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N° 1983

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mai 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires,

 

 

 

Par MSerge LETCHIMY,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1941.


 

 


SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

Travaux de la commission

Discussion générale

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

ANNEXE :  lettre de Mme la Garde des Sceaux du 27 mai 2019


—  1  —

   Avant-propos

Le rapporteur, M. Serge Letchimy, et ses collègues membres du groupe Socialistes et apparentés ont déposé, le 10 mai 2019, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires (n° 1941).

L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale fixent le régime de la création et du fonctionnement d’une commission d’enquête parlementaire.

L’article 140 dispose que « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente », en l’occurrence la commission des affaires sociales.

Dans le cadre de la procédure de droit commun, la commission saisie au fond doit, d’une part, vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies et, d’autre part, se prononcer sur son opportunité. Dans l’hypothèse où la commission conclut positivement sur ces deux points, la création résulte dans un dernier temps du vote par l’Assemblée de la proposition de résolution déposée à cet effet.

Afin de renforcer l’expression des groupes minoritaires et d’opposition, le règlement prévoit également l’application de dispositions spécifiques.

Ces groupes parlementaires sont ainsi fondés à exercer un « droit de tirage » dont la garantie a été sensiblement améliorée par la réforme du règlement adoptée en novembre 2014 ([1]). L’article 141 prévoit en effet que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ». En l’occurrence, la présidente du groupe Socialistes et apparentés a manifesté au président de l’Assemblée nationale son intention d’exercer son « droit de tirage », par un courrier en date du 10 mai 2019.

Dans ce cas de figure, le rôle de la commission saisie au fond se limite à vérifier si les conditions de recevabilité sont remplies. Elle n’a pas à se prononcer sur l’opportunité de la création de la commission d’enquête, aucun amendement n’étant par ailleurs recevable. Enfin, la création de la commission d’enquête est actée par la Conférence des présidents si la commission saisie au fond conclut à la recevabilité de la proposition de résolution.

Les articles 137 à 139 du Règlement fixent les conditions de cette recevabilité.

● L’article 137 du Règlement prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cette disposition est directement inspirée par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 précitée.

En l’espèce, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête ayant un objet unique – l’évaluation des causes et des conséquences de l’utilisation du chlordécone et du paraquat aux Antilles – dans ses différents aspects :

– « évaluer l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique » : comme le rappelle l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution et le rapport de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sur la proposition de loi défendue en janvier dernier ([2]), le chlordécone, pesticide organochloré, a été utilisé de 1972 à 1993 en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre le charançon du bananier. Le paraquat, herbicide appartenant à la famille des ammoniums quaternaires, a été également largement utilisé entre 2003 et 2007, jusqu’à ce que le Tribunal de première instance des Communautés européennes annule la directive 2003/112/CE autorisant l’usage du paraquat dans les États-membres ([3]), considérant qu’il n’avait pas suffisamment été tenu compte du lien entre le paraquat et la maladie de Parkinson, ainsi que d’autres effets de la substance sur la santé des travailleurs et des animaux sauvages. Cependant, alors que la plupart des produits phytopharmaceutiques sont progressivement éliminés, certaines substances comme le chlordécone présentent des caractères persistants et bioaccumulables : cette molécule va donc être présente dans les terres et eaux contaminées pendant plusieurs siècles ;

– « identifier les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés dans la prolongation de l’autorisation de ces produits » : comme le rappelle l’exposé des motifs, le chlordécone a reçu une autorisation provisoire de commercialisation en février 1972, mais dès 1976, ses dangers potentiels pour la santé humaine et animale étaient connus. En septembre 1989, la commission d’étude de la toxicité, à la suite du réexamen d’un ensemble de dossiers, s’était prononcée pour l’interdiction du chlordécone. Cet avis a été suivi, en février 1990, du retrait de l’autorisation de vente de la spécialité commerciale, le Curlone, puis en juillet 1990 de l’interdiction de la substance active, c’est-à-dire le chlordécone. Mais comme le rappellent les rapports d’information déposés à l’Assemblée nationale ([4]), la réglementation applicable à l’époque prévoyait que, lorsqu’une spécialité était l’objet d’un retrait d’homologation, la vente de ce produit sur le marché français ne devait cesser qu’un an après la notification de ce retrait, et un délai d’un an supplémentaire pouvait être toléré avant le retrait définitif du produit. Ces dispositions signifiaient que le Curlone a pu légalement être employé aux Antilles jusqu’en février 1992. Cependant, son utilisation s’est poursuivie jusqu’en septembre 1993, sur le fondement des deux dérogations successives accordées par le ministère de l’agriculture, à la demande des professionnels du secteur. Il importe de comprendre comment cette prolongation a pu être autorisée et dans quelle mesure une telle erreur pourrait se reproduire à l’avenir ;

– « évaluer les politiques publiques de recherche et de décontamination mises en œuvre » : depuis 2008, trois plans chlordécone successifs ont été mis œuvre pour mobiliser des moyens afin de répondre à cette situation de pollution, de protéger la population (surveillance et recherche) mais aussi d’accompagner les professionnels fortement impactés par cette pollution, notamment les pêcheurs du fait de la diffusion de cette molécule dans le compartiment marin. Il s’agit également de créer les conditions pour développer la qualité de vie des populations sur le plan économique, sanitaire, social et culturel. Pour 2019 et 2020, les financements prévus sont respectivement de 4,2 et 3,9 millions d’euros ([5]). Il importe de contrôler l’utilisation faite de ces fonds, et les perspectives technologiques et financières d’une décontamination à plus grande échelle ;

– en conséquence du constat et de l’évaluation ainsi réalisés, « étudier la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices subis par les victimes et les territoires de Guadeloupe et de Martinique » : la prise en charge et l’indemnisation des victimes, par le régime de maladies professionnelles, pour les travailleurs, et dans le cadre des plans chlordécone pour accompagner les professionnels de la pêche et de l’agriculture, restant très limitées, la création d’une indemnisation apparaît être une solution pour les victimes de décisions publiques irraisonnées. C’était l’objet des propositions de loi n° 4647, déposée en 2017 à l’initiative de M. Victorin Lurel ([6]), et n° 1543, déposée en 2018 à l’initiative de Mme Hélène Vainqueur-Christophe ([7]), qui n’ont malheureusement pas pu être discutées par l’Assemblée nationale en séance publique.

La proposition de résolution définit donc précisément les faits sur lesquels porterait la commission d’enquête.

● L’article 138 du Règlement prévoit l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

Dans le cas présent, l’Assemblée nationale ne s’est pas penchée sur la question des conséquences de l’utilisation du chlordécone et du paraquat depuis huit ans ; elle n’a jamais créé aucune commission d’enquête ou mission d’information disposant des prérogatives d’une commission d’enquête sur cette question.

Pour mémoire, la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a créé le 19 octobre 2004, une mission d'information relative au chlordécone et autres pesticides dans l'agriculture martiniquaise et guadeloupéenne, présidée par M. Philippe Edmond-Mariette. Cette mission a débouché sur un rapport d’information présenté par M. Joël Beaugendre, rapporteur, le 30 juin 2005 ([8]).

En outre, le 24 juin 2009, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a déposé un rapport d’étude sur « Les impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénatrice ([9]).

Aussi aucune commission d’enquête ni aucune mission d’information effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 – c’est-à-dire qui s’est vue attribuer les prérogatives d’une commission d’enquête – ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois n’avait le même objet.

● Enfin, l’article 139 précise qu’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire ne peut être discutée lorsque « des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Cette disposition est également inspirée de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

À cet effet, le dépôt de la proposition de résolution doit être notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

En l’espèce, interrogée par le Président de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par lettre du 27 mai 2019 que « le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie celui d’une information judiciaire en cours, ouverte des chefs de mise en danger de la vie d’autrui, tromperie et administration de substances nuisibles, et suivie au pôle de santé publique de Paris, relative à l’utilisation du chlordécone dans les Antilles françaises » et que s’agissant du paraquat, elle n’a « pas connaissance de poursuites judiciaires en cours en lien avec les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

La garde des Sceaux attire donc l’attention de l’Assemblée sur « l’articulation de l’enquête parlementaire avec la procédure judiciaire susvisée, la première ne devant pas donner lieu à des investigations sur des aspects relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire ».

Cette réponse montre que la procédure signalée par la Garde des Sceaux ne fait pas en soi obstacle à la création de la commission d’enquête. Celle-ci devra veiller à ce que ses investigations n’empiètent pas sur la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

En conséquence, le rapporteur estime que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Aucun obstacle ne s’oppose donc à la création de la commission d’enquête.

 


—  1  —

   Travaux de la commission

Discussion générale

La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Serge Letchimy, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires (n° 1941) lors de sa séance du mercredi 29 mai 2019.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. En application de l’article 140 du règlement de l’Assemblée nationale, notre commission est saisie de la proposition de résolution n° 1941, déposée le 10 mai dernier par M. Serge Letchimy et plusieurs membres du groupe Socialistes et apparentés, tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation, et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires.

Nous avons désigné M. Letchimy rapporteur lors de notre réunion de la semaine dernière.

Je rappelle que la présidente du groupe Socialistes et apparentés a demandé à exercer son « droit de tirage » concernant cette proposition de résolution. En conséquence, notre commission doit simplement examiner si les conditions requises pour la création d’une telle commission d’enquête sont remplies, sans se prononcer sur son opportunité.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir ce matin au sein de la commission des affaires sociales.

Je voudrais tout d’abord indiquer clairement, comme vous l’avez fait, madame la présidente, qu’il ne s’agit pas ici d’un débat sur le chlordécone : je viens simplement défendre la création d’une commission d’enquête proposée par les membres du groupe Socialistes et apparentés. Voilà très longtemps qu’une telle commission a été demandée. En effet, la question du chlordécone est une vieille histoire.

En vertu des textes applicables à la création d’une telle commission d’enquête, à savoir l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et le règlement de notre assemblée, l’examen de la proposition de résolution présente un caractère spécifique.

Selon le droit commun, la commission est saisie à la fois de l’examen des conditions de recevabilité de la proposition de résolution et de l’opportunité de la création de la commission d’enquête. Cependant, en application de l’article 141 du Règlement, chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête. En l’occurrence, Mme Valérie Rabault, présidente du groupe Socialistes et apparentés, a manifesté au président de l’Assemblée nationale son intention d’exercer son droit de tirage, par un courrier en date du 10 mai 2019. Dans ce cadre, comme l’a rappelé la présidente Brigitte Bourguignon, notre rôle se limite à vérifier si les conditions de recevabilité sont remplies. Si c’est le cas, la création de la commission d’enquête sera ensuite actée par la Conférence des présidents.

Les articles 137 à 139 du Règlement fixent trois conditions de recevabilité, que je vais rappeler successivement.

Premièrement, l’article 137 du Règlement prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». En l’espèce, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête ayant un objet unique, à savoir l’évaluation des causes et des conséquences de l’utilisation du chlordécone et du paraquat aux Antilles, dans ses différents aspects.

La première tâche de la commission d’enquête sera d’évaluer l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique. Comme le rappellent l’exposé des motifs et le rapport de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sur sa proposition de loi défendue en janvier dernier, le chlordécone, pesticide organochloré, a été utilisé entre 1972 et 1993 en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre le charançon du bananier. Le paraquat, herbicide appartenant à la famille des ammoniums quaternaires, a été lui aussi largement utilisé entre 2003 et 2007, jusqu’à ce que le Tribunal de première instance des Communautés européennes annule la directive européenne autorisant son usage. Cependant, alors que la plupart des produits phytosanitaires sont progressivement éliminés, certaines substances, dont le chlordécone, présentent des caractères persistants et bioaccumulables. J’insiste sur ce point : les molécules de chlordécone vont rester présentes en Martinique et en Guadeloupe, dans les terres et les eaux contaminées, pendant plusieurs siècles.

La deuxième tâche de la commission d’enquête sera d’identifier les responsabilités des autorités et acteurs, publics et privés, dans la prolongation de l’autorisation de ces produits. Ainsi, le chlordécone a reçu une autorisation provisoire de commercialisation en février 1972 mais, dès 1976, ses dangers potentiels pour la santé humaine et animale étaient connus. Dès cette époque, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) les a signalés et les États-Unis ont interdit le produit. En septembre 1989, la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole, à la suite du réexamen d’un ensemble de dossiers, s’est prononcée pour l’interdiction du chlordécone. Cet avis a été suivi, en février 1990, par le retrait de l’autorisation de vente de la spécialité commerciale, le Curlone, puis, en juillet 1990, par l’interdiction de la substance active, c’est-à-dire le chlordécone. Toutefois, comme le rappelle le rapport d’information déposé en juillet 2005 par M. Joël Beaugendre, la réglementation applicable à l’époque prévoyait que, lorsqu’une spécialité faisait l’objet d’un retrait d’homologation, la vente de ce produit sur le marché français ne devait cesser qu’un an après la notification du retrait, et un délai d’un an supplémentaire pouvait être toléré avant le retrait définitif du produit. En vertu de ces dispositions, le Curlone a pu légalement être employé aux Antilles jusqu’en février 1992. Cependant, son utilisation s’est poursuivie jusqu’en septembre 1993, sur le fondement de deux dérogations successives accordées par le ministère de l’agriculture. En 2002 encore, on a trouvé du chlordécone dans des patates douces lors d’un contrôle à Dunkerque. Il importe de comprendre comment cette prolongation a pu être autorisée et dans quelle mesure une telle erreur pourrait se reproduire à l’avenir.

Dans un troisième temps, la commission d’enquête devra évaluer les politiques publiques de recherche et de décontamination mises en œuvre. Je voudrais vous signaler à cet égard que, sur les 24 000 hectares de surface agricole utile en Martinique, 12 000 sont au moins en partie pollués, dont un tiers en totalité. Depuis 2008, trois plans chlordécone successifs ont été mis œuvre pour mobiliser des moyens afin de répondre à cette situation de pollution, de protéger la population mais aussi d’accompagner les professionnels, lesquels sont fortement touchés – notamment les pêcheurs, du fait de la diffusion de la molécule dans le milieu marin. Il s’agit également de créer les conditions permettant d’améliorer la qualité de vie des populations sur le plan économique, sanitaire, social et culturel. Pour 2019 et 2020, les financements prévus sont respectivement de 4,2 et 3,9 millions d’euros : autrement dit, ils sont en diminution. Il importe de contrôler l’utilisation de ces fonds. Je veux indiquer – c’est un point important et le chiffre est assez angoissant – que, selon une étude de Santé publique France, la présence de chlordécone est détectable chez 92 % à 95 % des Martiniquais et des Guadeloupéens. Un autre chiffre est extrêmement important : la Guadeloupe et la Martinique détiennent le record mondial pour ce qui est du taux d’incidence du cancer de la prostate. Une étude de 2012 montre en effet qu’on enregistre 500 cas pour 100 000 habitants par an dans chacun de ces territoires, contre 98 dans l’Hexagone. Cela montre bien qu’il y a un enjeu considérable. Il ne s’agit pas de faire de procès d’intention – mais nous discuterons de tout cela tout à l’heure, si vous le souhaitez.

Enfin, en conséquence du constat et de l’évaluation ainsi réalisés, la commission d’enquête devra étudier la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices subis par les victimes et les territoires de Guadeloupe et de Martinique. La prise en charge et l’indemnisation des victimes restent en effet très limitées : elles ont lieu dans le cadre du régime de maladies professionnelles, pour les travailleurs – des initiatives ont été lancées à cet égard par la ministre des solidarités et de la santé ; nous attendons d’en voir les résultats –, et des plans chlordécone destinés à accompagner les professionnels de la pêche et de l’agriculture. Ainsi, la création d’une indemnisation apparaît comme une solution pour les victimes de décisions publiques irraisonnées. C’était précisément l’objet des propositions de loi déposées en 2017 par M. Victorin Lurel et en 2018 par Mme Hélène Vainqueur-Christophe, qui n’ont malheureusement pas pu être discutées par l’Assemblée nationale en séance publique.

La proposition de résolution définit donc précisément les faits sur lesquels porterait la commission d’enquête.

Deuxièmement, l’article 138 du Règlement rend irrecevable la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une commission d’enquête ou une mission d’information disposant des mêmes pouvoirs ayant achevé ses travaux depuis moins d’un an.

Dans le cas présent, l’Assemblée nationale ne s’est pas penchée sur la question des conséquences de l’utilisation du chlordécone et du paraquat depuis huit ans. En outre, elle n’a jamais créé sur cette question de commission d’enquête ou de mission d’information disposant des prérogatives d’une commission d’enquête.

Pour mémoire, la commission des affaires économiques avait créé, le 19 octobre 2004, une mission d’information relative au chlordécone et autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne, présidée par M. Philippe Edmond-Mariette. Cette mission a débouché sur un rapport d’information, présenté par M. Joël Beaugendre le 30 juin 2005. En outre, le 24 juin 2009, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a déposé un rapport sur les impacts de l’utilisation du chlordécone et des pesticides aux Antilles, présenté par M. Jean-Yves Le Déaut et Mme Catherine Procaccia.

Aucune commission d’enquête ou mission d’information ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois n’avait donc le même objet.

Troisièmement, l’ordonnance du 17 novembre 1958 et l’article 139 du Règlement précisent qu’une commission d’enquête parlementaire ne peut être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Interrogée par le président de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par lettre du 27 mai 2019 que « le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie celui d’une information judiciaire en cours, ouverte des chefs de mise en danger de la vie d’autrui, tromperie et administration de substances nuisibles, et suivie au pôle de santé publique de Paris, relative à l’utilisation du chlordécone dans les Antilles françaises ». S’agissant du paraquat, elle n’a « pas connaissance de poursuites judiciaires en cours en lien avec les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». La garde des sceaux appelle donc l’attention de l’Assemblée sur « l’articulation de l’enquête parlementaire avec la procédure judiciaire susvisée, la première ne devant pas donner lieu à des investigations sur des aspects relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire ».

Cette condition posée, j’estime que la procédure mentionnée ne fait pas en soi obstacle à la création de la commission d’enquête, pour autant que celle-ci s’abstienne de faire porter ses investigations sur des faits qui feraient l’objet de la procédure pénale engagée.

En conséquence, je vous propose de constater que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale. Aucun obstacle ne s’oppose donc à la création de la commission d’enquête.

Mme Albane Gaillot. Je souhaite réagir, au nom du groupe La République en Marche, aux propos du rapporteur. Nous sommes réunis ce matin pour nous prononcer sur la recevabilité et sur l’opportunité de la création d’une commission d’enquête. Je voudrais toutefois dire quelques mots au sujet de la méthode suivie et du calendrier.

Vous proposez la création d’une commission d’enquête chargée d’évaluer l’impact du chlordécone et du paraquat, les responsabilités ainsi que la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes. Lors d’un discours prononcé en Martinique en septembre 2018, le Président de la République a qualifié de « scandale environnemental » la pollution au chlordécone, et indiqué que l’État devait y prendre « sa part de responsabilité » et « avancer dans le chemin de la réparation ». C’est un premier pas – et un grand pas – franchi en direction de la reconnaissance, d’une part, de l’impact du chlordécone et, d’autre part, de la responsabilité de l’État dans cette catastrophe environnementale.

Au même moment, nous votions la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dite « EGALIM », dont l’article 81 prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur le financement et les modalités de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. La remise de ce rapport devrait avoir lieu dans les toutes prochaines semaines. Le calendrier que vous avez choisi nous conduit donc à nous interroger.

Plus encore, nous avons examiné, en février dernier, la proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique. À cette occasion, la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, s’est engagée à créer un fonds d’indemnisation pour les victimes professionnelles des produits phytosanitaires lors de l’examen, à l’automne, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Cet engagement est un signal fort de la dynamique dans laquelle notre majorité s’est engagée pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires et accélérer, par ailleurs, la transition de notre modèle agricole.

À ce stade et eu égard aux travaux en cours que je viens de rappeler, la création d’une commission d’enquête ne me paraît donc pas opportune.

M. Gilles Lurton. Je remercie notre collègue Serge Letchimy de nous avoir présenté cette proposition de résolution au nom du groupe Socialistes et apparentés. Je veux lui dire d’emblée que le groupe Les Républicains considère qu’il est de sa responsabilité d’accepter la création de cette commission d’enquête. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous abordons le sujet au sein de notre commission puisque, le 23 janvier dernier, notre collègue Hélène Vainqueur-Christophe nous a présenté une proposition de loi relative à l’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat – proposition refusée par la majorité en commission et qui n’a pas été examinée dans l’hémicycle, faute de temps.

J’ai eu souvent l’occasion de m’entretenir sur le sujet avec notre collègue Claire Guion-Firmin, députée de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui m’a fait part de l’inquiétude des habitants de nos territoires d’outre-mer. Nous pensons que notre devoir est d’être solidaires de nos collègues d’outre-mer.

M. le rapporteur a parfaitement décrit la situation : le chlordécone et le paraquat, produits phytopharmaceutiques destinés à la destruction des végétaux indésirables, classés comme pesticides, présentent un danger direct ou indirect pour la santé des personnes qui les utilisent, pour la population et pour l’écosystème. La présence de chlordécone est confirmée dans les eaux et les sols et le produit s’étend de façon progressive. De nombreux points de captage de l’eau potable ont été fermés. En conséquence, il devient impossible, pendant de longues années, de vendre sur les marchés des produits issus des sols contaminés, car cela signifierait prendre un risque pour la santé des consommateurs.

Face à cette situation, l’État n’est pas resté sans réaction : depuis 2002, des actions de sensibilisation et de protection des populations ont été engagées. Toutefois, précisément, ces actions se sont bornées à cela, et le groupe Les Républicains considère qu’il est nécessaire d’actualiser les connaissances du Parlement au sujet des impacts économiques, sanitaires et environnementaux de l’utilisation de ces produits en Guadeloupe et en Martinique.

Dans la mesure où la proposition de résolution est présentée dans le cadre du droit de tirage du groupe Socialistes et apparentés, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité de la création de cette commission d’enquête : il s’agit seulement, ici, de sa recevabilité. Alors oui, pour toutes les raisons que je viens d’exposer, nous soutenons cette proposition de création d’une commission d’enquête.

Mme Justine Benin. Je tiens à saluer, au nom du groupe MODEM et apparentés, la proposition de M. Serge Letchimy et d’autres collègues du groupe Socialistes et apparentés tendant à constituer une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental du chlordécone et du paraquat sur les terres de Guadeloupe et de Martinique.

Il aura fallu trente ans pour qu’enfin, un Président de la République s’exprime clairement sur la tragédie du chlordécone et du paraquat. En septembre 2018, lorsque le chef de l’État s’est rendu aux Antilles, il a reconnu, devant les populations de Guadeloupe et de Martinique que la pollution au chlordécone était « un scandale environnemental », « le fruit d’un aveuglement collectif ». Il a ajouté : « L’État doit prendre toute sa part de responsabilité ». Cette parole présidentielle a été saluée par tous, mais ce n’est qu’une première étape sur le chemin de la réparation et de la vérité auxquelles aspirent les populations depuis tant d’années.

Le chlordécone – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur – est un pesticide toxique, un perturbateur endocrinien dont la dangerosité a été maintes et maintes fois prouvée dans les plus grandes revues scientifiques internationales. Il a été utilisé dans les bananeraies des Antilles entre 1972 et 1993. Des milliers de tonnes de ce produit ont été déversées dans nos champs et dans nos rivières, polluant les terres pour les décennies voire les siècles à venir. Comme vous l’imaginez, mes chers collègues, ce drame écologique a des conséquences sanitaires graves pour les populations. On peine même à les évaluer en vue d’une indemnisation.

Il est vrai – Mme Gaillot l’a rappelé – que, dans le cadre de la loi EGALIM et de l’examen de la proposition de loi de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, nous avons discuté du sujet. Mme Agnès Buzyn a également pris des engagements forts dans la perspective du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela dit, les populations des Antilles attendent des réponses concrètes de la part de la représentation nationale, des pouvoirs publics et de l’État. Elles veulent également de la transparence – au sujet de ce qu’elles boivent et de ce qu’elles mangent, mais aussi des responsabilités de l’ensemble des acteurs.

Pour conclure, le groupe MODEM et apparentés reconnaît la recevabilité de cette demande de création d’une commission d’enquête et la soutient avec tout le volontarisme que vous nous connaissez. Nous devons nous investir dans cette commission d’enquête, pour que les populations de la Guadeloupe et de la Martinique trouvent des réponses à leurs inquiétudes.

M. Boris Vallaud. M. Serge Letchimy ayant déjà expliqué avec maestria l’objet de cette commission d’enquête, je m’en tiendrai à souligner l’engagement, ancien, et la constance des députés ultramarins, notamment du groupe Socialistes et apparentés, quelle que soit la majorité en place. Cette conscience du temps long et des responsabilités, passées et futures, transparaît d’ailleurs dans cette commission d’enquête. Le Président de la République a parlé de « tragédie du chlordécone ». Il faut désormais donner aux mots, qui ont leur poids, une traduction concrète.

Nous soutenons sans réserve la création de cette commission d’enquête. Bien que concernant l’outre-mer, elle aura une valeur pédagogique s’agissant de la question de l’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Notre groupe a essayé d’obtenir la création immédiate d’un fonds d’indemnisation, refusée par le Gouvernement ; nous avons voulu interdire, là encore en vain, l’exportation des produits phytosanitaires dont l’usage est interdit en France. C’est dire combien il reste difficile d’appréhender ces sujets, tant sur le plan économique que sanitaire.

Mme Nicole Sanquer. Je tiens à remercier les députés Hélène Vainqueur-Christophe, Josette Manin et Serge Letchimy pour leur implication sur ce sujet, majeur pour les Antilles, et qui constitue un problème de santé publique d’intérêt national. La pollution et la contamination durable des sols par le chlordécone et le paraquat est bel et bien un drame. Le chlordécone est un produit interdit depuis 1993, mais ses effets sur l’environnement, l’économie et la santé sont persistants et dramatiques.

Lors de l’examen, en janvier, de la proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat, le groupe UDI, Agir et Indépendants a rappelé la nécessité de reconnaître le préjudice sanitaire, environnemental et économique subi par les populations de Guadeloupe et de Martinique.

Il s’agit certes d’une mesure symbolique, mais les symboles ont leur importance. Nous le devons à nos compatriotes antillais. Les populations les plus exposées au chlordécone et au paraquat sont celles qui s’approvisionnent dans le cadre de circuits informels non contrôlés et qui consomment des produits issus des jardins familiaux ou vendus en bord de route. La contamination touche donc en priorité les plus modestes de nos concitoyens martiniquais et guadeloupéens.

Même si les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face à la contamination des sols, notamment au travers des plans chlordécone qui permettent de mieux accompagner et d’informer les populations locales, cette commission d’enquête permettra d’apporter des éléments de réponse complémentaires, pour répondre aux inquiétudes des populations et avancer sur la question de l’indemnisation du préjudice subi par ces territoires. Nous y sommes favorables.

M. Pierre Dharréville. Avec la création de cette commission d’enquête, il s’agit d’affronter un drame, un scandale sanitaire considérable, aux conséquences en cascade pour nos concitoyens. Celui-ci concerne la communauté nationale tout entière et appelle une action vigoureuse de la part de la République – une action de réparation. Il convient de prendre le temps pour enquêter, établir les responsabilités, chercher à mieux comprendre les mécanismes, trouver les meilleures voies de réparation. Cette proposition, dans les contours que vous avez définis, nous semble tout à fait recevable.

Il faudra sans doute traiter à la fois de la santé environnementale et de la santé au travail. Ce sont deux versants qui se recoupent, mais leurs attendus étant différents, nous devons les prendre chacun en considération.

Ce drame est une illustration signifiante des conséquences de l’utilisation des produits phytosanitaires ; cela doit nous inviter à aller plus loin sur cette question majeure. Cette commission d’enquête est d’utilité publique.

Mme Jeanine Dubié. Le groupe Libertés et Territoires soutient sans aucune ambiguïté cette proposition. La création d’une commission d’enquête nous paraît nécessaire, compte tenu du désastre, tout à la fois écologique et sanitaire.

Il ne s’agit plus de constater et de reconnaître les effets néfastes de ces produits, puisque le chlordécone a été interdit dès 1993. Trente ans ont passé, et nous sommes encore à réfléchir à un fonds d’indemnisation. Le moment est venu d’agir.

Nous devons déterminer précisément les conséquences de la pollution par le chlordécone sur l’économie, la santé et l’environnement, un préalable pour réaliser l’ampleur du drame et en éviter de nouveaux. Mais il faut aller bien plus loin que la reconnaissance symbolique exprimée par le Président de la République lors de sa visite en Martinique, au mois de septembre.

Il me semble utile de préciser que ce n’est pas parce que le Gouvernement doit remettre un rapport que le Parlement ne peut pas engager des travaux complémentaires, par la voie d’une commission d’enquête. Celle-ci vise en outre à étudier la nécessité et les modalités d’une indemnisation des victimes, ce qui nous paraît correspondre à un souci de justice sociale et territoriale.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La parole est à Jean-Pierre Door, pour une question.

M. Jean-Pierre Door. Il semble important que les travaux de cette commission d’enquête permettent de faire la lumière sur la relation de cause à effet, dont certains doutent, entre ce perturbateur endocrinien qu’est le chlordécone et le cancer de la prostate. De son côté, la ministre de la santé s’est engagée à demander une évaluation de ce lien.

M. Serge Letchimy, rapporteur. Je remercie l’ensemble des groupes pour leur soutien. Je veux dire à Mme Albane Gaillot que j’ai été sincèrement touché par la déclaration du Président Macron à Fort-de-France. Je le souligne sans opportunisme : c’était la première fois qu’un Président de la République française reconnaissait ce « scandale environnemental », fruit d’« un aveuglement collectif », celui, je suppose, du productivisme.

Mais le Président Emmanuel Macron est allé plus loin en invitant « la République à avancer sur le chemin de la réparation ». Nous ne parlons pas là d’indemnisation : les Martiniquais et les Guadeloupéens sont assez fiers et dignes pour ne pas quémander çà et là une indemnisation. Il s’agit bien de réparation, car avec la moitié des terres polluées – 12 000 hectares –, et la moitié du littoral contaminé, l’agriculture et la pêche locales sont mortes. Nous avons tué le pays.

Nous devons enclencher un processus de mutation, non seulement scientifique et technique – nous prônons tous l’interdiction des pesticides –, mais aussi culturelle, en changeant les pratiques économiques. C’est une lourde responsabilité.

Quarante ans que cela dure, et l’on ne sait combien de temps encore cette pollution produira ses effets : deux cents, trois cents ans peut-être ? Ce n’est pas moi, mais Santé publique France qui avance ces chiffres : 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont contaminés au chlordécone. À quel degré le sont-ils ? On ne le sait pas, car il n’existe pas de dispositif généralisé de détection.

Nous ne faisons de procès d’intention à personne, surtout pas à la majorité qui n’était pas aux responsabilités il y a quarante ans.

J’ai participé aux réunions avec Mme Buzyn et Mme Girardin ; je les ai écoutées attentivement. La dynamique reprend depuis dix-huit mois. Cela faisait trois ans que les plans chlordécone, sur l’efficacité desquels je suis réservé, étaient éteints – plus personne n’en parlait.

Madame Gaillot, le fonds d’indemnisation que vous évoquez, et vous avez l’honnêteté de le préciser, concerne les maladies professionnelles et accidents du travail dans le domaine agricole. Il convient de rapporter le nombre de 12 000 agriculteurs antillais et guadeloupéens à la population contaminée, environ 750 000 personnes. C’est donc un dispositif beaucoup plus important qu’il faut mettre en place, et qui ne se limite pas à une indemnisation « sèche », de 2 000 ou 3 000 euros, mais qui réponde aux enjeux de la dépollution, de la prise en charge des travailleurs agricoles et de la prise en charge sanitaire globale.

Monsieur Door, nous l’avons précisé d’emblée, il ne s’agit pas de débattre ici du chlordécone. Depuis que le caractère cancérigène du produit a été établi par l’OMS en 1976 et que les Américains ont interdit son utilisation en 1977, l’ensemble des études convergent. Les études « Karu-prostate » et « Madi-Prostate », en Martinique et en Guadeloupe, n’ont malheureusement pas abouti, même si la prévalence très importante du cancer de la prostate en Guadeloupe a été démontrée. Les professeurs Luc Multigner et Pascal Blanchet ont publié récemment une étude montrant que la prévalence et la récurrence du cancer de la prostate sont trois à quatre fois supérieures chez les sujets exposés au chlordécone. Des études « Timoun » sur la prématurité et les malformations ont été menées sur une cohorte mère-enfant. Il existe des suspicions très fortes d’une influence du chlordécone sur l’endométriose. Les signaux sont donc très inquiétants.

Ce travail, que nous devons mener collectivement, ne doit pas être dirigé contre qui que ce soit. Les propositions qui en seront issues, formulées en concertation avec les ministères, doivent nous permettent de sortir de ce drame.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je prends acte de ce que notre commission constate que les conditions de recevabilité de la proposition de résolution n° 1941 sont réunies. Ce constat sera porté à la connaissance de la Conférence des présidents.

 

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Se prononçant en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la Commission constate que sont réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires (proposition de résolution  1941).

 


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TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, d’identifier les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés dans la prolongation de l’autorisation de ces produits, d’évaluer les politiques publiques de recherche et de décontamination mises en œuvre et d’étudier la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices subis par les victimes et les territoires de Guadeloupe et de Martinique.

 


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   ANNEXE :
lettre de Mme la Garde des Sceaux du 27 mai 2019


([1]) Résolution n° 437 du 28 novembre 2014.

([2])  Rapport n° 1614 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sur la proposition de loi de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Serge Letchimy, Mmes Josette Manin, Valérie Rabault, M. Dominique Potier et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique (n° 1543), déposé le 24 janvier 2019             
http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r1614.asp.

([3])  Arrêt du Tribunal de première instance dans l'affaire T-229/04, Royaume de Suède / Commission des Communautés européennes, 11 juillet 2007             
https://curia.europa.eu/fr/actu/communiques/cp07/aff/cp070045fr.pdf.

([4])  Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement, par la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne n° 2430 déposé le 30 juin 2005 par M. Joël Beaugendre             
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2430.asp.

([5])  Rapport n° 1614 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe précité.

([6])  Proposition de loi de MM. Olivier Faure, Victorin Lurel, Mme Gabrielle Louis-Carabin, MM. Ibrahim Aboubacar, Boinali Said, Serge Letchimy et Napole Polutele et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, n° 4647, déposée le 10 mai 2017             
http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion4647.asp.

([7])  Proposition de loi de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Serge Letchimy, Mmes Josette Manin, Valérie Rabault, M. Dominique Potier et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique déposée le 19 décembre 2018 (n° 1543).

([8])  Rapport d’information n° 2430 de M. Joël Beaugendre précité.

([9])  Rapport n° 487 (2008-2009) de Mme Catherine Procaccia, sénateur et M. Jean-Yves Le Deaut, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 24 juin 2009 http://www.senat.fr/rap/r08-487/r08-487_mono.html.