N° 1799

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mars 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI

autorisant la ratification de l’accord de partenariat global et renforcé
entre l’Union européenne et la Communauté européenne
de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part,
et la République d’Arménie, d’autre part,

PAR Mme Isabelle RAUCH

Députée

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir le numéro : 1567.


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. Le contexte de l’accord

A. Les choix stratégiques contraints de l’Arménie

1. Un pays aux moyens modestes

2. La prégnance de la question du Haut-Karabagh

3. Des relations bloquées avec la Turquie

4. Les autres voisins, Géorgie et Iran

5. Le maintien nécessaire de liens étroits avec la Russie

a. Une réassurance en matière de sécurité

b. Des liens économiques très forts

c. L’adhésion aux organisations régionales parrainées par la Russie, dont l’Union économique eurasiatique

6. L’appétence pour les valeurs démocratiques et européennes

a. Le rôle de la diaspora arménienne

b. La « Révolution de velours »

7. Des relations privilégiées avec la France

a. Des liens avant tout humains

b. Des relations politiques très suivies

c. De multiples coopérations bilatérales

d. Des échanges économiques cependant limités

B. La politique de voisinage de l’Union européenne

1. Le cadre général : politique de voisinage et partenariat oriental

a. La politique de voisinage

b. Le partenariat oriental

2. Un cadre qu’il fallait adapter à la situation de l’Arménie

a. Les accords d’association signés par trois des « partenaires orientaux »

b. Les situations diverses des autres pays

c. L’option choisie concernant l’Arménie : un accord de partenariat « global et renforcé »

II. Un accord très complet mais aux dispositions inégalement contraignantes

A. Les dispositions de l’accord

1. Valeurs partagées et coopération politique

2. Coopérations sectorielles

a. Coopération économique

b. Coopérations techniques et rapprochement des législations

c. Coopération dans le domaine du nucléaire civil

3. Libéralisation économique et commerciale

a. Des engagements tarifaires qui ne changent pas l’existant

b. Des engagements plus substantiels dans certains domaines non tarifaires

c. L’enjeu particulier des appellations « cognac » et « champagne »

4. Cadre institutionnel

5. Dispositions finales et entrée en vigueur

B. Une question traitée principalement à part de l’accord : la circulation des personnes

1. Une question traitée dans un cadre spécifique avec tous les « partenaires orientaux »

2. Les enjeux concernant l’Arménie

3. Les dispositions du présent accord : renvoi à l’existant et perspectives conditionnelles

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : texte adopté par la commission

Annexe  2 : liste des personnes auditionnées par la rapporteure


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   introduction

Mesdames, Messieurs,

En 2009, dans le cadre de sa « politique de voisinage », l’Union européenne a lancé un « partenariat oriental » tourné vers six anciennes républiques soviétiques géographiquement proches : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.

Cette politique a débouché sur la signature, en 2014, d’accords d’association avec trois de ces pays – la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Ces accords d’association n’offrent pas de perspective explicite d’adhésion à l’Union. Ils organisent une intégration très poussée des pays concernés au marché unique en instituant avec eux un libre-échange généralisé et en leur demandant d’aligner très largement leurs législations et réglementations sur l’acquis communautaire.

Cependant, l’Arménie, un temps intéressée elle-aussi par la conclusion d’un accord d’association avec l’Union européenne, a finalement décliné cette offre. Les clauses de libre-échange d’un tel accord auraient en effet été incompatibles avec l’appartenance du pays, depuis 2015, à l’Union économique eurasiatique, l’organisation régionale économique que la Russie a constituée avec plusieurs anciennes républiques soviétiques qui gardent avec leur voisin russe des relations étroites. Or, l’Arménie a développé avec la Russie une alliance stratégique qui correspond à des intérêts vitaux : la politique étrangère arménienne reste déterminée par les conséquences du sanglant conflit du Haut-Karabagh, qui s’est apaisé depuis le cessez-le-feu de 1994, mais ne s’est pas conclu sur un accord de paix. La situation reste bloquée avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, dont les frontières avec l’Arménie sont fermées. Ce pays a donc besoin d’une réassurance sécuritaire que seule la Russie est prête à lui apporter à ce jour. Les liens humains et économiques entre les deux pays sont également très forts.

Dans le même temps, les Arméniens adhèrent massivement aux valeurs européennes et démocratiques. Une diaspora très nombreuse leur assure une grande ouverture au monde. La vigueur des choix démocratiques s’est manifestée par la récente (avril 2018) « Révolution de velours », qui a permis le renversement pacifique d’un pouvoir dénoncé comme oligarchique, inefficace et corrompu.

C’est dans ce contexte que l’Union européenne et l’Arménie ont cherché à formaliser leurs relations dans un accord de large portée, ambitieux, juridiquement contraignant, mais ne prenant pas la forme d’un accord d’association. Le présent accord, formellement signé en novembre 2017, est donc « sur mesure », même s’il comporte des similitudes avec l’accord de même nature et signé dans un contexte comparable avec le Kazakhstan en décembre 2015. Venant remplacer un accord « de partenariat et de coopération » signé en 1996 avec l’Arménie, il institue un partenariat « global et renforcé ». À la différence de l’accord de 1996, qui reproduisait un modèle standard alors signé par toutes les anciennes républiques soviétiques, le présent accord est vraiment spécifique à l’Arménie et certaines de ses clauses traitent dans le détail de questions ne concernant que ce pays.

Avec près de 400 articles, douze annexes, deux protocoles et une déclaration commune, le présent accord est un document très touffu, très complet, traitant de très nombreux sujets. C’est la largeur de ce champ d’intervention qui explique d’ailleurs qu’il s’agisse d’un « accord mixte », dépassant les compétences propres de l’Union européenne et à ce titre soumis à la ratification de chacun des États-membres de l’Union.

Un grand nombre des dispositions de l’accord sont des dispositions génériques présentes dans la plupart des accords de l’Union et à la portée juridique plus ou moins forte. Elles rappellent notamment l’adhésion des parties signataires à de grands principes communs ou prévoient qu’elles coopéreront dans de nombreux domaines.

Cependant, il y a aussi dans cet accord des dispositions juridiquement plus contraignantes. S’il ne s’agit pas d’un accord de libre-échange, il comprend des engagements précis de la part de l’Arménie en vue de rapprocher plusieurs législations nationales de celles de l’Union européenne, par exemple concernant la réglementation de différents secteurs des services et celle des marchés publics. Il aborde également un sujet délicat mais très important, celui de la centrale nucléaire de Medzamor, dont l’Arménie prolonge l’exploitation non sans risque. L’accord traite aussi d’une question qui intéresse au premier chef, du côté européen, notre pays : celle des appellations « cognac » et « champagne », qui sont indûment utilisées pour des boissons produites en Arménie depuis le XIXème siècle. L’Arménie accepte de renoncer aux appellations litigieuses, mais au terme d’une période de transition que l’accord organise précisément et qui devra bien sûr être soigneusement suivie.

Enfin, il convient de mentionner que l’accord ne concerne pas, en revanche, le sujet sensible de la libéralisation des conditions de circulation des hommes et des femmes entre l’Arménie et l’Union européenne. Ainsi qu’avec les autres pays du voisinage, ce point doit être l’objet de négociations menées dans un cadre distinct.

La France et l’Arménie entretiennent des liens humains et affectifs très puissants. Un demi-million de nos concitoyens sont d’origine arménienne. Environ 20 000 citoyens de la République d’Arménie vivent ou séjournent pour plusieurs années sur notre sol. La France s’implique fortement dans le processus dit du « Groupe de Minsk », qui essaie depuis un quart de siècle de contribuer au règlement du conflit du Haut-Karabagh. De multiples programmes de coopération bilatérale sont en place, notamment dans le domaine universitaire et à l’initiative de collectivités territoriales. Il est donc important que notre pays ratifie rapidement le présent accord, rejoignant la dizaine d’États-membres de l’Union européenne qui l’a déjà fait. Votre rapporteure vous invite ainsi à adopter le présent projet de loi.


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I.   Le contexte de l’accord

La volonté de l’Arménie de se rapprocher de l’Union européenne est manifeste.

Cependant, les choix politiques de l’Arménie sont lourdement contraints par sa situation géopolitique. Petit pays dépourvu d’accès à la mer, elle est de plus, de facto en état de guerre avec l’un de ses voisins, l’Azerbaïdjan, même si les affrontements armés restent sporadiques depuis le cessez-le-feu de 1994. Les relations diplomatiques sont également très restreintes avec un autre pays limitrophe, la Turquie, dont les frontières communes sont fermées. Cette situation conduit l’Arménie à s’en remettre beaucoup à son alliance avec la Russie, au prix d’une dépendance géopolitique et économique envers ce pays.

Du point de vue de l’Union européenne, l’Arménie est un pays du « voisinage » couvert par le « partenariat oriental ». L’Union a cependant adapté cette politique au cas de l’Arménie, afin de tenir compte des contraintes précitées.

A.   Les choix stratégiques contraints de l’Arménie

Depuis qu’elle a retrouvé ([1]) son indépendance en 1991, à la chute de l’Union soviétique, la politique étrangère de l’Arménie a été dictée par la gestion du conflit avec l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, concernant la région du Haut-Karabagh. Cette situation l’a amenée à conserver des liens très étroits avec la Russie, tout en manifestant une volonté réelle de rapprochement avec l’Europe.

1.   Un pays aux moyens modestes

Dans l’élaboration de sa stratégie politique, l’Arménie doit faire face à de nombreux obstacles géographiques et économiques.

Elle n’a pas d’accès à la mer et, de plus, les frontières avec deux de ses quatre voisins, l’Azerbaïdjan et la Turquie, sont fermées (voir infra). Ses échanges frontaliers ont donc uniquement lieu avec la Géorgie et l’Iran.

Sa superficie, soit un peu moins de 30 000 km2, est un peu inférieure à celle de la Belgique. Sa population n’est que de 3 millions d’habitants et a diminué depuis l’indépendance (elle s’élevait à 3,3 millions en 1989).

L’Arménie reste également un pays assez pauvre marqué par un fort taux de chômage (19 %), même si la croissance du PIB apparaît dynamique (7,5 % en 2017, 6 % en 2018 et 4,8 % en 2019 selon les prévisions du FMI).

L’économie arménienne repose largement sur l’agriculture – qui pèse encore pour 19 % du PIB –, l’exploitation minière et les industries de première transformation. Les minerais, produits métallurgiques et pierres précieuses représentent la moitié des exportations, les produits phares étant le minerai de cuivre (un quart des exportations arméniennes), l’or, l’aluminium, les produits sidérurgiques et les diamants. Les produits agricoles et agro-alimentaires constituent la deuxième grande source de revenus à l’export, en particulier le tabac et le « cognac » arménien, sur lesquels nous reviendrons. Enfin, l’Arménie exporte des produits textiles.

Si l’on compare le revenu par habitant à celui des autres ex-républiques soviétiques (hors pays Baltes), on constate que celui de l’Arménie est loin d’être le plus faible, même s’il demeure très inférieur à celui des pays disposant de larges ressources en hydrocarbures : la Russie, le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan.

PIB per capita des ex-républiques soviétiques en 2018

(en parité de pouvoir d’achat et en dollars courants)

Source : élaboré à partir des données du FMI, World Economic Outlook Database, octobre 2018.

2.   La prégnance de la question du Haut-Karabagh

Le litige avec l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabagh, région de peuplement majoritairement arménien et rattachée administrativement à l’Azerbaïdjan du temps de l’URSS, a donné lieu à un conflit militaire sanglant entre 1991 et 1994, qui s’est achevé avec un cessez-le-feu. Il fut aussi la cause du déplacement forcé de plus d’un million de personnes. Ce conflit, qui est depuis lors « gelé » – même si des affrontements armés surviennent parfois de façon marginale et sporadique –, n’a reçu aucun règlement politique et continue à déterminer la politique de l’Arménie, tant sur le plan intérieur – les personnalités ayant des origines au Haut-Karabagh ou y ayant combattu jouant un rôle majeur dans la vie politique – qu’international – en bloquant les relations de l’Arménie avec deux de ses voisins et en l’amenant à privilégier l’alliance russe.

Le conflit du Haut-Karabagh

Rappel historique

Bien que très majoritairement peuplée d’Arméniens, la région du Haut-Karabagh a été rattachée pendant les sept décennies soviétiques à la République soviétique d’Azerbaïdjan, dont elle constituait un district dit autonome.

Avant même la fin de l’Union soviétique, la libéralisation politique et économique engagée par Mikhaïl Gorbatchev avait permis l’expression de revendications de rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie, notamment à l’occasion d’une grande manifestation à Erevan le 26 février 1988. Dans les jours qui suivirent, un pogrom anti-arménien eut lieu à Soumgaït en Azerbaïdjan, tandis que des premiers incidents armés avaient lieu sur le terrain… La dislocation de l’Union soviétique a entraîné la proclamation unilatérale d’indépendance du Haut-Karabagh en septembre 1991, prélude à une guerre ouverte entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises. Cette guerre s’est soldée par une large victoire arménienne, actée lors du cessez-le-feu conclu le 12 mai 1994 : les forces arméniennes ont non seulement gardé ou repris le contrôle de la quasi-totalité du territoire officiel du Haut-Karabagh, mais aussi occupé le territoire de sept districts azerbaïdjanais voisins, afin d’assurer la continuité territoriale avec l’Arménie et de se doter d’un glacis défensif.

La situation actuelle

Au total, les forces du Haut-Karabagh contrôlent ainsi plus de 11 700 km2 – dont seulement 4 000 km2 au titre de l’ancien district du Haut-Karabagh –, soit plus de 13 % de la superficie de l’Azerbaïdjan.

Ce territoire et ses 150 000 habitants constituent la « république d’Artsakh », État autoproclamé qui n’a bénéficié d’aucune reconnaissance internationale (même de la part de l’Arménie, qui le soutient cependant massivement).

Ce conflit reste l’un des « conflits gelés » les plus durs de l’ex-Union soviétique. Il aurait fait environ 30 000 morts et entraîné le déplacement de plus d’un million de personnes : 400 000 Arméniens ont fui l’Azerbaïdjan et 800 000 Azéris ont dû quitter l’Arménie, le Haut-Karabagh et surtout les districts adjacents perdus par leur pays.

Un quart de siècle plus tard, la ligne de cessez-le-feu, lourdement militarisée et minée, est la plus fermée des démarcations issues de ces conflits gelés post-soviétiques ([2]). 18 000 soldats rattachés officiellement aux forces du Haut-Karabagh y font face à 24 000 Azerbaïdjanais. Des incidents armés y surviennent régulièrement, avec une tendance à l’aggravation depuis quelques années : une soixantaine de morts, voire davantage, en 2014 puis en 2015, ainsi qu’une « guerre de quatre jours », en avril 2016, causant au moins 160 victimes selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Carte

Source : Courrier international.

L’absence de règlement politique jusqu’à présent

Un processus de paix, jusqu’à présent peu fructueux, est mis en œuvre dans le cadre du « Groupe de Minsk ». Créé en 1992, le Groupe de Minsk rassemble, outre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, une dizaine de membres de l’OSCE. Depuis 1997, il est co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie, qui sont représentés par leurs ambassadeurs – M. Stéphane Visconti pour notre pays. Les trois pays sont chargés de la médiation entre les belligérants.

Plusieurs plans successifs de règlement ont été élaborés. Certains reposaient sur des échanges territoriaux entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui auraient permis aux deux pays de disposer de territoires sans discontinuité. Cependant, ils n’ont jamais pu être concrétisés. En 2007, ont été présentés les « principes de Madrid », document du Groupe de Minsk qui prétend concilier la position arménienne, centrée sur le droit à l’autodétermination des habitants du Haut-Karabagh, et celle de l’Azerbaïdjan, attaché à son intégrité territoriale. Ce dispositif prévoit : le retrait arménien des territoires azerbaïdjanais entourant le Haut-Karabagh, sous réserve d’un corridor le reliant à l’Arménie ; un statut intérimaire d’autonomie pour le Haut-Karabagh ; la définition future du statut final du territoire suite à un processus d’autodétermination juridiquement contraignant ; le droit au retour des personnes déplacées ; des garanties internationales incluant une opération de maintien de la paix. Ces « principes de Madrid » n’ont été formellement acceptés ni par l’Arménie ni par l’Azerbaïdjan, mais continuent à être la base des propositions de règlement du conflit.

Le Groupe de Minsk n’est donc pas parvenu à faire émerger un règlement politique, mais a pu contenir les risques de dérapage des incidents armés survenant sur la ligne de démarcation, favoriser une forme de dialogue entre les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais (organisation de rencontres entre les chefs d’État des deux pays), enfin traiter quelques problèmes humanitaires (échange de dépouilles de soldats, échange de données sur les personnes disparues lors du conflit).

On relèvera enfin que, suite à l’arrivée au pouvoir en Arménie de M. Nikol Pachinian consécutive à la « Révolution de velours » (voir infra), le climat actuel est à l’apaisement. Il n’y a pas eu de victimes sur la ligne de front depuis plus de six mois. Le nouveau premier ministre arménien a rencontré (de façon informelle) le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à Davos le 22 janvier dernier. Il faut cependant que des avancées concrètes aient lieu afin de passer de l’apaisement à la négociation.

3.   Des relations bloquées avec la Turquie

Les relations entre l’Arménie et la Turquie ont été entravées par plusieurs enjeux cruciaux, et ce bien avant l’indépendance de l’Arménie en 1991 : la non-reconnaissance par la Turquie du génocide arménien de 1915 ([3]) ; les éventuelles revendications territoriales de l’Arménie sur des régions anciennement peuplées d’Arméniens dans l’est de la Turquie ([4]) ; les affrontements avec l’Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabagh, la Turquie soutenant les Azéris musulmans et turcophones.

La frontière entre les deux pays est restée fermée depuis 1993. En octobre 2009, une tentative de rapprochement a débouché sur la signature de deux protocoles bilatéraux visant à établir des relations diplomatiques et à ouvrir la frontière. Cependant les concessions faites par les deux parties (l’Arménie reconnaissait les frontières en vigueur et acceptait le renvoi de la question du génocide à une commission mixte ; la Turquie laissait de côté la question du Haut-Karabagh) ont très vite été rejetées par une large part des opinions publiques des deux pays, voire de leurs dirigeants. Les protocoles n’ont jamais été ratifiés et, en 2018, le gouvernement arménien a pris acte de cet échec.

Il est toutefois à noter que les relations ne sont pas complétement coupées entre les deux pays : si la frontière terrestre est fermée, il existe des vols directs Istanbul-Erevan. Des Arméniens partent chercher du travail en Turquie, pays auquel ils peuvent accéder sans visa via la Géorgie. Il existe également des flux commerciaux significatifs entre les deux pays (transitant par des pays tiers tels que la Géorgie) : ainsi, la Turquie aurait fourni 5,5 % des importations arméniennes en 2017.

4.   Les autres voisins, Géorgie et Iran

L’Arménie s’efforce d’entretenir de bonnes relations avec la Géorgie. En effet, c’est par ce pays que transitent les trois quarts de ses échanges extérieurs. Cependant, le développement de ces relations est entravé, sur le plan politique, par le fait que les deux pays se trouvent en quelque sorte dans des « camps » opposés : l’Arménie est l’alliée de la Russie quand la Géorgie est en conflit latent avec ce pays, qui porte à bout de bras les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. De plus, le conflit du Haut-Karabagh conduit l’Arménie à défendre (comme la Russie en Crimée) la primauté du droit à l’autodétermination, tandis que la Géorgie est en accord avec l’Azerbaïdjan sur la primauté à donner au principe d’intégrité territoriale des États (contre les régions séparatistes).

Compte tenu de la fermeture des frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, les échanges avec l’Iran sont également essentiels pour l’Arménie. Les deux pays entretiennent de bonnes relations, renouvelées à l’occasion de la visite du nouveau premier ministre arménien Nikol Pachinian à Téhéran en février de cette année. L’Iran a pris une position de neutralité dans le conflit du Haut-Karabagh et la minorité arménienne qui y vit est protégée (protection constitutionnelle, droits spécifiques, représentation parlementaire garantie, inscription de monuments arméniens au Patrimoine mondial de l’humanité…). Une zone franche a été inaugurée fin 2017 à Meghri, du côté arménien de la frontière entre les deux pays, et l’Arménie a fait, en 2017, plus de 4 % de son commerce extérieur avec l’Iran, même si le développement de ces échanges est contraint par la faiblesse des infrastructures de transport. Notons que l’Arménie est le seul membre de l’Union économique eurasiatique (voir infra) à avoir une frontière terrestre commune avec l’Iran. Par ailleurs, 15 % des touristes visitant l’Arménie viennent d’Iran et ce tourisme iranien est en fort développement.

5.   Le maintien nécessaire de liens étroits avec la Russie

Enclavée géographiquement et menacée par certains de ses voisins, l’Arménie considère qu’elle doit conserver des liens particulièrement étroits avec la puissance selon elle la mieux à même de la soutenir : la Russie.

Cette priorité de politique étrangère n’est pas affectée par les changements politiques internes. À peine parvenu au pouvoir suite à la « Révolution de velours » (voir infra), le nouveau premier ministre arménien Nikol Pachinian est allé rencontrer à Sotchi, le 14 mai 2018, le président Vladimir Poutine et y a fait des déclarations très claires sur la relation stratégique et l’alliance entre les deux pays. En retour, le président russe a qualifié l’Arménie de plus proche alliée et partenaire de son pays dans la région.

a.   Une réassurance en matière de sécurité

L’Arménie a signé plusieurs accords militaires avec la Russie. Ils prévoient une implication russe sur le long terme (jusqu’en 2044 selon un accord de 2010) et un haut degré d’intégration dans certains domaines (déploiement des gardes-frontières russes). Ils établissent aussi un système unifié de défense anti-aérienne entre les deux pays.

Les accords russo-arméniens, s’ils prévoient la défense par la Russie du territoire de la république d’Arménie contre une éventuelle attaque, écartent en revanche une éventuelle implication russe dans les combats concernant le Haut-Karabagh. Il faut cependant noter que, de fait, la Russie s’implique lourdement dans l’apaisement des incidents armés survenant sur la ligne de front.

La Russie conserve aussi une base très importante à Gumri et déploie des avions de chasse sur l’aéroport d’Erebouni. Les effectifs militaires russes sur le territoire arménien sont généralement estimés à 5 000 hommes, a minima.

b.   Des liens économiques très forts

La Russie reste le premier fournisseur des importations arméniennes (avec 28 % du total en 2017) et la première destination des exportations arméniennes (avec 24 % du total), sauf à considérer l’Union européenne dans son ensemble (auquel cas la Russie passe à la deuxième place, l’Union absorbant 28 % des exportations arméniennes). La Russie fournit notamment les trois quarts des approvisionnements énergétiques de l’Arménie, ainsi que des céréales. Elle achète principalement en Arménie des produits agro-alimentaires, notamment des boissons alcoolisées.

La Russie est également le premier investisseur étranger en Arménie. De larges secteurs de l’économie locale sont contrôlés largement, voire intégralement, par des entreprises russes : distribution énergétique, aluminium, mines, téléphonie, chemins de fer, etc.

Enfin, l’économie arménienne est aussi fortement aidée par des transferts de fonds effectués par les Arméniens partis travailler à l’étranger, au premier chef en Russie. La diaspora arménienne en Russie est estimée selon les sources entre 1,1 et 2,2 millions de personnes. Pour 2017, les flux de revenus transférés en Arménie par les migrants économiques sont évalués par la Banque mondiale à 1,54 milliard de dollars – soit l’équivalent de 13 % du PIB arménien –, dont 0,98 milliard en provenance de Russie.

c.   L’adhésion aux organisations régionales parrainées par la Russie, dont l’Union économique eurasiatique

Après la fin de l’Union soviétique, il y a eu plusieurs tentatives plus ou moins abouties de maintenir des liens institutionnels entre les anciennes républiques soviétiques nouvellement indépendantes. Parrainées par la Russie, ces initiatives ont souvent été perçues par les autres républiques comme des essais de perpétuation de sa domination, d’où la prise de distance de plusieurs d’entre elles avec leur géant voisin.

L’Arménie, compte tenu de ses liens avec la Russie, a toutefois adhéré aux diverses organisations mises en place par Moscou.

● La première d’entre elles est la Communauté des États indépendants (CEI), qui regroupait à l’origine (1991) l’ensemble des ex-républiques soviétiques (dont l’Arménie), en dehors des pays Baltes. Mais la CEI, entité intergouvernementale non pourvue de la personnalité morale, n’a pas débouché sur de grands résultats concrets et a été quittée par certains de ses membres (Géorgie et Ukraine), affaiblissant, de facto, sa puissance.

 L’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) est une organisation à vocation politico-militaire fondée en 2002. L’Arménie en est membre aux côtés, actuellement, de la Biélorussie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, de la Russie et du Tadjikistan. L’OTSC, qui se veut le pendant de l’OTAN, a mis en place des forces communes de réaction rapide et de maintien de la paix. Elle permet surtout à ses membres (autres que la Russie) de bénéficier à coût réduit, voire parfois gratuitement, de livraisons de matériels militaires russes et de formations par la Russie – ce qui est stratégique pour l’Arménie, confrontée à la « course aux armements » engagée par l’Azerbaïdjan, dont les moyens financiers sont beaucoup plus importants. Du point de vue de la Russie, il s’agit de conserver chez ses partenaires un leadership sur les questions de défense et de sécurité.

 Dans le champ économique, après des tentatives avortées, la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie ont mis en place en 2010 une union douanière. Celle-ci est devenue au 1er janvier 2015 l’Union économique eurasiatique, rejointe la même année par deux nouveaux membres : l’Arménie et le Kirghizstan (le Tadjikistan restant pour sa part candidat).

L’Union économique eurasiatique

Une organisation inspirée par l’Union européenne

Les objectifs et les institutions de l’Union économique eurasiatique sont inspirés de l’Union européenne, en s’en tenant à sa dimension économique.

● Les objectifs sont de constituer non seulement une union douanière, mais aussi une forme de marché unique, avec des normes harmonisées et des mécanismes communs de régulation dans un certain nombre de domaines (alimentation, médicament, énergie, finance, etc.).

● Les institutions de gouvernance comprennent un Conseil suprême des chefs d’État, un Conseil des ministres, une Commission économique eurasiatique (comprenant deux commissaires par pays et présidée actuellement par l’ancien premier ministre arménien Tigran Sarkissian), ainsi qu’une Cour de justice. Par contre, on ne dénombre pas d’instance parlementaire.

Des limites intrinsèques

L’Union économique eurasiatique souffre de deux faiblesses intrinsèques.

● La première tient au poids prédominant dont y dispose nécessairement la Russie. Ce pays représente 80 % de la population et 85 % du PIB de l’Union, sans compter ses autres facteurs propres de puissance (puissance nucléaire et militaire, statut international, immensité du territoire et des ressources naturelles, etc.). La Russie obtient l’adhésion des autres membres en leur concédant certains avantages : accès de leurs ressortissants à son marché du travail, livraisons d’hydrocarbures à tarif préférentiel, répartition favorable des droits de douane. Mais ces autres membres, soucieux de leur indépendance, refusent régulièrement les propositions russes d’approfondissement de l’Union (dimension politique, hypothèse d’une monnaie commune) et les chantiers d’harmonisation progressent lentement.

Par ailleurs, les membres de l’Union autres que la Russie, non visés par les sanctions commerciales européennes (et américaines) prises contre ce pays après les événements d’Ukraine, ont refusé de s’associer aux contre-sanctions russes telles que l’embargo agro-alimentaire. Pour une union douanière, l’incapacité de ses membres à appliquer les mêmes règles commerciales, y compris les sanctions à motifs politiques, vis-à-vis de pays tiers semble sonner comme un aveu d’échec.

● La taille économique modeste de l’ensemble formé par l’Union économique eurasiatique est son autre point faible. Le PIB global de l’Union eurasiatique, soit 2,2 % du PIB mondial, représente environ le dixième du PIB de l’Union européenne (22 % du PIB mondial). Or, une union économique est d’autant plus intéressante pour ses membres qu’elle est vaste : d’une part la taille de l’union détermine la diversification des sources d’approvisionnement et des débouchés qu’elle permet ; d’autre part, son pouvoir de négociation international dépend de cette taille.

On constate sans surprise qu’aujourd’hui les échanges intracommunautaires eurasiatiques ne représentent que 14 % du commerce extérieur des États-membres de cette Union, contre environ les deux tiers dans le cas des États-membres de l’Union européenne.

Quant aux négociations commerciales externes, l’Union économique eurasiatique en a engagé de nombreuses, mais avec des résultats assez limités pour le moment : un accord de libre-échange a été conclu avec le Vietnam ; un autre, signé à titre provisoire (il devrait être remplacé d’ici trois ans par un accord définitif) avec l’Iran en mai 2018 et couvrant environ la moitié des échanges bilatéraux, constitue une réponse habile au retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien ; un accord a également été signé avec la Chine, mais c’est un accord de facilitation du commerce (avec par exemple des mesures de simplification des formalités douanières) et non un accord de libre-échange.

6.   L’appétence pour les valeurs démocratiques et européennes

L’intensité des liens maintenus avec la Russie n’empêche pas l’Arménie d’être ouverte au monde et très attachée aux valeurs démocratiques.

a.   Le rôle de la diaspora arménienne

L’ouverture de l’Arménie sur le monde et les valeurs démocratiques est en partie liée à l’existence d’une très nombreuse diaspora d’origine arménienne, antérieure aux massacres commis dans l’empire ottoman à la fin du XIXème siècle et au génocide de 1915, mais bien sûr fortement développée par les survivants de ces crimes.

L’évaluation numérique de cette diaspora est sujette à controverses, comme souvent lorsque des communautés partageant une identité ethnique ou religieuse commune se sont mêlées depuis longtemps aux pays dans lesquels ils se sont établis. Selon certaines estimations, il y aurait plus de 10 millions d’« Arméniens » dans le monde, dont seulement 3 millions en Arménie. Après la Russie, les principaux pays d’accueil de cette diaspora sont situés dans le monde occidental (États-Unis et France) et dans le voisinage géographique de l’Arménie (Géorgie, Iran, Liban, Syrie jusque récemment, etc.).

Dans sa grande majorité, la diaspora soutient massivement l’Arménie et le Haut-Karabagh (cet « État » non reconnu n’accédant pas aux financements internationaux officiels) et joue donc de fait un rôle dans la vie politique arménienne.

b.   La « Révolution de velours »

L’Arménie a évité la dérive autocratique qu’ont connue de nombreuses anciennes républiques soviétiques.

Cependant, jusqu’à l’année dernière, le pouvoir, détenu depuis deux décennies par un seul parti (le Parti républicain), y était perçu comme oligarchique, corrompu et inapte à réduire la pauvreté du pays. Le « climat des affaires » arménien, pour reprendre l’expression communément employée, reste insuffisamment sain. Dans le cadre du classement sur la perception de la corruption de l’ONG Transparency International, l’Arménie occupe en 2018 le 105ème rang sur 180 pays. Ce classement est meilleur que celui de la plupart des anciennes républiques soviétiques, dont la Russie, mais nettement moins favorable que celui de la Géorgie voisine (qui est 41ème).

Invitée régulièrement à observer le déroulement des scrutins électoraux, l’OSCE reconnaissait dans ses rapports qu’elles avaient lieu dans un cadre globalement démocratique, mais relevait aussi de larges soupçons d’achats de votes, d’utilisation de moyens administratifs (par les candidats du pouvoir), de pressions sur les fonctionnaires, d’intimidation d’électeurs, tout cela conduisant, selon le rapport de l’organisation sur les élections législatives de 2017, à un manque général de confiance du public dans le processus électoral.

C’est dans ce contexte que M. Nikol Pachinian – ancien journaliste et opposant emprisonné deux ans pour son implication alléguée dans les manifestations de 2008, qui avaient dégénéré en bain de sang – s’est lancé, en mars 2018, dans une marche entre les villes de Gumri et d’Erevan sous le slogan « Fais un pas, rejette Serge ». Il s’agissait de protester contre la volonté de M. Serge Sarkissian, Président de la République de 2008 à 2018 et donc inéligible après deux mandats, de conserver le pouvoir en devenant premier ministre. Effectivement élu à ce poste par les députés le 17 avril 2018, ce dernier a dû démissionner le 23 avril face à des manifestations pacifiques et massives, puis à une grève générale. Le 8 mai, M. Pachinian a à son tour été élu Premier ministre sous la pression de la rue.

La dissolution du parlement dominé par le Parti républicain a débouché, lors des élections législatives tenues le 9 décembre 2018, sur une victoire écrasante du parti « Mon pas » de M. Pachinian, qui a recueilli plus de 70 % des suffrages et obtenu les deux tiers des sièges. Le Parti républicain, précédemment au pouvoir, et le parti historique Dachnak n’ont même pas atteint la barre des 5 % et ne sont donc pas représentés dans le nouveau parlement. La classe politique a été fortement renouvelée et rajeunie et est un peu plus féminisée : les trois quarts des députés sont nouvellement élus ; leur âge moyen est de trente ans et ils comptent 25 % de femmes (contre 17 % antérieurement).

Ce nouveau parlement a tenu sa séance inaugurale le 14 janvier 2019 et le nouveau gouvernement a été constitué le 19 janvier.

7.   Des relations privilégiées avec la France

a.   Des liens avant tout humains

La France et l’Arménie ont des liens très forts et très anciens, qui reposent avant tout sur les relations humaines.

Après la Première Guerre mondiale, notre pays a été l’une des principales destinations d’exil des survivants du génocide de 1915. On estime qu’aujourd’hui environ un demi-million de Français ont une origine arménienne. Cette diaspora crée des ponts entre les deux pays, ce qu’illustre par exemple l’immense popularité dont bénéficiait Charles Aznavour en Arménie et en France.

La présence de cette diaspora donne aussi une portée particulière à la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien, qui a été l’objet de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001. Un pas supplémentaire sera franchi cette année : le Président de la République a annoncé le 5 février dernier, lors du dîner annuel du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, l’instauration d’une journée de commémoration du génocide arménien (le 24 avril).

La communauté arménienne stricto sensu – constituée de citoyens de la République d’Arménie – en France est bien sûr numériquement plus modeste que la diaspora au sens large, même si elle est, numériquement, en forte progression : le nombre de détenteurs arméniens de titres de séjour de longue durée dans notre pays est ainsi passé de 13 000 en 2013 à 20 000 en fin 2018. Ce dernier chiffre est probablement en dessous de la réalité, car il ne tient compte, dans sa construction, ni des binationaux, ni des personnes en séjour irrégulier.

b.   Des relations politiques très suivies

Le lien très fort existant entre les deux pays a trouvé une traduction, dans le domaine diplomatique, avec l’implication de la France dans la recherche d’une solution au conflit du Haut-Karabagh. Ainsi, comme nous l’avons vu, notre pays assure la coprésidence du « Groupe de Minsk ».

Les visites politiques de haut niveau sont fréquentes entre les deux pays. Outre la récente visite du Président de la République à l’occasion du sommet de la francophonie, du 10 au 12 octobre 2018, son prédécesseur, M. François Hollande, s’était rendu en Arménie en mai 2014 en visite d’État, puis le 24 avril 2015 pour la commémoration du centenaire du génocide. L’ancien président arménien Serge Sarkissian s’était quant à lui rendu en France en mars 2017 et en janvier 2018. Le nouveau premier ministre Nikol Pachinian a déjeuné avec le Président de la République, à Paris, le 14 septembre 2018 et était présent dans la capitale à l’occasion des célébrations du 11-Novembre.

c.   De multiples coopérations bilatérales

Bien que le nombre de francophones y soit limité ([5]), l’Arménie est membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dont elle a accueilli le sommet d’octobre 2018. En outre, elle a signé en 2012 avec l’OIF un pacte linguistique qui l’engage à développer la place du français dans l’enseignement et à favoriser l’accès aux produits culturels francophones. Des sections à français renforcé existent depuis 2012 dans cinq écoles primaires. Vingt établissements proposent en outre un enseignement du français comme troisième langue vivante. Il faut également mentionner l’existence d’un lycée bilingue franco-arménien à Erevan. Enfin, il est envisagé d’établir dans la capitale arménienne un centre culturel et linguistique français : une déclaration d’intention en ce sens a été signée lors du sommet de la francophonie le 11 octobre dernier.

Un accord bilatéral de coopération culturelle, scientifique et technique est en vigueur depuis 1995. L’Université française en Arménie (UFAR) accueille plus de 1 000 étudiants par an pour des formations en droit, commerce et gestion, sanctionnées par une double diplomation arménienne et française (en partenariat avec l’Université Lyon III). La France est par ailleurs le deuxième pays d’accueil des étudiants arméniens en mobilité internationale, derrière la Russie, avec près de 1 550 jeunes Arméniens présents dans nos établissements.

L’Agence française de développement (AFD) est active en Arménie. Sur la période 2012-2018, elle y a ainsi déployé 125 millions d’euros de prêts et 12,5 millions d’euros de subventions sur plusieurs programmes : construction d’un réservoir et amélioration de l’irrigation, amélioration de la gouvernance (réformes administratives), développement de financements pour l’efficacité énergétique dans les logements.

Enfin, la coopération franco-arménienne décentralisée est dynamique. Une vingtaine de collectivités territoriales françaises y sont impliquées. La troisième édition des Assises de la coopération décentralisée franco-arménienne a eu lieu à Erevan les 1er et 2 décembre 2016. En 2017, environ 1,3 million d’euros de l’aide publique au développement allouée par des collectivités a bénéficié à l’Arménie.

d.   Des échanges économiques cependant limités

Cependant, malgré la profondeur des relations historiques et culturelles, les échanges commerciaux entre nos deux pays restent modestes.

Sur l’ensemble de la période 2009-2017, les exportations françaises annuelles vers l’Arménie ont oscillé entre 38 millions d’euros et 48 millions d’euros. Les importations depuis ce pays, encore plus limitées, entre 5 millions et 16 millions.

Vue d’Arménie, la France n’est pas un partenaire commercial majeur :

– notre pays n’a fourni en 2017 que 1,9 % des importations arméniennes. Nous ne sommes donc que le 11ème fournisseur de l’Arménie, avec notamment une part de marché 2,5 fois plus faible que celle de l’Allemagne et deux fois plus faible que celle de l’Italie ;

– notre pays n’a absorbé la même année que 0,2 % des exportations arméniennes.

Vue de France, l’Arménie est un partenaire commercial très peu significatif : le total (import + export) du commerce bilatéral, soit 50 millions d’euros en 2017, ne pèse que pour 0,005 % dans le total du commerce extérieur français.

S’agissant des investissements, des entreprises françaises sont présentes en Arménie dans l’agro-alimentaire (Pernod Ricard), la distribution (Carrefour), la gestion de l’eau (Veolia) et le secteur bancaire (Crédit agricole).

B.   La politique de voisinage de l’Union européenne

Les relations développées par l’Union européenne avec l’Arménie s’inscrivent dans une politique générale de l’Union européenne, la « politique de voisinage », déclinée dans le cas des ex-républiques soviétiques sous l’appellation de « partenariat oriental ».

1.   Le cadre général : politique de voisinage et partenariat oriental

a.   La politique de voisinage

Le concept de « politique européenne de voisinage » a été défini en 2003. Il prétendait organiser les relations de l’Union avec seize partenaires de son « voisinage », dont dix situés au sud, autour de la Méditerranée, et six localisés à l’est. L’objectif qui lui a été donné à l’origine est de « créer un espace de prospérité et de bon voisinage – un "cercle d’amis" – caractérisé par des relations étroites et pacifiques fondées sur la coopération » ([6]). Cette politique a ensuite reçu sa consécration dans le droit européen à l’occasion du traité de Lisbonne : elle est mentionnée à l’article 8 du traité sur l’Union européenne.

Dans une volonté de promouvoir également les démarches d’intégration régionale, deux plateformes régionales ont progressivement été mises en place pour décliner, respectivement au sud et à l’est, la politique de voisinage : l’Union pour la Méditerranée et le partenariat oriental.

b.   Le partenariat oriental

Le « partenariat oriental » a été lancé en 2009 en direction de six pays : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine. Sa création s’inscrivait dans un contexte marqué par la guerre russo-géorgienne d’août 2008. Ses objectifs sont :

– le renforcement du dialogue politique via la conclusion d’accords d’association, destinés à remplacer les accords de partenariat et de coopération signés dans les années 1990 entre l’Union et les pays concernés ;

– la libéralisation des échanges commerciaux et la reprise d’une part significative de l’« acquis communautaire » par le biais d’accords de libre-échange « complet et approfondi », intégrés aux accords d’association ;

– la libéralisation, à terme, du régime des visas de court séjour ;

– le développement de la coopération régionale au moyen de rencontres politiques et techniques et de projets concrets.

Le partenariat oriental n’a pas donné lieu à la création d’une organisation internationale ad hoc, mais comporte cependant une certaine institutionnalisation, avec notamment l’organisation de sommets tous les deux ans et dont le dernier s’est réuni à Bruxelles le 24 novembre 2017.

2.   Un cadre qu’il fallait adapter à la situation de l’Arménie

Le cœur de l’offre politique faite aux « partenaires orientaux » consistait, à défaut de perspectives explicites d’adhésion future à l’Union européenne, dans la proposition d’accords commerciaux et économiques très complets qui reviendraient à terme à une intégration économique des pays concernés au « marché unique » : après une période de transition, ils pourraient y vendre pratiquement tous leurs produits sans droits de douane ni restrictions, bénéficieraient d’aides européennes conséquentes, mais devraient aussi modifier toutes leurs législations économiques et réglementations techniques pour se conformer à l’« acquis communautaire ».

a.   Les accords d’association signés par trois des « partenaires orientaux »

Des accords d’association comprenant ces clauses économiques et commerciales n’ont finalement été signés, en 2014, que par trois pays du partenariat oriental, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. S’agissant de cette dernière, les hésitations et volte-face du président « pro-russe » Viktor Ianoukovitch s’agissant de la signature de l’accord avaient d’ailleurs été à l’origine des événements de la place Maïdan et du changement de pouvoir qui s’en est suivi, qui a lui-même constitué le prétexte à l’annexion russe de la Crimée et le détonateur du conflit du Donbass.

Par ailleurs, des négociations particulières ont abouti à la levée de l’obligation de visa pour l’entrée dans l’espace Schengen, en vue d’un séjour de moins de trois mois, des ressortissants des trois pays.

b.   Les situations diverses des autres pays

Les autres « partenaires orientaux » ne sont pas engagés dans une intégration aussi poussée avec l’Union européenne.

● Cette évolution était inenvisageable pour la Biélorussie, sanctionnée par l’Union en raison de son régime politique et restée proche de la Russie, même si une forme de rapprochement se dessine désormais avec l’Union européenne.

● S’agissant de l’Azerbaïdjan, la négociation d’un accord d’association, engagée en 2010, s’est heurtée à plusieurs obstacles tenant à son régime politique et à ses choix économiques et commerciaux (le pays n’étant même pas membre de l’Organisation mondiale du commerce). De plus, solidement assis sur ses ressources en hydrocarbures, l’Azerbaïdjan a fait le choix d’une politique d’indépendance par rapport aux blocs. Un nouveau mandat de négociation pour un accord « global » Union-Azerbaïdjan a cependant été adopté par le Conseil le 14 novembre 2016 et des négociations actives se déroulent actuellement, avec l’ambition de parvenir à un texte commun à brève échéance. Par ailleurs, des accords de facilitation des visas et de réadmission des personnes en situation irrégulière sont en vigueur depuis 2014.

● Dans un premier temps, l’Arménie s’est engagée dans la négociation d’un accord d’association avec l’Union européenne. Mais il lui était difficile, dans le même temps, de refuser de participer au projet géopolitique majeur de son alliée la Russie, à savoir l’Union économique eurasiatique. C’est pourquoi, le 3 septembre 2013, les autorités arméniennes ont annoncé leur décision d’adhérer à cette dernière.

Cette décision a eu pour effet de stopper la négociation de l’accord d’association avec l’Union européenne. En effet, l’Union économique eurasiatique est avant tout, on l’a dit, une union douanière : les membres d’une telle union renoncent à avoir une politique commerciale autonome et ne peuvent notamment plus conclure d’accord de libre-échange avec un pays (ou un bloc) tiers. De plus, l’Union économique eurasiatique vise aussi, à terme, une harmonisation législative et réglementaire entre ses membres avec laquelle l’alignement sur l’« acquis communautaire » demandé dans les accords d’association européens ne peut pas être pleinement compatible.

Cependant, l’Arménie manifeste dans le même temps une réelle volonté d’ancrage européen.

Les relations économiques se sont développées.

Depuis 2014, les produits arméniens bénéficient à l’entrée dans l’Union européenne du dispositif « SGP + » (SGP pour système généralisé de préférence). Réservé à des partenaires qui ont pris des engagements internationaux forts en ratifiant et appliquant un ensemble de 27 conventions internationales en matière de droits fondamentaux, droit du travail, environnement et bonne gouvernance, le dispositif SGP + a permis que 95 % des exportations arméniennes vers l’Union se fassent à droit nul en 2016 ; le tiers de ces exportations ont bénéficié du régime SGP + (il s’agit principalement d’aluminium et de produits sidérurgiques) ; les ventes arméniennes en Europe de produits sous ce régime ont pratiquement triplé de 2014 à 2016.

Prise comme un bloc, l’Union européenne apparaît en 2017 comme le deuxième partenaire commercial de l’Arménie, juste derrière la Russie. Ayant fourni durant cette année 22 % des importations de l’Arménie et absorbé 28 % de ses exportations, l’Union est même le premier marché d’exportation arménien, devant la Russie.

L’Arménie bénéficie également des crédits de coopération de l’Union européenne, en particulier de l’Instrument européen de voisinage (IEV). Sur la période 2014-2020, l’Arménie pourrait recevoir une enveloppe de 250 à 300 millions d’euros (sur un total de 15,4 milliards pour l’IEV).

Sur les années 2015-2017, 1 300 étudiants et enseignants arméniens ont réalisé une mobilité dans l’Union européenne dans le cadre du programme Erasmus +.

c.   L’option choisie concernant l’Arménie : un accord de partenariat « global et renforcé »

C’est dans ce contexte que l’Union européenne et l’Arménie ont cherché une solution juridique de compromis qui permettrait de valoriser et renforcer leurs liens tout en n’étant pas incompatible avec l’appartenance de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique.

Le 12 octobre 2015, le Conseil de l’Union européenne a autorisé la Commission et la Haute représentante à ouvrir des négociations en vue de conclure un nouvel accord global juridiquement contraignant avec l’Arménie. Les négociations, commencées en décembre 2015, ont mené au présent accord, formellement signé le 24 novembre 2017 et dit de « partenariat global et renforcé ». Il vient remplacer un accord « de partenariat et de coopération » (APC) « simple » signé en 1996 avec l’Arménie (dans les années 1990, de tels APC avaient été conclus par la Communauté européenne avec l’ensemble des ex-républiques soviétiques).

L’intitulé du présent accord paraît inspiré d’un autre accord signé en décembre 2015 par l’Union avec le Kazakhstan, qualifié « de partenariat et de coopération renforcé ».

Le Kazakhstan n’est pas un pays dit du « voisinage » et est, de plus, membre – comme l’Arménie – de l’Union économique eurasiatique. Cependant, sa diplomatie s’est de longue date impliquée dans la promotion de valeurs positives – le désarmement nucléaire, la transition énergétique, le règlement des conflits – et du multilatéralisme. De plus, le Kazakhstan a toujours souhaité équilibrer ses relations avec deux voisins très puissants, la Russie et la Chine, par ses relations avec l’Union européenne et les pays européens. La conclusion d’un APC « renforcé » est donc venue reconnaître et enrichir le partenariat particulier développé par l’Union avec le Kazakhstan.

Avec l’Arménie, l’intitulé retenu, qui invoque un partenariat non seulement « renforcé », mais également « global », manifeste une ambition qui est un cran encore au-dessus, même si l’on reste en-deçà de la notion d’accord d’association.


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II.   Un accord très complet mais aux dispositions inégalement contraignantes

Le présent accord, bâti sur le modèle habituel des accords de partenariat et de coopération de l’Union européenne, est un document très long : il comporte 386 articles, qui sont complétés de douze annexes, deux protocoles et une déclaration commune ; le tout occupe près de 900 pages en annexe du projet de loi !

Ce dispositif porte à la fois sur des matières relevant de la compétence communautaire, notamment tout le volet commercial, et sur des matières relevant de celle des États-membres. C’est donc un accord « mixte », raison pour laquelle il doit être ratifié par chacun des États-membres et est donc soumis à l’Assemblée nationale.

Comme on y reviendra, ce dispositif très complet est souvent modérément normatif : nombre des dispositions se bornent à réaffirmer l’attachement des signataires à des grands principes ou à appeler à la coopération dans différents domaines. Des engagements plus détaillés et contraignants sont cependant pris dans des domaines précis, en particulier sur la mise en conformité de certaines législations arméniennes, sur la protection de deux indications géographiques très importantes pour notre pays, celles de « cognac » et de « champagne », et sur la perspective de fermeture de la centrale nucléaire de Medzamor.

A.   Les dispositions de l’accord

1.   Valeurs partagées et coopération politique

Le préambule ainsi que les titres Ier à III de l’accord portent sur ses objectifs et principes généraux, ainsi que sur la coopération politique entre les signataires.

Le préambule de l’accord, qui en récapitule le contexte et les grands objectifs, est surtout intéressant par ce qu’il ne contient pas : s’il mentionne « les liens étroits qui existent entre les parties et [les] valeurs qu’elles partagent », il ne fait aucune référence à des « aspirations européennes » de l’Arménie, ce qui le différencie des préambules des accords d’association signés en 2014 par l’Union européenne avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Il n’y a donc pas dans ce texte de perspective, même lointaine, d’intégration européenne.

Les objectifs de l’accord, qui figurent à son article 1er, comprennent le renforcement du partenariat politique et économique global et de la coopération entre les parties, du dialogue politique bilatéral, de la démocratie et de la stabilité en Arménie, de la stabilité régionale, des coopérations, etc.

L’article 2 pose les principes généraux qui constituent le « fondement » des politiques de l’Union européenne et de l’Arménie : démocratie, droits de l’homme, État de droit, économie de marché, développement durable, coopération régionale, multilatéralisme, bonne gouvernance, lutte contre la corruption, etc.

Il est à noter que l’article 379 de l’accord, relatif aux « mesures appropriées » que l’une ou l’autre partie peuvent prendre en cas de non-respect de ses clauses, donne à certaines dispositions des articles 2 (respect des principes démocratiques, de l’État de droit et des droits de l’homme) et 9 (respect des engagements pris en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive) la valeur d’éléments « essentiels » de l’accord : leur violation pourrait justifier une remise en cause des clauses commerciales, laquelle est exclue dans les autres cas de non-respect des clauses de l’accord.

Les articles 3 et 4 appellent au renforcement du dialogue politique et mettent l’accent sur la coopération dans le domaine des réformes démocratiques.

Les articles 5 à 11 encouragent à la coopération en matière de politique étrangère et manifestent l’attachement des signataires à des valeurs communes en la matière : rôle de la Cour pénale internationale, stabilité régionale, prévention et règlement pacifique des conflits, lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, le trafic des armées légères, le terrorisme…

Le titre III (articles 12 à 21) comporte des engagements génériques de coopération en matière de justice, de lutte contre le crime organisé, la corruption, le trafic de drogue, le blanchiment ou encore le terrorisme.

2.   Coopérations sectorielles

L’accord comprend ensuite une longue série de dispositions prévoyant, de manière assez générale et peu contraignante, que les deux parties coopèrent ou renforcent leur coopération dans divers domaines.

a.   Coopération économique

Le titre IV (articles 22 à 35), dédié à la coopération économique, traite du dialogue économique à développer entre les signataires et de leur coopération en matière de fiscalité et de statistiques. La mise en valeur de ces champs de coopération manifeste l’importance attachée par l’Union européenne au soutien aux réformes économiques et à la construction d’un système fiscal efficace en Arménie.

b.   Coopérations techniques et rapprochement des législations

Le titre V (articles 36 à 112) passe en revue de nombreux champs de coopérations sectorielles impliquant un dialogue régulier et dans certains cas un rapprochement des législations : transports, énergie, environnement, politique industrielle, droits des sociétés, services financiers, société de l’information, tourisme, agriculture, pêche, mines, recherche, protection des consommateurs, politiques sociales, santé, éducation, etc.

Ces dispositions sur la coopération sont accompagnées d’engagements normatifs de l’Arménie qui sont l’objet des annexes I à VII à l’accord : dans celles-ci, l’Arménie s’engage à mettre en conformité sa législation avec les directives européennes pertinentes dans les domaines des transports (réglementations techniques des transports de marchandises par route, voie ferrée et eau), de l’énergie, de l’environnement (réalisation d’études d’impact, information du public, mise en œuvre du principe pollueur-payeur, gestion de l’air, de l’eau et des déchets, etc.), de l’action pour le climat, des communications, de la protection des consommateurs et de la protection des travailleurs. Cette reprise de l’« acquis communautaire » doit être effectuée dans un délai variable, généralement fixé à trois ou cinq ans.

Les dispositions en matière de coopérations sectorielles ont aussi pour objet de fixer le cadre juridique de l’action de coopération de l’Union européenne, laquelle devrait s’intensifier suite à l’entrée en vigueur du présent accord. Cette coopération européenne est également encadrée par le titre VII de l’accord (articles 343 à 361), intitulé « Aide financière et dispositions antifraude et en matière de contrôle » et complété par l’annexe XII, qui organise des contrôles sur l’utilisation des fonds européens affectés à l’Arménie, ainsi qu’une coopération et des échanges d’information à cette fin, et prévoit un alignement sur l’acquis communautaire de certaines législations arméniennes contre la délinquance économique.

En février 2018, l’Union et l’Arménie ont défini en commun des priorités pour la période 2017-2020. À cette occasion, une enveloppe de 160 millions d’euros de crédits européens a été annoncée pour la période. En 2019, l’Arménie devrait bénéficier de 60 millions d’euros de crédits (dons) de l’Union, contre 46 millions en 2018, destinés notamment à un appui budgétaire pour améliorer la gouvernance, le secteur de l’éducation ou encore celui de la justice.

c.   Coopération dans le domaine du nucléaire civil

Le présent accord, comme la plupart des accords de même nature, est passé non seulement au nom de l’Union européenne, mais aussi de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom), comme son intitulé en fait foi.

Cette situation renvoie d’abord à un formalisme juridique : à la différence de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), la CEEA n’a pas été « absorbée » par l’Union européenne et en reste juridiquement distincte, même si ses institutions dirigeantes sont confondues avec celles de l’Union depuis 1967. La CEEA doit donc être partie aux traités de l’Union dès lors que certaines de leurs clauses relèvent de son champ de compétences.

Mais cette mention de l’énergie atomique a aussi un sens particulier dans le cas de l’Arménie, compte tenu des choix de ce pays dans ce domaine.

L’Arménie continue en effet à exploiter un réacteur sur les deux que comptait à l’origine la centrale de Medzamor, située à 30 kilomètres de sa capitale et à 16 kilomètres de la Turquie. Cette installation lui fournit plus de 40 % de son électricité. Son exploitation avait été interrompue suite à la catastrophe de Tchernobyl et au terrible séisme qui a ravagé le nord de l’Arménie en 1988, mais a été reprise en 1995 alors que le pays faisait face à une situation économique très difficile et au blocus de deux de ses voisins. Nonobstant le risque sismique, la sûreté douteuse de ce réacteur de modèle soviétique et sa durée de vie initialement prévue pour trente ans, la licence d’exploitation a été successivement prolongée jusqu’en 2021, puis 2026. Le premier ministre arménien a même déclaré en juillet 2018 travailler à l’extension du fonctionnement du réacteur jusqu’en 2040. En outre, l’Arménie semble envisager la construction de nouvelles tranches nucléaires. Par ailleurs, le pays n’a pas défini sa politique concernant la gestion du combustible usé et des déchets.

Dans ce contexte, il apparaît essentiel que l’Union européenne et ses membres continuent à coopérer sur la sécurité nucléaire avec l’Arménie, ou du moins assurent une veille attentive.

Déjà, en 1999, le plan d’action accompagnant le précédent accord de partenariat entre l’Union et l’Arménie prévoyait le développement d’énergies alternatives pour aboutir à une fermeture définitive de la centrale. Une aide compensatoire de 100 millions d’euros avait été proposée.

Depuis lors, dans le contexte de la prolongation de l’exploitation de la centrale, l’Union européenne poursuit une politique d’aide au maintien des compétences de l’autorité de sûreté nucléaire et de l’opérateur arméniens. Le budget consacré à ces opérations s’élève à 13,4 millions d’euros pour la période 2013-2019.

L’article 42 du présent accord prévoit une coopération dans le domaine énergétique qui couvre explicitement la sûreté nucléaire. Il est stipulé que cette coopération recouvre non seulement des mesures d’échanges de bonnes pratiques et de formation, mais aussi « la fermeture et le déclassement sécurisé de la centrale nucléaire de Medzamor et l’adoption rapide d’une feuille de route ou d’un plan d’action à cet effet, compte tenu de la nécessité de remplacer cette centrale par de nouvelles capacités (…) ». Il y a donc une forme d’engagement à aller vers la fermeture de la centrale, mais conditionné au développement de capacités électriques alternatives et passant par une phase complémentaire, l’adoption (à venir) d’une feuille de route (ou d’un plan d’action) spécifique.

3.   Libéralisation économique et commerciale

Le titre VI de l’accord, dédié au commerce et aux questions annexes, est le plus développé de l’accord, avec 230 articles (articles 113 à 342).

a.   Des engagements tarifaires qui ne changent pas l’existant

Comme nous l’avons vu, l’appartenance de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique, qui est une union douanière, lui interdit de conclure indépendamment un accord de libre-échange avec un pays (ou bloc de pays) tiers.

Les dispositions « tarifaires » de l’accord, c’est-à-dire celles relatives aux droits de douane, éventuelles restrictions quantitatives et mesures de sauvegarde commerciale (articles 113 à 122), se bornent donc à rappeler les engagements multilatéraux de l’Union européenne et de l’Arménie dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tels que la clause de la nation la plus favorisée, laquelle oblige à appliquer les mêmes tarifs douaniers à tous les pays tiers, sauf ceux intégrés à une union douanière, un accord de libre-échange de portée générale ou un système de préférences généralisé.

En pratique, avec le présent accord, l’Arménie continue sans changement à bénéficier pour ses exportations vers l’Union du dispositif préférentiel SGP + (voir supra). Elle doit continuer à appliquer aux produits européens qu’elle importe le tarif extérieur commun de l’Union économique eurasiatique ou bien, pour certains produits, le tarif consolidé à l’OMC, dans la mesure où elle a obtenu lors de son adhésion à cette Union de conserver à titre transitoire ce tarif.

b.   Des engagements plus substantiels dans certains domaines non tarifaires

Les engagements présentés dans le présent accord dans les domaines non tarifaires renvoient aussi très souvent aux standards multilatéraux déjà actés dans des textes tels que l’accord OMC sur les obstacles techniques au commerce (OTC), l’accord sur les marchés publics, l’accord dit SPS sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, l’accord général sur le commerce des services (AGCS), ou encore l’accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

Le présent accord va cependant plus loin que ces engagements multilatéraux sur un certain nombre de points. C’est le cas notamment en matière de libre prestation de services et liberté d’établissement (articles 141 à 203). Des engagements génériques sont pris en matière de liberté d’établissement de filiales, succursales et bureaux, ainsi que d’envoi d’expatriés. Des engagements plus précis concernent plusieurs catégories de services, tels que les services informatiques, les communications électroniques, les services postaux, les services financiers, les transports et le commerce électronique. Il est prévu généralement un rapprochement de la législation arménienne des standards européens et l’adoption de règles correspondant avec ceux-ci (garantie de la concurrence, mise en place d’autorités de régulation indépendantes, facilitation des licences et autorisations, règles prudentielles…).

En matière de marchés publics également (articles 269 à 271), l’accord va au-delà des engagements multilatéraux existants en imposant l’adoption par l’Arménie de réglementations garantissant l’effectivité de la mise en concurrence et des recours éventuels : les avis de marché devront faire l’objet d’une publication électronique ; des exigences précises sont posées pour garantir l’effectivité des recours contre les marchés litigieux (existence d’un dispositif de référé, possibilité d’annuler un marché, possibilité d’accorder des dommages et intérêts, caractère suspensif des recours, indépendance des instances de recours…) ; un délai minimum doit être prévu entre l’attribution d’un marché et la signature du contrat ; les marchés passés hors procédure doivent pouvoir être déclarés dépourvus d’effets. Toutes ces mesures visent à garantir que les engagements d’ouverture des marchés publics ne soient pas privés d’effet par le maintien de procédures opaques et discrétionnaires.

Enfin, le chapitre consacré au développement durable et aux droits sociaux (articles 272 à 285) comprend des engagements quant au respect et à la promotion d’un certain nombre d’instruments internationaux, notamment le bloc des « conventions fondamentales » de l’Organisation internationale du travail (concernant la liberté syndicale, l’abolition du travail forcé et du travail des enfants, ainsi que la non-discrimination dans l’emploi) et l’Accord de Paris sur le climat.

c.   L’enjeu particulier des appellations « cognac » et « champagne »

Les dispositions consacrées à la propriété intellectuelle (articles 209 à 268) comprennent notamment des engagements quant au respect des instruments internationaux existants et des standards européens, tels que la protection des droits d’auteur durant 70 ans au moins après le décès des artistes et la protection réciproque des indications géographiques de l’autre partie.

Leur principal enjeu, du moins du point de vue de la France, réside dans les dispositions transitoires particulières qu’elles comportent concernant les appellations protégées « cognac » et « champagne ».

Il faut en effet savoir que, depuis 1863, des producteurs arméniens diffusent leur brandy sous la dénomination « kagnac », transcrite de « cognac ». Comme dans d’autres républiques ex-soviétiques, il est également produit du vin mousseux sous la dénomination « shampagnskoïé », dérivée de « champagne ».

Les enjeux socio-économiques de ces activités sont très importants pour l’Arménie. Pour 3 millions d’habitants, le pays compte 40 000 viticulteurs. La production arménienne de « kagnac » est destinée essentiellement (à 93 %) à l’exportation, principalement en Russie. Le « kagnac » et, plus marginalement, le « shampagnskoïé » représentent environ 10 % du total des exportations du pays, cette part étant cependant en recul.

Par ailleurs, il n’est pas besoin d’insister sur l’importance que revêtent les appellations « cognac » et « champagne » pour notre pays. Les exportations de ces deux produits particulièrement représentatifs de la France pèsent pour environ 6 milliards d’euros dans notre commerce extérieur.

La France et l’Arménie se retrouvent donc en situation de concurrence, même si les poids économiques sont différents et si des intérêts français sont présents des deux côtés, puisque la principale entreprise arménienne de spiritueux, la Yerevan Brandy Company, est une filiale de Pernod Ricard. En termes quantitatifs, l’Arménie a produit 30 millions de litres de « kagnac » en 2017, contre 200 millions de bouteilles de cognac en France ; quant à la production arménienne de « shampagnskoïé », elle est peu significative. Les prix n’étant pas les mêmes, l’écart est encore plus grand s’agissant des recettes d’exportation liées à ces boissons : 208 millions de dollars en 2017 selon l’OMC pour les boissons alcoolisées arméniennes, contre plus de 3 milliards d’euros pour notre cognac et presqu’autant pour notre champagne.

L’Arménie a accepté, dans le cadre du présent accord, de renoncer à l’utilisation des appellations dérivées de « cognac » et « champagne », mais, compte tenu de l’ancienneté de leur usurpation et des enjeux économiques, cet abandon s’étalera dans le temps et fera l’objet de mesures compensatoires.

L’article 237 de l’accord, qui a été l’objet d’une négociation serrée, détaille cette transition.

● Les producteurs arméniens pourront continuer à utiliser en Arménie l’appellation « cognac » pendant une période transitoire de 13 ans à compter de l’année suivant l’entrée en vigueur de l’accord ; à l’export, cette durée est même portée à 24 ans.

● Pour l’appellation « champagne », ces délais, plus courts, sont respectivement de 2 et 3 ans.

● Ces dérogations sont conditionnées à un étiquetage en caractères non latins (en pratique arméniens ou cyrilliques).

● L’Union européenne devra fournir à l’Arménie une « aide technique et financière » en vue de la création d’une nouvelle dénomination alternative à celle de « cognac » et d’actions de promotion et de commercialisation.

● À défaut de fourniture de cette aide, l’Arménie pourrait être déliée de son engagement de renoncer à l’appellation litigieuse.

● Cette aide devra être procurée dans les huit années postérieures à l’entrée en vigueur de l’accord, après avoir été convenue par les parties dans un délai d’un an à compter de cette date. À cette fin, « les parties élaborent conjointement les termes de référence de cet ensemble de mesures, sur la base d’une évaluation approfondie des besoins à couvrir par cette aide. Cette évaluation est réalisée par une société de consultants internationale choisie conjointement par les parties ».

Le paquet d’assistance doit donc être agréé par les deux parties d’ici le 1er juin 2019, sur la base d’une évaluation des besoins réalisée par un consultant externe. Après un premier appel d’offres lancé en avril 2018 qui n’a pas abouti, un second appel d’offres a permis le 26 septembre 2018 de sélectionner ce prestataire. Son étude doit être finalisée prochainement. Il est important que cette procédure aboutisse, au regard des enjeux pour les deux parties et compte tenu de la possibilité, pour l’Arménie, de revenir sur ses engagements si l’aide prévue n’était pas fournie.

4.   Cadre institutionnel

Comme il est de coutume dans les accords d’association ou de partenariat de l’Union européenne, le présent accord met en place un dispositif institutionnel destiné à le faire vivre.

Sont ainsi institués (articles 362 à 365) :

– un conseil de partenariat, censé se réunir au moins une fois par an à un niveau ministériel :

– un comité de partenariat au niveau des hauts fonctionnaires ;

– un comité parlementaire de partenariat composé de membres du Parlement européen et de l’Assemblée nationale de la République d’Arménie.

Le premier conseil de partenariat s’est tenu le 21 juin 2018, sous la présidence de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et du ministre des affaires étrangères arménien.

5.   Dispositions finales et entrée en vigueur 

Le texte de l’accord se termine par les habituelles dispositions finales des accords internationaux (règlement des différends, cas de non-respect des engagements, durée et champ d’application, dépôt, conditions d’entrée en vigueur…).

Comme c’est souvent le cas des accords mixtes au vu de la longueur du processus de ratification par tous les États-membres, l’article 385 permet l’entrée en vigueur provisoire de tout ou partie de l’accord dès lors que les institutions européennes d’une part, la République d’Arménie d’autre part, ont achevé leurs procédures de ratification, sans attendre les ratifications nationales des États-membres.

L’Arménie a notifié sa ratification de l’accord le 26 avril 2018 et le Parlement européen a adopté le 4 juillet 2018 une résolution approuvant sa conclusion (ainsi qu’une résolution non-législative d’orientation).

Les clauses de l’accord relevant de la seule compétence communautaire sont donc entrées en vigueur par anticipation, à titre provisoire, le 1er juin 2018. Cela concerne la plus grande partie du dispositif, notamment la quasi-totalité des titres V et VI consacrés aux coopérations bilatérales et aux règles commerciales. En revanche, les dispositions de l’article 42 concernant la coopération dans le domaine de la sûreté nucléaire et la centrale de Medzamor relèvent des compétences partagées avec les États-membres et n’entreront donc en vigueur qu’une fois l’accord ratifié par tous : c’est une raison de plus de procéder rapidement à cette ratification.

Mi-mars 2019, outre le Royaume-Uni, neuf États-membres de l’Union européenne ont achevé leur procédure de ratification : la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Pologne et la Roumanie.

B.   Une question traitée principalement à part de l’accord : la circulation des personnes

Il est enfin nécessaire d’évoquer une question, celle de la circulation des hommes et des femmes entre l’Arménie et l’Union européenne. Cette question n’est certes pas traitée au fond dans l’accord, mais seulement mentionnée. Mais son importance justifie un développement.

La libéralisation des conditions de déplacement de leurs citoyens dans l’Union européenne constitue en effet l’une des demandes les plus fortes des pays du partenariat oriental et donc l’une des promesses les plus attendues de la part de l’Union.

1.   Une question traitée dans un cadre spécifique avec tous les « partenaires orientaux »

Le principe retenu avec tous les pays concernés a été celui d’un traitement à part, dans un cadre spécifique distinct de celui des accords d’association ou de partenariat.

Dans un premier temps, l’Union européenne a développé une « approche globale de la question des migrations et de la mobilité » (AGMM) visant à établir une politique migratoire équilibrée et globale en partenariat avec les pays tiers. Cette politique a été déclinée à travers des « partenariats pour la mobilité » promouvant des programmes de mobilité légale. De tels accords ont été signés notamment avec la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan entre 2008 et 2013.

Puis un processus similaire concernant les exigences documentaires a été mis en place pour les différents pays, avec un séquençage très clair : signature d’accords de facilitation des visas (qui ne signifient pas exemption de visas, mais allégement et accélération des procédures, diminution des frais, etc.) et corrélativement de réadmission ; ouverture d’un dialogue sur les visas ; octroi d’un plan d’action à cette fin (adaptation législative et réglementaire des pays, mise en œuvre effective, évaluation) ; ensuite seulement, une fois remplis les critères posés dans le plan d’action, décision du Conseil de l’Union européenne, de supprimer ou non l’obligation de visa pour les courts séjours.

Ce processus a été conduit à son terme avec les trois pays qui ont signé des accords d’association : les Moldaves peuvent entrer sans visa pour de courts séjours dans l’espace Schengen depuis avril 2014, les Géorgiens depuis mars 2017 et les Ukrainiens depuis juin 2017.

2.   Les enjeux concernant l’Arménie

Les enjeux migratoires concernant l’Arménie ne sont pas nuls pour notre pays, même s’il ne faut pas les exagérer.

Il convient de tenir compte de l’impact potentiel des mesures de libéralisation des visas. À titre d’exemple, le nombre de demandes d’asile déposées en France par des Géorgiens – la demande d’asile, même si elle est finalement rejetée, permettant de régulariser le séjour durant son instruction –, qui était de l’ordre de 1 000 par an de 2014 à 2016, est monté à 2 100 en 2017, puis à près de 4 800 en 2018, après l’entrée en vigueur de l’exemption de visa en leur faveur en mars 2017.

En 2018, des Arméniens ont déposé près de 1 700 premières demandes d’asile en France et ont été l’objet de plus de 2 300 mesures d’éloignement du territoire : dans les deux cas, ils représentent environ 2 % du total des personnes concernées.

L’Union européenne a signé avec l’Arménie un « partenariat pour la mobilité » en 2011, puis un accord de facilitation des visas et un accord de réadmission en décembre 2012. Ces deux derniers sont entrés en vigueur le 1er janvier 2014.

La France et l’Arménie ont signé le 27 octobre 2016 deux accords, l’un de partenariat migratoire déclinant le partenariat pour la mobilité de l’Union européenne, l’autre d’application de l’accord de réadmission Union-Arménie. À cet égard, il faut saluer la bonne coopération des autorités arméniennes en matière de délivrance des laissez-passer consulaires pour les éloignements de leurs ressortissants en situation irrégulière : le taux de délivrance dans les délais utiles augmente régulièrement – il est passé de 60 % en 2014 à 92 % en 2018 – et est très supérieur à la moyenne constatée sur l’ensemble de nos partenaires – de l’ordre de 50 %.

3.   Les dispositions du présent accord : renvoi à l’existant et perspectives conditionnelles

Si des accords européens de réadmission et de facilitation des visas sont donc appliqués avec l’Arménie depuis 2014, la phase suivante – le dialogue sur les visas qui pourrait conduire à une exemption générale pour les Arméniens souhaitant entrer dans l’Union ([7]) – n’est pas engagée.

Le présent accord de partenariat ne comporte pas d’engagements supplémentaires dans ce domaine.

Le préambule se borne à faire référence aux engagements conditionnels qui ont été pris : il réaffirme « que le renforcement de la mobilité des citoyens des parties dans un environnement sûr et bien géré reste un objectif essentiel et [envisage] l’ouverture, en temps voulu, d’un dialogue sur la question des visas avec la République d’Arménie, pour autant que les conditions d'une mobilité bien gérée et sûre soient réunies (…) ». Il n’y a donc pas d’engagement contraignant sur les visas : la question sera discutée « en temps voulu » quand les conditions seront réunies.

Les articles 14 et 15 prévoient une coopération en matière de migrations, d’asile et de gestion des frontières, ainsi que la « mise en œuvre intégrale » des deux accords existants de facilitation des visas et de réadmission, mais renvoient l’ouverture d’un dialogue sur la libéralisation du régime des visas à un futur indéterminé dans les mêmes termes que le préambule.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mardi 26 mars 2019, la commission examine le présent projet de loi.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

M. le vice-président Jacques Maire. Il s’agit d’un accord très important pour l’intégration de ce pays au sein du « partenariat oriental ». C’est assurément un accord contraignant pour l’Arménie, membre de la Communauté des États indépendants, mais c’est aussi le signe d’une intégration économique plus poussée avec l’Union européenne. Je suis certain que cela inspirera de nombreux collègues dans la salle.

Mme Samantha Cazebonne. La coopération entre la France et l’Arménie est ancienne et elle s’est encore incarnée récemment par la création en février d’une émission bimensuelle en arménien diffusé sur RFI. Cet accord va-t-il permettre à l’Union européenne de s’ouvrir aux bonnes pratiques arméniennes par la coopération dans différents domaines ? Je pense notamment à la féminisation des métiers du numérique.

M. Guy Teissier. Ce partenariat est une chance pour l’Arménie, qui a autour d’elle trop peu d’amis et beaucoup d’hostilité, notamment du côté azerbaidjanais et du côté turc. L’Arménie entretient également des relations difficiles avec la Géorgie depuis quelque temps, car ce pays augmente ses taxes sur les marchandises venant d’Arménie. Il ne reste donc que l’Iran, un ami de l’Arménie et le seul pays qui lui fournit de l’énergie et du gaz.

Les problèmes énergétiques en Arménie sont anciens. Au lendemain de l’occupation soviétique, j’ai connu une époque où les gens coupaient les arbres dans les parcs publics pour se chauffer. L’Arménie s’est aussi retrouvée très près d’une catastrophe écologique ; les autorités avaient excessivement pompé l’eau du lac Sevan, pourtant réservoir naturel d’eau. Enfin, la communauté internationale avait dû intervenir à l’occasion de la réouverture d’un unique réacteur de la centrale de Medzamor, site fermé après le tremblement de terre de Gyumri en 1988.

L’assistance que nous pouvons apporter à l’Arménie est essentielle. La centrale de Medzamor est de type Tchernobyl, c’est-à-dire qu’elle date de l’ère soviétique. Elle est dangereuse et dans un état précaire. Pour combien de temps peut-on espérer qu’elle fonctionne ? Sans cette centrale, la seule réserve énergétique opérationnelle sera l’hydro-électricité du lac Sevan, dont l’exploitation doit être raisonnable pour éviter une nouvelle catastrophe écologique.

En tout cas, l’Arménie est un petit pays ami, à la fois proche et loin de nous. Il est vrai que nous avons une présence arménienne importante ; je signale d’ailleurs qu’une très belle exposition sur Charles Aznavour a été inaugurée hier à Marseille et je vous invite tous à y venir !

Pour ce qui est du « cognac » arménien, lorsque Pernod Ricard a racheté une entreprise en Arménie, on s’est aperçu que certaines usines se trouvaient aussi en Russie et continuaient à produire du « cognac ». Un problème que, semblerait-il, nous sommes petit à petit en train de résoudre.

M. Alain David. En tant qu’élu de la région Nouvelle Aquitaine au sein de laquelle est produit le cognac, je me félicite que l’accord prévoie l’abandon de l’appellation « cognac », ainsi que de l’appellation « champagne », par l’Arménie. C’est significatif car l’Arménie compte 40 000 viticulteurs et ces produits représentent à eux seuls 10 % des exportations du pays. Cet accord va donc satisfaire les viticulteurs charentais.

M. Jean-Paul Lecoq. J’apprécie beaucoup la qualité de ce rapport. Notre rapporteure a évoqué le changement de pouvoir occasionné par la « Révolution de velours ». Nous avons pu constater de la violence de la part des anciens dirigeants du pays envers les manifestants durant l’année 2016. Cela peut évoquer ce qui se passe en France aujourd’hui… Après cette période de violence, les manifestations sont restées très pacifiques l’année dernière et les progrès démocratiques ont finalement été immédiats et impressionnants après le départ du pouvoir des anciens dirigeants.

Mais l’Arménie reste dans une situation instable, notamment dans le domaine énergétique. Avec Michel Fanget, nous nous sommes penchés sur le traité de non-prolifération nucléaire. Nous avions alors interrogé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui nous a expliqué la distinction entre le développement d’une filière nucléaire militaire et celui d’une filière nucléaire civile. Est-ce néanmoins une bonne solution d’aider l’Arménie à développer sa filière nucléaire civile ? Je n’en suis pas persuadé. Par contre, porter un plan mondial de développement d’énergies alternatives à travers notamment cet accord renverrait tant pour l’Arménie que pour notre pays à des enjeux économiques, des enjeux de formation et d’avenir pour nos jeunesses.

La France porte des valeurs que l’Arménie a aujourd’hui envie de partager. Nous voterons donc en faveur de ce texte.

M. le vice-président Jacques Maire. M. Lecoq a fait un parallèle hasardeux ou malicieux, je ne le sais pas, entre la situation de l’ordre public à Erevan et celle à Paris. Or, quelques-uns parmi nous ont participé à la préparation du Sommet de la francophonie à Erevan l’an dernier, quelques semaines avant les changements politiques qui se sont produits en Arménie : je peux vous assurer que la moyenne d’âge de la classe politique que nous avions rencontrée et qui n’avait pas été renouvelée depuis l’indépendance du pays n’avait rien à voir avec la situation française. C’est plutôt le jeune chef de gouvernement de quarante et quelques années arrivé ensuite au pouvoir qui nous fait penser aux changements politiques récents en France…

M. Christian Hutin. Cet accord de partenariat de près de mille pages a été résumé d’une manière remarquable par la rapporteure. C’est un accord politique avec un pays ami et un document qui comprend notamment des dispositions relatives au cognac. Les négociations relatives à ces dispositions ont démontré que nous pouvions avoir une grande liberté, fait rarissime dans les accords internationaux.

Soulignons aussi le tropisme politique de l’Arménie vis-à-vis de la France. L’Arménie, un peu à l’image de la Turquie, oscille entre l’Asie et l’Europe, peut-être même la France. L’Arménie préside l’Union économique eurasiatique et reste donc dépendante de la Russie. Néanmoins, on peut se satisfaire de son évolution démocratique. De plus l’Arménie a des liens réels avec l’Europe, elle va d’ailleurs participer au concours de l’Eurovision, que présentera M. André Manouchian.

M. Jacques Marilossian. Je rassure M. Lecoq, car M. Pachinian en visite à la mairie de Paris a confirmé à Madame Hidalgo qu’il était « en marche ».

L’Arménie est un petit pays au centre « des mondes », au croisement des mondes européen, russophone, turcophone, persan, asiatique et arabo-musulman. En octobre 2018, l’Arménie accueillait brillamment le Sommet de la francophonie. L’Arménie a donc toute sa place dans les accords de coopération et d’échanges économiques de l’Union européenne, laquelle a également tout à y gagner y compris sur le plan stratégique. Cet accord signé le 24 novembre 2017 prévoit quatre domaines de coopération, avec une aide financière de l’Union : bonne gouvernance et renforcement des institutions ; développement économique et nouveaux débouchés commerciaux ; politiques en faveur de la connectivité ; politiques en faveur du développement énergétique, de la protection du climat et de l’environnement mais aussi de la mobilité et des échanges entre individus.

Tout en conservant ses liens historiques et politiques avec la Russie, l’Arménie fait un pas décisif vers des critères européens compatibles avec tous les espoirs suscités par la révolution pacifique dite « de velours » menée au printemps 2018. M. Pachinian a rappelé que la mise en œuvre de cet accord revêt une importance capitale, notamment pour les réformes envisagées par son gouvernement. L’assistance technique et financière de l’Union aura un impact fondamental. La France et l’Union européenne doivent continuer à soutenir les réformes démocratiques en Arménie, le renforcement de l’État de droit, la lutte contre la corruption, la protection des droits de l’homme et le progrès économique.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure. C’est un accord politique très important pour l’Arménie, pour la France et pour l’Union européenne.

S’agissant de la question de Samantha Cazebonne sur la féminisation dans certains métiers, nous pouvons espérer que de bonnes pratiques pourront être partagées entre nos deux pays. Nous avons à apprendre de l’Arménie sur ce point, même si cela ne fait pas partie de l’accord en tant que tel.

L’importance de la transition énergétique a également été soulignée. L’article 42 de l’accord est très explicite sur ce point. Il est très important que l’Union Européenne accompagne l’Arménie sur le plan énergétique. C’est donc un très bon accord pour la France, pour l’Arménie et pour l’Union européenne.

Mme Monica Michel. Je comprends que le format de cet accord n’est pas aussi ambitieux qu’il aurait pu l’être, puisqu’un accord d’association complet et approfondi était initialement sur la table et n’a pu être mis en œuvre. Un tel accord est-il envisageable pour l’avenir ?

Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Tant que l’Arménie est membre de l’Union économique eurasiatique, un accord de libre-échange avec l’Union européenne est exclu.

La commission adopte le présent projet de loi sans modification.

 

 

 


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   annexe n° 1 :
texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée la ratification de l’accord de partenariat global et renforcé entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part (ensemble douze annexes, deux protocoles et une déclaration commune), signé à Bruxelles le 24 novembre 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                          

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 1567).

 


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   Annexe n° 2 :
liste des personnes auditionnées par la rapporteure

  Ministère de l’Europe et des affaires étrangères : M. Quentin de Rancourt, chargé de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan à la direction de l’Europe continentale, et Mme Marie Maublanc, chargée des relations de l’UE avec les pays du Caucase à la direction de l’Union européenne.


([1]) Sans remonter aux royaumes arméniens des temps médiévaux, une première République d’Arménie indépendante a existé de 1918 à 1921, entre la Révolution russe et son intégration forcée à l’Union soviétique.

([2]) A contrario, par exemple, la pseudo- frontière entre la Moldavie et la Transnistrie sécessionniste est ouverte et n’est pratiquement plus militarisée ; dans le Donbass ukrainien même, malgré la poursuite d’affrontements sporadiques, la ligne de démarcation est traversée par les civils.

([3]) Rappelons qu’en France, la question est définitivement réglée par la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, laquelle dispose que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».

([4]) Après la Première Guerre mondiale, le traité de Sèvres signé par la Turquie vaincue prévoyait notamment la formation d’un État arménien dans l’est de l’actuel territoire turc. Les clauses de ce traité ont été invalidées suite au renversement du gouvernement ottoman par Mustafa Kemal Atatürk et à la guerre gréco-turque. Le traité de Lausanne a acté en 1923 les frontières actuelles.

([5]) Entre 10 000 et 200 000 selon les estimations et les définitions de la personne « francophone », sur une population de 3 millions d’habitants.

([6]) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen COM(2003) 104 du 11 mars 2003 : « L’Europe élargie – Voisinage : vers un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud ».

([7]) Dans l’autre sens, l’Arménie a libéralisé unilatéralement le régime des visas de court séjour pour les ressortissants européens en janvier 2013.