulement aux groupes parlementaires, mais aussi à l’intergroupe écologie.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Enfin, concernant les aides à l’achat, le surcoût des véhicules électriques reste un problème majeur pour le développement de ce marché. En Norvège, nous avons pu vérifier que c’est avant tout un prix attractif pour les particuliers qui explique les ventes de véhicules électriques, bien avant les autres avantages, indépendamment du fait que la Norvège n’a pas de constructeur national. Le Danemark en a aussi donné un exemple inverse, lorsqu’il a baissé ses aides à l’achat en 2015, les ventes de véhicules électriques se sont immédiatement effondrées.

En France, un dispositif équivalent à celui de la Norvège est impossible, car celui-ci est basé sur l’exonération de taxes très lourdes qui ne s’appliquent pas ici. Mais nous pensons qu’il faut maintenir les aides existantes, notamment le bonus écologique, tant que les prix n’auront pas baissé.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. À quel horizon la parité de prix d’achat pourrait-elle survenir ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est difficile à dire. Dans les scénarios, l’aide sur les véhicules électriques de 6 000 euros maximum est maintenue jusqu’à 2040.

Sur la parité du prix sans aide publique, les dernières annonces des constructeurs sont encourageantes. Ainsi, la VW ID 3, véhicule électrique à batterie, équivalent en gamme de la GOLF, est annoncée en dessous de 30 000 euros, sans aide.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Qu’est-ce qui explique, à part les économies d’échelle, le surcoût des véhicules électriques, alors même que leur fabrication est plus simple ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est la batterie. Tout dépend de l’évolution du prix de la batterie, qui constitue de 35 % à 50 % de la valeur du véhicule électrique. Pour un véhicule de type Zoé cela représente de l’ordre de 10 000 euros.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. La question économique stratégique évoquée par le président Gérard Longuet est clef. S’il n’y a pas de règle particulière, qu’est-ce qui empêchera la Chine de profiter de son immense marché intérieur pour maintenir son industrie à un haut niveau et d’inonder l’Europe de batteries à prix cassé ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. À cet égard, en Chine, les véhicules électriques doivent être dotés de batteries chinoises pour bénéficier des aides. C’est ce qu’on appelle un gouvernement avisé.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Il serait intéressant d’examiner de plus près les investissements allemands en Chine.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Qu’est‑ce qui se passerait si l’obligation était faite aux constructeurs européens de s’équiper de batteries européennes ?

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Il n’existe pas de préférence communautaire au sein de l’Union européenne.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Et on nous empêche également de nous regrouper en interne.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est la double peine.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. La plupart des pays européens n’ont pas d’industrie et ne protègent que celles bénéficiant d’un avantage stratégique, ce qui est assez rare, si ce n’est dans quelques pays, notamment en Allemagne et en France. Les petits pays sont consommateurs, ils veulent donc acheter à bon marché, non défendre l’industrie ou l’agriculture de leurs voisins. En caricaturant, les Pays-Bas se sont constitués en instaurant un péage sur le Rhin. Les bateaux arrivent et déchargent. Si les Allemands veulent recevoir les containers, ils doivent payer.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Une autre façon de convaincre les Français consiste à leur montrer que l’achat d’un véhicule électrique peut être intéressant sur le long terme, à la fois en termes financiers et de protection de l’environnement. C’est ce que permettent les calculs de coût total de possession d’un véhicule, et l’analyse de ses émissions tout au long de son cycle de vie, et non plus seulement en utilisation, comme actuellement.

Aussi, préconisons-nous la création, sur le modèle de l’étiquette énergie pour les logements, d’un label permettant aux consommateurs de visualiser simplement, pour un véhicule, son coût total de possession et ses émissions tout au long de sa vie, sur la base d’une utilisation moyenne, à l’instar de ce qui existe pour l’électroménager.

Ce sont quelques exemples de mesures concrètes, qui pourraient faciliter le déploiement des véhicules à basse émission. Nous en proposons d’autres, dont certaines assez techniques.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Au terme de notre étude, et sur la base des travaux réalisés par le CEA et l’IFPEN, nous pensons que le double objectif d’une très forte réduction des émissions de CO2 et d’une disparition des motorisations purement thermiques est réalisable pour les véhicules particuliers d’ici 2040.

Mais cette transformation sera certainement coûteuse, notamment du fait de la perte des recettes provenant de la TICPE, et aussi des infrastructures à mettre en place. La bonne nouvelle, c’est que pour les particuliers, elle pourrait au contraire s’avérer, à terme, favorable pour leur budget déplacement.

Il s’agira aussi d’une transformation majeure pour toute la filière automobile, industries et services compris. Aussi faut-il agir avec prudence, en préparant ces transformations à l’avance, avec toutes les mesures d’accompagnement qui ont été évoquées, et en laissant à chacun des acteurs la possibilité de jouer entièrement son rôle.

Nous vous remercions de votre écoute. Nous sommes à votre disposition pour vos remarques et questions.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. C’est une affaire très importante pour l’Office parlementaire.

Au fond, vous dites que c’est possible, que rien ne s’y oppose, mais que ça va coûter cher, et qu’il faut faire attention aux enjeux industriels. C’est très important, puisque nous sommes un Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. La question qui nous est posée porte sur le choix technologique du véhicule électrique.

La commission du développement durable et la commission des affaires économiques peuvent s’interroger sur la neutralité carbone de la mobilité. Mais ce n’est pas la question qui nous a été posée. La question posée est la suivante : le développement du véhicule électrique peut-il permettre l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2040 ? Votre réponse est positive, mais le coût sera élevé, pour toute une série de raisons. Je pense qu’il faudrait creuser un peu plus l’argument du coût, et les scénarios industriels, qui sont quand même assez vertigineux, par rapport à l’Europe, à la Chine, et aux États-Unis.

Il faut peut-être introduire un volet sur la vision mondiale. Longtemps, le véhicule automobile a été considéré comme un produit régional, au sens des grandes régions du monde. Aujourd’hui, c’est très clairement un produit mondial, mais, pour des raisons politiques, certaines régions du monde s’exonèrent. C’est le cas des États-Unis, et vraisemblablement, dans son sillage, de l’Amérique latine.

Le problème de l’Afrique est extrêmement délicat. Ce continent aspire au développement. Il en a besoin, compte tenu de sa démographie et du retard actuel. Le passage du thermique à l’électricité est-il possible ? Ce n’est pas la question qui nous est posée, mais on est obligé d’avoir un regard plus mondial. Comme vous le dites très justement, l’industrie automobile traditionnelle continuera à avoir des clients. Mais on ne sait pas très bien s’ils sont assez nombreux, solvables, et ouverts. Dans l’affirmative, il est évident qu’on est obligé de réfléchir à la coexistence d’une industrie automobile de type traditionnel, pour une partie du marché mondial, et d’une industrie automobile complètement décarbonée. Est‑ce souhaitable et est-ce possible ? Ne va-t-on pas arriver à une dispersion de moyens et d’investissements, au risque de perdre des deux côtés ? Les États-Unis, pays du thermique, et la Chine, pays de l’électricité, en deviendraient les leaders mondiaux. En restant entre les deux, nous ne serions assis nulle part.

Je pose cette question, que je complète par celles du problème industriel et du problème social sous-jacent. Dans l’évaluation d’un choix national, il faudrait plus tenir compte de l’environnement international dans lequel il s’opère, car cet environnement international va peser. Dans le même esprit, un choix national qui serait découplé des intérêts des grands pays européens, qui sont nos partenaires à l’intérieur de l’ensemble dans lequel nous vivons, paraît un peu dangereux. Il faudrait peut-être analyser plus finement ce que font effectivement les Allemands en Chine. Adhèrent-ils à l’évolution du marché chinois ? Vont-ils devenir chinois en Chine ? Je ne suis pas sûr que les Chinois les acceptent vraiment. Mais si tel est le cas, les Allemands seront assis confortablement dans le véhicule électrique en étant présents sur le marché chinois, tout en ayant suffisamment de tradition dans le thermique pour rester leaders pour une fraction du marché résiduel.

Dans cette affaire, je ne vois pas quelle devrait être la ligne stratégique française, s’il y en a une spécifique. Ce n’est pas à nous de donner la réponse, mais on peut poser la question. Vous l’évoquez à un moment, au détour de la formule de « l’Airbus des batteries », expression qui me navre toujours un peu. Pour Airbus, nous avons heureusement bénéficié d’un concours de circonstances tout à fait favorable. Peut-on le transposer aux batteries ? Je crois qu’il faudrait aller plus loin que vous ne l’avez fait sur la problématique pour dire : oui, c’est tentant, tout le monde y pense, quelles sont les conditions et quelles sont les urgences ? Une ambition nationale française ne devrait-elle pas, après une analyse mondiale, évaluer dans quelles conditions on peut développer une stratégie portant sur les batteries, puisque celles-ci représentent la moitié de la valeur ?

Vous l’esquissez à travers l’idée d’une nouvelle génération de batteries, vous l’esquissez également, avec l’IFPEN et le CEA, à travers l’hydrogène. L’hydrogène apparaît comme l’élément nouveau dans le rapport. Nous sommes familiarisés avec ces questions, mais l’opinion française ne connaît pas l’hydrogène, elle n’en a pas une image très favorable. L’image de la bombe à hydrogène est très négative. En France, des dizaines de sites revendiquent une compétence territoriale pour l’hydrogène : par exemple, les pôles de compétitivité comprennent souvent une dimension hydrogène. En réalité, en dehors des trois grands acteurs que sont Michelin, Air Liquide et sans doute un peu Total, l’hydrogène n’émerge pas encore. Il faudrait resituer cette réflexion sur l’hydrogène dans l’espace européen, pour savoir si d’autres pays font ce choix, et si ce serait une réponse européenne pour exister entre les États-Unis et la Chine.

Dans l’évaluation d’un tel choix technologique, il faut tenir plus compte de l’environnement international que de nos seules contraintes budgétaires, sociologiques et industrielles françaises. Ces contraintes budgétaires et industrielles, qui ont des conséquences sociales, ne sont pas négligeables, pour une raison très simple : l’industrie automobile, vous le dites très bien dans votre rapport, représente 440 000 salariés en amont de la production et à peu près autant, dans des unités beaucoup plus petites, dans la prestation de services. Je ne vois pas quel gouvernement pourrait, de gaieté de cœur, considérer un problème impactant 800 000 personnes sans leur donner le moindre espoir de s’en sortir. Quand, en tant que ministre chargé de l’industrie, j’ai « fermé » les dernières mines de charbon, elles n’avaient plus que 10 000 salariés, c’était relativement facile. Pourtant, mon ministère a été vandalisé plusieurs fois. Le Conseil régional de Lorraine tout autant. Je pense qu’on ne peut pas dire à 800 000 personnes qu’on est en train de programmer leur disparition, sans certitude de pouvoir les sauver, et sans perspective de nouveaux métiers.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Pourtant, il va falloir gérer cette disparition. La question est : comment le faire ?

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. En tout cas, je pense qu’on ne peut pas ne pas montrer l’importance de ce choix, et les questions sans réponse à cet instant.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Je suis très sensible à ce que vient de dire Gérard Longuet, en particulier sur la question de l’environnement international. Côté américain, on n’a aucun signe fort de transition.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Il y a certes Tesla, qui, à bien des égards, apparaît comme une aventure extraordinaire, que les Américains regardent d’ailleurs avec un mélange d’enthousiasme et de suspicion, le personnage d’Elon Musk contribuant à rendre les choses très conflictuelles. Mais enfin, ils l’ont fait. Ils ont surtout montré que l’entrée dans l’automobile par le haut de gamme est une meilleure porte que par le bas de gamme. C’est d’ailleurs comme cela que la France a échoué en Chine. J’ai inauguré la première usine Citroën à Wuhan, dans la province du Hubei, en 1993. La voiture construite était celle décidée pour les Chinois par les ingénieurs et les énarques du plan, en oubliant que les acheteurs seraient les premiers Chinois ayant réussi, et qu’ils désireraient de belles voitures pour montrer leur succès.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Le deuxième élément central qui est revenu plusieurs fois est bien sûr la question des batteries. On a évoqué la difficulté de construire un modèle économique face à l’Asie. Pour ce qui concerne les batteries, que conclure sur la question des ressources, de la durabilité, de la faisabilité, sur le long terme, à grande échelle, et aussi sur la question de la place de l’Europe ?

M. Antoine Herth, député. Concernant les batteries, il y a deux façons d’aborder le problème. Le rapport insiste sur l’angle « Airbus » des batteries, c’est-à-dire une production européenne de ces dernières. Renault avait tenté une autre piste, celle de la location de la batterie, l’utilisateur de la voiture n’en étant alors pas propriétaire. Une alternative pourrait consister à aborder le problème sous l’angle des marchands et des banquiers, en créant une « banque européenne de la batterie ». Dans un premier temps, cela permettrait de concentrer et de massifier la demande européenne en un point, pour être en situation de négocier avec les Chinois un peu mieux que si chacun le fait de son côté. Cela permettrait aussi de régler la question de la seconde vie des batteries. En réalité, on fixe un terme à la location et on sait qu’on récupère une batterie qui a encore du potentiel pour éventuellement servir de charge stationnaire, de relais dans les habitations.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. L’idée d’un parc européen de batteries est en tout cas une piste intéressante. Vous évoquez dans votre rapport une autre idée, celle du changement rapide de batteries standardisées.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Ma question suivante est dans la continuité : si l’on considère l’objectif de la décarbonation comme un objectif majeur pour l’évolution de la mobilité, si l’on pose les problèmes avec l’électricité, si l’on considère la fluidification du trafic dans les métropoles comme un autre objectif important, la voiture électrique ne sera pas la solution. Il faut globalement aller vers la mobilité partagée, ce qui veut dire un changement des usages, un changement de modèle économique et des réponses aux questions : à qui appartient la batterie ? Et la voiture ? Cela peut aussi se traduire par un passage du B2C (business to customer) au B2B (business to business), ou par le développement de modèles tels que le covoiturage. A-t-on des pistes sérieuses sur la façon dont cela impacte les hypothèses économiques des scénarios ?

M. Claude de Ganay, député. Il faut aussi évoquer cette question pour les véhicules militaires, et toutes les filières stratégiques pour notre sécurité. À l’heure où l’on se lance dans un programme ambitieux de renouvellement de nos véhicules militaires, le choix stratégique de supprimer le diesel à terme interpelle beaucoup le service des essences des armées (SEA). Nos véhicules au Sahel roulent tous au diesel, acheminé par le SEA. C’est le seul moyen pour eux de fonctionner. Il s’agit d’un service reconnu dans le monde entier. Ce service unique alimente à la fois nos bateaux, nos avions et nos véhicules militaires. Je m’interroge sur la possibilité d’introduire cette réflexion dans le rapport. Elle n’est pas sans conséquences sur notre sécurité. Est-ce que nous devrons utiliser des véhicules Toyota au Sahel, au Niger, et en Mauritanie ? Ces véhicules sont très lourds, avec des consommations importantes de carburant.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Je rappelle que la guerre est encore bien plus dangereuse à court terme que le réchauffement climatique : elle est faite pour tuer des adversaires. Je pense que les considérations liées à l’environnement ralentiront peu les états-majors qui chercheront toujours les meilleurs équipements. On restera donc sur le diesel, cela me paraît une évidence. Aussi suis-je d’accord pour demander de rappeler dans notre rapport qu’un certain nombre d’usages du thermique, pour des raisons diverses et variées, demeureront, et exigent de garder une compétence et une capacité d’évolution.

M. Philippe Bolo, député. J’ai une question technique simple et rapide. Au départ, la lettre de mission parlait aussi de neutralité carbone. Dans votre rapport, ne faudrait-il pas un indicateur synthétique, qui pourrait évaluer l’efficience-carbone des différents scénarios ? Cet indicateur pourrait considérer le gain en émissions de CO2, divisé par le montant en euros qu’il faut investir dans la filière, et ainsi permettre de comparer l’efficience relative. Par ailleurs, ce ratio pourrait être rapporté à un prix du carbone.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. C’est d’autant plus vrai que vous indiquez dans votre rapport qu’il faut maintenir la trajectoire carbone, avec au final une hypothèse de prix au litre de 2,50 euros, ce qui est de nature à relancer les contestations sociales actuelles.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Les scénarios présentent la diminution des émissions de CO2 dans le temps, mais ce serait effectivement aussi faisable de cette façon, et peut-être plus lisible.

En réponse à la question sur le périmètre de la mission, les véhicules militaires, les avions et les bateaux ne font pas partie de la saisine, mais nous avons commencé à y réfléchir, notamment sur l’utilisation du carburant pour les poids lourds. Nous allons essayer d’ajouter une partie concernant les poids lourds. Ce sujet mériterait cependant d’être approfondi par la suite.

Vous avez raison de poser la question des véhicules diesel résiduels à horizon 2040, nous avons d’ailleurs aussi interrogé les Norvégiens à ce sujet lors de la mission. En Norvège, la politique est axée sur les véhicules électriques, même si les Norvégiens savent aussi produire de l’hydrogène. Nous avons demandé si le parlement norvégien utilisait des véhicules électriques. Nos interlocuteurs ont répondu que ce n’était pas le cas, pour des raisons de sécurité, si ce n’est à titre individuel. C’est encore plus compliqué pour les ministres et le roi. Il faudra le gérer dans un second temps. Au mieux, ils utiliseront des véhicules hybrides rechargeables !

Concernant l’idée d’une banque européenne des batteries, il faut prendre en compte la difficulté de leur recyclage. Les fabricants de véhicules savent recycler les carcasses des batteries. Pour être performants dans le domaine du recyclage des batteries, il faudrait que les entreprises qui produisent des batteries, ou qui les utilisent dans leur offre de véhicules, puissent se coordonner étroitement avec les acteurs du recyclage. Une banque européenne des batteries devrait aussi prendre en compte cette question, ainsi que celle de la seconde vie des batteries, pour un usage sur les réseaux électriques, en lien avec les énergies renouvelables. C’est probablement au vu de tous ces aspects qu’il faut juger de la pertinence d’une banque européenne de la batterie.

Concernant « l’Airbus de la batterie » et les différents intérêts à l’échelle européenne, le graphique des investissements montre bien la position de la France en regard de celle de l’Allemagne, qui investit beaucoup plus en Chine. L’idée de l’Airbus de la batterie aujourd’hui nous semble pertinente, parce qu’il semblerait qu’avec les batteries lithium-ion à électrolyte liquide, le transport pose problème. « L’Airbus de la batterie » vise une production de proximité. On peut imaginer implanter des usines de production dans différents pays européens, au plus près des constructeurs. Mais pour cela, il faut une organisation entre les constructeurs au niveau européen, sachant que tous les pays n’ont pas de constructeurs automobiles.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Pour le coup, cela recoupe l’idée d’une infrastructure européenne. Savez-vous au-delà de quelle distance le transport de l’électrolyte liquide pose problème ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Ce sujet a été évoqué lors de notre visite au CEA Grenoble, mais sans qu’il nous ait été précisé de distance. Les composants liquides supportant mal la pression en avion, ils sont transportables uniquement par la mer ou la route. Ces problèmes seraient résolus avec un électrolyte solide.

Ensuite, il faut mesurer la pertinence de l’Airbus de la batterie par rapport aux ambitions de l’Allemagne, sur lesquelles il faut rester vigilant. La plus grande entreprise chinoise projette déjà de fabriquer des batteries en Allemagne. Au regard de l’investissement en Chine, il faudrait creuser, pour savoir quelles sont leurs intentions et leurs ambitions dans cet Airbus de la batterie. Le volet international est effectivement très important.

Vous avez évoqué la complexité de la gestion prévisionnelle des emplois dans l’automobile, et aussi de la transformation des entreprises pour la production de véhicules électriques ou hybrides, à terme. C’est ce qui nous a conduits à retenir comme première mesure le respect de la neutralité technologique.

Vous avez également posé la question de la transition du pétrole vers d’autres énergies. En Norvège, les pétroliers ont beaucoup investi dans la décarbonation des moyens de transport, ce qui a facilité le fort développement du véhicule électrique dans ce pays. En France, nous avons des constructeurs automobiles, des équipementiers, donc un secteur industriel à gérer. Ce n’est pas le cas de la Norvège, qui ne produit pas, mais importe. En France, si l’État doit investir dans le domaine de la batterie sans mettre tout de suite de règles pour supprimer les véhicules thermiques, on risque de bloquer l’industrie.

À propos de la suprématie des États-Unis sur le moteur thermique, un interlocuteur industriel nous a clairement dit que si la France interdit tout de suite les moteurs thermiques, ceux-ci seront fabriqués dans d’autres pays, où le marché existe.

Dans nos recommandations nous préconisons la neutralité technologique pour laisser les constructeurs choisir les solutions les plus propres. Cela implique aussi qu’ils s’engagent à continuer dans la démarche de décarbonation. Sinon, ils conserveraient leurs solutions actuelles.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Dans le cas d’Airbus, il existe une spécificité de l’aéronautique. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne était, en quelque sorte, interdite d’industrie aéronautique. Elle n’a pu la reconstruire, pour le civil, qu’en acceptant de s’inscrire dans une structure européenne, au sein de laquelle la France avait une position de leader, et, pour le militaire, en construisant des appareils américains sous licence. Dans tous les autres secteurs, l’Allemagne est au contraire en position dominante, ce qui est particulièrement vrai dans l’automobile. Les raisons politiques qui ont permis d’obliger les Allemands à entrer dans cette coopération européenne n’existent pas dans tous les secteurs. C’est la raison pour laquelle je suis dubitatif quand on parle d’» Airbus des batteries ». Ce serait formidable, à condition que l’entente politique soit possible.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Ce terme est impropre, comme cela a bien été dit lors des auditions. Mais tout le monde comprend bien de quoi il s’agit. Il vise une alliance européenne pour une industrie de nouvelle génération de batteries.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Vous avez aussi évoqué la question de l’hydrogène. Même si nous ne l’avons peut-être pas écrit de cette façon, nous pensons que les deux domaines où l’Europe peut avoir un certain leadership sont la batterie de deuxième génération et l’hydrogène.

En Norvège, lorsque nous avons visité un centre de production d’hydrogène, il nous a été indiqué que l’État ne s’y intéressait pas. Nous pensons que l’hydrogène fait partie des sujets à creuser en France, même si, comme le montrent les scénarios Médian et Pro-batterie, l’hydrogène ne se développe pas sans un effort particulier. Au niveau international, rien n’indique une ambition particulière en faveur de l’hydrogène. Ce pourrait être un second axe pour la France.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Rappelons aussi que la Norvège a une production d’électricité inépuisable, complètement verte, et peut donc se passer des autres sources d’énergie. Ces différentes questions vont être prises en compte et seront traitées dans le rapport définitif qui sera livré la semaine prochaine. Nous creuserons notamment les questions des investissements à l’étranger et du contexte international, pour donner suite aux remarques du président.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Il me semblerait pertinent que les deux commissions compétentes de l’Assemblée nationale se posent la question de la neutralité carbone en dehors de l’électricité, c’est-à-dire des biocarburants. D’ailleurs, il faudra également mobiliser les commissions du Sénat compétentes,

L’idée des biocarburants, tels que le bio-gazole ou le bio-essence, peut sembler étrange, dans la mesure où notre culture nous pousse à considérer que la terre est faite pour nourrir les hommes, non pour alimenter les machines. Mais certains espaces gagneraient à être organisés pour une culture industrielle. Certes, pour le coton, il y a eu des exagérations, notamment dans l’ancienne Union soviétique. Mais que la terre serve à des produits industriels n’est pas philosophiquement inacceptable, dès lors que tous peuvent être nourris. Cela pose aussi le problème de la performance génétique des plantes. Mais il s’agit d’un autre débat. On ne peut pas tous les ouvrir ce matin.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. La question de la place de l’hydrogène est un sujet important, qu’il sera intéressant de suivre, tout comme celui des biocarburants. Dans les deux cas, il faut se poser la question de la souveraineté économique à l’échelle européenne. Je ne crois pas avoir entendu d’éléments de réponse sur la question de la mobilité partagée et de son influence. Mais peut-être est-ce un sujet d’une trop grande complexité ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. C’est d’une grande complexité du fait qu’il s’agit d’analyser des changements de comportement, qu’il n’est pas facile de faire évoluer. Le véhicule partagé implique beaucoup de changements au quotidien, et cela dépasse le cadre de notre étude.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de lOffice. Vous devez présenter ce rapport mercredi matin prochain devant les deux commissions de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire dans moins de six jours. Nous vous faisons confiance pour tenir compte de nos observations dans votre texte, sachant que les points de vue personnels ne seront pas les points de vue de l’Office. En complément, ceux d’entre nous qui souhaiteraient présenter une note personnelle pourraient la faire figurer en annexe au rapport.

Dans ces conditions, je propose que nous autorisions dès aujourd’hui la publication du rapport.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Une fois que la nouvelle version sera prête, le secrétariat de l’Office la transmettra aux membres, les éventuelles remarques étant les bienvenues. Je voulais répondre à la question de Cédric Villani sur les mobilités partagées. Nous avons tenu une audition publique avec différents acteurs, notamment quelques entreprises et associations du Lot et du Maine-et-Loire. Dans les territoires, l’organisation de la mobilité est faite aujourd’hui sur la base de véhicules individuels, propres ou non. Dans le futur, pour augmenter la pénétration des véhicules électriques dans la vie des citoyens, il faut aussi organiser le covoiturage, en faisant par exemple en sorte que les maires puissent aménager des voies spécifiques avantageuses pour ces véhicules, et aussi que les entreprises mettent à disposition des salariés les véhicules électriques de leur parc pour le covoiturage. Le but n’est pas de mettre une seule personne dans chaque véhicule. Le CEA et l’IFPEN l’évoquent aussi dans leur rapport, mais c’est un sujet en débat. Cela fait partie des évolutions qui contribueront à ce que, dans le futur, les émissions de CO2 diminuent.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de lOffice. Cela participera à la fois à la fluidification des transports et à la diminution des émissions carbone. La mise en place constitue effectivement une affaire complexe, avec des modèles économiques à expérimenter, à construire, des aires de covoiturage, des sociétés de covoiturage, etc.

LOffice autorise la publication du rapport sur les scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif dun arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040.


   Liste des personnes entendues

I. AUDITIONS INDIVIDUELLES

Liste présentée par ordre chronologique des auditions

– M. Damien Siess, directeur stratégie et prospectives et M. Mathias Laffont, responsable affaires économiques et mobilité, Union française de l’électricité (UFE)

– M. Benjamin Topper, président et fondateur, WATTSTRAT

– M. Joseph Beretta, président, AVERE France

– M. Gilles Bernard, président, Association française pour l’itinérance de la recharge électrique des véhicules (AFIREV)

– M. Patrick Corbin, président, et Mme Madeleine Lafon, directrice des affaires publiques et communication, Association française du gaz (AFG)

– M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité, et Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles, GRT-Gaz

– M. Gilles Durand, secrétaire général de l’Association française du gaz naturel véhicule (AFGNV)

– M. le professeur Daniel Hissel, directeur de la Fédération de recherche FCLAB (FR CNRS 3539)

– M. Pierre Germain, directeur associé, et M. Nicolas Meillant, consultant sénior, E-CUBE

– M. François Moisan, directeur exécutif stratégie de recherche et international, M. Johan Ransquin, directeur adjoint ville et territoires durables, et M. Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilités, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

– M. Vincent Mages, directeur adjoint des affaires européennes et internationales, M. Guillaume de Smedt, directeur marketing et stratégie, Mme Aliette Quint, director, global regulations and public affairs, M. Paul‑Edouard Niel, responsable affaires publiques, Air Liquide

– M. Jean-Guy Devezeaux, directeur de l’Institut de technico-économie des Systèmes énergétiques (I-Tésé), M. Thierry Priem, directeur scientifique du Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN), et M. Jean-Pierre Vigouroux, directeur des relations institutionnelles, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

– M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, ministère de la Transition écologique et solidaire

– M. François Kalaydjian, directeur de la direction économie et veille, Mme Brigitte Martin, directrice adjointe du centre de résultats transports, et Mme Armelle Saniere, directrice des relations institutionnelles, IFP Énergies nouvelles (IFPEN)

– M. Patrick Criqui, directeur de recherche émérite, Laboratoire d’économie appliquée de Grenoble (GAEL), CNRS

– M. Fabio Ferrari, premier vice-président, animateur de Mobilité hydrogène France (MHF), et CEO de SYMBIO, et Mme Christelle Werquin, déléguée générale, Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

– M. Patrice Simon, professeur à l’Université Paul Sabatier – Toulouse III, matériaux pour le stockage électrochimique de l’énergie ; directeur de l’Institut de recherche européen ALISTORE et directeur adjoint du réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie

– M. Alain Bossard, responsable de la communication, Motor Development International (MDI)

– M. Francis Bartholomé, président, M. Xavier Horent, délégué général, Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), et M. Rémi Cornubert, associé sénior, ADVANCY

– M. Rémi Bastien, président, MOVEO/VEDECOM

– Mme Anne-Gaëlle Simon, déléguée générale adjointe, et M. Jean‑Sébastien Barrault, président, Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV)

– M. Marc Mortureux, directeur général, et M. Jean-Luc Brossard, directeur recherche et développement, Plateforme automobile (PFA)

– M. Sébastien Grellier, directeur de la communication, et Mme Stéphanie Tumerelle, responsable communication, TOYOTA France

– M. Laurent Antoni, directeur du programme « Hydrogène et piles à combustible », Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN), et M. Stéphane Laveissière, service des affaires publiques, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

– Mme Marine Gorner, senior transport and energy analyst, et M. Pierpaolo Cazzola, senior transport and energy analyst, Agence internationale de l’énergie

– M. François de Charentenay, consultant, ancien directeur des recherches et affaires scientifiques du groupe PSA, M. Christophe Midler, directeur de recherche au CNRS, Centre de recherche en gestion de l’Ecole polytechnique-Institut interdisciplinaire de l’innovation et professeur à l’école polytechnique, et M. Paul Parnière, membre du conseil d’administration de l’Institut supérieur de l’automobile et des transports, délégué territorial Sud-Ouest de l’Académie des technologies, Académie des technologies

– M. Frédéric Busin, directeur développement clients et services, Mme Louise Vilain, pilote Cap2030 stockage d’électricité et chef mission mobilité électrique, et Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques, EDF

– M. Jean-Philippe Hermine, directeur du plan environnement, et M. Nicolas Tcheng, chargé des relations avec le Parlement, Groupe Renault

– M. Gilles Le Borgne, directeur de la qualité et de l’ingénierie, et M. Laurent Fabre, délégué aux institutions publiques, Groupe PSA

– M. Bertrand de Singly, délégué stratégie, Mme Véronique Bel, délégué projet mobilité, et Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles, GrDF

– M. Francis Vuibert, préfet honoraire, coordinateur interministériel pour la mobilité électrique

– M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association, et Mme Charline Dufournet, chargée des relations publiques et européennes, NEGAWATT

– M. Dominique Lagarde, responsable mobilité électrique, M. Pierre Guelman, chef des relations institutionnelles, et Mme Géraldine Paloc, chargée de mission auprès du directeur du programme mobilité, ENEDIS

– M. le docteur Romain Ravaud, président-directeur-général, WHYLOT

– M. Jean-Guy Devezeaux, directeur, Mme Elisabeth Le Net, ingénieur-chercheur, Institut de technico-économie des Systèmes énergétiques (I-Tésé), et Mme Florence Lefebvre-Joud, adjointe au directeur, en charge des activités scientifiques, Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN), Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

– M. François Kalaydjian, directeur de la direction économie et veille, M. Gondia Seck, modélisation des systèmes énergétiques, et M. Cyprien Ternel, chef de projet transport et mobilité, IFPEN

– M. Fawzi Nashashibi, PhD-HdR, responsable de l’équipe RITS (Robotics for Intelligent Transportation Systems), INRIA

– M. Fabrice Denoual, directeur général délégué, ALD Automotive

– M. Charles Aronica, directeur général, et M. Hugues Boucher, chargé d’affaires Innovation et Environnement, Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)

– Mme Colette Genin, directrice conseil, TADDEO

– M. Benoît Daly, secrétaire général, Fédération nationale du transport routier (FNTR)

– M. Yannick Perez, professeur associé à CentraleSupélec, chercheur associé à la Chaire Armand Peugeot, et maître de conférences HDR- RITM, Université Paris-Sud

– M. Yannick Legay, directeur technico-commercial, et M. Damien Cabarrus, responsable des affaires publiques, ALSTOM

– M. Éric Nottez, président, Société nouvelle d’affinage des métaux (SNAM)

– M. Patrick de Metz, directeur des affaires environnementales et gouvernementales, SAFT

– M. Christian Peugeot, président, et M. Nicolas Le Bigot, directeur technique et environnement, Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA)

– M. Samuel Leré, responsable environnement et mondialisation, Mme Marie Chéron, responsable mobilité, et Mme Marjorie Fontès, pôle scientifique et technique, Fondation pour la nature et l’homme (FNH)

– M. Marc Mortureux, directeur général, Plateforme Automobile (PFA), et M. Frédéric Martin, directeur des relations techniques Renault-Nissan-Mitsubishi, président du Conseil pour la standardisation technique automobile, Plateforme Automobile (PFA)

– M. Jean-Marc Lange, directeur des affaires publiques de Renault Trucks

 

II. AUDITION PUBLIQUE DU 29 NOVEMBRE 2018

Les collectivités locales face au défi du déploiement des infrastructures de recharge des véhicules électriques

Première table ronde : Létat des lieux des infrastructures de recharge dans les territoires, et les besoins à venir

– M. Francis Vuibert, préfet honoraire, coordinateur interministériel pour la mobilité électrique

– M. Jean-Luc Davy, président de l’Association des maires de France du Maine-et-Loire (AMF49) et du Syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire (SIEML)

– M. Jean-Clair Fayolle, directeur général des services, Fédération départementale d’énergie du Lot (FDEL)

– M. Emmanuel Charil, directeur général des services, Syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire (SIEML)

– Mme Meryl Parisse, en charge du projet mobilité, et M. Philippe Issart, administrateur, représentant le président, FIGEACTEURS

 

Seconde table ronde : Les perspectives doptimisation du déploiement des infrastructures de recharge

– M. Joseph Beretta, président, AVERE-France

– M. Gilles Voiron, chercheur CNRS, université de Nice Sophia Antipolis

– Mme Juliette Antoine-Simon, directrice générale, IZIVIA

– Mme Géraldine Paloc, chargée de mission auprès du directeur du programme mobilité, ENEDIS

M. Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

 

III. MISSION EFFECTUÉE AU LABORATOIRE DINNOVATION POUR LES TECHNOLOGIES DES ÉNERGIES NOUVELLES ET LES NANOMATÉRIAUX (LITEN)

– Mme Florence Lambert, directeur

– Mme Hélène Burlet, directrice adjointe

– Mme Delphine Cherpin, adjointe au chef du département des technologies solaires (DTS)

– M. Arnaud Delaille, expert Batterie, DTS

– M. Franck Bourry, chef du laboratoire des systèmes électriques

– M. Christophe Lefebvre, responsable programme véhicules électriques

– Mme Julie Mougin, chef du laboratoire des technologies de l’hydrogène (LTH)

 

IV. MISSION EFFECTUÉE EN NORVÈGE

– Mme Annie Pin, présidente Norvège, ALD AUTOMOTIVE

– M. Ulf-Tore Hekneby, directeur, Harald A. Møller AS, Møller Mobility group

– M. Per-Andre Torper, vice-directeur général, et M. Arnhild Wartiainen, consultant sénior, section de l’environnement, ministère des Transports et des communications norvégien

– M. Pål Gystad Simonsen, ex-président, TESLA NORDICS

– M. Vegard Bøe, consultant, Morten Edvardsen, consultant, et Mme Silje Fines Wannebo, PR et consultante, Norsk elbilforening

– M. Gunnar Lindberg, directeur, et M. Erik Figenbaum, directeur de recherche, Transportøkonomisk institutt (TØI)

– M. Sture Portvik directeur e-mobility, ville d’Oslo

– M. Helge Orten, membre du parti Conservateur (Høyre), président de la commission des Transports et communications du Parlement norvégien (Storting)

– M. Per-Espen Stoknes, membre du parti des Verts (Miljøpartiet De Grønne), ancien membre de la commission Energie et environnement, suppléant au Parlement norvégien

– M. Johan Christian Hovland, vice-président communication & PR, HAFSLUND E-CO

– M. Jan Bråten, consultant, STATNETT, chargé du projet R&D « Alternatives to expanding the power grid »

– M. Ulf Hafseld, PDG, HYOP

– M. Jean-François Dobelle, Ambassadeur de France en Norvège

– M. Emmanuel Gabla, chef du service économique, et Mme Sarah Morvan, chargée de missions, service économique, Ambassade de France en Norvège

– M. Jean-Michel Portefaix, attaché scientifique, Ambassade de France en Norvège


   ANNEXES



   Compte rendu de l’audition publique
du 29 novembre 2018

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. En ma qualité de président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, je vous souhaite la bienvenue dans cette salle Lamartine.

Je salue la présence d’Huguette Tiegna, députée du Lot, et de Stéphane Piednoir, sénateur du Maine-et-Loire, les deux rapporteurs qui ont travaillé sur ce sujet d’actualité, à l’heure où nos compatriotes s’interrogent sur le modèle de transport à venir.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres, qui laissent entrevoir l’importance du défi : la France compte à cet instant quelque 39 millions de véhicules, soit autant que d’habitants en 1940, dont 83 % de véhicules particuliers et 17 % de véhicules de flottes, ce dernier parc, non négligeable, pouvant jouer un rôle de déclencheur. Ces 39 millions de véhicules fonctionnent pour 94 % d’entre eux à l’essence et au diesel, pour 4,6 % avec un moteur hybride, et pour 1,2 % avec un moteur exclusivement électrique. Il reste donc, pour parvenir, comme d’aucuns le souhaitent, à arrêter en 2040 la commercialisation des véhicules à essence et à diesel, un long chemin à parcourir.

Les collectivités locales se sont très fortement impliquées pour préfigurer les besoins en alimentation électrique des voitures électriques à batteries. On peut également imaginer des voitures électriques utilisant des piles à combustible, mais ceci supposerait une autre forme d’alimentation.

L’objectif du travail de nos deux rapporteurs et de cette audition qu’ils vont animer en présidant les différentes tables rondes vise à répondre à des questions de bon sens : quels sont les besoins ? Ont-ils déjà été évalués ? Où faudra-t-il localiser les infrastructures au fur et à mesure du développement du parc de véhicules électriques ? Quels seront les rôles respectifs des collectivités territoriales et des opérateurs privés dans leur déploiement ? Quelles sont les technologies disponibles et à quel coût ? J’ajouterai une question sur le stockage électrique diffusé par l’automobile. Se pose peut-être également, indirectement, la question de la pile à combustible, de la maturité de cette technologie, et de la probabilité de sa diffusion. J’émets en outre personnellement, en tant que passionné, le vœu que si la commercialisation des véhicules à essence et à diesel cesse, il reste néanmoins possible, de façon marginale et parfaitement exceptionnelle, de continuer à entendre de temps à autre le vrombissement de certaines de ces belles mécaniques, à condition que ceci ne déséquilibre pas l’atmosphère.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l’Office. C’est un grand plaisir, chers collègues, experts et invités, que de vous accueillir ici au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur un sujet de si grande importance.

Ce sujet, que nous évoquons aujourd’hui pour élaborer des scénarios dans la perspective de l’arrêt de la vente des véhicules fonctionnant avec des énergies fossiles d’ici à l’horizon 2040, répond à l’annonce ambitieuse faite dans ce domaine par le Gouvernement en juillet 2017. Elle mérite d’être évaluée non seulement au plan du symbole, mais aussi au niveau technique : comment procéder, dans le détail, pour atteindre un tel objectif ? Par le passé, il est en effet arrivé que certaines grandes ambitions, écologiques par exemple, n’aient pas pu, bien que portées par des annonces gouvernementales ou par la loi, se réaliser, tout simplement parce que l’on avait omis de se poser la question de la faisabilité technique, des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Force est de constater que les études d’impact des projets de loi sont souvent indigentes sur ces aspects. En attendant une révision en profondeur des processus décisionnels étatiques en la matière, nous avons ici l’opportunité de compléter l’annonce du Gouvernement par une étude prenant en compte l’ensemble des éléments, et répondant à des préoccupations évidentes du Parlement ainsi que des citoyens. Les paramètres étudiés doivent non seulement concerner la production des véhicules eux-mêmes, mais aussi l’environnement, la recharge, et la question de l’acceptabilité sociale et économique.

Compte tenu des délais impartis, et de l’expertise dont nous disposions, il nous est apparu nécessaire, lorsque nous avons décidé de traiter ce dossier, de faire appel à une aide extérieure pour l’instruction technique des différents scénarios. Ce soutien va nous être fourni, après appel d’offres en bonne et due forme, par un consortium composé du Comité à l’énergie atomique (CEA) et de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). Je remercie à ce propos la questure, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, d’avoir validé les dépenses supplémentaires liées à cette expertise extérieure, préfigurant ce que pourrait être un fonctionnement ultérieur du Parlement, avec des agences techniques à disposition, pour instruire les dossiers à l’interface de la technologie et de la politique, avec toute la rigueur qui convient.

Enfin, j’insisterai sur le travail important réalisé par nos co-rapporteurs, qui ont effectué une visite en Norvège riche d’enseignements, mené de nombreuses auditions. Ils pourront nous faire part de l’avancement de leurs travaux sur l’ensemble de ce dossier.

M. Gérard Longuet. Que faut-il penser de la pile à combustible et de l’hydrogène ?

M. Cédric Villani. Il est clair que l’hydrogène ne doit pas être oublié dans la liste des pistes prometteuses, mais je ne suis pas expert pour répondre à cette question.


Létat des lieux des infrastructures de recharge dans les territoires et les besoins à venir

Présidence : Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Mesdames, Messieurs, chers collègues, je tiens tout d’abord à vous souhaiter à mon tour la bienvenue à l’Assemblée nationale, dans cette salle Lamartine particulièrement propice au débat.

Je remercie le président et le premier vice-président pour l’ouverture de cette audition, au cours de laquelle ils nous ont présenté les grands enjeux du développement des véhicules électriques, qui sont au cœur de notre étude.

Compte tenu du nombre conséquent de scénarios et d’études, menés par différentes associations et entreprises, publiés sur le sujet de la mobilité, nous avons décidé, avec mon co-rapporteur Stéphane Piednoir, sénateur du Maine-et-Loire, de recenser ces travaux, et d’en proposer des synthèses. Lorsque nous avons, à cette occasion, identifié des divergences sur certaines questions, parmi lesquelles celle relative aux émissions de dioxyde de carbone, nous avons procédé à des comparaisons, en espérant que ce travail complémentaire pourra contribuer à éclairer nos collègues parlementaires et nos concitoyens.

Concernant le sujet de cette première table ronde, nous avons constaté, à l’occasion des échanges menés dans le cadre de notre étude et dans nos départements respectifs, que l’une des questions la plus souvent évoquée était celle des bornes de recharge. En effet, la mise en place d’une infrastructure de recharge des véhicules électriques est l’une des conditions essentielles à leur développement. À cet égard, il nous a semblé particulièrement important d’entendre aujourd’hui les acteurs de terrain, qui sont directement confrontés à cette question. Il s’agit d’une très lourde responsabilité, portée par les collectivités locales. Je pense que cette table ronde va montrer qu’elles savent, même si leurs moyens sont souvent limités, apporter de véritables solutions, adaptées aux particularités de leurs territoires. Les besoins ne sont évidemment pas les mêmes partout, et il est important de prendre en compte les spécificités sociales, économiques et géographiques.

Je rappelle que chacun des intervenants dispose au plus de huit minutes pour exposer son point de vue. Il est important de veiller à ne pas dépasser le temps imparti, afin de permettre un échange, sous forme de questions et de réponses, à la fin des interventions.

Je donne sans plus attendre la parole à M. Francis Vuibert, préfet honoraire et coordinateur interministériel pour la mobilité électrique, qui joue depuis plusieurs années un rôle central pour la mise en place des infrastructures de recharge des véhicules électriques. Je le remercie d’avoir accepté de nous rencontrer une première fois pour une audition privée, et de venir à nouveau s’exprimer aujourd’hui.

Interventions

M. Francis Vuibert, préfet honoraire, coordinateur interministériel pour la mobilité électrique. Compte tenu du temps imparti, je vais me contenter, en introduction, de dresser un état des lieux qui servira de base à nos échanges.

L’engagement de la France pour un renouveau de la mobilité électrique remonte à 2010. Il fut à l’époque considéré par certains observateurs comme une singularité hexagonale. Est-il nécessaire de rappeler que le marché du véhicule électrique est devenu, depuis lors, un enjeu mondial, dans lequel s’engouffrent tous les constructeurs automobiles, avec de véritables stratégies de conquête ?

La loi de juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a donné compétence aux communes pour créer et entretenir les infrastructures de recharge nécessaires à l’usage des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, sous réserve d’une offre inexistante, insuffisante, ou inadéquate sur leur territoire, ce qui était manifestement le cas en 2010. Alors que les premiers véhicules électriques de nouvelle génération arrivaient à peine dans les concessions automobiles, l’État a mis en place dès 2011, puis en 2013, des dispositifs d’accompagnement financiers, gagés sur le Programme d’investissements d’avenir (PIA), et opérés par la Caisse des dépôts et consignations, puis par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), afin d’encourager l’émergence de réseaux territoriaux d’infrastructures de recharge portés par les collectivités territoriales. Depuis, naturellement, d’autres acteurs, notamment privés, ont également développé des réseaux d’infrastructures.

Quelle est aujourd’hui la situation du réseau national d’infrastructures de recharge ?

Le premier recensement disponible, datant de juillet 2012, faisait état de 1 800 points de recharge identifiés accessibles au public. Au 15 novembre 2018, on dénombre 10 152 stations de recharge ouvertes au public, ce qui représente 23 318 points de recharge. Je précise qu’une station peut compter une ou plusieurs bornes, offrant chacune un ou deux points de recharge, avec éventuellement la capacité à recharger simultanément plusieurs véhicules. Ce recensement correspond à un ratio d’un point de recharge pour 6,7 véhicules électriques actuellement en circulation dans notre pays. Je rappelle à ce propos que la directive européenne de 2014 sur les carburants alternatifs mentionnait, à titre indicatif, que le ratio adéquat devrait être d’un point de recharge pour dix véhicules électriques en circulation.

Selon une analyse effectuée en septembre 2018, 67 % des stations de recharge ouvertes au public en France ont été aménagées par des collectivités territoriales, essentiellement des syndicats départementaux d’énergie, avec le concours financier de l’État. Ces réseaux assurent un maillage territorial dans 70 départements métropolitains. Ils sont complétés par des stations de recharge mises en place par des opérateurs privés, parmi lesquels des concessions automobiles, des enseignes de grande distribution ou des gestionnaires de parkings. On notera que, depuis la clôture des appels à projets de l’ADEME en 2017, d’autres territoires, régions, départements, syndicats départementaux d’énergie, et établissements publics de coopération intercommunale, se sont engagés dans la création et l’installation de nouveaux réseaux d’infrastructures de recharge, ce qui signifie que les zones blanches apparaissant sur certaines cartes continuent de diminuer de façon notoire, puisque je n’ai à ce jour identifié que sept départements pour lesquels je n’ai connaissance d’aucun projet d’installation de bornes.

Sur le réseau autoroutier national, après l’achèvement en 2016 du réseau de recharge Corri-Door, porté par SODETREL, devenu IZIVIA, de nouvelles stations pouvant délivrer de la très haute puissance commencent à être installées sur les aires de service, avec une perspective de plus de 200 stations supplémentaires d’ici à 2022.

Concernant les points de recharge privés, une estimation réalisée par ENEDIS fait état, au premier trimestre 2018, de 91 800 points de recharge installés dans les entreprises pour alimenter les flottes automobiles, et de 68 900 situés chez des particuliers.

Mme Huguette Tiegna. Je vous remercie, M. Vuibert, pour ce propos introductif. La parole est à présent à M. Jean-Luc Davy, qui va s’exprimer essentiellement en tant que président de l’Association des maires de France du Maine-et-Loire. Il est également président du syndicat intercommunal d’énergies de ce département.

M. Jean-Luc Davy, président de lAssociation des maires de France du Maine-et-Loire (AMF49) et du Syndicat intercommunal dénergies de Maine-et-Loire (SIÉML). Nous sommes très heureux de participer à cette audition, afin de vous apporter notre témoignage et de vous faire part des actions menées dans le Maine-et-Loire.

Je suis président de l’Association des maires de Maine-et-Loire, département qui compte un peu plus de 800 000 habitants. Il s’organise autour de trois grandes agglomérations, Angers, Cholet et Saumur, ainsi que d’un tissu rural maillé d’unités urbaines importantes. Il nous a semblé voici quelques années, suite à une rencontre avec le préfet Vuibert et aux expériences menées dans les départements voisins, notamment la Vendée et l’Indre-et-Loire, qu’il serait intéressant que le syndicat intercommunal d’énergies du Maine-et-Loire se saisisse de la question de la mobilité électrique, avec un plan de déploiement couvrant l’ensemble du département. Ce chantier s’est traduit par la pose de la première borne en 2015 et s’est achevé début 2017.

Le réseau départemental d’infrastructures de recharge de véhicules électriques, baptisé SmiléMobi (Smilé étant l’anagramme de SIÉML), est aujourd’hui parfaitement équilibré et interopéré. Je précise que cette opération s’effectue en pleine concertation avec notre concessionnaire ENEDIS, dont je salue les représentants. Nous avons ainsi implanté dans le Maine-et-Loire 186 bornes et 18 kilovoltampères (kVA), dites « bornes accélérées », chacune munie de deux points de charge. Le réseau est ainsi assez homogène, avec la présence d’au moins une borne tous les vingt kilomètres, soit une borne au minimum sur chacun des 41 anciens cantons du département, en fonction de la densité urbaine. La ville d’Angers compte par exemple 18 bornes.

Ce premier plan 2016-2017 vient d’être complété fin 2017 avec l’implantation de dix bornes rapides, disposant de trois standards de prises : type 2, Combo et ChadeMo. Les 186 bornes accélérées impliquent que les automobilistes aient dans leur coffre le câble de recharge, tandis que les bornes rapides sont, sur le modèle des stations-service, munies des trois câbles, selon le type de prise nécessaire.

Nous avons dès le départ décidé d’une tarification sur l’ensemble du service de recharges, considérant que l’investissement de deniers publics impliquait en retour une participation de l’utilisateur. Deux systèmes ont ainsi été conçus pour l’utilisation des bornes accélérées : d’une part un badge RFID, avec un système d’abonnement souscrit auprès de notre concessionnaire sur cette application, Bouygues énergies et services, d’autre part une application pour l’itinérance, sur smartphone, avec un paiement par carte bancaire. Pour les bornes rapides, a également été mis en place, outre le système RFID (Radio-frequency identification), un dispositif de paiement par carte bancaire. À titre d’exemple, une heure de connexion coûte un peu moins de 4 euros.

Ce réseau départemental est donc aujourd’hui relativement bien maillé, notamment grâce à l’implication du syndicat intercommunal d’énergies. Nous avons bien évidemment travaillé avec les syndicats voisins, au sein du pôle énergies Pays de la Loire, réunissant les cinq autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE) de ce territoire. Nous avons établi dans ce cadre une convergence tarifaire, afin de proposer les mêmes tarifs sur les quelque 500 bornes réparties sur les cinq départements des Pays de la Loire. Nous travaillons bien évidemment sur la question de l’interopérabilité, qui est une réalité aujourd’hui.

Nous avons réalisé un marché englobant la totalité du dispositif, de la pose de la borne jusqu’à la maintenance, en passant par les systèmes de paiement. Bouygues énergies et services, qui a obtenu ce marché, a mis en place un réseau baptisé Alizé, étendu progressivement à des départements voisins, notamment l’Ille-et-Vilaine, la Vendée et la Mayenne.

Par ailleurs, nous avons contractualisé avec la plateforme GIREVE (Groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules), qui nous permet de travailler sur le développement de l’itinérance entrante et sortante. De nombreux autres opérateurs ont signé la charte d’itinérance : je pense notamment à CHARGEMAP, NEW MOTION, et aux syndicats départementaux d’énergie voisins. Nous disposons aussi de conventions pour l’itinérance sortante, ainsi que d’une convention avec KIWHI PASS. Nous essayons ainsi de travailler avec l’ensemble des partenaires présents sur la place publique.

Depuis deux ans, le bilan des charges enregistrées fait apparaître que les utilisateurs du Maine-et-Loire rechargent aussi dans les Landes, des Bouches-du-Rhône, etc. Nous enregistrons par ailleurs une augmentation constante des chargements via CHARGEMAP, qui représente 80 % de l’itinérance entrante.

Nous avons conscience d’être aujourd’hui à la croisée des chemins, puisque ce secteur d’activité est devenu très concurrentiel, alors qu’il se caractérisait, lorsque nous avons initié ce vaste chantier voici trois ans, par une véritable carence de l’initiative privée. Les acteurs présents proposent une offre très différenciée. SODETREL est développé principalement sur les aires d’autoroute, mais pas seulement, puisque l’une de ses bornes est implantée sur le parking de Beaucouzé, en périphérie d’Angers. Nous disposons ainsi de trois bornes SODETREL de 50 kVA dans le département, dont deux sur le réseau autoroutier. Le consortium de constructeurs allemands IONITY a construit une station de six superchargeurs de 100 kVA Combo sur l’aire d’autoroute des Portes d’Angers, ce qui pose la question de la charge très importante induite sur le réseau électrique. TESLA, de son côté, prévoit un développement similaire quasiment au même endroit, à l’intersection des autoroutes A11 et A87, pour un ravitaillement dédié aux véhicules de la marque. Enfin, les concessionnaires automobiles, tels que Renault ou Nissan, proposent généralement une offre de recharge, tout comme la grande distribution.

L’équilibre économique, qui était déjà difficile à appréhender lorsque nous étions seuls, est introuvable aujourd’hui, du fait de cette relative pression concurrentielle, ajoutée à divers autres facteurs. Le SIÉML ayant fait le choix, de mettre en place un concours économique, par opposition à une délégation de service public, nous ne sommes pas à l’équilibre financier. Nous avons investi 2,3 millions d’euros pour déployer les 186 bornes accélérées et les 10 bornes rapides. Pour ce faire, nous avons bénéficié d’aides importantes de l’ADEME, à hauteur de 50 % des bornes accélérées et 30 % des bornes rapides, ainsi que de la Région des Pays de la Loire. Notre budget est toutefois en déséquilibre, puisqu’au-delà de l’investissement, le budget d’exploitation est de 100 000 euros, avec un budget de communication important de 50 000 euros nets. Il faut savoir par ailleurs que les recettes d’exploitation ne dépasseront pas 30 000 euros en 2018.

Mme Huguette Tiegna. Je vous remercie, M. Jean-Luc Davy. Je passe maintenant la parole à M. Jean-Clair Fayolle, directeur de la Fédération départementale d’énergie du Lot.

M. Jean-Clair Fayolle, directeur de la Fédération départementale dénergie du Lot (FDEL). Je souhaite tout d’abord vous faire part de mes remerciements et de ceux de M. Jean-Claude Bessou, président de la Fédération départementale d’énergie du Lot, qui n’a pu être présent ce matin, de nous avoir invités à participer à cette audition.

La Fédération départementale d’énergie est un syndicat départemental créé en 1995. Il a pour principale compétence la distribution d’électricité, mais dispose aussi de compétences optionnelles, en matière de distribution publique de gaz, d’éclairage public et, depuis quelque temps, de bornes de recharge. Il a été présidé depuis sa création jusqu’en octobre dernier par M. Jean-Claude Requier, auquel vient de succéder M. Jean-Claude Bessou.

Nous nous sommes engagés dans le déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE) dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir, en tenant compte des particularités de notre département. Le Lot est en effet un territoire très rural, comportant 85 % de logements individuels, ce qui est très supérieur à la moyenne nationale, de l’ordre de 55 %, avec pratiquement à chaque fois la possibilité pour les habitants de recharger de façon privée. En outre, ce département a une vocation touristique affirmée, avec des sites remarquables et fréquentés, en particulier par les touristes étrangers. Il se caractérise également par un pourcentage élevé de résidences secondaires, supérieur à 20 %. On observe ainsi, en fin de semaine mais surtout en période estivale, un accroissement important de la population et de la circulation. Ces deux spécificités que sont la dominante de logements individuels et la composante touristique nous ont conduits à promouvoir l’itinérance, d’une part, en implantant des bornes à des emplacements stratégiques, près des axes de circulation, des centres de vie ou d’activité économique, et des lieux touristiques, d’autre part, en facilitant la rotation rapide des véhicules électriques, de façon à ne pas mobiliser l’espace public et à ne pas pénaliser les utilisateurs en les obligeant à rester plusieurs heures sur place, le temps que la recharge s’effectue. Il est enfin impératif de prévoir des bornes utilisables par tous les véhicules électriques, quels qu’ils soient, aussi bien ceux qui rechargent prioritairement en électricité alternative, distribuée par le réseau, que ceux qui utilisent prioritairement le courant continu. Ces deux cas impliquent des bornes différentes : la borne accélérée recharge en courant alternatif et la borne rapide essentiellement en courant continu.

C’est ce choix de l’itinérance qui a été privilégié dans l’élaboration du plan de déploiement du Lot, présenté à l’ADEME, adopté en juin 2015, et dont l’application a été lancée en 2016. Nous nous sommes alors posé deux questions dans la perspective de ce déploiement : il s’agissait pour nous de savoir, d’une part, s’il nous fallait agir seuls, d’autre part, s’il convenait de scinder sa réalisation en plusieurs parties : fourniture, pose, maintenance des bornes, supervision, et partie monétique. Après réflexion, nous avons décidé de ne pas œuvrer seuls et de nous grouper avec dix syndicats d’énergies départementaux d’Occitanie, ainsi qu’avec les deux métropoles de Toulouse et de Montpellier. Cette démarche a conduit à un groupement de commandes très conséquent, et a permis le lancement d’une consultation européenne pour la construction de plus de 900 bornes, remportée par l’entreprise Bouygues énergies et services. Ceci a également permis d’appliquer un tarif uniforme dans la quasi-totalité de l’Occitanie, c’est-à-dire dans les dix départements et les deux métropoles.

Pour ce qui est de la réalisation proprement dite, nous avons choisi un marché global, l’idée étant que l’entreprise qui en serait titulaire effectue à la fois la fourniture, la pose, la maintenance, la supervision, et la monétique des bornes, de façon à ne pas éparpiller les responsabilités. Nous constatons aujourd’hui, dans certaines structures n’ayant pas fait ce choix, que lorsqu’un dysfonctionnement survient, l’organisme chargé de la supervision met, par exemple, en cause la structure qui effectue la maintenance, et réciproquement. N’avoir à traiter qu’avec un seul prestataire constituait pour nous un critère important, dans la mesure où il s’agissait d’un domaine nouveau, dont nous ignorions le fonctionnement. Nous nous félicitons aujourd’hui d’avoir effectué ce choix, qui s’avère très positif.

Il a ensuite fallu, une fois ce travail accompli, recueillir l’approbation des communes, qui participent au déploiement. Nous leur avons proposé quatre options : une seule borne rapide, deux bornes rapides en station, une seule borne accélérée ou deux bornes accélérées en station. Nous avons été extrêmement surpris de constater que la plupart des communes identifiées dans le schéma initial validé par l’ADEME nous ont suivis sur le choix des bornes rapides ; d’autres sont même venues s’y ajouter. La présence de bornes rapides n’est peut-être pas toujours complètement pertinente aujourd’hui dans ces quelques derniers cas, qui n’avaient pas été identifiés à l’origine comme étant des centres stratégiques. Mais elle pourrait le devenir à l’avenir. Nous avons ainsi installé au total 62 bornes, dont 56 rapides et 6 accélérées. À titre de comparaison, sachez que l’Occitanie, incluant le Lot, compte actuellement 1 014 bornes accélérées et 106 bornes rapides, ce qui signifie que le petit département du Lot, de seulement 175 000 habitants, abrite plus de la moitié des bornes rapides publiques de la région.

Il s’agit véritablement là d’un choix stratégique, dont l’avenir nous dira s’il était pertinent ou pas. En tout cas, il est onéreux, puisque le montant des travaux s’est élevé à 1,55 million d’euros, financés à hauteur de 31 % par l’État, par l’intermédiaire de l’ADEME, de 14 % par le conseil départemental du Lot, de 14 % par les communes et de 41 % par le syndicat. L’alimentation électrique de toutes ces bornes est effectuée par une énergie renouvelable. Pour ce faire, nous avons passé un marché d’électricité spécifique.

La mise en place des bornes n’est pas simple, car elle impose de faire face à des contraintes très spécifiques, liées en particulier à la nécessité d’un choix d’emplacement central, qui se situe souvent, dans notre département, dans un périmètre protégé, en raison du site lui-même ou de la présence de monuments historiques. Il faut également que le poste d’alimentation soit implanté à proximité, et qu’une liaison 3G ou 4G soit possible, afin que les bornes puissent communiquer. Toutes ces contraintes font que la mise en place d’une borne dans un village n’est pas toujours aussi aisée qu’on pourrait l’imaginer.

Toutefois, nous sommes globalement très satisfaits de la façon dont les choses se déroulent. Les ratios de recharge des bornes rapides par rapport aux bornes accélérées sont sans commune mesure, de l’ordre d’un à dix. Les bornes communiquent entre elles grâce à différents systèmes, détaillés précédemment par le président du syndicat intercommunal d’énergies du Maine-et-Loire, et sur lesquels je ne reviendrai pas. En outre, le regroupement à l’échelle de la région Occitanie permet au site Internet « reveocharge.com » de donner accès à de très nombreuses bornes, et facilite le développement de cet usage. Ce dispositif constitue une illustration très pertinente de la façon dont on pourrait organiser le service.

Mme Huguette Tiegna. Merci, M. Jean-Clair Fayolle. Pourriez-vous, avant que nous poursuivions, préciser la différence entre une borne rapide et une borne accélérée ?

M. Francis Vuibert. La définition juridique de ces bornes découle de la directive européenne : une borne de recharge normale délivrant jusqu’à 22 kW, une borne rapide, à haute ou très haute puissance, se situe au-delà de ce seuil.

Préalablement à l’adoption de cette directive européenne, la recharge normale se situait, en France, entre 3,7 et 11 kW, et la recharge accélérée à 22 kW. Le terme « accélérée » a aujourd’hui tendance à disparaître du vocabulaire. On parle donc désormais de borne de recharge normale jusqu’à 22 kW et de borne de recharge rapide au-delà. Ainsi, les bornes installées dans le Lot, qui délivrent une puissance de 36 kW, sont des bornes rapides.

M. Jean-Clair Fayolle. Vous avez compris que le réseau est en courant alternatif, et que la borne se recharge en courant continu, ce qui suppose d’installer un convertisseur entre les deux. Plus ce convertisseur est puissant, plus il recharge vite des batteries importantes, mais plus il est aussi volumineux, lourd et cher. Des choix ont dû être effectués dans ce domaine également, la question étant de savoir s’il convenait de placer un gros convertisseur dans la borne ou dans la voiture. De très nombreux pays ont privilégié la première option, en faisant le choix de doter la borne d’un gros convertisseur et la voiture d’un petit, pour la charger dans le garage, sur la prise domestique. La borne accélérée à 22 kW est une installation en courant alternatif, qui ne possède pas de convertisseur ; dans ce cas, le convertisseur doit donc être embarqué dans la voiture. Lorsqu’il s’agit d’un véhicule Renault Zoé, équipé d’un gros convertisseur, la recharge s’effectue à 22 kW. Mais les autres voitures, par exemple la Nissan LEAF, extrêmement utilisée en Europe, recharge à 7 kW seulement sur une borne à 22 kW. La recharge dure donc beaucoup plus longtemps, ce qui suscite des récriminations de la part des propriétaires de ces véhicules. En revanche, sur une borne rapide rechargeant directement en courant continu, toutes les voitures rechargent de façon maximale, en fonction de leur propre convertisseur et de leur structure : une Nissan LEAF rechargera ainsi à 36 kW ou à 43 kW, une Zoé à 22 kW. Il s’agit donc d’un modèle de borne plus universel et rapide.

Mme Huguette Tiegna. Merci pour ces précisions. Je passe maintenant la parole à M. Emmanuel Charil, directeur général des services du Syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire.

M. Emmanuel Charil, directeur général des services du Syndicat intercommunal dénergies de Maine-et-Loire (SIÉML). Mon propos s’inscrit dans le prolongement de l’intervention du président Davy, avec un regard peut-être plus technico-économique sur le premier retour d’expérience que nous pouvons dresser après trois ans de déploiement des infrastructures en Maine-et-Loire. Le président a fait état du bilan coût–avantages, resté positif malgré les coûts d’exploitation et l’investissement initial assez élevés.

Le fait d’être satisfait n’empêche toutefois pas de se poser un certain nombre de questions. C’est en tout cas le sens de mon exposé, qui commence par une analyse des écarts qui ont pu apparaître par rapport au modèle économique établi au début du processus de déploiement, en 2014. L’élaboration d’un modèle économique répondait à une demande des élus, qui étaient sceptiques non face à la démarche elle-même, mais sur le fait que ce rôle soit confié à des opérateurs publics. Un certain décalage a ainsi été constaté par rapport à nos prévisions initiales, qui tient moins au nombre de véhicules en circulation en Maine-et-Loire qu’à l’analyse du comportement même de ces véhicules. Le marché du véhicule électrique est certes un peu en retard par rapport aux prévisions, mais l’écart n’est pas si considérable : on comptait à peine 400 véhicules au début du déploiement, contre environ 2 000 à ce jour, alors que notre prévision était de 2 600. L’écart n’est donc finalement pas énorme.

Le taux de pénétration du véhicule électrique est, en Anjou, légèrement inférieur à 2 %, ce qui correspond à peu près à la moyenne nationale. On observe toutefois de légères disparités, qu’il est intéressant d’analyser. Par exemple, les territoires les plus ruraux connaissent le taux de pénétration le plus élevé en pourcentage, ce qui contribue à balayer l’idée selon laquelle le véhicule électrique serait un phénomène essentiellement urbain. Le taux de vente est en outre corrélé au rythme de déploiement du réseau : le taux le plus faible est ainsi constaté dans le dernier territoire intercommunal à s’être inscrit dans le programme de déploiement et, inversement, le taux le plus élevé se rencontre dans le territoire qui fut le premier à inaugurer une borne.

Ainsi que je le soulignais, le décalage réside moins dans le nombre de véhicules électriques en circulation que dans le comportement de leurs propriétaires. Par exemple, le nombre d’abonnés est très inférieur à nos prévisions : nous comptons ainsi seulement 386 abonnés en 2018, alors que dans nos prévisions nous avions estimé que chaque propriétaire de véhicule électrique serait abonné, soit un total de 2 000. Quelles peuvent être les causes de cet écart ? Il peut s’agir d’un marketing insuffisant. On peut en outre penser que certains propriétaires hésitent à s’abonner car ils rechargent leur véhicule directement chez eux. Sans doute faut-il également prendre en compte le rôle de l’interopérabilité, dans la mesure où il est possible de prendre un abonnement ailleurs que chez nous, et d’utiliser nos bornes. Il faudrait sûrement analyser aussi le comportement des flottes de véhicules d’entreprises, qui est très spécifique.

Le nombre de charges est également assez inférieur à nos prévisions. Nous avions en effet établi dans notre modèle d’affaire un niveau de 3 000 recharges mensuelles, alors que nous n’en sommes qu’à 500. Le réseau 22 kVA est très spécifique et a un rôle quelque peu ingrat, car il est perçu comme un réseau de secours. Nous savions dès l’origine que neuf charges sur dix seraient réalisées sur le lieu de travail ou d’habitation des propriétaires de véhicules électriques, mais ce pourcentage est en réalité certainement encore plus élevé. Il faut admettre que la confiance des « électromobilistes » dans la capacité de leur véhicule est assez forte, si bien qu’ils se passent fort bien du réseau public. Quant à elles, même si leur exploitation est encore très récente, les bornes rapides connaissent une évolution beaucoup plus positive, car elles sont vraiment adaptées à l’itinérance.

Cette dérive par rapport au modèle d’affaire n’est pas notre seul sujet de préoccupation. Nous nous soucions en effet également du caractère inéquitable de la tarification établie par rapport aux modes de fonctionnement des différentes recharges, ce qui a été parfaitement expliqué précédemment par mon collègue. Lorsqu’une tarification a été établie pour la première fois en France, répondant au souhait des élus de ne pas donner le signal que l’on pouvait délivrer de l’énergie gratuitement, notre dispositif tarifaire était basé sur le temps de connexion. Cette tarification présente des avantages, mais on se prive potentiellement de la moitié du marché, constituée de véhicules qui ne peuvent pas bénéficier de la recharge accélérée des bornes 22 kVA. Il s’agit là d’un vrai sujet.

Au-delà, nous rencontrons quelques difficultés de rodage technique, qu’il nous faut aplanir avant d’envisager un développement ultérieur. Les bornes rapides ne sont pas parfaites non plus : il existe une grande incompréhension des usagers sur la question du temps de recharge, particulièrement dans un dispositif basé sur le temps de connexion. Le temps de recharge dépend en vérité de plusieurs facteurs : la puissance de la borne, la capacité de la batterie, le type de chargeur embarqué dans le véhicule, et l’état de la batterie au moment de la charge. Or, les usagers n’en ont pas conscience : ils repartent, consultent la facturation, constatent que cette dernière ne correspond pas aux kilowattheures délivrés, et nous font part de leur insatisfaction. Il faut alors faire œuvre de pédagogie. Ceci crée toutefois des différends. Le « parcours usager » est encore perçu comme un cheminement relativement compliqué, malgré tout le soin apporté à l’ergonomie des bornes et des systèmes de paiement. Par ailleurs, il arrive qu’en période de rodage des bornes présentent quelques dysfonctionnements, dus, par exemple, à un mauvais paramétrage en usine, ou à un problème de connexion GSM, surtout dans les territoires les plus ruraux.

Il m’apparaît vraiment important de se concentrer sur la qualité du service, avant toute phase de développement ultérieur, ce qui passe par un contrôle étroit de l’exploitant, des bornes elles-mêmes, et par la mise en place d’un service de médiation, interne ou externalisé. Nous y travaillons actuellement. Il convient, enfin, d’être très vigilant par rapport aux commentaires diffusés sur les réseaux sociaux, car le témoignage d’une expérience négative emporte très vite l’adhésion de l’opinion.

Nos agents sont aussi des usagers du réseau, puisque notre flotte automobile comporte une douzaine de véhicules électriques. Ils contribuent ainsi à signaler les dysfonctionnements éventuels.

Face à toutes ces questions, nous réfléchissons de manière collective, au sein d’une entente régionale et bientôt interrégionale. Nous essayons ainsi, à l’instar de l’exemple du Sud-Ouest, de créer une dynamique collective avec tous les autres syndicats départementaux d’énergies. Nous nous sommes fixés, pour 2019, l’objectif d’établir une feuille de route pour 2025, passant par la mise en place d’un groupement d’achat qui nous permettra de converger plus facilement sur le plan de l’exploitation, et nous garantira une interopérabilité native par le système d’exploitation. Nous allons également financer une étude prospective pour connaître les évolutions à venir, et anticiper la meilleure manière de nous y adapter : quelle tendance de fond pour la puissance des bornes ? Quelles évolutions techniques et réglementaires ? Comment poursuivre le déploiement du réseau, avec le soutien des deniers publics ?

J’aurais encore de nombreuses remarques à vous faire partager, mais je vois que le temps qui m’était imparti est écoulé. Je me tiens à votre disposition pour poursuivre la discussion lors des échanges qui suivront.

Mme Huguette Tiegna. Pourriez-vous nous préciser les temps de recharge approximatifs avec chacun des types de bornes ?

M. Emmanuel Charil. Il est très difficile de répondre à cette question, car ce temps dépend d’au moins quatre facteurs : la puissance de la borne, la capacité de la batterie, le type de chargeur embarqué, et l’état de la batterie au moment de la charge. Pour faire simple, je vais prendre l’exemple concret d’une Zoé de première génération, dont la batterie a une capacité de 20 kWh : sur une borne délivrant du 18 kVA, il faudrait, dans l’hypothèse où la batterie serait à sec au moment de la recharge, envisager une bonne heure de recharge. Il s’agit là d’un exemple, qui ne peut être généralisé.

M. Joseph Beretta, président de lAVERE-France. Ma présentation comporte un tableau qui synthétise ces divers éléments.

Mme Huguette Tiegna. Je passe maintenant la parole à l’association FIGEACTEURS, représentée par Mme Méryl Parisse, chargée du projet mobilité, et M. Philippe Issart, administrateur, qui remplace aujourd’hui M. Dominique Olivier, président de l’association.

Mme Méryl Parisse, en charge du projet mobilité, FIGEACTEURS. L’association FIGEACTEURS, pôle territorial de coopération économique que nous représentons, va aujourd’hui se faire l’écho des utilisateurs, non donner un point de vue d’experts, ce que nous ne sommes pas. Ce pôle compte 130 adhérents sur la zone du Figeacois : citoyens, entreprises, acteurs de l’économie sociale et solidaire, réunis pour travailler sur l’attractivité du territoire, avec une approche de développement durable. Cette attractivité, en milieu rural, passe, comme l’a souligné M. Jean-Clair Fayolle, par la mobilité, notamment dans un contexte professionnel, pour les trajets domicile – travail, avec des déplacements de 30 kilomètres par jour en moyenne, pour un coût annuel d’environ 2 300 euros supporté par les salariés.

Cette problématique des trajets domicile – travail se posant fortement, nous avons lancé un groupe d’action d’entreprises, notamment avec M. Philippe Issart, qui est administrateur de l’association, mais aussi président-directeur-général d’une société dans le Figeacois. Nous avons, avec les entreprises participantes, lancé des actions visant à réduire le nombre de trajets en véhicules thermiques pour se rendre au travail. Ceci s’est tout d’abord traduit par une sensibilisation des quelque 3 000 salariés de ces entreprises sur l’impact, notamment économique, de leurs trajets, afin de favoriser une prise de conscience. Les entreprises du groupe équipées de véhicules électriques ont ensuite proposé à leurs salariés de co-voiturer avec ces véhicules pour rentrer chez eux. Des équipages de covoiturage se sont ainsi constitués. Nous avons également mis en œuvre de la sensibilisation, en vue d’acheter de façon groupée des véhicules électriques : ceci s’est concrétisé par vingt-cinq nouveaux achats dans les entreprises participantes. Enfin, des événements grand public ont été organisés, pour permettre aux gens de tester des véhicules électriques et de se faire ainsi leur propre opinion.

Concernant le point spécifique des infrastructures de recharge, la première question que se posent généralement les utilisateurs potentiels de véhicules électriques est celle de l’autonomie. Or, on observe que dès lors qu’une personne devient utilisatrice, cette question ne se pose plus, puisque le lieu de charge est finalement celui où l’on se gare habituellement, c’est-à-dire chez soi. En milieu rural, cet élément est très fort, puisque la plupart des particuliers rechargent leur véhicule chez eux, non sur les bornes publiques. À titre personnel, j’ai une Zoé depuis un an et demi, et n’ai utilisé qu’une seule fois une borne publique. Par ailleurs, je la recharge la plupart du temps en la branchant sur le secteur : les gens ignorent souvent qu’il suffit d’une prise classique pour recharger son véhicule à la maison, pendant la nuit par exemple. Les bornes publiques concernent donc essentiellement les personnes résidant dans des immeubles, ou ne possédant pas de prise électrique dans leur garage.

Pour ce qui concerne les entreprises, je laisse la parole à M. Issart.

M. Philippe Issart, administrateur, FIGEACTEURS. Depuis plus d’un an que nous expérimentons ce dispositif, il apparaît que nous rechargeons très traditionnellement les véhicules électriques de notre flotte sur nos parkings, avec des prises domestiques. Dans 5 à 10 % des cas, lorsque des enchaînements de missions nécessitent de repartir dans des délais brefs, ou lorsque nous laissons ces véhicules à disposition des salariés qui les ramènent déchargés le matin, nous utilisons la borne publique de recharge rapide.

D’autres collègues ont privilégié l’installation de bornes semi-rapides, ou accélérées, sur leurs parkings. Nous encourageons d’ailleurs cette démarche, pour des raisons évidentes de disponibilité. En revanche, se pose encore un problème de coût d’installation, pour l’instant relativement rédhibitoire.

Ceci étant, il nous apparaît nécessaire et indispensable de disposer de bornes publiques à charge rapide, telles que celles implantées dans le Lot. Elles présentent, en effet, un avantage concurrentiel non négligeable sur le plan technologique : un coût que l’entreprise ne supporte pas directement. Il m’apparaît nécessaire de souligner que les 5 à 10 % d’utilisation de bornes publiques sont quasiment vitaux pour l’entreprise, et qu’il est important de les pérenniser.

Pour autant, se pose une difficulté d’accès au service, dans la mesure où nos déplacements ne se limitent pas au Lot ou à l’Occitanie. Il conviendrait donc d’harmoniser les opérateurs, car il n’est guère envisageable de multiplier les cartes d’abonnement ou les chargements d’applications sur les smartphones, avec des utilisations parfois compliquées. Il faudrait prévoir davantage d’agilité dans ce domaine, notamment en matière de paiement, en développant le paiement sans contact ou le paiement classique par carte bancaire, comme sur les pompes à essence.

Mme Méryl Parisse. Au-delà de la charge, le déploiement du véhicule électrique est un sujet global. L’approche par l’infrastructure n’est assurément pas la seule, et peut-être pas la bonne, puisque le principal frein est surtout psychologique, en termes de changement de pratiques. Cet obstacle ne pourra être levé que par des actions de sensibilisation et d’animation auprès du public. Nous avons ainsi pu observer, lors d’événements tels que des rallyes en véhicules électriques que nous avons organisés à Figeac, que l’essai des véhicules par les utilisateurs potentiels permet de casser les préjugés, et de diffuser des informations. La sensibilisation et l’ingénierie d’animation sont donc des éléments cruciaux, sur lesquels il est très important d’investir dans les territoires, afin de promouvoir un changement des pratiques. Ceci permettrait certainement d’augmenter les chiffres d’usage, sachant que les collectivités investissent dans des infrastructures coûteuses, souvent sous-utilisées à l’heure actuelle.

M. Philippe Issart. Au risque d’être hors sujet, il nous paraît, par ailleurs, essentiel d’insister sur la nécessité de rendre l’achat des véhicules plus accessible. Les bornes ne serviront à rien s’il n’y a pas de véhicules électriques à recharger. Il est donc important de développer une attractivité commerciale, tant sur le bonus écologique que sur la prime de conversion, qui ont été rabotés et complexifiés en 2018. La location des batteries constitue également un frein à l’usage personnel et professionnel de ces véhicules.

Il nous semble très important de préciser que l’entreprise peut être un catalyseur pour le changement d’habitudes de nos concitoyens, qui sont aussi nos salariés. Nous pouvons être des accélérateurs de la transition écologique, par l’exemple que nous donnons en matière d’utilisation des véhicules électriques. Or, nous observons trois points de blocage au niveau de l’entreprise, qu’il faudrait lever : il s’agit du déplafonnement de l’amortissement à 30 000 euros pour l’achat du véhicule, de l’assujettissement à la TVA pour les véhicules électriques, y compris lorsqu’ils sont de tourisme : acquisition, entretien, et exonération de la taxe sur les véhicules de sociétés (TVTS), et, enfin, du comportement de l’URSSAF, qui nous redresse systématiquement sur de l’avantage en nature lorsque l’on met ces véhicules à disposition de nos salariés pour effectuer du covoiturage entre leur domicile et le lieu de travail. Ceci nous semble pourtant très important en matière de transition écologique, mais aussi pour rendre du pouvoir d’achat à nos salariés, ce qui prend tout son sens dans le cadre des manifestations des « Gilets jaunes ».

Mme Méryl Parisse. Un arrêt de la Cour de cassation nous a quelque peu rassurés, en donnant raison à l’entreprise Colas de prêter des véhicules à ses salariés : peut-être pourrait-il être entériné par une loi.

En conclusion, il nous apparaît que la recharge publique doit être rapide afin d’apporter un avantage concurrentiel. L’abord par l’infrastructure n’est en outre pas le seul moyen de promouvoir le déploiement du véhicule électrique. Sans doute faut-il aller plus loin. Si l’on veut effectuer la transition écologique, la question centrale n’est peut-être pas celle de la voiture, mais du paradigme global de la mobilité. Que la voiture soit électrique, thermique ou autre, je pense que le débat se situe essentiellement au niveau des usages de mobilité. Il est important, dans cette optique, d’encourager, par exemple, des pratiques comme le covoiturage, l’autopartage ou la gestion de flotte mutualisée telle que nous l’avons testée à petite échelle, modestement, mais de façon très intéressante et instructive dans le Lot.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez évoqué les freins, notamment au niveau législatif. Je souhaite rappeler que la loi dite « Mobilités » est actuellement en préparation. L’objectif de notre mission étant aussi de prendre en compte le cadre législatif, ces aspects seront abordés dans notre rapport. M. le préfet Vuibert souhaitait apporter quelques précisions.

M. Francis Vuibert. Je trouve ce témoignage d’utilisateurs très intéressant. Vous avez fait part de votre souhait de pouvoir réaliser le paiement avec une carte bancaire. Lorsque les réseaux co-financés par l’ADEME ont été lancés, le seul moyen de paiement existant dans ce domaine était le dispositif du terminal traditionnel, dont le coût d’équipement et d’installation représentait un tiers du prix d’une borne. Cette option n’a donc pas été retenue, pour les raisons que l’on comprend. À l’époque, les dispositifs de lecture sans contact des cartes bancaires étaient en effet encore balbutiants. Il était donc hasardeux d’en généraliser l’usage. En admettant que des dispositions soient prises aujourd’hui pour imposer la présence de ce type de moyen de paiement, il est probable que la même question se posera à nouveau rapidement, avec de nouvelles technologies de paiement, plus modernes, comme le paiement par l’intermédiaire des téléphones intelligents. Il s’agit donc d’une course sans fin.

Nous sommes dans un écosystème émergent. En 2010, lorsqu’a été lancée une politique publique en faveur du véhicule électrique, aucun n’était encore disponible dans les concessions automobiles françaises ; le premier est arrivé fin 2010. En huit ans, des progrès considérables ont été accomplis, à la fois technologiques, techniques et sur le plan des usages. Pour autant, nous sommes encore au début du processus. Il faut en être conscient. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pas voulu, par un texte quelconque, l’encadrer de façon trop forte. Ceci concerne notamment les modalités de paiement, car être trop restrictif faisait courir le risque d’enfermer tout l’écosystème dans un cadre qui se serait révélé obsolète au bout de quelques mois ou années.

Je retiens aussi de votre exposé que le meilleur prescripteur du véhicule électrique n’est ni le constructeur automobile, ni l’État, mais l’utilisateur lui‑même. Ceci se mesure parfaitement à la faveur des échanges que nous pouvons avoir, tant dans le monde de l’entreprise qu’auprès des particuliers. La Poste, qui a disposé pendant longtemps de la première flotte mondiale de véhicules utilitaires électriques, en fournit un très bon exemple : ses agents qui conduisent un véhicule électrique ne voudraient pour rien au monde revenir à un véhicule thermique. Ils constituent, à la fois dans le cadre de leur activité professionnelle en contact avec le public et dans leur vie privée, d’ardents prescripteurs de ce mode de locomotion.

En revanche, je vous suis moins lorsque vous indiquez qu’il faudrait trouver des solutions en faveur de l’itinérance. Les dispositifs mis en place dans les deux territoires représentés aujourd’hui permettent, avec la carte émise par un syndicat, d’aller bien au-delà des limites du département, sur le réseau concerné mais aussi au-delà, grâce à des accords d’itinérance passés avec la quasi-totalité des réseaux en France. Si la recharge en itinérance connaît encore des balbutiements et des difficultés liées à la mise en service de dispositifs innovants, il faut tout de même avoir conscience des progrès accomplis dans ce domaine en quelques années seulement. Grâce aux accords d’itinérance et à la plateforme GIREVE, ces problèmes sont réglés, ou en cours de règlement. Il existe ainsi un réseau régional en France qui, cette année, a vu 30 % de ses recharges s’effectuer en itinérance.

Mme Huguette Tiegna. Nous allons à présent passer à la phase d’échange de questions et de réponses.

Échange de vues

M. Joseph Beretta, président de lAVERE-France. Il ne s’agit pas d’une question, mais d’une réponse aux doléances formulées par les représentants de FIGEACTEURS à propos des entreprises. Il faut savoir que le plafonnement pour un véhicule électrique, dont le tarif d’achat est beaucoup plus important que celui d’un véhicule thermique, a été relevé.

Concernant la question des avantages en nature, nous sommes en train de batailler sur ce sujet, afin de lever tous les freins que vous avez mentionnés. Nous avons déjà obtenu quelques victoires, dans le sens d’une simplification de tous ces systèmes de dispositifs législatifs pour les entreprises.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Je souhaite à mon tour saluer et remercier l’ensemble des participants à cette audition publique, qui vient compléter les auditions privées déjà réalisées dans le cadre du rapport que nous sommes chargés d’élaborer pour le début de l’année 2019.

J’aurais deux questions à formuler dans le prolongement des interventions des représentants de l’association FIGEACTEURS. Vous avez présenté l’aspect psychologique comme le principal frein au développement de l’utilisation des véhicules électriques. Je pense qu’il contribue effectivement à la réticence à franchir le cap et à acheter un véhicule électrique. Il existe aussi, indéniablement, un frein financier à l’achat. Les usagers ne raisonnent pas encore en coût d’usage global, et le reste à charge, déduction faite de la prime de 6 000 euros, est encore de l’ordre de 16 000 ou 17 000 euros. Il s’agit d’une dépense que la plupart des foyers ne peuvent pas se permettre. Il faut trouver un moyen de globaliser le coût d’usage sur la durée de vie d’un véhicule.

J’ai vu le préfet Vuibert réagir lorsque vous avez indiqué que la recharge à domicile, sur une prise normale, suffisait. On sait en effet que des accidents se produisent parfois. Nous avons d’ailleurs pu le vérifier, y compris en Norvège, où nous nous sommes rendus, et où ce type de recharge est très déployé. Je crois donc qu’il existe à ce sujet une légère divergence de points de vue.

M. Francis Vuibert. Il convient de préciser que la prise doit être adaptée à la recharge du véhicule électrique et disposer d’un ampérage plus important, permettant ainsi d’assurer la sécurisation de cette dernière. On ne peut recharger son véhicule sur n’importe quelle prise.

En Norvège, la majorité de la recharge s’effectue sur des prises domestiques normales, avec un nombre d’accidents et d’incendies provoqués par la recharge d’un véhicule électrique que nous ne connaissons fort heureusement pas en France.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. J’ai été très impressionné par la montée en puissance des bornes décrite par M. Vuibert, entre les 1 800 points de 2012 et les 23 318 actuels, répartis en plus de 10 000 stations. De fait, je ne disposais pas de cette vision globale. Qui sont les principaux opérateurs dans ce domaine ? Quelle est la part des collectivités locales ? Quel est le marketing de chacun de ces opérateurs ?

Par ailleurs, j’ai beaucoup apprécié les deux interventions départementales, qui montrent parfaitement le lien entre l’usage et les spécificités de chaque territoire. Il est évident qu’un département profondément touristique a une clientèle et des besoins différents d’un département plus en marge de ce type d’activité.

M. Francis Vuibert. 67 % des bornes et stations de recharge ouvertes au public sont opérées par des collectivités territoriales qui ont bénéficié du PIA. S’ajoutent à cela 4 % de stations créées par des collectivités territoriales sans l’aide du PIA, soit parce que l’installation était marginale à l’époque, soit parce que ceci correspondait au début d’une nouvelle mobilisation de collectivités n’ayant pas pu ou voulu bénéficier du soutien financier de l’État. Par ordre décroissant, viennent ensuite certaines concessions automobiles, qui mettent à la disposition de tous les conducteurs une borne de recharge sur leur parking, puis les bornes installées sur les parkings des grandes surfaces commerciales, dont le nombre va croissant. Dans ce dernier cas, le modèle économique est simple : les enseignes qui investissent dans l’implantation d’une, deux, voire trois bornes n’espèrent pas en amortir le coût en facturant la recharge aux alentours de deux euros, mais espèrent que pendant les vingt minutes que dure en moyenne une recharge, les personnes vont entrer dans le magasin et y faire des achats.

Heureusement que dans notre pays, des collectivités territoriales, quelle que soit la configuration, syndicats, établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ou autres, ont joué un rôle pionnier pour mailler le territoire. L’exemple des pays nordiques montre que dans ce sillage, se développent des initiatives privées d’installation et d’exploitation d’infrastructures de recharge, avec un modèle économique basé sur un retour d’investissement à moins de cinq ans. Nous sommes à une croisée des chemins.

M. Gérard Longuet. Vous avez évoqué les concessionnaires automobiles et les grandes surfaces ; mais existe-t-il des exploitants privés de réseaux ?

M. Francis Vuibert. Ils vont arriver.

M. Gérard Longuet. Je pense par exemple aux exploitants de parkings, comme Vinci. Il m’est également arrivé de voir une station Tesla sur une aire autoroutière.

M. Francis Vuibert. Les bornes Tesla ne permettent pas de recharger tous les véhicules.

M. Gérard Longuet. Je cherche en fait à connaître les parts de marché et les motivations des différents acteurs.

M. Francis Vuibert. J’ai déjà cité le modèle économique mis en œuvre par les grandes enseignes.

Le consortium allemand qui est en train d’installer 400 stations en Europe, susceptibles de déployer de la recharge à très haute puissance, a quant à lui un modèle économique très simple : il faut que le réseau existe avant ou au moment où les véhicules capables d’absorber cette puissance arriveront sur le marché, c’est-à-dire en 2020. Il est vraisemblable que les acquéreurs de ces véhicules premium, susceptibles d’accueillir de la très haute puissance, paieront un petit morceau de chaque station dans le prix d’achat de leur véhicule, même si par ailleurs la recharge peut être payante.

Par ailleurs, certaines entreprises offrent leurs services à d’autres entreprises ou à des collectivités locales pour installer, exploiter, et gérer des micro-réseaux d’infrastructures de recharge. Des entreprises de ce type existent aussi pour installer des points de recharge privés dans des copropriétés, où on rencontre encore des difficultés pour exercer le droit à la prise, instauré en 2010.

M. Cédric Villani. Merci beaucoup à tous les intervenants pour la clarté de leurs propos. Il en ressort l’impression que les questions les plus délicates se situent au niveau de l’économie plus que de la technologie, en particulier au niveau de l’adoption par les utilisateurs, avec un aspect culturel et un facteur économique, avec un coût important à l’achat. Quelles sont les perspectives raisonnables d’évolution des prix des véhicules concernés ?

Sachant que pour un véhicule électrique la répartition des coûts dans le temps n’est pas la même que pour un véhicule à énergie fossile, est-il possible d’imaginer d’autres mécanismes financiers que ceux dont nous disposons actuellement pour subventionner l’achat de véhicules électriques ?

Par rapport à la puissance publique, comment se présente l’équation économique ? Avec un véhicule électrique, une partie importante de la valeur ajoutée se situe au niveau des batteries, dont la production s’effectue ailleurs, bien souvent en Asie, parfois en Amérique, en tout cas avec un modèle économique qui, au plan macroscopique, décale la valeur ajoutée de l’Europe vers d’autres continents. Quelles sont pour nous les implications de ce modèle ? Retombons-nous finalement sur nos pieds au niveau macroéconomique continental, ou faudrait-il relocaliser une partie de cette valeur, par exemple avec la mise en place, à l’échelle de l’Europe, d’industries fabriquant des batteries ?

La question du partage de la mobilité a été abordée très clairement par Mme Méryl Parisse. Si l’on a en tête la réduction globale des émissions carbonées et le confort des utilisateurs, on ne peut faire l’économie d’évoquer cette notion. On se trouve ici aussi confronté à un mélange de difficultés d’information, de culture d’adoption, et de modèles économiques assez variés. Comment percevez-vous, les uns et les autres, le futur et la trajectoire pour la mise en place de ces solutions de partage ?

M. Philippe Issart. J’apporterai une précision sur le plan économique de l’acquisition. Vous avez évoqué à mots couverts l’exemple de la Renault Zoé, avec un reste à charge pour l’acheteur de l’ordre de 17 000 euros. Nous avons pu, dans le cadre des négociations menées par FIGEACTEURS, descendre à 14 000 euros. Ce montant reste toutefois extrêmement dissuasif pour un foyer. Ceci étant, l’entreprise elle-même génère, à court terme, un marché de l’occasion. Dès lors que le véhicule va être amorti comptablement par l’entreprise, c’est‑à‑dire au bout de trois ou quatre ans, nous le cédons en interne, à des conditions de prix largement plus abordables pour nos collaborateurs. Pour l’instant, le problème tient au fait que l’URSSAF procède à des redressements à notre encontre, sur la base de la différence entre la valeur vénale du véhicule et le prix de cession. Nous avons ainsi négocié, dans le cadre de FIGEACTEURS, une vingtaine de véhicules qui vont être amortis en quelques années, et que nous pourrons céder en interne, sans passer par des intermédiaires. Ceci relève, selon nous, d’une forme de responsabilité sociétale de l’entreprise au sens large, bien que nous courions le risque d’un problème avec l’URSSAF.

M. Cédric Villani. Pourriez-vous nous donner un exemple précis ?

M. Philippe Issart. Imaginons, par exemple, que le véhicule en question soit coté 10 000 euros et que nous décidions de le céder en interne à l’un de nos collaborateurs au prix de 5 000 euros ; l’URSSAF considère alors les 5 000 euros de différence comme des avantages en nature, et nous fait payer sur cette somme 20 % de cotisations salariales et 40 % de charges sociales. Ceci est loin d’être anecdotique.

M. Cédric Villani. Il est très intéressant d’avoir pu clairement identifier ce point, sur lequel nous éprouverons peut-être, le moment venu, le besoin d’agir.

M. Gérard Longuet. Vous avez évoqué, sur le plan économique, le problème du paiement, et sa complexité. Comme le soulignait le préfet Vuibert, les technologies évoluent si rapidement qu’il faut avoir la sagesse de reconnaître que tout va changer, mais que l’on ne sait pas nécessairement la forme que ce changement va prendre. Toutefois, il est vrai que lorsque l’on dresse la liste des opérateurs qui proposent des bornes ne relevant pas des collectivités locales, on comprend qu’ils ont plutôt intérêt à avoir des systèmes de paiement captifs, afin de s’attacher leur clientèle. Ceci semble assez évident pour ce qui concerne aussi bien les concessions automobiles que les grandes surfaces.

Dans le cas de la flotte interne d’entreprises, il n’existe pas, à proprement parler, de paiement pour l’électricité utilisée. Comment fonctionnez-vous, M. Philippe Issart ?

M. Philippe Issart. Même si nos déplacements ne se limitent pas au Lot et à l’Occitanie, l’utilisation des véhicules électriques s’effectue essentiellement aujourd’hui dans ce périmètre. Au-delà, nous utilisons des véhicules thermiques. Nous utilisons la carte Reveo, lorsque c’est possible, mais l’idéal serait de disposer d’une carte nous permettant de recharger nos véhicules n’importe où. Les gens ne souhaitent pas se compliquer la vie en téléchargeant et utilisant diverses applications. Il est important que le dispositif soit simple d’utilisation.

Mme Méryl Parisse. Au sein du groupe « mobilité », certaines entreprises ont elles-mêmes installé des bornes et offrent l’électricité à titre gracieux à leurs collaborateurs, voire aux collaborateurs de la zone d’activité alentours, avec une politique volontariste.

Par ailleurs, un entrepreneur a proposé à ses salariés de marquer leur voiture personnelle au nom de la société, en leur offrant en contrepartie la charge, et une partie de la location de la batterie. Cette pratique, pour l’instant anecdotique, est intéressante pour sensibiliser les salariés à l’intérêt des véhicules électriques. Pour autant, elle va probablement être refusée par l’URSSAF.

Il peut également arriver qu’un collaborateur de l’entreprise, qui reste au bureau toute la journée, autorise ses collègues à utiliser sa voiture personnelle électrique pour aller en rendez-vous, ce qui s’apparente à une forme de sous-location du véhicule à l’entreprise. On se situe vraiment là dans un domaine expérimental, certainement à la limite en termes réglementaires. Il n’empêche que ce type de pratique va dans le bon sens, en termes de partage de mobilité.

M. Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité, ADEME. Je souhaite apporter quelques éclairages prospectifs dans le domaine de l’émergence des mobilités partagées, ou de la place du véhicule électrique. Il a été question, lors des interventions, de la fin de la vente des véhicules thermiques à horizon 2040. Dans cette perspective, les nouvelles formes de mobilités sont en forte croissance, principalement dans les centres urbains disposant d’une offre de mobilité variée, qu’il s’agisse de transports collectifs ou d’usages actifs : vélo, marche, objets de glisse urbaine, etc.

Nos observatoires ont cependant constaté l’existence d’une fracture territoriale extrêmement forte. Ainsi, l’émergence des mobilités partagées sera véritablement permise demain à condition que l’on s’adresse aussi convenablement aux territoires peu denses. À l’heure du numérique, on sera certainement en capacité, moyennant le développement d’infrastructures adaptées, d’adresser cette question. Bien entendu, il sera tout à fait opportun de coupler ces nouveaux services de mobilité avec la mobilité électrique.

Le témoignage de FIGEACTEURS me semble particulièrement intéressant de ce point de vue, dans la mesure où il combine le développement des véhicules électriques avec le covoiturage, qui permet aux utilisateurs de partager la charge.

Il est vrai que les usagers n’ont pas encore aujourd’hui une approche en termes de coût total de possession. Ils ne considèrent que le coût d’investissement initial, perçu comme une barrière. Pourtant, la vision d’une entreprise ou d’un utilisateur intensif, englobant l’ensemble du cycle de vie du véhicule électrique, permet, dès aujourd’hui, de placer ce dernier dans une position très favorable, sans même attendre les effets de série résultant de l’augmentation de la taille du parc et des ventes. Rendre ces informations sur le coût total de possession de ces véhicules accessibles au grand public est sans doute un élément sur lequel nous pourrions travailler collectivement.

Il m’apparaît également, dans le prolongement des propos des représentants de FIGEACTEURS, que l’on ne peut aborder la question de la mobilité uniquement sous l’angle technologique. Si l’on veut atteindre les objectifs de neutralité carbone à horizon 2050, la principale révolution ne sera pas technologique, car le savoir-faire existe déjà, mais résidera dans les changements de comportements. Nous pensons que ce bouleversement de paradigme doit tendre vers une mobilité optimisée, partagée, plus consciente des enjeux environnementaux et sanitaires. C’est, en tout cas, le travail que cherche à mener l’ADEME, via ses dispositifs de soutien au niveau des entreprises, des collectivités, et du grand public.

M. Cédric Villani. Deux sujets assez différents semblent se dégager. Tout d’abord, la question du véhicule pour les usagers individuels, confrontés à la barrière du coût à l’achat, qui pourrait toutefois être nuancée par la prise en compte du cycle total du véhicule, caractérisé par un amortissement dû au gain sur le plein d’énergie, ce dernier n’étant en outre pas dépendant des fluctuations du prix des énergies fossiles. On peut se demander si, au-delà de la nécessaire information du public, ceci ne pourrait pas également se traduire par un autre modèle économique d’accompagnement, permettant de tenir compte de cette évolution dans la durée.

Par ailleurs, se pose la question de l’utilisation d’un véhicule appartenant à une collectivité ou à une entreprise, perçu alors non comme un bien, une possession individuelle, mais plutôt comme un service. Il s’agit de deux stratégies assez différentes.

Quelles sont la position et la vision de l’ADEME relativement à ces deux schémas ?

M. Jérémie Almosni. Nous n’avons pas forcément de vision chiffrée sur ce point. L’argument selon lequel le prix des véhicules électriques serait un frein à l’achat est souvent avancé. Or, il est intéressant de constater, sur la base des chiffres de ventes de véhicules que nous publions chaque année, que 30 % des véhicules achetés en 2017 étaient des SUV (sport utility vehicle), c’est-à-dire des véhicules premium, consommateurs d’énergie, et assez chers à l’achat. Ce constat invite à s’interroger sur cette dissymétrie, que l’on attribue essentiellement à l’effet du marketing des constructeurs de SUV, mais aussi au fait que le leasing permet de rendre ces véhicules très haut de gamme accessibles à de nombreux usagers. On pourrait ainsi imaginer développer ce procédé dans le domaine des véhicules électriques.

Il faudrait sortir d’une logique de possession, et accepter de louer son véhicule, de le mettre à disposition d’une communauté à laquelle on appartient, de pratiquer le covoiturage, ou tout simplement de profiter des services disponibles. C’est sur ce point que l’on constate aujourd’hui une carence, une fracture territoriale entre territoires denses et peu denses.

Par exemple, en zone rurale, il est plus compliqué de mettre en œuvre des solutions d’autopartage ou de bénéficier de l’intermodalité avec d’autres moyens de locomotion. Toutefois, nous pensons sincèrement que le covoiturage pourrait se développer assez durablement et facilement. Par ailleurs, nous n’avons sans doute pas suffisamment insisté sur le fait que le véhicule électrique n’est pas la seule solution. Il importe ainsi de prendre en compte les hybrides rechargeables, tout à fait adaptés à une utilisation sur des trajets quotidiens, dont la valeur moyenne en France est de 36 kilomètres, et qui représentent plus de 80 % des déplacements. Ceci permettrait aussi de répondre à des enjeux sanitaires, en termes d’émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre.

Mme Huguette Tiegna. Je conclurai brièvement cette première table ronde en remerciant sincèrement les différents intervenants. Lors des échanges, il n’a, me semble-t-il, pas été répondu à la question du premier vice-président Cédric Villani sur le volet européen. Sachez qu’une sorte d’« Airbus de la batterie » est actuellement en phase de création. Il s’agit notamment de mettre l’accent sur la recherche et développement, et d’envisager d’autres opportunités, par exemple les batteries de deuxième génération. Je passe la parole à mon collègue, le sénateur Stéphane Piednoir, qui va présider la seconde table ronde de cette matinée.


Les perspectives doptimisation du déploiement des infrastructures de recharge

Présidence : M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. La première table ronde a été particulièrement riche et a permis de collecter de nombreuses informations et témoignages relatifs au déploiement des bornes de recharge dans les territoires. Nous avons également pu identifier les freins et la pédagogie à mettre en œuvre dans la perspective de lever certains de ces obstacles. Je ne doute pas que nous y parviendrons.

Cette seconde table ronde va également nous permettre d’accueillir des orateurs de grande qualité. Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux perspectives d’optimisation du déploiement des infrastructures de recharge des véhicules électriques. Nous allons donc nous éloigner un peu du terrain, et bénéficier de cinq éclairages différents sur les développements à venir dans ce domaine.

Nous avons bien compris qu’une première période de déploiement a permis de couvrir une assez large partie du territoire national, avec 23 318 points accessibles au public pour moins de 200 000 véhicules électriques et hybrides rechargeables en circulation en France. Nous sommes donc sur un ratio d’un point pour sept véhicules, voire un peu moins, alors que les préconisations que l’on entend traditionnellement sont de l’ordre d’un pour dix, ce qui prouve que notre pays est plutôt bien placé.

Comme vous le savez, la France s’est fixée pour les prochaines années, avec les constructeurs, des objectifs ambitieux en matière de développement des véhicules électriques, qui ne pourront être atteints, malgré les investissements réalisés sur le plan industriel, que si le réseau de recharge parvient à suivre la croissance de la demande. Cette dernière ne doit toutefois pas être strictement proportionnelle à l’augmentation du nombre de véhicules, en raison notamment de l’accroissement de l’autonomie. Ainsi, le besoin en termes de bornes est sans doute moindre lorsque l’autonomie des batteries augmente.

Pour réussir, il faut que l’ensemble des acteurs concernés, publics et privés, agissent de concert. Par exemple, certaines opérations privées conduisent à ce que des points de recharge ne soient pas accessibles au grand public. On peut le déplorer. Il importe que tous les acteurs agissent conjointement, afin de proposer à nos concitoyens des solutions cohérentes, économiquement viables, et permettant de répondre réellement aux besoins de mobilité au sens le plus large.

N’oublions pas que les Français n’ont généralement pas d’autre choix que de prendre leur véhicule, notamment pour se rendre au travail. Ceci restera certainement vrai pour une assez longue période encore. J’entends parler d’évolutions en termes de partage. Néanmoins, il existe aussi des horaires de travail atypiques, variables, qui ne permettent pas d’aller vers des solutions de covoiturage de façon régulière. Le véhicule est devenu un outil indispensable au quotidien. Rappelons en outre que près d’un Français sur trois, soit 18 millions de personnes environ, réside et travaille dans des zones blanches en termes de transports en commun. Il est important d’intégrer cette donnée dans nos réflexions.

Nous sommes convaincus, notamment après notre voyage en Norvège, que c’est en faisant la démonstration que le véhicule électrique peut représenter une solution viable pour les usagers qu’il sera possible d’obtenir l’adhésion de nos concitoyens. La Norvège présente certes des caractéristiques très différentes de celles de la France, en raison notamment d’une électricité à 98 % d’origine renouvelable. Ce pays est très en avance en termes de mobilité électrique. Néanmoins, il apparaît que si les Norvégiens ont été convaincus d’adopter la voiture électrique, c’est parce qu’ils ont reçu des avantages fiscaux à l’achat, les véhicules électriques étant fortement détaxés à l’importation. La certitude de pouvoir recharger son véhicule quand on en a besoin fait évidemment partie des conditions à remplir. L’autonomie croissante des batteries rend toutefois cette préoccupation de moins en moins prégnante, ainsi que nous avons pu le constater en Norvège.

Sans plus tarder, je vais donner la parole aux intervenants, pour des exposés de huit minutes chacun. Nous allons tout d’abord entendre M. Joseph Beretta, président de l’AVERE-France, association nationale pour le développement de la mobilité électrique.

Interventions

M. Joseph Beretta, président de lAVERE-France. Je tiens, avant d’entrer dans le vif du propos, à vous informer que l’association prépare un site grand public décrivant le parcours de l’acheteur et de l’utilisateur de véhicule électrique, prenant en compte les calculs économiques de TCO (total cost of ownership), en descendant jusqu’à la maille la plus fine, c’est-à-dire en tenant compte des aides locales. Ce site permettra donc de connaître le prix réel payé par l’utilisateur, qu’il soit particulier ou professionnel. Nous avons récolté les fonds pour lancer ce site. Financé par les grands acteurs de la filière, il devrait être annoncé par la ministre des transports d’ici la fin de l’année, et mis en ligne l’année prochaine.

Toute optimisation suppose une prise en compte préalable des doléances des utilisateurs. Nous réalisons ainsi, tous les deux ans, une étude, intitulée « baromètre de la mobilité électrique », au cours de laquelle nous interrogeons les Français sur leur perception de la mobilité électrique. J’ai sélectionné à votre attention, dans la dernière édition de cette étude, les éléments concernant spécifiquement les infrastructures de charge.

Il est tout d’abord important de connaître les habitudes de déplacement des Français : il apparaît ainsi que 80 % d’entre eux parcourent moins de 50 kilomètres par jour, ce qui représente un besoin en recharge quotidien de moins de 7 kilowattheures, relativement faible. En revanche, ils effectuent également de temps en temps des trajets de plus de 300 kilomètres : il faut donc traiter aussi ce besoin de longue distance. Ces deux approches doivent être prises en considération.

L’étude montre par ailleurs qu’un quart des Français interrogés, 24 % précisément, estiment que le véhicule électrique répond à leurs besoins de mobilité. L’accès à la prise représente toutefois un facteur limitant, puisque seul un Français sur quatre dit avoir facilement accès à un point de recharge pour un véhicule électrique, en incluant non seulement les points situés sur la voie publique, mais aussi au domicile. Ce constat soulève notamment la question de l’installation d’une prise de recharge dans les immeubles en copropriété, qui demeure encore aujourd’hui un véritable parcours du combattant, avec des délais qui peuvent s’allonger fortement.

Les sujets du niveau d’information dont les Français estiment disposer sur le véhicule électrique et des axes de progression dans ce domaine représentent également des éléments intéressants de cette étude. Il en ressort que la manière dont on recharge son véhicule, type de prises, localisation des bornes, réalisation de l’acte de recharge sur la voie publique ou à domicile, est une source de questionnement, qu’il va falloir traiter. Si l’on commence à voir poindre des solutions relativement au prix, avec les aides de l’État et le calcul du TCO, ainsi qu’en matière d’autonomie, passée aujourd’hui à 300 kilomètres, il faut à présent se focaliser sur les infrastructures, afin de traiter le déploiement futur du véhicule électrique.

Le tableau mettant en lien la puissance et le temps de charge montre qu’il va falloir adapter la puissance à l’usage et tenir compte de l’évolution des batteries. La première partie concerne la recharge quotidienne, en courant alternatif, avec des puissances s’étalant de 2 kilowatts jusqu’à 22 kilowatts, définies la plupart du temps par le véhicule qui les absorbe. Ainsi, si l’on branche un véhicule disposant d’un chargeur intégré de 22 kilowatts sur une prise de 2 kilowatts, il ne va charger qu’à 2 kilowatts. La majorité des véhicules intègrent aujourd’hui un chargeur de 3,7 kilowatts, demain de 7 kilowatts. Le tableau vous indique, pour chaque niveau de puissance et en fonction de la taille de la batterie – aujourd’hui de 40 kilowattheures, demain de 60 kilowattheures – les temps de charge nécessaires pour remplir cette dernière. 40 kilowattheures de batterie permettent de parcourir 300 kilomètres ; 60 kilowattheures permettront d’atteindre 450 kilomètres. On constate ainsi qu’une faible puissance disponible ne permettra pas dans tous les cas de recharger complètement sa batterie : mettre 20 heures pour charger une batterie de 40 kilowattheures sur 2 kilowatts de puissance réseau n’a pas de sens. Mais on se trompe en raisonnant de la sorte, puisque je vous ai démontré précédemment qu’un utilisateur ne dépense en moyenne chaque jour que 7 kilowattheures. Une puissance de 2 kilowatts permet donc de recharger son véhicule tous les jours sans problème.

En revanche, lorsqu’il va s’agir d’effectuer une longue distance, il faudra se focaliser sur une charge plus rapide, en courant continu, correspond à la deuxième partie du tableau. Ces espaces de recharge de forte puissance destinés à l’itinérance pourraient, par exemple, être localisés sur des hubs, ce qui permettrait aux automobilistes de passer à la borne de charge rapide avant de partir sur un long trajet. Ainsi, une borne d’une puissance de 150 kilowatts permettrait d’effectuer une recharge en un quart d’heure environ, ce qui est acceptable.

D’autres aspects doivent être pris en considération dans le cadre du déploiement d’infrastructures de recharge. Il importe ainsi de traiter la question du financement de ces infrastructures. Nous disposons, au niveau de l’association, d’un grand programme de certificats d’économie d’énergie intitulé ADVENIR, dans lequel nous finançons les infrastructures à la fois privées, publiques, et situées dans les copropriétés. Nous prévoyons ainsi, d’ici 2020, de financer plus de 12 000 points de charge. Le financement couvre jusqu’à 50 % du coût de l’installation.

Le droit à la prise, la tarification, la fiabilité des installations dans le temps, au travers du taux de disponibilité des systèmes de charge, l’interopérabilité et l’offre de services, avec des applications renseignant sur la disponibilité du point de charge et permettant de le réserver, c’est-à-dire de limiter le temps d’attente préalable à la charge elle-même, sont également des éléments à prendre en compte.

Il convient aussi de préparer le futur. La batterie du véhicule peut stocker l’énergie pour apporter de la puissance et de l’énergie au réseau. Ce sont les technologies dites du « vehicle to home » (V2H) et du « vehicle to grid » (V2G). Ceci doit être anticipé dès aujourd’hui dans les infrastructures de recharge, plutôt privées que publiques.

M. Stéphane Piednoir. Je vais maintenant passer la parole à M. Gilles Voiron, chercheur au CNRS, rattaché à l’université de Nice Sophia Antipolis, qui va présenter un projet mené au sein du laboratoire Espace sur la capacité des territoires à intégrer les innovations de mobilité décarbonée.

M. Gilles Voiron, chercheur CNRS, université de Nice Sophia Antipolis. Je vais commencer cet exposé en vous présentant une carte qui montre le taux de pénétration des immatriculations de véhicules électriques en 2017, en lien avec la présence de bornes de recharge publiques sur le territoire, à l’échelle communale. Les communes hachurées sont celles qui disposent d’au moins une borne de recharge. On constate une discordance entre la présence des installations de recharge de véhicules électriques (IRVE) et les achats de véhicules électriques (VE) : ainsi certaines communes, en grisé, ne comptent aucune immatriculation de véhicule électrique en 2017, malgré la présence de bornes publiques sur leur territoire, tandis que d’autres, pointées par les flèches, ont des taux de pénétration de véhicules électriques assez élevés, alors même qu’aucune borne de recharge publique n’est implantée, ni sur leur territoire ni dans les communes périphériques.

La composante recharge n’est donc pas le seul élément à prendre en compte dans le système territorialisé de la mobilité électrique. Les autres facteurs à considérer sont intégrés dans l’étude que je conduis, financée par l’ADEME, sur la capacité des territoires à intégrer la mobilité électrique. Dans ce travail, intitulé CATIMINI, nous prenons en compte quatre grandes composantes pour étudier le potentiel des communes à intégrer la mobilité électrique à batterie. Cette étude concerne également le véhicule à hydrogène.

Parmi ces composantes, figure bien évidemment la facilité de la recharge, mais aussi l’adéquation du VE aux besoins de déplacements de la population, notamment pour aller travailler, l’intérêt de la population pour l’achat d’un véhicule électrique, et le contexte local.

Concernant plus précisément la facilité de recharge, nous considérons le domaine privé, à domicile, avec notamment la morphologie de l’urbain : se situe‑t‑on plutôt dans des communes de type pavillonnaire, avec une facilité de recharge à domicile, ou plutôt dans des communes comportant une forte proportion de logements collectifs, comme dans les grands centres urbains ? Nous prenons bien sûr aussi en compte la recharge publique, avec la présence de bornes.

L’adéquation du VE aux besoins de déplacements inclut le kilométrage quotidien des habitants de ces communes, le pourcentage de pente des routes, la zone PACA comportant à la fois des territoires avec une topographie complètement plane et d’autres très montagneux, comme dans les Hautes-Alpes ou les Alpes de Haute-Provence.

Pour estimer l’intérêt des populations pour l’achat d’un VE, nous envisageons des aspects financiers tels que les revenus des habitants, le prix du véhicule, et les différentes aides susceptibles d’être allouées, à la fois par l’État et les départements, à l’image des aides du Grand Paris et plus récemment des Bouches du Rhône, mais aussi les contraintes réglementaires environnementales, qui peuvent être appliquées à l’échelle communale, telles que les péages urbains ou les zones à faibles émissions (ZFE), qui peuvent être mises en place dans les grandes métropoles notamment.

Cette étude prend enfin en compte le contexte local, avec une partie qui aborde les manifestations et la communication effectuées autour du véhicule électrique, le parc de VE roulant sur le territoire, ainsi que la présence ou non d’un service d’autopartage de véhicules électriques dans la commune.

En tant que géographes, nous avons cartographié les différents résultats obtenus à l’échelle communale, à partir de l’expérimentation menée dans la région PACA. L’objectif, avec l’utilisation des données en open data, est que les autres collectivités locales puissent réutiliser ce système et ce logiciel pour estimer le potentiel de leurs communes.

L’une des cartes présente l’évaluation de la capacité globale des territoires de PACA à adhérer à la mobilité électrique. Figurent en jaune les communes présentant des scores plutôt faibles et en rouge foncé les territoires ayant des scores plutôt élevés. On constate que les grands centres urbains, tels qu’Aix, Marseille, Nice ou Toulon, pénalisés notamment par leur important parc de logements collectifs, ont plutôt des scores moyens. On note en revanche de très forts scores au niveau du département des Bouches-du-Rhône qui, depuis le 1er novembre 2018, subventionne à hauteur de 5 000 euros les véhicules électriques, en complément de la prime nationale de 6 000 euros.

Concernant plus précisément le sujet même de cette audition, autour de la facilité de recharge, je précise que la carte présentée prend à la fois en compte la recharge privée, avec la morphologie de l’urbain, et publique. On constate, comme sur la carte précédente, que les grands centres, comme Avignon, Aix, Marseille, Nice ou Toulon, sont très fortement pénalisés par la présence sur leur territoire communal de nombreux logement collectifs, malgré l’implantation d’un grand nombre de points de charge, insuffisante pour relever leurs scores.

Le modèle norvégien a été évoqué à plusieurs reprises au cours de la matinée. Ce pays est en effet l’un des plus en avance en matière de développement du véhicule électrique. Une étude récente menée en Norvège par l’ONG Transports et Environnement révèle que 5 % des recharges y sont effectuées sur des bornes publiques et note une diminution des VE utilisant quotidiennement une borne de recharge publique, passant de 10 % en 2014 à 2 % en 2017. En revanche, l’étude a parallèlement mis en lumière une augmentation de la recharge rapide le long des grands axes routiers, en lien notamment avec l’accroissement concomitant de l’autonomie des véhicules électriques, permettant désormais d’effectuer de longs déplacements.

Le retour d’expérience que j’ai effectué auprès d’un syndicat d’énergies qui disposait à la fois de bornes normales et accélérées, mais aussi de bornes rapides, a montré qu’à l’époque où les recharges étaient gratuites quatre fois plus de recharges étaient effectuées sur des bornes rapides que sur des bornes accélérées. J’ai appris de ce syndicat que les nouvelles études menées en 2018 ont permis de constater que cet écart s’était encore accru, malgré la tarification mise en place, plus élevée pour les bornes rapides que pour les bornes accélérées ou normales. Nous avons également observé d’importants écarts d’utilisation selon la localisation des bornes : ainsi, certaines bornes accélérées ne sont utilisées qu’une seule fois par mois.

Les préconisations formulées à partir de ces analyses invitent tout d’abord à repenser la localisation des bornes, notamment pour les IRVE les moins utilisées, et à créer des sortes de mini-clusters, des rassemblements de bornes, près des IRVE les plus utilisées. Il faudrait également prévoir des ensembles de bornes plus visibles du grand public, avec des bornes plus grandes et réunies en un seul et même endroit. Selon une étude menée durant l’été 2018, 84 % des Français estiment qu’il n’y a pas assez de bornes de recharge publiques. Enfin, il faut aussi réfléchir aux spécificités de l’urbain, avec notamment la présence de logements collectifs. Aujourd’hui, les recharges s’y effectuent essentiellement en voirie, ou dans les centres commerciaux. Des expérimentations ont également été faites avec des candélabres. Toutefois, on constate que lorsqu’il n’est pas possible de procéder à une recharge dans les logements collectifs, malgré la mise en place du droit à la prise, il est très compliqué pour les habitants de recharger quotidiennement leur véhicule. L’une des solutions résiderait dans la création de mini-stations électriques rapides, avec un temps de charge moyen estimé de 15 minutes, qui correspond globalement à l’utilisation actuelle des bornes de recharge publiques, malgré la tarification.

M. Stéphane Piednoir. Je vais donner la parole à Mme Juliette Antoine-Simon, directrice générale d’IZIVIA, société fondée en 1998 sous le nom de SODETREL, spécialisée dans le déploiement d’infrastructures de recharge et dont la réalisation la plus connue du grand public est certainement le réseau de bornes de recharge rapide sur autoroutes Corri-Door.

Mme Juliette Antoine-Simon, directrice générale dIZIVIA. IZIVIA, qui s’appelait il y a quelques semaines encore SODETREL, est une filiale détenue à 100 % par EDF, qui déploie et exploite des bornes de charge de véhicules électriques sur le territoire. Nous exploitons aujourd’hui 7 000 points de charge publics en France, sur les 23 000 déployés au total.

Nos clients sont publics, ruraux ou urbains : syndicats d’énergies, villes, métropoles, régions, parmi lesquels des syndicats bretons, l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, mais aussi la ville de Paris. Nous exploitons ainsi le réseau Belib’ de Paris et allons prochainement remettre en exploitation 1 000 bornes de charge précédemment Autolib. Nos clients sont aussi des entreprises qui déploient des plans de points de charge pour leurs salariés, leurs clients, ou leurs propres flottes. Par exemple, un grand industriel a déployé 1 200 points de charge pour ses salariés, avec la crainte permanente, déjà évoquée précédemment, que ce service, gratuit, soit requalifié par l’URSSAF.

Nous avons aussi déployé pour notre propre compte, non en qualité d’exploitant mais en tant qu’investisseur, le réseau Corri-Door, qui compte 200 points de charge rapides de 50 kilowatts sur autoroutes. Ce réseau a presque trois années d’existence et nous constatons chaque année une forte augmentation des usages (+ 67 % par an), ce qui montre que le déploiement de la mobilité électrique est désormais une réalité, et que l’itinérance entre dans les mœurs des conducteurs de véhicules électriques.

Je souhaiterais donc vous apporter un double témoignage, d’une part de prestataire de collectivités et d’entreprises, d’autre part d’investisseur. Je confirme tout d’abord les propos précédents relatifs à la diversité du taux d’utilisation, qui va d’une utilisation par mois et par borne dans certains territoires jusqu’à quinze utilisations par jour et par borne à d’autres endroits. Nous observons ce phénomène à la fois sur les bornes de nos clients publics et sur notre propre réseau Corri-Door, sachant que les bornes les plus utilisées aujourd’hui sont situées dans l’urbain dense, notamment à Paris. Ce constat montre qu’il existe un vrai besoin de points de charge pour nos concitoyens qui achètent un véhicule électrique et qui, habitant en logements collectifs, n’ont pas de borne de recharge à domicile. Il faut leur apporter des solutions. Ceci est vrai également de la recharge rapide, dont la diversité d’utilisation est très grande.

Quel que soit le taux d’utilisation, ce service n’est aujourd’hui pas rentable. En effet, sans parler des coûts d’investissement, les coûts d’exploitation des réseaux sont bien supérieurs aux revenus que l’on peut en attendre. L’équilibre d’exploitation reste un objectif, mais il s’avère compliqué à atteindre. Toutes les subventions publiques, lorsqu’elles existent, sont fléchées vers l’investissement, aucune ne concerne l’exploitation. Or, une bonne qualité de service, que j’appelle tout comme vous de mes vœux, a un coût, qui n’est aujourd’hui pas équilibré par des revenus. Peut-être est-ce d’ailleurs là une piste d’optimisation, pour faire écho au sujet de cette table ronde. Néanmoins, nous observons aujourd’hui un fort intérêt d’acteurs privés financiers, c’est-à-dire de fonds d’investissement, pour le déploiement de bornes de recharge, ce qui montre, me semble-t-il, que dans l’esprit de certains acteurs cette rentabilité va arriver, puisqu’ils sont prêts à investir dans ce domaine.

Je fais allusion notamment au projet, que nous venons d’annoncer, de déploiement de plus de 600 points de charge sur la métropole du Grand Lyon, avec l’accompagnement d’un fonds d’investissement. Je précise toutefois que ce projet a pu être développé car le Grand Lyon nous a donné une forte visibilité sur la durée pendant laquelle nous pourrions exploiter ces bornes. Ainsi, nous bénéficions aujourd’hui de 17 ans de droit d’occupation du domaine public pour notre réseau. C’est à cette condition que nous avons pu investir.

Je me permets d’insister sur le fait que la durée pendant laquelle on peut exploiter un service est essentielle dans l’estimation de la rentabilité de ce service. Ceci constitue une condition sine qua none pour que des investisseurs privés soient prêts à investir sur les territoires. La question de savoir s’ils investiront partout est une autre histoire. Le Grand Lyon est un territoire urbain plutôt dense. Ce type de schéma est-il envisageable en milieu rural ? Il s’agit là d’une vraie question, dont nous pourrons débattre si vous le souhaitez.

Je profite de la tribune qui m’est offerte pour souligner qu’attirer des investisseurs privés suppose de ne pas trop « charger la barque » en termes de coûts. Je fais allusion ici à des dispositions du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Par exemple, dans l’état actuel de la loi, il est obligatoire d’équiper un certain nombre de places de recharge pour les personnes à mobilité réduite. Or, l’électrification du parc de véhicules ne va pas engendrer une augmentation du nombre de personnes à mobilité réduite. Seul va croître le nombre de personnes à mobilité réduite équipées d’un véhicule électrique. Il me semble donc qu’il faudrait plutôt imposer l’équipement en bornes de charge des places existantes réservées à ces personnes.

Concernant les perspectives d’optimisation, on constate aujourd’hui une sorte de course à la puissance. Corri-Door est un réseau de 50 kilowatts, alors que les futurs projets se situent plutôt à 100, 120, voire 350 kilowatts. Nous-mêmes allons expérimenter deux stations à 350 kilowatts. Je souhaiterais souligner un aspect sur lequel, à mon sens, on n’insiste pas suffisamment : les véhicules électriques qui pourront se charger à de telles puissances le feront pendant très peu de temps. La chimie de la batterie est telle qu’en réalité la batterie va se charger à très forte puissance pendant cinq à dix minutes sur la durée totale de la charge. Ceci signifie que l’on réalise un investissement très important pour une durée réelle d’utilisation très faible de ce fort potentiel. Ceci pose la question de l’efficience de tels investissements. Pour notre part, nous allons densifier le réseau Corri-Door, plutôt à 100 ou 120 kilowatts, ce qui nous semble déjà une puissance importante pour les exploitants du réseau.

Enfin, je souhaiterais vous parler d’intelligence de la charge ou « smart charging ». Précédemment, il a été brièvement question de charge résidentielle, et de la possibilité de recharger son véhicule à domicile sur une prise domestique. Nous pensons qu’il ne s’agit pas, à terme, de la meilleure manière de faire, dans la mesure où la dernière chose à laquelle nous aspirons collectivement, lorsque la France comptera plusieurs millions de véhicules électriques, est que tous les usagers procèdent à une recharge au même moment. Ce serait une catastrophe pour l’équilibre offre – demande, et pour le réseau.

Nous pensons qu’il faut développer des systèmes intelligents d’optimisation de la charge, notamment à domicile, puisque c’est là que se fera l’essentiel des recharges. Nous sommes absolument persuadés que c’est à cette condition que nous optimiserons l’insertion des véhicules électriques dans le système électrique et que nous en tirerons de la valeur, puisqu’ils pourraient constituer une opportunité pour le réseau et le système électrique, plutôt qu’un problème. Cet objectif suppose toutefois de veiller à développer les services qui permettront effectivement de faire des véhicules électriques une sorte d’immense batterie répartie sur le territoire, dont on pourra extraire de la valeur qui, si elle est restituée aux clients, diminuera encore le coût d’utilisation du véhicule. Cela permettrait d’enclencher un cercle vertueux, qui permettrait une adoption du véhicule électrique pour ses vertus environnementales, mais aussi pour son coût, à terme inférieur, pour nos concitoyens, à celui des véhicules thermiques.

M. Stéphane Piednoir. Bien évidemment, l’une des questions que l’on peut se poser est de savoir comment gérer le réseau. Je vais par conséquent passer la parole à Mme Géraldine Paloc, chargée de mission auprès du directeur du programme mobilité, à ENEDIS, qui va sans doute nous parler de la puissance nécessaire, et de la question du pic de recharges de batteries, par exemple au moment où les usagers rentrent à leur domicile le soir.

Mme Géraldine Paloc, chargée de mission auprès du directeur du programme mobilité, ENEDIS. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je vais donc essayer de compléter au mieux les propos de mes prédécesseurs.

ENEDIS est gestionnaire du réseau de distribution d’électricité sur 95 % du territoire métropolitain. Nous sommes régis par un système de péréquation tarifaire. Nous sommes par ailleurs un acteur de service public sur l’ensemble des territoires. Il a été question, lors des débats précédents, de fracture territoriale pour les problématiques de mobilité. Je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler la place d’ENEDIS en la matière.

ENEDIS est un acteur historique du développement de la mobilité électrique sur les territoires, puisque plus de 23 000 points de recharge existent aujourd’hui sur la voie publique, qu’ENEDIS a raccordés. La mobilité électrique est aujourd’hui pour nous un enjeu majeur, en termes d’accompagnement et de contribution active au passage à grande échelle, lié à divers facteurs, par exemple le développement des bornes, mais aussi l’accroissement du nombre de véhicules électriques pour les particuliers et pour les entreprises, dont ENEDIS. En effet, nous avons aujourd’hui une véritable expertise d’utilisateur en la matière, puisque notre flotte de véhicules électriques d’entreprise est la deuxième, après La Poste, avec environ 1 700 véhicules en circulation.

ENEDIS a également mis en place un certain nombre d’expérimentations pratiques sur la problématique de la mobilité électrique, avec divers partenaires. Celles-ci concernent notamment les parkings en résidentiel collectif, qui constituent aujourd’hui une problématique majeure pour le développement de la mobilité électrique, mais aussi des expérimentations techniques, avec par exemple la mise en place de recharges sur l’éclairage public, qui devraient faciliter le développement de cette mobilité, et le raccordement sur de la production d’énergies renouvelables. Tout ceci contribue réellement à la préparation de ce passage à grande échelle, qui nous place aujourd’hui dans une approche à la fois industrielle, territoriale, et pragmatique, avec d’autres acteurs. Nous sommes en effet complètement convaincus qu’aucun des acteurs de la filière n’a seul la clé du succès. C’est vraiment en co-construisant des solutions, avec des partenaires publics, les acteurs de la filière automobile, et les industriels, que nous réussirons ce passage à la mobilité électrique à grande échelle, avec une assurance de complémentarité entre urbain et rural. En effet, cette mobilité n’est plus aujourd’hui l’apanage des seules agglomérations, les territoires ruraux étant extrêmement proactifs en la matière.

Lorsqu’il est question de développement et d’optimisation de la mobilité électrique, il convient de mener un véritable travail partenarial sur le résidentiel collectif. Aujourd’hui, plus de 40 % des Français habitent en résidentiel collectif, notamment dans les grandes agglomérations. Il s’agit là d’un enjeu, dans la mesure où l’on connaît les difficultés rencontrées par les utilisateurs pour faire valoir le droit à la prise. ENEDIS est bien évidemment présent dans ce domaine, notamment pour répondre aux sollicitations des syndics. Mais nous préconisons aujourd’hui d’intervenir en amont de ces sollicitations, en allant à leur rencontre. Nous sommes ainsi prêts à pré-équiper en câbles un certain nombre d’immeubles qui en feraient la demande, pour faciliter le parcours client ainsi que l’installation de bornes et de prises adéquates, lorsque les demandes existent. Je tiens à souligner tout particulièrement ce point, car autant la recharge à domicile s’avère relativement simple en milieu rural, autant elle représente un enjeu majeur en habitat collectif, auquel la seule installation de bornes sur la voie publique ne répondra pas. Ce problème constitue un frein important au développement du véhicule électrique dans les centres urbains denses et les grandes agglomérations.

Parler d’optimisation me conduit à affirmer avec force et conviction que le réseau électrique tiendra face au développement de la mobilité électrique. De nombreuses craintes s’expriment à ce sujet, dont certaines sont fondées sur l’idée que le développement de la mobilité électrique pourrait causer des difficultés de fonctionnement du réseau, en termes d’équilibre offre – demande. Je tiens à dire que le réseau sera au rendez-vous. Les investissements sont chiffrés au niveau d’ENEDIS. Nous n’avons que peu d’incertitudes, du point de vue technique, ou au niveau des investissements nécessaires, sur la réalisation de ce développement. Aujourd’hui, ENEDIS investit sur le territoire national environ trois milliards d’euros par an, sur lesquels on estime que le développement du véhicule électrique et l’installation d’infrastructures de recharge représenteraient de 10 à 15 %.

Je souhaite également porter au débat le fait que le raccordement des infrastructures de recharge est un énorme travail, que nous avons déjà accompli, mais qui va augmenter dans les prochaines années. On pourrait finalement rapporter ce rythme de déploiement de bornes de recharge à celui des raccordements des énergies renouvelables, que nous avons déjà assurés les années passées. Nous étions à un rythme de 30 000 raccordements par an ces dernières années sur la production des énergies renouvelable : ENEDIS a donc la capacité d’assurer le raccordement de ces bornes de recharge dans les années à venir.

Enfin, je voudrais conclure mon propos par la nécessité de prévoir un pilotage de la recharge des véhicules électriques. Si, dans les années à venir, comme on ne peut que le souhaiter, le véhicule électrique se développe à grande échelle, ce pilotage sera en effet totalement indispensable pour optimiser à la fois le réseau dans son architecture et les coûts de raccordement liés aux infrastructures de recharge, sur voie publique, en résidentiel collectif, ou au domicile des particuliers.

M. Stéphane Piednoir. Nous allons à présent accueillir le dernier intervenant de cette table ronde, en la personne de M. Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilité de l’ADEME.

M. Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilité, ADEME. Je vais essayer, en tant que dernier intervenant, d’apporter quelques éléments complémentaires à tout ce qui a déjà pu être dit.

Je souhaiterais commencer par quelques points de contexte. Quels sont les objectifs du développement de la mobilité électrique ? Cette question est particulièrement d’actualité aujourd’hui, avec la publication récente de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixe l’objectif, sur un temps court à horizon 2028, de plus de quatre millions de véhicules électriques, et la directive sur les carburants alternatifs, qui donne également un cap quant au nombre de points de charge à horizon 2020-2030.

La mobilité électrique vise à répondre à différents enjeux prégnants, qu’il m’apparaît important d’énumérer de manière relativement exhaustive.

Le premier est l’enjeu énergétique. La dépendance au tout pétrole contraint fortement notre pays. Elle s’accompagne d’un épuisement des ressources, et d’un enjeu en termes d’émission de gaz à effet de serre. Nous avons, dans ce dernier domaine, un objectif de réduction d’un facteur sept. Or, le secteur du transport en est l’un des principaux contributeurs.

L’enjeu sanitaire vis-à-vis de la pollution atmosphérique, avec des dépassements de seuils d’émission dans certains territoires, est également très important.

Les enjeux territoriaux sont tout aussi forts, autour de la question de la vitalité des territoires, ainsi que de la nécessité sociale de développer une mobilité inclusive et accessible à tous. La question du coût et de l’accès aux solutions telles que la mobilité électrique apparaît donc comme un élément à ajouter à l’équation.

Dans ce domaine, la vision de l’ADEME a été décrite en 2017, dans le cadre d’un scénario prospectif 2030-2050, avec un objectif de facteur quatre. Nous sommes actuellement en train de retravailler ce scénario, à la lumière des nouveaux objectifs de neutralité carbone du transport, fixés dans le Plan climat. Sans entrer dans les débats de chiffres, nous observons que la mobilité électrique s’inscrit dans le paysage comme une solution pertinente. Nous estimons que 70 % des véhicules du parc seraient, en 2050, des véhicules électriques et hybrides rechargeables.

Une particularité réside dans l’évolution de la taille du parc. Au-delà des évolutions des vecteurs énergétiques privilégiés pour la mobilité, et des efficacités énergétiques observées sur les différentes technologies de moteurs, il existe également un enjeu de sobriété, et de maîtrise de la demande, avec une érosion du nombre de véhicules vendus, au profit des véhicules partagés et du développement de services de mobilité.

Le véhicule électrique apporte des réponses à tous ces défis, qu’il s’agisse de la réduction de la dépendance à l’égard du pétrole, des émissions de gaz à effet de serre, ou encore des polluants atmosphériques. Il m’apparaît toutefois important de mettre l’accent sur la nécessité d’une approche en cycle de vie pour toute solution technologique développée. Le véhicule électrique présente la particularité d’avoir une dette carbone au moment de sa conception. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il gagne, tel qu’il est aujourd’hui, à être utilisé en substitution du véhicule thermique sur des usages intensifs. Il apparaît ainsi adéquat et pertinent pour des trajets domicile–travail quotidiens importants, en l’absence de transports collectifs, pour des flottes partagées de véhicules d’entreprises, pour des livraisons de marchandises en ville, ou encore pour tous les services de mobilité.

Par ailleurs, l’émergence des technologies de l’information et de la communication va certainement constituer un catalyseur pour rendre plus accessible la solution véhicule électrique, et intégrer les bornes dans le paysage comme un élément intelligent.

Enfin, je souhaite souligner un paradigme, auquel il nous semble important de consacrer beaucoup d’énergie, tant dans la communication que dans le portage de nos actions : il s’agit du travail à effectuer, en termes de changements de comportements, afin de renforcer la logique de transport comme mobilité partagée, et de répondre ainsi aux enjeux cités précédemment.

L’ADEME dispose de vingt-six directions régionales, qui accompagnent les collectivités et les entreprises dans l’accélération de la transition énergétique, dans de nombreux domaines, dont celui des transports. Nous effectuons également des actions d’expertise, par la réalisation d’études et d’observatoires sur la manière dont ces solutions se développent, et s’inscrivent dans le mix énergétique français. Nous menons aussi des travaux transverses, avec la filière, pour essayer d’accompagner cette transition.

Parmi ces actions, je souhaite faire un rapide focus sur le dispositif IRVE, dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir. Nous effectuons ainsi un suivi régulier des différents points de charge développés, via les contrats liés, avec les territoires et les syndicats d’énergies. J’envisageais aussi de vous donner quelques éléments sur le programme CEE ADVENIR ; mais ce dernier ayant été rapidement présenté par M. Joseph Beretta, je n’y reviendrai pas dans le détail.

Je souhaite enfin souligner l’existence d’une étude que nous sommes en train de mener avec l’administration, visant à formuler des recommandations et des orientations pour favoriser le déploiement des bornes de recharge des véhicules électriques. Aujourd’hui, grâce au dispositif des investissements d’avenir, 15 000 points de charge sont développés, ce qui correspond à 69 % de l’objectif de 21 000 que nous avons contractualisé avec les territoires.

Nous observons, dans cette cadence, plusieurs difficultés. L’une tient à l’approvisionnement des bornes : de petits acteurs identifiés comme étant en capacité de produire le matériel éprouvent aujourd’hui des difficultés pour le mettre à disposition. Nous constatons aussi des difficultés quant au positionnement d’acteurs dominants. Nous ignorions, en l’occurrence, le positionnement de l’acteur Bolloré, qui avait développé dans un premier temps des bornes de recharge, sur le déploiement de ces infrastructures, ce qui a pu avoir des incidences sur les stratégies de déploiement. En outre, il apparaît que le décollage du marché du véhicule électrique est légèrement en deçà des prévisions, même si certains acteurs peuvent observer, localement, des trajectoires fidèles aux estimations.

Le dispositif ADVENIR de soutien au déploiement de points de charge privés se développe, quant à lui, à une cadence extrêmement intéressante, avec plus de 5 000 primes versées depuis septembre 2016, l’objectif à horizon 2020 étant de 12 000 points de charge. Ce programme est financé par des obligés de ces certificats, avec en principe un coût nul pour la collectivité. Il est donc intéressant d’encourager cette démarche, et de la poursuivre. Se posent toutefois certaines difficultés, liées essentiellement à la complexité du droit à la prise. Les évolutions législatives en cours d’élaboration, ou issues de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), vont certainement permettre une accélération du déploiement des points de charge au niveau des habitations collectives.

Enfin, nous réalisons comme je l’indiquais précédemment, une étude avec la direction générale des entreprises et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), sur la caractérisation des besoins en déploiement d’infrastructures de recharge pour les véhicules électriques. Nous identifions, dans ce cadre, l’importance de promouvoir le développement des IRVE dans les zones d’activité, de travailler à la création de hubs urbains, comme ceci a été souligné par un précédent intervenant, ou encore d’essayer de développer des infrastructures spécifiques pour les taxis ou les voitures de transport avec chauffeur (VTC). Les résultats de cette étude seront disponibles fin 2018, ou début 2019. Nous pourrons alors disposer de données extrêmement intéressantes sur le plan statistique, mais aussi sur les recommandations qu’observe la filière.

En conclusion, nous souhaitons, à l’ADEME, continuer à accompagner les acteurs vers cette transition, dans des modèles économiques aujourd’hui extrêmement complexes. Nous avons notamment bien compris, en écoutant les précédents intervenants, que l’équilibre n’était pas forcément permis aujourd’hui. Il faut donc poursuivre cet accompagnement. Nous rejoignons également le constat de l’importance de partager les données sur la connaissance des bornes, ou encore des technologies véhicules.

Échange de vues

M. Stéphane Piednoir. Je remercie l’ensemble des intervenants. Nous allons à présent passer à un temps d’échange et de débat.

M. Francis Vuibert. Nous avons tous évoqué, dans nos différentes interventions, la question de la recharge à domicile. Je pense qu’il faut être attentif lorsque l’on traite ce sujet. Il est normal que les premiers acquéreurs de véhicules électriques aient ressenti le besoin, alors même qu’il n’existait pas d’infrastructures de recharge publiques et que ces véhicules avaient une autonomie limitée, d’une centaine de kilomètres, de disposer d’une solution de recharge au plus près de chez eux, c’est-à-dire dans leur garage. Il ne leur en sera pas fait grief. Ce faisant, on laisse toutefois perdurer l’idée, c’est d’ailleurs ce que font les Norvégiens, que si l’on veut utiliser un véhicule électrique, il faut nécessairement avoir une solution de recharge à domicile.

Au XIXe siècle, les premiers acquéreurs de véhicules thermiques avaient des bidons d’essence dans leur garage, parce qu’il n’existait pas de stations-service. Au début du XXe siècle, ils se rendaient à la pompe du chef-lieu de canton. Aujourd’hui, ils vont à la station-service. Laisser perdurer l’idée, un peu conditionnelle, que l’utilisation d’un véhicule électrique implique nécessairement d’avoir une solution de recharge à domicile, revient à pratiquer une politique élitiste, qui laisse penser que le véhicule électrique est réservé à celles et ceux qui habitent dans un pavillon, avec un garage.

Or, 37 % des résidences principales, soit 10,4 millions de foyers, ne disposent d’aucune solution de parking ou de stationnement à domicile, que ce soit dans un habitat individuel ou collectif, en plein centre d’une agglomération, ou dans bon nombre de villages. Ceci signifie-t-il que ces 10,4 millions de foyers ne devraient pas avoir le droit d’utiliser un véhicule électrique ? Bien entendu, il ne s’agit pas d’indiquer qu’il ne faut pas recharger son véhicule chez soi, ni qu’il ne faut pas travailler à l’amélioration de l’exercice du droit à la prise. Pour autant, il ne faut pas perpétuer l’idée fausse selon laquelle il ne serait pas possible d’utiliser un véhicule électrique sans avoir de solution de recharge à domicile. Sans doute faut-il modifier la communication à ce sujet, indiquer que les bornes de recharge de proximité, d’appoint, tout comme les hubs et autres clusters dont j’ai entendu parler, sont finalement des stations-service électriques.

Créons donc, dans un premier temps à titre expérimental, compte tenu de l’évolution rapide des paramètres, des stations-service électriques, et voyons comment elles fonctionnent. Si les gens ont la certitude de pouvoir recharger rapidement leur véhicule électrique pour récupérer les kilomètres nécessaires aux trajets pendulaires quotidiens sur une semaine, alors la situation deviendra semblable à celle majoritairement en usage pour le véhicule thermique. Un nombre important de personnes utilisant un véhicule thermique pour se rendre à leur travail fait en effet le plein de carburant une fois par semaine, ou plus exactement prend suffisamment d’essence pour pouvoir effectuer le nombre de kilomètres nécessaires durant la semaine. Le jour où ils font un déplacement plus important, ils font un véritable plein.

Cessons donc, pour le bien du développement du véhicule électrique, d’associer systématiquement véhicule électrique et recharge à la maison.

M. Stéphane Piednoir. Cette question constitue sans doute l’un des freins psychologiques. Les gens sont rassurés par le fait de disposer d’une prise à domicile, car ils considèrent qu’ils pourront ainsi, quoi qu’il arrive, recharger leur batterie chez eux.

M. Francis Vuibert. Cet argument était utilisé par les acheteurs de voitures De Dion-Bouton à la fin du XIXe siècle, qui veillaient à avoir toujours un bidon d’essence dans leur garage. Ne perpétuons pas aujourd’hui cette idée avec les véhicules électriques.

M. Emmanuel Charil. Les exposés qui viennent d’être présentés m’inspirent trois observations. La première concerne la résorption des zones blanches : il en reste encore, notamment au centre de la France, qui freinent l’itinérance. Même si l’itinérance n’est pas l’objectif premier de la mobilité électrique, il est dommage de ne pouvoir traverser la France autrement qu’en utilisant le réseau Corri-Door. Même si l’on ne peut, bien évidemment, que se féliciter de son existence, il implique de voyager sur autoroute, ce qui n’est pas forcément facile pour un véhicule électrique. Il faut se préoccuper de cet aspect.

Un deuxième élément, qui m’inquiète encore davantage, suite notamment à l’exposé de M. Voiron, concerne l’avenir du réseau à 22 kilovoltampères. Pensé, mis en œuvre, et déployé par les collectivités, il représentait un compromis entre l’appel de charge, la puissance, et la vitesse de charge. Des millions d’euros ont été investis dans ce cadre. Il me semble qu’il ne faut pas l’abandonner. Je lance donc un appel aux constructeurs, et les invite à ne pas oublier que la majorité du réseau français est constitué de bornes de 22 kilovoltampères de puissance, et qu’il est important d’insérer sous le capot un chargeur adapté, permettant d’avoir un bon équilibre entre la vitesse de charge et la puissance du réseau, ainsi que des installations.

Ma troisième remarque concerne les super-chargeurs. Je suis relativement sceptique sur la concurrence qui s’instaure entre les différents opérateurs. Comme ceci a été rappelé, recharger une batterie avec un tel chargeur revient à utiliser une lance à incendie pour remplir une bouteille d’eau. Par ailleurs, je constate sur le terrain que la première station allemande IONITY, comportant six super-chargeurs de 100 kilovoltampères, a été installée aux portes d’Angers. L’infrastructure est donc là avant même que les véhicules premium allemands soient commercialisés, ce qui est très bien. Aujourd’hui, Tesla arrive et envisage d’installer le même type de super-chargeurs, à quelques mètres seulement des précédents. Non seulement ceci m’interpelle quant à la rationalité des investissements privés, alors que nous sommes un opérateur public, mais m’interroge également en tant que représentant de l’autorité organisatrice de la distribution d’électricité. Cette situation me rappelle l’époque où il existait une concurrence entre les normes de prises sur les bornes de première génération. Ce point doit, selon moi, être réglé par les constructeurs automobiles, pour aller dans le sens d’une convergence forte, afin d’éviter le développement d’infrastructures concurrentes aux mêmes endroits, c’est-à-dire essentiellement aux points de forte circulation que sont les croisements d’autoroutes.

M. Gérard Longuet. Ma question s’adresse à Mme Antoine-Simon et concerne les limites de la puissance. Pourriez-vous nous donner quelques précisions ? Vous nous avez également rappelé, bien que ceci ne soit pas au cœur de nos débats aujourd’hui, des éléments relatifs au coût de l’installation, à sa rentabilité, au regard des dépenses à la fois d’investissement (en anglais, capital expenditure ou CAPEX) et de fonctionnement (en anglais, operational expenditure ou OPEX). Quel est l’écart actuellement constaté ? Que faudrait-il pour que la rentabilité soit assurée ?

Mme Juliette Antoine-Simon. La réponse à votre première question concerne la chimie des batteries, sujet sur lequel je ne suis sans doute pas la meilleure interlocutrice possible. Il faut savoir que pour des raisons liées à la batterie, sa courbe de charge décroît très vite. Un investissement important est réalisé pour pouvoir, au pic, se charger à 50, 150, voire 350 kilowatts ; mais en réalité, cette puissance décroît très rapidement, et l’on ne se recharge plus qu’en 100 ou 150 kilowatts. Un très fort investissement est donc réalisé pour quelques minutes de charge à la puissance maximale. Pour ma part, je trouve que les constructeurs de batterie, majoritairement étrangers, devraient se concentrer sur la capacité de la batterie à charger plus longtemps à moins forte puissance, plutôt qu’à très forte puissance pendant très peu de temps. In fine, l’important pour l’utilisateur est de savoir au bout de combien de temps sa batterie est chargée. Le fait qu’elle ait chargé très vite au début et lentement à la fin, ou à une puissance moyenne constante, lui importe peu. Par contre, il n’en va pas de même pour les réseaux et les investissements, qui diffèrent selon l’option choisie.

Le deuxième point, que nous regardons de près, à la fois en tant qu’investisseur, mais aussi aux côtés des collectivités locales qui ont réalisé un effort d’investissement important, est essentiel. D’après les estimations que nous avons effectuées, et suite à des échanges avec d’autres acteurs ayant déployé des réseaux de charge, nous évaluons que le point d’équilibre d’un réseau en coût d’exploitation se situe entre cinq et dix charges par jour et par borne. Nous en sommes encore loin aujourd’hui, avec en moyenne une charge par jour et par borne dans le meilleur des cas. Il faut savoir que certains réseaux ne comptabilisent qu’une charge par mois et par borne. Toutefois, nous constatons, sur certains réseaux et bornes, que nous parvenons à équilibrer le coût d’exploitation avec les revenus. Tout dépend ensuite du prix de la charge. En tout cas, il existe une perspective d’équilibre, mais seulement pour les bornes les plus fortement utilisées, d’où la question des zones blanches, et des zones sur lesquelles on sait pertinemment que ce taux d’utilisation ne sera jamais atteint.

M. Gérard Longuet. Combien coûte une borne ?

M. Jean-Clair Fayolle. Une borne rapide coûte en moyenne, en fourniture et pose, de l’ordre de 30 000 à 35 000 euros. Une borne accélérée de 22 kilovoltampères coûte de 10 000 à 12 000 euros. L’impact financier est donc considérable.

Je souhaiterais apporter un témoignage sur la question des charges et des chargeurs. Nous disposons, au niveau de REVEO, d’un comité de pilotage réunissant très régulièrement les dix syndicats, les deux métropoles, et notre prestataire Bouygues. Récemment, le prestataire a voulu savoir ce que nous pensions de l’effacement, le cas échéant, des bornes de recharge publique. La réponse que nous lui avons collectivement apportée a consisté à indiquer qu’une borne de recharge publique était un service public, et ne pouvait à ce titre être effacée. Ce sujet commence toutefois à être évoqué. Aussi, je souhaitais soumettre cet élément à votre réflexion.

M. Gérard Longuet. Il apparaît très clairement que la politique de charge doit devenir une préoccupation nationale. Il ne s’agit pas d’un élément marginal, qui plus est dans la perspective du stockage décentralisé d’électricité.

Mme Juliette Antoine-Simon. Permettez-moi d’apporter un témoignage concernant l’effacement. Nous exploitons le réseau de bornes de charge de la métropole de Nice, qui constitue une péninsule électrique, où la problématique réseau est particulièrement intense. Lorsque nous sommes en alerte dite « écowatts », émise par Réseau de transport d’électricité (RTE), qui vise à optimiser l’utilisation d’électricité du fait d’une congestion particulière, nous stoppons la recharge des bornes de véhicules électriques, considérée comme non prioritaire par rapport à d’autres usages. Effacer peut consister soit à arrêter complètement la recharge des bornes, soit à baisser la charge moyenne, sans trop pénaliser les utilisateurs. Toute la subtilité est alors de savoir si l’on pratique une tarification particulière ces jours-là pour indemniser les utilisateurs, ce qui paraîtrait logique. En tout cas, nous sommes capables de tenir compte d’une éventuelle contrainte particulière sur les réseaux de charge.

M. Gérard Longuet. Nous n’avons épuisé ni le sujet, ni nos capacités contributives, mais sommes parvenus au bout de notre temps de parole. Je laisse donc la parole au sénateur Stéphane Piednoir, pour quelques mots conclusifs.

M. Stéphane Piednoir. Je félicite et remercie à nouveau l’ensemble des intervenants pour la qualité de leur participation. Nous serions, en outre, reconnaissants à celles et ceux qui ont présenté des diaporamas de bien vouloir nous les faire parvenir. Huguette Tiegna et moi-même tâcherons de prendre en compte autant que possible vos interventions, qui ne manqueront pas d’enrichir notre rapport, qui sera probablement publié en janvier 2019.

Mme Huguette Tiegna. J’ajoute que la mission court normalement jusqu’en février ; nous n’avons donc pas encore terminé nos travaux, et allons procéder à quelques auditions privées supplémentaires, le but étant, concernant le projet de loi d’orientation de la mobilité, de parvenir à formuler ensemble des propositions concrètes, pour l’avenir de la mobilité dans notre pays et dans nos départements.

M. Gérard Longuet. Pour ma part, je remercie nos deux rapporteurs d’avoir mobilisé des témoins aussi précis, vivants, et concrets, illustrant la diversité de la problématique et des initiatives prises dans le domaine de la mobilité électrique.

Charles Péguy disait ne croire « quaux témoins qui se font tuer ». Tout comme lui, je suis sensible à l’expression et aux prises de positions de celles et ceux qui s’engagent pleinement pour leurs convictions. Vous l’avez fait ; soyez-en remerciés.

 



   Comptes rendus des auditions DES rapporteurs

Audition de M. Patrick Corbin, président, et de Mme Madeleine Lafon, directrice des affaires publiques et de la communication,
Association française du gaz (AFG)

Mercredi 13 septembre 2018 à l’Assemblée nationale

 

M. Patrick Corbin, président, Association française du gaz (AFG). L’Association française du gaz est le syndicat qui représente l’ensemble de la filière gaz en France, non de la production jusqu’au client final, puisqu’il n’y a quasiment plus de production de gaz naturel en France, mais au moins depuis l’importation jusqu’au client final. Par ailleurs, vous savez qu’à présent la France produit aussi du biométhane, avec une soixantaine d’installations existantes.

Nos sept principaux membres sont le comité français du butane et du propane, EDF pour sa partie gaz, ENGIE, GrDF, distributeurs de gaz, GRT Gaz, l’opérateur de transport, avec Teréga dans le Sud-ouest, et Total. Nous sommes associés au niveau national avec d’autres organisations, comme le MEDEF. Nous travaillons aussi assez régulièrement avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Par ailleurs, nous sommes membres, au niveau européen, d’Eurogas, ainsi que, bien entendu, de l’Union internationale du gaz.

Peut-être avez-vous une définition précise de ce que recouvre l’interdiction à la vente des véhicules thermiques en 2040, car nous en avons vu plusieurs, et ne savons plus très bien quelle est la véritable.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Si votre question porte sur le périmètre du parc, cet objectif concerne les véhicules automobiles individuels.

M. Patrick Corbin. Vous ne prenez donc pas en compte les véhicules de transport de marchandises.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Dans le cadre de notre étude, nous nous concentrons sur les véhicules individuels, mais dans la perspective de 2040 nous prenons effectivement en compte les autres véhicules de transport terrestre, mais pas le transport aérien et maritime. Le Plan climat mentionne la fin de la vente des véhicules émetteurs de gaz effet de serre.

M. Patrick Corbin. Ce problème de définition me paraît important à relever. En effet, les véhicules thermiques peuvent s’inscrire dans un cercle vertueux, sans émission de gaz à effet de serre, s’ils sont alimentés en biométhane, un gaz similaire au gaz naturel.

Plutôt que d’évoquer la fin de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040, il nous semble préférable de parler de la fin de la commercialisation des véhicules émetteurs de gaz à effet de serre. Le constructeur Audi a ainsi publié un comparatif des différentes filières – ce n’est pas le seul disponible – qui montre qu’il faut être attentif lorsqu’on traite d’émissions de carbone, ou d’impact des mobilités sur le climat.

À ce jour, la directive européenne, souvent mentionnée, qui prévoit de limiter les émissions des véhicules des particuliers à 95 grammes de CO2 par kilomètre en 2021, sauf à encourir des pénalités, se concentre uniquement sur l’usage du véhicule. Ainsi, on estime qu’un véhicule électrique est propre par nature, parce que l’électricité est considérée comme renouvelable. Quand il s’agit d’électricité nucléaire ou renouvelable, cette hypothèse est admissible, mais pas à Francfort ou Munich, avec de l’électricité produite à partir de lignite.

Aussi, considérons-nous que, pour être sérieux, il faut procéder à une analyse complète du cycle de vie, dite en anglais cradle to grave, ou en français du berceau à la tombe, en l’occurrence du berceau à l’usage, puisque le recyclage n’est pas intégré. Je ne suis pas un spécialiste du monde automobile, mais les filières de récupération des matériaux pour les véhicules thermiques semblent relativement matures. En revanche, il existe toujours des interrogations concernant le recyclage des batteries.

Après, il faut de l’énergie pour produire les véhicules. Ramené en grammes de CO2 par miles, le constructeur Audi évalue ces émissions aux alentours de 48 grammes pour un véhicule diesel ou essence, de 53 pour un véhicule au gaz, et de 82 pour un véhicule électrique. D’où provient cet écart ? Très clairement des batteries, puisqu’il faut énormément d’énergie pour les produire.

Ensuite, il faut tenir compte de l’énergie nécessaire pour produire l’énergie. La transformation du pétrole ou du gaz en essence utilisable dans un moteur induit des coûts non négligeables, fonctions par exemple du rendement des raffineries. Il en va de même pour l’électricité, même si elle est produite à partir d’énergies renouvelables, par exemple l’éolien.

Pour le gaz, Audi prend en compte le e-gas, un terme qui recouvre essentiellement le biométhane. Celui-ci émet autant de gaz à effet de serre que le gaz naturel à l’échappement de la voiture, mais comme les plantes utilisées pour sa fabrication ont capté du CO2 durant leur croissance, les émissions s’équilibrent. C’est pour cela qu’Audi présente un chiffre négatif pour ces émissions.

M. Stéphane Piednoir. Donc, les 45 grammes annoncés par Audi correspondent uniquement à la production du biométhane, et les -108 grammes au captage antérieur du CO2 ?

M. Patrick Corbin. Pour fabriquer le biométhane, il faut une installation industrielle, des tracteurs transportant la matière jusqu’aux installations, etc. En faisant la somme de l’ensemble de ces émissions, sans aller jusqu’au recyclage, on constate que, grosso modo, un véhicule au biométhane est aussi propre qu’un véhicule électrique. Ainsi qu’il est souvent rappelé, un véhicule électrique ne commence à être propre qu’à partir de 40 000 ou 60 000 kilomètres, puisque sa fabrication a nécessité de l’énergie.

Ce matin, le directeur général de l’énergie et du climat, M. Laurent Michel, soulignait la nécessité d’aller plus loin à l’avenir dans l’analyse des cycles de vie complets. Nous sommes complètement d’accord, pas seulement parce que cela va à notre avantage, mais d’abord en tant que citoyens, car cela correspond à la réalité.

M. Stéphane Piednoir. Concernant le captage du CO2, les plantes utilisées sont-elles spécialement produites ou existent-elles de toute façon ? Dans les mécanismes de fabrication du biométhane classiques, les intrants sont principalement agricoles, mais aussi parfois industriels.

M. Patrick Corbin. Aujourd’hui, ce sont des intrants très largement agricoles, et issus de l’industrie agroalimentaire, pas seulement des graisses, mais aussi des déchets de malterie, de sucreries, etc. Tout ce qui contient de la matière organique est susceptible d’être transformé en biométhane.

M. Stéphane Piednoir. Je cherche à trouver une explication aux -108 grammes. S’agit-il de plantes spécialement plantées pour alimenter le méthaniseur ?

M. Patrick Corbin. Pour les méthaniseurs, on utilise ce qu’on appelle les cultures intermédiaires, la France ayant, contrairement à l’Allemagne, refusé – à ma connaissance conformément à un consensus politique entre tous les partis – de réaffecter des surfaces utilisées pour l’alimentation animale ou humaine à des fins énergétiques. L’Allemagne, en faisant le choix inverse, a, en partie, sauvé son agriculture, et, en partie, détruit la nôtre, en créant un delta de compétitivité.

M. Stéphane Piednoir. Elle est aussi prisonnière d’un dogme sur l’arrêt du nucléaire qui pose d’autres problèmes.

M. Patrick Corbin. Je pense qu’on ne le dit pas assez, d’autant que je suis assez proche du monde agricole : ce choix, que je ne cautionne pas, a donné une compétitivité à l’agriculture allemande qui a mis à mal, en dix ans, l’agriculture française.

En revanche, la France a accepté les cultures intermédiaires. Celles-ci consistent à planter, immédiatement après la récolte de l’orge ou du blé, une culture qui sera récoltée, par exemple au mois de mars ou d’avril, avant de semer du maïs ou des betteraves. Cette plante n’ira pas à maturité, faute de soleil et de jour suffisants, conformément au cycle habituel des plantes. Nos pays ne permettent pas, comme d’autres, de faire trois récoltes par an. Ces plantes sont coupées, broyées et utilisées pour fabriquer du méthane. Ce sont des cultures intermédiaires à vocation énergétique. On pourrait objecter qu’en enlevant ces plantes du sol on retire de la matière organique. Tel n’est pas le cas, puisqu’une fois le méthane produit, on récupère un digestat, ensuite épandu dans les champs.

L’AFG soutient ce processus, même s’il serait mieux défendu par le monde agricole, puisqu’il permet d’ajouter de la matière organique au sol. Le sénateur Courteau, vice-président de l’OPECST, a ainsi évoqué la fameuse expérimentation dite « quatre pour mille », consistant à augmenter de quatre pour mille la quantité de matières organiques apportées au sol chaque année. Celle-ci pourrait jouer un rôle crucial pour résoudre la problématique de l’effet de serre. Faute d’expertise sur la question, je ne peux me prononcer.

Le premier message que nous souhaitons communiquer, c’est que parler des émissions des véhicules, selon les termes bruxellois, en tank to wheel, du réservoir à la roue, n’est pas sérieux. Clairement, il faut considérer le problème de manière globale

Mme Huguette Tiegna. Les premières auditions ont justement pour but d’aider à circonscrire le périmètre, pour définir les différents scénarios. Aujourd’hui, il est vrai qu’on a tendance à penser aux véhicules électriques. Mais on sait qu’il existe aussi des véhicules roulant au gaz propre, notamment l’hydrogène, qui entrent dans le cadre de notre étude.

Par ailleurs, ces derniers temps, on parle beaucoup d’économie circulaire. Cette étude est aussi l’occasion de prendre en compte toute la chaîne pour un certain nombre de filières. Nous serons amenés à analyser cette chaîne, pour voir si telle ou telle solution est réellement propre. Pour le véhicule électrique se pose la question de la gestion des batteries. Peut-être que le gaz renouvelable pourrait, au final, permettre une mobilité propre, notamment pour les trajets longue distance.

M. Patrick Corbin. Le premier message que nous voulions faire passer, c’est qu’une analyse limitée aux émissions directes ne nous apparaît pas sérieuse, sans même aborder la problématique des terres rares, sur laquelle je n’ai pas d’avis, même si actuellement il existe une inquiétude sur la capacité à disposer de suffisamment de matériaux pour les batteries.

M. Stéphane Piednoir. Des gisements nouveaux se font jour, mais la Chine conserve un quasi-monopole dans ce domaine des terres rares.

Mme Madeleine Lafon. L’enjeu est géopolitique. L’Institut français des relations internationales (IFRI) a publié un rapport intéressant sur le sujet.

M. Stéphane Piednoir. Ce qui me désole, ce sont surtout les conditions d’exploitation.

M. Patrick Corbin. Si l’on remplace, à conditions égales, tous les véhicules à moteur thermique en 2040 par des véhicules électriques, on aura raté l’objectif.

M. Stéphane Piednoir. Pour le gaz naturel véhicules (GNV), le nombre très réduit de points de ravitaillement constitue un obstacle majeur.

M. Patrick Corbin. Pour le GNV nous nous focalisons sur le transport de marchandises et de voyageurs. L’objectif n’est pas le marché du véhicule particulier, où existe une forte compétition avec l’électrique, malgré la position de certains constructeurs, comme Audi ou Seat. Ce dernier va d’ailleurs proposer un véhicule GNV au prochain salon de l’automobile, et compte en faire la promotion.

Pour les véhicules lourds il existe aujourd’hui à peu près 8 000 stations essence. Pour disposer d’un réseau GNV relativement bien maillé, il faudrait approximativement un millier de stations. Notre objectif, que nous sommes près d’atteindre, serait de parvenir à deux cents points de ravitaillement d’ici la fin de l’année et qu’environ un camion sur deux et un bus sur deux roulent au gaz naturel véhicule en 2030, car nous estimons qu’à cette échéance il n’existera pas de solution électrique. Aujourd’hui, l’offre gaz évolue assez vite, puisqu’il existe des moteurs pour les camions sur la quasi-totalité de la gamme, en partant des 3,5 tonnes jusqu’aux 35 tonnes.

En 2030, nous aurons aussi du biométhane en volume suffisant. Mais il faut être clair, comme pour l’électricité photovoltaïque ou éolienne, qui une fois dans le réseau ne se distingue pas de l’électricité nucléaire, le biométhane une fois mélangé dans le réseau avec le gaz naturel, devient simplement du méthane.

Mme Madeleine Lafon. Le nombre de points d’avitaillements progresse à une rapidité assez impressionnante. Voici deux ans, le rythme était d’une nouvelle station par mois, voici un an d’une station toutes les deux semaines, et à présent plutôt d’une station ou point d’avitaillement par semaine. Souvent, les stations comportent deux points d’avitaillement : gaz naturel liquéfié (GNL) et gaz naturel compressé (GNC). Le rythme de construction de stations est donc vraiment soutenu. C’est la raison pour laquelle nous sommes assez optimistes sur le maillage du territoire. Nous sommes également assez optimistes du fait du modèle économique sous-jacent. Il faut de l’ordre d’une cinquantaine de camions pour rentabiliser une station.

Les transporteurs s’orientent assez vite vers cette solution et la rentabilisent assez rapidement, d’autant qu’ils sont très fortement poussés par les chargeurs à utiliser le GNV pour transporter des marchandises en centre-ville.

M. Stéphane Piednoir. Cela représente combien de véhicules pour les bus et les camions ?

M. Patrick Corbin. Nos parts de marché seraient entre 35 % et 76 % en 2030, de 60 % à 76 % pour les camions et un peu moins pour les bus. Le nombre de bus et de camions se situerait entre 120 000 et 180 000.

Le scénario bas correspond au business as usual, qui suppose que le Gouvernement maintienne simplement les dispositions actuelles, sachant que la filière est relativement peu soutenue et consomme peu d’argent public. Les deux mesures essentielles sont, d’une part, une fiscalité favorable au gaz par rapport au diesel, et, d’autre part, une possibilité de suramortissement de 40 %, prévue dans la loi de finances et promise pour deux ans, si elle est pérennisée.

Un scénario plus ambitieux implique que les territoires et les régions se saisissent un peu plus de la question, en poussant à la création de stations. L’écart entre les deux scénarios est de l’ordre de 700 stations. À lui seul, le marché est capable de créer un millier de stations.

Cet objectif devrait être inclus dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), attendue pour fin octobre.

Mme Huguette Tiegna. Concernant la méthanisation, à combien s’élève à ce jour le nombre d’installations en France ?

M. Patrick Corbin. Je pensais dire à 60 méthaniseurs, mais ils sont déjà 63, ce nombre évoluant quotidiennement.

Mme Huguette Tiegna. Quelle est leur puissance totale ?

M. Patrick Corbin. Dans l’ancienne PPE, il était prévu de parvenir à 8 TWh au total en 2023. Aujourd’hui, avec les méthaniseurs en service et les projets en cours, nous y sommes pratiquement déjà. Bien entendu, ce méthane est racheté à un tarif supérieur à celui du gaz naturel.

En 2030, on prévoit que pour le GNV, on devrait consommer à peu près 35 TWh. Aujourd’hui, le GNV se répartit en deux tiers de gaz naturel comprimé et un tiers de gaz naturel liquéfié.

Mme Huguette Tiegna. Par rapport aux véhicules électriques, les véhicules gaz présentent l’avantage d’une plus grande autonomie. Qu’est-ce qui freine aujourd’hui leur développement ?

M. Patrick Corbin. Si les deux mesures dont je viens de parler pouvaient être garanties sur les dix prochaines années, le marché démarrerait, parce que les investisseurs privés ont besoin de visibilité. Aujourd’hui, malheureusement, elles sont inscrites dans une loi de finances qui peut changer tous les ans. Notre principal souhait est la pérennisation des mesures actuelles.

Mme Huguette Tiegna. Ces objectifs n’auraient pas pu être intégrés dans le cadre de la PPE ?

M. Patrick Corbin. Il faudrait une loi. Par exemple, les Anglais ont trouvé une astuce, consistant à inscrire dans la loi l’écart de fiscalité entre le gaz et le diesel. Dans le cadre de chaque loi de finances, le gouvernement peut faire fluctuer la fiscalité, mais l’écart reste fixe, si bien que les investisseurs ont une visibilité. De plus, la PPE ne revient plus au Parlement, elle relève à présent d’un décret.

Mme Madeleine Lafon. Pour l’amortissement des camions, c’est à peu près la même chose en termes de visibilité. Le camion au gaz présente effectivement aujourd’hui un surcoût, mais avec l’effet de masse cette différence va se réduire.

M. Stéphane Piednoir. Les stations sont également coûteuses.

M. Patrick Corbin. Leur coût est de l’ordre de 200 000 à 300 000 euros. Par contre, ces stations ne demandent aucun investissement dans les réseaux amont, parce que la puissance des réseaux de distribution de gaz est telle qu’il n’existe aucun souci sur ce plan, contrairement au cas de l’électricité, que je connais bien puisque j’étais distributeur et opérateur de réseaux gaz et électricité.

Mme Huguette Tiegna. Existe-t-il des freins au niveau de la production du biométhane ?

M. Patrick Corbin. On peut toujours rêver d’avoir des tarifs de rachat plus élevés, mais on sait qu’in fine cet argent est pris dans la poche des consommateurs. Aussi, pensons-nous qu’il n’est pas nécessaire d’augmenter les tarifs de rachat. En revanche, il est important de parvenir à créer une vraie filière industrielle, pour faire baisser les coûts de ces installations.

Les Allemands ont construit presque 10 000 méthaniseurs. Dans les premières installations construites en France injectant le biométhane dans le réseau, la plupart des technologies sont d’origine allemande. Mais ces installations sont constituées de béton, d’acier, de moteurs, de vannes, etc. La francisation de ces technologies n’est donc pas insurmontable.

L’AFG a fortement poussé à la création d’une filière industrielle pour le biométhane, parce que c’est l’une des premières fois dans le domaine de l’énergie qu’on ne discute pas entre grands. Cette production est très décentralisée. Il s’agit de groupements d’agriculteurs, entre cinq et dix, ou seulement deux ou trois quand ils sont très gros. Un méthaniseur requiert à peu près 1 000 hectares et quatre millions d’euros d’investissement, et fournit de quoi chauffer entre 1 000 et 2 000 maisons.

Ces installations sont extrêmement disséminées. Il faut donc qu’elles soient relativement standardisées. Sachant qu’un groupement d’agriculteurs réalise en général une seule installation, à chaque fois il existe un besoin d’apprentissage, contrairement à d’autres industries où la reproduction des installations permet d’apprendre pour faire plus vite et moins cher

M. Stéphane Piednoir. Les processus sont-ils très différents d’un site à l’autre ?

M. Patrick Corbin. Non, ils peuvent être très proches, mais les porteurs de projet étant différents à chaque fois, ils doivent réapprendre.

M. Stéphane Piednoir. Il n’existe donc pas de filière d’investissement ?

M. Patrick Corbin. Je suis convaincu que la valeur ajoutée du biométhane doit profiter aux agriculteurs. Si elle est captée uniquement par les industriels, nous aurons raté l’objectif.

M. Stéphane Piednoir. Que penser de l’objectif de 100 % de biogaz en 2050 ? C’est ce qui est souvent communiqué par les différents acteurs de votre fédération, parmi les sept principaux.

M. Patrick Corbin. On ne peut pas être contre cet objectif. Nous avons vu les scénarios de la stratégie nationale bas-carbone (SCNBC), présentés au printemps. Je vais outre-Rhin lundi voir mon homologue allemand. La problématique du CO2 ne s’arrête pas à la frontière ou à Strasbourg. J’ai tout de même le sentiment que nos voisins se hâtent très lentement. En l’état, la stratégie nationale bas-carbone aboutit à des transferts de charges sur les ménages de l’ordre de 2 500 euros par an. Est-ce soutenable ?

Mme Huguette Tiegna. Faut-il proposer aux ménages d’investir dans l’énergie qu’ils consomment ?

M. Patrick Corbin. Aujourd’hui, nous sommes très inquiets des scénarios tout électrique, comme des scénarios hydrogène. L’hydrogène est un vecteur, mais il est produit à 99 % à partir de gaz naturel. C’est le cas pour l’hydrogène distribué au pont de l’Alma. Cela ne change rien, même si en raisonnant en tank to wheel, le résultat semble parfait. L’hydrogène n’a de sens que s’il est produit à partir d’une énergie totalement décarbonée : une électricité renouvelable extrêmement surabondante. Actuellement, quand on fait tourner les modèles économiques, on n’arrive pas à trouver d’équilibre économique à ce système. C’est la réalité.

La France est un grand pays agricole, disposant de biomasse. Je vais très souvent à la campagne, dont je suis originaire. Je connais bien le sénateur Jean‑Claude Lenoir, originaire du Perche. Dans ma région, la biomasse ligneuse, c’est‑à‑dire les haies, n’étant plus entretenues, dépérissent sur elles-mêmes. Si elles étaient coupées tous les vingt ans, cela permettrait de produire des quantités de bois extrêmement importantes pour la pyro-gazéification.

M. Stéphane Piednoir. Mais qui se chargerait de la taille ?

M. Patrick Corbin. Ce seraient des machines.

M. Stéphane Piednoir. J’étais vice-président en charge de l’énergie à Angers jusqu’à l’année dernière, c’est un sujet que nous avons souvent évoqué avec les agriculteurs, qui répondent ne pas avoir le temps nécessaire.

M. Patrick Corbin. Il faut inventer de nouveaux schémas organisationnels, en faisant appel à des entreprises agricoles. C’est ce qui a été fait dans le village que j’ai visité.

Faut-il atteindre 100 % de gaz renouvelable en 2050 ? Je ne sais pas si c’est soutenable économiquement. En tout cas, la méthanisation est une voie qui progresse. Il en existe d’autres. Mais je pense que la France dispose là d’un véritable atout.

Mme Huguette Tiegna. Parvenir à 100 % suppose de tout harmoniser, ce qui n’est pas nécessairement un objectif. 2040 ou même 2050 est une échéance toute proche. Il faut plutôt viser un mix.

M. Stéphane Piednoir. Êtes-vous venu aujourd’hui à l’Assemblée avec un véhicule sans émission de gaz à effet de serre ?

M. Patrick Corbin. Je dispose d’un véhicule thermique, mais à Paris je me déplace en transports en commun. Je rêve de me déplacer en vélo électrique, mais actuellement c’est trop compliqué.

M. Stéphane Piednoir. On voit un peu de tout dans les rues : trottinettes électriques, scooters, mono-roues, etc.

M. Patrick Corbin. Parler de véhicule électrique constitue un raccourci inadéquat, il conviendrait de parler de mobilité électrique. Un conducteur seul dans sa voiture électrique dépense de l’énergie pour déplacer une tonne et demie, alors qu’il est bien moins lourd. Les mobilités propres, comme une trottinette de 10 kg, ou un vélo électrique de 30 kg, permettent une réelle économie d’énergie.

Mme Huguette Tiegna. Dans cette notion de mobilité électrique, on pourrait aussi inclure l’hydrogène produit par électrolyse, par exemple à partir d’une centrale solaire ou éolienne.

M. Patrick Corbin. L’hydrogène fait partie de la mobilité électrique, qui pourrait être différente. Nous ne disons pas que l’hydrogène constitue une erreur, mais qu’aujourd’hui les conditions économiques sont vraiment très éloignées, parce qu’avant de parvenir à la mobilité hydrogène, il faut disposer d’une électricité surabondante, non dix heures par an – c’est insuffisant pour rentabiliser une usine de transformation – mais des milliers d’heures par an.

Mme Huguette Tiegna. Les énergies renouvelables étant décentralisées, et les ressources dans ce domaine n’étant pas réparties uniformément sur tout le territoire, les régions les mieux dotées en soleil et en vent pourraient alimenter un processus d’électrolyse beaucoup plus longtemps.

Une autre question résulte de l’interconnexion des réseaux européens : comment, à long terme, parvenir à décarboner de l’électricité injectée dans un réseau, alors que tous les pays ne sont pas dans la même démarche ?

M. Patrick Corbin. Étant dans ce métier depuis plus de quarante ans, j’entends parler depuis très longtemps du renforcement de l’interconnexion électrique avec l’Espagne. Aujourd’hui, si on regarde l’exemple allemand, l’une des principales raisons de cet échec assez cuisant, est que l’Allemagne devait construire plusieurs milliers de kilomètres de lignes électriques, mais n’a pu en réaliser que de l’ordre de 10 %. Les lignes électriques constituent, en raison de l’acceptabilité sociale, un goulet d’étranglement redoutable.

Mme Madeleine Lafon. Pour l’hydrogène, nous avons justement travaillé sur une feuille de route gaz renouvelable qui décrit les leviers et les obstacles à lever pour développer les trois filières : biométhane, bio-gazéification et hydrogène renouvelable. Elle sera dévoilée le 25 septembre, lors d’un congrès dédié aux gaz renouvelables.

M. Patrick Corbin. Nous sommes convaincus que la transition énergétique va coûter cher. Il va falloir l’expliquer aux Français. Il faut trouver le chemin à la fois le moins coûteux et le plus créateur d’emplois. Aujourd’hui, j’ai la conviction qu’il faut tirer profit de l’atout de la France, qui est d’être un grand pays rural, avec beaucoup de biomasse.

Mme Huguette Tiegna. À ce jour, qui maîtrise le mieux la technologie de la méthanisation ? Est-ce que l’Allemagne est en avance ?

M. Patrick Corbin. Aujourd’hui, c’est plutôt l’Allemagne. Mais les Allemands construisaient des méthaniseurs d’une très grande simplicité, pour des fermes de 200 hectares couvertes de maïs, broyé avant d’être méthanisé. C’est extrêmement simple, parce que le méthaniseur est alimenté en produit d’une très grande stabilité et régularité, alors que quand vous mettez à la fois du fumier, des déchets de agricoles, des patates germées, etc. vous obtenez une cocotte-minute, qui évolue. C’est donc plus compliqué. Ces sociétés allemandes développent en France des processus un peu mieux adaptés à nos spécificités.

Mme Huguette Tiegna. On évoque des technologies qui vont se développer d’ici 2040, mais si on ne met pas aussi l’accent sur la formation, leur déploiement va être difficile.

M. Patrick Corbin. Concernant cet aspect, l’une de nos mesures porte spécifiquement sur la formation des agriculteurs porteurs de projets, de manière à ce qu’ils disposent d’une formation complète, et ne redécouvrent pas tout.

Mme Madeleine Lafon. Cela se fera de toute façon avec le monde agricole, et les organisations professionnelles.

M. Patrick Corbin. Nous pensons qu’un très grand effort est à réaliser sur ce plan.

Et puis il faut aussi regarder les autres externalités positives du système. Bien entendu, on crée de l’emploi en milieu rural. Par ailleurs, sans être un expert, j’entends souvent que plus on couvre un sol avec des plantes, plus on évite les mauvaises herbes, et moins on a besoin d’herbicides. C’est un début de cercle plus vertueux, même s’il n’exclut pas complètement l’usage du glyphosate.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez tout à fait raison, parce qu’on souhaite mettre l’accent sur l’agriculture biologique, sans herbicides ou pesticides. Je pense que ça va dans le bon sens, d’autant plus que l’un des freins à la méthanisation, c’est que les gens sont inquiets des produits qui peuvent se trouver dans le digestat épandu dans les champs.

Mme Madeleine Lafon. Les agriculteurs sont eux-mêmes inquiets et très vigilants sur les produits qui constituent ce digestat.

Mme Huguette Tiegna. C’est vrai des agriculteurs, mais il existe aussi des installations un peu plus industrielles, qui mélangent un peu de tout, alors que les destinataires finaux pour l’épandage, sont quand même les agriculteurs.

M. Patrick Corbin. M. Olivier Dauger, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), en charge des affaires de climat et d’énergie, m’indiquait la semaine dernière que les déchets agricoles de la région de Reims partent aujourd’hui en Belgique. Est-ce bien raisonnable ? Ces déchets agricoles parcourent 300 kilomètres dans un camion de 35 tonnes. Et de la matière organique est retirée des sols français, car on ne va pas ramener ce digestat par la route, ce serait trop cher.

Mme Huguette Tiegna. Dans le Lot, le problème ne porte pas sur les digestats qui partent dans un autre pays, mais sur la présence d’un méthaniseur industriel, même si des agriculteurs possèdent deux pourcents de son capital. Cette entreprise est installée dans plusieurs départements voisins, où les camions ramassent des déchets pour les amener dans le Lot. Par contre, les digestats ne sont épandus que dans le Lot. Les associations expliquent que pour rentabiliser le CO2 dégagé par ces camions, ceux-ci devraient amener aussi des digestats pour les épandre dans les autres départements, ce qui n’est pas fait aujourd’hui.

M. Patrick Corbin. C’est pour cela que nous sommes plutôt favorables à de petites installations sur mille hectares, avec une multiplicité de projets locaux.

Mme Huguette Tiegna. C’est aussi notre position, mais nous n’avons pas pu faire autrement, ce méthaniseur étant déjà construit.

M. Patrick Corbin. Il existe aussi des difficultés d’acceptabilité sociale, même si une fois l’installation construite, les choses se passent bien. Mais l’acceptabilité sociale est difficile, parce qu’aujourd’hui le monde agricole est à cran.

M. Stéphane Piednoir. Il y a aussi quelques incidents. Je pense, dans mon département, à de gros industriels qui ne font pas les investissements nécessaires, décrédibilisant ainsi la filière de la méthanisation. J’ai entendu à ce sujet des riverains, des associations, et des collectifs qui, du coup, sont critiques vis-à-vis de la méthanisation.

M. Patrick Corbin. Un autre facteur qui peut nuire à l’acceptabilité, c’est qu’en général seuls les plus gros agriculteurs ont une surface financière suffisante pour financer ces projets. Non seulement ils ont cette capacité, mais ce faisant, ils assurent encore mieux la pérennité de leur structure agricole.

Mme Madeleine Lafon. Le financement représente aussi l’un des obstacles à lever, les fonds propres nécessaires étant assez importants.

Mme Huguette Tiegna. Hier, il nous a été indiqué que les Allemands ont pu développer la méthanisation parce qu’ils sont parvenus à réorienter vers celle-ci les crédits de la politique agricole commune.

M. Patrick Corbin. En tous les cas, les Allemands ont pour une bonne part sauvé leur économie agricole en développant la méthanisation, même si c’est de manière un peu détournée.

 


Audition de M. Gilles Bernard, président,
lAssociation française pour litinérance de la recharge électrique des véhicules (AFIREV)

Mercredi 13 septembre 2018 à l’Assemblée nationale

M. Gilles Bernard, président, Association française pour litinérance de la recharge électrique des véhicules (AFIREV). Il ne faut pas partir de l’existant, en disant qu’on va reproduire avec les voitures électriques, ce qu’on a fait jusqu’à présent. Il faut passer de véhicules et de stations-service propriétaires à des véhicules et des recharges considérés comme des services. Et il faut organiser ses services de manière très ouverte, pour qu’ils soient les plus efficaces possible.

Pour entrer plus précisément dans le sujet, quand on a un véhicule électrique, le premier problème est de le recharger, de regagner en énergie, lors de déplacements, ou au domicile. Les choses commencent d’ailleurs le plus souvent au domicile, car il faut disposer d’un moyen de recharger le véhicule sur son lieu de stationnement de nuit. C’est le besoin le plus important, d’autant plus que c’est favorable à tous points de vue : on peut faire une recharge lente et régulée, au bon moment de la nuit, ce qui optimise l’appel d’énergie.

C’est déjà un premier problème, plus difficile à traiter quand on habite dans un immeuble résidentiel collectif que dans une maison particulière. D’ailleurs, la plupart des véhicules électriques sont vendus aujourd’hui à des personnes en maison individuelle.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. À condition qu’ils puissent mettre leur voiture dans le garage.

M. Gilles Bernard. Ce qui est vrai c’est qu’un bon tiers des habitants n’ont pas de place de stationnement, ce qui implique de garer le véhicule sur le domaine public. À cette fin, il faudra disposer de points de recharge dans les zones résidentielles, de façon à ce que les personnes accèdent effectivement à un point de recharge sur le domaine public, pour se recharger pendant la nuit.

Ensuite, il y a un deuxième besoin, celui de la recharge en itinérance, c’est-à-dire la possibilité d’accéder à des bornes de recharge en déplacement, par exemple lorsqu’on se rend à une réunion, à 50 kilomètres et qu’on a besoin de recharger. Ce n’est pas toujours le cas, avec des véhicules dotés d’une grande autonomie. La recharge de nocturne peut être suffisante, mais on peut aussi avoir besoin d’un complément.

Cela dépend beaucoup de la taille de la batterie. La tendance naturelle des constructeurs est de vouloir fabriquer des véhicules premium, avec de grosses batteries. Mais cela rend le véhicule coûteux. Or, le prix du véhicule électrique constitue une difficulté aujourd’hui. Ensuite ce n’est pas le plus économique en ressources et en consommation environnementale, parce qu’un véhicule plus lourd consomme plus d’électricité pour se déplacer, et demande plus de matières au stade de la construction.

Il serait donc préférable de privilégier des véhicules de taille raisonnable, dotés d’une batterie pas trop volumineuse. Du coup, il faudrait pouvoir se recharger plus souvent, pendant une réunion de quelques heures, en faisant ses courses, etc. Ces recharges peuvent s’effectuer en avec des bornes dites normales, à des puissances réduites, économiques en termes d’équipements à installer, contrairement aux bornes dites rapides, qui sont extrêmement coûteuses, ont des pertes d’électricité, chauffent, etc.

M. Stéphane Piednoir. Ces bornes rapides peuvent-elles mettre en péril le réseau ?

M. Gilles Bernard. Elles peuvent éventuellement mettre en péril leur réseau, en tout cas elles rendent la régulation de l’électricité d’autant plus délicate, s’agissant d’une borne rapide, l’utilisateur ne reste pas longtemps. Il faut donc que le réseau soit immédiatement disponible. Les bornes rapides sont difficilement réglables pour optimiser l’usage de la source d’énergie et du réseau.

C’est pour cela qu’il faut avoir ce modèle de bornes normales faciles d’accès et qu’il faut accompagner le conducteur pour qu’il puisse y accéder facilement. Quand il conduit pour aller à un endroit donné, il faudrait qu’automatiquement le GPS lui indique la localisation des bornes disponibles, et permette éventuellement d’en réserver une simplement. Tout cela, ce sont des services. Quand le conducteur branche son véhicule, il ne doit pas avoir à se poser le problème de savoir si c’est une borne Total, Tesla, ou celle de la collectivité locale, etc.

M. Stéphane Piednoir. Pourtant des progrès ont été réalisés sur les standards de prises.

M. Gilles Bernard. Des progrès ont été réalisés sur les standards de branchement, mais il faut arriver à convaincre les investisseurs et les entreprises qui se lancent dans ce développement de services de ne pas s’enfermer dans leur marché, comme le font facilement les Américains. C’est là le cœur même de l’activité de l’AFIREV. Les services en question sont des services de données, qui reposent sur l’informatique, et les télécommunications. Il faut savoir où sont les bornes, si elles sont disponibles ou pas, etc. Donc il faut recevoir des données, en envoyer, etc.

Inutile de vous dire que les GAFA sont très à l’affût de ce sujet, et y travaillent beaucoup. Il ne faudrait surtout pas qu’on se retrouve, une fois de plus, pris de vitesse par les GAFA, qui ont créé des réseaux à eux, dont ils rendent les clients prisonniers, et finalement n’optimisent pas correctement la desserte du territoire. La finalité de l’AFIREV est de faire en sorte que les opérateurs acceptent de recevoir les clients d’autres opérateurs, comme cela s’est fait péniblement pour la téléphonie mobile. C’est ce qu’on appelle le roaming ou l’itinérance. L’idée est d’anticiper, dans cette phase de démarrage du véhicule électrique, pour faire en sorte que tout soit en place afin qu’un client qui s’abonne à un opérateur de services puisse accéder aux bornes d’un autre opérateur. Le client paye son fournisseur de services qui va régler la recharge aux autres opérateurs de recharge.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que cela suppose une autorité qui chapeaute ce domaine, éventuellement à l’échelle européenne ?

M. Gilles Bernard. Cela suppose une volonté politique de favoriser cette vision du marché, et de ne pas laisser s’installer des situations fermées, comme le fait Tesla dont les bornes sont réservées à ses clients. L’État, depuis pas mal d’années, a beaucoup travaillé sur ces sujets avec nous, en particulier en établissant une réglementation, le décret du 14 janvier 2017, en déclinaison d’une directive européenne sur les carburants alternatifs, qui justement définit un cadre réglementaire en France, puisqu’il s’agit d’un décret d’application français, pour pousser, voire forcer les opérateurs à s’ouvrir les uns aux autres, et faire que chacun puisse bâtir des services en utilisant les bornes des autres, et en évitant de s’enfermer dans son réseau. Il existe une directive européenne dont est dérivé ce décret, qui ne va pas aussi loin. Elle évoque cette question, mais sa principale réponse est qu’il faut que chaque borne de recharge publique puisse être accessible sans abonnement, en payant à l’acte, avec une carte bleue ou un smartphone, comme on paye un stationnement.

Nous considérons que ce n’est pas du tout suffisant, parce que cela ne prépare pas l’avenir, dans la logique que je décrivais tout à l’heure. Les utilisateurs ne vont pas indéfiniment sortir leur carte bleue pour payer à la borne. Un jour tout sera automatisé, surtout avec les véhicules autonomes. De plus, il faut absolument que tout cela soit facile pour le client, qu’il n’est à se préoccuper de rien.

Les technologies en cours de développement, qui vont commencer à se déployer, prévoient, par exemple, la possibilité de charger un abonnement dans le véhicule, comme on charge dans son smartphone un abonnement à la RATP. Ensuite, le véhicule va communiquer tout seul, une fois branché à la borne, sans s’occuper de rien. Le véhicule renvoie à la borne les références du contrat de service, l’opérateur de recharge récupère cette donnée et va pouvoir autoriser la recharge, après avoir reconnu l’opérateur.

M. Stéphane Piednoir. Il est vrai que le paiement PayByPhone pour le stationnement à Paris est quand même très pratique. On enregistre le mode de paiement sur le smartphone, et en une minute, c’est réglé.

M. Gilles Bernard. Il faut tout de même le faire.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Avec l’arrivée du numérique, ce système peut devenir cohérent sur tout le territoire.

M. Gilles Bernard. Aujourd’hui, l’un des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés est que chaque collectivité locale a voulu raisonner sur la maille de son territoire, pour satisfaire ses administrés, puisque les bornes sont créées pour eux. Au début, les collectivités avaient du mal à comprendre que d’autres viennent se brancher sur leurs bornes. Ils devaient se rendre à la mairie pour chercher une carte d’abonnement.

Cela a beaucoup évolué, et c’est normal. Il faut effectivement beaucoup en parler. Les services de l’État, notamment sous l’animation du préfet Francis Vuibert, qui est le coordonnateur interministériel, ont beaucoup travaillé toutes ces dernières années sur ces sujets. Il a rencontré énormément de collectivités, pour expliquer. Les idées finissent par passer, mais on a toujours tendance à projeter les solutions du passé dans l’avenir. Pour reprendre l’exemple du véhicule communiquant, un jour il n’y aura même plus de câble, avec la recharge inductive. Le véhicule sera garé sur un récepteur à induction et communiquera en WiFi avec la borne, pour transmettre les informations relatives à l’abonnement.

M. Stéphane Piednoir. Un jour, nous aurons aussi des puces intégrées.

M. Gilles Bernard. C’est encore autre chose, là la puce est intégrée dans la voiture.

M. Stéphane Piednoir. La recharge inductive coûte encore cher.

M. Gilles Bernard. Effectivement, c’est encore trop cher, c’est pour cela qu’on en reste au câble aujourd’hui. Je ne dis pas qu’il faut absolument faire comme cela, mais créer les conditions pour que toutes ces innovations s’installent au moment opportun. Elles ne vont pas arriver tout de suite, mais il faut les préparer. Surtout, grâce aux premières générations de services, on peut déjà soulager le conducteur de l’affolement qu’il ressent quand on lui explique ce qu’est le véhicule électrique. Honnêtement, je fais souvent l’exercice, ne serait-ce qu’autour de moi. Les gens me demandent de leur expliquer le fonctionnement. Chaque fois que j’essaye d’expliquer à un interlocuteur qui n’est ni un Geek ni un passionné d’automobile, je me rends compte de la difficulté.

M. Stéphane Piednoir. Possédez-vous un véhicule électrique et êtes-vous venu avec aujourd’hui ?

M. Gilles Bernard. Effectivement, mais je suis venu partiellement avec ma voiture électrique, jusqu’à la périphérie de Paris, et ensuite en transports en commun, parce que c’était plus pratique.

M. Stéphane Piednoir. Vous travaillez avec beaucoup de nouveaux acteurs qui déploient les bornes sur le territoire, des syndicats d’énergie, des agglomérations, etc. N’est-ce pas un peu compliqué, justement, d’avoir à faire avec cette pluralité d’acteurs ?

M. Gilles Bernard. C’est une complication en ce sens qu’effectivement cela fait beaucoup d’interlocuteurs. S’agissant des aménageurs, qui, constatant la carence, comme le dit la loi, de l’initiative privée, prennent l’initiative d’aménager l’infrastructure sur le domaine public, le plus souvent, ils en délèguent ensuite l’exploitation à des opérateurs professionnels sous-traitants, comme Bouygues énergie services, SODETREL, etc. Il n’empêche qu’ils restent quand même les donneurs d’ordres, les maîtres d’ouvrage. De fait, tout dépend d’eux. Si, dans le marché de sous-traitance aux opérateurs, ils n’ont pas demandé, par exemple, que leurs bornes soient accessibles à des tiers, ou qu’ils n’ont rien prévu à cet égard, cela implique que l’opérateur sous-traitant décidera tout seul. Certains sont convaincus et le font, d’autres qui, aimeraient bien constituer leur propre réseau, se considèrent propriétaires des clients, alors qu’en réalité ce sont les clients de la collectivité. C’est une petite distorsion dans la situation actuelle. Néanmoins, en particulier grâce aux actions des services de l’État, beaucoup de messages passent bien auprès des collectivités. De plus, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) participe à nos travaux, et adhère pleinement à tout ce que je viens d’expliquer. Néanmoins, vous connaissez les collectivités, il n’est pas toujours très facile de les joindre, de les voir, de leur expliquer. C’est une difficulté, mais en contrepartie, il faut quand même bien le dire, heureusement qu’elles prennent cette initiative, l’initiative privée étant encore insuffisante.

Mme Huguette Tiegna. Le mouvement de délégation par les collectivités aux syndicats d’énergie est-il en voie de généralisation ?

M. Gilles Bernard. La tendance, déjà engagée depuis quelques années, est celle de la départementalisation, les communes ayant concédé, autrefois auprès des syndicats intercommunaux, maintenant de plus en plus départementaux, les compétences en matière d’énergie, d’électricité, de réseaux électriques, gaz, et maintenant d’infrastructures de recharge. Certaines intercommunalités ou grandes agglomérations fonctionnent indépendamment, avec leur propre organisation. Mais c’est quand même déjà bien regroupé et cela aide beaucoup à créer l’harmonisation.

M. Gilles Bernard. Combien de bornes sont installées à ce jour ?

M. Gilles Bernard. À ce jour, le nombre de points charge ouverts au public est à peu près de 26 500 pour 200 000 véhicules, ce qui est d’ailleurs un bon ratio. Un point de recharge, permet de recharger un véhicule, mais souvent les bornes en comportent deux. Le problème est leur localisation, certaines étant placées dans des endroits tels que personne ne les utilise, alors qu’à d’autres il faudrait commencer à penser à en ajouter. C’est un grand sujet : comment réguler les prévisions de croissance et d’implantation de bornes supplémentaire, compte tenu des vraies perspectives ?

M. Stéphane Piednoir. Pensez-vous que c’est l’implantation de bornes qui suscite l’envie d’acheter des véhicules électriques, ou bien est-ce la pression du nombre de véhicules qui fait que les collectivités se sentent obligées d’installer une borne ?

M. Gilles Bernard. Il y a un peu des deux, mais je crois que la motivation la plus reconnue est qu’il faut commencer par installer des bornes pour que les gens sachent qu’ils vont pouvoir recharger. C’est vrai que c’est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour convaincre les gens de passer aux véhicules électriques.

Le premier problème reste la possibilité de recharger le véhicule garé la nuit. Il faut développer ces solutions en résidentiel collectif, chez les bailleurs sociaux, etc. Certaines entreprises offrent des bons services dans ce domaine. J’y ai moi-même fait appel pour ma place de parking, dans mon immeuble, et tout s’est très bien passé : la société s’est chargée de contacter le syndic, de présenter le projet en assemblée générale des copropriétaires, et puis finalement d’installer la borne. Je paye chaque mois un abonnement de 7,20 euros, plus la consommation d’électricité. J’ai quand même payé l’installation de la borne.

Néanmoins, il existe un problème économique : les véhicules électriques restent aujourd’hui encore trop chers, même avec le bonus, et l’installation des bornes au domicile représente quand même une difficulté. Le plus souvent, les gens préfèrent utiliser une prise ordinaire. Ce n’est pas très bon, car dans la perspective d’un nombre très important de véhicules, il faudra réguler les recharges.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce le cas aussi en charge lente ?

M. Gilles Bernard. Surtout en charge lente, l’avantage de celle-ci étant qu’elle se prête mieux à la régulation. Par exemple, si je rentre à 18 heures, et que je repars le lendemain matin à 6 heures, une plage de 12 heures permet de charger le véhicule. Il ne faut surtout pas commencer la recharge à 18 heures, l’heure de pointe sur le réseau électrique. Il faut la décaler après 20 heures ou 21 heures, ce qui est tout à fait faisable. Même entre 21 heures et 6 heures du matin, il reste encore de la marge, ce qui peut permettre, par exemple, de décaler les véhicules les uns par rapport aux autres dans un immeuble, pour éviter qu’ils se chargent tous en même temps, ce qui obligerait à renforcer le branchement électrique de l’immeuble.

M. Stéphane Piednoir. Pourtant une charge lente peut durer jusqu’à huit heures.

M. Gilles Bernard. Tout dépend de l’état de charge de la batterie au moment où vous rentrez. Si vous avez une petite batterie, elle va probablement rentrer presque vide, mais la recharge ne va pas durer 8 heures, du moins avec un point de recharge d’une puissance de 7 kilowatts. En trois ou quatre heures, on peut arriver à recharger une petite batterie. C’est vrai que la tendance est aux grosses batteries, mais avec une autonomie de 200, 300 ou 400 kilomètres, en parcourant 50 ou 80 kilomètres dans la journée, il reste encore 320 kilomètres d’autonomie. Vous n’allez avoir à recharger que pour 80 kilomètres, pas pour 300. Au final, environ trois heures sont suffisantes pour recharger.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce plus avantageux de recharger par petits morceaux ?

M. Gilles Bernard. Cela donne plus de facilités de charger à différents moments.

M. Stéphane Piednoir. Pour certaines batteries, il vaut mieux les décharger complètement, pour les entretenir.

M. Gilles Bernard. Ce n’est pas le cas pour les batteries lithium-ion, mais pour les anciennes générations de batteries au cadmium, qu’il fallait décharger régulièrement. Pour les batteries lithium-ion, au contraire, il vaut mieux charger régulièrement, pour les conserver, par exemple il vaut mieux recharger un téléphone portable tous les soirs, même s’il n’est pas déchargé. Ce n’est pas une obligation, mais les fabricants de batteries recommandent de les charger chaque fois que possible.

Mme Huguette Tiegna. Dans le résidentiel, faut-il prévoir une commande numérique pour la recharge ?

M. Gilles Bernard. Absolument, c’est prévu dans le décret de janvier 2007, qui fait référence à cette idée de charge intelligente. Mais le détail va faire l’objet d’un arrêté, prochainement publié, qui recommande prioritairement de prévoir la recharge intelligente dans les parkings collectifs, comme les parkings d’immeubles résidentiels ou les parkings d’entreprises. Dans ces parkings, gérer intelligemment les recharges de véhicules évite d’avoir à dépenser trop d’argent pour renforcer l’alimentation électrique de l’immeuble, ce qui nécessite de refaire une tranchée, de reposer un câble plus gros, etc. Il est préférable d’utiliser l’existant, en répartissant la recharge pendant la nuit. Cela se fait déjà, par exemple chez Enedis qui dispose d’un parc important de véhicules électriques. Leur système intelligent est déjà développé industriellement. Le coût du système se rembourse assez vite par l’économie réalisée sur le renforcement de l’alimentation, la consommation d’électricité, en privilégiant les heures creuses, et la puissance de l’abonnement souscrit.

Mme Huguette Tiegna. Quel est l’ordre de coût de ces systèmes ?

M. Gilles Bernard. Tout dépend du type d’installation. Dans le cas d’une place de stationnement dans un parking collectif ou en maison individuelle, on a déjà intérêt à utiliser un système de charge intelligent, permettant de ne pas commencer la recharge à 18 heures. Une solution simple consiste à mettre une horloge de commande.

Mme Huguette Tiegna. Peut-on aussi utiliser le même système que pour le chauffe-eau ?

M. Gilles Bernard. Effectivement, une autre solution consiste à prendre l’ordre qui vient pour le chauffe-eau. L’installation va coûter moins de 100 euros, car il faut un électricien. Pour un système plus sophistiqué de régulation dans un immeuble résidentiel collectif, avec 200 places de stationnement sur différents niveaux, les coûts d’installation sont de l’ordre de 7 000 à 8 000 euros. Il faut simplement des appareillages de commande qui reçoivent les ordres, ensuite c’est une question de logiciels, mais ceux-ci ne coûtent pas cher s’ils sont déployés en grand nombre.

M. Stéphane Piednoir. Participez-vous avec d’autres acteurs à la construction d’une feuille de route de la mobilité électrique ?

M. Gilles Bernard. Pas directement, mais au travers d’un groupe sur le pilotage de la mobilité électrique animé par le préfet Francis Vuibert, qu’il réunit tous les trois mois environ. Ce groupe de travail comprend des associations comme la nôtre ou l’AVERE, mais aussi les principaux industriels comme EDF, Enedis, Bouygues énergies services, Vinci Énergies, etc. qui sont membres de l’AFIREV. Nos travaux contribuent indirectement à l’élaboration de la feuille de route. Concrètement, c’est dans ce groupe animé par le préfet Vuibert qu’ont été débattus initialement les textes réglementaires, par la suite élaborés par le ministère.

Mme Huguette Tiegna. Disposez-vous de données sur les autres pays européens. Par exemple, pouvez-vous fournir des éléments sur les avancées dans le domaine de la recharge intelligente, et plus généralement l’avancement en matière de mobilités ?

M. Gilles Bernard. Nous disposons de données que j’aurais du mal à vous communiquer maintenant, mais je pourrai vous les transmettre par la suite.

Concrètement, en récapitulant rapidement, il existe effectivement une mobilisation européenne forte, notamment parce que la DG Move pousse beaucoup en ce sens. Elle est à l’origine de la directive sur les carburants alternatifs, et continue à prendre des initiatives pour animer un mouvement de coordination entre les pays. Néanmoins, certains pays sont plus avancés, notamment la France, l’Allemagne, la Hollande, la Grande-Bretagne, et surtout la Norvège, qui est un peu isolée, avec ses propres solutions. La Norvège est le pays qui a la plus importante part de véhicules électriques dans son parc, à hauteur de 20 %. C’est un exemple très intéressant, parce qu’il montre que c’est réalisable même dans un pays très en longueur et où il fait froid. De fait, la Norvège produit beaucoup d’électricité décarbonée à bas coût. Au final, les Norvégiens sont très satisfaits et l’adoption progresse. Il est vrai que de fortes incitations financières ont permis de les encourager. Néanmoins, c’est un excellent démonstrateur.

La recharge intelligente est encore essentiellement un sujet de recherche et de réflexion, très débattu dans certains pays, comme chez nous, peut-être plus encore dans les pays dotés d’une part d’énergies renouvelables variables plus grande que la nôtre, comme le Danemark et la Hollande. Mais ces solutions sont toujours en phase de R&D, d’expérimentation, de premières réalisations, pas encore de généralisation. Il reste énormément de travail à faire pour les mises au point. C’est aussi un sujet examiné au niveau européen.

L’autre question est de faire en sorte le client final dispose de services performants et économiques, qui résolvent les difficultés d’usage des véhicules électriques, pour lui permette de l’adopter. Ce sujet est plus débattu, car tous les pays ne partagent pas la vision de marchés ouverts de la France, de l’Allemagne et de la Hollande. Par exemple, la Grande-Bretagne ne s’inquiète pas du tout de l’existence de réseaux indépendants les uns des autres et fermés, même si un client abonné à un réseau ne peut pas charger dans un autre réseau.

Au contraire, l’Irlande est connectée à la solution française d’itinérance GIREVE, membre d’AFIREV, plateforme permettant aux opérateurs de se connecter entre eux et d’organiser très facilement l’itinérance en s’échangeant les données. Cette société, initialement centrée sur la France, a de plus en plus de clients à l’étranger, dont Irlande. Les situations sont assez disparates, mais une coordination est engagée.

Nous sommes nous-mêmes membre l’association européenne EMI3 (« i » pour interopérabilité, au sens français d’itinérance), équivalent de l’AFIREV à l’échelle européenne, et à laquelle participent également les Américains et les Japonais. Je participe à son conseil d’administration. Nous déployons les solutions convenues au niveau européen au sein de cette instance, et réciproquement, nous faisons remonter nos avancées, afin qu’elles puissent être partagées au niveau européen.

La DG Move continue aussi à pousser cette harmonisation, certains pays restant en dehors de cette initiative, comme l’Italie, l’Espagne, ou les pays de l’Est. La DG Move a lancé un programme pour que tous les pays soient impliqués dans la préparation de l’itinérance des services, qui commence par l’immatriculation des objets. Il faut immatriculer chaque point de recharge et chaque contrat de service, de façon qu’en s’échangeant simplement les identifiants des contrats on puisse retrouver qui est qui, partout en Europe. Le Gouvernement a confié à notre association la délivrance de ces identifiants pour les opérateurs français de bornes de recharge et de contrats de mobilité. Aujourd’hui, l’équivalent existe dans quatre autres pays d’Europe.

Mme Huguette Tiegna. Dans des zones isolées, non connectées au réseau, alimentées par des énergies renouvelables électriques, pensez-vous que les véhicules électriques peuvent être viables ?

M. Gilles Bernard. Des expérimentations sont en cours dans les îles, aux Antilles et à la Réunion, par exemple avec des bornes de recharge publiques sous des ombrelles photovoltaïques. Historiquement, les îles non interconnectées fabriquent leur électricité avec du fioul, si bien que le véhicule électrique n’a pas grand intérêt. Mais le photovoltaïque et l’éolien se développent fortement. Des réponses techniques doivent être mises au point, même si elles ne sont pas toutes très compliquées. Avec la variabilité du photovoltaïque et de le l’éolien, la meilleure réponse consiste à stocker dans des batteries. C’est une bonne réponse mais quel en est le coût, et est-il vraiment accessible ?

Mme Huguette Tiegna. Est-ce qu’on ne peut pas imaginer que les véhicules inutilisés restent connectés pour assurer ce stockage, comme vous l’évoquiez ?

M. Gilles Bernard. Vous avez tout à fait raison. D’ailleurs, cela renforce l’intérêt des bornes normales. Il est avantageux qu’un véhicule à l’arrêt soit connecté, spécialement dans ces situations où l’on a le plus besoin de faire de la coordination de recharge et de réguler. Cela permet, à tout moment, d’arrêter les recharges, et de les reprendre, en fonction de la situation du soleil et du vent. De plus, en ayant beaucoup de véhicules qui ne roulent pas branchés, on crée un réseau de batteries, permettant de stocker à coût marginal. On peut stocker dans les batteries ou les décharger, c’est ce qu’on appelle le vehicle-to-grid (V2G), dans le jargon international. C’est un sujet de recherche important, faisant déjà l’objet de réalisations industrielles, mais pas encore réellement économiques et déployées. Il reste à résoudre quelques petits problèmes, comme le vieillissement de la batterie, qu’il faut compenser par des contrats permettant de rémunérer la participation de la batterie au réseau général.

 


Audition du Pr. Daniel Hissel, directeur de la
Fédération de recherche CRNS FCLAB

Mardi 18 septembre 2018 au Sénat

M. Daniel Hissel, directeur de la fédération de recherche FCLAB. Mon intervention va concerner essentiellement la mobilité hydrogène-énergie. Professeur à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, je dirige une fédération de recherche dont le périmètre est un peu plus vaste que la Franche-Comté, puisqu’elle s’étend au grand est de la France, avec des laboratoires à Satory et à Lyon. Je suis également conseiller scientifique, associé et fondateur d’une entreprise créée l’an dernier dans le domaine de l’hydrogène-énergie. Enfin, j’ai été récipiendaire, en 2017, de la Médaille Blondel, décernée par la Société des électriciens de France.

Je vais vous présenter les atouts de l’hydrogène-énergie, ainsi que des éléments sur les gaz à effet de serre, notamment sur les émissions de dioxyde de carbone, qui représenteraient près de trois quarts des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, ainsi que le potentiel de réchauffement climatique associé à ces différents gaz à effet de serre. En ramenant la valeur de ce potentiel à 1 pour le dioxyde de carbone, on constate que les gaz fluorés ont des potentiels jusqu’à 23 000 fois supérieurs, en termes d’impact sur le réchauffement climatique.

Le transport est responsable de 15 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Si l’on prend un peu de recul d’un point de vue historique, en considérant le nombre de barils de pétrole produits sur une échelle de 2 500 années, on constate que l’ère du pétrole se réduit à un pic, au-delà duquel il faut trouver des solutions palliatives.

Différentes architectures peuvent être envisagées, en termes de transition. On distingue l’hybride, avec l’ajout sur un véhicule thermique d’un moteur électrique et de quelques batteries, l’hybride « plug-in » rechargeable, qui hypertrophie la batterie mais présente une chaîne de traction similaire à l’hybride classique, le véhicule électrique classique à batterie, tel qu’on le connaît aujourd’hui, avec une grosse batterie et un moteur électrique, et, enfin, le véhicule électrique à hydrogène. J’utilise explicitement cette dénomination, car il s’agit juste d’une autre solution d’alimentation en électricité à bord de véhicules électriques, qui diminue la taille de la batterie et remplace une partie de celle-ci par une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène.

Je m’intéresse depuis vingt ans à l’hydrogène, car il constitue une ressource extrêmement durable, puisqu’il représente 75 % de l’univers en termes de masse, et 92 % en termes de nombre d’atomes. De plus, il présente une très grande densité énergétique, de 33 kWh/kg, soit trois fois plus que l’essence, déjà réputé très dense énergétiquement, et cent fois plus que les meilleurs accumulateurs électrochimiques. Cependant, il faut prendre en compte le poids du réservoir, qui va un peu dégrader ce bilan.

L’hydrogène n’est quasiment jamais présent à l’état naturel sur Terre. Il faut donc en général le produire. De plus, il présente un intérêt majeur, celui d’être dual à l’électricité, aujourd’hui très répandue. En effet, à tout moment on peut produire de l’hydrogène à partir de l’électricité, puis produire à nouveau de l’électricité à partir de cet hydrogène.

La pile à combustible est un dispositif électrochimique convertissant de manière continue l’énergie chimique d’un combustible et d’un comburant en énergie électrique, en chaleur, ainsi qu’en différents sous-produits de réaction. À la différence des batteries, les comburants et carburants qui vont servir à la réaction ne sont pas stockés à l’intérieur de la pile à combustible, mais à l’extérieur. Ceci présente un certain nombre d’avantages, notamment dans l’application aux véhicules, car comburants et carburants peuvent être fournis de façon continue. Le découplage entre les deux grandeurs de l’électricité que sont l’énergie et la puissance permet une recharge très rapide. L’énergie est contenue dans le réservoir d’hydrogène et la puissance est fournie par la pile à combustible, ce qui n’est pas le cas pour les batteries, puisqu’un seul élément rassemble les deux grandeurs.

La technologie hydrogène permet de garder le meilleur du véhicule électrique et du véhicule thermique. Des véhicules thermiques, elle garde l’autonomie élevée, la capacité de remplissage rapide, en quelques minutes, et l’impact réduit des conditions environnementales : une température allant de -30 à 50 °C n’a pas d’impact sur les performances de l’hydrogène. De plus, cette technologie permet de répondre à une grande échelle de puissance, pour différents types de motorisations électriques. Des véhicules à batterie, la technologie hydrogène garde l’absence d’émission de polluants in situ, un haut rendement, le rendement moyen étant d’environ 50 % – 50 % du contenu du réservoir est réellement utilisé pour faire avancer la voiture, alors qu’en moyenne, sur un véhicule thermique, le rendement est de l’ordre de 25 % –, un couple élevé, et des solutions silencieuses, très intéressantes pour les hyper centre-ville. Par ailleurs, l’hydrogène peut être produit à peu près partout, notamment à partir de ressources renouvelables, telles que le photovoltaïque, ce qui est très intéressant d’un point de vue approvisionnement énergétique.

La référence dans le domaine de l’hydrogène pour les véhicules est aujourd’hui donnée par le DOE (United States Department of Energy), le département de l’énergie américain, qui a défini, en 2017, l’état de l’art de ces technologies, et les attentes d’évolution. On s’aperçoit d’un énorme retard nécessitant des recherches sur trois axes : l’efficience énergétique, c’est-à-dire la meilleure utilisation possible de ce carburant hydrogène à bord du véhicule, la durabilité, et les coûts.

Les laboratoires cherchent à améliorer l’efficacité énergétique, en augmentant les rendements de 50 % à 55 %, voire 60 %. Aujourd’hui, la durée de vie d’une pile à combustible est assez faible, de 3 000 heures en cycle d’usage réel pour une voiture personnelle. L’objectif est de parvenir à 5 000 heures. Évidemment, pour des camions et des flottes de type ferroviaire et stationnaire, on doit aller beaucoup plus loin, l’idée étant d’atteindre 30 000 heures pour les camions et 100 000 heures pour le ferroviaire et le stationnaire. Puis, il faut évidemment prendre en considération le coût sur le cycle de vie complet, surtout en lien avec le déploiement d’une filière industrielle robuste. J’ajoute à cela deux éléments : la transition sociotechnique, l’hydrogène étant une énergie mal connue aujourd’hui, et le lien avec les politiques publiques, sur lequel je reviendrai plus tard.

Je disais plus tôt que tout dépend de la façon dont l’hydrogène sera produit. Pour s’inscrire dans un modèle durable, il faut produire un hydrogène « vert », à partir d’énergies sans impact environnemental, ou à faible impact.

Si je reprends les axes de R&D sur l’efficacité énergétique, nous travaillons sur le sous-système hydrogène, tout ce qui permet d’approvisionner en gaz, d’utiliser l’électricité, la chaleur produite et de piloter au mieux le système. Évidemment, nous utilisons ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Par exemple, pour le pilotage, nous travaillons avec des approches issues de l’intelligence artificielle. Avec les grands programmes lancés au niveau national et international, on pourrait aboutir, en termes de durabilité, vers 2023.

Sur la durabilité, l’idée est d’augmenter les performances et la durée de vie, notamment au travers d’algorithmes de diagnostic, permettant de définir ce qui se produit en cas d’échec, et d’algorithmes de pronostic, surtout liés à la garantie à proposer aux clients finaux. Bien entendu, nous allons avoir des contraintes sur le nombre de capteurs, qui doit être minimal, sur le coût, la fiabilité, et l’intégration. Sur ce point, l’objectif est plutôt situé vers 2025.

Enfin, en matière de réduction des coûts, d’importants travaux sont lancés, notamment sur la segmentation de puissance, pour obtenir une brique énergétique optimisée, qui puisse répondre à différentes applications, par exemple avec une pile sur une voiture, deux piles sur un camion léger, trois sur un camion plus lourd, et dix sur une locomotive. De plus, la durée de vie et l’efficience peuvent être augmentées par la même occasion. L’objectif fixé sur cet axe est 2022.

Une comparaison entre deux références du marché de 2017, la Toyota Mirai électrique-hydrogène et la Renault Zoé électrique-batterie, fait apparaître deux différences majeures : l’autonomie, de 500 km pour la Mirai contre 250 à 300 km pour la Zoé, et la durée de recharge, de l’ordre de quelques minutes pour la Mirai contre 20 heures sur une prise domestique pour la Zoé. De plus, il faut mentionner la forte dépendance de la Zoé aux conditions environnementales, par rapport à la Mirai. En termes de coût, les sommes sont sensiblement différentes, mais la taille des deux véhicules n’est pas non plus la même.

Les véhicules électriques sont plutôt adaptés à un usage urbain ou périurbain, alors que les véhicules à hydrogène sont plus polyvalents. À l’horizon 2040, on peut imaginer un développement de la technologie à batterie pour des véhicules légers de faible autonomie, voire des machines agricoles légères, et de la technologie hydrogène pour des véhicules plus lourds nécessitant une plus grande autonomie, ou une rapidité de recharge plus importante. Les véhicules à hydrogène répondent dès aujourd’hui à certains besoins du marché, et des annonces sur d’autres applications ont été faites. Par exemple, la flotte de chariots élévateurs d’IKEA est entièrement équipée de piles à combustibles. De même, les équipements auxiliaires de certains avions, et les parties réfrigérées de certains camions sont alimentés à l’hydrogène. De plus, Alstom a annoncé très récemment la mise en service de trains à hydrogène en Allemagne.

Un soutien spécifique de cette filière est nécessaire, ainsi qu’une feuille de route soutenue par l’État. Mon laboratoire comporte également des sociologues, des économistes et des historiens des sciences. Une excellente thèse sur l’histoire de l’hydrogène-énergie entre 1950 et 1980, qui devrait être soutenue à la fin du mois, révèle que vers la fin des années 1970 ou le début des années 1980, le développement de l’hydrogène s’est un peu figé en France, en raison d’une politique attentiste de trois acteurs : EDF, la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), et les constructeurs automobiles, chacun attendant que les autres fassent les efforts nécessaires. Il faut éviter de reproduire ces erreurs, en établissant une feuille de route, peut-être même année par année, afin d’offrir aux acteurs industriels une certaine visibilité dans les années à venir, par exemple en imposant des pourcentages de véhicules hydrogène dans les flottes captives, comme les bus, les bennes à ordures ménagères, et les taxis. Ainsi, en Chine, les nouveaux entrants sur le marché doivent produire 10 % de véhicules électriques s’ils veulent vendre le moindre produit. Il serait peut-être également possible d’imposer aux distributeurs de carburant en France des contraintes sur l’installation de pompes à hydrogène.

Un plan hydrogène, annoncé début juin, prévoit déjà un certain nombre d’actions pour 2019. Il faudrait le compléter par une feuille de toute donnant une certaine visibilité, sur au moins cinq ans, avec des montants de 30 à 50 millions d’euros par année, pour accompagner les développements évoqués précédemment, et ceux encore plus en amont sur les matériaux, etc.

Pour permettre l’émergence de cette filière, il faudrait également mettre en place des mesures incitatives bottom-up, par exemple des soutiens aux particuliers, comme cela a été fait au Japon, notamment pour des applications stationnaires, dont le différentiel de coût a été pris en charge par l’État. Il en va de même en Chine, ce qui a conduit à l’éclosion d’un vrai marché, avec plus de 300 000 systèmes installés à ce jour chez les particuliers. Pourquoi ne pas faire des choses similaires en France ? Cela pourrait être financé par un système de bonus-malus : bonus pour les technologies hydrogène, malus pour les technologies carbonées.

Je dois souvent répondre à un cliché qui voudrait que la production d’hydrogène implique la création de centrales nucléaires supplémentaires en France. Cependant, en considérant le parc automobile actuel et la production d’énergies renouvelables de 2017, de 96 TWh, compte tenu de la capacité de la technologie batteries à assurer parfaitement les petits trajets pour des véhicules légers, j’arrive à la conclusion qu’il faudrait multiplier par cinq la quantité d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables en France, ce qui ne semble pas inaccessible.

En conclusion, l’action politique est réellement essentielle pour initier des mesures incitatives, voire coercitives, par exemple sur l’accès des véhicules thermiques aux centres-villes. Des améliorations semblent possibles dès 2030, par rapport à ce qui est disponible sur le marché. Les flottes captives, par exemple de taxis ou de véhicules de services urbains, devraient permettre de développer des stations-service multimodales répondant, dans un premier temps, aux besoins de des flottes captives, qui pourraient ensuite être ouvertes aux particuliers.

Je pense également qu’il est impératif de ne pas envisager de taxe sur l’hydrogène à court terme. Il serait sans doute préférable de mettre en place un système de taxation progressif. Avec la disparation ou la baisse des taxes ou des revenus de l’État liés au gazole, on pourrait progressivement augmenter les taxes sur l’hydrogène, au fur et à mesure de l’arrivée sur le marché de ces véhicules, pour parvenir au final à un impact neutre sur les finances publiques, et également éviter de tuer dans l’œuf un marché en devenir.

Enfin, sur l’aspect certification, force est de constater que ce processus apparaît très compliqué en France et bien plus simple en Suisse ou en Allemagne. En termes de normes, l’hydrogène est aujourd’hui classé parmi les gaz à risque en France, ce qui nécessite des actions très importantes. Je parle ici également en tant que conseiller scientifique d’entreprises qui développent des groupes électrogènes à hydrogène, car nous voulons pouvoir faire entrer plus facilement cette technologie dans les établissements ouverts au public.

Madame Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Il existe deux façons de produire de l’hydrogène : par électrolyse ou à partir de gaz naturel. Travaillant dans le domaine de la recherche, vous avez aussi un regard sur tout ce qui se fait au niveau international. Aujourd’hui, quelles sont les perspectives d’amélioration du rendement et de baisse des coûts dans ce domaine ? Comme vous l’avez dit, il ne faut pas tuer la filière dans l’œuf. Mais on a besoin d’en connaître le prix.

M. Daniel Hissel. La question de la production est évidemment fondamentale. Nous avons aujourd’hui une filière basée sur le gaz naturel et une filière basée sur des énergies renouvelables. Je suis très circonspect sur l’utilisation du gaz naturel, parce qu’au vu des échanges avec les utilisateurs finaux, qui vont réellement acheter ces produits, il est essentiel de proposer des solutions vraiment vertes et propres. C’est l’une des attentes qui motivent un investissement financier supérieur. Leur dire que l’hydrogène reste carboné me laisse circonspect.

Pour les coûts, effectivement, différents modèles ont été proposés. Certaines projections conduisent à des coûts à la pompe inférieurs à 10 € le kilo pour l’hydrogène produit par électrolyse à partir d’énergies renouvelables. Des entreprises ont même annoncé, lors d’une conférence à Grenoble, qu’on pourrait parvenir à des prix de l’ordre de 4 à 5 € le kilo avec cette même filière.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. J’aimerais revenir sur le parallèle entre la Renault Zoé électrique et la Toyota Mirai à hydrogène. En termes de prix, la première coûte 28 000 euros et la deuxième 66 000 euros, même s’il faut prendre en compte le coût mensuel de location de la batterie pour la Zoé. Comment démocratiser la vente de véhicules particuliers dont le prix est à l’heure actuelle prohibitif pour le foyer moyen, même si la Mirai permet de voyager sur de plus longues distances, sans se limiter au seul usage urbain ?

M. Daniel Hissel. Tout d’abord, il ne s’agit ni de la même taille de véhicules, ni du même segment, même si cela n’explique effectivement pas le différentiel de prix. D’un point de vue optimisation des coûts, il reste quand même beaucoup à faire avec la Toyota Mirai.

Sur le plan technique, la Mirai embarque une puissance de pile à combustible de 110 kW, largement surdimensionnée par rapport aux besoins. Pour un véhicule hydrogène électrique de ce type, une pile de 30 à 45 kW serait suffisante, en termes de puissance. Selon moi, ce choix s’explique essentiellement par le désir du constructeur de ne pas brider l’utilisateur qui paye 65 000 €, en termes d’accélération et de performances dynamiques du véhicule.

Certes, la pile ne constitue pas l’intégralité du coût du véhicule, mais en prenant en compte ce facteur trois de dimensionnement, on peut en réduire le prix. De plus, Toyota n’a produit que quelques milliers d’unités pour le moment. La Mirai n’est clairement pas aussi démocratisée et industrialisée que la Zoé.

M. Stéphane Piednoir. Avez-vous un véhicule électrique ?

M. Daniel Hissel. Personnellement, je n’ai pas de véhicule électrique, parce que j’habite en pleine campagne dans les Vosges, avec des cols à passer pour me rendre au travail le matin.

Mme Huguette Tiegna. On critique l’utilisation de batteries dans les véhicules électriques, en raison de leur coût et aussi du recyclage. En regard des usages, il existera toujours des véhicules fonctionnant au gaz, notamment à l’hydrogène. Aujourd’hui, que peut-on dire des faiblesses de chacune de ces technologies ?

M. Daniel Hissel. La question porte-t-elle sur les possibilités de recyclage ?

Mme Huguette Tiegna. La question porte sur les forces et les faiblesses d’une technologique par rapport à l’autre. Au-delà du reproche fait à la batterie, en raison de l’utilisation de métaux rares, sur le coût et la difficulté de recyclage, et à l’hydrogène sur les coûts de réalisation, existe-t-il d’autres forces et faiblesses, si l’on compare ces deux technologies ?

M. Daniel Hissel. Je m’appuie sur les chiffres, qui servent de référence aujourd’hui, fournis par le ministère de l’énergie américain. Celui-ci estime, que si on venait à produire 500 piles à combustible par an, en l’état de la technologie, on parviendrait à un coût unitaire par kilowatt de l’ordre de 50 $, avec un objectif final de 30 $. Du coup, pour des piles d’une puissance de 40 kW, le coût de fabrication serait de l’ordre de 2 000 €, ce qui serait tout à fait comparable au coût des solutions thermiques actuelles.

En ce qui concerne les batteries, pour les véhicules fonctionnant à l’hydrogène, on a systématiquement recours, en plus de la pile à combustible, à des accumulateurs d’énergie. En effet, l’intérêt des véhicules électriques est de pouvoir récupérer de l’énergie pendant les phases de freinage. Cependant, actuellement, la pile à combustible n’est pas un dispositif réversible. Il faut donc disposer d’un dispositif permettant de récupérer cette énergie. Ce peuvent être des batteries, de taille bien moindre que dans les véhicules électriques actuels, avec les problématiques liés aux terres rares : approvisionnement, capacité à les recycler et coût. Des solutions à base de super-condensateurs pourraient aussi être envisagées. Nous avons déjà pu en faire la démonstration sur un véhicule de seize tonnes.

Mme Huguette Tiegna. Des centrales de piles à combustibles sont-elles envisageables ?

M. Daniel Hissel. La production massive a déjà été mise en œuvre de par le monde, avec des piles de grande puissance, d’une technologie différente. Des démonstrations ont aussi été envisagées.

M. Stéphane Piednoir. Vous côtoyez des industriels de la construction automobile au travers de votre fédération et de vos travaux. Vous parliez tout à l’heure de l’attente d’un signal politique fort. Dans quel état d’esprit sont-ils aujourd’hui ? Portent-ils de véritables espoirs sur la filière hydrogène ?

M. Daniel Hissel. Nous sommes orientés très haut en termes de TRL (Technology Readiness Level), c’est-à-dire de finalité de la filière. Nous accompagnons les industriels jusque dans le développement de leurs premières flottes. Ainsi, voici quatre ans, nous avons mis en service pour la Poste la première flotte de véhicules légers à piles à combustible en France, à Audincourt, en Franche-Comté, et à Perrigny, dans le Jura. Aussi, avons-nous des retours directs des industriels, tant au niveau national qu’international, puisque nous travaillons beaucoup avec l’Allemagne.

Nous constatons dans le domaine automobile un développement assez récent, mais quand même assez marqué, tant en France qu’en Allemagne. En effet, nous collaborons beaucoup avec des équipementiers de premier rang, notamment avec Faurecia en France, Bosch et Elringklinger en Allemagne, moins avec les constructeurs automobiles.

Prenons l’exemple de Faurecia, dont le marché est divisé en différents segments : l’intérieur de l’automobile, le plastique automobile, et la ligne d’échappement. Or, même avant 2040, la ligne d’échappement risque fort de disparaître à bord des véhicules. La question est alors l’usage possible de cet outil de production, qui permet, pour simplifier, de plier des tôles, d’emboutir, et d’utiliser le platine comme catalyseur dans les pots d’échappement. Au final, ce processus n’est pas très éloigné de celui nécessaire à la fabrication des piles à combustible.

Cette analyse, faite par Faurecia et d’autres équipementiers avec qui nous collaborons en Allemagne, montre qu’une façon efficace de transformer leur outil de production consiste à rebondir sur les activités hydrogène et piles à combustible. Aujourd’hui, ils ont franchi le pas en termes d’investissements sur ces technologies, voire d’investissements massifs, afin d’anticiper la production des véhicules en 2025-2030.

C’est malheureusement un peu moins vrai en France, notamment chez nos constructeurs automobiles, pour différentes raisons. Côté Renault, le choix a été fait au niveau du groupe de réaliser ces développements côté Nissan. Côté Peugeot, que nous avons accompagné pendant des années, énormément à la fin des années 2010, il y a eu des difficultés et des turbulences au sein de l’entreprise. Malheureusement, ce sont souvent les domaines les plus en avance qui sont sacrifiés dans ce cas. Venant de l’industrie, j’ai moi-même subi une telle situation. Fort heureusement, des annonces de retour à l’hydrogène ont été récemment faites par Peugeot.

Nous travaillons aussi avec d’autres secteurs, comme le ferroviaire avec Alstom, avec le domaine aéronautique, ou avec des constructeurs de semi-remorques, qui choisissent de passer l’alimentation du réfrigérateur de leurs semi-remorques en hydrogène.

On voit donc une multitude d’acteurs qui ont identifié l’intérêt de ces technologies, et qui, finalement, font des investissements massifs, ou, du moins, engagent de l’argent sur ces techniques.

Mme Huguette Tiegna. Quelle est la position de la France, du point de vue de la recherche dans le domaine de l’hydrogène, au niveau international ?

M. Daniel Hissel. Mon point de vue est forcément biaisé, mais comme je participe à bon nombre de conférences au niveau mondial sur ces sujets, je pense qu’on peut dire raisonnablement que la France se situe dans un peloton de tête de cinq à six pays. Nous sommes très bien positionnés. Il ne faut pas se flageller, il faut simplement accompagner et soutenir cette activité qui a la chance d’avoir été soutenue au préalable et d’avoir pu se déployer, afin d’accompagner l’émergence d’une réelle filière industrielle en France. C’est l’une de nos préoccupations à l’heure actuelle.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce qu’il faut considérer l’émission de gaz à effet de serre uniquement à la sortie du pot, quand il y a un pot, ou bien sur l’ensemble du cycle de vie ?

M. Daniel Hissel. Pour moi, il faut vraiment considérer le cycle de vie complet. C’est extrêmement important. Voici quelques années, j’ai assisté à une conférence en Chine, où avait été présenté le déploiement de véhicules électriques à batterie avec de l’électricité produite à base de charbon. Le bilan constituait une catastrophe écologique. Il faut donc prendre en compte cette analyse complète sur le cycle de vie. C’est fondamental.

Par ailleurs, la pile à combustible dispose d’atouts importants, avec des composants qui se recyclent très bien, puisque l’élément le plus valorisable dans la pile à combustible, le platine, est recyclable. Or, la filière de recyclage du platine existe déjà pour les pots catalytiques des voitures, ce qui est très différent de la situation pour les batteries. Ce sont de réels atouts à mettre en avant.

De plus, nous avons déjà réfléchi à l’usage qui pourrait être fait des piles en deuxième vie. On peut imaginer, comme pour les batteries, de transférer les piles d’une application mobile à une application stationnaire, moins contraignante en termes d’utilisation.

Mme Huguette Tiegna. Beaucoup de recherches concernent le stockage du carbone. Peut-on imaginer un processus captant le carbone qui permette de produire de l’hydrogène ?

M. Daniel Hissel. J’en suis persuadé, même si je ne suis pas spécialiste de la captation du carbone. Ce sont des choses qui existent. On peut produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel, en captant demain 100 % du carbone émis. Je reviens à ce que je disais, je reste quand même très circonspect sur la façon dont cela serait perçu par le grand public, parce qu’aujourd’hui, de notre ressenti personnel, on surfe sur une vague en termes de déploiement de cette activité.

L’image de l’hydrogène a énormément changé. Il est perçu par les jeunes générations comme propre, vert, et « green ». Le fait d’utiliser des combustibles fossiles pour le produire pourrait potentiellement conduire à un rejet de cette technologie. Cela fait vingt ans que je donne des cours sur l’hydrogène-énergie. Au début, lorsque je prononçais le mot « hydrogène-énergie », mes étudiants de niveau Bac + 5 me répondaient : Hindenburg. Aujourd’hui, plus personne ne me dit cela. Il y a donc vraiment eu un changement d’image de l’hydrogène, notamment auprès des jeunes générations.

Mme Huguette Tiegna. Il vaut peut-être mieux utiliser du gaz issu de la méthanisation, plutôt que du gaz naturel ?

M. Daniel Hissel. Nous déployons en Bourgogne-Franche-Comté un projet couplant méthanisation et méthanation, pour produire un gaz injectable dans des réseaux, afin de parvenir à un impact global quasi-neutre sur les émissions de gaz à effet de serre et le climat. Je n’écarte pas ces solutions parce qu’elles sont intéressantes, en particulier, pour toutes les applications agricoles.


Audition de M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité, et
Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles, GRT gaz,
ainsi que de M. Gilles Durand, secrétaire général,
Association française du gaz naturel véhicule (AFGNV)

Mardi 18 septembre 2018 au Sénat

Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles, GRT gaz. GRT Gaz et une entreprise de transport de gaz issue de Gaz de France qui assure 85 % du transport de gaz français, sachant qu’une partie sud-ouest est couverte par un autre transporteur, Terega, pour des raisons historiques, puisque c’était le secteur du gaz de Lacq. GRT Gaz et filiale à 75 % d’Engie et à 25 % d’un consortium constitué autour de la Caisse des dépôts et consignations.

Notre mission est de transporter la molécule de gaz qui, encore aujourd’hui, majoritairement arrive à la frontière, puisque le gaz est importé. Celle-ci nous est confiée par des clients, des shipers, et nous l’amenons jusqu’à nos clients finaux, qui sont des industriels directement raccordés à notre réseau, des entreprises locales de distribution ou GrDF, et des centrales à cycle combiné gaz, qui permettent de fournir de l’électricité quand il y a un besoin, notamment pour les pointes hivernales. Notre rôle est donc bien de transporter cette molécule, moyennant un tarif fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), ce qui fait de nous une entreprise régulée. GRT Gaz comprend un peu plus de 3 000 salariés, avec cette particularité que nous avons intégrée, depuis le mois de janvier 2018, toute une partie du centre de recherche et de développement, qui était jusqu’à présent dans le périmètre d’Engie, pour des raisons de désimbrication, comme demandé par la CRE. Nous avons ainsi récemment récupéré plus d’une centaine de chercheurs.

Aujourd’hui, GRT Gaz a beaucoup investi pour pouvoir achever la construction de la zone unique de marché en France. En effet, il existe encore deux zones de marché, mais pas pour longtemps, puisqu’au mois de novembre, nous n’en aurons plus qu’une seule, c’est-à-dire un prix unique du gaz en France, ce qui permettra de combler la différence de prix entre le nord et le sud de la France. Cela aura évidemment un impact au niveau industriel. Nous avons énormément investi, ces dix dernières années, et nous allons inaugurer au mois d’octobre la dernière infrastructure qui permet la fluidité entre les deux zones. Ce grand programme est terminé, en termes d’infrastructures.

En même temps, ces dernières années, notre grand enjeu consiste à contribuer à la transition énergétique, par deux moyens. Le premier consiste à développer les usages, notamment dans la mobilité, de manière à ce que le gaz, énergie fossile la moins émettrice, puisse se substituer, au fur et à mesure, au fioul et au charbon. Le second est de verdir le gaz, par le biais du bio-méthane et de la production de gaz de synthèse issu du power-to-gas. Cette technologie permet de stocker l’énergie électrique sous forme gazeuse, soit par injection directe de l’hydrogène produit dans nos réseaux, soit par recombinaison de cet hydrogène avec du gaz carbonique, ce qui génère la molécule de gaz classique que nous avons l’habitude de transporter. Nous travaillons également intensément sur le sujet de la piro-gazéification de la biomasse et des déchets.

Voilà donc les grands enjeux que nous avons aujourd’hui. L’arrivée de ce gaz, « Made in France » représente une nouveauté par rapport au réseau gazier. Nous nous efforçons donc de rendre le réseau plus agile, pour pouvoir venir capter ces gaz renouvelables, une fois la sécurité d’approvisionnement assurée par les grosses infrastructures. Avant de rendre la parole, je souligne que nous avons souhaité être accompagnés de l’AFGNV, parce que nous en sommes membre actif, et que GRT gaz a pris la présidence de la commission Affaires publiques au sein de cette organisation.

M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité, GRT Gaz. Je vous propose d’articuler ma présentation en trois points. Dans une première partie, avec M. Gilles DURAND, secrétaire général de l’AFGNV, seule association professionnelle représentant le gaz naturel véhicules en France, nous souhaiterions témoigner de la dynamique observée aujourd’hui sur le gaz dans les transports en France et en Europe, notamment pour les véhicules lourds. Dans une deuxième partie, nous reviendrons sur la dynamique des gaz renouvelables, et expliquerons pourquoi il existe un lien très fort entre la production des gaz renouvelables et la mobilité, avec une notion à laquelle vous avez été sensibilisé, d’une approche plus globale sur les émissions de CO2 des véhicules, non pas uniquement à à l’échappement. Une troisième partie, consacrée au long terme, traitera notamment de l’opportunité qui nous est offerte de reconstruire une filière industrielle en France pour le véhicule lourd au gaz. Ces propos porteront essentiellement sur les véhicules lourds, mais on pourrait également discuter des applications du gaz aux véhicules utilitaires légers, qui sont plus incertaines et plus balbutiantes.

M. Gilles Durand, secrétaire général, AFGNV. L’AFGNV a été créée en 1994 par les pouvoirs publics et Gaz de France, avec l’idée de valoriser l’usage carburant du gaz naturel.

Les moteurs diesel émettaient à l’époque vraiment beaucoup de particules et d’oxydes d’azote. La filière gaz s’est développée pour les véhicules lourds, autobus et bennes à ordures ménagères, pour une raison très simple : les véhicules fonctionnant au gaz utilisaient du gaz sous forme comprimée à 200 bars, avec une autonomie de moins de 300 kilomètres. Donc, il fallait des usages adaptés. Les bus et bennes à ordures ménagères rentrant à leur dépôt tous les soirs, pouvaient être rechargés pendant la nuit, et repartaient le lendemain. C’est une filière qui s’est bien développée au milieu des années 1990, jusque dans les années 2000.

Par la suite, l’AFGNV a souhaité, sous l’impulsion des pouvoirs publics et de Gaz de France, développer ce carburant pour les particuliers. Cela s’est avéré un échec parce qu’il n’y avait pas de réseau de stations d’avitaillement adaptées. Je dirai deux mots tout à l’heure sur la dynamique actuelle. De plus, les constructeurs français n’ont pas suivi. Ils étaient venus et se sont très vite retirés, tout comme la grande distribution pour la distribution de carburant.

En 2011, on a commencé à parler du scandale des particules des moteurs diesel. L’OMS annonçait 42 000 morts prématurées par an. Toute une problématique a émergé, fortement relayée par les médias et les professionnels. Les collectivités locales ont trouvé un nouvel intérêt dans le gaz naturel, qui n’émet quasiment pas de particules et deux fois moins de dioxyde d’azote que le diesel. À ce moment-là, s’est fait jour un intérêt très fort du transport routier de marchandises pour ce carburant. La dynamique s’est renforcée avec l’arrivée du gaz naturel sous forme liquéfiée, permettant d’augmenter encore les autonomies. Aujourd’hui, pour des véhicules lourds, l’autonomie est d’à peu près de 500 kilomètres avec un véhicule à gaz comprimé, et de l’ordre de 1 500 kilomètres avec un véhicule à gaz liquéfié. Il s’agit donc d’un vrai carburant qui présente un certain nombre d’avantages. Aujourd’hui, l’émergence, depuis 2012 et réellement depuis 2014, du bio-méthane renforce les atouts de ce carburant, puisque les émissions de CO2 sont beaucoup plus faibles, de l’ordre de 80 % de moins que pour un véhicule diesel.

La dynamique pour les poids lourds commence à s’ouvrir sur les autocars, qui ont des autonomies de 800 à 1 000 kilomètres en gaz, ce qui permet de créer des liaisons interrégionales, voire nationales et internationales, avec des véhicules qui fonctionneront demain avec un carburant très fortement décarboné.

Un réseau de stations se développe très vite, initialement réalisé par des investisseurs privés, membres de l’association : Total, Engie, Air Liquide, Gaz naturel Fénossa, etc. Une vingtaine d’énergéticiens, petits et gros, développent des stations qui seront rentables d’ici cinq à dix ans, puisque les flottes de camions qui passent au gaz se développent très vite, sous l’impulsion des chargeurs de la grande distribution, notamment, les Carrefour, Auchan et Intermarché, qui, pour réduire l’empreinte carbone de leur activité, passent au GNV et au bioGNV.

Lorsque l’Europe a souhaité imposer aux États une feuille de route fin 2016 sur le déploiement des infrastructures de carburants alternatifs gaz, électricité et hydrogène, notre filière s’est positionnée avec un objectif de 250 stations à l’horizon 2020 en France, qui s’est limité à 80 stations dans la directive. Cet objectif a été atteint mi-2018. Nous serons à plus de 150 stations fin 2018, et nous aurons bien évidemment atteint l’objectif de 250 stations, essentiellement pour les véhicules lourds, fin 2020. Notre filière a présenté dans le cadre des Assises de la mobilité, un objectif ambitieux de 2 000 stations en 2030, avec un tiers du parc de véhicules lourds alimenté au gaz naturel, et dans ce gaz naturel une incorporation de 40 % de biogaz.

Aujourd’hui, nous commençons sérieusement à nous intéresser au marché des véhicules utilitaires légers et à celui des véhicules particuliers. Ce n’est pas parce que le président de l’Association française du GNV est commissaire général du Mondial de l’auto, c’est une coïncidence, mais il se trouve que c’est un marché qui va fonctionner en rebond. Puisque les stations sont créées par des investisseurs privés pour le transport routier, les véhicules légers et utilitaires légers pourront s’approvisionner. Mais nous visons plutôt un marché professionnel que le marché des particuliers, pour lequel il faudrait beaucoup plus de stations.

Dernier point, des collectivités territoriales rejoignent également l’association parce qu’il existe une dynamique territoriale très forte et très étonnante, qui est notamment liée aux grands enjeux du bio-méthane en France. Aujourd’hui, des collectivités locales s’emparent du carburant GNV et créent leurs propres stations. J’étais hier à Saumur. L’agglomération de Saumur en partenariat avec des agriculteurs et différents acteurs locaux, syndicat d’énergie, etc. va développer son propre réseau de stations. La région Pays de la Loire, prévoit, dans son schéma stratégique, le déploiement d’une vingtaine de stations, dont Saumur fera partie, bien évidemment. Cette dynamique territoriale vient renforcer les intérêts écologiques et industriels du GNV en France, parce qu’on a quelques acteurs, quelques champions, dans l’association, qui ne demandent qu’à se développer au niveau de l’Europe. C’est un carburant qui se développe aussi beaucoup en Europe et dans le monde, et qui existe depuis très longtemps.

M. Vincent Rousseau. En allant du général au particulier, au niveau européen le développement du gaz pour les véhicules s’effectue sur deux marchés différents. Certains pays, historiquement, ont développé le gaz pour les véhicules depuis très longtemps, l’Italie en tête avec un réseau de stations de l’ordre de 1 000 unités, et un parc qui a dépassé le million de véhicules. Voici quarante ou cinquante ans, Fiat, l’État italien et ENI ont mis en place ce plan. Aujourd’hui l’Italie en bénéficie toujours. On a vraiment un sujet véhicules légers, même si les véhicules lourds se développent. D’autres pays, comme l’Allemagne, qui a mis en place, voici une dizaine d’années, un réseau de stations à peu près équivalent à celui de l’Italie, pendant très longtemps, ont attendu les voitures. L’année dernière, Volkswagen a relancé une offre gaz avec ses quatre marques Skoda Audi, Volkswagen et Seat. On voit aujourd’hui une accélération des ventes de véhicules légers gaz, même si elle reste encore relativement ténue. Et puis, des pays périphériques, comme la Belgique et la Suisse, disposent également d’un réseau de stations. Un premier groupe de pays développe le gaz sur ce segment. La France a pris une autre option : le développement du gaz pour les véhicules lourds. Elle est suivie par l’Espagne et le Royaume-Uni, où existe clairement une dynamique du gaz pour les véhicules lourds. La France se distingue au niveau européen, car à fin 2017 elle concentrait à elle seule la moitié des immatriculations de véhicules lourds en Europe, suivie par l’Espagne et l’Italie. En Italie, le gaz se développe sur tous les segments. Par contre, dans des pays comme la Norvège et l’Allemagne, il n’existe pas encore de dynamique gaz pour les véhicules lourds. Je pense aussi que la dynamique gaz sur les véhicules lourds en France est née du GNL, qui a permis aux transporteurs d’avoir une autonomie à peu près équivalente à celle des transporteurs utilisant le gasoil. Celui-ci permet une autonomie de 2 000, voire 3 000 kilomètres. Quand vous proposez un véhicule gaz qui ne fait que 400 ou 500 kilomètres d’autonomie, vous ne suscitez pas leur intérêt. Avec une offre à 1 500 kilomètres, ils commencent à vous écouter. C’est par le GNL que des transporteurs sont arrivés progressivement à des camions d’autonomie moindre, car finalement 500 kilomètres peuvent suffire sur certains axes.

Je voudrais revenir sur la dynamique bio-méthane, dont vous avez parlé avec nos collègues de l’Association française du gaz. La filière bio-méthane cherche à se monter en France depuis 2011, année de la mise en place des tarifs de rachat. Aujourd’hui, on a une dynamique très forte du bio-méthane pour les transports, pour plusieurs raisons. La raison principale, c’est que le secteur des transports est celui qui émet le plus de gaz à effet de serre. Non seulement c’est celui qui en émet le plus, mais c’est celui pour lequel l’augmentation continue, non pas que les véhicules émettent plus de CO2 qu’avant, mais parce que le parc augmente. Il faut donc, coûte que coûte, décarboner ce secteur avant les autres, qui ont commencé à amorcer leur décroissance. Le secteur de l’industrie et le secteur du résidentiel ont commencé à infléchir leurs émissions CO2, pas le transport. Donc cela justifie, en tout cas dans le monde gazier, de flécher prioritairement le bio-méthane vers le secteur des transports. C’est pour cela que dans la mécanique qui permet aux fournisseurs de valoriser le bio-méthane, une prime permet de valoriser prioritairement le bio-méthane en tant que carburant, devant les autres usages.

En France, on observe depuis quelques années un doublement des volumes de bio-méthane injecté dans les réseaux. Nous étions à 215 GWh fin 2016 et à 406 GWh à fin 2017, et on devrait avoisiner les 700-800 GWh à fin 2018. On est donc loin de couvrir les 450 TWh de consommation de gaz en France, même si elle va diminuer. Mais on est sur un facteur deux, depuis 2-3 ans pour la production de bio-méthane. On a dépassé à fin août début septembre le térawattheure de capacité installée. Il faut bien distinguer les volumes injectés dans le réseau de la capacité des méthaniseurs à fournir ce méthane.

Comme indiqué, nous avons proposé, dans le cadre des assises de mobilité, un plan de déploiement du gaz pour les véhicules lourds et utilitaires à l’horizon 2022-2030. C’est une approche scénarisée. Dans le scénario le plus fort, qui est vraiment concentré sur les véhicules lourds, nous avons, en concertation avec les acteurs de la filière : transporteurs et constructeurs, étudié le renouvellement naturel du parc, un scénario où il est possible d’atteindre 30 % du parc de 500 000 véhicules lourds au gaz en 2030, soit quasiment 200 000 véhicules au gaz pour le transport de marchandises, mais également de voyageurs. La dynamique autocars se met en place avec un petit peu de retard par rapport aux poids lourds, parce que l’offre constructeur n’est pas encore tout à fait prête. De plus, le développement du gaz en France sur le marché des bus et des bennes à ordures est historiquement relativement anecdotique par rapport aux poids lourds.

Pour aller vraiment vers une décarbonisation du transport, passer de 20 % de bioGNV dans le GNV en 2023, l’objectif de la PPE, à 40 % en 2030. À titre de comparaison, en 2016 on avait 6 % du GNV d’origine renouvelable, et en 2017 9 %. Donc on observe depuis quelques années une augmentation du bioGNV dans le GNV, principalement dû au fait qu’il y a une incitation pour les fournisseurs à commercialiser leur gaz dans le secteur des transports.

L’étude réalisée par l’ADEME avec GRT gaz et GrDF sur un mix 100 % renouvelable en 2050 vise, à partir de des gisements qui permettraient de produire du gaz renouvelable, et en parallèle de la baisse des consommations de gaz en France a montré qu’il est possible d’atteindre un mix gazier 100 % d’origine renouvelable en 2050. Pour verdir totalement le mix gazier à cet horizon, le bio-méthane ne suffit pas. Il représente une façon de fabriquer du méthane renouvelable par la fermentation des déchets organique. Évidemment, c’est aujourd’hui la filière la plus dynamique qui procure la quasi-totalité du volume de gaz renouvelable, mais d’autres processus permettent de fabriquer du gaz renouvelable. D’une part, la piro-gazéification consiste à porter à très haute température des déchets pour récupérer des gaz de synthèse dans lesquels on retrouve du méthane, mais également de l’hydrogène. D’autre part, le powertogas consiste à fabriquer du méthane de synthèse en passant par une phase hydrogène intermédiaire. Le processus est simple. On utilise de l’énergie électrique renouvelable, souvent intermittente, dans les périodes où la demande électrique est très faible, pour électrolyser de l’eau, et produire de l’hydrogène. Cet hydrogène est ensuite recombiné avec du CO2 pour fabriquer du CH4, du méthane, qui peut être réinjecté dans les réseaux de gaz naturel. Donc, à l’horizon 2050, pour obtenir 100 % de gaz renouvelable, on a une règle des trois tiers : 30 % de bio-méthane, 30 % de gazéification et 40 % de power-to-gas. Ce dernier est déjà une réalité, notamment en Allemagne, où le constructeur Audi a investi dans des installations de power-to-gas afin de produire son propre carburant pour ses clients. Plus proche de nous, en France, GRT Gaz est à la tête d’un consortium qui construit un premier démonstrateur power-to-gas près de Fosses. Il devrait être mis en service en fin d’année prochaine.

Mme Agnès Boulard. La première injection d’hydrogène est prévue dans les premiers jours de l’année 2019. Ce processus est important à suivre, d’ailleurs la Commission de régulation de l’énergie nous a autorisés, nous qui sommes transporteurs, a piloté la réalisation de ce démonstrateur, qui est en fait un moyen de stockage de longue durée, contrairement au stockage par batterie, d’énergie électrique renouvelable excédentaire. Cela illustre la synergie des réseaux électriques et gaziers, qui, jusqu’à présent, existait plutôt dans l’autre sens, c’est‑à‑dire que l’électricité était produite à partir du gaz dans les centrales à cycle combiné gaz. Nous travaillons à boucler la boucle dans l’autre sens, puisque le système gazier a cette caractéristique d’être flexible, que n’a pas le système électrique, et que nous pouvons stocker dans nos réservoirs, et dans nos 32200 kilomètres de réseau, du gaz susceptible d’arriver à des temps donnés.

Pour terminer, je voudrais aborder la façon de quantifier les émissions de CO2. Le GNV procure des avantages sur la partie polluants, mais les constructeurs sont principalement incités à construire des véhicules qui émettent le moins de gaz à effet de serre possible. Au niveau européen, la réglementation est différente pour les constructeurs de véhicules de moins de 3,5 tonnes, et ceux de poids lourds. À ce jour, les constructeurs sont soumis à un règlement CO2 au titre duquel ils sont obligés d’atteindre, d’ici 2020, un objectif de 95 grammes de CO2/km pour les automobiles et de 147 grammes de CO2/km pour les véhicules utilitaires légers. Un règlement CO2 pointe son nez pour les véhicules lourds. Jusqu’à présent, les constructeurs de poids lourds n’étaient pas incités de la même façon que les constructeurs de véhicules légers. Au niveau du Parlement européen, des discussions sont en cours.

On est toujours sur des approches dites à l’échappement (tank-to-wheel en anglais), qui jaugent la performance en termes de gaz à effet de serre uniquement en regardant ce qui sort du pot d’échappement d’un véhicule, ce qui avait du sens quand le transport était basé sur une seule énergie, le pétrole, et le taux de renouvelables proches de zéro, même si le taux d’incorporation des biocarburants augmente depuis plusieurs années. On avait une métrique assez intelligente pour comparer les véhicules entre eux. Mais cette logique n’est plus la bonne, dans le sens où on a déjà un taux de renouvelable qui augmente dans le mix, et surtout une diversification des énergies. Si je reprends l’exemple d’un véhicule qui roule en 100 % bio-méthane, au pot d’échappement, factuellement et physiquement, on a exactement le même niveau de CO2 qu’un véhicule en gaz fossile, alors que l’impact sur le réchauffement climatique n’est pas le même, tout simplement parce qu’on occulte l’étape amont, appelée du puis au réservoir (Well-to-Tank en anglais), et, du coup, on ne prend pas en compte le caractère vertueux des carburants renouvelables.

Si vous êtes un constructeur automobile et que cette règle perdure, vous n’avez évidemment aucun intérêt à développer des véhicules thermiques, quand bien même vous auriez accès à un mix qui permet de les alimenter avec un fort taux de renouvelables, parce que « ça ne paye pas » par rapport aux objectifs. Inversement, le véhicule électrique est considéré comme à zéro émission, dans le sens où à l’échappement aucune molécule de CO2 ne sort d’un véhicule électrique. Certes, aller vers des méthodes de quantification plus larges qu’à l’échappement est compliqué, mais il faut bien comprendre que cela influe sur les stratégies des constructeurs. Sur les véhicules lourds, les discussions sont en cours. Évidemment, c’est surtout ce segment qui nous intéresse. Nous souhaiterions que la réglementation puisse intégrer le caractère vertueux du gaz renouvelable, en ayant un spectre plus large que l’échappement.

En plus de la mesure à l’échappement, et du puits au réservoir, prenant en compte la façon de produire l’énergie en amont des véhicules, si on veut être complet, l’idéal serait d’aller vers des solutions dites du berceau à la tombe (en anglais cradle to grave) qui intègrent également la fabrication des véhicules et leur recyclage. Plus on ouvre le spectre, et plus il est compliqué de mettre en place des règles qui permettent d’inciter les constructeurs à réduire leurs émissions. Mais, au fur et à mesure de l’augmentation du taux d’incorporation du bio-méthane dans le mix, les constructeurs ne sont pas incités à aller vers ce carburant. Aussi, il nous semble nécessaire d’aller vers un spectre plus large que la règle historique, qui date de la fin des années 2010.

Pour terminer, la particularité française consistait à concentrer une bonne partie du marché véhicule lourd en Europe permettrait de construire une filière industrielle, avec des acteurs comme Iveco, par exemple, qui ont des usines en France pour fabriquer des bus. L’usine qui fabrique des moteurs thermiques Iveco est basée en France et irrigue toute l’Europe. Renault Trucks fabrique à Blainville des moteurs thermiques et assemble des véhicules et des camions gaz. Scania a une usine d’assemblage à Angers. On a donc une filière industrielle qui se met en place sur la partie construction de véhicules, mais également la partie stations. L’infrastructure d’avitaillement, il faut la construire de décompressoristes notamment qui ont des actifs en France. Au-delà de la filière GNV, toute la filière bio méthane se met en place, de la production de bio-méthane jusqu’à la construction des véhicules, en passant par la mise en place des stations, qui peut être un atout au niveau national, voire européen.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Le gaz est utilisé dans le résidentiel en grandes quantités, est-ce que dans vos travaux vous avez également envisagé la décarbonation de ce type de consommation ?

La réponse est positive. Elle tient justement à la cible 100 % renouvelable en 2050. Si on tend vers un mix 100 % renouvelable, tous les usages du gaz seront décarbonés, y compris dans le résidentiel.

Donc, les chiffres que vous avez donnés, comprennent à la fois le résidentiel et les transports.

L’industrie également, qui est le troisième grand secteur consommateur de gaz.

L’étude réalisée avec l’ADEME doit-elle être considérée comme une feuille de route ?

Ce n’est pas une feuille de route, mais une étude qui vise à montrer qu’il est possible de totalement décarboner le mix gazier, et à évaluer les coûts. Cette étude comporte évidemment un volet économique, qui montre que le prix du gaz renouvelable produit est, bien sûr, supérieur au prix du fossile, le fossile étant imbattable sur ce plan. Bien entendu, on ne peut pas aller vers un mix 100 % renouvelable à n’importe quelles conditions, d’où plusieurs hypothèses, présentée dans une synthèse très bien faite.

En termes de feuille de route, il faut plutôt se raccrocher à une dynamique lancée en début d’année par Sébastien Lecornu avec le plan méthanisation, qui ne va pas à 2050, mais plutôt sur le court-moyen terme. Ce plan s’est soldé par un plan d’action dans lequel on retrouve d’ailleurs un fléchage du méthane vers le transport.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Vous avez rappelé que la production de gaz renouvelable demandait aussi de l’énergie, pas toujours décarbonée, parfois pour la production elle-même. Pouvez-vous quantifier la part de carbone pour produire du bio-méthane, avec les différents procédés évoqués ?

M. Vincent Rousseau. Je n’ai pas la réponse exacte à cette question. Le bio-méthane est consommateur d’énergie, moins que la pyro-gazéification, s’agissant d’un processus relativement passif, dans lequel on récupère le biogaz à la sortie du méthaniseur, avant de l’épurer pour le transformer en méthane, quasiment pur. La base carbone de l’ADEME indique, de mémoire, une diminution de 77 % des émissions entre le gaz fossile et le bio-méthane, ce qui traduit le fait qu’il faut quand même apporter un petit peu d’énergie pour fabriquer ce dernier. Mais je n’ai pas le chiffre exact en tête.

Mme Huguette Tiegna. Concernant les émissions de CO2 provenant du gaz, à part l’hydrogène, existe-t-il un autre procédé permettent d’obtenir zéro émission de CO2 à l’échappement ?

M. Vincent Rousseau. De toute façon, qu’on le veuille ou non, tout nous ramène à un cycle de vie complet, y compris pour l’hydrogène produit par électrolyse. Une étude très intéressante a été récemment publiée par Carbone 4 sur les différents contenus carbones des véhicules. Elle compare un véhicule thermique, un véhicule électrique, et le véhicule à hydrogène.

Carbone 4, cabinet de MM. Jean-Marc Jancovici et Alain Granjean, se spécialise justement sur la quantification du carbone, dans tous les processus. On constate qu’en fonction de ce que l’on regarde, et de la façon dont on le regarde, à l’échappement, en wheel to wheel ou cradle to grave, on ne voit pas la même chose. Pour le coup, un véhicule électrique ou hydrogène n’est plus zéro émissions, et un véhicule thermique avec du carburant fossile sera toujours plus émetteur, mais avec du carburant renouvelable, les choses deviennent beaucoup plus nuancées qu’on ne pourrait le penser.

M. Gilles Durand. Effectivement, Carbone 4 est piloté par Alain Granjean, qui a été je crois le conseiller scientifique de la fondation de Nicolas Hulot. Ils sont très férus de cette analyse du cycle de vie. J’ai assisté à l’une de leurs présentations sur une étude réalisée pour le compte des électriciens, qui prévoyait, en fonction de différents scénarios sur la production d’électricité et d’hydrogène, des émissions de CO2. Ce que j’ai regretté, c’est qu’il n’ait pas évalué aussi les émissions du gaz naturel et du bio-méthane. Il serait important qu’ils le fassent, en tout cas nous allons le leur demander, parce que ça permet de relativiser les choses. C’est à cette occasion que j’ai découvert que l’hydrogène n’était pas si vertueux, en termes d’émissions de CO2, quand on analyse complètement son cycle de vie et sa production.

Mme Huguette Tiegna. Dans votre exposé vous avez parlé de stations gaz qui avaient limité le développement du gaz dans les transports dans les années 1990. Quand nous avions auditionné l’AFG, ils ont évoqué le besoin de milliers de stations pour atteindre les véhicules légers. Comment cela pourrait-il être réalisé ?

M. Gilles Durand. Sans station, il est certain qu’on peut attendre très longtemps les véhicules. En prenant du recul, il y a deux façons d’aborder le problème. La méthode allemande ou italienne, consiste à déployer les stations, ce qui implique des investissements conséquents. En général, ce sont gaziers et les collectivités qui en portent une partie, en espérant que les voitures arriveront et que les consommateurs se précipiteront pour acheter des voitures et feront leur plein. Cette méthode a fonctionné en Italie, pas encore en Allemagne. C’est bien la preuve qu’avoir des stations est une condition nécessaire mais pas suffisante. Le véhicule électrique rencontre un peu la même difficulté aujourd’hui. On veut absolument mettre des bornes de recharge partout, ce qui est une condition nécessaire, mais est-ce qu’elle sera suffisante ?

Pour le GNV en France, nous ne sommes jamais allés dans cette aventure. On développe des stations, après avoir identifié les véhicules intéressés pour passer au gaz. Le processus classique en France pour fabriquer une station destinée aux poids lourds, c’est qu’on commence à avoir une zone où manifestement il y a un intérêt des transporteurs pour passer au gaz, notamment sous l’impulsion des chargeurs qui leur demandent de changer de carburant, parce que l’accès au centre-ville pourrait poser des difficultés. Les transporteurs se regroupent, et une fois qu’on a autour de la table une quinzaine ou une vingtaine de transporteurs prêts à passer au gaz, on déclenche un investissement. De fait, lorsque la station est décidée, on est certain qu’une fois construite, elle sera utilisée. C’est un modèle relativement vertueux, qui permet d’apporter une solution d’avitaillement à d’autres véhicules qui ne peuvent pas se concerter au préalable.

M. Vincent Rousseau. En fait, nous croyons beaucoup au mix énergétique. On ne va pas sortir du tout pétrole pour aller au tout électrique ou au tout hydrogène. J’étais invité samedi à l’université d’été de l’association Sauvons le climat, mais il faudrait dire sauvons le nucléaire, car ils veulent promouvoir le véhicule électrique pour continuer à utiliser les centrales nucléaires, en disant que c’est ce qui est le plus décarboné. Ils m’interrogeaient sur la question : est-ce que le moteur thermique a dit son dernier mot ? J’y suis allé avec l’IFPEN qui réalise des études très utiles sur l’évolution du rendement des moteurs à combustion interne, que ce soit au gaz ou à l’essence. Pour nous, en fonction des usages, il faut la bonne énergie. L’hydrogène trouvera certainement sa place dans quelques usages. L’électricité commence à trouver sa place, elle a les mêmes problématiques que toutes les énergies renouvelables : les stations d’avitaillement. Nous sommes partis sur le véhicule lourd, parce qu’aujourd’hui un tracteur routier de marchandises de 44 tonnes fonctionnant à l’électricité, ça n’existe pas. Il faudrait 90 tonnes de batterie pour retrouver l’autonomie d’un véhicule diesel. On voit bien les limites de l’exercice. Comme l’a dit Vincent, nous développons les stations sur un modèle économique assez robuste, avec des investisseurs privés, complété par un maillage territorial. On a parlé de Saumur tout à l’heure, mais il y a beaucoup de villes qui se sont lancées dans ce dans ce dispositif, des syndicats d’énergie aussi, représentant les villes pour la gestion de leurs réseaux d’énergie. Les transporteurs s’équipent aussi de stations.

Les acteurs du transport routier de voyageurs par autocar commencent à s’intéresser fortement au sujet. Nous ne pensons pas que ce carburant touchera les particuliers, parce qu’aucun particulier ne fera dix kilomètres pour faire le plein. Il faut une station à proximité, ce qui implique beaucoup de stations. Personne n’est capable de le financer aujourd’hui. Donc, nous partons du poids lourd, et nous évoluerons vers l’utilitaire léger, en fait vers tous les véhicules aujourd’hui au diesel, pour des raisons de rendement du moteur ou de couple au démarrage. Maintenant, nous pensons qu’il y aura un petit marché en rebond. La marque Seat du groupe Volkswagen va annoncer au Mondial de l’auto qu’ils vont vendre en France, pour le marché des flottes d’entreprise, l’un de leurs quatre véhicules GNV vendus en Espagne, en Italie, en Allemagne, et en Belgique. Des professionnels nous disent que la solution au gaz naturel ou au bio-méthane est une bonne solution, parce qu’ils ont des clients publics qui veulent qu’ils roulent au biogaz produit dans leur région, ou parce qu’ils veulent rouler décarbonés, ou encore parce qu’ils veulent rouler moins cher. La solution est économique, donc le modèle est robuste et doit trouver sa place dans le mix énergétique. Mais nous ne voulons pas créer des milliers de stations.

M. Stéphane Piednoir. Pour terminer, quelles seraient pour vous les principales mesures qui lèveraient les freins, qui feraient qu’on accélère un petit peu la production de gaz renouvelable ?

M. Vincent Rousseau. Je dirais que l’accélération a déjà eu lieu. Le plan méthanisation mis en place en début d’année participe à donner de la visibilité. Toute filière industrielle dirait la même chose, pour convaincre les investisseurs à parier sur un procédé, que ce soit la méthanisation ou les véhicules gaz, étant donné que ces investissements sont rentabilisés sur plusieurs années, voire parfois plusieurs dizaines d’années, il faut être certain de ne pas se retrouver en culottes courtes, au moment où vous auriez pu commencer à gagner de l’argent. Donc aujourd’hui le maître mot c’est la visibilité.

L’un de nos adhérents s’appelle Cryo Pur, une Start-Up dont l’un des fondateurs est membre du GIEC, M. Denis Clodic, qui épure le biogaz par voie cryogénique, en le transformant en bio-GNL. Dans le cadre d’une des mesures du groupe de travail méthanisation de M. Lecornu, il a été décidé d’accompagner le bio-méthane non injecté dans les réseaux, parce ce qu’on n’a pas toujours des réseaux à proximité, même si le droit au raccordement va exister. Si le méthaniseur est à 30 kilomètres du réseau, on va créer le réseau. Il y a d’autres solutions qu’il faut accompagner. Ces solutions permettront également aux transporteurs qui font de longues distances de rouler avec du bio-GNL. On voit bien que les territoires sont très intéressés par la méthanisation, parce que ce gaz est produit chez eux, pour être utilisé chez eux, et le système des garanties d’origine ne séduit pas grand monde en fin de compte, même s’il est très pratique. Les élus locaux veulent avoir du bio-méthane produit localement et utilisé localement. Le développement de cette technologie d’épuration par cryogénie et certainement une condition d’avenir pour permettre au gaz issu des méthaniseurs isolés des circuits gaziers classiques d’être collecté de manière simple, et directement versé dans des stations de biogaz liquide. C’est une mesure qui serait intéressante à suivre. D’ailleurs Cryo Pur, avec les sociétés Invivo et Primagaz, réfléchissent à ce qu’ils pourraient proposer comme dispositif d’accompagnement dans le cadre de cette mesure du Plan méthanisation pour leur technologie d’épuration cryogénique. Ce serait un moyen de développer le bio-méthane là où il n’existe pas de possibilité de l’injecter directement dans les réseaux.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce que beaucoup d’établissements utilisent déjà cette technologie ?

Air Liquide le fait, je crois qu’en Suède ou en Italie, ils viennent de créer une énorme unité de liquéfaction du biogaz. Ça se fait à très grande échelle. L’enjeu économique de Cryo Pur est de pouvoir mettre en place de petites installations. Une expérimentation a été menée au Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), pendant quelques mois, avec du biogaz épuré par voie cryogénique, et directement versé dans des stations de gaz liquéfié pour les véhicules.

Mme Agnès Boulard. Ce sont des choses qui se mettent en place au fur et à mesure. Cela ne fait pas si longtemps, moins de deux ans, le biométhane était encore taxé au titre de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) dans le projet de loi de finances. Quand on dit que les filières ont besoin de signaux, je pense qu’effectivement cette exonération, demandée depuis déjà très longtemps, s’agissant d’une énergie renouvelable, y contribue. Ensuite, dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGALIM), des dispositions sur le droit à l’injection ont été introduites. Il était donc nécessaire d’adapter des textes pour faciliter les dispositifs de raccordement. Là encore, c’est un petit peu, comme pour le développement du GNV, un signal politique toujours important.

On le voit bien, parce que pendant les débats sur la transition énergétique, la part consacrée aux transports n’avait pas été très importante. D’ailleurs, il a fallu que la directive européenne sorte au moment des débats pour qu’on ouvre la loi à autre chose que le véhicule électrique, pour qu’on prenne en considération les autres carburants. Pour avoir été là, je sais la difficulté, parce que quasiment tout le monde parlait d’hydrogène, de GNV, etc. et pendant le débat parlementaire tous les amendements sont tombés. On voyait bien une volonté de limiter à l’électrique. Cette directive est arrivée au bon moment. Si l’industriel n’entend parler que d’électrique, il n’ira pas regarder autre chose. C’était donc important qu’il y ait eu cette ouverture il y a un an et demi.

Un phénomène qui a été également très fort, c’est que les territoires se sont saisis du sujet, les territoires devant réaliser leur planification énergétique, à travers notamment le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) et le plan climat-énergie métropolitain (PCEM). Les territoires ont véritablement été moteurs. Ils ont besoin de chercheurs de solutions de court terme. Justement, nous sommes sur des technologies qui existent, et qui sont utilisées par nos voisins européens.


Audition de M. Pierre Germain, directeur associé, et de

M. Nicolas Meillant, consultant senior

E-CUBE Strategy Consultants

 

Jeudi 20 septembre 2018 au Sénat

 

M. Pierre Germain, directeur associé, E-CUBE Strategy Consultants. Nous sommes partis de la question qui vous est posée, en particulier du concept de « scénarios technologiques ». N’étant pas, à notre connaissance, consacré et bien défini, ce dernier mérite une attention particulière. Il s’agit de déterminer quelle trajectoire de ventes de véhicules essence et diesel est compatible avec un arrêt de commercialisation en 2040, ou, symétriquement, quelle trajectoire de commercialisation de motorisations alternatives nous permettrait d’arriver à un arrêt de la commercialisation des véhicules essence et diesel en 2040.

J’insiste sur le fait que la saisine mentionne les véhicules à essence et diesel, pas à moteur thermique. À ce titre, la tendance serait d’opposer aux véhicules diesel et essence un ensemble de motorisations alternatives, incluant évidemment les véhicules électriques, mais également les véhicules au gaz naturel – si le gaz naturel est bien neutre sur son cycle de vie du point de vue carbone – voire les véhicules thermiques utilisant des biocarburants.

M. Nicolas Meillant, consultant senior, E-CUBE Strategy Consultants. En effet, quand on parle de véhicules n’émettant pas de gaz à effet de serre, on s’oriente de plus en plus vers l’analyse du cycle de vie des véhicules. Il sera bien évidemment très important de ne pas oublier la production de la batterie du véhicule, qui consomme au moins autant d’énergie que la production du véhicule lui-même. De plus, aujourd’hui, ces batteries sont produites en Corée du Sud, au Japon et en Chine, où une proportion importante de charbon est encore utilisée pour la production d’électricité. L’implantation d’usines de batteries va également se concrétiser bientôt en Europe, notamment en Pologne, où l’électricité est la plus charbonnée au monde, avec plus de 90 % de charbon. L’ouverture d’une usine en Allemagne a aussi été annoncée par le groupe chinois Contemporary Amperex Technology Co. Limited (CATL). Or, dans ce pays, entre 35 % et 40 % de l’électricité est encore produite à base de charbon.

M. Pierre Germain. Par rapport à cette question, des sous-questions se posent : quelle part de chaque filière de mobilité alternative peut-on attendre d’ici à 2040 ? Singulièrement, quelle est la part du véhicule électrique ? De quel type de véhicules parle-t-on ? Prenons-nous en considération uniquement le véhicule tout électrique, ou bien aussi l’hybride rechargeable et le véhicule hydrogène ?

Plus spécifiquement, on peut se demander quelles performances technico-économiques on peut atteindre d’ici 2040 sur ces différentes filières. Les performances technico-économiques se traduisent numériquement par le coût du véhicule, dans une acception coût total de possession (en anglais : total cost of ownership ou TCO), c’est-à-dire le coût complet du véhicule : l’achat, l’utilisation, y compris la maintenance, et le carburant. Il s’agit également de la capacité à satisfaire les besoins de mobilité des clients, ainsi que leurs usages et besoins de déplacements

Pour éclairer ces questions, nous avons tendance à les décomposer en six briques, en commençant par la question de la demande, et non pas du scénario technologique. Nous aurions donc tendance à positionner le besoin et les usages comme questions capitales. Les questions qui se posent sont donc : Quels sont les besoins de mobilité à satisfaire ? Quelles sont les fonctions d’utilité des consommateurs dans leur choix ? Aujourd’hui, certains consommateurs achètent des véhicules électriques, alors même qu’ils sont plus chers. Dès lors, l’achat d’un véhicule n’est pas qu’une décision économique.

On en arrive alors à une question centrale : la capacité à répondre à des déplacements de plus longues distances que les déplacements urbains et périurbains réalisables par les véhicules électriques. Cette première interrogation se pose à long terme, même dans des scénarios prévoyant l’augmentation de la taille des batteries embarquées et une plus grande concentration énergétique de celles-ci. L’autonomie sera-t-elle suffisante pour satisfaire les besoins de déplacements à longue distance ? Même dans cette hypothèse, ne risque-t-on pas d’être confrontés à des problèmes de déploiement d’infrastructures de recharge rapide, dont la rentabilité n’est, dans le modèle économique actuel, pas avérée, leur usage étant insuffisant, et de plus susceptible de poser des problèmes techniques d’insertion dans le système électrique ?

M. Nicolas Meillant. Je pense que les objectifs principaux sont la réduction de nos émissions de CO2 et la couverture de 80 % des trajets du quotidien par la mobilité électrique. Ces objectifs paraissent atteignables, peut-être même avant 2040. On parle en effet de plus en plus de voitures électriques, mais aussi de vélos électriques, de trottinettes électriques, de trains électriques, ou encore de bus électriques. Utiliser des moyens de locomotion électrique pour les déplacements du quotidien est donc tout à fait possible, potentiellement avant 2040.

Les trajets longs, notamment en périodes de départs en vacances, restent le point bloquant. Il faut véritablement s’interroger à ce sujet, car la solution actuelle au problème de l’autonomie est la fabrication de batteries de plus en plus grosses. Cependant, à partir d’une certaine taille, les batteries remettent en cause le bilan et l’impact CO2, puisque leur production nécessite beaucoup d’énergie et de métaux rares, auxquels nous n’avons accès que par l’intermédiaire de la Chine. Par exemple, cette dernière maîtrise la chaîne d’approvisionnement du cobalt, composant essentiel des batteries actuelles pour véhicules, pour encore au moins une dizaine d’années.

Comme l’indiquait M. Pierre Germain, la dernière question qui se pose est celle de la capacité du réseau électrique à charger autant de véhicules en même temps, sachant que le modèle économique de la recharge rapide n’est pas aujourd’hui démontré. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avions précisé, dans le rapport réalisé pour France Stratégie, que les Britanniques envisagent d’obliger les opérateurs pétroliers à inclure des stations de recharge dans les stations-service des autoroutes.

M. Pierre Germain. Par rapport à cette question de la demande, en 2040, elle pourrait rester la même qu’aujourd’hui, avec un même véhicule pour les trajets du quotidien et pour partir en vacances, ou, au contraire, le véhicule serait réservé aux déplacements du quotidien, l’usager se déplaçant autrement sur de plus longues distances, en transports en commun, ce qui constitue une solution au problème technologique précédemment évoqué.

Nous en venons au deuxième point, c’est-à-dire les scénarii technologiques. Pour faire la transition avec le premier point, si la demande ne change pas, quelle sera la solution pour un transport de longue distance ? On peut avoir un véhicule électrique pour les trajets du quotidien, et un véhicule à hydrogène pour les longues distances, puisque c’est la solution technologique qui peut apporter une réponse à cette demande, ou bien, un véhicule hybride rechargeable (en anglais : plug-in hybrid), avec une batterie qui se recharge et un moteur thermique.

Concernant l’hydrogène la position d’E-CUBE est qu’il y a probablement une place pour toutes les filières à l’horizon 2040. Il existera, et il existe déjà des véhicules à hydrogène. On en voit rouler à Paris, avec les taxis Hype, et aussi en Californie. Selon nous, les mérites technico-économiques de la filière hydrogène la placent tout en bas de la pile des technologies de mobilité alternatives. Nous pensons qu’elle ne sera pas la solution privilégiée, y compris à l’horizon 2050, parce qu’elle n’a de sens que si l’hydrogène est propre, c’est-à-dire fabriqué soit par reformage du méthane, avec capture du CO2, soit par des électrolyseurs alimentés en électricité issue de sources vertes. Par conséquent, la pénalisation économique est, à notre sens, importante.

Il existe aussi un problème de validation du concept, en raison du risque technologique lié à l’hydrogène. Les grands groupes, tels qu’Air Liquide et Engie en France, utilisent l’hydrogène depuis très longtemps. Mais il existe une crainte viscérale du risque hydrogène, s’agissant de réservoirs à 700 bars présentant des risques de fuite, donc d’accidents plus probables avec la démocratisation du produit. Des accidents risqueraient de conduire à une remise en cause de la filière, comme dans le cas du gaz de pétrole liquéfié (GPL). Se pose également la question du coût des infrastructures.

M. Nicolas Meillant. Justement, bien que votre sujet se focalise sur les voitures particulières, il est important de considérer les défis correspondant au coût de l’infrastructure nécessaire à l’hydrogène et au gaz naturel.

Ce sont vraisemblablement des technologies adaptées à des flottes de véhicules : taxis à hydrogène comme à Paris, bennes à ordures, ou encore bus au GNV. Mais il reste à déterminer si cette technologie pourrait être utilisée dans les voitures particulières, puisqu’il faudrait développer une infrastructure très importante. Je rappelle qu’aujourd’hui le coût d’une station hydrogène ou GNV, permettant de charger un véhicule dans un délai équivalent de cinq minutes, se situe autour du million d’euros. Aura-t-on les moyens d’investir, et cet argent ne pourrait-il pas être mieux utilisé dans d’autres solutions ?

M. Pierre Germain. Pour revenir sur le véhicule électrique à batterie et sur la question des trajectoires de coût que l’on peut anticiper, nous avons comparé le coût global de possession, sur quinze ans dans un référentiel de coûts 2018, d’une part, pour un véhicule électrique, la Renault Zoé, et, d’autre part, pour un véhicule thermique, la Renault Clio 4, son équivalent en motorisation thermique. Sur cette période, il faut prévoir non seulement le coût d’acquisition du véhicule, mais aussi celui du renouvellement de la batterie, du carburant pour le véhicule thermique, de l’électricité pour le véhicule électrique, ainsi que les coûts de maintenance. Ces derniers sont d’ailleurs beaucoup moins importants pour un véhicule électrique que pour un véhicule thermique. Le TCO intègre également les subventions pour le véhicule électrique.

Finalement, le TCO d’un véhicule thermique s’élève à 37 000 €, et celui d’un véhicule électrique à 40 000 €, si l’on prend l’hypothèse d’une utilisation de 13 000 km par an, conforme à l’utilisation moyenne d’un véhicule en France. Pour cette utilisation moyenne, le véhicule électrique coûte aujourd’hui plus cher qu’un véhicule thermique, malgré les subventions. Le véhicule électrique ne devient intéressant en termes de TCO qu’à partir de 35 000 km par an. Paradoxalement, le véhicule électrique est adapté à des usages urbains, en raison de sa faible autonomie, mais pour être rentable il doit beaucoup rouler, et donc ne pas se limiter à un usage urbain.

M. Nicolas Meillant. En effet, l’usage urbain du véhicule électrique est intéressant, au regard des problématiques de pollution atmosphérique. Cependant, on constate aujourd’hui que les personnes qui achètent des véhicules électriques habitent principalement dans des logements individuels, disposant pour la plupart d’une place de parking permettant de charger un véhicule. L’usage du véhicule électrique devient plus complexe quand on habite dans une grande ville comme Paris, ou tout simplement dans un logement collectif. Récemment, M. Alain Leboeuf, ancien député de Vendée, parlait du véhicule électrique comme d’un véhicule rural, pour deux raisons. D’une part, vous ne rencontrerez pas de problème pour charger votre véhicule, car vous avez vraisemblablement de la place dans votre jardin ou votre garage. D’autre part, les distances étant plus longues en milieu rural, les économies réalisées grâce au véhicule électrique seront plus importantes que pour un usage urbain.

M. Pierre Germain. Nous avons également mené notre analyse du TCO en excluant la fiscalité. D’ailleurs, notre première analyse dissimule le fait que le carburant liquide est extrêmement taxé, alors que l’électricité ne l’est pas. Ainsi, sans fiscalité et sans subventions pour le véhicule électrique, la différence de TCO passe, à ce jour, d’un peu plus de 10 % à 30 %. Cette différence est importante, car il sera nécessaire de compenser les pertes fiscales dues à la fin de la vente de véhicules essence et diesel. Le plus naturel sera alors de transformer cette taxe sur les carburants en taxe sur l’électricité.

Nous avons donc essayé de voir comment le véhicule électrique s’améliore dans le temps sur le plan technico-économique. L’un des premiers points à considérer est la réduction du prix des batteries. Celui-ci a très fortement baissé dans les dernières années, à hauteur de 70 % entre 2009 et 2016, pour parvenir à ce jour à environ 350 $ / kWh. De nombreux instituts de recherche s’accordent pour dire que ce coût devrait passer en dessous de 100 $ / kWh à l’horizon 2030. Tesla fait la même estimation. Le prix des batteries pourrait donc être encore divisé par trois. Cette baisse n’est toutefois pas suffisante pour ramener le véhicule électrique à parité avec le véhicule thermique en termes de TCO. En effet, bien que son prix TCO passe de 46 000 à 37 000 €, le véhicule électrique reste plus cher qu’un véhicule thermique équivalent. C’est inquiétant, car le prix des batteries risque de se stabiliser aux alentours de 100 $ / kWh.

M. Nicolas Meillant. Le raisonnement en termes de TCO conditionne le choix des flottes captives, ou encore celui d’un véhicule de location, pratique d’ailleurs en croissance. Cependant, le coût d’achat va davantage orienter le choix des particuliers. Même avec des hypothèses optimistes sur le prix des batteries, on observe un différentiel de 15 000 € entre le prix d’achat d’une Clio et celui d’une Zoé. En 2030, ce différentiel sera toujours de 10 000 €. D’ailleurs les seuls pays où le véhicule électrique se développe réellement sur le marché, par exemple en Norvège où un véhicule vendu sur deux est électrique, sont ceux où le véhicule électrique coûte moins cher à l’achat que le véhicule thermique. Pour y parvenir, la Norvège utilise des incitations aussi bien indirectes que fiscales.

M. Pierre Germain. Pour l’heure, le véhicule électrique n’est donc pas intrinsèquement compétitif par rapport au véhicule thermique, d’un point de vue économique. Mais il ne l’est pas non plus en termes d’usage, en raison de son autonomie moindre et de sa recharge plus longue. Les pouvoirs publics devront par conséquent faire payer à la collectivité le prix nécessaire pour que la mobilité devienne sobre en termes de carbone.

M. Nicolas Meillant. Il n’y aura pas forcément besoin de faire payer la collectivité. On peut aussi penser à instaurer un système de bonus-malus, dans lequel les personnes roulant dans des voitures plus lourdes, sûrement plus polluantes, subventionnent les personnes roulant en voitures électriques. D’ailleurs, aujourd’hui, le système de bonus-malus est excédentaire.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Pour revenir sur la Norvège, où la fiscalité est favorable aux véhicules électriques, ces derniers sont-ils technologiquement en avance sur la France, notamment pour la partie batteries ?

M. Nicolas Meillant. Les Norvégiens ont accès aux mêmes véhicules des principaux constructeurs européens ou de Tesla que les Français. Habiter dans un logement collectif ou dans des zones densément peuplées constitue l’un des principaux freins à l’achat. En Norvège, l’habitat individuel est plus répandu. De plus, le problème des longues distances se pose moins qu’en France, l’un des plus grands pays d’Europe. Il faut aussi rappeler que la Norvège a l’un des produits intérieurs bruts (PIB) par tête parmi les plus élevés du monde, notamment grâce aux revenus issus des hydrocarbures. Le pouvoir d’achat est donc assez conséquent, et permet de financer une fiscalité élevée sur les véhicules thermiques : alors qu’en France la TVA sur les voitures est de 20 %, en Norvège la fiscalité double le prix des véhicules thermiques.

M. Pierre Germain. S’agissant des politiques publiques, nous pouvons également commenter les enjeux industriels, notamment en matière d’emplois, liées au déploiement de cette filière.

M. Nicolas Meillant. Le 27 septembre, France Stratégie publiera une note sur la voiture électrique, notamment la place qu’elle occupera en Chine, probablement le prochain leader dans ce domaine. Si la totalité des véhicules commercialisés deviennent électriques, il convient de se demander où ils seront fabriqués, en particulier leurs batteries. Aujourd’hui, la majorité de nos téléphones, de nos ordinateurs, de nos panneaux solaires, ou encore de nos batteries, est fabriquée en Chine, qui contrôle le cobalt. Elle devrait exercer, dans les années à venir, un contrôle quasi-absolu sur cet élément, et, par conséquent, sur la production des cellules de batteries. Le cobalt est un élément d’autant plus important qu’il s’agit déjà d’une ressource contrainte, alors que les ventes de véhicules électriques ne s’élèvent pas à plus de 2 % du marché mondial. La production annuelle d’un peu plus de 200 000 tonnes permettrait d’équiper 10 % des voitures vendues dans le monde de batteries. Cette maîtrise au travers de la chaîne d’approvisionnement en cobalt confère à la Chine un avantage compétitif significatif, alors qu’elle n’a jamais réussi à vendre ses voitures en Europe, en raison des barrières réglementaires du marché européen, notamment pour les essais de choc.

Cet avantage se matérialise déjà en France, avec la circulation des premiers bus électriques, fabriqués en Chine. Demain, le client n’aura plus peur d’acheter une voiture chinoise, puisqu’elle sera de marque française, allemande, ou suédoise. Par exemple, les véhicules lancés par Volvo sous la marque Polestar seront fabriqués en Chine, avant d’être réimportés en Europe. De même, le sport utility vehicle (SUV) iX3 de BMW sera fabriqué en Chine, via le partenariat de la marque avec le groupe chinois Brilliance Auto Group. Il n’est pas non plus impossible que PSA, partenaire de Dongfeng Motor Corporation, fabrique une partie de ses voitures électriques en Chine, comme le groupe le fait déjà avec ses petites citadines, majoritairement fabriquées en Pologne, en République Tchèque, ou en Slovaquie. L’Europe, qui disposait d’un avantage compétitif par rapport à la Chine, de par la maîtrise des technologies du moteur thermique, ne l’a plus forcément à l’heure des véhicules électriques.

M. Pierre Germain. La bataille sur les batteries semblant perdue, l’analyse d’Air Liquide ou d’Engie est que l’Europe peut devenir championne de l’hydrogène, secteur encore très peu investi. Or, les constructeurs français et européens ne se sont pas vraiment saisis de cette opportunité.

Mme Huguette Tiegna. Pourquoi ne se sont-ils pas saisis de cette opportunité ? Attendent-ils encore l’action publique ?

M. Pierre Germain. Aujourd’hui, il semble difficile d’investir à la fois dans les domaines de l’électrique et de l’hydrogène. Investir dans l’électrique est un choix plus facile et à la mode. Choisir une filière différente représente un risque considérable pour les industriels. Hyundai et Toyota ont fait ce choix, mais Toyota, qui a aussi investi dans l’hybride, commence à émettre des doutes sur sa stratégie, notamment pour la filière hydrogène. Il est donc possible qu’il y ait un consensus quasi-total sur le choix du véhicule électrique.

Le véhicule électrique s’imposera soit parce que les consommateurs demanderont des véhicules électriques, soit parce que les constructeurs proposeront des véhicules électriques. Il faut la conjonction des deux, mais l’un des facteurs pourrait peser plus que l’autre. Après le Dieselgate, les constructeurs américains, ou encore Volkswagen en Allemagne, transforment leurs gammes et s’orientent vers l’électrique, si bien qu’il se pourrait qu’il n’y ait plus que des véhicules électriques sur le marché.

M. Nicolas Meillant. Un autre levier qui pourrait encourager les consommateurs à s’équiper en véhicules électriques sont les restrictions de circulation pour les véhicules les plus polluants, comme celles instaurées dans la ville de Londres. Les centres-villes vont être de plus en plus dédiés aux mobilités à faibles émissions, donc à la mobilité électrique. La mairie de Paris étudie d’ailleurs l’idée de réserver les quatre premiers arrondissements aux mobilités à faibles émissions. En Allemagne, une trentaine de villes sont en procès pour dépassement des niveaux d’émissions en dioxyde d’azote, et ont déjà pris des mesures restrictives pour les véhicules thermiques. Par exemple, à partir de janvier 2019, les véhicules diesel ne pourront plus circuler à Stuttgart, y compris sur les rocades. À Hambourg, depuis mai 2018, tous les véhicules diesel, y compris Euro 5, soit 80 % des véhicules en circulation, ne peuvent plus emprunter l’une des rues principales de la ville.

Ces mesures vont se multiplier. Quand bien même le véhicule électrique serait plus cher, il conférera à son utilisateur un avantage d’utilité, grâce à son accès aux centres-villes. Ces mesures, couplées à la perte de valeur résiduelle des véhicules diesel suite au scandale Volkswagen, rééquilibrent donc le marché entre véhicules thermiques et électriques.

M. Pierre Germain. Se pose ensuite la question de la recharge, qui peut s’effectuer aussi bien à domicile que dans l’espace public, au travers des infrastructures de recharge lente dans les villes et de recharge rapide sur autoroutes. À l’heure actuelle, il existe un certain nombre d’incertitudes sur les comportements. Il faut se demander dans quelle mesure il est nécessaire de déployer des infrastructures de recharge dans l’espace public. Jusqu’à présent, le déploiement d’infrastructures est justifié par une volonté de convaincre les utilisateurs qu’ils n’auront pas de soucis pour recharger, mais ces infrastructures ne sont pas forcément nécessaires, du moins pour les déplacements au quotidien, et ne sont ni vraiment utiles ni rentables. Le problème est le même pour les bornes de recharge rapide sur les autoroutes, qui seront surtout utilisées pendant les périodes de départ en vacances, et ne seront donc pas rentables pour les investisseurs potentiels. D’ailleurs, des problèmes de file d’attente à la pompe peuvent apparaître, car il faut aujourd’hui compter vingt minutes de recharge pour obtenir cent cinquante kilomètres d’autonomie supplémentaire, si l’on suit le modèle de recharge rapide proposé par Tesla.

Il nous faut également estimer l’impact du déploiement de ces infrastructures sur le système électrique. Réseau de transport d’électricité (RTE), l’exploitant du réseau de transport français, imagine quinze millions de véhicules électriques en circulation en 2035. Sachant qu’une recharge nécessite 3 kW de puissance appelée, si 15 millions de véhicules se rechargeaient simultanément, cela représenterait un appel de puissance de 45 GW, ce qui représente un peu moins de la moitié de la puissance de pointe en France, qui est de 100 GW. En réalité, RTE se veut rassurant sur ce plan, car même dans le cas d’une recharge simultanée de tous les véhicules, le foisonnement contribuerait à accroître la demande instantanée de seulement 5 GW. De plus, il est possible de considérablement réduire le problème en instaurant une incitation tarifaire sur le prix de la recharge, en fonction du moment de la journée. Mais, à ce stade, la question n’a pas été analysée pour une flotte de 40 millions de véhicules.

M. Nicolas Meillant. La recharge est clairement un point bloquant pour le développement de la mobilité électrique. Pour un véhicule essence ou diesel, la puissance transmise au véhicule pour un plein est de 1 MW, contre 50 kW pour une recharge électrique, soit vingt fois moins. 1 MW correspond à la puissance appelée par un TGV. Sachant qu’il y a en moyenne dix pistolets par station-service aujourd’hui, cela signifie qu’il faut appeler par station de recharge, la puissance nécessaire pour dix TGV, surtout en période de départs en vacances, où elles seront très sollicitées. Avec la puissance des stations de recharge actuelles, il faut deux heures pour ajouter 600 km d’autonomie. Des points de recharge avec une puissance de 150 kW vont bientôt voir le jour, ce qui correspond à un temps de charge de 40 minutes pour le premier utilisateur. Évidemment, pour les utilisateurs suivants, ce temps augmente.

Néanmoins, la technologie électrique permet de disposer d’une station de recharge à domicile, ce qui n’est pas le cas de l’hydrogène. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les constructeurs ne misent pas sur cette technologie. Mais cela n’est pas toujours possible, surtout quand on réside à Paris ou dans un logement collectif, où l’on ne dispose pas nécessairement d’une place de parking, et où il est plus difficile d’installer des bornes. Il est donc important de prévoir des points de recharge pour les personnes qui n’ont pas de place de parking, comme nous l’avions indiqué dans le rapport de France Stratégie. À Londres, certaines entreprises installent des points de charge dans les lampadaires, afin que ces personnes puissent se charger dans la rue. C’est une vraie problématique, car, aujourd’hui, pour un habitant d’un immeuble avec 100 places de parking, il est inimaginable d’acheter une voiture électrique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Dans quel délai vous inscririez-vous pour construire un plan de mobilité à l’horizon 2040, si l’Office vous sollicitait ?

M. Pierre Germain. Il faudrait s’entendre exactement sur le cahier de charges, mais nous sommes très réactifs. La période de mi-octobre à mi-décembre semble largement envisageable, même une période plus courte, étant donné qu’il suffit de mobiliser un plus grand nombre de nos employés sur l’étude.

M. Huguette Tiegna. Vous avez parlé de la nécessité d’un engagement des industriels pour faire avancer le sujet de la mobilité électrique. Il serait intéressant de savoir qui fait quoi. Avez-vous l’impression, au travers de vos travaux, que certaines entreprises veulent se concentrer sur le véhicule électrique, tandis que d’autres préfèrent s’en tenir au véhicule thermique, ou encore adapter leurs modèles aux technologies GNV ou hydrogène ?

M. Pierre Germain. Nous pouvons donner des exemples. Toyota se démarque par rapport à ses concurrents internationaux, le groupe ayant choisi l’hybride très tôt, et affirmé ne pas croire au véhicule électrique, pour des raisons d’autonomie et de compatibilité avec les usages sur grandes distances. Le groupe s’est également positionné sur l’hydrogène, au même titre que Hyundai et BMW.

Au Japon, Mazda a choisi de se consacrer à l’amélioration de la performance du moteur thermique, notamment dans le cadre des contraintes imposées en Europe, aux États-Unis, et en Chine, sur la performance de ces véhicules. Plusieurs stratégies sont envisageables par rapport à ces contraintes, que ce soit le changement de motorisation, l’amélioration de son rendement, l’allégement des véhicules, ou la diminution de leur taille. Le constructeur Mazda, que nous avons étudié récemment pour Renault, se démarque donc, lui aussi, avec cette stratégie qui l’isole du reste du marché.

Concernant le véhicule à gaz, la stratégie mise en place par Renault consiste à développer cette technologie pour des véhicules plus bas de gamme, plus ruraux, destinés davantage à des pays à faible pouvoir d’achat. Aussi, souhaitent-ils la mettre en œuvre au sein de la gamme Dacia. Le gaz naturel est particulièrement promu pour les véhicules lourds, donc le transport longue distance. Concernant le gaz, la question est encore de savoir s’il s’agira de gaz naturel ou de biogaz.

Les constructeurs peuvent donc se positionner différemment sur le marché, à travers leurs différentes marques.

Mme Huguette Tiegna. Avez-vous des retours sur les technologies employées pour le transport maritime, très émetteur en CO2 ?

M. Pierre Germain. Pour le transport maritime, le débat sur le bunkering ou soutage, c’est-à-dire la prise d’hydrocarbures à bord d’un navire, porte sur le gaz naturel liquéfié. Il existe des directives au niveau mondial sur la réduction de l’utilisation du fioul lourd et des émissions de soufre, dont la date butoir est 2020. Une alternative s’offre aux armateurs, en fonction des sanctions qu’ils encourent : soit ils achètent du fioul marine avec une faible teneur en soufre, soit ils utilisent des scrubers, c’est-à-dire des dispositifs qui lavent les fumées pour retirer le soufre. Dans le deuxième cas, les extraits polluants peuvent être conservés et recyclés ultérieurement ou rejetés en pleine mer, ce qui n’est pas une solution très satisfaisante. La dernière option est le gaz naturel liquéfié qui a une densité énergétique relativement correcte, même si elle est inférieure à celle du carburant liquide, mais n’émet aucun soufre.

La filière gaz croit donc beaucoup au développement du GNL maritime. Des annonces ont d’ailleurs été faites par des grands armateurs. En France, CMA CGM a notamment annoncé la commande de neuf porte-conteneurs fonctionnant au GNL. Au Danemark, Maersk, le plus grand armateur mondial, dit croire à l’essor de ce carburant. Cependant, il existe toujours des incertitudes sur ce secteur très émetteur en CO2, car si tout le transport maritime venait à fonctionner au GNL, le volume nécessaire serait équivalent à la moitié des importations européennes de gaz naturel.

M. Stéphane Piednoir. Qu’en est-il de la transparence et de l’accessibilité des données qui permettraient de construire des scénarios de prospection sur la mobilité, sur dix ou vingt ans ?

M. Nicolas Meillant. Dans le cadre de mes fonctions, je collabore avec l’entreprise EV-Volumes, qui collecte chaque mois les informations sur les ventes de véhicules électriques, par pays et par modèle, à partir des données d’immatriculation. Plusieurs sources de données sont souvent disponibles, ce qui permet de trianguler, et de valider les informations. Nous avons également l’habitude de réaliser des exercices de prospection à partir de différentes hypothèses, qu’elles soient technico-économiques ou législatives.

M. Pierre Germain. Notre approche sera, en effet, de réaliser plusieurs scénarios, car il existe de grandes incertitudes, aussi bien sur la technologie que sur la politique publique, qui passe à la fois par des subventions, une politique fiscale, ainsi que des contraintes ou des interdictions sur l’utilisation de certaines filières.

M. Nicolas Meillant. Dans ces scénarios, il faut prendre en compte les contraintes sur le lieu de production du véhicule, ou sur la disponibilité des ressources, en particulier le cobalt, qui limitera probablement la production des batteries. De même, il faudra s’interroger sur l’horizon temporel d’émergence, et le coût de développement de nouvelles technologies, comme la batterie à électrolyte solide.

M. Pierre Germain. La question technique du recyclage se pose également.

M. Stéphane Piednoir. En effet, la mobilité électrique est un phénomène qui connaît et connaîtra une montée en puissance, du moins en Europe. Je suis un peu plus dubitatif concernant son essor aux États-Unis. Vous disiez qu’en Norvège un véhicule vendu sur deux est électrique. Combien d’années ont-ils mis pour en arriver à ce stade ?

M. Nicolas Meillant. Les premières ventes de voitures électriques remontent aux années 1990, mais la voiture électrique est entrée dans une nouvelle ère de massification en 2009, avec la Nissan Leaf et, aux États-Unis, la Chevrolet Volt. Les ventes de ces véhicules ont commencé à décoller en 2012, y compris en Norvège. Cependant, la Norvège n’a pas attendu 2012 pour mettre en place des incitations. En effet, celles-ci sont apparues voici plus de 20 ans, avant de se développer progressivement, avec des exemptions de taxes à l’importation et à la circulation, des exemptions de péage ou de TVA, mais aussi des incitations indirectes, par exemple la possibilité d’emprunter les voies de bus, ce qui a causé des problèmes d’embouteillages. Désormais, aux heures de pointe, la voiture doit être occupée par au moins deux personnes pour circuler sur les voies de bus. On constate que le facteur le plus déterminant, parmi ces incitations, est l’exemption de taxe à l’importation, laquelle peut représenter entre 50 % et 100 % du prix du véhicule. Néanmoins, les volumes de ventes de véhicules sont beaucoup moins importants en Norvège qu’en France, avec seulement 15 000 véhicules vendus par mois, contre 150 000, voire 200 000 en France.

La Chine constitue un autre exemple intéressant, avec une préférence pour le levier législatif. Ainsi, la ville de Pékin limite l’accroissement de son parc automobile à 100 000 nouvelles immatriculations par an, dont 60 000 dédiées aux véhicules électriques. Dès lors, l’obtention d’un véhicule électrique est certaine, tandis qu’une demande d’immatriculation d’un véhicule thermique n’a qu’une chance sur 200 d’être acceptée. Une telle politique est extrêmement efficace pour encourager la vente de véhicules électriques.

Mme Huguette Tiegna. Toujours concernant les batteries, vous avez mentionné la limitation du cobalt dans les années à venir. Le recyclage des batteries est envisagé dans le cadre de l’économie circulaire. Pensez-vous qu’il est possible de pallier ce manque de cobalt par le recyclage ?

M. Nicolas Meillant. Le recyclage des batteries est bien évidemment un élément déterminant, mais son rendement n’est jamais de 100 %. De plus, le recyclage des batteries de véhicules électriques ne se fera vraisemblablement pas au même taux que celui des batteries au plomb, et n’est pas non plus neutre en termes énergétiques. On a peu recours au recyclage aujourd’hui, car il nécessite beaucoup de main-d’œuvre, si bien qu’une batterie recyclée coûterait plus cher qu’une batterie neuve. Ce différentiel va sûrement s’aggraver avec la baisse du coût de production des batteries.

65 % du cobalt extrait provient de la République démocratique du Congo. Il s’agit d’un sous-produit de l’extraction des mines de cuivre et de nickel, sur laquelle nous n’avons pas de contrôle. Par exemple, si le prix du lithium augmente, comme pour la majorité des métaux, il sera possible de rendre l’exploitation de nouvelles mines économiquement viable, ce qui n’est pas le cas pour le cobalt, dont l’approvisionnement peut diminuer avec la fermeture de mines de nickel ou de cuivre.

Mme Huguette Tiegna. S’agissant du cuivre, on peut avoir de l’espoir car on aura toujours de besoin de bobiner nos machines, et des travaux sont aussi menés sur de nouveaux moteurs.

M. Nicolas Meillant. Pour vous donner un ordre de grandeur, les prix du cobalt ont été multipliés par quatre en deux ans, avec seulement 1 % de véhicules électriques. Les constructeurs de batteries travaillent évidemment sur la réduction de la quantité de cobalt dans les batteries, tout en augmentant la taille de celle-ci. Sachant qu’il faut environ vingt kilos de cobalt par batterie aujourd’hui, on pourrait équiper jusqu’à 10 % des véhicules vendus dans le monde. Il faut aussi prendre en compte le fait que la production actuelle de cobalt est très utilisée pour les ordinateurs et les téléphones notamment. Le cobalt constitue donc un véritable goulot d’étranglement, qui pourrait être résolu par l’émergence de batteries à électrolyte solide, sans cobalt.

L’une de nos recommandations, d’ailleurs inscrite dans le rapport de France Stratégie, est que l’Europe continue à investir dans le cobalt, le nickel, et le manganèse, ainsi que dans la recherche et le développement sur les futures générations de batteries fabriquées à partir de ces métaux, afin de maîtriser ces technologies, et devenir maître de son destin pour les voitures électriques.

Mme Huguette Tiegna. Avez-vous des éléments d’aiguillage sur les méthodes et les démarches, notamment calculatoires, que nous pourrions adopter pour réaliser des scénarios assez transparents ?

M. Pierre Germain. Il y a plusieurs approches possibles : l’une consiste en une concaténation des scénarios existants sur le véhicule électrique, publiés par de nombreux analystes financiers et des fédérations professionnelles de constructeurs en Europe, aux États-Unis et en Chine, et l’autre à construire un scénario, via une approche bottom up ou par comparaison avec d’autres technologies, comme la téléphonie mobile, afin d’évaluer à quelle vitesse cette technologie pourrait se déployer, en pondérant avec des contraintes physiques et des hypothèses sur l’évolution de la demande et des usages.

Pour revenir sur la question des usages, en 2040 les besoins de déplacements pourraient ne plus du tout être les mêmes qu’aujourd’hui. Personnellement, j’ai récemment abandonné la voiture à Paris, et, comme beaucoup de parisiens, je loue une voiture pour partir en vacances. Il semble donc nécessaire d’intégrer un élément sociologique à une analyse de la sorte.

Mme Huguette Tiegna. La commission des affaires économiques et la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ont chargé l’OPECST de réaliser des scénarios technologiques. Est-il possible de construire des scénarios purement technologiques, qui s’appuieraient tout de même sur des notions d’usages dans le parc actuel, par exemple pour évaluer les problèmes de mise en place d’infrastructures de recharge ?

M. Pierre Germain. Nous pouvons évidemment construire des scénarios qui se réduisent au champ d’étude de l’OPECST. Cependant, un scénario purement technologique consisterait en l’évaluation technico-économique des différentes filières, et à schématiser les consommateurs par des agents économiques rationnels, qui s’orientent vers la meilleure solution technico-économique. Or, nous l’avons déjà dit, aujourd’hui, la meilleure solution technico-économique est la solution thermique. Il semble donc délicat de se concentrer uniquement sur la question technologique, en évacuant de la démarche les problématiques liées aux incitations des pouvoirs publics, à la fiscalité, etc.

M. Nicolas Meillant. Néanmoins, on pourrait effectivement s’intéresser aux trois types de motorisations alternatives possibles : le GNV, l’hydrogène et le tout électrique, ainsi qu’à leurs implications en termes de dimensionnement des infrastructures, de services rendus, de coût, et de compatibilité avec le réseau électrique. Nous pourrions ainsi déterminer quelles technologies répondent le mieux aux besoins de mobilités, notamment sur les longues distances, qui représentent un point noir de la technologie électrique à l’heure actuelle. À titre personnel, je pense que le bon compromis est le véhicule hybride rechargeable, qui permet de réaliser la plupart des déplacements, en particulier les déplacements du quotidien, en mode électrique, mais aussi de parcourir de grandes distances, sans avoir à investir quelques dizaines, voire centaines de milliards d’euros dans un réseau de bornes de recharge, qui sera de toute façon peu utilisé. À ce sujet, les bornes de recharge rapide installées en France ont été utilisées 10 000 fois en 2017, ce qui représente cinquante utilisations par borne et par an ou une recharge par borne et par semaine, étant donné qu’il existe environ 200 points de recharge rapide en France. Or, une recharge coûte 7 €, ce qui conduit à un chiffre d’affaires annuel de seulement 350 € par borne, tout en sachant que celles-ci nécessitent du personnel d’entretien et de maintenance.

En faisant l’hypothèse que les coûts pour le consommateur sont les mêmes pour toutes les technologies, ce qui est une hypothèse forte, nous pourrions analyser les implications économiques du déploiement des mobilités alternatives, en particulier pour l’État, et ainsi évaluer le rôle qu’il doit jouer. A priori, la solution hybride rechargeable se démarquerait comme la plus viable économiquement, même si tous les déplacements ne sont pas sans conséquences en termes d’émissions.


Audition de

M. Fabio Ferrari, premier vice-président de lassociation Française pour lhydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC),
animateur de Mobilité hydrogène France,

Mme Christelle Werquin, déléguée générale de lAFHYPAC

 

Mardi 9 octobre 2018 à l’Assemblée nationale

 

M. Fabio Ferrari, premier vice-président de lassociation Française pour lhydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), et animateur de Mobilité hydrogène France. LAFHYPAC est organisée en différents groupes de travail, pour couvrir lensemble des solutions basées sur lhydrogène, en particulier dans le cadre de la transition énergétique. En effet, les usages de lhydrogène vont du stockage de l’énergie – l’hydrogène permettant de stocker des énergies renouvelables – jusqu’à un ensemble de services déployés dans l’industrie – l’hydrogène étant déjà beaucoup utilisé dans l’industrie, en particulier pétrolière et chimique, par exemple pour les engrais – en passant par la mobilité. L’objectif de l’AFHYPAC est d’assurer le développement économique de ses membres, et de mettre en place des plans dans le cadre de la transition énergétique.

Le Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique, proposé par le Gouvernement, est l’un des résultats marquants de nos travaux. Il va permettre de développer des écosystèmes complets, allant de la production d’hydrogène à partir des énergies renouvelables, principalement par électrolyse mais pas seulement, jusqu’à des usages, en particulier industriels et dans la mobilité. Un élément intéressant de cette démarche est la création de systèmes économiques viables.

Aujourd’hui, un peu comme pour le solaire et l’éolien, l’hydrogène a besoin d’un accompagnement financier pour démarrer. Mais ce n’est qu’un accompagnement au démarrage, puisque les modèles économiques que nous présentons sont viables, et permettent d’atteindre des coûts totaux de possession (en anglais TCO, ou total cost of ownership) équivalents à ceux des véhicules essence et diesel. Notre démarche vise à accompagner la transition énergétique, mais aussi le développement économique de nos membres.

Mme Christelle Werquin, déléguée générale, AFHYPAC. Dans le Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique, la mobilité représente l’un des marchés d’absorption les plus importants pour intégrer les énergies renouvelables. Les objectifs rejoignent ceux de la programmation pluri-pluriannuelle de l’énergie (PPE).

L’un des enjeux est d’atteindre les objectifs fixés, qui devraient être repris dans la PPE, à l’horizon 2023 : 140 stations et 10 000 véhicules, dont une cinquantaine de bus et véhicules lourds, et à l’horizon 2028 : 400 à 1 000 stations et 200 000 véhicules, dont un bon nombre de poids lourds et bus. Puisque vous faites le lien avec le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM), pour les bus, il existe un enjeu de renouvellement des flottes des collectivités. Les bus sont l’un des types de véhicules intéressant pour la mobilité hydrogène : comme ils consomment beaucoup quotidiennement, ils rendent les stations plus vite rentables.

Concernant la concrétisation du plan hydrogène, nous attendons que le ministre confirme ce plan de 100 millions d’euros reconductibles, qui doit être opéré par l’ADEME à partir de 2019, notamment pour le déploiement d’une filière d’électrolyse, avec pour objectif de faire baisser le coût de l’hydrogène vert ou décarboné, afin d’en faire une filière compétitive, et d’aider aussi au démarrage des stations et infrastructures de recharge des véhicules.

Il existe, en parallèle, des enjeux réglementaires, fiscaux, et de coût de l’électricité. Un certain nombre de sujets sont traités dans un cadre parallèle, souhaité par le ministre de l’époque : les outils d’engagement pour la croissance verte (OCV). Dans ce cadre, nous travaillons avec le Gouvernement, dans le cadre d’une équipe projet constituée des différentes directions générales : direction générale de la prévention des risques (DGPR), direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), et direction générale des entreprises (DGE), pour essayer d’identifier et créer les engagements mutuels, afin de trouver le pendant réglementaire aux enjeux de déploiement de la mobilité.

M. Fabio Ferrari. Pour revenir sur une vision un peu plus globale, et positionner l’hydrogène par rapport aux différentes solutions permettant d’atteindre les objectifs du Gouvernement en 2040, c’est-à-dire la fin des véhicules thermiques, notre vision est assez simple : la transition énergétique va vers le développement des énergies renouvelables qui génèrent majoritairement de l’électricité. Divers biocarburants et biogaz participent à cette transition, mais la grande majorité des énergies renouvelables, l’éolien, le solaire, et l’hydraulique, génèrent de l’électricité.

Pour utiliser cette électricité dans les véhicules, il existe deux solutions techniques : la batterie et l’hydrogène. Notre positionnement consiste à associer les deux solutions pour couvrir un large spectre des besoins des clients. L’idée, in fine, est de faire en sorte que les clients achètent les véhicules, ce qui suppose de répondre à leurs besoins. Nous n’opposons pas les deux solutions. Nous constatons que le véhicule à batterie répond à des besoins de mobilité urbaine pour les véhicules des particuliers. Si Autolib n’a pas pris fin de la meilleure manière, on a bien vu que ce service était demandé par les utilisateurs pour des usages urbains, sur courtes distances.

Notre constat, est que pour les professionnels, la bascule vers l’électrique est très difficile, même si elle n’est pas impossible. Renault, l’un de nos partenaires principaux, vend quand même des véhicules Kangoo électriques à batterie. Il s’attaque aussi au segment au-dessus, avec le Master, mais avec des autonomies relativement réduites, de l’ordre de la centaine de kilomètres.

Les professionnels ont besoin de deux éléments pour parvenir à une conversion plus massive de leur parc diesel vers l’électrique. Une première attente concerne l’accroissement de l’autonomie. Il ne s’agit pas de l’autonomie moyenne, une meilleure compréhension des besoins ayant conduit à considérer que c’est le pic, non la moyenne, qui devient le critère déterminant pour les clients. Ce pic est plutôt de l’ordre de 200 à 300 kilomètres, contre 40 kilomètres pour la moyenne. Les professionnels ont besoin d’être rassurés sur la capacité de leur véhicule à répondre à leur besoin de pic.

Une deuxième attente très forte porte sur la recharge rapide de véhicules. Même les technologies de recharge les plus avancées aujourd’hui visent une durée de l’ordre d’une vingtaine de minutes. L’hydrogène est déjà à moins de trois minutes, sans rupture technologique, puisqu’on sait faire le plein d’un véhicule au gaz naturel depuis des années. La capacité à faire le plein des véhicules très rapidement permet de répondre à cette attente des clients professionnels, qui ne veulent pas que leur véhicule, leur outil de travail, soit immobilisé pendant vingt minutes ou une heure pour faire le plein.

Ces deux caractéristiques, flexibilité d’usage et autonomie, font qu’on étend le champ des possibles du véhicule électrique avec l’hydrogène. Aujourd’hui, les constructeurs veulent aller vers l’hybridation des véhicules, avec l’électrique sur de courts trajets, et le thermique sur de longs trajets. Il s’agit de remplacer la partie thermique par l’hydrogène.

Cette transformation va être plus ou moins rapide, en fonction des incitations et des pressions réglementaires imposées pour cette transformation Mais les solutions technologiques sont déjà en développement chez certains constructeurs. Elles sont malheureusement présentes surtout sur des véhicules asiatiques. Aujourd’hui, les taxis Hype, peints en bleu avec des bulles, circulent dans Paris. Il existe aussi des Kangoo plus discrètes. Ce sont des véhicules zéro émission utilisés par des professionnels, qui ont besoin de plus de flexibilité et e plus d’autonomie.

Ce besoin très fort d’électrification du parc automobile vise à répondre aux enjeux de transition énergétique et de qualité de l’air. Les carburant de synthèse, biocarburants, ou biogaz, nécessitant des moteurs thermiques polluants ne permettent pas de répondre à ce deuxième critère, qui est souvent le premier en milieu urbain.

Mme Christelle Werquin. Ils émettent en effet des particules. Le député Damien Pichereau a publié récemment un rapport sur le parc de véhicules utilitaires légers, qui prend de plus en plus d’ampleur dans les zones urbaines, notamment pour la logistique, la livraison du dernier kilomètre, en se substituant aux poids lourds. Ces véhicules représentent une empreinte au sol assez conséquente, et génèrent d’importantes nuisances dans les villes : sonores, en matière de pollution de particules, et de gaz à effet de serre. Actuellement, il existe six millions de véhicules utilitaires légers en France. Compte tenu des contraintes de plus en plus importantes, les villes se saisissent de ces sujets, surtout les grandes métropoles. Les usages intensifs ou sur de longues distances des véhicules professionnels constituent une opportunité pour la mobilité hydrogène, la batterie ne pouvant à elle seule répondre au besoin.

M. Fabio Ferrari. Aujourd’hui, les professionnels sont quand même les plus grandes victimes de cette transition. L’artisan qui a investi dans un véhicule doit à présent payer une taxe pour entrer dans un centre-ville, ou ne peut y entrer le lundi, en raison d’un pic de pollution. C’est l’outil de travail qui est attaqué, quelque chose de sensible. Pour les professionnels sur les marchés, ce n’est pas le véhicule qui coûte cher, mais tout son aménagement, deux ou trois fois plus coûteux, voire plus pour un bloc froid. Le passage est donc très compliqué pour les professionnels. Il faut les accompagner en priorité dans cette transition. Pour le grand public, on met en place des moyens de transport, le transfert modal. Mais les professionnels ne vont pas pouvoir tout livrer en vélo. Le plombier a besoin de transporter beaucoup de choses. C’est son atelier qu’il promène avec lui. Il faut lui trouver une solution. De même, les taxis utilisent des véhicules grand public détournés de leur usage habituel. Ils ont essayé les véhicules électriques à batterie. Mais un chauffeur de taxi ne peut pas attendre vingt minutes pour recharger son véhicule, et ses collègues, à la suite, quarante ou soixante minutes.

Mme Christelle Werquin. Et encore, il faut des bornes rapides, nécessitant de renforcer le réseau. C’est tout de même compliqué.

M. Fabio Ferrari. Pour l’hydrogène, le nombre de stations nécessaire est équivalent au nombre actuel de stations classiques. En France, ce réseau comporte 11 000 stations essence. En migrant 11 000 stations, la couverture du territoire serait totale. Nous pensons qu’il faut commencer par servir les zones urbaines, ce qui permettrait de descendre à quelques milliers de stations. Il existe encore beaucoup moins de stations dédiées aux professionnels, comme celles du réseau AS24, de l’ordre du millier, soit un investissement dans l’infrastructure beaucoup plus léger, qui permet de servir beaucoup plus de véhicules.

Au niveau du réseau électrique, l’hydrogène résout également un certain nombre de problématiques, mais on sort un peu du domaine de la mobilité pour aller vers celui de l’énergie.

Mme Christelle Werquin. On oppose souvent les technologies, en s’interrogeant, compte tenu des investissements déjà réalisés dans les batteries, sur la nécessité d’investir dans une solution alternative, sachant que les batteries vont répondre aux besoins, que leurs prix vont baisser indéfiniment, etc. Mais en termes de coûts d’infrastructure, tout ce qui est investi dans l’hydrogène, c’est autant qu’on n’aura pas à investir dans le réseau électrique pour les stations de recharge de batteries.

M. Fabio Ferrari. Encore une fois, ces solutions se complètent. Elles seront toutes deux nécessaires. Plus globalement, les investissements dans la production d’hydrogène sont en parfaite synergie avec la production électrique, comme le montre l’intérêt récent de d’EDF pour ces solutions. L’hydrogène et l’électricité représentent le couple gagnant. La France pourrait dépasser les autres pays grâce à cette synergie.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Serait-il possible de dire un mot sur le modèle économique des stations, parce que l’on nous oppose souvent qu’une station de recharge électrique, moins chère pour l’instant qu’une station hydrogène, ne trouve pas de rentabilité ?

M. Fabio Ferrari. Sans faire de grands calculs, le modèle d’une station-service est connu depuis des années, même s’il a été un peu érodé par l’entrée des grandes surfaces sur ce marché : on achète du carburant et on le revend avec une marge. De la même façon que dans une station-service traditionnelle, dans une station hydrogène on achète et on revend de l’hydrogène. Ce modèle fonctionne à partir du moment où le taux d’usage de la station correspond à celui d’une station essence. Les modèles sont équivalents. C’est ce qui plaît à une société comme Air Liquide. Ce sont de grands producteurs d’hydrogène et ils disposent à travers ces stations-service d’un nouveau vecteur de distribution de leur énergie.

Aujourd’hui le coût des premières stations est relativement élevé, de l’ordre d’un peu moins d’un million d’euros pour les plus grandes. La France dispose d’un modèle de stations plus petites, avec un ordre de grandeur de coût de deux cent mille euros, cinq fois moins élevé que pour les stations allemandes, qu’on sait amortir sur la marge de vente de l’hydrogène. Les détails du calcul sont dans le Plan hydrogène.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez tout à fait raison sur cette opposition, qui correspond à ce qu’on pouvait encore entendre début 2018. Depuis, avec le plan de Nicolas Hulot et les différents travaux menés, par exemple par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), les gens ont fini par comprendre qu’il faut les deux, la voiture électrique étant limitée par son autonomie. Pour, l’hydrogène on a tendance à parler du coût de la station, peut-être en raison de sa nouveauté.

M. Fabio Ferrari. Nous avons la chance d’avoir quelques champions industriels en France qui savent faire des stations efficaces et peu coûteuses.

Mme Huguette Tiegna. Il faut aussi veiller à maintenir la compétitivité technologique. Si nous ne développons pas ces solutions, nous la perdrons au profit de la Chine, comme pour les batteries.

M. Stéphane Piednoir, député, rapporteur. Par rapport au modèle économique des stations, avec un ordre de grande d’un million d’euros pour les grandes et deux cent mille pour les petites, deux questions se posent. D’une part, comment procéder pour la conversion ? Aujourd’hui, nous disposons d’un maillage de 11 000 stations pour les carburants classiques. Faut-il les convertir ? On sait bien que les flottes, donc les deux types de stations, vont coexister en parallèle. Qui va investir ? D’autre part, vous avez dit que ces stations sont au final assez facilement amortissables, à partir du moment où la flotte existe. Mais ce n’est pas tout à fait ce qu’on observe en Norvège, pays le plus en pointe en ce domaine, avec 45 % de véhicules 100 % électriques vendus en septembre, auxquels il faut ajouter 15 % d’hybrides rechargeables. Il s’y vend peu de voitures à hydrogène et le principal opérateur, créé en 2011, vient de fermer ses stations. Est-ce aussi l’avenir des stations françaises ?

M. Fabio Ferrari. La France a une stratégie de déploiement des stations différentes de celle de nos amis norvégiens et allemands, qui consiste à déployer d’abord les stations, puis à attendre les véhicules. Nous avions estimé qu’une telle stratégie, présentant un défaut de synchronisation entre le déploiement des stations et des véhicules, induit un problème de rentabilité des stations, donc un risque de les voir fermées. Nous ne nous étions pas trop trompés, comme vous le constatez.

Nous sommes partis sur une option différente, avec une notion de clusters, en partant de flottes captives. Plutôt que d’attendre que le grand public génère les besoins en stations, nous allons voir les professionnels, parce que nous pensons qu’ils sont les plus intéressés par ces solutions, et développons des stations là où existera une flotte de véhicules. On s’écarte du concept consistant à créer des stations sur les autoroutes, parce que ce sont les plus grands axes de passage, pour privilégier des stations un peu moins visibles, dans les zones industrielles, là où se trouvent les clients.

Ce concept de flottes captives, nous l’avons développé en France, à partir de 2014, en commençant par Auvergne-Rhône-Alpes, Lyon, et Grenoble. À présent, les Allemands viennent nous voir, car ils considèrent que nous n’avons pas complètement tort. Ils vont également commencer à déployer des flottes captives. Les Asiatiques, qui avaient aussi opté pour des véhicules grand public, prennent le même virage. Ce n’est pas pour rien que Hyundai et Toyota font le forcing auprès des taxis, en dupliquant le modèle Hype, et s’intéressent aux autobus, ainsi qu’aux camions. À partir du moment où une flotte captive vient faire le plein, le seuil de rentabilité est beaucoup plus vite atteint. C’est d’autant plus facile avec des trajets fixes. L’autobus est un objet très prédictif, en termes de consommation énergétique. Il fait tous les jours le même trajet. L’opérateur sait, au gramme près, combien il va vendre d’hydrogène. L’autobus est une solution très sympathique à développer, tant pour l’opérateur que pour le vendeur d’hydrogène. C’est un peu plus compliqué avec les flottes professionnelles, mais cela fonctionne également.

Nous avons prévu en Auvergne-Rhône-Alpes un déploiement de 20 stations et 2 000 véhicules, pour démontrer le concept à l’échelle d’une région. Nous nous sommes aperçus que si nous nous limitions à Grenoble et à Lyon, les personnes se déplaçant de Grenoble à Lyon avaient besoin de points de recharge intermédiaires. Le fait d’avoir un réseau augmente de manière statistique l’utilisation des stations. Nous avons choisi Auvergne-Rhône-Alpes principalement parce que deux des acteurs de la filière, Michelin et ENGIE, y sont fortement implantés, parce que le CEA y a son centre de gravité pour le développement des nouvelles énergies à Grenoble, et que 80 % de la filière hydrogène, dont Symbio, est installée dans la région. C’est ce qui explique la convergence d’intérêts pour accélérer le déploiement de la mobilité hydrogène dans la région.

Mme Christelle Werquin. Pour extrapoler un peu, puisque vous parliez du maillage du territoire à l’échelle nationale, l’idée est effectivement celle promue dans le plan de Nicolas Hulot : démontrer, à l’échelle régionale, la faisabilité et l’intérêt d’un maillage du territoire, puis répliquer ce modèle sur plusieurs régions. De cette manière, d’ici une dizaine d’années, le grand public disposera d’un maillage suffisant, avec des stations ayant trouvé une rentabilité. Du coup, une adoption par le grand public deviendra possible.

M. Fabio Ferrari. Il s’agit d’un plan en deux étapes, sachant qu’avec les évolutions en cours beaucoup d’interrogations demeurent sur l’évolution de la mobilité grand public. De mon point de vue, il est certain qu’elle sera électrique.

Mme Christelle Werquin. C’est pour cela que nous avons de fortes attentes vis-à-vis du projet de loi de finances, mais surtout du projet de loi d’orientation des mobilités.

Mme Huguette Tiegna. En regard de vos explications, peut-on convenir qu’aujourd’hui la France fait partie des pays précurseurs pour l’hydrogène, en tout cas avec des solutions qui fonctionnent ?

M. Fabio Ferrari. C’est notre situation actuelle, sachant que les autres lieux dans le monde où l’hydrogène se développe sont le Japon, la Californie, et la Chine. Le Japon a été l’un des grands précurseurs de ce modèle, mais sur la base d’un plan étatique, avec une volonté très forte de développement économique des constructeurs japonais. Ils ont créé une alliance pour développer cette technologie, l’État finançant les stations. En Californie, c’est le California Air Quality Board (CARB) qui finance les stations, avec une orientation très grand public. Il a mis en place un système assez intéressant de bonus-malus pour les stations, les stations hydrogène étant financées par les stations essence. C’est un modèle assez intéressant et unique. Le système de bonus-malus pour les véhicules est transposé aux stations.

Mme Christelle Werquin. Si j’ai bien compris ce modèle, les opérateurs de stations devaient payer des taxes pour leurs stations, ainsi qu’une contribution sur les émissions de gaz à effet de serre, et sur la pollution. Plutôt que de payer ces taxes, ils ont souhaité créer un fonds qu’ils abondent pour financer des stations alternatives à hydrogène.

M. Fabio Ferrari. Exactement, c’est le deuxième modèle, le troisième étant le modèle franco-chinois, puisque les Chinois sont en train de dupliquer notre démarche, avec un ordre de grandeur adapté au pays : quand nous déployons 100 autobus, ils en déploient 10 000. Les Chinois veulent aussi être leaders mondiaux de l’électromobilité, et ils ont compris que dans les solutions d’électromobilité il existe une complémentarité entre hydrogène et batterie.

Mme Christelle Werquin. Pour répondre à votre question, en Europe, nous avons effectivement un rôle de leader, et une reconnaissance au niveau continental, ce qui n’était pas initialement le cas. L’Union européenne promeut le développement de la mobilité hydrogène, en complément des batteries. Un fonds européen, dans le cadre du programme Horizon 2020, constitue une entreprise commune qui finance l’hydrogène à hauteur de 680 millions d’euros sur sept ans.

M. Fabio Ferrari. Elle est présidée par une Française, venant de Michelin.

Mme Christelle Werquin. Il faut que cette entreprise commune puisse être reconduite pour la prochaine programmation européenne. Elle a permis la réalisation de deux projets d’études dans la mobilité et le secteur de l’énergie, et en France d’un programme de déploiement d’autobus. La France fait partie des trois premiers pays européens à utiliser ces fonds, et à progresser dans la mobilité hydrogène.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez évoqué les kits de piles à hydrogène qui peuvent être intégrés à des véhicules électriques, notamment des utilitaires et des véhicules lourds. Est-ce qu’il existe aujourd’hui un modèle pour le développement de parcs de ce type ? Est-ce que ce sont des solutions viables ?

M. Fabio Ferrari. Ce que nous développons, ce sont des solutions qui permettent de transformer des véhicules électriques existant en véhicules à batterie et à hydrogène. Pour répondre à votre question sur la viabilité industrielle, elle existe. Nous avons au capital deux sponsors très intéressant : Michelin et Engie. Ils continuent à investir, donc le potentiel existe. Simplement, dans le domaine de l’automobile et des utilitaires, les ordres de grandeur pour atteindre un coût intéressant sont de l’ordre de 20 000 à 50 000 pièces par an. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans l’ordre de grandeur de la centaine, et passerons aux milliers l’année prochaine. La centaine, évidemment, n’est pas à l’échelle de la production automobile.

Il est intéressant de comparer le coût de stockage de l’hydrogène à celui des batteries. La courbe de décroissance est aujourd’hui publique, les études américaines ou européennes montrent que ce coût au kilowattheure, l’unité de stockage pour les véhicules, est plus intéressant avec l’hydrogène qu’avec les batteries. Par contre, il n’est pas nécessaire d’être un grand économiste pour comprendre que l’hydrogène produit à partir de l’électricité coûtera toujours un peu plus cher que celle-ci. Pour revenir au TCO, il existera un équilibre très intéressant entre hydrogène et électricité. C’est le client qui choisira. Quand il aura le temps, il fera le plein d’électricité, quand il sera pressé, il fera le plein d’hydrogène. C’est aussi simple que cela. Nous poussons cette mixité des solutions sur le véhicule. On retrouve l’idée de l’hybride thermique, mais le thermique polluant est remplacé par l’hydrogène zéro émission.

M. Stéphane Piednoir. On parle de zéro émission. Vous savez qu’un débat concerne justement le niveau auquel on se place. Si l’on ne considère que le pot d’échappement, l’électrique et l’hydrogène sont effectivement très vertueux. En revanche, si l’on se dirige plutôt vers une analyse du cycle de vie complet, il faut parler de la production de l’hydrogène, qui constitue quand même son point noir. On sait bien qu’il n’existe pas sous cette forme à l’état naturel. Il y a une vraie difficulté à le produire. Pouvez-vous nous rassurer à ce sujet ?

M. Fabio Ferrari. Il y a deux parties à ma réponse, la première est, encore une fois, que la transition énergétique s’oriente vers une production électrique plus importante. Quand on se pose la question du stockage de l’électricité d’origine renouvelable, il est évident que l’hydrogène représente une solution. Ensuite, se pose la question de la façon de parvenir à cette transition, puisqu’aujourd’hui 90 % de l’hydrogène est produit à partir du vaporeformage du gaz naturel. Air Liquide, en particulier, est le champion de cette technologie qui est la moins chère aujourd’hui pour produire l’hydrogène. Les industriels vont au meilleur rapport coût-performance. Comme il n’y a pas de taxe sur le CO2 généré lors de la production de cet hydrogène, ou très peu, ils ne se posent pas de questions.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que vous conseillez d’augmenter la taxe sur le CO2 ?

M. Fabio Ferrari. C’est un bon conseil, en effet. Mais il faut commencer par utiliser ce qui est disponible. Je suis assez favorable à l’utilisation de l’hydrogène actuellement produit, sinon on restera à attendre, et on ne commencera jamais rien. Il s’agit donc d’utiliser cet hydrogène carboné pour commencer, tout en mettant en place, comme prévu par le plan de Nicolas Hulot, tous les moyens qui accélèrent le développement de l’hydrogène décarboné. Ensuite, en l’absence de coût du carbone, il existera toujours un décalage. Le Plan hydrogène vise 3 euros le kilo pour l’hydrogène décarboné. Pour donner un ordre de grandeur, le prix de l’hydrogène produit à partir du gaz naturel se situe aujourd’hui entre 1,5 et 2 euros le kilo, soit une différence d’à peu près 30 %. C’est le réglementaire qui va équilibrer les deux. En l’absence de taxe carbone, on n’y arrivera pas. Différentes études le confirment. Je voudrais quand même rappeler un élément : la courbe de décroissance des émissions de CO2 des constructeurs automobiles examinée au Parlement européen atteint zéro en 2050.

M. Stéphane Piednoir. Ce sont les courbes des caractéristiques catalogue des constructeurs, il existe parfois une petite différence avec la réalité.

M. Fabio Ferrari. Cela s’est vu dernièrement avec le Dieselgate, qui représente pour nous une opportunité. Mais je reviens sur cette nouvelle courbe négociée avec les constructeurs. Les constructeurs qui resteraient sur la courbe actuelle devraient payer une amende évaluée à un total de 14 milliards d’euros, ce qui représente beaucoup d’argent pour eux. En rapportant cette valeur à la quantité de carbone émis, on parvient à un prix à la tonne de l’ordre de 200 euros, largement supérieur aux 20 euros actuels. C’est considérable.

Toutefois, cette courbe des émissions de CO2 ne considère pas les émissions du puits à la roue, mais uniquement au pot d’échappement. Il faudrait également commencer à étudier comment agir sur la source. Un rééquilibrage intelligent de cette taxe semblerait judicieux. Aujourd’hui, pour la chaîne de valeur de la mobilité, les constructeurs sont impliqués, pas les pétroliers. Il faut que chacun participe à l’effort de manière équitable, pas seulement les constructeurs. C’est sur ce point, à mon avis, que quelque chose doit être modifié.

Mme Christelle Werquin. La production massive d’hydrogène par électrolyse utilise beaucoup d’électricité. Le coût de cette dernière représente près de 60 % du prix du kilo d’hydrogène pour les industriels. Baisser ce coût, notamment au travers du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), non seulement pour les industriels électro-intensifs, mais aussi pour les petits, qui vont développer et vendre des électrolyseurs dans 600 sites industriels consommateurs d’hydrogène au quotidien, représenterait un levier important. C’est un sujet un peu compliqué, parce qu’il touche à des dispositifs en lien avec l’Union européenne.

M. Fabio Ferrari. De manière plus générale, l’hydrogène se situe entre, d’un côté, le monde des énergies régulées au travers de règles claires, comme l’électricité et le gaz le sont par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et, de l’autre côté, le monde de l’énergie pétrolière, non régulé. L’hydrogène doit‑il être géré comme l’électricité, auquel cas il bénéficiera d’une régulation intelligente du TURPE et de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), ou comme les produits pétroliers, avec pour seul objectif le plus bas coût ? L’une de mes préconisations serait de considérer l’hydrogène comme un vecteur énergétique, pour qu’il puisse entrer dans le cadre réglementé.

Mme Christelle Werquin. C’était d’ailleurs prévu dans le plan de Nicolas Hulot. Il faut parvenir à le concrétiser.

Mme Huguette Tiegna. Une question souvent posée concerne la volatilité de l’hydrogène et les risques d’explosion. Quelle est la situation aujourd’hui ?

M. Fabio Ferrari. Les règles existent depuis 2009. Elles ne sont donc pas très récentes. En termes de dangerosité, les problématiques sont très proches de celles du gaz. Des véhicules au gaz naturel circulent dans les centres-villes depuis très longtemps. Personne n’a eu peur de prendre un bus au gaz naturel, avec le bus hydrogène la problématique est la même.

Mme Christelle Werquin. Il existe effectivement des risques, comme pour tout gaz. L’hydrogène étant utilisé dans l’industrie depuis extrêmement longtemps, ces risques sont très maîtrisés. L’enjeu pour la mobilité grand public, consiste à transposer les règles de maîtrise des risques. Mais l’hydrogène n’est ni plus ni moins dangereux qu’un autre gaz, bien qu’il ne soit pas rayonnant et se disperse facilement dans l’atmosphère. Un exemple parlant concerne les pompiers de la Manche, le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) 50, qui utilisent des véhicules à hydrogène pour leurs interventions. La filière travaille avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) pour établir un cadre réglementaire qui n’entrave pas son développement, tout en offrant le bon niveau de sécurité pour le grand public.

L’étude prospective, réalisée en amont du Plan de déploiement de l’hydrogène, par l’AFHYPAC avec onze partenaires, ainsi que le CEA, pose la question de la contribution de l’hydrogène à l’économie française. Elle démontre, au travers des données transmises par les industriels et traitées dans les modèles de McKinsey, que l’hydrogène pourrait contribuer à 20 % de la demande d’énergie finale, et alimenter 18 % du parc de véhicules à l’horizon 2050.

La valeur ajoutée de l’hydrogène, par rapport à d’autres vecteurs énergétiques, tient à son aspect éco-systémique. Sur un territoire donné, il peut servir à de multiples usages, dont la mobilité. Jusque-là, pour l’intégration des énergies renouvelables, l’hydrogène n’apparaissait pas nécessaire en dessous de 60 % du mix. Cette étude pose la question inverse des marchés d’absorption pour atteindre une telle part d’énergie renouvelable dans le mix. La mobilité décarbonée, l’industrie décarbonée, le transport décarboné constituent des marchés d’absorption pour intégrer les énergies renouvelables.


Audition de M. Patrice Simon,

professeur à luniversité Toulouse III-Paul Sabatier

directeur-adjoint du Réseau sur le stockage électrochimique de lénergie

 

Mercredi 10 octobre 2018 à l’Assemblée Nationale

 

M. Patrice Simon, professeur à luniversité Toulouse III-Paul Sabatier. Professeur en sciences des matériaux à l’université Paul Sabatier de Toulouse, je suis également directeur adjoint du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E). L’objectif de ce réseau dépendant du CRNS, est de développer une filière française des batteries. Il fédère dix-sept laboratoires, seize entreprises françaises, ainsi que trois établissements publics industriels et commerciaux : le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), l’IFPEN (Institut français du pétrole et des énergies nouvelles) et l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques). J’ai aussi été directeur, pendant huit ans, de l’institut de recherche européen ALISTORE, piloté par le CNRS, qui effectue des recherches sur les matériaux pour les batteries lithium.

Ma spécialité est la recherche sur les matériaux pour le stockage de l’énergie, c’est-à-dire tout ce qui concerne les batteries et les super-condensateurs. Il est donc important dans mon travail de rester au courant de l’actualité de l’industrie. J’ai, par exemple, animé une mission scientifique de l’ambassade de France à Pékin, durant laquelle nous avons visité pendant cinq jours des laboratoires de grandes sociétés chinoises telles que BYD et CATL, afin de se tenir au courant des caractéristiques des batteries chinoises.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Existe-t-il des matériaux que l’on pourrait substituer au cobalt, et autres matières ou terres rares ?

M. Patrice Simon. Tout d’abord, il n’y a pas de terres rares dans les batteries. En revanche, concernant le cobalt qui est très important pour la production des batteries actuelles, nous travaillons sur des électrodes riches en nickel, afin de diminuer leur teneur en cobalt. Tous les industriels tentent aujourd’hui de faire des progrès sur cet axe de recherche. D’ailleurs, la teneur en cobalt des électrodes, de 30 % au début de la décennie, se situe désormais entre 15 % et 20 %. Il semble possible que ce taux descende à 10 % dans les années à venir. Cette problématique du cobalt est importante en raison de la rareté du matériau, et des problèmes liés à son extraction, principalement en République démocratique du Congo.

Mme Huguette Tiegna. Son extraction dépend également de l’exploitation d’autres matériaux, comme le nickel et le manganèse.

M. Patrice Simon. C’est la raison pour laquelle nous cherchons à diminuer l’utilisation du cobalt dans les batteries, tout en conservant les performances que ce matériau apporte, en termes de sécurité, de durée de vie, d’énergie, etc.

Mme Huguette Tiegna. Aujourd’hui, la principale limitation de la batterie est son autonomie. Existe-t-il d’autres paramètres que les chercheurs tentent d’améliorer ? Qu’en est-il de technologies alternatives, comme les batteries lithium-air.

M. Patrice Simon. Il y a eu des effets d’annonce, notamment de la part de Toyota, à propos de la batterie lithium-air. Cependant, nous sommes assez pessimistes sur cette technologie. Ce type de batterie devait fournir 800 kilomètres d’autonomie à un véhicule, mais il existe d’importants verrous scientifiques que nous n’arrivons pas à lever. Le RS2E ne travaille d’ailleurs plus sur cette technologie.

Toutefois, il n’est pas impossible de voir émerger des technologies alternatives sur lesquelles des recherches sont actuellement menées, comme par exemple les batteries lithium-soufre qui ont un véritable potentiel. Les améliorations sur les batteries devraient nous permettre d’atteindre des densités énergétiques d’environ 500 Wh/kg, ce qui correspond à une autonomie de 400 à 500 kilomètres.

En revanche, les constructeurs, au vu des discussions que nous pouvons avoir avec eux, commencent à comprendre qu’une autonomie de 1 000 kilomètres pour une batterie est difficilement atteignable, voire irréaliste. De ce fait, le véritable défi porte sur le développement d’infrastructures de recharge rapide de plus en plus performantes. La recharge rapide couvre beaucoup plus de besoins que l’autonomie. Permettre à tous les usagers de se recharger en dix minutes, plutôt qu’en deux, voire trois heures, constituerait une véritable rupture.

Mme Huguette Tiegna. Existe-t-il des freins majeurs au développement de la recharge rapide ?

M. Patrice Simon. Il existe des freins liés aux réactions électrochimiques au sein des batteries, mais pas de verrous scientifiques majeurs comme pour les batteries lithium-air. Aussi, suis-je bien plus optimiste sur la recharge rapide que sur les batteries lithium-air.

Toutes les technologies de batterie ont été découvertes en Europe, à l’exception de la batterie lithium-ion traditionnelle à électrolyte liquide, brevetée au Japon. Nous avons donc perdu la guerre sur ce segment. Toutefois, tous les industriels et les universitaires s’intéressent aujourd’hui aux batteries solides, dans lesquelles l’électrolyte liquide est remplacé par un électrolyte solide. Même si nous sommes là aussi confrontés à des obstacles scientifiques, il semble possible de les dépasser, pour parvenir à une production industrielle.

Mme Huguette Tiegna. Quels sont les avantages de l’électrolyte solide ?

M. Patrice Simon. Le tout solide a deux avantages majeurs. D’une part, il supprime quasiment totalement les problèmes de sécurité qu’engendre l’emploi d’un électrolyte liquide. D’autre part, il permet d’augmenter l’énergie massique des moteurs, donc l’autonomie, car on gagne à la fois en place et en masse. Cette technologie a aussi l’avantage de rendre possibles les montages bipolaires qui permettent une densification de la batterie. En effet, cette technologie permet de mettre en série, pour obtenir une tension deux fois plus grande, deux piles dans un même boîtier, avec deux électrodes au lieu de quatre. Il reste quand même un vaste travail scientifique à mener sur la compréhension des phénomènes se produisant au niveau des interfaces entre l’électrolyte solide et les autres matériaux de la batterie.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. On sait que la durée de développement des nouvelles technologiques est relativement longue. Les batteries solides seront-elles prêtes en 2040, voire avant ?

M. Patrice Simon. Pour faire des batteries lithium-ion tout solide, on part du socle de connaissances et de compétences déjà extrêmement développées sur la technologie lithium-ion. On parle aujourd’hui beaucoup des batteries solides en raison des grands progrès réalisés, notamment côté japonais, sur l’augmentation de la vitesse de conduction à travers les céramiques, qui remplaceraient l’électrolyte liquide actuel.

M. Stéphane Piednoir. Depuis combien de temps des recherches sur ce sujet sont-elles menées ?

M. Patrice Simon. Cela fait trois ans environ. Cependant, un important travail reste à mener sur les interfaces avec l’électrolyte solide. Par analogie, si une poudre est plongée dans un liquide, le contact entre les grains et le liquide est parfaitement assuré. En revanche, si liquide est remplacé par un solide, il sera nécessaire de bien mélanger les grains avec le solide, pour que ce dernier les entoure parfaitement, comme le ferait un liquide. Pour aider au développement de ces batteries, il faudra donc revenir à des notions de physique fondamentale. Néanmoins, nous ne sommes pas sûrs d’aboutir à des résultats probants, malgré l’annonce en 2016 par Toyota de la mise au point de batteries tout solide d’ici 2022. De fait, Toyota avait aussi annoncé en 2010 la commercialisation de batteries lithium-air, dont le développement rencontre de nombreuses impasses. Les effets d’annonce sont donc à prendre avec précaution.

M. Stéphane Piednoir. Nous savons que les déplacements quotidiens se situent en moyenne entre 30 et 40 kilomètres. Serait-il possible de travailler sur des systèmes couplant une batterie de petite taille pour les trajets du quotidien et une pile à combustible, pour les trajets plus longs ?

M. Patrice Simon. J’exprime certaines réticences au sujet de la pile à combustible. En premier lieu, embarquer de l’hydrogène dans un véhicule présente de grands risques. Un accident qui s’était produit dans un parking souterrain avec l’une des premières voitures fonctionnant au GPL avait entraîné la fermeture de tous les parkings souterrains à ces véhicules.

Je pense également qu’il faudra changer la législation et les mentalités, car aujourd’hui un consommateur conçoit parfaitement de transporter une batterie dans son véhicule, mais ne sera pas forcément à l’aise à l’idée d’emporter un réservoir d’hydrogène sous pression.

L’hydrogène permet évidemment d’augmenter l’autonomie et il est tout à fait possible d’associer une batterie et une pile à combustible dans un même système. Cependant, il faut garder à l’esprit que le couplage technologique engendre nécessairement un surcoût, du fait de la présence de convertisseurs électroniques pour assurer la communication entre les deux technologies.

Par ailleurs, une pile à combustible a un rendement de 60 %, tandis que celui d’une batterie est de 99 %. En définitive, pour ce qui est de la voiture individuelle, la pénétration sur le marché de la pile à combustible risque d’être complexe, même si elle présente un plus grand intérêt pour des applications dans les transports lourds et les transports en commun. Par exemple, Alstom a lancé son train à pile à combustible voici quinze jours.

Mme Huguette Tiegna. Est-il possible d’effacer la question de l’autonomie si l’on résout le problème de la recharge, avec l’avènement d’une recharge rapide efficace ?

M. Patrice Simon. En effet, on remarque que tous les constructeurs automobiles et les fabricants de batteries, comme CATL, BYD, LG, ou encore SK Innovation, ont sur leurs feuilles de route la recharge rapide.

Pour simplifier, aujourd’hui, les trois principaux axes de recherche et développement sont l’autonomie, la recharge rapide, et la batterie tout solide. J’insiste sur le fait que quand on parle de recharge rapide, il s’agit d’une recharge rapide qui permet d’avoir les mêmes performances qu’une recharge traditionnelle, notamment en termes de durée de vie de la batterie.

Mme Huguette Tiegna. Pouvez-vous préciser ce qu’est la recharge rapide, en termes de temps de recharge ?

M. Patrice Simon. On parle de recharge en 10 ou 15 minutes, le temps d’une pause-café sur une aire d’autoroute. Par contre, on ne parviendra jamais à une recharge en deux minutes, comme c’est le cas pour un plein d’essence aujourd’hui.

M. Stéphane Piednoir. Qu’implique la recharge rapide, en termes de transformation du réseau ?

M. Patrice Simon. Il faudra évidemment développer l’infrastructure de recharge nécessaire pour accompagner ces batteries à recharge rapide. À mon avis, l’essor de la mobilité électrique est une véritable opportunité économique pour les fournisseurs d’électricité, car les véhicules à batterie favorisent l’avènement du vehicle-to-grid, ou VtG, c’est-à-dire le pilotage intelligent du réseau électrique grâce aux batteries. En utilisant des chargeurs intelligents, les fournisseurs d’électricité pourraient, si nécessaire, puiser de l’énergie dans une batterie branchée pour la transférer dans le réseau, et ensuite la charger à nouveau, ce qui est tout à fait envisageable pour des véhicules majoritairement rechargés la nuit.

M. Stéphane Piednoir. Le partage ou la restitution d’énergie ne risquent-ils pas de handicaper les usagers ? Par exemple, des conducteurs de véhicule électrique pourraient se retrouver immobilisés au milieu de la nuit, même en cas d’urgence, en raison d’un niveau de charge trop faible de leur batterie.

M. Patrice Simon. Le concept du vehicle-to-grid en est encore à ses balbutiements. Les fournisseurs d’électricité vont sûrement devoir adapter le pilotage du réseau aux demandes des usagers. Ils disposent toutefois déjà d’une base de données très fournie sur notre consommation et nos usages, grâce aux compteurs Linky. Pour pallier un éventuel sentiment de dépossession du véhicule, il serait intéressant d’imposer un seuil sur le taux de charge de la batterie, de 50 % par exemple, pour ne puiser l’énergie que dans des batteries presque totalement chargées.

Mme Huguette Tiegna. Le Gouvernement a annoncé vouloir investir des milliards dans l’innovation de rupture, notamment dans les mobilités propres. Quelles devraient être les cibles privilégiées de ces investissements ?

M. Patrice Simon. En France, nous avons la chance d’avoir la société Saft, rachetée en 2016 par Total, qui fabrique des batteries. Ce n’est pas le cas des États-Unis, car les batteries commercialisées par Tesla seront en réalité produites par Panasonic. Avant son rachat par Total, Saft avait une production restreinte, axée sur les marchés de niche, tels que l’aérospatial et le militaire. Grâce à cette acquisition par Total, cette firme va se développer et augmenter ses volumes de production. Il pourrait être utile de financer les travaux de Saft sur les batteries tout solide, mais pas sur la production de batteries lithium-ion, domaine dans lequel ils sont déjà largement dépassés par leurs concurrents asiatiques.

Saft a annoncé, en partenariat avec Solvay et Siemens, un programme pour développer les batteries tout solide, avec l’ouverture d’une usine de production en France, pour laquelle ils vont demander des subventions de l’État, alors que Total possède vraisemblablement les moyens pour investir seul dans ce projet.

Malheureusement, le Gouvernement oriente davantage ses ressources vers les industriels que vers la recherche, bien que la recherche sur les produits technologiques ne soit pas uniquement menée par des sociétés privées. Malgré tout, l’existence d’un groupe comme Saft en France est une véritable chance pour notre pays. Il faut juste veiller à ne pas allouer des subventions uniquement aux grands consortiums industriels.

Mme Huguette Tiegna. Devrions-nous plus encourager les partenariats entre laboratoires de pointe et industriels ?

M. Patrice Simon. Tout à fait. Nous faisons de la recherche qui a des applications directes dans l’industrie, mais nous ne voulons pas nous faire dicter ce que nous devons faire par des entreprises. Encore une fois, nous avons l’immense chance de disposer en France de fabricants de matériaux et de batteries, de constructeurs automobiles, et de laboratoires académiques à la pointe de ce qui se fait dans le monde. Par exemple, au niveau académique, les conférences de M. Jean-Marie Tarascon, professeur titulaire de la chaire de chimie des solides et de l’énergie au Collège de France, sont réputées à l’échelle internationale.

Mme Huguette Tiegna. Quels sont les laboratoires les plus en avance sur les batteries tout solide ?

M. Patrice Simon. Ils font quasiment tous partis du RS2E. Je mentionnerai notamment le Collège de France, le Laboratoire de réactivité et chimie des solides (LRCS) à Amiens, le Centre inter-universitaire de recherche et d’ingénierie des matériaux (CIRIMAT) à Toulouse, ou encore l’Institut de chimie de la matière condensée (ICMCB) à Bordeaux. Notre réseau est financé grâce à la certification LabEx (Laboratoire d’Excellence), à laquelle nous candidaterons à nouveau une fois qu’elle aura expiré. Baser des filières, comme celle de la batterie, sur des réseaux qui, comme le RS2E, regroupent des industriels, des laboratoires et des institutions comme le CEA, l’IFPEN et l’INERIS, est très cohérent, car cela permet de regrouper tous les acteurs importants d’un domaine.

Mme Huguette Tiegna. Quid des applications pour la technologie photovoltaïque, qui pose elle aussi des problèmes de stockage, à cause de son intermittence ?

M. Patrice Simon. Les batteries pour véhicules ont un fort potentiel de réutilisation pour des applications de stockage dit de masse d’énergie photovoltaïque et éolienne. On considère qu’une batterie n’est plus utilisable dans un véhicule lorsqu’elle a perdu environ 20 % de sa capacité, c’est-à-dire dès qu’il n’y a plus assez d’énergie par kilo ou par litre. Cependant, il n’existe pas de contraintes de masse ou de volume pour le stockage des énergies renouvelables, et la technologie est identique à celle de la batterie pour les véhicules. Il existe donc une véritable possibilité d’une seconde vie des batteries.

La pile à combustible pourrait également devenir intéressante sur ce segment du stockage stationnaire. En effet, une éolienne peut tourner dans le vide si la limite de la capacité de stockage associée est atteinte. En plaçant un électrolyseur au pied de l’éolienne, on pourrait produire, à partir de l’électricité superflue, de l’hydrogène réutilisable dans les piles à combustible.

Sur ce segment du stockage stationnaire, la technologie lithium-ion est en train de détrôner la batterie au plomb et les batteries à circulation, ou à oxydoréduction à l’eau, usuellement abrégée redox-eau. Le fonctionnement de ces dernières repose sur deux grands réservoirs, pouvant atteindre des capacités de 1 000 litres, qui contiennent l’électrolyte dans lequel sont dissoutes les matières actives. Leur circulation à travers la cellule placée entre les deux réservoirs est assurée par des pompes, ce qui permet la production de courant. Cette technologie est particulièrement intéressante car l’énergie contenue dans la batterie est déterminée par le volume d’électrolyte dans les réservoirs. Malheureusement, elle n’est pas mature, car mise au point uniquement pour des systèmes de grande taille, avec des pompes, des systèmes de circulation, et des réservoirs de grande taille. À l’heure actuelle, cette technologie, exclusivement dédiée au stockage de masse, est donc supplantée par les batteries lithium-ion.

Mme Huguette Tiegna. Au-delà de la seconde vie qui peut être offerte aux batteries dans les applications stationnaires, qu’en est-il du recyclage du cobalt ou du lithium ?

M. Patrice Simon. Tout ce qui est cher se recycle, le cobalt aussi. L’entreprise Umicore, basée en Belgique, produit du zinc, des métaux précieux et des matériaux pour batteries, mais est aussi impliquée dans le recyclage de matériaux pour batterie et de cuivre.

Aujourd’hui, le recyclage des matériaux de batteries se fait majoritairement par pyro-métallurgie, ce qui revient à ouvrir et à brûler les batteries, afin de récupérer les oxydes, le lithium, etc. Le recyclage des batteries doit continuer à prendre son envol, car la mine dite urbaine, c’est-à-dire le recyclage, représente la première source de matériaux. En France, dans l’Aveyron, la société SNAM est d’ailleurs spécialisée dans ce domaine.

M. Stéphane Piednoir. Nous avons vu que des progrès importants ont été réalisés récemment, en termes de temps de recharge. Pouvons-nous encore beaucoup progresser, ou atteignons-nous une asymptote, comme c’est le cas pour le prix des batteries ?

M. Patrice Simon. On peut aujourd’hui recharger rapidement, mais cela endommage la batterie, comme pour la batterie d’un téléphone par exemple. La vraie complexité réside dans l’élaboration de batteries capables de se recharger rapidement, avec une durée de vie équivalente aux batteries actuelles rechargées lentement. Je suis assez confiant sur le développement prochain d’une telle recharge rapide, qui dure moins d’une demi-heure.

Ces recherches accrues sur la recharge rapide sont directement issues de la désillusion sur l’autonomie, même si des startups continuent à faire des annonces mirobolantes, en se fondant sur quelques articles de l’université Stanford ou de l’Institut de technologie du Massachusetts (en anglais, Massachusetts Institute of Technology ou MIT), ce qui n’est plus le cas des grands acteurs du marché.

Mme Huguette Tiegna. Il semble en effet préférable d’abandonner la course à l’autonomie, et de favoriser les usages alternatifs de la mobilité, comme le covoiturage.

M. Patrice Simon. Tout à fait. L’usage est à mettre au centre de vos préoccupations.

En France, la startup, Tiamat produit des batteries sodium-ion, qui stockent un tiers d’énergie en moins qu’une batterie lithium-ion à masse égale, mais qui se rechargent en un quart d’heure. Cette technologie est issue d’un brevet déposé par le CRNS, grâce au réseau RS2E, en partenariat avec Solvay. Nous avons réussi à préserver cette startup en refusant les investissements privés, même si nous avons reçu 3 millions d’euros de l’État. Il existe donc des startups françaises qui se créent et travaillent sur des technologies en rupture avec les technologies chinoises, pour l’instant véritablement hégémoniques sur le marché.

M. Stéphane Piednoir. Avez-vous des questions ou des remarques ?

M. Patrice Simon. Je tiens surtout à dire que le RS2E manque d’exposition. Depuis sept ans, avec M. Jean-Marie Tarascon, nous essayons de fédérer les laboratoires, les industriels, et les institutions publiques autour de la question des batteries. Malgré nos efforts, quand le Conseil national de l’industrie a mandaté une étude sur la filière française des batteries, nous n’avons pas été consultés, ce qui est d’autant plus frustrant que nous sommes des fonctionnaires rémunérés par l’État.

Mme Huguette Tiegna. Je fais partie, pour le compte de l’OPECST, du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, qui cherche à se réformer, pour mieux prendre en compte l’innovation. Des initiatives se mettent également en place sur les problématiques d’innovation au niveau européen.

M. Patrice Simon. Nous sommes régulièrement invités à Bruxelles pour donner notre point de vue, notamment dans le cadre du programme européen Horizon 2020. En revanche, je ne comprends pas que des démarches sur la filière française des batteries, initiées à la fois par le ministère de l’Industrie et le ministre de la Transition écologie et solidaire, ne prennent en compte que le point de vue des industriels, alors que l’on peut créer une valeur ajoutée en favorisant la collaboration entre les mondes de l’industrie et de la recherche académique.


Audition de

Mme Marine Gorner, senior transport and energy analyst, et

M. Pierpaolo Cazzola, senior transport and energy analyst

Agence internationale de lénergie

 

Jeudi 18 octobre 2018 au Sénat

 

Mme Marine Gorner, senior transport and energy analyst, Agence internationale de lénergie. Nous faisons partie de l’équipe qui modélise et analyse le secteur des transports au sein de l’Agence internationale de l’énergie. Nous nous basons sur trois axes de travail principaux. Le premier est le Mobility Model qui nous permet de modéliser le secteur des transports au niveau mondial de manière bottom-up, c’est-à-dire en partant des statistiques sur les types de véhicules, leur consommation, et leur kilométrage. Ce modèle intègre l’énergie utilisée dans le secteur des transports, les émissions de gaz à effet de serre, et de nombreux autres aspects au niveau global. C’est la base de notre travail.

L’un de nos autres axes de travail se focalise spécifiquement sur les véhicules électriques. Un troisième axe, appelé Global Fuel Economy Initiative, est consacré à la consommation des véhicules, et à l’amélioration de leur efficacité énergétique.

À partir de ces groupes de travail, nous produisons des publications avec ces scénarios et des recommandations de politiques publiques qui résultent de nos analyses.

M. Pierpaolo Cazzola, senior transport and energy analyst, Agence internationale de lénergie. L’équipe au sein de laquelle nous travaillons s’appuie sur des références issues des groupes Technology Cohesion Programs, qui travaillent sur des sujets spécifiques, comme les véhicules à pile à combustible, les véhicules hybrides, les nouveaux combustibles, les matériaux pour les transports, etc. Certains de ces groupes ne sont pas gérés directement par notre équipe.

Mme Marine Gorner. Les scénarios que nous allons vous présenter proviennent de nos différentes publications, par exemple sur le secteur de l’énergie, le secteur des transports, les véhicules électriques, ou le transport routier.

Pour mémoire, le secteur de transport représentait en 2015 environ 20 % de la demande primaire en énergie, et presque un quart des émissions de CO2. Pour les produits pétroliers, le transport a une importance encore plus grande, puisqu’il est responsable de 56 % de la demande globale, les voitures particulières et le fret routier représentant une part très significative de cette consommation, à côté des autres modes de transport.

Depuis quarante ans, la demande en énergie dans le secteur des transports croit continuellement, encore une fois avec une très forte contribution des véhicules légers et du fret routier. Par exemple, en France, pour l’activité transport, plus de la moitié voire même les deux tiers de toute l’activité de mobilité concerne les voitures particulières. La situation est assez similaire dans les autres pays occidentaux. Cette activité génère évidemment une importante consommation d’essence et de diesel. De fait, l’intensité énergétique, exprimée en unité d’énergie par passager-kilomètre, est beaucoup plus élevée pour les voitures particulières, les camions, et les camions de fret, que pour le transport collectif, comme les autobus et le ferroviaire.

Pour nos scénarios, de manière générale, nous avons toujours un scénario de référence dénommé RTS, Reference Technology Scenario, ou NPS, New Policy Scenario, le nom différant suivant les publications. Ce scénario représente la trajectoire que les politiques publiques mises en place sont susceptibles d’engendrer à long terme. Nos scénarios se placent toujours dans la période de 2030 à 2060, suivant les publications. En complément de ce scénario de référence ou de politique actuelle, nous avons toujours un ou deux scénarios climatiques, qui visent soit à limiter le réchauffement climatique à deux degrés, correspondant à l’objectif historique, soit, depuis les accords de Paris sur le climat, à le maintenir en dessous de deux degrés. Ces scénarios sont appelés 2DS ou B2DS.

M. Pierpaolo Cazzola. L’idée de ces scénarios climatiques n’est pas de se limiter au climat, mais de prendre en compte plusieurs objectifs politiques, liés à la durabilité du système. C’est pour cette raison que nous ne nous limitons pas à prendre en compte les changements technologiques, mais aussi des aspects liés à la demande de matériaux.

Mme Marine Gorner. Effectivement, ces scénarios que j’appelle climatiques sont basés sur des objectifs climatiques, mais incluent aussi d’autres SDG, ou Sustainable Development Goals. Ce sont, par conséquent, des scénarios de développement durable.

Tous les modes de transport doivent être mis à contribution pour générer une trajectoire durable, avec une proportion assez conséquente de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur les véhicules particuliers et sur le fret routier, ainsi que sur l’aviation, le secteur maritime, les deux et trois roues, etc.

Quatre catégories d’actions sont requises pour atteindre ces objectifs. Tout d’abord, l’électrification permet l’amélioration de l’efficacité énergétique du secteur des transports. Ensuite, vient l’utilisation des biocarburants, notamment pour les moyens de transport longue distance, le travail sur l’efficacité énergétique de tous les véhicules, et, sur tout ce qui est Avoid and Shift, c’est-à-dire la réduction des déplacements non essentiels, par exemple par des mesures de densification des villes, et surtout de transition des modes les plus intenses énergétiquement vers les plus économes, généralement du transport individuel vers les transports publics ou non motorisés. Ces quatre piliers sont tous réellement très importants pour parvenir à réaliser les scénarios de développement durable.

Les différents scénarios, encore une fois au niveau global, montrent bien l’importance de cette composante Avoid and shift, avec pour les scénarios 2DS et B2DS moins de véhicules en 2060 que pour le scénario RTS, ce qui implique de contenir l’augmentation de la demande en véhicules particuliers, et, en même temps, une très forte transition technologique, notamment une très forte électrification du secteur, avec des véhicules tout électriques, et des véhicules hybrides rechargeables. Dans le scénario le plus agressif, B2DS, réalisé après l’accord de Paris sur le climat, on arrive à plus de 90 % de véhicules électrifiés à l’horizon 2060.

Pour la France, finalement, c’est un peu la même chose qu’au niveau global, le scénario de développement durable montrant une très forte réduction des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur des transports en France à l’horizon 2050, beaucoup plus forte que dans le scénario de référence, avec également une très forte transition technologique : dans ce scénario plus de 80 % des voitures particulières sont électriques.

Les scénarios montrent aussi une forte accélération entre 2030 et 2050. Les mesures qui vont être prises aujourd’hui pour atteindre des objectifs à moyen terme, à l’horizon 2030, seront extrêmement importantes pour amorcer ce qui restera à faire par la suite.

Je vais parler un peu plus des véhicules électriques, notre technologie principale pour les voitures particulières dans les scénarios. Comme indiqué, un groupe de travail spécifique existe sur cette technologie. Ce travail est soutenu par les membres de l’Electric Vehicles Initiative, forum regroupant divers gouvernements engagés avec nous dans la réflexion et à la direction de notre travail et de nos analyses sur les politiques d’électrification. La France en fait partie.

Les bénéfices de l’électrification dans différents pays du monde dépendent de leur situation particulière. Au-delà de la réduction des émissions de CO2, l’électrification est aussi extrêmement bénéfique sur d’autres plans, par exemple pour la pollution urbaine locale et l’efficacité énergétique, ainsi que la réduction de la dépendance aux produits pétroliers. Beaucoup de pays se positionnent sur l’électrique pour ces dernières raisons, en plus du potentiel de réduction des gaz à effet de serre.

Les émissions de gaz à effet de serre par kilomètre de ces véhicules dans des pays qui, comme la France, bénéficient déjà d’un réseau électrique décarboné montrent que ceux-ci bénéficient dès aujourd’hui à plein des avantages de la voiture électrique. Pour ces pays, la comparaison entre les autres technologies démontre que le tout électrique leur est significativement supérieur.

Pour d’autres pays, comme la Chine, dont le réseau électrique est très intense en carbone, la question du bénéfice carbone du véhicule électrique se pose à ce jour. Mais il est important de comprendre que le réseau électrique est aussi en train de transitionner. En amorçant la double transition du transport électrique et de l’électricité renouvelable, on rejoint tout le potentiel carbone du transport électrique, sachant qu’aujourd’hui, au niveau mondial, plus de 60 % des capacités additionnelles annuelles sont renouvelables. Donc, cette transition s’amorce au niveau global de manière assez visible.

Au niveau des scénarios, en nombre de véhicules électriques à l’avenir, en partant de trois millions en 2017, quatre millions à ce jour dans le monde, les objectifs à l’horizon 2030, dans le scénario de développement durable, sont de plus de 230 millions de véhicules. C’est donc vraiment une croissance très importante qui est requise.

Nous avons comparé ces scénarios avec les annonces des constructeurs automobiles, durant ces dernières années, sur leur plan de développement du secteur électrique. Nous avons compilé leurs annonces sur le nombre de modèles et de véhicules qu’ils entendaient mettre sur le marché à l’avenir. En se basant sur ces éléments, nous avons constaté qu’à l’horizon 2025, s’ils réalisent la partie haute de leurs annonces, celles-ci pourraient effectivement être alignées avec les besoins de transition identifiés dans le scénario durable. Néanmoins, il faudrait s’assurer que les constructeurs réalisent les plans annoncés, engagent les investissements prévus, et continuent à baisser les prix des véhicules électriques, notamment des batteries, au travers des économies d’échelle résultant de la production en grands volumes. C’est aussi avec des signaux politiques forts que cette transition pourra être réalisée, dans l’alignement du scénario de développement durable. Pour le moment nous nous situons entre les scénarios de référence et le scénario de développement durable.

S’agissant des parts de marché de l’électrique à l’horizon 2030, pour la France, les scénarios précédents avec les politiques appropriées, se traduisent par 40 % de voitures particulières électrifiées, c’est-à-dire tout électriques ou électriques rechargeables, et 75 % de deux et trois roues électriques. On observe que la rentabilisation de la transition vers l’électrique est beaucoup plus intéressante pour les deux et trois roues que pour des véhicules plus volumineux, avec de plus grosses batteries. En termes de stock, ce pourcentage de 40 % se traduit par à peu près six millions de voitures légères électrifiées à l’horizon 2030.

M. Pierpaolo Cazzola. Parmi tous les types de véhicules, les voitures particulières garantissant les plus gros volumes, elles sont essentielles pour réduire les coûts unitaires du kilowattheure de batterie.

Par exemple, l’évolution pour les deux roues dépendra de ce qui va se passer pour les voitures particulières. Faute de changement dans les volumes de production induit par la transition des voitures particulière, les prix des batteries risquent de rester élevés, si bien qu’il y aura moins de chance de transition pour les autres modes de transport. Je pense qu’il en va de même pour les autobus, bien que la technologie des batteries ne soit pas tout à fait la même.

Mme Marine Gorner. Pour réaliser les scénarios durables, il faut, en parallèle, améliorer la consommation des véhicules pour les technologies existantes, et amorcer la transition vers l’électrification. L’électrification étant une technologie plus efficace énergétiquement que les voitures traditionnelles, elle est extrêmement importante pour atteindre les objectifs d’efficacité énergétique. Dans le cadre du projet Global Fuel Economy Initiative, l’Agence internationale de l’énergie prône une réduction de 50 % de la consommation des véhicules à l’horizon 2030, par rapport à 2005. Nous montrons que pour réaliser cet objectif, l’addition de véhicules électriques dans le mix technologique est essentielle.

Les politiques publiques qui vont permettre d’accélérer ce type de transition et la réalisation des scénarios sont, tout d’abord, une taxation des carburants reflétant leurs impacts climatique et écologique, sachant que certains pays subventionnent encore les produits pétroliers. Ensuite, la réglementation, notamment les standards de consommation des véhicules est aussi très importante. Elle amorce le changement et donne de la visibilité aux constructeurs pour travailler sur l’amélioration de l’efficacité énergétique.

De plus, pour amorcer le changement avant que les économies d’échelle permettent une baisse des coûts drastique des nouvelles technologies, il faut des aides économiques pour que les consommateurs adoptent ces nouvelles technologies. Ces instruments d’aide à l’achat direct ne peuvent pas toujours durer. Ils servent à augmenter les volumes jusqu’à ce que les coûts deviennent compétitifs. Ces aides peuvent être mises en place de façon « intelligente », par exemple avec des taxes différenciées (en anglais, differentiated taxation), reflétant la performance économique et écologique des véhicules. Elles permettent de générer du revenu, par exemple pour baisser les taxes sur les technologies les moins polluantes.

Par ailleurs, les politiques locales sont également très importantes pour amorcer la transition et envoyer des messages forts au public. C’est ce qui se passe pour le diesel. Le fait que certaines mesures soient prises, au niveau local ou national, ou du moins annoncées, implique que les gens font plus attention à la technologie qu’ils vont choisir : est-ce une bonne idée d’acheter un véhicule diesel, est-ce que je pourrai le revendre, etc.

Enfin, il faudra que les politiques publiques prennent en compte la nécessité de refaçonner les stratégies de taxation du secteur des transports. En changeant de technologie, on ne génère plus de revenus en taxant les carburants conventionnels. Nous recommandons d’imaginer des solutions qui appliquent le road pricing, c’est-à-dire taxent le transport au kilomètre, de manière équivalente pour toutes les technologiques.

M. Pierpaolo Cazzola. L’une des raisons pour lesquelles nous préconisons ce mode de taxation est qu’une taxation au kilowattheure électrique serait très élevée, pour aboutir à un revenu total équivalent.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Nous allons avoir besoin de temps pour bien analyser vos nombreux graphiques. Votre agence ayant une vision internationale, pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur les pays qui ont réussi un déploiement de masse, notamment pour la mobilité électrique, éventuellement pour l’hydrogène ?

Par ailleurs, s’inscrire dans le Plan climat en développant les mobilités, voir les alternatives technologiques, est une chose. Mais il existe aussi un enjeu industriel, français et européen. Aujourd’hui, on le sait bien, les batteries sont essentiellement fabriquées en Asie. Ce constat pose question sur l’autonomie industrielle si la mobilité électrique se développe. A contrario, pour l’hydrogène, qui émerge aussi dans d’autres pays européens, on a peut-être plus de cartes en main. Est-ce que vous pourriez nous apporter un éclairage à ce sujet ?

Mme Marine Gorner. Je peux commencer par les pays qui ont déjà bien amorcé leur transition vers l’électrique. Par exemple, l’une de nos publications est consacrée aux pays du nord de l’Europe. Quels sont les éléments qui ont permis une transition accélérée par rapport à d’autres pays, sachant que ces cinq pays ont mis en place des mesures un peu différentes ? Par exemple, en Norvège où plus de la moitié des ventes concerne des véhicules électriques, ce qui a amorcé cette évolution ce sont les énormes aides à l’achat, par la réduction des taxes de TVA sur ce type de véhicule, qui ont permis, dès le départ, de rendre certains véhicules électriques moins chers ou plus compétitifs que les véhicules traditionnels. De plus, au niveau local, il y a eu énormément de petits « coups de pouce » représentant pour certains résidents un montant annuel important, qui ont bénéficié aux véhicules électriques, par exemple le chargement ou le stationnement gratuit, l’accès privilégié aux voies de bus, et l’annulation des péages.

M. Pierpaolo Cazzola. En gros, les pays qui ont eu le plus de succès ont réduit le coût des véhicules électrique et amélioré la vie des personnes qui les achetaient. Dans certains cas, ils ont permis un accès à un véhicule qui sinon aurait été inatteignable. C’est le cas en Chine, dans plusieurs méga-villes, où acheter un véhicule électrique est possible, alors que cela ne l’est pas, si ce n’est par un système de loterie, pour d’autres véhicules.

Pour changer le choix des consommateurs au sein de l’Union européenne, l’une des politiques clefs qui va contribuer à la transition vers la voiture électrique est la restriction des émissions par kilomètre à l’horizon 2030. Cet objectif ne peut être atteint uniquement avec les moteurs à combustion, sauf à réduire la taille des véhicules, alors que les consommateurs vont plutôt vers des véhicules plus grands. L’autre solution consiste à électrifier le parc avec des voitures 100 % électriques, des hybrides rechargeables, ou des voitures à hydrogène.

Pour l’hydrogène, il existe un enjeu industriel, parce que les barrières pour la transition vers le 100 % électrique sont moins importantes que vers l’hydrogène. Étant donné que la plupart des utilisateurs chargent à la maison, les risques liés à l’infrastructure de recharge électrique sont plus limités, d’autant qu’il est possible de mobiliser une industrie électrique qui a intérêt à faire des investissements. Ce sont des facteurs majeurs, qui limitent les barrières pour l’électrique par rapport à l’hydrogène.

Quant à l’hydrogène, il est, pour l’instant, produit à partir d’énergie fossile. De plus, une transition vers l’hydrogène nécessite un investissement important sur le réseau de distribution, avec un risque assez élevé. Si l’on commence à déployer une infrastructure de distribution, et qu’il n’y a pas de véhicules, on ne pourra pas rentabiliser les investissements. C’est une situation du type « l’œuf ou la poule ». Les risques sont beaucoup moins importants pour le 100 % électrique.

Certaines évolutions dans les dernières décennies ont permis la baisse des coûts des véhicules électriques. Je pense, en particulier, au développement de l’électronique, et à l’utilisation des batteries pour ces équipements. Des investissements majeurs ont été réalisés dans ce secteur pour réduire les coûts, alors que pour réduire ceux des piles à combustible, il faudrait une augmentation de la demande, qui passe surtout par les transports. Une barrière existe donc aussi pour les véhicules, pas seulement l’infrastructure. Structurellement, je trouve que c’est un problème complexe à résoudre.

On peut, par exemple, commencer avec les véhicules lourds, ce qui permet de limiter le déploiement de l’infrastructure aux axes routiers majeurs, tout en capitalisant sur les avantages de l’hydrogène, en termes de rayon d’action plus important. Mais ce marché serait-il suffisant pour réduire les coûts des piles à combustible ? En tout cas cela semble être la meilleure voie pour y parvenir.

Au plan industriel, je pense qu’il ne faut pas jouer la carte de l’hydrogène contre celle des batteries, parce que les deux vont coexister. La voiture à batteries va arriver plus tôt, et sera différente du véhicule hydrogène. Il faut rattraper le retard sur les batteries, et en même temps essayer de rester compétitif sur l’hydrogène. L’investissement dans le développement des batteries en Europe est important. Il commence déjà à se concrétiser, avec les investissements conséquents de Shinheung SEC en Hongrie et de LG Chem en Pologne.

Mme Marine Gorner. L’Union européenne travaille sur le problème des batteries au travers de la Battery Alliance, pour faciliter l’émergence d’une industrie des batteries électriques en Europe, ainsi que des composantes de formation et d’éducation nécessaires. Pour réaliser cette transition, il faut former des techniciens et ingénieurs aux technologies électriques.

M. Pierpaolo Cazzola. L’hydrogène a été beaucoup associé au véhicule à pile à combustible, alors que la demande aujourd’hui existe dans le raffinage ou la production d’ammoniaque. Il est essentiel de faire en sorte que l’hydrogène utilisé aujourd’hui commence à devenir moins carboné, en capitalisant sur les marchés existants.

Il faut imaginer la transition vers l’hydrogène comme une question qui n’est pas limitée au transport, mais recouvre différents secteurs : la consommation industrielle, les transports, les bâtiments… Il faut considérer l’hydrogène non seulement comme une molécule gazeuse, mais comme un Feed Stock, utilisé pour produire des combustibles liquides et gazeux, contenant, ou pas, du carbone.

Par exemple, la production d’ammoniaque à partir d’hydrogène renouvelable ouvre la possibilité d’utiliser de grandes quantités d’électricité renouvelable dans certaines parties du monde où aujourd’hui on ne peut pas le faire, parce qu’il n’y a pas de demande. On peut utiliser l’ammoniaque comme un moyen de transport de l’électricité, pour le convertir ensuite en hydrogène. Des études intéressantes ont été réalisées sur le potentiel de l’ammoniaque comme vecteur d’énergie pour le secteur maritime. L’ammoniaque est moins complexe à gérer que l’hydrogène, même s’il comporte aussi des barrières.

Il est également important de préparer la décarbonation de l’hydrogène, alors que celle de l’électricité est effective dans certains pays du monde.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Étant donné que vous avez cette vision internationale, est-ce que vous avez des éléments sur les avancées sur les batteries solides, beaucoup d’industriels estimant qu’elles pourraient prendre le relais des batteries Lithium-ion.

M. Pierpaolo Cazzola. Nous avons analysé ce sujet dans une publication intitulée Global EV Outlook, dans le cadre de laquelle nous avons examiné quelles pourraient être les technologies de batteries du futur, en particulier les technologies supérieures au Lithium-ion.

Ce que nous comprenons aujourd’hui, c’est que dans la prochaine décennie, il y aura d’importantes améliorations sur la technologie Lithium-ion, et qu’avant de parvenir aux batteries solid state, pendant une longue période, les batteries Lithium-ion resteront compétitives.

Mme Marine Gorner. La stratégie pour les années à venir consiste à essayer de réduire la contenance en cobalt des batteries Lithium-ion. C’est vraiment le challenge pour les prochaines années. Les technologies plus disruptives arriveront plus tard, à l’horizon 2030, peut-être un peu avant, peut-être après. Mais ce n’est pas encore pour demain.

Mme Huguette Tiegna. Disposez-vous de suffisamment de données, par exemple des constructeurs, pour réaliser des scénarios fiables ? D’après nos informations beaucoup de données sont disponibles pour les véhicules particuliers, beaucoup moins pour les véhicules lourds.

M. Pierpaolo Cazzola. Nous travaillons depuis une dizaine d’années sur les modèles. C’est un projet qui a été financé par une série d’acteurs du secteur privé, y compris des entreprises automobiles et du secteur pétrolier. Cela nous a permis de disposer d’un budget récurrent, pendant une dizaine d’années, pour collecter les données et développer les modèles.

La collecte des données constitue une part importante de ce type d’activité. Nous essayons de collecter les données pour chaque pays et chaque type de véhicule. Ensuite nous les agrégeons, pour essayer de construire des bases de données cohérentes. En partant des ventes, nous évaluons le stock de véhicules en fixant une durée de vie. Nous associons ensuite ces données à la consommation. Il est vrai que nous sommes beaucoup mieux renseignés sur la consommation par kilomètres des véhicules légers que sur celle des poids lourds. Par exemple, en Europe, nous n’avons pas encore un benchmark de la consommation moyenne des poids lourds. Nous l’aurons en 2019. Mais nous pouvons quand même faire des estimations. Nous associons ces données sur les stocks et les consommations spécifiques par kilomètre aux distances moyennes parcourues, sur la base de statistiques et aussi de contrôles de cohérence. Cet exercice nous permet d’avoir une idée assez précise de l’existant, et de prévoir les tendances suivant l’évolution des choses.

Mme Huguette Tiegna. De combien de temps avez-vous besoin pour construire un scénario ?

M. Pierpaolo Cazzola. Cela dépend de la nature de l’étude et du nombre de personnes mobilisées sur celle-ci.

Mme Marine Gorner. Nous pouvons utiliser nos modèles pour répondre à des demandes assez simples. Pour les scénarios eux-mêmes, chacune de nos publications est préparée sur une période d’au minimum six à neuf mois. C’est le temps nécessaire à la rédaction de la publication, y compris l’établissement des scénarios.

M. Pierpaolo Cazzola. Cela prendrait plus de six mois si nous n’avions pas déjà un acquis, après tout dépend du nombre de personnes mobilisées.

Mme Huguette Tiegna. Notre objectif étant de sortir des énergies fossiles, à l’aube de 2030-2040 la consommation de carburants devrait se réduire. Comment les pays producteurs réagissent-ils à cette évolution ?

M. Pierpaolo Cazzola. Nous n’avons pas fait d’études spécifiques sur ce sujet. Personnellement, je pense que cela dépend beaucoup du pays, et des ressources disponibles localement. Certains pays disposant à la fois de pétrole et de soleil, le développement du solaire et la baisse des coûts pourraient leur permettre de produire d’autres types de vecteurs énergétiques, et donc de diversifier leurs activités. Il existe aussi des stratégies consistant à se diversifier en dehors du secteur de l’énergie, par exemple dans les services, comme l’ont fait certains pays du Golfe sur les marchés financiers. Tous les pays s’emploient à préparer ces changements.

Mme Huguette Tiegna. J’ai entendu dire que l’Arabie Saoudite cherchait à se diversifier dans la production d’hydrogène.

Mme Marine Gorner. Nous n’avons pas d’information à ce sujet. Nous avons beaucoup plus d’informations directes venant des États membres ou partenaires de l’AIE, historiquement l’Amérique du nord, l’Europe, le Japon, la Corée et l’Océanie. Nous travaillons aussi beaucoup, depuis ces dernières années, avec les nouveaux acteurs du secteur de l’énergie, surtout par rapport à la demande : la Chine, l’Inde et le Brésil.

M. Stéphane Piednoir. Sur le déploiement de la mobilité électrique vous disiez tout à l’heure que la recharge est assez facile pour ceux qui disposent d’un garage, mais beaucoup moins pour ceux qui vivent en milieu urbain. Avez-vous des éléments sur le coût de déploiement des bornes de recharge, et sur le financement de celui-ci ?

Mme Marine Gorner. Pour les personnes qui n’ont pas de garage dans leur jardin, il existe d’autres solutions d’infrastructures de recharge privées, par exemple au travail. La recharge au travail est très complémentaire avec la recharge de nuit en habitat individuel. Elle est très répandue dans les pays du Nord. Cette formule présente des avantages pour l’équilibrage du réseau (greed balancing), avec une recharge de nuit au domicile pendant les creux de consommation et une recharge de jours au travail, éventuellement pendant les pics de production des énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque. La recharge lente permet de compenser les pics et les creux de production. L’électrification vient ainsi vraiment en aide à l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau.

Beaucoup de mesures publiques sont prises pour les parkings d’immeubles ou collectifs. Par exemple, une personne disposant d’une place de parking dans un immeuble qui voudrait installer une borne de recharge n’aurait pas à attendre la prochaine réunion du syndic pour obtenir l’autorisation des autres copropriétaires, l’autorisation étant donnée par défaut. De même, certaines normes de construction requièrent qu’une certaine proportion des places de parking soit prête à accueillir une infrastructure de recharge. Ce sont là des mesures très importantes, avant de penser à déployer des places de recharge dans l’espace public.

M. Pierpaolo Cazzola. Nous n’avons pas parlé de la mobilité partagée, qui pourrait faire partie du jeu, surtout en milieu urbain. On peut envisager qu’une partie de la population n’aura pas de parking, mais utilisera des services de mobilité, y compris des véhicules partagés ou autonomes alimentés en électricité. Passer à l’électrique convient si l’on roule beaucoup. Les taxis électriques pourraient être l’une des premières utilisations. Le profil d’utilisation d’un taxi est limité le jour, et il n’y a pas de demande la nuit, sauf les vendredis et les samedis. En général on peut recharger lors des creux de demande. En principe, ce profil est compatible avec l’électrique et pourrait permettre de gagner plus de parts de marché, en termes de nombre de kilomètres parcourus.

Mme Marine Gorner. Travailler sur les flottes permet de commencer à développer le marché, aussi bien pour le véhicule que pour l’infrastructure, en engendrant des économies d’échelle. Cela permet de faire émerger des entreprises qui proposent ce type de services de recharge, et peuvent capitaliser sur leur savoir et leur expérience pour rendre ce service plus accessible au public en général. C’est ce qui a été fait avec Autolib, qui aura au moins permis de déployer l’infrastructure de recharge en ville, au service de la flotte Autolib, mais aussi des particuliers.

M. Stéphane Piednoir. Aujourd’hui, l’arrêt d’Autolib pose un réel problème pour les conducteurs de véhicules électriques à Paris.


Audition de

M. Francis Bartholomé, président, et M. Xavier Horent, délégué général,

Conseil national des professions de lautomobile (CNPA)

M. Rémi Cornubert, associé du cabinet Advancy (en charge dune étude sur lévolution des métiers de lautomobile)

 

Jeudi 11 octobre 2018 au Sénat

 

M. Francis Bartholomé, président, CNPA. Le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) représente l’ensemble de l’aval de la filière et des métiers de service automobile. Après la sortie d’usine des véhicules, les concessionnaires automobiles et réseaux d’agents les commercialisent, puis un deuxième pôle entretien-réparation assure leur maintenance, enfin, dans le cadre de l’économie circulaire, nos adhérents prennent en charge leur destruction finale. S’ajoutent d’autres services, tels que la location de véhicules ou les métiers de la sécurité et de l’éducation routière.

Avec une audience de 86 %, le CNPA est un organisme professionnel représentatif d’un écosystème relativement complet de 130 000 entreprises et 480 000 salariés. Nous avons évolué fortement depuis que nous avons essayé de faire reconnaître cette filière de services qui dépasse largement les véhicules particuliers, puisque notre réflexion est identique pour les véhicules industriels et utilitaires, ainsi que pour les cycles et motocycles.

Nous avons une vision assez large de la nécessité d’avancer dans ce dossier de la mobilité. La première reconnaissance de notre rôle s’est effectuée au travers du Comité stratégique de la filière automobile, présidé par M. Luc Chatel, qui marque bien la démarcation entre, d’une part, l’industrie : constructeurs et équipementiers, et, d’autre part, les services que nous représentons.

En 2015, nous avons publié le Pacte de mobilité, synthétisant notre réflexion et nos propositions, pour préparer une évolution sur le plan sociétal et technologique. Se dessinait déjà un grand sujet : la question environnementale, à laquelle nous nous devions d’apporter un certain nombre de réponses, en tant que professionnels de proximité, au service de l’ensemble des automobilistes. Il est ressorti de ce Pacte de mobilité plusieurs propositions très positives et actuelles, par exemple la prime à la conversion automobile, que nous avions formulées à l’époque, considérant que nous devions être force de proposition sur la gestion du parc roulant.

C’est également dans ce domaine que nous faisons un certain nombre de propositions au travers de l’étude, réalisée avec Advancy, que nous allons vous présenter. Celle-ci permet une projection à 2030, au travers de différents scénarios qui visent tout d’abord à présenter le parc roulant, ce qu’il est, et comment le faire évoluer. Vous verrez que la voiture décarbonée constitue bien sûr notre première préconisation, en lien avec les constructeurs. Mais si l’objectif est de rendre un parc roulant de 32-34 millions de voitures plus sécuritaire, plus propre, et plus tolérable pour tout le monde, il faut regarder la réalité en face. Nous ne sommes pas pour une mobilité punitive, dans le cadre de laquelle, suivant la journée, certains doivent rester chez eux, parce que leur plaque d’immatriculation ne commence pas par le bon numéro. Au travers de nos métiers, nous essayons d’apporter un certain nombre de solutions, qu’on retrouve dans les propositions de cette étude du parc roulant. Nous en sommes venus à penser que le moteur thermique ne peut pas disparaître totalement. C’est une vue de l’esprit de penser que dans dix ans, il n’y aura plus de thermique. Mais votre projection va jusqu’en 2040.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. 2040, c’est dans vingt ans.

M. Francis Bartholomé. Effectivement, on peut se projeter un petit peu plus loin. Mais il faut prendre en compte la réalité, notamment sociétale, du parc roulant. Nous incorporons dans le parc roulant un élément relativement important sur le plan environnemental : les véhicules utilitaires légers, qui, dans une ville comme Paris, encombrent et constituent, avec leurs moteurs plus anciens, un véritable problème.

Le CNPA travaille donc bien clairement main dans la main avec les industriels au sein du Comité stratégique de filière. Mais il a aussi les responsabilités d’un syndicat professionnel, qui doit présenter l’idée que les professionnels se font de leurs métiers de demain : concessionnaire, réparateur automobile, loueur d’automobiles, etc.

M. Xavier Horent, délégué général, CNPA. Je voudrais ajouter que le CNPA a aussi la responsabilité de détenir les leviers paritaires, notamment des retraites et de la prévoyance, deux éléments bien sûr très importants pour la filière. Mais nous pilotons également, avec nos partenaires sociaux, toute la politique de formation professionnelle de la branche. Nous sommes en train de construire un futur OPCO (opérateur de compétences), avec d’autres secteurs économiques voisins, comme les transporteurs, de manière à constituer une politique de formation cohérente dans un cadre extrêmement élargi. Le CNPA représente environ 500 000 actifs mais nous parlons d’un secteur qui pourrait représenter de 1 200 000 à 1 300 000 salariés en France, autour des thématiques de la mobilité terrestre.

Par ailleurs, en lien avec les propos du président sur la formation professionnelle, notre OPCA (organisme paritaire collecteur agréé) actuel et futur OPCO a réalisé, dans le cadre du Programme des investissements d’avenir (PIA), un programme de prospective sur une politique de formation professionnelle aux véhicules autonomes et connectés. Il est en effet essentiel de mieux coordonner l’amont industriel avec l’aval pour toutes les innovations : véhicule autonome, connecté, hybride, hydrogène, etc. Il faut évidemment veiller à ce que les ateliers de réparation puissent être connectés, dans tous les sens du terme, avec ces nouveaux produits.

M. Rémi Cornubert va présenter une synthèse de l’étude que M. Francis Bartholomé nous a demandé de mener pour pousser notre capacité de prospective à quinze ans, parce que les professionnels de l’aval sont souvent un peu trop négligés dans les politiques industrielles.

M. Rémi Cornubert associé, cabinet Advancy. L’étude réalisée présente deux intérêts majeurs. Le premier est de réaliser une photographie du parc, et de la projeter à 2030, ce qui n’avait jamais été fait. Lorsqu’on se projette à 2040, on essaye d’imaginer quel serait le mix énergétique des véhicules neufs produits à cet horizon. Mais le parc existant rejette quotidiennement des émissions. Nous nous sommes interrogés sur la possibilité d’engager des actions de court terme, qui auraient un impact visible sur la santé publique et les émissions de gaz à effet de serre, principalement de CO2.

Aujourd’hui, une faible proportion du parc génère la majorité des émissions. En accélérant à court terme le renouvellement du parc, plutôt que d’attendre la fin de la vente des véhicules thermiques en 2040, l’impact environnemental pourrait être énorme. Volontairement, je caricature un peu, mais cela permet de quand même fixer les idées.

L’approche par scénarios est évidemment utile quand on se projette à long terme pour encadrer l’univers des possibles. À l’horizon 2030 ou 2040, il est impossible de faire des prévisions exactes. Les scénarios sont intéressants parce qu’ils permettent de décrire l’univers des possibles, entre des scénarios conservateurs et des scénarios plus agressifs, ce qui permet, par exemple, d’évaluer entre deux extrêmes la part du véhicule électrique à l’horizon considéré.

Nous sommes partis des grandes tendances qui impactent la mobilité, qu’elles soient réglementaires, démographiques, sociétales, ou technologiques. Les scénarios nous ont permis de modéliser l’évolution des usages, parce qu’il existe des clients avec des usages, qui se déplacent, ou déplacent des biens et des marchandises. Ensuite nous avons modélisé le parc, ce qui nous a permis, au-delà de son évolution, d’évaluer l’impact sur la valeur ajoutée de la filière, pour les différents métiers représentés par le CNPA, et le demi-million d’emplois correspondant. Enfin, nous avons développé trois grandes catégories de recommandations à destination des pouvoirs publics, du CNPA lui-même, et de ses adhérents.

Nous avons classé les grandes tendances suivant deux axes : leur probabilité d’occurrence et leur niveau d’impact. Les tendances de fond, par exemple la croissance démographique, ont une forte probabilité d’occurrence et un impact plus ou moins fort, alors que les tendances disruptives présentent une incertitude sur leur probabilité d’occurrence, mais peuvent avoir un impact fort suivant les scénarios, qu’il faut prendre en compte. Il existe deux types de tendances : des tendances communes à tous les scénarios, par exemple la démographie, et des tendances spécifiques à certains scénarios.

Trois scénarios sont élaborés à partir de deux critères principaux. Le premier est la survenue d’une crise économique. Un cycle de quasiment dix ans se termine. En 2008-2009, suite à la crise financière, le marché s’est effondré dans toutes les zones géographiques, puis il est bien reparti. De nouveau, des pics structurels apparaissent aux États-Unis et en Europe, ainsi que des signes d’essoufflement en Chine. Il est donc raisonnable de considérer que la probabilité d’une crise économique forte dans les dix ans qui viennent est élevée.

Le deuxième grand critère porte sur l’accélération de l’intervention des pouvoirs publics. Nous avons construit un scénario où sont intégrées toutes les évolutions réglementaires locales, nationales, et européennes dont nous avons connaissance, en particulier l’évolution du bonus-malus, des bonus pour le véhicule électrique, et les nouvelles réglementations d’émissions CO2 après 2021. Enfin, nous avons conçu un troisième scénario beaucoup plus agressif, beaucoup plus vert.

Ces scénarios se basent sur un certain nombre d’hypothèses qui viennent d’être explicitées.

Le premier scénario prévoit une forte croissance des mobilités des biens comme des personnes, avec une pénétration progressive des technologies de connectivité, d’électrification et d’autonomie, ainsi qu’un maintien des grands équilibres de propriété versus usage, en B2B (business to business) et B2C (business to customer).

Nous avons considéré qu’il existait une stabilité de l’âge moyen du parc à neuf ans, correspondant à des hypothèses de renouvellement similaires à celles observées aujourd’hui, avec une pénétration progressive des nouvelles mobilités. Il est vrai que les taux de croissance sont élevés, mais la base de départ étant faible, la pénétration est progressive et limitée à cet horizon. Enfin, nous avons intégré dans la réflexion la politique actuelle des pouvoirs publics, en tout cas tout ce qui était visible, y compris la loi d’orientation des mobilités.

Le deuxième scénario est différent parce qu’une crise produit évidemment un ralentissement de la croissance de la mobilité. Celle des biens est la plus sensible, parce que liée au commerce.

Une crise économique a un impact sur les ventes de véhicules neufs. Nous avons retenu un modèle en baignoire, le parc étant le liquide dans la baignoire et le robinet les nouveaux véhicules entrant dans le parc. La vidange correspond aux véhicules qui sortent du parc, soit vers l’export, soit vers la fin de vie.

Dans ces situations, nous avons observé dans le passé que l’intervention des pouvoirs publics se focalise sur l’aide à la vente de véhicules neufs, pour soutenir l’emploi, l’accent mis sur l’écologie étant moins marqué. Alors que dans les autres scénarios les ventes annuelles de véhicules neufs sont à peu près à 2,2 millions, dans le scénario de crise elles descendent à 1,8 million.

Dans cette réflexion, il ne faut pas oublier l’aval de la filière, affecté pour la première fois par la crise de 2008-2009. Dans toutes les crises précédentes, sur une longue période, l’aval est en général contra cyclique. En période de crise, les gens gardent leur véhicule plus longtemps et retardent son renouvellement. Ils compensent en l’entretenant mieux, pour qu’il dure le plus longtemps possible. Mais avec l’augmentation très forte, bien plus forte que l’inflation en 2008-2009, du coût des pièces et de l’entretien, les gens ont aussi contraint, en Europe comme aux États-Unis, leur budget d’entretien, entraînant une baisse des activités d’après-vente.

Évidemment, la pénétration des nouvelles technologies est plus lente, l’accent mis sur l’écologie étant moindre. Les volumes de vente plus faibles conduisent à un vieillissement du parc accru, les gens gardant leur véhicule plus longtemps. Le covoiturage et l’autopartage continuent à croître un peu plus vite, le pouvoir d’achat étant plus faible, la location aussi, car c’est un moyen de réduire les coûts.

Dans le troisième scénario, qui va au-delà du premier scénario, les pouvoirs publics poussent à la fois la pénétration du véhicule électrique, avec le système de bonus-malus, accélèrent la sortie du parc des véhicules âgés très polluants, et favorisent les nouvelles formes de mobilité, l’accroissement de mobilité observé étant réalisé plutôt par des véhicules en autopartage ou covoiturage.

Un point important concerne la croissance de la mobilité dans tous les scénarios, avec un incrément non négligeable. En comptant le nombre de kilomètres parcourus dans une année, la mobilité se situe à peu près à 956 milliards en 2016, et, à terme, entre 1 000 milliards et 1 100 milliards suivant les scénarios, ce qui représente un incrément de mobilité de 70 à 176 milliards. Cet accroissement de mobilité à l’horizon 2030 est équivalent à la moitié ou à la totalité de la distance aujourd’hui assurée par les transports publics collectifs, c’est-à-dire 200 milliards de kilomètres passagers, ce qui est énorme.

Deux facteurs majeurs expliquent cet accroissement. La démographie positive constitue le facteur principal, car la population augmente à cet horizon, et au-delà en 2040-2050, si bien que de plus en plus de personnes doivent se déplacer et achètent des biens qu’il faut aussi transporter. Un second facteur est la mobilité par individu qui continue à augmenter dans les deux derniers scénarios, en utilisant plusieurs moyens de transport, alors qu’elle reste stable dans le premier.

Un autre point important porte sur le coût de transport pour les pouvoirs publics. Par an, il est de 15 centimes d’euros par kilomètre/passagers pour les transports en commun urbains, de 10 centimes pour le ferroviaire, et de 3 centimes pour la route. Le coût pour l’État est évidemment bien moindre pour la route que pour les transports en commun. Si l’on voulait réaliser l’ensemble de l’incrément de mobilité par les transports en commun, cela représenterait pour la puissance publique un investissement annuel d’au minimum 11 milliards, plus probablement de 23 à 24 milliards d’euros. Ainsi, pour le Grand Paris, le coût du métro devant faire le tour de l’agglomération est à présent évalué à 40 milliards, soit déjà un surcoût de 50 %, parce qu’il est complexe dans une ville de créer de nouveaux transports en commun.

Un autre point majeur concerne le lien intime entre mobilité et développement économique. Au-delà du symbole de liberté et de l’aspect constitutionnel, l’accès au libre déplacement conditionne l’accès à l’emploi. L’absence d’accès à la mobilité limite ou empêche l’accès à l’emploi. Il faut donc réinventer la mobilité, pour qu’elle n’impacte pas le développement économique.

Les trois scénarios comportent des hypothèses de ventes de véhicules neufs à l’horizon 2030. Nous sommes partis des scénarios construits par la Plateforme automobile. Le marché reste stable en nombre de véhicules vendus dans le premier scénario, avec 2,2 millions de véhicules par an, il est en baisse en cas de crise économique dans le deuxième scénario, mais avec le même mix énergie, et en hausse de 100 000 véhicules par an dans le troisième, avec un changement assez majeur du mix énergie le diesel étant réduit à 9 %, plus de deux fois moins que dans les autres scénarios, et l’essence à 17 %, l’essentiel des ventes étant constitué de véhicules électrifiés : véhicule électrique pour un quart du marché et véhicules hybrides pour la moitié. Mais cela signifie qu’à cet horizon encore plus de la moitié des ventes se font avec un moteur à combustion.

Un important défi à court et à moyen terme, c’est qu’il ne suffit pas de pousser le véhicule électrique avec un système de bonus de 6 000 euros, il faut que les gens aient envie d’en acheter Aujourd’hui, ces véhicules représentent seulement 1,2 % du marché. Cela fait dix ans qu’on dit que le véhicule électrique va décoller, mais les clients ne l’achètent pas. On oublie qu’ils n’achètent pas seulement parce qu’il est valorisant d’avoir un véhicule écologique, mais aussi pour l’utiliser. Les critères de décision ne portent pas sur l’usage récurrent mais sur l’usage exceptionnel. Si pour 5 % de ses usages un client doit aller de Paris à Lyon, par exemple pour voir belle-maman, et qu’il doit s’arrêter au milieu pour recharger toute la nuit, il choisira un véhicule traditionnel.

M. Xavier Horent. Il s’agit bien des ventes, c’est-à-dire des immatriculations. Par ailleurs, il faut considérer le parc avec son inertie, c’est‑à‑dire une vitesse de renouvellement encore aujourd’hui extrêmement lente. Très souvent, en France, on ne parle que des immatriculations de véhicules neufs, qui ne constituent qu’un indicateur parmi d’autres. C’est en cela aussi que notre étude est originale pour la puissance publique.

M. Rémi Cornubert. Les trois scénarios comportent également une projection sur le parc roulant. Aujourd’hui, le parc de 32 millions de véhicules particuliers est constitué d’un mix à 70 % diesel, 30 % essence, et 1 % hybride. Dans les deux premiers scénarios le parc augmente et il reste stable dans le troisième. Dans tous les scénarios, il reste une part de diesel importante, de 42 % à 48 % dans les deux premiers, supérieure à 20 % dans le troisième, malgré des mesures plus agressives pour sortir du diesel.

M. Xavier Horent. Le troisième scénario est conditionné par la capacité des finances publiques à suivre cet effort.

M. Stéphane Piednoir. Avec notamment 26 % de ventes de véhicules électriques contre 1 % aujourd’hui.

M. Xavier Horent. C’est évidemment très ambitieux. Le Contrat de filière signé avec l’État, prévoit de passer à une part de marché de 6 % d’ici 2021, soit sept fois plus qu’aujourd’hui.

M. Francis Bartholomé. Je viens du métier de la vente. Il est certes possible de tout imaginer en termes de scénarios, mais il faut que les clients achètent les véhicules. Par exemple, après que nous les ayons incités à passer du diesel à l’essence, certains de nos clients réclament à présent de revenir au diesel. Les choses ne sont pas si simples.

Concernant les distances de déplacement, un véhicule hydrogène est capable de rouler de Paris à Lyon avec un seul plein réalisé en moins d’une minute à la station du pont de l’Alma. Une telle solution peut motiver le consommateur, car elle serait plus proche de son besoin d’autonomie. Comment inciter les gens à adopter l’électrique dans une démocratie libérale qui leur laisse le libre choix ? La situation est différente en Chine, où un véhicule électrique peut être immatriculé en quinze jours, alors qu’il faut attendre deux ans pour un véhicule classique.

M. Stéphane Piednoir. Sauf à avoir de la chance, puisque l’immatriculation peut s’obtenir par tirage au sort.

M. Francis Bartholomé. En tout cas, le consommateur n’est pas contraint, même s’il peut l’être plus ou moins en fonction de différents scénarios. Souvent, l’aide financière accordée est financée par nos propres structures. Il faut que l’État se donne la peine d’approcher nos métiers qui ne pourront pas toujours avancer l’argent en attendant qu’il soit restitué.

M. Stéphane Piednoir. Ces aides constituent avant tout des dispositifs d’amorçage. On voit bien qu’à 1 % des ventes, le bonus à 6 000 euros peut être supporté, mais à 26 % cela ferait 26 fois plus.

M. Rémi Cornubert. Dans le troisième scénario, les aides s’envolent jusqu’à 18 milliards de plus que dans le premier scénario, où une prime à la conversion est maintenue.

M. Stéphane Piednoir. Ce ne serait pas tenable.

M. Xavier Horent. Les constructeurs ne pourront pas non plus se substituer durablement à la puissance publique.

M. Rémi Cornubert. Il ne faut pas oublier un autre point important constaté à l’étranger : dès l’arrêt du bonus, les ventes de véhicules électriques s’effondrent, comme au Danemark, pourtant un pays qui se veut vertueux, avec une image écologique forte. Les Danois se posent la question de réinstaurer un bonus pour les véhicules électriques. La sensibilité au prix et aux aides est énorme, l’usage étant très différent. Les gens font un choix personnel, pas un choix collectif de société. Ils vont donc acheter un véhicule répondant à leur besoin.

M. Francis Bartholomé. Ce bonus incitatif pour les véhicules décarbonés s’ajoutant à un bonus environnemental, finit par représenter des sommes extrêmement importantes. On pourrait imaginer augmenter le malus des autres voitures pour financer ce bonus, mais il ne faut pas casser le jouet. Actuellement, le malus représente 5 000 ou 6 000 euros pour des véhicules prestigieux, mais si on va plus loin, des véhicules plus bas de gamme risquent d’être pénalisés. Si le malus finit par représenter 50 % du prix du véhicule, le système ne va pas durer longtemps, car la source va se tarir. Nous avons fortement alerté le ministère de l’intérieur sur ce sujet.

M. Rémi Cornubert. Les émissions d’oxydes d’azote et de particules représentent un vrai sujet de santé publique dans les villes. Ces émissions s’élèvent à peu près à 115 000 tonnes de NOx pour les véhicules particuliers. Tous les scénarios conduisent à une réduction très importante de celles-ci, de plus de 50 %. Néanmoins, 80 % de ces émissions proviennent des véhicules aux normes Euro 1 à Euro 4, qui constituent de 8 à 16 % du parc.

L’une des recommandations du CNPA concerne l’accélération du renouvellement du parc ancien, qui aura l’impact le plus visible. Il n’est pas nécessaire d’attendre. Lorsqu’on demande aux constructeurs de fabriquer des moteurs plus propres, ceux-ci ne vont sortir que dans cinq à dix ans, et les bénéfices ne seront visibles qu’après encore quelques années.

Il existe un énorme problème sociétal dont personne ne parle : l’une des conséquences de la crise du diesel est que propriétaires des véhicules les plus anciens ne peuvent plus les renouveler. Leur valeur résiduelle est passée de quelques milliers d’euros à zéro après le dieselgate et les annonces de bannissement dans certaines villes. Les gens ne peuvent plus revendre ces véhicules pour en racheter un plus récent. Donc, ils vont les garder jusqu’à leur fin de vie. En conséquence, les véhicules les plus polluants restent figés dans le parc. C’est aussi la raison pour laquelle la prime à la conversion fonctionne deux fois mieux que prévu.

M. Stéphane Piednoir. Cela dit on ne peut pas reprocher à la force publique le scandale du diesel.

M. Francis Bartholomé. De la même façon, les véhicules utilitaires et véhicules industriels ne représentent que 16 % des kilomètres parcourus, mais rejettent 40 % des émissions de NOx et de particules fines. Les véhicules plus anciens, Euro 1 à 4, ne représenteront que 10 % du parc à l’horizon 2030, mais émettront 40 % des NOx et 70 % des particules fines. Une amélioration de la qualité de l’air, notamment dans les villes, est donc réalisable.

M. Xavier Horent. Le CNPA préconise de concentrer les finances publiques aux bons endroits, pour amplifier l’effet massif qu’elles peuvent avoir sur le plan sanitaire.

M. Francis Bartholomé. N’oublions pas que les moteurs diesels de nouvelle génération à la norme Euro 6 émettent moins de NOx que n’importe quel moteur hybride. Nous risquons de négliger une technologie qui pourrait nous aider à améliorer considérablement l’état du parc.

M. Rémi Cornubert. Dans le troisième scénario, les émissions de particules du parc sont trois fois moins élevées que dans les deux autres, et à peu près 50 % moindres pour le NOx. Il faut à la fois engager une politique de parc, pour accélérer la sortie des véhicules les plus polluants, et rester réaliste pour les ventes de véhicules neufs, les objectifs étant contradictoires, puisqu’il faut à la fois lutter contre le réchauffement climatique, donc limiter les émissions de CO2, et protéger nos concitoyens des problèmes de santé publique liés aux NOx ainsi qu’aux particules. Jusqu’à présent le diesel était beaucoup plus performant que l’essence en termes d’émissions de CO2, mais moins bon sur le NOx et les particules. Aussi, faut-il un mix d’énergies en fonction des usages, en proposant plutôt une mosaïque de technologies aux clients, pour essayer d’atteindre tous ces objectifs.

Le véhicule électrique est avantageux en France, si l’on ne considère pas le cycle complet, parce que l’énergie électrique est majoritairement d’origine nucléaire et hydraulique, et n’émet donc pas de CO2. En Chine, le bilan CO2 du véhicule électrique est mauvais. En Allemagne, il en va de même. Des problèmes de pollution locale résultent aussi des centrales à charbon qui rejettent des particules.

M. Francis Bartholomé. Ce sera le même sujet demain avec l’hydrogène. S’il est produit avec la biomasse ou d’autres matières organiques, il n’y aura pas de problème. Par contre, s’il est produit avec l’électricité issue des centrales à charbon allemandes…

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Cela pose aussi la problématique des interconnexions électriques européennes, puisque la source d’énergie, dans le cycle de vie des véhicules électriques, peut aussi provenir des centrales au charbon allemandes.

M. Francis Bartholomé. Effectivement, il existe un plafond de verre pour parvenir demain au tout électrique, la batterie. C’est une chose de vouloir relancer la dynamique industrielle, ou plutôt chimique, sous prétexte que la France et l’Allemagne en auraient la capacité, par leur technologie, leurs usines, leurs centres de recherche, etc. Mais il ne faut pas trop se leurrer, en Allemagne BMW vient d’investir quatre milliards sur les technologies chinoises, de même que Mercedes. Une usine de batteries sera construite en Allemagne avec des technologies chinoises.

Il faut rester dans les réalités, même si l’on est pris par l’idée de décarboner. Celui qui détient la technologie des batteries de demain détient 40 % de la valeur des véhicules. Il ne faut pas l’oublier.

M. Xavier Horent. La fabrication des batteries rejette beaucoup plus de CO2 que celle d’un moteur thermique.

M. Rémi Cornubert. Ce n’est pas non plus la même valeur ajoutée, y compris pour notre filière. Notre vision c’est qu’il va exister un éventail de plus en plus large de solutions énergétiques auxquels devra correspondre une évolution des compétences de notre filière.

M. Stéphane Piednoir. De nouveaux métiers vont-ils apparaître ?

M. Xavier Horent. Ce seront de nouveaux métiers, avec des réparateurs capables de passer d’un véhicule thermique, à un véhicule électrique à batteries, ou à hydrogène, etc.

M. Rémi Cornubert a évoqué la valeur résiduelle des véhicules diesel des particuliers réduite à zéro. Il existe un autre effet sur la dépréciation des stocks des concessionnaires qui n’est absolument pas pris en compte à ce jour par Bercy. Nous avons alerté le ministre Bruno Le Maire et ses services. Hélas, la vision de la transition est un peu trop industrielle, alors qu’elle porte à la fois sur la société, le parc, et la filière des services, deux fois plus importante en termes d’emploi que l’industrie automobile. C’est ce que nous cherchons à montrer dans ce rapport.

Il existe également une transition d’ordre économique pour préparer les jeunes professionnels à des conditions qui peuvent être brutales, selon les scénarios qui se réaliseront.

Le dernier élément, comme le rappelait M. Francis Bartholomé tout à l’heure, c’est qu’il faut remettre le client au centre. Aujourd’hui, le consommateur est complètement perdu : que doit-il acheter, avec quelle motorisation, à quel horizon de temps, à quel coût, en propriété ou passer à une autre forme d’usage ? M. Carlos Tavares a fait récemment un parallèle avec l’alimentation bio. On peut acheter un véhicule plus cher, à condition d’en avoir les moyens.

Le diesel a fait l’objet d’une campagne excessive, qui donnera probablement lieu à un rééquilibrage pour les raisons indiquées. Mais avec les récents amendements adoptés à l’Assemblée nationale, proposant de segmenter le malus en dessous des cent grammes, le risque est grand que certains consommateurs soient complètement perdus, le système de bonus-malus représentant déjà une forme de complexité, tout comme la prime à la conversion. Les signaux envoyés au marché sont extrêmement anxiogènes. En se projetant à 2025 ou 2030, tout devient extraordinairement compliqué.

M. Rémi Cornubert. Il existe un risque de grippage du marché à court terme. Les gens ne sachant plus quel est le meilleur choix, ils reportent leur décision.

M. Xavier Horent. L’efficacité de la politique publique repose, pour une part, sur des entrepreneurs et des petites entreprises qui font des avances de trésorerie à leurs clients. Ce ne sont pas les constructeurs, mais bien les investisseurs privés et les PME que nous représentons qui font les avances de trésorerie sur le bonus et la prime à la conversion. En cumulé, ils ont avancé cent millions d’euros, et pour certains ont dû attendre cinq mois pour être remboursés par l’État. Le CNPA joue son rôle de régulateur, en tant que partenaire de la politique décidée par le Parlement et le Gouvernement. Le CNPA est en phase avec la transition à conduire. Certains adhérents font des avances de trésorerie allant jusqu’à quinze millions d’euros. Pour l’efficacité des politiques publiques il serait bon que des propositions très précises soient faites pour mettre en place un pilotage interministériel beaucoup plus resserré, et que les bons signaux soient envoyés aux entreprises, pour qu’elles soient des acteurs, non des freins de la transition. Pour freiner, il suffit de continuer ainsi, et d’attendre le deuxième trimestre de 2019 pour rembourser des avances faites jusqu’à la fin de cette année. Ce sont des sommes considérables que peu d’entreprises peuvent avancer.

Aujourd’hui, tous les groupes se concentrent, dans la distribution et la réparation. Certains groupes distribuent jusqu’à 200 000 véhicules neufs par an. Si l’État fait de ces entreprises des alliés objectifs de sa politique, il touche massivement des clients, au quotidien. À l’inverse, si les mécanismes ne sont pas bien huilés, ils peuvent gripper l’ensemble du système.

M. Stéphane Piednoir. Je vous entendais parler d’usage récurrent et d’usage exceptionnel. Je crois que c’est là le nœud du problème. Une grande majorité sera d’accord pour acheter un véhicule urbain afin de couvrir la quarantaine de kilomètres correspondant à la moyenne des déplacements quotidiens, peut-être plus en milieu rural. Les batteries électriques actuelles permettent de couvrir sans problème ce besoin. Mais la perte de liberté apparaît le jour où, après le travail, on a envie d’aller voir un spectacle à cent kilomètres, soit deux cents kilomètres aller-retour.

M. Xavier Horent. L’un des facteurs de succès du développement du véhicule électrique dans les pays qui ont réussi à passer le cap de quelques pourcents des ventes est un déploiement rapide de l’infrastructure de recharge. Les gens sont moins inquiets lorsqu’ils savent qu’ils peuvent avoir accès facilement à une borne de recharge, normale ou rapide, pour compléter l’autonomie de la batterie, même pour une demi-heure, pour ajouter quelques dizaines de kilomètres. Par exemple, des grandes surfaces commencent à déployer des bornes électriques, d’ailleurs de façon assez intelligente, avec des panneaux solaires qui fournissent l’électricité, pour permettre aux clients de recharger leur véhicule pendant leurs courses. Mais ce n’est pas encore suffisant. Un autre frein, normal à ce jour, concerne l’absence d’un marché de l’occasion du véhicule électrique.

M. Stéphane Piednoir. Le marché de l’occasion commence à se développer.

M. Xavier Horent. Mais les gens hésitent, parce qu’une prochaine génération de batteries pourrait arriver. Le choix est très différent suivant que la batterie est en location ou achetée. Dans la tête des consommateurs l’équation comporte beaucoup d’inconnues.

M. Stéphane Piednoir. L’hybride rassure les usagés, mais aujourd’hui il s’agit d’hybride à carburants fossiles, une autre option serait celle de l’hybride à l’hydrogène, qui pourrait rassurer en permettant de couvrir des distances supérieures.

M. Francis Bartholomé. C’est exactement ce que fait Renault avec certaines Kangoo. La Poste ne parvenait pas à assurer ses tournées avec les Kangoo à batteries. Ils ont ajouté une petite pile à combustible, et cela fonctionne.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce généralisable ?

M. Xavier Horent. Il reste plusieurs problèmes à régler avec l’hydrogène. En amont, la production à un prix compétitif d’hydrogène vert, ou du moins propre, impliquerait une baisse drastique du coût des électrolyseurs.

M. Francis Bartholomé. Une solution consisterait à diminuer de 50 % la contribution au service public de l’électricité. En privant l’État de ces 5,5 milliards, l’hydrogène propre pourrait être produit demain matin.

M. Xavier Horent. Un autre problème concerne le déploiement de stations à hydrogène, qui coûtent d’un à deux millions d’euros, pour les plus grandes. Ensuite, il y a le coût du véhicule à hydrogène. La pile à combustible reste très chère, car elle contient des métaux rares. De plus, il existe des incertitudes sur les coûts d’entretien, en fonction de la vitesse d’usure ou d’encrassement de la pile. Enfin, en termes de sécurité, avec l’hydrogène l’angoisse de l’explosion se substitue à l’angoisse de l’incendie pour les batteries. Tout le monde se rappelle de l’expérience au lycée, où l’hydrogène mélangé à l’oxygène produit une explosion, mais là il s’agit de grandes quantités, et à très haute pression.

M. Rémi Cornubert. La route vers l’hydrogène étant longue, nous ne l’avons pas considéré comme une technologie majeure à l’horizon 2030 pour les véhicules particuliers. Par contre, nous croyons à l’avènement de l’hydrogène pour les gros véhicules : camions, trains, ou bateaux, parce qu’en usage de flotte il est plus facile d’installer une station de recharge viable sur le plan économique.

Par ailleurs, la Toyota Mirail est vendue à 70 000 euros, presque le prix d’une Tesla S, alors que le prix moyen d’une voiture vendue en France est inférieur à 20 000 euros, avec un âge de première acquisition d’un véhicule neuf à 56 ans. Enfin, il existe une seule station dans le centre de Paris.

M. Francis Bartholomé. Elles sont onze en Ile-de-France. De fait, les véhicules électriques présentés au Salon de l’automobile sont magnifiques, mais coûtent entre 50 000 et 70 000 euros. Le parc existant ne pourra pas être remplacé par ce type de véhicules, sauf à rester dans les proportions actuelles.

Mme Huguette Tiegna. Le détail de votre étude est-il public ?

M. Francis Bartholomé. Nous allons bientôt la publier. Nous organisons une réunion pour finaliser nos travaux avec toutes les parties prenantes, y compris l’industrie. Vous pouvez vous joindre à nous le 8 novembre matin pour partager ce document, et challenger les propositions. Nous essayons de ne pas faire un rapport de plus, mais de dégager des recommandations opérationnelles.

Nous travaillons beaucoup avec les différents ministères concernés. Une réunion est prévue prochainement avec Mme Michèle Pappalardo, directrice de cabinet du ministre de la transition écologique et solidaire, et ses services. Notre difficulté résulte aussi de cet aspect interministériel, car il est compliqué et difficile de trouver le bon curseur entre les différentes parties prenantes.

M. Stéphane Piednoir. Aujourd’hui le délégué interministériel, c’est Bercy.

M. Xavier Horent. Jusqu’à présent, il n’existait aucune base statistique fiable sur le parc à partir de laquelle construire des politiques publiques. C’est ce que nous essayons de réaliser à l’occasion de cette étude. Depuis le Pacte de mobilité, nous sommes complètement dans une démarche d’intérêt général, alors que d’autres s’en démarquent.


Audition de

M. Jean-Sébastien Barrault, président et

Mme Anne-Gaëlle Simon, déléguée générale adjointe

Fédération nationale du transport de voyageur (FNTV)

 

Jeudi 15 octobre 2018 à –l’Assemblée nationale

 

M. Jean-Sébastien Barrault, président, FNTV. Notre fédération nationale, créée en 1992, représente 1 100 des 3 800 entreprises du secteur de l’autocar, un secteur employant plus de 100 000 personnes pour plus de 70 000 véhicules. La FNTV est la principale, pour ne pas dire unique, fédération du monde de l’autocar en France avec plus de 80 % du parc d’autocars qui appartient à nos membres. Elle couvre donc l’ensemble des métiers de l’autocar, d’abord les transports conventionnés avec les collectivités locales, maintenant les régions, les transports scolaires, les autocars dits « Macron » qui sont les lignes longue distance, ainsi bien sûr que tout ce qui est transport touristique ou international.

La transition énergétique est un sujet qui nous intéresse particulièrement. Notre fédération y travaille déjà depuis plusieurs années. Nous avions donc édité un guide fin 2017 sur les filières énergétiques pour les autocars. L’objectif de nos travaux à l’époque était de faire un état des lieux de la situation, d’essayer d’objectiver les différentes technologies possibles, et surtout les surcoûts de chacune de ces technologies, parce qu’on se rendait bien compte qu’aussi bien du côté des exploitants que des collectivités locales ce besoin existait. Il nous a semblé intéressant que tout le monde puisse se mettre autour de la table et essayer de faire un état des lieux de la situation. En réalité, c’est une matière qui bouge énormément. Donc, il va falloir qu’on réactualise cet état des lieux, parce que la situation n’est pas la même aujourd’hui qu’il y a un an.

Le premier point sur lequel nous voudrions attirer votre attention ce matin, c’est celui du calendrier, qui est important pour tous les exploitants et opérateurs. Il est d’autant plus important que la durée d’amortissement d’un autocar est extrêmement longue, puisqu’elle est de l’ordre d’une quinzaine d’années, parfois plus dans le transport scolaire. Cela signifie que tous les autocars qui sont achetés aujourd’hui seront exploités jusqu’en 2033. Donc, lorsque l’on parle d’une échéance 2040, il est évident que le calendrier est important, et qu’on se doit d’avoir une réflexion dès maintenant sur l’échéance de 2040. Ce que l’on souhaite, c’est qu’il y ait de la concertation autour de ce calendrier. Les professionnels souffrent très souvent d’un manque de concertation et de décisions prises, d’ailleurs pas par l’État, mais bien souvent par des collectivités locales, sur des sujets qui impactent l’activité des opérateurs, n’ont pas été concertés, et ne sont souvent tout simplement pas réalistes au regard de l’état de la filière industrielle. Donc, nous souhaitons vraiment un calendrier qui soit concerté, qui tienne compte de la disponibilité des technologies, de la maturité des nouvelles filières industrielles et d’études d’impacts scientifiques, en faisant vraiment apparaître les gains environnementaux versus les contraintes que chacune des technologies peut engendrer. On veut attirer votre attention sur l’importance du calendrier et le fait que, souvent, ces calendriers sont extrêmement mal vécus.

Le deuxième point préliminaire sur lequel nous voudrions attirer votre attention, c’est qu’on parle souvent, les médias notamment, de la fin des véhicules thermiques en 2040. Présenté de cette façon, cela nous gêne. Nous préférerions évoquer collectivement la fin des énergies fossiles en 2040. Mais les moteurs thermiques, nous en aurons toujours besoin en 2040, ou alors, si ce n’est pas le cas, il faut nous le dire rapidement, puisque notre profession investit massivement dans des usines de méthanisation, dans des véhicules biogaz, etc.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Je veux vous rassurer avant de continuer, effectivement la dénomination pose problème, comme on nous en a fait la remarque, du coup nous préférons parler de véhicules émettant des gaz à effet de serre. Sortir progressivement d’ici 2040 implique toujours une diversité de solutions, certainement pas une solution unique.

M. Jean-Sébastien Barrault. Le troisième point liminaire qui nous semble important c’est le mix énergétique, c’est-à-dire le fait qu’il n’y aura pas dans le monde de l’autocar, une seule solution.

Il ne doit pas, à mon sens, y en avoir une seule, la réponse sera multiple. Alors qu’on voit bien, dans le monde de l’automobile, se dessiner une tendance vers une filière électrique ultra-dominante, voire exclusive, dans le monde de l’autocar, pour diverses raisons, la solution ne peut pas être unique. L’État se doit d’être garant de la diversité des filières technologiques. Nous regrettons de voir apparaître certaines régions trop prescriptives sur le sujet, la vallée de l’Ave qui a imposé le gaz pour les nouveaux services autocars. C’est très bien, mais ce choix a de facto exclu certains exploitants qui se trouvaient trop loin de la station d’approvisionnement en gaz, alors même que ces derniers auraient pu répondre au marché en proposant un autocar électrique. Ils n’ont de facto pas pu répondre, parce qu’ils étaient à 50 ou 60 kilomètres de la station d’approvisionnement, et donc ne pouvaient pas être compétitifs. Pour de multiples raisons, il nous semble important, pour réussir la transition énergétique, de ne pas se limiter à une seule solution.

Réussir la transition énergétique, c’est actionner un certain nombre de leviers. Le premier levier c’est effectivement travailler avec les industriels, pour qu’on ait enfin une offre industrielle qui permette de réussir la transition dans le monde de l’autocar.

L’offre industrielle est extrêmement limitée. Seulement deux constructeurs, Scania et Iveco, proposent des autocars GNV. C’est un modèle d’autocars qui peut tout faire, ni un autocar de tourisme, ni un autocar scolaire, mais un autocar intermédiaire. L’offre en autocars au gaz est donc aujourd’hui extrêmement limitée.

En autocar électrique, on n’a, là aussi, que deux industriels qui proposent, sur le marché français, des véhicules électriques. Ces deux industriels, Yutong et BYD, sont chinois. Ils proposent également un modèle unique d’autocar. À l’heure d’aujourd’hui, l’offre industrielle est donc extrêmement limitée. On n’a pas des véhicules qui répondent à tous les besoins divers de nos activités, du tourisme aux lignes Macron, etc.

On ressent chez les industriels européens, un double malaise. Un premier malaise tourne autour du fait qu’ils ne savent pas véritablement encore quelle est la technologie qui va devenir prédominante, et si les pouvoirs publics vont finalement imposer l’une ou l’autre de ces technologies. Le deuxième malaise vient de la concurrence des constructeurs asiatiques qu’ils voient arriver sur le marché, l’autocar électrique en étant la preuve, Objectivement, ils en veulent un peu aux pouvoirs publics, et on peut les comprendre, de continuer à les faire investir en recherche et développement sur les moteurs diesel pour parvenir à un Euro 6 toujours plus performant, ce qui mobilise beaucoup d’investissements, alors même qu’ils préféreraient consacrer ces sommes aux nouvelles technologies, pour pouvoir se battre à armes égales avec les constructeurs chinois, qui n’investissent sur le marché européen qu’avec des véhicules de nouvelles technologies.

Donc, à ce jour, nous avons une offre industrielle très limitée, qui ne répond qu’à une toute petite partie des besoins de nos exploitants et entreprises, et puis des montants de R&D qui nous semblent peut-être aujourd’hui, j’entends les industriels, pas forcément utilisés comme il le faudrait pour réussir la transition énergétique, et faire en sorte qu’il y ait toujours, dans dix ou vingt ans, des industriels européens en matière d’autocars.

Le deuxième levier à actionner porte sur les aspects financiers. Ces autocars coûtent sensiblement plus cher que les autocars traditionnels, dotés d’un moteur thermique diesel. Pour un autocar électrique, il faut compter à peu près deux fois le prix d’un autocar normal. Pour donner des ordres de prix, c’est 400 000 euros l’autocar électrique, auquel il convient de rajouter le coût de la borne, à peu près 50 000 euros en tenant compte de tout le génie civil, des VRD (voirie, réseaux divers), etc. Donc, on se retrouve avec un véhicule qui coûte 450 000 euros, contre 200 000 euros pour un autocar traditionnel. Les véhicules à moteur thermique gaz coûtent moins cher, mais quand même de l’ordre de 300 000 euros d’investissement.

Ce sont donc de vrais surcoûts. Ces surcoûts m’inspirent deux réflexions. D’abord, 80 % de notre activité est aujourd’hui conventionnée avec les collectivités locales, avec les régions, depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE), tant pour les transports interurbains que pour les transports scolaires, et donc on a besoin, et on y travaille avec Régions de France, d’avoir des contrats avec nos donneurs d’ordres qui nous permettent de réussir cette transition énergétique.

On voit apparaître de plus en plus de marchés à bons de commande d’un an renouvelables trois fois. C’est un modèle qui se répand sur le territoire. De manière très simple, ce modèle de contrat ne nous permet pas de réussir la transition énergétique, et de supporter les surcoûts que j’évoquais. Le levier des surcoûts, il faut y travailler d’abord par un mode de contrat avec les régions qui nous permette de réussir la transition, parce que les opérateurs n’investiront pas et n’auront pas les moyens d’amortir les surcoûts, si les collectivités ne s’engagent que pour un an renouvelable trois fois. Donc, il nous faut des délégations de service public de longue durée. Quand je dis de longue durée, c’est une durée de sept ou huit ans, mais en tous les cas on a besoin de temps. C’est un discours que nous portons auprès des collectivités locales. Nous avons créé, avec Régions de France, un groupe de travail sur le sujet. Avec son président Hervé Morin, lors du congrès de notre fédération, qui a lieu le 14 novembre prochain, nous allons présenter les conclusions partielles de ce groupe de travail, parce que c’est quelque chose d’extrêmement important. Il faut que les collectivités, les régions, comprennent le besoin d’avoir des contrats de longue durée avec les exploitants. Sinon, clairement, on n’y arrivera pas. Les exploitants n’investiront pas si au bout d’un an, ils ne sont pas sûrs d’avoir le marché.

Le levier du surcoût doit également être surmonté avec des aides de l’État, notamment avec la problématique du suramortissement. Il existe aujourd’hui pour les autocars, un dispositif de suramortissement fiscal, mais qui n’est valable que jusqu’au jusqu’en 2019, et que pour les véhicules au gaz. Mme Élisabeth Borne, ministre des transports, nous avait promis que ce suramortissement serait à la fois étendu dans la durée, jusqu’à 2021 au moins, et à tous les types d’autocars propres, y compris les véhicules électriques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On ne savait pas, lorsqu’elle nous l’a annoncé, si ces dispositions seraient dans la loi d’orientation des mobilités ou dans le projet de loi de finances. Aujourd’hui, elles ne sont dans aucun des deux textes. On sera assez vigilants dans tous les cas. Nous avons été auditionnés ici même la semaine dernière par un autre parlementaire sur le projet de loi de finances. Nous lui avons remis des projets d’amendements qu’on peut, si vous le souhaitez, vous faire parvenir. Ces surcoûts, on n’arrivera à les surmonter que si l’on a une contractualisation moderne, mais il faudra à mon avis que l’État puisse aussi nous aider, en étant peut-être un peu plus prescriptif, et puis on a besoin d’une aide de l’État, notamment avec la problématique des suramortissements.

Le troisième levier pour réussir notre transition énergétique, c’est celui des stations d’avitaillement. J’imagine que d’autres fédérations professionnelles ont pu l’évoquer. C’est une banalité de le dire, mais si on n’a pas de réseau et d’endroit pour s’approvisionner, c’est compliqué d’investir. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule, parce que c’est difficile d’investir dans une station sans les véhicules, et c’est difficile d’acheter des véhicules s’il n’y a pas de station. On peut se réjouir que les objectifs fixés par le cadre national soient aujourd’hui atteints, ou sur le point de l’être, en avance sur le calendrier initial.

Il n’empêche que le nombre de points d’avitaillement reste très nettement insuffisant. Il faut vraiment que les collectivités locales soient associées et le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) nous semble être un bon moyen d’associer les collectivités locales à cette réflexion d’aménagement du territoire pour qu’on ait, enfin en France, un véritable réseau d’avitaillement qui émerge. C’est compliqué, parce que les véhicules légers allant vers un mode électrique, il faut envisager des stations uniquement pour les véhicules lourds. Cela complique évidemment le déploiement, mais c’est absolument indispensable. Les ordres de prix d’une station gaz sont d’environ 500 000 euros pour une trentaine de véhicules, et avec ce nombre on trouve un équilibre économique. Ce sont des chiffres approximatifs, parce que le surcoût peut varier suivant les contraintes locales, mais c’est un ordre de grandeur.

Un quatrième levier pour réussir la transition énergétique est la nécessité de former nos personnels. Ce sont de nouveaux métiers, de nouvelles formations qui doivent être mises en place. C’est un enjeu important pour les fédérations professionnelles comme la nôtre de penser l’évolution des métiers. On n’entretient pas un véhicule électrique comme on entretient un véhicule thermique. Les règles sont très différentes. Des habilitations doivent être données. Il faut que nos conducteurs soient formés à la manière dont on recharge un véhicule électrique, les équipes de maintenance, etc. De plus, on a des fortes interrogations en matière de sécurité sur ces véhicules électriques, en cas d’accident. C’est compliqué pour les forces de l’ordre d’intervenir, il y a des risques supplémentaires, des risques d’explosion de batterie, d’ailleurs assez spectaculaires.

On demande à ce que tout le personnel, en amont comme en aval, soit bien sensibilisé et formé, parce que la sécurité est évidemment la préoccupation numéro une pour les professionnels.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez évoqué la difficulté de circonscrire l’utilisation du gaz au poids lourds. C’est vrai que dans l’opinion publique on entend beaucoup parler du fait que les véhicules légers seront électriques, mais il ne faut pas négliger la question des distances. L’autonomie n’est pas suffisante aujourd’hui pour aller dans d’autres pays. Logiquement, une partie de la flotte légère passera aussi au gaz, en complément des poids lourds. Sans cette possibilité, ça va être un peu compliqué, sauf à trouver des batteries beaucoup plus performantes et moins chères, ou qui se rechargent plus vite.

M. Jean-Sébastien Barrault. Vous avez très certainement raison. Je crois qu’il ne faut pas oublier que l’avenir du moteur électrique, c’est vrai dans l’automobile comme pour l’autocar, c’est la pile à combustible et l’hydrogène. La batterie, finalement, ne sera qu’une technologie transitoire, dont je suis incapable de dire la durée. Je peux évidemment me tromper, mais je pense que si l’avenir de l’automobile est électrique, il ne sera pas forcément à batterie à un horizon de 15 ans.

Une réglementation nationale issue de la loi sur la transition énergétique, qui a déjà trois ans, fixe un calendrier que l’on rappelle dans notre guide. Je ne l’ai pas évoqué, parce que ce calendrier semble presque dépassé, eu égard aux attentes actuelles de l’opinion publique. Dans ce calendrier, on nous oblige à acheter, à partir de 2024 des moteurs thermiques diesel Euro 6. Son grand mérite est d’être compatible avec la maturité de la filière technologique. En effet, avant de fixer un autre calendrier, il faut être vigilant sur l’offre en matière d’autocars. Malheureusement, dans l’état actuel des choses, tout autre calendrier ne serait pas réaliste, parce qu’on n’a pas les produits sur le marché. Donc, ce calendrier a le mérite d’être réaliste, au regard de ce que les industriels nous proposent aujourd’hui. Et au niveau européen, des discussions sont en cours entre les États dans le cadre d’un nouveau paquet mobilité qui fixerait un pourcentage de véhicules faibles émissions pour les flottes de bus et de cars, d’ailleurs différencié pour chacun des pays de l’Union européenne. À l’inverse, ce texte européen nous semble extrêmement ambitieux, voire trop ambitieux, puisqu’on parle d’un pourcentage, pour la France en l’état des derniers textes que j’ai eu l’occasion de voir, de l’ordre de 49 % de véhicules à faibles émissions en 2024. Cela peut évidemment évoluer. Il y a aujourd’hui une attente de l’opinion publique et des pouvoirs publics d’être particulièrement ambitieux en matière de transition énergétique. Mais c’est très préoccupant, parce que la filière technologique n’est pas prête.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Je vous ai entendu sur les différentes solutions, d’ailleurs indiquées dans votre rapport. On n’a pas parlé beaucoup d’hydrogène. Dans votre document, vous évoquez le GTL ou gas-to-liquid, qui permet aussi d’abaisser fortement le niveau des émissions et de pollution, sans modification des véhicules. Je pense que c’est important aussi, on voit bien qu’avec le taux de renouvellement il ne faut pas avoir à changer tous les deux ans des véhicules à 200 000 ou 300 000 euros. Mais il y a des incertitudes sur l’approvisionnement. Est-ce que cette technologie est mature ou est-ce une solution transitoire que vous envisagez ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Concernant le GTL, permettez-moi de dire qu’outre le fait d’être président de fédération professionnelle, je suis par ailleurs chef d’entreprise. L’une de mes entreprises roule au GTL, donc c’est une technologie que je connais bien. Vous avez raison, c’est évidemment une technologie transitoire, qui n’est commercialisée aujourd’hui que par un seul pétrolier. C’est un choix qui est fait par Shell, avec des filières d’approvisionnement un petit peu compliquées, parce que le GTL produit dans la péninsule arabique est importé par les Pays-Bas. On est donc obligés de s’approvisionner aux Pays-Bas, avec des surcoûts d’approvisionnement réels, donc une filière très limitée. Le nombre de réseaux qui proposent du GTL est encore très limité au niveau national. On ne pourrait pas envisager de développer aujourd’hui massivement cette technologie. Par contre, cela marche très bien sur des véhicules récents ou plus anciens, sans consommation plus importante par rapport au gasoil. J’ai déjà le retour d’expérience permettant de vous dire que c’est un produit qui marche bien. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de voir des flacons de GTL, qui ressemble à de l’eau, sans odeur ni couleur. On pourrait presque le boire, même si ce n’est pas recommandé. C’est assez impressionnant. C’est l’une des technologies transitoires qui pourrait être mise en place.

Le point qu’a réussi Shell, c’est de veiller à ce que le GTL puisse bénéficier de la même fiscalité et du même remboursement de TICPE que le gasoil. Cela a été validé. C’est suite à cette décision que Shell a commencé à vendre du GTL au niveau national. Ce n’est certainement pas une technologie de long terme, mais c’est sans aucun doute une technologie transitoire qui réduit les émissions.

Mme Huguette Tiegna. Il n’y a réellement qu’un seul pays de provenance ?

M. Jean-Sébastien Barrault. À ma connaissance, un seul pays.

M. Stéphane Piednoir. Toujours sur les différentes technologies, un aspect m’intéresse : l’approvisionnement en bioGNV et la construction de la filière bioGNV, avec la méthanisation notamment. Que pouvez-vous dire sur les deux versions du GNV, sous forme comprimée ou liquide, les avantages et inconvénients de l’une et de l’autre ? Quel avenir voyez-vous pour ces filières ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Pour le gaz liquéfié, il n’existe tout simplement pas d’offre, donc pas de retour d’expérience. Ce que l’on voit, c’est que c’est quand même le GNC, sous la forme comprimée, qui commence à se développer. Sur les avantages et inconvénients, le gaz liquéfié permet évidemment une densité de stockage supérieure. Je crois que c’est aussi une technologie beaucoup plus dangereuse à utiliser, notamment pour tous ceux qui font les pleins des véhicules. Encore une fois, j’en parle alors qu’il n’y a pas de véhicules sur le marché et pas d’offre en matière d’autocars en France. J’aurais un peu de mal à faire une comparaison en matière économique, car c’est un peu compliqué de parler d’un produit qui n’existe pas.

M. Stéphane Piednoir. Sur l’hydrogène, j’ai entendu tout à l’heure que vous aviez qualifié la batterie de technologie transitoire.

M. Jean-Sébastien Barrault. Je redis que je n’ai aucune certitude sur le sujet.

M. Stéphane Piednoir. Vous l’avez dit, quand même. Comment voyez‑vous l’avenir avec la pile à combustible et l’hydrogène ? Dans votre propos introductif vous avez dit que vous couvrez les courtes distances, comme les transports scolaires, et les distances beaucoup plus long, comme le tourisme. C’est finalement la même problématique que pour les particuliers. Est-ce que la technologie hydrogène est la solution à tout, ou bien le couple des deux technologies, batterie et hydrogène ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Ce que nous disent tous les industriels, c’est que la solution hydrogène pile à combustible, est, à terme, la solution pour faire rouler des moteurs électriques sur des distances compatibles avec nos besoins. Aujourd’hui, c’est une filière industrielle qui est maîtrisée. Des véhicules roulent à l’hydrogène à l’étranger, notamment dans le cadre des programmes d’expérimentation menée avec l’aide de l’Union européenne qui les a subventionnés massivement. Des réseaux roulent à l’hydrogène notamment en Allemagne. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui les industriels savent produire, qu’on commence déjà à avoir un petit retour d’expérience. Le véritable problème, c’est le coût de ces matériels extrêmement élevé, entre 700 000 et 1 000 000 d’euros, contre 200 000 euros pour un véhicule thermique. Ces coûts sont très importants. On n’a clairement pas de filière d’approvisionnement. Maintenant, l’un de nos adhérents situé en Île-de-France, grâce à des subventions européennes et en partenariat avec un constructeur, va, dans les dix-huit mois, importer cinq autobus à hydrogène en partenariat avec Air Liquide pour l’approvisionnement. Il a la chance d’avoir un approvisionnement facile, parce que son dépôt dans les Yvelines est situé à côté d’Air Liquide. Mais aujourd’hui, on sent bien que quand on arrivera à maîtriser les coûts et la filière, cette technologie permettra de développer le moteur électrique sur le territoire. C’est peut-être à ce moment-là que la filière pour les véhicules légers rencontrera celle des véhicules lourds.

M. Stéphane Piednoir. Il resterait à voir si ce schéma est compatible avec l’horizon 2040, qui est notre sujet. Vous dites que l’amortissement d’un véhicule se fait sur quinze ans. En 2025 on aura les véhicules de 2040. On a donc cinq ou sept ans pour savoir si cette nouvelle technologie sera mature.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce que vous avez déjà une idée du taux de panne auquel les usagers risquent d’être confrontés avec les cars au gaz ou électriques, par rapport aux cars traditionnels ? Cet aspect maintenance ne risque-t-il pas de constituer un handicap ?

M. Jean-Sébastien Barrault. À ma connaissance, il n’y a pas davantage de pannes sur un véhicule électrique ou au gaz. Le taux de panne est relativement équivalent. Ce que l’on constate quand même, c’est que sur les autocars électriques, le retour utilisateur est particulièrement positif, tant celui des passagers que du conducteur. C’est une conduite silencieuse, avec beaucoup de puissance. Elle est donc beaucoup plus agréable. Ce retour revient assez systématiquement. Effectivement, on ne peut pas entretenir un véhicule électrique comme on entretient un véhicule thermique, il y a des risques nouveaux qui nécessitent des habilitations supplémentaires pour les mécaniciens. Certains mécaniciens, j’en ai moi-même dans mes entreprises, sont un peu réticents à passer ces habilitations et à toucher la haute tension dans ces véhicules. D’abord, bien souvent, les batteries sont sur le toit, même si sur d’autres modèles, elles sont dans les soutes. Quand il faut grimper là-haut et toucher à des voltages significatifs, il y a de l’appréhension. C’est une profonde remise en cause des méthodes de travail. On ne parle plus de vidange, c’est vraiment totalement différent.

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est presque plus le même métier.

M. Jean-Sébastien Barrault. Exactement, cela implique des formations, et tout le monde n’est pas forcément prêt à passer à un nouveau métier. Il faudra aussi du temps, pour se doter des équipes à même de le faire.

Mme Huguette Tiegna. Qu’en est-il de l’impact du numérique ? La collecte des données va prendre une importance croissante avec ces nouvelles générations d’équipements. Est-ce que vos adhérents sont disposés à transmettre leurs données, ou bien est-ce que cela suppose une organisation spécifique ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Vous touchez du doigt un vrai problème. On n’en est qu’aux balbutiements. Les données et le numérique sont en train de bouleverser notre métier, notre profession, d’abord sous l’angle du voyageur, mais ce n’est pas du tout l’objet de l’audition de ce matin. Effectivement, l’expérience du voyage va être totalement différente pour le voyageur, dans la manière de le préparer, la manière de l’appréhender, etc. Sur le point que vous évoquez, les véhicules collectent un nombre extrêmement impressionnant de données. On ne s’est pas véritablement interrogé aujourd’hui sur le propriétaire de ces données collectées. Ou plutôt, les constructeurs ont considéré, en pratique, que ces données leur appartenaient. Vous savez certainement qu’ils les récupèrent en temps réel. C’est assez impressionnant. J’ai eu l’occasion de visiter le centre Iveco en Italie, où toutes les données des véhicules Iveco mis en circulation depuis deux ans, autocars comme camions circulant sur le réseau européen, sont centralisées. Ainsi, le constructeur connaît tout des véhicules, leur localisation mais aussi toutes leurs pannes, tous les défauts, toutes les consommations, toutes les charges de batteries, tous les modes de conduite du conducteur, enfin, il connaît tout sur le véhicule.

Pour avoir accès à ces données dans le cadre de votre mission, c’est très clairement aux constructeurs qu’il faut s’adresser. Aujourd’hui, malheureusement, les opérateurs n’ont pas, ou peu accès à ces données collectées en temps réel. Cela pose d’autres questions sur lesquelles, en tant qu’exploitants, nous commençons vraiment à nous interroger, parce que nous aimerions bien, nous aussi, pouvoir récupérer les données concernant nos véhicules. Là aussi, le débat n’en est qu’aux balbutiements, mais je pense que cela nécessitera, peut-être à terme, que le législateur se penche sur ce sujet. J’imagine que le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), que vous avez rencontré, vous en a aussi parlé, parce que pour l’entretien des véhicules, il est évident qu’avoir accès à ces données est une chose très importante. Donc, il devrait y avoir un vrai débat sur la propriété de ces données. Sachez qu’aujourd’hui ces données existent, au-delà de ce que j’avais pu imaginer avant de le voir. C’est vraiment bluffant.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez dit tout à l’heure que vous rassemblez 80 % du parc mais quel pourcentage des exploitants ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Nous représentons un petit peu plus de 1 100 entreprises sur 3 800.

M. Stéphane Piednoir. Cela veut dire que les 2 000 et quelques non adhérents n’y trouvent pas d’intérêt ? Vous avez une force de persuasion, vous présentez des arguments bien rodés, vous publiez des rapports. Pourquoi ces entreprises ne s’engagent-elles pas derrière vous ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Beaucoup d’entreprises, parmi celles que vous avez évoquées, sont immatriculées au registre du commerce avec l’activité de transport, mais en réalité ne l’exploitent tout simplement, pas faute de véhicule. En activité réelle, notre fédération est vraiment reconnue dans le monde de l’autocar, avec les trois majors du secteur. En France, nous avons la chance d’avoir trois majors avec évidemment la RATP, Keolis filiale du groupe SNCF, et Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, donc trois acteurs majeurs qui sont évidemment adhérents de notre fédération. De plus, nous avons une multitude d’ETI et de PME à travers la France qui se font beaucoup de soucis sur cette transition énergétique, numérique, etc. Ceux qui n’appartiennent pas à notre fédération sont bien souvent des artisans, ou des entreprises qui n’ont plus d’activité réelle ou plus d’autocars.

Mme Huguette Tiegna. Avez-vous quelque chose à ajouter ou des questions à poser ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Le message que nous souhaiterions faire passer, en sortant un peu du cadre, c’est qu’il faut faire très attention, parce que le transport routier de voyageurs est aujourd’hui extrêmement fragile, économiquement parlant, avec des marges très faibles, voire ultra-déficitaire s’agissant des services librement organisés, familièrement appelés « cars Macron ». Aujourd’hui, toute taxe nouvelle serait très préjudiciable à la profession. C’est pour cela que nous sommes vent debout contre ce projet de vignette pour les poids lourds, dont on nous dit qu’il sera peut-être repoussé. Il porterait un coup fatal à certaines entreprises, déjà affectées par d’autres mesures.

Elles ont déjà été touchées par l’augmentation du gasoil, qui n’est pas liée aux taxes, puisque nous avons eu la chance de pouvoir récupérer les augmentations de TICPE décidées par le Gouvernement, mais tout simplement parce que le prix du baril augmente. Cela pèse déjà extrêmement lourd.

Par ailleurs, les entreprises sont affectées par d’autres mesures fiscales, comme la conversion du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de cotisations sociales. Cette modification conduit à le fiscaliser, et à perdre ainsi mécaniquement 33 %. Comme nous en avons informé les ministères concernés, notre inquiétude découle de l’existence, dans beaucoup de contrats passés avec les collectivités, d’une formule d’indexation incluant un taux de charge. Dès lors que le CICE devient une baisse de charge, les entreprises vont automatiquement devoir le restituer aux donneurs d’ordres, donc en perdre le bénéfice. Or, le CICE permet aux entreprises de maintenir la tête hors de l’eau. Si elles le perdent, beaucoup vont se retrouver en difficulté. Nous avons alerté le Gouvernement, Matignon et l’Élysée à ce sujet, car nous sommes vraiment très préoccupés.

Mme Huguette Tiegna. Qu’est-ce qui vous a été répondu concrètement sur la vignette, puisqu’il y a plusieurs catégories de poids lourds, pour le transport de marchandises et de personnes ?

M. Jean-Sébastien Barrault. Pendant très longtemps, depuis les Assises de la mobilité, le Gouvernement et Madame la ministre expliquaient qu’il faudrait de l’argent pour financer les infrastructures. Mais, à côté de cela, elle avait un discours très rassurant en ce qui concerne le monde de l’autocar, en indiquant que, compte tenu des contraintes technologiques et autres, il ne serait a priori pas concerné par ces nouveaux financements. Puis, le discours a changé à la fin du mois de juillet, lorsque nous l’avons à nouveau rencontrée. Elle nous a dit que, pour un certain nombre de raisons juridiques, elle était obligée d’inclure les autocars dans les projets de vignette pour les poids lourds, s’agissant d’une redevance applicable à tout véhicule excédant un certain tonnage. Nous nous sommes trouvés entraînés dans cette mécanique. C’est à partir de ce moment-là que nous avons commencé à réagir vigoureusement sur le fait qu’il était dangereux que l’autocar, déjà très fragile, soit concerné par la vignette. Aujourd’hui nous en sommes là. Je peux vous dire que nous avons rencontré toutes les personnes possibles à Matignon et à l’Élysée. Nous avons vraiment alerté tout le monde.


Audition de

MM. Marc Mortureux, directeur général,
et Jean-Luc Brossard, directeur R&D

Plateforme automobile (PFA)

 

Mardi 16 octobre 2018 à l’Assemblée nationale

 

M. Marc Mortureux, directeur général, Plateforme automobile (PFA). Je trouve positif d’avoir cette réflexion sur l’objectif annoncé pour 2040. Beaucoup de travaux ont été menés, au sein du Gouvernement, au niveau de la filière automobile, etc. Beaucoup d’informations circulent. Il est effectivement intéressant de voir concrètement l’état de la situation, et comment avancer dans cette direction.

La Plateforme automobile a été créée assez récemment, afin d’être en capacité de représenter l’ensemble de la filière. Il existe des imbrications extrêmement fortes entre les constructeurs et les équipementiers, qui apportent une part de valeur ajoutée de plus en plus importante, notamment sur ces sujets environnementaux, toutes les PME et ETI de la filière, 4 000 entreprises industrielles, 400 000 emplois, sachant qu’il y a aussi environ 400 000 emplois sur la partie aval des services de l’automobile. Ce sont donc au total un peu plus de 800 000 emplois tout compris. Très clairement, la plateforme, est là pour les faire travailler ensemble, sur un certain nombre de sujets clés. Évidemment les aspects de transition énergétique et écologique sont au cœur des travaux que nous menons depuis pas mal de temps. Ce qui est assez intéressant, c’est que du coup on a quand même maintenant l’accumulation d’un certain nombre d’études qui sont révisées régulièrement. Justement, nous allons vous restituer ce qu’on est à même de dire aujourd’hui à ce sujet.

Nous sommes à une époque, vous l’avez vu lors du Mondial, assez extraordinaire pour l’automobile, un peu dans tous les sens du terme. Elle est à la fois extraordinaire en termes d’opportunités, mais présente aussi d’importants défis. Il n’est pas exagéré de dire que l’industrie automobile n’a pas connu de transformation de cette ampleur depuis un peu plus d’un siècle. On a donc intérêt à réussir cette transformation qui résulte d’une triple perturbation : technologique, avec en particulier l’agenda environnemental, digitale ou numérique, avec le véhicule connecté et le véhicule autonome, et sociétale, avec un nouveau rapport à la voiture, même si on a vu au Mondial qu’il existe malgré tout une relation forte et passionnée d’un nombre non négligeable de personnes vis-à-vis de la voiture, comme symbole d’autonomie, de liberté, etc.

Nous sommes vraiment dans notre rôle en essayant de voir comment accompagner cette transformation, avec des enjeux à la fois technologiques, humains, industriels, etc. L’un des actes importants que nous avons réalisés en ce début d’année 2018 a consisté en l’élaboration d’un Contrat stratégique de filière, à la demande des pouvoirs publics. Objectivement, ce travail s’est avéré assez opportun, dans une période où toutes ces transformations demandent énormément d’efforts d’investissement de la filière automobile. Mais on voit bien que la filière, l’État, les collectivités, ne peuvent les réussir seuls, et qu’on a besoin de créer des écosystèmes. Le but du Contrat stratégique de filières était vraiment de fixer des engagements réciproques, pour réussir ensemble sur un certain nombre d’objectifs concrets. Ce sera un peu le fil rouge de notre contribution.

Nous avons une trajectoire assez précise et concrète à court terme, d’ici à 2022, globalement l’échéance du quinquennat. Nous avons essayé d’être vraiment très concrets. Moi qui précédemment étais côté ministère de l’environnement, quand je suis arrivé j’ai trouvé des relations assez difficiles entre pouvoirs publics et filière automobile, avec le dieselgate et toutes ses conséquences.

Sur l’objectif 2040, on peut discuter pendant très longtemps, pour savoir s’il est ou pas réaliste. Mais, en tout état de cause, pour s’approcher de cet objectif, il faut déjà réussir à décoller, puisqu’on est quand même aujourd’hui encore au tout début. Du coup, dans le Contrat stratégique de filière, nous avons souhaité focaliser les débats avec les différents ministères, notamment celui de la transition écologique et solidaire qui a été extrêmement actif et présent, sur la façon de réussir les quatre ou cinq années à venir. Ce n’est quand même pas évident. Nous avons des objectifs de multiplication par cinq des ventes de véhicules 100 % électriques d’ici à 2022. Cela peut paraître limité par rapport à l’objectif 2040, mais objectivement, dans la situation actuelle, nous serions plutôt contents si nous y parvenions. Concrètement, cela implique en 2022 un parc de 600 000 véhicules électriques, sachant qu’aujourd’hui nous en sommes à 120 000 environ. La multiplication par cinq est valable tout autant pour les ventes annuelles que pour le parc, et les bornes de recharge. Nous prévoyons aussi 400 000 hybrides rechargeables, parce que nous sommes convaincus qu’en fonction des différents types d’usage, véhicules 100 % électriques et hybrides sont complémentaires. Il ne faut pas les opposer. Ce n’est pas parce qu’on va essayer de favoriser également la vente d’hybrides rechargeables que, pour autant, les ventes de véhicules 100 % électriques vont diminuer.

Il est extrêmement important, si l’on veut réussir, de bien parler des usages et des besoins du consommateur. L’un des grands sujets qu’on a tendance à oublier dans tous les chiffres échangés, c’est quand même le consommateur, et l’importance des différents usages.

Notre premier horizon est donc 2022. Nous avons à ce jour une trajectoire assez claire pour les constructeurs, qui ont leur plan de route d’ici à 2021 ou 2022. La vraie préoccupation va être de vendre les véhicules sur lesquels ils ont investi. C’est vraiment, pour nous, le gros enjeu. Les intérêts des constructeurs sont sur ces points extrêmement convergents avec ceux des pouvoirs publics, au niveau national ou local. Pour moi, quand on écoute les uns et les autres, ce n’est pas gagné.

Il existe quand même toujours des difficultés sur les bornes de recharge. Actuellement, nous ne sommes pas trop mal placés, avec 22 000 bornes accessibles au public. Il y en a 5 000 de moins à cause d’Autolib, pour nous, c’est un coup dur. Nous avons le sentiment qu’on ne prend pas la trajectoire de forte accélération absolument nécessaire pour qu’en 2020, les gens n’aient plus trop de réserves à ce sujet. Bon nombre d’opérateurs ont investi à perte depuis pas mal d’années. Ce n’est pas rentable, puisque les ventes n’ont pas encore décollé. Certains opérateurs sont de ce fait fragilisés. On a quand même des problèmes de maintenance des bornes de recharge.

On a un vrai sujet de préoccupations, qui n’est pas votre sujet directement. Mais on peut parler d’objectif 2040, à condition de réussir déjà cette première étape, sachant qu’une fois que c’est parti, c’est toujours compliqué de savoir si ça ira plus vite ou moins vite qu’espéré. Plusieurs constructeurs ont investi sur le véhicule électrique à différentes époques, il y a 10 ou 15 ans, et cela n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, le contexte est différent. Les technologies actuelles permettent effectivement, pour certains types d’usage, d’avoir une offre parfaitement pertinente, mais il reste énormément de travail à faire pour réussir.

M. Jean-Luc Brossard, directeur R&D, PFA. Pour information sur les bornes de recharge, une étude est menée, sous l’égide de la DGE et de l’ADEME, par un cabinet qui s’appelle Coda-Stratégie, qui fait l’état des lieux de la situation en France, des problématiques en itinérance, des problématiques de fonctionnement, de paiement, et d’interface d’interopérabilité avec l’Europe. C’est donc une très bonne vision en cours d’élaboration. C’est vrai qu’il y a un travail commun à faire qui est nécessaire si on veut accompagner le développement de l’électromobilité.

M. Marc Mortureux. Retenez que côté filière automobile nous n’avons strictement aucun état d’âme à réussir cette transition à cette échéance 2022. Honnêtement, si nous n’y parvenons pas, ce sera catastrophique, parce que nous n’atteindrons pas les objectifs fixés par la réglementation européenne pour 2021, avec des pénalités considérables à la clé. De toute façon, les constructeurs seront motivés à réussir à vendre. Par ailleurs, nous serons très loin des trajectoires de l’Accord de Paris si nous ne parvenons pas à réussir ce décollage.

Notre deuxième horizon, c’est 2030, voire 2035. C’est l’échéance des négociations au niveau européen. On est en phase finale de négociations sur les objectifs de baisse des émissions de CO2 pour 2030, avec en tout état de cause, quel que soit le résultat final, une trajectoire extrêmement rude, pour les constructeurs en Europe, puisque la Commission européenne propose une baisse de 30 % des émissions de CO2 pour les véhicules neufs entre 2021 et 2030, et les constructeurs au niveau européen disent qu’au-delà de moins 20 % ce sera très difficile. La France, un certain nombre de pays, et le Parlement européen, suggèrent moins 40 %. On a un compromis à ce stade à moins 35 % pour 2030. En tout état de cause, c’est une transition à marche forcée. C’est une réalité et une donnée, que les constructeurs et la filière automobile devront bien évidemment intégrer, puisqu’on sait que la filière automobile est extrêmement guidée par les cadres réglementaires qui lui sont imposés.

Entre aujourd’hui et 2021, le défi est assez considérable, puisqu’il faut passer globalement, en moyenne, de 115 grammes de CO2/km à 95 en 2 ans. De toute façon, puisque c’est à partir de 2020 qu’on va compter les voitures commercialisées, cela va être violent. Cela implique que les constructeurs vont devoir « sacrifier » certains véhicules qui permettaient de faire de belles marges, mais qui sont trop pénalisants en termes d’émissions de CO2, et fortement réduire leurs marges sur des véhicules neufs qui vont sortir, électriques, hybrides rechargeables, et toute la palette des véhicules hybrides non rechargeables, qui vont de toute façon se développer. 2021 représente déjà un sérieux défi, et sera suivie par une baisse de 30 % à 40 % entre 2021 et 2030.

Notre grande préoccupation c’est qu’on parle de moyenne au niveau de l’Europe, alors que l’on sait que beaucoup de pays ne sont pas du tout équipés, et ne sont pas en train de s’équiper. Il sera donc très difficile d’y vendre des véhicules électriques et hybrides. Cela signifie que pour tenir les moins 30 % à moins 40 % en moyenne en Europe, il faudra faire beaucoup plus en France, en Allemagne, et dans les pays d’Europe du Nord. C’est donc vraiment violent, et cela aura des impacts importants sur le plan de l’outil industriel et de l’emploi, car il faut effectivement moins d’unités d’œuvre pour fabriquer un moteur électrique qu’un moteur thermique. Mais il faudra que l’industrie s’adapte.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. L’objectif 2030 n’est-il pas à ce stade une déclaration d’intention ? Comment cela sera-t-il contrôlé s’agissant d’une moyenne à l’échelle de l’Europe ?

M. Marc Mortureux. Ce n’est plus du tout une déclaration d’intention. Cela va être contrôlé de façon extrêmement précise, véhicule par véhicule. Nous sommes dans un contexte extrêmement contraignant, déjà à l’échéance 2021. Tout véhicule commercialisé est homologué. Ses performances sont donc connues et on peut calculer la moyenne des émissions en fonction du nombre d’unités vendues.

J’ai été directeur du Laboratoire national d’essais. Tous types d’homologation obligent à normaliser pour mesurer. L’intérêt, c’est que les résultats sont reproductibles, répétables et objectifs, ce qui permet de les comparer d’un véhicule à l’autre, Par contre, des débats sont toujours possibles sur la représentativité par rapport à l’usage courant. Il n’existe pas de bonne solution, puisque de toute façon cela dépend tellement du mode de conduite, du type de parcours, de la température, etc. que c’est un nuage de points. Il est vrai qu’on est arrivé à des écarts, mais qui étaient objectivement, en dehors des cas de fraudes, connus mais injustifiables auprès du grand public. Maintenant nous avons des normes très resserrées, beaucoup plus contraignantes. Mais il y aura toujours un débat possible entre la valeur d’homologation et la réalité de l’usage. L’écart s’est très fortement réduit.

M. Jean-Luc Brossard. Le reste de l’écart ne pourra être éliminé, car on ne peut représenter l’usage réel. Une voiture à moins 45 ou plus 45 degrés, à moins 30 en altitude ou au bord de la mer, n’a pas du tout le même comportement. À lui seul, le mode de conduite a un impact supérieur à 20 ou 30 %. Au final, les dispersions sont telles que le point de fonctionnement mesuré n’est qu’un point de fonctionnement, reproductible par tous. Mais pour différents conducteurs la variation pourra être de plus ou moins 10 %.

M. Marc Mortureux. À la limite, ce n’est pas très grave, dès lors que l’écart n’est pas d’un facteur cinq, ce qui n’aurait plus aucun sens. Ce qui compte, c’est l’effort imposé en restant sur la même méthodologie de mesure, la plus représentative possible. A contrario, si des dispositifs s’adaptent très spécifiquement au contexte de l’homologation, on sort complètement de l’esprit même de la démarche.

Mais pour 2030, les objectifs sont très contraignants. Tous les constructeurs ont vraiment peur de l’objectif 2021. C’est très difficile parce que les pénalités sont telles qu’il est inenvisageable de les payer pour des constructeurs qui, comme PSA et Renault, ne vendent pas des modèles premium, avec des marges considérables. Ils ont énormément investi pour préparer le futur. Une chose compliquée dans les débats, c’est que les pouvoirs publics attendent des constructeurs à la fois de développer énormément l’électromobilité, électrique et hybride rechargeable, et encore beaucoup d’efforts pour faire progresser les moteurs purement thermiques. Mais les moteurs thermiques étant déjà très optimisés, tout progrès potentiel implique énormément d’investissement, alors que dans le contexte actuel on explique que de toute façon le diesel est mort, qu’il n’y en aura plus, etc. Il est donc difficile pour des constructeurs d’investir encore massivement dans ce domaine.

M. Jean-Luc Brossard. Pour améliorer la consommation et les émissions, par exemple en facilitant les départs à froid, une solution consiste à associer moteurs électrique et thermique, donc d’hybrider, même légèrement. L’hybridation des moteurs va se généraliser à l’avenir. Le point de fonctionnement visé n’est pas forcément celui d’un moteur purement thermique. De plus en plus, les motorisations thermiques seront associées à une motorisation électrique, peut‑être de plus petite dimension pour être accessibles, parce qu’il est important que la mobilité de demain reste accessible à tous. Le vrai problème de l’électromobilité, c’est le coût de la batterie, correspondant pratiquement à 40 % du prix de revient de la voiture. Avoir des hybridations permettant d’atteindre des points de fonctionnement et aussi d’avoir des véhicules accessibles, cela fait sens.

M. Marc Mortureux. L’un des apports que nous pouvons mettre sur la table, c’est que nous travaillons avec le BIP, un cabinet réputé sur la place, conjointement avec les équipementiers, les constructeurs, et les énergéticiens, pour mettre en commun des moyens, afin de réaliser des études qui visent à évaluer l’évolution du mix énergétique des véhicules à l’horizon 2030 et 2035, sachant que le travail est effectué à partir d’un état des lieux dans 35 pays différents. C’est intéressant, parce que ça permet d’avoir une vision au niveau mondial, européen, et national, avec un certain nombre d’hypothèses. Cette étude est basée sur quatre scénarios : Stagnation, Green constrains, Liberal world, et Green growth. Ils sont fondés sur des hypothèses un peu différentes, l’évolution du parc étant extrêmement dépendante des cadres réglementaires. On a donc retenu, mais encore une fois c’est une base de référence à partir de laquelle on peut discuter, le scénario Green constrains, basé sur une politique très volontariste d’évolution du mix énergétique par des contraintes réglementaires, comme en Europe aujourd’hui, sachant qu’on peut rentrer dans le détail de chacune des hypothèses, puisqu’il y a toujours plein d’incertitudes sur chacun des aspects. Mais cette démarche a l’avantage de définir des scénarios auxquels on peut se référer, pour pouvoir ensuite discuter de ce qui peut conduire à aller plus vite ou moins vite dans les tendances observées.

M. Jean-Luc Brossard. Nous avons mis au point, depuis une quinzaine d’années, un modèle mathématiques, permettant de corréler, par une approche TCO, ou coût à l’usage, les intentions d’achat, et d’en déduire les mix groupes motopropulseurs (en anglais, power trains) futurs, puis les émissions de CO2. Nous avons considéré qu’au sein de l’ensemble de l’écosystème, chacun n’avait pas besoin de faire sa propre étude, personne n’étant propriétaire de la prospective. Nous avons plutôt intérêt à avoir une vision commune des évolutions. C’est pour cette raison que nous avons fait intervenir des énergéticiens, des pétroliers, des constructeurs, et des équipementiers, chacun amenant la meilleure connaissance des données macro-macroéconomiques dans son secteur, sans les partager avec d’autres.

C’est un système de boîte noire (en anglais, black box) respectant une confidentialité. Par exemple, si Total fournit sa vision de l’évolution dans les 30‑35 prochaines années de la recherche pétrolière, du prix du baril, etc. il ne partage pas forcément ces informations avec Renault et PSA. Par contre, sous-accord de confidentialité, ces éléments sont connus de l’équipe chargée de la modélisation. À partir de ces macro-données, celle-ci est capable de définir des hypothèses et des scénarios. Il y a autant de scénarios que d’hypothèses. Ce qui est important, c’est de définir la meilleure tendance actuelle, sachant que l’approche est à la fois de coût à l’usage et comportementale, avec 35-36 observatoires dans le monde qui analysent les comportements d’achat. À partir de ce mix, on est capable de définir les probabilités prospectives d’évolution du marché.

On identifie quand même certaines difficultés : une pression environnementale forte et une croissance économique faible, avec une croissance économique de moins de 2 % dans les 15 prochaines années en Europe et aux États-Unis, et l’arrêt des croissances à deux chiffres dans les pays asiatiques et émergents, même si l’Afrique et l’Inde peuvent continuer à croître. Par exemple, la Chine vend moins de voitures en 2018 qu’en 2017. C’est la première fois qu’on voit la Chine en déclin. On peut donc avoir, suite aux tensions économiques avec les États-Unis, des difficultés en Chine. C’est à partir de ces éléments qu’on détermine le meilleur scénario.

Nos constructeurs et nos équipementiers étant globaux, nous avons besoin d’avoir une vision monde, parce que les tendances sont les mêmes partout. Par exemple, quand on parle de qualité de l’air ou de gaz à effet de serre, c’est valable aux quatre coins de la planète, donc la tendance va être générale, les voitures et les investissements vont être des investissements globaux. Ainsi, quand on conçoit une plateforme multi-énergie ou dédiée à l’électrique, elle sera diffusée en France, en Chine, au Brésil, aux États-Unis, etc. En Europe on considère que les clients achètent encore une prestation de mobilité au coût le plus faible, en coût d’usage. L’individu prend en compte le prix factuel, le prix d’achat, et les dépenses à l’usage. Au niveau des flottes d’entreprise, le petit artisan a la même analyse que le particulier, par contre les grandes entreprises considèrent le coût à l’usage global et la rentabilité. En entrant toutes ces données, naturellement le marché donne, année par année, les chiffres pour les points de passage évoqués en 2021, 2030 et 2035.

M. Marc Mortureux. Sur le monde entier, en 2035, on serait à 12 % de véhicules 100 % électriques et 9 % d’hybrides rechargeables, donc 21 % de véhicules électrifiés, 35 % en Europe et 54 % en France. On voit à quel point on est dans un contexte de grand écart entre monde, Europe et France, même si dans le monde la Chine, par exemple, investit très lourdement sur le véhicule électrique. Mais il faut quand même reconnaître qu’ils investissent très fortement sur le véhicule électrique dans les grandes villes, où il y a d’énormes problèmes de pollution de l’air, tout en continuant a représenter un marché extrêmement dynamique pour les véhicules thermiques sur l’ensemble du pays. D’ailleurs, si l’on prend l’ensemble du monde, on continue à avoir une progression des émissions de CO2 liée aux véhicules, parce que le marché continue à fortement se développer.

M. Jean-Luc Brossard. En Europe, d’après nos modèles, en 2030 on arrive à 29 % de véhicules électriques, zéro émission en ville, avec 20 % de véhicules à batterie et 9 % de véhicules hybrides rechargeables. La France est beaucoup mieux placée. Il y a beaucoup plus de pression, si bien que le comportement d’achat des Français anticipe le comportement européen de cinq années à peu près, avec dès 2030, 30 % de voitures électriques, et 18 % d’hybrides rechargeables. Ce dernier constitue une solution transitoire permettant la polyvalence, le véhicule électrique ne permettant pas de couvrir tous les usages, en particulier les longs rayons d’action. De plus, on a des problèmes d’itinérance et d’angoisse face à l’autonomie ou au temps d’attente à la charge. Tout cela fait qu’il y a une période transitoire d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années avec beaucoup plus d’hybridation pour s’approprier la mobilité électrique.

M. Marc Mortureux. Vers 2030, globalement, il n’y a plus de véhicules purement thermiques, l’hybridation étant quasi systématique, à hauteur de 88 %. On voit apparaître une proportion de véhicules alimentés au gaz plus significative que ce qu’on estimait précédemment dans nos scénarios.

M. Jean-Luc Brossard. Les scénarios intègrent les contraintes réglementaires, en particulier les annonces de restriction d’accès aux villes. À partir du moment où une ville, par exemple Paris, Berlin, ou Sao Paulo, annonce qu’à partir de telle date il n’y aura plus de voitures diesel autorisées à rentrer et à partir de telle autre date plus de voiture à essence, les seuls véhicules encore autorisés seront électriques ou au gaz. Une partie des gens qui avaient une voiture thermique va également basculer vers des solutions alternatives, probablement plus propre. Ainsi, quand on parle de gaz, il peut s’agir de biogaz qui peut être très intéressant en termes de dégagement de CO2 avec un impact environnemental global, en analyse cycle de vie favorable. C’est pour cela que dans certains pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, et plus généralement en Europe, on voit se développer le gaz pour la proximité urbaine et périurbaine, moins pour le transport lourd de plusieurs dizaines de tonne sur plus de 1 000 kilomètres, pour lequel la meilleure solution reste les carburants liquides en termes d’émissions CO2. Cette tendance en fonction de l’usage est multi-énergies. Il n’y a pas une solution unique, mais en fonction de l’usage une solution optimum pour améliorer l’empreinte environnementale.

M. Marc Mortureux. On a évoqué l’échéance 2030, avec le cadre réglementaire, et une évolution très rapide en France. Le vrai sujet va être de réussir à vendre. Le contexte d’augmentation des carburants et de la fiscalité associée est plutôt favorable à l’achat de véhicules électriques. Le problème, c’est que l’offre va devenir de plus en plus chère. Il va être nécessaire d’apporter des solutions à des gens qui n’ont pas forcément les moyens de payer.

M. Jean-Luc Brossard. Pour l’écosystème, nous parlions tout à l’heure de l’engagement sur les infrastructures publiques, pour passer de 22 000 bornes de recharges, à 100 000 à l’horizon 2022. Si les volumes sont ceux annoncés par nos modèles, le besoin en bornes publiques sera supérieur à 500 000 d’ici la fin de la décennie, donc il ne faudrait pas multiplier par cinq, mais par vingt-cinq.

M. Marc Mortureux. Au-delà de 2030 ou 2035, nous ne savons pas, à ce stade, si l’objectif 2040 est réalisable. Mais je défie qui que ce soit de complètement en décider. Il faut faire attention à la solution unique qui serait la solution miracle. La vision tout électrique, pose aujourd’hui trop de questions pour être viable, y compris sur un plan strictement écologique. Globalement, l’électrique n’a de sens au plan environnemental que si l’on garantit aussi, au travers des politiques énergétiques, la disponibilité d’électricité décarbonée en quantité suffisante sur l’ensemble de l’Europe, ce qui est quand même loin d’être assuré. Aujourd’hui, on n’a pas le choix, la transition va être douloureuse. C’est un fait, elle est nécessaire. Mais il faut qu’elle soit cohérente et permette effectivement d’aller vers de fortes réductions des émissions de gaz à effet de serre, ce qui pour nous reste une question, parce qu’on voit bien à quel point les politiques sont segmentées. Pour le moment, on ne voit pas tout à fait cette tendance.

Clairement, nous espérons qu’à partir de 2030 de nouvelles technologies vont se développer, qu’on ne connaît pas forcément ou qui ne sont pas viables aujourd’hui, et pourront peut-être le devenir, comme l’hydrogène. À ce stade, on ne voit pas d’ici à 2030 une contribution significative de l’hydrogène, en tout cas pour les véhicules particuliers l’équation économique est très loin d’être résolue aujourd’hui. Si, d’ici à 2030, un énorme travail de développement d’une infrastructure d’électrolyseurs est réalisé, cela permettrait technologiquement d’éviter d’être trop dépendants des batteries. Après, on a l’énorme défi d’une industrie européenne des batteries, ou pas. Il est évident que nous l’appelons de nos vœux, mais il n’est pas certain qu’on y arrive.

M. Jean-Luc Brossard. Hier, au sein de la Commission européenne on essayait d’évaluer ce problème, et il apparaît qu’aujourd’hui, 70 % de la chaîne de valeur de la batterie n’est pas maîtrisée par nos industries. On a déjà le problème du maintien de l’approvisionnement en matériaux. Le cobalt est passé de 57 000 à 97 000 dollars la tonne, en 6 mois le prix a doublé. Il y a une problématique sur la matière, la façon dont elle est extraite, malheureusement les conditions d’extractions ne sont pas bonnes. Il faut donc regarder, et avoir une responsabilité sociale et environnementale. Aujourd’hui, on essaye de réguler le coût de la matière, la réalisation des packs de batteries, l’approvisionnement des usines terminales et la maîtrise du contrôle commande et de la puissance. L’industrie de la cellule en Europe ou en France est un vrai problème sur lequel il faut réfléchir sérieusement pour avoir une certaine indépendance.

Au niveau des solutions alternatives, on ne peut pas parler mobilité sans parler énergie, Il faut commencer par décarboner l’énergie, et une fois qu’elle est décarbonée, savoir comment la transférer et la rendre économiquement viable, et ensuite l’appliquer là où elle est la mieux adaptée. Nous parlions de l’hydrogène, qui pourrait aujourd’hui représenter une piste pour le naval et le ferroviaire.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Nous avons eu l’occasion de voir ce qui se fait sur le terrain lors du Mondial de l’automobile. C’était important pour nous de voir les technologies qui existent aujourd’hui, parce que nos concitoyens, quand on évoque cette mission sur l’arrêt des véhicules émettant des gaz à effet de serre, nous disent sur les marchés, qu’il n’y a pas grand-chose actuellement en termes d’offre. C’était mon premier salon automobile, et j’ai vraiment apprécié et appris beaucoup de choses. Je vous remercie d’être venus évoquer les différentes initiatives en cours. On a parlé de l’objectif d’une multiplication par cinq d’ici à 2022 des véhicules 100 % électriques. Nous savons aujourd’hui que les contraintes technologiques existent et que l’évolution des technologies ne suit pas la même logique que l’impatience de nos concitoyens. L’évolution des technologies est aussi confrontée à la situation en Europe et dans les autres pays du monde. Est-ce que vous pensez que cette multiplication par cinq va se réaliser, ou qu’elle sera limitée par les pays voisins ?

M. Marc Mortureux. C’est clair que pour nous, nous jouons un peu notre avenir, quand même, sur la réussite de cet objectif. Nous n’avons aucune hésitation, nous ferons tout pour l’atteindre. Encore une fois, c’est nécessaire, de toute façon, vue la trajectoire dans laquelle nous nous trouvons. Je ne vous cache pas que nous sommes un peu inquiets sur le fait d’y arriver, parce que nous voyons bien qu’il reste beaucoup d’interrogations. Déjà, il y a la question du prix. Certes, la concurrence va arriver. En 2020, tous les constructeurs vont présenter des véhicules électriques et hybrides. L’effet de la concurrence va faire baisser les prix, c’est évident. Encore une fois, les constructeurs, y sont obligés. Nous ne sommes pas dans une logique où il s’agit d’avoir quelques véhicules électriques, pour faire bien dans le paysage, sans chercher à les vendre. Ceci dit, on sait très bien que s’il n’y a pas des incitations fortes pour démarrer le marché, ça ne marche pas. On l’a vu dans les pays d’Europe du Nord, où l’arrêt de politiques très incitatives a conduit à un écroulement. Donc on a un vrai sujet très concret, à débattre avec le gouvernement, sur la trajectoire du bonus-malus. Le bonus de 6 000 euros pour les véhicules 100 % électriques va probablement être maintenu en 2019, mais la vraie question porte sur les années critiques : 2020 et 2021, où l’offre existera et devra être vendue. C’est un vrai sujet, parce que si on multiplie par trois le nombre de véhicules électriques vendus et qu’on garde le bonus à 6 000 euros, on multiplie par trois la dépense, mais si à l’inverse, on passe de 6 000 euros à 4 000 ou 3 000 euros, l’année où il faut convaincre les consommateurs d’acheter des véhicules électriques, ce sera difficile en termes de message, même si les constructeurs font des efforts.

M. Jean-Luc Brossard. Ce qui est important, c’est que 40 % du prix de revient d’un véhicule provient de la batterie. Le prix résulte essentiellement de celui de la matière. On sait qu’on arrivera peut-être à 100 dollars par kWh à l’horizon 2030, mais qu’on n’ira pas beaucoup plus bas.

M. Stéphane Piednoir. Quel est le prix actuel ?

M. Jean-Luc Brossard. Il est de l’ordre de 150 à 200 dollars. C’est un prix moyen, Tesla a vendu des batteries à l’Australie à 80 dollars au kWh, par contre, il perd 20 000 dollars par voiture. C’est un modèle économique qui ne tient pas, d’ailleurs Elon Musk va quitter la présidence de Tesla. Néanmoins, en prix de revient on a une asymptote. Pour lever le risque de l’autonomie et du temps de recharge les chercheurs travaillent énormément sur les batteries et augmentent leur capacité énergétique. Celle-ci est passée de 20 kWh embarqués à 40 kWh sur la Zoé et sur le salon à 95 kWh pour une Audi e-tron. 95 multipliés par 100 dollars, cela fait 9 500 dollars, en multipliant par deux, parce que ce sont les coûts de distribution dans les différents pays, cela fait de 10 000 à 20 000 euros de surcoût. Une aide publique compense cet écart de prix, mais le client n’est pas prêt à payer 6 000 euros pour la même prestation.

M. Marc Mortureux. C’est un premier sujet qui va être très compliqué dans l’examen des projets de loi de finance, d’ailleurs, dans le Contrat stratégique de filière, est inscrit un engagement réciproque de visibilité sur le bonus-malus pendant la période, qui ne s’est pas concrétisé. J’en comprends la raison, d’autant que le sujet touche à l’équilibre budgétaire et aux prélèvements obligatoires. Le malus augmente significativement ce qui maintient l’équilibre du bonus-malus, mais l’équation à partir de 2020 va évidemment être assez compliquée.

L’autre point, déjà évoqué, concerne les bornes de recharge. Leur nombre sera-t-il suffisant et seront-elles assez bien entretenues ? Des millions de personnes n’ont aucun moyen de recharger chez elles. Il faut donc trouver des solutions. Dans les copropriétés, des dispositions de la future loi d’orientation des mobilités devraient un peu simplifier le parcours du combattant. Ce ne sera pas un miracle, le droit de la propriété limitant les possibilités d’intervention dans ce domaine. Mais il faut aussi régler la question de l’avantage en nature pour le chargement chez l’employeur. Ce sont des choses toutes simples, mais qui freinent le développement de solutions susceptibles de rassurer sur la possibilité de basculer vers le véhicule électrique.

Pour répondre à votre question, nous n’avons pas le choix, et ferons tout ce qu’il faut pour y parvenir. Je trouve que, comme souvent, nous sommes pris dans un champ de complexité assez considérable. Une grande priorité a été affichée au moment de signer le Contrat de filière, et deux mois après on est sur d’autres sujets. Notre inquiétude est de réussir à garder une cohérence, pour avoir un écosystème permettant de réussir. Technologiquement et en termes d’offres, la montée en puissance est prévue.

M. Jean-Luc Brossard. Si l’écosystème se met en place, les chiffres annoncés à l’horizon 2021-2023 sont forcément atteignables, comme le démontrent les exemples de la Norvège, de la Californie ou du Japon. Il n’y a pas de difficulté à arriver à des taux d’électrification dans le parc de 5 à 8 %, par contre il faut accompagner, en levant les freins à l’usage évoqués. Il est important de le faire à court terme pour permettre le décollage.

M. Marc Mortureux. Ce qu’on aimerait, c’est que des collectivités réfléchissent à des avantages d’usage, qui donneront vraiment envie aux gens de basculer vers le véhicule électrique, ce qu’on n’a pas beaucoup aujourd’hui. Toutes les annonces d’interdiction du diesel dans les centres-villes se traduisent par l’achat de véhicules essence. Ce n’est pas ce qui est souhaitable pour les années à venir, même si c’est inévitable à court terme, l’offre n’étant pas encore très développée.

M. Stéphane Piednoir. À quels avantages d’usage pensez-vous ?

M. Marc Mortureux. Des voies réservées éventuellement aux véhicules à zéro émission, par exemple, les parkings existent en partie dans certains lieux. Il est clair qu’à court terme, ce qui se passe à Paris est un coup dur. Certains propriétaires de Zoé témoignent de leurs difficultés, faute d’alternative. J’espère que cela va se rétablir assez vite. Il est vrai que ça ne tombe pas très bien dans cette trajectoire.

Mme Huguette Tiegna. Étant donné qu’en 2022, on va multiplier par cinq les ventes de véhicules électriques, quelles sont les perspectives à l’export ?

M. Marc Mortureux. Renault a annoncé un véhicule électrique initialement destiné au marché indien ou chinois, à relativement bas coûts, conforme aux normes en vigueur dans ces pays. Ce véhicule ne pourra pas être commercialisé en Europe, mais il n’est pas impossible qu’il soit, comme cela a été le cas pour d’autres véhicules, adapté par la suite, sous la marque Dacia par exemple.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce qu’il n’y a pas un risque que les voitures, ou au moins les batteries, soient toutes importées en Europe.

M. Jean-Luc Brossard. Les batteries se transportent difficilement. Elles sont lourdes, une seule batterie pesant entre 150 et 300 kilogrammes. Leur transport pose aussi des problèmes de sécurité, les batteries lithium-ion étant instables, rappelez-vous de celle du Samsung Note 7. De ce fait, la fabrication des batteries et des voitures électriques, se fera à proximité du marché.

M. Marc Mortureux. On peut quand même avoir des véhicules électriques qui sont fabriqués sur une plateforme à un endroit sans la batterie et transporter le véhicule.

M. Jean-Luc Brossard. Économiquement, c’est difficilement gérable. Les voitures électriques qui seront vendues en Europe seront fabriquées en Europe.

M. Marc Mortureux. Cela dépend de ce que vous qualifiez d’exportation. Effectivement, elles ne seront pas exportées en Chine à partir de l’Europe. Par contre, des voitures fabriquées en France peuvent partir en Allemagne. Ces plateformes sont à l’échelle d’une plaque géographique.

M. Stéphane Piednoir. Sur les technologies de batteries actuelles, on sait qu’on est très dépendants, y compris pour l’approvisionnement en cobalt. Est-ce que les développements sur les batteries de nouvelle génération, par exemple tout solide, vous semblent importants ? Avons-nous une carte à jouer sur ces nouvelles batteries ?

M. Jean-Luc Brossard. Sur le Lithium-Ion liquide nous avons une décennie de retard. Voici dix ans, j’avais visité des usines coréennes et des laboratoires. Ils investissaient très fortement dans le domaine. Une société qui a développé cette technologie, qui possède des usines en Asie et en construit d’identiques en Europe réalise un investissement bien moindre. Or, la compétitivité est très importante sur ce marché de l’électromobilité, compte tenu du problème de coût. Donc sur le Lithium-Ion liquide, mis à part l’indépendance énergétique et l’indépendance vis-à-vis des matériaux, nous sommes quand même en retard.

Par ailleurs, on voit très bien qu’il faudrait, pour certains usages, pouvoir augmenter la densité énergétique des batteries et aussi la capacité de charge rapide. C’est donc l’opportunité d’aller chercher les 1 000 kWh par litre avec des batteries tout solide (en anglais solid state). Cela constitue une opportunité, au niveau français et européen. Nous avons toutes les compétences en recherche avec le CEA, le CNRS, etc., en chimie, avec Arkéma et d’autres, en métallurgie, avec par exemple Eramet, et en assemblage, avec nos constructeurs pour certaines applications. Il est clair que nous avons tous les éléments pour nous positionner sur cette batterie de quatrième génération. Si nous voulons reprendre un leadership, il faut regarder le coup d’après.

Par contre, aujourd’hui, tout n’est pas validé dans ces chiffres. En laboratoire, on dit qu’on est capable de multiplier la densité énergétique par deux, et de parvenir à des capacités de recharge de deux à trois fois supérieures à celles d’aujourd’hui. Mais cela demande encore des validations, des implantations pilote, puis industrielles, un certain nombre de choses, On voit très rapidement arriver les premières applications pour des véhicules de niche en 2023-2025, puis à plus grande échelle à partir de 2025. Mais dans notre roadmap le lithium-Ion liquide resterait pendant les dix à quinze prochaines années prédominant, parce que l’infrastructure est déjà en place.

En Europe, le besoin de batteries sera de 150 GWh, ce qui est considérable. SAFT produit à ce jour moins d’un gigawattheure. Répondre à un besoin de 150 GWh implique de construire un certain nombre de Gigafactory, avec l’opportunité de se positionner sur la quatrième génération plutôt « B », c’est-à-dire celle qui permettra des capacités de charge et une densité énergétique importantes. C’est réellement pour nous l’opportunité de reprendre un leadership en Europe ainsi qu’une indépendance énergétique vis-à-vis de l’Asie.

M. Marc Mortureux. Que nous ayons une longueur d’avance, je n’en suis pas si sûr, parce que les Coréens ont quand même une expérience, de par la génération actuelle.

M. Jean-Luc Brossard. La réalité, c’est qu’en France nous avons toujours été très bons pour les développements, mais moins pour l’industrialisation. Une société comme Saft est leader sur les hautes technologies, dans les satellites, les sous-marins nucléaires, etc. Ce n’est pas la technologie qui manque, mais la capacité à la rendre accessible à tous. Nous ne sommes pas très bons aujourd’hui, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’y mettre, après tout nous sommes très bons pour les voitures à bas coût.

Mme Huguette Tiegna. Concernant la fabrication des batteries s’il faut les fabriquer à proximité, cela pose le problème de la formation et de la main-d’œuvre qualifiée. Par ailleurs, cela signifie-t-il que le marché des véhicules électriques ne sera pas organisé comme l’actuel, où les véhicules pouvaient être produits, transportés et immédiatement prêts à l’usage. Cela implique-t-il nécessairement de construire des usines à proximité de chacun des marchés potentiels, ou au moins de passer des accords avec les fabricants de batteries locaux ?

M. Jean-Luc Brossard. Ce qui est rentable au niveau commercial, c’est quand même de fabriquer à proximité de son marché. Pour les moteurs thermiques, PSA a été obligé, en raison de la baisse des ventes de diesel, d’importer des moteurs essence de Chine, mais cela coûte très cher. Même avec des moteurs thermiques, il vaut mieux produire à proximité du marché.

M. Marc Mortureux. À proximité, ce n’est pas nécessairement dans le pays, mais dans la région.

M. Jean-Luc Brossard. La chaîne d’approvisionnement se situe dans une proximité de transports compétitive.

Mme Huguette Tiegna. Mais on sait aussi que les industriels de l’automobile délocalisent la production au Maroc ou en Roumanie, et dans ce cas ça veut dire produire aussi la batterie à proximité. Par ailleurs, est-ce que les véhicules chinois pourront entrer sur le marché français ?

M. Jean-Luc Brossard. C’est difficile de faire des généralités, mais on a un exemple très clair avec Buick qui voulait entrer sur le marché chinois avec un véhicule électrique équipé d’une batterie A123. Il en a arrêté la production parce que les normes appliquées dans la fabrication chinoise ne correspondaient pas aux standards de qualité du marché américain. Il peut y avoir des écarts avec les normes des pays émergents qui ont avant tout le souci d’accès à la mobilité, avant d’avoir le souci d’accès à la mobilité propre.

Mme Huguette Tiegna. Quel est le pays aujourd’hui qui a un bon cahier des charges pour le véhicule propre, est-ce la France, la Chine ou les États-Unis ?

M. Jean-Luc Brossard. Si l’on part d’une analyse de cycle de vie, il faut une logique complète de réalisation des approvisionnements en matières, des pièces de montage, d’usage et de recyclage des véhicules. Dans le cas d’une voiture électrique, la production de la batterie et son recyclage sont très énergivores. Le recyclage utilise actuellement la pyro-métallurgie pour séparer les métaux, avec souvent un four électrique. La première question est donc de faire de l’électricité propre, en termes de gaz à effet de serre. La France est plutôt bien placée, avec 78 % d’énergie nucléaire et 18-19 % de renouvelables.

Après, les véhicules fabriqués au Maroc, à des coûts faibles compte tenu du prix de la main-d’œuvre, vont approvisionner plutôt des marchés émergents, non revenir en Europe. Mais le Maroc a une opportunité énorme, avec les énergies renouvelables, des cellules photovoltaïques sous le soleil ou des éoliennes Offshore sur sa côte Atlantique, pour la fabrication de batteries. Ces pays ne sont pas défavorisés, ensuite c’est une question de choix d’investissement et de stratégie politique.

Mais la France est aussi plutôt bien placée, et la voiture électrique aujourd’hui se veut être complexe, même si le moteur électrique est plus simple que le thermique. Il faut gérer des problèmes de sécurité et de vérification des cellules, et de contrôle de commande. Le constructeur va en garder la maîtrise d’œuvre. Nous avons donc tout intérêt à garder, dans la phase d’amorçage du marché, une base forte de production des véhicules électriques en France. Par exemple, pour une société comme PSA, sa plateforme des voitures de petite dimension, qui s’appelle CMP (Common Modular platform) sera la même à Oran et à Poissy. Ils produisent les deux et approvisionnent avec les mêmes technologies.

Aujourd’hui, les technologies de batteries sont toutes asiatiques. Mais la société chinoise CATL s’installe en Allemagne pour y fabriquer des batteries, de même pour LG en Pologne, Les productions de batteries asiatiques, chinoises ou coréennes, sont donc reproduites en Europe.

Mme Huguette Tiegna. L’Allemagne est-elle sur la même longueur d’onde que nous en matière d’investissements sur les véhicules électriques ?

M. Jean-Luc Brossard. Globalement, la dynamique est similaire en termes de montée en puissance des bornes de recharge et des propositions de voitures électriques. L’Allemagne et la France sont les deux leaders. Ils ont un intérêt commun, c’est que de toute façon, ils représentent 80 % des ressources de R&D dans l’automobile en Europe et 50 % des fabrications.

Ce sont ces deux pays qui vont tirer le reste de l’Europe. La problématique, comme dit précédemment, c’est que l’Allemagne et la France ont à peu près cinq ans d’avance par rapport à l’Europe. On le voit dans tous les domaines. Le parc français a à peu près neuf ans d’âge, le parc polonais a de 12 à 14 ans. Le renouvellement du parc français est beaucoup plus rapide. Les gens sont plus ouverts à la technologie. Dans les pays de l’Europe de l’Est, c’est plutôt un transfert du marché d’occasion qui s’effectue, si bien qu’il y a un retard par rapport à la France et à l’Allemagne.

M. Marc Mortureux. L’Allemagne a peut-être démarré un peu plus tard parce que Renault s’est positionné très fortement sur l’électrique depuis vraiment longtemps, mais ils mettent le paquet, et sont en train de nous rattraper.

M. Jean-Luc Brossard. Les territoires allemands ont été sensibles à l’électrique et ont rattrapé l’écosystème. Les constructeurs proposent des voitures, mais ils ont un autre problème, parce que leur industrie est essentiellement premiuM. À partir du moment où elle est électrifiée, elle devient inaccessible en termes de prix. Ils vont devoir s’orienter vers une mobilité plus accessible. Quand les patrons allemands annoncent la perte de 10 000 emplois par an avec les nouvelles normes européennes, c’est plus sensible qu’en France, parce que nos constructeurs sont sur des marchés plus généralistes.

Mme Huguette Tiegna. Concernant les déploiements d’infrastructures par les collectivités locales, on sait que cela représente un coût assez conséquent. Les constructeurs ont-ils prévu, en plus de l’équipement des garages, de contribuer aux déploiements dans l’espace public ?

M. Jean-Luc Brossard. Le problème de fond c’est que le développement de l’électromobilité tel qu’il est orienté va se traduire par des pertes de marges, parce que les clients ne sont pas capables de compenser le surcoût de cette nouvelle mobilité directement. Les constructeurs vont donc gagner beaucoup moins d’argent. De plus, le marché automobile a toujours été cyclique et cela fait cinq ans qu’il est en croissance.

M. Marc Mortureux. Néanmoins, on ne peut pas exclure qu’ils y contribuent. Toutefois, si les conditions du marché ne sont plus du tout suffisamment rentables pour eux, ils risquent de le délaisser progressivement. Par contre, ils vont tout faire pour être cohérents avec leur offre, mais il est certain qu’ils ne pourront apporter l’essentiel du financement des bornes de recharge.

M. Jean-Luc Brossard. Tout dépend de la puissance, s’il s’agit d’installer une borne de 3 kilowatts, la contribution relève d’un effort commercial, mais pour une borne de 22 ou 50 kilowatts, c’est beaucoup plus cher. Or, c’est vers ces puissances qu’il faudra s’orienter, parce que les gens vont vouloir recharger vite.

Mme Huguette Tiegna. Je pose la question parce que je viens du Lot où nous avons beaucoup d’espace, et une faible densité de population. Il y a peu d’habitat collectif. Pour aller dans un garage de marque, il faut parfois rouler longtemps. Si un client va dans un garage, il doit avoir un moyen de recharger son véhicule électrique, même si c’est payant.

M. Jean-Luc Brossard. Ils le feront parce que les volumes manipulés par les concessionnaires nécessiteront d’avoir la capacité de recharger. L’avantage de l’électrique en milieu rural, c’est la capacité de faire sa recharge à domicile. Il faut aller loin pour trouver un concessionnaire mais assez souvent aussi faire 30 ou 40 kilomètres pour aller chercher de l’essence. Avec cette possibilité de recharge à domicile, on branche la voiture en rentrant à la maison et le lendemain elle a récupéré 90 % de sa charge. C’est une bonne solution pour la ruralité aussi.

M. Marc Mortureux. Pour information, nous avons signé un accord avec Enedis à l’occasion du Mondial de l’automobile pour essayer d’accélérer l’installation de bornes de recharge. En particulier, Enedis va définir quelques règles pour associer des bornes aux lampadaires, ce qui permet d’installer des bornes sans un gros travail pour l’arrivée de l’alimentation électrique.

M. Jean-Luc Brossard. L’électricité est un modèle de gestion énergétique qui marche bien pour des déploiements horizontaux. Il est plus facile d’avoir un point de rechange en maison individuelle, qu’en plein Paris dans une tour de trente étages, la voiture électrique n’ayant pas le droit d’aller au-delà du premier sous-sol. La facilité est quand même plus dans le déploiement horizontal que vertical. Si on partait d’une page blanche, on ne ferait pas de condensation, comme dans nos villes aujourd’hui.

Mme Huguette Tiegna. Un échec des véhicules électriques, peut-il se rattraper et quelles sont les alternatives ?

M. Jean-Luc Brossard. L’objectif n’est pas de faire des véhicules électriques mais de diminuer l’empreinte environnementale de façon à respecter l’accord de la COP21 qui vise à limiter la contribution des transports. Le véhicule électrique a un autre intérêt certain, l’amélioration de la qualité de l’air en ville. Il est donc incontournable en ville, en veillant à d’autres conditions, comme l’alimentation en électricité décarbonée. Pour les autres types d’usage il existe de nombreuses solutions, sur lesquelles nous travaillons. Ce sont des solutions avec une empreinte environnementale globale parmi les plus faibles : biogaz, hydrogène, carburants synthétiques, etc., des solutions technologiques alternatives qui auront comme objectif de diminuer l’empreinte carbone de la mobilité, Si le rythme de développement du véhicule électrique est moins important, il sera de toute façon compensé par une amélioration des carburants alternatifs.

M. Marc Mortureux. Ce serait un plan B pour voir comment les choses s’ajustent au fil du temps. Pour 2040, c’est quand même bien compliqué, objectivement, de décider. La façon dont l’objectif est formulé correspond-il réellement à la vision de Nicolas Hulot, qui le présente comme un horizon ? Il n’est pas sûr que, même sur un plan strictement écologique, pour certains usages pour lesquels le moteur thermique a énormément d’avantage, cela vaille la peine de vouloir le supprimer à tout prix. Quand on voit ce que représentent les batteries pour des poids lourds, ça peut apparaître irréaliste. Il faut voir comment les choses vont évoluer, mais en tout état de cause, nous insistons beaucoup sur la neutralité technologique, c’est-à-dire le fait de garder cette ouverture. C’est vrai qu’il y a toujours une tentation d’essayer de désigner la solution unique, mais la réalité est différente. Avec quand même la difficulté, les constructeurs le disent, même Carlos Gone à la tête de l’alliance Renault-Nissan, qui investit 50 milliards de d’euros, a dit qu’ils ne pourront pas investir sur tout. Ils sont obligés de faire des choix malgré tout, mais ils les font au moment où ils estiment avoir les éléments pour faire les meilleures possibles. À ce stade, on n’en est pas encore à définir précisément quel sera le mix énergétique des véhicules commercialisés en 2040.

M. Jean-Luc Brossard. Il ne faut pas rejeter la combustion. Des sources d’énergie, il y en a beaucoup. Un aluminium qui brûle produit plus d’énergie que l’essence ou le gasoil, sans carbone, en générant de l’oxyde d’aluminium recyclable. De toute façon, les ressources primaires des énergies fossiles vont finir par s’épuiser, lorsque j’ai commencé dans l’automobile voici 35 ans, on me disait qu’il y avait pour 70 ans de pétrole. Mais il y aura des solutions alternatives. Elles sont au stade de la recherche fondamentale pour l’instant, mais on n’est pas à l’abri de ruptures technologiques qui rendraient rapidement, dans les 10 ou 15 ans, la batterie obsolète, comme le diesel l’est devenu, alors qu’il y a 20 ans c’était la solution miracle.

Mme Huguette Tiegna. La solution c’est peut-être l’Hyperloop.

M. Marc Mortureux. En termes d’infrastructures, il faudrait que l’État soit prêt à investir.

M. Jean-Luc Brossard. L’Hyperloop certains y croient. Il rappelle un peu la solution Bertin sur monorail, avec un pilote à Orléans. Mais ce sont des solutions permettant d’aller à très grande vitesse d’un point A à un point B, en quelque sorte le TGV demain. Après il faut gérer les derniers 50 kilomètres.

Le problème des usages de mobilité c’est le rayon d’action. Avec une solution de mobilité longue distance collective efficace et économiquement viable, on n’aurait plus besoin de la mobilité longue distance individuelle. Certaines personnes auraient encore besoin de parcourir en voiture 600, 1 000 ou 2 000 kilomètres dans la semaine, mais on leur trouverait une solution, peut-être l’hydrogène. L’idéal est quand même d’avoir la possibilité d’aller très vite d’un point A à un point B et d’avoir ensuite une solution de mobilité électrique la plus simple possible pour les derniers kilomètres.

Cela demanderait une architecture différente de nos villes. On le voit dans Paris, si on devait penser flux on ne ferait pas les gares là où elles sont, mais les gares de Lyon, d’Austerlitz, et du Nord, sont au même endroit, depuis deux cents ans, tout comme les stations de métro depuis cent ans. Mais si on devait repartir d’une feuille blanche, on ne les ferait peut-être pas là.


Audition de Monsieur Laurent Antoni, responsable programme
« Hydrogen & Piles à combustible »

Commissariat à lénergie atomique et aux énergies alternatives

Laboratoire dinnovation pour les technologies
des énergies nouvelles et les nanomatériaux

 

Jeudi 18 octobre 2018 au Sénat

 

M. Laurent Antoni, responsable programme au CEA-LITEN. Expert international dans le domaine de l’électrochimie et des piles à combustible hydrogène, j’ai dirigé le département hydrogène et électricité pour les transports au CEA, dont les recherches portent sur l’hydrogène, les batteries et l’hybridation. J’ai également fait partie du comité de pilotage de la mission de l’OPECST sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables », ce qui m’a permis de suivre les travaux et les auditions menés par le député Denis Baupin et la sénatrice Fabienne Keller.

J’ai lu dans votre rapport intermédiaire que vous vous focalisiez sur les véhicules automobiles passagers, un marché de deux millions de véhicules neufs par an. D’après le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), la durée de vie moyenne d’un véhicule est de dix ans, ce qui signifie que l’on peut renouveler le parc automobile léger sur cette période. Pour passer d’une flotte de véhicules thermiques à une flotte de véhicules électriques, il faudrait environ 15 TWh, ce que l’on pourra comparer à l’énergie nécessaire au passage d’une flotte de véhicules électriques à une flotte de véhicules à hydrogène.

Les véhicules commerciaux légers, les cars et les camions représentent 500 000 ventes annuellement, soit à peu près 25 % des véhicules de transport de passagers, mais ils sont plus consommateurs, donc plus polluants. Ces véhicules nécessitent de la flexibilité, de l’autonomie, et une capacité à transporter une charge utile, autant de problématiques auxquelles l’hydrogène pourrait mieux répondre que les batteries.

Les alternatives aux véhicules thermiques, pour lutter contre le changement climatique, conformément au Plan climat, sont aujourd’hui nombreuses : véhicules hybrides, hybrides rechargeables, au biogaz, aux biocarburants, électriques à batterie, ou encore électriques à hydrogène. J’insiste sur le fait que les véhicules à hydrogène sont des véhicules électriques, tout comme les véhicules électriques à batterie.

Au-delà de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement climatique, le renouvellement du parc automobile doit répondre à la problématique de la pollution de l’air. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique, au vu des dizaines de milliers de morts prématurées liées à la qualité de l’air. La pollution locale représente un coût pour la société, en termes de travail et de richesse. Or, celle-ci se concentre de plus en plus en milieu urbain.

Il paraît donc logique d’allier la lutte contre le changement climatique et la lutte contre la pollution de l’air, grâce à des véhicules zéro émission, plutôt qu’avec des véhicules ayant juste des faibles émissions de CO2. Les véhicules zéro émission, c’est-à-dire les véhicules électriques à batterie et les véhicules électriques à hydrogène, représentent un axe de développement important au CEA, car nous cherchons à promouvoir ces deux types de motorisations. Dans l’empreinte carbone du véhicule, il ne faut pas oublier la production du carburant, qui est aussi émettrice, et nous devons donc tendre vers des véhicules dont le carburant émet un minimum de CO2 pour être produit.

Ainsi, au vu de ces considérations, les véhicules hybrides, notamment hybrides rechargeables, et les véhicules fonctionnant à l’aide de biogaz ou de biocarburants, sont de bonnes solutions de transition. De plus, il ne doit pas y avoir de compétition entre l’hydrogène, les batteries, et les biocarburants, mais au contraire une complémentarité, car ces solutions correspondent à des usages différents. Les véhicules électriques à batterie sont intéressants pour les distances courtes, tandis que les véhicules hybrides thermiques ou électriques à hydrogène le sont pour des distances intermédiaires. Pour les longues distances, les biocarburants ou l’hydrogène sont plus adaptés que les véhicules à batterie, limités techniquement. Ainsi, à l’horizon 2040, on imagine qu’une forte part du parc sera hybride, rechargeable ou non, afin de substituer aux véhicules thermiques, les 20 à 30 % restants étant des véhicules électriques à batterie ou à hydrogène.

Pour en revenir au besoin énergétique, à partir de la base de données Spritmonitor, qui recense la consommation moyenne de centaines de milliers de véhicules à partir des consommations réelles indiquées par les usagers, j’ai calculé la consommation d’un parc tout électrique. La consommation moyenne d’un véhicule électrique à batterie étant de l’ordre de 17 kWh/100 km, un parc automobile totalement électrique génère une demande énergétique de 4.1 TWh au total, inférieure à celle nécessaire pour des véhicules essence et thermique (15 TWh d’après le Comité des constructeurs français d’automobiles). La puissance moyenne nécessaire se situerait alors entre 0,5 et 0,9 GW, ce qui est très faible comparé à la puissance produite par le seul parc nucléaire français.

De même, si l’on basculait vers un parc entièrement composé de véhicules électriques à hydrogène, dont la consommation, d’après les données de la Toyota Mirai, serait de 0,94 g/100 km d’hydrogène, la demande énergétique totale serait alors de 230 000 tonnes d’hydrogène par an, soit approximativement 25 % de la production annuelle d’hydrogène en France, qui s’élève à 900 000, principalement destinées à des usages industriels. Selon le moyen de production de l’hydrogène, ces 230 000 tonnes d’hydrogène nécessiteraient entre 8 et 11 TWh pour être produits, ce qui est toujours moins que la demande énergétique annuelle des carburants.

En ce qui concerne les procédés de production d’hydrogène, l’électrolyse conventionnelle nécessite environ 50 kWh pour produire un kilogramme d’hydrogène, tandis que l’électrolyse à haute température n’en nécessite que 35 kWh. Nous effectuons beaucoup de recherches sur cette technique, qui a un rendement électrique très élevé, proche des 95 %. Enfin, nous travaillons aussi sur l’électrolyse à membrane d’échange de protons (PEM), avec laquelle nous espérons atteindre 50 kWh/kg en 2025 ou en 2030. Cette méthode a un rendement un peu moins bon, aux alentours de 80 %.

À partir de ces procédés, on peut obtenir de l’hydrogène décarboné, à condition d’utiliser de l’électricité elle-même décarbonée. J’aimerais insister un instant sur la distinction entre renouvelable et décarboné. Il faut certes promouvoir l’hydrogène renouvelable, mais il est encore plus important d’avoir de l’hydrogène décarboné, fabriqué soit par électrolyse de l’eau, à partir d’électricité d’origine renouvelable ou nucléaire ; soit par vaporeformage avec séquestration ou usage du CO2. Ainsi, en termes de puissance, une flotte de deux millions de véhicules réclame entre 1 et 2 GW, ce qui n’est pas exorbitant par rapport à l’objectif de 20 à 40 GW de puissance installée en électrolyse, à l’échelle européenne en 2030.

En plus de la production du carburant, il faut aussi prendre en compte la production du véhicule, l’infrastructure de recharge, et le recyclage. Pour chacun de ces points, il faut évaluer la faisabilité technique, c’est-à-dire la performance, la durabilité et la sécurité, mais aussi les coûts, la chaîne de la valeur industrielle en France et en Europe, la réglementation et l’acceptation sociétale.

Si on se penche sur le cas des véhicules électriques à batterie, la France est très bien placée pour la production du carburant, qui est évidemment l’électricité, car notre mix énergétique est faiblement émetteur de CO2. En ce qui concerne l’infrastructure de recharge, il existe un plan national de déploiement des bornes. Cependant, il faudra étudier l’impact sur le réseau électrique de la recharge des véhicules électriques, en particulier la recharge rapide qui contribuera fortement aux pics de puissances, et aura une incidence significative sur la durée de vie des batteries. Un aspect sous-jacent de la recharge des véhicules dans l’espace public est la gestion du foncier, qui est de plus en plus contraint. En effet, de plus en plus de villes se dirigent vers un modèle d’exploitation des bornes facturant la durée de stationnement, plutôt que le nombre de kilowattheures chargés. Cela s’explique par le fait que, pour recharger une batterie d’une capacité entre 40 et 100 kWh, il faut toujours, même avec des bornes de recharge rapide, au moins une heure pour recharger son véhicule. Les standards de recharge ont eu du mal à s’uniformiser au niveau européen.

En matière de recyclage, nous sommes dès aujourd’hui capables de recycler la batterie et de recycler le lithiuM. Néanmoins, le recyclage du lithium est plus cher que son extraction. L’intérêt du recyclage est donc limité aujourd’hui.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Est-ce le cas même si l’on prend en compte le cycle de vie ?

M. Laurent Antoni. Si l’on compare uniquement le coût du processus de recyclage avec le coût du lithium raffiné sous forme d’électrolyte, le coût du lithium recyclé est plus élevé, mais je ne saurais pas vous donner une réponse plus précise sur l’ensemble de la chaîne de valeur du lithium.

Si l’on s’intéresse maintenant au véhicule lui-même, les constructeurs français sont bien engagés sur le segment du véhicule électrique à batterie, en particulier Renault. Mais il ne faut pas oublier que l’essentiel de la valeur d’un véhicule électrique se trouve dans la batterie. À elle seule, la batterie représente entre 35 % et 50 % de la valeur du véhicule. Or, aujourd’hui, plus de 95 % du marché de la cellule de batterie est asiatique ; les cellules représentant entre 50 % et 70 % de la valeur des batteries. De plus, il n’y a aucun fabricant de masse de cellules en Europe aujourd’hui. Le vice-président de la Commission européenne M. Maros Sefcovic essaye toutefois de pousser la création d’une filière industrielle européenne des batteries, avec la création de gigafactories européennes. Cependant, ces gigafactories risquent de reposer en grande partie sur des fonds ou sur des technologies asiatiques. Par exemple, LG Chem a récemment investi 200 millions d’euros pour moderniser son usine polonaise. D’autre part, l’ouverture prochaine d’une gigafactory par les constructeurs allemands repose sur des capitaux chinois. Les constructeurs automobiles sont donc aujourd’hui très liés aux fabricants de cellules asiatiques. Le PDG de Renault a d’ailleurs à nouveau répété qu’il était en faveur des batteries européennes, mais que Renault continuera à acheter les batteries les plus compétitives, même si elles sont asiatiques. Il y a donc de véritables enjeux géopolitiques à prendre en compte autour des batteries et des matériaux critiques.

Le CEA étudie davantage les aspects techniques de la batterie, en termes de performance, de durabilité, de sécurité, et de coûts. Les nouvelles chimies mèneront inéluctablement à des améliorations notables des performances. En effet, on estime que l’on sera capable dans cinq ans, de doubler la performance des batteries actuelles. Cependant, la compacité des batteries est généralement antagoniste de leur sécurité, car on concentre une plus grande quantité d’énergie au même endroit. Quand on évoque la densité énergétique massique d’une batterie, il faut être particulièrement vigilant et distinguer le matériau, la cellule, et le système. On peut avoir des cellules très denses mais qu’il faudra sécuriser, ce qui impactera la densité totale du système. En effet, même s’il existe des cellules de batteries de densités entre 600 et 800 Wh/kg, on n’excède pas les 150 Wh/kg pour un pack de batteries, même si l’on peut espérer atteindre 300 Wh/kg. De même, le coût des packs a effectivement baissé, mais cela ne signifie pas que la part des cellules dans le coût total a diminué.

En termes d’emploi, le véhicule électrique nécessite beaucoup moins de main-d’œuvre qu’un véhicule thermique, ce dernier étant constitué d’environ 1 400 pièces, contre seulement 200 pour un véhicule électrique ou 1 000 pour un véhicule électrique à hydrogène. L’Europe, le Japon, et les États-Unis maîtrisent aujourd’hui la chaîne de valeur du moteur thermique, mais pas celle du moteur électrique.

Les véhicules hybrides rechargeables, quant à eux, sont un intermédiaire entre les véhicules électriques et thermiques. Leur consommation est faible, elle peut atteindre 2 L/100 km, mais cela dépend surtout du comportement de l’automobiliste. La batterie d’un véhicule hybride rechargeable peut assurer entre 50 et 60 kilomètres d’autonomie, sachant que 70 % des kilomètres parcourus le sont sur des trajets courts, et pourront donc être franchis en mode tout électrique. Les batteries de ces véhicules étant cinq à dix fois plus petites que les véhicules électriques à batterie, pour une même taille de parc l’Europe pourrait a priori avoir une capacité de production autosuffisante. Les batteries pour véhicules hybrides rechargeables sont toutefois légèrement différentes. On dit qu’elles sont typées puissance, et cyclables.

Il existe donc une opportunité pour SAFT, ou pour une autre entreprise européenne, pour fabriquer ce type de batteries. C’est d’ailleurs ce que fait Toyota, qui investit davantage dans l’hybride rechargeable ou non, afin de s’assurer que la valeur ajoutée reste au sein de l’entreprise, au lieu d’aller chez les fournisseurs de batteries asiatiques. Les véhicules hybrides restent technologiquement assez proches des véhicules thermiques. Investir sur la technologie hybride permet donc de conforter notre avance dans ce domaine par rapport aux constructeurs chinois.

Les véhicules électriques à hydrogène sont également une piste à envisager pour développer une mobilité propre, à condition que l’hydrogène utilisé soit décarboné, et ne soit donc plus produit par « simple » vaporeformage. À cet égard, la déclaration de Linz, portée par le commissaire européen Miguel Arias Cañete, et cosignée à la mi-septembre 2018 par 26 États membres, a scellé l’engagement des pays européens en faveur de l’hydrogène décarboné. L’hydrogène est une option intéressante pour la France et l’Europe, car nous avons des acteurs industriels au premier plan mondial pour la production d’hydrogène, tels qu’Air Liquide, Areva H2 Gen, ou McPhy. Nous disposons également d’instituts de recherche, comme le CNRS et le CEA, pour appuyer les recherches sur cette filière. L’Europe est reconnue comme le leader mondial de la production d’hydrogène par électrolyse.

Par ailleurs, l’électrolyse à haute température, qui n’est certes pas encore un procédé parfaitement mature mais qui possède un potentiel de rendement très intéressant, peut être couplée avec l’énergie nucléaire. En effet, l’électrolyse à haute température utilise de la vapeur d’eau et de l’électricité, ce que l’on trouve dans une centrale nucléaire. Aux États-Unis, des études sont actuellement menées pour estimer la faculté de la production d’hydrogène à augmenter la rentabilité économique des centrales nucléaires. Il pourrait être tout à fait intéressant économiquement d’utiliser les surplus d’électricité produite, quand la demande en électricité est faible, pour produire de l’hydrogène.

Au niveau européen, la révision de la directive européenne relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (RED II) devrait reconnaître l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable comme renouvelable. Il s’agira d’un signal fort pour l’industrie, qui sera incitée à utiliser davantage d’hydrogène renouvelable. D’ailleurs, des certificats d’origine sont à l’étude au niveau européen.

D’autre part, l’hydrogène n’est pas qu’un carburant pour véhicules, mais s’inscrit plutôt dans le panorama des vecteurs énergétiques zéro émission. L’hydrogène permet, à moindre coût, l’intégration massive des énergies renouvelables, ainsi que leur stockage et leur transport régional, voire interrégional. L’hydrogène est aussi intéressant pour ses applications décarbonées dans le domaine des transports, du bâtiment, et de l’industrie, pour la métallurgie, le raffinage, ou encore la production d’engrais. Les piles à combustible sont aussi utiles pour la production de chaleur, en plus de l’électricité. L’utilisation par l’industrie de 10 % d’hydrogène décarboné d’ici 2023 et entre 20 % et 40 % d’ici 2028 constitue l’un des objectifs du plan Hulot. Au final, les vrais vecteurs de développement de l’hydrogène sont suivant le plan national Hydrogène : la décarbonisation de l’industrie, la mobilité électrique à hydrogène, l’intégration et le stockage des énergies renouvelables intermittentes.

En termes d’infrastructures de recharge, il existe une directive européenne pour les carburants alternatifs dans laquelle l’hydrogène est un carburant alternatif optionnel, contrairement à l’électricité qui est obligatoire. Cela signifie que chaque État membre a dû présenter un plan de déploiement des infrastructures de recharge pour carburants alternatifs, où les bornes de recharge électriques étaient obligatoirement présentes. L’hydrogène, bien qu’optionnel, a été inclus dans quatorze plans nationaux, dont celui de la France. Je pense qu’il faudrait, dans le cadre de la révision de cette directive en 2019, que l’hydrogène devienne obligatoire, et soit donc mis au même niveau que l’électricité, en tant que carburant alternatif.

Leur caractère modulable et modulaire constitue un avantage des stations de recharge hydrogène. De plus, grâce aux puissants acteurs européens sur le marché, l’Europe est aujourd’hui exportatrice de stations hydrogène comme d’électrolyseurs. De plus, depuis quelques années, des standards internationaux ISO, en termes de raccordement, de protocole de remplissage, et de qualité d’hydrogène, existent. Nous n’assisterons donc pas à une guerre des standards, comme pour les véhicules électriques à batterie. Une Toyota japonaise peut d’ores et déjà faire son plein en France.

Du point de vue du recyclage, on s’intéresse essentiellement au platine, que l’on sait déjà recycler. Des entreprises comme Umicore sont capables de recycler jusqu’à 95 % du platine présent dans une pile. Le platine est le seul matériau critique utilisé dans les systèmes des véhicules électriques à hydrogène. En 2005, la pile à combustible Genepac, développée par Peugeot et le CEA, utilisait environ 100 grammes de platine, tandis que Toyota n’utilise aujourd’hui plus qu’un peu moins de 30 grammes de platine pour ses piles à combustible. L’objectif est de descendre d’ici 2020 ou 2025 à 10 grammes. Des recherches sont menées pour s’affranchir complètement du platine dans les systèmes de pile à combustible.

Par ailleurs, les performances des systèmes à pile à combustible ont fortement augmenté. Celles-ci atteignent aujourd’hui plusieurs milliers d’heures de fonctionnement. Les coûts ont été, quant à eux, divisé par deux depuis 10 ans. L’automatisation et la robotisation, qui permettront une production de masse, seront essentielles pour réduire encore les coûts. Nous estimons qu’en 2030 le prix du système comprenant la pile à combustible et le réservoir se situera aux alentours de 5 000 euros. Quant au véhicule dans son intégralité, les constructeurs comme Toyota annoncent la parité de coûts avec les véhicules hybrides rechargeables à l’horizon 2025. Enfin, les véhicules électriques à hydrogène disposent déjà d’un standard international, l’UNECE (United Nations Economic Commission for Europe) GTR (Global Technical Regulation) 13, qui permettra aux constructeurs de vendre leurs véhicules partout dans le monde.

Pour la sécurité, il existe également des standards ISO et IEC, en particulier pour les réservoirs sous pression. De plus, en France, dans le cadre d’un projet européen, une plateforme de formation au risque hydrogène a été mise en place à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP), à Aix-en-Provence.

Les véhicules électriques à hydrogène ont été pris en compte par la Plateforme automobile française, et intégrés comme l’une des cinq priorités dans le Contrat stratégique de la filière automobile. L’essentiel de la valeur de ces véhicules se situe dans le « stack », c’est-à-dire le système composé de la pile à combustible, où se produit la réaction électrochimique, et dans les autres composants critiques, comme le compresseur et le réservoir. Nous avons beaucoup d’équipementiers de rang 1, comme Michelin, Faurecia et PlasticOmnium, qui investissent dans ces composants, pour développer la mobilité hydrogène. La feuille de route du développement de cette filière est assez cohérente, et de nombreux acteurs prévoient environ 5 millions de véhicules hydrogène sur les routes en Europe en 2030, pour 800 000 au Japon et un million en Chine. Cette filière pourrait, à cette date, représenter 630 000 emplois à travers le monde. Ces chiffres comprennent uniquement les véhicules passagers, l’idée étant d’investir ensuite le segment des véhicules lourds.

En résumé, l’objectif fixé en 2040 pour l’arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques me paraît ambitieux, mais réaliste, surtout si l’on conserve des véhicules hybrides et hybrides rechargeables. Il faudra, toutefois, renforcer les plans nationaux sur l’hydrogène et les batteries, afin d’accélérer le développement et la pénétration sur le marché de ces technologies zéro émission. En effet il faut se tourner vers ces véhicules pour concilier la lutte contre le réchauffement climatique et contre la pollution de l’air. La pollution de l’air est d’ailleurs une problématique sociétale, qui nous touche plus que le réchauffement climatique, car elle nous affecte déjà au quotidien, contrairement à ce dernier, dont nous commençons seulement à entrevoir les conséquences.

Il ne faut pas oublier que le développement de la mobilité hydrogène s’inscrit au sein du développement global du vecteur énergétique hydrogène. Dans ce domaine, l’Europe possède une avance technologique sur le reste du monde, ainsi que des acteurs industriels importants, prêts à investir dans cette filière. Avoir un grand acteur européen des batteries et des véhicules électriques est possible, mais il semble très difficile de contrôler toute la chaîne de valeur en Europe. Ainsi, les véhicules hybrides rechargeables apparaissent comme une solution à moyen-long terme, étant donné qu’ils résolvent le problème de la pollution urbaine, et permettent la réduction des émissions de CO2, tout en gardant l’essentiel de la valeur en Europe. Conformément aux missions qui lui ont été confiées par l’État, le CEA va contribuer à la réussite de ces challenges scientifiques et technologiques.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. On remarque qu’aujourd’hui, les véhicules électriques à hydrogène particuliers coûtent entre 70 000 et 80 000 euros, un prix prohibitif pour la plupart des foyers. Vous évoquiez tout à l’heure la parité de coûts avec les motorisations hybrides d’ici 2025, mais nous restons sur des prix aux alentours de 30 000, voire 40 000 euros, ce qui reste très élevé. Pensez-vous que l’hydrogène se destine donc plutôt à des flottes captives, de poids lourds ou de transport collectif, ou est-il possible que cette solution se démocratise pour la mobilité des particuliers ? Par ailleurs, peut-on être confiant quant à la sécurité des véhicules à hydrogène, sachant qu’embarquer de l’hydrogène sous pression à bord risque de provoquer une appréhension chez les usagers ?

M. Laurent Antoni. Tout d’abord, en ce qui concerne le coût, il est effectivement élevé aujourd’hui, mais la capacité de production de Toyota n’est pour l’instant que de 3 000 véhicules par an. Comme la chaîne industrielle de production de véhicules électriques à hydrogène n’est pas encore bien développée, les premiers modèles sont très chers. Il faut se rappeler que Toyota a mis dix ans à vendre un million de Prius, et en vend désormais plus d’un million par an, car il a fallu du temps pour mettre en place la chaîne industrielle.

De plus, une Toyota Mirai est dès aujourd’hui moins chère que de nombreux modèles de Tesla. Pourtant, malgré un modèle économique déficitaire, Tesla parvient à vendre des dizaines de milliers de véhicules chaque année. Par ailleurs, le marché s’oriente vers des véhicules de grande taille, comme les SUV, qui représentent une hérésie environnementale, ne répondent pas à un réel besoin, et dont les prix d’achat se situent autour de 30 000, voire 40 000 euros. Je pense donc que les véhicules électriques à hydrogène ne se limiteront pas aux flottes captives, car leur coût devrait bientôt rejoindre celui des SUV thermiques. Ils seront compétitifs sur ces gammes de véhicules.

D’autre part, la technologie hydrogène présente l’avantage de ne pas nécessiter un environnement de production très complexe, en termes d’assemblage ou de technicité, et ne repose pas sur des matériaux critiques chers. Elle devrait donc véritablement bénéficier d’un effet de production massive, qui réduira significativement les coûts. Les recherches sur les fibres de carbone pour les réservoirs et sur la substitution du platine dans les piles à combustible doivent se poursuivre, mais il paraît réaliste d’arriver à 10 grammes de platine par pile à combustible vers 2020-2025, ce qui n’est finalement que trois à quatre fois plus que dans un pot catalytique de véhicule conventionnel.

Le nombre de véhicules neufs vendus entre 2010 et 2017, a augmenté de 2.3 millions sur nos routes, ce qui représente tout de même 16 000 tonnes de métaux nobles, avec lesquels on pourrait construire quasiment 600 000 véhicules électriques à hydrogène aujourd’hui. Or, je n’ai vu personne mentionner dans la presse une quelconque tension sur le coût ou la criticité de ces métaux. La majorité du platine est aujourd’hui produit en Afrique du Sud, mais il me semble possible de mettre en place rapidement des circuits de recyclage, afin de réduire notre dépendance aux importations étrangères.

Concernant la sécurité, les pompiers de Saint-Lô utilisent aujourd’hui un Kangoo électrique à hydrogène pour assurer les services de secours. Les pompiers affirment d’ailleurs en général préférer intervenir avec un véhicule électrique à hydrogène, plutôt qu’avec un véhicule électrique à batterie, car l’hydrogène contenu dans le véhicule électrique à hydrogène s’échappe en quelques minutes. En effet, il est équipé de dispositifs de sécurité normés par les directives européennes 79/2009 et 406/2010, appliquées en France depuis 2011. Ces normes exigent que les réservoirs soient capables de supporter une pression 2.25 fois supérieure à la pression à laquelle ils sont soumis dans les conditions normales de fonctionnement, soit 1 600 bars, pour 700 bars en conditions normales. De plus, les réservoirs passent des tests au feu, au crash ainsi qu’au tir de balle, et sont équipés d’un système de sécurité en température et en pression, pour éviter les risques d’explosion. En effet, dès que la température augmente trop (110 °C), l’hydrogène est évacué du réservoir. Dans tous les cas, pour qu’il y ait explosion, il faut une augmentation de la température, une réduction de la résistance mécanique du réservoir, et un comburant. La flamme d’hydrogène est toutefois invisible, mais détectable grâce à une caméra thermique infrarouge. Elle n’émet pas de rayonnement, donc ne brûle pas en s’en approchant. Les sapeurs-pompiers sont désormais équipés en conséquence. Ainsi, l’hydrogène présente certes des risques, mais les réservoirs ont été conçus pour garantir un niveau de sécurité équivalent aux solutions actuelles.

Paradoxalement, des études d’opinion menées aux États-Unis et en Allemagne montrent que plus le niveau d’éducation des personnes est élevé, plus la peur de l’hydrogène est grande. En effet, certaines personnes plus éduquées ont en tête les expériences en travaux pratiques de chimie. Les personnes moins éduquées semblent concevoir plus facilement que si l’on autorise la commercialisation d’un véhicule fonctionnant avec de l’hydrogène, c’est que tous les tests ont été réalisés pour s’assurer de la sûreté du véhicule. L’aspect sécurité des véhicules hydrogène est pris en compte dès la conception. Il existe même des comités de standardisation, donc il n’y a pas de crainte particulière à avoir vis‑à‑vis des véhicules électriques à hydrogène, ou les stations hydrogène.

Mme Huguette Tiegna. Avez-vous des chiffres concernant la capacité de production d’hydrogène par électrolyse ?

M. Laurent Antoni. Cela dépend de la puissance de l’électrolyseur, aussi je raisonne plutôt en quantité d’énergie électrique nécessaire par kilogramme d’hydrogène produit. Pour les électrolyseurs commercialisés aujourd’hui, de type alcalin ou PEM (Proton Exchange Membrane), on se situe aux alentours de 60 kWh/kg. L’électrolyse à haute température peut descendre à 35 kWh/kg.

Par exemple dans le cadre du projet de trains hydrogène, Alstom a considéré une flotte de 15 TER. Pour alimenter ces trains, il faut un électrolyseur de quatre mégawatts, ou un champ éolien de dix mégawatts. Pour avoir un point de comparaison, l’objectif européen est d’atteindre entre 20 et 40 gigawatts installés en 2030.

Mme Huguette Tiegna. Serez-vous présent à la visite du CEA-LITEN à Grenoble ?

M. Laurent Antoni. Je serai à Bruxelles, en tant que président de l’Association européenne de recherche sur l’hydrogène et les piles à combustible, Hydrogen Europe Research, qui compte 70 membres. À ce propos, lundi dernier à Bruxelles, à l’occasion d’une réunion entre le commissaire européen à la recherche, à l’innovation, et à la science et les ministres européens de la recherche et de l’innovation, la Commission a présenté dans le cadre du prochain programme-cadre Horizon Europe douze possibles missions et onze possibles partenariats, parmi lesquels figure la poursuite du partenariat public-privé sur l’hydrogène, et la création d’un partenariat sur les batteries. L’hydrogène peut être concerné par sept de ces missions au total. J’espère que la France soutiendra cette proposition, qui va dans le sens de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L’Europe étudie également la mise en place des IPCEI (Important projects of common European interest), projets ayant vocation à favoriser les synergies européennes en matière d’investissement et de recherche industriels, qui doivent être soutenus par les États membres. Initié par DG Grow courant 2018, 70 propositions ont été formulées, dont 36 évaluées positivement. L’un de ces 36 projets est consacré à l’hydrogène, et un autre à la valorisation du dioxyde de carbone, pour produire du méthane et du méthanol, par combinaison avec l’hydrogène décarboné. In fine, la Commission devra sélectionner cinq ou six de ces projets d’ici début 2019. J’espère que l’hydrogène en fera partie, ce qui permettrait aux États membres, et en particulier à la France, d’apporter un important soutien au développement industriel de la filière hydrogène, jusqu’à la fabrication d’usines, en dérogeant aux habituelles règles des aides d’État.


Audition de

M. Sébastien Grellier, directeur de la communication
et Mme Stéphanie Tumerelle, responsable communication

Toyota France

 

Jeudi 18 octobre 2018 au Sénat

 

Mme Stéphanie Tumerelle, responsable communication Toyota France. Dans le monde, le groupe Toyota vend dix millions de véhicules par an. Notre budget de recherche et développement s’élève à plus de huit milliards d’euros et nous avons 340 000 collaborateurs dans le monde. Toyota comprend, au niveau mondial, plusieurs entités : le groupe Toyota qui comprend les marques Toyota et Lexus, des entreprises dans le domaine de la connectivité, et de la recherche, avec le Toyota Research Institute. Nous organisons de grands partenariats sur des sujets d’autopartage et de mobilité. Nous sommes partenaire, depuis 2007 et jusqu’à 2024 inclus, des Jeux olympiques et paralympiques. Nous travaillons également sur des concepts de mobilité, comme la voiture autonome et l’autopartage, et de nouveaux services à la mobilité.

Toyota est implantée en France depuis une vingtaine d’années, avec le site de production de Valenciennes. Toyota emploie plus de 9 000 personnes en France, dont 4 000 sur le site de Valenciennes, et 5 000 pour le réseau de concessions, vente et après-vente. Nous avons aussi un centre de design à Sophia Antipolis et un centre de pièces détachées. La Yaris est la voiture produite en plus grand nombre en France en 2017, avec 234 000 unités, devant tous nos homologues français. Elle a été labellisée « origine France garantie » en 2012. Grâce à la Yaris, Toyota est considérée comme un constructeur français.

Nous avons également fait de grandes annonces en janvier avec la venue sur le site de Valenciennes du président Macron. Nous avons annoncé de nouveaux investissements, à hauteur de 300 millions d’euros, et une nouvelle plateforme Toyota New Global Architecture (TNGA). Nous allons faire en sorte que toutes les usines dans le monde soient fondées sur cette même plateforme, pour parvenir à une harmonisation des véhicules. Cet investissement servira à cela, et aussi à atteindre 300 000 véhicules. L’idée serait de faire en sorte de fabriquer un deuxième modèle à Valenciennes.

En France, nous allons également annoncer cette année la suppression de la production des véhicules diesel pour voitures particulières. Nous allons les garder uniquement pour les voitures destinées aux professionnels. Seulement deux véhicules vont être encore proposés en 100 % essence : la Ygo et la Yaris. Tous les autres véhicules des marques Toyota et Lexus seront proposés uniquement en version hybride essence.

Depuis 1997, c’est-à-dire depuis vingt ans, nous parvenons en France à atteindre 70 % de nos ventes en hybride, majoritairement grâce à la Yaris. Dans le monde, nous en sommes à douze millions d’hybrides vendues, dont 300 0000 environ en France.

M. Sébastien Grellier, directeur de la communication Toyota France. Si les défis environnementaux relatifs au changement climatique, à la pollution locale, en termes de qualité de l’air, ou à l’efficacité énergétique, sont aujourd’hui bien connus, ils ont été intégrés à la stratégie de Toyota voici déjà une vingtaine d’années.

C’est ce qui a motivé, au milieu des années 1990, dans un premier temps le développement de la technologie hybride mais aussi d’autres technologies, comme le véhicule électrique à batterie et à hydrogène, pour lesquels les premières recherches ont débuté en 1992.

Aujourd’hui, le contexte réglementaire se durcit, avec les discussions en cours au niveau européen, et un premier accord demandant un abaissement des émissions en 2030, avec un seuil de moins 15 % en 2021. Nous sommes aujourd’hui plutôt bien positionnés pour atteindre cet objectif 2021, essentiellement grâce à l’hybride. Un peu plus de 50 % des véhicules sont hybrides et cette année sept véhicules sur dix vendus en France seront en motorisation hybride.

Toyota est d’ailleurs la seule marque en France, dans le classement de l’ADEME pour 2017, à avoir baissé ses émissions de CO2 de 2,6 grammes, avec une moyenne de 98 grammes, alors que la moyenne nationale des constructeurs a remonté de 20 grammes, sous l’effet conjugué de la baisse du diesel au profit de l’essence, et de l’augmentation de la vente de SUV.

Dans une annonce de son président, voici maintenant pratiquement trois ans, fin 2015, Toyota s’est donné comme objectif, à travers le challenge environnemental 2050 de répondre à six objectifs majeurs, qui couvrent l’ensemble des impacts sur l’environnement et la biodiversité des activités du groupe au niveau mondial. Nous allons nous attarder sur le premier objectif, qui est de tendre, à horizon 2050, vers une baisse de 90 % des émissions de CO2 mondiales du groupe Toyota, et de l’ensemble de ses marques. Nous allons bien entendu augmenter, dans les trente ans qui viennent, la part des véhicules électrifiés de façon assez importante, avec deux points d’étape.

En 2025, l’ensemble des véhicules au niveau mondial, soit un peu plus de 90 véhicules différents, présenteront une variante électrifiée. En 2030, l’objectif est qu’un peu plus de la moitié des véhicules vendus dans le monde soient électrifiés, soit 5,5 millions de véhicules, dont un million de véhicules zéro émissions répartis entre deux technologies principales : les véhicules électriques à batterie et les véhicules à hydrogène, une technologie à laquelle nous croyons beaucoup. Cette dernière présente certains avantages, en termes d’utilisation, pour les consommateurs.

Cet objectif du groupe à l’horizon 2050 a été annoncé quelques mois avant l’objectif 2040 par le ministre Nicolas Hulot. Nous nous inscrivons d’ores et déjà dans la même direction, si ce n’est que l’horizon de temps est un peu plus long. Par rapport à la question posée, pour être très francs, nous ne pensons pas qu’en 2040 il n’y aura plus du tout de véhicules thermiques. Leur part aura effectivement fortement diminué, mais d’une manière globale. Nous le voyons aujourd’hui avec le succès de l’hybride. Pour que les nouvelles technologies soient acceptées par le consommateur, il faut du temps. C’est le client qui choisit quel type de véhicule il achètera ou utilisera. Un point important porte sur l’accessibilité des nouvelles technologies en termes de prix. C’est le cas aujourd’hui pour la technologie hybride, mais pas encore pour les technologies électriques à batterie ou hydrogène.

Ce qui résume notre stratégie depuis vingt ans, c’est que la solution pour les transports de demain se basera sur une coexistence de technologies plus ou moins électrifiées, suivant la taille du véhicule et la distance des trajets. S’agissant de véhicules de plus petit gabarit ou des distances plus faibles, essentiellement en milieu urbain mais aussi rural sur des trajets bien définis, la technologie électrique à batterie répondra très bien à la demande. Nous croyons notamment beaucoup à la mobilité électrique individuelle, avec des véhicules à une ou deux places, l’autopartage, ou le véhicule autonome. Tout cela va favoriser le véhicule à batterie.

Pour nous, l’hybride reste la pierre angulaire de la stratégie des années à venir, parce qu’il présente l’avantage de ne pas nécessiter d’infrastructure de recharge, et d’être accessible. On sait que pour répondre aux objectifs européens, qu’ils soient de moins 30 ou de moins 35 % à l’horizon 2030, la technologie hybride rechargeable, aujourd’hui encore insuffisamment accessible d’un point de vue prix pour les consommateurs, va énormément se développer entre 2020 et 2030. C’est sans doute la prochaine étape. En France, cette technologie devrait se développer dans les années qui viennent.

Enfin, la technologie hydrogène apporte de multiples avantages au consommateur. Au-delà des avantages d’un véhicule électrique, le silence, l’absence de pollution local, en termes de CO2, de NOx, ou de particule, l’avantage de l’hydrogène par rapport à la batterie, en termes d’usage, est de ne pas demander au consommateur de changer ses habitudes. Un véhicule à pile à combustible ne demande que trois minutes pour faire un plein, pour embarquer cinq kilos d’hydrogène, donnant de 400 à 500 kilomètres d’autonomie. Quand on passera à la deuxième ou troisième génération, ce qui sera le cas pour Toyota en 2021 et 2025, l’autonomie passera à 1 000 kilomètres, toujours avec un temps de chargement de quelques minutes, là où demain les véhicules à batterie seront capables de parcourir 600 ou 700 kilomètres, avec des batteries de technologie tout solide, mais le temps de chargement restera un problème pour ce type de véhicule.

Au-delà des véhicules individuels, avec l’hydrogène on voit qu’en France, notamment avec le signal intéressant du plan Hulot début juin, l’hydrogène jouera un rôle important pour les transports publics et les véhicules lourds, que ce soient les bus, les camions, ou les véhicules utilitaires. Toyota déploiera une centaine de bus à hydrogène lors des Jeux olympiques de Tokyo, en 2020. Nous avons annoncé, voici une dizaine de jours, l’importation de cette technologie hydrogène au Portugal, avec notre partenaire Gaetano, qui fabrique des véhicules commerciaux et industriels et qui va développer les bus hydrogène pour l’Europe. Deux premiers prototypes devraient entrer en circulation fin 2019, dont l’un devrait être affecté à la France, car nous sommes en discussion avec la RATP, notamment en vue des jeux de 2024. Pour les camions, Toyota teste depuis deux ans un camion de 44 tonnes, à Long Beach en Californie, qui est affecté aux transports de containers, pour confirmer l’intérêt de cette technologie sur des véhicules de plus gros gabarits.

La technologie hybride reste le pivot du développement technologique de Toyota depuis de nombreuses années. Toyota investit, au niveau mondial, entre 8 et 9 milliards de dollars tous les ans en R&D depuis une dizaine d’années, dont une bonne partie est affectée au développement de ces nouvelles technologies.

Après vingt ans, notre maîtrise de la technologie hybride nous permet de travailler sur toutes les solutions, l’hybride essence, demain si on supprime le moteur thermique, celle du véhicule à batterie. En remplaçant le réservoir et le moteur à essence par un réservoir d’hydrogène et une pile à combustible, on obtient un véhicule zéro émission.

Même si la technologie hybride date d’il y a vingt ans chez Toyota, elle demeure en perpétuelle évolution. Les tout récents véhicules venant d’être présentés au salon de Paris, qui seront commercialisés en début d’année 2019 sur le marché, le confirment. Par rapport à la première Prius de 1997, homologuée pour 5,1 litres et 120 grammes, la quatrième génération parvient à un gain de 42 %, en termes de consommation et d’émissions de CO2, tout en baissant également les prix, ce qui nous a permis d’implémenter cette technologie dans la Yaris, pour l’offrir à un prix inférieur à 20 000 euros, même sans le bonus, qui a disparu.

Il convient de mettre en perspective le temps nécessaire pour déployer toute nouvelle technologie : il a fallu dix ans au groupe, de 1997 à 2007, pour vendre le premier million d’hybrides au niveau mondial, alors qu’aujourd’hui il nous faut seulement huit mois pour en vendre un million supplémentaire. Sur une année, nous vendons 1,5 million d’hybrides. La vente de douze millions d’hybrides depuis 1997 nous a permis d’économiser, par rapport à des véhicules essence, 93 millions de tonnes de CO2 au niveau mondial.

Le deuxième intérêt de cette technologie hybride concerne les pollutions locales. Pour les quatre principaux modèles, en termes d’homologation et d’utilisation réelle, le niveau d’émissions de NOx est de 90 % inférieur aux normes Euro 6 essence ou diesel. Aujourd’hui, cette technologie hybride essence, de par son avantage en termes de pollution locale répond déjà en partie aux problématiques des grandes villes mondiales, comme Paris.

Nous avons conduit, entre mars et juin, une étude avec le professeur Jean-Pierre Ponssard de l’École polytechnique pour évaluer, en conditions réelles, la part d’utilisation électrique de nos véhicules hybrides. Celle-ci a été réalisée avec une dizaine de conducteurs différents, de tous âges, hommes et femmes, sur au total un peu moins de 3 000 kilomètres, sur un parcours en banlieue ouest de Paris, autour de Polytechnique, sur une distance d’une trentaine de kilomètres et une durée de quarante-cinq minutes. Toutes les voitures étaient équipées de boîtiers permettant de mesurer qu’elle était la part du temps de trajet et de la distance durant lesquels le moteur thermique était en fonctionnement ou roulait uniquement grâce au moteur électrique. Elle a été réalisée, pour le moment, uniquement avec la Prius de quatrième génération. Elle sera reconduite en 2019 avec la nouvelle Corolla dotée d’une motorisation de deux litres, mais devrait normalement donner des résultats similaires.

Les conclusions portent sur quatre chiffres principaux : le pourcentage du temps de parcours total en mode électrique, qui est de 70 %, et le pourcentage de la distance parcourue en zéro émission, uniquement grâce à la batterie et au moteur électrique, qui est à un peu plus de 50 %. En mode urbain, celui où la recharge se fait plus rapidement, avec les freinages fréquents, on monte, en termes de temps, à 97 %, et de distance, à 77 %.

Or périodes d’arrêt ou de décélération, pendant lesquelles un véhicule thermique ne va pas émettre de CO2 ou de particules, en termes de temps de parcours, on arrive à 45,6 %. Ces résultats permettent de démontrer scientifiquement, et d’expliquer pourquoi on arrive à des niveaux d’émission de CO2 et de NOx aussi faibles avec cette technologie hybride.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Comment le parcours se compare-t-il avec une utilisation réelle ?

M. Sébastien Grellier. Il s’agit d’un parcours classique, incluant une voie rapide et une route normale, pas uniquement un circuit à 25 km/h au centre de Paris.

Pour conclure, nous faisons aujourd’hui un travail important pour promouvoir la technologie hydrogène, notamment en France, parce que nous avons l’avantage d’avoir des industriels et une filière hydrogène de premier plan, avec des entreprises comme Air Liquide, Engie et Total, prêtes à investir de façon très importante. Nous travaillons énormément, en ce moment, à développer cette filière, avec deux projets d’envergure en France. Le premier, comme vous l’avez certainement vu dans les rues de Paris, avec les taxis Hype, projet développé par la Société du taxi électrique parisien (STEP), première compagnie de taxis dotée uniquement de véhicules hydrogène, à ce jour au nombre de 100, dont 38 Mirail et une soixantaine de Hyundai. Le deuxième projet auquel nous sommes associés depuis 2017 est Energy Observer, premier bateau entièrement autonome à faire tour du monde, dans les cinq à six prochaines années, avec la technologie hydrogène et des énergies renouvelables.

Enfin, dans le cadre de notre partenariat, en tant que top sponsor des jeux olympiques jusqu’en 2024, Toyota fournira des solutions de mobilité pour les jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2020, Pékin 2022, et bien sûr Paris 2024. À partir de 2020, Toyota passera à la deuxième génération de véhicules à hydrogène, qui va permettre de multiplier par dix les volumes de production mondiaux, de 3 000 unités par an aujourd’hui à 30 000.

En France, notre objectif est bien sûr de déployer et de dupliquer ce qui sera présenté au Japon en 2020, qui sera vraiment l’avènement de la société de l’hydrogène autour des jeux, pour pouvoir la démocratiser et l’appliquer au cours des années 2024-2025, notamment en France.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez mentionné la comparaison avec l’Euro 6. Mais on sait qu’en Europe il y a une inquiétude assez forte des constructeurs sur les nouveaux objectifs de réduction de CO2. Est-ce que Toyota, qui est en avance sur l’hybride, se pose les mêmes questions, étant donné que vous faites déjà mieux que 95 grammes de CO2 ?

M. Sébastien Grellier. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’inquiétude, ce qui ne veut pas dire que l’objectif de 2030 notamment, s’il est confirmé à –35 %, ne soit pas très ambitieux pour l’industrie automobile, en France et en Europe, parce qu’il impliquera un passage sans doute accéléré, par rapport au rythme normal, des consommateurs à toutes ces technologies électrifiées. Il faudra fortement augmenter la proportion des véhicules à batterie ou, demain, à hydrogène, donc la proportion des véritables véhicules zéro émission.

Les challenges sont là, ils sont très loin d’être gagnés, il est vrai cependant que pour le moment, nous sommes en ligne, en termes de roadmap et d’avancées sur l’objectif des 95 grammes en 2020.

Mme Huguette Tiegna. Concernant votre choix de proposer certains modèles en version uniquement hybride, est-il possible qu’il soit prématuré par rapport aux attentes des consommateurs ?

M. Sébastien Grellier. Il n’est pas du tout prématuré, ce pour deux raisons. La première est que, malgré la fin du bonus en 2017, nous avons progressé en hybride, de 45 % en 2017, et cette année d’environ 20 à 25 %, alors même que le marché automobile global en France va progresser de 5 à 6 % d’ici la fin de l’année. La deuxième raison, c’est que hormis la Ygo produite en partenariat avec PSA, uniquement disponible avec un moteur d’un litre et la Yaris, disponible en hybride et avec le moteur essence d’un litre, tous les autres véhicules, que ce soit le CH-R, le Corolla ou le nouveau RAV4, vont être disponibles uniquement en hybride à partir de 2019. Aujourd’hui, aussi bien auprès des particuliers que des entreprises, la performance de l’hybride vient du fait que sa fiabilité a permis une augmentation de 10 % de la valeur de revente des véhicules dans les deux dernières années, alors que celle des diesels chute assez vite. Aujourd’hui, 100 % des entreprises achètent des véhicules en location, et plus d’un particulier sur deux en LOA ou LLD. Or, ce qui fait le coût total de possession d’un véhicule est en grande partie sa valeur résiduelle. La valeur de revente à trois ans des hybrides étant en forte augmentation, leur TCO est inférieur aujourd’hui à celui d’un véhicule diesel équivalent.

Mme Huguette Tiegna. Au Mondial de l’automobile on nous a expliqué que les constructeurs qui maîtrisent les technologies hybrides auraient déjà une certaine avance sur les technologies de futures voitures à hydrogène. Est-ce que vous êtes en accord avec cette assertion ?

M. Sébastien Grellier. Il est vrai que le savoir-faire acquis, avec cette expérience de vingt ans sur l’hybride, en matière de batteries, de moteurs électriques, d’inverseurs, de commande, etc. pourra être réemployé demain pour les véhicules à batterie et à hydrogène.

Pour le véhicule électrique, nous travaillons énormément, sur la prochaine génération de batteries, dites solides, qui seront moins chères et offriront une densité énergétique bien supérieure, un temps de recharge inférieur et, surtout, permettront de ne pratiquement plus utiliser de métaux rares.

Aujourd’hui, l’un des problèmes que la filière rencontre avec ces véhicules, concerne le recyclage des batteries. Depuis 2010, nous travaillons sur le recyclage des batteries d’hybrides en Europe avec une entreprise française, la SNAM, basée à Lyon et à Rodez, qui recycle quasiment toutes les batteries des portables, téléphones et ordinateurs. Pour les batteries des véhicules 100 % électriques, plus volumineuses, il est vrai que l’enjeu sera important dans les prochaines années.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Concernant les batteries, il y a aussi la question de la production. La production des batteries échappe très largement à la France et à l’Europe. Elle est très localisée en Asie et en Chine. Avez-vous un espoir de voir cette production de batteries électriques rééquilibrée, ou au contraire, la filière hydrogène étant bien implantée en France, pensez-vous qu’il faut miser sur cette technologie pour bâtir une politique industrielle française et européenne ?

M. Sébastien Grellier. Idéalement, il faudrait miser sur les deux, ce qui à l’échelle d’un pays comme la France, implique des choix technologiques, politique, et financiers, difficiles. Nous n’opposons aucune technologie : pour nous les technologies de l’hybride, de l’hydrogène, de l’électrique, et du rechargeable, auront chacune leur place. Pour répondre plus précisément à votre question, même si cela concerne moins directement Toyota, il est certain que si la filière française et européenne veut se positionner sur le véhicule électrique, un champion européen de la batterie sera indispensable, parce que sinon toute la valeur ajoutée des véhicules viendra de Chine dans quelques années, ou en tout cas d’Asie.

L’avantage de la filière hydrogène est qu’au-delà de la mobilité l’hydrogène, elle a un intérêt en matière de stockage énergétique. Là où une batterie permet de stocker l’électricité issue des renouvelables pendant quelques minutes ou quelques heures, l’hydrogène peut la stocker durant des jours ou des mois. L’hydrogène est de ce fait couplé au développement des énergies renouvelables. La loi de transition énergétique a fixé un certain cap de développement des énergies renouvelables, même si cela se fera plus progressivement que prévu. L’incorporation massive d’électricité verte ne sera possible qu’avec l’accroissement de l’utilisation de l’hydrogène. Encore une fois, nous avons des champions en France dont l’intérêt ne se limite pas uniquement aux marchés français et européen. Nous travaillons aujourd’hui au niveau mondial avec des sociétés comme Air Liquide, aux États-Unis et au Japon, Engie au Japon – Isabelle Cochet la CEO en a fait son axe de développement stratégique pour les années qui viennent. Nous sommes approchés par Total ou Shell qui se posent des questions sur cette technologie. L’hydrogène à cet avantage qu’il permettrait aussi de garder sur le territoire national une bonne partie de la valeur ajoutée que l’on n’a pas aujourd’hui avec les véhicules thermiques, parce que l’on importe du pétrole, et qu’on pourrait ne pas avoir avec l’électrique, car même si on l’a pour la production électrique décarbonée, on ne l’a pas encore sur les batteries.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez évoqué tout à l’heure le prix des véhicules électriques, avec un accès à moins de 20 000 euros, ce qui pour beaucoup de foyers représenterait encore un coût important. Par contre, avec les voitures à hydrogène, comme la Mirail, aboutie technologiquement, on reste dans le haut de gamme du véhicule électrique.

M. Sébastien Grellier. Nous avons mis la Mirail au tarif officiel il y a dix jours, à 78 900 euros. Ces véhicules sont au premier prix d’une Tesla. Ce sont effectivement des véhicules à ce jour chers. C’est le rôle des constructeurs de rendre la technologie plus accessible. Notre feuille de route prévoit qu’à horizon 2025, avec la troisième génération, Toyota soit à même de mettre sur le marché des véhicules hydrogène au prix des véhicules hybrides d’aujourd’hui. La Mirail 3, si elle existe en 2025, devrait s’afficher autour des 40 000 euros, plutôt que des 80 000 euros actuels. L’hydrogène n’est pas forcément la bonne solution pour les petits véhicules.

M. Stéphane Piednoir. C’est un vrai sujet, car aucune incitation fiscale ne permettra de compenser ce surcoût de la technologie hydrogène. Vous avez expliqué que pour l’hybride dix ans ont été nécessaires pour vendre le premier million de véhicules, et après tous les 8 mois un nouveau million, donc l’accélération est exponentielle. Il faudra sans doute attendre encore dix ou vingt ans pour retrouver ce type d’évolution pour l’hydrogène, qui est une technologie d’avenir puisqu’on en parle déjà depuis pas loin de dix ans.

M. Sébastien Grellier. On en parle depuis presque dix ans, mais pour vous donner un exemple, le dernier prototype hydrogène datait de 2008, quand nous avons lancé la Mirail fin 2014 au Japon. Nous avons divisé par vingt le coût entre 2008 et 2015. L’objectif est au minimum de le diviser encore par deux, pour arriver sur le marché à un prix acceptable. Quelle que soit la technologie, les clients sont peut-être prêts à payer 1 000 ou 1 500 euros de plus pour passer au véhicule électrique ou hybride, mais pas 5 000 euros de plus. Si vous enlevez les aides, aujourd’hui, il n’y a plus de marché de l’électrique à batterie et de l’hybride rechargeable.

Mme Huguette Tiegna. Tesla a choisi de vendre des véhicules électriques haut de gamme, et malgré leur prix élevé des personnes en achètent. Avez-vous une idée des volumes de ventes attendus pour la Toyota Mirail ?

M. Sébastien Grellier. Dans les années qui viennent, notre objectif principal n’est pas le nombre de véhicules vendus, mais d’installer cette filière, notamment en France. Nous voulons faire de Paris, avec les Jeux de 2045, la capitale de l’hydrogène en Europe. Nous avons vendu 52 Mirail en France à ce jour, essentiellement à des entreprises et des partenaires travaillant pour la filière : Air Liquide, le CEA, Plastic Omnium, etc.

Nous estimons, suite à nos discussions avec Hype, pouvoir vendre entre 100 et 200 véhicules par an, en 2019 et 2020. À l’horizon 2030, le marché de l’hydrogène est estimé à 4 %, soit à peu près 80 000 véhicules. La feuille de route présentée en juin évoque 5 000 véhicules en 2023 et entre 20 000 et 50 000 à l’horizon 2028. Ce sont des proportions qui semblent raisonnables, mais c’est quelque chose qui va prendre du temps. Ce n’est pas dans les deux à trois ans que ce type de technologie pourra être vendu à 20 000 euros.

Mme Stéphanie Tumerelle. Il faut prendre en compte la cible visée. Dans le plan de Nicolas Hulot, la cible des véhicules hydrogène sont plutôt les flottes captives. Ce ne sont pas des particuliers qui vont acheter ces véhicules. Pour l’instant, les premiers clients sont des entreprises engagées dans la filière hydrogène. Ce seront de plus en plus les flottes de taxis, d’autopartage, ou les collectivités. Avec les appels à projets de l’ADEME, les régions vont pouvoir déposer des projets, en lien avec les entreprises de la filière hydrogène.

Mme Huguette Tiegna. Connaissez-vous les régions susceptibles de déposer des projets ?

Mme Stéphanie Tumerelle. L’appel à projets de l’ADEME a été ouvert il y a dix jours sur ce sujet du développement de l’hydrogène, avec une limite au 11 janvier 2019 pour déposer la première série de dossiers. Il faut qu’un écosystème se crée entre des constructeurs, pour la mobilité, des énergéticiens, pour la production, et une région qui soit un peu leader sur le sujet, par exemple avec l’opérateur Hype, un constructeur, un énergéticien, un fournisseur de stations, et la mairie de Paris. Je sais que quasiment toutes les régions se positionnent sur ce projet. On verra combien seront prêtes à déposer des projets début janvier.

Une deuxième ouverture pour déposer des dossiers est prévue au mois de mai. En tout cas, ce qui est certain, c’est que l’ADEME attend des projets à moyen terme, avec des stations et des voitures déployés pratiquement pour la fin 2019 - début 2020. Il ne s’agit pas de grands projets à l’horizon 2025, même s’ils peuvent s’intégrer dans un projet à long terme. Il est difficile de prévoir quelles régions répondront en premier. Ce pourrait être l’Île-de-France ou Auvergne-Rhône-Alpes. Dans cette dernière, la Zéro Emission Valley a été financée sur fonds européens, auxquels se sont ajoutées des subventions de la région, pour créer une vingtaine de stations dans les années à venir, et proposer des véhicules à hydrogène au prix d’un équivalent tarif. L’idée de cet appel d’offres sur des projets hydrogène est de reproduire ce schéma dans toutes les régions.

M. Sébastien Grellier. Ce qui est intéressant dans le plan hydrogène dévoilé début juin, c’est l’approche en termes d’écosystème, notamment par rapport à ce qui s’est fait en Allemagne. L’Allemagne a procédé comme le faisait jusque-là la France, en subventionnant les infrastructures, puis en attendant que les véhicules arrivent. Au final, certains opérateurs sont en train de fermer des stations, parce qu’ils n’ont pas suffisamment de véhicules. Cette approche en termes d’écosystèmes est primordiale, à la fois pour l’opérateur, pour l’investisseur, pour le constructeur automobile, car elle permet d’atteindre, non la rentabilité, mais un point mort économique, de façon plus beaucoup rapide.


Audition de lAcadémie des technologies

M. François de Charentenay,
ancien directeur des recherches et affaires scientifiques du groupe PSA,

M. Christophe Midler,
directeur de recherche au CNRS, Centre de recherche en gestion
de lÉcole polytechnique-Institut interdisciplinaire de linnovation,

M. Paul Parnière,
membre du conseil dadministration de lInstitut supérieur de lautomobile
et des transports, délégué territorial Sud-Ouest de lAcadémie

 

Mardi 23 octobre 2018 au Sénat

 

M. Paul Parnière, membre du conseil dadministration de lInstitut supérieur de lautomobile et des transports, délégué territorial Sud-Ouest de lAcadémie des technologies. Cette question doit prendre en compte deux finalités : d’une part, l’engagement national de réduction des émissions de CO2, mais aussi des pollutions locales, comme les particules ou le bruit, et, d’autre part, le maintien d’une industrie automobile française compétitive. La réflexion que nous avons menée se limite aux véhicules particuliers et aux véhicules utilitaires légers. Elle ne prend donc pas en compte les bus et les poids lourds. Par ailleurs, il conviendrait de déterminer si l’objectif visé en 2040 est un arrêt des ventes de véhicules thermiques ou un arrêt des immatriculations, ce qui n’est pas équivalent.

M. Christophe Midler, directeur de recherche au CNRS, Centre de recherche en gestion de lÉcole polytechnique - Institut interdisciplinaire de linnovation. D’ici 2040, les scénarios de mobilité risquent de connaître de profondes mutations. Le modèle actuel se base sur la voiture familiale possédée, et à usages multiples. Nous nous orientons vers une mobilité comportant des vecteurs de transport plus diversifiés, et plus spécialisés. Nous allons probablement assister à une fragmentation du marché, avec des voitures destinées à un usage urbain, et d’autres à un usage périurbain, ou à de longs trajets. Par ailleurs, nous allons passer des voitures possédées à des voitures de service.

Cette transformation résulte de réglementations qui s’intéressent surtout aux émissions de CO2 au plan national et international, et à la pollution au plan local. Elles ne sont pas synchronisées, certaines villes mettant déjà en œuvre des incitations fortes, telles que des interdictions de circuler en centre-ville pour les véhicules les plus polluants.

Par conséquent, la diversification des usages et des réglementations représente un défi de taille pour les constructeurs. Ils devront envisager des trajectoires de recherche et développement sur plusieurs technologies vouées à cohabiter sur le marché, par exemple les véhicules à batterie et les véhicules hybrides rechargeables, que l’on a pourtant tendance à opposer.

L’évolution des comportements résulte des évolutions technologiques sur les véhicules, mais aussi sur d’autres technologies, telles que les télécommunications et le numérique, comme le démontre le succès d’Uber. Ces progrès engendrent une diversification des services de mobilité, donc davantage de multimodalités.

Aussi, les pouvoirs publics joueront-ils un rôle déterminant dans l’amorçage de transitions durables des modalités de transports et d’actions cohérentes, notamment en termes d’investissement. Ils devront aussi favoriser les expérimentations, et être en mesure de tirer les enseignements de ces expérimentations, y compris de celles menées dans d’autres pays.

M. Paul Parnière. Pour en revenir aux véhicules, dans les années à venir, le marché sera, très vraisemblablement dominé par les véhicules électriques à batterie. Se pose donc, en priorité, le problème des batteries, avec la nécessité d’un « Airbus des batteries ». Aujourd’hui, la technologie des batteries lithium-ion à électrolyte liquide est maîtrisée par les Asiatiques : Chinois, Coréens et Japonais, qui exercent une hégémonie sur ce marché.

Or, la batterie d’un véhicule électrique conditionne 40 % de son prix. Il est donc impossible, en passant aux véhicules tout électriques, de maintenir une industrie automobile française, si elle est tributaire de l’étranger pour les batteries. Toutefois, les roadmaps technologiques des constructeurs, en particulier chinois, nous montrent que nous nous dirigeons vers une nouvelle génération de batteries lithium-ion à électrolyte solide, vers 2023 ‑ 2026.

Il existe donc une opportunité industrielle à saisir, au plan français et européen. La semaine dernière à Bruxelles, une réunion a d’ailleurs eu lieu pour initier ce processus de collaboration des industriels de la batterie, et des constructeurs automobiles européens. Mais nous n’avons pas eu de retour sur ses résultats. De plus, au vu des accords passés par les constructeurs allemands, en particulier avec le chinois CATL, on est en droit de s’interroger sur la concrétisation d’une telle alliance européenne.

En France, nous avons la chance de disposer d’une chaîne de recherche et développement très structurée sur la question des batteries, avec le Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E), qui regroupe les plus grands laboratoires français et la plupart des industriels du secteur. De plus, SAFT, qui appartient désormais à TOTAL, est un industriel important du secteur des batteries. En se dotant d’une vision claire à long terme, il est encore possible de remporter la bataille industrielle sur la prochaine génération de batteries, sachant que nous l’avons perdue sur la génération actuelle.

M. François de Charentenay, ancien directeur des recherches et affaires scientifiques du groupe PSA. L’électronique de puissance constitue un deuxième aspect industriel important de l’électromobilité. Elle a un rôle primordial pour la recharge des véhicules. En effet, la recharge implique une gestion des changements de potentiels, allant de 220 volts sur une prise domestique à 800 volts à bord du véhicule, mais aussi des passages du courant alternatif au courant continu, et inversement. Cette gestion est assurée par des composants qui n’existaient pas voici trente ans. La France est assez mal placée dans ce domaine. En Europe, il existe deux entreprises spécialisées, mais elles ne sont vraisemblablement pas de taille suffisante, du moins pour concurrencer les Japonais, qui dominent le marché depuis longtemps. Aussi, pour rattraper notre retard, il pourrait être intéressant de créer aussi un « Airbus des composants électroniques de puissance ».

Par ailleurs, dans le futur, la plupart des recharges interviendront au domicile ou au travail, avec des bornes délivrant 7 kilowatts de puissance, qui permettent de recharger en 6 à 8 heures des voitures équipées de batteries ayant des capacités comprises entre 30 et 40 kilowattheures. Des études devront être menées pour que la recharge domestique puisse être accessible à tous et gérée efficacement, notamment dans les copropriétés, qui renâclent à installer des infrastructures dans les sous-sols des immeubles. Ces infrastructures de recharge à 7 kilowatts coûtent aujourd’hui entre 1 000 et 2 000 €. Il faut espérer que ce prix baisse, car cela représente tout de même un coût non négligeable pour des citadins désirant se déplacer en véhicule électrique dans les agglomérations.

La problématique des infrastructures de recharge privées, à domicile ou en entreprise, est surtout quantitative, contrairement à celle des infrastructures de recharge publiques, qui sont moins nombreuses, mais doivent répondre à plusieurs usages. En effet, les infrastructures publiques doivent permettre à un automobiliste ne disposant pas d’un garage de se recharger à l’extérieur, avec des bornes d’au moins 7 kilowatts. Mais elles doivent aussi servir pour les longs trajets, notamment sur autoroutes, avec une recharge rapide en 20 ou 30 minutes, qui implique une puissance conséquente. Par exemple, pour remplir une batterie d’une capacité de 45 kilowattheures en 20 minutes, il faut une borne de 120 kilowatts, dispositif peu répandu à l’heure actuelle. Sur ce segment de la recharge rapide, des sociétés comme Tesla commencent à installer des unités de 125 kilowatts, voire 300 kilowatts. Le risque serait de voir se développer des réseaux propriétaires, qui ne seront pas mis à la disposition de tous les automobilistes. Pour assurer la rentabilité d’un tel système de recharge publique, il faudrait parvenir à un consensus, au niveau national voire européen, pour n’avoir qu’un seul type de prise.

En imaginant une flotte de l’ordre de dix millions de véhicules électriques, il faudrait environ deux millions de bornes de recharges dans l’espace public, ce qui représente des investissements non négligeables, et un besoin supplémentaire d’électricité de 50 térawattheures. Ce surplus de demande ne représente, au final, que 10 % de la production électrique française actuelle. Le problème se situe davantage au niveau de la distribution et de l’équilibre des réseaux, qui dépendent d’un grand nombre d’acteurs : les producteurs, distributeurs, et opérateurs d’électricité, mais aussi les constructeurs, les équipementiers, les fabricants de bornes, les gérants de stations de recharge, ou encore les entreprises de services, qui pourraient devenir des intermédiaires importants, s’il devenait possible de réserver un créneau de recharge sur une borne publique. Toutefois, la priorité doit être donnée à l’équipement des villes, où les émissions de CO2 et les rejets de polluants sont plus importants que sur les longs trajets.

Enfin, l’électromobilité soulève deux autres problématiques : celle du financement, public, privé, ou mixte, de ces infrastructures très coûteuses, et, celle de la reconversion des métiers de l’industrie automobile. En effet, pour un moteur thermique, il faut environ neuf fois plus de travailleurs que pour un moteur électrique. Il faudra donc prévoir des reconversions, pour transférer les compétences des véhicules thermiques vers les véhicules électriques.

M. Christophe Midler. La réglementation, a un impact significatif sur les comportements, comme le montrent les incitations en faveur du diesel en Europe, ou de la mobilité électrique en Chine. Si la réglementation semble indispensable, il faut néanmoins l’implémenter finement, pour éviter les effets pervers ou les freins. Par exemple, comme cela a été constaté en Europe de l’Est, des normes très sévères peuvent augmenter le vieillissement du parc automobile, en renchérissant le prix des voitures neuves. Les automobilistes auront alors tendance à garder leur véhicule ancien, plus polluant que ne l’aurait été une voiture neuve soumise à des normes moins exigeantes.

Par ailleurs, un choc brutal peut impacter la valeur résiduelle des véhicules d’occasion, comme cela est survenu pour le diesel. Or, la moitié des voitures neuves sont aujourd’hui vendues avec une reprise. Une chute de la valeur de reprise peut conduire à une baisse des ventes de voitures neuves, donc à un vieillissement du parc, ou, si les constructeurs rachètent les véhicules d’occasion au-dessus de leur valeur réelle, à une baisse de leur rentabilité, au moment même où ils doivent consentir des investissements importants en recherche, pour assurer la transition vers l’électromobilité Il pourrait être intéressant d’étudier ces effets.

Une autre incitation importante résulte de l’évolution des prix des énergies qui alimentent les véhicules, et impactent donc leur coût total de possession, ou TCO (total cost of ownership). Il faut jouer sur plusieurs paramètres, comme l’illustre l’exemple de la Chine, dont la politique volontariste en 2009 a échoué, faute de l’avoir fait.

Il faut également réguler le marché en prenant en compte sa dimension internationale, les constructeurs étant implantés dans un écosystème mondialisé. Une réglementation nationale peut avoir des effets de bord, comme avec la différence entre ventes et immatriculations, déjà évoquée, ou le risque de basculement du marché de l’occasion d’un pays vers un autre, pour contourner la réglementation sur les véhicules neufs. De plus, il est impossible aujourd’hui d’ignorer que la Chine donne le tempo en matière technologique et influence les choix des constructeurs.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Pensez-vous que les Européens soient bien positionnés dans le secteur des batteries pour atteindre les objectifs de développement et de commercialisation des batteries à électrolyte solide aux alentours de 2023 ou 2026 ?

M. Paul Parnière. En tant qu’ancien de Renault, j’ai pu rencontrer le fabricant coréen LG, fournisseur de Renault-Nissan, et le groupe chinois CATL. Ils suivent de près la recherche et développement français. La France a donc un véritable potentiel, qu’il faudra toutefois mettre très rapidement en œuvre sur le plan industriel, si l’on veut rester dans la course avec les fabricants asiatiques. En effet, CATL espère créer une première installation destinée à la fabrication de batteries à électrolyte solide dès 2022, ce qui peut paraître ambitieux. Dès lors, il est important de rassembler tous les acteurs européens, pour fonder un « Airbus européen », avec l’aide potentielle d’alliés extérieurs, comme les Coréens, qui sont très inquiets de la rapidité des Chinois, et dont le marché national n’est pas très intéressant économiquement.

M. Stéphane Piednoir. Cela obligerait toutefois certains pays, notamment l’Allemagne, à revenir sur certains accords passés.

M. Paul Parnière. Les deux constructeurs BMW et Mercedes sont en effet déjà engagés avec les fabricants chinois. À ma connaissance, le groupe Volkswagen n’a pas encore pris parti. Il est aussi important de s’intéresser aux États-Unis, où Tesla essaye d’imposer un certain nombre de choses, sans être suivi par Ford et General Motors.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. On constate l’apparition de nouveaux comportements de mobilité, tels que le covoiturage. Pensez-vous que les habitudes de nos concitoyens changeront drastiquement d’ici 2040, et comment peut-on évaluer les effets de ces changements ?

M. Paul Parnière. Il est important d’essayer de réduire les besoins de mobilité de la population, quand cela est possible, en fonction des spécificités des territoires. Je vais vous donner l’exemple d’un petit territoire où j’habite, avec une densité forte le long de l’océan et faible dans l’arrière-pays : le Pays Basque.

D’abord, j’ai pu constater que la dématérialisation des démarches administratives réduisait les déplacements vers les villes. Cependant, les populations ne sont pas forcément à l’aise avec les nouvelles technologies et l’accès au haut débit n’est pas toujours assuré en zones rurales. Les autorités locales et les associations ont donc un rôle à jouer pour aider les plus démunis face à la technologie. Si la politique de dématérialisation et d’incitation à l’utilisation d’outils numériques est correctement implémentée, elle contribue à réduire les besoins de mobilité.

Par ailleurs, il est important de gérer correctement les services de transport à la demande, pour relier les villages ou petites villes aux villes les plus importantes, où les gens ont besoin de se déplacer pour accéder à plus de produits et de services.

Enfin, il faut mettre en place un système de transports en commun non polluants dans les grandes agglomérations. La collectivité territoriale a ainsi décidé de construire un tramway électrique, pour répondre aux besoins de mobilité dans les zones plus denses.

Cet exemple prouve qu’il faut imbriquer plusieurs éléments pour mener une politique efficace au niveau local. Aussi, me semble-t-il important d’aider les collectivités locales à la mettre en œuvre.

M. Christophe Midler. En ce qui concerne les déplacements en zones urbaines et périurbaines, les changements de comportement existent déjà. Le coût de possession d’une voiture est aujourd’hui très élevé dans les grandes villes, et les comportements évoluent donc en conséquence. Il ne faut pas opposer le transport à la demande individuel, véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) ou plus tard autonomes, et le transport de masse. Au contraire, ces modes de transport se complètent et se cumulent. En effet, le développement du véhicule autonome permettra aux individus d’aller de leur domicile jusqu’aux gares ferroviaires et routières, ce qui implique un renforcement des transports collectifs. Ces modes de transport doivent donc se développer en même temps. D’ailleurs, de plus en plus de jeunes en formation universitaire, voués à appartenir aux catégories socioprofessionnelles supérieures, ne passent plus le permis de conduire.

M. Stéphane Piednoir. Le véhicule hydrogène est une autre évolution technologique de la mobilité, dont le prix d’acquisition est actuellement très élevé, du même ordre de grandeur que celui des véhicules électriques haut de gamme. Ce prix d’achat élevé est-il le seul frein à l’essor de cette technologie ? La France et l’Europe ont-elles intérêt à se positionner sur ce segment ?

M. Paul Parnière. Beaucoup de constructeurs automobiles envisagent les véhicules électriques à hydrogène – des véhicules électriques dans lesquels l’électricité est fournie par une pile à combustible chargée en hydrogène – comme une solution à zéro émission complémentaire des véhicules électriques à batterie, permettant d’effectuer des longs trajets. Le développement du véhicule hydrogène dépendra surtout de l’augmentation de l’autonomie réelle des véhicules électriques à batterie, et des possibilités de recharge rapide, car plus ces deux éléments s’amélioreront, plus la demande de véhicules hydrogène diminuera. Toutefois, il est difficile d’imaginer que le véhicule électrique puisse couvrir l’ensemble des besoins de mobilité dans le futur. La Plateforme automobile (PFA) estime que la mobilité hydrogène pourrait occuper entre 5 et 15 % du marché en 2040. Le véhicule hydrogène ne sera donc vraisemblablement pas un phénomène de masse.

Par ailleurs, l’hydrogène pose de nombreux problèmes qu’il faut encore résoudre, en termes de production, de stockage, ou de transport. Compte tenu des précautions qu’il faudra prendre pour sa production et sa distribution, l’hydrogène restera une solution coûteuse dans les décennies à venir. Dès lors, il est possible qu’une partie limitée du parc automobile soit toujours constituée par des véhicules hybrides à moteur thermique très optimisé, fonctionnant éventuellement avec des carburants plus écologiques, pour les longues distances. Néanmoins, CATL pense que les batteries à électrolyte solide atteindront des densités de 400 à 500 wattheures par kilo, permettant des autonomies de 700 à 750 kilomètres.

M. François de Charentenay. Cependant, il ne faut pas oublier que si l’on augmente l’autonomie d’un véhicule en embarquant plus de kilowattheures de batterie à bord, il faudra se doter d’infrastructures de recharge délivrant des puissances de plus en plus élevées, de l’ordre de 350 à 500 kilowatts, pour permettre une recharge rapide en moins de 30 minutes.

Pour l’hydrogène, il ne faut pas oublier que sa production décarbonée nécessitera une véritable révolution du circuit de production chimique.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez mentionné la difficulté à fournir une recharge rapide pour des véhicules équipés d’une batterie de grande autonomie. Serait-il possible de définir une taille de batterie optimale, pour parvenir à un compromis entre-temps de recharge et autonomie ?

M. Paul Parnière. Une expérimentation a été menée par Renault et l’État israélien, avec la société Better Place, qui proposait des packs de batteries normalisés, chargés en dehors des véhicules, puis substitués en quelques minutes à ceux des véhicules. C’était le pays idéal pour mettre en place un tel dispositif, les Israéliens parcourant de courtes distances, et cherchant à se rendre indépendants du pétrole de leurs voisins. Mais cela s’est avéré impraticable, car les batteries sont des éléments très structurants pour l’architecture globale d’un véhicule. De ce fait, utiliser le même pack de batteries pour tous les modèles de tous les constructeurs nécessiterait un consensus international, qui semble très compliqué à atteindre.

M. Christophe Midler. Une société chinoise essaye de relancer ce projet. Mais compte tenu de l’importance de la batterie dans le prix d’un véhicule électrique, les constructeurs cherchent à optimiser son coût et ses spécificités techniques, en fonction des clients ciblés. Une normalisation des packs de batteries ne présenterait aucun intérêt pour eux. On devrait, au contraire assister à une fragmentation des tailles de batteries.

M. Paul Parnière. D’ailleurs, au sein d’un seul et même groupe, l’alliance Renault-Nissan, la Renault Zoé et la Nissan Leaf, qui utilisent la même plateforme, sont équipées de batteries différentes, respectivement de 40 et 60 kilowattheures, afin de diversifier la gamme de véhicules électriques.

M. Stéphane Piednoir. L’abandon d’Autolib à Paris peut-il avoir un impact sur le développement de l’autopartage ?

M. Paul Parnière. Le coût de maintenance de l’autopartage, et même de Vélib, à Paris s’est avéré beaucoup plus élevé que dans d’autres pays, ou en province. Il s’agit davantage d’un problème de civisme dans les grandes agglomérations urbaines que d’un problème technique.

M. Christophe Midler. Les évolutions très rapides dans le domaine de la mobilité, donneront nécessairement lieu à des difficultés, comme cela s’est produit en Chine. Il est nécessaire d’expérimenter et de réagir rapidement face aux problèmes rencontrés. Autolib a été confronté à des problèmes financiers, mais aussi de maintenance et d’entretien de sa flotte, pas toujours bien gérés.


Audition de Madame Florence Lambert, directrice

Laboratoire dinnovation pour les technologies des énergies nouvelles
et les nanomatériaux

Commissariat à lénergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

 

Jeudi 25 octobre 2018 au CEA Grenoble

 

Mme Florence Lambert, directrice du LITEN, CEA. Je suis entrée au CEA en 1996, au centre de Cadarache, en tant que thésarde sur le stockage des énergies renouvelables. J’ai ensuite suivi Jean Therme, alors directeur de la recherche technologique du CEA, lorsqu’il a créé l’INES, en 2006. J’y ai lancé une activité de recherche sur le stockage des énergies renouvelables. Dans le cadre de la montée en puissance de Renault sur le véhicule électrique, le groupe nous a demandé de créer un département dédié aux batteries. De 2009 à 2013, j’ai été en charge de cette plateforme de recherche et développement, l’une des plus importantes sur le sujet en Europe, avant de prendre la direction du LITEN.

Le CEA a la particularité d’être une institution à mi-chemin entre l’industrie et la recherche. D’ailleurs, au sein du LITEN, 40 % de nos effectifs sont issus de l’industrie. Nous avons également une centaine de thésards. Je pense que ce n’est pas assez, car c’est par nos activités de recherche que nous sommes une force d’innovation. De plus, le regard des jeunes sur la révolution de l’énergie à laquelle nous faisons face est particulièrement important, d’autant plus que le numérique prend une place de plus en plus importante. D’ailleurs, nous essayons de tisser des liens avec les écoles pour que plus d’étudiants viennent travailler sur les sujets relatifs à l’énergie au LITEN.

Etant dans le domaine de l’énergie depuis une vingtaine d’années, je constate que nous vivons une véritable révolution, portée par l’accélération du développement des technologies. Les énergies renouvelables, de plus en plus compétitives, et le numérique, remettent en question le paradigme actuel de l’énergie. Bien que le numérique soit fondamental pour accompagner la transition énergétique, il ne sera pas suffisant pour permettre à la France de devenir une grande nation dans le secteur de l’énergie. Nous devons aussi nous battre sur le développement et la fabrication des technologies.

Le modèle énergétique vers lequel nous nous dirigeons est davantage distribué, et place donc les territoires au cœur de la refonte de notre système. L’approvisionnement énergétique et son optimisation sont des problématiques propres à chaque territoire et nécessitent une interconnexion entre eux.

Le contexte actuel est favorable à l’avènement des énergies renouvelables et à la transition énergétique, même si nous attendons les orientations de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie. La COP 21 a évidemment envoyé un signal fort, mais je suis perplexe quant à notre manque de vision stratégique industrielle pour parvenir à nos objectifs environnementaux. Je crains que, sans schéma industriel clair, notre balance commerciale soit très déficitaire.

En tant qu’établissement de recherche et développement, l’une de nos principales missions est de nous assurer que les objectifs de la transition énergétique se traduisent en emploi. D’autre part, nous devons être en mesure d’aligner nos efforts de R&D avec la concurrence internationale. Les technologies de la transition énergétique sont des technologies extrêmement évolutives, reposant sur des recherches approfondies sur les matériaux, que ce soit pour les batteries ou les panneaux solaires. Au vu de l’ampleur des recherches nécessaires, nous avons, en effet, observé ces dernières années un doublement des capacités de recherche et développement au sein des grandes nations, particulièrement en Asie. Par exemple, à Shanghai, un grand campus est en train de se former autour d’équipes quasiment entièrement constituées de chercheurs américains, issus des grandes universités de leur pays.

D’une part, nos activités pour la transition écologique s’orientent beaucoup autour du photovoltaïque, dont la rentabilité économique est maintenant démontrée, et la production augmente grandement. D’autre part, nous travaillons sur le stockage de l’énergie. Les transports propres, voués à se démocratiser au vu du bannissement prochain des motorisations diesel des centres villes européens, sont un véritable moteur du stockage de l’électricité à l’aide des batteries lithium-ion. Ces batteries commencent à être produites sur le sol européen depuis deux ans, avec l’implantation d’usines coréennes et chinoises sur notre continent. Cela s’explique par le fait qu’elles sont difficilement déplaçables, leur transport pouvant exclusivement s’effectuer dans des containers à température contrôlée. Aujourd’hui, se pose la question de la création d’un « Airbus des batteries » en Europe.

La répartition du lithium à l’échelle de la planète est très inégale et nous nous penchons donc sur les problématiques de distribution et d’analyse en cycle de vie de ce matériau. On parle aussi beaucoup du cobalt mais d’ici à dix ans, il n’y aura plus de cobalt dans les cathodes. Nous travaillons avec Umicore pour substituer le cobalt avec du manganèse.

Se pose ensuite la question de l’hydrogène au service de la mobilité. Le marché n’est pas encore prêt aujourd’hui, en dépit de la complémentarité entre les batteries et l’hydrogène. Là où les batteries sont intéressantes pour la mobilité légère et les trajets courts, l’hydrogène sera pertinent, grâce à sa densité énergétique élevée, pour les véhicules lourds. Si l’on regarde les prévisions de la Plateforme automobile, on constate aisément que les véhicules à batterie vont occuper une place importante sur le marché, d’où l’intérêt d’une filière européenne de la batterie, et que l’hydrogène pourrait s’inscrire dans la continuité des véhicules au gaz méthane (GNV) pour les gros véhicules terrestres.

Par ailleurs, l’hydrogène est intéressant pour le stockage stationnaire, même si on ne verra pas le développement d’une véritable filière avant 2035, voire 2040 en France, du moins pas avant qu’un taux élevé d’intégration des énergies renouvelables soit atteint. Les acteurs du réseau souhaitent en effet bénéficier de plus de flexibilité, mais le besoin n’est pas immédiat en métropole. En revanche, dans les ZNI (zones insulaires non interconnectés au réseau électrique métropolitain français), notamment dans le cadre des appels d’offre de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), il est important de commencer à s’emparer de ce sujet, et de prendre les devants sur ces technologies.

Le dernier grand champ d’application de l’hydrogène est l’industrie, et c’est sur ce secteur que la France a décidé de se positionner en priorité. C’était d’ailleurs l’orientation du rapport Hulot. La France a fait ce choix pour ne pas reproduire l’erreur allemande d’investir massivement dans l’hydrogène pour les véhicules, dans une logique de marché de masse. Aujourd’hui, les véhicules hydrogène sont très chers, voire inabordables, et les stations sont donc très peu utilisées, et pas du tout rentables.

Il est donc essentiel d’avoir une vision globale de l’hydrogène, qui est aujourd’hui massivement produit à partir du vaporeformage du méthane, un procédé émettant plus de dix millions de tonnes de CO2 par an en France, et essentiellement lié à l’industrie. Nous travaillons donc sur l’électrolyse, pour qu’elle se substitue au vaporeformage, afin de développer une filière ayant un véritable intérêt environnemental. Le vaporeformage permet aujourd’hui d’obtenir de l’hydrogène à 2 € par kilogramme et l’électrolyse pourrait très bientôt atteindre un prix comparable, surtout si l’hydrogène est produit localement. L’idée est de créer des hubs énergétiques de production d’hydrogène, afin d’être au niveau industriel dans cinq à dix ans, quand l’hydrogène-Énergie montera en puissance.

L’hydrogène ne doit pas être réduit à la comparaison avec les batteries lithium-ion, car il présente un très grand panel d’applications, comme le stockage de l’électricité, ou encore la production de méthane ou d’autres molécules d’intérêt, via son couplage avec du CO2. D’ailleurs, nous nous attachons à ne pas opposer les batteries et l’hydrogène et, au sein des départements du LITEN, ils sont traités conjointement. Nous avons également un service qui étudie les possibilités d’hybridation entre l’électricité et l’hydrogène.

Au vu de la forte position industrielle de l’Europe dans le secteur automobile, en particulier à travers les constructeurs français et allemands, le marché des batteries est très important, d’où les perspectives européennes sur le développement d’une filière industrielle sur notre continent. Le stockage n’est pas forcément extrêmement pertinent en Europe pour le stockage stationnaire, mais pourrait l’être dans les pays émergents. En effet, dans ces pays émergents, ayant une forte densité de population, donc une demande énergétique élevée, nous allons sûrement assister à des rattrapages, voire des inversions technologiques dans les années à venir. Les solutions technologiques dépendront beaucoup des typologies de chaque pays. On pourrait également assister à des sauts technologiques, directement vers l’hydrogène pour la mobilité, car certains pays doivent s’emparer rapidement, pour des raisons de santé publique, de ce sujet, mais n’ont pas le réseau nécessaire pour recharger les batteries électriques. De plus, les technologies de l’hydrogène (piles à combustibles et électrolyseurs) peuvent être produites facilement localement. Les pays émergeants offrent donc des débouchés à nos industriels, directement ou via des coopérations avec les acteurs locaux.

Il paraît très complexe, voire impossible de créer des usines de batteries dédiées au seul marché du stockage des énergies renouvelables. Les scénarios énergétiques prévoient que 5 % du volume des batteries lithium soient dédiées au stockage en Europe, alors que ce chiffre pourrait atteindre jusqu’à 20 % dans les pays émergents. La fabrication des batteries au lithium étant une industrie de massification, les gigafactories de cellules de batterie auront une production adaptée aux deux marchés.

La technologie lithium a explosé ces dernières années. Tout d’abord, il s’agit d’une technologie très évolutive, sur laquelle Panasonic est leader depuis une quinzaine d’années, grâce à des coopérations avec Toyota, entre autres. Panasonic dispose d’importants moyens de recherche et développement sur les batteries, avec environ 2 000 employés dans ce domaine.

Au-delà de la R&D, de grands gains peuvent être réalisés autour des procédés, aussi bien sur le front des batteries que celui du photovoltaïque. Créer des usines n’est pas suffisant. Il faut aussi que les équipementiers maîtrisent les procédés, pour que les coûts soient compétitifs. Nous travaillons donc avec un équipementier suisse sur le photovoltaïque, et avec le consortium européen sur les batteries. Avec la massification de la production des batteries, le prix d’achat des matériaux actifs, en particulier le lithium, a été divisé par six en 10 ans. De même, grâce à l’optimisation des procédés sur le lithium, le coût par wattheures des cellules de batteries a été divisé par 18 entre 2000 et 2016.

Pour accompagner les développements industriels autour des batteries, nous disposons, à Grenoble, d’une salle blanche, anhydre et sèche, avec des niveaux de tolérance très précis, pour nos recherches sur le lithium.

J’ai eu l’opportunité d’assister aux deux dernières réunions avec le commissaire européen M. Maros Sefcovic car nous sommes l’une des seules grandes entités de recherche européenne sur le sujet. Nous cherchons à avoir un leadership dans le domaine de la recherche sur les batteries, mais cela n’aura d’intérêt que si une industrie se développe. Afin d’endiguer l’arrivée des acteurs asiatiques sur le continent européen, des initiatives européennes émergent. On retiendra surtout la création de l’usine de batteries Northvolt en Suède, qui démarre, et l’Airbus des batteries autour de Saft, seul acteur européen expérimenté en matière de procédés.

De son côté, Northvolt a annoncé une alliance non-exclusive avec BMW. Pour sa part, Saft cherche à lancer une gigafactory. Se pose alors la question du financement de la montée en puissance des usines. En effet, dans les pays asiatiques, en particulier en Chine, on constate qu’il y a une vraie coordination entre les différents acteurs, publics comme privés, pour gérer ces questions. Aujourd’hui cela semble difficilement reproductible en Europe et pourtant cette question est centrale pour la rentabilité de ces industries.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. L’intérêt d’un Airbus des batteries n’est-il pas plutôt d’investir sur une autre technologie que la technologie lithium-ion qui domine actuellement le marché, et sur laquelle nos concurrents étrangers ont une avance considérable ?

Mme Florence Lambert. Je vous rejoins complètement sur ce point. Cependant, même avec une technologie nouvelle, il va falloir l’insérer économiquement sur le marché, et elle ne sera pas compétitive dans les premières années de production. C’est tout l’intérêt pour l’Airbus des batteries Européen de partir sur la technologie « tout solide » qui permet de rebattre les technologies au niveau asiatique.

M. Stéphane Piednoir. Nous ne jouons pas à armes égales avec les asiatiques, qui ont des volumes de production déjà très importants.

Mme Florence Lambert. Le volume est primordial, et la rentabilité aussi. Nous avons, à mon avis, dix ans pour réagir de manière adéquate sur la politique industrielle européenne des batteries, au risque d’être complètement balayés.

Pour l’hydrogène, la première impulsion est venue de Peugeot, avec qui nous avions commencé à travailler sur cette filière il y a vingt ans, mais les recherches se sont vite arrêtées, car le thermique est revenu en force dans le secteur automobile. Malgré tout, nous avons gardé les technologies développées à l’époque, tout en ayant déjà une stratégie pour les positionner sur d’autres marchés, comme le naval ou l’aéronautique. Nous avons créé des démonstrateurs, comme Energy Observer, ce qui nous a permis de continuer à développer les technologies en attendant que la technologie devienne mature. Nous sommes donc présents sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène, de sa production à la pile à combustible. Notre technologie de pile à combustible a d’ailleurs été transférée à Symbio FCell et à Faurecia.

Après Peugeot, nous avons été contactés par les énergéticiens qui rencontraient des difficultés pour valoriser la production d’énergie photovoltaïque, malgré les coûts de production bas, car les densités de population n’étaient pas toujours en adéquation avec les volumes produits. L’hydrogène est aujourd’hui bien perçu en tant que vecteur d’énergie pour stocker et transporter l’énergie.

D’autre part, les équipementiers automobiles ont bien compris que l’hydrogène allait accompagner l’électrification. Contrairement aux batteries, qui nécessitent des usines de massification, les piles à combustible peuvent être produites dans des ateliers propres, car elles sont fabriquées à base de tôle emboutie et de feutre de platine, ce dernier étant recyclable. Les coûts d’investissement pour lancer des chaînes de production sont très différents. Pour une usine de batteries d’une capacité de quelques gigawattheures, il faut plusieurs milliards d’euros, contre seulement une centaine de millions d’euros pour un atelier de pile à combustible.

De plus, nous assistons à une baisse du coût des électrolyseurs, ce qui n’est pourtant pas très relayé. Les coûts des technologies des énergies renouvelables ont tous drastiquement baissé, et les électrolyseurs ne font pas exception, avec une division de leur prix par quatre. Cela explique la convergence récente des coûts de production par électrolyse et par vaporeformage, entre 4 et 6 euros par kilogramme d’hydrogène.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Existe-t-il également une convergence sur le rendement de ces deux modes de production ?

Mme Florence Lambert. Aujourd’hui, le vaporeformage reste plus répandu que l’électrolyse, qui monte cependant réellement en maturité. L’hydrogène est sorti de sa confidentialité, car il s’agit à la fois d’un complément pour la mobilité et d’un couteau suisse pour la transition énergétique. J’étais lundi au ministère de la recherche, en compagnie de représentants de l’Institut Max Planck, et nous prévoyons de nous fédérer pour travailler ensemble sur la valorisation des molécules d’hydrogène. L’Allemagne est très avancée sur la chimie de la transformation de l’hydrogène, avec de grosses entreprises, comme Siemens ou BASF. À l’inverse, au sein du CEA, nous maîtrisons plutôt les modes de fabrications compacts, permettant la production distribuée de l’hydrogène.

Après ce survol des différentes thématiques, j’aimerais présenter plus en détail le LITEN. Notre laboratoire fait partie de la direction de la recherche technologique, et possède le label CEA Tech. La direction de la recherche technologique a été imaginée par le général de Gaulle, qui avait compris que pour faire monter en puissance le secteur nucléaire, il était impératif de maîtriser des savoirs dans de nombreux domaines connexes, comme les matériaux, les logiciels, et les systèmes. Cette direction a donc pour objectif de valoriser ces recherches secondaires, pour des applications diverses à destination de la grande industrie.

En restant sur ce schéma, la direction s’est fragmentée en diverses entités comme le LETI (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information) ; notre laboratoire historique, fondé en 1967, sur les micro-nanotechnologies, qui compte pas moins de 3 000 personnes, en majorité basées à Grenoble ; le LIST (Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies) à Saclay, spécialisée sur les systèmes numériques et la robotique, qui regroupe environ 500 personnes et le LITEN, qui rassemble 900 personnes.

Pour l’essentiel, la croissance de la recherche technologique s’est faite sur la base de subventions constantes de l’État, et donc sur notre capacité à développer des contrats industriels bilatéraux. Ainsi, le LITEN reçoit entre 50 et 60 millions d’euros par an grâce à l’industrie. Notre force se trouve dans notre capacité à déposer beaucoup de brevets. Le CEA fait partie des institutions mondiales les plus reconnues dans la recherche. Nous sommes d’ailleurs deuxièmes au monde dans le classement Thomson-Reuters des institutions publiques qui contribuent le plus à faire progresser la science et la technologie dans le monde. Le CEA dépose en effet 630 brevets par an, dont 220 proviennent du LITEN, et nos transferts de technologie vers l’industrie sont nombreux. Nous nous situons même au-dessus de l’institut Fraunhofer, en termes de nombre de brevets déposés par chercheur.

Nous assurons au maximum le lien entre la recherche fondamentale et l’application industrielle. Nous essayons de transférer le plus vite possible nos technologies vers l’industrie, en nous assurant de leur maturation. Nos laboratoires présentent très souvent des lignes pilotes, que les industriels ont souvent du mal à financer seuls, sur lesquelles nous pouvons lancer des préséries. Au-delà du CEA, nous collaborons de plus en plus avec le CNRS. Pour vous donner des exemples, sur les batteries, nous participons au RS2E (Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie) et sur l’hydrogène nous sommes en train de monter avec le CNRS un réseau national, afin de fédérer les plateformes étudiant le sujet.

Pour en revenir au LITEN, notre budget est en croissance, et devrait atteindre 150 millions d’euros. Contrairement aux autres institutions européennes qui travaillent sur le sujet des énergies renouvelables, le LITEN a une vision systémique globale de l’énergie, dans laquelle nous n’opposons pas les technologies. Par exemple, à l’institut Fraunhofer, les équipes batteries sont en concurrence avec les équipes hydrogène, ce qui n’est pas le cas au LITEN, car nous avons gardé cette vision systémique héritée de notre organisation autour de l’énergie nucléaire. Le LITEN se subdivise en quatre départements : l’INES (Institut national de l’énergie solaire), le département de la mobilité électrique, un département dédié aux sujets d’efficacité énergétique globale, dont les travaux portent sur le stockage, la conversion et les réseaux de l’électricité et de chaleur, qui sont les deux grands versants de l’énergie, et un dernier département sur les matériaux et les procédés, dans une logique d’analyse du cycle de vie, qui sert de socle à tous nos développements applicatifs.

Sur le segment des énergies renouvelables, le leader mondial de la recherche reste le NREL (National Renewable Energy Laboratory) aux États-Unis, qui regroupe 2 000 personnes et travaille beaucoup plus en amont de la chaîne de valeur que le LITEN. Notre modèle nous permet de conserver la propriété intellectuelle et de céder des licences, exclusives ou non, sur des produits ou des domaines. Ce système est pratique pour diffuser nos technologies dans différents domaines d’application. À l’inverse des universités américaines, nous cherchons à nouer des accords de recherche et développement de longue durée avec les industriels, plutôt que de recourir à des licences « sèches ». Une autre de nos caractéristiques est notre capacité à entraîner un écosystème industriel avec nous, capable de prendre le relais une fois nos innovations abouties.

En matière de photovoltaïque, nous possédons une ligne pilote pour la production de cellules solaires nouvelle génération. Nous avons effectué des transferts de technologie vers les sociétés ECM et Photowatt concernant le procédé Si Monolike.

Il faut s’attendre à une révolution dans le domaine du solaire PV, avec l’émergence de nouvelles technologies en compétition, comme pour les batteries. Les usines de production vont également subir des mutations. Nous sommes en capacité d’établir des records mondiaux. Nous sommes associés avec l’équipementier Meyer Burger avec qui nous avons lancé une première usine à Catane, en Italie. Par ailleurs, nous sommes en discussion avec plusieurs consortiums pour implanter une usine en France. En plus de la révolution technologique, le photovoltaïque se démocratise, et s’intègre dans de nombreux domaines. Nous parlons d’ailleurs de « PV everywhere ». Les panneaux photovoltaïques fleurissent sur les façades et nous commençons même à en installer sur des infrastructures aéronautiques. Nous participons d’ailleurs au projet Stratobus avec Thalès.

Pour les batteries, nous travaillons aussi beaucoup sur les nouvelles générations. Au sein du consortium européen, autour de Saft, que j’évoquais tout à l’heure, on trouve Solvay, avec qui nous travaillons depuis presque dix ans, afin de créer la première batterie hybride. Avant de passer à la batterie tout solide, pour laquelle on ne connaît pas encore la machinerie adaptée à sa production, nous réfléchissons à des batteries avec un électrolyte à polymère, qui devraient être intégrées à la production de l’usine de Saft prochainement.

M. Stéphane Piednoir. Ces batteries sont-elles plus volumineuses ?

Mme Florence Lambert. Non, nous avions comme objectif de produire des batteries compactes. L’épaisseur de l’électrolyte a peu d’impact sur la taille du système global.

Mme Huguette Tiegna. Quid du rendement ?

Mme Florence Lambert. Le rendement est inchangé. Nous avons cherché à avoir la même conductivité qu’avec un électrolyte liquide. De plus, il n’y a pas de freins à l’industrialisation de cette nouvelle génération de batteries, car Solvay a beaucoup travaillé pour que ces batteries deviennent compétitives en termes de coût, et a fait en sorte que l’assemblage se fasse de la même façon que la précédente génération de batteries.

Mme Huguette Tiegna. Avec les batteries tout solide, le problème du transport ne se posant plus, les Chinois n’auraient alors plus besoin d’installer des usines en Europe.

Mme Florence Lambert. En effet, le transport semble plus sécurisé, mais le risque doit encore être qualifié. Par exemple, Samsung en changeant l’un de ses matériaux a ensuite rencontré des problèmes de sécurité sur ses batteries, après leur commercialisation. Certains risques sont donc très difficiles à évaluer en amont. Au CEA, nous essayons d’utiliser nos modélisations statistiques nucléaires pour évaluer les risques liés aux batteries.

Pour les batteries tout solide, on sait d’ores et déjà que les réactions de surcharge ou de températures extrêmes seront moins violentes, mais qu’il y aura un risque de destruction fonctionnelle des cellules. La batterie, même tout solide, reste un système électrochimique. Si elle pose vraisemblablement moins de problèmes de sécurité, son vieillissement pourrait être plus rapide.

Nous travaillons également sur l’intégration de batteries dans des systèmes complets. Nous sommes en partenariat depuis cinq ans environ avec Airbus, avec qui nous avons réalisé des démonstrateurs comme l’avion E-FAN X ou le drone Skyways.

Au-delà des batteries tout solide, nous étudions d’autres alternatives à la batterie lithium-ion, même s’il ne faut pas perdre de vue cette technologie et ses enjeux géopolitiques sous-jacents. Nos recherches portent sur le sodium-ion, sur lequel nous travaillons avec le CNRS. Le sodium-ion peut être considéré comme une déclinaison du lithium-ion en cela qu’il repose sur les mêmes mécanismes. Le lithium-soufre est également envisagé, mais il ne sera pas mature avant au moins vingt-cinq ans.

La seconde vie des batteries est un autre sujet que nous abordons, avec notre partenaire SNAM. Nous modélisons et testons l’état des batteries depuis maintenant quinze ans. Nous maîtrisions le diagnostic des batteries. Nous travaillons maintenant sur l’augmentation de la durée de vie des batteries réassemblées pour les applications stationnaires. En fonction des technologies, nous parvenons à atteindre jusqu’à dix ans de vie secondaire. Il faut toutefois prêter une attention particulière aux coûts de réassemblage, d’autant plus que les acteurs de la seconde vie des batteries n’ont pas la même optique de massification des procédés que ceux qui assemblent des batteries à partir de cellules neuves.

M. Stéphane Piednoir. On remarque que sur la première vie, on épuise seulement un quart de la capacité totale de la batterie. Travaillez-vous sur des moyens de retarder les morts subites des batteries ?

Mme Florence Lambert. Oui, nous essayons d’offrir une seconde vie durable aux batteries, car il y a une vraie exigence de durabilité chez les consommateurs, ce pourquoi les constructeurs prennent beaucoup de précautions sur la zone de fonctionnement des batteries.

Mme Huguette Tiegna. L’état de santé des batteries dépend-il également de la conduite des automobilistes ?

Mme Florence Lambert. En réalité, quand vous arrivez sur la fin de vie des batteries, la coexistence des modes de fonctionnement à différentes puissances devient problématique. Si, par exemple, vous voulez avoir un pic d’accélération, vous n’avez pas la garantie d’obtenir l’énergie nécessaire. Au fur et à mesure des cycles de charge et de décharge, les sollicitations superposées de puissance posent problème. Il faut garantir à tout moment les fonctions, surtout sécuritaires, des batteries, même en fin de vie. Nous avons toutefois de bons retours pour le moment avec des batteries ayant une durée de vie de six ans, qui fonctionnent toujours correctement après six ans d’utilisation.

Mme Huguette Tiegna. Quand on parle de 75 % de capacité, il s’agit du moment où l’on ne peut plus recharger sa batterie au-dessus de 75 % de sa capacité initiale maximale ?

Mme Florence Lambert. Effectivement, pour conclure sur la seconde vie, c’est un point que nous surveillons activement avec notre partenaire SNAM, installé près de Figeac. Il s’agit, pour nous, du champion européen du recyclage de la batterie, car l’entreprise est parvenue à récupérer quasiment l’intégralité des gisements européens de batteries automobiles usagées.

Sur l’hydrogène, et plus spécifiquement sur l’électrolyse, nous sommes deuxième déposant mondial en matière de brevets. Derrière ces technologies, il y a évidemment des outils informatiques pour la modélisation des composants. Nous nous assurons de la compatibilité de ces outils entre eux, qu’ils servent au dimensionnement ou au pilotage des infrastructures énergétiques, notamment pour le stockage. Grâce à ces outils, nous optimisions et contrôlons le réseau de chaleur avec une température plus basse, permettant de réaliser des économies significatives.

Nous expérimentons aussi le vehicle-to-grid (V2G), et nous observons que le pilotage de la recharge des véhicules électriques n’a pas un impact néfaste très marqué sur l’état des batteries. Si lors d’une recharge, vous restez dans la zone de confort du lithium via des appels de réseau raisonnables, cela peut même être bénéfique pour la durée de vie de la batterie. Nous travaillons, depuis plusieurs années, pour les gestionnaires de réseaux et les constructeurs automobiles sur ce sujet, et nous sommes convaincus que cela aura un rôle primordial pour les applications stationnaires.


Audition de

M. Bertrand de Singly, délégué stratégie

Mme Véronique Bel, déléguée projet mobilité

Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles

Gaz Réseau Distribution France (GRDF)

 

Mardi 30 octobre 2018  au Sénat

 

M. Bertrand de Singly, déléguée stratégie, GrDF. Nous vous proposons d’évoquer trois points : un questionnement sur la sémantique, essence, diesel, ou thermique, GrDF acteur du service public de la mobilité, et un focus, plus technologique : quelle roadmap technologique sur les solutions bioGNV dans d’ici 2030 ?

Nous ne reviendrons pas sur la vision du marché du GNV à l’horizon 2040, qui vous a été présentée dans le détail, documents à l’appui, par l’Association française du gaz naturel véhicule (AFGNV). Comme GrDF est membre de l’AFGNV, nous avons été associées à l’élaboration de ces documents, auxquels nous souscrivons pleinement.

La question sémantique est pour nous assez importante, puisqu’elle permet de comprendre l’essence de la mission. Est-elle liée à un sujet de qualité de l’air, de pollution et de santé humaine ? C’est ce que nous avons plutôt compris, avec les annonces récentes de la ministre des transports et du ministre des comptes publics sur une évolution de la fiscalité destinée à éviter un futur scandale sanitaire sur le diesel. Ce serait assez cohérent avec la stabilisation, depuis au moins l’an dernier, de la fiscalité sur les carburants électricité, hydrogène, et gaz, pour les deux premiers à zéro. Pour le gaz, une disposition législative applicable depuis le premier janvier 2017 fige la fiscalité du GNV et du bioGNV à son niveau du 31 décembre 2016. Pour nous, ces décisions résultent de questions, non seulement de réduction des émissions de carbone, mais aussi de qualité de l’air, puisque le GNV fossile a une origine carbonée, à la différence du bioGNV.

Nous avons besoin d’être régulièrement confortés, ou pas, dans cette compréhension des enjeux de politiques publiques. Au-delà de la qualité de l’air, enjeu premier, existe celui de la décarbonisation des transports. C’est un autre sujet, avec une question sur les instruments mis en œuvre. Ce que nous comprenons, c’est que la fiscalité répond à une vision qualité de l’air, et que d’autres moyens visent la décarbonisation des transports. Pour le bioGNV la bonne démarche consiste à favoriser le développement des méthaniseurs. De fait, le gaz produit localement ira dans les réseaux et les stations, si bien que le GNV sera de plus en plus bio. Mais cela suppose que le gaz renouvelable se développe au rythme souhaité pour décarboner le GNV. Dans ce domaine, les premières orientations gouvernementales seront connues dans les prochaines semaines. Mais il est essentiel de lier bioGNV et bio-méthane, les deux étant indissociables. Dans notre vision, le bioGNV doit être produit localement. Le bioGNV utilisé dans une collectivité locale ne doit pas se résumer à l’importation de certificats papier en provenance d’un pays tiers, éventuellement hors Union européenne.

Sur les notions essence et diesel ou thermique, la lettre de saisine mentionne un arrêt des ventes de véhicule essence et diesel à l’horizon 2040 et parfois dans les échanges le mot thermique est utilisé. Pour nous le véhicule thermique correspond à une définition un peu technique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. La précision peut être apportée tout de suite : c’est tout simplement un raccourci utilisé à l’époque par le ministre Nicolas Hulot. Pour le grand public, parler d’arrêt des ventes des moteurs thermiques est plus compréhensible que de parler d’arrêt des ventes des moteurs émettant des gaz à effet de serre, même si cette dernière formulation correspond à l’objectif réel.

M. Bertrand de Singly. Pour revenir aux deux piliers, qualité de l’air et décarbonisation, il peut être intéressant de faire un lien aux discussions en cours sur la réglementation européenne. Fondamentalement, il y a deux types d’approches sur la décarbonisation : d’une part, une approche au pot d’échappement, mesurant ce qui sort du véhicule, et, d’autre part, une approche complète, dite du berceau à la tombe, considérant tout le cycle. Les deux donnent des résultats différents. La première correspond plutôt au choix européen.

S’il est confirmé, ce choix oriente clairement vers des technologies de motorisation électrique, sachant que l’hydrogène est aussi transformé en électricité. Un choix qui nous apparaît probablement plus soutenable sur le long terme, y compris du point de vue économique, consiste à regarder comment est fabriqué le véhicule, comment sont produits et sourcés les carburants mis dans ce véhicule, etc. Pour le coup, cela crée une différence essentielle entre un véhicule fonctionnant au bioGNV et un véhicule fonctionnant au GNV, ce qui empêche d’assigner une valeur au véhicule en tant que tel. Je crois que c’est ce qui a poussé l’Europe à faire ce choix.

Néanmoins, il faut parvenir à reconnaître qu’en utilisant du bioGNV on décarbone. Ce débat est en train d’émerger, d’autant que la part du bio-méthane dans le mix français reste confidentielle, avec plus de 1 TWh de bio-méthane cette année, pour un peu moins de 500 TWh de gaz consommé. La part du bio-méthane reste donc marginale, même si la loi de transition énergétique prévoit de passer d’ici 2030, à 10 % de bio-méthane dans les réseaux. Pour le bioGNV, nous attendons des chiffres d’incorporation beaucoup plus élevés.

Pour conclure sur cette première partie, améliorer la qualité de l’air ou décarboner, quel est le combat qu’on veut mener ? L’un ou l’autre, ou les deux en même temps ? Ce ne sont pas forcément les mêmes instruments, au plan européen et français. Il existe une panoplie d’instruments, fiscaux ou réglementaires, comme interdire des véhicules dans certaines zones. Ce qui nous apparaît essentiel c’est une vision coordonnée et complète de ces instruments, avec des calendriers applicables, parce que changer une flotte de véhicules est possible mais ne se fait pas immédiatement, et dépend aussi des infrastructures permettant d’accéder aux carburants.

Cette transformation des types de véhicules s’accompagne d’une transformation de l’écosystème des constructeurs, équipementiers et start-up, sur des sites industriels, qui ont aussi besoin de s’adapter et d’anticiper les décisions publiques. Par exemple, l’usine Scania d’Angers est très stratégique car elle va permettre d’accompagner cette transformation. La presse a mentionné la visite de la ministre à Bourbon-Lancy. GrDF était invité, ce qui montre qu’elle est identifiée en tant qu’acteur de la mobilité.

Nous sommes très attentifs à la façon dont les constructeurs anticipent l’évolution du marché, dont ils s’adaptent, et dont ils sont capables de suivre d’éventuelles indications d’orientations. L’un des enjeux est de disposer de véhicules sur le marché. Nous n’aborderons pas dans le détail les véhicules légers, mais l’un des obstacles principaux à une éventuelle mobilité gaz, est qu’aucun des deux principaux constructeurs français n’a fait le choix du gaz en France, même s’ils l’ont fait dans d’autres pays.

Mme Véronique Bel. Nous allons présenter un panorama des actions de GrDF qui va nous conduire à revenir sur quelques sujets déjà abordés par l’AFGNV. GrDF est le principal gestionnaire de réseaux de distribution en France. Nous exploitons 200 000 kilomètres de réseau. Nous avons une mission de service public. Celle-ci inclut non seulement le développement du gaz naturel véhicule, mais également le développement du bio-méthane. C’est assez récent, puisqu’auparavant nous étions vraiment sur les segments historiques : résidentiel, tertiaire et industrie. La mobilité gaz est apparue comme une nécessité dans l’accompagnement des collectivités locales. Voici déjà quelques années, lorsque leurs bus gaz arrivaient en fin de vie, la fin des années 1990 ayant marqué un développement massif des bus au GNV, les collectivités locales ont toutes fait le choix de renouveler ces véhicules, voire d’ouvrir de nouvelles lignes. Le marché du transport de voyageurs au gaz continue à être très dynamique, pas seulement dans les grandes métropoles. Comme l’a fait Angers, les collectivités locales intègrent systématiquement le développement du GNV et celui du bio-méthane produit en général localement, qu’il soit agricole ou provienne d’une station d’épuration, comme dans le cas d’Angers.

Pour revenir à l’action de GrDF dans la promotion de du GNV, nous travaillons avec plusieurs catégories d’acteurs : les pouvoirs publics, aux niveaux européen, national, et local, avec les collectivités locales, les constructeurs de véhicules, et toute la filière associée, car il faut non seulement disposer de véhicules, mais aussi savoir les réparer et les maintenir à des coûts abordables. C’est la raison pour laquelle GrDF a signé un partenariat, au Mondial de l’automobile, avec le CNPA qui représente la grande majorité des entreprises des métiers de la distribution et des services à l’automobile, notamment 4 000 entreprises spécialisées dans les véhicules industriels.

Pour être en capacité d’accompagner de façon massive, émerge un sujet d’industrialisation de la filière. Au sein de l’AFGNV, une commission formation-maintenance vise à développer la formation professionnelle des techniciens de maintenance en capacité de réparer les véhicules dans de bonnes conditions. Tout un travail est réalisé pour industrialiser la filière et faire en sorte que les véhicules GNV soient maintenus dans les mêmes conditions que ceux essence ou diesel, pour assurer l’usage au quotidien par les professionnels.

De même, nous travaillons avec les investisseurs et exploitant de stations. Il existe un engouement et une volonté des syndicats d’énergie, de s’impliquer dans la construction de stations aux côtés d’acteurs privés tels que Total, Engie, etc. Plusieurs syndicats, comme le syndicat d’énergie de Maine-et-Loire, ont déjà investi dans des stations, parfois de grosses stations publiques pour les poids lourds, par exemple à Vannes une station poids lourds a été développée par le Syndicat d’énergie du Morbihan.

Le Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en Île-de-France (SIGEIF) veut construire une dizaine de stations sur les quatre prochaines années. Précurseur, il a fait construire fin 2016 la plus grosse station poids lourds à Bonneuil-sur-Marne. Les syndicats d’énergie ont non seulement accompagné le développement des infrastructures de recharge de véhicules électriques, mais aussi celui des carburants alternatifs GNV et bio - GNV, en investissant dans des stations, ce qui permet d’atteindre la trajectoire évoquée par l’AFGNV de 250 stations publiques à horizon 2020. Les acteurs privés et publics sont en train de mettre en place ensemble ce maillage. GrDF raccorde ses stations au réseau de distribution et accompagne tous ces acteurs.

La dernière catégorie d’acteurs est celles des clients ou utilisateurs potentiels. On retrouve les collectivités locales, en tant que gestionnaires de flottes, mais évidemment aussi toutes les entreprises. La cible privilégiée actuellement et qui fait consensus, c’est le véhicule industriel : le transport de voyageurs, bus et cars, et le transport de marchandises, tiré par les donneurs d’ordres, tels que la grande distribution. D’autres acteurs s’intéressent au sujet, notamment dans le bâtiment et les travaux publics. Lafarge a ainsi déposé un dossier dans le cadre de l’appel à projets de la d’ADEME pour développer une station publique. C’est grâce à eux que la station va émerger. Enfin, il ne faut pas oublier la propreté urbaine. En Île-de-France à 80 % des bennes à ordures ménagères roulent déjà au gaz naturel véhicule. Mais nous n’allons pas en rester au GNV. Tout est compatible, construire des stations GNV et développer des véhicules GNV, c’est compatible avec le bioGNV, car il s’agit de la même molécule. Il n’y aura rien à changer. Au fur et à mesure de la croissance du gaz vert dans les tuyaux, celui-ci ira vers la mobilité. On pourra rouler au bioGNV. Le GNV est la transition vers le bioGNV.

Une étude a été réalisée avec l’ADEME sur la faisabilité de 100 % de gaz renouvelable en 2050. Quand on regarde en prospective, le GNV va vers le bioGNV. La quantité de bio-méthane sera suffisante. Les courbes se sont croisées. Il y a suffisamment de bio-méthane pour tous les véhicules qui roulent au GNV en France à leur actuel, puisque la consommation de GNV en France est d’un peu plus de 1 TWh, comme elle augmente disons 1,3 TWh, soit exactement la capacité de production de bio-méthane au mois d’octobre 2018. L’objectif est bien d’adapter le réseau à 100 % de gaz vert et de baisser la consommation de gaz distribué, à travers la sobriété énergétique. Avec ces deux évolutions, les réseaux de gaz ont largement la capacité d’accueillir la nouvelle mobilité sans investissement supplémentaire. Raccorder une station actuellement nécessite parfois une extension de réseaux, mais cela reste parfaitement réalisable à des coûts maîtrisés.

Enfin, GrDF s’est posé la question, dans le cadre du développement du bioGNV, de la feuille de route technologique, en termes de carburants, de motorisations, de dispositifs de post-traitement, et de réservoirs. En fait, pour parler décarbonisation, il faut considérer les deux premiers sujets.

D’une part, en 2017 nous étions à 9 % de bioGNV dans le GNV. Dans le registre des garanties d’origine, un fléchage particulier sur la mobilité permet en effet de savoir quelle quantité de bio-méthane a été consommée pour l’usage mobilité. L’objectif dans la PPE est de 20 % en 2023, ce qui est tout à fait atteignable. L’objectif à l’horizon 2030 est de 40 %. Nous estimons qu’il pourrait être largement dépassé en 2040, compte tenu des nouvelles études sur le bio-méthane et les gaz en général, le bio-méthane n’étant pas la seule technologie mobilisable pour développer les gaz verts. Cette croissance contribue évidemment à décarboner le transport, puisque 100 % de bioGNV permet de réduire de 80 % les gaz à effet de serre. Plusieurs études présentent ces données. Sans aller du berceau à la tombe, avec une vision du puits à la roue, les 40 % de gaz vert à l’horizon 2030 et, mettons, 50 % à horizon 2040 contribuent à la décarbonisation.

D’autre part, pour améliorer le rendement moteur, beaucoup de développements sont réalisés actuellement sur la base de technologies déjà utilisées pour des moteurs à essence ou adaptées pour le gaz naturel véhicule. Le projet HD GAS, financé par l’Union européenne, avec des acteurs européens tels qu’Iveco, Fiat Powertain Technologies, l’équipementier Bosch, ou Westport, vise à combiner un certain nombre de technologies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 % à l’horizon 2030.

La technologie gaz n’ayant pas bénéficié d’autant de recherche et développement que les technologies essence ou diesel, il reste une forte marge de progression. En combinant les technologies de distribution variable, d’engine design, d’allumage à effet corona, et d’injection directe, le projet HDGAS a réussi très rapidement à faire baisser de 10 % les émissions de CO2 et à dépasser les 40 % de rendement, contre 36 à 37 % habituellement. Ce rendement reste néanmoins inférieur à celui des moteurs diesels.

L’Europe n’est pas la seule à travailler sur le sujet de la décarbonisation et de la réduction des émissions de polluants locaux. Aux États-Unis, la Californie a des normes de plus en plus strictes en termes de pollution. Les équipementiers internationaux, lorsqu’ils travaillent sur un sujet au niveau européen, prennent en compte le niveau mondial, notamment pour les États-Unis.

Avec 40 % de gaz vert et un gain de 30 % de consommation, on arriverait à une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030. On pourra éventuellement parler des dispositifs de post-traitement, car la Californie va avoir des exigences encore plus importantes sur le sujet, notamment pour les NOx. Du coup, les constructeurs seront amenés à développer les moteurs quasi zéro émission.

Enfin, concernant la qualité de l’air, un certain nombre d’études ont été réalisées récemment sur le comportement du gaz naturel véhicule, au-delà des données d’homologation, en conditions d’exploitation réelles.

M. Stéphane Piednoir. Pour quelle raison les constructeurs français ne se sont-ils pas engagés dans une stratégie GNV ?

Mme Véronique Bel. En France, le GNV a connu de beaux succès, mais aussi des échecs, notamment sur le véhicule léger. Un accord a été signé en 2005 entre les constructeurs français, Gaz de France, Carrefour, Total, etc. Celui-ci prévoyait la construction de stations pour les véhicules légers. En 2009, il a été décidé de ne pas aller plus loin. PSA a connu un échec avec la Citroën C3 au gaz. Le maillage de stations publiques pour les véhicules légers n’a pas été réalisé en France, contrairement à l’Allemagne et l’Italie, donc le marché ne s’est pas développé. À la suite de cet échec, les constructeurs se sont plutôt tournés vers l’électrique, préférant rester attentistes sur le gaz. Cela ne signifie pas qu’ils n’iront pas du tout, ils observent, mais ont des produits ailleurs. Avec l’AFGNV, lors du Mondial de l’automobile, nous avons rencontré PSA, Dacia et Renault. Ce dernier a d’ailleurs adhéré cette année à NGVA Europe, l’association européenne du GNV, pour participer au débat sur le GNV et le bioGNV, en posant, au travers de ses équipes de R&D, beaucoup de questions techniques.

Néanmoins, en France la dynamique concerne le véhicule industriel. Je ne reviens pas sur les chiffres du doublement du nombre d’immatriculations de camions sur les trois dernières années. Les constructeurs français attendent des stations. Dans trois ou quatre ans, quand on aura vraiment un maillage conséquent de stations publiques accessibles aux véhicules légers, parce que les stations, comme celles du réseau AS24, sout souvent réservées aux poids lourds. Il faudra certainement, en plus du maillage actuel pour les véhicules lourds travailler sur un maillage pour des véhicules plus petits avec la même problématique de rentabilité des stations, une station nécessitant 400 véhicules légers, alors que 20 poids lourds suffisent, ce qui est évidemment plus facile

M. Bertrand de Singly. De façon schématique, il y a une dissociation très forte entre le marché du véhicule léger et le marché du véhicule lourd. Quand on fait tous les exercices de prévisions à long terme sur les émissions, sur la mobilité, le segment des véhicules lourds pèse en réalité beaucoup. Mais à titre individuel, lorsqu’on pense à la mobilité véhicules, on visualise une voiture avec un conducteur. Néanmoins, l’enjeu sur les véhicules lourds est majeur.

Mme Véronique Bel. À l’heure actuelle, les bus consomment plus de 80 % du GNV, alors qu’on a près de 10 000 véhicules légers et utilitaires légers sur un total de 17 400.

M. Bertrand de Singly. Il n’y a pas forcément d’inquiétude sur le choix des constructeurs Renault et PSA sur le véhicule léger. Ce qui est très important, c’est que sur les véhicules lourds l’écosystème de société qui sont localisés en France mais dont le racket dont l’actionnariat, on va dire, ultime n’est pas français, il faut les considérer autour de la table et c’est sûr, on le constate dans les discussions qu’on a dans le cas du Conseil national de l’industrie et aussi un tropisme du ministère de l’industrie, à avoir comme interlocuteur naturel, les 2 constructeurs de véhicules légers et d’avoir peu de contact avec tous les constructeurs tels que Fiat ou Scania. Du coup, ça donne une vision déformée de cette évolution. C’est vrai que nous sommes très attentifs à ce que dans l’écosystème, on embarque tout le tissu industriel, en écoutant effectivement la position des deux constructeurs français sur le véhicule léger, et la position des constructeurs, européen pour certains, sur les véhicules lourds.

Mme Véronique Bel. Dans la PPE 2016, en termes de consommation, les véhicules lourds, si l’on considère les camions et les bus seraient à 18,5 TWh, sur les 25 TWh au total. La PPE actuelle a bien intégré le développement du véhicule lourd comme étant essentiel à celui du GNV, avec ensuite une part croissante de véhicules légers et de véhicules utilitaires légers, mais le curseur va se déplacer en fonction du maillage des stations.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Existe-t-il une feuille de route partagée pour le développement du GNV qui permettrait aux différents acteurs d’avoir une vision claire ?

Mme Véronique Bel. La feuille de route a été construite avec l’AFGNV. Nous en sommes pleinement acteurs. Un conseiller du Président de la République a demandé comment on pourrait aller plus vite et plus loin sur le transport de voyageurs et de marchandises, dans une vision véhicules industriels. Cela a donné lieu à cette feuille de route que l’on peut considérer ambitieuse, le scénario deux de l’AFGNV qui arrive à 66 TWh de consommation de bioGNV à l’horizon 2030, là où la PPE 2016 est à 25 TWh. Pour vous donner un ordre de grandeur vraiment la dynamique est beaucoup plus forte. Pour les véhicules industriels, on va vraiment beaucoup plus vite, puisque la PPE de 2016 prévoit 10 % de poids lourds roulant au GNV en 2030, alors que le scénario deux de l’AFGNV prévoit 30 %, soit trois fois plus. Cette feuille de route est clairement celle de la filière. Elle précise aussi le nombre de stations nécessaires à l’horizon 2030, notamment de stations d’accès public. Le scénario deux prévoit 2 000 stations, ce qui implique une dynamique de construction de stations forte. La feuille de route de l’AFGNV qui parle au nom de l’ensemble des acteurs du gaz naturel véhicule en France est partagée, GrDF n’en a pas développé une autre.

Mme Huguette Tiegna. Concernant la production de bio-méthane, quelle est l’évolution envisageable, en volume et en nombre de méthaniseurs à l’horizon 2040 ?

M. Bertrand de Singly. Aujourd’hui, l’essentiel de la méthanisation en France est, historiquement, « électrique ». Sur environ 500 méthaniseurs, un peu plus de 400 sont « électriques ». 70 injectent du bio-méthane dans les réseaux. 70 méthaniseurs équivalant à 1 TWh, il existe un consensus pour dire que l’objectif de la PPE, de 8 TWh en 2023, soit environ 500 méthaniseurs, est atteignable et dépassable. On attend dans une quinzaine de jours la vision du gouvernement pour 2030, qui serait une confirmation de la loi de transition énergétique, donc 10 % de gaz vert en 2030. Sur la base de calculs très approximatifs, cela revient à une multiplication par cinq du nombre de méthaniseur, soit presque 3 000, entre 2023 et 2030. Nous pensons pouvoir aller plus loin. C’est ce que le message qu’on a répété avec les autres opérateurs de la filière et avec les syndicats d’agriculteurs. On pense qu’on peut aller encore plus loin, parce que le potentiel est plutôt de l’ordre de 30 % de méthanisation agricole, pour couvrir les besoins de gaz. À part le sujet du soutien public, il n’y a pas de sujet technique pour aller plus vite.

Aujourd’hui on atteint juste la parité entre le bio-méthane produit et le GNV consommé. Si tout le bio-méthane était dans le parc, on pourrait avoir 100 % de bioGNV. Le bio-méthane ne va pas que dans l’usage mobilité, mais quand on regarde la chronique, on est certain que la méthanisation peut se développer à un rythme largement suffisant pour couvrir les besoins de bioGNV.

Une autre feuille de route est très demandée aujourd’hui, sur la diminution des coûts de la méthanisation. Les coûts de la méthanisation comparés, si tant est que la comparaison fasse sens, à des technologies comme le solaire apparaissent, à l’unité produite, plus élevés en moyenne. C’est faux : le solaire en France coûte plus cher que la méthanisation en moyenne, parce que les toitures coûtent cher, et le solaire au sol coûte moins cher. En tout cas, nous avons une feuille de route. Engie s’est engagé la semaine dernière a baissé de 30 % les coûts de la méthanisation dans la prochaine décennie. Des annonces devraient être faites dans les prochains jours.

M. Stéphane Piednoir. Pour autant, on a l’impression qu’il n’y a pas de méthodologie, il n’y a pas d’aide à la réalisation de méthaniseurs. Un frein rencontré dans mon département, mais je suppose que c’est pareil ailleurs, est que des agriculteurs ou groupements d’agriculteurs qui seraient éventuellement prêts à se lancer peinent à trouver des relais. On ne cadre pas suffisamment, il n’existe pas de projet clé en main. On sait bien que les processus sont différents, le mode de production étant différent. Je ne parle que de la filière agricole, pas des stations d’épuration qui correspondent à un autre processus. En automatisant ou en donnant un cahier des charges, forcément un peu général, mais qui fixerait une démarche à suivre, je pense qu’on pourrait enclencher la vitesse supérieure. Ce n’est peut-être pas à GrDF de le faire, peut-être que ce sont les chambres l’agriculture ou le ministère qui doivent le porter.

Mme Huguette Tiegna. Dans le Lot, mon département, un projet de méthanisation industrielle réalisé sous la précédente législature fait débat, parce que les sols du Lot sont karstiques et les Lotois craignent des infiltrations ou une pollution de l’eau. La nature des sols est une réalité, mais la méthanisation industrielle existe. Elle a bénéficié d’un financement de l’État, de la région et de l’industriel, Fonroche. Ce problème a représenté une grosse épine pendant la campagne législative, la population étant opposée, il fallait pouvoir discuter avec les uns et les autres, montrer le bien-fondé de la méthanisation. Il y a un cahier des charges drastiques pour ce type de sols. Il faut que l’industriel le respecte. À présent, l’usine est fonctionnelle, mais un problème demeure : les digestats. Au fond, personne n’est contre la méthanisation, mais c’est la gestion des résidus qui pose problème, car aucune entreprise n’a vocation à mettre en danger la vie de la population. Les digestats épandus posent problème.

M. Bertrand de Singly. L’impression qu’on a aujourd’hui c’est qu’il faut arriver à industrialiser la filière agricole, en laissant les agriculteurs maîtres de leur projet, mais en leur donnant des façons d’aller plus vite, et pas de redécouvrir chacun la méthanisation. L’enjeu essentiel est de parvenir à ce que des sociétés comme Fonroche, Volver, ou Engie, arrivent à rentrer dans un modèle qui n’existe nulle part ailleurs dans les énergies renouvelables. L’agriculteur va rester. Il ne s’agit pas de dire qu’on vend la ferme avec le méthaniseur. Mais il faut accompagner l’agriculteur, en lui laissant la maîtrise du projet. Ce n’est pas dans l’ADN des développeurs. Le développeur classique est 100 % chez lui. Donc, il faut une évolution des mentalités pour la méthanisation. Même la Caisse des dépôts hésite à venir au côté des agriculteurs en prenant une participation minoritaire qui aiderait dans ce modèle.

La méthanisation doit trouver un modèle de financement et de montage innovant, ce qui prend du temps. On sent qu’il est en train d’émerger. Jusqu’à présent, ça a marché avec des agriculteurs très innovants et très dynamiques. Certains s’associent même entre eux, et participent au capital d’un méthaniseur dans une autre région pour soutenir. Il y a donc une vraie volonté du monde agricole de garder la main, comme le confirment nos échanges avec le ministère de l’agriculture, la FNSEA ou les chambres d’agriculture. Le monde agricole veut garder la main sur la méthanisation parce qu’il pense que c’est indissociable du métier d’agriculteur, par contre il faut trouver l’effet industriel. On attend beaucoup que les industriels s’engagent en développant un modèle qui n’est pas le modèle d’aujourd’hui permettant à l’agriculteur de rester chez lui, et d’aller plus vite.


Audition de

M. Gilles Le Borgne, directeur de la qualité et de lingénierie

M. Laurent Fabre, délégué aux institutions publiques

Groupe PSA

 

Mardi 30 octobre 2018 au Sénat

 

M. Gilles Le Borgne, directeur de la qualité et de lingénierie, groupe PSA. Je ne vais pas beaucoup parler de 2040, mais surtout de 2025 ou 2030. L’audition de la Plateforme automobile vous ayant donné une idée des prévisions, je ne vais pas y revenir, ces travaux étant évidemment communs. Je pense que nos collègues de Renault y ont également fait allusion. Je vais simplement décliner ces éléments pour le groupe PSA.

Dans un contexte évoluant rapidement vers l’électromobilité, le groupe PSA s’inscrit, comme toujours, dans une démarche volontariste de réduction des émissions de CO2 et des émissions polluantes au sens large. Il est engagé dans cette démarche de mobilité durable depuis douze ans. Depuis douze ans, il se situe parmi les trois constructeurs émettant le moins de CO2 en Europe, région du monde la plus exigeante en la matière. Fin 2017 nous étions à 112,5 grammes de CO2. Globalement, le groupe PSA est extrêmement bien placé et ce faisant démontre sa démarche active en matière de réduction des émissions de CO2.

Pour les émissions polluantes, depuis des années, nous déployons les technologies les plus efficaces. Nous avons inventé le filtre à particule en 2000, et l’avons généralisé en 2011, avec la norme Euro 5. Contrairement à l’ensemble de nos concurrents, nous avons développé une seule technologie, réputée la plus efficace en diesel pour la norme Euro 6 : la réduction catalytique sélective (en anglais, SCR ou selective catalytic reduction), et l’avons généralisée à toute notre gamme. C’est un point important, parce qu’aujourd’hui, nous sommes les seuls à l’avoir intégrée, bien qu’elle soit devenue obligatoire avec l’échéance Euro 6. À la suite du dieselgate et du volkswagengate, nous avons lancé une démarche de transparence. Sur nos sites Internet, sont publiées les consommations, auditées par le bureau Veritas, mesurées en RDE (real driving emissions) avec France Nature Environnement et Transports Environnement. Depuis peu, s’y trouvent également les niveaux de pollution, en particules NOx. Clairement, PSA a un parcours, un track record comme on dit en anglais, assez unique dans le domaine de la réduction du CO2 et des émissions polluantes.

De même, en matière d’électromobilité, nous avons lancé dès 2013 à La Rochelle les Peugeot 106 et Citroën Saxo électriques. Nous avons donc été pionniers dans ce domaine.

Les travaux en cours sur la réglementation au niveau de la Commission, du Parlement, et du Conseil des ministres européens, s’orientent vers un objectif contraignant de réduction des émissions de CO2 par rapport à 2011, de 15 % à 20 % à l’horizon 2025 et de 35 % à 40 % à l’horizon 2030. Ces objectifs nécessitent un effort considérable des constructeurs, car ils impliquent de garantir, en termes de volume, 35 % de véhicules à faible émission (LEV ou low-emission vehicle) en 2030.

Le groupe PSA sera prêt. Autrement dit, nous aurons les bons produits au bon moment. Pour y parvenir, nous avons arrêté une stratégie qui repose sur trois axes : le développement de deux technologies complémentaires, le 100 % électrique (BEV ou battery electric vehicle) et l’hybride rechargeable (PHEV ou plug-in hybrid electric vehicle), le choix de plateformes multi-énergies offrant une capacité d’adaptation dans le temps en fonction de l’orientation du marché à moyen terme, et un plan d’investissement ambitieux, au service de la transformation industrielle.

S’agissant de la technologie hybride rechargeable, le rapport de l’ADEME publié en avril 2018, considère qu’il constitue une réponse pertinente à bien des égards, notamment pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Je cite : « Les véhicules hybrides rechargeables (PHEV) semblent les solutions les plus pertinentes du point de vue de limpact sur les émissions de GES, grâce à leur batterie de taille limitée parfaitement adaptée à lusage majoritaire du véhicule. Leur rentabilité économique, sans aide à lachat, reste néanmoins un verrou pour favoriser leur déploiement ».

C’est important, parce que nous allons lancer des voitures qui auront une autonomie de 50 kilomètres mesurée en WLTC (Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures, en français procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers), très proche de l’autonomie réelle pour un usage en déplacements journalier. À condition que les clients chargent leur véhicule, ils peuvent se déplacer toute la semaine uniquement en électrique. Ces véhicules offrent la disponibilité dynamique pour entrer dans le trafic, accélérer et dépasser sans aucune difficulté. Ils permettent de rouler jusqu’à 110 ou 120 kilomètres par heure en électrique, suivant les modèles. Évidemment, pour un trajet relativement long, avec une vitesse stabilisée sur autoroute, dans laquelle la masse intervient peu, le moteur à injection directe essence prend le relais, une fois la batterie vidée.

Dès 2019, tous les nouveaux modèles disposeront d’une version électrifiée, 100 % électriques ou hybrides rechargeables. Nous lancerons quinze nouveaux modèles à compter de l’année prochaine, jusqu’en 2021, dont huit PHEV et sept BEV.

La stratégie d’électrification repose sur le développement de toutes nos voitures particulières sur seulement deux plateformes multi-énergies, pour environ 90 % des volumes. C’est vrai pour les véhicules particuliers et aussi certains véhicules utilitaires, même si nous disposons d’une plateforme commune avec Fiat pour les plus gros utilitaires. D’une part, la plateforme CMP (Common Modular Plateform) qui vient d’être présentée au dernier salon avec la DS3 Crossback, équipera par la suite les nouvelles 208, Corsa, Mokka, et 2008. Elle comportera une version 100 % électrique, avec une batterie de 50 kilowattheures permettant une autonomie, suivant les versions, de 310 à 350 kilomètres WLTC, très proche de l’usage réel des clients pour des déplacements quotidiens. D’autre part, la plateforme EMP2 (Efficient Modular Platform 2), destinée à des segments supérieurs, proposera un hybride rechargeable pour plus de variabilité d’usage. Tous les véhicules des segments C et D vont en être progressivement équipés, en commençant par la DS7 Crossback l’été prochain, puis la 3008, la 508, la Granland X, et la C5 Aircross.

Nous profitons de cette évolution pour développer des offres de mobilité étendue de type autopartage, avec notre marque de mobilité Free2Move, qui s’appuie sur des véhicules BEV. C’est déjà une réalité à Madrid, à Wuhan, et à Paris dès cet automne.

Le choix des plateformes multi-énergie présente de nombreux avantages. Cette stratégie de plateformes nous confère une véritable flexibilité industrielle, puisque toutes les motorisations passeront sur les mêmes lignes de fabrication. Personne ne connaît le mix énergie qui sera choisi par les clients finaux. Malgré des orientations politiques lourdes, in fine, c’est le client qui décide, c’est-à-dire vous et moi en tant que simples citoyens, non pas en tant que parlementaires ou responsables de l’ingénierie d’un groupe automobile. À partir de 2025, toute notre gamme, y compris les véhicules utilitaires légers, sera électrifiée, avec une offre PHEV ou BEV.

L’autre élément, c’est que le développement de la superstructure n’est pas amorti sur les seules voitures électriques. En ratio d’amortissement, cette option est certainement plus efficace que des plateformes dédiées. Nous constatons que certains concurrents, comme un grand constructeur allemand situé près de Munich, qui avaient fait le choix de plateformes dédiées, reviennent à des plateformes multi-énergie.

Une grande partie des investissements a été engagée. Dans le plan d’activité, sur la période 2016 – 2023, pas moins de trois milliards d’euros ont été programmés.

Ce plan intègre également l’acquisition des compétences indispensables à cette maîtrise technologique. Nous l’avons fait à travers la création de deux coentreprises, l’une pour les moteurs électriques en Alsace, en nous associant avec la société japonaise NIDEC, les développements étant effectués à Carrières-sous-Poissy, l’autre pour les transmissions électriques avec le belge Punch Powertrain. Les composants sont fabriqués en France, pour les moteurs électriques, à Metz pour les transmissions.

Pour résumer, l’électromobilité s’inscrit dans la continuité des actions de PSA, leader depuis douze ans sur les émissions de CO2 et exemplaire en termes de transparence, pour une mobilité propre. Nous sommes prêts et nous aurons les bons produits au bon moment, car nous avons consenti les investissements. Toute notre gamme comportera des offres électrifiées. Nous ne lancerons pas moins de quinze nouvelles voitures entre 2019 et 2021, pour atteindre 100 % d’électrification dès 2025, puisque la totalité de notre gamme comportera des offres électriques.

Mais pour rendre atteignables les objectifs fixés pour 2030, notamment ceux liés à la transition énergétique, il faut prendre en compte l’ensemble de l’écosystème.

Il faut notamment considérer le risque de baisse significative de l’emploi dans la filière automobile à l’horizon 2035. Le secteur automobile de l’Union européenne représente 13,3 millions d’emplois, c’est-à-dire 6,1 % des emplois, soit 9,9 millions d’emplois non industriels, dans le commerce, l’entretien, et la distribution, et 3,4 millions d’emplois industriels, dont 2,5 millions chez les constructeurs et un peu moins d’un million chez les fournisseurs-équipementiers. Le contrat de filière que nous avons signé avec le gouvernement évalue l’impact de la baisse du seul diesel à environ 100 000 emplois industriels perdus, et celui de la poursuite de l’évolution du mix énergétique dans les années à venir potentiellement à 45 000 emplois en moins. De fait, pour fabriquer un moteur électrique il faut beaucoup moins de main d’œuvre que pour fabriquer un moteur essence ou diesel. C’est assez mécanique, simple et direct en termes d’impact. L’impact de la mobilité électrique sur l’emploi est évalué par la filière automobile à 30 %. Bien sûr, je ne dis pas cela pour suggérer qu’il ne faut pas aller dans cette direction. Mais il faut du temps pour l’adaptation.

Il convient de souligner que l’impact des technologies BEV et PHEV n’est pas le même. Un véhicule hybride rechargeable comporte un moteur thermique, une petite batterie, et des moteurs électriques fabriqués en Europe, alors qu’un BEV contient un ou deux moteurs électriques, et une plus grosse batterie. En termes de valeur ajoutée mobilisée et d’emploi, un hybride rechargeable est relativement neutre. De plus, cette technologie permet de conserver une capacité de fabrication de moteurs thermiques, de l’ensemble des réducteurs, et des autres éléments, sur nos bassins d’emploi.

PSA va proposer de gros véhicules hybrides rechargeables, en versions 4x4 et 4x2, avec respectivement des batteries de 10 et 13 kilowattheure, contre une cinquantaine de kilowattheure pour nos petits véhicules purement électriques. La part de valeur ajoutée qui vient d’Asie est évidemment beaucoup plus faible dans un cas que dans l’autre.

De surcroit, il faut absolument mettre en place, et nous y contribuons, la filière batterie en Europe. Cet « Airbus de la batterie » limiterait en effet fortement le risque de dépendance vis-à-vis de l’Asie, et permettrait un bilan plus favorable en termes d’emplois. Les batteries représentent 40 % du coût global des véhicules. Pour PSA, 30 % de la valeur du véhicule va se concentrer sur les technologies détenues par cinq acteurs asiatiques. Pour la première génération de véhicules de type BEV notre fournisseur sera CATL, le plus grand fabricant de batteries chinois. Bien qu’appartenant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine n’a pas nos pudeurs, puisqu’il existe une liste blanche de constructeurs automobiles, seuls ceux intégrant des batteries chinoises étant homologués. Pour les PHEV nous faisons appel au coréen LG. Comme celui-ci n’est pas en odeur de sainteté en Chine, nous avons aussi développé, pour les modèles vendus en Chine, des liens avec le fabricant chinois A123. Il est extrêmement difficile d’homologuer des véhicules qui ne sont pas dotés de batteries chinoises. Il faut donc absolument une solution européenne.

À l’horizon 2030, en considérant les valeurs de 35 % ou 40 % de véhicules à faible émission, les capacités de batteries nécessaires sont très élevées, de l’ordre de 500 gigawattheure, soit quatre fois la capacité mondiale installée ou cinquante fois une tranche d’usine de batteries de 10 gigawattheure. Pour le seul PSA, le besoin en Europe correspond à deux fois la capacité mondiale actuelle. Nous avons devant nous un tsunami de besoins en batteries, alors qu’aujourd’hui la seule offre crédible est asiatique. Cela concerne des dizaines de pourcents de valeur ajoutée enlevés à l’Europe. Nous avons donc besoin d’un acteur européen, et nous militons pour cela.

Enfin, il faut garantir la liberté de mouvement des personnes pour qu’elles puissent adhérer à cette nouvelle offre. Comme indiqué précédemment, c’est le client final qui achète les voitures. Avoir des voitures économiquement accessibles est donc essentiel, sinon seuls les plus riches pourront acheter des PHEV ou des BEV, les autres iront à pied, en vélo, ou prendront des transports en commun, lorsqu’ils existent. Il faut donc clairement inciter à l’achat en évitant de faire de la voiture un produit réservé aux riches, malgré le surcoût technologique d’environ 5 000 à 10 000 euros sur le prix de revient, suivant la quantité de batteries.

Nous convenons que notre responsabilité est de gommer ce surcoût technologique, mais l’État doit maintenir le bonus sur les BEV sur un horizon pluriannuel, pour aider les consommateurs et les entreprises à franchir le pas. Nous avons vu des signaux favorables, notamment pour les PHEV, avec la réintroduction d’un bonus. Nous y sommes évidemment favorables. Pour l’incitation à l’électrification des flottes d’entreprises, un projet en cours vise à exiger une part de véhicules propres, BEV et PHEV, pour les parcs de plus de cent véhicules. C’est également une bonne initiative. Enfin, il faut aussi inciter à l’usage, par exemple avec des zones de stationnement gratuit pour les véhicules à faible émission.

L’accès aux infrastructures de recharge est un autre élément extrêmement important. Je suis vice-président du Comité technique automobile, qui suit évidemment le déploiement des bornes. Nous avons vu deux fois de suite le préfet Francis Vuibert qui en assure la coordination. Lors de la réunion au cours de laquelle il nous a présenté le parc de bornes de recharge existant en France, et le budget de 250 millions d’euros sur cinq ans destiné à étendre cette infrastructure, un grand équipementier français a annoncé qu’il venait d’avoir trois milliards de commandes pour l’électromobilité en un semestre.

Pour nous, cette insuffisance des moyens est extrêmement préoccupante. L’Europe suggère un ratio d’une borne pour vingt véhicules, l’idéal étant une pour dix. Aujourd’hui, ce qui est prévu correspond à un déficit de 1 à 7. À fin septembre 2018, le parc français de points de recharge s’élevait à 22 000 pour un objectif, précisé dans le Contrat de filière, de 100 000, et un besoin estimé à 500 000 avant 2030, pour un parc évalué à 7,3 millions de véhicules électrique. L’équilibre envisagé entre bornes privées et publiques est de un pour un en 2030. Mais aujourd’hui nous en sommes loin. C’est un point important car le parc de logements est constitué de 19,1 millions de maisons individuelles, dont 4,4 millions sans parking, et 14,9 millions de logements collectifs, dont 8 millions sans parking.

Dans un dîner récent j’ai demandé au maire de Versailles, une ville historique parmi les mieux dotées en espaces verts en France, quel était le plan d’équipement de la ville en infrastructures de recharge. Rien n’est prévu. Habitant à Versailles, j’essaye d’installer chez moi une borne de recharge, pour mes prochains véhicules électriques. Après une année et demie, je suis parvenu à ce que le syndic rencontre ENEDIS, pour discuter du problème de distribution locale. Pourtant, je ne demande qu’une borne de 3 à 7 kilowatt, pas de 150 kilowatt. Pour arriver dans la résidence, j’ai l’obtenu les autorisations. Mais bientôt je vais recevoir mes nouvelles voitures sans possibilité de les charger chez moi.

Je vous invite à discuter avec le préfet Francis Vuibert, qui s’occupe de ce sujet depuis de nombreuses années, et qui a donc une vision absolument objective, lucide et limpide de la situation sur ce plan. Le rôle de l’État dans l’accès aux infrastructures de recharge est essentiel, notamment si l’on annonce qu’en 2040 il n’y aura plus de moteur à combustion interne.

Enfin, la transition des compétences est aussi cours. Je suis en train de reconvertir la totalité de nos diésélistes aux lois de commande du moteur électrique. Ce n’est pas un problème, mais une aide de l’État, en termes de formations, serait la bienvenue.

M. Carlos Tavares a rappelé que le groupe PSA opère dans une société démocratique. Nous n’avons pas à en discuter les orientations, mais devons les mettre en œuvre. Nous avons effectué les investissements nécessaires pour prévoir les offres correspondantes. Mais nous posons, en termes de responsabilités scientifiques et politiques, la question des analyses de cycle de vie, que nous pratiquons depuis 1993. Il faut procéder à une analyse à 360 degrés des impacts environnementaux, avec l’analyse des cycles de vie, faute de quoi le bilan CO2 ne sera absolument pas à la hauteur des enjeux. Dans le projet du Parlement européen, ces analyses ne sont prévues qu’à partir de 2023.

Un rapport de l’ADEME de 2013 traite de cette question. Il a très peu été commenté depuis, mais toutes les données sont encore valables. L’impact carbone négatif de la fabrication d’un pack de batteries de 50 kilowattheure nécessite de parcourir de l’ordre de 100 000 à 150 000 kilomètres pour retrouver un bilan carbone neutre. Évidemment, en France, avec 75 % d’électricité d’origine nucléaire, on atteint la neutralité après environ 30 000 kilomètres. En Allemagne, le bilan CO2 d’un véhicule électrique est équivalent à celui d’un véhicule diesel moderne. Par rapport à un véhicule essence, il faut parcourir 50 000 kilomètres pour compenser l’impact de la fabrication des batteries, et par rapport à un véhicule diesel, 100 000 kilomètres. En Chine, c’est encore différent, avec les centrales à charbon, le parc nucléaire chinois restant limité, malgré les évolutions en cours. Le bilan CO2 d’un véhicule électrique est de ce fait plus élevé que celui d’un véhicule à essence équivalent. Évidemment, il faut aussi considérer la pollution locale aux particules, limitée en essence et quasi inexistantes avec les diesels modernes, grâce aux filtres.

Nous sommes des scientifiques, moi-même je suis un scientifique. Ce qui nous étonne toujours c’est que pour qu’un choix soit fait de manière raisonnée, ces questions devraient être adressées, sans même parler des problèmes de recyclage des batteries, de ressources naturelles, etc. Nous tenons ces éléments à votre disposition. Nous avons des spécialistes du sujet, si bien que nous pourrions être considérés juge et partie, mais ces éléments se trouvent dans le rapport de l’ADEME de 2013, et l’ordre de grandeur n’a pas été modifié, l’utilisation du véhicule et la fabrication des batteries étant les deux paramètres majeurs.

Pour résumer, le groupe PSA continue de s’inscrire dans une démarche de réduction des émissions de CO2, et des émissions polluantes, sujets sur lesquels dans le passé nous avons montré que nous étions pionniers, voire leader. Nous voulons continuer à l’être, y compris dans le cadre de la transition énergétique, avec le développement de nos véhicules hybrides et électriques. Face à cette transition rapide, encouragée par les pouvoirs publics, notamment par l’Unions européenne, nous allons introduire, entre 2019 et 2021, quinze nouveaux véhicules, dont sept 100 % électriques et huit hybrides rechargeables. Évidemment, nous souhaitons avoir des clients pour ces véhicules.

C’est tout un système qui doit évoluer. Nous travaillons d’arrache-pied pour l’horizon 2025, mais aussi avec la perspective de 2030 et 2040. Tout dépendra de la réaction du marché à l’offre. Je pense que personne de sérieux ne peut parler de 2040 sans avoir vécu 2025. Compte tenu des milliards d’investissements engagés, avec des compétences à transformer, comme précédemment pour le diesel, nous souhaiterions, comme l’a indiqué à plusieurs reprises M. Carlos Tavares, que le débat ait lieu sur le fond, de manière à ce que la pérennité des orientations et des décisions soient garanties. Il ne faudrait pas que les questions simples posées, notamment sur les analyses de cycle de vie, conduisent à ce que la lumière soit faite après coup.

Concernant l’hydrogène, dans les années 2005, nous avions développé avec le CEA le stack GENEPAC, d’une puissance de 200 kilowatts. Nous avons décidé de réactiver ce développement, dans une perspective un peu particulière, celle du véhicule utilitaire en logique tournée du laitier. Comme beaucoup d’investissements sont déjà nécessaires pour les prises de recharge liées à l’électromobilité, nous pensons qu’il faut cibler les entreprises utilisant des véhicules qui reviennent toujours au même endroit, de manière à ne pas dépendre de l’infrastructure. Le coût d’une station à hydrogène étant de l’ordre du million d’euros, avec un niveau d’investissement relativement faible, il serait possible d’alimenter plusieurs dizaines de véhicules, ce qui permettrait d’amortir le coût de la pompe de manière plus efficace.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Je suis d’accord sur votre constat, c’est le consommateur qui, au final, prendra la décision, en s’arrêtant d’ailleurs souvent au prix d’achat, qui apparaît en premier.

M. Gilles Le Borgne. De moins en moins, car la part de la location avec option d’achat ou du loyer augmente considérablement. C’est la stratégie que nous allons développer, parce qu’en prix facial il est impossible de vendre un PHEV ou un BEV à la majorité de nos concitoyens.

M. Stéphane Piednoir. En ce cas, hormis ce problème de prix contourné par la location, quels sont les autres freins à l’acquisition ou à la location de véhicules électriques que vous avez identifiés, est-ce l’autonomie ou le temps de recharge ?

M. Gilles Le Borgne. Pour le tout électrique, nous avons choisi de petites voitures, parce que cela permet de limiter la taille des batteries à 50 kilowattheures. Même si le coût reste élevé, il est plus acceptable que pour les batteries de 80 ou 95 kilowattheures des derniers modèles allemands. Nous estimons qu’il faut commencer par les petites voitures parce qu’avec 300 kilomètres d’autonomie en cycle WLTP, nous considérons qu’il n’y a plus de problème pour les déplacements quotidiens. J’étais déjà dans le groupe PSA à l’époque des Peugeot 106 et Citroën Saxo. Celles-ci avaient une autonomie de 100 à 110 kilomètres avec des batteries nickel-métal-hydrure et de ce fait une très grande dépendance aux conditions extérieures, par exemple pour le chauffage. Ce n’est plus le cas avec ce niveau d’autonomie.

Avec l’ancien cycle NEDC (new european driving cycle), il fallait baisser de 30 % l’estimation de l’autonomie pour un usage urbain, correspondant à peu près au cycle WLTP. À l’inverse, pour ce dernier, il faut baisser l’estimation de l’autonomie de 30 à 40 % pour un parcours sur autoroute. Ces voitures ne seront jamais polyvalentes sans un réseau de bornes de recharge rapide de très haute densité. Même avec une borne de 350 kilowatts de puissance, il faut en théorie une vingtaine de minutes pour charger une batterie de 100 kilowattheures, à condition que la borne soit disponible. Évidemment, lors des pics de départs en week-end ou en vacances, une durée de vingt minutes va créer des problèmes de files d’attente, en regard des trois minutes nécessaires actuellement pour faire un plein. Le temps de rechargement est d’ailleurs un avantage majeur de l’hydrogène, qui a d’autres problèmes, tel que le coût des véhicules et de l’infrastructure. Mais déployer en parallèle les deux infrastructures, bornes de recharge et stations à hydrogène, nécessiterait de trouver un modèle d’affaires approprié.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Concernant les nouvelles réglementations environnementales, notamment le passage à 95 grammes de CO2, comment PSA va-t-il aborder cette phase de transition vers une mobilité plus propre ?

M. Gilles Le Borgne. Je peux vous dire que nous serons conformes. Il n’est pas question que nous payons des amendes au détriment de la santé de nos concitoyens. Cela n’aurait pas de sens sur le plan éthique et serait contraire à tout ce que le groupe PSA a pu développer dans le passé. C’est un engagement fort de M. Carlos Tavares. Je ne dis pas que ce sera facile, mais nous travaillons à la fois sur les nouveau produits et les gammes commerciales actuelles, pour retirer les voitures qui consomment le plus. En fait, avant 2021, la première échéance est celle de 2020, puisqu’il existe une progressivité. Tout cela est très compliqué et sans doute incompréhensible pour nos concitoyens. Mais nous serons conformes en 2020, en 2021, en 2025, et en 2030.

Nous avons vraiment hâte de savoir comment les choses vont se dérouler en 2021 et 2022, parce que tous les industriels, nous y compris, ont fait les investissements et vont mettre de superbes objets dans leurs halls d’exposition. Comment le marché, les clients, et les entreprises vont-il répondre ? Aujourd’hui, nous l’ignorons, tout comme vous.

Nous allons faire notre possible pour réduire les coûts, pour rendre nos produits attractifs, et pour être flexibles, de manière à minorer les coûts d’amortissement de chacune de ces technologies. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de plateformes multi-énergies. Nous allons travailler pour étendre notre approvisionnement en batteries, pour avoir des batteries plus performantes et moins chères. Néanmoins, même avec un prix des batteries abaissé à 90 euros par kilowattheure, un prix considéré comme un plancher – nous en sommes aujourd’hui très loin – le coût de l’électromobilité resterait très élevé.

Mme Huguette Tiegna. Le Plan climat évoque l’arrêt de la vente des véhicules thermiques, mais, dans le cadre de notre étude, le qualificatif « moteur émettant des gaz à effet de serre » nous apparaît plus approprié. Puisque PSA fabrique des moteurs thermiques et continuera certainement à en fabriquer, j’imagine que l’impact sera important.

M. Gilles Le Borgne. Les moteurs du groupe PSA étant fabriqués en France, l’impact pour nous est considérable. Aujourd’hui, nos boîtes de vitesses sont fabriquées à Metz et Valenciennes, nos moteurs à Douvrin, à la Française de mécanique. Évidemment nous fabriquons aussi des moteurs en Chine, car ils sont consommés sur place, mais l’immense majorité de nos moteurs sont fabriqués en France. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons commencé la reconversion à Trémery, dans l’Est de la France, où se fera l’assemblage des moteurs pour nos voitures électriques.

C’est ce que je citais dans mon propos liminaire, concernant les impacts liés à l’électrification. Il y a deux types d’impacts, liés à la vitesse – avec du temps on peut s’adapter, reconvertir des gens, etc. – et à la complexité des objets à réaliser. Vous êtes bien placée pour le savoir, un moteur électrique est complexe en termes de conception, pour atteindre de bons rendements, mais pas sur le plan de l’assemblage. En comparant un moteur électrique et un moteur à combustion interne de dernière génération de trois cylindres, avec quatre soupapes par cylindre, l’ensemble des systèmes d’échappement, une boîte de six vitesses, etc. il n’est nullement nécessaire d’être spécialiste pour constater que dans un cas la valeur ajoutée est beaucoup plus importante que dans l’autre.

Mme Huguette Tiegna. Nous avons posé la question parce que lors d’une précédente audition, nous avions justement abordé la complexité pour les territoires, parce que passer d’une technologie à l’autre implique des suppressions d’emplois. Mais vous êtes déjà dans la logique de transformer les emplois.

M. Gilles Le Borgne. À partir du moment où les objets ne sont plus les bienvenus sur les terres où nous les fabriquons, je ne vois pas pourquoi continuer. Aujourd’hui, l’Amérique du Sud, le Moyen-Orient, et l’Afrique n’envisagent pas d’exclure le moteur à combustion interne. Il faut être logique, si en Europe il existe une volonté de les éliminer, vous comprenez bien qu’ils ne seront plus fabriqués ici, pour des raisons évidentes de logistique et de politique. Nos objets étant assez chers à transporter, si demain il devait y avoir un bannissement des moteurs à combustion interne, nous installerions les usines sur les lieux de consommation, en changeant leur dimension, puisqu’elles seraient beaucoup plus petites.

Mme Huguette Tiegna. Je suis d’accord avec vous, si les moteurs thermiques sont bannis en Europe, ils n’y seront probablement plus fabriqués. Les fabriquer dans d’autres pays est une solution, mais pas une solution pour lutter contre le réchauffement climatique.

M. Gilles Le Borgne. Mais c’est une condition pour garantir l’avenir de l’entreprise PSA et de nos 200 000 collaborateurs, qui ont des familles et vis-à-vis desquelles nous avons une responsabilité. À partir du moment où nous ouvrons une usine à Kénitra, au Maroc, il est évident que si demain les moteurs à combustion interne sont interdits en Europe, pour diminuer les coûts, puisqu’il vaut mieux produire là où l’on vend les voitures, la logique serait d’y fabriquer aussi les moteurs. C’est pour cela que nous appelons de nos voeux une transition progressive et adaptée. Ne vous méprenez pas, nous avons fait la démonstration depuis des années, que nous travaillons sur des technologies favorables à l’environnement. C’est la vitesse et la brutalité de ce qui nous est demandé, qui nous pousse à une logique de survie. Parvenir à 40 % de véhicules à très faible émission en Europe en 2030 nous impose cette logique de survie. Il ne s’agit pas d’un épiphénomène.

Mme Huguette Tiegna. Justement, nous constatons que le temps des industriels, n’est pas le temps des politiques, ni le temps des consommateurs. Pour parvenir à effectuer cette transition sans léser les entreprises, compte tenu de la démarche engagée, de combien de temps auraient-elles besoin pour se retourner, s’agissant des véhicules électriques et à hydrogène ?

M. Gilles Le Borgne. J’inverserais les choses. Compte tenu des solutions technologiques disponibles aujourd’hui, aussi imparfaites soient-elles – la densité énergétique maximale envisageable des batteries lithium-ion se situant autour de 300 wattheures par kilo, peut-être demain autour de 1 000 wattheures par kilo pour les batteries solides – nous ne pouvons pas dire que nous ne sommes pas prêts. Nous le sommes, puisque nous allons introduire quinze nouvelles voitures électrifiés d’ici 2021. L’offre est donc bien là. Mais nous ignorons aujourd’hui –je suppose que nos concurrents vous ont dit la même chose – comment cette offre sera reçue par les consommateurs.

Par ailleurs, nous pensons que l’infrastructure n’est pas prête. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Pour prendre un exemple en région parisienne, aujourd’hui à Versailles, en raison du contentieux, les quatre stations de bornes Autolib existantes sont à l’arrêt. Les gens ne peuvent donc même plus utiliser ce qui existait jusqu’à présent. Cette infrastructure doit être garantie. Par ailleurs, toujours pour l’écosystème, il faut un vrai dynamisme des politiques pour favoriser l’émergence rapide d’un « Airbus de la batterie », sachant que dans le meilleur des cas il ne pourra être opérationnel avant cinq à sept ans.

M. Stéphane Piednoir. Nous entendons bien votre préoccupation et la partageons évidemment sur la filière des moteurs thermiques. Certains intervenants nous disent qu’ils ne vont pas pouvoir se développer dans toutes les filières. J’ai l’impression que vous êtes prêts à déployer un certain nombre de véhicules en partie électrifiés, mais que parallèlement vous seriez plutôt enclin à maintenir une activité moteurs thermiques.

M. Gilles Le Borgne. Le maintien de cette activité se justifie pour les hybrides rechargeables. PSA a toujours défendu la neutralité technologique. Nous demandons que l’État fixe des objectifs de qualité de l’air et de baisse de CO2, non des choix techniques. Dans mes équipes, j’ai 16 000 ingénieurs, tous extrêmement bien formés dans les meilleures écoles de chaque côté du Rhin. Par conséquent, si vous nous soumettez des problèmes, nous avons une puissance scientifique, intellectuelle, et d’investissement qui nous permet d’y répondre avec les meilleures solutions. Plutôt que de privilégier une solution technique, par exemple le tout électrique, il faudrait nous donner des objectifs qui soient les mieux qualifiés possibles en termes de résultats, notamment en regard des questions de santé de nos concitoyens et de réchauffement climatique. Par contre, c’est clairement notre rôle de trouver les solutions techniques pour y répondre. Le choix de plateformes multi-énergies, qui n’ont pas que des avantages mais en ont beaucoup, a été effectué voici maintenant quelques années. Ainsi, pour la prochaine DS3, nous avons évidemment des prévisions sur la part de vente en motorisation électrique, mais en réalité nous l’ignorons. Toutefois, nous pourrons être flexibles, parce que la fabrication se fait dans la même usine.

 


Audition de

M. Jean-Philippe Hermine, directeur du plan environnement

M. Nicolas Tcheng, chargé des relations avec le Parlement

Groupe Renault

 

Mardi 30 octobre 2018 au Sénat

 

M. Jean-Philippe Hermine, directeur du plan environnement et de la stratégie environnement, groupe Renault. Je suis directeur du plan et de la stratégie environnement, rattaché à la direction du plan, de la stratégie, et du business development, elle-même rattachée à M. Carlos Ghosn. Mon rôle au sein du groupe Renault consiste à éclairer l’entreprise sur les enjeux environnementaux, et à proposer des orientations stratégiques, pour les décisions sur le développement de la gamme partout dans le monde, ainsi que sur le business model, susceptibles d’être impactées par cette révolution dans le domaine de la mobilité. Nous sommes bien dans un secteur en pleine mutation, au plan de la technologie, et, plus généralement, de l’organisation de la mobilité. Avec ses dix ans d’expérience en matière de véhicules électriques, Renault doit pouvoir contribuer au débat. C’est bien notre intention,

Renault est pleinement engagée, dans sa stratégie, sur les enjeux environnementaux, et a complètement intégré l’agenda politique environnemental, afin d’en faire un levier de compétitivité et de performance pour l’entreprise, tout en restant extrêmement conscients que nous sommes face à des défis majeurs pour l’automobile : le défi climatique, celui de la qualité de l’air en milieu urbain – les deux sont importants – et le défi des ressources. Renault considère que ces trois défis environnementaux représentent des enjeux qui vont transformer le marché de manière profonde et durable, et qu’ils nécessitent des ruptures technologiques, ou en matière de business dans les nouvelles mobilités.

Renault estime que ces défis doivent être traités dans un cadre politique, très déterminant pour l’évolution du marché. Les pouvoirs publics et les décideurs publics, à tous les niveaux, international, national, ou local, détiennent des leviers pour transformer ce marché. Renault entend bien faire de ces contraintes et enjeux de responsabilité des différenciants de sa politique.

Renault s’est engagé très tôt, voici dix ans, sur les technologies d’électrification, non dans une logique de niche, mais de déploiement de masse, qui correspond à notre ADN. Renault fabrique des véhicules abordables pour tous. C’est bien dans cette perspective qu’il développe l’électrification de sa gamme. D’ailleurs, les premiers véhicules mis sur le marché étaient la Twizy et la Kangoo, pour le transport de biens ou de personnes, puis la Zoé, qui a rencontré un succès certain, puisque ce modèle est l’un des premiers du marché européen des véhicules électriques.

L’objectif pour 2040 est très ambitieux, tout le monde s’accorde à le reconnaître. Il ne sera atteint que si les mesures nécessaires sont prises dans les dix années qui viennent. Ce n’est pas dans les dix années suivantes qu’on pourra les prendre, mais vraiment en engageant cette transformation dès à présent, à la fois en matière d’infrastructures, d’offre, de dispositions fiscales et réglementaires associées, etc.

Cet objectif ambitieux va nécessiter des ruptures technologiques, mais aussi industrielles. Il faut les mesurer, les accompagner, et les comprendre. Il y a sûrement un rythme à imprimer. Nous pouvons le faire ensemble, puisqu’il faut que l’industrie française puisse en tirer profit, et ne se trouve pas dans des difficultés suite à cette transition.

Renault a fait du véhicule électrique un axe de développement majeur. Il a révélé un plan qui vise à mettre sur le marché français, d’ici 2022, au moins huit véhicules totalement électriques, et douze véhicules électrifiés.

Nous considérons que le véhicule électrique constitue une réponse à la fois aux enjeux de changement climatique et de pollution en milieu urbain, avec des effets bénéfiques immédiats dans ce dernier domaine, et à plus long terme sur le réchauffement climatique. Nous avons été parmi les premiers à croire en cette technologie et continuons à considérer, sans état d’âme et sans arrière-pensée, qu’il s’agit d’un axe de développement majeur pour l’entreprise.

Nous avons développé le véhicule électrique sur une base française, la base historique de Renault, en annonçant un investissement de près d’un milliard d’euros pour l’implantation de nouvelles plateformes de véhicules en France, avec les usines de Douai et de Cléon. Cette dernière fabrique des moteurs. C’est une caractéristique de Renault que d’avoir investi immédiatement dans la production de moteurs électriques. Nous en sommes déjà à la troisième ou quatrième génération de moteurs fabriqués dans cette usine. La Zoé est fabriquée à Flins et la Kangoo à Maubeuge, y compris l’assemblage des batteries.

Nous voulons faire de la France un pôle d’excellence pour les véhicules électriques, à la fois en matière d’ingénierie, de développement, et de production. Renault a intérêt à disposer en France d’une base commerciale et industrielle forte. Naturellement, il est utile pour développer de nouvelles technologies de disposer d’un cadre stable et plutôt favorable. Par ailleurs, Renault développe des modèles spécifiques pour la Chine. L’enjeu industriel de cette transition, dont on sait qu’elle va arriver dans certains territoires de manière extrêmement rapide et agressive, est fort. De la capacité à s’y préparer, en France et en Europe, dépend le futur de l’industrie française et européenne, qui se joue sur d’autres marchés.

Nous avons annoncé également des véhicules électrifiés avec des systèmes hybrides rechargeables (en anglais, plug-in hybrid), en plus des véhicules purement électriques, notamment sur des modèles du segment inférieur ou moyen. Ainsi, nous avons déjà annoncé une Clio hybride, ainsi qu’une Captur et une Mégane hybrides rechargeables. Il s’agit donc bien de développer des véhicules de masse, purement électriques ou fortement électrifiés.

Au-delà de cette offre technologique, nous menons un certain nombre d’expérimentations et de réflexion, en collaboration avec les énergéticiens, sur l’apport d’un développement massif des véhicules électriques à la transition énergétique. Beaucoup d’acteurs s’accordent sur la possibilité d’accélérer le développement des énergies renouvelables, dont le problème principal est le stockage entre production et pics de consommation, en mettant en réseau des systèmes de charge intelligents, basés sur les véhicules électriques, et en réutilisant en deuxième vie leurs batteries pour le stockage stationnaire.

Nous avons travaillé avec beaucoup d’organismes internationaux et d’organisations non gouvernementales pour essayer de quantifier ces effets bénéfiques. Nous savons que le véhicule électrique ne trouvera tout son sens que lorsqu’une majorité de pays auront décarboné leur production d’électricité. Ce n’est pas nécessairement l’enjeu principal en France, où le véhicule électrique présente d’ores et déjà un bénéfice environnemental incontestable, y compris pour le réchauffement climatique, du fait d’une électricité faiblement carbonée. Mais cela peut constituer un enjeu dans d’autres pays.

Parallèlement, nous développons une réflexion et engageons des actions en matière de mobilité électrique, avec des business models un peu différents, qui doivent répondre aux besoins des Français et des Européens ayant des aspirations un peu différentes en matière d’usage de la mobilité. Progressivement, une partie de la population va passer d’un comportement classique d’achat de véhicules à un comportement d’achat de mobilité, de forfait mobilité, ou de mobilité à la demande, etc. Nous avons lancé plusieurs initiatives, pour certaines relativement connues, qui ont fait l’objet d’annonces dans la presse. Par exemple à Paris, Move’in est un service d’autopartage (en anglais, free floating), et Marcel, un service de VTC basé sur les véhicules électriques. Ces initiatives ont été lancées en France, mais nous en avons d’ores et déjà développé d’autres à grande échelle dans beaucoup de villes européennes, comme à Madrid, où le service d’autopartage Zity rencontre un important succès, à Stockholm, et à Copenhague. Au total, aujourd’hui près de 5 000 véhicules électriques Renault sont en autopartage en Europe. Il s’agit également d’évolutions importantes en matière de mobilité, au-delà de la technologie. Nous considérons que ces offres de mobilité à la demande constituent un levier de développement du marché des véhicules électriques.

Contrairement aux idées reçues, le véhicule électrique n’est pas destiné seulement aux populations urbaines. Nous avons été un peu surpris de constater lors de la mise sur le marché de la Zoé, que les ventes étaient à peu près égales en milieu urbain et rural. Analyse faite, il apparaît que l’électromobilité s’accompagne aussi de beaucoup de prestations nouvelles, qui peuvent répondre à un certain nombre de besoins des utilisateurs. En particulier, alors qu’il peut s’avérer difficile de trouver une station-service en milieu rural, il est facile de recharger son véhicule électrique au domicile. Cet atout a été plébiscité par un certain nombre d’utilisateurs.

Cette question de l’infrastructure est déterminante pour les usagers. L’électromobilité implique un écosystème différent, à construire et à co-construire avec les collectivités locales, avec les politiques publiques, au niveau national et c’est extrêmement important, je le disais tout à l’heure, le passage à cette ambition, telle qu’elle est définie par les décideurs publics, cette aspiration qu’on a à apporter des solutions de rupture au niveau de la mobilité, ne passera que par une action déterminée et rapide.

Pour réussir, un certain nombre de freins doivent être levés sur le déploiement des infrastructures de recharge, sur le droit à la prise, et sur le développement des bornes dans l’espace public. Nous en avons tous conscience. Vous en avez sans doute largement entendu parler. Un sujet nécessitant de la vigilance est celui de la maintenance des infrastructures existantes. Après leur mise en place, les bornes doivent être connectées et opérationnelles, pour délivrer la puissance nécessaire, etc.

Les incitations financières actuelles sont nécessaires au déploiement du véhicule électrique qui reste plus cher qu’un véhicule thermique équivalent. Nous travaillons activement, comme mentionné dans notre plan, à éliminer ce différentiel de prix, mais cela nécessite encore des progrès technologiques, notamment sur les batteries et les moteurs. Dans l’intervalle, les incitations fiscales en place sont nécessaires et doivent être maintenues un certain temps, pour parvenir à ce décollage. Encore une fois, l’ambition de 2040 ne se concrétisera que si un décollage survient dans les cinq années qui viennent.

Le véhicule électrique rentrera dans ce qu’on considère être la mobilité de demain, c’est-à-dire une mobilité à la fois propre, au sens de meilleur pour l’environnement, connectée, partagée, et autonome. Toutes ces initiatives sur la mobilité électrique partagée conduisent à une réflexion beaucoup plus ambitieuse sur les nouveaux services de mobilité qui pourront se développer avec la digitalisation, ainsi que l’autonomisation du véhicule et de la conduite. Nous pensons être en mesure de fournir dès 2022 des services connectés, autonomes et électriques à la demande, à partir de véhicules. D’ores et déjà, nous travaillons à des expérimentations, en France notamment. Par exemple, à Rouen, nous offrons déjà, en collaboration avec Transdev, un service de mobilité à la demande, sur base de véhicules électriques Zoé autonomes sur route ouverte, sur des parcours extrêmement balisés mais néanmoins ouverts au public. Nous travaillons donc également dans cette direction, pour un avenir relativement proche.

L’industrie automobile est en pleine révolution, avec des changements brutaux. Tout cela nous amène à considérer que les ambitions fixées sont atteignables. Le timing dépendra des efforts de tous, et de notre capacité à accompagner le consommateur vers le changement, basée principalement sur des leviers économiques et serviciels améliorés par rapport aux situations actuelles. Ce sont les conditions pour que les consommateurs passent au véhicule électrique individuel ou partagé.

Par ailleurs, tout cela va avoir quelques implications industrielles. Il est nécessaire de bien comprendre ces mutations. Nous les avons déjà engagées chez Renault, dans nos usines, avec un plan d’investissement conséquent. Mais nous avons aussi besoin de nouveaux métiers. Un accompagnement est nécessaire en matière de talents, de compétences, et de formation. La filière automobile va avoir besoin de se transformer et d’évoluer. Là aussi un travail de co-construction est nécessaire avec les pouvoirs publics. Par exemple, Renault a pris l’engagement de recruter sur trois ans 5 000 personnes sur des contrats à durée indéterminée (CDI), pour accompagner cette transformation du système industriel et de la technologie. Néanmoins, là aussi, il faut être relativement vigilant.

Nous sommes donc capables de proposer des solutions, mais elles ne seront adoptées par les consommateurs que si nous travaillons ensemble à la qualité du service et de l’infrastructure associés, ainsi qu’à un cadre réglementaire et fiscal favorable. Nous avons participé aux Assises de la mobilité. Nous sommes attentifs et engagés pour accompagner le développement de la loi d’orientation des mobilités (LOM). Je pense que notre expérience de dix ans d’électromobilité peut s’avérer tout à fait utile. Nous avons été des pionniers et nous sommes leaders en Europe, et avons l’intention de le rester. C’est une chance pour la France. Renault est donc prête à relever le défi de ces nouvelles mobilités, dans la mesure où l’écosystème technique et politique le permet, et se met en place de manière stable, avec de la visibilité, ce qui est également un élément très important de l’investissement et des décisions à prendre.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Vous avez répondu à certaines des questions que nous avions prévu de vous poser, notamment sur les modèles de véhicules électriques que vous allez développer à l’horizon 2022. Vous avez cité les hybrides rechargeables Clio, Captur et Mégane, par contre, pour les véhicules 100 % électriques, vous n’avez pas précisé s’il s’agirait de voitures familiales ou de SUV.

M. Jean-Philippe Hermine. D’abord, je rappelle que notre gamme est d’ores et déjà relativement complète, avec la Twizy, la Zoé, et la Fluence, une berline vendue dans certains pays, mais pas en France. Nous avons aussi deux véhicules utilitaires légers : Kangoo et Master, pour le transport de marchandises. Renault est leader du véhicule utilitaire en Europe et ces véhicules Renault sont fabriqués en France.

Pour ce qui est des nouveaux véhicules électriques qui seront commercialisés en France, les annonces ne sont pas faites. Il va de soi que Renault va conserver une position forte sur le segment B des petites et moyennes citadines, celui de la Zoé. C’est une ambition naturelle pour Renault. Il est effectivement possible que nous montions légèrement en gamme, en fonction du développement technologique et de notre capacité à offrir des produits abordables pour tous, puisque l’ADN de Renault est de concevoir des véhicules électriques abordables, pour un développement de masse.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Vous avez parlé de leadership européen, mais aujourd’hui la batterie fait l’objet de débats, puisque nous n’en avons pas la maîtrise. Pouvez-vous détailler les actions de Renault qui lui permettent de revendiquer ce leadership ?

M. Jean-Philippe Hermine. Le marché des véhicules électriques en Europe est à peu près de 150 000 immatriculations par an. Renault représente 21 % de part de marché, dans une phase de renouvellement relativement faible de son offre. Dans le passé, nos parts de marché ont varié entre 21 % et 25 %. Nous entendons rester leader des ventes en Europe. C’est notre ambition dès 2022.

Ce qu’il faut retenir aujourd’hui, c’est qu’un véhicule électrique sur trois en Europe est un véhicule Renault, ce qui est significatif. C’est beaucoup plus que nos parts de marché en tant que marque. Pour nous c’est un levier, ainsi qu’un relais de croissance potentiel, et de développement de notre part de marché. En ce sens, nous entendons rester leaders. Nous sommes leader aussi bien par l’expérience acquise, que par toutes les expérimentations menées en mobilité électrique partagée. Je vous ai cité un chiffre significatif de 5 000 véhicules électriques Renault en autopartage en Europe. Mais nous sommes aussi leader dans le développement des interactions avec la transition énergétique, les expérimentations de la charge intelligente (en anglais, smart charging), du « véhicule à tout » (en anglais, vehicle-to-everything ou V2X) ou du « véhicule au réseau » (en anglais, vehicle-to-grid ou V2G). Renault et Nissan sont vraiment en pointe en Europe dans ce domaine.

Concernant l’industrie de la batterie, je rappelle que nous assemblons nos batteries en Europe, de même que nous fabriquons nos moteurs et nous sommes en pointe dans ce domaine. Effectivement, nous ne sommes pas fabricants de modules et nous n’avons pas l’intention de le devenir pour l’instant. Il serait heureux et utile qu’une filière batterie se développe en Europe. Ce serait utile pour l’industrie européenne. Ce serait probablement aussi un moyen de réduire l’impact environnemental de la fabrication des batteries, qui doit aussi être un axe de travail pour améliorer encore le bilan environnemental de la mobilité.

S’il n’est pas dans notre rôle que de fabriquer des modules, nous sommes néanmoins vigilants quant aux évolutions. Si des initiatives doivent être poussées, nous les pousserons. Nous avons déjà pris des participations et suivons de très près des start-up qui ont développé des technologies particulièrement innovantes dans le domaine des futures générations de batteries. Aujourd’hui, nous avons des batteries lithium-ion, cobalt, nickel, et manganèse. Cela va durer un certain temps, mais par la suite de nouvelles générations de batteries permettront de réaliser des progrès, à la fois techniques, en autonomie, en prix, et en utilisation de matières. C’est important et nous avons, au niveau de l’alliance Renault-Nissan, pris des positions dans des start-up qui développent ces nouveaux produits.

Personnellement, je pense que l’Europe, la France en particulier, a intérêt à s’intéresser à cette filière de production de batteries. Mais il faut miser sur les technologies du futur, parce que nous aurons du mal à rattraper le savoir-faire d’autres acteurs sur les technologies actuelles. Par contre, des places restent probablement à prendre sur des technologies du futur, ou dans d’autres domaines de la chaîne de valeur, sans doute en amont, pour la production de matières intermédiaires, le recyclage des batteries, etc. Donc, il existe d’ores et déjà des domaines dans lesquels il est tout à fait envisageable de soutenir le développement industriel.

Mme Huguette Tiegna. Comment prévoyez-vous de faire face aux obligations environnementales annoncées par l’Union européenne, de 95 grammes en 2021 ?

M. Jean-Philippe Hermine. S’agissant des normes d’émission de CO2 ou de pollution, le véhicule électrique est un élément très important pour atteindre ces objectifs.

De plus, nous allons aussi électrifier notre gamme avec des véhicules hybrides rechargeables ou hybrides simples, comme annoncé récemment. Il faut bien entendu pouvoir compenser la baisse du diesel, qui constituait un élément favorable du point de vue de cette réglementation, puisqu’il émet moins de CO2 que l’essence. La chute du diesel représente donc une difficulté. Renault se félicite de disposer de cette offre électrique pour être en mesure de respecter ses obligations réglementaires.

Mme Huguette Tiegna. Vous intéressez-vous également à l’hydrogène ?

M. Jean-Philippe Hermine. L’hydrogène fait effectivement partie du débat. Je voudrais rappeler que deux cents Kangoo électriques sont équipées, depuis au moins cinq ans, d’un prolongateur d’autonomie (en anglais, range extender) à hydrogène, développé par la société Symbio. Nous ne sommes donc pas complètement absents de cette réflexion.

Néanmoins, Renault ne se positionne pas sur des véhicules de niche ou très coûteux. Or, les véhicules à hydrogène sont aujourd’hui hors de prix pour nos clients. De plus, nous n’avons pas de visibilité à très court terme sur la possibilité de les commercialiser en vue d’un développement massif. La France a récemment annoncé un plan hydrogène. Je pense qu’elle l’a fait de manière intelligente et sensée, en priorisant le développement d’une filière hydrogène décarbonée. L’hydrogène étant issu des produits pétroliers, la décarbonisation de l’hydrogène constitue bien un préalable.

Ensuite, je pense que l’hydrogène décarboné pour la mobilité sera d’abord adopté pour des modes de transports n’ayant pas accès au 100 % électrique, comme les poids lourds – je rappelle que Renault ne fabrique plus de poids lourds, Renault Trucks ayant été racheté par Volvo en 2001 – éventuellement les trains, et surtout pour des flottes captives, qui auront les moyens de financer une infrastructure relativement coûteuse.

Nous avons des plans de recherche sur l’hydrogène avec Nissan, mais ce serait plutôt pour une deuxième décennie de progrès, que dans la décennie présente. Je rappelle que le véhicule hydrogène est un véhicule électrique, si bien que tout le savoir-faire qui sera développé pour la transformation industrielle dans le cadre du véhicule électrique sera également utile aux véhicules à hydrogène.

Je pense que l’urgence climatique ne permet pas d’attendre que l’hydrogène décarboné soit disponible en masse pour les véhicules particuliers. Aujourd’hui, il faut résolument s’engager dans le développement du véhicule électrique, sans attendre demain. C’est notre responsabilité à tous vis-à-vis des générations futures et de nos concitoyens.

M. Stéphane Piednoir. Vous rappeliez tout à l’heure qu’en tant que constructeur vous essayez de proposer des véhicules adaptés à la demande des familles. Votre modèle de développement peut donc convenir pour un développement plus massif, sous réserve des annonces qui vont intervenir d’ici quelque temps. Quel est le frein principal aujourd’hui ? Est-ce le prix d’acquisition qui rebute les ménages ? Vous disiez tout à l’heure qu’il était indispensable de maintenir les aides à l’acquisition. Le coût total du véhicule, entretien compris, ne serait donc pas un argument de vente suffisant pour convaincre les acheteurs.

M. Jean-Philippe Hermine. Une étude récente de l’UFC-Que choisir montre que le coût d’usage du véhicule électrique est tout à fait pertinent, en fonction du kilométrage effectué et du besoin de chaque famille Mais pour certains utilisateurs, d’ores et déjà, l’équation économique est positive, en fonction de leur usage.

Je pense que les freins sont multiples. Accompagner la conduite du changement, avec un processus d’adoption d’une technologie, n’est pas si simple. Néanmoins, c’est possible. Par exemple en Norvège, la part de ventes de véhicules électriques a atteint, en quelques années, de 20 % à 25 %. Comment ont-ils réussi ? D’abord, en se dotant en temps et en heure d’une infrastructure en conséquence. Je vous rappelle que la loi définit une prise pour dix véhicules. Aujourd’hui, nous sommes à ce niveau, mais les ambitions définies dans le Contrat de filière, signé voici peu de temps, notamment la multiplication par cinq des ventes de véhicules électriques en France, implique de multiplier par cinq ou six les infrastructures actuelles. Il ne s’agit pas nécessairement d’un besoin absolu, mais d’une question de réassurance.

Encore une fois, pour que les consommateurs adoptent cette technologie, il faut qu’ils se sentent en confiance par rapport à celle-ci, et à son accompagnement technique et politique dans l’avenir. C’est ce qui s’est passé en Norvège, avec un cocktail positif d’infrastructures, d’incitations fiscales, également d’incitations peu coûteuses pour le parking, les voies préférentielles, de bus ou autres, pour le covoiturage (en anglais carpooling) ou le véhicule électrique, ainsi qu’avec un discours politique cohérent et sans état d’âme. Tout cela constitue un cocktail qui peut faire passer l’adoption de 1 % à 20 ou 25 %. C’est donc bien cette cohérence entre, d’une part, l’offre des constructeurs, et, d’autre part, l’ambition politique accompagnée d’un discours et de décisions, qui peut créer ce cocktail très favorable.

Nous travaillons à la réduction du coût, avec pour objectif de supprimer, par exemple d’ici 2022, le différentiel existant. Toutefois, cela dépend principalement du coût des batteries, en phase de diminution, avec néanmoins un certain nombre d’incertitudes. Mais il faudra bien y parvenir. Renault travaille également à la réduction du coût par l’homogénéisation des plateformes. En effet, il faut des effets de volumes pour réduire les coûts. Renault-Nissan a choisi non pas d’électrifier chacun des véhicules de la gamme, mais de produire des plateformes dédiées aux véhicules électriques sur de très gros volumes, partagés au sein de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi.

Il existe des pistes pour réduire les coûts, c’est notre travail. Néanmoins, la transformation se fera par un écosystème beaucoup plus favorable et beaucoup de pédagogie, qui passe aussi par des signaux politiques.

M. Stéphane Piednoir. Justement, quelles sont les différences, en termes de chaîne de montage, entre un véhicule électrique de type Zoé, et une Clio essence ? Cette différence impacte-t-elle vos marges ?

M. Jean-Philippe Hermine. Les marges ne sont pas encore équivalentes. La soutenabilité de la technologie et de notre industrie implique de les rendre identiques. Nous n’y sommes pas encore. Le surcoût découle principalement du prix de la batterie. Comme vous l’avez rappelé, l’effacement de ce surcoût est dans le coût d’usage, puisque l’on fait l’économie du combustible. Mais pour un consommateur le coût d’achat est l’obstacle frontal, peu d’entre eux faisant le calcul du coût d’usage. Pourtant, il faudra bien y parvenir.

C’est la raison qui a conduit Renault à proposer aux consommateurs le choix entre l’achat du véhicule et de la batterie, ou la location de cette dernière. Cette formule représentant près de 90 % de nos ventes aujourd’hui permet de diminuer la résistance liée au prix d’achat. Elle a été plébiscitée jusqu’à présent et permet donc l’accessibilité en masse, C’est ce qui nous différencie des concurrents, tels que Tesla ou BMW, qui ont développé des véhicules électriques en visant un autre type de clientèle. C’est peut-être pour cela que nous sommes les seuls à avoir proposé la location de la batterie, qui permet de conserver un schéma financier identique à celui auquel le consommateur est habitué.

Mme Huguette Tiegna. Il semblerait que le développement des SUV ait entraîné un accroissement des émissions de CO2. Avez-vous des données plus précises sur ce point ?

M. Jean-Philippe Hermine. Je ne dispose pas de chiffres précis sur l’impact des SUV. C’est vrai que les SUV sont les véhicules qui se vendent le mieux actuellement. Ce n’est pas nécessairement la responsabilité des constructeurs qui offrent tous les types de véhicules. Cette tendance lourde marque le marché, ce qui nous contraint à suivre, sinon nous ne pourrons plus vendre de véhicules.

Vous noterez que Renault propose des SUV de petit gabarit, tels que la Captur que nous allons, autant que possible, électrifier. Une version hydrogène d’un SUV serait très coûteuse aujourd’hui.

Mme Huguette Tiegna. Avec cinq ans de recul pour la Zoé et la Leaf, un peu plus pour la Twizy, pouvez-vous confirmer que ces véhicules nécessitent moins d’entretien que leurs équivalents essence ou diesel, et comment vos concessionnaires parviennent-ils à y trouver leur compte ?

M. Jean-Philippe Hermine. Effectivement, les véhicules électriques présentent un certain nombre d’avantages en matière d’entretien, puisqu’un moteur électrique nécessite moins d’entretien et qu’il est plus robuste dans le temps. De même, pour les batteries, les résultats sont plutôt favorables sur la durabilité. De plus, la récupération au freinage permet une usure moindre des freins. Tout cela constitue un avantage pour le consommateur, puisque le coût d’usage s’en trouve réduit. Ce sont des informations qu’il faut continuer à communiquer.

Maintenant, est-ce que le fait que les concessions auront moins de travail constitue une raison suffisante pour ne pas développer ce type d’offres ? Certainement pas, il faut s’adapter. Par exemple, nous allons développer des services de mobilité. Je pense que notre réseau de concessionnaires ou d’agents peut y contribuer. D’ailleurs, nous nous appuyons d’ores et déjà sur eux pour le service Renault Mobility. C’est une adaptation nécessaire. Je veux bien entendre que certains professionnels ou représentants des professionnels se posent des questions. Mais nous devons tous nous poser des questions et nous adapter, à un rythme raisonnable.

Mme Huguette Tiegna. Effectivement, il faudrait diversifier les activités. Peut-on dire que la comparaison entre les coûts d’entretien et de maintenance d’un véhicule thermique et d’un véhicule électrique peut représenter un argument pour les clients ? Aujourd’hui, la comparaison s’effectue sur le prix d’achat et les émissions, mais les clients ne prennent pas vraiment en compte le coût total de possession, alors que ce dernier pourrait faire partie des éléments permettant de déclencher l’achat d’une voiture électrique.

M. Stéphane Piednoir. Vous expliquiez tout à l’heure qu’en milieu rural, il est plus facile de recharger un véhicule électrique à domicile, que d’aller dans une station-service qui peut être située à plusieurs kilomètres. S’agissant des bornes publiques, en milieu rural au urbain, qui s’occupe de leur déploiement, et qui le paie ? Les collectivités sont aujourd’hui très sollicitées et l’assument pour amorcer le mouvement. Mais si les bornes doivent être déployées à grande échelle : un ratio d’une borne pour dix véhicules est évoqué, je m’interroge sur la capacité des collectivités, plus précisément des communes, à en supporter le coût.

M. Jean-Philippe Hermine. D’abord, Renault et Nissan ont beaucoup investi dans le développement des bornes. Près de 20 % des bornes installées à ce jour l’ont été avec notre participation financière ou autre. Nous n’avons pas attendu pour agir, que ce soit pour les bornes de recharge du réseau Corri-Door sur les autoroutes ou nos concessions, qui sont toutes équipées. Renault a donc été l’un des acteurs qui ont lancé la mise en place des bornes.

Il faut bien qu’on passe maintenant à d’autres investisseurs, ce n’est pas notre rôle. Nous avons été précurseurs pour créer les premiers éléments de réassurance, et montrer que c’était possible. Effectivement, les collectivités locales sont mises à contribution, mais cela doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion sur l’aménagement urbain, et l’aménagement des nouvelles mobilités. Je crois qu’il faut la poursuivre. Ce peut être un élément de travail et de progrès.

Par ailleurs, le monde de l’énergie peut être très intéressé, doit être très intéressé, par le rôle potentiel de la charge et de la décharge dans l’équilibrage du réseau, pour le stockage dynamique des énergies renouvelables. Ces entreprises pourraient devenir des acteurs du développement des moyens de recharge. En revanche, il reste la question de la recharge individuelle au domicile, pour laquelle il existe encore quelques freins réglementaires à lever, afin que tous puissent installer des moyens de recharge dans les immeubles. Il faut travailler sur toutes ces pistes simultanément.


Audition de

M. Marc Jedliczka, porte-parole de lassociation NégaWatt

 

Jeudi 22 novembre 2018 au Sénat

 

M. Marc Jedliczka, porte-parole de lassociation NégaWatt. Pour nous l’OPECST est un partenaire important dans le paysage institutionnel, parce que sa démarche scientifique, correspond aussi à la nôtre, en tout cas celle que nous essayons d’avoir le plus possible. NégaWatt n’est pas un représentant d’intérêts particuliers, mais bien une association de personnes physiques uniquement. Bénévoles, elles mettent leurs compétences à la disposition de l’association, pour produire essentiellement des travaux prospectifs à l’horizon 2050, même si d’autres activités existent. L’association comprend aujourd’hui plus de 1 200 membres, un noyau dur d’une trentaine de personnes qui réalisent notamment les scénarios, mais aussi une filiale, plus opérationnelle : l’Institut NégaWatt. Elle-même possède une filiale qui s’occupe, par exemple, de rénovation énergétique profonde des bâtiments et des logements individuels.

NégaWatt est une association de personnes de terrain, même s’il y a quelques universitaires, nous sommes, pour l’immense majorité des praticiens, beaucoup de provinciaux, avec des métiers variés, très complémentaires par définition, puisque c’est ainsi que s’est créée l’association. Il s’agissait de rassembler un panel de compétences suffisantes pour pouvoir parler de tous les sujets de l’énergie, c’est-à-dire d’à peu près la totalité des sujets de société. Nous nous positionnons du côté de l’intérêt général, de manière certaine et prouvée, y compris par nos financements qui ne proviennent que de nos membres, des fondations, et éventuellement de quelques contrats ponctuels, sur des objets très précis.

Avant d’en venir à la mobilité, je vais faire quelques rappels sur les scénarios NégaWatt. La démarche NégaWatt, qui était très innovante en 2003 à sa création, est maintenant traduite dans la loi de transition énergétique, puisque les mots sobriété, efficacité et énergies renouvelables figurent, en termes d’objectifs et de moyens, dans cette loi. Pour nous, cela signifie travailler d’abord sur la demande, avant de parler de production, ce qui est très rarement fait en France. Avant de parler de la demande, avant de parler d’efficacité et de choses qui sont de l’ordre de l’investissement en énergie ou en argent, pour avoir un résultat, il y a la sobriété, qui est traditionnellement plus de l’ordre des comportements individuels et collectifs, qui vont jusqu’à des questions d’urbanisme. Pour nous, la sobriété, c’est la bonne idée, au bon moment, qui ne coûte rien, et qui a un effet détectable et quantifiable sur la consommation d’énergie, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. Ces trois éléments sont mis en parallèle et quantifiés, année par année, dans le cadre de scénarios.

En termes de méthodologiques, ce scénario est de type bottom-up : il part de ce que l’on sait faire aujourd’hui, en termes d’économie d’énergie, de gaz à effet de serre, de polluants, etc. et de ce qu’on pense pouvoir obtenir dans les années qui viennent. C’est donc un scénario réaliste et soutenable, avec une hiérarchie de solutions, une action prioritaire sur la demande, et une utilisation des énergies de flux, plutôt que de stock, pour simplifier les renouvelables, plutôt que des autres formes d’énergie, fossiles ou fissiles.

NégaWatt a retenu un principe de réalisme, technologique et économique. On ne va donc utiliser que des solutions qui sont soit matures aujourd’hui, soit certaines à un horizon de temps prévisible. Nous sommes des experts chacun dans notre secteur. Par exemple, mon secteur est le photovoltaïque. Mais d’autres sont experts de l’éolien, du bâtiment, de l’industrie, etc. Nous ne faisons pas de pari sur des ruptures technologiques, ce qui ne nous empêche pas d’envisager des technologies innovantes.

Je prendrai deux exemples. En 2011, pour la version précédente du scénario, nous avons commencé à évoquer l’éolien flottant, qui n’existait quasiment pas. Nous ne l’avons pas inventé, mais avons écouté des gens qui réfléchissent à ces questions. On sait aujourd’hui que c’est une solution vraiment intéressante. Nous avons aussi commencé à mentionner le power-to-gas, notamment la méthanation, c’est-à-dire la production de méthane synthétique à partir d’hydrogène. Là aussi, nous avons été les premiers à en parler en France. Nous avions trouvé l’idée chez nos voisins allemands qui, du fait de l’augmentation des énergies renouvelables variables électriques, avaient besoin de résoudre ce problème. Aujourd’hui, les grands industriels s’intéressent beaucoup à ce sujet.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. À partir de quelle année avez-vous parlé de la méthanation ?

M. Marc Jedliczka. Nous en avons parlé à partir de 2011.

Mme Huguette Tiegna. Dans le rapport d’évaluation de la Stratégie nationale de recherche en énergie, publié par l’OPECST en 2009, c’était déjà l’une des solutions mises en avant.

M. Marc Jedliczka. Nous en avons parlé à partir de 2011, notamment avec la publication du scénario, mais nous avons commencé à travailler sur ce sujet à partir de 2009. Je pense que pour tout le monde le point de départ a été une thèse fondatrice sur les usages possibles de la réaction de méthanation, publiée par le chercheur allemand Michael Sterner, heureusement en anglais. La méthanation est une réaction de base de l’industrie chimique, qui a valu un prix Nobel à Paul Sabatier en 1910, un an avant Marie Curie pour le radium.

Nous nous intéressons à des solutions matures, ou quasi certaines, en tout cas qu’on peut démontrer. À l’inverse, nous avons, par exemple, toujours eu des doutes sur l’hydrolien. Malheureusement, les faits nous donnent raison à présent, puisque les investissements sont remis en cause. À l’époque, nous avions alerté à ce sujet, de même que sur le stockage du carbone, qui, pour nous, d’un point de vue industriel, technique, technologique, et scientifique, représente une impasse, en tout cas présente des risques.

Notre trajectoire se fonde sur la physique de l’énergie et des molécules. Nous venons interroger la viabilité économique de nos scénarios, avec des modèles macroéconomiques classiques, notamment ThreeME, le modèle de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED). Celui-ci donne des résultats conformes à ce que nous pensions intuitivement, notamment en termes de création d’emplois et de besoins d’investissements, non de coûts, les coûts des uns étant les investissements des autres, et réciproquement. Nous parlons beaucoup d’investissements productifs, à la fois d’un point de vue économique et social. Mais ce n’est pas un préalable. Dans notre modèle, le choix se fait sur des critères physiques, essentiellement liés aux enjeux climatiques, mais aussi à l’ensemble des enjeux de l’énergie, que ce soit les ressources, les pollutions locales, la précarité énergétique, etc.

Nous réduisons l’ensemble des impacts et des risques liés aux énergies. Évidemment, les changements climatiques sont tout à fait centraux, mais ce ne sont pas les seuls : les risques industriels, les pollutions locales, l’attention sur les ressources, etc. sont aussi intégrés dans nos modèles. Notre ligne directrice consiste à léguer aux générations futures des bienfaits et des rentes, plutôt que des fardeaux et des dettes. C’est un peu notre devise.

On en vient à la décarbonisation de la mobilité, sujet l’audition. Évidemment, il faut agir en premier sur la réduction de la demande avec le report modal, par la sobriété et l’efficacité. Je ne rentrerai pas dans le détail, le report modal étant le transfert des modes de transport carbonés vers les modes de transport décarbonés. Pour la mobilité des personnes, la partie sobriété consiste en la réduction des kilomètres parcourus par an. On passe de 17 000 à 14 000 kilomètres par an, soit une réduction de 15 %, qui n’est pas énorme. Chacun, je pense, peut dans les kilomètres qu’il parcourt chaque année enlever 15 % sans trop de problème, voire plus pour certains, par des moyens comme le télétravail, le covoiturage, toute une batterie d’actions de sobriété quantifiées année par année. Sur un parcours de 2015 à 2050, la baisse de la part modale de la route et de l’avion est de 26 %.

Les distances parcourues par individu sont réduites de 15 %, mais la part des voitures, avions et transports en commun sur route, tout ce qui dépend du pétrole aujourd’hui, est réduite de 26 % par rapport au point départ. L’effet sobriété porte sur le nombre de kilomètres, et ensuite vient l’effet de répartition modale. C’est le cadre dans lequel nous nous situons pour aborder la question des vecteurs énergétiques, électricité, gaz ou autres. C’est un préalable important, avec évidemment une montée en puissance des transports en commun et des modes actifs : vélo, marche, etc. Il y a donc deux éléments : sobriété et report modal. La même chose s’applique aux transports de marchandises, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

En termes de résultats, ceci donne en 2050 une réduction de 60 % de la consommation d’énergie finale dans les transports, pour la partie mobilité de notre scénario, avec une grande part de sobriété, avec la réduction des vitesses, par exemple à 80 kilomètres heure, que nous demandions depuis longtemps. Nous avons été surpris que ce ne soit pas un argument porté par le Premier ministre quand il a défendu cette mesure pour des questions de sécurité. Pour d’autres raisons, c’est une bonne mesure, mais c’est aussi une très bonne mesure pour le climat, de même que nous demandons la réduction de la vitesse sur autoroutes de 130 à 110 kilomètres heures. La sobriété, c’est aussi la taille des véhicules, avoir des véhicules adaptés à l’usage, pas des SUV 4x4, comme on en voit partout en ville, pour aller acheter du tabac au coin de la rue. Cela veut dire aussi développer l’autopartage, la propriété individuelle de la voiture n’étant plus le modèle, mais un partage d’usage. On entre dans une économie d’usage, où la propriété privée des moyens de déplacement n’est plus la règle. C’est un mouvement qu’on voit naître tout seul, y compris pour les vélos, avec des exemples à Lyon et à Paris, même si ce dernier connaît quelques problèmes, mais aussi avec la montée en puissance de l’autopartage. Donc, des voitures plus légères pour les petits déplacements, et l’adaptation des véhicules aux déplacements. On voit que l’efficacité joue un rôle moins important. Ces schémas datent d’avant le dieselgate, mais nous considérons que l’industrie automobile développe des solutions efficaces, du point de vue de la motorisation. Elle est en tout cas capable d’en faire pas mal.

Au-delà de cette réduction de 60 %, la totalité des moyens de locomotion vont utiliser des énergies renouvelables. C’est le cas dans tous les secteurs, le scénario NégaWatt étant quasiment 100 % renouvelables, à quelques petits détails près, pour l’industrie et les matières premières. Voilà le cadre dans lequel on situe les transports. Ce qui nous amène à un résultat, en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, très important sur le CO2, avec un facteur douze entre aujourd’hui et 2050, ce qui est relativement facile, le CO2 étant un gaz à effet de serre émis dans le secteur énergétique, essentiellement par la combustion. Les technologies sont déjà là ; que ce soit les technologies de sobriété, d’efficacité, de renouvelables, elles sont déjà disponibles. Elles méritent évidemment d’être développées, car elles ne sont pas complètement sur étagère. Mais on sait comment faire, dans tous les secteurs. Le bâtiment, l’industrie, l’agriculture et l’alimentation sont des éléments importants. En tout cas, on arrive à un facteur douze sur le seul CO2. On obtient un facteur cinq sur l’ensemble des gaz à effet de serre, sachant que les deux autres gaz à effet de serre qui figurent ici sont le méthane et les oxydes d’azote. Ils sont très difficiles à réduire, pour la bonne et simple raison qu’on en a besoin pour le système alimentaire. Le facteur deux dans le modèle agricole et alimentaire est déjà inatteignable. Ce serait plutôt un facteur 1,5 à 1,8. Mais ce qui permet de relâcher la pression sur ces secteurs, c’est la baisse du CO2 dans les secteurs énergie en général, qui génère 80 % des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont donc des résultats conformes aux objectifs, même si l’on peut se demander si le facteur cinq est vraiment suffisant.

Quelque chose qui a été introduit par Nicolas Hulot, qui ne figure pas dans la loi, mais dont il a parlé au début de sa présence au Gouvernement, c’est la question de la neutralité carbone, qui devient un sujet extrêmement important, pour déterminer si l’on parvient à combattre les effets de l’augmentation des températures à plus deux ou plus 1,5 degré. Mais la neutralité carbone est très compliquée à appréhender et à calculer. Les méthodes de calcul ne sont pas complètement stabilisées aujourd’hui. À notre connaissance, nous étions les seuls, parmi les onze scénarios étudiés pendant le débat national sur la transition en 2013, à avoir calculé notre propre scénario pour mesurer cette neutralité carbone, qui implique la réduction des émissions, mais aussi le stockage dans les forêts, les prairies, d’où des impacts sur le système agricole, alimentaire et forestier permettant, dans notre cas, d’arriver à un résultat de neutralité carbone en 2050, mais avec des incertitudes pour la France métropolitaine, pour des questions de méthodologie.

Les autres étant saturés, les sols et les forêts constituent les deux grands moyens de stockage biologique disponibles. Les stockages technologiques sont, quant à eux, peu crédibles. On a des incertitudes jusqu’à 2120 sur la capacité réelle et l’atteinte de la limite de saturation des sols et forêts en carbone. De plus, se pose la question de vieillissement des forêts ou des incendies de forêt. Un incendie de forêt, comme on en connaît aujourd’hui aux États-Unis, peut faire perdre, en quelques semaines, le bénéfice de plusieurs années de politiques publiques. C’est vraiment quelque chose d’important. Du coup il y a des discussions actuellement, d’un point de vue scientifique et au sein des ONG, sur ce qu’il faut faire de la forêt. Faut-il la cultiver, la rendre productive ou, au contraire, la laisser tranquille pour stocker le carbone ? Toutes ces questions étant sujettes à débats, nous avons été simplement prudents dans notre vision.

Construire en bois, substitué les matériaux dans le bâtiment, est un gros enjeu. Les matières bio-sourcées dans le bâtiment représentent un enjeu énorme. Les logiques systémiques nous poussent vraiment à cultiver la forêt, mais en respectant la biodiversité. Aujourd’hui, on utilise à peu près 50 % de l’accroissement naturel de la forêt en France, exploité par l’industrie, nous allons à 65 %, mais pas au-delà. On est donc loin de saturer l’usage de la forêt dans nos modèles. Pour cela, nous nous appuyons sur un autre scénario, qui s’appelle AFTERRES 2050.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Prenez-vous aussi en compte les haies ?

M. Marc Jedliczka. Effectivement, la forêt, les haies, la culture des arbres dans les champs, les méthodes agricoles, sont tous pris en compte dans le scénario AFTERRES 2050, cousin de NégaWatt, avec en commun les bioénergies. Ce scénario s’intéresse aussi à la partie alimentation de l’usage des terres, aux systèmes agricoles et forestiers. Ces travaux ont été faits par l’association SOLAGRO de Toulouse, dont l’un des directeurs est aussi président de NégaWatt. Ces deux scénarios sont jumelés sur la question des bioénergies, ce qui nous permet d’avoir une approche et un discours systémiques sur ces questions.

On en vient au sujet pour lequel vous avez demandé à nous auditionner : le vecteur énergétique pour la mobilité. Une fois qu’on a réduit la demande, si on examine les alternatives, les biocarburants présentent l’avantage de ressembler de près au pétrole, qui a un contenu énergétique et une flexibilité d’usage extraordinaires, puisqu’on peut le stocker. C’est un bien commun de l’humanité, accaparé par les grandes entreprises capitalistiques depuis très longtemps, qui vient du soleil, puisqu’il est issu de la décomposition de matières organiques pendant les temps géologiques durant 800 millions d’années. Celles-ci ont produit ce stockage d’énergie solaire, proche de la perfection, à ceci près qu’il relâche du carbone quand on le brûle, mais surtout qu’il est très difficile à reproduire. C’est un élément important, parce que les qualités d’usage du pétrole structurent énormément l’industrie, la forme des villes et des campagnes, les comportements individuels et collectifs, etc.

De ce point de vue, les biocarburants sont très tentants, parce qu’on n’a rien à changer, mais ils ont quelques inconvénients. La première génération est en concurrence avec les usages alimentaires, même si les jachères ont pu être utilisées à une certaine époque, mais c’est à notre point de vue révolu, surtout si l’on modifie les méthodes agricoles, car on va avoir besoin de plus de terrain pour produire l’alimentation, moins productives à l’hectare. Mais c’est une bonne chose, y compris pour la biologie des sols, Le sol est un élément, pas juste un support de produits chimiques et végétaux hors sol.

Les biocarburants ont d’autres impacts environnementaux. Les analyses de cycle de vie de la Commission européenne montrent qu’il faut quasiment un litre de pétrole pour produire un litre de biocarburant. C’est d’ailleurs pour cela que l’objectif européen de 10 % d’incorporation de biocarburant dans les carburants fixé au début des années 2000 a finalement été réduit à 7 %, à peu près le pourcentage actuel, parce qu’on considère, d’un point de vue technique et scientifique, que le jeu n’en vaut pas la chandelle pour les premières générations, diester et éthanol.

Deuxième et troisième générations sont plus prometteuses, mais encore au stade du laboratoire. Les filières ligno-cellulosiques utilisent la tige de la plante, non plus ses fleurs ou feuilles. Pour l’instant, les coûts de production sont élevés, compte tenu de l’origine biologique, de la difficulté à obtenir une composition homogène, ce que les moteurs n’aiment pas. De plus, les biocarburants génèrent autant de polluants locaux que leurs équivalents fossiles. Par exemple, si le biocarburant ressemble au gazole, les particules sont similaires, même si elles sont d’origine biologique. Il y a probablement une petite place pour ce type de carburant, peut-être dans l’aviation, mais pas pour la mobilité sur route.

Un deuxième candidat serait l’hydrogène en usage final. Je parle de l’hydrogène, qu’on va utiliser dans le véhicule lui-même, via une pile à combustible. Il ressemble au pétrole, avec une densité énergétique relativement intéressante, et permet de faire un plein rapidement. Mais il a quelques inconvénients et quelques contraintes techniques, même si on nous garantit l’absence de problème aujourd’hui. Néanmoins, la molécule d’hydrogène est quand même la plus petite qui existe, et les joints doivent être bien serrés dans la durée. Enfin, les risques d’une fuite d’hydrogène ne sont pas du tout les mêmes que pour une fuite de méthane. Une explosion d’hydrogène est beaucoup plus violente. J’ai vu des démonstrations dans le cadre de programmes de recherche européens. On comprend vite la différence entre une explosion de gaz naturel et d’hydrogène dans la cuisine de Mme Michu.

M. Stéphane Piednoir. Justement, on entend souvent qu’avant-guerre le réseau de gaz de ville contenait encore une bonne part d’hydrogène.

M. Marc Jedliczka. Effectivement, parce qu’il était issu de la gazéification, une technologie remise au goût du jour. À l’époque la gazéification était imparfaite, avec du charbon très chargé en hydrogène. La littérature, y compris juridique, révèle beaucoup de conflits liés à l’explosion de gaz de ville très chargé en hydrogène.

Ces risques ne sont quand même pas négligeables et induisent des coûts, par exemple d’entretien des tuyauteries, des réservoirs, etc. Aujourd’hui, il n’existe pas de réseau de transport et de distribution d’hydrogène, sauf à Dunkerque, pour des usages purement industriels. On peut injecter l’hydrogène dans le réseau gazier, comme dans l’expérience GRHYD à Dunkerque, mais pas plus de 6 %, même si les tests vont aller jusqu’à 20 % pour évaluer la réaction. De toute façon, comme le confirment les gaziers, il faut une homogénéité du mélange sur l’ensemble du réseau. Par exemple, les industriels doivent connaître la composition du gaz sur leurs processus. Il en va de même pour le réglage des cuisinières. De ce fait, les capacités d’injection d’hydrogène dans le réseau gazier sont quand même limitées, et construire un réseau à côté du réseau gazier aurait un coût exorbitant, surtout pour l’hydrogène.

M. Stéphane Piednoir. Il est assez logique qu’il n’y ait pas de réseau en l’absence de besoin.

M. Marc Jedliczka. C’est un constat, mais est-ce qu’on a les moyens d’en construire un, alors qu’une infrastructure amortie existe, le réseau gazier, qui servira un peu moins, puisque la consommation de gaz est appelée à diminuer, même GRT gaz et GrDF le disent. Donc, on a une infrastructure existante, avec des opérateurs qui savent très bien ce qu’ils font : il n’y a pas eu d’accident gazier depuis des années. Une filiale d’Engie, STORENGY, dont c’est le métier, est l’un des leaders mondiaux du stockage de gaz. Ils connaissent très bien leur sujet. En comparaison avec cet actif, déjà disponible à un coût marginal, la construction d’un réseau hydrogène nous semble une mauvaise décision politique. C’est techniquement possible, mais ce serait un gâchis d’argent public, parce qu’on a d’autres solutions, même si l’hydrogène intervient dans le processus. Évidemment, pour l’hydrogène, le gros enjeu est aujourd’hui industriel. L’industrie consomme un million de tonnes d’hydrogène carboné pour ses besoins. Il faut le décarboner en priorité, notamment pour faire monter en puissance l’industrie des électrolyseurs, afin de faire baisser les coûts et d’induire un cercle vertueux. Mais une fois saturé le besoin industriel d’hydrogène vert ou renouvelable, les autres usages doivent être questionnés, notamment à cause de ces sujets de distribution, de risques, etc. Il y a d’autres solutions, notamment via la méthanation, c’est-à-dire la combinaison de l’hydrogène, avec du CO2 pour faire du méthane avec la réaction de Sabatier, qui offre des perspectives beaucoup plus raisonnables, y compris du point de vue des finances publiques.

De plus, la technologie de la pile à combustible n’a pas bougé depuis une quarantaine d’années. Elle progresse très peu, à la fois en termes techniques et de coût. Les piles à combustible utilisent toujours du platine, un matériau déjà un peu critique et qui le deviendra de plus en plus. La massification de cette technologie pose un problème.

M. Stéphane Piednoir. Le platine est déjà utilisé dans les catalyseurs des automobiles.

M. Marc Jedliczka. Effectivement, il y a un conflit d’usage. C’est un matériau à la fois rare et cher. C’est un élément qu’on prend en compte dans nos scénarios. La criticité, notamment celle des matériaux et des minéraux, fait partie d’une démarche soutenable.

Mme Huguette Tiegna. Dans quel pays se trouvent les réserves de platine ?

M. Marc Jedliczka. Pour le lithium et le cobalt, je le sais à peu près, mais pas pour le platine.

Aujourd’hui les coûts des véhicules sont quand même prohibitifs, même si c’est toujours le cas pour des prototypes. Pour la Toyota Mirai, mise sur le marché à un coût très élevé, les perspectives de baisse sur la partie motorisation sont incertaines, pour des raisons de rareté des matériaux, de complexité technologique, etc. En plus, il faut des réservoirs extrêmement solides. La chaîne technologique interne à la voiture est quand même assez complexe.

Quand on analyse le cycle de vie, ce qui devrait être fait systématiquement dans toutes les approches si l’on veut faire preuve d’esprit scientifique, on se rend compte que la consommation d’énergie primaire est trois fois plus élevée que celle des véhicules électriques à batterie. C’est une solution qui nous paraît peu généralisable. Cela ne veut pas dire qu’elle ne présente pas d’intérêt, à un endroit ou un autre Il ne s’agit pas d’annoncer le zéro hydrogène, mais ce n’est pas une solution de substitution du pétrole à grande échelle.

Le troisième candidat, l’électricité, a beaucoup d’atouts, d’abord parce que le véhicule électrique n’émet plus de particules fines, même s’il en reste un peu provenant des freins et des pneus.

Il n’y a plus de nuisances sonores, ou quasiment plus, ce qui peut d’ailleurs être un problème de sécurité. C’est quand même un gros avantage environnemental. Ce véhicule est très efficace du puits à la roue, à la condition, pour nous, que l’électricité soit produite à partir de sources renouvelables. Évidemment, la production d’électricité à partir de pétrole génère des gaz à effet de serre, mais le nucléaire produit aussi des déchets qui, pour nous, sont à ranger au rayon des restes du passé, même si les centrales nucléaires ne peuvent s’arrêter que progressivement dans le scénario NégaWatt. Mais la perspective est bien une sortie, à terme, de la production nucléaire, d’autres solutions de production étant beaucoup plus intéressantes.

L’un des freins actuels au déploiement du véhicule électrique est son autonomie limitée, même si l’on nous annonce des augmentations spectaculaires à chaque salon. Une autonomie de 400 ou 500 kilomètres est associée à l’augmentation de la taille des batteries, du poids des véhicules, et des temps de recharge, qui sont extrêmement pénalisants pour le réseau électrique. Cette autonomie limitée se dégrade dans le temps et suivant les températures. Je ne sais pas si vous connaissez des gens possédant des Tesla. L’hiver a été difficile à passer. En hiver, la voiture perd 20 % de son autonomie, parce qu’il faut chauffer dans la voiture. Pour les premières Zoé vendues vers 2000, on trouve déjà sur le marché des batteries d’occasion, alors que les fabricants promettaient une durée de vie de dix ans. Quand un véhicule a perdu 20 % de son autonomie, cela devient insupportable pour l’usager, il faut donc remplacer la batterie, d’où le modèle de la location, ce qui génère l’arrivée de batteries de deuxième main sur le marché.

On parle beaucoup de deuxième vie de la batterie en stationnaire, pour faire du stockage sur les réseaux électriques, mais aujourd’hui ce n’est pas un besoin du réseau. En tant que spécialiste du photovoltaïque et développeur d’éco-quartiers, je peux vous affirmer, travaillant avec Enedis quasiment nuit et jour, que le besoin de moyens de stockage locaux sur le réseau électrique n’existera pas avant très longtemps, sauf dans certains endroits particuliers, par exemple des péninsules électriques. Mais en termes de besoins massifs, il n’y a pas d’adéquation entre la mise sur le marché de batteries d’occasion et les besoins de stockage du réseau, d’autant que d’autres solutions de stockage sont beaucoup plus massives. Ainsi, j’ai travaillé avec des collègues sur un projet de quartier à énergie positive, avec de grands constructeurs qui voulaient déployer du photovoltaïque et des batteries. En utilisant des batteries de Zoé, cela doublait le prix du système photovoltaïque. Du point de vue équilibre énergétique, cela n’avait strictement aucun intérêt, sauf pour le marchand de batteries.

Ces difficultés sont aujourd’hui prégnantes, et le resteront en grande partie. Ces éléments peuvent s’améliorer, mais il n’y aura pas de rupture, même les fabricants ne le prétendent pas.

Le nombre insuffisant de bornes de recharge constitue également une limite pour les usagers. Nous considérons que ce problème peut se résoudre, mais cela aura un coût. J’habite à la campagne, il y a des bornes de recharge devant toutes les gares, financées par le syndicat d’énergie il y a cinq ou six ans, devant lesquelles on n’a pas le droit de se garer. Cela énerve tout le monde, parce que personne n’a jamais vu une voiture se charger. Il y a donc un problème d’œuf et de poule, de connectique aussi. Ces freins sont a priori surmontables, mais, en tout cas, ils sont réels. Et puis on a la question de la durée de recharge, une recharge normale, en huit heures, est possible en maison individuelle. Mais ce modèle n’est pas très durable, parce que l’étalement urbain, avec des déplacements en voiture pour aller au travail, est un modèle sur lequel il faut vraiment se poser des questions, parce qu’il est à l’origine d’une partie des problèmes actuels.

On ne peut pas raisonner d’une manière saucissonnée. Promouvoir un modèle de recharge à la maison, tout en disant qu’il faut arrêter de prendre la voiture pour aller au travail tous les matins, n’est pas cohérent. Il faut arrêter l’étalement urbain, les pavillons qui se construisent sur des kilomètres. Évidemment, les gens sont piégés, ils en sont victimes.

À l’horizon 2050, on commence à avoir les effets d’un urbanisme un peu plus intelligent, qui prenne en compte la mixité de fonction, la mixité sociale, etc. Ce n’est pas notre spécialité, mais pour revenir au sujet, la question de la recharge longue de huit heures correspond à un modèle sous-jacent questionnable. Mais huit heures, ce ne sont pas les cinq minutes nécessaires pour remplir un réservoir à la station-service. Si on veut avoir des durées de recharge similaires à celle d’aujourd’hui, il faut envisager des puissances de 400 voire 600 kilowatts pour recharger un véhicule.

Enedis pourrait vous en parler bien mieux que moi. C’est difficilement imaginable, sauf à dire que seuls les riches peuvent se le permettre, ce qui est déjà le cas aujourd’hui, et d’avoir un modèle d’utilisation du véhicule électrique socialement très critiquable. De plus, j’ai du mal à imaginer ce que pourrait être un grand départ en vacances, début juillet, sur les stations d’autoroutes, le long de l’axe Paris-Méditerranée. Cela risque d’être très compliqué en tout électrique. Les investissements nécessaires ne se limitent pas à la borne. Évidemment, en ville il n’y a pas trop de problèmes, vu le foisonnement des puissances. Il peut y en avoir, mais si l’on est astucieux, on installe les bornes au bon endroit. Mais s’il faut le faire en milieu rural, les besoins en investissements sont gigantesques. Donc, nous pensons qu’il existe quand même une limite sérieuse. Ce n’est pas qu’il ne faut pas de véhicule électrique, mais ses plages de pertinence d’usage doivent être bien identifiées.

Les leviers pour résoudre ces problèmes sont l’augmentation de la capacité de la batterie, avec les inconvénients mentionnés pour le poids, et l’augmentation du nombre de bornes de recharge. L’objectif de 7 millions est toujours dans la loi, mais on ne sait pas quand il sera atteint. Par ailleurs, les perspectives de baisse des coûts de production du véhicule sont incertaines dans la durée. Certains disent que les batteries, comme le photovoltaïque, vont continuer à baisser. C’est vrai qu’aujourd’hui, les courbes de baisse du prix des batteries ressemblent à celles du photovoltaïque. Mais pour le photovoltaïque, cela fait trente ans que cela dure, et cela va encore durer parce qu’intrinsèquement la technologie mène la dynamique industrielle du photovoltaïque vers l’économie de matériaux et d’énergie : les cellules sont de plus en plus fines, de plus en plus larges, de plus en plus efficaces. Ces progrès sont lents, sans rupture, continus dans la durée. Pour les batteries, il n’est pas du tout prouvé que ce soit le même modèle. Avec la logique de massification, on a beaucoup d’effets d’échelle aujourd’hui dans la production de batteries, mais on n’a pratiquement que cela. Les rendements, la question de la recyclabilité, qui est un vrai sujet – alors que dès aujourd’hui le photovoltaïque se recycle à 97 % – le lithium est concentré géographiquement – alors que le silicium est le troisième matériau le plus abondant sur terre –, notamment en Amérique du Sud. . On n’a pas d’éléments solides, d’un point de vue scientifique, qui nous disent que la baisse de prix des batteries va continuer très longtemps. On n’est pas sur une asymptote, mais sur un plat, parce que l’essentiel de l’effet est quantitatif, alors que dans le photovoltaïque cet effet se conjugue avec ceux de processus, de matériaux, etc. Néanmoins, le véhicule électrique est incontournable, il a un avenir important. Mais il ne peut pas tout faire.

Concernant les services système que pourraient rendre les véhicules électriques, du point de vue du réseau, un véhicule en train de se recharger est une consommation. Donc il existe une flexibilité de la consommation, avec la recharge intelligente. C’est quelque chose qui peut se faire sans trop de problème, on sait déjà le faire, et cela ne pose pas trop de soucis. Sur le processus inverse, c’est‑à‑dire le vehicle-to-grid, nous émettons des doutes très forts, parce qu’un véhicule est cher. De plus, avoir un modèle où le réseau compte, pour des questions de sécurité d’approvisionnement ou d’autres, sur des objets qui sont susceptibles de bouger à tout moment, parce que leur propriétaire les achète pour cela, induit un risque, à tel point que RTE ne considère pas que les véhicules pourraient servir au stockage. D’ailleurs, 42 millions de véhicules électriques représentent, de mémoire, un térawattheure de stockage. Les stations de pompage-turbinage (STEP) représentent 7 TWh en France, et pourraient aller jusqu’à 10 TWh sous certaines conditions. Le réseau gazier géré par GRT gaz représente 130 TWh de capacité de stockage, soit quatre mois de chauffe. Par obligation, les vingt gaziers sont contraints d’avoir de quoi passer l’hiver, pour que les gens ne risquent pas d’avoir froid chez eux. L’infrastructure gazière représente une capacité de stockage absolument gigantesque. La vision stockage par les voitures a peut-être un sens localement, dans des cas particuliers, à titre expérimental, mais en termes de massification c’est une vue de l’esprit.

De plus, si l’on fait de la recharge électrique, il faudra libérer de la place sur le réseau, notamment à 19 heures, quand les gens rentrent chez eux. En France, la pointe électrique est la plus élevée d’Europe, du fait du chauffage électrique : une baisse d’un degré de la température en hiver, nécessite 3 gigawatts supplémentaires, soit 3 réacteurs nucléaires qu’il faut démarrer pour quelques heures ou sur quelques jours. Pour pouvoir ajouter les véhicules électriques, il faut réduire cette pointe. C’est donc une raison de plus pour réaliser des rénovations énergétiques des logements, notamment chauffés à l’électricité, lourdes, complètes et performantes, aux normes BBC ou supérieures. Celles-ci représentent aussi un enjeu industriel et d’emploi. Le réseau électrique ne peut pas servir à tout à la fois, on ne peut pas faire n’importe quoi, sauf à se dire que les caisses sont pleines, et qu’on peut investir sans limite. Quand on voit l’état de la maison mère d’Enedis aujourd’hui, sur le plan financier, je doute qu’on puisse se permettre de faire n’importe quoi. La question de la bonne gestion de l’argent public est aussi sous-jacente à tous nos propos.

Le quatrième candidat est le bioGNV, donc le gaz naturel véhicule d’origine renouvelable. Aujourd’hui, le gaz naturel n’est pas bio, il est naturel parce qu’on le trouve dans la nature. On a donc toujours un problème d’appellation quand on parle du GNV. On va parler de gaz vert ou de gaz d’origine renouvelable, mais il s’agit bien de méthane, la même molécule CH4.

L’un des atouts de cette solution est que les véhicules sont classiques. Aujourd’hui, des millions de véhicules au gaz circulent dans le monde, un million en Italie, des millions en Amérique du Sud, dans les villes pakistanaises, indiennes, etc. Des constructeurs comme Iveco fabriquent toute une gamme de camions, du tout petit aux plus grands pour le transport de marchandises, des bennes à ordure, etc. C’est tout à fait classique. Il n’y a donc pas de rupture dans les chaînes de fabrication, contrairement aux véhicules électriques, qui les révolutionnent complètement, à l’exception de la carrosserie et du châssis. Les organes pour la motorisation changent complètement. De plus, même pour le GNV non bio, les réductions de particules sont très importantes. Par ailleurs, le moteur est moins bruyant en fonctionnement que le moteur thermique classique. Enfin, on utilise une infrastructure de transport et de distribution existante, 80 % des Français sont dans une zone de desserte gazière. Cela ne signifie pas qu’ils sont tous raccordés au réseau de gaz, mais que le réseau n’est pas très loin.

Il faudrait entre 1 000 et 1 200 stations-service sur le territoire pour approvisionner tous les véhicules. Un grand nombre de stations actuelles ne sont pas loin du réseau de gaz, les raccorder serait faisable. Un investissement est nécessaire et un peu compliqué, parce que le modèle n’est basé que sur les poids lourds. Des transporteurs passent au gaz dans ma région, à Villefranche-sur-Saône un transporteur doté d’un parc de 130 camions est passé au gaz et s’est donc fait construire une station-service, à laquelle les véhicules légers et d’autres camions pourront avoir accès, dans une logique de mutualisation. L’inverse n’est pas vrai une station coûte chère et il est difficile de trouver des modèles économiques pour la rentabiliser.

Et puis, on a plusieurs sources de production de gaz vert : la méthanisation, qui est le biogaz stricto sensu qu’on transforme en bio-méthane en le purifiant, le biogaz étant composé à moitié de méthane et à moitié de CO2. Il faut le purifier avant de l’envoyer dans le réseau gazier, car il faut atteindre des niveaux de 97 % à 98 % de pureté. Mais cela se fait couramment, y compris dans des stations d’épuration des eaux usées, comme à Strasbourg, à Grenoble, ou à Angers, à des échelles industrielles.

C’est une dynamique, pour moi qui vis à la campagne, visible aujourd’hui dans les territoires à énergie positive (TEPOS), comme celui de Figeac ou de la communauté d’agglomérations de l’ouest rhodanien, où j’habite. Le biogaz est un sujet qui monte, car on voit que ça marche.

La deuxième source de biogaz est la gazéification de biomasse solide, de bois, comme le gazogène de nos grands-parents pendant la guerre. Ce processus est maîtrisé à des échelles moyennes, l’industrialisation est encore à venir. L’expérience Gaillard est pilotée par Total dans la vallée du Rhône, pas très loin de Lyon, à Salaise. Ce sont des réactions assez complexes, mais des installations fonctionnent dans le monde à grande échelle, notamment dans les pays scandinaves. Aujourd’hui, des efforts de développement industriel, plus que de recherche, restent nécessaires. Il s’agit d’apprendre à assembler des briques, d’après ce que nous comprenons du point de vue des opérateurs.

La troisième et dernière source de biogaz est la méthanation, qui permet de valoriser l’hydrogène en combinaison avec le CO2, dont une source est le biogaz lui-même. Ce n’est pas la peine de le chercher dans l’industrie ou dans l’air. Dans l’industrie, on dégrade les rendements des processus, il faut donc le payer. Il peut être capturé en grande quantité dans le réacteur de biogaz à la fin de la réaction de méthanisation. Au lieu d’envoyer le CO2 dans l’air, on va l’utiliser avec de l’hydrogène pour faire du méthane synthétique, par la réaction de méthanation. Comme il est synthétique, il y a très peu d’impuretés.

Dans le scénario NégaWatt 2050, de mémoire, le bio-méthane provient à parts égales de ces trois voies. La méthanation a aussi l’avantage d’apporter une solution de stockage au réseau électrique, un électrolyseur permettant de valoriser les excédents d’électricité quand il y a trop de soleil ou trop de vent. Dans la logique NégaWatt, on ne fabrique pas du méthane que pour revenir au système électrique, parce que les rendements sont très mauvais. Certes, une partie va, éventuellement, servir pour assurer la sécurité d’approvisionnement d’un système 100 % renouvelable, dans les périodes sans vent et sans soleil. Mais la plus grande partie de ce méthane va être employée pour les divers usages du gaz, notamment la mobilité.

Dans le scénario 2011, nous avions prévu pas mal de biomasse, notamment sous forme de biogaz et de gazéification, et de la méthanation uniquement pour les besoins du système électrique, car nous considérions que la France n’exportait pas d’alimentation, afin de laisser les pays se développer sur leurs propres ressources, et ne pas avoir de dépendance, sachant que la France n’est pas autonome du point de vue alimentaire. Aujourd’hui, avec le soja importé pour le bétail, nous importons plus de protéines que nous n’en exportons. Nous étions sur une logique de souveraineté alimentaire. Depuis, nous nous sommes rendu compte que ce n’était peut-être pas une bonne chose, parce que certains pays ont besoin d’exportations alimentaires, notamment au Moyen-Orient. Pour nous, la guerre en Syrie est la première guerre climatique, avec onze ans de sécheresse dans la région où l’agriculture a été inventée, il y a 3 000 ou 4 000 ans. Comme on exporte plus d’alimentation, on prévoit plus de méthanation.

Pour nous la solution optimale est un mix électricité bio-méthane pour le système complet, comme au niveau du véhicule, l’hybride rechargeable permettant de traiter les courtes distances avec de petits véhicules électriques en ville, pour 20 à 30 % des kilomètres parcourus, et le reste, des véhicules au gaz, moins nombreux en nombre, mais avec de plus longues distances parcourues pour l’interurbain, le transport de marchandises, etc. La consommation moyenne du parc baisse de 58 ou 60 % et le pétrole est abandonné au profit de l’électricité et du gaz. Nous n’opposons pas du tout ces deux vecteurs, tous deux absolument indispensables.

Pour l’ensemble des usages, la consommation d’électricité et de gaz est aujourd’hui équivalente en France. En 2050 les carburants pétroliers auront disparu et seront remplacés par ces deux énergies qui auront augmenté chacune leur part de marché, pas nécessairement leur consommation, et qui seront toujours à égalité dans le mix énergétique. C’est un résultat constaté avec notre démarche. Ces chiffres sont raisonnables en termes d’infrastructures, de potentiels, de capacités industrielles, etc.

Les gaziers défendent évidemment leur activité, cela les intéresse d’avoir un nouveau débouché pour le gaz. Nous considérons qu’ils doivent sortir des bâtiments pour aller dans les camions. Il faut isoler les bâtiments, auquel cas l’électricité devient très intéressante, avec des pompes à chaleur très performantes, permettant le chauffage électrique sans convecteurs, ce qui rend le gaz non pertinent d’un point de vue économique. Plutôt que de parler de l’abandon des véhicules thermiques, nous parlons d’abandon de l’essence et du diesel, ou de sortie du pétrole. Il faudrait vraiment clarifier ce point. Nous savons, pour en avoir discuté avec lui, que Nicolas Hulot était bien sûr cette ligne-là, mais parfois les raccourcis peuvent être très trompeurs. Il faut conserver les moteurs thermiques, en les faisant tourner au gaz, pas au pétrole.

Mme Huguette Tiegna. Quels sont les coûts de raccordement moyens pour des bornes rapides ?

M. Marc Jedliczka. Il faudrait interroger Enedis, mais de toute façon les véhicules qui se rechargent rapidement sont des modèles très chers, comme les Tesla ou les grosses allemandes, la Zoé de base, c’est huit heures. Si vous voulez recharger en une demi-heure, ce qui est considéré comme une recharge rapide, il faut 120 kilowatts de puissance, contre 3 ou 7 kilowatts en base, soit l’équivalent d’un transformateur qui alimente un quartier de pavillons, ou un petit immeuble.

M. Stéphane Piednoir. Huit heures correspondent à un chargement complet, c’est rarement le cas en usage réel.

M. Marc Jedliczka. La recharge lente à la maison ne pose pas de problème, à condition de ne pas avoir un chauffage électrique en même temps. On peut charger durant huit, six ou cinq heures, mais si l’on veut un temps de recharge qui corresponde à celui d’un plein, ce n’est plus 3 kilowatts qui sont nécessaires.

Le gaz est le plus propre des fossiles. Sa combustion produit du gaz carbonique, quasiment sans impuretés, puisqu’il contient 98 % de méthane, en tout cas, sans particules fines, mais un peu oxyde d’azote, et de petites impuretés, qu’on peut trouver dans le gaz. Le gaz naturel et le bio-méthane comportent tous deux des impuretés, mais ce ne sont pas tout à fait les mêmes. Au niveau des pollutions atmosphériques locales, c’est clairement une réduction drastique.

M. Stéphane Piednoir. Que pensez-vous de la position de l’ONG Transport et Environnement ?

M. Marc Jedliczka. Il existe un débat au sein des ONG sur le rôle de la biomasse en général, pas que du biogaz, dans la transition énergétique. Transport et Environnement vient d’un milieu plutôt naturaliste et biodiversité, tout à fait respectable et que nous prenons en considération, mais il existe aujourd’hui un vrai débat, dont nous avons du mal à comprendre les origines. Il semble être de nature scientifique en apparence, mais quand on creuse le sujet, on se rend compte qu’il y a questionnement sur la manière de gérer la forêt, avec des prérequis pour avoir un débat serein et objectif, qui ne sont pas là.

Effectivement, Transport et Environnement est opposé au gaz issu de la biomasse, et plus généralement à toute exploitation de la biomasse. On peut le comprendre, mais les solutions alternatives, c’est le tout électrique, qui ne marche pas. Nous nous appuyons sur des études réalisées par l’ADEME, par exemple sur le potentiel de gaz, avec l’étude 100 % Gaz renouvelables sortie l’année dernière, qui fait quand même référence.

Même pour des questions d’agro-écologie, de modèles agricoles, nous montrons que cette voie est très bonne pour l’environnement local, pour la biodiversité, pour la vie des sols. Le sol est un bien commun qui nous a été légué par nos ancêtres, et dont on ne prend pas soin, parce qu’on considère qu’il relève de la chimie, pas de la biologie. Les méthodes qui commencent à pénétrer le milieu agricole sont aussi des réponses à cette situation.

Tous les véhicules qui se déplacent émettent des particules, avec les freins et les pneus, d’où l’intérêt de réduire la taille des véhicules et leur nombre. Les proportions sont de l’ordre de moitié-moitié. En tout cas c’est relativement important. Donc qu’ils soient électriques ou gaz le véhicule continuera à émettre des particules, ça, c’est certain.

Mme Huguette Tiegna. Qu’est-ce qui explique que le véhicule au gaz, notamment au bioGNV, n’a pas eu plus de succès ?

M. Marc Jedliczka. J’ai participé au Grenelle de l’environnement et aux débats qui l’ont précédé, dans les années 1990, du temps de M. Michel Barnier. J’ai suivi tous les débats sur ces questions à l’époque. Lors du débat sur la transition de 2013, lorsque les filiales réseau d’Engie, GrDF et GRT-Gaz, ont été créées, GrDF avait pour mission de démanteler son réseau gazier, parce qu’ils se considéraient comme perdants de l’évolution du marché, sans parler de transition énergétique, s’agissant d’une énergie fossile entièrement importée. Je pense que NégaWatt a contribué à leur faire comprendre qu’il ne fallait pas raisonner seulement en termes de ressource primaire, mais aussi de vecteur. De ce point de vue, le gaz a de réels avantages, indépendamment de son origine. Mais il a, en plus, l’avantage compétitif d’être complémentaire à l’électricité. Par ailleurs, on sait faire du gaz renouvelable. Depuis les années 1990, GDF Suez s’était opposé à l’injection de bio-méthane dans son réseau. Ainsi, à la grande décharge de Montech près de Toulouse, qui comme toute décharge émet du méthane, des investissements ont été faits au début des années 2000, pour capter ce gaz afin de l’injecter dans le réseau. Cela n’a jamais été fait, parce que GDF Suez ne le voulait pas. Des rapports de l’Agence de santé disaient que c’était dangereux. Il y avait tout un tas de raisons pour ne pas le faire.

C’est le jeu normal des différents lobbies, chacun défendant son intérêt. Maintenant qu’on leur a ouvert la porte de la mobilité, que ce projet industriel commence à prendre de la consistance, les gaziers voudraient aussi rester dans le bâtiment. Mais nous leur disons qu’il faut sortir des bâtiments, parce qu’on sait faire autrement, la chaleur étant facilement substituable. On sait chauffer de nombreuses manières, avec le solaire passif, la géothermie, le solaire thermique, le bois, etc. De plus, on sait réduire énormément les besoins, grâce à la haute performance énergétique. Ils disent qu’il faut qu’ils puissent amortir leurs investissements. On ne va pas les renvoyer tout de suite, mais dans une perspective de moyen terme il faut arrêter de concurrencer les réseaux chaleur, arrêtez de faire du lobbying pour l’utilisation du gaz à la campagne, alors que dans les agglomérations rurales, comme à Figeac, le bois est une ressource vraiment intéressante, à tous points de vue.

Mme Huguette Tiegna. Un chauffeur de taxi m’a dit que les biocarburants ne posaient pas de problème technologique, et qu’il suffisait d’aller dans cette direction. Qu’en pensez-vous ?

M. Marc Jedliczka. Je pense que c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire, parce qu’il faut avoir une analyse cycle de vie. Il faut considérer l’ensemble de la chaîne. La référence en la matière est la Commission européenne qui a rabaissé les objectifs d’intégration de 10 %, en 2003 dans la directive énergies renouvelables, à 7 %. On ne va pas dire aux céréaliers de la Beauce qu’il faut en faire moins, parce qu’un modèle économique a été créé. Mais le bilan global n’est quand même pas bon du tout, puisqu’il faut quasiment un litre de pétrole pour arriver à un litre de biocarburants de première génération.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce qu’aujourd’hui il existe plus de biogaz ou de biocarburant pour alimenter les voitures ?

M. Marc Jedliczka. En quantité de production, la montée en puissance du biogaz est relativement rapide, mais il faudrait l’accélérer. C’est pour nous un enjeu.

M. Stéphane Piednoir. Cette production a été favorisée dans le cadre de projets agricoles fortement subventionnés par l’ADEME, qui ferme les robinets. Du point de vue du modèle économique, pour les associations d’agriculteurs qui se lancent dans ce type de projet, ce n’est pas du tout le même retour.

M. Marc Jedliczka. Vous faites référence à un problème connu depuis vingt ans, les allers-retours des politiques publiques dans tous les domaines. Il y a eu un grand changement depuis qu’on peut injecter le bio-méthane dans les réseaux, parce que les modèles agricoles notamment, se sont développés sur le modèle de production électricité en cogénération, avec deux problèmes : en été, on ne sait pas quoi faire de la chaleur dans une exploitation agricole, elle est donc perdue, le rendement global n’est en réalité pas terrible, c’est l’équivalent d’un groupe électrogène. De plus, c’est une destination qui n’est pas très intelligente, parce qu’on sait faire autrement. Le gaz ne doit pas servir à produire de l’électricité, sauf marginalement en secours du réseau électrique. Son devenir en tant que vecteur, en perspective longue, n’est pas la production d’électricité, en raison du rendement de Carnot : la perte est de 65 %, alors qu’on sait faire de l’électricité autrement, moins cher, avec du photovoltaïque, de l’éolien, de l’hydraulique, etc. Le domaine de pertinence du gaz méthane, c’est la mobilité, parce qu’il ressemble beaucoup au pétrole, avec une densité énergétique similaire, une compatibilité avec les moteurs thermiques, et un temps de recharge court.

M. Stéphane Piednoir. Il y a un débat incontournable en ce moment, une grogne sur le prix des carburants. Pour le bioGNV, il faut comparer son coût à celui des carburants fossiles.

M. Marc Jedliczka. La facture énergétique d’un ménage ou d’une entreprise, c’est le coût unitaire multiplié par les quantités. Si l’on ne parle que des coûts unitaires, sans parler de réduction des quantités, on ne fait que la moitié du chemin. Il faut dire qu’on va consommer moins, parce qu’on va avoir plus d’efficacité dans les moteurs, parce qu’on va faire moins de kilomètres, parce qu’on va faire des kilomètres à plusieurs dans la voiture, etc. Autant de raisons de consommer moins d’énergie. Après, on peut se permettre des prix plus élevés. Je prends un exemple, les Danois payent l’électricité trois fois plus cher que nous, mais en consomment 30 ou 40 % en moins, et ils vivent très bien. Pour parler de l’actualité, il y a une erreur de communication majeure sur la question de la redistribution de la taxe carbone. En 2007, dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, nous avions dit qu’il faut que le prix du carbone augmente sur le long terme, et de manière significative pour modifier les comportements, mais que les recettes générées devaient comprendre trois parts, la première destinée à la lutte contre les impacts sociaux, la précarité énergétique, la deuxième, à doter les collectivités locales des moyens de réaliser la transition, ce qui reste allant au budget de l’État. Je ne veux pas donner des leçons, mais si on avait présenté les choses ainsi dès le départ, les choses se seraient passées autrement. C’est ce qu’on a fini par dire. Je le regrette, sans faire de politique politicienne ou critiquer qui que ce soit.

L’État a pris les bonnes décisions, dans la loi de transition énergétique, il y a beaucoup de bonnes choses. L’article premier est en grande partie issu de ce que NégaWatt avait dit, les 50 % d’énergie finale renouvelable en 2050, c’est le scénario NégaWatt 2011 dans la loi de 2015. Pour les objectifs, à quelques détails près, nous avons vu un réel progrès qualitatif. Sur les moyens, par contre, c’est beaucoup plus restreint, avec des ratés de communication simples à éviter, que je regrette. Donc nous sommes dans une situation très compliquée, mais on ne peut pas dire autre chose que l’énergie doit augmenter. Il faut payer le vrai prix de l’énergie, il faut juste que la totalité des habitants de la France puissent vivre correctement. C’est une évolution tout à fait gérable quand on regarde les chiffres. C’est pour beaucoup une question de pédagogie. Le discours politique est essentiel.

M. Stéphane Piednoir. Comment faire quand on est à trente kilomètres d’une métropole où l’on travaille ?

M. Marc Jedliczka. Dans l’immédiat, on prend sa voiture et si ça coûte trop cher, on bénéficie d’un chèque énergie. Après on réfléchit autrement.

M. Stéphane Piednoir. Comment faire pour ne pas utiliser la voiture ?

M. Marc Jedliczka. Nous n’avons que des réponses partielles, mais je pense que les réponses on les trouvera tous ensemble. Nous sommes prêts à y travailler, mais soyons bien clairs sur les causes.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez critiqué l’étalement urbain, mais tout le monde ne peut pas non plus habiter dans les villes.

M. Marc Jedliczka. J’habite à la campagne, mais on peut aussi revitaliser les centres-bourgs. Même dans les villages du Beaujolais, on construit des lotissements sur les Terres agricoles.

M. Stéphane Piednoir. De fait, ces villages ne sont pas connectés par un réseau de transport avec la métropole.

M. Marc Jedliczka. Il n’y a pas que le transport physique, on s’oriente vers des systèmes informatisés, très innovants, de covoiturage organisé avec des bornes. De toute façon, on ne trouvera pas de solution si on ne part pas des usages pour déterminer comment les réduire, par exemple le télétravail évite de prendre sa voiture, le covoiturage évite d’en prendre deux là où une seule suffit, l’autopartage permet d’avoir une petite voiture pour les petits trajets et une grosse camionnette quand on a des choses à transporter, etc.


Audition de

M. Dominique Lagarde, responsable mobilité électrique,

Mme Géraldine Paloc,
chargée de mission auprès du directeur du programme mobilité,

M. Pierre Guelman,
chef des relations institutionnelles,

Enedis

 

Mardi 27 novembre 2018 à l’Assemblée nationale

 

M. Dominique Lagarde, responsable mobilité électrique, Enedis. Dans la phase actuelle, chacun s’exprime sur la mobilité électrique, en commençant par le Gouvernement. Le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) a été présenté hier en Conseil des ministres. Simultanément, la Commission de régulation de l’énergie a publié un rapport reprenant un grand nombre de projections et de données sur la situation, notamment sur l’apport du réseau électrique à l’avènement de la mobilité électrique. Je ne doute pas que dans les prochaines semaines d’autres entités continueront à s’exprimer sur cette question. Au-delà du contenu du projet de loi lui-même, c’est l’intérêt d’un sujet éminemment politique de permettre à l’ensemble des composantes du pays de s’exprimer. Pour nous, c’est une bonne chose, parce qu’Enedis est l’exploitant du réseau électrique, et son rôle est justement de satisfaire les besoins d’acheminement d’électricité sur la plus grande partie du territoire métropolitain. La mobilité électrique est déjà pour nous un enjeu de premier plan. Enedis est dès aujourd’hui un acteur majeur de la mobilité électrique pour trois raisons.

La première, c’est que les infrastructures de recharge sont connectées directement ou indirectement au réseau de distribution. Parfois, compte tenu de la puissance appelée, on demande si ces objets sont reliés au réseau de distribution ou au réseau de transport. Réseau de transport de l’électricité (RTE) pilote les autoroutes électriques, les enjeux de marché de l’énergie, etc. Enedis est en charge des réseaux de moyenne et basse tension, qui arrivent dans les immeubles, dans les parkings, les centres commerciaux, etc. qui connectent toutes les installations, y compris les renouvelables : éoliennes, panneaux solaires, etc. À ce titre, nous avons assuré, avec un certain nombre d’acteurs publics, la connexion des bornes accessibles au public. Aujourd’hui, elles sont plus de 22 000.

La deuxième raison pour laquelle Enedis est déjà impliqué dans cette question, c’est sa flotte de quelque 1 700 véhicules électriques, soit un peu plus de 10 % de son parc. Il s’agit de la deuxième flotte de véhicules électriques en France, après celle de la Poste. Aussi, avons-nous une expérience de ces véhicules, à la fois technique, en matière d’exploitation des bornes ou de coût d’exploitation comparé à celui des véhicules thermiques, et humaine, au travers de l’appropriation du véhicule électrique par les salariés. Bien souvent, les agents ayant l’expérience du véhicule électrique ne veulent plus s’en séparer. En amont, il faut des arguments pour les rassurer, notamment sur l’autonomie. Les fameuses voitures bleues d’Enedis font de 150 à 250 kilomètres dans la journée dans certaines régions. Les agents se demandent si l’utilisation d’un véhicule électrique est vraiment raisonnable, compte tenu de son autonomie.

Un troisième élément qui fait qu’Enedis est déjà un acteur majeur dans ce domaine, est la mise sur pied, avec des partenaires, d’un certain nombre d’expériences pratiques, par exemple sur la façon d’équiper les parkings d’immeubles de bornes, la possibilité d’en mettre sur les réseaux d’éclairage public, ou encore l’ajustement de la recharge des véhicules, en fonction de la production d’énergie solaire ou éolienne. Ces trois exemples, testés à petite échelle, nous donnent un certain nombre d’expériences pour préparer un déploiement à grande échelle.

Aussi, Enedis a-t-elle décidé, en début d’année 2018, de faire de la mobilité électrique un axe stratégique, ce qui n’était pas le cas précédemment. Jusqu’alors, Enedis a fait ce qui devait être fait. À présent, nous considérons que cet enjeu nous projette dans le futur, au niveau des villes, comme des campagnes. C’est aussi bien valable, à notre sens, pour les campagnes que pour les villes. Enedis est partie prenante à cette transition qui concerne le réseau, et nous projette dans le service public du futur.

Il est important pour nous d’avoir une démarche globale, qui mobilise l’ensemble des entités et des régions. Enedis est découpé en vingt-cinq régions, ce découpage étant un peu antérieur au récent regroupement des régions. Enedis a une approche industrielle, territoriale et pragmatique.

Industrielle parce que l’enjeu est d’innover : construire des solutions consiste à réaliser des choses nouvelles, comme avec les fameux éclairages publics, le résidentiel collectif ou l’habitat social, la question des données liées aux véhicules et au réseau, etc. toutes choses qui nous obligent à apprendre. Ces problèmes ne sont pas sans solution, ce qui est rassurant. Encore faut-il les développer, trouver des accords, etc. Il faut donc être capable d’innover, en partenariat avec d’autres acteurs.

Le deuxième aspect est territorial, parce que les voitures roulent sur le terrain, pas uniquement à Paris, mais sur tout le territoire. Pour le coup, c’est une facilité, puisque nous sommes déjà très proches des élus et des décideurs publics. Ce nouveau sujet s’inscrivant dans cette proximité est donc plutôt porteur pour nos équipes.

Enfin, l’approche d’Enedis est pragmatique, parce qu’il nous semble que l’urgence consiste à faire décoller le véhicule électrique. C’est bien de se projeter à 2040, mais nous pensons que les cinq années qui viennent sont au moins aussi importantes que les vingt suivantes. Aujourd’hui, les constructeurs automobiles ont investi. Le système réglementaire est globalement en place, au sens où il y a des amendes prévues si on ne baisse pas les émissions de CO2. Il faut donc que la mobilité électrique décolle. Quelques freins restent à lever, sur le prix, sur l’autonomie, et sur la capacité de recharge.

Sur le prix, c’est un travail collectif entre, d’une part, les constructeurs et, d’autre part, l’incitation publique. Aujourd’hui, la prime à l’achat de 6 000 euros et la prime à la conversion de 1 000 euros constituent des leviers extrêmement puissants qu’il convient de maintenir, le véhicule restant relativement cher. Il est important qu’il se banalise. Des publicités mettent en avant un coût mensuel inférieur à 100 euros pour rouler en Zoé. Ces publicités montrent que le constructeur prend en considération le fait que le prix est un point important pour déclencher les ventes.

Le deuxième sujet, l’autonomie, implique plutôt un travail sur la technologie. Je n’ai aucun doute sur le fait que les batteries futures vont permettre plus d’autonomie. Cette croissance est déjà une réalité. Voici peu, les voitures vendues offraient 80 kilomètres d’autonomie, comme une partie de nos voitures bleues. Aujourd’hui, une Zoé dispose quasiment de 200 kilomètres. Les modèles prévus pour fin 2019, 2020 ou 2021 annoncent tous des autonomies prouvées de 300 ou 400 kilomètres.

Le troisième volet concerne les bornes de recharge. Aujourd’hui, 22 000 bornes sont accessibles au public en France, ce qui n’est pas mal, mais leur nombre va augmenter. Néanmoins, il faut avoir en tête que 90 % des recharges s’effectuent à domicile ou sur le lieu de travail. La priorité est donc de vérifier que les gens ont une capacité de recharge à domicile et sur leur lieu de travail.

Dans la rue, l’effort a été réalisé, d’ailleurs sur fonds publics. Ce déploiement va se poursuivre, car à côté de l’effort public, un certain nombre d’initiatives privées visent à équiper les centres-villes, les centres commerciaux, tous les lieux de loisir où attirer les chauffeurs de voitures électriques revient à attirer des clients. Cela crée des capacités de recharge dans les espaces publics, au moins aux endroits animés. Nous pourrons aussi aborder le sujet des zones un peu moins développées.

En entreprise, il faut également des bornes de recharge. Beaucoup d’entreprises montent à bord de la mobilité électrique, sous la pression de leurs salariés. Je n’ai pas regardé si, dans la dernière version du projet de loi, il existe toujours des articles sur l’avantage en nature associé aux recharges des voitures privées des salariés sur leur lieu de travail. Ils existaient dans les versions précédentes. Pour les entreprises, il est important de fixer des règles, pour ne pas se retrouver piégé par les impôts ou l’URSSAF.

Ensuite, il y a le sujet de la recharge à domicile. En maison, à la campagne, avec une prise dans le garage, la vie est simple. Dans un immeuble, comme plus de 40 % des Français, il est plus compliqué d’obtenir une prise dans un parking en copropriété. C’est une course d’obstacles, sans certitude d’en disposer à la livraison de la voiture. Il faut faire un travail collectif, avec les acteurs de l’immobilier. Au niveau de la loi, les dispositions évoluent encore. Nous pensons qu’il est très important de résoudre cette difficulté.

Enedis ne pose pas de borne, mais est évidemment acteur de l’équipement en câbles. Que la copropriété choisisse un câble Enedis ou une solution privée, nous sommes prêts à intervenir. Qui plus est, nous sommes prêts à intervenir en amont des sollicitations. Nous sommes prêts à rencontrer les fédérations de syndics, comme je le fais actuellement, pour les écouter et les rassurer sur le fait que nous sommes bien présents.

Le troisième point important, c’est que le réseau électrique sera au rendez‑vous de ce développement des véhicules électriques. Beaucoup de projections ont été réalisées, vous en avez déjà sûrement consulté plusieurs, qui évaluent le nombre de véhicules électriques en 2030, 2035 ou 2040. Toutes ces évaluations comportent de nombreuses incertitudes, mais il est tout de même important de se projeter dans l’avenir, pour vérifier qu’en termes d’investissements, et de déploiement sur le territoire, nous serons capables de suivre.

En nous projetant à 2035, avec un scénario à neuf ou dix millions de véhicules électriques – nous avons aussi préparé des scénarios à 6 et 15 millions de véhicules – nous avons déjà un peu chiffré les investissements, et nous n’avons pas de crainte sur l’engagement d’Enedis et le suivi tarifaire, l’investissement étant financé par le tarif d’utilisation des réseaux. D’une part, ces chiffres ne sont pas disproportionnés en regard de l’ensemble des investissements sur le réseau, qui sont de 3 milliards par an, répartis sur tout le territoire. Les véhicules électriques représenteraient un peu plus de 10 à 15 % de plus. Ce n’est donc pas un doublement. D’autre part, nous avons assuré, ces dernières années, le branchement de toutes les installations solaires et éoliennes, à un rythme annuel de plus de 30 000 connexions.

Ce travail a été réalisé par les équipes d’Enedis. C’est aussi un investissement financier, qui a été effectué sans difficulté majeure à l’échelle nationale, même s’il est toujours compliqué d’obtenir un raccordement pour le demandeur. Il faut continuer à suivre au jour le jour, mais, globalement, cette épopée des renouvelables nous donne confiance dans le fait que nous saurons aussi accueillir le véhicule électrique.

Les perspectives de long terme orientent les décisions politiques et les acteurs. En tant qu’entreprise publique, Enedis est très proche des pouvoirs publics, même si nous sommes pilotés par notre actionnaire.

J’observe que les grands patrons de l’automobile indiquent qu’ils sont très clairement guidés par la réglementation, que ce soit à l’échelle européenne ou française. L’objectif 2040 est-il réalisable ou pas ? Je vais répondre en disant que les choses seront différentes d’aujourd’hui, mais que l’existence de cet objectif entre 2018 et 2023 aura probablement pour effet de faire décoller le véhicule électrique. Un de ses premiers bénéfices est d’accélérer, en mettant l’ensemble des acteurs en capacité de construire ensemble les solutions.

Les technologies auront encore beaucoup évolué en 2040. On en voit déjà les prémices avec les véhicules partagés et adaptés. Certaines personnes y réfléchissent. Pour aller d’un petit village perdu dans la campagne à la ville, la distance est d’une trentaine de kilomètres. Peut-être que cinq ou six personnes veulent partir à 10 heures le matin et revenir à 15 heures, et deux autres partir un peu plus tard. Pourquoi n’y aurait-il pas des véhicules partagés de deux, quatre, ou huit places adaptés aux besoins ? Dans un certain nombre de vieux villages les rues sont très étroites, de petits véhicules électriques pourraient être adaptés à ce cas de figure, tout comme aux rues des centres-villes denses. Peut-être qu’on sera content d’avoir des véhicules complètement adaptés à chaque usage.

Un deuxième sujet est celui des véhicules autonomes, en site propre ou non. Pour les techniques de recharge, aujourd’hui on s’interroge sur les bornes de 7, 22, 50, 120 ou 350 kilowatts. Peut-être qu’en 2040, ce sujet sera périmé. L’interopérabilité est aussi un sujet clé. Pour l’interopérabilité des téléphones, il a fallu un peu de temps pour ne pas rencontrer de difficulté en passant les frontières ou en changeant d’opérateur. Pendant quelques années, peut-être dix ans, le même sujet existera pour les bornes. À quel moment sera-t-il possible de payer son plein par téléphone ? Quand la voiture sera-t-elle reconnue par la borne ? On n’y est pas encore, mais en 2040 on sera dans un monde totalement différent. L’objectif d’un arrêt de la vente des véhicules thermiques en 2040 et très utile aujourd’hui. Par contre le monde sera complètement transformé d’ici là.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Pour le déploiement des bornes, beaucoup de questions se posent, sur la relation avec les acteurs publics, les choses ne se passant pas toujours de la même façon sur le terrain. Mécaniquement, l’autonomie grandissante fait qu’on a aussi moins besoin de bornes. C’est positif, parce qu’avec 22 000 bornes aujourd’hui pour 1 % à 3 % des ventes, si on passe à une très grande majorité de véhicules électriques en 2040, cela pose aussi la question de l’encombrement de l’espace public qui est limité. Comment êtes-vous associé aux collectivités ? Quels types de déploiements êtes‑vous amené à réaliser ? Est-ce qu’il faut faire un calcul élémentaire, en multipliant le nombre de bornes actuel en proportion de l’accroissement du parc de véhicules ?

M. Dominique Lagarde. Ces 22 000 bornes résultent d’un programme financé par les investissements d’avenir, donc un financement public. Les autorités organisatrices de la distribution d’électricité ont effectivement pris à bras-le-corps, sauf exception, le sujet et ont utilisé cet argent public pour installer des bornes. S’y ajoutent les initiatives privées, comme celles de Tesla et Volkswagen, des centres Leclerc, d’un certain nombre d’hôtels, de cinéma de centre-ville, etc. Il existe donc un certain foisonnement d’initiatives.

Enedis cherche à être partenaire de l’ensemble de ces initiatives. Nous y parvenons, puisque les gens ont besoin de nous. Ils sont contents de nous trouver en partenaire plus qu’en prestataire, nous construisons ensemble les solutions, et d’ailleurs on optimise aussi le coût, parce qu’entre un emplacement et un autre à 200 ou 500 mètres d’écart, le coût n’est pas le même. Nous avons donc tout intérêt à être présents en amont de la discussion.

Cela nous conduit à penser qu’il faut sûrement un schéma de cohérence, de concertation locale, pour penser le système au-delà de l’ensemble du foisonnement observé. Nous essayons d’être là aussi partenaires des initiatives, pour pousser à l’émergence de ces schémas de cohérence. Dans le cadre du projet de loi, cette idée avait été évoquée. J’observe qu’un certain nombre de métropoles ou de régions souhaitent avoir une vision de la mobilité de demain. Enedis sera partenaire de ces initiatives et les suscitera si nécessaire.

Par exemple, la région Grand-Est est en train de solliciter des entreprises consultantes pour avoir une vision partagée de la mobilité demain sur la région. Enedis est partenaire de cette opération, pour piloter, aux côtés de la région, le cabinet de conseil qui va réaliser l’étude. C’est très profitable, parce que cela permet à la région de faire travailler un cabinet chef de file sur les questions d’énergie avec Enedis, si bien que l’étude intègre la problématique du réseau, sur laquelle il ne sera pas nécessaire de revenir. Nous ressentons maintenant le besoin d’avoir des visions cohérentes, durables et partagées avec les différents acteurs à l’échelle locale. La loi pourrait prévoir que cela soit réalisé à l’échelle de la région, mais les régions sont tellement disparates qu’à certains endroits il semble préférable de l’envisager au niveau des bassins de vie ou d’une métropole, qui est vraiment l’entité la plus structurante de la vie locale.

Enedis veut être associé en tant que partenaire, le plus en amont possible, ce que nous parvenons à faire à ce stade. Nous pensons qu’il y aurait à gagner à avoir une vision cohérente, pilotée par l’entité structurante du territoire.

M. Stéphane Piednoir. Faut-il faire une règle de trois, à partir des 22 000 bornes actuelles, pour estimer le nombre à ajouter avec la croissance du parc de véhicules électriques ?

M. Dominique Lagarde. Non, car les technologies vont continuer à évoluer, par exemple des chercheurs réfléchissent à la recharge par induction.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce qu’il pourrait exister un problème d’occupation de l’espace public ?

M. Dominique Lagarde. C’est difficile à estimer. Aujourd’hui, le parc automobile est constitué d’une trentaine de millions de véhicules qui ont tous une place. Comme il y en aura peut-être un peu moins demain, parce qu’il y aura plus de véhicules partagés, de transports en commun etc. je ne crois pas tellement en un problème d’espace. Mais je suis sûr qu’il y aura moins de bornes dans l’espace public, parce qu’elles seront plus rapides, qu’elles seront nombreuses au domicile et en entreprise, etc. Ce n’est pas un réel sujet d’inquiétude. Avec la ville de Saint-Étienne, Enedis essaye de trouver un système de pose de borne à la demande, en asservissant l’installation de la borne à l’achat en cours d’un véhicule, ce qui permet d’éviter un déploiement massif de bornes inutiles, et, à l’inverse, éviter de freiner le développement du parc électrique.

M. Stéphane Piednoir. C’est un peu le reproche fait au mode de déploiement actuel, l’installation des bornes n’étant pas nécessairement suivi par l’achat de véhicules.

M. Dominique Lagarde. Ce mode de déploiement convient bien à une phase initiale, mais l’achat du véhicule pourrait aussi déclencher une installation de borne. Je pense que c’est une démarche viable.

Certaines villes volontaristes, comme Paris ou Lyon, sont très avancées. Cette dernière, souhaitant déployer 600 bornes de plus, a échangé avec l’ensemble des communes et Enedis, pour déterminer une répartition optimale en termes de coûts d’investissement.

Entre les initiatives privées, les entités publiques volontaristes, et la possibilité de recharger à domicile, je pense qu’on va réussir à saturer les besoins de recharge dans le pays.

C’est bien d’avoir des ordres de grandeur mais je reste assez serein sur cette question. Si nécessaire, il conviendra de créer des stations-service électriques. Nous connectons déjà des dépôts de bus qui représentent plusieurs mégawatts en termes de raccordement électrique. S’il faut équiper des stations-service électriques, cela représentera les mêmes ordres de grandeur. L’expérience avec les dépôts de bus nous rend confiants sur le fait qu’on saura prendre en charge les différents types d’installations de recharge.

M. Stéphane Piednoir. Pour les prises domestiques, comme toujours on se focalise sur les quelques incidents qui peuvent survenir. En Norvège, où nous nous sommes rendus voici une dizaine de jours, un pays en avance sur la mobilité électrique, avec une production d’électricité à plus de 99 % renouvelable, des accidents liés à des recharges sur prise domestique se sont produits. Certains constructeurs préconisent l’installation d’une borne spécifique de recharge. Qu’en est-il aujourd’hui ? Une simple prise électrique, par exemple dans un pavillon avec un garage, est-elle assez sécurisée ?

M. Dominique Lagarde. À ma connaissance, c’est le cas, même si comme pour toute installation électrique il faut faire appel à un électricien qui pose des installations conformes. Le risque dépend de la conformité de l’installation électrique.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce vrai quelle que soit la durée de charge ?

M. Dominique Lagarde. C’est indépendant de la durée de charge. Mais les systèmes de conformité ont aussi leur cycle de progrès continu, résultant des améliorations apportées à leurs produits par les industriels, en fonction des incidents survenus, ou de l’évolution périodique des normes.

M. Stéphane Piednoir. Toujours au domicile, le compteur Linky, en cours de déploiement dans tous les départements, peut-il constituer une option pour piloter la recharge, l’une des préoccupations étant le pic au retour des Français à leur domicile, à 18 heures, surtout en hiver ?

M. Dominique Lagarde. Linky permet de transmettre, comme les compteurs actuels mais avec beaucoup plus de finesse, des signaux de prix venant du fournisseur vers le client. Aujourd’hui, un signal permet de distinguer heures pleines et heures creuses, avec Linky sept ou huit créneaux horaires sont possibles, avec des signaux différents arrivant à l’usager.

M. Stéphane Piednoir. C’est un pilotage du comportement de l’usager par une indication de prix.

M. Dominique Lagarde. Ces signaux venant du fournisseur transitent par Linky. Cette capacité pourrait aussi être utile pour le pilotage du réseau à la maille locale, par exemple en cas de production excessive. Aujourd’hui, la sécurité est assurée par un coupe-circuit général, un peu comme à la maison les plombs sautent pour éliminer un risque. C’est une situation exceptionnelle sur la boucle locale, sauf en cas d’incident. Mais si l’on veut piloter plus finement le réseau, il devient nécessaire d’envoyer des signaux pour moduler la puissance localement.

M. Stéphane Piednoir. Cela serait-il réalisé avec ou sans l’accord des usagers ?

M. Dominique Lagarde. Cette possibilité existe au niveau national, RTE pouvant être conduit à décider d’un délestage en cas de risque majeur sur l’équilibrage du réseau de transport. C’est une règle générale connue de tous, même si personne n’a envie qu’elle lui soit appliquée. Mais s’il faut le faire, cela reste préférable à une coupure générale.

À l’échelle locale, la situation n’est pas du tout équivalente, puisqu’on dispose d’un certain nombre de marges d’exploitation du réseau. Mais si l’on veut réduire les marges pour limiter les investissements, il faudra piloter. Linky est l’un des leviers puissants de pilotage du réseau à la maille locale, soit par le biais des signaux de prix des fournisseurs, soit par le pilotage technique du réseau.

Je suis assez confiant sur les pics, parce qu’imaginer que lors d’un départ en vacances les Français voudront tous recharger au même moment, c’est ignorer que les pratiques évoluent en fonction des contraintes, de la même façon qu’on fait attention aujourd’hui aux pénuries de train les jours de départ en vacances de ski entre Paris et la province.

Tout le monde prend ses dispositions, certains partent avant, certains se battent pour la place de trains, Ce que je préconise, c’est que, petit à petit, les capacités de pilotage de différents objets s’améliorent, demain le numérique nous y aidera.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez parlé tout à l’heure de projection sur le réseau à 2035, avec 9 à 10 millions de véhicules, sans préciser quel volume supplémentaire de production énergétique cela nécessiterait. On nous a indiqué par ailleurs que 50 % de véhicules électriques en circulation représenterait une augmentation des besoins en énergie électrique de 7 à 10 %.

M. Dominique Lagarde. Dans les cercles spécialisés, on n’a peu de débats à ce sujet. Même si ce surcroît de consommation n’est pas négligeable, il doit être replacé dans le contexte des évolutions de la consommation électrique, par exemple du fait des progrès réguliers en matière d’efficacité énergétique.

Le véhicule électrique représente certes une nouvelle utilisation de l’électricité, mais la consommation d’électricité dans sa globalité obéissant à plusieurs facteurs, le véhicule n’est pas forcément l’élément structurant de la croissance future.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce du même niveau que la climatisation, par exemple, qui pourrait être un sujet. Je crois que la consommation pour la climatisation aux États-Unis équivaut à l’ensemble de la consommation électrique de l’Afrique.

M. Dominique Lagarde. L’Afrique représente un autre monde, avec d’autres ordres de grandeur. Mais il est probablement exact, sous réserve de vérification, que la climatisation est plus consommatrice d’électricité que la mobilité. La climatisation fonctionne durant des heures, alors que le véhicule électrique n’est pas souvent déchargé, puisqu’il parcourt en général de 50 à 100 kilomètres dans la journée.

M. Stéphane Piednoir. Justement, l’un de mes amis qui travaille chez Enedis m’a dit que les agents ne couvrent pas le département du Maine-et-Loire avec un véhicule électrique, parce que l’autonomie n’est pas suffisante.

M. Dominique Lagarde. Cela va changer. L’autonomie augmente. L’occupation principale d’un agent d’Enedis n’est pas de rouler dans sa voiture bleue, mais de travailler chez les usagers. Nous optimisons sa tournée pour qu’il n’ait pas à faire trop de route.

Bien sûr, dans quelques régions, les distances sont plus longues. Pour le coup, on n’a pas intérêt à utiliser des véhicules électriques tout de suite. Mais pour beaucoup, la tournée est de moins de 100 kilomètres, et la durée d’utilisation du véhicule est de moins de deux heures dans une journée.

M. Stéphane Piednoir. Même avec des déplacements limités à 70 ou 80 kilomètres, l’aller-retour est de 140 ou 160 kilomètres.

M. Dominique Lagarde. Les 100 kilomètres correspondent à la boucle complète. Les voitures Enedis ne roulent pas énormément, tout comme des voitures de particuliers. Le besoin en énergie n’est donc pas si important, comparé à certaines professions.

C’est pour cela que je m’intéresse aux professions qui roulent le plus, comme les livreurs, les infirmières, les kinésithérapeutes, etc. Pour eux, la distance est un véritable problème. Comme on sait où ils se déplacent, il est envisageable d’installer les bornes aux bons endroits.

Concernant la consommation d’un parc de véhicules électriques, dans ses projections, la Commission de régulation de l’énergie indique que « le développement de la mobilité électrique ne fait pas craindre de difficultés en termes de consommation d’énergie… » Elle estime la « consommation liée à la Mobilité électrique à 35 TWh par an, soit 7 % de la consommation dans le scénario haut à l’horizon 2035 ». Cela correspond à ce que vous avez dit.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez évoqué une solution basée sur les candélabres. Quelles sont les conditions pour pouvoir l’utiliser ?

M. Dominique Lagarde. En fait, il existe plusieurs conditions. Une expérience nous a permis d’évaluer les problèmes rencontrés, et de préconiser un certain nombre d’éléments techniques, notamment pour la protection électrique.

Sur la voie publique il est essentiel d’avoir des installations très protégées au plan électrique. Nous avons formulé, suite à l’expérimentation menée avec Bouygues Énergies Services, des préconisations, qui ont été portées par le coordinateur de la mobilité électrique, le préfet Vuibert. Elles sont accessibles sur le site du ministère, pour que toute personne souhaitant mettre en place ce type de bornes puisse s’y référer. Ce ne sont pas des obligations, mais ces préconisations permettent de baliser le champ.

Par ailleurs, l’emplacement des candélabres doit être adéquat, juste au-dessus d’une place de parking et proche de la bordure du trottoir, non de l’immeuble, pour éviter qu’un câble traverse le trottoir.

De plus, si la puissance du réseau est ajustée aux ampoules des lampadaires, elle n’est pas suffisante pour alimenter des bornes. Mais le remplacement des ampoules traditionnelles par des LED, peut permettre de libérer de la puissance pour les bornes.

Un troisième sujet, indépendant d’Enedis, concerne la négociation avec le fournisseur d’électricité, puisque le prix de l’électricité pour éclairer des ampoules n’est pas le même que pour alimenter des bornes de recharge. L’acteur qui pose la borne doit disposer d’un contrat de fourniture adapté.

S’il nous est demandé de poser des compteurs sur des réseaux tiers, nous le ferons et les exploiterons, même si je ne suis pas certain qu’il s’agisse de la meilleure solution.

M. Stéphane Piednoir. Concernant l’utilisation des batteries en deuxième vie, on sait qu’une batterie qui ne charge plus au-delà de 70 % ou 80 % doit être retirée du véhicule. Aujourd’hui, le stock de batteries usagées est évidemment assez restreint. En revanche, il nous a été indiqué qu’assembler ces batteries pour le stockage d’électricité sur le réseau, par exemple pour stocker l’électricité pendant la journée et la restituer durant les pics du soir, pourrait présenter un intérêt. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Dominique Lagarde. L’idée est qu’une batterie utilisée pour des cycles rapides dans une voiture pourrait avoir une deuxième vie pour le stockage sur le réseau, avec des cycles longs de charge et de décharge. La faisabilité technique est prouvée. Un certain nombre d’acteurs voudraient le mettre en œuvre à l’échelle industrielle, ce qui permettrait de valoriser la fin de vie des batteries. Pour le réseau de transport de RTE, il est intéressant de disposer de capacités de stockage. Après, c’est une question économique, parce qu’il est aussi possible de stocker l’électricité dans les barrages. Le choix est plutôt celui du moindre coût. Le stockage sur batteries se développe en ce moment, mais reste assez coûteux. S’il peut utiliser des produits recyclés, c’est préférable.

Enedis développe le réseau électrique depuis cinquante ans. Le dernier épisode marquant concerne le raccordement des énergies renouvelables. Au début des années 2000, je m’occupais beaucoup de celui des centres commerciaux en Seine-et-Marne, entre des zones rurales et des zones urbaines denses. Enedis a été confronté à plusieurs vagues de besoins, et a toujours fait face, car développer le réseau est son métier. Il n’y a jamais eu de soucis majeurs. Notre enjeu est d’optimiser l’investissement, afin de pouvoir développer le réseau à moindre coût pour l’ensemble des acteurs.


Audition de
Monsieur Fawzi Nashashibi, directeur de recherche

Institut national de recherche en informatique et en automatique

 

Jeudi 24 janvier 2019 au Sénat

 

M. Fawzi Nashashibi, directeur de recherche à lINRIA. Je suis directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique. Plus précisément, je dirige l’équipe RITS, dont l’acronyme signifie Robotics for Intelligent Transportation Systems. Nous utilisons des techniques de robotique pour la conception et le développement de systèmes de transports intelligents. Ces systèmes regroupent tous les moyens de locomotion utilisant la technologie.

Notre équipe a été créée dans les années 1990. Nous avons été les premiers à parler de cybercar, c’est-à-dire de véhicules avancés technologiquement à conduite automatisée et autonome. Nous avons ensuite travaillé sur de nombreux autres projets, notamment le déploiement de navettes automatisées à La Rochelle en 2011, pendant trois mois, dans le cadre du projet européen CityMobil. Ce projet ne se limitait pas à une simple démonstration technologique. Il a aussi permis de prouver qu’il était légalement possible, avec l’accord de la mairie, de la préfecture, et d’un assureur, de faire circuler de tels dispositifs dans un environnement urbain mixte. Nous avons également obtenu des retours des utilisateurs, sur l’acceptabilité ainsi que le besoin de cette technologie, et avons pu aborder, par ce biais, la dimension sociétale des véhicules autonomes.

La Google Car a suscité un fort intérêt. Elle a constitué une aubaine pour les chercheurs. Mais la dimension technologique de ce projet a totalement éludé les aspects secondaires. On imaginait en effet que ces véhicules, une fois leur fiabilité technologique démontrée, pourraient circuler librement, n’importe où. Or, quand on s’intéresse à la mobilité, il faut distinguer le transport de personnes du transport de marchandises, et au sein même du transport de personnes, séparer la mobilité individuelle de la mobilité de masse. Les besoins de mobilité sont, en effet, très variables. Aussi, est-il impératif de s’adapter aux besoins locaux de mobilité, mais aussi de réfléchir à l’aménagement de l’espace. C’est la raison qui nous a conduits à participer au projet CityMobil 2, qui proposait à des représentants des villes de soumettre un cahier des charges de leurs besoins de mobilité, expliquant comment les systèmes automatisés pourraient les aider à répondre à ces besoins.

Des villes très diverses comme Vantaa en Finlande, Trikala en Grèce, León en Espagne ou Lausanne en Suisse, avec des besoins et donc des projets de mobilité diversifiés y ont participé. Par exemple, en Grèce, la ville voulait mettre en place un bus autonome pour les personnes âgées, qui ne voulaient plus dépendre de leurs enfants ou de leurs petits-enfants pour se déplacer. À León, la municipalité désirait disposer d’un système automatisé pour des visites touristiques de la ville, notamment de la vieille ville où les véhicules conventionnels ne peuvent pas circuler. Il s’agit donc de besoins spécifiques, nécessitant des plateformes particulières, et nous étions loin de penser au véhicule autonome. D’ailleurs, quand on parle de véhicule autonome, on pense immédiatement à la voiture individuelle. Cependant, il est légitime de se demander si un tel système répondra à un véritable besoin de mobilité.

Dans un premier temps, il faut différencier le véhicule autonome du véhicule hautement automatisé. Un véhicule autonome est un véhicule où la partie décisionnelle réside à bord du véhicule. Il s’appuie donc sur des capteurs et des télécommunications, pour décider lui-même de son itinéraire. Par exemple, un robot-taxi est un véhicule autonome. A contrario, un véhicule hautement automatisé est un véhicule qui peut assurer une navigation automatisée, sous contrôle d’un conducteur. La ligne 14 du métro parisien, ou encore des bus grandement assistés, sont des véhicules hautement automatisés.

En ce qui concerne le véhicule autonome, l’application dont on parle le plus est le robot-taxi. Il s’agit d’un dispositif qui tend à se développer aux abords des gares ou des aéroports. Par exemple, il pourrait être opéré par la SNCF.

L’objectif des véhicules autonomes est également d’améliorer la sécurité et le confort de l’usager. Ainsi, sur autoroute, un véhicule hautement automatisé pourrait aider le conducteur à se dégager de la tâche de conduite, car il contrôlera les collisions grâce à des capteurs longitudinaux et latéraux. Le véhicule autonome présente aussi une dimension écologique notable. La plupart des véhicules autonomes seront probablement électriques, afin d’aboutir à un véhicule complet, mêlant sécurité, confort, et respect de l’environnement. D’ailleurs, toutes nos plateformes à l’INRIA sont électriques.

Le véhicule a aussi vocation à répondre au besoin de mobilité partagée qui va de plus en plus s’imposer au vu du risque d’engorgement de nos réseaux de transports actuels. Il est nécessaire de trouver des solutions de mobilité multimodale, car on ne peut continuer à multiplier le nombre de voitures et de camions sur nos routes. La multimodalité implique également une optimisation des modes de transports. Pour parvenir vraiment à un report modal, il est impératif d’assurer des transports d’une grande fiabilité, d’où l’intérêt de l’automatisation des véhicules.

Le changement de paradigme de la mobilité soulève également des questions sur la notion de propriété. Nous dirigeons-nous vers une augmentation ou une réduction du nombre de véhicules par foyer ? Si ce nombre tend à diminuer, les systèmes de transports à la demande ou de masse seront-ils à la hauteur pour compenser ? Va-t-on conserver un modèle de mobilité reposant sur le véhicule privé ? Personnellement, je pense, comme beaucoup de mes collègues, que la possession d’un véhicule privé est un phénomène qui va s’estomper, et auquel le covoiturage, et les systèmes de partage de véhicules, comme Autolib, vont se substituer. On peut également imaginer des systèmes automatisés qui permettent de faire des trajets entre le domicile et une gare, pour pouvoir ensuite prendre le train.

Nous devons donc travailler sur la multimodalité, et l’automatisation des systèmes, c’est-à-dire sur les systèmes de transports intelligents. Or, cette vision de la mobilité n’est pas celle véhiculée par les constructeurs de véhicules autonomes, qui ne font que montrer les avancées technologiques, sans offrir de perspectives sur la mobilité de demain. Certains constructeurs, comme Mercedes et Renault, commencent cependant à s’intéresser aux systèmes de mobilité partagée, donc à empiéter sur le rôle des opérateurs traditionnels, comme Transdev. Ces opérateurs voient les changements de modèles économiques en cours, et cherchent donc à se familiariser avec l’automatisation, pour améliorer leurs offres.

En tant que chercheurs, nous sommes à mi-chemin entre l’offre, à travers nos recherches technologiques, et la demande, via des contacts avec les clients finaux. Or, aujourd’hui, les constructeurs cherchent à être à la pointe technologiquement, et à fournir une offre accessible, alors qu’au contraire, c’est la demande de services de mobilité qui devrait conditionner l’offre du marché des véhicules automatisés et autonomes. Aujourd’hui, les acquéreurs de véhicules très sophistiqués, comme les Tesla, ne sont même pas conscients de l’ensemble de leurs fonctionnalités et de leurs limitations. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir qu’un nombre conséquent d’accidents s’est produit avec des voitures Uber ou Tesla.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. À ce propos, les défaillances qui ont mené à ces accidents ont-elles été élucidées ?

M. Fawzi Nashashibi. Nous connaissons les raisons pour lesquelles ces accidents se produisent. La technologie n’est malheureusement pas encore mature à 100 % aujourd’hui, même sur les fonctionnalités les plus élémentaires, comme la reconnaissance d’objets ou d’obstacles. Nous avons aussi des problèmes d’ordre scientifiques, notamment en ce qui concerne l’interprétation d’une situation. Par exemple, il est difficile d’anticiper le comportement d’un véhicule autonome qui arrive à un feu masqué par un bus devant lui. Certains rétorqueront que l’on peut mettre en place des dispositifs permettant au feu de communiquer avec le véhicule, mais cela implique d’équiper des millions de feux de systèmes de télécommunications.

Nous ne sommes donc pas prêts à faire circuler des robot-taxis dans un environnement urbain complètement mixte. Mais le véhicule autonome est dès aujourd’hui mature, sous certaines conditions. En effet, pour commencer à déployer des systèmes automatisés, il sera important d’aménager certains espaces en conséquence. On peut penser, pour des opérations de livraison urbaine, la livraison sur le dernier kilomètre, à des systèmes automatisés empruntant des voies ségréguées, comme les bus et les taxis, ce qui éviterait les interactions avec d’autres véhicules.

L’interprétation des situations et la gestion des interactions représentent des problèmes majeurs, d’autant plus complexes que les différents constructeurs n’ont pas du tout les mêmes implémentations pour les gérer. Nous travaillons aujourd’hui avec Renault, PSA et Valeo, qui n’ont absolument pas le même système. L’hétérogénéité des systèmes autonomes rend leurs interactions très difficiles, et leur insertion dans la circulation avec des véhicules ordinaires encore plus compliquée.

D’ailleurs, voici quelques années, nous avions été contactés par PSA, qui voulait réaliser une étude sur l’intérêt du véhicule autonome en ville, en termes de temps de trajets. Il avait été très difficile d’aboutir à des conclusions, en raison de la cohabitation de véhicules autonomes avec des véhicules ordinaires, roulant à des allures différentes selon les habitudes des conducteurs. En réalité, pour réellement avoir un bénéfice au niveau du temps de trajet, il est nécessaire que les véhicules roulent sur des voies dédiées. Or, cela implique que de grands espaces soient réservés à des véhicules ayant un taux de pénétration extrêmement faible. De plus, des problèmes se posent au niveau des intersections et des ronds-points, ainsi que de tous les endroits où un des véhicules doit céder le passage à l’autre. Pour lever ce verrou, on pourrait penser qu’il faut donner des priorités à certains véhicules, pas à d’autres. Mais cela conduirait à des problématiques éthiques. En effet, sur quels critères donner la priorité à un véhicule plutôt qu’à un autre ? En définitive, si le taux de pénétration des véhicules autonomes est faible, les gains de temps de trajet ne sont pas évidents à évaluer.

Quand bien même ce taux de pénétration deviendrait élevé, il faudrait entièrement changer l’aménagement des villes. En revanche, pour des cas d’usage particulier, comme les navettes, il est possible de faire circuler des véhicules autonomes, et de tirer des résultats de leur usage, par exemple sur la fréquentation de ces navettes.

Pour en revenir au véhicule et à sa sécurité, on sait que la plupart des accidents sont dus à des problèmes techniques, même si nous manquons d’informations sur les nombreux accidents survenant en Chine, peu d’informations à ce sujet étant rendues publiques par les autorités locales. Le premier accident impliquant un véhicule autonome avait pour origine un bug au niveau du système de détection des panneaux. Sur autoroute, pour limiter le déclenchement d’alarmes, la détection de panneaux avait été désactivée. Dès lors, tout ce qui était grand et rectangulaire n’était pas pris en compte par le véhicule, qui a donc heurté l’arrière d’un camion. Ensuite, des problèmes sont survenus quand les véhicules ont été utilisés dans des environnements où ils n’étaient pas adaptés pour circuler. En effet, en ville, les véhicules n’étaient pas aptes à gérer les piétons, les poussettes, et une pléthore d’autres objets. Le véhicule autonome adapté à la circulation urbaine n’existe pas aujourd’hui. Par exemple, même en roulant tout droit, un véhicule autonome n’est pas forcément capable de gérer un passage à niveau.

En conclusion, je suis convaincu qu’à l’avenir, petit à petit, les véhicules automatisés vont pouvoir être mis en circulation, et que nous allons réussir à surmonter certaines des difficultés techniques auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Nous nous dirigeons, à coup sûr, vers une mobilité électrique mais pas une mobilité autonome, du moins pas à grande échelle.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Nous essayons de respecter la neutralité technologique en nous penchant aussi sur la filière hydrogène. Néanmoins, nous nous dirigeons en effet plutôt vers une mobilité électrique, car l’environnement actuel s’y prête, même s’il existe toujours des problèmes d’autonomie et d’infrastructures de recharge.

M. Fawzi Nashashibi. En Chine, les efforts réalisés sur l’électromobilité sont impressionnants. De plus en plus de villes bannissent les véhicules thermiques des centres-villes, en raison de la pollution de l’air. C’est d’ailleurs très impressionnant de circuler dans une ville où il n’y a pas de bruit lié aux automobiles.

Mme Huguette Tiegna. Comme les véhicules autonomes seront probablement électriques et donc silencieux, pensez-vous que ces véhicules, grâce à leurs capteurs, seront assez vigilants, notamment vis-à-vis des piétons, qui ne seront pas alertés par des signaux sonores de l’arrivée d’un véhicule ?

M. Fawzi Nashashibi. La question se pose en effet déjà pour les véhicules électriques, mais encore plus pour les véhicules autonomes. Aujourd’hui, des usagers de la route négocient souvent le passage par des signaux visuels. Nous craignons que les piétons ne comprennent pas les signaux qu’un véhicule autonome pourrait envoyer, ou qu’ils aient tout simplement peur. Dès lors, en termes d’acceptation de la technologie, des problèmes se posent, ce pourquoi, nous commençons déjà à travailler sur des interfaces homme-machine dédiées au conducteur, si conducteur il y a, mais aussi aux autres usagers. Par exemple, des véhicules pourraient afficher des messages du type : « Vous pouvez passer » ou des smileys pour expliquer qu’ils cèdent le passage au piéton. Toutefois, il n’existe pas de normes pour cela aujourd’hui.

Nous sommes d’ailleurs impliqués dans le projet HIANIC, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de déployer des véhicules autonomes électriques en ville pour étudier ces aspects, afin que les messages attirent l’attention, soient clairs, simples et compréhensibles pour tous les autres usagers.

M. Stéphane Piednoir. Donc, les véhicules autonomes fonctionnent convenablement sur de grands axes, avec un flot régulier, mais beaucoup moins bien dès qu’on s’approche des centres-villes, ou du moins de zones où l’on peut rencontrer des automobilistes en sens contraire, ou des intersections. Le deep learning permet-il de lever ces difficultés ?

M. Fawzi Nashashibi. En effet, le deep learning permet de détecter des objets, et de prendre parfois des décisions. Mais il est, par exemple, incapable de négocier. De plus, en tant que piéton, être confronté à une voiture sans conducteur est pour le moins surprenant. Le piéton a deux options : soit il fait confiance à la voiture, et pense qu’elle va naturellement s’arrêter, soit il laisse passer la voiture. Il s’agit d’un scénario très simple. Il faut étendre la communication entre le véhicule et les autres usagers à beaucoup d’autres situations. Il faudra également gérer les personnes indisciplinées, qui ne traversent pas forcément correctement.

Mme Huguette Tiegna. Pour lever toutes ces difficultés, je vous rejoins sur le fait qu’il faudrait des voies dédiées. Si nous avons aujourd’hui des systèmes automatisés comme la ligne 14, c’est parce que les rails sont bien délimités, et donc sécurisés. Je me demande donc si, pour les territoires, les trains autonomes électriques pourraient être intéressants et rentables financièrement, notamment par rapport à des trains hydrogène, dont nous entendons de plus en plus parler.

M. Fawzi Nashashibi. J’ai justement rendez-vous avec la SNCF qui souhaiterait aborder le sujet des trains autonomes, car la conduite des trains est déjà de plus en plus assistée. La SNCF se montre particulièrement intéressée par des trains autonomes pour le transport de marchandises. D’ailleurs, si l’autoroute est un cas d’usage sur lequel l’automatisation est intéressante, c’est parce que, comme pour les trains, les véhicules circulent en sens unique, sur des voies multiples mais ségréguées, et qu’il faut seulement faire attention à ce qui se passe longitudinalement et latéralement, pour régler sa vitesse en conséquence, voire même faire des dépassements.

M. Stéphane Piednoir. Tout cela est-il programmable ?

M. Fawzi Nashashibi. Tout à fait, il est même possible de prendre en compte les limitations de vitesse, soit par lecture des panneaux, soit par géo-référencement, avec une cartographie embarquée. J’ai d’ailleurs personnellement coordonné, avec Mercedes et Valeo, une étude sur la gestion automatique des limitations de vitesse, qui a montré que les véhicules pouvaient lire les panneaux, même si les panonceaux posent plus de problèmes. En réalité, avec une cartographie et un système de géo-positionnement efficace, le véhicule autonome peut parfaitement adapter son profil de vitesse. D’autre part, ses capteurs embarqués lui permettent de détecter les obstacles, à l’avant et à l’arrière du véhicule, et d’être alerté en cas de dépassement. Le véhicule autonome peut également gérer parfaitement bien les changements de voie sur autoroute. Les seules difficultés sont la gestion des véhicules qui entrent ou qui sortent de l’autoroute, et les péages. Sinon, les véhicules autonomes peuvent passer des heures sur l’autoroute sans difficulté.

M. Stéphane Piednoir. Le véhicule autonome n’ayant théoriquement aucun intérêt à changer de voie, est-on sûr qu’il soit capable de gérer efficacement les insertions sur les voies ?

M. Fawzi Nashashibi. Un constructeur travaille spécifiquement sur ce sujet en ce moment. Le véhicule autonome a deux problèmes quand il doit gérer les insertions sur autoroute. D’une part, il doit anticiper le moment et le nombre d’arrivées, et, d’autre part, le comportement des autres automobilistes dans ce genre de situations. C’est surtout ce dernier qui pose problème, car il est très imprévisible. D’ailleurs, on constate souvent que, par sécurité, les automobilistes ont tendance à changer de voie à l’approche d’une entrée d’autoroute. Le deep learning intervient alors, pour aider le véhicule à apprendre les interactions avec autrui, et à les intégrer dans ses schémas de planification de trajectoire.

Mme Huguette Tiegna. On voit qu’il y a beaucoup de problèmes liés à la circulation. Pensez-vous que des aéronefs autonomes dédiés au transport de personnes soient plus facilement réalisables ?

M. Fawzi Nashashibi. Sans vouloir être présomptueux, je pense que des aéronefs autonomes sont des systèmes probablement plus simples. Il n’y a pas de partage de voies, et on fait évoluer l’aéronef dans un environnement sans gestion d’obstacles. À quel genre de trajets pensez-vous ?

Mme Huguette Tiegna. Je pense plutôt à des trajets entre des petits aéroports.

M. Fawzi Nashashibi. On est déjà capables aujourd’hui de faire voler des avions en mode automatique sur des trajets assez longs. Les pilotes sont surtout là pour s’assurer que tout se déroule normalement, et pour gérer des phénomènes aérodynamiques violents, nécessitant une intervention humaine rapide.

Mme Huguette Tiegna. Quels sont, en France, les freins au développement des véhicules autonomes, notamment au niveau de la législation que nous adopterons vraisemblablement dans le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), et le projet de loi d’orientation des mobilités ?

M. Fawzi Nashashibi. Jusqu’ici, expérimenter était déjà complexe légalement. C’est pourtant crucial, car les technologies s’appuient beaucoup sur l’apprentissage par le roulage. Ces expérimentations sont nécessaires pour valider le système. Je pense que les premières législations en faveur des expérimentations sur les véhicules autonomes vont dans le bon sens. Aux États-Unis ou au Japon, l’État délivre des autorisations très étendues pour que des tests puissent être menés. La Floride a même autorisé les véhicules autonomes à circuler comme n’importe quel autre véhicule. Je pense que ce n’est pas prudent d’aller jusque-là pour le moment.

Mme Huguette Tiegna. Oui, je pense que vous avez raison sur ce dernier point, d’autant plus que se pose la question de la responsabilité en cas d’incident. Est-ce le fabricant de l’algorithme, le constructeur du véhicule, le passager qui supervise le trajet à bord ou bien l’assureur du véhicule qui sont responsables ? Cette question n’a pas encore été tranchée.

M. Fawzi Nashashibi. Il y a beaucoup de problèmes liés au déploiement réel des véhicules autonomes, notamment du point de vue éthique. La prise de décision se fait au niveau du véhicule lui-même, et l’on peut s’interroger sur la moralité des choix du véhicule. Par exemple, en situation de pré-crash, doit-on choisir de sauver un enfant, de rentrer dans le mur ou dans une voiture à côté ? À cet égard, accepteriez-vous d’acheter un véhicule capable de vous tuer, même pour sauver trois autres personnes ? Certains sont moins pessimistes que moi et sont convaincus que ces questions ne devraient même pas se poser. Or, elles ne se posent pas, uniquement dans le cas où seuls des véhicules autonomes circulent ensemble. À partir du moment où le véhicule autonome roule aux côtés de véhicules traditionnels, nous sommes obligés de faire face à ces questions éthiques, car les comportements humains dans ce genre de situations sont très imprévisibles, voire inconscients.

De plus, les considérations éthiques à prendre en compte ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. En Inde, je ne sais pas si on autoriserait un véhicule à écraser une vache sacrée. Autre exemple, si le véhicule doit choisir entre épargner une personne jeune et une personne âgée, un Japonais préférera sûrement sauver la personne âgée, mais ce sera différent dans un autre pays.

Comme nous transférons la capacité de décision à un automate, la question de la responsabilité est forcément problématique, car nous pouvons avoir affaire à un simple dysfonctionnement du système qui n’a pas répondu aux exigences. Il s’agit alors d’un problème de certification. J’étais hier au ministère de la Transition écologique et solidaire, pour évoquer ces problèmes de certification des systèmes de véhicules autonomes. Nous sommes aujourd’hui capables de certifier des matériaux, des procédures informatiques ou des processus de télécommunications, mais comment homologuer le fonctionnement complet d’un véhicule composé d’une multitude de sous-systèmes ? Le fait-on par système, par fonction, ou par sous-système ?

De plus, la batterie de tests qu’un véhicule autonome devra passer semble conséquente car, comme n’importe quel autre véhicule, il doit être capable de circuler de jour comme de nuit, et dans des conditions météorologiques défavorables, qui impacteront le fonctionnement de ses capteurs. On sait, par exemple, que rouler avec le soleil en face perturbe les systèmes à base de caméras ou de lidars. De même, dans des endroits fermés ou des tunnels, certains algorithmes ne fonctionnent pas. Par exemple, un algorithme de type slam, qui réalise simultanément la cartographie des environs et la localisation du véhicule, n’est pas opérationnel dans un environnement homogène. Il est donc impératif de disposer de systèmes à capteurs multiples et redondants. À l’inverse de l’aéronautique, où il suffit de doubler les capteurs en cas de défaillance de l’un ou de l’autre, pour les véhicules autonomes, il faut doubler les fonctions, avec des capteurs différents capables de fonctionner dans des conditions différentes, et complémentaires. On parle donc ici de systèmes multi-sensoriels redondants.

M. Stéphane Piednoir. Avez-vous des questions ?

M. Fawzi Nashashibi. Concernant la législation, nous avons des difficultés avec les assurances. En effet, il est difficile de convaincre les assureurs de nous laisser expérimenter des véhicules autonomes sur la voie publique.

Mme Huguette Tiegna. Tant que le législateur n’aura pas tranché sur la question de la responsabilité, il est difficile de savoir comment réagiront les assureurs. Certains véhicules sont déjà autorisés à circuler, à une cinquantaine de kilomètres heures, et le font dans des collectivités, mais je n’en sais pas plus sur l’assurance de ces véhicules.

M. Fawzi Nashashibi. Dans le cadre de notre démonstration à La Rochelle, nous avions sollicité un assureur qui a accepté de nous assurer, car nous avions une personne à bord du véhicule en permanence. Il semble, en effet, que cela soit la condition pour que les assureurs soient enclins à assurer des véhicules autonomes.


Audition de

M. Charles Aronica, directeur général

M. Hugues Boucher, chargé daffaires Innovation et Environnement,

Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)

Mme Colette Genin, directrice conseil, Taddeo

 

Jeudi 31 janvier 2019 à l’Assemblée nationale

 

M. Charles Aronica, directeur général, FIEV. Votre invitation, nous donne l’occasion de mettre notre expertise au service des pouvoirs publics. La Fédération des Industries des Équipements pour Véhicules (FIEV) représente l’industrie française des équipementiers automobiles, avec 120 groupes d’entreprises adhérentes, qui représentent plus de 80 % du chiffre d’affaires total de la profession, à la fois des grands équipementiers à capitaux français, comme Valeo, Plastic Omnium, Faurecia, ou Securit St-Gobin, et les filiales françaises des grands groupes étrangers, ainsi qu’un certain nombre d’ETI, voire des PME.

Aujourd’hui, les équipementiers réalisent plus de 80 % du coût de revient industriel des nouveaux modèles automobiles. En réalité la grande majorité des pièces qui constituent un véhicule sont développées, conçues, et fabriquées par les équipementiers. Donc, les équipementiers sont des apporteurs de technologies, dans tous les domaines, de la sécurité, du confort, et de la réduction des émissions, notamment de CO2. En 2017, leur chiffre d’affaires en France était de 18,7 milliards d’euros. Cela peut paraître peu, au regard du chiffre d’affaires d’un équipementier tel que Valeo, qui est de 18,6 milliards.

M. Hugues Boucher, chargé daffaires Innovation et environnement, FIEV. La moitié du chiffre d’affaires est réalisé à l’export, y compris pour des clients autres que ceux basés en France.

M. Charles Aronica. Dans le cadre du Plan Climat, la France s’est fixé un objectif ambitieux, qui est d’atteindre la neutralité carbone, objectif auquel l’automobile et les véhicules particuliers, qui sont au centre de votre étude, doivent contribuer. Dans votre réflexion sur les moyens d’y parvenir, et notamment sur la pertinence d’un objectif de fin de vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, j’aimerais insister sur quatre points.

Le premier point est que l’électrification du parc automobile est en marche, et que les équipementiers y contribuent pleinement. En réalité, La France a déjà pris le train de la mobilité électrique. Dans le cadre du contrat stratégique de filière qui a été signé le 22 mai 2018 par les acteurs de la filière et les représentants de l’État, la filière s’est engagée à multiplier par cinq le nombre de véhicules électriques vendus d’ici 2022. Que faisons-nous concrètement ? D’un côté, il y a l’offre des constructeurs, aujourd’hui vingt-sept modèles totalement électriques sont disponibles sur le marché.

Les équipementiers participent grandement à cet effort, et accroissent leurs dépenses de recherche et développement. Aujourd’hui, ils consacrent environ 7 % en moyenne de leur chiffre d’affaires à cette dernière. Pour certains, ce chiffre monte à 10 % voire 11 %, ce qui nous place parmi les premiers déposants de brevets, toutes industries confondues. Ainsi, selon le classement INPI 2018, le premier déposant de brevets est le groupe Valeo, avec en 2017 1 110 demandes de brevets. Le groupe PSA, consolidé avec Faurecia, est à la deuxième place, avec 1 021 demandes de brevets déposées.

Cela dit, le défi est bien évidemment immense, puisqu’à ce jour 99 % des ventes concernent des véhicules électriques émettant des gaz à effet de serre. Mais nos efforts commencent à porter leurs fruits, puisqu’en 2018 le nombre de véhicules vendus a augmenté de 30 % par rapport à 2017.

Un point nous semble fondamental, c’est que l’engagement de l’État est décisif. Il se décline en plusieurs points.

Le premier point est qu’il faut des aides publiques élevées, durables et prévisibles. Or, aujourd’hui, il y a un manque évident de visibilité sur les mesures fiscales incitatives. Je prendrai un exemple : dans le cadre de la loi de finance pour 2019 il n’y a plus de bonus pour les hybrides rechargeables, alors que par le passé il existait. Dans notre industrie, je pense qu’il faut une visibilité d’au minimum cinq ans. Par ailleurs, les pays dans lesquels l’État a cessé de soutenir l’achat des véhicules électriques par les ménages ont vu les ventes s’effondrer instantanément. Ainsi, au Danemark, jusqu’en 2015, existait un avantage allant jusqu’à 5 000 € pour l’achat d’un véhicule électrique, par rapport à un véhicule thermique. À partir de 2016, le gouvernement danois a décidé de réajuster progressivement cette exonération, en soumettant les véhicules électriques à la taxe d’immatriculation à hauteur de 20 % en 2016, avec un objectif de 100 % en 2020. La conséquence a été immédiate, puisque cela s’est traduit par une baisse des ventes de véhicules électriques de 70 % entre 2015 et 2016, et de 30 % entre 2016 et 2017. Je pense que cet exemple illustre parfaitement qu’il faut des aides.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Est-ce que les ventes ont redémarré avec de nouvelles aides en 2018 ?

M. Hugues Boucher. Après avoir vu la réaction du marché à cette annonce, les Danois ont décidé non de réduire l’exonération, mais de la stabiliser à 20 %, pour donner confiance au marché. Mais l’inertie du marché a fait qu’alors qu’au dernier semestre 2015 les ventes étaient à plus de 3 %, en 2016 et en 2017 on n’est pas revenu à cette valeur, et les ventes n’ont commencé à remonter qu’en 2018, mais doucement. Le temps nécessaire à la reprise de confiance est donc très long.

M. Charles Aronica. Le rôle de l’État est également extrêmement important en matière de déploiement rapide et massif d’un réseau d’infrastructures de recharge. Dans le cadre du contrat stratégique de filière, auquel je faisais référence précédemment, l’État s’est engagé à augmenter le nombre de bornes à 100 000 en 2022. Toutefois, une réunion du comité stratégique de la filière automobile le 20 décembre 2018 a mis en évidence un fort retard dans la nécessaire augmentation du nombre de bornes. Il faut avoir à l’esprit qu’il y a une urgence à déployer un nombre de bornes suffisant.

M. Stéphane Piednoir. Pensez-vous que cela puisse constituer, à ce jour, un véritable frein ?

M. Hugues Boucher. Selon les zones, surtout dans les zones urbaines de forte densité, c’est bien le cas. Ensuite le nombre de bornes privées dans les collectivités représente aussi un problème, tout comme sur le lieu de travail. D’après une étude de l’Agence internationale de l’énergie de 2018 sur les pays scandinaves, la première incitation porte sur l’achat, et la deuxième sur l’usage, et dans cet usage, se trouvent aussi les bornes.

M. Stéphane Piednoir. Pourtant aujourd’hui le ratio est d’une borne pour six ou sept véhicules.

M. Hugues Boucher. Effectivement, mais comme on souhaite augmenter le nombre de véhicules, il convient aussi d’augmenter le nombre de bornes de recharge. Encore une fois, même en Norvège il existe une angoisse de faire la queue aux bornes de recharge. Il faut pouvoir surpasser cette angoisse pour assurer l’acceptation sociale du véhicule électrique ou même électrifié.

M. Charles Aronica. Pour nous, lorsque les constructeurs s’engagent à multiplier par cinq le nombre de véhicules électriques vendus d’ici 2022, il faut nécessairement une augmentation parallèle du nombre de bornes, sinon on va vers des difficultés. L’État doit aussi veiller à ce que la production et la distribution d’électricité soient suffisantes pour absorber la recharge simultanée d’un parc de plusieurs millions de véhicules électriques à terme. C’est un point évident, mais qu’il semble important de rappeler.

Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention, c’est que plusieurs technologies seront à l’origine des progrès futurs. De notre point de vue, l’inflexion de la courbe de CO2 pour la période 2020-2040 viendra de l’essor des technologies électrifiées, et pas seulement des véhicules 100 % électriques qui devraient être déployés rapidement et à grande échelle. En parallèle, la décarbonisation de l’énergie alimentant les véhicules thermiques : biocarburants, carburants synthétiques, gaz naturel pour véhicules, hydrogène, etc. permettra d’améliorer leur bilan CO2. Enfin l’essor des nouveaux usages permettra également d’optimiser le parc roulant. Je pense bien sûr au carsharing, aux véhicules autonomes, etc.

Les projections réalisées par l’étude BDO-BIPE de 2018 conduisent à penser que les véhicules légers électriques et hybrides rechargeables représenteront respectivement 35 % et 20 % des ventes en 2035, ce qui fera de la France un pays en avance en Europe. Les véhicules diesel et essence auront disparu des ventes de véhicules neufs en 2035. Quasiment 100 % de l’offre sera modifiée en dix à quinze ans, ce qui représente évidemment un bouleversement considérable pour l’industrie automobile. En parallèle, d’autres technologies à très faible émission trouveront leur place : les véhicules hybrides 12 volts, 48 volts, et full hybride représenteront près de 35 % des ventes de véhicules légers en France en 2035, selon cette étude. Ces véhicules afficheront un très faible niveau d’émissions de CO2, ils cumuleront un moteur électrique zéro émission à l’échappement et des technologies thermiques encore améliorées. On estime qu’en 2030, les véhicules thermiques auront réduit leur consommation de 20 %, ce qui représente autant d’émissions de CO2 en moins.

M. Stéphane Piednoir. Peut-on dire que cela en ferait presque des véhicules vertueux ?

M. Charles Aronica. C’est ce que nous pensons. Les améliorations viendront de toute une série d’évolutions technologiques, j’en cite quelques-unes : l’allégement des équipements, la réduction de la taille des cylindres, l’injection très fine, la réduction des frottements, la désactivation des cylindres, le refroidissement, etc. Comme le relève l’étude E4T de l’ADEME et de l’IFPEN publiée en 2018, l’architecture mild hybride 48 volts, poussée au maximum de ses performances, pourrait être une solution extrêmement intéressante pour concurrencer les solutions full hybride actuelles. Par ailleurs, les véhicules hybrides, s’appuyant sur un recours accru à des sources d’énergies décarbonées comme les biocarburants ou les carburants synthétiques sera également une source supplémentaire de réduction des émissions de CO2.

La possibilité d’entrer dans les centres-villes avec des véhicules roulant au gaz naturel aura pour conséquence d’augmenter jusqu’à 10 % les parts de marché des véhicules légers roulant au GNV en 2035. Ceux-ci permettent une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à un véhicule thermique classique. Ce bilan pourrait être encore réduit si, comme le gouvernement s’y est engagé, on parvient à augmenter la part de biogaz, comme le biométhane, dans le mix énergétique.

Ces technologies, sous réserve d’un mix énergétique décarboné, sont prometteuses sur le plan environnemental et permettront, à notre sens, de répondre également à des besoins de mobilité qui ne seront pas couverts à court et moyen terme par les technologies 100 % électrique ou hybride rechargeable. À l’inverse, interdire, même à un horizon lointain, les véhicules thermiques conduirait à donner dès maintenant un coup d’arrêt aux investissements des équipementiers, et plus généralement de la filière, dans les technologies hybrides. En annonçant qu’en 2040 les véhicules thermiques ne pourront plus être commercialisés, on indique qu’il est inutile d’investir dans l’hybride.

Le troisième point sur lequel je souhaite insister, c’est qu’il convient de mener une évaluation environnementale complète des véhicules. Aujourd’hui, celle-ci ne prend en compte que les émissions rejetées à l’échappement. Pour atteindre de nouveaux progrès, il nous semble qu’il faudra aller plus loin, et faire évoluer le mode de calcul de l’empreinte environnementale, afin de prendre en compte l’ensemble des sources d’émission, et de se donner les moyens d’agir sur toute la chaîne. C’est pourquoi la FIEV soutient une évaluation prenant en compte le cycle de vie, qui comptabilise les émissions de la production au recyclage, en passant par les transports.

Des premiers travaux sont d’ailleurs actuellement menés dans ce sens. La Commission européenne a lancé une étude visant à évaluer le cycle de vie des véhicules légers et lourds équipés de motorisations différentes et alimentés par différentes énergies. Ces travaux visent, dans un premier temps, à définir une méthodologie pour les véhicules routiers, et, dans un second temps, à l’appliquer aux véhicules mis sur le marché entre 2020 et 2050, pour permettre une comparaison objectivée.

J’attire votre attention sur le fait que l’ADEME et l’IFPEN ont également choisi la méthodologie d’analyse du cycle de vie dans leur étude économique, énergétique et environnementale pour les technologies du transport routier français.

Nous avons bien conscience que cette méthode est ambitieuse à mettre en place. Une première étape consisterait à adopter une démarche du puits à la route, intégrant au moins le bilan carbone lié à la production de l’énergie utilisée. En tout cas, la réforme du mode de calcul nous semble incontournable pour fonder une hypothétique interdiction des véhicules émettant des gaz à effet de serre sur des critères objectifs.

Le quatrième et dernier point sur lequel je souhaite insister concerne l’impact industriel pour la filière des équipementiers qu’aurait l’interdiction de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre. En effet, l’adoption d’une telle interdiction aurait un impact sur un tissu industriel aujourd’hui déjà fragilisé par la baisse sensible de la vente de véhicules diesel. Or, la France et l’Europe disposent d’un savoir-faire mondialement reconnu dans le domaine des moteurs thermiques. C’est un avantage compétitif, inexistant pour les véhicules électriques. Chercher à substituer entièrement les véhicules électriques aux véhicules thermiques aboutirait à favoriser les industries d’autres pays, notamment les pays asiatiques.

Les pièces des moteurs et équipements thermiques représentent 20,7 % du chiffre d’affaires annuel de la filière des équipementiers. De plus, l’architecture moins complexe des moteurs électriques génère sept fois moins d’emplois que la conception et la production des motorisations thermiques. Un passage au 100 % électrique aurait donc un impact sur l’emploi particulièrement important.

En conclusion, il nous semble important de retenir cinq points. Le premier point, c’est que l’électrification des véhicules est en marche, les équipementiers sont pleinement engagés dans cette transition. C’est une tendance forte et désormais irréversible.

Le deuxième point extrêmement important, c’est qu’il faut distinguer le véhicule thermique de la technologie thermique. La technologie thermique, de notre point de vue, restera essentielle.

Le troisième point, c’est que les technologies hybrides sont très performantes sur le plan des émissions de CO2. Elles représentent une solution pour tous les usagers qui ne trouveront pas dans les véhicules 100 % électriques des possibilités équivalentes. On pense notamment aux gros rouleurs. Or, en interdisant les véhicules thermiques, le législateur dissuaderait dès aujourd’hui les industriels de poursuivre leurs investissements dans ces véhicules, alors qu’il est nécessaire, nous semble-t-il, de continuer à travailler à améliorer les technologies thermiques. Cela aurait pour effet de priver dès maintenant beaucoup d’usagers de solutions de mobilité abordables et pratiques à long terme, et de priver l’État de sources de progrès environnemental majeures, tout en renonçant à un avantage compétitif européen par rapport à l’industrie asiatique.

Dernier élément de notre réflexion, qui va au-delà de cette audition, c’est que si notre vision de l’évolution du marché est assez claire pour la période 2020-2030, le jeu reste extrêmement ouvert après 2030, notamment entre 2030 et 2040. Nous aimerions partager avec vous une réflexion qui va au-delà de l’avenir du véhicule thermique. Cette réflexion concerne la manière de concevoir les politiques publiques automobiles.

L’automobile a quitté un monde prévisible, organisé autour d’une ou deux technologies, et d’acteurs connus, qui investissaient lourdement sur des cycles assez longs. Aujourd’hui, nous sommes passés à un monde beaucoup plus ouvert, fait de ruptures technologiques. On parle de véhicules connectés, électriques, autonomes, etc., avec de nouveaux acteurs. Cela nécessite de la flexibilité, et la capacité à adapter sa stratégie en cours de route.

Ces changements rendent toute projection très difficile et modifient le pilotage des stratégies industrielles de nos membres. Dans ce contexte, la stratégie d’interdiction de telle ou telle technologie ne nous semble pas adaptée à l’enjeu environnemental. Il faut mettre en place un nouveau mode, nous semble-t-il, de relation entre l’État et la filière, adaptée à ce nouveau monde, et veiller à laisser le jeu ouvert en ne fermant pas la porte à certaines options. Il est évident que d’autres innovations vont apparaître, que nous ne sommes pas capables de prévoir aujourd’hui.

Il ne faut pas renoncer à une ambition de long terme, mais se concentrer sur des objectifs concrets sur des horizons de temps à court terme, réalistes parce que prévisibles, à travers une démarche de dialogue et de recherche de consensus avec la filière.

M. Stéphane Piednoir. Nous avons entendu une forme de prudence par rapport à l’annonce prévisible qui est, en partie, l’objet de ce rapport. Je ne sais pas si on ira vers une interdiction. Aujourd’hui on n’est pas en mesure d’annoncer cela. Nous ferons de toute façon un certain nombre de préconisations dans le cadre de ce rapport. Il appartiendra à l’exécutif de prendre des orientations.

À titre personnel j’observe que les pays où la transition fonctionne bien, comme la Norvège, ont mis en œuvre des incitations fortes. Les situations ne sont bien sûr pas équivalentes, parce qu’ils n’ont pas de constructeurs nationaux, qu’ils importent tous leur véhicule, et qu’ils ont une taxation très forte sur les véhicules importés, sur laquelle ils ont pu jouer. Évidemment ce n’est pas transposable au modèle français. Néanmoins, en tant que professeur de métier, je crois encore un petit peu en la pédagogie. Je suis persuadé qu’il faut essayer de l’appliquer, plutôt que de procéder par interdictions. À cet égard, l’augmentation de la taxe carbone a représenté la petite goutte d’eau en trop. Au contraire, il faut montrer les bienfaits du véhicule électrique. Au-delà des questions de coût, on parle assez peu dans ce débat de qualité de l’air. Amateur de course à pied, cela me pose problème d’entendre qu’il ne faut pas courir pendant la semaine à Paris en raison de la pollution, et qu’il est préférable de rester dans son appartement. C’est vraiment l’axe qu’il faudrait privilégier.

Je ne peux pas vous dire aujourd’hui si on ira vers une interdiction. À titre personnel, j’estime qu’il ne faut pas trop serrer la bride aux constructeurs, notamment en termes d’émissions de CO2. Il y a eu un accord européen sur les 135 grammes de CO2, puis sur 95 grammes. On évoque 60 ou 65 grammes. Techniquement tout est possible, on peut investir massivement en recherche et développement pour y parvenir, mais pendant ce temps les constructeurs n’investiront pas sur d’autres technologies, car leurs budgets ne sont pas extensibles. Il faut fixer des priorités, à 95 grammes ce n’est pas parfait, mais la motorisation des véhicules thermique a un certain nombre de défauts qui lui sont inhérents.

M. Charles Aronica. Notre rôle, en tant qu’équipementiers, est aussi de proposer des technologies abordables. Des technologies pour des technologies, on peut en vendre, mais si les constructeurs ne peuvent pas les vendre aux consommateurs, c’est un coup d’épée dans l’eau, et tout le monde aura investi pour rien.

M. Stéphane Piednoir. La seule question à se poser est : pouvons-nous continuer à vendre des centaines de milliers, des millions de véhicules émettant des gaz à effet de serre ?

M. Charles Aronica. Il faut aussi prendre en compte une évolution de l’usage.

M. Stéphane Piednoir. Mais il y a aussi la question de la ressource, qui est en train de s’épuiser, de la pollution, et de l’indépendance énergétique.

M. Charles Aronica. Quand on considère le cycle de vie, on voit les besoins en ressources liés aux technologies électrifiées, qu’il faut aussi prendre en considération. C’est une nouvelle dépendance, même si elle est différente de l’actuelle à l’égard des hydrocarbures.

M. Stéphane Piednoir. Le Gouvernement, pas uniquement celui-ci, a considéré qu’on ne pouvait pas continuer de cette façon, qu’il fallait changer. On sait que ce changement recouvre plusieurs technologies, pas seulement l’électrique, mais aussi l’hybride et l’hydrogène. Je suis convaincu que l’hydrogène est une voie possible, mais aujourd’hui cette technologie n’est pas mature et reste beaucoup trop chère.

M. Hugues Boucher. Plusieurs grands équipementiers nationaux investissent dans l’hydrogène et y croient également.

M. Stéphane Piednoir. Une fois cette parenthèse refermée, je suis d’accord avec vous sur la lisibilité de l’engagement de l’État. Mais l’État ne peut pas faire de budget pluriannuel. Il ne peut pas s’engager à cinq ans. Il peut faire des annonces, et même des promesses. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Techniquement, ce n’est pas possible de s’engager sur les cinq années qui viennent. En tout cas, ce n’est pas un engagement ferme.

M. Charles Aronica. Mais l’État pourrait au moins décider, sans pouvoir prendre l’engagement au sens juridique du terme, et s’engager sur une certaine lisibilité. Encore une fois, j’ai pris l’exemple du bonus sur le véhicule hybride rechargeable, parce qu’il illustre bien la situation : on le prévoit, puis un ou deux ans après il est supprimé, pour être peut-être réintroduit l’année prochaine.

M. Stéphane Piednoir. Il en va de même dans toutes les politiques publiques. Je reviens quand même sur ce que vous avez dit pour apporter un regard optimiste : la France est mal placée sur les batteries, produites à 90 % en Asie, ce qui crée une autre forme de dépendance. Mais rien ne nous empêche de prendre les choses en main, et de nous structurer. À l’échelle de la France et de ses 67 millions d’habitants, c’est difficile, mais pourquoi ne pas l’envisager à l’échelle européenne ? Des projets de fabrication de batteries existent, il faut les encourager. Je ne partage pas votre pessimisme sur l’emploi, on sait bien que de nouveaux emplois apparaissent tous les ans ou presque. Il y aura un impact sur l’emploi, mais qui peut être positif parce qu’on aura su prendre le train en marche.

Mme Colette Genin, directrice conseil, Taddeo. Sur la question de l’emploi, il faut effectivement considérer le volume d’emplois, mais aussi le rythme de transition. Même si cette interdiction vise 2040, l’annoncer dès maintenant sera ressenti immédiatement par un certain nombre de PME et TPE, par ailleurs très impactées par la chute du marché du diesel, qui doivent déjà absorber ce choc. Encore une fois, les investisseurs ont besoin de visibilité, et n’hésiteront pas à aller investir là où elle leur semblera meilleure, c’est un calcul économique.

M. Stéphane Piednoir. Cet argument a déjà été avancé par des constructeurs de moteurs thermiques qui disent, même si je ne les crois qu’à moitié, qu’ils ne continueront pas à produire des moteurs thermiques ici, s’ils ne peuvent être vendus en France.

M. Charles Aronica. Les grands industriels ont une vision qui ne se limite pas à la France.

M. Stéphane Piednoir. L’export existe aussi. Par ailleurs, les équipementiers que votre fédération représente ont été malmenés l’an dernier, notamment en bourse. Quelles en sont les causes ? Avez-vous une analyse de ces mouvements assez importants, pour certains de 30 % sur l’année ?

M. Charles Aronica. Je pense qu’ils sont liés à l’incertitude actuelle. La première raison, ce sont les tensions géostratégiques, par exemple les annonces du président américain de taxation éventuelle des véhicules importés, à partir d’un certain nombre de pays. La deuxième raison sans doute, est le début de retournement du marché chinois, intervenu ces derniers mois. Comme les grands constructeurs, les équipementiers sont très présents en Chine, et y investissent beaucoup. Le Brexit peut aussi avoir un impact. Dès lors qu’il y a une incertitude, les marchés réagissent.

M. Hugues Boucher. En Europe, le passage au WLTP (Worldwide Harmonised Light Vehicle Test Procedure) a eu un effet direct sur les commandes après le mois d’août. La demande forte qui a tiré la production a été suivie d’une baisse des commandes drastique. Au niveau de la filière équipementière cela s’est ressenti immédiatement, a fortiori pour les PME, celles-ci ayant plus de mal structurellement à absorber les variations de charge. La conjonction, sur trois plaques géographiques, de ces différentes annonces a fait naturellement chuter les cours de bourse, avec un problème de confiance sur la visibilité de la filière à l’horizon 2019-2020.

Mme Colette Genin. Plus proche du sujet, s’ajoute, dans le cas d’équipementiers tels que Valeo, de très forts investissements sur les technologies électriques, alors que ce marché, même s’il décolle, reste à des volumes extrêmement minimes pour des industriels de cette taille.

M. Stéphane Piednoir. La croissance a été de quasiment de 30 % l’an dernier, mais il est plus facile de faire de gros pourcentages sur de petits volumes. Néanmoins, les équipementiers français sont reconnus pour leur dynamisme. On parle de sociétés comme Valeo et Plastic Omnium, qui sont quand même bien placées.

M. Charles Aronica. Elles sont bien placées à la fois pour le véhicule électrique, l’hybride et l’hydrogène.

M. Stéphane Piednoir. Plastic Omnium, que nous avons rencontré sur le Mondial de l’automobile, s’engage fortement sur l’hydrogène. Cela montre quand même une part d’optimisme.

M. Charles Aronica. Peut-être que le discours vous a semblé trop pessimiste, ce n’était pas l’objet. Nous savons que nous allons trouver des solutions. Simplement, ce qui nous inquiète, c’est le fait de cibler une technologie en particulier. Dire qu’il n’y a qu’une technologie semble, à ce stade, prématuré. Beaucoup d’innovations vont arriver. Lorsque des équipementiers investissent 7 % ou 10 % sur un chiffre d’affaires, pour prendre le cas de Valeo, de 18,5 milliards d’euros, cela représente de l’ordre de 1,8 milliard d’euros. Ce n’est peut-être pas exactement ce montant, mais l’investissement est colossal. Les équipementiers sont à l’origine de la plupart des innovations dans ce domaine. Si nous avons semblé trop pessimistes, ce n’est pas le message que nous voulions faire passer.

M. Hugues Boucher. Le mix énergétique présenté dans cette étude ou dans d’autres illustre la multiplicité des technologies. Les équipementiers doivent aussi faire des choix. Ils ne peuvent pas investir sur tout. Ils font leurs choix et les proposent aux constructeurs, qui font eux-mêmes leurs propres choix.

Voici dix ans, le choix se limitait à l’essence et au diesel, au full hybride pour certains. À présent, il existe une multiplicité de solutions, ce qui implique, pour les équipementiers et leurs fournisseurs, de faire preuve de flexibilité. Il s’agit quand même d’un changement de paradigme majeur pour notre industrie. Il demande aussi une remise en cause industrielle, en cours mais qui prendra du temps, parce que les investissements doivent être amortis, et renouvelés sur d’autres technologies. Plus on descend dans la filière, plus ce choix est critique. Pour une PME, changer de façon de faire, en termes de technologie, c’est un risque de vie ou de mort. Il faut s’en rendre compte. Sans visibilité, plus on descend dans la filière, plus les entreprises sont menacées.

Par rapport à ce que vous avez dit sur la nécessité d’améliorer la qualité de l’air, notre message est clair, nous en sommes également convaincus. Nous sommes tous des citoyens, ce que vous vivez, nous le vivons aussi. Par conséquent, nous sommes vraiment pour l’amélioration de la qualité de l’air. Aujourd’hui, la vraie difficulté en matière d’émissions ce sont les anciens véhicules. Il faut absolument renouveler le parc. Si tout le parc actuel était constitué des véhicules, y compris thermiques, vendus actuellement, je ne dis pas que tout serait résolu, mais une grande partie du problème serait quand même réglée. Il faut vraiment renouveler le parc, or il ne cesse de vieillir.

M. Stéphane Piednoir. C’est vrai aujourd’hui, mais il a été fortement renouvelé dans les décennies précédentes.

M. Charles Aronica. Pour autant, sur les dix dernières années, il n’y a pas une année où l’âge moyen n’a cessé d’augmenter.

Mme Colette Genin. Il y a un phénomène assez particulier de polarisation du parc, avec un haut du panier constitué de véhicules appartenant à des ménages dotés d’un fort pouvoir d’achat, qui les renouvellent très rapidement, et un bas du panier assez important, de véhicules qui restent dans le parc, sans parvenir à en sortir, en dépit des aides de l’État. Ils continuent de vieillir, et en plus se vendent très bien sur le marché de l’occasion. C’est donc une forme de spirale. On a l’impression que le parc se renouvelle, alors qu’en réalité les véhicules les plus polluants et les plus vieux restent longtemps.

M. Stéphane Piednoir. Dans les années 1980 à 1990, lorsqu’on circulait en ville, on croisait un certain nombre de poubelles, émettant des fumées noires. Pour revenir à la pédagogie, les usagers veulent bien faire l’effort, mais même le bonus de 6 000 euros pour un véhicule électrique n’est pas suffisant pour acheter un véhicule neuf. Ils préfèrent aller sur le marché de l’occasion, où l’on peut trouver des voitures à 3 000 ou 4 000 euros. Ensuite, ils se disent qu’ils vont conserver un petit peu leur véhicule qui n’est pas idéal, pas très vertueux, mais pendant ce temps les normes évoluent. On nous impose des contrôles techniques qui deviennent absurdes. Il faut passer une contre-visite parce qu’un feu antibrouillard ne fonctionne pas bien, alors que tous les véhicules n’en sont pas équipés. On se dit que les contraintes s’agglutinent aussi sur les usagers.

M. Hugues Boucher. Par contre, la vertu du contrôle technique est de vérifier, par rapport à la qualité de l’air, si le véhicule est toujours bien entretenu.

M. Stéphane Piednoir. Mais on a augmenté le nombre de contrôles, et ça veut dire que non seulement on augmente le coût de la visite, mais qu’après la contre-visite est plus probable. L’exaspération vient de là.

M. Charles Aronica. Je pense qu’un autre élément est très important. Les industriels ont besoin de visibilité, mais je pense que les consommateurs ont aussi besoin de visibilité. Aujourd’hui, force est de constater que le consommateur n’a pas de visibilité. Une anecdote personnelle illustre ce point. Voici à peu près quatre ans j’ai voulu changer de véhicule. J’ai toujours eu des véhicules essence, parce que je fais peu de kilomètres. Je suis allé acheter un véhicule. Le concessionnaire m’a dit que si je prenais un véhicule à essence, le malus serait extrêmement important. Du coup, j’ai acheté un véhicule diesel. Il y a six mois je me suis demandé ce qui se passerait si je rachetais ce même véhicule, puisque le consommateur entend en permanence qu’il faut renoncer au diesel. Je suis allé dans la même concession pour le même véhicule. Le vendeur m’a à nouveau conseillé d’acheter un véhicule diesel, le malus étant toujours important sur le véhicule essence. À un moment donné, il faut une clarification. Le client se dit qu’il ne peut pas acheter de véhicule diesel, puisque bientôt il ne pourra plus rouler avec, mais lorsqu’il veut acheter un véhicule essence, il s’entend dire qu’il faut prendre un diesel. Le véhicule hybride ou électrique a un coût. À un moment donné, le risque c’est qu’il n’achète rien et garde son vieux véhicule qui pollue beaucoup plus.

M. Stéphane Piednoir. Il y a aussi des phénomènes de mode. On sait bien que dans l’augmentation des émissions CO2 l’an dernier, la mode des SUV a joué.

M. Charles Aronica. Il y a aussi la baisse du diesel, qui émet 20 % de CO2 en moins que l’essence.

M. Hugues Boucher. En termes de qualité de l’air, les véhicules diesel et essence sont soumis aux mêmes réglementations, certes pas tout à fait aux mêmes niveaux. Sur les particules fines et les NOx, les véhicules qui sortent des usines aujourd’hui sont tous aussi performants. Les véhicules hybrides basés sur des moteurs thermiques le sont également. Ce discours-là manque d’être tenu. Il y a eu des problèmes dans le passé que la filière doit assumer, mais cela a conduit à une prise de conscience au sein de la filière et à une amélioration de la qualité des véhicules qui sortent des usines.

M. Stéphane Piednoir. Parmi les équipementiers, on trouve désormais des constructeurs de moteurs électriques. C’est un axe de développement et de création d’emplois, même si le coût du moteur électrique dans un véhicule est faible.

M. Hugues Boucher. Il y a beaucoup moins de composants que dans un moteur thermique, le rapport, en termes de personnel pour la fabrication est d’un pour sept. Les équipementiers fournissent tous les composants, que ce soit pour les véhicules 100 % électriques ou pour les véhicules hybrides, qui sont, suivant les architectures, soit couplés au moteur, soit dans la boîte de vitesses.

M. Stéphane Piednoir. Une filière se développe donc dans ce domaine en France.

M. Charles Aronica. Quelques équipementiers construisent des composants pour les véhicules électriques ou électrifiés, mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui les équipementiers réalisent encore une très grande part de leur chiffre d’affaires sur le moteur thermique, et un petit pourcentage sur le véhicule électrifié. C’est logique, au regard de la structure des ventes. Néanmoins, des investissements importants sont réalisés sur le véhicule électrifié.

Récemment chez un équipementier fondeur membre de la FIEV, j’ai vu des rotors pour moteurs électriques. Il cherche un partenariat. Il est certain que si les ventes croissent de manière importante, le marché suivra.

M. Hugues Boucher. Aujourd’hui, pour un véhicule électrique, la valeur ajoutée est sur la batterie, qu’on ne maîtrise pas. La volonté politique, française et européenne, est de développer l’industrie de la batterie, avec des consortiums en constitution, mais c’est pour viser la quatrième génération. Il ne faut pas essayer de rattraper les Chinois. Pendant des années les Asiatiques ont essayé de rattraper notre technologie, il ne faut pas faire l’inverse.

Il faut rassurer le marché et inciter les investisseurs à venir en France. Quel est l’intérêt d’aller construire des batteries dans l’est de l’Europe où l’électricité n’est pas vraiment décarbonée ? Il faut aussi alléger les taxations de la production, pour attirer chez nous les investissements. La visibilité donne confiance aux investisseurs, quand ils entendent des messages contradictoires, ils se posent de fortes questions sur l’intérêt de venir investir en France.

C’est un point fondamental. Si l’on veut que l’industrie des équipementiers, et l’industrie automobile en général, continue à se développer ou à se redévelopper en France, il faut de la visibilité et un cadre, notamment fiscal, qui le permette. La fiscalité de la production représente un véritable problème, d’ailleurs le Gouvernement en a conscience. Il y a des contraintes budgétaires, mais c’est un point très important.

M. Stéphane Piednoir. Un changement de technologie impliquant une évolution des compétences, quelles sont les actions prévues pour la formation ?

M. Hugues Boucher. Nous sommes pleinement conscients du problème. C’est un travail mené en partenariat avec les deux constructeurs. C’est l’un des axes du contrat stratégique de filière, que nous essayons aussi de développer en région, au plus près des entreprises. Les métiers se transforment, l’Observatoire des métiers de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (IUMM) donne une visibilité sur les compétences à acquérir. Certaines entreprises, les grands groupes, ont leur académie propre pour ces évolutions de métiers, mais même certains sites importants n’ont pas la capacité d’avoir de telles académies. Nous essayons de trouver l’ingénierie de formation adaptée pour leur permettre de mettre en œuvre ces formations. Nous en sommes conscients, et voyons les trajectoires, maintenant nous sommes en phase de déploiement et d’accompagnement.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que cela se fait en lien avec l’Éducation nationale ?

M. Charles Aronica. Il existe deux problématiques, d’une part, la formation continue et de l’anticipation de la transformation des compétences, et, d’autre part, la formation initiale. Aujourd’hui, on n’est plus ingénieur mécanique, mais mécatronicien, ce ne sont plus les mêmes approches. La thermique interne, mais aussi la gestion de l’énergie sont clés pour tous les types de véhicules de 2030 ou 2040. Même pour un véhicule électrique, la clé est la gestion de l’énergie. Nous avons donc beaucoup de métiers à développer. En dehors de la motorisation, sur toute la partie véhicules connectés et autonomes, l’autre rupture technologique, nous avons énormément de compétences à développer et de compétition sur le marché de l’emploi. Tout le monde recherche les mêmes profils, en France, mais aussi au-delà. Sur ce point, j’aimerais souligner l’importance critique du crédit impôt recherche (CIR). Par exemple Continental, que votre collègue a visité en décembre dernier, a fait un investissement massif à Toulouse sur un centre d’ingénierie pour la gestion des données du véhicule, parce qu’ils trouvent des ingénieurs très compétents et, grâce au CIR, très compétitifs. C’est un avantage qu’il faut absolument garder, parce qu’on aura besoin dans les prochaines années de beaucoup de développement et d’ingénierie.


Audition de

M. Yannick Perez, professeur associé à CentraleSupélec,

maître de conférences HDR- RITM à lUniversité Paris-Sud

 

Mercredi 6 février 2019 au Sénat

 

M. Yannick Perez, professeur associé à CentraleSupélec, maître de conférences HDR- RITM à lUniversité Paris-Sud. Je suis enseignant-chercheur en sciences économiques à CentraleSupélec. Mon rôle, en tant qu’économiste, consiste à orienter les recherches des ingénieurs vers des technologies qui s’accordent au mieux avec les réglementations actuelles, jusqu’à ce que celles-ci soient devenues obsolètes, les innovations technologiques nécessitant alors une modification du cadre juridique. La confrontation à des verrous réglementaires est inéluctable, car la loi prend en compte les technologies passées, non les technologies futures imprévisibles.

La mobilité électrique fait partie de ces ruptures technologiques. En effet, il semblait jusqu’alors impossible techniquement de stocker de l’électricité à un coût raisonnable. Cette impasse technique a permis au transport et à la distribution d’énergie de devenir des activités en monopole. Toutefois, l’émergence de batteries mobiles de taille conséquente, capables de se charger et de se décharger à des endroits distincts, remet en question ce paradigme. Nous disposons d’ores et déjà de batteries surdimensionnées, d’une capacité moyenne de 50 kWh, correspondant à 450 kilomètres d’autonomie, ce qui dépasse largement les besoins journaliers des automobilistes, évalués à environ 30 kilomètres par jour.

Que faire de cette gigantesque capacité énergétique, non utilisée par la mobilité quotidienne, qui pourrait donc servir à d’autres usages, notamment le stockage de l’électricité ? Le stockage de l’électricité possède une valeur de flexibilité. Grâce aux batteries embarquées à bord des véhicules électriques, cette valeur peut se déplacer, et permettre la gestion des problématiques de localisation ainsi que de temporalité de la demande d’électricité.

La réglementation actuelle apparaît extrêmement inadaptée au stockage de l’électricité, compte tenu de la nouveauté de ce procédé. Toutes les règles tarifaires sont calées sur une offre et une demande immobiles, et la plupart des consommateurs sont soumis à un tarif réglementé fixe ou jour-nuit. Or, la mobilité électrique permet un stockage mobile de l’électricité.

En raison de la péréquation nationale, il n’existe pas de signaux tarifaires locaux. Pourtant, les réseaux de distribution n’ont pas les mêmes caractéristiques, la même densité, ou encore la même résilience, et les réseaux de transport ne sont pas également développés d’une région à l’autre. Par exemple, il n’y a pas de production d’électricité en région parisienne, alors que la consommation y est massive. La réglementation est donc en inadéquation avec les problématiques de temporalité et de localisation dont doivent s’accommoder les gestionnaires de réseaux. Plus précisément, les règles économiques ne sont pas en phase avec les règles techniques.

Des tests sont aujourd’hui menés sur le stockage décentralisé permis par le vehicle-to-grid (V2G). En effet, compte tenu de la réglementation existante, il est tout de même possible de rendre des services aux réseaux de transport et de distribution. Parvenir à monétiser ces services permettrait de réduire le coût total de possession d’un véhicule électrique.

CentraleSupélec a passé un contrat pluriannuel avec le groupe PSA, permettant de financer des études portant sur les aspects techniques, économiques, réglementaires et le business model de l’électromobilité, afin de favoriser son développement. Dans le cadre de la chaire de recherche Armand Peugeot, des études doctorales en sciences de l’ingénieur, sciences économiques et sciences de gestion sont menées, pour faciliter la compréhension et la résolution des problèmes. En particulier, plusieurs thèses consacrées aux problèmes techniques et économiques posés par la participation des flottes de véhicules électriques aux services pour les réseaux de transport et de distribution, ou le couplage avec les énergies renouvelables intermittentes et décentralisées, ont été soutenues.

L’annonce de la fin de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040 me semble être un objectif parfaitement atteignable, au vu des objectifs annoncés par nos voisins européens. La Norvège propose la même mesure dès 2025, alors que les Néerlandais et les Allemands suivront d’ici 2035. Le défi se situe plus au niveau de la mise en place d’une gouvernance à la fois européenne, nationale, régionale et locale, avec un partenariat entre public et privé, la mobilité concernant l’ensemble de la population, qui se déplace différemment selon son positionnement géographique. Ainsi, pour résoudre les problèmes techniques, économiques, sociologiques, et légaux de l’ensemble des acteurs, il faut mener une analyse tranche par tranche de la mobilité locale, afin de déterminer précisément à quel public l’on s’adresse, quels sont ses besoins de mobilité, et quelles sont les solutions à proposer.

Le développement de l’électromobilité est aujourd’hui confronté à deux principaux freins : la mobilité longue distance et l’accès à une prise. D’une part, les automobilistes n’achètent pas de véhicules électriques, car leur achat est conditionné par leur besoin de départ en vacances, et leur peur de ne pas avoir d’infrastructures de recharge à disposition. En effet, les choix des consommateurs ne sont pas aujourd’hui très rationnels d’un point de vue technico-économique. Ainsi, préfèrent-ils acheter un SUV qui leur permettra de partir en vacances avec leur famille, qu’un véhicule plus simple répondant à leurs besoins du quotidien. L’axe clé est donc le réseau national autoroutier qu’il est nécessaire de mailler avec des infrastructures de recharge fiables, capables de gérer les transhumances. Les trajets estivaux ne devraient pas poser trop de difficultés, car la consommation énergétique est basse en juillet et en août. En revanche, les déplacements de Noël et de février seront plus complexes à gérer.

D’autre part, il est impératif que les automobilistes aient accès quotidiennement à une prise, sur leur lieu de travail ou à leur domicile. Pour équiper un habitat individuel, il est nécessaire de disposer de suffisamment d’espace pour avoir une place de parking, et ensuite de s’assurer que cet emplacement est électrifiable. Or, l’INSEE estime qu’un habitat individuel dispose d’une place de parking dès lors que la surface du terrain adjoint est suffisante, ce qui n’implique pas nécessairement que la place soit électrifiable. Il faut donc considérer les statistiques avec attention, car les critères d’observation ne sont pas toujours adaptés aux problématiques récentes.

En ce qui concerne l’habitat collectif, les problématiques sont multiples. Dans un premier temps, l’immeuble peut tout simplement ne pas avoir de parking. Pour les copropriétés disposant de parking, le droit à la prise n’est peut-être pas optimal. Pour faire valoir ce droit, il faut demander l’avis du syndic, qui dispose ensuite de trois mois pour répondre à la demande du copropriétaire. Si aucune réponse n’est donnée dans les six mois, les travaux sont de droit. Les délais pour faire installer une borne de recharge dans un habitat collectif sont donc très longs. D’autre part, une loi impose aux nouveaux bâtiments d’être pré-équipés pour l’installation de bornes de recharges. Cependant, le taux de rotation des bâtiments est de 1 %, ce qui signifie que 80 % des bâtiments qui existeront en 2040 sont déjà construits. Compter sur la dynamique du marché pour apporter une solution à la mobilité électrique n’est donc pas suffisant. Il faudra trouver de nouveaux dispositifs juridiques, plus rapides et plus efficaces pour les 80 % de bâtiments non renouvelés d’ici 2040.

Pour la recharge sur la voie publique, il faut aussi rechercher de nouveaux business model. Une première solution consisterait à électrifier massivement les stations-service. Pour cela, il faudrait que la recharge électrique se fasse sur des temps très courts, comme c’est le cas pour les véhicules thermiques qui se rechargent en 6 minutes. Or, si l’on veut atteindre un temps de recharge équivalent pour les véhicules électriques, il est nécessaire que les batteries du futur ne soient pas trop grandes, tout en étant capables d’accepter de grandes puissances pour se recharger. À cet égard, le réseau IONITY délivre dès aujourd’hui une puissance de 350 kW, qui permettrait de recharger une Zoé en 6 minutes, si elle était techniquement capable de se recharger à cette puissance, ce qui n’est pas le cas. Le seul véhicule capable de supporter une telle puissance de recharge sera la Panamera électrique, dont la commercialisation est prévue pour fin 2019 ou début 2020. Pour tous les autres véhicules sur le marché à l’heure actuelle, le temps minimal de recharge est de 40 minutes.

La recharge rapide ou ultra-rapide ne peut être la solution, parce qu’elle n’est pas adaptée aux modèles existants. Il faut donc simultanément mettre en place des solutions de recharge lente, sachant qu’un véhicule est garé 90 % du temps, soit 22 heures sur 24. En tant qu’économiste spécialisé dans la recharge intelligente, je suis peiné de voir des voitures électriques garées sur le bord de la route, comme des véhicules thermiques, sans être connectées au réseau, ce qui autoriserait la recharge intelligente. Il s’agit d’un important manque à gagner pour la collectivité.

La plupart des solutions de recharge intelligente n’existent pas encore. En France, il n’existe pas de recharge intelligente, ni en voirie, ni dans les bâtiments, et pas de cadre juridique pour inciter à une recharge couplée avec les énergies renouvelables. Il existe bien une tarification pour les énergies renouvelables, via l’autoconsommation individuelle et collective, mais elle s’avère plutôt punitive vis-à-vis du développement des énergies renouvelables, car le régulateur craint que ce soit les pauvres qui subventionnent les riches. Les synergies existantes, entre électromobilité et énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, ne sont pas encore bien explorées et documentées, alors qu’il serait avantageux de les favoriser.

Un autre problème auquel nous sommes confrontés concerne le manque d’observations structurées, malgré l’abondance des données. Il est impératif que les données soient mises à disposition des différents acteurs, et utilisées de manière intelligente. Par exemple, les constructeurs automobiles disposent de données concernant la recharge, mais considèrent qu’elles sont privées. De plus, les données des installateurs de bornes ne sont pas forcément transmises, du moins rapidement, au Groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules (GIREVE), lequel ne rend pas nécessairement ses données publiques dans les meilleurs délais. La création d’un observatoire de la mobilité électrique, pour centraliser les efforts de gestion des données, serait donc assez pertinente, d’autant que les plateformes se multiplient : GIREVE, Association Française pour l’Itinérance de la Recharge Électrique des Véhicules (AFIREV), Plateforme automobile (PFA), AVERE-France, etc. ce qui les rend floues et inefficaces. De nombreux acteurs du secteur sont intéressés par la création et la gestion d’une telle plateforme, mais je pense qu’il serait plus raisonnable d’en confier la responsabilité à des personnes issues du monde académique. Je constate, à regret, que mes homologues universitaires allemands collaborent étroitement avec les industriels, ce qui mène à une connivence entre industriels et chercheurs, pratique peu ancrée dans la culture française.

D’après nos retours d’expérience, il s’avère extrêmement complexe d’obtenir des données récentes et correctement documentées sur le déploiement des infrastructures de recharge, leur fonctionnement, ou encore le nombre de personnes qui les utilisent. De telles données permettraient pourtant de disposer de critères d’évaluation de la pertinence de l’emplacement d’une infrastructure à un endroit particulier. Je ne veux pas faire un procès aux maires, mais ils ont tendance à installer des bornes de recharger à côté des mairies, afin de démontrer leur volontarisme en la matière. Cependant, la place de la mairie n’est pas forcément l’endroit le plus fréquenté ou passant d’une ville, sauf s’il s’agit également de la place du marché.

Il y a donc un véritable besoin de coupler les études de mobilité et les études d’installation. Il serait particulièrement intéressant d’avoir accès à des données d’ENEDIS pour éclairer les collectivités territoriales sur le choix d’un emplacement où implanter une borne de recharge à moindre coût. C’est d’autant plus important que les caractéristiques du réseau de distribution électrique peuvent énormément varier à une échelle très fine. Par exemple, placer une borne de recharge sur la gauche ou la droite d’une rue peut avoir des conséquences financières extrêmement fortes, de l’ordre du triplement du coût des travaux. Minimiser les coûts de raccordement des infrastructures de recharge nécessiterait qu’ENEDIS réalise une cartographie des 36 000 communes de France, pour indiquer les emplacements les plus propices à l’installation de bornes de recharge. Cela permettrait aux collectivités de mieux planifier le déploiement des infrastructures de recharge sur leur territoire et de mieux en anticiper les coûts. En définitive, des efforts restent à faire dans la gestion intelligente des données, malgré les protocoles « open data », qui doivent encore être mis en œuvre efficacement, afin que les décisions décentralisées soient les plus judicieuses possibles.

Une problématique sous-jacente à la disponibilité des données, porte sur la guerre des standards de prises. Les normes relatives à la recharge intelligente se multiplient, avec l’émergence de normes japonaises et américaines. Il serait donc judicieux de voir apparaître une norme européenne qui pourrait, à l’image de la norme GSM, devenir une norme à l’échelle mondiale. La norme 15-118 de communication entre les bornes, les véhicules et les réseaux pourraient devenir cette norme de référence. Les guerres de standards dans le domaine des communications n’ont pas nécessairement une grande visibilité. Pourtant, ces standards peuvent se révéler cruciaux pour l’émergence des services intelligents destinés aux bâtiments et aux réseaux. En effet, la capacité à développer un standard économique, permettant de communiquer des informations très rapidement, représente une condition sine qua non de la mise en place généralisée de la recharge intelligente.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Vous avez mentionné une autonomie de 450 kilomètres pour 50 kWh de batterie. Or, nous entendons plus souvent parler de 20 kWh de batterie pour parcourir 100 kilomètres. Pouvez-vous nous expliquer cette disparité ?

M. Yannick Perez. Cela dépend de l’usage du véhicule. Le chiffre que je vous ai donné correspond aux données du constructeur, non à un retour d’expérience d’usager. La Renault Zoé II, équipée d’une batterie de 40 kWh, réalise réellement 300 kilomètres. On peut donc espérer qu’avec 50 kWh supplémentaires, on gagne 100 kilomètres d’autonomie. D’après TESLA, ses voitures équipées de batteries de 100 kWh parcourent 600 kilomètres, avec chauffage et radio allumés.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez évoqué l’idée d’une tarification locale de l’énergie. Ne pensez-vous pas que cela engendre des problèmes d’équité d’accès à l’énergie ?

M. Yannick Perez. En économie, nous séparons les problèmes d’efficacité et d’équité, car il est très difficile, voire impossible, de les gérer simultanément. Les économistes ont tendance à rechercher en premier lieu l’efficacité. Les mesures sociales ne posent pas de problèmes, mais sont complémentaires à la recherche d’efficacité. Par exemple, si l’on décide de faire payer plus cher un consommateur situé à un endroit où le réseau est saturé, ce qui peut paraître injuste de son point de vue, rien n’interdit de mettre ensuite en place une aide spécifique pour ce consommateur. Procéder ainsi permet d’éviter les subventions croisées sur le réseau de distribution d’électricité.

Il faut garder à l’esprit que Paris intra-muros génère 150 millions d’euros de bénéfice annuel, servant à compenser les 50 millions d’euros de déficit annuel de la Creuse et du Cantal, départements du centre de la France moins densément peuplés. Les Parisiens subventionnent donc les habitants du Cantal et de la Creuse. L’action sociale est ici cachée dans l’économie. Notre système n’envoie donc pas de signaux aux consommateurs leur indiquant qu’ils génèrent, en fonction de la localisation de leur pour domicile, un coût ou un bénéfice social. Du point de vue de l’économie, cette perte d’information ne permet pas forcément aux consommateurs de faire les bons choix. Par exemple, dans les outre-mer, on envoie un message complètement faux aux habitants, en leur faisant payer un prix aligné sur les tarifs du nucléaire et de l’hydroélectricité, alors que l’approvisionnement énergétique de ces territoires est bien plus carboné qu’en métropole. Pour la société, il serait donc plus pertinent d’informer clairement les consommateurs sur le coût social qu’ils engendrent, et de les aider en conséquence, dans un souci d’équité. En effet, cela créerait un espace économique où l’on cherchera activement à réduire l’écart entre le coût payé par le consommateur et le coût réel pour le réseau national. Cela incitera davantage les consommateurs à faire des gestes dans le sens des économies d’énergie.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Quels sont aujourd’hui les freins principaux au vehicle-to-grid ?

M. Yannick Perez. Il y a, pour l’instant, deux freins essentiels. Le premier est la réglementation inadaptée aux véhicules électriques. Par exemple, pour le réglage de fréquence, il faut aujourd’hui faire une offre d’un mégawattheure pendant une semaine sur le marché européen de la flexibilité. Il s’agit d’une flexibilité massive sur une période assez longue, ce qui nécessiterait que des dizaines de milliers de véhicules électriques soient simultanément connectés et immobilisés pendant une semaine. Il faudrait donc que les réglementations s’orientent vers des plus petits volumes d’énergie et de plus courts laps de temps, afin que les batteries de véhicules électriques soient valorisables sur les marchés de la flexibilité.

Mme Huguette Tiegna. Cette réglementation a-t-elle été créée pour d’autres acteurs ?

M. Yannick Perez. Elle a été créée pour d’autres fabricants de flexibilité. Elle est très adaptée aux gestionnaires de réseaux disposant de centrales au gaz à cycles combinés. Pour une flotte de véhicules électriques, il faudrait que l’offre soit de 100 kWh sur une heure.

Mme Huguette Tiegna. Est-il possible d’adapter facilement les volumes et les durées ?

M. Yannick Perez. Sur le marché du réglage de fréquence, nous avons mutualisé nos ressources avec quatre voisins. Différents acteurs commencent à suggérer qu’il n’y a aucune raison pour que les enchères soient hebdomadaires et portent sur des unités d’un mégawattheure. J’ai d’ailleurs cosigné, avec des membres de mon équipe, des documents montrant que la réglementation actuelle représente une barrière pour le développement de services décentralisés et innovants, comme la recharge intelligente.

Mme Huguette Tiegna. Certains pays européens se sont-ils dotés d’une réglementation adaptée ?

M. Yannick Perez. Le vehicle-to-grid se résume pour l’instant à des protocoles expérimentaux, car il est difficile de convaincre les gestionnaires de réseaux de distribution et de transport du sérieux de cette innovation. Les gestionnaires de réseaux de transport ont en effet tendance à être réticents aux expérimentations, puisqu’ils doivent en permanence garantir l’approvisionnement en électricité, et éviter à tout prix les coupures. Pour pouvoir mener ces tests, il est donc impératif de démontrer la solidité de la technologie expérimentée.

Plus de cinquante expérimentations sont aujourd’hui conduites à travers la planète pour rendre différents services. Les retours d’expérience sont jusqu’ici plutôt favorables. En effet, une flotte de véhicules électriques répond de manière plus fiable et plus rapide que les autres groupes de production. Par exemple, au nord-est des États-Unis, les groupes à charbon et à gaz se sont montrés moins performants que les flottes de véhicules électriques pour fournir des services. En effet, les batteries n’ont qu’à se charger ou se décharger, et peuvent donc répondre à des demandes de flexibilité avec un temps de réaction de l’ordre d’une ou deux secondes. Au contraire, la réponse d’une centrale électrique à une demande similaire est plus incertaine, car dépendante de sa production.

Mme Huguette Tiegna. Le compteur Linky est-il un dispositif suffisant pour généraliser le vehicle-to-grid ?

M. Yannick Perez. Le compteur Linky n’est pas reconnu par le réseau de transport d’électricité comme étant un compteur valide pour rendre des services à ce réseau. Pour rendre des services au réseau de distribution, je suppose que Linky sera reconnu par ENEDIS. Cependant, si je veux rendre des services comme le réglage de fréquence au réseau de transport, je dois installer un deuxième compteur, certifié par RTE. Avec le compteur présent dans la voiture, cela fait trois compteurs pour mesurer la même chose, sachant qu’un compteur n’est évidemment pas gratuit.

Une collaboration entre ENEDIS et RTE sur cette problématique me semble souhaitable mais cela sera pourrait s’avérer difficile, car se posera inévitablement la question du bénéficiaire de la flexibilité apportée par les véhicules électriques. À qui cela profitera-t-il le plus ? On peut même généraliser cette question, et imaginer que le véhicule électrique sera extrêmement utile pour effacer les heures de pointe de consommation, voire des jours entiers de consommation si son usage n’est pas intensif.

M. Stéphane Piednoir. Existe-t-il un risque que les véhicules ne soient pas rechargés totalement car trop sollicités pour rendre des services au réseau, notamment dans le cadre d’un usage quotidien du véhicule ?

M. Yannick Perez. Cela dépend des usages, du lieu de la recharge, et de la disponibilité d’une borne sur le lieu de travail. Si elle est disponible, alors il suffit de disposer de 40 kilomètres d’autonomie pour s’y rendre.

M. Stéphane Piednoir. Est-il possible d’anticiper et de programmer l’utilisation de la batterie pendant la journée ?

M. Yannick Perez. Cela se programme très bien grâce à un smartphone. En parallèle de nos recherches économiques, nous avons développé avec l’Université technique du Danemark (Danmarks Tekniske Universitet ou DTU), des interfaces graphiques permettant aux détenteurs de véhicule électrique de programmer le minimum de charge dont ils veulent disposer le lendemain. Par précaution, les batteries sont chargées 10 % au-dessus du niveau demandé par l’usager.

M. Stéphane Piednoir. Cela nécessite toutefois que le véhicule soit connecté.

M. Yannick Perez. Effectivement, il faut que le véhicule soit connecté et piloté. Ce pilotage peut se faire de différentes manières. Il peut être assuré par la voiture elle-même, via son ordinateur de bord. Ce type de pilotage est déjà implémenté dans les véhicules Renault, aux Pays-Bas notamment. Le pilotage peut aussi être initié grâce à la borne, qui s’assure alors de la communication avec le véhicule.

M. Stéphane Piednoir. Ce deuxième mode de pilotage n’est-il pas dangereux, au vu de l’essor des cyberattaques ?

M. Yannick Perez. Il y a en effet un enjeu de cyber-sécurité. Il faut que les standards que nous mettons en place soient parfaitement sécurisés. Le standard 15-118 évoqué précédemment est un protocole de communication raisonnablement plus sécurisé et plus rapide que les autres. Pour que sa généralisation soit rapide, il faudrait le promouvoir auprès des différents acteurs. Le risque, si on laisse coexister plusieurs standards, c’est qu’aucun standard européen ne se démarque, et ne se généralise grâce à la vente de nos voitures à travers le monde.

M. Stéphane Piednoir. Le pilotage de la recharge représente-t-il un surcoût pour la production du véhicule ?

M. Yannick Perez. Cela dépend si le pilotage est implémenté en option ou en série. S’il s’agit d’une option, alors le consommateur absorbera ce surcoût chiffré entre 600 et 1 000 €, car un constructeur cherche toujours à réaliser une marge importante sur une option. Cependant, si les dispositifs relatifs au pilotage deviennent des équipements de série, alors on pourrait en abaisser le coût par économies d’échelle. Le surcoût ne serait alors que de 100 €, les composants nécessaires à la recharge intelligente étant des composants d’électronique de puissance, existant déjà dans tous les véhicules, et qu’il suffit alors de renforcer. D’après les retours des constructeurs, ces équipements devraient être produits en série.

M. Stéphane Piednoir. Voyez-vous d’autres freins à l’émergence de la recharge intelligente, que nous n’avons pas encore abordés ?

M. Yannick Perez. Il serait essentiel d’expérimenter sur les territoires où les surcoûts de consommation sont délirants. En favorisant l’électromobilité, on pourrait combiner intérêt environnemental et économique, en transférant les subventions perpétuelles au réseau d’électricité vers un investissement qui réduit les coûts à long terme.

Mme Huguette Tiegna. Les possibilités d’expérimentation sont déjà prévues par le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), et devraient aussi faire partie du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Pensez-vous qu’il soit possible de mettre en place de tels dispositifs dans les territoires d’outre-mer ?

M. Yannick Perez. Il serait très intéressant de développer la compétence sur place, avec un accompagnement éventuel. Compte tenu des ressources de ces territoires en ingénieurs et techniciens, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Les constructeurs automobiles ambitionnent d’ailleurs de se servir des outre-mer pour expérimenter la mobilité électrique, la taille de ces territoires supprimant les problèmes d’autonomie. Renault a déjà lancé une initiative expérimentale sur une île portugaise, ce qui conduirait à estimer que les îles portugaises seraient plus innovantes que les îles françaises.


Audition de

M. Yannick Legay, directeur technico-commercial

M. Damien Cabarrus, responsable des affaires publiques France ALSTOM

 

Jeudi 7 février 2019 au Sénat

 

M. Damien Cabarrus, responsable des affaires publiques, ALSTOM. Pour cadrer notre intervention, la présente audition portera plus spécifiquement sur le sujet de l’hydrogène, dont M. Yannick Legay est le spécialiste. Dans les prochains jours, nous espérons pouvoir vous communiquer des éléments relatifs à la mobilité électrique, notamment APS for road, technologie que nous développons pour le transport routier.

M. Yannick Legay, directeur technico-commercial, ALSTOM. En quelques mots, l’APS est un système de captation par troisième rail, mis au point à Bordeaux dans les années 2000, qui fonctionne depuis une bonne quinzaine d’années. Il consiste en sections électrifiées séparées par des zones d’isolement. La sécurité est assurée par la couverture du secteur alimenté par le véhicule. La mise sous tension du barreau est commandée par des émissions radio vers le sol, le contrôle du sol vers le bord, et l’autorisation d’alimentation du barreau. Ainsi, l’alimentation progresse en même temps que le véhicule pour assurer sécurité. Elle s’effectue à 750 volts de façon continue, par l’intermédiaire de deux patins captant de part et d’autre du secteur isolé.

Nous travaillons sur ce projet aux frontières de notre métier qui est le ferroviaire, qui est l’un des modes de transport les moins carbonés, puisque la France bénéficie d’un réseau électrifié très important, dont l’empreinte carbone est essentiellement liée au mix énergétique. Néanmoins, la moitié du réseau français, soit à peu près de 15 000 kilomètres de lignes, reste non électrifiée. Ce sont essentiellement des lignes dites de desserte fine des territoires, dans la mesure où les travaux d’électrification ont été effectués entre des métropoles justifiant de transferts modaux importants. Il reste donc beaucoup de lignes non électrifiées exploitées aujourd’hui en France, nécessitant l’utilisation de trains alimentés au diesel. Ces trains voyageurs au diesel sont aujourd’hui, hors locomotives, à peu près au nombre de 1 200 en France. La plupart ont été mis en service dans les années 1990 – les plus anciens étant les X 73500, surnommés A TER – dont la durée de vie se situe, comme pour tout train, entre 30 et 40 ans. À l’horizon de 2028, des réflexions vont donc devoir être menées pour décider des conditions de remplacement de ces trains qui vont arriver en fin de vie.

Les appels d’offres devront être publiés entre 2028 et 2030. Une durée de vie de 30 à 40 ans, à partir de 2030, nous amène en 2070. Or, il faut respecter l’échéance de 2040-2050, fixée pour la décarbonation totale du transport. Donc, entre aujourd’hui et 2028, il convient de trouver une solution à la décarbonation du transport ferroviaire sur ces lignes non électrifiées.

Aujourd’hui, différentes possibilités existent pour répondre à cette problématique de décarbonation. La première consiste à électrifier. En effet, pourquoi ne pas électrifier toutes les lignes ? Il faut savoir qu’une électrification coûte environ 1 à 3 millions d’euros du kilomètre, en fonction de la complexité des ouvrages d’art à réaliser. C’est donc extrêmement coûteux. On en revient à la justification d’une fréquence importante sur des lignes électrifiées. Électrifier une ligne pour faire passer trois trains par jour n’est pas pertinent. De ce fait, les trains dits à traction autonome – ce dernier terme étant aussi utilisé pour les trains sans conducteur – ont aujourd’hui tout leur sens. Si l’on veut continuer à utiliser le transport ferré partout en France, et pas uniquement sur les grands axes, les trains à traction autonome sont nécessaires.

Si l’on considère que l’électrification des lignes a été globalement réalisée, une alternative pour émettre moins de CO2 peut être l’hybridation, en adjoignant, comme sur les voitures hybrides, une batterie à un moteur diesel, pour minimiser sa consommation. ALSTOM a signé un contrat avec la SNCF et quatre régions françaises : Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Grand-Est et Centre Val de Loire pour développer un train à la fois hybride et bimode. En effet, la connexion entre deux villes comprend parfois des sections électrifiées et d’autres non électrifiées. Par exemple, la ligne Toulouse-Montréjeau-Luchon, évaluée pour la traction hydrogène, est électrifiée entre Toulouse et Montréjeau, les trains pouvant rouler à 160 kilomètres par heure sous caténaires. Mais les derniers kilomètres doivent être parcourus en traction autonome. Les trains bimodes permettent, en mode électrique, de monter le pantographe, et, en l’absence de caténaire, de le baisser, pour passer en traction autonome.

C’est une différence importante avec l’Allemagne, où il n’existe pas de train bimode. En effet, les Allemands acceptent de rouler sous caténaires en mode diesel, ce qui interroge le modèle écologique. Ils acceptent également les ruptures de charge, ce qui implique de descendre du train pour attendre le suivant, par exemple d’un train électrique pour repartir avec un train diesel. C’est dramatique pour l’attractivité du système ferroviaire. Le train bimode, développé en France depuis une dizaine d’années par ALSTOM et ses concurrents, avec le support de la SNCF, constitue une bonne réponse à ces besoins. Néanmoins, même bimodes, ces trains restent pour l’heure diesel. Nous allons chercher à les hybrider, le premier roulage d’un train hybride étant prévu en 2020, et la commercialisation des packs d’hybridation à partir de 2022.

Ensuite, nous avons mené beaucoup de recherches sur les super-capacités et les batteries. Les super-capacités sont de très gros condensateurs qui emmagasinent l’énergie et la restituent. Elles permettent de restituer beaucoup de puissance, mais emmagasinent très peu d’énergie. À l’inverse, les batteries peuvent stocker beaucoup d’énergie, mais on ne peut en tirer énormément de puissance. L’un et l’autre ont donc leurs avantages et leurs inconvénients. Nous avons développé une troisième technologie, mise en service sur le tramway de Nice en juin dernier, dite lithium-capacitor. Elle présente des caractéristiques très intéressantes, en combinant capacités énergétiques et puissance. C’est une technologie qui a un coût, car seulement deux fabricants existent dans le monde. Elle fonctionne avec une très bonne fiabilité à Nice. Elle permet de faire des sauts de puce de 800 mètres, voire même un kilomètre et demi, en considérant que le point de recharge intermédiaire peut s’avérer défectueux. Le tramway recharge en 20 secondes en station et va à la station suivante, où il se recharge à nouveau en 20 secondes, etc. L’emport comporte quand même 3 packs de 2 tonnes sur la toiture, pour un tramway relativement léger.

Nous utilisons les super-capacités en combinaison avec l’APS, pour passer des carrefours ou des ronds-points, pour lesquels l’électrification est relativement coûteuse. Mais elles ne permettent pas de franchir de longues distances. Nous utilisons les batteries en hybridation, et également en traction sur les tramways de Nice.

La batterie présente l’avantage d’être relativement facile à mettre en œuvre. Toutefois, qu’elle soit utilisée sur un train ou un autre véhicule, elle ne constitue pas une solution magique. L’énergie reste l’énergie : pour aller d’un point A un point B, il faut consommer de l’énergie, et, en arrivant au point B, il faut remettre de l’énergie dans le réservoir. Ce peut être un réservoir de gasoil, d’hydrogène, ou électrique, c’est-à-dire une batterie. Dans ce dernier cas, il faut pouvoir acheminer cette énergie, et remplir le réservoir. S’agissant de villes qui n’ont pas été éligibles à l’électrification, du fait de leur éloignement du réseau électrique national, amener l’électricité au point de recharge peut s’avérer très coûteux. Les calculs effectués en Allemagne ont conduit à une fourchette de 1 à 10 millions d’euros par point de recharge. Dans une région montagneuse, loin du réseau distribution haute tension, sans aucune sous-station, nécessitant d’effectuer tous les travaux d’électrification pour installer un point de recharge en station terminale de la desserte, le montant peut devenir aberrant. Par conséquent, la batterie peut représenter une réponse à des dessertes courtes, aujourd’hui d’une quarantaine de kilomètres, dans un certain nombre d’années de 80 kilomètres, en faisant des paris sur l’amélioration des capacités des batteries.

Par contre, la problématique de l’énergie restera toujours la même. Elle est d’autant plus importante que la vitesse de transfert de cette énergie dans le réservoir va dimensionner les courants, donc globalement le réseau électrique à mettre en œuvre, ce qui peut être extrêmement coûteux. Si l’on accepte des recharges lentes, le coût peut rester raisonnable. Toutefois, des batteries de type Tesla, rechargeables en 20 minutes, seront plus chères, vont vieillir plus vite, et le dimensionnement du système d’alimentation va devenir extrêmement coûteux. En résumé, moyennant certaines conditions : une distance pas trop longue, une zone d’électrification pas très éloignée, et la possibilité de recharger en 20 à 30 minutes pour parcourir les 40 kilomètres suivant, la batterie peut représenter une solution.

Aujourd’hui, nous avons lancé une expérimentation un peu plus ambitieuse avec l’hydrogène, qui nous semble être une technologie prometteuse. Cette technologie est devenue récemment à la mode, en prenant une place importante dans les communications scientifiques. Mais nous avions parié sur l’hydrogène dès 2014, en signant un contrat avec trois régions allemandes, le groupe Linde, et l’État fédéral allemand, pour développer le premier train à hydrogène au monde. Ce train, nommé iLint, a été présenté deux ans plus tard, en 2016, et mis en service commercial en septembre 2018 à Bremervörde. Deux exemplaires roulent aujourd’hui en Allemagne. Ce train monomode est dérivé –j’insiste dérivé et non modifié – d’un modèle diesel existant : le Lint, un petit train spartiate et rustique de 54 à 76 mètres, vendu à 1 000 – 1 200 exemplaires en Allemagne. Il existe également en version purement électrique. De ce train, nous avons gardé la structure de caisse et l’aménagement intérieur, en enlevant tout le reste. S’agissant d’un train doté d’un moteur diesel entraînant mécaniquement un essieu, pour passer à l’hydrogène, il a fallu d’abord installer une chaîne de traction électrique, l’hydrogène n’étant pas utilisé pour ses propriétés explosives, mais au travers d’une pile à combustible, qui va générer de l’électricité pour alimenter un moteur. Nous avons donc modifié le train Lint en enlevant ses moteurs, ses cuves à gasoil, etc. Nous avons ajouté tous les éléments nécessaires pour faire tourner un train à hydrogène : un moteur électrique, une pile à combustible, des réservoirs d’hydrogène, et une batterie.

Cette modification a été étudiée par nos ingénieurs, en particulier avec le support de notre centre d’expertise en traction de Tarbes. Nous avons travaillé avec un fournisseur de piles canadien, HYDROGENICS, et un fournisseur de réservoirs d’hydrogène, XPERION. Nous avons réussi à installer tout ce qui était nécessaire pour faire tourner un train à hydrogène, puis nous avons réalisé des tests, et le train a été homologué. L’Office fédéral allemand des chemins de fer, en allemand Eisenbahn-Bundesamt ou EBA, l’a certifié en juin 2018. Enfin, il a été autorisé à être mis en service commercial en septembre 2018.

Cette mise en service est concomitante au boom de l’hydrogène au niveau international, avec ses partisans et ses détracteurs. Les premiers disent que ce vecteur va accompagner le développement des énergies renouvelables, l’hydrogène pouvant être produit en période de sous-consommation. Surtout, l’hydrogène permet de décorréler la production de la distribution. C’est un enjeu extrêmement important. Quand tous les consommateurs vont vouloir recharger leur réservoir énergétique en même temps, il faudra, soit disposer d’un stockage intermédiaire suffisant pour servir tout le monde, soit surdimensionner le réseau de production d’énergie pour répondre aux pics, ce qui n’a pas de sens. Le réseau électrique est déjà surdimensionné par rapport à la consommation moyenne, avec parfois une surproduction énergétique. À mon sens, les batteries vont encore accentuer ce problème d’écart entre le besoin de consommation et le dimensionnement du réseau en pic, sans apporter de solution aux surplus en période de sous-consommation. Par contre, l’hydrogène apporte une solution très intéressante à cette problématique.

Pour autant, ce n’est pas simple. Nous avons mis en œuvre cette solution en mode prototypage. Nous sommes en train de l’expérimenter en ce moment. Les deux trains en circulation commerciale se comportent très bien. Nous avons de petits soucis à résoudre, relativement classiques dans le développement d’un nouveau train, comme des problématiques de vibrations, nécessitant l’ajout de plots élastiques pour découpler les vibrations. Il s’agit de détails de conception ferroviaire ne présentant aucune difficulté. Si l’on se focalise sur le fonctionnement de la traction, tout se passe très bien.

Toutes les régions françaises ayant pris conscience des atouts de l’hydrogène, nous ont sollicitées après la mise en service du train iLint, pour demander quand ALSTOM proposerait des trains à hydrogène en France. Nous sommes allés à leur rencontre, pour expliquer que nous sommes prêts à créer un train à hydrogène en France, s’il s’agit d’un seul modèle pour toutes les régions, et non d’un modèle spécifique à chaque région. Nous commencions en effet déjà à avoir des demandes spécifiques, de tram-train, de Régiolis, ou de modification des trains existants, etc. Le train iLint à hydrogène, même s’il est dérivé du modèle diesel, n’a pas été modifié à partir d’un train déjà fabriqué, ce qui serait très difficile.

Aujourd’hui, certaines régions, conscientes des décisions à prendre en 2028, et du besoin d’expérimentations d’ici là, ont la volonté d’aider à l’émergence de ce train à hydrogène en France. En effet, si la décision de tourner le dos définitivement au diesel doit être prise en 2028, il faut sécuriser l’exploitation, et toute la chaîne de l’hydrogène ferroviaire, incluant le producteur d’énergie, la localisation du point de recharge, l’exploitant, le mainteneur, la direction générale de la prévention des risques (DGPR), l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), tout un ensemble de services de l’État, etc. Quatre ans d’expérimentation en grandeur réelle, entre 2024 et 2028, ne seront pas de trop pour s’assurer de ne pas faire de bêtise : quand on met des gens dans un nouveau train le matin à grande échelle, il faut être assuré que le service ferroviaire fonctionne.

Aussi, entre 2024 et 2028, serait-il souhaitable de mettre en place une mini-flotte, comprise entre 20 et 50 trains, avec un suivi. Aujourd’hui, nous assurons un suivi quotidien de nos trains en Allemagne. S’agissant de prototypage technologique, tous les soirs un technicien vérifie ce qui s’est passé. Il décharge les codes de défauts qui sont analysés. Ainsi, on progresse et on améliore. En France, l’objectif est différent : comment mettre en service commercial réel ? Que se passe-t-il en cas de variation de certains paramètres ? Par exemple, si la distribution de l’hydrogène varie habituellement entre 343 bars et 357 bars, est-ce grave si la pression monte à 359 bars ou descend à 300 ? Si un mainteneur n’effectue pas une opération prévue le soir, qu’advient-il le lendemain matin ? Avec un train diesel ce n’est pas très grave, le train repart le matin. Sur un train hydrogène existe-t-il la même tolérance à certains facteurs humains ? C’est une question très importante. Pour qu’un système soit fiable, on le voit bien dans l’industrie, il faut qu’il soit autoporteur. Quand un système prototype est suivi par une équipe de techniciens, il fonctionne sans souci. Mais si le système est livré à lui-même, il faut qu’il soit « idiot proof », sinon il rencontre vite des problèmes.

Pour cette raison, effectuer cette expérimentation entre 2024 et 2028 nous apparaît essentiel. Si l’on remonte dans le temps, pour disposer d’une mini-flotte en 2024, il faut que les premiers trains aient subi la phase d’homologation et d’autorisation de mise en service commercial en 2022, pour permettre la fabrication de 2022 à 2024. Fabriquer un train en 2022 implique de passer une commande au premier semestre 2019, ce à quoi nous nous employons depuis septembre dernier avec la SNCF, et un certain nombre de régions.

Nous avons fait un premier tour de table, à l’invitation du directeur général TER de la SNCF, M. Franck Lacroix, et du président de la commission Transport et mobilité de Régions de France, M. Michel Neugnot, qui a invité toutes les régions à venir partager leurs souhaits d’expérimentation de ce train hydrogène. S’agissant d’une vingtaine ou d’une cinquantaine de trains, il faut identifier les régions intéressées. Le ticket d’entrée pour le développement de ce train est élevé. Il faut le financer. Une première réunion s’est tenue le 5 décembre 2018, la prochaine, prévue le 22 février 2019, permettra de savoir si les régions ont mûri leurs besoins.

Aujourd’hui, notre objectif est de construire une version hydrogène du train Régiolis à 4 caisses de 76 mètres, dont 300 exemplaires ont déjà été fabriqués, avec une cinquantaine encore en commande. Ce modèle a été diffusé dans toutes les régions. Aussi, les équipes savent le maintenir et l’exploiter. Nous avons choisi cette plateforme qui est la plus récente, et conforme aux dernières normes européennes, en termes de certification. Par rapport à une version qui serait bimode, électrique et diesel, les exercices de chiffrage menés nous amènent à un surcoût cible, pour le seul investissement, d’environ 30 %.

Les tout premiers exemplaires seront un peu plus chers, mais c’est normal. Il y a un effet de montée en compétences et de volume. Si ce projet se limitait à un ou deux trains, ce ne seraient pas du tout les mêmes coûts. En effet, il faut également intégrer les frais d’ingénierie, pour la transformation de ce train en modèle hydrogène. Ils s’élèvent à ce jour, avec les coûts de certification, à environs 50 millions d’euros pour ALSTOM. La SNCF a également présenté un certain nombre de coûts associés au suivi ce projet. Au-delà de ces coûts d’investissement, en termes d’opérations, on estime qu’un train à hydrogène consomme entre 35 et 45 kg d’hydrogène aux 100 kilomètres, en tenant compte des rendements décroissants pendant la vie du matériel. Sur cette base, nous avons cherché le point d’équilibre avec le coût d’exploitation du diesel en 2018-2019. Le coût cible de l’hydrogène auquel nous sommes parvenus est situé aux alentours de 4,50 euros du kilo.

D’après les énergéticiens ce coût semble tout à fait atteignable. Il l’est déjà en technologie vaporeformage, même si ce n’est pas du tout la cible. Est-ce qu’il faut attendre de disposer de l’hydrogène vert pour démarrer ou faut-il démarrer avec de l’hydrogène issu du vaporeformage en attendant ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Cette question de la décarbonation de l’hydrogène est régulièrement mentionnée. Comment faire pour l’accélérer ?

M. Yannick Legay. Compte tenu des rendements, même l’hydrogène issu du vaporeformage permet d’obtenir au final des gains de 45 % pour les émissions de CO2, de 100 % pour le NOx, etc., ce qui est déjà très vertueux. Nous visons les 100 % avec l’hydrogène vert, mais il ne faut pas attendre les 100 % pour démarrer.

M. Stéphane Piednoir. Le rendement énergétique de la chaîne hydrogène n’est pourtant pas très élevé.

M. Yannick Legay. C’est exact, mais par rapport à la motorisation diesel, on a l’avantage d’avoir ajouté une batterie mise en tampon, qui permet de récupérer l’énergie de freinage. Avec le moteur diesel, au freinage l’énergie cinétique est perdue.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce significatif ?

M. Yannick Legay. Tout à fait, en raison du poids très élevé d’un train.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Il faut fixer des étapes pour atteindre un hydrogène 100 % décarboné. Vous avez tout à fait raison, l’hydrogène est devenu un sujet d’actualité. Les professionnels du secteur savent qu’un délai sera nécessaire pour atteindre 100 % d’hydrogène propre, mais dans l’opinion publique on entend qu’on ne sait pas le produire.

Il est vrai que les citoyens voient l’application des technologies quand ils les utilisent. Or, il n’existe que très peu de voitures à hydrogène. Les trains à hydrogène, on en entend parler, notamment en Occitanie, mais sans réalisation concrète.

En termes de coûts, vous avez indiqué dans votre présentation que chaque région voulait son prototype, adapté à ses besoins. C’est un peu la difficulté avec les élus, chacun souhaitant toujours une solution spécifique à son territoire. Quelles sont les régions intéressées par ce modèle unique ?

M. Yannick Legay. Cet après-midi, une réunion avec les experts de la SNCF portera justement sur ce projet. Il nécessite d’installer la pile à combustible avec le bon niveau de puissance par rapport au type de train. Le plus petit dénominateur commun auquel nous sommes parvenus, avec toutes les régions concernées, est le train Régiolis quatre caisses. Pour le train hydrogène les régions impliquées sont, tout d’abord, les Hauts-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, et bien entendu l’Occitanie.

M. Damien Cabarrus. L’Occitanie a annoncé, dans le cadre d’une récente délibération, une commande de trois rames hydrogène, intégrée à une commande plus globale de seize rames Regiolis au total.

M. Yannick Legay. La région Grand-Est a également exprimé son intérêt, et annoncera le 22 février 2019 le nombre de rames qu’elle serait prête à acheter. La région Sud est intéressée pour une liaison Marseille-Aix-Briançon. La région Auvergne-Rhône-Alpes, dans le cadre de la Zero Emission Valley (ZEV), souhaiterait aussi acquérir des trains à hydrogènes. Ils auraient aimé qu’ils soient rétrofittables, mais la complexité est telle qu’on ne peut l’envisager dans l’immédiat.

Les régions Normandie et Centre-Val-de-Loiresont plus en retrait. La région Bretagne ne s’est pas du tout exprimée. La région Île-de-France n’a qu’une ligne non électrifiée, mais n’écarte pas l’idée d’une acquisition. La région Nouvelle-Aquitaine s’est déclarée intéressée, sans pour autant s’engager sur un achat.

Concernant la capacité des énergéticiens à produire de l’hydrogène vert, on voit apparaître dans les différents territoires, par exemple en Bourgogne-Franche-Comté, à Toulouse, à Marseille, etc. des appels à projets pour la mise en place d’électrolyseurs. Une autre source possible est l’hydrogène fatal, sous-produit d’une industrie chimique. La région Hauts-de-France dispose de beaucoup d’hydrogène fatal qu’elle souhaite valoriser dans les transports.

M. Stéphane Piednoir. Un aspect souvent mentionné pour les voitures particulières à hydrogène, non encore évoqué, est celui de la sécurité. L’acceptabilité de la technologie hydrogène, en termes de rejets, apparaît bonne, mais il existe une inquiétude sur l’idée d’embarquer une source de danger supplémentaire dans le véhicule. J’imagine que sur un train, ce problème est décuplé. Comment gérez-vous cette question ?

M. Yannick Legay. Le syndrome du dirigeable Hindenburg reste malheureusement vivace, même si à l’époque l’hydrogène était contenu dans une toile, alors qu’aujourd’hui il est stocké dans des réservoirs en polyéthylène renforcé, avec de la fibre de carbone, et des systèmes de sécurité.

Effectivement, nous avons déjà pris contact avec l’EPSF, qui dépend de la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGTM). Ils nous ont demandé comment nous avions procédé en Allemagne. En Allemagne, l’EBA, équivalent de l’EPSF, s’est déclarée incompétente, et a demandé à une autorité de certification externe indépendante, le TÜV-Süd (Technischer Überwachungsverein Süd), de bâtir un référentiel normatif pour l’hydrogène. Le TÜV est un très grand organisme, similaire à VERITAS ou à l’APAVE, comprenant notamment une branche ferroviaire et une branche gazière. Ces deux branches ont travaillé au sein de cet organisme pour définir le contexte normatif auquel doivent répondre les constructeurs, qui veulent utiliser l’hydrogène pour propulser un train. L’EBA a accepté le référentiel proposé. ALSTOM a dû apporter les preuves de conformité de sa conception à ces exigences, pour l’essentiel issues de l’industrie gazière.

L’hydrogène, quand il fuit à petites doses, n’est absolument pas dangereux. Le remplissage de l’hydrogène se fait à l’air libre, avec un tuyau et une vanne. Il n’y a aucun besoin de robot ou d’autres dispositifs spéciaux. Une molécule d’hydrogène va se recombiner instantanément avec l’oxygène. L’hydrogène commence à devenir dangereux en cas de confinement, et en présence d’une étincelle. Première mesure, nous avons installé les réservoirs sur les toits des trains, tout comme les piles à combustible, et la tuyauterie. Nous ne souhaitons pas faire circuler l’hydrogène à l’intérieur du véhicule, afin d’éviter tout risque de confinement. Ce ne serait pas impossible, car la quantité d’hydrogène circulant est très faible. Les réservoirs sont à 350 bars, mais à la sortie un réducteur réduit la pression à 10 bars. Le cheminement s’effectue à cette pression, au travers d’un tuyau de petit diamètre. Le volume d’hydrogène est donc très faible dans la tuyauterie et la pile à combustible. Aussi, les problèmes de sécurité se concentrent-ils sur le volume d’hydrogène stocké dans le réservoir.

Ces réservoirs à 350 bars sont homologués type 4, avec une enveloppe polyuréthane et un blindage en carbone. Ils sont protégés pour résister à une chute de caténaire. Si une caténaire venait à tomber sur un réservoir, il ne se passerait rien, ainsi que cela a été vérifié. En cas de crash ou d’incendie, comme sur une voiture au gaz, des vannes de surpression libèrent l’hydrogène dans l’atmosphère. Le choix de l’orientation des vannes d’échappement, vers le haut, le bas ou le côté, sera effectué par les pompiers, qui sont mis en danger en cas d’intervention.

Cette question de sécurité n’est absolument pas triviale et représente une préoccupation de chaque instant en phase de la conception. Mais assis sur l’expérience des gaziers et notre expérience dans le domaine ferroviaire, nous savons évaluer l’impact, pour un tuyau, un câble ou un autre composant, des vibrations générées lorsqu’ils sont embarqués dans un train.

Nous réalisons des safety case, c’est-à-dire des analyses de risques, avec des événements redoutés : explosion, incendie, etc. Ensuite, nous remontons la chaîne par une analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC), permettant d’étudier, composant par composant, comment sa défaillance pourrait générer un risque. Cette analyse est examinée par un regard extérieur, avant d’être présentée à l’organisme certificateur.

Mme Huguette Tiegna. Existe-t-il des besoins d’évolutions réglementaires ou législatives, en lien avec le plan gouvernemental pour l’hydrogène ?

M. Yannick Legay. Aujourd’hui il n’existe pas de réglementation ferroviaire pour l’hydrogène de traction. Pour le transport du fret, certains paragraphes traitent du transport de l’hydrogène, en tant que marchandise. Mais cette réglementation n’est pas applicable, de la même manière que la réglementation pour les wagons-citernes n’est pas applicable au gasoil utilisé en tant que carburant. En France, l’EPSF a prévu de procéder comme l’EBA en Allemagne, en faisant appel à un organisme externe pour évaluer les risques associés au ferroviaire. Pour nous, un organisme européen tel que le TÜV serait optimal, parce qu’il a déjà fait ce travail, ce qui éviterait de réinventer la roue.

Mme Huguette Tiegna. Pour les expérimentations, rencontrez-vous des difficultés particulières, comme c’est parfois le cas pour les entreprises qui ont besoin de plus de flexibilité pour pouvoir les mener ?

M. Yannick Legay. Pour nos bancs de test, à Tarbes, la DGPR a vérifié que les locaux étaient bien aérés et dotés de détecteurs dans les zones potentiellement confinées. Pour nos installations en Allemagne où les trains hydrogène sont fabriqués, nous avons été amenés à réaliser plusieurs modifications : ajouter des détecteurs de concentration d’hydrogène sur les toitures des bâtiments destinés à la maintenance des piles à combustible ou aux essais, pour déclencher des ouvertures automatiques en cas de dépassement des seuils, et réaliser un zonage ATEX des bâtiments, relatif aux risques d’étincelles, parasites, etc.

M. Stéphane Piednoir. Vous avez mentionné une évaluation des risques par un organisme européen. Peut-être faudrait-il une coordination européenne, voire un consortium européen. ALSTOM est un peu dans l’actualité. On sait que sur ces sujets-là, on ne va pas pouvoir raisonner à l’échelle d’un pays comme la France.

M. Yannick Legay. Beaucoup d’initiatives sont prises au niveau européen, en particulier au sein du FCH JU, ou Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking, un groupe de réflexion européen, qui réalise, au travers du cabinet de conseil Roland Berger, des études dans tous les pays, pour analyser comment fédérer, harmoniser, et surtout faire émerger des projets. Beaucoup de financements sont prévus par la Commission européenne pour les projets hydrogène, mais ils ne semblent pas destinés aux industriels comme ALSTOM. Ce serait semble-t-il considéré comme une forme de concurrence déloyale. Par contre, les territoires sollicitent le FCH JU pour financer un certain nombre de projets régionaux, comme HYPORT à Toulouse ou Zero Emission Valley (ZEV) en région Auvergne-Rhône-Alpes.

Mme Huguette Tiegna. Pour revenir à l’actualité, quel est l’impact de l’absence de fusion entre ALSTOM et SIEMENS, compte tenu de la concurrence internationale ?

M. Yannick Legay. Sur le sujet d’aujourd’hui, les Chinois travaillent sur des trains à pile à combustible, et les Japonais aussi. J’imagine que les moyens mobilisés sont proportionnés à la taille de leurs entreprises. C’est aussi le cas pour nous : deux petits projets menés par des entreprises distinctes sont potentiellement moins optimisés que ne l’aurait été un projet commun plus important. Ce qui a été annoncé hier ne nous empêchera pas de continuer à nous différencier par l’innovation. Si nous continuons à innover, pour réaliser de nouveaux projets qui vont dans le sens de l’histoire, en particulier pour la décarbonation, nous pensons pouvoir continuer à nous différencier, et rester leader du marché dans ce domaine.

M. Damien Cabarrus. Indépendamment de cette décision, ALSTOM a de très bons fondamentaux, et une très bonne visibilité, même si la préférence du groupe était une alliance, pour compléter le portefeuille d’activité. Maintenant une page est tournée.

M. Yannick Legay. Quand l’hydrogène sera à même de remplacer les énergies fossiles, comme nous l’espérons tous, en 2030, 2040 ou 2050, le ferroviaire hydrogène ne représentera pas un eldorado pour les énergéticiens. Par contre, aujourd’hui le ferroviaire peut permettre de mettre fin au cercle vicieux, qui fait que l’hydrogène vert n’est pas produit, car trop cher, et qu’il n’est donc pas non plus utilisé. Nos calculs montrent que cinq trains à hydrogène circulant sur une ligne, par exemple entre Lyon et Clermont, consommeraient environ une tonne d’hydrogène chaque jour.

Aujourd’hui, pour les énergéticiens, cela représente une très importante consommation, qui plus est très régulière, identique tous les jours de l’année, et géo-localisée, les trains revenant tous les soirs au même endroit, un seul point de distribution est requis. Pour eux, c’est du pain béni. Engie, EDF, Air Liquide et les autres nous affirment que pour un seul point de distribution ferroviaire, ils pourraient installer un gros électrolyseur, permettant une production massive d’hydrogène vert. Cela permettrait de rompre le cercle vicieux, pour en faire un cercle vertueux, en produisant un peu plus d’hydrogène vert, pour en faire bénéficier les bus, les taxis, etc.

Dans vingt ans, le ferroviaire représentera peu de chose dans la consommation d’hydrogène. Par contre, aujourd’hui, nous pensons qu’il peut permettre d’initier la production de l’hydrogène vert, et si nous pouvons y contribuer, nous en serons très heureux.


Audition de

M. Éric Nottez, président, SNAM

 

Jeudi 7 février 2019 au Sénat

 

M. Éric Nottez, président, SNAM. Je dirige la SNAM depuis maintenant onze ans. Bien que français, j’ai passé beaucoup plus de temps à l’international qu’en France. J’ai travaillé dans de nombreux pays très différents, à travers tout le continent européen, mais aussi au Moyen-Orient, et un peu aux Amériques. Mon profil s’inscrit au croisement de la logistique, des finances, du droit, de la métallurgie, et, par passion, des énergies renouvelables ainsi que de l’environnement, notamment sous l’angle du recyclage. Avant de rejoindre la SNAM, j’étais administrateur du groupe DACIA, qui fabrique des voitures à 5 000 euros. J’ai quitté cette entreprise alors que ses résultats étaient brillants, puisqu’en 2006 son succès était avéré. Je ne me suis pas du tout retrouvé dans l’ambiance et la gouvernance de Renault à partir de 2007. J’ai donc démissionné pour rejoindre ma nouvelle société.

La SNAM était initialement un fondeur de métaux non ferreux. La fonderie consiste à chauffer des métaux et à fabriquer des alliages. C’est un métier en pleine déconfiture, puisqu’il consomme des énergies fossiles et demande de la main-d’œuvre, deux éléments peu disponibles à coût bas en France. Quand j’ai repris cette entreprise, elle avait déjà développé une activité de recyclage de batteries de traction ferroviaire, par exemple les batteries fabriquées par SAFT pour ALSTOM. Face au marasme économique de la fin des années 2000, j’ai pris le parti stratégique de couper les ponts avec les activités historiques de fonderie, tout en gardant les hommes et les savoir-faire, et d’engager l’entreprise dans une spécialisation en recyclage des batteries. Après cinq ans d’investissement et de recherche et développement, nous avons initié un partenariat, toujours d’actualité, avec le CEA, afin de développer des procédés.

Le savoir-faire que j’ai apporté portait sur l’internationalisation de l’entreprise. Nous avons passé des accords avec tous les ministères de l’environnement européens, dans et en dehors de l’Union européenne. Cette couverture géographique et les procédés développés, nous ont permis de devenir, à partir de 2012, le premier recycleur européen, en termes de volume de batteries rechargeables recyclées, toutes chimies confondues. Nous sommes les seuls à traiter toutes les chimies sauf le plomb, puisqu’historiquement les installations des acteurs existants sont déjà amorties. Nous avons développé des savoir-faire reconnus, avec une couverture géographique permettant de les valoriser à travers tout le continent. Nous recyclons des batteries lithium-ion, nickel-cadmium, nickel-métal hydrure et toutes chimies afférentes. Cela nous a permis de développer très précocement des tests avec des constructeurs automobiles, si bien qu’aujourd’hui la SNAM détient 95 % de parts de marché du recyclage des batteries automobiles an Europe. Alors que nous n’en sommes qu’au début, nous recyclons déjà, sur douze mois glissants, un peu plus de 500 tonnes de batteries automobiles, de toutes sources et de tous les constructeurs, à une exception près : le groupe Renault.

L’explication est très simple : Renault avait fixé comme prérequis le fait de leur céder gratuitement la totalité des savoir-faire, brevets et droits d’usage, ce que j’ai refusé. Tous les autres constructeurs, de Hyundai à Peugeot, en passant par Volkswagen, sont déjà clients de la SNAM, avec des procédés qui visent une efficacité de recyclage – c’est notre objectif – de plus de 80 %, alors que la loi européenne limite l’exigence à 50 %. En France, il existe un tissu économique de recycleurs industriels de batteries capables d’atteindre une efficacité de 70 % ou plus. Je pense que l’intérêt bien compris du pays serait de militer pour un accroissement de l’efficacité de recyclage minimale requise. Aujourd’hui, nos vrais concurrents sont des ferrailleurs installés en Pologne ou en Roumanie qui atteignent péniblement les 50,1 %. Je ne trouve pas cela équitable.

Nous continuons à développer des savoir-faire, puisque nous avons récemment réussi à démontrer une preuve de concept pour la fabrication de batteries neuves lithium basées à 80 % sur des composants et des matériaux recyclés. Grâce aux diagnostics prédictifs développés avec le CEA pendant cinq ans, nous avons réussi à fabriquer des batteries neuves baptisées Phénix, puisqu’elles renaissent des cendres des anciennes. Ce sont des batteries industrielles destinées à un usage stationnaire, secteur qui va devenir le plus consommateur de batteries, notamment à bas coût. L’automobile recherche des batteries performantes et peut se permettre de les payer cher, alors que des énergéticiens comme EDF, des exploitants de fermes photovoltaïques ou éoliennes, ont besoin de batteries de stockage à bas coût pour absorber la variabilité de la production. Aujourd’hui, en termes d’offre, il n’existe pas de batteries à bas coût, à part celles au plomb, inadaptées à leurs besoins. De ce fait, nos batteries rencontrent un grand succès, avant même d’être industrialisées à grande échelle. En fait, nous avons plus de commandes que de batteries. Il s’agit donc d’un secteur extrêmement porteur.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Ces batteries Phénix ne sont donc pas du tout réutilisables dans le domaine du transport, même collectif ?

M. Éric Nottez. Ce n’est pas la cible. Dès l’origine, nous avons conçu des batteries qui devaient durer longtemps sans maintenance. Une batterie sans maintenance et sécurisée, est nécessairement lourde. Nos batteries sont très robustes et vont durer longtemps : nous pouvons garantir entre cinq et dix ans d’usage. Par contre, elles sont lourdes : elles pèsent 34 kg pour 3 kilowatts. Elles sont inadaptées aux véhicules.

Mme Huguette Tiegna. Sont-elles plutôt destinées à un usage autonome ou en connexion avec le réseau ?

M. Éric Nottez. Aujourd’hui, les échanges avec ENGIE ou EDF visent à interfacer ces batteries avec le réseau, pour être capable de réguler et de lisser. Il ne s’agit pas seulement d’autoconsommation.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Le recyclage de batteries est-il rentable ?

M. Éric Nottez. Il peut être rentable. Il l’est péniblement, mais c’est très compliqué. L’activité de recyclage des batteries souffre d’un biais culturel. Je vais l’illustrer par des chiffres réels. Quand un client vient nous voir avec des batteries usagées, il sait qu’elles contiennent des métaux, et essaye de les vendre pour 50 % de la valeur de ces derniers. Après recyclage, indépendamment du taux de pureté des produits – nous fabriquons des produits de haute pureté agréés REACH – les acheteurs, des groupes tels qu’APERAM ou THYSSENKRUP, essayent de faire pression pour les acheter à 50 % de leur valeur, sous prétexte qu’ils proviennent du recyclage. Pour essayer de reconstituer de la valeur entre les deux, nous devons expliquer aux uns que les métaux de leurs batteries sont inutilisables, et aux autres que nous fabriquons des alliages de qualité.

Ce combat est perdu d’avance, l’avidité n’ayant pas de limite. Notre stratégie consiste donc à développer deux axes majeurs, avec beaucoup de recherche et développement. Le premier axe est l’amélioration de la qualité des produits sortants. Ce que nous fabriquons est de plus en plus complexe, avec par conséquent de plus en plus de valeur ajoutée. Par exemple, au lieu de fabriquer des lingots de fer ou d’inox de faible valeur, nous produisons des sulfates de nickel de haute pureté, aptes à entrer directement dans la fabrication industrielle de batteries neuves. Il est évident que cela crée un supplément de valeur. Le deuxième axe est justement le projet Phénix, consistant à fabriquer nous-mêmes des batteries neuves à partir de nos propres fabrications. Même en vendant des batteries low-cost, un peu comme DACIA dans l’automobile, on peut très bien fabriquer des produits de qualité, pas chers et robustes, avec de la marge. Mais j’insiste : la plupart des acteurs de la branche sont en perte.

Mme Huguette Tiegna. Combien de batteries Phénix êtes-vous parvenu à vendre ?

M. Éric Nottez. Pour l’instant, nous n’avons fabriqué que 500 kilowattheures de batteries dans nos laboratoires, alors que j’en ai vendu un mégawattheure. Aujourd’hui, j’ai du mal à livrer. Mais ce n’est pas bien grave, car nous levons des fonds, afin de finaliser un tour de table pour la fin du printemps, en vue de l’implantation d’une usine de grande capacité.

Mme Huguette Tiegna. Vous ne parvenez pas à en vendre plus parce ce que les clients ne savent pas que vous les fabriquez, ou bien parce que le marché n’est pas encore prêt ?

M. Éric Nottez. L’impossibilité de les fabriquer assez vite est vraiment notre problème aujourd’hui. Mais tout le monde est très intéressé, s’agissant de batteries très robustes et très simples, un peu comme une automobile DACIA qui n’a rien de luxueux mais marche bien et ne tombe pas en panne. Ces batteries ne sont pas belles, mais elles sont garanties de cinq à dix ans, suivant l’usage, alors qu’une batterie au plomb dure trois ans au maximuM. Tous les clients les achètent pour procéder à des qualifications et à des tests, ce qui permet de préparer les volumes industriels.

Mme Huguette Tiegna. C’est une initiative à saluer, surtout avec le développement du solaire en Occitanie.

M. Éric Nottez. Mon père est d’origine belge et ma mère d’origine algérienne. Je suis français parce que né entre les deux. Mais je viens d’un pays minier proche de Valenciennes. Je m’entends très bien avec les Français de Toyota, parce que je comprends les problématiques du territoire et des élus locaux. Je n’ai aucun problème d’immobilier pour implanter mes usines là-bas, parce qu’une entreprise disparaît chaque année dans la région. C’est problématique. Je vous remercie de le faire savoir, parce que pour les gens de la région, c’est important.

Mme Huguette Tiegna. J’ai travaillé au sein de WHYLOT qui fabrique des moteurs électriques. Je vous connaissais en tant que société de recyclage d’aimants, pas de batteries.

M. Éric Nottez. La SNAM n’a pas investi le marché des aimants parce que, dans cette industrie lourde, le marché du recyclage est dominé par la Chine, avec des circuits commerciaux difficiles, comportant énormément d’intermédiaires, prêts à tout pour capter des lots. Ce n’est pas un business facile à exercer industriellement. J’en avais parlé avec les administrateurs de WHYLOT, parce que nous n’arrivions pas à atteindre des volumes suffisants, de grandes quantités de déchets d’aimants disparaissant du marché.

Mme Huguette Tiegna. WHYLOT commandait des aimants en Chine, en constituant des stocks. Pour les aimants de moindre qualité, nous imaginions que les recycleurs pourraient produire de la poudre d’aimant utilisable dans d’autres domaines. Mais c’est toute une chaîne qu’il faudrait créer pour y parvenir.

M. Stéphane Piednoir. Pourriez-vous décrire le processus industriel, pour le lithium-ion notamment ? Quels sont les rejets éventuels et les problèmes rencontrés ? Nous sommes dans une logique d’analyse de cycle de vie pour les véhicules électriques. Il faut donc aussi prendre en compte le processus de recyclage.

M. Éric Nottez. Effectivement, nous travaillons avec beaucoup de constructeurs sur l’écoconception, consistant, avant même la commercialisation des batteries, à tester leur recyclabilité, avec cet objectif, qui intéresse aussi les constructeurs, de dépasser 80 % de taux de recyclage.

Aujourd’hui, les procédés stabilisés avec le CEA combinent mécanique, thermique et hydrométallurgie. Pour résumer, le procédé thermique consiste à pyrolyser des batteries en montant en température hors oxygène, donc sans flammes et sans combustion, pour casser les molécules organiques, enlever l’électrolyte, afin d’obtenir du métal. Ce minéral est ensuite traité mécaniquement, en procédant à une séparation utilisant la différence de poids ou de magnétisme entre les métaux, pour concentrer des fractions de plus en plus spécifiques. Par exemple, à cette étape, on peut aller rechercher 80 % du cobalt contenu dans une batterie, en le reconcentrant dans une partie de la masse, séparé des autres métaux, comme l’aluminium, le cuivre, etc. Il ne s’agit pas encore de matières pures, mais suffisamment concentrées pour utiliser ensuite un procédé hydro-métallurgique. En phase liquide, une attaque acide va permettre de fabriquer des sels de métaux précipités et purifiés.

Pour résumer, en partant d’une batterie lithium-ion, la pyrolyse permet d’enlever les toxiques de l’électrolyte, ainsi que les matières organiques et plastiques, représentant environ 15 % du poids. Ces matières sont considérées par les meilleurs experts comme quasiment irrécupérables, compte tenu de leur complexité et toxicité. Il sera donc difficile de dépasser 85 % d’efficacité pour le recyclage des batteries. Les 85 % restant contiennent, en règle générale, par ordre d’importance : du cobalt, du nickel, du manganèse, du cuivre, de l’aluminium et, paradoxalement, loin derrière, du lithiuM. Le lithium n’étant que le catalyseur de la réaction n’est présent qu’à hauteur de 1 % des électrodes, qui représentent la moitié du poids, soit 0,5 % de la batterie. C’est vraiment peu, mais c’est un métal à valeur ajoutée. Ces métaux, nous les concentrons pour fabriquer des sels de métaux destinés à l’industrie.

Ces procédés ne sont pas révolutionnaires. Les réactions chimiques sur les composants du type métaux de la table de Mendeleïev sont connues depuis Laplace et Lavoisier. Mais la plupart des acteurs ont toujours raisonné en aficionados, en se cantonnant par exemple aux seuls procédés thermiques, ou hydro-métallurgiques. De ce fait, ils se heurtent à des problèmes d’impuretés, de manque de performance, et de surcoûts. Faute de compétences en interne, nous avons travaillé avec le CEA à Grenoble pendant cinq ans, qui a mis au point en laboratoire des systèmes permettant d’atteindre la pureté, sans dépenser trop d’argent.

Mme Huguette Tiegna. Pourriez-vous préciser pour ces procédés leur consommation énergétique, leur bilan carbone, leur empreinte environnementale totale, les éventuels dangers, etc.

M. Éric Nottez. Je commencerai par le troisième aspect : quels sont les dangers inhérents ? Ils sont simplement liés à la massification. Un niveau élevé d’investissement nécessite de concentrer les moyens de production, si bien que les déchets seront concentrés en un seul endroit. De ce fait, un accident industriel ou des rejets prendront des proportions beaucoup plus importantes. Le coût d’une usine de type Phénix est de l’ordre de 25 millions d’euros et celui d’une usine telle que la SNAM de 60 millions d’euros. Cela oblige à concentrer beaucoup de tonnage sur un site. Il ne peut en être autrement.

Sur le plan légal, nos voisins sont beaucoup plus pragmatiques. Par exemple, l’Allemagne, où nous gagnons des appels d’offres avec difficulté, applique les mêmes normes européennes que nous en matière de rejets, mais progressivement, après concertation avec les industriels, pour qu’ils puissent les intégrer sans surcoût dans leurs plans de progrès. Si cela nécessite cinq ou dix ans, la norme est adoptée immédiatement mais avec ce délai. Les industriels doivent montrer régulièrement les progrès accomplis à l’administration, mais n’ont pas à respecter la norme tout de suite. En France, l’application est immédiate, et d’ailleurs la peur est telle que si l’on peut, on va au-delà. S’agissant des normes qui s’imposent à la SNAM, nos concurrents allemands peuvent quasiment rejeter dix fois plus. Ils sont soumis à la même norme européenne, mais eux s’inscrivent dans un plan de progrès décennal, alors que la SNAM doit prévenir la direction régionale de l’Environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) dès que la moitié du niveau de la norme est atteint. Il faut cesser de vouloir être le meilleur élève de la classe, en se débarrassant de toute production au profit de notre voisin.

Un autre exemple pratique concerne la possibilité pour certains pays, dans le cadre du droit européen, d’être plus restrictifs que d’autres. Ainsi, l’Autriche a-t-elle décidé de classer les batteries lithium-ion en déchets dangereux, afin de les encadrer, alors que ce n’est pas le cas en France, conformément au droit européen. La SNAM a des difficultés à importer les batteries autrichiennes, l’État autrichien demandant des notifications, que la France refuse de fournir, puisque ces déchets ne sont pas classifiés dangereux. Je ne demande pas qu’ils le soient, mais il faut apprendre à tenir compte de ces disparités, pour en tirer un avantage concurrentiel. Au ministère de l’environnement, il y a des gens tout à fait qualifiés et compétents, mais ces disparités créent des frictions qui conduisent à des blocages, alors que ces aspects pourraient être réglés.

Un troisième exemple concerne les pactes passés par l’État allemand avec son industrie, dans le cadre des industrieverband, pour fixer des cautions financières plus importantes qu’en France afin de faire face à l’absence de résultat, aux résultats insuffisants, ou aux accidents industriels, tout en limitant les mesures, les contraintes, et les contrôleurs présents en permanence sur site, qui vérifient tout. En France, la SNAM a une caution pour « Seveso seuil haut » de 3,8 millions d’euros. J’estime que l’enjeu environnemental est plus proche des 6 millions d’euros en cas d’accident. Mais, par ailleurs, la SNAM dépense plus de 600 000 euros par an en mesures, en double, en triple, voire en quadruple de celles déjà réalisées.

Mme Huguette Tiegna. Des normes supplémentaires s’appliquent-elles pour faire face aux risques spécifiques des batteries ?

M. Éric Nottez. Non, mais nous sommes confrontés à un problème de différence d’interprétation. Un seul droit européen est transposé dans le droit français, par contre les interprétations sont différentes à Lyon, à Rodez, ou à Châteauroux. Je le vis tous les jours, puisque la SNAM a deux usines, l’une à côté de Lyon et l’autre à Rodez. Les interprétations du droit et les exigences ne sont pas identiques. Si l’on considère le recyclage comme une activité à la fois concurrentielle et très encadrée, il faudrait professionnaliser son contrôle. Pour le même résultat, les mêmes bilans matière, les mêmes rejets, et les mêmes composants, une DREAL sera satisfaite, et l’autre, avec les mêmes chiffres, se montrera inquiète.

A contrario, le Pôle national des transferts transfrontaliers de déchets (PNTTD) constitue, malgré des difficultés initiales, un exemple de professionnalisation au niveau national, avec une équipe de bonne volonté ayant acquis une réelle expertise, qui permet d’obtenir la même réponse au Mans, à Grenoble, ou à Lille. Les entreprises du secteur ont confiance, même si la réponse n’est pas forcément agréable, c’est la même pour tous. Je trouve que cette expertise nationale est tout à fait bienvenue.

Par exemple, à Lyon, les interlocuteurs souhaitent que le recyclage soit plutôt suivi et interprété comme une destruction ou une incinération, alors qu’en Occitanie il est considéré comme un traitement. Cela change beaucoup de choses. L’argument de la DREAL de Lyon, c’est qu’il existe beaucoup plus de lois et règlements pour l’incinération, ce qui facilite le contrôle. C’est exact, mais les normes européennes essayent de restreindre le plus possible l’incinération, pour en limiter les effets, alors que le traitement et le recyclage bénéficient de normes spécifiques. Elles sont toutes orientées positivement, pour en développer l’activité. Les effluents émanant des batteries sont considérés comme issus du recyclage à Toulouse, avec un objectif d’accroissement et d’amélioration des procédés, et comme une incinération à Lyon, avec une optique de limitation.

Ces différences ont des impacts très concrets. Ainsi, dans le suivi de nos activités, la pyrolyse rejette potentiellement de la dioxine, rejet très encadré et à surveiller indiscutablement de très près. Un recycleur effectue habituellement des traitements courts, avec de petites quantités, ce qui implique de neutraliser la phase de démarrage et d’arrêt du four pour limiter la mesure des dioxines au régime de croisière, d’une durée de 3 à 4 heures. En Occitanie, la SNAM est 20 fois en dessous des normes. À Lyon, avec les mêmes fours, les mêmes traitements, et les mêmes activités considérées comme une incinération, la mesure porte sur 8 heures, mais comme le traitement se limite à 4 heures, elle inclut le démarrage et l’arrêt, si bien que les limites sont dépassées, et qu’il faut fermer. C’est un problème très clair d’interprétations différentes.

Mme Huguette Tiegna. Cela implique de bien définir l’activité de recyclage.

M. Éric Nottez. Pour la France, c’est un enjeu énorme, qui touche à l’indépendance. Dès aujourd’hui la SNAM est la première mine de cobalt du continent européen.

Il faudrait définir un statut de recycleur exigeant, demandant d’être vraiment performant dans ce métier de récupération et de valorisation, par exemple en fixant un objectif de recyclage à 75 %.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce qu’on ne risque pas d’opposer l’argument du risque d’accroissement des coûts ?

M. Éric Nottez. Aujourd’hui, tous les recycleurs nationaux sont au-dessus de 70 %. Pour éviter un renchérissement, il faudrait définir un rythme de progression, par exemple de 1 % par an.

Il faudrait aussi accroître la traçabilité des batteries, beaucoup sortant des circuits, notamment celles dépourvues de matériaux nobles. La Chine a mis en place une telle traçabilité, mais les constructeurs ont peur des contraintes induites. Une possibilité consisterait à mettre en place un système de consigne sur les batteries.

Mme Huguette Tiegna. A priori, il est envisageable de le demander par amendement. Par contre il faut être à même de définir ce statut.

M. Éric Nottez. Pour définir ce statut de recycleur, il serait possible d’interroger la Fondation Hulot qui a beaucoup d’idées sur le sujet. Pour ma part, j’ai des propositions sur la partie industrielle, ou la limitation de l’écologie punitive par la multiplication des normes, mais ils auront forcément des idées plus ambitieuses.

Mme Huguette Tiegna. Dans le projet de loi sur l’économie circulaire, qui traite beaucoup des plastiques, le volet industriel est insuffisamment développé. J’envisage d’organiser une table ronde sur ce sujet.

Par ailleurs, rencontrez-vous des problèmes de recrutement et de formation ?

M. Éric Nottez. Les diplômes existant sont de qualité, mais nous rencontrons un problème d’accessibilité pour les formations. La moitié du budget formation de la SNAM est dépensé en frais de déplacement, les formations ne pouvant être réalisées sur place.


Audition de

Mme Marie Chéron, responsable mobilité, et

Mme Marjorie Fontès, pôle scientifique et technique,

Fondation pour la nature et lhomme (FNH)

 

Jeudi 21 février 2019 au Sénat

 

Mme Marie Chéron, responsable mobilité, Fondation pour la nature et lhomme (FNH). FNH est un Think Tank sur l’écologie, doté d’un conseil scientifique. C’est au sein de ce conseil scientifique que j’ai été recruté, voici deux ans, pour mener justement un travail d’analyse de cycle de vie et de prospective sur le véhicule électrique. C’est dans la continuité de ces travaux que nous réfléchissons aujourd’hui aux conditions de la fin de vente des véhicules essence et diesel, qui constitue effectivement l’une de nos priorités pour la loi d’orientation des mobilités. Aussi avons-nous répondu positivement à votre proposition d’audition. Les travaux que vous menez pour nous sont vraiment bienvenus.

Donc on soutient cet objectif de fin de vente dans un objectif de respect des engagements inscrits dans l’accord de Paris, un objectif qui avait été repris par le Plan climat, en 2017, avec une date fixée à 2040, que nous avions salué, parce qu’effectivement cela fixe un cap. Cet objectif a été repris dans la stratégie nationale bas-carbone, par contre ça n’a pas été repris pour nous dans le Contrat de filière signé avec les constructeurs l’année dernière et ça a disparu, en tout cas de la loi d’orientation des mobilités, au cours du premier semestre. C’est la raison pour laquelle on a relancé les travaux sur cet objectif, ainsi qu’un dialogue avec les acteurs de la filière avec lesquels on a l’habitude de travailler.

Le propos que j’aurai aujourd’hui vise à démontrer que cet objectif pour nous a une pertinence et un rôle clé à jouer dans la transition que nous avons à mener dans le secteur des transports pour atteindre l’objectif de zéro émissions nettes en 2050.

On sait la difficulté qu’on aura à l’atteindre sous réserve que les conditions soient respectées, des conditions qui portent à la fois sur l’usage, l’économie, et la transition énergétique.

Pour nous, l’échéance est sujette à discussion, j’y reviendrai en fin de présentation. je m’appuierai à la fois sur les travaux d’ACV et les travaux menés au sein du réseau transport et environnement, une ONG européenne à laquelle nous avons adhéré l’année dernière. Nous en sommes membres et travaillons avec eux sur ces sujets.

Mon premier point consiste à insister sur le fait qu’il s’agit d’une étape vers la neutralité carbone. Nous avons un objectif de neutralité qui est répété dans la PPE, avec un objectif de 97 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il apparaît d’autant plus difficile à atteindre qu’on est encore aujourd’hui sur une stabilisation, voire une augmentation des émissions de gaz à effet de serre du secteur ; avec un décalage de 10 % entre l’objectif fixé en 2017 et les émissions réelles constatées et des tendances à l’accroissement de cet impact, en raison, d’une part, de la place croissante des essences dans les ventes, de l’augmentation du poids des véhicules, et de l’augmentation dans les ventes des véhicules de type SUV (Sport Utility Vehicle) qui pèsent lourd et ont un impact carbone d’autant plus important. Ces tendances de marché vont aujourd’hui à l’encontre des objectifs que l’on se fixe d’où la difficulté à avancer.

Le deuxième point, c’est que quand on se fixe l’objectif 2040 de fin de vente il est bien au milieu d’une trajectoire vers l’objectif de zéro émissions nettes, avec des étapes qui ont été identifiées depuis plusieurs années dans les réflexions sur le climat, en se disant qu’à partir de 2020 on avait déjà une étape charnière parce qu’on est censé atteindre le pic des émissions, ce qui semble très proche maintenant, dans un an, un an et demi. Nous l’identifions comme une étape clé de fin de la subvention aux énergies fossiles. 2025 est aujourd’hui, une étape clé, notamment dans le projet de loi d’orientation des mobilités, pour aller vers des restrictions de circulation généralisées dans les villes sur les véhicules les plus polluants, et puis une priorité donnée aux véhicules à très faible émission et ensuite les étapes de fin de vente et de restriction définitive de circulation.

Je vais passer ensuite à la contribution du véhicule électrique à la transition écologique du secteur. Sur l’étude que nous avons menée vous avez la synthèse et un rapport complet. Je n’en avais qu’un exemplaire, mais vous enverrai la version numérique. Ce rapport a été fait avec un certain nombre de partenaires. L’analyse de cycle de vie a été réalisée avec Renault, la prospective avec Carbone 4, nous l’avons pilotée avec la Fondation européenne pour le climat, et nous avons pour tous les calculs intégrés RTE et l’ADEME dans nos partenaires, ainsi que Saft et l’AVERE, qui ont aussi joué un rôle très important. On a comparé huit véhicules sur l’ensemble de leur cycle de vie. Cette analyse prend toutes les données 2016 projetées à horizon 2030 selon 3 scénarios.

Ce qu’il faut retenir pour le cycle de vie, c’est que l’étape de fabrication souvent décriée, puisqu’aujourd’hui 80 % des Français pensent que le véhicule électrique n’est pas écologique à cause de cette phase, c’est quand même 75 % de l’impact environnemental, que ce soit sur les émissions de gaz à effet de serre ou sur ce qu’on appelle le potentiel d’acidification, le potentiel d’eutrophisation, de création d’ozone photochimique, etc.

Ce sont à la fois des impacts en termes de consommation énergétique nécessaire à l’extraction des ressources minérales, à la transformation de ces ressources, et à la fabrication des batteries, anode et cathode, particulièrement polluante, et aujourd’hui majoritairement réalisées avec des ressources fossiles, mais c’est aussi tous les impacts sur les écosystèmes : sol, eau, et biodiversité, avec des phénomènes de saturation des sols et des écosystèmes en Asie, puisqu’aujourd’hui les batteries sont fabriquées généralement en Asie. En lien avec cela, il existe un vrai sujet sur cette phase d’extraction. Je crois qu’aujourd’hui tout le monde en est conscient. Ça fait partie des étapes sur lesquelles il faut travailler.

La deuxième chose à retenir, c’est que durant l’usage on va être fortement dépendant de l’électricité consommée, pas seulement de l’origine de l’électricité, mais il y a également une très forte sensibilité à tout ce qui touche aux modalités de recharge, à quel moment on recharge, et à quelle fréquence, est-ce qu’on attend d’être complètement vidé pour recharger, etc. Toutes ces modalités de recharge vont avoir un impact sur la durée de vie de la batterie. Celle-ci pesant un poids important dans le bilan environnemental, les modalités de recharge jouent un rôle primordial.

Troisième remarque sur la seconde vie de la batterie, une fois qu’elle a perdu 20 % de sa capacité, elle rentre en seconde vie, puisqu’elle n’est plus à même de tracter un véhicule. Par conséquent, il lui reste quand même 80 % de sa capacité. Pour nous, la seconde vie joue un rôle primordial. Toutes les initiatives qui permettent d’imaginer une seconde vie pour le stockage nous semblent indispensables même si, dans notre étude, il y a une étape que l’on n’a pas pu étudier, car à l’époque il nous manquait les données, c’est tout ce qui concerne le reconditionnement qui est aujourd’hui une étape critique. On avait eu à l’époque une discussion avec Saft parce que Saft était plus sceptique sur la seconde vie que d’autres membres du comité de pilotage. Ce reconditionnement peut-être à la fois coûteux et polluant.

La SNAM travaille aujourd’hui sur des projets justement de reconditionnement qui permettent d’envisager les choses un petit peu différemment. Du coup cette phase de reconditionnement n’a pas été prise en compte.

Enfin, dernière étape, le recyclage a été calculé en crédits puisqu’aujourd’hui la problématique principale est la batterie et que dans la batterie à ce jour les matières ne sont pas réutilisées directement pour fabriquer d’autres batteries, mais plutôt réutilisées comme produits secondaires dans d’autres filières. Ainsi, le lithium va dans le dans le bâtiment. Du coup, les crédits sont intégrés dans le bilan mais ne se défalquent pas en tant que tels de l’empreinte environnementale du produit. Voilà les points principaux de ce cycle de vie.

Ensuite, on a les résultats. Ce qu’on a pu calculer, c’est qu’il y a une vraie plus-value du véhicule électrique sur l’ensemble du cycle de vie. Là je vous ai mis l’illustration sur les GES, deux à trois fois moindres pour une citadine électrique par rapport à un véhicule essence. Sur les berlines, on est dans un rapport de un à deux.

Deux remarques là-dessus : d’une part, cet argument, on le ressort très régulièrement, parce que ça démontre quand même l’intérêt environnemental de passer aux véhicules électriques, on le soutient fortement et de sortir, y compris de l’essence, notamment sur les aspects climat. Et puis deuxième chose, c’est qu’entre deux et trois, entre les berlines et les citadines, ce n’est pas la même chose et ça n’a pas du tout la même envergure, et ce bilan quand on le projette à 2030, dans le cadre d’un certain scénario, d’une certaine évolution, dans certaines conditions, on a un bilan de deux à trois fois moindres, parce qu’on maîtrise l’évolution des batteries, qu’on est passé à un mix énergétique de type PPE, donc la France respecte ses engagements sur le développement des énergies renouvelables, parce qu’on a mis en place du V2G, donc des échanges de services. Ce sont conditions essentielles. Dans ces conditions, on arrive à ce bilan.

Dernier point, à la phase de production on a intégré des gains d’efficacité énergétique de deux pourcents par an en continuité avec ce qu’on a pu observer les années précédentes. Donc, on continue à miser sur des gains et des efforts importants à la phase de production et dans toutes ces conditions on peut atteindre ces objectifs.

Quand on est en 2030 à diviser par deux ou par trois, on voit qu’il y a quand même un seuil de compression, c’est-à-dire qu’on peut réduire fortement à cet horizon l’empreinte d’un véhicule, mais ce n’est pas une trajectoire qui pourrait continuer sur le même rythme. Cela veut dire que si l’on reste à deux ou trois, ça ne nous permet pas d’atteindre les objectifs climat en 2050, ce n’est pas suffisant, et surtout pas dans le cas d’une berline.

L’empreinte d’une citadine pour une essence est de plus de 30 tonnes sur 10 ans, soit 3 tonnes par an d’équivalent CO2. Pour une citadine électrique, on passe à 12 tonnes sur 10 ans, soit 1,2 tonne par an.

Sur l’ensemble du cycle de vie, en fonction des scénarios et des opportunités dont on peut se saisir, le bilan d’une citadine évolue entre 8 et 14 tonnes à 2030. Entre 8 et 14, la variation est assez forte. Elle est liée à la façon dont on développe l’électromobilité. Finalement, le véhicules électriques n’est pas intéressant en soit. En fonction de la façon dont on va le développer dans les années à venir, ce sera une solution ou pas, parce qu’à 14 tonnes, on est quand même encore largement en dehors des clous pour répondre aux objectifs.

Sur le potentiel d’acidification, nous avons également une comparaison entre 2016 et 2030 entre quatre citadines. On voit que finalement en 2016 entre une citadine essence et un véhicule électrique, le potentiel d’acidification est le même, sauf que le potentiel d’acidification d’un véhicule essence est à l’usage, quand on consomme de l’essence, alors que celui du véhicule électrique est lié à sa fabrication. Donc c’est une pollution beaucoup moins visible, mais qui impacte beaucoup plus des territoires situés à l’autre bout de la planète.

Par conséquent, j’insiste sur le fait que la réduction des impacts à la fabrication est une étape absolument nécessaire, ne serait-ce que pour l’acceptabilité de ce véhicule dans la population, l’acceptabilité étant encore en questionnement pour les constructeurs.

J’en viens aux risques et opportunités du déploiement des véhicules électriques. Pour nous, plusieurs facteurs vont jouer sur le bilan des véhicules et de l’électro-mobilité en général, puisque le bilan d’un véhicule va dépendre d’un certain nombre de facteurs.

Le premier facteur qui dépend directement des politiques menées en France, c’est le mix électrique. En fonction de la façon dont va évoluer notre mix électrique, le bilan environnemental de l’électromobilité sera plus ou moins positif. On a pu remarquer que plus on introduit les énergies renouvelables dans le mix, et plus on alimente les véhicules avec des renouvelables, plus le bilan environnemental s’améliore. Ceci est d’autant plus lié si l’on veut faire du véhicule to grid, c’est-à-dire développer les services au système électrique pour que les véhicules puissent constituer un outil de flexibilité. Si vous avez vu l’AVERE et RTE, ils vous l’ont expliqué, et tous les résultats de notre étude ont été intégrés dans le groupe de travail qu’ils ont mené cette année qui est beaucoup plus précis que ce qu’on avait pu proposer il y a un an et demi.

On insiste beaucoup sur le fait que si on développe l’électromobilité le niveau de consommation ne justifie en aucun cas la mise en route de nouvelles unités de production de type nucléaire, mais que le gros enjeu est de maîtriser les consommations et de relier les consommations des véhicules électriques aux énergies renouvelables.

Le deuxième paramètre clé dans nos trois scénarios, ce sont les batteries. Dans un scénario tendanciel, on suit l’augmentation continue de la course à l’autonomie actuelle sur les batteries. Plus une batterie et lourde, plus elle est impactante. Entre les différentes hypothèses cela fait varier l’empreinte globale du véhicule de 25 %. Cet élément pèse autant dans le bilan environnemental que les progrès d’efficacité énergétique. Si on arrête de faire des progrès d’efficacité énergétique, on perd 25 % sur le bilan d’ici 2030, par rapport à la poursuite de la trajectoire actuelle, idem pour les batteries. Par contre, on arrive à des gains supplémentaires si on va vers des batteries plus petites. Du coup, il y a un nœud à dénouer sur le fait qu’on a à la fois une demande d’autonomie légitime des conducteurs et en même temps une contrainte très forte : si on va sur des batteries de plus en plus lourdes, le bilan environnemental des véhicules se dégrade. Tout le monde en est conscient, mais on a besoin de passer des seuils d’acceptabilité. Toutes les organisations, y compris les organisations européennes, misent sur des batteries plus petites, ça fait aussi partie de la réduction du coût, étant donné que les batteries pèsent largement sur le prix du véhicule.

Enfin, le dernier facteur est le recyclage des batteries. Aujourd’hui, on recycle 50 % du poids sec des batteries. C’est une obligation européenne. La réglementation en vigueur est en cours de discussion. On s’était dit en 2016 qu’on pouvait miser sur une augmentation de cette obligation jusqu’à 70 % en 2030, ce qui nous semblait raisonnable. On avait pris une troisième hypothèse, qui était de pouvoir recycler jusqu’à 85 % du poids sec des batteries.

Sachant que dans une ACV prospective on prend les résultats de recyclage à 50 % et on augmente la part des crédits avec un pourcentage. Le défaut c’est que quand on recycle une batterie, même à 50 % du poids sec, en fonction du coût des matières et des techniques de recyclage, on choisit les matières qu’on va recycler. Quand on augmente le pourcentage, le choix de ces matières peut changer. Par conséquent, on estime que si on augmente le recyclage entre l’hypothèse à 50 % et un passage à 70 % on arrive à gagner 15 % sur l’empreinte environnementale totale du véhicule. Ce n’est pas négligeable, mais il y a ce biais méthodologique qui fait que ce peut être plus ou moins en fonction des matières choisies. Mais tout porte à croire qu’on devrait avoir une augmentation des contraintes de la réglementation.

On retient qu’il y a trois conditions pour atteindre les objectifs de la transition écologique. Il y a un qu’il faut accélérer la transition énergétique vers les renouvelables, et quand on parle de transition énergétique, on parle de sobriété, donc de maîtrise des consommations, de développement des ENR, et d’efficacité énergétique. On a besoin de déployer, RTE insiste beaucoup sur ce point, tous les instruments de pilotage de la recharge, ce qui contribue aussi à l’acculturation, puisque recharger un véhicule électrique n’a rien à voir avec aller à la pompe à essence, c’est une tout autre démarche.

La deuxième condition est d’optimiser l’usage des véhicules, de deux manières. La première, c’est de faire plus de kilomètres. Pour un véhicule essence ou diesel quand on augmente le kilométrage, on a nécessairement une augmentation de l’impact climat. Pour un véhicule électrique on va avoir intérêt à augmenter le kilométrage des véhicules, parce que l’impact sera moindre. Autant de matière et autant d’impact répondent à davantage de besoins va dans le sens de la transition écologique puisqu’on a l’ambition de ne pas réduire la réponse aux besoins de mobilité.

On avait aussi regardé en détail avec Renault, Saft et l’AVERE la capacité des batteries sur l’ensemble de leur durée de vie. Pour celle de la Zoé, on avait calculé que le besoin moyen d’un Français aspire sur dix ans un quart de la capacité de la batterie. Au bout de dix ans la batterie a perdu 20 % de sa capacité, mais en plus, elle n’a été utilisée qu’à 25 %. C’est dommage, vu l’impact qu’elle a. Du coup, on a considéré qu’on pouvait multiplier le kilométrage par deux, voire trois ou quatre. C’est en cohérence avec tout le discours de l’ADEME. L’intérêt d’une batterie c’est de la faire cycler davantage, ce qui implique de la partager. Le véhicule électrique a d’autant plus d’intérêt écologique qu’il est partagé. Les gains sont substantiels, d’où l’intérêt de convertir en les flottes : flottes d’entreprise, taxis, tous les véhicules qui roulent beaucoup. Finalement, ça prend un peu le contre-pied de l’image qu’on a habituellement d’un véhicule électrique inadapté aux gros rouleurs. C’est au contraire particulièrement adapté aux gros rouleurs.

Une deuxième possibilité d’optimisation de la batterie porte évidemment sur les services qu’on peut rendre au réseau.

Une dernière possibilité pour optimiser les batteries consiste à prolonger leur cycle de vie. Les capacités de stockage avant 2030 sont limitées, parce que les batteries doivent arriver dans le parc, mais au-delà les capacités de stockage peuvent aller jusqu’à 35 TWh par an, ce qui permet de conforter l’idée que les batteries peuvent apporter un service de flexibilité.

L’autre point que je voulais aborder dans cet objectif de fin de vente des véhicules. Dès qu’on aborde cette question et l’interdiction progressive des diesels, on fait le lien avec la problématique actuelle particulièrement spécifique à la France qui est qu’on a un parc diésélisé avec des entreprises championnes du diesel en déclin, 15 000 emplois étant menacés. C’est vrai qu’on a cette conversion à programmer. Là-dessus, je m’appuie sur les travaux de T&M. avec qui on a fait des analyses. Il y a bien 15 000 emplois menacés en France, mais aussi un potentiel de création d’emplois absolument pas négligeable. Ce qui a été démontré au niveau européen c’est que l’électromobilité pouvait créer jusqu’à 200 000 emplois à travers l’Europe dans les années à venir.

Ce ne sont pas les mêmes emplois que ceux d’aujourd’hui dans l’industrie automobile. C’est donc une reconfiguration beaucoup plus large, la majorité des créations d’emplois se faisant dans les services sur l’électromobilité, parce qu’on a du partage, de la maintenance, etc.

Non seulement il faut créer ces emplois dans les secteurs de l’électromobilité, des véhicules hydrogène et biogaz, trop peu développés, mais également sur tout ce qui est services de mobilité en général, puisqu’on est en train aujourd’hui de basculer d’une politique de transports à une politique de mobilité. Ce sont aussi tous les emplois liés à l’intermodalité, aux services partagés, que ce soit la voiture, le vélo, etc. à la gestion des systèmes d’information, à l’intermodalité, qui permet aux usagers de passer d’un mode un autre beaucoup plus facilement. C’est un changement en profondeur, avec une diversité d’acteurs beaucoup plus importante.

Pour créer ces emplois, on a besoin d’investir, ce qui est assez compliqué par les temps qui courent, parce que les capacités d’investissement sont faibles. En effet, selon le think tank IforC, pour atteindre les objectifs climat les besoins d’investissements en France sont de l’ordre de 55 à 85 milliards par an, contre globalement 31 milliards par an aujourd’hui sur l’ensemble des besoins. Pour le secteur automobile, les investissements européens sur l’électromobilité et l’hydrogène sont de 3,1 milliards d’euros par an, alors que sur la même période, les constructeurs investissent autant en Chine, voire plus, puisqu’en fait c’est 7 fois plus, à 21 milliards. La problématique d’investissement est moins liée à un défaut de capacité qu’à une orientation des investissements, pourtant ces investissements représentent les emplois de demain. Pour nous, le vrai sujet pour l’emploi demain, c’est où sont effectués les investissements, à quel niveau et comment on les libère. Pour libérer les investissements, il faut à la fois les réorienter, parce que la transition écologique ne se traduit pas seulement par des investissements supplémentaires, mais aussi en une réorientation, en sortant des subventions aux énergies fossiles et l’arrêt d’un certain nombre de projets et par ailleurs il devient primordial de jouer sur les mécanismes de flexibilité permis par les traités européens pour libérer les capacités d’investissement.

Enfin, pour conclure, effectivement, l’échéance 2040 pose un petit souci, puisqu’en 2050 les véhicules à essence ne pourront plus rouler. Si on veut être neutre en carbone, il faut qu’ils ne roulent plus, sachant que la durée de vie d’un véhicule est plutôt de 15 ans et que leur durée de vie a tendance à s’allonger.

S’ils ne doivent plus rouler en 2050, il faudrait les interdire avant. Il est facile de le dire, mais il faut quand même que ce soit plausible. On voit bien que tous les constructeurs se sont engagés pour 2020, 2025, 2030 et 2035, qu’un certain nombre d’États au niveau européen se sont déjà engagés à sortir du diesel et de l’essence d’ici 2030 et que finalement, en queue de peloton, se trouvent la France et la Grande-Bretagne. Je voulais juste attirer votre attention sur cette échéance qui finalement n’est pas si ambitieuse que cela. Peut-être qu’on devrait peut-être plus se caler sur les constructeurs.

Une étude du réseau transport et environnement à laquelle nous avons contribué montre qu’effectivement, si on a 100 % de véhicules à très faibles émissions vendus à partir de 2035, on peut atteindre l’objectif zéro émission nette en 2050, à condition d’avoir, à partir de la fin, de vente, une interdiction progressive de circulation pour les véhicules émettant des gaz à effet de serre, diesel et essence. Il faut que cet objectif de fin de vente soit combiné à des interdictions de circulation, sans cela on n’y arrive pas, les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre étant incompatibles avec l’atteinte des objectifs climatiques.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. S’agissant des différences annonces de dates dans les pays, il faudrait voir lesquels ont des industries automobiles sur leur territoire. Les industriels doivent aussi s’adapter à une technologie nouvelle, puisque jusqu’à présent les véhicules électriques représentent encore une part faible de la production, même si de nombreux constructeurs ont annoncé des modèles électriques dès 2019. Il faut attendre que cette dynamique s’enclenche. C’est vrai que la fin des véhicules thermiques annoncée dans le Plan climat peut prêter un peu à confusion du point de vue industriel, un moteur thermique pouvant aussi fonctionner avec du biogaz, des biocarburants, voire de l’hydrogène. Dans notre rapport, nous avons finalement choisi l’expression de fin de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, ce qui permet justement de balayer toutes les possibilités pour 2040. Mais les industriels ayant du mal à avoir une visibilité sur plus de 15 ans, les conditions exactes pour arriver à l’objectif 2040 restent incertaines, compte tenu de la diversité des technologies. Il faut que la politique au niveau européen et national s’adapte à ces incertitudes, et à la réalité industrielle.

Mme Marie Chéron. Par rapport à votre remarque, la difficulté en France, c’est-à-dire qu’on a deux constructeurs majeurs, Renault et PSA, avec des politiques qui ont été très différentes, puisque Renault s’était engagé depuis longtemps sur l’électrique et va pour la première fois lancer une gamme d’hybrides, alors que PSA de son côté a pris quand même beaucoup de retard, et on sait que pendant encore 5 ans, les choses vont être compliquées, avec toutes les réticences qu’ils ont sur le sujet, d’ailleurs pas complètement dénuées de sens. Donc, on a cette difficulté et la nécessité d’accompagner néanmoins les constructeurs. Ce qui nous semble important, c’est de montrer que politiquement il y a un signal à donner qui est extrêmement fort et que si aujourd’hui on prend du retard sur cette conversion, c’est l’économie française qui va en pâtir, puisque de toute façon ce sont des groupes internationaux. Quand on regarde les investissements, les groupes français investissent aussi dans d’autres pays, par exemple en Chine.

Mme Huguette Tiegna. Les chiffres que vous avez donnés en termes d’investissements en Chine, portent-ils sur l’ensemble des investissements nationaux ?

Mme Marie Chéron. C’est la somme des investissements privés des constructeurs. Là-dessus, je pense qu’il y a une prise de conscience de l’Europe et de la France en particulier. La question de l’alliance pour les batteries démontre qu’il y a une volonté de rapatrier la production sur le territoire, avec les difficultés que l’on sait, parce qu’il faut recréer des chaînes de valeur et associer des acteurs, ce qui n’est pas si facile. Il faut aussi s’assurer qu’une alliance pour les batteries permette de faire le saut vers une nouvelle génération de batteries qui soient réellement moins consommatrices de matières premières. De toute façon, on est obligés d’anticiper sur la technologie de batterie suivante puisque sur celle-là, c’est trop tard.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce que vous avez plus d’éléments sur la problématique de déploiement des infrastructures de recharge, qui est cruciale pour la pénétration des véhicules électriques ?

Mme Marie Chéron. Le seul point problématique que nous avons identifié concerne le déploiement des bornes à recharge rapide qu’il ne faut pas trop systématiser parce qu’elles ont un impact en termes d’appel de puissance. Nous appelons à la raison sur le déploiement de ces bornes. Et puis, il y a tout ce qui concerne l’alimentation de ces bornes. Nous n’avons pas d’objection aux bornes de recharge rapide si elles sont alimentées par des renouvelables. Certaines expérimentations sur le sujet sont plutôt intéressantes et plutôt intelligentes. Enfin, nous nous intéressons aux expérimentations de roaming, d’itinérance pour que l’automobiliste puisse choisir l’énergie avec laquelle il roule. Ce n’est pas pour tout de suite, mais toutes les expérimentations menées sur ce sujet par le cabinet Items avec la Compagnie nationale du Rhône nous semblent importantes. On a vraiment besoin de changer le rapport à l’énergie. L’électromobilité, c’est la convergence des systèmes énergie et mobilité. Du coup, il faut changer le rapport de tout un chacun à l’énergie, ça passe par les modes de recharge, dans les entreprises par de nouvelles compétences sur la gestion des flottes, dans les compagnies de taxi, parce que ça va modifier fortement leur façon de gérer ces recharges mais également par la possibilité pour l’automobiliste de choisir l’origine de son électricité, d’être conscient qu’en fonction de la façon dont il recharge ça va faire jouer son budget carburant. Cela nous semble déterminant, en termes pédagogiques, et des politiques à la fois contraignantes et d’incitation doivent permettre d’aller dans ce sens-là.

Quelques observations de ma part, d’abord sur l’acceptabilité des mesures que vous préconisez. Il y a la théorie, et puis la pratique. Nous sommes d’anciens élus locaux, et aussi à l’écoute de nos concitoyens. Si nous ne sommes pas à l’écoute, ils viennent de toute façon à nous.

Nous sommes d’accord sur les grands principes. Par exemple, sur le zéro carbone en 2050, on peut se dire aussi, de même qu’on fait une analyse de cycle de vie totale pour une voiture, on peut imaginer de prendre en compte l’absorption du CO2, avec des politiques vertueuses et dynamiques des villes, par exemple pour replanter des arbres. On sait que cela permettrait aussi d’absorber du CO2. Certaines villes développent des programmes très ambitieux dans ce domaine. Je pense que ce qui est vraiment visé ce n’est pas zéro émissions mais zéro excès de carbone dans l’atmosphère. Donc il faut aussi mettre cela dans la balance.

Sur l’interdiction, j’observe que ce qui a très bien fonctionné en Norvège, même si le modèle n’est pas transposable, ce sont les incitations, curieusement il n’y a pas eu d’interdiction. Encore une fois, c’est très différent car ils n’ont pas de constructeurs nationaux, ils ont une électricité produite quasi gratuitement, entièrement verte, etc. Néanmoins, ils ne sont pas allés vers une interdiction.

Ensuite, les véhicules les plus polluants sont souvent les plus anciens, même si les SUV contredisent en partie cette règle, si on veut renouveler ces véhicules, on s’adresse plutôt aux familles les plus modestes, pour lesquelles un critère bloque : le prix d’achat du véhicule électrique. J’en ai fait l’expérience moi-même. Aujourd’hui, ces véhicules sont plutôt destinés aux classes aisées qui veulent faire un geste pour l’environnement. On ne peut évidemment pas démultiplier les incitations financières en l’état actuel des finances publiques. Le bonus écologique de 6 000 euros ce n’est quand même pas rien, je rappelle qu’on est à 25 % d’endettement annuel : 100 milliards de dette sur un budget de 400 milliards. On ne peut pas promettre n’importe quoi. C’est bien d’afficher des objectifs très ambitieux, mais il faut aussi être pragmatique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. On n’a pas parlé du biogaz issu de la méthanisation qui, me semble-t-il, peut être une vraie chance pour nos territoires et nos agriculteurs, avec de la valeur ajoutée non délocalisables, de l’hybride, et de l’hydrogène. Or, il y avait un débat hier après-midi au Sénat, l’hydrogène est présenté depuis de nombreuses années, comme l’énergie du futur. Est-ce que vous partagez cette opinion ? Évidemment, 95 % de la production d’hydrogène actuelle est d’origine fossile. Faut-il mettre le paquet sur sa décarbonation ? Du coup, on résoudrait le problème des batteries, puisque vous avez dit tout à l’heure qu’il faut réduire la taille des batteries. Mais mon président de département dit qu’avec un véhicule électrique on ne peut pas faire l’aller-retour à Paris. C’est un problème, car on ne peut pas considérer que c’est un véhicule répondant à tous les besoins toute l’année. Il ne faut pas mentir aux gens. Ce que je préconise pour l’instant, c’est de dire qu’on n’a pas de solution, sauf à avoir les moyens d’acheter une Tesla à 70 000 euros. Pour le reste, on est encore sur une deuxième voiture qui peut devenir très rentable si on roule beaucoup. Par exemple, le président du syndicat d’énergie du Maine-et-Loire a fait 35 000 kilomètres l’an dernier dans le périmètre du département avec sa Zoé.

Mme Marie Chéron. Je n’ai pas abordé le biogaz parce que nous n’avons pas le même niveau d’expertise sur cette question, par contre, pour nous, il faut renforcer le niveau d’investissement sur l’hydrogène et sur le biogaz, parce qu’effectivement il y a ces boucles vertueuses au niveau local.

M. Stéphane Piednoir. C’est aussi vrai pour les biocarburants.

Mme Marie Chéron. Ce sont deux sujets qui sont à l’ordre du jour cette année – nous ne pouvons pas traiter tous les sujets en même temps avec des vraies questions sur les biocarburants. Dans la SNBC il est prévu que les véhicules consomment en 2030 encore 4 litres au 100. Pour les ONG il y a toujours une difficulté à se positionner sur ces biocarburants, en raison des conflits d’usage. Pour l’instant, c’est un peu une zone d’ombre, mais effectivement ils font partie du mix. Pour nous, si aujourd’hui le mix est constitué de diesel et d’essences, demain il faut aller vers un mix beaucoup plus diversifié, mais en termes d’investissement cela na va pas forcément de soit. Les échos qu’on a des constructeurs, c’est qu’ils ne peuvent pas investir sur toutes les technologies. Les investissements publics ne peuvent pas non plus aller sur toutes les technologies, puisque, ce sera moins rentable. Pour obtenir des économies d’échelle et aller plus vite, il faut se concentrer sur une technologie. Malgré cela nous insistons quand même sur la diversité.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que cela signifie aussi qu’il faut peut-être arrêter de prévoir des normes de plus en plus restrictives, par exemple sur les émissions de CO2 des véhicules diesel ? Les constructeurs disent qu’à un moment donné, ils ne peuvent plus suivre. Ils peuvent continuer à faire de la recherche et développement pour concevoir des moteurs thermiques qui émettent de moins en moins de gaz à effet de serre, mais ils ne pourront pas faire autre chose.

Mme Marie Chéron. La FNE ne travaille pas du tout sur ces normes, parce que pour nous ce n’est plus le sujet ou alors il faut croire - ce qui n’est pas notre cas - qu’il pourrait exister des moteurs diesel ou essence propres. Aujourd’hui, la priorité, là où il faut mettre les moyens et l’énergie, si on veut vraiment accélérer, c’est sur les alternatives.

M. Stéphane Piednoir. Les constructeurs ont besoin de mobiliser des fonds, des hommes et de l’énergie pour la recherche, qu’il faut réorienter sur les autres domaines.

Mme Marie Chéron. Il y a un domaine d’incertitude qui porte sur les usages. Utiliser le même véhicule diesel pour aller à la boulangerie et partir en vacances ce n’est pas possible, on ne peut pas utiliser le même outil pour faire des choses complètement différentes. Il faut donc vraiment travailler sur les usages, sur le passage de la propriété au service, qui permettrait d’utiliser à la fois des véhicules adaptés, sans doute électriques, sur des territoires avec des bassins de vie, à l’échelle des déplacements du quotidien, avec des technologies adaptées, et des tailles de véhicule adaptées, et, pour les longues distances et d’autres besoins, peut-être effectivement l’hydrogène qui apporte une belle alternative. Nous y croyons beaucoup parce qu’on aura des années difficiles, avec des niveaux d’infrastructures qui pourront être insuffisants dans certaines zones en France, par exemple au moment du départ en vacances. La PFA disait que l’été 2021 pour partir en vacances avec un véhicule électrique, cela risque d’être compliqué. Ils arrivent à anticiper certaines choses, mais effectivement je ne crois pas qu’on puisse aller tous en vacances en véhicule électrique. Il faut réfléchir à cette complémentarité entre les différentes technologies, et faire remonter les expérimentations ainsi que les programmes. Les conflits sont assez fort entre les différents acteurs, y compris chez nous entre les experts énergie, sur le biogaz les positions ne sont pas tranchées.

Mme Huguette Tiegna. Sur la prime à la conversion quelle est votre position, par exemple pour les véhicules diesel neufs ?

Mme Marie Chéron. La prime à la conversion nous la soutenons depuis très longtemps. Elle concernait très peu de monde alors que nous la soutenions déjà. En 2018, on a observé qu’il y a que sept % des véhicules neufs sont diesel. C’est le moment, on peut donner un signal et arrêter de subventionner les diesels. 2020 doit marquer un tournant, on arrête de subventionner les énergies fossiles. Il en va de même pour les véhicules essence. Il faut donner un signal très clair. Quand une ONG cite M. Carlos Tavarès, ça devient historique avec l’augmentation des véhicules essence, on va se retrouver avec des émissions de CO2, des notes à payer pour les constructeurs qui vont devenir intenables. En plus, comme l’indiquent les acteurs de l’électromobilité, tant qu’on maintiendra un discours positif sur l’essence avec des primes à l’essence, on n’arrivera pas à faire décoller le véhicule électrique. Le prix du véhicule électrique n’est pas compétitif par rapport au véhicule thermique, parce qu’on donne des primes et les constructeurs des surprimes et très peu de surprime aux véhicules électriques. C’est logique, ils ont des stocks. Tant que les incitations ne seront pas très claires et en avec les politiques et les constructeurs, ça ne passera pas.

Mme Huguette Tiegna. La difficulté du message, c’est que si on considère qu’il s’agit des classes moyennes supérieures qui achètent des véhicules diesel neuf, cette démarche se tient. Mais si l’on pense aussi à ceux qui sont dans les territoires et qui ne peuvent pas utiliser d’autres alternatives aujourd’hui, parce qu’ils n’ont pas les moyens, pour eux c’est positif qu’il y ait des aides pour les versions moins polluantes des véhicules essence et diesel.

Mme Marie Chéron. Sur ce plan, nous avons proposé, en complément de la prime à la conversion, un prêt à taux 0, parce qu’au bout de quatre ans, le véhicule électrique devient rentable pour un usage moyen. C’est ce qu’a montré l’étude de l’UFC-Que choisir publiée en octobre. C’est la meilleure chose qu’on puisse donner aux ménages les plus précaires. Par contre, en les aidant à acheter un véhicule diesel, on les enferme, à horizon de cinq ans, dans un piège social. Un prêt à taux zéro pour acheter dans des conditions favorables, un véhicule à faibles émissions, cela nous semble opportun.

Par ailleurs, effectivement, on a toujours cette problématique territoriale que nous ne nions pas du tout. C’est pour cela que nous n’avons pas mis d’objection majeure à la prime aux hybrides. Nous avons préconisé que si ces primes étaient rétablies, elles se limitent aux hybrides en dessous de 35 ou 37 mille euros. On avait mis un plafond de prix et une autonomie minimale à 50 kilomètres en électrique. Le problème avec les hybrides c’est qu’aujourd’hui la stratégie des constructeurs a été d’hybrider les véhicules les plus lourds, type SUV. C’est pour cela que tout monde s’énerve contre les SUV. Ils sont hybridés, ont un niveau d’émissions officiel assez faible, mais dans les faits, ils ne sont pas du tout utilisés avec la batterie.

Ils pèsent beaucoup plus à la fabrication, quand ils roulent, comme ils sont plus lourds, ils consomment plus. Donc, pour le porte-monnaie, ce n’est peut-être pas gênant, parce que les personnes qui achètent ces véhicules ont les moyens mais ça ne sert à rien de les subventionner.

Mme Huguette Tiegna. Les constructeurs qui vont vers ces modèles de grosses voitures parce que, selon eux, cela correspond à la demande des clients. Ces deux dernières années, beaucoup plus de SUV ont été vendus, d’où l’augmentation des émissions de CO2 malgré les mesures en place. Est-ce qu’il ne faudrait pas que les constructeurs s’inscrivent aussi dans cette logique environnementale ?

M. Stéphane Piednoir. Les constructeurs fabriquent des véhicules qui se vendent.

Mme Huguette Tiegna. Avec le marketing, les gens vont bien sûr les acheter, parce qu’ils en ont entendu parler, mais le marketing ne prend pas trop en compte les aspects écologiques.

Mme Marie Chéron. Voici quelques mois, avec notre interlocuteur au cabinet du premier ministre nous étions tombés d’accord sur le fait que la prime à la conversion 2020 devait engager une prise en compte un peu plus fine de critères de performance environnementale. Mais la difficulté, c’est qu’il ne faut pas non plus créer une usine à gaz, car notre communauté nous indique qu’elle ne comprend déjà plus. Cette année nous avons mis en ligne un mode d’emploi sur notre site, car il faut de la pédagogie.

Dernier point, quand même, sur ce qui se vend et plaît aux automobilistes le marketing joue un rôle fondamental. Les constructeurs sont quand même les premiers pourvoyeurs de publicité. Au niveau européen entre les montants de publicité investis dans la publicité, la part consacrée aux véhicules électriques est de un pourcent. Dernièrement, dans un groupe de travail intitulé objectif 2040 consacré à l’accélération de la conversion, il nous avait été demandé effectivement de faire preuve de pédagogie. On en fait déjà mais qu’est-ce que pèsent les ONG par rapport aux publicités en prime-time ? En consacrant un peu plus de temps aux véhicules électriques, le passage se fera, parce qu’aujourd’hui les techniques de marketing sont suffisamment avancées et efficaces.

Mme Huguette Tiegna. Dernière question concernant le recyclage, au niveau de la réglementation, pensez-vous possible d’agir au niveau national, pour anticiper un certain nombre de choses ou faut-il attendre la révision de la réglementation européenne ? Si un pays décide d’accélérer son processus de sortie des véhicules émettant des gaz à effet de serre, il faut aussi créer tout l’environnement, y compris en matière de recyclage.

Mme Marie Chéron. Au niveau européen, la réglementation devrait être en cours de révision.

Je pense que les deux peuvent être de nature différente. Effectivement, que la France porte une position ambitieuse sur la réglementation européenne pour relever le taux obligatoire de recyclage et le porter jusqu’à 70 % par exemple, cela nous semble aujourd’hui parfaitement justifié. Il existe aussi un enjeu sur l’organisation de l’écosystème de recyclage, pour garantir la collecte.

Mme Huguette Tiegna. Effectivement, lors de l’audition de la SNAM, une de leur suggestion était de prévoir un système de consigne pour garantir la récupération des batteries. Par ailleurs, ils ont évoqué les difficultés liées à l’absence de statut de recycleur.


Audition de M. Patrick de Metz,

directeur des affaires environnementales et gouvernementales, Saft

 

Jeudi 21 février 2019 au Sénat

 

M. Patrick de Metz, directeur des affaires environnementales et gouvernementales, Saft. Saft a fêté l’an dernier son centième anniversaire. Cette entreprise industrielle est longtemps restée dans le giron de la Compagnie générale d’électricité, devenue ensuite ALCATEL, puis, avec les difficultés de cette dernière, a été vendue et placée en bourse pendant une dizaine d’années, avant d’être rachetée par le groupe Total, à l’été 2016.

Avant son intégration au groupe Total, Saft était une ETI, une entreprise de taille intermédiaire, avec 4 300 collaborateurs dans le monde, dont 1 700 à 1 800 en France, le reste étant en Europe, en Amérique du nord, et en Asie. Nous avons quatorze sites de production. Notre siège et notre direction de la recherche sont basés en France, respectivement à Levallois et à Bordeaux.

Notre positionnement était jusqu’à présent la conception, la fabrication, et la commercialisation de batteries destinées à différents secteurs industriels très pointus, demandant des performances hors normes. Même si nous avons été, voici plus de trente ans, fournisseurs de piles grand public, nous ne sommes pas dans la « grande cavalerie ».

Par exemple, nous sommes fournisseur d’Airbus pour les batteries embarquées, qui assurent un certain nombre de fonctions de secours. Nos positions sont aussi très fortes chez Boeing. Nous vendons également des batteries destinées au secours dans les chemins de fer, embarquées ou pour la signalisation des réseaux, plutôt destinées à des installations dans les régions du monde au climat difficile, très chaud ou très froid, où la sécurité ne peut être assurée par des batteries de grande série. Plus anecdotique mais néanmoins important, nous avons fourni son énergie à la sonde Philae, qui s’est posée sur la comète Tchourioumov-Guérassimenko. Nous fournissons, par ailleurs, des produits pour la défense nationale.

La technologie au plomb domine aujourd’hui encore les produits industriels. Elle est utilisée pour les batteries de voitures, une grande partie des batteries industrielles assurant le secours dans les usines, ou la propulsion des chariots élévateurs. Nous ne travaillons pas du tout avec cette technologie, qui fonctionne bien, mais dont les performances sont limitées sur certains aspects.

Nous maîtrisons d’autres technologies, dont la technologie lithium-ion. Nous l’avons introduite, voici plus de vingt-cinq ans, pour des applications satellites, car nous sommes aussi leader mondial des batteries pour satellite en orbite haute, les satellites géostationnaires, pour lesquels les contraintes sont assez fortes, en termes de maintenance. Pour les satellites en orbite, qui tournent autour de la terre en 90 minutes, les batteries se chargent pendant 45 minutes au soleil et se déchargent sur la même durée à l’ombre, ce durant toute l’année. Par conséquent, nous fabriquons des batteries lithium-ion performantes et fiables pour des applications en général assez pointues.

Depuis l’acquisition de notre société par le groupe Total, les ambitions sont un peu différentes, même si nous avions déjà commencé à explorer de nouveaux marchés. Nous agissons pour pénétrer d’autres marchés, notamment celui des batteries destinées au réseau électrique et au stockage d’énergie, à la fois dans les réseaux de transport et de distribution eux-mêmes, et pour des applications chez des utilisateurs industriels ou commerciaux. Par contre, nous n’envisageons pas de commercialiser des batteries de stockage destinées au grand public. Ces batteries peuvent assurer de nombreuses fonctions sur les réseaux, souvent assez complexes, les principales concernant le lissage, le déplacement de l’injection, ainsi que des fonctions plus pointues, comme la gestion de la fréquence. Nous avons déjà commencé à développer les produits, par exemple pour faciliter l’introduction de l’énergie photovoltaïque dans les réseaux. Celle-ci étant très instable et créant des perturbations, il s’avère intéressant de disposer d’un tampon pour lisser.

Nous avons lancé, voici maintenant près d’un an, une initiative avec quatre fabricants européens de composants de batteries, pour accroître notre offre dans le domaine des batteries lithium-ion destinées aux secteurs industriels intermédiaires, en termes d’exigence et de volumes. Il s’agit, par exemple, d’applications telles que le stockage d’énergie pour les réseaux, précédemment citée, des batteries pour bus électriques ou hybrides, pour certains chariots élévateurs, habituellement dotés de batteries au plomb, ou encore pour la mobilité marine, afin d’éviter l’utilisation de moteurs à combustion interne dans les ports, ou pour des bacs parcourant de courtes distances, compatibles avec une propulsion électrique.

Pour servir ces marchés intermédiaires, nous avons annoncé un important programme de recherche et développement en mars 2018 avec plusieurs partenaires : SOLVAY, entreprise belge fabriquant des polymères spécifiques, UMICORE, autre entreprise belge spécialiste de certains métaux de chimie minérale, qui produit des matières actives pour batteries utilisant du nickel, du cobalt, etc., SIEMENS, entreprise allemande concevant des logiciels d’assistance à la conception et à la production – à présent, il faut être extrêmement pointu dans les installations industrielles, donc il faut beaucoup modéliser avant de construire – et MANZ, autre entreprise allemande qui fabrique des machines très particulières pour l’assemblage de composants de batteries. L’objectif est de développer des générations plus avancées de batteries lithium-ion, avec une densité d’énergie supérieure, en volume ou en masse, permettant de rendre le même service avec moins de ressources.

Une deuxième phase concerne l’introduction de batteries dites « tout solide », ou solid state en anglais, utilisant la même électrochimie ou une chimie très proche, mais remplaçant l’électrolyte liquide inflammable dans certaines conditions – nécessitant d’associer une intelligence à la batterie pour les éviter – par un électrolyte solide. Bien évidemment, nos batteries actuelles pour les satellites et les avions ne prennent pas feu. Ces risques sont maîtrisés, au prix de beaucoup de sophistication et d’électronique. Changer de technologie permettrait de simplifier cette électronique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. L’objectif est-il de faire baisser les prix ?

M. Patrick de Metz. L’objectif, pour remporter ces marchés très concurrentiels, est d’avoir des produits européens positionnés au juste prix.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Quand cette technologie sera-t-elle maîtrisée ?

M. Patrick de Metz. Ce projet de développement de technologie « tout solide » devrait permettre de mettre ce type de produits sur le marché au milieu de la prochaine décennie pour certaines applications. Aujourd’hui, plusieurs challenges techniques restent à résoudre, alors que les batteries lithium-ion à électrolyte liquide existent depuis les années 1990.

À présent, nous voyons arriver un ensemble de signaux forts pour la mobilité grand public électrique, qui remplacera pour partie les moteurs à combustion interne.

M. Stéphane Piednoir. Souhaitez-vous également vous positionner sur ce marché ?

M. Patrick de Metz. C’est un challenge assez différent, que nous analysons de très près. Il nécessite de réunir au préalable plusieurs conditions pour réussir. Celles-ci doivent être rassemblées avant de franchir le pas. Il s’agit d’un saut d’un facteur cinquante en volume par rapport à ce que nous produisons aujourd’hui, donc d’une autre échelle que nos marchés industriels classiques. On ne peut lancer de tels investissements, en espérant emporter par la suite tel ou tel client.

Une première condition avant d’envisager ces investissements concerne la possibilité de signer des accords avec des constructeurs automobiles, soit sous forme de contrats de fourniture ferme, passés très en amont pour pouvoir lancer des investissements deux ou trois ans avant livraison des premiers produits, soit des accords capitalistiques, soit sous forme de groupement d’intérêt économique (GIE). Si l’on veut être bien assis, il faut chercher ces partenaires automobiles non seulement en France, mais probablement aussi de l’autre côté du Rhin.

M. Stéphane Piednoir. Cela semble logique s’agissant d’un accord franco-allemand.

M. Patrick de Metz. Manifestement les pouvoirs publics français s’y emploient, tout comme nous.

Une deuxième condition porte sur un soutien des pouvoirs publics. Dans le cadre du projet déjà très conséquent lancé voici un an, évoqué précédemment, Saft a reçu un soutien national, au travers des appels à projets lancés par l’ADEME dans le cadre du troisième Programme d’investissements d’avenir (PIA3). Si nous devons nous lancer dans le développement de produits destinés à la mobilité électrique, des travaux complémentaires conséquents devront être réalisés. Saft aura également besoin du soutien des pouvoirs publics pour les phases de recherche et développement, puis, probablement, pour certaines phases de déploiement industriel, compte tenu du caractère massif des infrastructures à mettre en place. À cet égard, Les annonces du président Macron en début de semaine représentent un message très positif.

M. Stéphane Piednoir. J’ai lu que le financement proposé permettait d’envisager une implantation de production sur le territoire, mais qu’en revanche il ne couvrirait pas la recherche et développement.

M. Patrick de Metz. D’après nos estimations, l’ordre de grandeur du financement mentionné, même s’il n’est pour l’instant pas attribué à un acteur en particulier, couvrirait les premières phases de recherche, de développement et de premier déploiement industriel.

Mme Huguette Tiegna. Pensez-vous qu’un « Airbus des batteries », souvent évoqué, permettrait de faire front, pour la seconde génération de batteries, à la concurrence chinoise ?

M. Patrick de Metz. Airbus s’en sort bien face aux Chinois, jusqu’à présent. Mais je ne sais pas si Airbus est le modèle adéquat. Airbus est, de fait, une entreprise européenne monopolistique. Sans être historien de l’industrie européenne ou du cadre réglementaire européen, il me semble qu’Airbus correspond à un mode de collaboration peut-être un peu dépassé, voire inenvisageable en Europe aujourd’hui, comme le montrent des décisions récentes dans le domaine ferroviaire. Au final, Airbus a progressivement rassemblé quasiment la totalité de l’industrie européenne du secteur. J’ignore si ce consensus serait réalisable entre les industriels européens des batteries. Ce modèle correspond à une époque, je ne sais pas s’il serait reproductible à l’identique aujourd’hui.

Mme Huguette Tiegna. Pour le moment, ce sont surtout les responsables politiques qui l’évoquent, notamment les premiers ministres allemand et français, mais du côté des entreprises les choses semblent moins claires.

M. Patrick de Metz. Les travaux qu’on engagerait ne pourraient être menés qu’avec d’autres acteurs, de préférence européens, leader dans leur domaine au niveau mondial pour certaines parties de la batterie, comme UMICORE ou BASF, pour les matériaux actifs destinés aux batteries, SOLVAY pour les électrolytes solides et les séparateurs, ou encore SIEMENS, pour la modélisation et le développement industriel. Nous avons donc créé une alliance, d’ailleurs non exclusive, SAFT ayant d’autres partenaires. Cet écosystème, créé autour de nous, ne constitue pas un véritable Airbus, au sens où il ne regroupe pas toute l’industrie complexe du domaine.

Une dernière condition consiste à tirer parti de nos forces en Europe. L’Europe a beaucoup investi, plus que d’autres zones industrielles telles que l’Amérique du Nord et l’Asie, dans la recherche d’un certain nombre d’éléments de performance qui correspondent à nos valeurs, peut-être pas universellement partagées. Nous pensons que les produits européens doivent se différencier sur la base de nos valeurs, suivant trois axes.

Tout d’abord, nos produits doivent être, en eux-mêmes, plus performants en matière environnementale, notamment sur l’empreinte CO2. Ces batteries sont tout de même prévues pour permettre de réduire les émissions de CO2 liées à la mobilité. Sur le plan de la pollution locale dans les villes, au niveau du pot d’échappement, il n’existe pas de différenciation. Mais sur la performance CO2, on peut imaginer que des batteries, en grande partie réalisées en Europe, où l’électricité est quand même moins carbonée, se distinguent.

M. Stéphane Piednoir. Sur ce plan, il existe des différences notables en Europe, d’un pays à l’autre.

M. Patrick de Metz. En moyenne, l’électricité européenne est tout de même moins carbonée que dans les pays asiatiques, même si ce n’est pas homogène d’un pays à l’autre. La France a un avantage sur ce plan. Ma remarque vaut au niveau de la plaque européenne, vis-à-vis d’autres zones industrielles dans le monde, même si, au sein de la plaque européenne, il existe un deuxième niveau de différenciation.

Mme Huguette Tiegna. Comment réaliser cette mesure de l’empreinte CO2 des batteries ?

M. Patrick de Metz. L’analyse de l’empreinte CO2 d’une batterie peut être réalisée de façon très localisée ou plus large. Par exemple, un fabricant de batteries commence par produire des cellules. La cellule constitue l’élément de base dans lequel s’effectue la réaction chimique, l’élément qui contient l’énergie. La fabrication des cellules, qui est réalisée par Saft, n’est pas très consommatrice d’énergie. La consommation d’énergie intervient beaucoup en amont, et en partie durant l’usage. L’amont englobe l’extraction des matières par l’industrie minière, la transformation de ces matières, le raffinage, et la fabrication des matières actives, par la chimie de pointe. Toutes ces étapes sont assez énergivores. Après, ces matières nous sont livrées et nous les intégrons dans une enveloppe, pour constituer une cellule. Ensuite ces cellules sont assemblées dans les batteries. Ces dernières étapes, également réalisées par Saft, ne correspondent qu’à 10 à 15 % du bilan énergétique global. Ces étapes, si elles sont réalisées en Europe, utiliseront une énergie généralement assez verte. Les 80 % restant, essentiellement en amont, sont réalisés en dehors de l’Europe, avec une énergie plus chargée en CO2. Nous pensons que la mesure de cette empreinte environnementale doit se faire en remontant très loin, et en descendant jusqu’au recyclage. Cela peut représenter un élément différenciateur en faveur de l’industrie européenne sur tout le cycle.

C’est un premier axe de différenciation, correspondant à une question fréquemment posée. Il peut permettre à des batteries de bonnes performances de se différencier. Peut-être que ceux qui font de très mauvaises batteries ne pourraient plus les vendre, ceux qui en font des meilleures le pourraient, et ceux qui en font des très bonnes pourraient bénéficier d’une forme d’incitation.

Un deuxième axe de différenciation, qui correspond aussi à des questions régulièrement posées, concerne la fin de vie des batteries. Cette inquiétude sur le recyclage est en partie infondée, parce qu’un cadre réglementaire assez solide existe depuis 2006, avec une directive européenne transposée dans le droit de chaque pays européen, dont la France, en 2008 – 2009. Celle-ci oblige ceux qui mettent sur le marché des batteries à les reprendre et à les recycler. Cette directive a été écrite alors qu’on n’imaginait pas que la mobilité électrique pourrait prendre une grande ampleur, mais les principes sont déjà écrits. Peut-être qu’il faut un peu la réajuster, en fonction de ces nouveaux marchés, mais les principes sont là. Peut‑être que dans les processus de recyclage il faut se focaliser sur certains matériaux.

M. Stéphane Piednoir. La filière de recyclage des batteries automobiles existante est-elle suffisante ?

M. Patrick de Metz. La filière de recyclage existante est adaptée au flux actuel de batteries usagées. Il serait complètement inconséquent de construire aujourd’hui une filière de recyclage pour traiter des batteries vendues dans dix ans, qui n’arriveront en recyclage que dans vingt-cinq ans. La filière de recyclage s’adapte, au fur et à mesure, à l’évolution des marchés.

M. Stéphane Piednoir. Pour l’instant, nous en sommes à 1,5 ou 1,6 % de véhicules électriques vendus par an.

M. Patrick de Metz. Effectivement, mais la filière de recyclage est calée sur les ventes qui ont eu lieu voici 5 ou 7 ans. Tout le monde affirme que l’infrastructure nécessaire n’existe pas, mais elle n’est pas nécessaire. Par contre, il est nécessaire d’analyser le cadre réglementaire en place depuis dix ans, pour vérifier qu’il reste bien adapté. Il faut qu’on puisse dire à la fois aux pouvoirs publics, et au grand public, que nos produits sont pris en charge de façon adéquate en fin de vie.

Par exemple, le cadre réglementaire actuel ne prévoit pas la possibilité d’octroyer aux batteries une deuxième vie, pour certains marchés de stockage d’énergie, comme le marché domestique. Mais toutes les études réalisées, notamment dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), montrent que les marchés des batteries de stockage ne représenteront jamais qu’une fraction des batteries usagées, sortant de la filière automobile. C’est une possibilité, mais qui ne concernera qu’une part de ces batteries, de l’ordre de 10 %, mais pas 50 %. Il faudra des infrastructures de recyclage, mais il faut prévoir des pistes de réemploi, actuellement un peu compliquées sur le plan réglementaire.

Un troisième axe de différenciation concerne l’amont : d’où viennent les matières premières et comment sont-elles extraites ? On ne peut pas créer une industrie qui vise à créer un monde meilleur sur des bases malsaines. Donc, il faut veiller à ce que les acteurs de la chaîne d’approvisionnement amont traitent leur environnement et leurs collaborateurs d’une façon qui répond à des exigences sur lesquelles existe un consensus international, codifié dans les grands principes du droit international.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que cela ne risque pas d’être complexe à mettre en place ?

M. Patrick de Metz. C’est ce qu’on me répond. Mais depuis quatre ou cinq ans, la réglementation américaine exige de son industrie de déclarer si elle utilise des matériaux provenant de certaines zones. En tant que fournisseurs de grands industriels américains, nous devons pouvoir certifier qu’aucune de nos opérations ne fait appel à certains matériaux issus de certaines mines. Pour un fabricant de produits finis, il est très difficile de savoir d’où viennent les matériaux utilisés. C’est très compliqué, mais possible. Ce que tout le monde disait impossible voici cinq ans, peut être réalisé aujourd’hui. Si le régulateur exige que la chaîne d’approvisionnement respecte les grands principes de protection des travailleurs en matière de santé et d’hygiène, de droit du travail, du droit d’association etc., de grandes sociétés ne peuvent prendre le risque de ne pas le prendre en compte ou de mal le prendre en compte. De la même façon, il faut imposer le respect de l’environnement, du moins les principes de base, les grands principes de Corporate social responsability (CSR) en anglais. Nous pensons que les Européens peuvent se différencier sur ce point, en raison de leur sensibilité plus forte sur ce sujet.

Ces trois axes permettraient à la fois de nous différencier et de démontrer aux parties prenantes, en commençant par le public, que notre travail est bien fait.

Mme Huguette Tiegna. On sait que dans quelques années, avec la croissance des véhicules électriques, les entreprises auront certainement besoin de compétences nouvelles, par exemple dans le domaine des batteries. Est-il nécessaire de renforcer la formation sur ces métiers ?

M. Patrick de Metz. Nous constatons déjà des tensions sur le marché des ingénieurs qui travaillent sur la conception de ces produits. Pourtant, des écoles et des universités forment en France, et en Europe, et des compétences d’ingénieur existent dans ces domaines. Si ces problèmes perdurent dans des phases opérationnelles, cela pourrait devenir très handicapant.

Les compétences d’opérateurs sont un peu moins spécialisées que celles des ingénieurs en électrochimie, ce qui offre plus de souplesses. Par exemple, des opérateurs dans le domaine de la fabrication du papier ou de certains processus alimentaires ont des compétences un peu similaires à celles nécessaires pour la fabrication des batteries. En effet, la fabrication du papier traite de grandes surfaces étirées, transformées, enduites, et coupées, ce qui est très similaire à des processus de fabrication de certains composants des batteries. Dans certains processus alimentaires, il existe aussi une similitude, pour le mélange de composants. C’est un point qu’il faudra examiner avec attention. Mais tous les industriels aujourd’hui disent qu’ils ont du mal à recruter des collaborateurs compétents, fiables, etc. Il existe une mauvaise adéquation des demandeurs d’emploi avec les besoins des entreprises industrielles.

Mme Huguette Tiegna. Nous avons récemment entendu la SNAM. Travaillez-vous avec cette société ?

M. Patrick de Metz. Effectivement, la SNAM recycle depuis au moins vingt-cinq ans. Conformément au cadre réglementaire évoqué, nous avons passé des contrats avec des recycleurs en Europe et au-delà, la SNAM fait partie des entreprises avec lesquelles nous travaillons régulièrement.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que vous êtes inquiet de l’accès aux ressources hors continent européen ? Le recyclage pourrait-il apporter une solution ?

M. Patrick de Metz. Pendant très longtemps, le recyclage sera complètement insuffisant pour satisfaire les besoins, puisqu’il traite ce qui a été mis en marché dix ou quinze ans auparavant. Quand le marché aura atteint un régime de croisière, on peut s’attendre à ce que le recyclage joue un rôle important, mais pour un marché en forte croissance, c’est très insuffisant.

Pour assurer les approvisionnements, il faut fluidifier les marchés plutôt que de les fermer. En termes de disponibilité, nous avons plutôt une attente d’ouverture de marchés, pour éviter que les États conservent leurs ressources. Nous préférerions qu’ils encouragent leurs industriels à vendre sur le marché international. La géographie, étant ce qu’elle est, notre objectif est évidemment d’avoir accès à la ressource, en donnant la priorité aux fournisseurs qui mettent en œuvre les principes de bonne gouvernance, sur le plan environnemental et vis-à-vis de leurs salariés. Un cadre réglementaire obligeant l’ensemble des acteurs sur le marché européen à se plier à ces exigences serait préférable. Beaucoup de bases déjà écrites, tout un ensemble de conventions internationales, et de cadres développés pas l’industrie, pourraient faire l’objet d’une codification

M. Stéphane Piednoir. Cela nécessiterait-il un accord international ?

M. Patrick de Metz. Ce serait un accord international, mais qui peut se faire à 27 ou 28 pour l’accès au marché européen. Ce cadre, qui permet d’assurer à la fois des bonnes performances aux produits, une fin de vie bien maîtrisée, et le recours à une chaîne d’approvisionnement amont respectueuse de son personnel et de son environnement, peut être arrêté au niveau de l’Union européenne, comme exigences applicables aux entreprises pour accéder au marché européen, soit de l’extérieur, soit en fabriquant sur place.

M. Stéphane Piednoir. Certains accords avec des entreprises chinoises déjà en cours, notamment en Allemagne, ne risquent-ils pas de rendre la mise en place d’un tel cadre plus difficile.

M. Patrick de Metz. À ma connaissance s’implantent dans certains pays européens, notamment en Allemagne, soit des usines qui vont intégrer des cellules fabriquées en dehors de l’Europe, soit des usines qui fabriqueront ces cellules. Rien n’empêcherait ces entreprises d’être soumises à ce type de régime. Il suffirait que ces entreprises se plient aux exigences sociétales qui nous paraissent nécessaires pour créer une industrie sur des bases solides.


Audition de

M. Fabrice DENOUAL, directeur général délégué, ALD Automotive

 

Jeudi 31 janvier 2019 à l’Assemblée nationale

 

M. Fabrice Denoual, directeur général délégué, ALD Automotive. Je suis directeur général délégué d’ALD France depuis début 2014. ALD France est la plus ancienne et la plus importante filiale du groupe ALD Automotive, filiale de Société Générale, et, depuis mi-2017, en partie cotée en bourse, au sein du
SBF-120.

Gérant 530 000 véhicules en France, nous sommes leaders sur le marché avec deux autres acteurs principaux : Arval, filiale du groupe BNP Paribas, ainsi que les captifs des constructeurs : Free2Move, pour le groupe PSA, et DIAC, pour le groupe Renault.

D’autres acteurs sont de taille plus petite : Lease plan, Athlon, filiale de Mercedes, et Alphabet, filiale de BMW. Lease plan, entreprise Hollandaise et la seule entité aujourd’hui « indépendante » est détenue par des fonds d’investissement. Elle est leader mondial du secteur, avec une très forte présence en Amérique du Nord.

ALD Automotive est propriétaire de 320 000 des 530 000 véhicules gérés en France. Cela correspond au schéma de location longue durée (LLD) aux entreprises et plus récemment aux particuliers, lesquels représentent une toute petite partie de notre activité. Ces entreprises sont de toutes tailles, de la très grande entreprise du CAC 40 jusqu’à l’artisan, de 10 000 véhicules jusqu’à un véhicule, en termes de gestion de flotte. Les PME et TPE représentent aujourd’hui notre relais de croissance, essentiellement parce que les grandes entreprises ont largement anticipé ce passage de la propriété à l’usage, au début des années 1990-2000. À présent, les particuliers sont également en train de faire ce mouvement

Puis nous avons, pour 200 000 à 210 000 véhicules, une activité de gestion de flotte, dans le cadre de laquelle nous ne sommes pas propriétaires des véhicules, mais en assurons la gestion pour le compte de nos clients : maintenance, entretient, revente, le cas échéant, mise à la route, etc. Toute la vie de ces véhicules est gérée par nous. Nous travaillons pour l’UGAP et la direction des achats de l’État, qui nous ont référencé pour les différentes administrations, ministères, collectivités locales et territoriales.

Dans le cadre de la location longue durée, ALD France achète un peu plus de 100 000 véhicules par an, ce qui fait de nous un très important client des constructeurs automobiles. La durée moyenne d’un contrat de location est de 40 mois. La flotte est donc renouvelée environ tous les trois ans. Nous prenons le risque de revendre. Celui-ci fait partie de notre business model.

En chiffres ronds, le marché automobile français est à peu près de 2,5 millions de véhicules de moins de 3,5 tonnes – des véhicules que chacun peut conduire avec un permis B, au-delà ce sont des poids lourds – immatriculés par an. Sur ces 2,5 millions de véhicules, 500 000 sont des utilitaires et véhicules de société, c’est-à-dire des voitures de seulement deux places avec de l’espace à l’arrière, par exemple pour les échantillons d’un commercial.

Le restant, deux millions de véhicules particuliers, se répartit entre un million de véhicules vendus aux entreprises et un million vendu aux particuliers. Auparavant 55 % à 60 % des véhicules étaient vendus aux particuliers, alors qu’à présent les entreprises, au sens large, sont majoritaires. Cette évolution s’explique pour différentes raisons, notamment le renchérissement du prix des véhicules.

Dans la part d’un million de véhicules achetés par les entreprises, certains sont immatriculés directement par celles-ci pour leur activité propre, d’autres sont immatriculés en location longue durée, et le reste correspond aux véhicules de démonstration à zéro kilomètre des constructeurs.

Ces 2,5 millions correspondent au flux annuel. Le stock est de 38 millions de véhicules circulant en France. Sur ces 38 millions, 32 millions appartiennent à des particuliers, et le reste aux entreprises. Le parc des entreprises est estimé entre 5 et 6 millions de véhicules, destinés à réaliser leurs opérations et activités propres. Dans ce marché des entreprises, l’activité de location longue durée représente 1,8 million de véhicules. Sur le parc roulant, l’activité location longue durée représente donc un peu plus d’un tiers de l’ensemble des véhicules d’entreprise.

Les clients de la location longue durée sont essentiellement les grands groupes, ou grandes PME et TPE. Ce qui reste à conquérir, en termes d’activité, ce sont les plus petites entreprises : artisans, commerçants, etc. Évidemment, il s’agit d’une activité différente, pour laquelle nous sommes en train de nous structurer. Une seule grande entreprise loue 10 000 voitures, alors que 10 000 plus petites vont louer chacune une voiture.

Les principaux véhicules qui roulent en France, sont des Renault, Peugeot, Citroën, Volkswagen, Dacia, Toyota et Ford. Évidemment, il y a une très forte présence des constructeurs nationaux dans le paysage français. Sur les 2,5 millions d’immatriculations annuelles en France, en 2018 il y avait un peu moins de 40 000 véhicules électriques, 39 158 exactement. C’est une part de marché relativement faible de 1,4 %. Néanmoins, elle monte, puisque la croissance a été de 27 % sur le véhicule électrique en France. Elle monte pour différentes raisons, d’abord une raison d’offres, parce qu’historiquement elle était relativement limitée en termes de véhicules électriques, même si nous avons un grand champion dans ce domaine, avec la Renault Zoé, actuellement voiture électrique la plus vendue en France et en Europe. Elle est suivie par la Nissan Leaf, qui confirme la forte implantation de l’alliance Renault-Nissan sur ce segment, et, en troisième place, par la BMW i3. L’évolution des constructeurs vers une électrification de plus en plus importante des gammes est claire. L’offre s’agrandit, ce qui va permettre une extension du marché du véhicule électrique.

Par ailleurs, les progrès des technologies de batteries permettent des autonomies de plus en plus importantes. Un seuil psychologique a été franchi avec les derniers modèles, comme la Kia Niro qui atteinte les 400 kilomètres. Sachant qu’un véhicule en France, fait en moyenne moins de 20 kilomètres par jour, le véhicule électrique répondait déjà largement au besoin quotidien, mais il restait ce seuil psychologique qui fait que des personnes ont du mal à franchir le pas.

Un autre élément à l’origine de l’essor du véhicule électrique, est l’extension de l’infrastructure de recharge, avec 25 000 points de recharges publics en France. Cette croissance est un autre élément très favorable, car à l’inquiétude sur l’autonomie de la batterie s’ajoute celle sur la possibilité de recharge. Le jour où l’on parvient à rassurer les consommateurs de véhicules électriques sur ces deux sujets, le véhicule électrique ne sera plus un problème. Pour information, je suis moi-même conducteur de véhicule électrique. Une fois le pas franchi, il est difficile de revenir en arrière.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Est-ce que l’inquiétude disparaît ? Je teste aussi un véhicule électrique depuis quelques semaines, donc nous pourrons comparer nos expériences.

M. Fabrice Denoual. Nous avons lancé, pour accompagner les clients, ce qu’on appelle un produit switch, avec un petit véhicule électrique du quotidien, type Zoé, adapté à une utilisation individuelle sur des distances relativement restreintes, et, soixante jours par an, la possibilité de louer un véhicule thermique familial partout en Europe. Quand vous êtes en vacances ou en week-end avec la famille vous avez un véhicule thermique à disposition. Du coup, cette offre gomme complètement l’inquiétude, puisque l’usage quotidien et l’usage familial sont tous deux couverts.

M. Stéphane Piednoir. Ce doublon est-il gérable à grande échelle ?

M. Fabrice Denoual. Ce sont de petits volumes, nous le gérons donc aisément, mais je vous dirai comment nous y parvenons à plus grande échelle. Dans notre profession, c’était un produit rêvé.

ALD Automobile possède 1 600 voitures électriques en propre dans sa flotte, auxquels s’ajoutent 7 000 véhicules électriques, Kangoo et autres, que nous gérons pour le compte de la Poste. Nous avons donc une bonne connaissance de ces véhicules.

M. Stéphane Piednoir. Cela fait 9 000 sur un parc de 530 000.

M. Fabrice Denoual. Il existe aussi des aides et des mesures fiscales qui encouragent l’adoption du véhicule électrique.

En France nous avons un bonus écologique sur les véhicules électriques, plafonné à 6 000 euros, jusqu’à 27 % du prix remisé du véhicule. Il est destiné à réduire le différentiel de prix entre véhicules électriques et thermiques. Initialement, pour réduire ce différentiel de prix d’achat, correspondant au coût de la batterie, les constructeurs ont essayé de ne vendre que l’enveloppe, en louant la batterie. Avec l’augmentation des volumes et la baisse du coût des batteries, ce schéma s’arrête.

Pour les entreprises, la taxe sur les véhicules de société (TVS) ne s’applique pas aux véhicules électriques. C’est encourageant, car elles ont une approche de coût total de possession, dite TCO (en anglais, Total Cost of Ownership). Bien entendu, elles cherchent à minimiser ce coût. L’objectif serait qu’il soit au moins équivalent pour les véhicules électriques et thermiques. L’absence de TVS y contribue.

Par ailleurs, les entreprises peuvent amortir les véhicules jusqu’à un certain plafond. La quote-part d’amortissement dépassant celui-ci n’est pas déductible fiscalement. Pour une voiture thermique, ce plafond est de 18 300 euros, pour un véhicule électrique il est de 30 000 euros. Le fait de bénéficier d’un plafond d’amortissement largement supérieur contribue également à améliorer le TCO des véhicules électriques.

Toutefois, au sein de l’entreprise, pour une voiture de fonction, l’avantage en nature du salarié, qui donne donc lieu à imposition, est calculé, suivant le cas, soit sur le prix d’achat du véhicule, soit sur le loyer mensuel. Le véhicule électrique étant plus cher qu’un véhicule thermique, l’avantage en nature est nécessairement plus important. Lorsque ce sont les collaborateurs qui choisissent leur voiture, ils regardent forcément l’avantage en nature associé. Le fait d’avoir un avantage en nature plus important pour un véhicule électrique équivalent à un modèle thermique peut conduire à l’écarter. C’est un point sur lequel, dans la démarche d’encouragement du véhicule électrique, une remise en cohérence serait peut-être souhaitable.

Certaines mesures d’encouragement pourraient peut-être être améliorées. Le premier sujet concerne le coût des cartes grises, différant suivant les départements, certains exonérant les véhicules électriques de ce coût, et d’autres pas. Il y a peut-être matière à harmonisation. Un autre sujet concerne le chargement du véhicule électrique au sein de l’entreprise. L’électricité consommée dans ce cadre doit-elle être considérée comme un avantage en nature ?

Un sujet qui peut faire polémique concerne l’utilisation des voies de bus par les véhicules électriques.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. En Norvège il semblerait qu’à l’avenir les véhicules électriques pourraient se voir retirer cette facilité, en raison de l’encombrement des voies de bus.

M. Fabrice Denoual. Autre sujet, sur le stationnement on pourrait généraliser l’approche à l’ensemble des communes en France. À Paris, les véhicules basse émission bénéficient de six heures de stationnement gratuit. Bénéficier de cette gratuité à Paris représente un parcours du combattant pour enregistrer le véhicule. Il faudrait trouver un moyen de simplifier cette déclaration pour bénéficier de ces avantages.

La poursuite de la politique d’installation des bornes sur le territoire français doit aller de pair avec l’amélioration des paiements et des techniques associées. Aujourd’hui, les différents réseaux de bornes de recharge obligent à utiliser différentes cartes. Il faudrait parvenir à harmoniser les paiements, voire autoriser les micro-paiements, par exemple sans contact, de manière à faciliter l’usage de ces bornes.

M. Stéphane Piednoir. Il s’agit toujours de petites sommes.

M. Fabrice Denoual. Ce sont toujours de petites sommes, mais il faut avoir la bonne carte.

Ensuite, le dispositif d’aide à l’installation des infrastructures de recharge pour les particuliers et les entreprises, qui s’appelle ADVENIR, basé sur les certificats d’économie d’énergie (CEE), fonctionne plutôt bien d’après les retours de nos clients, c’est une mesure transitoire qu’il serait utile de prolonger.

Enfin, le sujet du « droit à la prise » au sein des copropriétés revient régulièrement, car son exercice s’avère toujours très compliqué. Peut-être serait-il possible d’imaginer des schémas de facilitation.

Mme Huguette Tiegna. Vous avez mentionné, parmi vos clients, l’État et les collectivités. Avez-vous des éléments sur le pourcentage de véhicules électriques, ou plus généralement des véhicules propres dans ces flottes ?

M. Fabrice Denoual. Je n’ai pas ces chiffres en tête. Il existe une incitation à l’augmentation de la part de l’électrique au sein de la flotte de l’État, ainsi que des collectivités locales et territoriales. Il faut faire attention parce, qu’il faut aussi trouver les bons usages. On parle d’énergie, mais la manière dont nous accompagnons tous nos clients, consiste à partir d’un usage. Ainsi, le véhicule électrique, et même le véhicule hybride, ne sont pas optimums pour tous les usages. Par exemple, certains clients sont passés aux véhicules hybrides alors qu’ils ne roulaient que sur autoroute. Du coup, l’hybridation n’était pas beaucoup utilisée, alors que le véhicule consomme beaucoup d’essence, parce que plus lourd. Il n’y a donc aucun gain, ni pour l’entreprise, ni pour l’environnement. Par conséquent, il faut trouver les bons usages pour chaque type de véhicule, diesel, essence, hybride, ou électrique. Parfois, il peut être nécessaire d’imposer une solution pour que les choses bougent, mais il faut aussi être prudent sur la manière dont cela est fait, pour retenir les bons usages. Tous les véhicules de l’État sont achetés par les domaines qui négocient directement avec les constructeurs, c’est à ce niveau que se font les quotas d’achats, en termes de motorisation.

M. Stéphane Piednoir. La location longue durée est un phénomène relativement récent, mais devient pratiquement un phénomène de masse pour les entreprises qui ont l’habitude de ce type de financements, pensez-vous que c’est une tendance qui peut se généraliser pour les particuliers. En lien avec cette évolution, peut-on imaginer la généralisation d’une location combinant un véhicule pour la vie de tous les jours et un autre ponctuellement quinze jours durant les vacances d’été ? Comment des sociétés comme la vôtre pourraient-elles faire pour gérer cet afflux ?

M. Fabrice Denoual. Sur la partie location durée, effectivement les entreprises l’ont adoptée et continuent à l’adopter, pour les petites et moyennes entreprises. Une fois le pas de l’externalisation ou de la gestion externe franchi, il n’y a pas de retour en arrière, parce que c’est mieux fait qu’en interne, et que cela permet aux entreprises de se concentrer sur leurs activités, en leur donnant une vision complète du coût total d’utilisation de leurs véhicules. Globalement, cela leur coûte moins cher. Les acteurs ont beaucoup grossi, ce qui leur permet de réaliser des économies d’échelle qu’ils partagent avec leurs clients.

Pour les particuliers, le chemin est différent, avec différentes formules de location. La manière dont l’automobile est consommée a beaucoup évolué au cours des dix dernières années. Voici dix ans le prix d’achat était indiqué sur les publicités de voitures. Après, la mensualité du crédit était mentionnée. La loi Lagarde ayant imposé d’ajouter beaucoup de conditions, les équipes marketing se sont orientées vers la location, du coup on retrouve un loyer de location. Cette évolution contribue à promouvoir la location. Mais la location longue durée « pure » ne représente que 35 000 immatriculations pour les particuliers, sur un million de véhicules en location longue durée. Notre conviction, en tant professionnels, est que le passage de la propriété à l’usage qu’ont connu les entreprises va se répéter pour les particuliers. La question n’est pas de savoir si cela aura lieu, mais quand. L’autre partie de la location longue durée est basée sur le système de location avec option d’achat (LOA), un produit financier proposé par les organismes financiers des constructeurs automobiles, ou par les banques. Ce sont des produits proposés en concession en tant que produits de location, mais en fait c’est une formule de financement, parce que c’est une location avec option d’achat du véhicule.

M. Stéphane Piednoir. Quelle est la part de la LOA ?

M. Fabrice Denoual. Sous réserve de vérification, elle se situe autour de 30 % des achats de véhicules des particuliers en France. Concernant la possibilité de location d’un véhicule électrique au quotidien et d’un véhicule thermique pour les congés, ce que nous lançons pour nos clients entreprises, nous pouvons nous le permettre aujourd’hui parce que ce sont justement de petits volumes. Nous disposons d’une flotte de location de moyenne durée, pour des besoins ponctuels sur des durées d’un à douze mois, contre 24 à 70 mois en longue durée, dans laquelle nous pouvons prendre des véhicules pour les prêter à nos clients en formule switch. Ces véhicules d’appoint ne sont pas utilisés l’été, notamment au mois d’août. C’est pour cela que nous parvenons à équilibrer ces flux, mais pour une quarantaine d’entreprises et quelques milliers de véhicules. Pour quelques millions de véhicules, ce serait un autre sujet. Ce produit switch n’est pour nous qu’une transition. Avec l’augmentation du rayon d’action des véhicules électriques, de 150 kilomètres, à 300-400, demain 600-700 kilomètres, le format switch n’aura plus d’intérêt, sauf éventuellement pour échanger entre une petite voiture adaptée à la ville et une plus grosse pour les vacances, indépendamment de la motorisation.

C’est la porte ouverte à toutes les évolutions et tous les schémas en termes de nouvelles mobilités, qui sont aussi un sujet complémentaire.

Mme Huguette Tiegna. En 2017, j’ai cherché à acheter une voiture hybride ou électrique et j’ai été confrontée au problème de disponibilité de ces modèles chez nos constructeurs, Renault et Peugeot. Au Mondial de l’automobile, les constructeurs se sont engagés à multiplier les modèles électriques ou hybrides. En tant que grand acheteur, avec une vision internationale, est-ce que vous pensez que ces promesses seront tenues ?

M. Fabrice Denoual. Nous achetons nos véhicules aux entités et concessions françaises, même si ALD a évidemment une couverture internationale et négocie au niveau international. Nous nous sommes également retrouvés contraints suite aux changements de normes en France sur les véhicules thermiques, notamment hybrides, avec le WLTP, qui ont dégradé les délais de livraison et de production, puisqu’il fallait labéliser et tester les voitures. En moyenne, sur le parc, les délais de livraison sont de trois mois. Quand une voiture est achetée, il faut la fabriquer. Quelques modèles demandent plus de temps, notamment les premiums allemands. Nous subissons, comme les particuliers, les contraintes de production des constructeurs.

M. Stéphane Piednoir. Sur le tarif de location longue durée ou de LOA, comment est intégré le TCO. Est-ce qu’on attend de ces formules qu’elles atténuent l’impact du surcoût à l’achat constaté sur tous les véhicules électriques et hybrides ? Si le TCO, globalement, est moins élevé pour un véhicule électrique, cela doit se ressentir aussi sur l’offre de location.

M. Fabrice Denoual. Ce que nous essayons de faire, c’est de diminuer l’écart de TCO, celui d’un véhicule électrique étant à ce jour supérieur à celui d’un véhicule thermique. Nous essayons de l’atténuer, s’agissant de petits volumes, nous pouvons prendre un peu de risques, notamment sur les valeurs de revente. Quand nous achetons un véhicule, nous estimons en début de contrat le prix de revente du véhicule dans trois ans. Le loyer financier, partie intégrante du loyer total, sur laquelle s’applique un taux d’intérêt, est calculé sur le prix d’achat remisé moins la valeur résiduelle, correspondant à l’estimation du prix de revente du véhicule dans trois ans. À côté nous ajoutons l’entretien, les pneumatiques, l’assistance, l’assurance, etc. Aujourd’hui, les schémas commencent à s’équilibrer, notamment grâce aux incitations fiscales. Nous commençons à avoir plus d’antériorité sur les véhicules électriques et à mieux mesurer les prix de revente de ces véhicules. Il y a trois ans, le marché de l’occasion du véhicule électrique n’existait pas. À présent, nous commençons à avoir quelques ventes, mais pas suffisamment pour être dans une approche statistique, permettant de déterminer si ces ventes représentent vraiment le prix de marché d’un véhicule électrique. Qui plus est, on se retrouve aujourd’hui avec des véhicules d’occasion d’une autonomie de 150 kilomètres, face à des véhicules neufs à 300 kilomètres avec des aides fiscales. Forcément, cela n’aide pas le prix de l’occasion. Sur nos volumes, nous pouvons prendre quelques risques sur la valeur de revente des véhicules, afin de faire baisser le TCO, pour encourager nos clients à tester des nouvelles énergies.

Un autre impact positif sur le TCO résulte de la maintenance moindre pour un véhicule électrique que pour un véhicule thermique. Il y a sept fois moins de pièces dans un véhicule électrique que dans un véhicule thermique. Les opérations de maintenance concernent essentiellement les plaquettes de frein, les pneumatiques, etc. Le dernier point essentiel pour le TCO étant la consommation d’énergie, forcément moins coûteuse avec l’électricité nucléaire et hydraulique qu’avec l’essence ou le diesel, l’impact est également bénéfique pour le TCO du véhicule électrique.

Une fois qu’on fait la somme de tous ces éléments, l’idée serait d’avoir un TCO qui se rapproche de celui d’un véhicule thermique. Mais le coût du véhicule électrique reste toujours plus élevé, car on n’est pas encore sur des masses et des quantités suffisantes pour complètement amortir le différentiel entre le prix d’achat de ces deux types de véhicules, malgré tous les éléments bénéfiques et les aides.

M. Stéphane Piednoir. Quelle est la motivation des clients qui choisissent des véhicules électriques, même si ce n’est pour l’instant qu’un petit pourcentage ?

M. Fabrice Denoual. Au début, la motivation des clients était très liée à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), en termes de fonctionnement et d’affichage. Ensuite, nous avons des configurations, notamment pour le groupe la Poste, avec des usages urbains et spécifiques, auxquels le véhicule électrique est bien adapté, pour de petites distances et de faibles vitesses. Maintenant, nous commençons à avoir une approche ou les réflexions sur l’accès des véhicules en ville commencent à questionner un peu nos clients, ce qui les conduit à s’intéresser à des énergies alternatives, pour tester de nouvelles solutions, en particulier sur la thématique du dernier kilomètre. L’offre devient intéressante et importante en électrique pour les petits véhicules utilitaires, voire les utilitaires de type Master, avec une capacité hors charge et un kilométrage crédibles pour répondre aux besoins des derniers kilomètres en ville.

M. Stéphane Piednoir. De plus, les facilités de rechargement sont en place.

M. Fabrice Denoual. C’est un point important, le véhicule électrique n’est pas que particulier, ce sont aussi les véhicules utilitaires et de société.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce qu’il existe une offre concurrentielle dans cette catégorie ?

M. Fabrice Denoual. Effectivement, plusieurs marques disposent d’une gamme : Nissan, Ford, Renault, Gruau, etc.

Mme Huguette Tiegna. Comment gérez-vous les périodes de vacances, les véhicules étant à l’arrêt, existe-t-il des moyens de les optimiser ? Par exemple, les véhicules de fonction de l’État ou des collectivités territoriales ne sont pas censés être utilisé pendant les périodes de vacances, si les règles sont respectées. Cela fait quand même quelques semaines durant lesquelles ces véhicules sont disponibles.

M. Fabrice Denoual. Des réflexions sont en cours, à la direction des achats de l’État, à l’UGAP, et dans les collectivités sur les schémas de voitures partagées, de carsharing. Les approches sont multiples. Pour une flotte de véhicules sous-utilisés mais à des fins professionnelles, le carsharing peut permettre d’avoir un kilométrage moyen supérieur, donc une meilleure gestion des véhicules. À une autre étape, on peut considérer que le soir, le week-end et pendant les vacances, les véhicules de la flotte peuvent être loués par les collaborateurs à des fins personnelles, contribuant ainsi indirectement au financement de la flotte. Nous avons une offre de véhicules partagés pour les collectivités locales, territoriales, les ministères et les entreprises, pas du tout à destination du public, de type Autolib, car ce n’est pas notre créneau. Pour le moment, ce ne sont que quelques centaines de véhicules partagés sur l’ensemble de nos clients, mais cela commence à arriver.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce qu’il y a aussi des questions liées aux URSSAF ?

M. Fabrice Denoual. Effectivement, il faut, s’agissant d’un usage personnel, se poser la question de la tarification et de l’imposition d’un éventuel avantage en nature, etc.

M. Stéphane Piednoir. Le mode de calcul actuel du bonus de 6 000 euros, limité à 27 % du prix, vous semble-t-il satisfaisant ? Ne faudrait-il pas le modifier, notamment pour les modèles les plus lourds, pour lesquels les particuliers n’ont pas forcément besoin d’un bonus écologique.

M. Fabrice Denoual. Je ne me prononcerai pas sur cette question, mais elle vient assez naturellement pour des modèles électriques de marques premium américaines, anglaises, allemandes, ou indiennes, comme la Jaguar e-Pace, dont les niveaux de tarification sont inaccessibles.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que vous avez des difficultés à récupérer les bonus remboursés par l’État ?

M. Fabrice Denoual. En tant qu’acheteurs du véhicule nous récupérons les bonus sans trop de difficulté, ce n’est pas un sujet d’inquiétude.

Mme Huguette Tiegna. Les dispositifs d’aide à l’achat pour les particuliers sont-ils adaptés à la location ? De plus en plus de particuliers louant leur voiture, faut-il prévoir un dispositif spécifique pour cette formule ?

M. Fabrice Denoual. Le bonus est une aide adaptée à la location, car il est déduit de la composante prix d’achat du véhicule sur laquelle le loyer est calculé. Nous n’avons pas encore complètement creusé ce point, notamment pour les particuliers, car nous débutons sur ce marché. Une approche qui peut faire sens consisterait à travailler sur les mécanismes de bonus et de taxation du véhicule électrique, afin de voir comment son TCO pourrait se rapprocher de celui d’un véhicule essence, par exemple en comparant la Clio essence avec la Zoé, et en faisant en sorte qu’elle revienne au même prix sur un contrat de 36 ou 40 mois.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce que la même démarche s’appliquerait pour l’occasion ?

M. Fabrice Denoual. En occasion, les véhicules électriques sont également encore un peu chers. Pour l’occasion nous avons encore une difficulté qui est en train de se régler, parce qu’auparavant nous étions propriétaires de la voiture et locataires de la batterie. De ce fait, il fallait transférer le contrat de location de la batterie au propriétaire final. Ça se faisait de façon un peu complexe avec les constructeurs. C’est sur le point de s’arrêter, ce qui fait qu’aujourd’hui sur le marché de l’occasion, au prix de la voiture s’ajoute la mensualité sur la batterie. Demain le prix sera tout compris, et il n’y aura pas besoin de faire d’addition pour connaître le prix total.

Mme Huguette Tiegna. Les véhicules étant achetés avec la batterie, comment se déroule en pratique son envoi vers le recyclage en fin de vie ? Est-elle renvoyée au constructeur ?

M. Fabrice Denoual. La garantie constructeur est en général de sept ans sur une batterie. Si la batterie tombe en panne un an plus tard, forcément il faut discuter avec le constructeur. C’est à ce stade que le recyclage peut intervenir. Après feront-ils un échange standard en neuf ou en batterie d’occasion c’est encore une autre question. L’expérience qu’on a avec La Poste est qu’on prolonge les voitures qui sont plus fiables qu’anticipé, malgré des usages spécifiques. Aujourd’hui, nous commençons à avoir aussi du recul sur la durée de vie d’une batterie, sur son comportement et sa fiabilité qui semble plutôt bonne, après le recyclage évidemment passe par les constructeurs et leurs réseaux.


Audition de

M. Benoît Daly, secrétaire général

Fédération nationale du transport routier (FNTR)

 

Jeudi 31 janvier 2019 à l’Assemblée nationale

 

M. Benoît Daly, secrétaire général, Fédération nationale du transport routier (FNTR). La Fédération nationale des transports routiers est la première organisation professionnelle du secteur du transport routier, marchandises et voyageurs compris. Nous ne nous occupons que de logistique de marchandises. Nous représentons environ 5 000 entreprises, soit 44 % des entreprises et des salariés affiliés à une organisation professionnelle de la branche. Cette branche compte 36 000 entreprises qui représentent environ 400 000 emplois directs et quasiment autant d’emplois induits, avec un chiffre d’affaires annuel global de l’ordre de 53 milliards d’euros. C’est un secteur de PME et de TPE essentiellement, puisque moins de 1,5 % des entreprises ont plus de cent salariés. Ce secteur est également extrêmement atomisé dans un certain nombre d’autres pays, par exemple en Espagne, avec plus de 80 000 entreprises de transport. Il en va de même dans les pays plus récemment entrés dans l’Union européenne, comme la Pologne, qui est un acteur de premier plan.

Moins de 10 % de l’activité du pavillon français est réalisée à l’international, alors que la moyenne européenne est de 35 %. Cette activité relativement concentrée se traduit par une activité essentiellement régionale, avec des poids lourds qui circulent entre 92 000 kilomètres en activité régionale et 115 000 kilomètres en moyenne et longue distance. Le parc de nos adhérents est relativement récent : 60 % sont en Euro 5 et 30 % en Euro 6. Un point essentiel : la marge moyenne de notre secteur est d’environ 1,5 % les bonnes années. Pour autant, le secteur est stratégique pour l’économie française, dans la mesure où nous sommes un maillon essentiel entre le producteur et le consommateur, y compris pour les échelons intermédiaires que peuvent être les liaisons BtoB. Les produits agricoles et agroalimentaires représentent environ 24,4 % des biens transportés, les minéraux et produits métalliques de l’ordre de 21,5 pourcents. Nous travaillons avec l’intégralité des secteurs. Supprimer le transport routier de marchandises, ou le contraindre davantage, c’est forcément impacter tous les secteurs en amont, et tous les consommateurs en aval.

Le secteur crée de l’emploi. Lorsqu’on compare le transport routier de marchandises à l’industrie manufacturière, la construction, le secteur marchand, on se rend compte qu’en dépit de la crise, il a su conserver son niveau d’emploi, voire même l’accroître à partir du moment où il y a eu un redémarrage. Aussi, nous sommes aujourd’hui un secteur en tension, en termes de recrutement, et nous engageons un certain nombre d’opérations pour tenter de favoriser l’accès à l’emploi pour les salariés. Nous sommes l’un des premiers secteurs ouvriers en termes d’emploi. C’est un secteur pour lequel l’accès à l’emploi ne passe pas forcément par des diplômes complexes, le temps d’accès peut être relativement court, la variété des activités peut être riche, intéressante, et attractive.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Est-ce en général une formation qui est proposée par l’entreprise elle-même ?

M. Benoît Daly. Effectivement, sous forme d’apprentissage, le passage d’un permis de conduire poids lourds requiert un temps incompressible. Il y a forcément un intérêt des entreprises. Le métier de la conduite n’est pas le seul, il y a aussi tous les métiers liés à la logistique, tout ce qui touche à la gestion des entrepôts, etc. Ce sont aussi des métiers d’accès à la conduite, voire à des possibilités d’évolution au sein de l’entreprise, comme devenir exploitant.

C’est un secteur au service de l’ensemble du territoire, l’essentiel des flux se situant dans un périmètre relativement court. Nous sommes en liaison avec les secteurs producteurs, et, bien sûr, les consommateurs, ce qui nous vaut d’avoir une implantation géographique complète, à l’image de la fédération, présente sur l’intégralité des territoires, y compris à la Réunion. Cela nous permet d’avoir une proximité avec les entreprises très forte.

L’un des éléments contextuels important et extrêmement marquant depuis un certain nombre d’années pour le transport routier de marchandises, est l’affaiblissement du pavillon français, par rapport aux autres pavillons européens. La France, qui était le troisième pavillon en Europe en 1999, était aussi assez médiocrement le quinzième en 2016. Il est probable que nous avons rétrogradé depuis. 50 % du marché est trusté par quatre pavillons essentiellement : la Pologne, qui représentait à elle seule 28 % des flux internationaux, l’Espagne, l’Allemagne, et la Roumanie. Cette dernière a, comme la Pologne, des taux de croissance à deux chiffres. Cela tient essentiellement au facteur social, sur lequel l’écart est absolument rédhibitoire. Le coût d’un conducteur bulgare par rapport à un conducteur français, est de 3,5. Le coût annuel d’un conducteur bulgare, est de 16 000 euros, comparé à 56 000 euros en moyenne en France.

C’est un facteur essentiel, font croire qu’on s’écarte un peu du sujet qui nous ça nous rassemble aujourd’hui mais car. Nous faisons face à une problématique sur laquelle on ne pourra pas faire la différence avec ces pavillons low cost, et avant très longtemps. Le rattrapage est extrêmement lent. Le facteur environnemental est un facteur sur lequel peuvent jouer les entreprises françaises pour faire la différence avec ces acteurs. Cela se fait forcément avec le soutien des chargeurs, c’est-à-dire la clientèle des transporteurs, et aussi l’appui des pouvoirs publics, en termes de choix économique.

Une part incompressible de coûts est liée aux enjeux des émissions de gaz à effet de serre et de polluants pour le transport routier de marchandises. Les coûts liés à la possession du véhicule. Que ce soit en activité régionale ou longue distance ces coûts représentent environ 45 % des charges des entreprises. Entre le coût de possession du véhicule sa maintenance, et le carburant, on est dans cet ordre de grandeur. C’est dire à quel point dans un secteur qui fait 1,5 %, essentiellement constitué de TPE et PME, les enjeux liés au développement durable et à la transition énergétique sont des éléments extrêmement importants.

45 %, c’est un élément sur lequel ce secteur des TPE-PME a forcément un regard attentif. À 1,5 % de marge, on a forcément déjà recherché toutes les possibilités d’optimisation possibles et creusé relativement loin. Nous sommes pour autant conscients du contexte, notamment médiatique et politique, qui entoure la technologie diesel. Le diesel a clairement gagné la bataille technologique et perdu la bataille médiatique, la bataille de l’image. Cela se joue essentiellement sur les véhicules particuliers et sur un certain nombre de distorsions entre les normes et la réalité des produits des constructeurs. Initialement le diesel était une technologie conçue pour les véhicules lourds. Elle a ensuite, dans les années 1970-1980, muté pour être adaptée aux véhicules particuliers, de façon massive particulièrement en France. On se retrouve maintenant face à une technologie qui est vilipendée par le grand public, par les pouvoirs publics, par les médias, avec un certain nombre de scandales, comme celui des tests sur des étudiants et sur des singes, qui n’impactent pas forcément les usagers mais davantage les constructeurs.

Pour autant, le transport routier de marchandises doit être considéré à son juste niveau, en termes d’empreinte carbone. Il est souvent montré du doigt assez facilement, mais en ne tenant pas compte de la réalité des chiffres. Les poids lourds représentent 6,7 % des émissions de CO2, par rapport à l’ensemble des activités. C’est un secteur qui n’a eu de cesse, grâce aux constructeurs en particulier mais pas uniquement, d’améliorer sa performance énergétique, ce qui nous vaut d’avoir une performance qui s’est considérablement accrue. Pour vous donner deux points de comparaison, en 1995 nous étions à 16 kilogrammes par tonnes de marchandises transportées, aujourd’hui nous sommes à 12. Pour un litre de gazole on transporte beaucoup plus de marchandises qu’antérieurement. Cela tient à l’amélioration des technologies, et à la sensibilisation des usagers. Pour autant, nous sommes parfaitement lucides en la matière, sur lequel les performances peuvent être considérées comme en retrait : les émissions de NOx.

C’est un élément sur lequel la Commission européenne se penche beaucoup. Les poids lourds représentent 16,7 % des émissions de NOx, même si un certain nombre d’efforts ont été réalisés, puisque nous sommes le deuxième secteur en termes de réduction de ces émissions. Cela tient essentiellement à un choix qui a permis une visibilité forte auquel nos entreprises sont forcément attachées : les normes Euro. Par contraste avec les véhicules particuliers, vérification faite, elles sont respectées par les véhicules lourds, en tout cas pour ce qui concerne les camions. La mise en œuvre des normes Euro a induit des progrès tout à fait spectaculaires. Elle a poussé les constructeurs dans leurs retranchements – ce sont des constructeurs internationaux, il n’existe plus de constructeur national – ce qui a permis, par exemple, de réduire les NOx de 97 %, les particules de 97 %, le monoxyde de carbone de 86 %, et les hydrocarbures de 94 pourcents. On est déjà sur un niveau d’amélioration extrêmement élevé, mais pour aller au‑delà, il faut changer le paradigme, il faut changer d’approche, et peut-être de technologie.

Un autre élément qui n’est pas tout à fait neutre, c’est que la France n’est pas une île. On n’est pas tout à fait isolés en termes d’émissions de gaz à effet de serre, et la France représente modestement 0,95 % des émissions de CO2. C’est quand même un élément à prendre en compte et à garder en tête. Lorsqu’on regarde également la fiscalité carbone, qui est un levier puissant de la politique environnementale des pays, mais qui aujourd’hui dans le monde est relativement peu homogène qui est relativement centré sur l’Europe. Les gros émetteurs s’interdisent, pour l’essentiel, de produire une fiscalité de ce type, ce qui vaut à la France aujourd’hui d’être de loin le meilleur élève dans le monde en termes de fiscalité carbone, puisque nous représentons plus de 20 %, presque 23 %, de la fiscalité carbone pour 0,95 % des émissions.

M. Stéphane Piednoir. Est-ce 23 % de la fiscalité carbone mondiale ?

M. Benoît Daly. Effectivement, 23 % de la fiscalité mondiale, la source n’étant pas très loin, puisqu’il s’agit d’un colloque qui s’est tenu en vos locaux. Pour les entreprises, cela se traduit par une fiscalité, notamment la TICPE, sur une trajectoire, depuis quelques semaines incertaines, mais qui prévoyait une hausse de 32 % entre 2018 et 2022. Elle permettait parallèlement de donner une indication, puisque la TICPE sur le gaz naturel véhicule était complètement plate, ce qui permettait de donner aux carburants alternatifs la visibilité souhaitée par les entreprises.

Les vignettes Crit’Air sont l’un des éléments de jonction directe entre la réalité opérationnelle quotidienne des entreprises et les choix en termes de trajectoire de transition énergétique puisque la circulation des véhicules est forcément impactée.

Même avec des véhicules diesel très performants, le choix du législateur a été de considérer qu’un véhicule lourd diesel ne pouvait pas aller au-delà de la classe deux, ce qui va de facto nous obliger à réfléchir à des alternatives. Nous avons déjà amorcé le virage, à un rythme plutôt soutenu.

Un autre élément du contexte qui influe beaucoup sur les choix notre secteur, ce sont les positions de la Commission européenne qui mettent les États face à leurs obligations, suite à l’accord de Paris, et sur la base de projections de croissance d’émissions de CO2 qui mettent le transport routier de marchandises au cœur de la cible. C’est un calendrier extrêmement ambitieux. On ne s’appuie plus exclusivement sur les normes Euro des véhicules, mais on oblige les États à mettre en œuvre rapidement une transition énergétique, avec des objectifs très élevés.

On voit que les choix ouverts sont relativement à court terme, puisque les échéances sont courtes et relativement peu larges pour les entreprises. Les discussions sont en cours aujourd’hui entre la Commission européenne et le Parlement européen, pour réduire les émissions de CO2. Ce sont des éléments extrêmement impactants pour les entreprises, puisque les réductions des émissions CO2 doivent être de 15 % par rapport à 2019, à partir du 1er janvier 2025, et de 30 % au 1er janvier 2030, sous peine de pénalités pour le constructeur de poids lourds qui serait de l’ordre de 6 800 euros par gramme de CO2 par tonne kilométrique. Cela va se retrouver dans la facture des poids lourds pour les transporteurs, donc dans leur coût de revient, en raison d’une part, des coûts de recherche et développement qui vont exploser chez les constructeurs, et, d’autre part, des risques de provisions pour ces pénalités astronomiques pour lesquelles les constructeurs ont déjà une expérience, puisque leur entente leur a valu d’être pénalisés à hauteur de plus de 4 milliards d’euros il y a peu de temps.

C’est un élément sur lequel nous sommes extrêmement vigilants, parce qu’encore une fois, un secteur qui fait 1,5 % de marge ne peut pas se retrouver avec des postes de charges qui représentent 45 % des coûts de revient lourdement impactés. L’un des enjeux que nous soulignons, puisque nous avons également un bureau à Bruxelles, c’est celui de la comptabilisation des émissions. On se rend compte que les lobbies électriques et des batteries, qui sont assez puissamment représentés à Bruxelles ont pesé de tout leur poids pour faire en sorte qu’on ne mesure les émissions que du réservoir à la roue. C’est le décompte certes le plus simple, mais c’est le moins favorable pour les autres énergies, notamment le gazole. Ce décompte consiste à ne comptabiliser l’émission qu’en sortie d’échappement, ce qui est assez simple pour un véhicule électrique, puisqu’il n’en a pas. Ce qui nous semble le plus pertinent serait d’aller vers une approche du puits à la roue, tenant compte de la source des carburants, notamment pour les carburants biosourcés, c’est-à-dire non seulement comptabiliser les consommations d’usage du moteur, mais aussi celles qui concernent l’extraction, la production, et le transport de l’énergie, utilisée par le moteur, ce qui vaut au bio-fioul, au bioGNV, etc. d’être plus favorablement traités. Enfin, si on veut être plus ambitieux, et je pense qu’on se doit d’être le plus objectif possible en termes de calcul des émissions de gaz à effet de serre et de polluants, c’est une comptabilisation des émissions du berceau au tombeau, c’est-à-dire l’approche la plus exhaustive, qui comprend la part d’utilisation, celle qu’on comptabilise du puits à la roue, mais aussi celles qui sont en amont et en avale, c’est-à-dire la production des batteries, tout ce qui concourt à l’utilisation du véhicule, et puis la fin de vie, le recyclage du véhicule et de ces composants. On sait que c’est un aspect sur lequel le véhicule électrique est forcément beaucoup moins favorisé.

Il en va de même d’ailleurs pour le véhicule hydrogène, puisque selon le CEA, qui fait quand même autorité en la matière, l’essentiel de l’hydrogène qui sera produit à terme sera issu du méthane, ce qui suppose de transformer le méthane en hydrogène, élément ayant le plus d’atomes d’hydrogène autour d’un atome de carbone - c’est plus rentable. Ensuite, il faut le comprimer, le refroidir, ce qui est extrêmement énergivore, sans compter les problématiques de conservation de la plus petite molécule de l’univers, qui est forcément extrêmement complexe d’un point de vue technologique.

On a donc un dilemme, la problématique qui existe sur la comptabilisation des émissions existe aussi pour le bruit médiatique fait autour d’un certain nombre de technologies, à commencer par l’électrique. On se rend compte que les véhicules à émission zéro poussé par la Commission européenne sont un mythe, du reste cette notion est en train de disparaître progressivement, parce que la réalité fait que quand on regarde les origines des matériaux composant les batteries, force est de constater qu’on est en train de changer de paradigme géostratégique, pas forcément de réduire l’empreinte carbone globale de l’utilisation des véhicules.

C’est pour cela que nous avons exploré avec un certain nombre de transporteurs, les différentes technologies disponibles. On ne peut pas simplement se satisfaire de la solution diesel. Face à l’ensemble de cette situation, nous avons créé un dispositif qui s’appelle le projet équilibres, lancé en 2014 en Auvergne-Rhône-Alpes, qui a permis de mesurer en conditions réelles d’utilisation par des transporteurs, sur des véhicules en conditions réelles d’utilisation, et de comparer les véhicules diesel et des véhicules GNV, pour essayer de voir si les gains étaient véritablement ceux allégués, ce bien avant le dieselgate ou tout autre élément défavorable au diesel. Il en est ressorti que les éléments sont extrêmement favorables pour le GNV, notamment en termes de réduction de CO2, et surtout de NOx, pour lequel les réductions peuvent atteindre de l’ordre de 80 %, ce qui nous a permis de convaincre un certain nombre de nos adhérents de tenter l’aventure du GNV. Cela nous vaut aujourd’hui d’avoir un certain succès.

Lorsqu’on regarde les chiffres passés, nous étions à 0,01 % de véhicules GNV achetés dans la flotte neuve de véhicules lourds, on est aujourd’hui à plus de 2 %, ce qui, en comparaison avec les véhicules particuliers, constitue un succès. C’est à la fois extrêmement rapide et assez encourageant. Cela nous a conduits à mener un certain nombre d’opérations avec l’État, notamment un appel à projets pour créer des stations et un maillage territorial suffisant, puisqu’on est dans une problématique de l’œuf et de la poule. Quelle que soit la technologie, il faut un certain nombre de stations d’avitaillement, il faut une capacité de distribution, et il faut tenir compte d’un facteur, la marge moyenne du secteur fait qu’un détour de plus de 7 kilomètres par jour détruit la marge de l’entreprise. Donc on doit avoir un maillage cohérent, permettant une rentabilité des stations, cohérent avec le maillage de distribution et d’acheminement des produits vers ces stations, d’où l’option que nous avons validée avec nos adhérents de promouvoir davantage le GNV, tout en restant en veille sur les autres technologies, parce qu’on peut avoir de bonnes surprises. Pour l’instant, la technologie qui, d’un point de vue modèle économique et modèle opérationnel, se rapproche le plus du diesel, c’est le GNV. Le modèle électrique pose des difficultés, en termes d’avitaillement, en termes d’autonomie des véhicules, puisqu’un véhicule lourd électrique, c’est de l’ordre de 125 à 250 kilomètres d’autonomie, et en termes de coûts de revient, puisqu’on arrive à des véhicules qui sont de trois à cinq fois plus chers, sans compter le poids des batteries qui obère considérablement la capacité d’emport des véhicules. Le GNV est une solution qui, au moins à moyen terme, présente un intérêt majeur, d’autant plus qu’il inclut sa propre transition énergétique vers le bioGNV. Si une action est menée pour porter la méthanisation, notamment dans le monde agricole, à une échelle suffisante, on peut avoir un système vertueux, qui alimente assez substantiellement la flotte de transport routier.

Dans les mois qui viennent, le maillage va dépasser les 140 stations. Ce maillage territorial est assez intéressant, porté par les collectivités locales, par les énergéticiens, et par les transporteurs. Il existe plusieurs modèles opérationnels pour construire ces stations soit avec le transport de gaz naturel liquéfié, soit en se greffant sur les réseaux de distribution de GrDF ou GRT-gaz.

Mais notre politique environnementale ne s’arrête pas là, car nous constatons depuis quelques années une accélération dans le calendrier des mesures qui nous impactent.

Tout a commencé avec le Grenelle de l’environnement, qui a produit ses fruits à partir de 2009-2010 et qui continue à les produire, notamment à travers ce qu’on appelle le bilan des gaz à effets de serre. Nous avons la stratégie nationale bas-carbone, et la programmation pluriannuelle de l’énergie, ainsi que la loi de transition énergétique et de croissance verte, qui impactent également les activités du transport routier de marchandises. La COP 21, notamment au niveau européen, est aussi un élément extrêmement impactant. Parallèlement le dispositif des certificats d’économie d’énergie, est un levier aussi assez puissant pour injecter un certain nombre de mesures dans le secteur. C’est le cas notamment d’un dispositif d’engagement volontaire que nous avons lancé, à l’origine en parallèle du Grenelle de l’environnement, qui s’appelle « Objectif CO2 les transporteurs s’engagent ». Il a été reconduit, avec l’appui de l’ADEME et du ministère des Transports, à un certain nombre de reprises. Il est complété par un dispositif pour les voyageurs et pour les chargeurs, appellé FRET 21.

Nous sommes aujourd’hui réunis au sein du programme Engagement volontaire pour l’environnement (EVE), initié en octobre 2018 et qui va s’achever en décembre 2020. Celui-ci vise à réunir l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, pour améliorer la performance environnementale de tous les acteurs, de façon à ce que les progrès des uns bénéficient aux autres, et qu’existent des incitations réciproques à s’engager volontairement dans la réduction des gaz à effet de serre, donc de la consommation énergétique. L’un des éléments de ce programme, appelé « Objectif CO2 », comportant à la fois une charte et un label, va avoir comme impact une réduction sensible, de l’ordre de 720 000 tonnes de CO2 équivalent par an. C’est assez considérable, en regard des performances attendues d’autres projets, comme le canal Seine Nord.

M. Stéphane Piednoir. Avec le peu de temps que vous aviez, c’est un état des lieux assez complet. Nous vous remercions du travail fourni, qui éclaire un certain nombre d’enjeux, notamment sur les normes Euro, qui ont eu quand même des incidences très fortes sur le parc et les constructeurs. Est-ce qu’aujourd’hui les nouvelles réglementations programmées à l’horizon 2021-2030 vous inquiètent ?

M. Benoît Daly. Pas du tout, en fait les normes Euro prévoyaient l’encadrement d’un certain nombre d’émissions, sauf de CO2. On se focalisait sur les polluants, pas du tout sur le volet gaz à effet de serre. Il est nécessaire, dans la politique de la Commission européenne, de faire cette jonction entre polluants et gaz à effet de serre. Après, la question du périmètre, du réservoir à la roue ou du puits à la roue, est un élément essentiel. Où positionner la mesure de ces émissions ? S’il s’agit d’exporter à 12 000 kilomètres nos émissions, on est en train de mentir à la planète et à nous-mêmes. Donc, il faut prendre en compte l’intégralité de ce qui est nécessaire pour transporter des marchandises, pour être absolument juste et impartial. La mesure qui est en cours de discussion et de finalisation pour donner une trajectoire d’émissions de CO2 pour les poids lourds constitue un challenge pour l’ensemble de la filière. Cela ne peut pas être fait uniquement au niveau local, d’un territoire ou d’un pays, mais a minima à la maille européenne.

M. Stéphane Piednoir. Le taux de renouvellement du parc est à peu près de quel ordre ?

M. Benoît Daly. Comme les véhicules lourds font de l’ordre de 100 000 kilomètres par an, en règle générale le parc se renouvelle tous les cinq à huit ans, donc beaucoup plus rapidement que les véhicules particuliers. Néanmoins, le kilométrage réalisé est bien supérieur. En fin de vie, un véhicule aura réalisé environ un million de kilomètres. Une partie de sa vie se passe en Europe, et malheureusement l’autre partie en Afrique ou au Moyen-Orient, parce que ces marchés sont peu acheteurs de véhicules neufs, mais très consommateurs de véhicules d’occasion. Ce sont des débouchés assez classiques, même si d’un point de vue environnemental c’est un non-sens.

M. Stéphane Piednoir. Ces pays sont sans doute moins regardants sur les émissions.

M. Benoît Daly. Au-delà d’un million de kilomètres, le moteur en particulier est dégradé.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. Par rapport à l’actualité, avez-vous des réactions sur la prise en compte du gaz dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ?

M. Benoît Daly. À ce stade nous n’avons pas eu la possibilité matérielle d’analyser en détail la PPE. Les planifications antérieures sont quand même passées assez loin de l’objectif. Or, nous sommes dans un contexte où il ne s’agit pas simplement d’une trajectoire virtuelle. Pour notre secteur de TPE et PME, ce sont les choix énergétiques, les choix de matériels qu’ils doivent faire. Le véhicule acheté aujourd’hui, sera encore en utilisation en 2025. Si en 2025 on n’a plus le droit d’utiliser des véhicules diesels à tel ou tel endroit, il faut être en capacité de l’anticiper.

M. Stéphane Piednoir. N’est-ce pas encore plus prégnant pour les poids lourds, puisque le taux de renouvellement est moins important ? Un particulier qui parcourt 12 000 kilomètres par an, achète un véhicule potentiellement pour une bonne dizaine d’années.

M. Benoît Daly. Mais les transporteurs n’ont pas d’alternative. Un particulier pourra prendre le train, ou d’autres transports en commun, voire faire du covoiturage.

M. Stéphane Piednoir. Les transports de marchandise peuvent aussi envisager de prendre le train.

M. Benoît Daly. J’ai dix-huit ans de transport combiné à mon actif, ayant participé à l’ouverture des services du tunnel sous la Manche en transport combiné. Pendant treize ans, j’ai été secrétaire général de l’entreprise Novatron, premier opérateur de transport combiné. C’est une excellente alternative, mais uniquement sur les longues distances. C’est encore mieux quand il y a un obstacle naturel, comme les Alpes, les Pyrénées, ou la Manche, mais c’est une solution qui, au regard du volume de transport effectué, reste anecdotique.

Malheureusement l’opérateur ferroviaire historique a effectué des choix assez désastreux en termes tarifaires. En termes de qualité, le fret est systématiquement le grand sacrifié.

M. Stéphane Piednoir. C’est aussi parfois le cas des voyageurs.

M. Benoît Daly. C’est encore pire pour le fret. On se trouve face à une solution intéressante pour la massification des flux, et tout à fait pertinente pour un certain nombre d’activités non urgentes, mais qui malheureusement est contrainte d’opérer sur une partie marginale des flux.

Quand 85 % de l’activité s’effectue dans un périmètre de cent kilomètres, le report modal est inopérant. Pire encore, aujourd’hui l’exigence du consommateur s’éloigne encore plus de cette « rationalité ». Une commande effectuée en ligne aujourd’hui sera livrée le lendemain, si ce n’est le soir dans certains cas. La volonté d’aller très vite s’éloigne beaucoup de cette massification des flux qui, par ailleurs, fonctionne bien pour un certain nombre de flux non urgents.

M. Stéphane Piednoir. Est-elle adaptée pour traverser la France ?

M. Benoît Daly. Elle peut être pertinente pour un Lille-Avignon ou un Paris-Bayonne.

Mme Huguette Tiegna. Comment se positionnent vos adhérents face au choix entre véhicules au gaz et électriques ?

M. Benoît Daly. Aujourd’hui, il n’existe pas d’offre en poids lourds électriques. Tesla en promet un, parce qu’il l’a annoncé à ses investisseurs, depuis plus d’un an maintenant. Pour l’instant personne ne l’a vu en fonctionnement. Les quelques poids lourds électriques existants sont contraints à une utilisation extrêmement marginale, essentiellement pour la distribution urbaine. Les véhicules gazole sont très performants, raison pour laquelle les constructeurs protestent quand on leur demande d’améliorer encore leurs performances parce qu’ils considèrent qu’ils sont déjà au maximum de ce qui est faisable. C’est pour cela qu’on est en recherche de solutions. Le GNV, qui n’a rien à voir avec le gazole ou le GPL, ne serait-ce qu’en termes de danger, est la solution qui nous apparaît la plus pragmatique. Le véhicule électrique va nécessiter l’emport de batteries très préjudiciables à la capacité d’emport, car nous avons des limitations sur le tonnage. Cela a un impact sur le freinage des véhicules.

Mme Huguette Tiegna. Concernant la R&D, pensez-vous qu’il sera encore possible de progresser sur les émissions du GNV ?

M. Benoît Daly. Des gains assez spectaculaires ont été réalisés en l’espace de quatre ans. La puissance des véhicules et des moteurs est passée de 300 à 460 chevaux, ce qui est tout à fait acceptable, et comparable au diesel. L’autonomie, qui était de l’ordre de 350 kilomètres, atteint à présent les 600‑700 kilomètres, ce qui correspond à l’autonomie recherchée pour ce type de véhicules.

Ces modèles sont extrêmement proches du diesel, la différence de prix, de l’ordre de 30 %, étant aujourd’hui gommée par le dispositif du suramortissement.

Les transporteurs, beaucoup de PME et des groupes, qui ont acheté des véhicules GNV, initialement, pour tester parce qu’on ne peut passer d’un seul coup intégralement sur une nouvelle technologie, en rachètent assez massivement, ce qui constitue un signal plutôt positif vers le marché. Ce sont des leaders d’opinion. Ils sont observés. Quand quelqu’un rachète un produit, c’est que le retour est positif d’un point de vue économique et d’usage. Il n’y a pas de mauvais retour d’expérience en termes de technologie. Donc la fiabilité et bien là.

Après, pour répondre plus précisément à votre question, il y a deux vecteurs d’amélioration de la performance de ces moteurs. Ce sont des moteurs assez rustiques, qui ont fait l’objet de peu de recherches et développement, parce que les volumes étaient relativement faibles avec une offre stagnante. Mais la recherche et développement s’accélèrent chez un certain nombre de constructeurs en la matière : Scania, Volvo et Iveco, d’autres acteurs importants, comme Mercedes, observent aussi. L’autre volet d’amélioration, c’est la source de la molécule de méthane elle-même. Si elle est d’origine fossile, le gain ne se fait que sur la performance du moteur et sur la nature de la molécule. Le GNV émet relativement peu de NOx, mais avec le bioGNV, on entre dans un cercle tout à fait vertueux, parce que cette production non délocalisable crée de l’emploi en France et permet sur le cycle de vie de l’émission d’obtenir un résultat tout à fait intéressant.

Mme Huguette Tiegna. Est-ce que vous avez évalué les quantités nécessaires pour les années à venir ?

M. Benoît Daly. Nous avons un certain nombre de projections, nous ne les avons pas faites seuls, parce que nous avons besoin d’une visibilité en la matière de la part des secteurs, notamment gaziers. La croissance pourrait être assez intéressante, puisque les quantités couvriraient les besoins du transport de marchandise. L’intérêt, c’est que le biométhane pourrait être utilisé, soit pour la cogénération, produire de l’électricité, ce qui n’est pas forcément le plus intéressant, puisqu’on transforme une énergie en une autre énergie, avec nécessairement une perte, sans compter la perte en ligne dans le réseau, soit une utilisation locale pour l’agriculture, soit pour du chauffage.

La constance du besoin dans le temps représente l’avantage du transport routier de marchandises sur les autres formes d’usage de ce biométhane. Par exemple, le chauffage est utile essentiellement l’hiver. Cette saisonnalité est assez impactante dans le domaine énergétique. Au contraire, on a besoin de transporter quotidiennement des marchandises.

M. Stéphane Piednoir. Les besoins sont-ils moindres l’été ?

M. Benoît Daly. De moins en moins, on se rend compte que les flux changent d’origine et de destination mais qu’il reste toujours autant de consommateurs.

Mme Huguette Tiegna. Votre fédération a-t-elle mené des études sur la méthanisation et ses potentialités ?

M. Benoît Daly. Pas directement, ces études ont été rendues publiques par la AFGNV.

M. Stéphane Piednoir. D’après vous, l’approvisionnement ne pose pas de problème ?

M. Benoît Daly. Pas en quantité, le nombre de stations d’avitaillement réalisées ou en cours de construction correspond aux besoins. Il faut bien voir qu’on ne peut pas se permettre un maillon défaillant économiquement. Il faut donc qu’une station soit rentable, y compris pour le distributeur d’énergie, avec au minimum une vingtaine de véhicules pour par station.

Nous essayons d’avoir un niveau de croissance qui soit réaliste, associés à la croissance du parc. Un parc en croissance trop rapide va générer des accumulations dans les stations, donc un retour d’expérience négatif. A contrario, si les stations restent vides très rapidement les énergéticiens vont se poser des questions.

M. Stéphane Piednoir. Quel est le coût d’une station GNV, et combien de pompes comprennent-elles ?

M. Benoît Daly. Un million d’euros, ce qui coûte le plus cher étant les compresseurs. En général, elles comprennent deux pistolets, mais assez souvent 4 à 6 pistolets.

M. Stéphane Piednoir. Le nombre de pistolets a-t-il un fort impact sur le coût ?

M. Benoît Daly. Ce qui va coûter le plus cher, d’après l’expérience des transporteurs qui ont créé leur propre station, c’est la redondance éventuelle des systèmes de compression, parce que plus vous avez de passage de véhicules, plus vous avez besoin de stocker du gaz comprimé, de façon à ce qu’on puisse faire l’avitaillement en 7 à 8 minutes, ce qui est comparable au gasoil. Le temps des conducteurs a un coût, il faut donc qu’il soit rentable.

Mme Huguette Tiegna. Les stations hydrogène sont également coûteuses n’y avait-il pas des possibilités de mutualisation ?

M. Benoît Daly. Nous ne sommes pas fermés d’un point de vue technologique. Par contre, quand on discute avec des fournisseurs d’énergie comme Engie, le retour d’expérience de la station sur Rungis est qu’il leur faudrait à peu près sept siècles pour la rentabiliser. Cela ne tient pas simplement au nombre de véhicules, mais au fait que le coût de production de la molécule est élevé. Ce qui fait défaut pour répondre précisément à votre question, c’est qu’on n’a pas de véhicules hydrogène que l’on puisse tester. Un certain nombre de prototypes existent mais on ne pourra répondre que quand on en aura véritablement testé en conditions réelles d’utilisation. C’est sans doute la technologie la plus prometteuse, mais à une échéance relativement éloignée. Nous avons aujourd’hui besoin d’engager une transition énergétique avec les technologies disponibles, parce qu’avec un discours consistant à dire : demain, ce sera formidable, on n’engagera jamais rien et on restera au diesel. Même si le GNV n’est peut-être qu’une énergie de transition vers l’hydrogène, de toute façon il faut engager la transition énergétique pour commencer à réduire les émissions de CO2 et de polluants, car on ne peut plus dissocier les deux, pour ensuite ouvrir la voie à d’autres technologies.

Le secteur est né en même temps que le développement du diesel, au sortir de la deuxième Guerre mondiale. Un secteur d’artisans qui ont acheté des véhicules surplus de l’armée qui ont utilisé ces véhicules. Ensuite il y a eu une professionnalisation, à la fois des constructeurs et des transporteurs, qui s’est essentiellement concentrée sur le diesel. C’est un carburant à l’origine dont le dévoiement nous est préjudiciable. Nous sommes obligés d’être tout à fait conscients de l’impact environnemental. Nous avons une pression de plus en plus forte de la part des chargeurs pour réduire notre empreinte carbone, parce qu’ils font l’objet de notations extra-financière sur leur performance environnementale. Ils voient qu’un certain nombre d’acteurs en ont justement pâti, notamment dans le secteur minier. La grande distribution qui a toujours 5 à 6 ans d’avance sur les autres secteurs. Elle a été l’une des premières à imposer à ses transporteurs la transition énergétique. Cela entraîne ensuite les autres secteurs. Le rôle de l’impact environnemental du transport dans la relation entre donneurs d’ordres et transporteurs est en train de monter en puissance et c’est là que les efforts faits par la profession pour réduire ses propres émissions, avec des mesures existantes, l’éco-conduite et sans doute la mesure la plus efficiente et la plus impactante sur les résultats, avoir la bonne pression de pneus, les bons appendices aérodynamiques, l’optimisation des tournées, etc. Tous ces éléments mis bout à bout permettent de gagner en performance.

 


   Compte rendu de la mission en Norvège
du 14 au 16 novembre 2018

com gouv quadri 

 

Ambassade de France en Norvège

Service Economique d’Oslo

Compte rendu – Mission de lOPECST en Norvège sur la mobilité décarbonée

Oslo, le 22 novembre 2018

Les véhicules propres ou hybrides ont représenté en Norvège plus de la moitié des ventes de voitures neuves en 2017, et près de 10 % du parc automobile est « propre » (véhicules électriques, hybrides, et hybrides rechargeables), faisant de la Norvège le premier pays au monde en termes de pénétration des véhicules propres. Pour mieux comprendre les raisons de ce succès, dans le cadre d’une mission sur la mobilité décarbonée de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), l’Ambassade de France en Norvège a accueilli une délégation de deux Parlementaires français, Huguette Tiegna et Stéphane Piednoir. Cette mission a été l’occasion de rencontrer un certain nombre d’acteurs norvégiens impliqués dans le développement du marché des véhicules électriques en Norvège.

L’Ambassade de France à Oslo a accueilli les 15 et 16 novembre derniers une délégation de deux Parlementaires français, Mme Huguette Tiegna, députée de la deuxième circonscription du Lot et vice-présidente de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), et M. Stéphane Piednoir, sénateur de Maine-et-Loire, membre de l’OPECST. Les deux Parlementaires étaient accompagnés par un chargé de mission auprès de l’OPECST.

Ce déplacement s’inscrivait dans le cadre de la mission qui leur a été confiée par l’OPECST, suite à la saisine de la Commission des affaires économiques et du développement durable de l’Assemblée nationale. La mission vise à « Lélaboration de scénarios technologiques permettant datteindre lobjectif fixé pour léchéance de 2040 dun arrêt des ventes de véhicules essence ou diesel ». La Norvège étant le pays européen le plus avancé dans le domaine de la mobilité décarbonée, les Parlementaires souhaitaient pouvoir rencontrer les différentes parties prenantes (administrations et agences, parlementaires, chercheurs, etc.) impliquées dans son développement.

  1. Un état des lieux de la voiture électrique en Norvège
  1. Découverte du rôle majeur des acteurs publics pour soutenir le secteur

La Norvège s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre dici 2030, ainsi que de mettre en œuvre lAccord de Paris sur le climat, en cohérence avec les Objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies. Le secteur des transports étant un important contributeur aux émissions de gaz à effet de serre, des politiques pour favoriser lachat de voitures électriques ont été mises en place. Ainsi, le gouvernement a adopté des mesures d’incitations fiscales (suppression de la TVA à l’achat, réduction de la cotisation annuelle, réduction de la taxe pour les véhicules utilitaires, etc.) et non fiscales (dispense de péages publics, gratuité partielle des parkings publics, gratuité des recharges suite les places publiques, possibilité d’emprunter les voies réservées aux bus sur les autoroutes, etc.).

Pour mieux comprendre ces politiques et leur impact sur la société norvégienne, le Ministère des Transports et des Communications norvégien, en la personne de Per-Andre Torper et Arnhild Wartiainen, respectivement Directeur Général adjoint et Consultant senior de la Section Environnement, a reçu la délégation française. Deux Parlementaires norvégiens ont également accepté, lors d’un petit-déjeuner offert par M. l’ambassadeur, de présenter leurs points de vue sur celles-ci : Helge Orten, membre du Parti conservateur (Høyre) et Président de la Commission Transport et Communications du Parlement norvégien, et Per-Espen Stoknes, membre du Parti des Verts (Miljøpartiet De Grønne), ancien Membre du Comité Energie et Environnement et suppléant au Parlement. Par ailleurs, Sture Portvik, Directeur e-Mobility de la Municipalité dOslo, a rencontré la délégation, pour évoquer le traitement plus local des problématiques liées aux véhicules électriques.

Le consensus entre les différents acteurs publics semble être la règle : si des problématiques comme la diminution des recettes fiscales, la difficile extension des véhicules électriques aux zones les plus septentrionales de la Norvège ou l’engorgement des stations de recharge dans les grandes villes, ont été évoquées, les différents acteurs norvégiens rencontrés par la délégation semblent s’accorder sur la réussite du développement du véhicule électrique en Norvège et la nécessité de prolonger les aides ayant permis ce succès.

  1. Rencontre avec les entreprises : importateurs et compagnies de leasing

Si les ventes de véhicules électriques sont très impressionnantes en Norvège, elles sont exclusivement au bénéfice de voitures étrangères, la Norvège ne possédant pas d’industrie automobile : Nissan, Volkswagen, Renault, Tesla notamment sont donc les grands gagnants. Par conséquent, la délégation parlementaire a rencontré Ulf-Tore Hekneby, Directeur de limportateur de voitures Harald A. Møller AS, et Annie Pin, Directrice pays d’ALD Automotive, filiale de Société Générale spécialisée dans le leasing. L’ancien Directeur de Tesla Nordics, Pål Gystad Simonsen, a également rencontré la délégation au cours d’un déjeuner informel.

Ces acteurs privés ont exprimé des points de vue se rejoignant. Ainsi, en particulier, ressort de ces rendez-vous la forte demande des consommateurs norvégiens : la demande est telle que près de 50 000 clients sont aujourd’hui en attente d’un véhicule électrique, attente qui peut durer de six à neuf mois. Quelques problèmes apparaissent cependant, comme le nombre insuffisant de recharges par rapport au nombre dutilisateurs, et la question épineuse du recyclage des batteries. Toutefois, ceci n’empêche pas les professionnels de poursuivre leurs investissements importants dans les véhicules électriques : le marché est florissant, et ces problématiques ne relèvent pas directement des importateurs ou des crédits-bailleurs.

  1. Le point de vue des consommateurs avec lassociation Norsk Elbilforeningen

Enfin, le point de vue des consommateurs a été présenté lors d’une rencontre au siège de la Norsk Elbilforeningen, l’association des particuliers propriétaires de véhicules électriques, avec Vegard Bøe, Silje Fines Wannebo et Morten Edvardsen, trois conseillers de l’association. Créée il y a près de 20 ans, cette association représente près de 68 000 consommateurs. Son expertise est donc particulièrement reconnue et elle est un acteur majeur du secteur des véhicules électriques, qu’elle promeut régulièrement à l’étranger.

À nouveau, le succès du secteur a été évoqué, mais également la problématique du nombre insuffisant de points de recharge, ainsi que celle du nombre important de moyens de paiement différents pour les recharges : ainsi, les systèmes ne sont pas unifiés comme dans une station-service classique, et chaque fournisseur de point de recharge propose un moyen de paiement spécifique. Ce problème est partiellement résolu par l’association, qui propose à ses membres un système RFID leur permettant de n’avoir avec eux qu’un seul identifiant, même si cela ne dispense par l’utilisateur de souscrire individuellement à chaque réseau de recharge. Par ailleurs, l’association poursuit son travail de représentation des consommateurs auprès des acteurs publics et privés, pour obtenir par exemple plus de points de charge ou des modèles de voitures plus diversifiés, comme des voitures plus larges (qu’aujourd’hui seul Tesla propose) mais donc plus coûteuses.

  1. Une analyse partiellement critique du modèle norvégien
    1. Stations de chargement : résistance du réseau mais un modèle économique incertain

Malgré le succès indéniable des véhicules électriques en Norvège, il semble que les stations de chargement des véhicules électriques soient une problématique majeure pour le secteur. Leur trop faible nombre en zone urbaine et leur faible rentabilité en zone rurale, où elles ne sont utilisées que lors des pics de circulation le week-end ou à des moments spécifiques de lannée (vacances ou fêtes), lorsque les consommateurs urbains se déplacent sur le territoire norvégien, rendent leur exploitation complexe. La question de la résilience du réseau électrique norvégien a notamment été évoquée par la délégation parlementaire lors d’un rendez-vous avec Johan Christian Hovland, Vice-Président Communication d’E-CO Hafslund, le gestionnaire de réseau électrique local de la municipalité dOslo, et Jan Bråten, consultant pour Statnett, le gestionnaire de réseau électrique national.

Les deux gestionnaires de réseau ont toutefois assuré la capacité du réseau norvégien à soutenir les pics de consommation et la consommation croissante du parc de véhicules électriques en constante expansion : la production hydroélectrique de la Norvège est importante, et les gestionnaires de réseau ont la compétence technique pour assurer les pics. Néanmoins, à long terme, il leur semble nécessaire de mieux organiser la consommation, en régulant les pics journaliers et peut-être en utilisant des batteries pour soutenir les pics saisonniers en zone rurale.

Un autre rendez-vous avec Gunnar Lindberg et Erik Figenbaum, Directeur de lInstitut de recherche norvégien en économie des transports (Transportøkonomisk institutt, TØI) et Directeur de recherche spécialisé en Sécurité et Environnement au sein du TØI, a mis en lumière le difficile modèle commercial des stations de chargement en zone rurale. Pour le moment, il leur semble inconcevable que les pouvoirs publics se désengagent du secteur, et considèrent que les soutiens financiers actuels tant à l’achat de véhicules électriques qu’à la construction de stations de recharges sont primordiaux. Bien qu’il n’existe pas en Norvège de d’aide généralisée à la construction de bornes de recharges, Enova, l’agence norvégienne équivalente de l’ADEME, propose des aides ponctuelles après appels à projets.

  1. Labsence de développement dun marché des véhicules à hydrogène

Un autre secteur a été envisagé par la délégation parlementaire lors de son déplacement en Norvège : les véhicules à hydrogène, qui pourraient représenter une solution alternative (ou complémentaire) aux véhicules électriques, étant eux aussi des véhicules « propres ». Néanmoins, cette solution semble plus difficile à mettre en œuvre : seuls 120 véhicules à hydrogène sont aujourd’hui en circulation en Norvège. Selon Ulf Hafseld, Président d’Hyop, opérateur de stations de recharge en hydrogène, l’expansion de ce type de véhicule a été considérablement ralentie par le développement lent et coûteux de la technologie nécessaire. Aujourd’hui, seules quelques constructeurs, principalement japonais, proposent un petit nombre de modèles, et par conséquent la mise en place dun réseau de stations de recharge est aujourdhui peu rentable. L’opérateur Hyop lui-même doit faire face à une cessation, qu’il espère temporaire, d’activité.

Toutefois, pour lancer le marché, si Ulf Hafseld envisage surtout un soutien des acteurs publics aux véhicules à hydrogène aussi important que celui mis en place pour les véhicules électriques, lInstitut de recherche norvégien en économie des transports envisage, lui, plutôt un développement par la voie des véhicules utilitaires lourds. Contrairement aux véhicules électriques, l’essor des véhicules à hydrogène passerait dans un premier temps par les professionnels, qui construiraient à la fois une flotte et un réseau de stations. Le nombre de voitures personnelles à hydrogène augmenterait dans un second temps, sans action spécifique des pouvoirs publics.

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COMMENTAIRE :

Le déplacement de la délégation parlementaire française a été l’occasion pour ce poste de mettre en avant, via les différents acteurs rencontrés, à la fois le succès du développement du véhicule électrique en Norvège, mais également le consensus qui émane de l’ensemble de la société sur la nécessité de poursuivre cet essor.

Toutefois, ce déplacement a été également l’occasion de rencontrer quelques problématiques rarement mises en avant par les acteurs norvégiens, et d’étudier la difficile mise en place d’alternatives aux véhicules électriques, comme les véhicules à hydrogène.

 


MariannePantone1 

 

Ambassade de France en Norvège

Service Économique d'OSLO

Novembre 2018

Note : La Norvège, championne du véhicule électrique

La Norvège, premier pays pétrolier et gazier d’Europe, est désormais le premier pays au monde en termes de pénétration des véhicules rechargeables, qui représentent près de 10 % du parc automobile, cette part montant à plus de 50 % s’agissant des ventes de voitures neuves. Soutenu par de nombreux avantages fiscaux, le marché de l’électrique continue de croître de manière exponentielle, bien que la part produite en Norvège soit insignifiante. Le Gouvernement reste volontariste dans son approche, et s’est fixé comme objectif d’éradiquer la vente de véhicules non rechargeables d’ici 2025.

  1. Un engagement fort de la Norvège en faveur des véhicules électriques

L’engagement de la Norvège en faveur de l’électrification du transport routier repose sur un triple objectif :

-         Lutter contre le réchauffement climatique : le transport routier est responsable en 2015 de 10,3 % des émissions norvégiennes de gaz à effet de serre, ce qui en fait le troisième secteur d’émissions après l’exploitation des hydrocarbures et l’industrie du BTP. La Norvège s’était fixé en vue de la COP21 un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, qu’elle a confirmé suite à l’accord de Paris. L’objectif final est de parvenir à une société neutre en CO2 d’ici à 2050.

-         Améliorer la santé publique : réduire la pollution dans les grandes villes

-         Penser à laprès-pétrole : la chute des prix du pétrole en 2014 a fait prendre conscience à la Norvège que son économie était très dépendante de ces ressources. La montée en puissance d’autres secteurs, notamment ceux liés à l’économie verte et à l’économie circulaire, est donc un sujet majeur pour le pays.

  1.  Un objectif ambitieux de transition

Le gouvernement sest fixé lobjectif que 100 % des voitures vendues en 2025 soient des voitures rechargeables (électriques ou hybrides), dans un contexte où 98 % de lélectricité produite est dorigine hydraulique. Alors que les véhicules électriques ont été introduits dans le pays dès 1999, le marché a longtemps stagné avant de grimper en flèche grâce à l’adoption de mesures volontaristes. Le parc de véhicules électriques a dépassé les 50 000 unités en circulation en avril 2015, et a été doublé en un an et demi, dépassant les 100 000 voitures en décembre 2016. En 2017, les véhicules propres ou hybrides ont représenté plus de la moitié des ventes de voitures neuves en Norvège. L’association Elbilforeningen, chargée de la promotion des voitures électriques s’est fixé comme objectif d’atteindre 400 000 véhicules en circulation d’ici à 2020.

Par ailleurs, le gouvernement s’est fixé un objectif d’émission du parc des véhicules neuf de 85 g CO2/km en 2020.

De nombreuses aides publiques

Les véhicules électriques coûtent nettement plus cher à l’achat ce qui, en dépit d’un coût d’utilisation plus faible, reste un frein pour de nombreux acheteurs. C’est pourquoi, depuis les années 1990, la Norvège a adopté de nombreuses mesures en faveur des véhicules électriques. Même si cela a provoqué des débats lors de l’adoption des dernières lois de finances, l’ensemble des aides sera maintenu jusqu’en 2020[55].

Ces mesures se répartissent en deux catégories :

a)     Les incitations financières :

     Taux de TVA de 0 % à l’achat (contre 25 % normalement pour tout achat de véhicule).

     Pas de taxe à l’achat (engangsavgift ou kjøpsavgift), dont le montant dépend du modèle (coût, puissance, émissions de CO2 et autres gaz, poids). Elle était en moyenne de 110 000 NOK en 2012.

     Cotisation annuelle (årsavgift, équivalent norvégien de la vignette automobile française) gratuite depuis 2017 ; elle était auparavant de 445 NOK (au lieu de 2940 NOK ou 3425 NOK, selon les modèles).

     Réduction de 50 % de la taxe sur les véhicules d’entreprise pour les véhicules électriques.

Le fait de ne pas être soumis à la fiscalité confiscatoire qui frappe les véhicules thermiques en Norvège constitue donc un avantage comparatif conséquent pour les véhicules électriques.

b)    La facilitation de la vie quotidienne :

     Dispense de péages publics (tunnels, ponts, autoroutes, centre-ville…).

     Droit d’utiliser les voies réservées au transport collectif.

     Gratuité partielle des parkings publics et droit de se garer perpendiculairement à la route si la taille du véhicule le permet.

     Parkings réservés.

     Gratuité des ferries pour le véhicule sur les routes nationales (les passagers doivent cependant toujours s’acquitter des frais de transport).

     Chargement gratuit des batteries sur les lieux publics.

Ces avantages ne concernent que les voitures 100 % propres, c’est‑à‑dire les véhicules électriques et les véhicules à hydrogène (pour le moment en quantité négligeable), et non les véhicules hybrides[56]. Ceux-ci n’en profitent que partiellement, faiblement même au regard de leur consommation de carburant. En pratique, ils bénéficient :

     d’une cotisation d’achat (engangsavgift ou kjøpsavgift) réduite, selon des modalités différentes pour chaque véhicule.

     du droit d’utilisation des stations de chargements et des places de parking associées, pour les hybrides rechargeables uniquement.

Les véhicules hybrides doivent cependant s’acquitter des péages publics, des parkings, des frais de transport sur les ferries et de la TVA à l’achat.

Les avantages fiscaux octroyés par le gouvernement ne sont pas plafonnés, et peuvent constituer des sommes très importantes selon les modèles, puisque proportionnels au prix d’achat du véhicule. Ainsi, une voiture haut de gamme telle que la Tesla modèle S bénéficie de plus de 500 000 NOK (environ 56 000 €) de déductions fiscales.

Lhebdomadaire Teknisk Ukeblad chiffre le coût de ces aides pour lÉtat à environ 465 Meuros (4,75 Md NOK) par an.

  1. Un investissement sur les bornes de recharge

Il nexiste pas en Norvège daide généralisée à la construction de bornes de recharges. Cependant, des aides ponctuelles sont proposées par ENOVA, l’agence norvégienne équivalente à l’ADEME, après appels à projets. Ils ne sont pas destinés aux particuliers mais prônent au contraire une utilisation collective, que ce soit à destination d’employés d’une entreprise, de clients d’un magasin ou d’un parking, ou même d’une copropriété.

D’une manière générale, ENOVA ne subventionne qu’une partie du coût total de l’installation.

Le gouvernement n’est pas le seul acteur à financer des stations de chargement. Certaines villes sont aussi très actives, comme Oslo qui possède le plus important parking de recharge du monde, accueillant plus de 100 bornes (loin devant le second qui n’en possède que 60). La commune propose une aide allant jusqu’à 10 000 NOK (environ 1 040 €) pour chaque nouvelle station de recharge, couvrant au maximum 50 % du coût total.

Néanmoins, d’importantes problématiques d’infrastructures se posent, sur les stations de recharge et sur la capacité du réseau électrique à supporter autant de recharges simultanées. Aujourd’hui, il n’y a au total que 10 600 points de recharge pour 209 122 véhicules électriques ou hybrides rechargeables. Par ailleurs, d’autres problématiques apparaissent : si la Norvège produit a priori suffisamment d’électricité pour avoir un nombre important de véhicules électriques en circulation, le réseau électrique n’est pas nécessairement adapté à la charge simultanée de tous ces véhicules. Elbilforeningen, l’association norvégienne du véhicule électrique, a déjà soulevé le problème et appelle aux innovations techniques pour y faire face (smart grid, batteries stationnaires, etc.).

  1. Un marché dynamique

La Norvège est désormais le pays avec le ratio le plus élevé de voitures électriques (VE) par habitant, alors que les ventes étaient encore marginales en 2010. Sur l’année 2016, la Norvège représente le deuxième marché en Europe pour les véhicules électriques, devant l’Allemagne mais derrière la France (cf. annexe). La Norvège est, avec une écrasante avance sur son second, le pays du monde où l’électrique a la part de marché la plus importante : en 2017, 28 % des voitures neuves vendues sur le marché norvégien sont électriques (contre 1,2 % côté français), ce chiffre s’élève à plus de la moitié si l’on intègre les véhicules hybrides.

En 2017, 180 000 véhicules rechargeables étaient immatriculés en Norvège. La grande région d’Oslo (qui représente environ 30 % de la population du pays) concentre près de 50 % du parc électrique norvégien. Le marché des véhicules électriques est assez naturellement particulièrement dynamique dans les zones urbaines, et beaucoup moins dans le nord du pays.

En outre, le marché norvégien croît encore de façon exponentielle : en 2017, les ventes de voitures électriques ont bondi de 37 % ce qui correspond à 41 000 nouveaux véhicules électriques (contre 25 407 en 2016). Cette progression est d’autant plus remarquable que le marché de l’automobile est en recul en Norvège : les ventes de voitures neuves ont reculé de 1,9 % en 2017.

a)     Une domination de la Nissan LEAF

La quasi-totalité des véhicules électriques en Norvège sont importés. Les modèles des acteurs locaux « précurseurs », Buddy (petites voitures que l’on peut garer perpendiculairement au trottoir) et Think, sont encore bien visibles dans les rues mais représentent une part infime des ventes. Think a fait faillite et Buddy est dorénavant la seule entreprise norvégienne présente sur ce marché.

Tandis que la Nissan LEAF avait écrasé les ventes de ses concurrents lors de sa mise sur le marché, ses parts ont diminué ces dernières années. Le marché est toujours dominé par la marque japonaise, qui représente aujourd’hui environ un quart des véhicules en circulation (27 115 véhicules en novembre 2016). Viennent ensuite la Volkswagen E-golf et la Tesla Model S, avec respectivement 15 991 et 11 615 véhicules en circulation. Puis arrivent la BMW i3 (8 011 véhicules), la Kia Soul (6 832 véhicules) et une deuxième VW, la e-Up (6 632 véhicules).

Un certain nombre de constructeurs historiques sont désormais bien implantés sur le marché. VW et BMW sont, avec Nissan et Tesla, les quatre constructeurs ayant vendu le plus de véhicules dans le pays.

Par ailleurs, si la Norvège est simple consommatrice sur le marché de l’automobile, elle s’apprête en revanche à devenir un acteur industriel majeur du transport maritime électrique. Elle peut compter pour cela sur sa grande expertise dans la construction de bateaux, un des secteurs majeurs du pays. À titre d’exemple, l’entreprise Yara International ASA, a confié au groupe norvégien Kongsberg, la réalisation de son porte-conteneurs à la fois autonome et électrique qui devrait opérer en 2018 dans les fjords norvégiens.

b)    La faible position des marques françaises en danger

Les marques françaises sont implantées sur le marché de l’électrique norvégien, mais la tendance n’est pas positive. Elles ne possèdent pas dans leurs gammes de best-sellers comme peuvent l’être la Nissan LEAF ou la Tesla S, même si la Renault Zoe s’est, depuis son introduction en 2014, taillé une place parmi les véhicules électriques les plus vendus.

-         Renault : La Zoe est en 2016 le cinquième modèle le plus vendu en Norvège. Elle est actuellement le 7e véhicule électrique sur le marché norvégien, avec 3 431 modèles vendus. Même si le marché reste modeste, Renault domine le secteur des utilitaires électriques, avec 2 ou 3 Kangoo électriques vendus par mois. Par ailleurs, Renault lancera début 2019 un système d’autopartage de voitures électriques à Oslo, en partenariat avec NSB, la compagnie de chemins de fer norvégiens. Dans le cadre de ce dispositif inspiré du modèle danois Green Mobility, 250 Renault Zoé seront mises à disposition des habitants de la capitale norvégienne.

-         Citroën a longtemps été la marque française la mieux implantée avec la C‑Zéro, mais est en perte de vitesse. Avec 560 véhicules vendus en 2012, la marque était en troisième position sur le marché norvégien. La marque n’a pas su faire face à l’émergence de ses concurrents et ne se place même plus dans les 10 premiers vendeurs pour l’année 2016. La C-Zero est cependant la dixième voiture électrique la plus utilisée en Norvège grâce au succès des premières années.

-         Peugeot se trouve dans une situation comparable à Citroën : la marque était bien implantée sur le marché norvégien, avec 447 véhicules vendus en 2012. La iOn, voiture-phare de Peugeot sur le marché, semble cependant marquer le pas. Peugeot et la iOn occupent actuellement la 9e place sur le marché norvégien du véhicule électrique et ne figure pas dans les 10 modèles les plus vendus en 2016.

La place occupée par les constructeurs français sur le marché de la voiture électrique est cependant bien meilleure que sur l’ensemble du parc automobile, sur lequel Peugeot, Renault et Citroën se placent respectivement en 9e, 15e et 19e position.

À noter que l’entreprise toulousaine EasyMile a récemment été choisie par la ville de Stavanger pour mener des tests sur des véhicules électriques (minibus) autonomes. Oslo, Stavanger et Kongsberg sont en effet trois villes norvégiennes pionnières dans ce domaine qui souhaitent expérimenter des dispositifs de bus autonomes.

***

La Norvège a, très tôt, souhaité se positionner sur le marché du véhicule électrique. Les avantages fiscaux, à l’achat ou à l’utilisation, ont permis un développement exponentiel du marché après une relativement courte période de maturation. Le premier objectif a aujourd’hui été atteint : en dépassant les 100 000 véhicules en circulation et les 10 % de part de marché, le véhicule électrique s’est également adjugé une place dans les esprits norvégiens.

Le gouvernement norvégien avait, lors de la proposition de PLF rendu en octobre 2016, pris en compte cet état de fait, jugeant que les futurs développements des VE ne dépendaient plus des incitations à l’achat ou l’utilisation. L’opposition des partis alliés à la coalition a cependant fait pencher la balance en faveur de la préservation de ces avantages, au moins jusqu’en 2020. Ceux-ci devraient continuer de gonfler les ventes des constructeurs, désormais nombreux, s’étant positionnés sur ce segment.

S’il maintient sa croissance actuelle, le parc automobile électrique peut viser les 400 000 véhicules en circulation d’ici à 2020, objectif affiché par l’association Elbilforeningen, chargé de la promotion des voitures vertes. Un peu plus de 2 millions de véhicules particuliers étaient enregistrés début 2016 ; il est raisonnable de penser que le quart du parc automobile pourra être électrique dans la prochaine décennie.

Le marché du véhicule vert a de beaux jours devant lui ; le surplus prévu de la production d’électricité devrait permettre d’alimenter les batteries de véhicules dont la croissance ne devrait pas être impactée avant 2020 et l’éventuelle fin des avantages fiscaux. Le marché pourrait être profondément modifié dans les prochaines années avec l’arrivée de véhicules à l’autonomie plus importante, notamment l’Opel Ampera-e, dont les 520 km d’autonomie à l’essai dépassent de 120 km l’autonomie de la Zoe, deuxième de ce classement.


ANNEXE

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NB : il s’agit de prévisions pour l’année 2018

Source : Elbilforeningen

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Elbilforeningen

 

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Source : Elbilforeningen

Ventes        Parc automobile

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NB :

   Source : Elbilforeningen


   Synthèse de QUATRE études et scénarios complémentaires

Synthèse de létude :

Expect the Unexpected

Auteur(s)/Commanditaire(s) : Carbon Tracker Initiative et Grantham Institute de l’Imperial College London.

Objet : analyse de l’impact de la baisse des coûts des véhicules électriques et du photovoltaïque sur les émissions de CO2

Structure des scénarios

Basée sur la méthode TIAM-Grantham, l’étude présente des scénarios reposant sur trois variables majeures, qui leur donnent leur nom : le coût des technologies, qui peut être en accord avec les coûts du marché actuels (noté Orig), réduit pour les véhicules électriques (noté EV), réduit pour les panneaux photovoltaïques (noté PV), ou réduit à la fois pour les véhicules électriques et les panneaux photovoltaïques (noté PV_EV), la demande énergétique, faible (noté Low), moyenne, ou élevé (noté High), et, enfin, la politique climatique internationale, qui peut se limiter aux attentes du sommet de Cancún de 2010 (noté Cancun), être plus faible (noté Weak), en accord (noté NDC), ou plus forte que les NDC (Nationally Determined Contributions), définies conjointement par l’Agence internationale de l’énergie et un consortium de trois organismes à l’origine de l’analyse Climate Action Tracker.

Concernant le deuxième critère, la demande énergétique est calculée à partir d’une estimation de croissance mondiale annuelle, de 2010 à 2050, s’élevant à 2,43 %, 3,13 % et 4,30 % respectivement pour les scénarios Low, Médian et High, couplée à une estimation de la croissance démographique mondiale. Ces estimations sont alignées avec des niveaux définis dans les trajectoires socio-économiques communes définies par la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Dans les trois cas, il s’agit de la trajectoire numéro 2, en termes de croissance de population, correspondant à un pic démographique de 9.4 milliards d’habitants en 2070, suivi d’une stabilisation autour de 9 milliards jusqu’à 2100. Le rapport souligne que l’OCDE a prévu en 2014 une croissance annuelle de 2,9 % ce qui se situe entre le critère bas et le critère médian.

Le troisième critère revient à utiliser un coût de la tonne de CO2 de 10, 30 ou 50 dollars, augmentant avec un taux de 5 % par an, ce qui compense pour partie l’hypothèse simplificatrice relative aux taxes et aux subventions des secteurs énergétiques énoncée plus haut. Le niveau Weak (10 $ / tCO2) se rapproche de la politique climatique internationale actuelle.

Le scénario Cancún_Orig, et dans une moindre mesure le scénario Weak_Orig, constitue un scénario témoin qui conduit à un réchauffement climatique supérieur à 4 °C. Le scénario considéré comme optimal est Strong_PV_EV_Low, bien qu’il ne permette pas d’atteindre les objectifs de la COP 21.

Résultats concernant les véhicules électriques

Les scénarios Expect the Unexpected mettent en évidence trois facteurs majeurs de pénétration des véhicules électriques sur le marché automobile mondial : les incitations gouvernementales, les préférences des consommateurs, et la diminution des coûts, en particulier des batteries.

En 2040, l’étude estime que le coût total d’un véhicule tout électrique devrait se situer entre 30 000 et 38 000 dollars, et qu’à l’horizon 2050 ce coût avoisinerait 30 000 dollars, équivalent à celui des véhicules thermiques, qui aurait augmenté de 5 % environ. Cette parité de coût pourrait être atteinte dès 2020 (hypothèse EV), avec des efforts plus soutenus en recherche et développement, et des investissements massifs dans les véhicules électriques (batterie et hybride rechargeable) et hydrogène.

Les scénarios Expect the Unexpected, considérant que les consommateurs ne se soucient pas de l’autonomie du véhicule ou du manque d’infrastructure de recharge, partent du principe que le véhicule électrique est déjà compétitif du point de vue des acheteurs comme des investisseurs. Toutefois, la demande et les usages futurs des véhicules électriques sont inconnus. Ainsi, si les obstacles mentionnés précédemment sont surmontés, le basculement vers l’électrique se ferait bien plus rapidement que ne le soutient la majorité des observateurs.

Entre 2020 et 2050, les scénarios Expect the Unexpected prédisent l’arrivée de 700 millions de nouveaux véhicules sur les routes, ce chiffre étant légèrement supérieur avec l’hypothèse Weak. Parmi ces 700 millions de véhicules, la part de véhicules électriques croitrait majoritairement en fonction des réductions de coûts technologiques, non de la politique environnementale.

Le scénario Orig prévoit un développement important des véhicules hydrogène (20 % du parc mondial en 2050) et des véhicules à carburants alternatifs, en particulier pour les camions et les SUV. Le parc de véhicules particuliers resterait majoritairement thermique, avec seulement 8 % de véhicules hybrides rechargeables en 2050, dans le cadre de l’hypothèse la plus forte en termes de politique environnementale, contre 63 à 77 % de véhicules thermiques, tous types de véhicules confondus.

Le scénario EV présente un futur radicalement différent, avec des solutions hybrides thermiques et rechargeables pour assurer la transition vers les véhicules électriques à batterie, qui domineraient le parc dès 2040, à hauteur de 50 %, et assoiraient leur domination en 2050 (69 %), aux dépens des hybrides thermiques. Ces derniers viendraient à quasiment disparaître. Les véhicules thermiques ne représenteraient plus que 20 % du parc en 2040 et 12 % en 2050, quelle que soit la politique climatique. De plus, les motorisations thermiques seraient uniquement employées pour les camions de fret de taille importante, alors que la flotte de véhicules particuliers serait quasiment entièrement constituée de véhicules électriques à batterie.

Conclusions/Recommandations

À la suite de cette étude, cinq recommandations principales sont formulées :

-         pour les décideurs : « Les décideurs doivent préparer en permanence les réponses aux futurs besoins énergétiques de leurs populations. Il est essentiel de veiller à ce que les paramètres fondamentaux, tels que la demande et les coûts des technologies, soient à jour dans les modèles utilisés pour évaluer les options stratégiques, afin de déterminer avec précision les solutions les plus efficaces pour lavenir. » ;

-         pour les modélisateurs de l’énergie et du climat : « À ce jour, la communauté scientifique a reconnu les forces et les limites des modèles dévaluation intégrés. Elle doit maintenant développer la prochaine génération de modèles énergie/climat, capables de mieux refléter la dynamique dinteractions complexes entre les différents facteurs des systèmes énergétique et climatique. »

-         pour les régulateurs financiers : « Lanalyse de scénarios a un rôle essentiel à jouer dans la compréhension du risque de transition. Les régulateurs financiers devraient émettre des directives sur les scénarios que les entreprises devraient utiliser. Ceux-ci devraient inclure un scénario à 2 °C, pour fournir des mesures de risque cohérentes et comparables aux investisseurs. » ;

-         pour les entreprises du secteur de l’énergie : « Les entreprises doivent aller au-delà des stratégies business as usual, définir comment elles sadaptent à la transition vers une économie à faible émission de carbone, et quantifier les risques. Elles devraient également indiquer où elles voient des opportunités dans la transition vers une réduction des émissions de carbone et comment elles pourraient stimuler la croissance potentielle de technologies telles que le photovoltaïque solaire et les véhicules électriques. »

-         pour les investisseurs : « Les actionnaires doivent demander davantage dinformations sur les processus utilisés par les entreprises du secteur de l’énergie pour gérer le risque de transition. De nombreuses entreprises procèdent déjà à une forme danalyse de scénario de demande/prix moins élevés. les investisseurs doivent exiger la divulgation complète de ces scénarios et les utiliser pour mieux aligner leurs investissements sur un avenir soumis à des contraintes carbone. »


Synthèse de létude :

Bilan transversal de limpact de lélectrification par segment

 

Auteur(s)/Commanditaire(s) : ADEME et IFP-Energies nouvelles.

Objet : comparaison des coûts de possession et des émissions de CO2 de différents types de véhicules.

Introduction

Le projet E4T (étude économique, énergétique et environnementale pour les technologies du transport routier français) vise à développer des outils permettant de mener des analyses énergétiques, économiques et environnementales. Il s’agit d’évaluer, en 2015 et en 2030, le coût total de possession (en anglais Total Cost of Ownership ou TCO) et les émissions de gaz à effet de serre sur le cycle de vie des véhicules (émissions sur la route, lors de la production des carburants, de la fabrication de la batterie, des pneumatiques, du véhicule lui-même).

Sept segments ont été pris en compte dans l’étude : véhicules légers urbains (segment A-citadine), cœur de gamme (segment C-compacte) et haut de gamme (segment D-berline), véhicule utilitaire, bus de 12 mètres, poids lourd de livraison urbaine de 12 tonnes et poids lourd long routier de 40 tonnes. Selon les segments, les véhicules ont été déclinés avec différentes motorisations : électrique avec ou sans prolongateur d’autonomie, thermique diesel ou essence, et hybride, rechargeable ou non. Les groupes motopropulseurs thermiques ont également été déclinés en hybride doux (mild en anglais), par opposition aux hybrides complets (full en anglais)[57].

Les véhicules sont modélisés à partir d’un ensemble de paramètres conditionnant les performances, en particulier énergétiques, du véhicule : la masse à vide, la masse additionnelle embarquée, les caractéristiques aérodynamiques et les frottements des pneumatiques. L’évolution de ces paramètres entre 2015 et 2030, dépend du segment considéré.

Afin d’évaluer les performances énergétiques, économiques et environnementales en 2030, des hypothèses sur les évolutions technologiques, et leurs coûts associés, ont été formulées, notamment sur le rendement maximal des moteurs thermiques, devant augmenter entre 6 et 10 points, la densité énergétique des batteries, supposée doubler et passer de 150 à 300 Wh/kg, et le coût des batteries passant de 380 $/kWh à entre 100 et 175 $/kWh. En 2030, les véhicules thermiques seraient systématiquement équipés du système Stop and start.

Les cycles de conduite simulés pour exprimer les résultats varient également selon le type de véhicule et l’usage qui est censé en être fait. Pour les véhicules légers des simulations ont été effectuées sur les cycles d’homologation, puis sur des cycles d’usage réel : urbain embouteillé, urbain fluide, extra-urbain, autoroutier. Seul l’usage quotidien du véhicule, sur des cycles de moins de 50 kilomètres, a été modélisé. La recharge des véhicules électrifiés est supposée quotidienne.

La durée de vie des véhicules légers a été fixée à dix ans. Il est supposé que les véhicules urbains roulent 12 000 kilomètres annuellement, et les autres 15 000 kilomètres.

Principaux résultats pour les véhicules légers

Segment A – citadine

Les résultats pour les citadines sont donnés en cycle urbain. Pour ce segment, seules les motorisations essence, mild hybride et électrique, avec et sans prolongateur de batterie, sont considérées.

En 2015, la solution la plus intéressante économiquement, avec un TCO kilométrique de 26,6 c€/km, résultant d’un faible surcoût à l’achat et d’une consommation limitée à 4 l/100 km, est l’hybride doux. Vient ensuite le véhicule électrique, avec un TCO de 26,7 c€/km, dont le surcoût à l’achat est compensé par le bonus écologique et les économies d’énergie. Le véhicule à essence, pénalisé par sa forte consommation en milieu urbain, proche de 9 l/100 km, arrive en dernier avec un TCO de 28,9 c€/kM. En 2030, le véhicule électrique devient le plus avantageux, même sans aides à l’achat, avec un TCO réduit à 24,7 c€/km, contre 25,9 c€/km pour l’hybridation douce et 30,5 c€/km pour l’essence.

Du point de vue environnemental, en 2030 (les résultats ne sont pas présentés pour 2015), le véhicule essence produit 158 gCO2eq/pkm, contre 85 gCO2eq/pkm pour l’hybride doux et 53 gCO2eq/pkm pour le véhicule électrique. Le véhicule électrique à prolongateur d’autonomie a le meilleur bilan, avec seulement 42 gCO2eq/pkM. 

Segment C – compacte

Sur ce segment, la quasi-totalité des architectures possibles ont été passées en revue.

Le véhicule électrique à batterie devient intéressant économiquement à partir de 12 000 kilomètres parcourus annuellement, en 2015 grâce aux aides et en 2030 sans les aides, sous réserve de conserver des batteries de taille limitée, pour une autonomie de 250 kilomètres. En 2030, le TCO kilométrique du véhicule électrique est de 29,1 c€/km, mais le remplacement de la batterie pourrait le ramener à 32,3 c€. En 2015 comme en 2030, l’hybride doux représente un très bon compromis sur les plans environnemental et économique, parmi les véhicules conservant un moteur thermique. En 2030, son TCO kilométrique est de 32,9 c€/km, contre 33,1 c€/km pour le véhicule essence, 34,3 c€/km et 36,8 c€/km pour le véhicule diesel,

En 2015, les émissions de gaz à effet de serre des véhicules thermiques sont de 160 gCO2eq/pkm pour l’essence et 140 gCO2eq/pkm pour le diesel. Les véhicules équivalents légèrement hybridés améliorent ces bilans de 10 gCO2eq/pkM. Les émissions des véhicules hybrides rechargeables, d’environ 60 gCO2eq/pkm, sont inférieures à celles des véhicules électriques, de 80 gCO2eq/pkM. 

En 2030, les bilans d’émissions de tous les véhicules diminuent : à 125 gCO2eq/pkm pour l’essence, à 115 gCO2eq/pkm pour le diesel, à environ 100 gCO2eq/pkm environ pour les hybrides, à 50 gCO2eq/pkm pour les hybrides rechargeables et à 60 gCO2eq/pkm pour l’électrique.

Les résultats sont similaires pour le segment D – berline.

Conclusions / Recommandations

L’étude fait apparaître que les véhicules thermiques sont dès aujourd’hui fortement concurrencés par les solutions électrifiées.

Pour les véhicules légers, l’hybride rechargeable est la meilleure solution en termes de gaz à effet de serre, mais son TCO n’est pas encore optimal. L’hybride doux apparaît comme un très bon compromis économique et écologique.

Pour tous les segments, les véhicules électriques sont aujourd’hui très pertinents en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants locaux, en particulier s’ils sont très utilisés. Leur rentabilité économique n’est pas encore assurée, mais l’écart de TCO devrait être comblé en 2030, grâce à l’abaissement du coût des batteries. Cependant, la course à l’autonomie actuelle est à surveiller du point de vue économique et écologique.

L’étude conclut que la meilleure solution pour le déplacement d’une personne reste les transports en commun hybrides et électriques. En 2030, un tel déplacement n’engendrera plus que 50 gCO2eq/pkm, soit quatre fois moins qu’un véhicule essence individuel cœur de gamme actuel.

L’ADEME et l’IFPEN considérent qu’il serait intéressant d’étendre le champ de l’étude aux véhicules hydrogène et GNV, ainsi qu’aux biocarburants, et aux deux roues.

 

Synthèse de létude :

Véhicules à faibles émissions : Lintérêt économique des consommateurs rejoint enfin lintérêt environnemental

 

Auteur(s)/Commanditaire(s) : UFC-Que Choisir.

Objet : comparaison des coûts totaux de possession de différents types de véhicules particuliers.

Hypothèses

Cette étude présente trois scénarios d’utilisation différents, prenant en compte les contraintes liées à des territoires urbains et ruraux. Le scénario de référence correspond à un usage mixte, avec des trajets urbains et périurbains. Les trois scénarios supposent que la durée de vie moyenne d’un véhicule particulier est de 16 ans, avec des distances parcourues de 190 000 kilomètres pour le scénario de référence, de 213 000 kilomètres pour l’usage rural, et de 145 000 kilomètres pour l’usage urbain.

L’UFC-Que Choisir prend en compte l’existence d’un marché de l’occasion pour les véhicules. Un même véhicule est possédé par trois propriétaires au cours de son cycle de vie, et le nombre de kilomètres parcourus décroît dans le temps.

L’étude prend en compte trois segments automobiles : les berlines moyennes (segment C/M1), les petites citadines (segment B1) et les SUV.

Méthodologie

Le coût total de possession comprend : la dépréciation du véhicule, c’est‑à‑dire la différence entre le prix d’achat et la valeur résiduelle, le coût de l’énergie, de l’assurance, et de l’entretien. Il intègre également le bonus écologique de 6 000 € pour les véhicules électriques.

L’amortissement du véhicule et le coût de l’assurance, se basent sur des analyses du marché européen. L’UFC-Que Choisir suppose que le coût de l’assurance est identique quel que soit le groupe motopropulseur du véhicule.

L’étude suppose que le coût d’entretien est en moyenne 50 % moins élevé pour un véhicule électrique et 30 % moins élevé pour un véhicule hybride rechargeable, par rapport à un véhicule thermique équivalent.

Le coût des différentes énergies est aligné sur les prix moyens constatés en France, avec pour l’essence, le diesel et le GPL, une progression future extrapolée à partir des estimations de l’Agence internationale de l’énergie et d’une évolution de la fiscalité française. Toutefois, l’étude n’apporte pas de justification détaillée sur cette dernière.

Pour les véhicules électriques, l’UFC-Que Choisir part du principe que la recharge est effectuée en heures creuses, ce qui ne sera pas forcément le cas dans la réalité avec l’essor de la recharge sur le lieu de travail. Le coût de l’électricité est donc inférieur de 39 % à celui pratiqué en heures pleines.

La consommation d’un véhicule est évaluée en partant du cycle de conduite NEDC (New European Driving Cycle). Pour se rapprocher des performances réelles des véhicules, l’UFC-Que Choisir applique aux consommations issues du cycle NEDC un facteur de correction.

L’étude ne prend pas directement en compte le coût de remplacement de la batterie, même si elle mentionne cette hypothèse.

Principaux résultats

D’après l’étude, par rapport à leur équivalent diesel, le coût total de possession (en anglais Total Cost of Ownership ou TCO) des véhicules électriques est de 20 % plus faible pour les berlines moyennes et les SUV, et de 26 % plus faible les petites citadines.

Cet écart est principalement dû au budget énergie, qui est plus faible, sur 16 ans, de 16 000 € pour une berline moyenne électrique, et de 23 000 € pour un SUV électrique, par rapport à leurs équivalents diesel.

Cependant, ces résultats très favorables à l’électrique doivent être nuancés, en raison de l’absence de prise en compte du coût de remplacement de la batterie. En prenant un coût supplémentaire arbitraire de 10 000 €, l’électrique resterait néanmoins compétitif.

En revanche, d’après l’étude, les véhicules hybrides, rechargeables ou non, reviendraient plus cher en termes de TCO qu’un diesel comparable, même si les différences de coût sont faibles, inférieures à 10 %. En effet, les écarts de coût des carburants sont faibles, alors qu’il n’y a pas de bonus pour les hybrides. Toutefois, pour un SUV, le TCO d’un hybride rechargeable est de 1,6 % inférieur au diesel équivalent. La technologie hybride rechargeable est donc plus compétitive sur les segments supérieurs.

En raison de la faible demande sur le marché de l’occasion des véhicules électriques et hybrides rechargeables, la dépréciation de ces véhicules est plus importante que celle des véhicules thermiques. Pour la première main, la dépréciation s’élève entre 52 et 56 % pour les véhicules thermiques, et à presque 70 % pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables.

Néanmoins, sur les quatre premières années de possession, correspondant à la première main, les véhicules électriques sont déjà plus compétitifs que leurs équivalents diesels et essence. En revanche, les véhicules hybrides rechargeables présentent un surcoût significatif sur la même période, la forte dépréciation n’étant pas compensée par les gains suffisants sur le coût de l’énergie. Ces résultats seraient différents en supprimant le bonus à l’achat du véhicule électrique.

L’analyse de l’UFC-Que Choisir révèle également une disparité entre l’usage urbain et l’usage rural, le véhicule électrique étant plus intéressant dans ce dernier usage, car des trajets longs induisent des économies plus importantes en énergie.

Par ailleurs, l’avantage de coût des véhicules électriques par rapport à leurs équivalents diesel s’accentue en seconde et en troisième main. En première main, les économies sont de l’ordre de 250 €/an, contre 1 000 €/an en deuxième et troisième main, notamment du fait de coûts d’entretien plus faibles. Néanmoins, le remplacement de la batterie devient plus probable dans ces périodes.

Conclusions/Recommandations

Au vu des enseignements de son étude, l’UFC-Que Choisir formule trois recommandations :

-         soutenir, dans le cadre des négociations européennes, un objectif ambitieux de baisse des émissions sur l’automobile afin de pousser les constructeurs à développer plus rapidement une large gamme de véhicules à faibles émissions ;

-         mettre en place un protocole de test des émissions de CO2 en condition de conduite réelle ;

-         instaurer une information sur le coût kilométrique global d’un véhicule qui intègre les principaux postes de dépenses d’une voiture, en fonction de l’utilisation du véhicule, afin d’aider les consommateurs à choisir le véhicule le plus adapté à leur besoin.


Synthèse de létude

SCelecTRA (Scenarios for the Electrification of Transport)

 

Auteur(s)/Commanditaire(s) : IFP Énergies nouvelles.

Objet : évaluer le potentiel et les conditions de développement de la mobilité électrique dans les pays d’Europe d’ici à 2030.

Hypothèses

L’étude SCelecTRA s’intéresse aux pays de l’Union Européenne dans sa composition de 2015, auxquels sont adjoints : la Suisse, la Norvège, l’Islande, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, l’Albanie, la Serbie, et la Bosnie-Herzégovine, soit un total de trente-six pays.

Six types de véhicules sont pris en compte dans l’étude : hybride, hybride rechargeable, électrique, GNV, ainsi que thermique traditionnel, essence et diesel. Un certain nombre d’hypothèses sont posées concernant ces véhicules.

Afin d’être le plus précis possible dans son analyse des émissions des véhicules, l’étude SCelecTRA prend en compte les émissions relatives à l’extraction des matières premières, à la production et à l’usage du véhicule, aux carburants et à l’électricité, ainsi qu’à la fin de vie du véhicule, incluant le recyclage des différents composants : batteries, électronique, etc.

La durée de vie du véhicule est comprise entre 12 et 15 ans, avec un kilométrage total de 150 000 kilomètres, soit entre 10 000 et 12 500 kilomètres annuellement. Cette hypothèse est assez basse par rapport à d’autres études, comme celles de l’UFC-Que Choisir, qui suppose un kilométrage de 190 000 kilomètres sur 16 ans. De fait, les véhicules électriques sont particulièrement intéressants, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, quand ils roulent beaucoup, pour compenser les émissions de la phase de fabrication de ces véhicules, en particulier des batteries.

Méthodologie

L’étude commence par répartir les pays en trois groupes, définis en fonction de leur développement économique, quantifié par le PIB par habitant (les revenus étant déterminants dans le choix d’un véhicule), la répartition démographique entre zones urbaine et rurale, la maturité du parc automobile, matérialisée par le nombre de véhicules par millier d’habitants, ainsi que leurs politiques concernant les transports.

Une fois cette répartition effectuée, l’étude prend en compte sept variables, avec pour chacune deux hypothèses, optimiste ou pessimiste. Quatre d’entre elles correspondent aux politiques publiques efficaces, auxquelles s’ajoute la taxe carbone. Les trois autres sont des variables dites « contextuelles », qui correspondent à l’infrastructure de recharge, aux prix de l’énergie, et à l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules.

En combinant ces hypothèses, l’étude aboutit à soixante-quatre scénarios distincts, du plus pessimiste S01 au plus optimiste S64.

Principaux résultats

En 2030, les cinq pays les plus en avance sur les ventes de véhicules électriques seraient ceux qui ont déjà l’avantage aujourd’hui en termes de volume : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne.

Dans le scénario le plus pessimiste, les ventes de véhicules hybrides rechargeables atteindraient entre 8 et 10 % de parts de marché dans une majorité de pays, en particulier dans les pays du premier groupe auxquels s’ajouteraient la Slovénie, la Slovaquie, l’Espagne et la Grèce, qui serait leader avec plus de 12 % de ventes. Elle serait suivie de près par la Slovénie et les Pays-Bas qui seraient les leaders du marché des véhicules à batterie, avec presque 10 % de parts de marché, suivis par l’Autriche et le Danemark, qui comptabiliseraient plus de 8 % de parts de marché. La majorité des pays se situeraient entre 6 et 8 %. La France se serait dans la moyenne haute, avec 8 % de véhicules électriques et 10 % d’hybrides rechargeables.

En termes de volume, l’Allemagne serait en tête avec 2,3 millions de véhicules électrifiés, talonnée par l’Italie (1,9 million), le Royaume-Uni (1,8 million) et la France (1,6 million). La majorité des pays européens se situeraient entre 100 000 et 300 000 unités vendues, même si l’Espagne et la Grèce se démarqueraient légèrement, avec respectivement 585 000 et 348 000 véhicules électrifiés. La Norvège n’aurait écoulé que 82 000 véhicules (mais le pays en comptait déjà 70 000 à fin 2018).

Dans le scénario optimiste, les pays en tête seraient les mêmes, avec 10 millions de véhicules électrifiés pour l’Allemagne, 6,6 millions pour l’Italie, 5,4 millions pour la France, 4,3 millions pour l’Espagne et 3,7 millions pour le Royaume-Uni. Deux autres pays, la Grèce et la Pologne, particulièrement exposés aux problèmes de pollution de l’air, dépasseraient le million de véhicules. À l’exception des pays baltes, de Malte et de la Roumanie, tous les pays compteraient plus de 100 000 véhicules électrifiés sur leurs routes. Comme l’étude a été réalisée avant la baisse significative des ventes aux Pays-Bas, elle estime que le pays compterait un peu moins d’un million de ventes. Ce pays serait d’ailleurs leader en termes de parts de marché du véhicule électrique à batterie, avec 18 %, un pourcentage proche de celui de la Slovaquie (17,5 %). Sur ce marché, la majorité des pays se situeraient entre 10 et 15 %, notamment la France avec 13,5 %. En ce qui concerne les véhicules hybrides rechargeables, c’est la Slovaquie qui deviendrait leader avec un marché occupé à 25 % par ces véhicules plug-in, contre 21 % en Espagne et 20 % en Grèce. Trois pays, la République Tchèque, le Portugal et la Norvège, se situeraient entre 15 et 20 %, au-dessus de la majorité des pays, dont les ventes seraient entre 10 et 15 % du marché. La France, le Danemark, l’Allemagne et l’Italie se situeraient autour de 13 %.

En conclusion, les cinq marchés majeurs compteraient entre 11 % et 34 % de parts de marchés. L’Allemagne se trouverait entre 20 et 34 %, l’Espagne entre 11 et 32 %, l’Italie entre 18 et 27 %, le Royaume-Uni entre 17 et 28 % et la France entre 18 % et 26 %. Par ailleurs, en France, en Italie et au Royaume-Uni, les hybrides rechargeables et les électriques seraient quasiment à égalité, tandis qu’en Allemagne et en Espagne, les hybrides rechargeables domineraient les électriques. Les auteurs de l’étude estiment que le scénario pessimiste est le plus réaliste.

Analyse des coûts et bénéfices financiers de lélectrification de la mobilité

L’étude SCelecTRA se veut peu enthousiaste sur les bénéfices socio-économiques de l’électrification de la mobilité. Les externalités dues à la pollution de l’air, aux émissions de gaz à effet de serre, aux accidents de la circulation ou encore à la pollution sonore sont calculées à partir de facteurs d’unités de dommage, propres à chaque pays et dérivant majoritairement de l’Impact Pathway Approach, publié par la Commission Européenne en 2005, raison pour laquelle les coûts des externalités sont exprimés en euros 2005. L’étude s’appuie également sur le Handbook on External Cost of Transport de la Commission européenne.

Seuls dix scénarios produisent un résultat positif, quatre d’entre eux ayant un bénéfice si faible (environ 10 000 €), qu’ils ne sont pas considérés comme donnant un résultat positif pour l’étude. À l’inverse, les pertes nettes peuvent aller jusqu’à 400 000 €. On constate que les scénarios incluant un programme de prime à la casse ou à la conversion sont déficitaires, car ils sont chers à financer malgré leur efficacité.

Toutefois, le pessimisme de l’étude peut être nuancé. En effet, l’étude a été réalisée à une époque où les prix des véhicules électriques étaient très élevés. En 2011, soit un an avant le début des travaux de l’étude SCelecTRA, le prix d’une batterie était encore de 1 000 $/kWh, soit quatre à six fois plus qu’aujourd’hui.


   CONTRIBUTIONS D’ENTREPRISES

 

Vision d’une « start-up » du numérique et de l’électromobilité

Contribution de M. Laurent Fournier, fondateur d’adox.io

 

Contexte

L’objectif de fin de commercialisation des véhicules thermiques en 2040 contribue à des objectifs plus larges, tels que combattre le changement climatique (1), améliorer la qualité de l’air (2), rendre les villes plus silencieuses (3), réduire la dépendance énergétique (4) et s’inscrire dans une industrie automobile mondiale en mutation (5), dans un marché bouleversé par la conduite autonome.

La question centrale pour cette étude est celle du rôle de l’État dans un contexte où l’achat d’une voiture, pour un usage familial ou professionnel, est une décision d’individu libre, et où la production automobile est une affaire privée, internationale, structurée en une hiérarchie de très nombreuses entreprises jouant le jeu de l’économie mondialisée. Nous ne sommes pas dans le cas d’un investissement public par nécessité, parce que la centralisation du projet, la souveraineté nationale ou encore une rentabilité à très long terme l’exigeraient, comme ce fut le cas au XXe siècle, pour le déploiement des centrales nucléaires.

Qu’est-ce que R2ub2i ?

C’est un « business model » adapté aux exigences du XXIe siècle. Il est numérique, économiquement efficace, et peut favoriser la réduction de l’empreinte écologique. C’est un outil de responsabilisation des individus qui préserve leurs libertés. « Rent to use – buy to invest » s’applique à tous les acteurs, particuliers, entreprises, administrations, associations, etc. L’investissement se fait dans des objets/robots/machines qui créent de la richesse par leur travail et fournissent à leur propriétaire une rentabilité annuelle supérieure à 10 %, mieux que l’immobilier, plus sûr que la bourse. Pour cela, une petite carte électronique d’une dizaine d’euros aujourd’hui, demain intégrée en composant, après-demain sans batterie, trace l’activité de l’objet pour compter, distribuer ou transporter une ressource (électricité, liquides, gaz, granulats, consommables…), génère une facture incontestable et communique en local (BLE, NFC, LIFI) avec les smartphones des utilisateurs. Ces objets fonctionnent partout, même en zone blanche, grâce à un protocole asynchrone nommé io. Ils sont insensibles aux cyber-attaques, sont assurés et ont une fonction anti-clonage.

Si l’on pose le problème en termes de retour sur investissement (RoI) pour tous les acteurs (particuliers, constructeurs, équipementiers, collectivités), nous avançons que les objectifs environnementaux sont atteignables, et qu’il existe des scénarios offrant aux investisseurs (y compris des particuliers) une bonne rentabilité, si l’on sait exploiter les outils numériques du XXIe siècle et si l’on accepte des innovations d’ordre économique (voir l’encadré sur le modèle R2ub2i).

Le choix de l’État est alors budgétaire, de savoir s’il faut investir ou pas et combien il faudrait investir dans des produits finis (voitures, batteries, bornes de recharge, logiciel de routage…) pour avoir un niveau attendu de recettes pour par exemple compenser la perte progressive de la TICPE. Sachant que les externalités négatives, les diverses pollutions, ne sont pas prises en compte dans les prix des marchés, il est du rôle des États d’affirmer le principe du « pollueur payeur » et donc de taxer à hauteur des dégâts environnementaux et sanitaires, tous les produits/services de la chaîne. Cela revient à forcer l’ajustement au prix exigé par des contraintes écologiques, tout en respectant la neutralité technologique. Réciproquement, les aides de la puissance publique ne sont jamais neutres technologiquement et ont bien souvent un effet négatif sur les innovations, notamment sur leur vitesse de déploiement. En France, l’aide ADVENIR freine l’innovation du réseau dense de bornes S5 (Slow, Smart, Small, Secure, Shared). De même, la réglementation doit être revue et simplifiée pour faciliter un rétrofit, par l’hybridation et l’électrification du parc actuel, constitué en majorité de véhicules d’occasion.

Qu’est-ce qu’une borne S5 ?

Une borne de recharge S5 est « Slow, Smart, Small, Secure, Shared ». Elle est volontairement lente, limitée à 3,7 kW, soit 16A pour être très peu coûteuse (quelques dizaines d’euros). Elle est facilement commutable, exploite le standard de prise européen P17 bleue 6H, et laisse à la voiture l’électronique EVSE. Cette puissance ne nécessite aucune adaptation réseau, tout en autorisant un effacement sur ordre de RTE. Elle est partagée (ouverte) à tout possesseur d’un véhicule rechargeable pour le transport de passagers ou de marchandises (bab-car). Elle est sécurisée pour empêcher le vol d’électricité et le risque d’électrocution en extérieur. Enfin, elle est intelligente en produisant automatiquement la facture qui servira à l’utilisateur authentifié. Ajoutons que cette borne est autonome, insensible aux cyber-attaques et fonctionne aussi en zone blanche. Le branchement peut aisément s’automatiser.

Proposition

Notre proposition s’articule autour d’un concept simple, comme l’a été l’invention du container en 1956 pour optimiser le transport international, à savoir qu’une batterie se recharge à moindre coût toujours lentement (voir borne S5). En tout électrique, pour effectuer des trajets dépassant la capacité nominale du véhicule, il n’y a pas d’alternative rentable autre qu’échanger tout ou partie des batteries.

Considérons deux stratégies communément envisagées : l’une vise à augmenter la taille des batteries (>100 kWh), pour élargir le rayon d’action sans recharge, en mettant sur le marché des véhicules luxueux à forte marge pour le constructeur. L’autre vise à déployer un réseau de bornes très rapides (voir l’encadré sur l’impasse des bornes rapides), pour espérer recharger en quelques minutes sans file d’attente. Ces deux stratégies sont des impasses pour les usagers, sans rentabilité économique pour les industriels et avec un impact négatif fort sur l’écologie

L’impasse de la recharge rapide

La recharge rapide n’est pas rentable. Par exemple, le projet CorriDoor a permis d’installer sur autoroute des bornes rapides d’un coût unitaire de 35 k€. Or, chaque borne ne rapporte en moyenne qu’un euro par jour. Le RoI est donc d’un siècle ! Le mode de recharge rapide détériore plus rapidement les batteries, oblige à installer des systèmes spécifiques de refroidissement dans le véhicule, exige des renforcements de réseau électrique, utilise des batteries tampon pour ne délivrer la pleine puissance qu’au premier utilisateur et exploite du matériel fragile à fort coût de maintenance. Le temps de recharge annoncé dans les documents commerciaux est de l’ordre de 15 minutes pour atteindre 70 % à 80 % de charge. Or, ces bornes sont si coûteuses qu’elles seront nécessairement en nombre trop limité pour être disponibles sans file d’attente. En conséquence, le temps de charge effectif sera plutôt de l’ordre de quelques heures. La recharge rapide tente de mimer le modèle de la pompe à essence, mais même avec les plus optimistes progrès technologiques, elle ne pourra jamais égaler la performance pour gagner 1 000 km d’autonomie en moins de 3 minutes. La recharge rapide est donc à la fois anti-écologique et anti-économique. C’est une impasse.

Pourquoi ces impasses sont-elles alors envisagées ? Parce qu’il est facile de conserver nos habitudes centenaires de la pompe à essence et de la très forte densité énergétique des produits pétroliers. Si le véhicule électrique est revenu dans la course, après une absence de 100 ans, c’est grâce aux progrès technologiques récents dans les moteurs et dans les batteries, mais pour qu’il prenne la place de numéro un au véhicule thermique, il faut non seulement durcir les normes anti-pollution, de façon qu’une hybridation soit de fait obligatoire, mais aussi faire preuve d’intelligence dans la recharge en énergie, pour éviter de payer très cher une batterie, de surcroît très lourde à transporter.

Quand une infrastructure n’est pas rentable, les constructeurs, conducteurs et associations ont l’habitude de se tourner vers l’État ou vers l’Europe pour demander un financement à perte. L’État doit s’y opposer fermement car il existe au moins une solution technologique alternative, qui elle est rentable. La batterie interchangeable exige deux nouveautés qui n’étaient pas présentes lors de l’essai infructueux de Renault/Better-Place en 2013, ou celui de Tesla en 2015.

Une véritable standardisation au moins Européenne, d’un mini-container appelé bab, pouvant contenir totalement ou partiellement une batterie, auto-refroidie, de 1 à 10 kWh, avec un connecteur standard et un procédé d’échange, non plus avec une station fixe, mais entre un véhicule avec passagers et un véhicule de marchandises (bab-car). Ces batteries peuvent alimenter du résidentiel et se charger sur des sites de production isolés, en énergie renouvelable. Le réseau des véhicules bab-car forme une partie de l’Internet Physique (voir encadré) et tout bab-car en stationnement fait office de « mur de boîtes aux lettres » tout en se chargeant/déchargeant en électricité.

Un protocole sécurisé, nommé io, gère via une application pour smart-phone et des serveurs sur Internet, les objets partagés (bab, véhicules en partage, bornes de recharge, panneaux photovoltaïques). Il permet une location adaptée à l’usage et une rentabilité élevée au propriétaire investisseur, selon le principe R2ub2i (Rent to Use, Buy to Invest), avec une haute sécurité cryptographique et une automatisation du paiement et de l’assurance.

Qu’est-ce que l’Internet Physique ?

Alors que l’Internet automatise la transmission d’information, sur la base de paquets « ip », l’Internet Physique vise à automatiser le transport de marchandises et batteries, en particulier par des mini-containers (bab) à standardiser. Le recours avant 2040 à des véhicules autonomes, à échange de containers, permet l’optimisation de l’énergie de déplacement, de la vitesse de livraison et de l’occupation au sol pour un coût inférieur à 1 centime par tonne et par kilomètre. Cette révolution dans la logistique est possible par la sécurité du protocole io qui permet aussi la gestion distribuée des objets esclaves mis en œuvre dans le transport (châssis, batterie, panneaux photovoltaïques, borne de recharge...) pour rétribuer les propriétaires, sans cyber-attaques possible. La généralisation de l’Internet Physique libère une partie de la population d’utiliser un véhicule personnel et favorise les déplacements doux, sans bagages. Espérons que l’Europe saura être leader de cette révolution numérique.

C’est à l’EBA-250 – European Batterie Alliance – (voir encadré) de s’emparer très rapidement de ce double défi de standardisation, qui peut être la grande initiative européenne nous apportant une longueur d’avance dans l’automobile du futur, face en particulier aux Californiens et aux chinois. Cette révolution de la bab est à envisager dans un contexte de transport des petites marchandises totalement automatisé, pour former l’Internet Physique (voir encadré), exploitant la conduite autonome pour offrir un coût de transport inférieur à un centime par tonne et par km.

La combinaison d’un réseau très dense de bornes S5 et d’une importante flotte de bar-car nous permettra de gigantesques économies d’énergie, et une optimisation de routage. De plus, tout en préservant l’intimité du conducteur, qui tient à sa voiture comme ultime refuge de ses libertés, les constructeurs pourront proposer des véhicules avec une petite batterie (10 à 20 kWh), plus légers, avec sécurité dynamique renforcée, moins chers, et donc accélérer le renouvellement du parc, comme ce fut le cas lors du passage en un temps record du téléphone au smartphone.

Pour rassurer le conducteur de véhicule électrique et pour allonger certains trajets occasionnels, le prolongateur d’autonomie (hybride série) est une très bonne solution pour l’Europe, d’autant qu’elle oblige à maintenir une activité industrielle sur des petits moteurs thermiques, avec des carburants alternatifs.

L’« Airbus » de la batterie : EBA-250

Si l’Europe, ne produisant ni lithium, ni cobalt, est à la traîne pour la fabrication de batteries, elle peut encore être leader dans la conception d’un container standard de batterie bab (de taille environ 12 x 12 x 18 pouces, de 5 à 10 kWh et moins de 30 kg) qui permettrait des échanges automatisés entre véhicules (de passagers ou de marchandises) pour rendre compétitif le rechargement en énergie par rapport à la pompe à essence, et pour éviter la recharge rapide. Chaque container bab est équipé de l’électronique de sécurité, pour tracer les cycles de vie de la batterie et identifier les usagers pour facturation précise. Les échanges de batteries entre véhicules sont très facilement mis en œuvre avec la fonction « car-park ». Le recyclage des batteries, leur rétrofit, leur second ou troisième usage pour du résidentiel seraient facilités, tout comme la recharge à partir de site isolé de production d’énergie renouvelable. À moins d’1 centime par tonne déplacée par km, la batterie peut même concurrencer une partie du réseau électrique. L’Europe peut accorder une aide aux véhicules modulaires.

Recommandations

Ces recommandations sont destinées à la puissance publique. Si les constructeurs se targuent d’écouter leurs clients, ils ne se gênent pas pour agir en oligopole. Pourtant, un véhicule populaire et modulaire serait parfaitement envisageable et stimulerait une concurrence bénéfique pour tous au niveau des composants.

  1. De façon générale, ne pas financer un investissement à perte et exiger au contraire une rentabilité élevée. En l’occurrence, pour compenser la perte de la TICPE, une décision politique peut pousser à investir dans des containers bab, dans des véhicules bab-car et dans des bornes de recharge S5, en utilisant le réseau d’éclairage public ou les nombreux points d’accès à l’électricité sous contrat public.
  2. Imposer aux constructeurs automobiles des quotas de voitures électrifiées et légères, au niveau national, avec des seuils encore plus contraignants que ceux de l’Europe.
  3. Revoir la classification des véhicules ; a/ distinguer les hybrides classiques des hybrides séries (prolongateur d’autonomie), b/ reconnaître et favoriser l’usage de bab (batteries mobiles) et c/ ajuster les aides en fonction du poids total du véhicule et/ou de la taille de la batterie fixe.
  4. Autoriser et même subventionner l’hybridation d’un véhicule en seconde monte (pose de moteurs roues, d’une ou plusieurs bab, et d’une prise de recharge en entrée et en sortie)
  5. Maintenir les taxes sur les pollutions de tous ordres, y compris une taxe sur les VE.
  6. Favoriser les véhicules légers, avec un bridage possible pour les conducteurs sans permis de conduire.
  7. Aider l’alliance européenne EBA-250 dans sa mission et exiger la standardisation des bab. (dimensions, chargement automatique, connecteur,…)
  8. Informer l’usager des TCO (Total Cost of Ownership), mais aussi de la rentabilité (RoI) à la location, sur une cote de l’occasion.
  9. Autoriser, par une procédure administrative similaire à celle d’un dépôt de permis de construire, l’installation au droit de son habitation, sur une place de stationnement publique, d’une borne S5 (sécurisée, lente, ouverte, partagée, automatisable).
  10. Stopper l’aide ADVENIR qui oriente le marché vers des bornes coûteuses et peu nombreuses alors que le besoin est celui d’un réseau très dense de prises sécurisées non subventionnées.
  11. Interdire la charge très rapide hors autoroute et se désengager de la gestion et de la maintenance très coûteuse des bornes existantes.
  12. Généraliser et rendre obligatoire l’électronique de « car-park » sur toute voiture neuve afin de provisionner l’arrivée de logiciels de conduite autonome.


Réflexion sur les aspects sécuritaires et réglementaires concernant la transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique.

Contribution de M. Jérémy Cantin, gérant de l’entreprise Brouzils Auto,
vice-président de la branche maintenance-vente et chargé de l’électromobilité de la Fédération nationale de l’automobile (FNA)

Problématique : Il n’existe aucun cadre légal en France qui permette à un professionnel de convertir un véhicule thermique classique en énergie propre, comme l’électrique.

Aujourd’hui, aucun organisme public, comme les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ne se positionne sur le rétrofit, car il n’existe pas de référence dans les textes, sauf si le constructeur atteste que le véhicule est conforme avec la nouvelle énergie, ce qui est impossible à obtenir.

Quelle solution simple et concrète pour permettre à des professionnels d’être habilités à réaliser ce type de conversion ?

L’humanité ne peut pas continuer à gaspiller, mettons ensemble en place une vraie solution d’économie circulaire. L’enjeu est aussi bien économique que social.

Début 2017, l’équipe de Brouzils Auto a créé l’Electro’Cox, rétrofit d’un véhicule thermique, ainsi devenu 100 % électrique. Cependant, l’Electro’Cox ne peut circuler, car la mention P3 sur la carte grise (type de carburant ou source d’énergie) n’est pas modifiable en « El. » (électrique) en France.

Quel pourrait être le cadre légal de ce type de conversion par des artisans de la mobilité ?

Le véhicule transformé doit :

Il devra être interdit de modifier le véhicule de traction en propulsion ou de propulsion en traction.

Les batteries doivent être situées à l’intérieur des essieux afin de ne pas entraver les zones de déformation prévues en cas de choc.

Pour obtenir l’agrément et convertir des véhicules en énergie propre, le professionnel devrait répondre aux critères suivants :

Devenir du moteur thermique usagé :

Soit, le client conserve tous les éléments d’origine déposés du véhicule. En cas de découverte d’énergie alternative au pétrole, il sera donc possible de réinstaller le moteur et faire la conversion inverse.

Soit, nous trions les éléments du moteur (fonte, acier, aluminium…) pour être recyclés en matière première et réinjectés dans l’économie circulaire.

Connectivité du véhicule :

Un module de communication peut être ajouté afin que l’automobile soit visible électroniquement par les autres véhicules connectés.

On améliore aussi la sécurité en diminuant les distances de freinage grâce à la régénération d'électricité à la décélération.


   éTUDE RéALISéE PAR LE GROUPEMENT CEA–IFPEN À LA DEMANDE DE L’OFFICE – Scénarios technologiques de la mobilité en France et conditions de réalisation pour atteindre l’objectif d’arrêt des ventes de véhicules particuliers thermiques en 2040
 

 

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([1]) M. Denis Baupin et Mme Fabienne Keller ont également publié en 2016 un rapport à la suite de l’organisation, en novembre 2015, d’une audition sur « létat de lart en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules ».

([2]) Particules fines d’une taille inférieure à 2,5 micromètres.

([3]) Coûts de l’hypotrophie par retard de la croissance intra-utérine (RCIU) attribuable à la pollution atmosphérique en France, C. Rafenberg et Annesi-Maesano.

([4]) Rapport annuel 2018, Agence européenne de l’environnement (AEE).

([5]) Burden of disease from environmental noise, OMS bureau pour l’Europe, avril 2011.

([6]) Impacts sanitaires du bruit des transports dans la zone dense de la région Île-de-France, Bruitparif,
février 2019.

([7]) Deutsch-chinesische Kooperationen bei Elektromobilität, Deutsche Gesellschaft für Internationale
Zusammenarbeit (GIZ), 2014.

([8]) Made in China 2025, Conseil des affaires de l’État de la république populaire de Chine, juin 2015.

([9]) The origins and evolution of scenario techniques in long range business planning, Ron Bradfield, Futures, 2005.

 

([10]) Consulting with energy scenarios, Académie allemande des sciences Leopoldina, Académie allemande des sciences et de la technologie, Union des académies des sciences allemandes, mars 2016.

([11]) Cf. rapport CEA-IFPEN en annexe à partir de la page 58.

([12])  cf. p. 61 et suivante des scénarios technologiques.

([13]) Un véhicule à prolongateur d’autonomie est un véhicule électrique à batterie comprenant un bloc d’alimentation auxiliaire appelé «prolongateur d’autonomie». Le prolongateur d’autonomie actionne un générateur électrique qui charge la batterie, celle-ci alimentant en électricité le moteur électrique.

([14]) Un PHFCEV est un hybride électrique doté d’une pile à combustible (au lieu d’un moteur à combustion interne) dont la batterie peut se recharger directement sur une source d’alimentation en énergie externe.

([15]) ICE (internal combustion engine vehicle), en français véhicule à moteur à combustion interne, HEV (hybrid electric vehicle), en français véhicule hybride électrique, PHEV (plug-in hybrid electric vehicle), en français véhicule hybride rechargeable, BEV (battery electric vehicle), en français véhicule électrique à batterie, et FCEV (fuel cell vehicle), en français véhicule à pile à combustible.

([16]) Décision du 13 décembre 2018 du Tribunal de l’Union européenne demandant l’annulation des dispositions de la norme Euro 6, telle que définie par le règlement UE 2016/427 du 10 mars 2016, qui précise les conditions dans lesquelles les véhicules automobiles doivent être testés au moment de leur homologation.

([17]) D’après l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (en anglais International Organization of Motor Vehicle Manufacturers ou OICAL).

([18]) Global EV Outlook 2018, Agence internationale de l’énergie.

([19]) Battery second life: Hype, hope or reality? A critical review of the state of the art, E.Martinez-Laserna and all, Renewable and Sustainable Energy Reviews, octobre 2018.

([20]) À l’horizon 2024, les ventes de batteries pour un usage stationnaire représenteraient de l’ordre de 10 % de celles liées à la mobilité (Global Energy Storage Forecast, BNEF, 2016).

([21]) A Critical Review and Analysis on the Recycling of Spent Lithium-Ion Batteries, Lv, Weiguang and all, ACS Sustainable Chemistry & Engineering, décembre 2017.

([22]) Mineral Commodity Summaries, USGS, février 2019.

([23]) Electrification du parc automobile mondial et criticité du lithium à l’horizon 2050, ADEME et IFPEN, octobre 2018.

([24]) Mineral Commodity Summaries, USGS, février 2019.

([25]) Cobalt: demand-supply balances in the transition to electric mobility, Joint Research Centre (JRC), 2018.

([26]) ProMine Mineral Databases: New Tools to Assess Primary and Secondary Mineral Resources in Europe, Daniel Cassard et all., juin 2015.

([27]) Source: Open Data ENEDIS.

([28]) Décret n° 2014-1302 paru le 1er novembre 2014.

([29]) Ionity boss has plan for stations across Europe; he just needs an EV boom, Automotive News Europe, 12 février 2019.

([30]) Les hypermarchés, supermarchés et hard discounters étaient au nombre de 12 160 en France fin 2015 (source : Panorama des principaux chiffres de la distribution française, DistriBook 2016, Le magazine Linéaires.).

([31]) Les comptes des transports en 2017, Commissariat général au développement durable (CGDD).

([32]) Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, édition 2017, RTE.

([33]) Power grid peak shaving strategies based on electric vehicles and thermal storage electric boilers. Bo Hu et al 2019 IOP Conf. Ser: Earth Environ. Sci. 227 032026.

([34]) Les réseaux électriques au service des véhicules électriques, CRE, octobre 2018.

([35]) Integrating Ultra-Fast Charging Stations within the Power Grids of Smart Cities: A Review, Danielle Meyer and all, IEEE, 2018.

([36]) The viability of vehicle-to-grid operations from a battery technology and policy perspective, Kotub Uddin, Matthieu Dubarry, Mark B.Glick, Energy Policy, 2018.

([37]) Inductive Power Transfer, Grant A. Covic, John T. Boys, Proceedings of the IEEE, Juin 2013.

([38]) En Allemagne, la société Greenpack qui a développé une offre de batteries partagées à Berlin, a annoncé fin 2018 l’extension de son réseau à vingt autres villes.

([39]) Cf. scénarios technologiques, p. 56.

([40]) Source : Eurostat 2018.

([41]) Agence internationale de l’énergie (AIE), Global Electric Vehicle Outlook 2018, Mai 2018.

([42]) Bloomberg New Energy Finance (BNEF), Global Electric Vehicle Outlook 2018.

([43]) Prix selon le CGDD.

([44]) Individual mobility: From conventional to electric cars, JRC Science & Policy report, 2015.

([45]) L’intérêt de l’hybridation se révèle limitée sur ce segment, le surcoût à l’achat étant difficile à compenser par des économies de dépenses énergétiques. En effet, le TCO kilométrique d’une citadine hybride essence est évalué à 28.1 c€/km par l’UFC-Que Choisir ? et 26.1 c€/km par le CGDD. D’autre part, le CGDD estime que le véhicule hybride rechargeable est encore moins économique que le véhicule hybride, avec un TCO kilométrique de 27.9 c€/km tandis que l’UFC-Que Choisir suppose le contraire avec un TCO kilométrique de 25 c€/km.

([46]) 25.9 c€/km pour un hybride doux.

([47]) 27 c€/km pour un hybride et 27.6 c€/km pour un hybride rechargeable.

([48]) 36.2 c€/km pour l’hybride et 35 c€/km pour l’hybride rechargeable.

([49]) Le surcoût du véhicule hybride rechargeable est de 9 750 €.

([50]) En revanche, l’hybride rechargeable n’est toujours pas intéressant économiquement avec un surcoût de 7 075 €.

([51]) 0,351 €/km pour les hybrides (rechargeable ou non) et 0,368 €/km pour le diesel.

([52]) Bonus écologique inclus, prime à la conversion exclue.

([53]) Hypothèse émise par le CGDD, se basant sur une interview du PDG de Renault-Nissan.

([54]) Open Charge Point Protocol (OCPP).

[55] À noter que la question de l’arrêt des soutiens aux véhicules propres s’est posée, puisque ces soutiens devaient initialement être maintenus jusqu’en 2017. Dans le projet de loi de finances pour 2018, le gouvernement proposait la fin de l’exemption de taxe sur certains véhicules (cette fin d’exemption était surnommée « taxe Tesla », puisqu’elle allait concerner les véhicules les plus lourds). Toutefois, cette exemption a finalement été conservée. Au contraire, dans sa proposition de budget pour l’année 2019, le Gouvernement norvégien a reconduit tous les dispositifs en faveur des véhicules électriques sans aucune modification.

[56] Il existe deux types de véhicules hybrides, les rechargeables et les intégrés (appelés aussi full hybrid).

[57] Cf. étude CEA – IFPEN en annexe pour une description des différentes variantes d’hybrides.