N° 1769

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création dune commission denquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs (n° 1727).

PAR M. Grégory Besson-Moreau,

Député

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 Voir le numéro : 1727.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

II. LOPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION DUNE TELLE COMMISSION DENQUÊTE

EXAMEN EN commission

texte de la proposition de rÉsolution

Article unique

annexe Lettre de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux


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   Introduction

Les présidents Gilles le Gendre et Jean-Christophe Lagarde et plusieurs de leurs collègues ont déposé le 28 février 2019 une proposition de résolution « tendant à la création dune commission denquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs » (n° 1727).

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création dune commission denquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Émanant du groupe majoritaire, la création de cette commission d’enquête ne peut faire l’objet d’un « droit de tirage » tel que prévu au deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale. Il revient donc à la commission des affaires économiques de s’assurer non seulement que « les conditions requises pour la création de la commission denquête sont réunies » mais également de se prononcer sur son opportunité. En application du premier alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, cette proposition de résolution fera également l’objet d’un examen en séance publique.

 


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I.   LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La création d’une commission d’enquête est soumise à trois conditions de recevabilité juridique énoncées à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et reprises aux articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Ces conditions sont les suivantes :

– Le champ d’investigation de la commission d’enquête doit être précisément défini ;

– Elle ne peut avoir le même objet qu’une autre mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 du Règlement de l’Assemblée nationale ou commission d’enquête ayant achevé ses travaux moins de douze mois auparavant ;

– Aucune poursuite judiciaire ne doit être en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

 Une définition précise du champ dinvestigation de la commission denquête

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent, en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Si l’intitulé de la proposition de résolution que reprend le dispositif de l’article unique peut paraître insuffisamment précis, l’exposé des motifs permet de circonscrire nettement le champ d’investigation de la commission d’enquête.

Celui-ci est, en effet, défini en ces termes dans le titre de la proposition de résolution : « la situation et les pratiques de la grande distribution et de [ses] groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs ».

Les acteurs que sont la grande distribution et ses groupements sont aisément identifiables : la notion englobe le commerce de détail de biens de consommation s’effectuant en libre-service au sein du commerce intégré ou associé dans le cadre d’une surface de vente relativement étendue (hypermarché, supermarché, supérette), par opposition au petit commerce indépendant. La grande distribution peut être généraliste, alimentaire ou spécialisée. À la lecture de l’exposé des motifs, il apparaît que c’est plus particulièrement la grande distribution alimentaire que visent les auteurs de la proposition de résolution. Celle-ci est définie par l’Insee comme « le regroupement des hypermarchés, des supermarchés et des magasins multicommerces ». En France, la grande distribution se caractérise par une particulière concentration, les quatre premières centrales d’achat françaises représentant 92,2 % des ventes en valeur et 88,5 % des ventes en volume de produits de grande consommation ([1]). Les fournisseurs désignés par la proposition de résolution sont donc l’ensemble des acteurs procurant à la grande distribution alimentaire les biens qu’elle commercialise ensuite dans ses grandes surfaces – il peut ainsi s’agir de lindustrie agroalimentaire composée d’une très grande diversité d’entreprise (très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), géants du secteur) ou de producteurs.

Les notions de « situation » et de « pratiques » de la grande distribution dans ses « relations commerciales » avec ses fournisseurs demandent également à être rendues plus explicites.

Le titre de la proposition de résolution invite, d’abord, à un état des lieux de la situation de la grande distribution en France vis-à-vis de ses fournisseurs, c’est-à-dire de létat du rapport de force entre ces acteurs dont le caractère particulièrement déséquilibré, au détriment des producteurs, avait été au cœur des travaux relatifs à la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « ÉGALIM »).

Les « pratiques », enfin, auxquelles il est fait référence sont les pratiques commerciales, jugées déloyales par le législateur, qui étaient mises en œuvre pour obtenir, dans le cadre d’une « guerre des prix » entre distributeurs, les prix les plus bas de la part de la leurs fournisseurs. Ces pratiques, rendues possibles par le déséquilibre structurel entre les deux parties se déploient particulièrement dans le cadre de négociations commerciales annuelles prévues par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). Elles prennent trop fréquemment la forme de pressions exercées sur les fournisseurs afin d’obtenir de leur part les prix les plus bas possible, ainsi inférieurs à la valeur réelle des biens. Ces « pratiques », plus généralement, doivent être entendues comme l’ensemble des comportements mis en œuvre par les acheteurs de la grande distribution qui ont pour conséquence de faire des fournisseurs la variable d’ajustement de la filière et de contribuer à la dévalorisation des biens alimentaires – ainsi, les conditions dans lesquelles se déroulent les négociations commerciales annuelles mais aussi le système de péréquation des marges, qui consiste, pour la grande distribution, à augmenter ses marges sur les produits agricoles frais en compensation de marges réduites sur les produits d’appel.

 Labsence de commission denquête antérieure

En application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête ayant le même objet quune mission effectuée dans les conditions prévues à larticle 145-1 ou quune commission denquête antérieure, avant lexpiration dun délai de douze mois à compter du terme des travaux de lune ou de lautre ».

Cette proposition de résolution remplit assurément ce critère de recevabilité : aucune commission d’enquête n’a été créée sur cette thématique au cours des douze derniers mois – ni même au cours de la précédente législature.

● La recevabilité de la proposition de résolution au regard de lexistence de poursuites engagées

Enfin, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si la garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose, quant à lui, que « si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès louverture dune information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée denquêter ».

Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de ce même article 139, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, qu’elle n’avait pas connaissance de poursuites judiciaires en cours en lien avec les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

II.   L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D’UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE

Les États généraux de l’alimentation (EGA) lancés le 20 juillet 2017 et clôturés le 21 décembre 2017, puis la discussion et l’adoption de la loi dite « ÉGALIM » en octobre 2018 procédaient – entre autres préoccupations – d’une conscience de la nécessité de modifier le rapport de force entre producteurs, industrie agroalimentaire et distributeurs.

Ce rapport de force, très défavorable aux producteurs et à la grande majorité des fournisseurs, conduit, en bout de chaîne, à une faiblesse des prix et des revenus agricoles. Les conséquences de cette situation sont particulièrement dramatiques pour le monde agricole.

La création d’une telle commission d’enquête serait particulièrement opportune pour plusieurs raisons :

 La situation de la grande distribution a connu de récentes évolutions tendant à en accentuer la concentration. Ainsi, en mai et juin 2018, des rapprochements à l’achat, actuellement en cours, ont été annoncés entre Auchan, Casino, Metro et Shiever d’une part, et Carrefour et Système U d’autre part. Les conséquences de ces regroupements au niveau européen sur les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs doivent être anticipées et analysées.

 Les négociations commerciales 2019 semblent sêtre déroulées dans un climat tendu. Dans un communiqué de presse en date du 1er mars 2019, l’Association Nationale de l’Industrie Alimentaire (ANIA), déplorait que « lesprit des EGA [ne soit] pas encore là », soulignant que malgré « des efforts des enseignes dun point de vue comportemental, les relations commerciales restent extrêmement déséquilibrées ». L’association note que de meilleures conditions de négociations ont été observées au sein de la filière laitière mais que cette amélioration demeure l’exception. L’association relève ainsi des demandes de baisses de prix toujours aussi pressantes de la part des distributeurs et la constance d’un chantage aux prix bas avec menaces de déréférencement ou déréférencement effectif. Elle conclut que « les entreprises françaises encore cette année sont confrontées à une destruction massive de la valeur de leurs produits ».

 Les produits de lagriculture biologique, jusqualors relativement épargnés par la « guerre des prix », sont de plus en plus concernés par ces pratiques commerciales. Le réseau Synabio, qui rassemble près de 200 entreprises (majoritairement des PME) de l’agroalimentaire biologique, transformateurs et distributeurs spécialisés, a créé en 2018 un observatoire des négociations commerciales et affirme, dans un communiqué de presse en date du 21 janvier 2019, que « la grande distribution met ses fournisseurs bio sous forte pression ». Ainsi, 28 % des entreprises interrogées se voient réclamer une baisse de tarif avant toute discussion et 40 % sont concernées après les premiers tours de négociation alors même que 70 % des entreprises indiquent qu’une hausse des matières premières les oblige à ajuster leurs prix.

– La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous a mis en place plusieurs dispositifs destinés à rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs, désormais entrés en vigueur. Une partie d’entre eux visaient à créer des conditions de négociations commerciales plus favorables aux producteurs : la construction du prix devait être inversée avec une initiative revenant au producteur ; les organisations interprofessionnelles devaient se charger d’élaborer et de diffuser des « indicateurs de référence » incluant des coûts de production et des indicateurs de marché afin d’aider à la détermination des prix proposés ; les contrôles et les sanctions de ces dispositions devaient être renforcés et la médiation développée. D’autres dispositifs avaient pour objectif, plus largement, d’infléchir les relations commerciales entre grande distribution et producteurs dans le sens d’un meilleur équilibre, à titre expérimental pour une durée de deux ans, en relevant le seuil de revente à perte de 10 % et en encadrant les promotions en valeur et en volume ([2]). L’interdiction de prix de cession abusivement bas a été élargie.

Ces évolutions, défavorables aux fournisseurs et aux producteurs, et la nécessité de mesurer dès à présent l’effectivité et l’efficacité des mesures mises en place par la loi dite « EGALIM », rendent donc parfaitement opportune la création de cette commission d’enquête.

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En conséquence, les critères juridiques conditionnant la recevabilité de la proposition de résolution apparaissent remplis et son opportunité établie. Votre rapporteur est donc favorable à son adoption.

 


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EXAMEN EN commission

Lors de sa réunion du mardi 19 mars 2019, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de résolution de M. Gilles Le Gendre et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs (n° 1727) (M. Grégory Besson‑Moreau, rapporteur).

M. le président Roland Lescure. Nous examinons la proposition de résolution déposée par MM. Gilles Le Gendre, Jean-Christophe Lagarde, Patrick Mignola, Grégory Besson-Moreau, Thierry Benoit, les membres du groupe La République en Marche et apparentés, les membres du groupe UDI, Agir et Indépendants et apparentés et les membres du groupe MODEM et apparentés.

Je vous rappelle qu’il s’agit aujourd’hui pour notre commission de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission d’enquête sont réunies.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, il nous revient aujourd’hui statuer sur la recevabilité et l’opportunité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, déposée le 28 février dernier par MM. Gilles Le Gendre, Jean-Christophe Lagarde, et plusieurs de nos collègues.

Je vous rappelle qu’une proposition de résolution rédigée dans les mêmes termes avait également été déposée le 14 février par MM. Jean-Christophe Lagarde, Thierry Benoit et les membres du groupe UDI, Agir et Indépendants. Cela souligne l’importance que revêt aux yeux des membres de notre assemblée le rééquilibrage des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs.

La procédure est suffisamment inhabituelle pour que je m’y arrête un instant. Nous ne sommes pas dans le cadre d’un droit de tirage exercé par un groupe minoritaire, mais bien d’une proposition de résolution déposée par le groupe majoritaire. C’est donc le premier alinéa de l’article 140 de notre Règlement qui s’applique : notre commission est appelée non seulement à vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, mais aussi à se prononcer sur l’opportunité de cette création.

Vous le savez, trois conditions de recevabilité doivent être remplies. Premièrement, le champ d’investigation de la commission d’enquête doit être précisément défini ; deuxièmement, elle ne peut avoir le même objet qu’une autre commission d’enquête ayant achevé ses travaux moins de douze mois auparavant. Troisièmement, aucune poursuite judiciaire ne doit être en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Le champ d’investigation de la commission d’enquête est nettement délimité par le titre, le dispositif et l’exposé des motifs de la proposition. La notion de « grande distribution et ses groupements » vise plus précisément, on le comprend à la lecture de l’exposé des motifs, la grande distribution alimentaire, que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) définit comme le regroupement des hypermarchés, des supermarchés et des magasins multi-commerces. Cette grande distribution, nous en avons fait le constat lors de l’examen de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessibles à tous, dite loi « EGALIM », se caractérise par une particulière concentration, les quatre premières centrales d’achat françaises représentant 92,2 % des ventes en valeur et 88,5 % des ventes en volume de produits de grande consommation.

Les fournisseurs de la grande distribution doivent être entendus comme l’ensemble des acteurs procurant à la grande distribution alimentaire les biens qu’elle commercialise dans ses grandes surfaces – très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), géants de l’industrie en règle générale, géants de l’industrie agroalimentaire ou producteurs.

Il s’agit, d’une part d’étudier la situation de cette grande distribution, c’est-à-dire de dresser un état des lieux du rapport de forces entre distributeurs et fournisseurs, d’autre part de s’intéresser plus précisément aux pratiques commerciales qui sont la traduction concrète de ce rapport de forces. Les pratiques visées sont évidemment celles que nous avions cherché à infléchir, les jugeant déloyales, par la loi EGALIM. Il s’agit de l’ensemble des pratiques et des pressions exercées par la grande distribution sur ses fournisseurs, afin d’obtenir d’eux les prix les plus bas en faisant la variable d’ajustement de la filière et contribuant à la dévalorisation des biens alimentaires.

Les conditions parfois brutales dans lesquelles se déroulent les négociations commerciales annuelles ou le système de péréquation des marges, qui consiste, pour la grande distribution, à augmenter ses marges sur les produits agricoles frais en compensation de marges réduites sur les produits d’appel, font ainsi partie de ce champ d’investigation.

Ce rapide commentaire de texte fait, permettez-moi de passer plus rapidement sur les conditions suivantes de recevabilité juridique afin de m’attarder un peu sur l’opportunité de la création de cette commission.

En ce qui concerne le deuxième critère de recevabilité, aucune commission d’enquête n’a travaillé sur ce sujet au cours des douze derniers mois, ni même au cours de la législature actuelle ou de la législature précédente.

Enfin, Mme la Garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé par courrier n’avoir pas connaissance de poursuites judiciaires en cours en lien avec les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Venons-en à la question de l’opportunité de la création de cette commission d’enquête. Elle me paraît fondée pour plusieurs raisons.

La situation de la grande distribution a récemment connu des évolutions qui en accentuent le caractère concentré. Ainsi, en mai et juin 2018, des rapprochements à l’achat, actuellement en cours, ont été annoncés entre Auchan, Casino, Metro et Schiever d’une part, et Carrefour et Système U d’autre part. Il pourrait être intéressant, dans cette perspective, éventuellement de saisir, sur le fondement de l’article L. 461-5 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence qui a, par ailleurs, ouvert une enquête sur ces accords. Il y a là un changement dans la situation de la grande distribution vis-à-vis de ses fournisseurs qu’il me paraît important d’étudier.

Par ailleurs, les négociations commerciales 2019 semblent s’être déroulées dans un climat plutôt tendu, malgré les dispositions de la loi EGALIM. Dans un communiqué de presse du 1er mars 2019, l’Association nationale de l’industrie alimentaire (ANIA) déplorait que « l’esprit des États généraux de l’alimentation ne soit plus là » et soulignait que « si l’on note des efforts des enseignes d’un point de vue comportemental, les relations commerciales restent extrêmement déséquilibrées ». L’ANIA relevait également que de meilleures conditions de négociations ont été observées au sein de la filière laitière mais que cette amélioration demeure l’exception. Les demandes de baisses de prix semblent toujours aussi pressantes de la part des distributeurs et la constance d’un chantage aux prix bas avec menaces de déréférencement ou déréférencements effectifs demeure une réalité. La conclusion de l’ANIA est sans appel : « Les entreprises françaises, encore cette année, sont confrontées à une destruction massive de la valeur de leurs produits ». L’observatoire des négociations commerciales, mis en place par l’ANIA, devrait publier un bilan de ces négociations dans les mois à venir.

Je note aussi que les produits de l’agriculture biologique, jusqu’à présent relativement épargnés par la guerre des prix, sont de plus en plus concernés par ces pratiques commerciales. Le réseau Synabio, qui rassemble près de 200 entreprises, a créé en 2018 un observatoire des négociations commerciales et affirme, dans un communiqué de presse récent, que la grande distribution met ses fournisseurs bio sous forte pression. 28 % des entreprises interrogées ont reçu une demande de baisse de tarif avant toute discussion, 40 % après les premiers tours de négociations alors qu’au même moment 70 % de ces entreprises font état d’une hausse des prix des matières premières.

Enfin, comme vous le savez tous, la loi EGALIM a prévu plusieurs dispositifs, désormais entrés en vigueur, destinés à rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Une partie d’entre eux visait à créer des conditions de négociations commerciales plus favorables aux producteurs, comme l’inversion de la construction du prix, l’élaboration et la diffusion d’indicateurs de référence des coûts de production et des indicateurs de marché par les organisations interprofessionnelles, le renforcement des contrôles et des sanctions garantissant le respect de ces dispositions ainsi que le développement de la médiation.

D’autres dispositifs avaient pour objectif plus largement d’infléchir les relations commerciales entre grande distribution et producteurs dans le sens d’un meilleur équilibre : à titre expérimental, pour une durée de deux ans, le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et l’encadrement des promotions, en valeur et en volume ; et l’élargissement de l’interdiction de prix de cession abusivement bas.

Le rapport d’application de la loi EGALIM devrait être publié à la mi-mai, mais cela ne correspond évidemment pas au travail d’évaluation des dispositifs que nous nous proposons de faire. Le Sénat a entrepris, de son côté, une série de tables rondes sur les effets du titre Ier de la loi EGALIM sur les négociations commerciales en cours, démarche qu’il sera intéressant d’approfondir et de prolonger en mettant à son service les moyens et la solennité d’une commission d’enquête.

Pour toutes ces raisons, la création de cette commission d’enquête me semble parfaitement opportune.

M. le président Roland Lescure. Mes chers collègues, je vais modifier les habitudes en donnant d’abord la parole aux orateurs des deux groupes qui ont déposé initialement cette proposition de résolution, M. Thierry Benoit et M. Richard Ramos, puis à Mme Barbara Bessot Ballot pour le groupe La République en Marche, pour un maximum de quatre minutes chacun, enfin à M. Jacques Marilossian pour deux minutes.

M. Thierry Benoit. Je vais aborder quelques éléments de forme relatifs au Règlement de notre Assemblée.

J’ai écouté attentivement le rapporteur qui nous a expliqué qu’il s’agissait d’une proposition de résolution du groupe majoritaire.

M. le président Roland Lescure. Comme je sais que vous étiez en séance publique au début de notre réunion, je vous indique que j’ai précisé tout à l’heure que cette proposition de résolution émanait de trois groupes.

M. Thierry Benoit. J’étais effectivement en séance publique, où a lieu l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Il convient d’expliquer à nos concitoyens – je le redirai dans l’hémicycle – que les groupes minoritaires n’ont droit qu’à une seule initiative par an en termes de création d’une commission d’enquête. Le groupe UDI, Agir et Indépendants a déposé, il y a quelques mois, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de l’ordre de sécurité qu’il s’agisse de la police nationale ou de la gendarmerie. Cette commission d’enquête est animée par notre collègue Christophe Naegelen.

J’observe depuis plusieurs années que, lorsqu’on parle du revenu agricole et du partage de la valeur ajoutée, se pose la question du rôle et de l’influence de la grande distribution et des centrales d’achat, en France mais aussi en Europe. C’est pour cette raison que j’ai proposé, au nom du groupe UDI, que l’Assemblée nationale se saisisse de ce sujet en créant une commission d’enquête.

Il y a une dizaine d’années, lors de l’examen de la loi de modernisation de l’économie, la grande distribution était déjà au cœur des débats. Il y a quatre ans, lors de la discussion de la loi Sapin 2, nous y sommes revenus une deuxième fois, notamment avec nos collègues Charles de Courson et Philippe Vigier. Enfin, il y a quelques mois, lors de l’examen du texte qui faisait suite aux États généraux de l’alimentation d’autres députés comme M. Richard Ramos sont intervenus très largement pour identifier et tenter de faire « bouger la bête ».

Des députés de tous bords s’efforcent donc de faire des propositions parce qu’ils sont conscients des difficultés que rencontrent un certain nombre d’agriculteurs qui ne parviennent pas à tirer un revenu décent eu égard aux efforts qu’ils fournissent. Mais quand je vois certains acteurs de la grande distribution rire au nez et à la barbe des parlementaires que nous sommes, prendre les ministres pour des imbéciles, faire des déclarations intempestives à la radio, à la télévision ou dans la presse, je me dis qu’il faut, à un moment donné, taper du poing sur la table. En France comme en Europe, on a laissé depuis une cinquantaine d’années certains acteurs de la grande distribution faire ce qu’ils veulent en termes d’installation, d’extension, d’achat de volumes, de délais de paiement, de marges arrière et de revente à perte. Je n’ai de compte à régler avec personne. Ce que je veux, à travers cette commission d’enquête, c’est réaliser un travail de fond, comme c’est l’objet de toute commission d’enquête. Je m’étonne d’ailleurs que nos institutions françaises et européennes aient laissé la grande distribution se structurer en centrales d’achat de cette importance. On sait en effet que quatre centrales d’achat se partagent 90 % du marché, qu’elles mettent certains transformateurs en situation de dépendance et surtout qu’elles placent un certain nombre d’agriculteurs en situation de variable d’ajustement.

Tels sont les sujets que je souhaite voir abordés par cette commission d’enquête. J’ajoute qu’il faudra aussi porter un regard au niveau européen. Aussi conviendra-t-il de se pencher sur l’organisation de notre commission si nous voulons qu’elle soit pertinente et efficace. Il n’est pas certain qu’un seul rapporteur et un seul président seront suffisants pour aboutir à un rapport nourri et efficace.

M. Richard Ramos. Cette commission d’enquête est évidente et tombe à pic : dans les « box », les négociations se passent mal. Au-delà des agriculteurs, c’est l’ensemble du tissu industriel de l’agroalimentaire qui peut être mis en danger en raison de l’hyper‑concentration de la distribution. Cette commission reprend le fil des États généraux de l’alimentation pour faire en sorte que les PME, les industriels et les paysans ne soient pas, une fois encore, laminés par les centrales d’achat.

Nous avons échoué à faire adopter des amendements qui prévoyaient qu’une centrale d’achat ne pouvait pas représenter plus de 20 % du marché. À la fin, le politique doit reprendre le dessus sur l’économique et nous devons réfléchir à la manière d’y parvenir. Certains représentants de la grande distribution disent maintenant publiquement que les députés et le Gouvernement sont incompétents, que le Président de la République a une mauvaise stratégie…

Dans cette commission d’enquête, nous devrons répondre à quelques questions. Comment le politique peut-il reprendre la main sur l’économique ? Comment voulons-nous organiser le partage de la valeur entre le producteur, le transformateur et le distributeur ? Nous devons aussi regarder de près les centrales d’achat pour discerner des choses qui nous restent invisibles au niveau des pénalités de logistique et de ces espèces de holdings montées en Europe pour réclamer à nos PME des marges arrières camouflées en services qui n’existent pas. Cette commission d’enquête devra mettre au jour ces pratiques pour les prévenir et permettre à nos PME et à nos agriculteurs de vivre.

Ce n’est pas une mince affaire. Cette commission d’enquête n’est pas faite pour qu’un groupe de députés puisse se réjouir de mettre à mal la grande distribution. Elle n’a de sens que si elle aboutit à ce que nos agriculteurs et nos entreprises françaises aillent mieux face aux mastodontes. Sinon, nous aurons échoué. Elle doit aboutir à une transformation du pays. Nous avons tous été élus pour transformer ce pays. La commission d’enquête nous donne l’occasion de montrer, notamment aux plus puissants, que le politique, que les 577 députés – c’est-à-dire 577 territoires français – entendent reprendre la main sur des gens qui veulent nous imposer une pensée qui n’est pas la nôtre.

Merci, donc, pour votre proposition. Je pense que nous allons réussir, quelles que soient les opinions des uns et des autres, à quelque chose de juste. Nos industries agroalimentaires sont des fleurons. Sur nos territoires, nous avons tous une PME de l’agroalimentaire. C’est ce que nous devons défendre. Je ne doute pas que nous allons y parvenir.

Mme Barbara Bessot Ballot. Le 28 février, le groupe La République en Marche a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs. Cette proposition de résolution s’inscrit dans le contexte des négociations commerciales qui se sont, une nouvelle fois, révélées difficiles entre les acteurs – producteurs, transformateurs, industriels et distributeurs.

L’objectif de la loi du 30 octobre 2018, dite EGALIM, était de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et agroalimentaire et de permettre de payer le juste prix aux producteurs pour qu’ils puissent vivre dignement de leur travail. Si cette loi a permis la mise en place de nouveaux outils en direction du monde agricole, la guerre des prix perdure. De nombreux acteurs nous ont alertés sur l’absence de résultats lors des négociations commerciales en cours. Des accords positifs ont pu être trouvés, notamment dans le secteur laitier, mais de nombreuses autres filières n’ont pas connu la revalorisation des prix souhaitée.

Fruit d’un travail commun au groupe La République en Marche, au groupe UDI, Agir et Indépendants et au groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, cette proposition de résolution vise donc à la création d’une commission d’enquête qui sera chargée d’évaluer les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs.

La commission des affaires économiques se prononce aujourd’hui sur la recevabilité de la proposition de résolution visant à créer la commission d’enquête. La gastronomie, c’est l’art de la cuisine et du goût. En application du seul principe du toujours moins cher, il ne faudrait pas que la grande distribution nous vole cet art. Il est temps d’en savoir plus. Cette commission d’enquête nous aidera à y voir plus clair. Notre groupe votera en faveur de la création de cette commission d’enquête.

M. Jacques Marilossian. À propos de l’agriculture, M. Didier Guillaume, notre ministre de l’agriculture et de l’alimentation, disait le 1er mars : « une marche a été franchie, mais nous ne sommes pas encore montés à l’étage ».

Lors du dernier salon de l’agriculture, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des éleveurs de vaches limousines installés en Dordogne. Je les avais déjà rencontrés lors du comice agricole de Lanouaille, dans la circonscription de notre collègue Jean-Pierre Cubertafon. Ils m’avaient déjà fait part de leurs attentes en matière de rééquilibrage des relations commerciales, tant leurs difficultés de revenu étaient grandes. Au salon de l’agriculture, ils m’ont dit qu’ils ne voyaient pas d’amélioration notable depuis la promulgation de la loi EGALIM, le 30 octobre dernier. Alors que leur prix de revient est de 4,64 euros le kilo, on leur propose 4,25 euros. Je leur ai précisé que les principales ordonnances prévues par le texte ont été publiées en février mais, comme nous tous, ils ont remarqué la campagne de désinformation de certains acteurs de la grande distribution.

Selon l’exposé des motifs, cette commission d’enquête doit être l’occasion « de faire toute la lumière sur ces pratiques, les dysfonctionnements et les mauvaises volontés. » À quoi cette lumière pourra-t-elle bien servir ? Ce n’est pas précisé. Rassurez-moi, Monsieur le rapporteur : la commission pourra-t-elle aussi dégager des recommandations détaillées afin que la situation s’améliore rapidement ? Nos agriculteurs en valent la peine.

M. le président Roland Lescure. Pour vous répondre sur l’organisation des travaux, je peux vous dire que toutes les précisions seront apportées lorsque la commission se constituera et élira son bureau. Peut-être voulez-vous répondre à la question de M. Marilossian, Monsieur le rapporteur ?

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Un patron de grande distribution a dit un jour : « la loi, lorsqu’elle est contre moi, je m’assois dessus ». Je ne citerai pas son nom, mais aura l’occasion d’être entendu par la commission d’enquête.

M. le président Roland Lescure. Nous devinons de qui il s’agit…

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. En fait, le problème est qu’ils ont toujours un coup d’avance. Le but est de comprendre comment mettre fin à ce cercle vicieux en ayant peut-être un meilleur contrôle des centrales d’achat de la grande distribution. Le but de cette commission d’enquête est de formuler des propositions pour faire en sorte qu’ils n’aient pas ce coup d’avance et que nous ayons un meilleur contrôle.

La commission adopte la proposition de résolution à lunanimité.

M. le président Roland Lescure. Nous applaudirons quand le travail sera terminé. Et nous avons beaucoup de travail ! Il me reste à vous remercier tous.

 


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   texte de la proposition de rÉsolution

Article unique

Une commission d’enquête, composée de trente députés, est créée en application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale. Cette commission sera chargée d’évaluer les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs.

 


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   annexe
Lettre de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux


([1]) Rapport publié en janvier 2016 par Kantar Worldpanel, cité dans le rapport de M. Jean-Baptiste Moreau, député, n° 902, Pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable.

([2]) La première ordonnance sur le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et l'encadrement des promotions a été publiée. L'encadrement des promotions en valeur à 34 % est effectif depuis le 1er janvier, la hausse du seuil de revente à perte (SRP) depuis le 1er février et l'encadrement des promotions en volume pour la majorité des contrats depuis le 1er mars.