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N° 2683

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]) CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI instituant un système universel de retraite et LE PROJET DE LOI ORGANIQUE relatif au système universel de retraite, SUR LE PROJET DE LOI instituant un système universel de retraite

 

Tome ii

comptes rendus

 

Par MGuillaume GOUFFIER-CHA, Rapporteur général

M. Nicolas TURQUOIS, M. Jacques MAIRE, Mme Corinne VIGNON,
Mme Carole GRANDJEAN et M. Paul CHRISTOPHE,

Rapporteurs

 

 

 

 

——

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  2623 rectifié.

 


 

 

La commission spéciale est composée de :

Mme Brigitte Bourguignon, présidente ;

M. Éric Girardin, Mme Célia de Lavergne, M. Boris Vallaud, M. Stéphane Viry, vice-présidents ;

M. Thibault Bazin, Mme Jeanine Dubié, Mme Albane Gaillot, M. Thierry Michels, secrétaires ;

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général ;

M. Nicolas Turquois, rapporteur sur le titre Ier du projet de loi ordinaire ;

M. Jacques Maire, rapporteur sur le titre II du projet de loi ordinaire ;

Mme Corinne Vignon rapporteure sur le titre III du projet de loi ordinaire ;

Mme Carole Grandjean, rapporteure sur le titre IV du projet de loi ordinaire ;

M. Paul Christophe, rapporteur sur le titre V du projet de loi ordinaire ;

M. Olivier Véran, rapporteur du projet de loi organique ;

Mme Clémentine Autain, M. Didier Baichère, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Jean-René Cazeneuve, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, M. Fabien Gouttefarde, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Marie Lebec, Mme Monique Limon, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Sophie Panonacle, Mme Zivka Park, M. Aurélien Pradié, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Philippe Vigier et M. Éric Woerth


SOMMAIRE

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Pages

Comptes rendus DE l’examen des articles

1. Réunion du lundi 3 février 2020 à 16 heures (article 1er)

2. Réunion du lundi 3 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)

3. Réunion du mardi 4 février 2020 à 17 heures (suite de l’article 1er)

4. Réunion du mardi 4 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)

5. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 1er à après l’article 1er)

6. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 15 heures (avant l’article 2 à article 3)

7. Réunion du mercredi 5 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 3 à article 4)

8. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 4 à l’article 6)

9. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 6 à l’article 7)

10. Réunion du jeudi 6 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 7 à l’article 8)

11. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 8)

12. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 8 à l’article 10)

13. Réunion du vendredi 7 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 10 à l’article 12)

14. Réunion du samedi 8 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 12 à l’article 13)

15. Réunion du samedi 8 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 13 à l’article 15)

16. Réunion du dimanche 9 février 2020 à 9 heures 30 (de l’article 16 à après l’article 17)

17. Réunion du dimanche 9 février 2020 à 15 heures (de l’article 18 à l’article 19)

18. Réunion du lundi 10 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 19 à l’article 20)

19. Réunion du lundi 10 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 20 à après l’article 22)

20. Réunion du lundi 10 février 2020 à 21 heures 30 (de l’article 23 à après l’article 24)

21. Réunion du mardi 11 février 2020 à 17 heures (article 25)

22. Réunion du mardi 11 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 25 à l’article 26)


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   Comptes rendus DE l’examen des articles

1.   Réunion du lundi 3 février 2020 à 16 heures (article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8679607_5e3832a82c04f.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--examen-du-projet-de-loi-instituant-un-sys-3-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous commençons cet après-midi l’examen des articles des deux projets de loi soumis à l’examen de notre commission spéciale.

Je rappelle que nous avons procédé mardi dernier à une discussion générale avec l’audition du secrétaire d’État chargé des retraites. Mercredi, nous avons entendu les représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, puis les présidents du Conseil d’orientation des retraites (COR) et du Comité de suivi des retraites (CSR).

Les projets de loi étant inscrits à l’ordre du jour de la séance publique à compter du lundi 17 février, nous débutons donc aujourd’hui l’examen des 21 661 amendements déposés sur le projet de loi instituant un système universel.

En introduction à nos travaux, je veux rappeler que je suis attachée à conduire nos discussions dans un esprit d’ouverture et de conciliation. Nous avons tous intérêt ici à ce que nos débats soient riches, et je m’engage bien sûr à ce que tout le temps nécessaire soit pris pour ce faire. Chaque amendement pourra être défendu ; le rapporteur et, le cas échéant, le Gouvernement apporteront leurs réponses, puis, conformément à l’usage en séance publique, deux orateurs pourront s’exprimer, l’un pour l’amendement, l’autre contre.

Les échanges pourront sans doute parfois être vifs, mais je veillerai scrupuleusement à ce que chacune et chacun puisse s’exprimer dans le calme et dans l’écoute mutuelle. Nous le devons aux citoyennes et aux citoyens qui nous regardent et nous écoutent : nos débats ne seront utiles que s’ils sont de nature à les éclairer sur les enjeux qui sont au cœur de ces deux textes.

Ces enjeux sont à la fois fondamentaux, complexes et disputés. Des désaccords profonds existent, et subsisteront sans doute, mais je compte sur vous pour que la confrontation des projets, des opinions et des idées se déroule dans un esprit républicain.

Avant l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement n° 410 de M. Patrick Hetzel.

M. Thibault Bazin. Les Français sont inquiets. Ils sont inquiets du niveau des pensions pour les retraités actuels, mais aussi pour les retraités de demain et d’après-demain. Cette inquiétude est légitime car, sans réforme, il y aura un déséquilibre financier. Selon les prévisions du COR, à législation inchangée, le déficit du système de retraite devrait être multiplié par quatre d’ici à 2022 pour atteindre environ 12 milliards d’euros.

Or, ces prévisions sont très largement sous-estimées : j’en veux pour preuve que les dépenses engagées cette année par l’État pour la retraite des fonctionnaires et pour abonder certains régimes spéciaux atteignent déjà 19,5 milliards d’euros pour cette année.

L’amendement n° 410 de notre collègue Patrick Hetzel vise donc à ce que le Gouvernement présente les résultats détaillés d’un audit financier indépendant portant sur les régimes de retraite, avant toute réforme du système de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame la présidente, mes chers collègues, je vous salue et j’espère que le débat qui s’ouvre aujourd’hui nous permettra d’apporter tous les éclaircissements nécessaires sur ce texte.

L’amendement n° 410 remet en cause les analyses du COR, ce qui ne manque pas de me surprendre, ce conseil étant composé d’experts indépendants. Pour ma part, je considère ses prévisions comme fidèles : si les hypothèses de croissance et d’inflation sur lesquelles elles reposent sont forcément sujettes à discussion, elles constituent une bonne base de travail. À l’inverse, les interrogations que vous formulez viennent en quelque sorte apporter une justification supplémentaire à la future réforme, car c’est bien en raison des évolutions démographiques à venir que le Gouvernement a été amené à proposer cette réforme.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Gilles Carrez. L’amendement n° 410 vise à mettre en évidence la question de l’équilibre financier. Le problème de notre régime par répartition, qu’il convient de consolider, c’est qu’il y a de moins en moins d’actifs pour de plus en plus de retraités. Les réformes que les majorités de droite et du centre s’honorent d’avoir conduites en 1993, en 2003 et en 2010, ont toutes été motivées par des raisons financières, c’est-à-dire pour sauvegarder le niveau des retraites des Français.

Or, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation aussi paradoxale qu’inacceptable, où l’on engage l’examen d’un texte qui ne comporte pas les éléments financiers absolument indispensables à un texte de cette nature. Il y a de quoi être inquiet quand on sait que, depuis vingt ans, les prévisions du COR ont toujours été trop optimistes. On sait qu’à l’horizon 2025, il faudra faire face à un déficit de l’ordre de 15 milliards d’euros par an, ce qui nécessite de prendre dès maintenant la question financière à bras-le-corps : il y va de notre responsabilité.

M. Boris Vallaud. Je rappelle que le Conseil d’État a eu l’occasion de souligner, dans un avis cinglant, l’indigence du travail du Gouvernement et le caractère lacunaire des perspectives financières de ce projet de loi – des constats que nous faisons également, en les regrettant.

Il n’y a, par ailleurs, aucune étude d’impact sur les conséquences globales, macro-économiques et financières, de cette réforme, qui aura nécessairement des incidences sur le taux de chômage, sur la dépense publique et sur le produit intérieur brut (PIB). De ce fait, nous ne sommes pas en mesure de disposer d’une vue complète sur les conséquences potentielles de cette réforme.

Vous évoquez la nécessité de maintenir l’équilibre financier. Or, il est permis de s’interroger sur le fait que cette règle d’or est limitée au seul système de retraite : si elle portait sur l’ensemble de la sécurité sociale, cela permettrait de relativiser ce que vous présentez comme un déficit financier.

Enfin, ceux d’entre nous qui ont lu dans le détail le rapport du COR et le compte rendu de l’audition de son président y ont trouvé la confirmation du fait que le déficit constaté est essentiellement dû aux décisions du Gouvernement. Alors que, pour la première fois, nous avions l’occasion de conduire une réforme guidée par autre chose que par l’urgence financière, vous avez réussi à en faire une réforme purement paramétrique.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À titre exceptionnel, je vais donner la parole à M. Mélenchon puis à M. Dharréville. Compte tenu du nombre d’amendements que nous devons examiner, je devrai ensuite faire une application stricte du principe selon lequel nous entendons un orateur pour et un orateur contre.

M. Jean-Luc Mélenchon. Si on ne peut pas donner de chiffrage plus précis, c’est qu’il est difficile d’évaluer un problème qui n’existe pas... Si quelqu’un est capable de calculer avec précision ce que seront les résultats économiques du pays en 2025, je le félicite, car la plupart des responsables sont incapables de le faire pour les six mois qui viennent !

Si on regarde de plus près la répartition entre les actifs et les inactifs, on en vient très vite à la conclusion selon laquelle une modification de la répartition de la valeur ajoutée se traduirait par un bouleversement complet des résultats dont se réclame le COR. En effet, 1 % d’augmentation des salaires produit 2,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires à taux de cotisation constant : le problème n’existe donc pas.

Certes, le nombre d’actifs a diminué par rapport au nombre d’inactifs, mais la richesse produite a, elle, augmenté, ainsi que les bénéfices qu’il est possible d’en tirer. Par conséquent, sans rien modifier, on peut parfaitement tenir une position d’équilibre, ce qui fait s’écrouler tout le discours sur lequel repose ce projet de réforme.

M. Pierre Dharréville. On ne sait plus à quel saint se vouer, puisque si le premier argument invoqué en faveur de cette mesure, résultant des analyses du COR, était l’absence de problème financier, on nous a ensuite affirmé exactement le contraire, à savoir que la réforme était nécessaire parce qu’il y avait un problème financier... Cela dit, quand on examine la réforme qui nous est proposée, on voit qu’il y a une volonté manifeste, non seulement de maîtriser, mais aussi de réduire la part des richesses consacrée au financement de nos retraites : cette réforme a donc bien des objectifs financiers. Nous ne savons pas exactement comment les mesures proposées vont être financées, puisque cela sera décidé dans le cadre de la conférence de financement à venir et que nous en sommes donc réduits à légiférer alors que tous les éléments ne sont pas sur la table.

Enfin, je veux dire à notre collègue Carrez que, si les réformes faites précédemment ont sans doute eu des conséquences financières, elles en ont surtout eu sur la vie de nos concitoyennes et concitoyens, en abîmant considérablement le droit à la retraite.

La commission rejette l’amendement.

Titre Ier
LES PRINCIPES DU SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE

Chapitre Ier
UN SYSTÈME UNIVERSEL COMMUN À TOUS LES ASSURÉS

Section 1 : Principes généraux

Avant l’article 1er

La commission examine l’amendement n° 756 de M. Damien Abad.

M. Éric Woerth. L’amendement n° 756 a pour objet de présenter ce que pourrait être, pour nous, une autre réforme des retraites. D’abord, comme l’a dit Gilles Carrez, l’aspect financier n’a rien de secondaire : au contraire, c’est la clef pour qu’un système de retraite puisse être qualifié de juste. Un système non financé, c’est un système injuste pour toutes les générations qui vont se succéder.

Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Mélenchon, l’aspect financier doit être pris en considération quand on examine le système de retraite. Certes, il est difficile de faire une évaluation extrêmement précise de ce que seront les chiffres dans vingt ans, mais décider de se boucher les yeux et les oreilles n’est certainement pas la bonne façon de procéder.

Pour notre part, nous proposons que l’ensemble des travailleurs français soient couverts par un régime universel de base à hauteur d’un plafond de sécurité sociale, ce régime étant complété par des systèmes complémentaires qui, comme c’est le cas aujourd’hui, prennent en compte les particularités de chaque profession.

Nous voulons d’une part réduire les périodes de transition, d’autre part supprimer les régimes spéciaux – un objectif vers lequel convergeaient les réformes précédentes. Pour ce qui est de la période de transition proposée par le Gouvernement, elle paraît interminable, ce qui fait qu’elle ne veut plus rien dire et qu’elle dévitalise complètement la réforme.

Nous souhaitons également augmenter l’âge de départ à la retraite, ce qui est une mesure plus directe et plus compréhensible par tous que de celle consistant à poursuivre l’augmentation de l’âge légal de départ. La référence à l’âge pivot
– une très vieille idée, déjà repoussée en 2010 – constitue une façon hypocrite de présenter les choses, car elle équivaut à une baisse des pensions, à une absence d’indication de l’âge réel de départ en retraite et, à terme, sans doute à une paupérisation des retraités.

Enfin, nous estimons que le système doit être complété par un dispositif de pénibilité différent de celui que vous envisagez car, si l’on veut un dispositif universel, c’est-à-dire qui fonctionne pour tout le monde, quel que soit le métier exercé – en dehors des métiers régaliens –, il faut passer par l’objectivation de l’incapacité à travailler, évaluée par la médecine du travail en fonction de la profession exercée. À défaut, vous créez une multitude de régimes spéciaux, donc d’injustices, à l’intérieur d’un régime universel qui n’en a que le nom.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Votre amendement contient quelques propositions alternatives, par exemple la réduction de la couverture du système universel à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) ou l’ajout de régimes complémentaires autonomes.

Il comporte également de grandes similitudes avec le projet que nous présentons – ce dont je ne peux que me réjouir –, à savoir un système universel par répartition, l’extinction des régimes spéciaux, la garantie de la pérennité financière ou la mise en place d’un système universel de pénibilité – autant d’éléments qui ne manqueront pas de susciter des débats, mais sur lesquels nous nous sommes prononcés.

Cependant, je m’étonne de constater que certains de vos amendements – en l’occurrence, les amendements n° 434 et n° 457 – visent à réintroduire les quatre critères qui ont été retirés du compte professionnel de prévention (C2P) alors que vous les considériez naguère comme inapplicables, et que vous aviez d’ailleurs salué leur suppression.

M. Jean-Jacques Bridey. J’ai lu attentivement votre amendement, mes chers collègues, car le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, ce qui pose problème dans votre proposition, ce sont les mots : « de base » : alors que nous sommes favorables à un système universel par répartition, vous prônez un système universel « de base » par répartition, en allant seulement jusqu’à un PASS.

Il y a un véritable désaccord entre nous car, pour ce qui est du système prévu par le projet de loi, il allie l’accumulation de cotisations à des taux différents selon que l’on est salarié, indépendant ou libéral, et des cotisations obligatoires déplafonnées de solidarité, toutes aux taux de 2,81 %, quels que soient le niveau de revenu et le statut. Il s’agit donc d’un système de solidarité et s’inscrivant dans la pérennité, afin d’assurer le niveau de cotisation comme celui des retraites.

Au-delà de trois PASS, nous plafonnons les cotisations, tandis que la solidarité joue toujours au taux de 2,81 %.

M. Éric Woerth. C’est déjà beaucoup !

M. Gilles Carrez. Vous n’avez pas compris notre proposition, monsieur Bridey. Jusqu’à un PASS, nous proposons effectivement un régime de base qui est le même pour le privé, le public et les indépendants. Au-delà, nous proposons des régimes complémentaires fonctionnant par répartition, comme c’est le cas actuellement de l’AGIRC-ARRCO.

Contrairement à vous, nous avons le courage de proposer, dans le droit fil de la réforme de 2010, une augmentation progressive – un trimestre par an – de l’âge légal de départ à la retraite, ayant vocation à aboutir à 64 ans en 2028 et à 65 ans en 2032. Un tel dispositif doit permettre, grâce aux marges de manœuvre ainsi dégagées, de revenir à l’équilibre et de mettre en place un véritable régime de pénibilité universel : il s’appliquera à tous selon les mêmes critères, que l’on soit couvreur, conducteur de bus de la RATP ou d’une entreprise privée, ou comptable.

Nous rejoignons la proposition du Gouvernement sur la mise en place, permise par le retour à l’équilibre, d’un minimum contributif fixé d’abord à 1 000 euros, puis à 85 % du SMIC. Nous proposons de faciliter l’emploi des seniors par des mesures d’incitation, ce qui constitue un point extrêmement important, et souhaitons nous aussi une meilleure ouverture du régime de cumul emploi-retraite. Comme vous le voyez, nos propositions sont cohérentes, en ce qu’elles sont fondées sur l’équilibre financier du régime. Enfin, nous proposons d’aller plus vite que vous sur le retour au droit commun des régimes spéciaux, que nous souhaitons atteindre en quinze ans alors que vous visez plutôt une durée de vingt-cinq à trente ans.

Je viens de vous décrire notre projet en quelques mots, ce que vous êtes incapables de faire.

M. Adrien Quatennens. Je veux répondre à notre collègue Woerth, qui a invité le président Mélenchon à envisager avec le plus grand sérieux ce que dit le COR sur le déficit potentiel prévu à l’horizon 2025. S’il ne s’agit pas de mettre de côté un déficit qui serait compris entre 8 milliards d’euros et 17 milliards d’euros, il convient de le relativiser, ne serait-ce qu’au regard de ce que représente l’ensemble du système de retraite, à savoir 330 milliards d’euros. Il ne faut pas non plus oublier d’indiquer l’origine de ce déficit qui, vous le savez comme nous, est une construction politique, puisqu’il résulte du gel du salaire des fonctionnaires, mais aussi des multiples exonérations sociales, dont l’inefficacité en matière d’emploi trouve ici sa confirmation. Les Français découvrent en effet que quand Emmanuel Macron leur annonce qu’il baisse leurs charges, il leur fait en réalité un cadeau empoisonné, puisqu’il s’agit en réalité de diminuer leurs cotisations, donc potentiellement les remboursements de l’assurance santé qu’ils pourraient percevoir ultérieurement – ou les retraites, puisque c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui.

Puisque ce déficit est une construction politique, il ne doit pas nous inquiéter outre mesure, puisqu’il y a de l’argent qui pourrait servir à le combler. Vous n’êtes pas sans savoir que, tous régimes confondus, le montant des réserves s’élève à 127 milliards d’euros et qu’il y a 42 milliards d’euros d’encours bancaires pour un régime spécial dont on ne parle jamais, celui des retraites chapeaux. Je pourrais vous donner bien d’autres exemples : ainsi a-t-on appris récemment qu’en 2019, les actionnaires du CAC40 avaient perçu 60 milliards d’euros de dividendes.

Je constate, chers collègues du groupe Les Républicains, que vos préconisations comprennent un point d’accord central avec la majorité. Une fois retiré tout le verbiage qui peut entourer cette réforme de la retraite, il ne reste finalement qu’une mesure d’âge. Faire bosser les gens plus longtemps, voilà la grande affaire, la préoccupation essentielle de ceux qui refusent le partage des richesses, alors que ce principe nous paraît essentiel en matière de retraite.

M. Sébastien Jumel. Il est intéressant de voir ce débat s’ouvrir par l’examen d’amendements de la droite, mais nous espérons tout de même que cela ne va pas faire de notre débat une sorte de prolongation du congrès interne à la droite sur la meilleure façon de placer le curseur pour casser notre système de retraite... En fin de compte, ce qui pourrait vous mettre d’accord, ce sont les déclarations des dirigeants du MEDEF faites la semaine dernière devant notre commission spéciale, avec un président de l’organisation patronale qui affirmait être prêt à discuter de tout, mais surtout de la manière dont on va pouvoir mettre à contribution les salariés pour financer votre mauvais projet.

En fait, ce n’est pas un débat technique que nous allons avoir dans les jours qui viennent, mais un débat portant sur le projet de société que nous voulons voir mis en œuvre. Les amendements de la droite d’opposition comme ceux de la droite gouvernementale visent à l’instauration d’un régime qui n’est ni universel, ni juste, ni solidaire, puisque ces amendements ne prennent pas en compte les écarts importants d’espérance de vie entre les salariés en fonction de leur profession, ni ceux qu’on constate entre les cadres et les ouvriers.

Pour notre part, c’est de ça que nous allons vous parler, et pas de l’endroit où il faut placer le curseur pour flinguer plus vite le système de répartition qui fait le socle de notre protection sociale à la française. Vous pouvez compter sur nous pour opposer à votre projet libéral un autre projet de société !

Enfin, je vous dirai, aux uns et aux autres, que c’est l’austérité qui a creusé le déficit. Le COR nous dit que les politiques d’austérité, appliquées notamment aux fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale, expliquent en grande partie le déficit que vous invoquez pour justifier votre mauvais projet. Ces politiques d’austérité, vous les avez menées sans discontinuer depuis que vous êtes au pouvoir, et c’est ce qu’il est de notre devoir de corriger en défendant des propositions alternatives.

Mme Valérie Rabault. Si vous vous appuyez sur une comparaison des systèmes de 2003 et de 2010 pour défendre votre amendement, monsieur Woerth, cet amendement est une proposition inédite car, pour la première fois, le malus repose sur un report de l’âge de la retraite, et non de la durée de cotisation. Dans un système basé sur la durée de cotisation, on peut estimer qu’un ouvrier ayant cotisé suffisamment longtemps va pouvoir partir en retraite. Avec votre système, une personne ayant commencé à travailler à vingt ans va devoir travailler trois ou quatre ans de plus que quelqu’un qui aurait fait des études et aurait commencé à travailler à 24 ou 25 ans, en pouvant espérer exercer un métier mieux rémunéré. Sur ce point, vous êtes en train de franchir le Rubicon, en proposant de faire reposer tout le système sur le report de l’âge réel de départ à la retraite.

Le point que vous mentionnez et qui nous pose problème, monsieur Woerth, c’est celui du fameux régime transitoire. J’aimerais que le Gouvernement et les rapporteurs puissent nous éclairer sur ce point, car nous n’avons obtenu aucune réponse au cours des auditions : pouvez-vous nous dire si tous les Français, qu’ils soient nés avant ou après 1975, vont être concernés par ce régime transitoire, et si, dès le 1er janvier 2022, ils vont voir à la fois l’assiette et le taux de leurs cotisations évoluer, alors même que vous ne leur avez pas expliqué pourquoi et comment cela se ferait ? Si vous-même et le rapporteur ne nous donnez pas de réponse précise sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, vous conviendrez que vous vous apprêtez à entraîner la France vers une destination inconnue et extrêmement dangereuse.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est une situation intéressante que celle consistant à discuter du projet de la droite avant que d’aborder celui du Gouvernement, mais pourquoi pas...

M. Woerth m’invite à faire preuve de sérieux dans l’évaluation de la situation. Je m’en étonne venant de la part d’un président de la commission des finances qui semble se satisfaire d’une évaluation de déficit comprise entre 8 milliards d’euros et 17 milliards d’euros, c’est-à-dire d’une évaluation allant du simple au double : est-ce là une attitude sérieuse ?

Au demeurant, j’ai donné la clef du problème : pour combler le déficit, il suffit de répartir différemment la plus-value – cela ne change strictement rien à la production, seul le partage diffère. Je le répète, 1 % d’augmentation de salaire représente 2,5 milliards d’euros d’augmentation des cotisations, à taux de cotisation constant. Autrement dit, pour 3,2 % d’augmentation de salaire, il n’y a plus de trou... J’estime que mon calcul est sérieux et qu’il mérite mieux qu’une remarque acerbe.

Mais ce n’est pas tout, car voici que la droite nous propose d’évaluer des critères de pénibilité universels. C’est pour le moins surprenant quand on se souvient qu’elle a voté la suppression des critères de pénibilité dans la loi que le Gouvernement a présenté en début de législature... Quant à définir des critères de pénibilité universels, l’ancien ministre de l’enseignement professionnel que je suis vous dit que vous chercherez en vain un critère de pénibilité commun à un ouvrier couvreur, qui travaille sur les toits, et un comptable.

Je suis au regret de vous dire que votre idée consistant à faire progressivement absorber les régimes spéciaux par le régime général ne vaut pas mieux que celle d’une pénibilité universelle, puisque cela revient à dire que ce qui justifie l’existence des régimes spéciaux aurait disparu. Voulez-vous nous dire que vous avez l’intention de supprimer les conditions particulières qui font qu’un égoutier meurt en moyenne dix-sept ans avant un autre ouvrier ? Si tel est le cas, c’est remarquable, mais vous devez savoir que cela va nécessiter un budget d’équipements publics qui ne correspond ni à ce que prévoyez habituellement, ni à ce que vous proposez aujourd’hui dans le cadre du budget général de l’État, monsieur le président de la commission des finances.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je veux d’abord dire à Mme Rabault que la conférence relative à l’équilibre et au financement de notre système de retraite disposera de plusieurs mois de travail pour trouver des solutions. Je veux également la rassurer sur le fait que, contrairement à ce qu’elle a affirmé, il n’est pas prévu de faire évoluer les cotisations en 2022. Je rappelle que le système universel de retraite s’ouvrira en 2022 aux générations à partir de 2004, sur la base du niveau actuel de cotisation.

Si le texte de loi prévoit une évolution, c’est celle de la révision du niveau de l’assiette de la cotisation sociale généralisée (CSG), qui profitera surtout aux professions libérales à partir de 2022.

M. Boris Vallaud. Je souhaite tout de même que le ministre précise sa réponse : le déficit constaté par le COR vaut-il bien pour toutes les générations, y compris celles d’avant 1975 ? Par ailleurs, la conférence de financement a-t-elle bien vocation à trouver les modalités de financement de ce déficit-là ?

M. Éric Woerth. Notre projet est très différent de celui présenté par le Gouvernement, même s’ils se recoupent partiellement et portent un diagnostic commun sur certains points, ce dont je me félicite.

Le premier point sur lequel notre projet se distingue du vôtre, c’est qu’il est très clair, alors que le projet que vous présentez aux Français est incompréhensible. Le deuxième, c’est que notre projet est financé, alors que le texte que vous nous soumettez est incomplet : prévoyant une réforme qui va coûter très cher, il ne consiste cependant qu’en une réforme organisationnelle, sans mesures financières, ce qui ne s’était jamais vu ! La troisième différence entre nos deux projets, c’est que le nôtre est plus juste, car il laisse certaines professions s’organiser comme elles le souhaitent, à partir du moment où elles n’utilisent pas d’argent public.

Enfin, pour ce qui est de la pénibilité, il n’y a aucune contradiction dans notre proposition. Premièrement, les amendements que vous avez cités sont proposés par des députés à titre personnel et non des amendements émanant de notre groupe. Deuxièmement, je considère que ce qu’il faut viser, c’est l’incapacité : les trois critères auxquels vous faites référence ne sont pas intégrés dans le compte pénibilité, mais dans l’incapacité. Nous considérons que le compte pénibilité doit être essentiellement consacré à financer la transformation professionnelle, en d’autres termes que l’exposition à des facteurs de pénibilité doit donner lieu à un supplément de formation professionnelle par rapport aux autres travailleurs, afin d’être en mesure d’accéder à d’autres métiers, ce qui est bien plus juste.

Quant à la pénibilité statutaire, attachée à certains métiers, elle est profondément injuste, car elle n’intègre rien. Ainsi, elle ne permet pas de prendre en compte le fait qu’un salarié ait 3 heures de transport par jour pour se rendre sur son lieu de travail, alors même qu’on incite beaucoup aujourd’hui à la mobilité professionnelle, ce qui pourrait nous conduire à engager une réflexion sur l’intégration des questions de mobilité et de trajet – selon qu’on vit au Nord ou au Sud, un salarié n’est pas soumis aux mêmes conditions de vie au quotidien. À un moment donné, on finit par se heurter à une impossibilité de déterminer de façon juste ce qui est pénible et ce qui ne l’est pas. J’estime que ce qui peut répondre à cette difficulté, c’est le recours à la notion d’incapacité, c’est-à-dire le fait d’être usé physiquement par un métier et par l’exposition à certains critères.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques n° 22392 de Mme Clémentine Autain, n° 22395 de M. Alexis Corbière, n° 22397 de M. Bastien Lachaud, n° 22399 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 22403 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Si nous avions pu amender l’exposé des motifs de ce projet de loi, nous l’aurions fait, car il présente une dimension absolument orwellienne. Nos premiers amendements, les amendements identiques n°s 22392 et suivants, consisteront à modifier l’intitulé du titre Ier, actuellement ainsi rédigé : « Les principes du système universel de retraite ». Lesdits principes n’ayant en effet rien d’universel, nous proposons que le titre Ier soit intitulé de la manière suivante : « Les principes d’un système de retraite individualisé ».

Comme l’a très bien dit le Conseil d’État, « le projet de loi ne crée pas un "régime universel de retraite" [...] À l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes [...] ».

Plus fondamentalement, c’est le mécanisme de solidarité qui est atteint par l’instauration d’un régime de points. En effet, le projet gouvernemental va individualiser la retraite en faisant en sorte que chacun perçoive une pension adaptée au plus juste de ce qu’il aura cotisé, ce qui est très éloigné du système imaginé par ceux qui ont créé le régime de retraite universel.

On peut se demander pourquoi il est ainsi décidé de basculer dans l’ère du « chacun pour soi ». La première raison, c’est sans doute le souhait du Gouvernement de faire de la France le bon élève de la règle d’or et de l’austérité budgétaire, ce qui se traduit par une mentalité très contrainte : on n’imagine jamais d’avancer du côté des recettes, la seule solution envisagée consistant à diminuer ce qui est partagé au sein de la société. La seconde, bien sûr, c’est la volonté d’ouvrir la voie aux fonds de pension et autres formes de retraite privée, ce qui est d’ailleurs prévu et encouragé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») que vous avez imposée il y a quelques mois. Même les hauts cadres sont encouragés à faire sécession, puisque pour ceux percevant des revenus à partir de 10 131 euros bruts par mois, la cotisation va tomber de 28 % à 2,8 %, sans ouvrir de droits.

Puisque nous y sommes, appelons un chat un chat, et donnons à votre projet le titre qu’il mérite, celui d’un « système de retraite individualisé ».

M. Alexis Corbière. Clémentine Autain a exposé très clairement l’objet de cette série d’amendements identiques dont fait partie l’amendement n° 22395 que je défends. Effectivement, il y a tromperie sur la marchandise dès le titre de ce projet de loi, et nous estimons qu’il convient d’y mettre plus de sincérité en adoptant un autre intitulé, comme nous le proposons.

Ne mentons pas aux Français ! La formulation que nous proposons a le mérite de dire les choses telles qu’elles sont, afin que chacun puisse se faire une opinion.

M. Bastien Lachaud. Pour défendre l’amendement n° 22397, je vais vous citer un autre extrait de l’avis du Conseil d’État, déjà évoqué par Mme Autain : « Toutefois, le projet de loi ne crée pas un "régime universel de retraite" [...]. Est bien créé un "système universel" par points applicable à l’ensemble des affiliés [...] mais à l’intérieur de ce "système" existent cinq "régimes" [...]. À l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes [...]. »

Le Conseil d’État le dit clairement, le système que vous nous proposez n’est pas un système universel. Dès lors, conserver l’expression « système universel » pour désigner ce système dans l’intitulé du titre Ier est un mensonge qu’il convient de corriger.

Je sais très bien que vous vous moquez complètement de l’avis du Conseil d’État, mais celui-ci dit tout de même que l’étude d’impact de mille pages que vous avez produite est truquée, tout comme le titre Ier du projet de loi ! Il convient de corriger ces erreurs dès le début, car elles ont d’importantes conséquences. Ainsi, pour ce qui est des hauts cadres évoqués par Mme Autain, dont le taux de cotisation va passer de 28 % à 2,81 % à partir d’un revenu de 10 131 euros bruts par mois, il faut souligner que cela va nécessiter de compenser 7 milliards d’euros non cotisés. Pour cela, les hauts cadres concernés vont être invités à investir dans les fonds de pension que la loi « PACTE » a justement exonérés d’impôt à hauteur de 1,1 milliard d’euros – une somme qui va, elle, devoir être répartie sur l’ensemble des contribuables. En conclusion, ce que vous voulez faire avec ce régime qui n’a rien d’universel, c’est faire payer les plus pauvres pour les retraites des plus riches.

M. Jean-Luc Mélenchon. Quoi que vous pensiez de nos arguments, vous devriez convenir qu’il y a un devoir de sincérité dans l’énoncé de la loi. Ne trouvez‑vous pas qu’il y a quelque chose d’anormal à écrire « système universel de retraite », alors que vous savez aussi bien que nous que ce système n’est pas universel ? Comme mes collègues l’ont exposé précédemment, ce système ne s’applique pas à tout le monde puisque des régimes spéciaux et des caisses spéciales sont maintenus, puisqu’une partie de la population s’en trouve exclue – je veux parler des cadres dont les revenus sont situés au-delà de trois fois le plafond de la sécurité sociale –, ce qui nous vaut une situation assez cocasse. Le MEDEF vient en effet nous expliquer que c’est certainement l’idée la plus lamentable de ce projet, puisque les hauts cadres concernés, qui sont en compétition au niveau international, vont se tourner vers leurs employeurs pour leur demander de prendre en charge les cotisations qu’ils vont devoir verser à des fonds de pension pour essayer de maintenir le niveau de revenu qui était le leur précédemment.

Enfin, à partir du moment où, d’une part, vous prévoyez un blocage d’une fraction de la richesse de la nation produite chaque année, affectée aux retraites, et, d’autre part, vous répartissez les points entre ceux demandant la liquidation de leurs droits, vous créez un régime spécial par génération, où chacun aura intérêt à voir périr ses semblables le plus tôt possible, afin que le point vaille le plus cher possible dans la répartition.

Quoi que vous pensiez de nos arguments, je vous demande de retirer le mot « universel » de l’intitulé du titre Ier, car il n’y a pas sa place : tel est l’objet l’amendement n° 22399. Je vous rappelle qu’au départ, vous disiez tout le temps que pour un euro cotisé, il y aurait les mêmes droits : vous l’avez dit et répété sur tous les tons. Or, ce n’est pas vrai : pour un euro cotisé, quelqu’un de la génération X n’aura pas la même valeur de point que celui de la génération Y, selon que ses revenus sont situés au-delà ou en deçà de trois fois le plafond de la sécurité sociale.

M. Adrien Quatennens. Comme chacun l’aura compris en écoutant mes collègues défendre cette série d’amendements, il s’agit pour nous de plaider pour la cohérence entre le contenu du texte et ce qu’il prétend être, en l’occurrence son titre. Nous sommes maintenant habitués, depuis deux ans et demi, à ce que la majorité ait toujours soin d’habiller ses lois les plus antisociales d’un emballage très alléchant.

Ainsi, lors de l’un des premiers débats que nous ayons eus en début de législature, le texte qui nous était soumis, portant sur le code du travail, n’était pas intitulé « Détruire le code du travail », comme il aurait logiquement dû l’être, mais « Libérer les énergies » – étrangement, le rapporteur de ce texte était Laurent Pietraszewski, aujourd’hui secrétaire d’État chargé des retraites... L’objet de ce texte était de casser une règle commune s’appliquant à tous, à savoir le code du travail, pour la remplacer par une multitude de régimes spéciaux – autant qu’il existe d’entreprises – dans le cadre d’une négociation effectuée au sein de chaque entreprise. Je considère donc que vous avez été très mal inspirés de parler de « système universel » pour désigner le système de retraite que vous voulez mettre en place, votre acte fondateur n’ayant pas permis de vérifier cette intention.

Surtout, il est désormais avéré que votre projet de loi ne prévoit rien d’universel. Le Conseil d’État parle de cinq régimes, sans compter les nombreuses dérogations, mais au-delà, votre projet va avoir pour effet d’appliquer autant de régimes différents qu’il y a de générations, ni plus ni moins.

Emmanuel Macron pourrait faire preuve de cohérence et d’honnêteté en assumant son projet, c’est-à-dire en reconnaissant qu’il ne souhaite pas qu’une part plus importante de la richesse nationale soit consacrée aux retraites, ce qui nécessite que les Français travaillent toujours plus longtemps. Ainsi, vous n’auriez plus besoin de vous cacher, de truquer les études d’impact et de tromper le Parlement pour imposer un projet ne correspondant pas à vos intentions déclarées. À moins que vous ne soyez vous aussi induits en erreur par les éléments de langage du Président de la République, l’intention de la majorité n’a jamais été d’instaurer un régime universel de retraite. Pour notre part, nous savons très bien que ce n’est qu’une histoire à dormir debout, et que votre véritable intention est de faire travailler les Français plus longtemps.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vais faire une réponse de principe, au risque d’être un peu long – je serai plus concis par la suite.

S’agissant du seul titre Ier, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, le groupe La France insoumise a déposé environ 4 640 amendements, ou plutôt 270 amendements différents, répétés dix-sept fois. Je ne sais pas si c’est le stigmate d’une méthode éducative qui était autrefois largement répandue et dont je doute de l’efficacité... Je précise que je ne mets pas en cause la liberté d’amender : mon intention est, au contraire, de permettre le débat.

Je ne pourrai pas donner un avis favorable, pour trois raisons.

D’abord, votre opposition de principe à tous les paramètres du futur système ne pourra conduire qu’à le vider de sa substance.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est le but !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je n’y suis évidemment pas favorable.

Ensuite, vous ne souhaitez même pas sauver, dans ce texte, des dispositions dont le caractère favorable est unanimement reconnu. Je pense aux principes de solidarité et d’équité, que vous demandez de supprimer à l’article 1er, mais aussi à des avancées telles que la retraite minimale de 1 000 euros, pour une carrière complète, et l’attribution de points aux aidants. Êtes-vous sincèrement contre ces dispositions ?

Enfin, la vague d’amendements que vous avez déposés aura malheureusement des effets de bord : cela conduira à noyer le débat de fond que nous pourrions avoir au sein de cette commission. C’est d’autant plus regrettable que plusieurs groupes parlementaires, appartenant à l’opposition, sont à l’origine d’initiatives intéressantes. Je les salue d’autant plus volontiers que les délais étaient courts.

Je me contenterai d’indiquer, lorsque nous aborderons les amendements suivants, que mon avis est défavorable, pour les raisons que je viens d’indiquer.

M. Olivier Véran. Nous avons déjà consacré 10 minutes à la question de savoir comment il fallait rédiger précisément le titre Ier – changer son intitulé aurait naturellement un impact phénoménal pour l’ensemble des Français...

Je voudrais souligner en quoi nous allons passer d’un système qui est encore assez individualisé à un système universel. J’ai aujourd’hui 39 ans : j’ai cotisé à quatre régimes de retraite distincts – j’ai été tour à tour aide-soignant dans le public et le privé, médecin hospitalier et parlementaire, et j’ai également travaillé dans une mairie et dans le secteur du commerce. J’ai de grandes difficultés à savoir précisément où j’ai cotisé et quelles sont les règles applicables. Un jeune ayant le même parcours que moi aura demain la certitude que chaque heure de travail effectuée lui rapportera des points pour sa retraite – je peux vous dire qu’un paquet de semaines pendant lesquelles j’ai travaillé ne vont compter pour rien dans mon cas – et que les règles de calcul seront les mêmes. Cela donnera droit à des points, selon un système extrêmement lisible. J’ai du mal à comprendre pourquoi vous pensez que nous allons passer d’un système universel à un système individualisé. Pour moi, c’est précisément le contraire.

Néanmoins, je vous donne raison sur un aspect : nous n’allons pas créer un régime uniforme. Au cours de mes études, j’ai été aide-soignant de nuit, pendant près de trois ans, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je m’y suis brisé les reins, comme beaucoup de mes collègues, en faisant des toilettes et en amenant des personnes aux WC. Je serais très content qu’il n’y ait pas un traitement uniforme pour ces périodes de travail, qu’elles puissent rapporter davantage en matière de retraite – et qu’elles permettent d’anticiper le départ – que le travail que j’ai pu faire en mairie – c’était passionnant et important pour la collectivité, mais moins fatigant pour le dos et pour le moral. Nous ne prônons pas un système uniforme, mais universel, au sens où les règles seront les mêmes pour tous. J’aimerais avoir 20 ans et pouvoir cotiser dans tous les jobs que j’ai eus – je pourrais partir à la retraite bien plus tôt et dans de meilleures conditions.

Mme Valérie Rabault. Je voudrais vous soumettre un cas pratique, monsieur le secrétaire d’État. Prenons des jumeaux, dont un est né le 31 décembre 2004 et l’autre le 1er janvier 2005. Pouvez-vous nous confirmer que, même s’ils ont exercé le même emploi pendant la même durée, ils n’auront pas le même montant de retraite ? C’est une question très précise, qui rejoint ce que le président Mélenchon vient de dire : le niveau de la retraite dépendra de la génération concernée, et ce n’est donc pas un système universel.

Puisque vous avez sous-entendu, tout à l’heure, que tous les Français ne seraient pas concernés par le régime de transition, je voudrais rappeler ce qui est écrit à la page 382 de l’étude d’impact. « Les taux et assiettes de cotisations du système universel de retraite entreront en vigueur pour l’ensemble des assurés au 1er janvier 2025. Bien que les assurés nés avant le 1er janvier 1975 ne soient pas concernés par le système universel de retraite, ils seront redevables du même niveau de cotisations que les salariés qui en relèvent. En effet, afin d’éviter une distorsion du coût du travail entre générations, les cotisations doivent être fixées au même niveau pour l’ensemble des assurés. ». Cela signifie, si l’on exprime avec des phrases du type « sujet, verbe, complément » que tous les Français, même ceux nés avant 1975, seront concernés par votre réforme, par l’intermédiaire du régime transitoire, et que le taux et l’assiette de leurs cotisations seront modifiés en 2025
– je me suis trompée tout à l’heure, la date n’est pas 2022. J’aimerais que vous nous répondiez très précisément, monsieur le secrétaire d’État, afin d’éclairer les Français : même ceux qui sont nés avant 1975 seront-ils concernés par votre réforme ?

M. Adrien Quatennens. Je voudrais répondre à l’interpellation de M. le rapporteur, qui a parlé, à propos des nombreux amendements déposés par La France insoumise, d’une opposition de principe. Supportez que notre opposition ne soit pas de principe, mais politiquement motivée.

D’abord, il ne vous a pas échappé, sauf si vous ne regardez vraiment rien de ce qui se passe à l’extérieur de notre belle institution, que le pays est en ébullition depuis près de soixante jours contre votre projet de loi, que 61 % des Français y sont opposés et que ce texte contredit les engagements du Président de la République. Dois-je rappeler ce qui était écrit clairement, noir sur blanc, dans le programme d’Emmanuel Macron ? « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions ». Vous allez – nos débats vont le montrer – toucher à ces deux éléments : vous comptez modifier le niveau des pensions et pousser les gens à travailler effectivement plus longtemps. Ce n’est donc pas à nous qu’il faut donner des leçons de cohérence. Vous verrez que nos nombreux amendements vont nous offrir – j’en prends l’engagement devant vous – l’occasion d’avoir des débats tout à fait riches et passionnants, qui seront éclairants pour notre assemblée et pour le pays tout entier.

Vous nous dites que nous ne prenons pas en considération les quelques dispositions favorables du texte : vous admettez donc que tout le reste est potentiellement non favorable... Vous nous demandez d’accepter l’idée que l’on va doter d’une gourde les Français que vous envoyez dans le désert.

Nous disons les choses clairement, pour notre part : notre objectif est d’obtenir ce qui est demandé dans le pays, à savoir le retrait de ce texte. Notre démarche est cohérente avec la mobilisation d’une majorité de Français pour le retrait de cette réforme.

M. Véran a mis l’accent sur la lisibilité. Je comprends qu’il ait du mal – on pourrait étudier son cas particulier, pour lui rendre la vie plus facile, s’il le souhaite – mais la lisibilité va se payer très cher dans cette affaire. Les Français devront travailler toujours plus longtemps. La réalité est claire : vous allez diminuer le niveau des pensions, puisque, à un âge donné, il faudra travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension qu’auparavant. Je ne crois pas que les Français aient envie de travailler plus longtemps au nom de la lisibilité – c’est l’alibi que vous utilisez !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je pense qu’on pourrait veiller, lorsqu’on prend la parole, à ne pas porter un jugement. Il s’agit simplement de présenter des amendements ou de donner des réponses en ce qui les concerne.

M. Régis Juanico. Il est important que l’intitulé du titre Ier reflète bien la réalité. Le Conseil d’État a été très clair : le système « universel » que vous prônez n’a rien d’universel. Il comporte cinq régimes différents et beaucoup de dérogations. On sait – car c’était l’actualité au cours de ces dernières semaines – qu’un certain nombre de catégories actives de fonctionnaires – les policiers, les sapeurs-pompiers, les gendarmes, les agents des services pénitentiaires et le personnel soignant – ainsi que d’autres catégories, notamment le personnel navigant et les routiers, vont bénéficier de dérogations à votre système universel.

Il est important de bien nommer les choses. Vous dites que vous allez supprimer l’ensemble des régimes spéciaux, mais c’est un mensonge. J’ai eu l’occasion d’interpeller Jean-Paul Delevoye, quand il était encore haut-commissaire aux retraites, sur la question du régime spécial des mineurs de fond, qui représente un des 9 milliards d’euros dont vous voulez la suppression. J’ai demandé à Jean‑Paul Delevoye si ce régime spécial, qui a été créé en 1946 et qui relève du droit à la réparation pour les anciens mineurs et les veuves, lesquelles touchent des petites pensions de réversion et vivent dans la précarité, allait être supprimé. Il m’a évidemment répondu que non, que la solidarité nationale continuerait à jouer pour payer les pensions des anciens mineurs et des veuves, à hauteur de 1 milliard d’euros. Ce régime spécial va perdurer. L’intitulé du titre Ier ne correspond donc pas à la réalité.

M. Éric Woerth. Il n’est pas question de voter en faveur de ces amendements. Ce qui est proposé n’est pas un système individualisé : il se veut universel – qu’il le soit ou non, c’est une autre question. L’individualisation serait la capitalisation – ce n’est pas le système par répartition dans lequel on se place.

L’universalité qui nous est proposée est inutilement large. Elle ne sert à rien sinon à rendre totalement illisible le système. Nous avons besoin d’un socle d’universalité et, ensuite, d’une prise en compte de la réalité des carrières. Il faut faire preuve d’un peu de bon sens : la retraite est le miroir de la carrière.

Si l’on veut éviter que ce soit totalement le cas, il faut instituer une retraite complètement sociale, une sorte de prestation sociale. Il existe déjà des mécanismes sociaux extrêmement forts dans le système actuel de retraite. Si on peut les compléter, tant mieux, mais l’universalité que vous défendez est totalement trouée – un peu de la même façon que l’impôt est troué par des niches fiscales. Ce que vous proposez n’a donc plus rien d’universel.

Vous dites que le système sera universel mais pas uniforme. Soyons honnêtes : si un Français comprend ce que cela veut dire dans son cas, il est vraiment très fort. Il y a un énorme problème de lisibilité dans cette réforme. Vous voulez embrasser à peu près tous les sujets, mais vous créez peu à peu des niches qui ressemblent, à peu de choses près, à celles qui existent aujourd’hui. Certaines personnes partiront à la retraite dans des conditions différentes : un euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits dans tous les cas.

Pour ce qui est de M. Véran, je suis persuadé qu’il y aura vraiment très peu de différence en ce qui concerne le niveau des pensions versées lorsqu’il prendra sa retraite – dans très longtemps, et ce sera probablement à l’âge de 67, 68 ou 69 ans.

Mme Clémentine Autain. Je voudrais prolonger ce qu’a dit Adrien Quatennens à propos de ce que vous appelez de l’obstruction. Nos amendements sont-ils techniques ? Lisez‑les : ils ont un caractère politique, et ils répondent, par leur nombre, à la situation actuelle.

Il existe un décalage entre ce qui se passe dans notre société – elle est en ébullition, en colère, contre la réforme que vous voulez imposer et que le Gouvernement veut faire passer en force – et le recours à la procédure accélérée, qui consiste à s’asseoir complètement sur la contestation sociale et à mépriser le travail du Parlement. Cette procédure réduit la durée de l’examen du texte – nous ne savons même pas si nous serons capables d’aller jusqu’au bout en commission avant la date prévue pour la séance publique.

Nous avons reçu, en tout, 70 articles de loi et une étude d’impact complètement truquée et faussée. Il a fallu avaler tout cela et amender en une semaine, week-end compris. On sait, par ailleurs, que c’est un texte à trous qui prévoit 29 ordonnances, réparties entre 23 articles. Ces ordonnances concernent des piliers, des points tout à fait structurants de cette transformation de notre système de retraite, comme l’a relevé le Conseil d’État.

Nous estimons que ce n’est ni sérieux, ni légitime, ni respectueux de la colère sociale. La majorité des Français expriment, d’enquête d’opinion en enquête d’opinion, leur rejet de ce projet. C’est pourquoi nous avons recours à une méthode inédite d’interpellation. Il s’agit de faire écho à ce qui se passe dans le pays réel, au-delà de l’hémicycle et du ronron assez étrange, très déphasé, que l’on entend ici.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai bien noté votre prudence, madame la présidente, à propos des appréciations portées sur les amendements, et je l’approuve.

Ce que nous faisons n’est pas de l’obstruction. C’est une réponse à une situation que nous n’avons pas choisie. Je veux parler – mes collègues l’ont dit à plusieurs reprises – de cette étude d’impact de mille pages, de ce projet de loi à trous et de la procédure accélérée. Il faut bien que nous jouions notre rôle, qui consiste à être les tribuns du peuple. Je ne dis pas que tout le monde est d’accord avec nous
– ce n’est pas la question –, mais il se trouve qu’une fraction non négligeable de notre peuple est prête à subir des souffrances considérables, qu’elle s’est imposées pendant cinquante jours de grève – des feuilles de paie de zéro euro à Noël et au mois de janvier. Quoi que vous pensiez, souvenez-vous de cette réalité et de ces souffrances. C’est cela que nous exprimons avec nos moyens, en tant que parlementaires. Le Parlement est un terrain d’insoumission comme un autre.

Le rapporteur a tort de croire que parler ne sert à rien. C’est souvent l’illusion technocratique de ceux qui pensent que la démocratie est un vain bavardage, qui prend du temps. Regardez l’évolution des points de vue qui a déjà eu lieu en à peine un quart d’heure. M. Woerth dit, comme nous, que ce régime n’est pas universel et qu’un euro cotisé ne donnera pas droit aux mêmes avantages pour tout le monde.

Reprenons-nous à notre compte l’équité ? Vous mésestimez, monsieur, un siècle et demi de querelles entre nous. Nous ne sommes pas des partisans de l’équité : nous voulons l’égalité, ce qui n’est pas du tout pareil. L’égalité signifie les mêmes droits pour ceux qui ont des besoins semblables.

En ce qui concerne la lisibilité, il n’existe aucun problème, hormis pour ceux qui considèrent les régimes spéciaux depuis la planète Mars. Il suffit de téléphoner à n’importe quel agent d’un régime de retraite, que l’on relève du secteur privé ou de l’IRCANTEC, et on vous explique en 10 minutes votre situation.

M. Pierre Dharréville. Le débat que nous avons n’est pas purement formel, puisqu’il s’agit de déterminer l’objectif poursuivi. Il est intéressant d’essayer de se mettre d’accord sur ce que nous lisons dans le texte – il y a manifestement une divergence d’analyse.

On voit bien que l’intitulé du titre Ier est un slogan, utilisé maintes fois, dans l’hémicycle et ailleurs, pour expliquer, à lui tout seul, le sens de la réforme que vous proposez. Nous contestons que ce projet soit universel. On ne peut pas le parer de cette belle vertu. En réalité, vous cherchez à disqualifier le régime existant et toute autre proposition, qui ne serait pas universelle, par définition, puisque la vôtre l’est... C’est une stratégie de marketing que vous ne devriez pas vous permettre d’utiliser dans le contexte du discrédit, important, qui pèse sur la parole gouvernementale et, plus largement, sur certaines paroles politiques.

Nous appelons à faire preuve de sincérité. Il a été démontré que ce régime de retraite n’est pas universel – il existera une multiplicité de régimes, en réalité –, que c’est une logique d’individualisation, visant à rendre chacun comptable de son propre sort, qui prévaut et qu’il n’y aura pas, au bout du compte, de retraite garantie – le système, si on essaie de préciser l’analyse, est universellement fluctuant.

À chaque fois qu’une objection a émergé fortement dans le débat public, vous avez fini par dire que vous la prenez en compte, mais sans le faire réellement – les mobilisations, d’ailleurs, n’ont pas cessé. L’affichage que vous avez fait pose un problème de fond : il y a un décalage avec le contenu du texte. Ces amendements, en fin de compte, visent à vous éviter de faire de la publicité mensongère.

La commission rejette les amendements.

Elle examine en discussion commune l’amendement n° 600 de M. JeanLouis Masson ainsi que les amendements identiques n° 20542 de M. Sébastien Jumel et n° 21544 de M. Pierre Dharréville.

M. Thibault Bazin. S’agissant toujours de l’intitulé du titre Ier, l’amendement n° 600 tend à parler non pas d’un système « universel de retraite » mais d’un système « de retraite par répartition et par points ». Le mot « universel » semble profondément inapproprié : cela ferait croire aux Français que le système s’applique à tous les cas. Prenons garde au décalage, que l’on observe souvent en cette période jupitérienne, entre la sémantique utilisée et la réalité. Il n’y aura pas un même régime pour tous – il est faux de le dire. Au sein des cinq régimes instaurés par ce projet de loi, tout le monde ne sera pas soumis aux mêmes règles. Nous proposons de définir le système d’une manière objective, en fonction de ses caractéristiques principales, et incontestables : ce sera un système de retraite par répartition et par points.

M. Sébastien Jumel. Quand on présente des budgets dans les collectivités, il faut veiller à ce qu’ils soient sincères, équilibrés et responsables. Votre projet n’est rien de tout cela.

Il est d’ailleurs rare, lorsque les libéraux proposent un mauvais projet, qu’ils disent aux Français qu’ils vont en prendre plein la trombine, qu’on va les enfumer et que ce sera finalement moins bien qu’avant. Il suffit de regarder les différents textes que vous avez fait adopter depuis le début de la législature pour voir à quel point vos éléments de langage ont toujours utilisé des mots volés. C’est aussi le cas avec cette réforme. Il est question de solidarité, de juste redistribution, d’équité, de simplicité, de lisibilité et d’universalité, mais ce sont des mots volés.

Nous avons déposé l’amendement n° 20542 dans une logique de cohérence et de sincérité. On connaissait déjà les « Playmobil ». On sait maintenant qu’il en existe sans cœur. (Protestations sur de nombreux bancs.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’ai demandé que l’on respecte tout le monde. Commencez par le faire à notre égard. Il n’y a pas de gens sans cœur ici.

M. Sébastien Jumel. J’ai le sentiment de respecter les familles endeuillées qui ont suivi un précédent débat. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cela suffit. C’est honteux !

M. Sébastien Jumel. Lorsque nous abordons ce texte inéquitable au sujet des retraites, je pense aux doigts broyés, aux visages abîmés, aux salariés des verreries qui n’ont pas la même espérance de vie que les banquiers chez Rothschild que vous représentez.

Notre amendement a pour objet d’annoncer la couleur tout de suite, dès l’intitulé du titre Ier. Vous êtes pris en flagrant d’insincérité.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais qu’on ne se méprenne pas sur l’objet de l’amendement n° 21544 : nous ne souhaitons évidemment pas poursuivre l’objectif indiqué. Nous voulons vous aider à préciser la vraie nature de la réforme que vous proposez. Votre projet n’est pas un système universel, mais il a provoqué un tollé qui prend cette dimension, car il concerne tout le pays. Des gens venant de divers horizons se mobilisent parce qu’ils ne veulent pas de la proposition qui est sur la table. Vous devriez les entendre.

J’ai eu l’occasion de dire que ce n’est pas un projet universel, mais « miniversel ». Aucune des promesses que vous avez faites – créer un système plus lisible, plus juste et plus sûr – n’est tenue. Il faut être clair : adoptons un intitulé conforme aux intentions de ce projet de loi et aux résultats auxquels il conduira.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous dites que ce projet n’est pas universel. Il serait même, selon M. Jumel, inéquitable. Nous n’allons pas philosopher à l’infini sur la question de l’universalité : la question est de savoir si un progrès notable va être réalisé ou non. Quand on voit qu’il y a, aujourd’hui, au moins quarante‑deux façons de calculer les retraites, que des jumelles ayant accouché bénéficient d’une majoration de huit ou de deux trimestres selon qu’elles travaillent dans le privé ou dans le public, que la prise en compte du chômage n’est pas la même selon les régimes, que la pension de réversion peut être calculée de treize manières différentes ou qu’on applique au salaire moyen un taux de 50 % dans le régime général et de 75 % dans la fonction publique – et on pourrait continuer longtemps la litanie des exemples –, on comprend que ce projet fera gagner beaucoup en universalité. Celle-ci ne sera peut-être pas parfaite – nous pourrons sans doute l’améliorer durant nos débats – mais l’objectif est de réaliser un très grand pas en avant dans ce domaine.

J’émets un avis défavorable aux amendements.

Mme Monique Limon. Je voudrais redire les choses simplement en ce qui concerne l’universalité. Les projets de loi que nous étudions visent bien à remplacer les quarante‑deux régimes de retraite actuels par un nouveau système s’appliquant à tous dans des conditions rénovées afin de corriger les nombreuses injustices qui existent. La fin progressive des régimes spéciaux, devenus synonyme d’inégalité et d’injustice, est actée par ces deux projets de loi qui proposent une réforme systémique, ambitieuse et conforme au programme présidentiel.

La création d’un système universel de retraite dans lequel chacun bénéficiera exactement des mêmes droits contribue à construire un modèle de protection sociale ancré dans le XXIe siècle. L’universalité du nouveau système rendra notre protection sociale plus durable et plus forte car elle cessera de dépendre, comme c’est le cas aujourd’hui, de la démographie des différentes professions. Parler d’universalité n’empêche pas, évidemment, de mener des réflexions sectorielles pour prendre en compte les spécificités de chacun, grâce à des aménagements adaptés.

Il est temps de clarifier et de stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes, en instituant, d’une manière effective, un système universel juste, transparent et fiable.

M. Alexis Corbière. Il existe un principe constitutionnel très important : il faut que les citoyens puissent comprendre la loi. Celle-ci doit être rédigée d’une manière compréhensible, sans chercher à abuser des Français. C’est l’enjeu du débat sur le titre Ier – il ne s’agit donc pas d’une question secondaire.

Il paraît acquis que ce système ne sera pas universel : tout le monde ne bénéficiera pas du même régime. Pourquoi, dès lors, mentir sur le nom ? Accepter un titre erroné entacherait l’ensemble des travaux qui vont suivre. Nous avons choisi d’être très méticuleux et nous avons déposé beaucoup d’amendements car les détails comptent. Nous sommes à un moment où on ne peut pas mentir aux Français. La manière dont ce débat est ordonné est un facteur de trouble.

Je voudrais également souligner, même si Mme Rabault n’appartient pas au même groupe que moi, que sa question, assez précise, n’a eu strictement aucune réponse pour le moment. Avouez que vous ne contribuez pas à la clarté de nos échanges. Cela en dit long sur la difficulté que vous éprouvez, peut-être, à justifier un texte injustifiable.

M. Boris Vallaud. L’amendement n° 600 semble apporter des précisions sur la réalité du texte, mais je dois dire que je suis un peu gêné par l’idée que la retraite par répartition serait maintenue en toutes choses.

Je vais vous donner un exemple simple, qui concerne la baisse du plafond
– il sera ramené de 8 à 3 PASS. Le principe de la répartition est que les actifs cotisent pour ceux qui sont inactifs. Du fait de la baisse du plafond, vous allez rendre aux futurs retraités entre 4 et 5 milliards d’euros de cotisations sociales chaque année, mais il va falloir, pendant la durée de la transition, que les actifs continuent à financer 3,7 milliards d’euros pour ceux qui ont cotisé jusqu’à 8 PASS dans l’ancien système. Il y aura donc une distorsion sur le plan de la répartition.

Le problème est qu’on ne dit pas la vérité. Beaucoup de débats sont interdits et le secrétaire d’État ne répond même pas à la question portant sur les générations antérieures à 1975. Nous devrions avoir des éléments à propos des personnes nées entre 1958 et 1975, mais rien ne figure dans l’étude d’impact. La réalité, s’agissant de la période de transition et de la résorption du déficit, est que les mesures d’ajustement vont peser prioritairement là et que cela va faire mal.

J’ai pensé au début, quand vous avez parlé d’un système plus juste, plus équitable et plus lisible, qu’il fallait faire preuve d’un peu de considération pour ce que vous proposez. La réalité objective, quand on compare ce que produira le système dans quelques années et les conditions dans lesquelles les Françaises et les Français partent aujourd’hui à la retraite, est qu’il faudra trois années de plus avant de partir à la retraite et qu’il y aura une baisse du taux de remplacement d’environ 30 %. La réalité, c’est que ce sera moins bien demain qu’aujourd’hui, mais vous ne le dites pas. C’est également vrai pour le minimum contributif : on se dit que 85 % du SMIC, finalement, ce n’est pas mal, sauf que ce sera à 64 ou à 65 ans, alors qu’aujourd’hui c’est 75 % à 62 ans. Et si on part à 62 ans, on perdra 15 % dans le système futur. Votre projet est plein de duperies.

Mme Catherine Fabre. Oui, le système que nous voulons créer est plus solidaire, plus équitable et plus juste, du point de vue des intentions et des résultats auxquels on aboutira. Les chiffres le démontrent clairement.

Prenons le niveau moyen des pensions avant et après la réforme, pour une génération donnée : après la réforme, les 25 % de retraités ayant les pensions les plus faibles verront le niveau de celles-ci augmenter de 30 %. L’écart entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches passera d’un facteur de 7 à un facteur de 5. C’est donc une réforme puissamment redistributive.

Prenons aussi le cas des femmes : est-il normal que leurs pensions soient plus faibles, de 42 %, que celles des hommes ? Nous proposons une compensation à 100 % des congés maternité, une majoration des pensions pour chaque enfant, dès le premier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et de nouveaux droits pour les aidants, qui sont majoritairement des femmes à l’heure actuelle. Là aussi, on peut parler d’égalité et de justice. Le bilan redistributif de notre réforme est très bon.

Je voudrais également évoquer le versement d’au moins 85 % du SMIC net en cas de carrière complète : c’est un réel avantage du futur système.

Vous avez parlé de personnes partant à la retraite trois ans plus tard ; pour ma part, je voudrais revenir sur les carrières heurtées – 15 % des Français et 20 % des femmes partent aujourd’hui à 67 ans parce qu’ils n’ont pas réussi à avoir des carrières complètes. Demain, ces personnes pourront partir trois ans plus tôt.

C’est le système actuel qui est inéquitable : il fait de la redistribution à l’envers. Notre réforme a pour but de corriger cette injustice. Le futur système sera très favorable à ceux qui touchent les pensions les plus faibles, vous le savez bien.

M. Gilles Carrez. Mme Fabre prend pour des paroles d’évangile quelques exemples bien choisi qui figurent dans l’étude d’impact. Celle-ci comporte des éléments financiers lacunaires, comme l’a souligné le Conseil d’État.

Il ne faut pas parler, et c’est ce qui justifie l’excellent amendement de notre collègue Jean-Louis Masson, d’un régime universel de retraite mais d’un système universel de retraite. Il y aura, à l’intérieur de ce système, au moins cinq régimes différents – celui des salariés et des indépendants, celui des fonctionnaires, des magistrats et des militaires, celui du personnel navigant aérien, celui des salariés agricoles, celui des indépendants agricoles et celui des marins.

Selon l’avis du Conseil d’État, il y aura aussi tout un ensemble de dérogations au sein de ces multiples régimes. Prenons les régimes spéciaux, qui feront l’objet de mesures temporaires – mais c’est du temporaire qui va durer des décennies. Le nouveau système s’appliquera pour les agents non pas nés à partir de 1975 mais de 1980 pour l’ensemble du personnel de la RATP et de la SNCF, et à partir de 1985 pour les conducteurs : le nouveau régime ne s’appliquera qu’à 2,5 % des conducteurs de RER en poste aujourd’hui. Il y a une multitude de situations différentes : il est donc abusif de parler d’universalité.

Mme Clémentine Autain. Je voudrais répondre au rapporteur, qui a dit qu’on n’allait pas philosopher pendant des heures. Je vous propose de regarder un cas très pratique qui montre que le système n’est pas universel et qu’il est en outre injuste ou, comme l’ont dit nos camarades communistes, inéquitable. Prenons une génération pour laquelle l’âge d’équilibre serait de 65 ans. Une ouvrière et une cadre travaillent, toutes les deux, quarante‑trois ans : l’ouvrière, ou l’ouvrier, commence à travailler plus tôt, à 20 ans – c’est propre à ce type de carrière –, et part à la retraite à 63 ans ; dans le système à points, compte tenu de l’âge d’équilibre, cette personne a deux ans de décote, ce qui signifie 10 % de pension en moins ; le ou la cadre, qui travaille aussi quarante‑trois ans, mais qui est plutôt entré sur le marché du travail vers 24 ans, parce qu’il ou elle a fait des études, aura donc, en partant à la retraite à 67 ans, une surcote de 10 %. Quand on regarde l’écart entre les ouvriers et les cadres en matière d’espérance de vie – il est de six ans – on voit bien l’injustice profonde du système que vous voulez créer.

Comme j’aime aussi la philosophie, permettez-moi de citer Barbara Stiegler. Elle a comparé le régime que vous proposez à un jeu vidéo : en effet, chacun devra gagner, dans les différents temps de son existence, des points de vie ou de survie et on ne pourra s’en prendre qu’à soi-même si le score est trop faible. Il y a un premier jeu, dans votre système de répartition, qui est lié à la dévaluation du point – on ne sait pas, quand on commence, quelle sera la valeur de rachat du point à la fin – mais il existe aussi une autre partie qui se joue sur le marché de la capitalisation et qui fera de tout rentier un acteur compétitif. Voilà votre système.

M. Thibault Bazin. Je suis déçu par la manière dont nos travaux débutent. Peut-on, monsieur le rapporteur, mesdames Fabre et Limon, sortir des éléments de langage, de la com, pour parler très sincèrement des amendements ? Je crois que nous sommes là dans ce but. J’ai défendu une rédaction à laquelle vous n’avez pas réagi. Peut-on travailler sur le fond ? Nous sommes ici, en tant que législateurs, pour choisir les bons mots. Ils doivent correspondre à ce que vous voulez faire. Puisqu’il n’y aura pas les mêmes droits pour tout le monde, le terme « universel » est inapproprié : il faut trouver autre chose. Je vous demande de réagir à la proposition que j’ai faite. Si le débat portait sur le fond des amendements et de la réforme, nous ne pourrions qu’y gagner.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je crois, s’agissant de la qualité des débats, qu’il faut bien se comprendre. J’ai vu tout à l’heure que vous réagissiez vivement aux propos de notre collègue Sébastien Jumel au sujet d’un vote assez désastreux qui concernait le deuil des enfants. Je vous comprends : personne n’a envie de se faire accuser d’inhumanité. Vous ne le souhaitez pas plus que d’autres. Vous devez entendre, néanmoins, que nous nous inscrivons dans une longue tradition lorsque nous nous exprimons. Nous nous identifions non à ceux qui vont le mieux mais à ceux qui vont le moins bien et à ceux qui sont les moins défendus. Nous parlons – c’est notre rapport avec le passé et le futur – en pensant aux 565 personnes qui meurent au travail tous les ans et aux professions dangereuses. La lutte de notre camp politique s’identifie à la volonté de faire diminuer le temps de travail dans la journée, la semaine, le mois, l’année et la vie.

Vous êtes une élue du Pas-de-Calais, madame la présidente. C’est dans ce département que la catastrophe de Courrières a eu lieu en 1906. Vous la connaissez, comme nous tous ici. Ceux qui avaient à gérer cette catastrophe furent soupçonnés d’avoir abandonné les travailleurs à leur triste sort et de ne pas avoir conduit les recherches assez longtemps. Ils n’étaient pas contents, eux non plus, qu’on les soupçonne. C’est de la colère et de la révolte nées à ce moment-là – il y a eu une série de grèves pendant les années 1906 et 1907 – que sont issus le ministère du travail et, en 1910, une loi sur les retraites, qui prétendait également être universelle. Elle a instauré un régime par capitalisation et tolérait l’existence de régimes particuliers. Le grand Jaurès et ses amis n’en voulurent qu’à condition que l’on étende bientôt les bénéfices du système, mais tout le monde était d’accord pour dire que cela ne valait rien. On a dû attendre la Libération pour qu’enfin, grâce aux ouvriers communistes et à la CGT, on puisse installer un régime par répartition...

M. Olivier Véran. Et un peu grâce à de Gaulle, aussi.

M. Jean-Luc Mélenchon. ...qui a d’abord été géré par les seuls ouvriers. Ne l’oubliez pas.

Je voudrais enfin souligner que le rapporteur ne tient aucun compte de nos propos. Nous disons qu’il n’y a pas quarante‑deux régimes spéciaux : il en existe vingt‑trois selon le COR et dix‑huit selon le ministère du travail. Pourquoi répéter les mêmes éléments de langage, alors que vous savez qu’ils sont faux ?

M. Pierre Dharréville. Je vois bien le piège du débat dans lequel nous nous engageons. On voudrait laisser penser qu’il y aurait, d’un côté, les défenseurs du statu quo et, de l’autre, les partisans d’un nouveau système mirifique, mirobolant ou miraculeux, qui réglerait tous les problèmes. Je crois que c’est un plus compliqué, et il faut que le débat ait lieu.

Vous accusez de tous les maux le système actuel. Je pense qu’il a permis des progrès sociaux immenses – il y a eu une déflagration sociale quand il a été mis en place : il a ouvert des horizons inattendus et même impensés. J’appelle à faire preuve d’un peu de mesure dans la manière dont on envisage les choses.

Le système actuel n’a pas été appliqué comme on l’avait souhaité, puis il a été largement affaibli par les réformes qui se sont succédé. Une partie de ce que vous dénoncez résulte de ces réformes, qui ont abîmé le droit à la retraite dans notre pays. Il existe bien d’autres façons d’y remédier : nous savons qu’il existe certaines insuffisances et nous défendons des propositions pour garantir de meilleurs droits en matière de retraite.

Les propositions que vous avez mises sur la table, de votre côté, ne correspondent pas à cette logique : contrairement à ce que j’ai entendu dire, il n’y a pas de progrès au rendez-vous. En ce qui concerne la pénibilité, vous jouez au bonneteau – c’est votre habitude – ou plutôt vous donnez d’une main et vous reprenez de l’autre. Il en est de même pour les chômeurs : où est l’amélioration à leur égard dans ce que vous proposez ? Il n’y en a pas. En ce qui concerne l’affaire des 67 ans, il suffit de supprimer la décote. Pourquoi ne le faites‑vous pas ? Vous dites que vous allez diminuer l’écart entre les pensions les plus basses et les plus hautes, mais c’est faux. Il n’y aura plus de prise en compte entre 3 et 8 PASS. Je vous mets en garde : le taux de remplacement est un élément central, mais il n’en est pas question dans votre projet. Vous fixez un objectif très ambitieux lorsque vous parlez d’universalité mais vous ne vous en donnez pas les moyens.

Mme Jeanine Dubié. Je voudrais revenir sur un point précis évoqué par notre collègue Catherine Fabre, concernant les droits familiaux. Elle a dit, comme le répètent les ministres, que le nouveau système serait plus avantageux pour les familles. Or je suis persuadée que cette information est erronée. Le système actuel reconnaît en effet deux dispositifs : à la fois une majoration de trimestres accordée dès le premier enfant – avec une durée différente que l’on travaille dans le privé ou dans le public, puisque la majoration est de huit trimestres par enfant dans le privé, contre quatre trimestres dans le public –, et une majoration de la pension de retraite à partir du troisième enfant. Vous proposez une majoration de la pension de retraite de 5 % par enfant, dès le premier enfant. Mais je ne suis pas du tout certaine que cette proposition soit favorable aux familles comptant trois enfants et plus ; cette question mérite d’être approfondie.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous répondiez à la question très importante posée par Clémentine Autain, à partir de l’exemple d’un ouvrier et d’un cadre. L’ouvrier commence à travailler à 20 ans, cotise quarante-trois ans, et pourrait donc prendre sa retraite à 63 ans mais l’âge d’équilibre étant fixé à 65 ans, il va subir une baisse de pension de 10 % du fait de la décote que vous avez instaurée sur l’âge réel de départ à la retraite. Le cadre, quant à lui, commence à travailler à 24 ans parce qu’il ou elle a fait des études ; au bout de quarante-trois ans de cotisation, il arrive à 67 ans, c’est‑à‑dire deux ans après l’âge d’équilibre, et va donc bénéficier d’une surcote de 10 % sur sa pension de retraite. Est-ce bien cela ? Vous pouvez répondre par oui ou par non. Mais si tel est bien le cas, comment pouvez-vous appeler cela une mesure de justice ?

La commission rejette successivement les amendements.

La commission examine les amendements identiques n° 22321 de Mme Clémentine Autain, n° 22326 de M. Bastien Lachaud, n° 22328 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 22332 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Il s’agit de rédiger ainsi l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier du projet de loi : « un système créant un régime de retraite par assuré, système souffrant lui-même de nombreuses exceptions ». L’amendement n° 22321 vise à la clarté et à l’intelligibilité de la loi. Nous estimons en effet que les intitulés choisis ne correspondent pas au contenu du projet de loi. Je sais bien qu’en Macronie, « la guerre, c’est la paix », mais il nous paraît juste de remettre à l’endroit ce que vous mettez systématiquement à l’envers.

M. Bastien Lachaud. L’amendement n° 22326 vise à réécrire l’intitulé du chapitre Ier. Nous substituons aux mots « un système universel commun à tous les assurés », les mots « un système créant un régime de retraite par assuré, système souffrant lui-même de nombreuses exceptions ». Je me réfère à l’avis du Conseil d’État – page 16, paragraphe 28 – qui « relève enfin que l’objectif selon lequel ‘‘chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous’’ reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi ». Il explique bien que ce système n’est pas commun à tous les assurés, puisque les droits ouverts ne seront pas les mêmes pour tous. En modifiant l’intitulé du chapitre, il s’agit donc de le clarifier et de le rendre plus compréhensible. Il faut rappeler ce que signifie la notion d’universalité : elle renvoie à ce qui est valable pour tout cas, sans aucune exception. Or force est de constater qu’à partir du moment où vous acceptez des exceptions – et vous le faites, que ce soit pour les pompiers, les gendarmes, les policiers ou les personnels navigants aériens –, vous avouez vous-mêmes que votre système n’est pas universel. Il faut donc que vous le transcriviez dans le texte.

M. Jean-Luc Mélenchon. Bien entendu, vous considérerez que c’est une bataille de mots ; mais quelle autre bataille peut-on mener ici ? Dans un Parlement, on parle, et dans un texte, il y a des mots. Nous demandons de la précision et de la sincérité dans les termes.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez répondu que ce système, quoique totalement individualisé – raison pour laquelle nous proposons de changer le titre du chapitre Ier –, comporte tout de même des aspects équitables ou égalitaires, et que nous devrions en convenir. Vous évoquiez une pension de retraite minimale de 1 000 euros garantie pour ceux ayant effectué une carrière complète ; naturellement, vous n’êtes pas en état de nous expliquer ce qu’est une retraite complète dans le cadre d’un système qui fonctionne par points. Mais admettons qu’un instant, on en accepte l’idée. Si j’interpellais tout à l’heure notre présidente en tant qu’élue du Pas-de-Calais, c’est parce que je voulais aborder la question des retraites en 1910 et vous faire remarquer, monsieur le rapporteur, quel progrès immense vous nous proposez. À cette époque, l’État garantissait – comme vous-même dites que vous le faites aujourd’hui – une pension de retraite minimale de 180 francs, comparable aux 1 000 euros de votre projet. Vous nous proposez ainsi de travailler treize ans de plus qu’en 1910 pour obtenir ces 1 000 euros. Comment croire dès lors que votre système soit équitable, et universel ? Il fonctionnera à la tête du client.

Je voudrais aussi dire un mot des cadres supérieurs – peut-être cela vous semblera‑t‑il étonnant de ma part. Si je m’intéresse à eux, c’est que le traitement qui leur est réservé a à voir avec la compétitivité de l’économie française. Sur la partie de leur rémunération supérieure à trois fois le montant du plafond annuel de la sécurité sociale, les cadres ne cotiseront plus en effet qu’au titre de leur participation à la solidarité nationale, à hauteur de 2,81 %. Pour compléter leur retraite, il leur faudra donc s’adresser à des fonds de pension. Cela signifie que leur contribution au bien commun sera supprimée – cela représente 7 milliards d’euros ; et qu’ils vont devoir dès maintenant – et non en 2025 – cotiser à des fonds de pension, dans des proportions qui vont entraîner une diminution considérable de leur participation à l’économie nationale. Par conséquent, ce régime à la tête du client – les cadres décideront chacun, tête par tête, du niveau de leur pension de retraite – n’est pas universel, mais absolument et totalement individualisé.

M. Adrien Quatennens. Chers collègues de la majorité, vous devriez éviter de systématiquement comparer le système actuel avec le système que vous voulez mettre en place. En procédant ainsi, vous espérez certainement nous convaincre ; mais nous ne sommes pas des partisans du système actuel, et nous considérons que compte tenu des trente années de réformes libérales qu’il a subies, il est déjà trop plein de trous et de coups de canif. De notre point de vue, les gens partent déjà trop tard et trop pauvres. Faisons donc l’économie de cette comparaison qui ne sert pas nos débats.

Surtout, l’amendement n° 22332 veut indiquer que si le projet de loi est adopté, il y aura au moins autant de régimes de retraite différents que de générations. Vous avez voulu faire peur aux Français en évoquant les quarante-deux régimes de retraite distincts que comporterait le système actuel, chiffre censé leur donner de l’urticaire. Mais je ne comprends toujours pas d’où vient ce chiffre – et M. le secrétaire d’État ne nous a fourni aucune réponse à ce sujet. Comme vous, je prends au sérieux les travaux du COR, qui n’en trouve que vingt‑trois ; quant au ministère des solidarités et de la santé, qui produit aussi des statistiques en la matière, il n’en dénombre que dix-huit. Sauf à considérer que M. Delevoye a ajouté autant de régimes qu’il a oublié de lignes dans sa déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, je ne vois toujours pas d’où viennent ces quarante-deux régimes. J’ai observé la manipulation effectuée concernant le régime de retraite complémentaire des salariés AGIRC-ARRCO. C’est un régime résultant de la fusion entre deux régimes préexistants, AGIRC et ARRCO ; or pour atteindre ce chiffre prétendument insupportable de quarante-deux, on l’a décloisonné et comptabilisé les deux – AGIRC et ARCO – séparément. Ces quarante-deux régimes viennent donc de nulle part, sinon des bouches d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe.

Vous n’avez toujours pas répondu à la question de nos collègues socialistes, s’agissant des Français nés avant 1975. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que l’objet de la conférence de financement du système de retraite, qui se tient actuellement, est strictement décorrélé de nos discussions sur le projet de loi ? Cette conférence n’a pour objet que de trouver les 12 milliards d’euros jugés nécessaires pour combler le déficit projeté par le COR d’ici à 2027, et permettant de financer les retraites de la génération née avant 1975, à qui ne s’appliquera pas le système de retraite par points. Pouvez‑vous le confirmer ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. S’agissant des quarante-deux régimes de retraite du système actuel, je vous invite à consulter le document établi sous la responsabilité du secrétariat de notre commission spéciale, qui vous a été transmis et qui expose à partir de la page 12 les quarante‑deux combinaisons possibles d’affiliation en matière de retraite, en tenant compte du régime de base et du régime complémentaire – il ne sépare pas AGIRC et ARRCO.

Ensuite, M. Quatennens, vous nous reprochez de faire une comparaison entre notre projet et le système actuellement en place ; c’est pourtant le principe même de l’action politique que d’établir un constat sur une situation donnée – ce que le Gouvernement et le haut-commissaire aux retraites ont fait, en analysant les défauts et les manquements du système actuel et en essayant d’apporter une réponse qui vienne corriger ces défauts.

Nous posons les fondations d’un système universel commun à tous les assurés ; nous ne modifierons donc pas le titre du chapitre Ier, et notre avis sur les amendements est défavorable.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, je veux profiter de votre présence et vous aider à sortir de votre embarras. Vous avez du mal à répondre à la question posée portant sur l’exemple de jumeaux ; je vous propose d’y répondre en prenant l’exemple de jumelles – même si, qu’il s’agisse de garçons ou de filles, le raisonnement est le même. Ces deux jumelles ont été séparées de leurs parents à la naissance. L’une d’entre elles vit dans le luxe, le calme et la volupté, ses parents d’adoption ont les moyens de l’élever et de la nourrir, et de financer ses études ; elle accomplit pendant quarante-trois ans une carrière de cadre supérieur chez Rothschild. L’autre jumelle a moins de chance : elle vit au fin fond de la vallée de la Bresle, et les revenus de ses parents ne lui permettent pas d’être logée convenablement – je le précise car l’espérance de vie en bonne santé n’est pas seulement liée au métier exercé, mais aussi aux conditions de vie endurées dès la naissance ; elle effectuera une carrière hachée, faite de petits boulots précaires mais, parce qu’elle est courageuse, elle aura elle aussi, malgré tout, travaillé quarante-trois ans. Est-ce qu’avec le mauvais projet que vous proposez, ces deux jumelles, qui auront été traitées de manière universelle, bénéficieront équitablement des mêmes droits à la retraite, sans décote et sans surcote ? La question est simple, monsieur le secrétaire d’État, et il vaut mieux y répondre maintenant plutôt qu’attendre la fin de nos débats.

M. Éric Woerth. Nous nous opposerons à ces amendements, mais ils posent des questions qui méritent de l’être. Parler de quarante-deux régimes, c’est une pure entreprise de communication, qui n’a rien à voir avec la réalité des choses. On met ensemble d’énormes cageots de poires et des toutes petites fraises. La vérité, c’est que 90 à 95 % des affiliés passent par huit régimes pendant leur vie – et c’est déjà beaucoup. Si l’on prend la caisse des salariés du privé, celle des fonctionnaires, le régime des indépendants et celui des agriculteurs, la grande majorité des Français sont couverts. Voir la réforme des retraites au travers de toute une série de régimes qui n’ont rien de « systémique », pour reprendre votre expression, ne me paraît pas pertinent. Le régime de retraite des personnels de l’Opéra national de Paris n’est pas systémique. Il peut interroger, notamment ceux qui n’en relèvent pas et qui exercent pourtant le métier de danseur, ou plus généralement celui de sportif. La véritable question qui se pose dans leur cas, ce n’est pas celle de l’injustice de la retraite : c’est celle de la reconversion professionnelle. Il faut préparer chaque individu à évoluer au cours de sa carrière. Il est évident qu’un danseur ou un sportif ne pourra pas continuer sa carrière au-delà d’un certain âge. Or vous ne traitez ce problème nulle part dans votre projet de loi. Votre insistance sur les quarante-deux régimes n’est qu’une manière d’embrouiller les choses. D’ailleurs, comme le dit le Conseil d’État – et c’est la réalité –, vous recréez finalement au moins autant de régimes que ceux existant pour 95 % des Français.

M. Pierre Dharréville. Au cours de ce débat, un certain nombre de questions très précises vont être posées, soulevant des différences entre certains cas et certaines situations. Le Conseil constitutionnel sera très attentif à ce que des réponses claires soient apportées, pour que le Parlement puisse voter de manière éclairée. Notre discussion devrait avoir cette utilité.

S’agissant de la philosophie du système de retraite, je crois que votre projet de loi cherche à imposer une rupture de sens et de droit. Ce que vous nous proposez me fait penser aux publicités pour le nouvel Omo : comme elle, votre projet est paré de toutes les vertus. Bornons-nous à comparer deux formules : « chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits » ; et « à chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Il y a là deux philosophies différentes. Cette rupture fondamentale mérite un débat de fond.

La question du taux de remplacement n’est pas neutre. Vous ne l’abordez pas, et elle ne fait pas partie des objectifs de votre projet de loi. Si nous en parlons, c’est que, comme le dit l’économiste Bernard Friot, la retraite représente en réalité un « salaire continué ». En la rapprochant de l’idée d’un minima social, vous en modifiez la conception établie ; c’est une rupture de sens considérable.

Enfin, vous parlez de progrès. Où est le progrès quand il est inscrit dans le texte que l’âge légal du départ à la retraite va reculer un peu plus à chaque génération ? Tout cela mérite un débat approfondi.

M. Adrien Quatennens. En effet, il faut impérativement revenir sur l’idée selon laquelle le système que vous proposez permettrait la mise en place d’un régime unique et universel. Il y aura bien autant de régimes différents que de générations, et c’est pourquoi le Conseil d’État, en évoquant cinq régimes auxquels s’ajoutent les régimes dérogatoires, sous‑évalue la situation que vous allez créer. Votre texte dit explicitement que l’âge d’équilibre est voué à se décaler au fil des générations. Tout le monde a compris pourquoi : votre objectif est de contracter la part des richesses produites consacrée aux retraites, et le niveau des pensions sera votre variable d’ajustement. Pour ne pas dire aux gens qu’ils gagneront moins en partant au même âge, vous leur dites que leur pension sera la même s’ils travaillent plus longtemps. En réalité, c’est la même chose. Ces amendements visent donc la cohérence : vous avez le droit de penser qu’il est inéluctable de travailler plus longtemps ; la droite le dit et l’assume, elle pense qu’il faut prendre une mesure d’âge. Votre projet de loi n’est en fait rien d’autre qu’une vaste mesure d’âge. Une fois retiré tout ce verbiage inutile sur l’universalité, dont on vérifie d’ailleurs grâce au Conseil d’État qu’elle n’existe pas, et qu’un euro cotisé n’ouvre pas les mêmes droits pour tous, on se rend compte que l’arbre cache la seule forêt que vous maintenez, et qui se résume à l’idée qu’il va falloir travailler inéluctablement plus longtemps, sans tenir compte du fait que la productivité a augmenté.

Quand vous évoquez l’évolution du ratio entre actifs et retraités, vous oubliez de dire qu’un actif produit aujourd’hui de manière incommensurablement plus importante que par exemple dans les années 1970 – jusqu’à trois fois plus, c’est énorme. Où va cette part de la richesse produite par le travail humain ? Le système par points est le meilleur outil au service d’un objectif précis, celui qui vise à contracter la dépense liée aux retraites dans l’espoir que les gens se détournent du système par répartition. Incontestablement, le système que vous proposez est une étape intermédiaire vers un régime par capitalisation. Certes, le système par points reste par répartition, mais c’est l’étape nécessaire pour passer à la capitalisation que vous encouragez comme jamais.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 759 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Pierre Door. La définition de l’universalité bat de l’aile depuis un certain temps. Chaque jour, on observe en la matière de nouvelles entorses par rapport au projet initial, qui se voulait universel mais finit par multiplier les exceptions, en particulier sur l’âge de départ, en fonction des professions.

Pour nous, l’essentiel est d’harmoniser les modes de calcul entre le secteur privé et le secteur public. C’est le sens de l’amendement n° 759.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’harmonisation des modes de calcul entre les différents régimes, et notamment entre le privé et le public, se trouve au cœur de ce projet de loi. Elle est abordée au chapitre II, au moment où est définie l’unité de mesure du point, qui donnera lieu à un système équitable, lisible et garantissant un certain niveau de vie à ses bénéficiaires par son indexation dynamique.

Je vous propose de retirer votre amendement, qui ne vise pas le bon chapitre et conduirait à alourdir la rédaction de celui-ci.

M. Adrien Quatennens. Je m’associe aux propos de M. le rapporteur qui suggère à notre collègue de retirer son amendement, non parce qu’il ne se trouve pas à la bonne place, mais parce que la différence de mode de calcul entre le privé et le public se justifie par le fait que les carrières n’y sont pas les mêmes : dans le privé, la carrière n’est pas linéaire, elle peut être interrompue et hachée, alors que dans le public, le système d’avancement d’échelon fait que les six derniers mois sont normalement les plus favorables.

Vous n’êtes pas non plus sans savoir qu’auparavant, dans le privé, la pension de retraite était calculée à partir des dix meilleures années ; depuis la réforme des retraites de 1993, elle l’est sur la base des vingt-cinq meilleures années.

Le changement de mode de calcul précise l’intention du Gouvernement, et valide l’idée selon laquelle il y aura une écrasante majorité de perdants. Tout le monde peut comprendre que si l’on calcule la pension de retraite non plus sur la base des six derniers mois – dans le public – ou des vingt-cinq meilleures années – dans le privé –, mais sur l’ensemble de la carrière, la plupart des gens y perdront. Un élève de primaire saura tout de suite qu’il est plus favorable pour lui qu’on calcule sa moyenne à partir de son dernier bulletin qui a été particulièrement bon plutôt que sur l’ensemble de sa scolarité.

Vouloir à tout prix cette harmonisation est donc une très mauvaise idée : la différence entre les modes de calcul se justifie.

M. Boris Vallaud. À mon sens, le débat s’engage assez mal. Il est très ennuyeux que M. le secrétaire d’État reste mutique pendant l’examen des amendements alors que des questions précises lui sont posées. La représentation nationale a besoin d’être éclairée. Mardi dernier, déjà, nous lui avons posé beaucoup de questions et nous avons obtenu très peu de réponses, à une heure bien tardive. De nombreuses questions fondamentales sont esquivées. Le taux de remplacement des retraites va chuter de façon drastique, et l’écart entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs va retrouver son niveau des années 1980 ; nous allons donc gommer quarante ans de progrès. Et 30 % des pensionnés – 40 % des femmes – le seront au minimum contributif. Est-ce un progrès ? N’esquivons pas ce débat ! Vous évoquez de prétendus progrès. Mais vous durcissez la situation de ceux qui ont vécu des périodes de chômage, de même que l’accès au dispositif pour carrière longue, et ce que vous proposez à propos de la pénibilité est indigent. Il y a treize ans de différence d’espérance de vie entre les 5 % de Français les plus riches et les 5 % les plus pauvres. On a le sentiment que vous vivez dans un monde imaginaire. La réalité, c’est que vous avez regardé ce projet comme une boule à neige ; vous l’avez agité, et vous ne savez pas où la neige retombe. Vous êtes incapables de nous dire où il mène. Quand nous parlons d’universalité, ce n’est pas pour nous amuser. Le Conseil d’État vous a dit que vous ne pouviez pas revendiquer la notion de « système universel commun ». Ces mots sont vidés de leur sens. Pendant des décennies, les nouveaux régimes que vous créez coexisteront avec les anciens ; il y aura donc beaucoup plus de régimes qu’il n’y en a aujourd’hui. Vous avez promis plus de simplicité et de lisibilité, mais personne n’est capable aujourd’hui de dire quel sera le montant de sa pension de retraite. Vous n’avez pas répondu aux cas d’espèce ni non plus à la question de savoir pourquoi vous aviez tout calculé à partir de la génération née en 1975, sur un âge d’équilibre fixé à 65 ans, alors que la loi dit l’inverse. Nous avons besoin de ces réponses.

M. Éric Woerth. Le fait que M. le secrétaire d’État ne réponde pas me convient. Les commissions existent aussi pour que nous puissions débattre entre parlementaires. La présence des ministres en commission n’est d’ailleurs pas obligatoire, même si elle peut être parfois utile.

L’Assemblée nationale a déjà voté, il y a quelques années, un article – l’article 16 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites – prévoyant que la France allait étudier « les conditions de mise en place d’un régime universel par points ». Cet objectif est inscrit dans la loi. Or force est de constater qu’en 2013, le débat n’a pas été lancé comme il devait l’être. Il se trouve aujourd’hui à nouveau posé. Que voulait-on dire à l’époque en évoquant un régime « universel » ? Il ne s’agissait pas d’unifier l’ensemble des catégories de personnes, sans exception, mais bien d’un universalisme englobant les salariés du privé et la fonction publique, soit les deux régimes les plus importants. En effet, selon nous, un informaticien, qu’il travaille dans une entreprise ou dans un ministère – le ministère de l’intérieur ou celui des affaires sociales, par exemple –, doit être traité de la même manière en matière de retraite. L’erreur du Gouvernement est d’avoir maladroitement et inutilement étendu cet objectif à l’infini, à tous les Français – même ceux qui ne demandaient rien à personne, et ils sont très nombreux –, le rendant illisible. Mais la mise en œuvre d’un universalisme entre la fonction publique et les salariés relevant du régime général de la caisse nationale d’assurance vieillesse me semble être indispensable. Cette mesure a un coût très élevé, mais elle me paraît parfaitement juste, car l’existence d’une différence de régime entre salariés de la fonction publique et salariés du privé relève de l’injustice. Seule la pénibilité
– une pénibilité objective – peut justifier le fait de rompre avec cet objectif.

M. Jean-Pierre Door. Une large partie de l’opinion publique est en effet favorable à un rapprochement entre le public et le privé en matière de régime de retraite. Mais cela fait des années que l’on recule sur ce sujet. Monsieur le secrétaire d’État, vous entendez aussi cette volonté généralisée de rapprocher le secteur privé du secteur public. Peut-être cet objectif est-il inscrit plus loin dans le projet de loi, mais il nous semblait nécessaire de préciser dès le début du texte cette exigence d’harmonisation. Je maintiens l’amendement qui a été déposé par mon collègue Patrick Hetzel.

M. le secrétaire d’État. Je suis défavorable à l’amendement n° 759, mais j’entends bien l’aspiration de Jean-Pierre Door en la matière. Il a lu le projet de loi avec attention, et il sait qu’on y retrouve ce qu’il souhaite : nous y avons clairement exposé le fait que l’ensemble des assurés, qu’ils travaillent dans le secteur public ou dans le secteur privé, seront concernés par ce système universel.

J’ai pris quelques instants pour relire la page de garde du projet de loi qui vous est soumis : elle évoque bien un « projet de loi instituant un système universel de retraite », ce qui répond à une partie des questions posées depuis que la commission a commencé à se réunir.

En tant que jeune ancien député, je partage l’avis de M. Woerth sur le fait que les commissions sont aussi le lieu de l’expression de la représentation nationale, et que le rôle du Gouvernement est certes de l’éclairer, mais aussi d’écouter ce qui s’y dit ; c’est l’état d’esprit qui m’anime.

Cela dit, quelques éléments méritent que je réagisse. Pour reprendre l’exemple des jumeaux, ou des jumelles – j’ai bien compris qu’il y avait en ce moment un intérêt particulier pour les grossesses gémellaires –, la construction d’un système universel de retraite amènera l’un – ou l’une – et l’autre, lorsqu’ils auront le même niveau de cotisation, la même carrière et un âge identique, à obtenir un même niveau de pension. C’est bien parce que ce n’est pas le cas aujourd’hui que nous vous proposons cette grande transformation du système de retraite. En effet, jusqu’à présent, si l’une et l’autre avaient mené des carrières relativement similaires, mais dans des organismes soumis à des régimes différents – que ce soit dans une entreprise dotée d’un régime spécial, dans le privé ou dans la fonction publique –, elles auraient certainement eu des niveaux de cotisation différents et, assurément, des niveaux de pension différents.

C’est bien ce que nous voulons éviter dans le cadre de ce projet universel. N’ayons pas peur d’utiliser ce mot. Il a un fondement, qui est de rassembler l’ensemble de nos concitoyens autour d’un projet important dans le cadre de notre capacité à vivre ensemble, à faire République ensemble : celui qui consiste à créer une égalité de tous devant la retraite. J’entends certes les critiques et les inquiétudes exprimées, au fond desquelles je perçois une volonté collective de réussir ensemble cette transformation et d’éviter que des situations particulières ne soient pas prises en compte – même si la loi doit traiter de l’intérêt général et s’il nous faut être vigilants à propos de ces situations particulières. Mais c’est une belle ambition que nous devons tous porter.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine les amendements identiques n° 1118 de Mme Clémentine Autain, n° 1123 de M. Bastien Lachaud, n° 1125 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1129 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Nous continuons à corriger la manière dont vos titres sont rédigés. En l’occurrence, il s’agit de la section 1 du chapitre Ier du titre Ier, pour le moment intitulée : « Principes généraux », ce qui est extrêmement flou. Nous proposons le titre suivant : « Incantations générales de façon à donner une apparence d’humanisme à une réforme délétère ». Sans vouloir raviver la polémique lancée tout à l’heure par mon camarade Sébastien Jumel sur la question de l’humanité, nous sommes au cœur du sujet. S’agit-il d’une réforme, au sens où elle constituerait un progrès, ou d’une contre-réforme menant à une régression ?

Dans ce paragraphe, les mots utilisés ne correspondent pas à la réalité du projet. Vous reprenez le terme d’équité, que vous préférez à celui d’égalité. Que chacune et chacun réfléchisse à la différence entre ces deux termes. L’égalité était le terme choisi en 1789 dans la Déclaration – universelle, c’est le cas de le dire – des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce n’est pas un hasard si on a progressivement décidé de lui substituer celui d’équité. C’est une forme de renoncement, car l’équité est un sous-produit de l’égalité : elle part du principe qu’il est impossible de ne pas avoir d’inégalités, et qu’il faut donc se contenter d’en compenser les injustices, tout en suivant une logique méritocratique, mettant en avant les mérites de certains. Cela n’a rien à voir avec l’égalité réelle. Cette logique ne prend pas en compte la réalité des inégalités sociales. C’est de ce principe que vous partez, et c’est pourquoi vous vous trompez.

M. Bastien Lachaud. Ces principes généraux camouflent bien un projet délétère. Il suffit de regarder le nombre et la répartition de certains mots utilisés dans ce projet. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites que ce régime est universel parce que c’est écrit. Le mot universel apparaît en effet 346 fois ; celui d’égalité, seulement sept fois. On trouve 109 fois le mot ordonnance, quatre fois le mot débat ; 156 fois le mot activité, aucune fois le mot repos ; 133 fois le mot travail ou travailleur, mais seulement deux fois le mot précarité, et une fois le mot pauvreté. Ce décompte montre bien quelles sont les priorités du Gouvernement. Le mot femme apparaît seulement treize fois ; pourtant, c’est un projet délétère pour les droits des femmes. Celles-ci vont être les principales victimes de cette réforme, d’abord par la suppression des méthodes de calcul qui permettaient un lissage des carrières heurtées – avec le passage d’un calcul de la pension de retraite fondé sur les vingt-cinq meilleures années, ou six derniers mois dans le public, à un calcul fondé sur la carrière complète. Les femmes sont majoritaires parmi les fonctionnaires, et ce sont elles qui vont subir le plus les mesures de convergence que le Gouvernement prépare. Je pourrais également évoquer les pensions de réversion, qui ne seront plus versées aux femmes divorcées. Selon une version provisoire de l’étude d’impact, les femmes aux salaires bas avec deux ou trois enfants seraient les plus défavorisées par le projet de loi, avec des baisses de pension allant de 50 à 300 euros par mois. Voilà un projet délétère, et voilà le sens de mon amendement n° 1123.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez compris qu’à ce moment de nos interventions, nous avons décidé de convoquer l’humour. J’ai lu les principes généraux – ils feront tout à l’heure l’objet d’amendements – et je ne les trouve pas si généraux. Ils ont même l’air assez étroitement ciblés, et n’y apparaît pas ce qui me semble être un principe général dans l’organisation du travail – je parle ici sous le contrôle de connaisseurs. Nous nous identifions depuis un peu plus d’un siècle à la diminution du temps de travail et, comme j’ai eu l’honneur de participer aux débats sur les 35 heures, je ne peux pas ne pas y penser à ce moment. Certes, il y a toujours eu une majorité conservatrice pour considérer que le temps de travail n’était jamais assez long – à l’évidence, cela a quelque chose à voir avec la volonté d’accumulation. Mais le premier des principes généraux que l’on devrait poser est le suivant : puisque la machine et l’intelligence sont disponibles, elles doivent remplacer la peine de l’être humain au travail. Ce n’est pas évoqué une seule fois dans vos principes généraux ; par conséquent, ils n’en sont pas.

Le moment est venu de rappeler qui a introduit de véritables principes généraux de réduction du temps de travail. La question de la retraite est pour nous associée à celle de la réduction du temps de travail, et c’est parce que nous avons réduit le temps de travail dans la journée, dans la semaine, dans l’année et dans la vie que nous avons vécu plus longtemps – au cours du dernier siècle, nous avons gagné trente ans d’espérance de vie, et ce progrès s’est accompli à mesure que le temps de travail diminuait. Dans la semaine, c’est nous – la semaine de 40 heures en 1936, puis celle de 39 heures en 1981, et celle de 35 heures sous le gouvernement de Lionel Jospin ; dans l’année, c’est nous – les congés payés introduits par le Front populaire en 1936, puis à la Libération, et rallongés en 1981 ; dans la vie, c’est encore nous – sans nous, ni la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910, ni celle sur l’assurance vieillesse de 1946, ni celle sur la retraite à 60 ans de 1981, n’auraient été votées. Le pays a-t-il été ruiné à l’une de ces occasions ? Non, et la population en a bénéficié.

M. Adrien Quatennens. Cette série d’amendements cherche à mettre en cohérence le contenu du projet et ses intitulés. En réalité, depuis que nos débats ont démarré, nous avançons très rapidement : il est désormais établi qu’il n’y a pas d’universalité. Le Conseil d’État nous l’avait déjà dit, et M. le Président Macron lui-même avait récemment déclaré qu’« universel ne veut pas dire que c’est le même pour tout le monde » – nous avions alors compris de quoi il retournait. Je suggère donc, puisque nous pouvons tomber d’accord sur le fait qu’il n’y a pas d’universalité, de retirer ce terme non seulement du texte, mais de nos prises de parole.

Cessez de croire, monsieur le secrétaire d’État, qu’à force de les répéter, les éléments de langage finissent par s’imprimer dans les esprits. Cela fait des mois que votre gouvernement rabâche que la réforme est « plus juste, plus simple, pour tous », et c’est tout l’inverse que les Français comprennent.

Vous avez vous-même renoncé à l’universalité à mesure que la mobilisation grandissait. Dès qu’une profession menaçait de basculer dans la grève, vous vous êtes empressés de la rassurer en affirmant que la réforme ne la concernait pas. Nous n’avons d’ailleurs toujours pas compris votre logique : en quoi une profession devrait être rassurée de ne pas se voir appliquer une réforme que vous estimez si formidable ? Cela nous éclaire sur vos intentions : vous ne comptez nullement mettre en œuvre un système « plus juste, plus simple, pour tous », cette formule n’est qu’un simple habillage.

Après deux heures de débat, peut-être est-il temps de s’accorder sur le fait que votre projet de loi ne vise aucunement l’universalité, pas plus que la casse du code du travail n’a permis de « libérer les énergies ».

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons un rapport différent au travail. Il peut certes être source de pénibilité – des progrès restent à faire – mais il est aussi facteur d’épanouissement et d’intégration sociale. De nombreux cas de personnes vivant mal une fin de carrière brutale me viennent à l’esprit. À cet égard, réfléchir à un départ progressif peut avoir du sens.

Par ailleurs, je précise qu’un article du code de la sécurité sociale, dans la rédaction issue de la « loi Touraine » du 20 janvier 2014, fixe déjà l’équité comme objectif du système de retraite.

Cette série d’amendements identiques propose de remplacer les mots « Principes généraux » par « Incantations générales de façon à donner une apparence d’humanisme à une réforme délétère ». Je ne me reconnais dans aucun des termes de cette proposition : mon avis est défavorable.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai posé une question précise et simple tout à l’heure et j’aurais espéré une réponse. Prenons le cas de deux jumelles, l’une née le 31 décembre 2004, l’autre le 1er janvier 2005. Nous confirmez-vous qu’elles n’auront pas la même pension de retraite alors qu’elles auront exercé la même activité professionnelle, pour un même salaire et pour une même durée de travail ?

La commission rejette les amendements.

Article 1er : Création d’un système universel de retraite par répartition

La commission est saisie des amendements de suppression n° 1 de M. Stéphane Viry, n° 542 de M. Pierre Dharréville, n° 796 de Mme Clémentine Autain, n° 801 de M. Bastien Lachaud, n° 803 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 807 de M. Adrien Quatennens, n° 20966 de Mme Valérie Rabault et n° 21084 de M. Boris Vallaud.

M. Éric Woerth. Notre amendement n° 1 propose de supprimer l’article 1er car il nous apparaît nécessaire de simplifier la réforme des retraites et de la rendre plus efficace sur le plan à la fois social et financier car ces deux dimensions sont à nos yeux indissociables.

L’énorme défaut de votre projet de loi, certains diraient même le scandale de votre projet de loi, c’est qu’il ne propose aucune mesure de financement. La représentation nationale devrait pouvoir examiner un texte complet. Comment aboutir à l’équilibre en 2027, comme vous le souhaitez ? Mystère. Comment le système s’équilibrera ensuite ? Double mystère.

L’étude d’impact nous aide peut-être à comprendre votre démarche. Elle prend pour hypothèse un âge d’équilibre fixé à soixante-cinq ans alors que le Gouvernement parle d’un âge d’équilibre à soixante-quatre ans. Pourquoi une telle augmentation ? Nous vous demandons depuis deux mois quel chemin vous comptez suivre mais vous ne nous l’indiquez pas.

Je note enfin que c’est la première des réformes de retraite à ne pas opérer de recul de l’âge légal. C’est peut-être facile à expliquer mais c’est financièrement impossible à réaliser puisque vous abaissez dans le même temps la deuxième borne d’âge, celle du taux plein, aujourd’hui fixée à 67 ans, pour la faire coïncider avec l’âge d’équilibre, de 65 ans. Or l’âge d’équilibre se situera à 67 ans à un moment donné, notamment lorsque beaucoup de femmes prendront leur retraite.

M. Pierre Dharréville. La mise en place d’un système universel de retraite par points constitue un bouleversement majeur de notre système de retraite hérité du Conseil national de la Résistance. Cette réforme « systémique » est avant tout une réforme paramétrique permanente qui conduira à affaiblir le droit à la retraite de nos concitoyens par l’allongement de la durée de vie au travail et la baisse programmée des pensions. Les dispositifs de solidarité qui fondent notre contrat social – droit familiaux, réversion, prise en compte du chômage – sont, en outre, rabotés au nom d’un seul objectif : la réduction de la dépense publique. Enfin, cette réforme est nocive car elle ouvre des espaces à la capitalisation. C’est donc le pilier de notre pacte social qui est gravement remis en cause.

Nous tenons une preuve supplémentaire de son caractère régressif dans cet article 1er qui prévoit un engagement du Gouvernement à revaloriser les rémunérations des enseignants pour compenser la baisse anticipée de leurs pensions dans le système à points. Rappelons que cette disposition a été jugée inconstitutionnelle par le Conseil d’État puisqu’elle n’a aucune valeur contraignante : elle n’assure en rien que les enseignants seront revalorisés dans les prochaines années. La meilleure manière de garantir le niveau des pensions des enseignants est d’augmenter le point d’indice des fonctionnaires, ce que le gouvernement actuel s’est refusé à faire. Mieux payer les personnels de l’éducation nationale et plus largement les agents publics doit constituer un objectif à part entière et non une contrepartie. En liant augmentation des rémunérations et réforme des retraites, vous n’avez fait que réveiller des aspirations chez les uns et chez les autres.

Finalement, vous allez transformer l’âge légal en âge de départ à la retraite anticipée avec une décote.

Mme Clémentine Autain. Nous constatons l’écart entre ce que vous rabâchez et la réalité concrète de votre projet de loi et nous contestons l’affirmation selon laquelle la réforme renforce la solidarité entre les assurés. C’est tout l’inverse qui se produira puisqu’une entreprise de régression sans pareille est à l’œuvre. Si votre système est si bon, on se demande d’ailleurs bien pourquoi vous voulez épargner les policiers ou les militaires, monsieur le secrétaire d’État.

Nous attendons toujours votre réponse au sujet de la comparaison entre un ouvrier et un cadre ayant tous les deux travaillé quarante-trois ans. Citons un autre exemple de l’injustice née de l’application des recettes néo-libérales à notre régime de retraite. Dans le système actuel, la retraite correspondant à la période de chômage est calculée sur la base du salaire antérieur ; dans votre nouveau système, la valeur du point sera fondée sur les indemnités de chômage. Pas besoin d’avoir fait HEC ou Sciences Po pour comprendre que la pension sera diminuée puisque les indemnités de chômage sont inférieures au salaire perçu antérieurement.

M. Bastien Lachaud. Avec cet article 1er, nous sommes en plein cœur de la rhétorique macronique du « en même temps ». Reprenons ses termes.

Le système universel de retraite doit répondre à l’objectif d’équité, mais en même temps les pensions élevées des fonctionnaires qui correspondaient à des salaires différés ne seront pas maintenues.

Ce projet renforce la solidarité entre assurés, mais en même temps incite à la capitalisation des plus riches, dont une partie des cotisations échappera au régime général.

Le système doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant, mais en même temps organise une baisse des revenus durant la vie active puisque les personnes au-dessus de 50 ans ont beaucoup plus de difficultés à retrouver un emploi. Leurs pensions, avec le système par points, seront donc durablement affectées.

Ce projet doit renforcer la liberté dans le choix de départ en retraite des assurés, mais en même temps va inciter les personnes à travailler plus longtemps, en reculant l’âge auquel elles pourront partir avec une retraite sans décote. Drôle de vision de la liberté !

Le projet doit répondre à un objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier, mais en même temps ne fait plus rentrer certaines cotisations dans le système général, celles correspondant à des revenus de plus de 10 000 euros par mois.

Enfin, ce système doit être lisible et permettre aux assurés d’anticiper l’impact d’un changement professionnel sur le montant de leurs droits, mais en même temps la valeur du point ne pourra pas être connue à l’avance puisqu’elle sera fixée par le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle.

Bref, en même temps, chaque personne aura un régime différencié en fonction de son parcours.

M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, vous ne serez pas étonnée de m’entendre reprendre l’argument à mes yeux central de la diminution du temps de travail. Mais avant de le développer, je voudrais dire un mot à notre rapporteur. Il affirme que nous n’avons pas la même conception du travail, mettant en avant le fait que le travail peut être facteur d’accomplissement. Certes mais là n’est pas notre principale divergence. Nous considérons que seul le travail crée de la richesse. C’est la raison pour laquelle il doit être protégé, bien rémunéré et la richesse qu’il produit correctement partagée. La plupart des gens aiment leur travail mais ils trouvent toujours moyen d’introduire un espace de liberté pour le tailler à leur mesure. Le travail, qu’il plaise ou non à celui qui l’exerce, suppose temps contraint et lien de subordination, essence du contrat de travail. Ceux qui militent pour la réduction du temps de travail militent en réalité pour l’augmentation du temps choisi. Les gens, quand ils partent à la retraite, ne restent pas couchés en attendant la mort ; ils multiplient les occupations, qui les accaparent souvent plus que leur activité professionnelle antérieure, tout simplement parce qu’elles constituent du temps choisi.

N’allez pas croire que ce que je suis en train de vous dire soit pure rhétorique. La réduction du temps de travail est le seul moyen dont nous disposons pour améliorer les conditions de vie de nos compatriotes. Il arrive un moment où le travailleur est gagné par l’usure physique et psychologique et c’est à notre société, en édictant des règles dans le code du travail ou le code de la santé, de fixer une limite à l’astreinte au travail. C’est ainsi qu’au cours du siècle passé, les Français ont gagné trente ans d’espérance de vie. Avez-vous réalisé, chers collègues, que, pour la première fois depuis au moins un siècle, l’espérance de vie stagnait ? Dans certains grands pays que nous citons en modèle comme les États-Unis d’Amérique, elle recule même, tout comme l’espérance de vie en bonne santé.

En allongeant le temps de travail de nos compatriotes, nous ne ferons que déporter vers les caisses de chômage la prise en charge de leur existence matérielle parce qu’ils ne trouvent pas de travail et déplacer vers l’assurance maladie des charges qui auraient pu lui être évitées si les conditions d’une vie meilleure avaient été réunies.

M. Adrien Quatennens. Cet article 1er est un écran de fumée qu’il importe de dissiper par souci de sincérité. Parmi les principes généraux qu’il énumère, il réaffirme le financement par répartition mais passe sous silence le fait que vous encouragez la capitalisation. Les Français ont bien compris qu’ils auraient toujours le droit de partir à l’âge légal de 62 ans mais qu’il n’est pas dans leur intérêt de le faire, à moins d’avoir souscrit à des dispositifs de capitalisation pour éviter la décote que vous voulez leur infliger. En outre, la diminution du plafond pour les hauts revenus va constituer une incitation supplémentaire à la capitalisation.

L’article 1er indique que « le système universel de retraite doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités » mais vous ne précisez jamais ce que vous entendez par là. Selon nous, il doit s’établir pour une carrière complète au moins au niveau du SMIC car en dessous du seuil de pauvreté, on survit plus qu’on ne vit.

À l’autre question fondamentale que se posent les Français – « à quel âge me sera garanti ce niveau de vie satisfaisant » –, vous répondez a minima 64 ans, soit au-delà de l’espérance de vie en bonne santé, et votre projet de loi nous montre que cette limite peut être toujours repoussée. Compte tenu des hausses de productivité et de l’espérance de vie en bonne santé, nous considérons que c’est à 60 ans qu’un assuré devrait partir à taux plein.

L’article 1er évoque à nouveau le caractère universel du système de retraite qui, nous l’avons montré, est un leurre. Il dit encore que le projet de loi a pour but de renforcer la liberté dans le choix de départ en retraite. Mais peut-on parler de liberté face à la menace de la décote ?

Monsieur le rapporteur, si vous trouvez le temps long, je vous soumettrai un document qui montre que, pour financer le retour à l’équilibre, il existe bien d’autres possibilités que de faire travailler les gens toujours plus longtemps.

M. Régis Juanico. L’article 1er organise l’augmentation de trois ans de l’âge réel du départ en retraite mais aussi la baisse programmée du taux de remplacement de 30 %, autrement dit une réduction du niveau de vie des futurs retraités. Il met en place un système injuste de malus extrêmement dissuasif et porte l’âge d’équilibre à 65 ans, âge appelé à être reculé en fonction notamment de l’évolution de l’espérance de vie.

Il ne prend pas en compte l’espérance de vie en bonne santé qui est aujourd’hui de 63 ans et cinq mois. Le patron du MEDEF nous a indiqué la semaine dernière que l’âge moyen de liquidation dans le secteur privé était de 63 ans et sept mois mais dans le secteur public, il est inférieur, ce qui place l’âge moyen de départ en retraite autour de 62 ans.

L’article reprend l’engagement du Gouvernement de revaloriser la rémunération des enseignants et des chercheurs pour compenser la baisse anticipée de leurs pensions. Autrement dit, vous reconnaissez que ces fonctionnaires sont les grands perdants de cette réforme des retraites. Le Conseil d’État ayant qualifié cette disposition d’inconstitutionnelle, qu’allez-vous faire ?

Je terminerai en appelant votre attention sur un cas exposé à la page 108 du rapport de la commission. Un agent public né en 1974 qui partirait à la retraite à 65 ans, soit en 2039, aura vu ses cotisations de retraite augmenter de 8 euros par mois pendant quatorze ans, sans aucun droit nouveau ou majoration de sa pension. Qu’en pensez-vous ?

M. Boris Vallaud. Première question : quelle est la portée normative de ces principes généraux ? Il est à craindre qu’ils n’en aient aucune et que dès lors, cet article 1er soit frappé d’inconstitutionnalité.

Ces principes sont-ils fondés ?

Le premier est l’équité. Vous affirmez qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes droits à chacun. Toutefois, vous ne précisez pas ce que vous entendez par « mêmes droits ». Cela a‑t‑il une portée normative ? En outre, vous ne prenez pas en compte les différences d’espérance de vie selon les carrières. Enfin, pour les revenus situés entre une fois et trois fois le PASS, les droits à la retraite diffèrent selon que l’assuré est un travailleur indépendant ou un salarié.

Le deuxième principe est la solidarité entre les assurés. Aucune garantie n’est pourtant donnée pour assurer aux retraités un niveau de vie satisfaisant. La seule règle d’or que vous posez est financière. Vous ne dites rien de l’évolution du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs dans la durée. Rien non plus de l’évolution du taux de remplacement, qui va chuter.

Le troisième est la liberté. Mais peut-on parler de liberté quand une personne, y compris quand elle relève du minimum contributif, est obligée soit de travailler plus longtemps, soit de renoncer à une part significative de sa pension ?

Quatrième principe : la lisibilité. Elle est contestée par le Conseil d’État qui estime que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système ».

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces amendements de suppression me permettent de remettre en perspective plusieurs enjeux trop souvent déformés.

D’abord, les principes et les objectifs que contient l’article 1er ne sont pas dépourvus de portée normative : ils orienteront au quotidien le pilotage du système universel.

Ensuite, je me demande comment il est possible de se satisfaire du système actuel, qui est très complexe pour la grande majorité de nos concitoyens. Il les oblige à faire des choix qui ne sont pas optimaux en matière d’orientation et de cessation de carrière. Proposer des règles plus simples, plus lisibles et plus communes – si vous préférez ce terme à « universelles » – constitue à cet égard une grande avancée.

Rappelons qu’aujourd’hui, les femmes touchent en moyenne 40 % de retraite de moins que les hommes. Bon nombre de nos concitoyens perçoivent des pensions de l’ordre de 700 à 800 euros – et là, c’est l’agriculteur qui vous parle. Essayer de leur apporter une réponse est un objectif qui est, je crois, tout à notre honneur.

Avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Pierre Dharréville. La situation des agriculteurs est en effet préoccupante, monsieur le rapporteur. Dois-je rappeler que le Gouvernement s’est opposé au Sénat à une proposition de loi d’André Chassaigne adoptée à l’unanimité sous la précédente législature dans notre assemblée ? Elle répondait pourtant à une partie du problème. Dois-je souligner que le projet de loi ne comporte aucune solution pour les retraités actuels du monde agricole ?

Selon vous, le nouveau système apporterait une lisibilité extraordinaire. Cela reste à démontrer. Je dirai même que la lisibilité est moindre, compte tenu de la complexité des différents systèmes qui s’enchevêtrent.

M. Boris Vallaud. Je poursuivrai mon propos en évoquant les enseignants. Quel crédit apporter à l’engagement que vous prenez d’augmenter leurs rémunérations ? Vous comptez le remplir grâce à une loi de programmation. Or le Conseil d’État souligne que l’injonction à légiférer est inconstitutionnelle. Et dans l’étude d’impact, vous avez le culot d’avancer que l’augmentation de pouvoir d’achat des retraités passera par une augmentation de 0,3 point par an de la part de la prime pour les enseignants pendant cinquante ans.

M. Sébastien Jumel. Les ficelles que vous utilisez sont un peu grosses.

L’instauration d’un minimum retraite aux alentours de 85 % du SMIC est subordonnée à plusieurs conditions : avoir 64 ans, contre 62 ans aujourd’hui ; avoir effectué une carrière complète, ce qui exclut 40 % des femmes ; avoir cotisé au moins 600 heures chaque année, ce qui exclut les temps partiels.

Quant aux agriculteurs, vous vous êtes servis d’eux comme d’un leurre pour mieux nous faire avaler la couleuvre. Vous leur proposez d’accéder à l’allocation de solidarité aux personnes âgées, mais en posant des conditions de ressources et en prévoyant des remboursements au moment de la succession. De plus, cette mesure ne concernera pas les trois millions d’agriculteurs ayant déjà liquidé leurs retraites, condamnés à vivre en dessous du seuil de pauvreté.

Tout est leurre dans cet article 1er, qui mérite d’être réécrit.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 1135 de Mme Clémentine Autain, n° 1142 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1146 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Nous avons décidé de déposer des amendements de suppression de chaque alinéa de l’article 1er pour réaffirmer notre opposition à la philosophie du projet de loi et à la duplicité du fameux « en même temps » qui l’imprègne tout entier.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cet article 1er est censé décliner « les grands principes qui fondent le système universel de retraite, ainsi que les objectifs sociaux et économiques qui lui sont assignés ». En fait de grands principes, il s’agit plutôt de modes d’organisation. Quant à l’universalité du système, nous avons vu qu’elle n’existait pas. « Objectifs sociaux et économiques » : la formulation me paraît incomplète, compte tenu de votre réaction aux propos de mon collègue Sébastien Jumel sur l’inhumanité de votre comportement politique. Je suis persuadé que vous voudriez ajouter « humains ». Je ne plaisante pas, le Programme des Nations unies pour le développement a mis au point en 1992 un indice de développement humain, dont l’une des composantes principales est l’espérance de vie. Plus elle est longue, plus elle permet de formuler des projets, de les voir aboutir, et donc de concourir au bien commun. En réalité, vous n’envisagez aucun objectif de progrès ou de développement humain dans votre réforme qui passe à côté de l’essentiel de ce qu’on attend d’un régime de retraite : qu’il dise simplement que la vie peut être belle en dehors du travail.

M. Adrien Quatennens. Nos amendements visent à supprimer le premier alinéa.

D’abord, parce qu’il fait de nouveau référence à l’universalité du nouveau système, alors que nous avons montré qu’elle était absente de la réforme. Ensuite parce qu’il oublie de dire que le projet de loi est un texte à trous qui renvoie à des ordonnances dans des proportions rarement atteintes – vingt-neuf au total ! Ce sont autant d’enjeux qui ne pourront pas être débattus au sein de notre assemblée. Enfin, vous évoquez les « objectifs sociaux et économiques » alors que le seul objectif que vous poursuivez est de faire travailler les Français toujours plus longtemps, au-delà de l’espérance de vie en bonne santé.

Faire travailler les Français plus longtemps ne va pas dans le sens de l’histoire, compte tenu des hausses de productivité – Jean-Luc Mélenchon a bien montré comment les avancées sociales avaient permis de les libérer du travail. En outre, cela ne fera qu’aggraver le chômage des séniors alors qu’aujourd’hui, à l’âge de la retraite, ils ne sont déjà qu’un sur deux à occuper un emploi. Notre pays compte 300 000 chômeurs de plus de 60 ans. Autrement dit, vous ne ferez que transférer le déficit potentiel des caisses de retraite vers l’assurance chômage.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rappelons les termes de l’alinéa 1 : « I – Le livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié ». Je dois dire que j’ai du mal à percevoir la portée politique de vos amendements de suppression. Avis défavorable.

M. Jean-Paul Mattei. J’avoue que j’avais du mal à comprendre le sens de ces amendements. Vous avez parfaitement le droit de relancer la discussion générale mais, sans parler d’obstruction parlementaire, je dirai qu’on perçoit le ridicule de certaines de vos propositions.

Je tiens à faire entendre d’autres voix dans ce débat : certains estiment ici que l’article 1er est bien écrit et qu’il pose de bons principes.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques n° 1345 de Mme Clémentine Autain, n° 1352 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1356 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Parlons de ridicule : les mille pages de l’étude d’impact fournissent des études de cas erronées, susceptibles de fausser le jugement des parlementaires, mais aussi cocasses – pensons à ces aides-soignantes au salaire mirobolant qu’évoquait ma collègue Caroline Fiat.

Vous réaffirmez le principe de la retraite par répartition et de la solidarité entre les générations. L’un des nombreux problèmes que votre nouveau système pose, c’est qu’il passe d’un système à prestations définies, où l’assuré connaît le taux de remplacement, à un système de cotisations définies. Chaque personne qui cotise connaît la valeur du point au moment de son acquisition mais ignore sa valeur de service, ce qui l’empêche de faire des anticipations.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’admets parfaitement, monsieur Mattei, que vous puissiez trouver cet article 1er bien écrit même si nous aurions aimé que vous nous expliquiez pourquoi.

Je vais vous dire amicalement pourquoi nous avons choisi de déposer de tels amendements. Nous avons entendu toutes les rumeurs – y aura-t-il un 49-3 ? cette commission va-t-elle interrompre l’examen du texte ? – et nous nous sentons en insécurité dans ce débat. Je m’exprime en tant que président d’un groupe d’opposition qui veut s’identifier à une lutte dure. Vous le savez aussi bien que moi, ces soixante jours de grève sont un moment spécial dans l’histoire du pays et nous voulons tenir dignement notre rôle en reprenant à chaque article la totalité de notre argumentaire. Attendez-vous donc à des répétitions.

Je me saisis de toutes les occasions de supprimer ce que qui me paraît présenter un risque. S’agissant de système de retraite, la Commission européenne est sur notre dos depuis au moins dix ans. Elle est arrivée à ses fins dans pratiquement tous les pays ; il n’y a plus que ce maudit village gaulois qui résiste, ce qui pousse certains à dire que notre pays est irréformable – comme s’il y avait une obligation à réformer. Nous craignons que la retraite par capitalisation ne se profile à l’horizon. Affirmer que « les actifs d’aujourd’hui financent par leurs cotisations les retraites d’aujourd’hui » et que ce principe est « intangible » ne suffit pas à bloquer ce processus. À n’importe quel moment, les points peuvent être mis en réserve.

M. Adrien Quatennens. Si nous avons déposé des amendements pour supprimer alinéa par alinéa les articles de ce projet de loi, c’est par cohérence avec l’opposition qu’exprime une majorité de Français. L’argument selon lequel ce projet de loi respecte l’engagement du programme présidentiel de ne pas modifier l’âge de la retraite est tombé. Certes, vous ne touchez pas à l’âge légal, mais vous augmentez l’âge effectif en diminuant le montant des pensions.

M. le secrétaire d’État ne nous a toujours pas répondu au sujet de la conférence de financement. Elle ne porte pas sur le nouveau système mais sur les générations nées avant 1975. Vous demandez aux partenaires sociaux de dégager 12 milliards d’euros d’économies avant même l’entrée en vigueur du système par points. Le débat sur l’âge pivot qui a lieu ces dernières semaines ne concerne pas ce projet de loi. Tout le monde a compris que l’âge d’équilibre demeurait.

Ce que vous présentez aux parlementaires et aux Français est insincère.

Je reviendrai sur le fait que l’étude d’impact est faussée comme l’ensemble des cas types présentés aux Français pour expliquer la réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements visent à supprimer l’alinéa suivant : « 1° Après l’article L. 111-2-1, il est inséré un article L. 111-2-1-1 ainsi rédigé ». Mme Autain y a vu une allusion à la valeur du point, M. Mélenchon à la capitalisation et M. Quatennens à l’âge de départ. Nous ne devons pas avoir le même texte sous les yeux.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

La commission examine les amendements identiques n° 1362 de Mme Clémentine Autain, n° 1369 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1373 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1362 a pour objet de supprimer l’alinéa 3. Celui-ci vise à insérer, dans le code de la sécurité sociale, un article L. 111-2-1-1 ainsi rédigé : « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » Nous ne sommes évidemment pas d’accord puisque nous ne cessons de contester son « universalité », comme l’ont fait le Conseil d’État et de très nombreuses personnes, majoritaires dans notre pays. Deuxième mensonge éhonté, vous touchez au système par répartition. Avec la loi « PACTE », vous avez préparé en outre le terrain au régime par capitalisation et à la privatisation du financement des retraites. Nous estimons enfin que votre système aggravera au contraire la situation actuelle et que le pacte social est totalement laminé par votre projet de loi.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, que je m’étais trompé d’alinéa. Vous me dites que j’ai lu « capitalisation » alors qu’il n’en est pas question dans le texte. Comme j’ai tenté de vous l’expliquer précédemment, le fait de parler de répartition n’empêche pas la capitalisation. Vous serez d’accord avec moi pour dire que même un système de capitalisation est un système qui répartit, parce qu’aucun système ne peut échapper à la démographie ! Quand la génération X prendra sa retraite, elle se partagera ce qu’il y a : le système de retraite est donc sensible à la démographie. Voilà pourquoi je dis qu’il ne suffit pas d’affirmer l’attachement à un système de répartition. Je prends le pari – j’espère ne pas être là pour voir ça ! – que l’étape suivante de la Commission et des autres organes européens consistera à dire aux Français : « Maintenant que vous avez instauré le système par points, il va falloir stocker les points pendant un moment pour en faire de la capitalisation, de manière à injecter de l’argent dans l’économie. » C’est exactement ce qu’a dit M. Le Maire lorsqu’il a défendu l’idée qu’il fallait développer la capitalisation au service de l’industrie du pays. Et ne nous dites pas qu’elle n’est pas prévue dans ce texte puisque vous poussez précisément les cadres supérieurs à aller vers la capitalisation ! Nous verrons, à l’article 64, comment vous comptez en régaler le pays.

M. Adrien Quatennens. L’alinéa 3 contient au moins deux informations mensongères. La première, c’est l’instauration de ce fameux système universel : il n’en est rien ! Le Conseil d’État l’a souligné et nous vous avons démontré que vous allez créer autant de régimes différents que de générations. Mais surtout, l’universalité, c’est le pari de la jalousie entre les Français. L’intention réelle d’Emmanuel Macron est de limiter la part des richesses consacrée aux retraites, mais comme ce n’est pas acceptable pour le grand public, il dit : « Jalousez-vous les uns les autres », espérant que la jalousie des Français entre eux sera supérieure à l’aspiration générale à un bon niveau de retraite pour tous. Je rappelle au passage que les régimes spéciaux ne concernent que 3 % de la population active de notre pays ; or nous en avons beaucoup parlé dans le débat qui nous occupe.

La deuxième information mensongère concerne la répartition. Chacun a compris que votre système par points obligera toujours les actifs d’aujourd’hui à payer pour les retraités d’aujourd’hui. Je l’ai déjà expliqué, c’est l’étape intermédiaire nécessaire pour passer demain à un système par capitalisation. De plus, vous n’attendez pas de passer à un système de retraite par capitalisation pour encourager les Français à y recourir : s’ils veulent partir dès l’âge légal de départ sans avoir à subir la décote, ils ont plutôt intérêt à faire appel à leur banquier ou à leur assureur pour compléter leurs revenus !

Pire encore, vous adressez un message clair aux hauts revenus : en baissant le plafond à partir duquel ils ne font plus acquisition de droits nouveaux à la retraite, vous les incitez à se tourner vers un système par capitalisation. Ce faisant, et c’est absolument incroyable, le fait d’abaisser ce plafond pour les hauts revenus creusera un trou de 3,5 milliards par an dans les caisses de retraite. Oui, c’est effectivement un message clair que vous leur adressez : « Vous qui avez du fric, vous qui avez du pognon, arrêtez de le laisser dormir dans ce système rétrograde qu’est la sécurité sociale, et allez voir nos amis de BlackRock, qui se tiennent prêts à vous accueillir ! »

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements visent à supprimer l’alinéa 3. Je ne vous conteste pas le droit de rejeter les outils que nous vous proposons d’adopter pour atteindre les objectifs. Toutefois, dès le début du texte, vous proposez de supprimer un objectif que nous pourrions partager avec vous, partis de gauche. « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition, exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » À défaut d’être d’accord sur les moyens, nous aurions pu nous retrouver sur cet objectif. Je suis donc défavorable à ces amendements.

M. Pierre Dharréville. Quand on lit la suite du texte, on se rend bien compte qu’il y a un hiatus : c’est la raison principale de la critique faite à cet alinéa. Affirmer des principes généraux est une bonne chose mais quand on analyse les actes accomplis par le Gouvernement depuis 2017, on se rend compte qu’ils ne correspondent pas tout à fait à ces principes.

La réforme que vous nous proposez est une fusée à trois étages. Premier étage : l’augmentation de la CSG pour les retraités, qui revenait à baisser leurs pensions – on se souvient de votre entêtement à cet égard. Deuxième étage : la loi « PACTE », avec la création de nouveaux produits d’épargne retraite et la volonté de les développer. Troisième étage : l’affaiblissement de notre système solidaire et d’un droit garanti à la retraite. Et je crains un quatrième étage car je ne suis pas sûr que vous souhaitiez vous en arrêter là...

Dernière remarque : tout cela s’inscrit dans une cohérence politique incontestable. Vous avez commencé par vous attaquer au droit du travail, au droit à la formation, à l’assurance maladie et à l’assurance chômage : vous vous attaquez désormais à la retraite.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, si nous souhaitons la suppression de cet alinéa, c’est justement par souci de cohérence avec le reste de votre texte, que nous avons bien lu. Vos intentions sont toujours louables : libérer les énergies, très franchement, cela m’enthousiasme ! Je trouvais cela très intéressant. Le problème, c’est que quand on vérifie vos actes, on en est très loin ! De même que vous avez voulu détruire le code du travail pour en faire un par entreprise, vous prétendez désormais mettre en place un système universel et maintenir le système par répartition. En réalité, cet alinéa n’est justifié que parce qu’il serait difficile à Emmanuel Macron de dévoiler ses véritables intentions aux Français.

Si vous ne voulez pas supprimer cet alinéa, nous pouvons le rédiger autrement : « La Nation française désormais ne consacrera pas plus de 14 % de sa richesse nationale aux retraites. Pour atteindre cet objectif, bien que la productivité ait augmenté et que la richesse produite n’ait jamais été aussi mal répartie, les Français devront travailler toujours plus longtemps et au-delà de l’espérance de vie en bonne santé. » Vous avez le droit de penser que c’est ce qu’il faut faire pour notre pays, vous avez le droit de penser que c’est la bonne solution, mais ne le cachez pas ! Ne maquillez pas cela en parlant d’un système universel ou d’un encouragement à la répartition !

Les assureurs et les banques ne vous rendent d’ailleurs pas service. Ils n’arrêtent pas en effet de déclarer leur flamme à votre projet de loi dans toute la presse économique, éclairant ainsi vos intentions : oui, le système de M. Macron est une aubaine pour les retraites par capitalisation ! Il n’y a pas un matin sans que l’on entende, à la radio ou à la télévision, de la publicité pour une banque ou un assureur qui propose de compléter votre retraite à points. Ce que vous faites est clair, alors assumez-le, tout simplement !

Mme Célia de Lavergne. Ces amendements visent à supprimer la réaffirmation solennelle de l’attachement de la nation au principe de répartition. Le groupe majoritaire ne votera évidemment pas ces amendements car le principe de répartition est la base de la solidarité entre les générations et la condition nécessaire pour éviter le recours à la capitalisation, comme cela existe dans d’autres pays.

Le fait que ce système sera obligatoire pour 100 % des Français et qu’il touchera les revenus de 99 % d’entre eux, avec une cotisation de solidarité pour le pourcentage restant, signifie que nous sommes en train de créer un immense système public qui permettra d’assurer à la fois le niveau de vie et la solidarité à l’égard des accidents de vie : nous créons ainsi un nouveau système plus solidaire. Je réaffirme donc que le système par répartition obligatoire pour tous est une excellente solution ; les Français le savent, ils y sont attachés et, comme ils nous écoutent, je tiens à le rappeler au nom de tous.

M. Boris Vallaud. Il importe de sécuriser le texte. Vous ne pouvez pas affirmer votre attachement aux principes d’universalité et de répartition alors qu’ils sont battus en brèche par l’observation méticuleuse du reste des articles et de ce que vous avez accompli depuis deux ans et demi.

Vous avez commencé par faire en sorte qu’un euro cotisé ne produise pas les mêmes droits, en indexant de façon différente les retraités au-dessus et en dessous de 2 000 euros de pension. Vous fixez un principe et, dès que vous en avez l’occasion, vous y dérogez ! Vous prétendez avoir supprimé quarante-deux régimes spéciaux alors que vous en avez créé des dizaines ! On passera des régimes spéciaux à des régimes spécieux, car ceux que vous prétendez être les gagnants de la réforme ne le seront pas ! Il faut donc contester votre formulation : si un certain nombre de différences de traitement étaient admises historiquement dans les anciens régimes, le Conseil d’État, dans son avis, souligne que le principe d’égalité n’est pas assuré dans les différences que vous avez consacrées. Comment peut-on par exemple comprendre que les aiguilleurs du ciel puissent partir à la retraite avant les infirmières et les aides-soignantes ? Du point de vue de la pénibilité de ces métiers, l’un vaut au moins l’autre ! On en arrive à des situations aberrantes et absolument injustifiées.

M. Sébastien Jumel. Quand le Premier ministre a entamé son grand oral sur les retraites, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il est brillant ! » Il parlait au cœur des Français en leur rappelant leur attachement à la répartition, aux solidarités entre les générations ; il a même fait appel au sang et aux larmes du Conseil national de la Résistance, alors que l’un de ses objectifs est de flinguer le statut que Marcel Paul a mis en place pour les électriciens gaziers, et que l’autre est de dénaturer le projet solidaire d’Ambroise Croizat.

Nous voulons faire tomber les masques et vous confronter à vos propres turpitudes. Je prendrai un exemple : vous réaffirmez votre attachement à la solidarité entre les générations. Lorsque vous exonérez les cadres à partir d’un certain niveau de revenus, vous privez les retraités de leurs contributions, enfonçant ainsi un coin dans la solidarité entre les générations. Vous réaffirmez solennellement l’attachement à un système universel alors que vous ne cessez de repousser les dates de fusion de tous les organismes de retraite. L’universalité n’est donc pas au rendez-vous.

En amendant ce titre Ier, nous vous mettons face à vos contre-vérités, vos mots volés, alors que votre projet vise instaurer progressivement un système de retraite par capitalisation. La secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher a parlé de Smarties : mais c’est le début de la fin, les Smarties, en matière de retraite par répartition, parce que c’est le début de la capitalisation !

La commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 5060 de Mme Clémentine Autain, n° 5067 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5071 de M. Adrien Quatennens ainsi que les amendements n° 2 de M. Stéphane Viry et n° 22588 de M. Sébastien Jumel.

Mme Clémentine Autain. Si nous avons déposé de nombreux amendements de suppression d’alinéas, nous défendons également des amendements permettant de valoriser notre contre-projet. En l’occurrence, l’amendement n° 5060 a pour objet de substituer aux alinéas 3 à 15 les alinéas suivants :

« Art. L. 111‑2‑1‑1. – La Nation affirme solennellement son attachement au caractère solidaire et obligatoire du système de retraites, ainsi qu’à la préservation du droit de partir à l’âge de 60 ans, garantissant ainsi une retraite agréable et un temps libre profitable. » Je rappelle que l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans : c’est dire l’intérêt du projet de société que nous soutenons.

« Elle garantit à toutes et tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, parce qu’il a atteint l’âge décent de 60 ans, ou avant ce terme, en raison de la pénibilité subie lors de l’activité professionnelle, en raison de son état physique ou mental, ou d’une carrière commencée précocement, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » C’est une façon d’exprimer très clairement l’objectif que nous recherchons.

« Les différents paramètres à disposition des organisations de salarié et des organisations patronales afin d’assurer l’application de ces principes ne peuvent revenir sur ces limites d’âge de départ volontaire. » Cette disposition nous permet de sortir de votre cadre budgétaire contraint. On voit bien qu’avec vous, les partenaires sociaux, qui sont garants de l’équilibre, sans aucune logique de recettes, pourraient remettre en cause les bornes d’âge que nous souhaiterions fixer. Le présent amendement vise donc à les graver dans le marbre.

M. Jean-Luc Mélenchon. La nouvelle rédaction proposée par l’amendement n° 5067 vise à ramener la retraite à 60 ans au cœur de la discussion. Ne tournons pas autour du pot : c’est cela que nous voulons faire ! Nous voulons entendre pourquoi la retraite à 60 ans était possible en 1981 avec trente-sept annuités et demie, et pourquoi elle n’est plus possible aujourd’hui. Y a-t-il eu une catastrophe ? Le pays est-il plus pauvre ? Non ! Selon vous, c’est parce que les gens vivent plus longtemps, mais vous vous trompez ! Les gens vivent plus longtemps parce qu’ils se sont précisément arrêtés de travailler à 60 ans avec trente‑sept annuités et demie ! Nous avons pris à l’époque une mesure de santé publique en prenant une mesure sociale de retraite. Dans notre esprit, le progrès social est un aliment du progrès économique : nous ne nous retrouverons pas sur ce point parce que vous pensez que c’est seulement s’il y a du progrès économique qu’il peut y avoir du progrès social. Nous voulons donc relancer le sujet de la retraite à 60 ans : c’est l’œuvre historique de notre famille politique au sens large, qui a été réalisée en 1981 – sauf erreur, madame la présidente, vous étiez à l’époque d’accord avec cette idée ! Nous en sommes tous au même point : nous pensons que 60 ans est un bon âge pour partir à la retraite parce que les gens ne sont pas épuisés.

Je vous ai rappelé un peu plus tôt l’histoire de 1910 : figurez-vous qu’une bonne partie des salariés ne voulaient pas alors entendre parler de cette cotisation obligatoire qu’on leur infligeait pour partir à la retraite. Ils refusaient en effet de payer la retraite pour les morts, parce qu’eux-mêmes seraient morts quand ils auraient le droit de partir à la retraite à 65 ans. Or nous sommes progressivement en train de rétablir la retraite pour les morts : les gens partiront à la retraite au-delà de l’âge moyen d’espérance de vie en bonne santé, qui est de 63 ans. Ce n’est pas admissible, après que le pays a fait tant de progrès et accumulé autant de richesses ! La retraite, c’est 60 ans et pas un an de plus !

M. Adrien Quatennens. Il s’agit pour nous de répondre à la commande passée par le Premier ministre, qui s’est dit prêt à entendre toutes les propositions pour assurer l’équilibre financier du système. Pour cela, il existe d’autres modalités que le fait de décaler, génération après génération, l’âge de départ à la retraite. Vous poursuivez un objectif arbitraire, comptable, budgétaire avec ces 14 % du PIB consacrés au financement des retraites, lesquels en outre diminueront, selon le Conseil d’État. Or votre variable d’ajustement, c’est la vie des gens et l’âge auquel ils pourront partir à la retraite. Nous vous appelons donc à faire exactement le contraire. Quelle idée se fait un grand pays comme la France de ce troisième âge de la vie qu’est la retraite ? Pour nous, compte tenu de ce qu’est l’espérance de vie en bonne santé, les gens doivent pouvoir partir à 60 ans, avec aucune pension sous le SMIC pour une carrière complète et personne sous le seuil de pauvreté.

Comment allons-nous financer, nous demanderez-vous ? Il faut au préalable se demander s’il est souhaitable de partir à la retraite à un âge décent avec un bon niveau de pension. Ensuite, la politique dicte sa loi et nous mettons la comptabilité au service de notre objectif politique. Financer la retraite à 60 ans ne nécessite que deux points de PIB en plus d’ici à 2040 : très franchement, cela n’a rien d’impossible, surtout quand on sait ce qu’est la répartition de la richesse produite dans notre pays ! Au moment même où nous débattons des retraites, nous apprenons dans un rapport d’Oxfam qu’en France, sept milliardaires possèdent autant que 30 % de la population : oui, nous avons un problème de répartition des richesses. Il est possible de financer la retraite à un âge décent avec un bon niveau de pension.

Mme Constance Le Grip. Par l’amendement n° 2, le groupe Les Républicains souhaite modifier substantiellement la rédaction de l’article 1er. Nous avions, mais en vain, souhaité modifier les principes généraux de cette réforme des retraites. Nous réitérons donc notre proposition de projet de réforme des retraites alternatif en nous appuyant sur les textes existants, de façon à aboutir à une rédaction plus lisible et améliorée.

Les grands axes de ce projet alternatif seraient les suivants : tout d’abord, la mise en place d’un régime universel de base, jusqu’à un PASS. Nous souhaitons en effet maintenir les régimes complémentaires, qui ne coûtent pas d’argent au contribuable français et qui, à travers les caisses autonomes, permettent à certaines professions de faire face à la nécessité d’assurer un régime de retraite décent à celles et ceux qui leur sont affiliés.

Nous souhaitons également écrire à nouveau noir sur blanc ce qui constitue la condition essentielle de la sécurité du futur régime de retraites : sa pérennité financière. Je réitère notre forte opposition à ce que l’Assemblée nationale soit saisie d’un texte qui ne garantisse pas le financement du système des retraites : cela nous semble non seulement indigne de la représentation nationale mais surtout de nature à renforcer l’angoisse de nos compatriotes. La pérennité financière doit donc être inscrite dans le texte de loi avec des mécanismes précis de financement.

M. Sébastien Jumel. Vous avez compris qu’il s’agit pour nous de réécrire l’article 1er. François Morel a dit dans sa chronique sur France Inter : « Tâchons, dans la mesure du possible et afin d’assainir les caisses de l’État, de mourir tôt ! Travaillons toute la vie, puis mourrons avant d’envisager ces années superflues ! [...] » Si je l’avais entendue avant de rédiger l’amendement, je l’aurais reprise à mon compte car c’est une belle traduction de l’article 1er.

Nous proposons donc, avec l’amendement 22588, une rédaction par l’absurde : la Nation assume pleinement son attachement à un système inéquitable de retraite ; elle encourage ceux qui peuvent y échapper à recourir à la retraite par capitalisation ; elle grave dans le marbre l’inégalité entre les sexes et entre les générations ; elle se fixe comme objectif de résorber les dernières traces du programme du Conseil national de la Résistance ; elle se fixe l’objectif clair de dégradation du niveau de vie des retraités et de versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active.

Google propose à ceux qui ne parlent pas bien une langue étrangère le service Google Traduction : je lui ai donc soumis votre projet rédigé dans la langue des Marcheurs, et voilà le résultat ! Je le trouve assez fidèle à ce que nous avons compris de votre projet.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Concernant les amendements de La France insoumise, M. Mélenchon se demande ce qui a changé depuis 1981 : l’augmentation de l’espérance de vie est manifeste, tout comme l’entrée tardive sur le marché du travail. Les Français ont conscience que l’on ne peut pas réduire la durée du travail à chaque bout : il faut en tenir compte, tout comme il est nécessaire de tenir compte de la qualité de vie et de la répartition entre le temps de travail et le temps de loisir. Avis défavorable.

Concernant l’amendement n° 2 du groupe Les Républicains, il correspond exactement à l’amendement que vous aviez déposé avant l’article 1er, à l’exception de l’enjeu de la pénibilité. Je ne reviendrai pas sur le fond ; avis défavorable.

Quant à M. Jumel, je lui conseille de vérifier la version de Google Traduction car ce n’est pas l’objectif de notre projet. Nous constatons l’insuffisance du système actuel ; les outils peuvent peut-être être améliorés mais le cadre général apporte une bonne réponse aux difficultés que le système actuel rencontre. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission se saisit de l’amendement n° 22057 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Le présent amendement a été pour partie défendu à l’instant par Sébastien Jumel. Il a pour objet de vous aider à mieux formuler vos intentions car « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Nous avons en effet constaté que les outils que vous avez mis à disposition ne correspondent pas du tout à vos intentions, ou alors il faudra nous démontrer en quoi le système que vous mettez en place répond aux enjeux. Pour l’instant, il n’en est rien.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je m’inscris en faux contre votre lecture de la réforme. Vous parlez d’iniquité : nous préférons l’application d’un corpus universel, ou le plus homogène possible si le mot « universel » vous gêne, de règles et la prise en compte de situations spécifiques. Vous évoquez l’injustice : nous préférons l’extension du compte professionnel de prévention de la « loi Touraine » à la fonction publique, l’attribution de droits aux aidants ou la retraite minimale à 1 000 euros. Vous évoquez le financement individuel : nous préférons la mutualisation de l’ensemble des ressources face au défi démographique. Vous évoquez la capitalisation : nous préférons l’affirmation solennelle de l’attachement de la nation à la répartition. Je vous rappelle que le seuil des 3 PASS couvre 99 % de nos concitoyens. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21525 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le présent amendement a pour objet de remplacer le mot « universel » par le mot « inéquitable », qui me semble plus approprié pour décrire vos intentions.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques nos 14652 de M. Pierre Dharréville et 14653 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14652 vise à apporter une précision sur la nature du système de retraite, qui doit être à prestations définies. Or votre projet de loi prévoit un système à cotisations définies, c’est-à-dire que vous définissez au départ la masse globale des richesses produites consacrée aux retraites – une masse décroissante – et que vous honorez ensuite ce que vous pouvez, sans garantie d’un véritable taux de remplacement. Nous préférons donc le système inverse, à prestations définies, qui se fixe un objectif en la matière : nous proposons de l’inscrire dans la loi.

M. Sébastien Jumel. Les règles garantissant le taux de remplacement ne sont pas gravées dans le marbre de la loi. Le niveau des prestations n’est pas non plus garanti dans le projet que vous présentez. Nous avons la certitude que, in fine, cette réforme dégradera le niveau des pensions et l’accès aux prestations telles qu’elles sont aujourd’hui définies. Tel est le sens de l’amendement n° 14653.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous remercie pour ces amendements, qui me permettent de mettre un terme à un faux débat entre régime à cotisations définies et régime à prestations définies. Le système actuel, marqué par de nombreuses réformes, n’est pas entièrement un régime à prestations définies : depuis 1987, les réformes des différents gouvernements ont conduit à modifier l’indexation des droits, l’indexation des pensions liquidées, l’âge d’ouverture des droits, l’âge du taux plein, la durée d’assurance. Il n’y a donc pas de prestations définies dans notre régime par annuité.

À l’inverse, le meilleur moyen de garantir de bonnes pensions est d’assurer un équilibre financier durable et un pilotage fin, avec de bonnes capacités de projection, un volant important de cotisations – 82 % – renforcé par des ressources fiscales stables – CSG, taxe sur les salaires. Le système proposé ne sera pas un régime à cotisations définies mais un système qui anticipe mieux et s’appuie sur des cotisations équitablement réparties. Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Pour appuyer la démonstration de nos collègues communistes, l’objectif a été de plafonner la part des richesses consacrée aux retraites ; Jean‑Paul Delevoye avait même évoqué un plafond de 14 %. Depuis, nous avons appris par le Conseil d’État que ce projet de loi aurait pour effet de faire diminuer cette part des richesses consacrée aux retraites. Les cotisations et l’âge de départ seront donc bien la variable d’ajustement. Votre objectif n’est pas de dire aux gens : « Vous partirez à tel âge, avec tel niveau de pension », puisqu’il s’agit précisément de votre variable d’ajustement. C’est toute la différence entre un système à prestations définies, dont l’objectif est bien de soulager la vie des gens et d’y adapter la comptabilité, et un système à cotisations définies, qui se débrouille avec le niveau de cotisations défini – et tant pis si ce n’est pas suffisant !

J’entends parfois l’argument qui nous est opposé : 14 % du PIB suffiraient à amortir les départs en retraite des prochaines décennies. Mais la part de PIB est ainsi plafonnée alors que la part des seniors dans la population de ce pays continue à augmenter. Chacun comprend donc que votre annonce programme la baisse des pensions. Certes, vous dites que les pensions ne baisseront pas, mais tout le monde comprend que s’il faut travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension, c’est bien que le niveau de pension a baissé. Vous parlez du temps de travail plutôt que du niveau des pensions, mais cela revient exactement au même. Ces amendements sont donc tout à fait justifiés.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, je crains que votre réponse n’éteigne pas le débat. Je n’ai jamais défendu la modification des indexations, les baisses de pensions au gré des réformes, etc. – bien au contraire ! La dégradation qu’a connue notre système de retraite depuis quelques décennies est d’ailleurs une partie du problème.

Je vous retourne donc la question : à quel endroit dans le texte fixez-vous les garanties sur le taux de remplacement et sur un véritable droit à la retraite ? Cela ne figure nulle part. Nous sommes dans une réforme paramétrique permanente, où la variable d’ajustement est l’âge de départ et, de ce fait, le niveau des pensions. L’objectif fixé dans l’étude d’impact, c’est qu’au moins 50 % des gens travaillent jusqu’à l’âge d’équilibre : les 50 % restants partiront donc avec une décote et leurs pensions baisseront. Vous avez joué sur ces paramètres mais vous ne fixez aucun objectif réel de droit à la retraite : c’est bien le problème.

Par ailleurs, concernant la prévisibilité, divers outils ont permis d’obtenir des éléments extrêmement précis sur la stabilité financière et sur l’avenir financier du système. Le dernier rapport du COR en est un exemple.

M. Boris Vallaud. Ces amendements ont le mérite de poser assez nettement les termes du débat. Les 14 % constituent un plafond : or l’étude d’impact évalue ce taux à 12,9 %, alors même que le nombre de retraités va augmenter de façon considérable. Pour faire simple, vous réduisez la part du gâteau et le nombre de ceux qui demanderont une part va croître : pas besoin d’être un grand mathématicien pour comprendre que la part sera plus petite ! Mais c’est un sujet que vous esquivez : votre seule règle d’or, qui figure dans la loi organique et non dans la loi ordinaire, c’est l’équilibre financier du système. Cela signifie que, par exemple, si nous devions connaître une crise avec un choc asymétrique, comme en 2008, la seule variable d’ajustement serait le niveau des pensions ou l’âge de départ à la retraite. Vous ne dites pas en revanche comment évolueront le taux de remplacement et le niveau relatif des retraités par rapport aux actifs. La réalité, c’est que tous ceux qui partiront à la retraite verront ce taux de remplacement baisser substantiellement et que, en outre, ils devront partir plus tard. La réforme ne peut pas être juste dans ces conditions.

Vous pouvez esquiver le débat mais les termes de « justice » et de « progrès » sont vains : derrière ces paroles, il n’y a rien. Avec le minimum contributif, vous entrez à 85 % du SMIC mais vingt ans plus tard, compte tenu de la règle de l’indexation, vous serez à 70 % du SMIC, parce qu’il y aura eu un décrochage entre les pensions et le SMIC, comme il y aura eu un décrochage entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs. Voilà la réalité objective. Ce que vous semblez donner d’une main, vous le reprenez de l’autre.

M. Sébastien Jumel. Nous avons démontré que votre réforme anticipe et accentue la baisse du taux de remplacement prévue par le rapport du COR. Nous avons également montré, à l’aide d’arguments qui ne souffrent aucune objection, que le système à points que vous préconisez n’offre aucune garantie aux salariés sur le niveau de leur retraite, puisque vous ne fixez aucune cible, aucun objectif, ni aucune garantie pour le taux de remplacement. Enfin, et vous le reconnaissez vous-mêmes dans le rapport qui a inspiré ce texte, « le rendement définitif ne pourra être acté qu’en 2024, en fonction des hypothèses économiques qui prévaudront alors ». Autrement dit, vos promesses sur le rendement garanti sont des promesses de Gascons.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 20533 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Albane Gaillot. Le système universel de retraite incarne une ambition forte de solidarité, où la société tout entière participe au financement de la branche vieillesse de l’assurance maladie, et donc à la retraite de ses aînés. S’il va de soi que notre responsabilité est de garantir l’équilibre et la pérennité de notre système de retraite pour les jeunes générations, nous consacrons aussi, dans ce texte, la solidarité au sein de chaque génération.

Indépendamment des statuts, des branches, des métiers, le système universel marque le rassemblement de la société tout entière derrière le principe d’une solidarité au sein de chaque génération. Chacun participe à la solidarité nationale pour tous. Cet amendement vise à rappeler ce qui fait la force de ce projet de loi, à savoir la solidarité entre les générations, mais aussi au sein même de chaque génération.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous remercie pour cet amendement et je vous rejoins totalement : la solidarité s’exprime à la fois entre les générations et au sein des générations. Mais ces deux formes de solidarité figurent déjà à l’article 1er, puisqu’il est fait mention de la « solidarité entre les générations » à l’alinéa 3 et d’un « objectif de solidarité au sein de chaque génération » à l’alinéa 6. Je vous invite à retirer votre amendement, car il est satisfait par la rédaction actuelle de l’article.

M. le secrétaire d’État. Dans le prolongement des propos du rapporteur, je veux rassurer les auteurs de cet amendement et leur dire que la volonté du Gouvernement est bien de garantir la solidarité intergénérationnelle. C’est d’ailleurs l’un des fondements du système que nous nous proposons de reconstruire. De plus en plus de jeunes disent ne plus croire dans le système par répartition. Or nous, nous voulons le voir perdurer, parce qu’il fait l’honneur de notre société et de notre République. J’espère que mes mots vous auront rassurés ; sachez en tout cas que tout cela figure dans le texte et que je fais la même lecture que le rapporteur de l’alinéa 6.

M. Gérard Cherpion. Cette solidarité au sein d’une même génération existe déjà dans le régime actuel de retraite, par exemple au sein de l’AGIRC‑ARRCO, où la somme reversée ne correspond pas toujours exactement à la cotisation. Ce système, qui fonctionne, risque pourtant de disparaître, puisque votre texte prévoit la fusion l’AGIRC-ARRCO au sein du régime universel. C’est tout un système social qui risque de disparaître.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas le droit d’invoquer les inquiétudes de la jeunesse quant à la pérennité de notre système de retraite par répartition pour justifier sa remise en cause. C’est insupportable ! C’est comme si vous disiez à une personne qui a peur en permanence : « Rassure-toi, on va supprimer tous les policiers ! » C’est complètement surréaliste et c’est insupportable ! Vous avez évoqué les agriculteurs pour flinguer les régimes spéciaux. Et maintenant, vous invoquez les inquiétudes de la jeunesse pour remettre en cause le régime par répartition ! Les inquiétudes des jeunes sont réelles et légitimes : mes enfants s’inquiètent pour l’avenir, surtout quand ils vous écoutent. Mais n’utilisez pas ces inquiétudes légitimes pour justifier cette mauvaise réforme !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 760 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Pierre Door. Depuis deux ans, nos retraités ont subi de plein fouet l’augmentation de la CSG puis la désindexation de leurs pensions de retraite, ce qui a réduit leur pouvoir d’achat. Et chat échaudé craint l’eau froide.

Avec cet amendement, nous proposons donc que le montant des pensions de retraite ne puisse pas diminuer du fait de décisions gouvernementales, de mesures économiques ou de changements de politique fiscale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les éléments concernant l’évolution des retraites et des pensions sont évoqués plus loin, aux articles 9, 11 et 55. Ce dernier définit les marges de manœuvre de la future Caisse nationale de retraite universelle. Avis défavorable.

M. Lionel Causse. J’aimerais faire quelques remarques sur l’article 1er et sur le projet de loi dans son ensemble.

Premièrement, je rappelle que les pensions augmentent en fonction de l’inflation. Deuxièmement, il est prévu que la valeur du point évolue en fonction de l’augmentation des salaires qui, généralement, est supérieure à celle de l’inflation.

Ce texte confie par ailleurs la gouvernance du système aux partenaires sociaux, qui auront pour mission d’assurer son équilibre sur des périodes de cinq ans. Le régime AGIRC-ARRCO, qui est lui-même géré par les partenaires sociaux, a fait ses preuves : au cours de la dernière décennie, la valeur du point n’a pas baissé.

Enfin, nous réaffirmons le principe du système par répartition, comme cela a été dit à maintes reprises.

L’article 1er est donc beaucoup plus protecteur que le droit actuel. Il me semble important de faire confiance à la gouvernance et aux partenaires sociaux qui auront à gérer ce système.

M. Pierre Dharréville. L’indexation des retraites est une question très importante, mais le discours de la majorité est souvent ambigu à ce sujet. Ce projet de loi prévoit bien, à terme, une indexation du point sur l’évolution des salaires, mais pas une indexation des pensions. Ce n’est pas la même chose, mais vous entretenez cette confusion dans le débat public. Je me permets donc de souligner que vous n’avez pas prévu, pour l’instant, d’indexer les pensions sur les salaires.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué l’inquiétude de la jeunesse et je voudrais prolonger les propos de mon collègue Sébastien Jumel. Vous reprenez à votre compte l’idée selon laquelle le système actuel serait en péril, alors même que le COR nous a dit que ce n’était pas le cas. Le fait que vous vous fondiez sur des fake news pour défendre votre projet de loi est tout de même problématique ! Je vous invite par ailleurs à mesurer la portée de votre argument : si le fait que le système actuel suscite des inquiétudes suffit à l’invalider, alors vous devriez immédiatement abandonner le vôtre !

M. Thibault Bazin. Je veux souligner l’intérêt de l’amendement qu’a défendu notre collègue Jean-Pierre Door. Au cours des dernières années, nos retraités ont vécu la sous‑indexation des pensions comme une profonde injustice, dans la mesure où ils n’avaient plus aucun moyen d’agir sur leur pouvoir d’achat.

Monsieur le rapporteur, vous avez répondu sur la forme, mais pas sur le fond. Vous avez renvoyé aux articles 9, 11 et 55 du projet de loi, mais si nous ne posons pas quelques grands principes dès l’article 1er, nous resterons dans le flou. Et chacun sait que quand c’est flou, il y a un loup.

Votre manière ambiguë de formuler les choses nous fait passer à côté d’un débat de fond. Votre démonstration repose sur la valeur d’acquisition du point, mais ce qui compte, c’est sa valeur de service, au moment de la liquidation de la retraite. Qu’en sera-t-il ? Il faut que vous nous rassuriez à ce sujet.

M. Boris Vallaud. L’indexation des pensions et celle du point sont des questions très importantes.

L’indexation des pensions sur l’inflation était déjà inscrite dans le code de la sécurité sociale et cela n’a pas empêché le Gouvernement d’y déroger pour prendre dans la poche des grands-mères de quoi payer les augmentations de pouvoir d’achat que les employeurs refusaient à leurs salariés.

Quant à la prétendue indexation du point sur les salaires, elle est toute relative... Jusqu’en 2045, le taux d’augmentation de la valeur du point sera compris entre celui de l’inflation et celui des salaires. Après 2045, ce principe sera tout sauf une règle d’or, puisqu’on pourra y déroger pour garantir la vraie « règle d’or », celle de l’équilibre économique du système. Vous avez la règle d’or à géométrie variable : vous ne l’inscrivez dans le marbre que lorsqu’elle permet de faire des économies.

M. Sébastien Jumel. J’aimerais vous soumettre cette analyse des Économistes atterrés, qui ont décortiqué votre texte : « La plupart des salariés ont, dans l’ensemble de leur carrière, des hausses de salaire plus fortes que celle du salaire moyen qui est pris en compte pour valoriser le point de retraite, de sorte que leur salaire de fin de carrière est supérieur au salaire moyen de leur carrière revalorisé avec le salaire moyen de l’ensemble des salariés. Avec une hausse moyenne de salaire de 0,5 % par an de plus que le salaire moyen, le salaire de fin de carrière est supérieur de 11 % au salaire moyen revalorisé. » Je vois que certains sont perdus, mais les Français le sont aussi !

Qui sait ce qui peut arriver d’ici à 2045 ? Les Présidents de la République qui se seront succédé auront peut-être remis en cause, les uns après les autres, les promesses non réalisables que vous faites aujourd’hui. Les Économistes atterrés, en tout cas, font la démonstration qu’avec ce référentiel, vous dévalorisez le niveau des pensions.

M. Adrien Quatennens. Le niveau des pensions va baisser : c’est un fait. S’il faut travailler plus longtemps pour obtenir le même niveau de pension, c’est bien qu’à âge égal, le niveau des pensions va baisser.

J’en viens à la question de la valeur du point. On entend souvent que votre projet de loi sacralise la valeur du point et que celle-ci ne baissera pas : ce principe serait gravé dans le marbre de la loi. Mais j’insiste sur le fait que la valeur du point n’offre absolument aucune garantie sur le niveau des pensions, parce qu’il faut effectivement distinguer entre la valeur d’acquisition et la valeur de service du point. Entre les deux, il y a un coefficient de conversion. Or vous pourrez ajuster les différents paramètres, notamment en fonction de l’espérance de vie.

Un de nos collègues a dit qu’adopter le système par points, c’était faire un pari morbide, et je crois qu’il a eu une bonne intuition. Au sein d’une même génération, il vaut mieux que les autres meurent tôt, pour que la part du gâteau qui vous revient soit plus grande. La valeur d’acquisition et la valeur de service sont différentes et le coefficient de conversion peut varier. Vous pouvez donc modifier tous les paramètres. Mais ce sur quoi vous ne pouvez pas vous engager, c’est sur le montant des pensions : vous ne pouvez pas vous engager sur des taux de remplacement, précisément parce que c’est la variable d’ajustement qui vous permettra de respecter votre règle d’or budgétaire, celle des 14 % de PIB.

La valeur du point n’offre aucune garantie. La valeur d’acquisition du point ne baissera pas, mais les pensions, elles, pourront très bien chuter. C’est d’ailleurs ce qui va se produire.

M. Gérard Cherpion. J’ai eu beaucoup de plaisir à entendre un député de la majorité nous dire que le régime AGIRC-ARRCO était bien géré et à l’équilibre depuis dix ans. Mais cela m’amène à poser deux questions. Pourquoi, tout d’abord, fondre le régime AGIRC-ARRCO dans le régime universel, puisque cela va le faire disparaître ? Deuxièmement, pourquoi abandonner la gouvernance paritaire qui est actuellement celle de l’AGIRC-ARRCO ?

Mme Clémentine Autain. J’aimerais enfoncer le clou. Le régime par répartition que vous voulez instaurer, c’est plus ou moins celui de l’AGIRC‑ARRCO. Alors, pourquoi ne pas réfléchir à partir de ce régime, que nous connaissons et sur lequel nous avons du recul ? Pourquoi ne pas avoir un vrai débat à ce sujet ? Le secrétaire d’État n’a répondu à aucune des questions que nous avons soulevées, alors qu’elles mériteraient qu’on en débatte.

Les arguments que nous exposons depuis tout à l’heure, ce sont ceux que nous entendons au sein de la société et dans les mobilisations sociales. Les différentes réformes qui ont eu lieu depuis 1993 ont entraîné une libéralisation de notre économie et une dégradation du système des retraites. Quand on a fait le choix d’indexer les pensions, non plus sur les salaires, mais sur l’inflation, on a fait baisser les pensions. Nous avons du recul sur AGIRC-ARRCO et nous savons que le montant des pensions a fini par baisser au sein de ce régime.

Vous êtes en train d’amplifier des mesures sur lesquelles nous avons déjà du recul et une vraie visibilité. Ne faisons pas comme si nous partions de zéro et comme si nous ne savions pas que lorsqu’on favorise le régime économique libéral, on réduit les pensions.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 1424 de Mme Clémentine Autain, n° 1431 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1435 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1424 vise à supprimer l’alinéa 4, qui introduit les objectifs que « la Nation assigne au système de retraite ». Les six objectifs que vous fixez – l’équité, la solidarité, la garantie d’un niveau de vie satisfaisant, la liberté de choix du moment du départ, l’objectif de soutenabilité économique et l’objectif de lisibilité – sont insincères. En effet, le système que vous proposez est inéquitable et sexiste et ne promeut pas la solidarité, ni entre les générations, ni entre les retraités eux-mêmes. Il forcera les personnes à se maintenir en activité le plus longtemps possible et organisera une individualisation qui rendra, de fait, le système illisible.

Vous devriez exposer clairement vos objectifs, et d’abord celui de faire faire des économies à l’État, car c’est bien la règle d’or qui dicte le calendrier et le contenu de cette réforme. Si vous sacralisez la part du PIB consacrée aux retraites, c’est dans le but de faire des économies. Par ailleurs, vous ouvrez la voie au système par capitalisation : chacun sait que la baisse des pensions et le manque de lisibilité du système vont amplifier la privatisation de l’assurance retraite. Tels sont vos vrais objectifs !

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 1431 vise également à supprimer l’alinéa 4, car je ne crois pas que vous proposiez, avec ce texte, un système universel de retraite.

J’aimerais que nous sortions enfin du non-dit qui entoure la question de la capitalisation. Je veux bien croire que nombre d’entre vous y sont hostiles et que ce n’est pas ce que prévoit ce texte, mais l’intelligence commande de voir ce qui, dans un moment politique, en prépare un autre. Si la retraite par capitalisation était une incongruité totale, vous pourriez m’accuser d’être incongru, mais nous sommes en plein dedans ! Nous sommes dans une période où, partout, sur tous les terrains, un système cherche à marchandiser ce qui autrefois n’était pas dans la sphère marchande. Il y a encore vingt ou trente ans, personne n’imaginait que la santé ferait un jour partie de la sphère marchande !

Les retraites représentent 312 milliards d’euros. On peut donc comprendre que ceux qui pensent que la meilleure place, pour l’argent, c’est dans la sphère marchande, s’y intéressent de près. En décidant de sortir du système les 350 000 personnes dont les revenus dépassent trois fois le plafond de sécurité sociale, vous retirez 7 milliards de financement au régime général, tout en obligeant ces personnes à cotiser à des régimes par capitalisation. C’est inévitable : elles vont forcément chercher à protéger leurs revenus de remplacement. Non seulement le système économique français va y perdre, mais vous favorisez la logique de la capitalisation.

Le ministre Bruno Le Maire n’a pas eu vos pudeurs : il a dit qu’il était favorable au système des assurances et qu’il souhaitait leur développement. Ce ne sont pas des lubies, c’est écrit dans votre texte et c’est en marche dans tout l’Europe.

M. Adrien Quatennens. Avec l’alinéa 4, vous prétendez une nouvelle fois que le système que vous nous proposez est universel. Or nous avons montré, au cours de nos quelque 4 heures de débat, qu’il y aura autant de régimes spéciaux que de générations. Le Conseil d’État a lui-même indiqué qu’il y aurait au moins cinq régimes différents, sans compter les dérogations. Cet alinéa, qui fait référence à un système « universel », mérite donc d’être supprimé.

Vous faites ensuite la liste des objectifs visés par ce projet de loi, mais aucun d’eux ne correspond réellement à ce que vous êtes en train de faire. Il faudrait plutôt écrire que votre objectif est de faire travailler les Français plus longtemps, pour ne pas avoir à organiser le partage de la richesse produite, que vous favorisez la capitalisation par l’abaissement du plafond pour les hauts revenus et que vous voulez limiter la part des richesses consacrées aux retraites. Tels sont vos vrais objectifs : c’est pourquoi j’appelle à supprimer l’alinéa 4.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vais me contenter de rappeler les objectifs énoncés à l’article 1er : équité, solidarité, garantie d’un niveau de vie satisfaisant, liberté de choix pour les assurés, soutenabilité économique et lisibilité des droits. Je pense que nous pouvons nous mettre d’accord sur ces objectifs. Nous pourrons ensuite, au fil de nos débats et de l’examen des articles, débattre de la meilleure manière de les atteindre. Avis défavorable sur ces trois amendements.

M. Sacha Houlié. Chers collègues, votre argument me paraît totalement inapproprié. Vous qui appelez constamment au plafonnement des revenus et des salaires, vous vous opposez aujourd’hui au plafonnement des pensions de retraite pour les plus hauts revenus. Il y a là une incohérence que je dénonce et que je ne comprends pas. Les plus hauts revenus verseront une cotisation de solidarité, dont on pourra discuter le montant et qui n’ouvrira pas de droits : c’est une bonne mesure, qui a une vraie dimension redistributive. Vous avez beaucoup cité l’étude d’impact, mais vous avez omis de dire qu’elle juge ce projet de loi puissamment redistributif.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21527 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Vous répétez le mot « universel » dans tout votre texte, comme un slogan. Et nous vous invitons, à chaque fois qu’il apparaît, à préciser votre pensée.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je note la cohérence du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur cette question. Je reste moi aussi cohérent et j’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. Boris Vallaud. J’aimerais dire un mot de la redistributivité et de la réduction des inégalités. Dès lors que vous faites sortir du système de retraite les 1 % de Français les plus riches, vous améliorez mécaniquement la redistributivité en réduisant les écarts de pensions. C’est mécanique, mais cela ne change rien. Est‑ce un progrès d’avoir 60 % des pensionnés dans un filet de sécurité et 40 % des femmes ? C’est un nivellement par le bas. Je ne crois pas que cette réforme apporte des progrès de ce point de vue.

M. Adrien Quatennens. Il me semble que l’argument de l’universalité n’a pas résisté à ces quatre heures de débat et, de ce point de vue, j’estime que nous avançons bien. Je regrette toutefois que nos collègues de la majorité interviennent aussi peu dans nos débats. J’espère que, dans la soirée et dans les prochains jours, nous aurons des échanges plus nourris. Nous avons le désagréable sentiment que vous attendez que ça se passe.

Si j’étais à votre place, convaincu que ce nouveau système va être formidable, je mettrais un peu plus de cœur et d’enthousiasme à le défendre. Qu’attendez-vous pour monter au créneau et pour défendre votre système, qui est si juste et si simple que la France en a tellement envie ? Nous avons l’habitude des meetings et nous pouvons parler longtemps, mais nous aimerions qu’une vraie confrontation ait lieu : ce serait plus intéressant.

La commission rejette l’amendement.

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2.   Réunion du lundi 3 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8680413_5e3880802ba0b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--examen-du-projet-de-loi-instituant-un-sys-3-fevrier-2020

Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné cet après-midi 183 amendements. Il ne nous en reste donc que 21 263 à examiner...

M. Thierry Benoit. Tout va bien !

Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition

La commission examine l’amendement n° 21083 de Mme Valérie Rabault.

M. Régis Juanico. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 5 et 8 de l’article 1er. L’alinéa 5 fixe un « objectif d’équité » et précise que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous dans les conditions définies par la loi ». L’alinéa 8, quant à lui, définit un « objectif de liberté de choix pour les assurés », notamment en ce qui concerne la date de départ à la retraite. Le premier de ces deux alinéas, nous l’avons dit, ne correspond pas à la réalité : chaque euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits ; cela dépendra des caractéristiques de la carrière de chacun, notamment en cas d’interruptions. Les personnes nées avant 1975 verront‑elles, à partir de 2025, le taux et l’assiette de cotisation modifiés, en l’occurrence augmenter ? Valérie Rabault et Boris Vallaud ont déjà posé tout à l’heure cette question extrêmement précise concernant le régime transitoire ; nous n’avons pas reçu de réponse.

Quant à la prétendue liberté de chacun de partir à la retraite à l’âge qu’il souhaite, on voit bien ce qu’il en est. Par exemple, un ouvrier ayant commencé à travailler à l’âge de 20 ans et qui cotiserait quarante-trois ans ne pourrait partir à la retraite qu’à partir de 65 ans, si l’âge pivot est fixé à ce niveau, et n’aurait donc aucune liberté de choix. De surcroît, il y aurait là une inégalité sociale majeure, car un cadre qui commencerait à travailler à 24 ans et qui cotiserait quarante-trois ans partirait à 67 ans, non seulement sans malus, mais au contraire avec un bonus de 10 %.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer ces deux alinéas.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis surpris que vous proposiez la suppression de ces alinéas alors que vous en partagez les objectifs. Que vous ne partagiez pas les moyens proposés pour les atteindre, je l’entends, mais je vous invite à travailler sur ces moyens plutôt qu’à essayer de supprimer les objectifs eux-mêmes, d’autant que vous les approuvez. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Si nous avons présenté cet amendement, ce n’est parce que nous ne partageons pas les objectifs, c’est parce que nous pensons qu’ils ne sont pas servis par votre réforme. Je vous en donnerai un seul exemple. Vous affirmez qu’un euro cotisé donne les mêmes droits à tout le monde, mais ce n’est pas vrai pour les indépendants entre un et trois plafonds de la sécurité sociale : la part des cotisations créatrices de droits dans le total des cotisations acquittées est plus faible pour eux que pour les salariés. Leurs droits à retraite le seront donc eux aussi. Monsieur le rapporteur, comment justifiez-vous cet écart par rapport à la règle fixée ? Ne craignez-vous pas que le Conseil constitutionnel censure la disposition au titre de l’égalité ?

M. Pierre Dharréville. Cet amendement met en évidence ce qui constitue l’intention avérée du texte, à savoir non seulement perpétuer des inégalités existantes, mais les aggraver.

Mme Valérie Rabault. Je suis évidemment en accord avec ce que vient d’être dit par mes collègues. Il est question, dans l’alinéa 8, d’un « objectif de liberté de choix pour les assurés » ; je voudrais savoir, monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure cette liberté de choix est effective. En effet, votre formule de calcul de la pension versée est la suivante : le nombre de points acquis est multiplié par la valeur du point, moins le malus, lequel dépend de l’âge de départ à la retraite, avec un âge pivot fixé à 65 ans. Comment voulez-vous – je reprends le même exemple que précédemment – qu’un ouvrier qui a commencé à travailler à 20 ans et qui a cotisé quarante-trois ans parte à 63 ans à la retraite, même s’il a toutes ses années de cotisation, dès lors qu’il risque de subir une décote de 10 % sur sa pension
– laquelle, d’ailleurs, même complète, n’est pas très élevée ? Pour cet ouvrier, la liberté de choix n’existe pas. Dans ces conditions, écrire dans l’alinéa 8 que chacun aura la liberté de choix me paraît mensonger. Nous proposons donc sa suppression. Encore une fois, si vous souhaitez que la liberté de choix existe réellement, il faut à tout le moins que vous renonciez au malus – je ne reviens pas sur les autres difficultés qu’a soulevées Boris Vallaud, notamment au regard des différences existant entre les indépendants et les salariés ; on pourrait aussi évoquer les agriculteurs, qui, eux non plus, ne seront pas traités de la même manière.

M. Sébastien Jumel. Nous avons fait une pause dans nos travaux, mais mon inquiétude ne fait qu’augmenter : dix-huit mois de concertation simulée, un dialogue social avorté, une étude d’impact tronquée, un débat parlementaire mal emmanché... Je me demande quelle est, au bout du compte, votre stratégie. M. le secrétaire d’État a visiblement fait vœu de silence, la majorité vœu d’obéissance, et nous, nous défendons nos amendements, mais nous sommes un peu comme des boxeurs qui taperaient dans des sacs vides – je suis sûr que la métaphore parlerait au Premier ministre. (Sourires.) Je suis inquiet parce que, du fait de votre démarche, les corps constitués sont humiliés, et les organisations syndicales, malgré soixante jours de mobilisation, rendues inutiles, tout autant d’ailleurs que les parlementaires. Je vous demande donc quelle est votre stratégie. Allons-nous arriver en séance avec un texte identique à celui de départ ? D’ailleurs, j’ai bien peur que nous n’ayons pas le temps d’examiner les 22 000 amendements qui ont été déposés. Si, en plus, vous nous dites de fermer notre gueule – car j’ai bien vu le geste que l’un d’entre vous vient de faire –, si vous voulez museler l’opposition, cela devient vraiment problématique.

Mme Monique Limon. Mon geste illustrait ce que vous disiez de notre silence, vous n’étiez pas visé !

M. Sébastien Jumel. Mes questions sont donc simples : avez-vous acté comme stratégie ultime le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution ? Avez‑vous opté pour un texte dans lequel tout est joué d’avance ? Vous moquez‑vous du dialogue ? Avez-vous décidé de faire l’impasse sur les discussions ? Je suis intéressé par les réponses de la commission, mais aussi par celles de M. le secrétaire d’État.

Mme Clémentine Autain. Pour prolonger les interventions de Boris Vallaud, Régis Juanico, Valérie Rabault et Sébastien Jumel, je voudrais d’abord réitérer les deux questions précises que j’ai posées tout à l’heure. La première concernait la différence entre l’ouvrier et le cadre. Même si l’un et l’autre travaillent quarante-trois ans, dans la mesure où ils n’auront pas commencé au même âge, l’ouvrier sera pénalisé par votre système, qui lui fera perdre 10 % de sa pension, tandis que le cadre sera favorisé, car il bénéficiera d’une surcote. Pouvez‑vous nous dire un mot à ce propos, monsieur le secrétaire d’État ? C’est le moins que l’on puisse attendre dans un cadre démocratique : obtenir des réponses aux questions précises que nous posons.

Ma seconde question concernait la retraite des chômeurs. Je rappelle que, dans le système actuel, le calcul est fait sur la base du dernier salaire et non pas sur les indemnités. Avec votre système, c’est le contraire, ce qui entraînera évidemment un manque à gagner. Là aussi, pourrions-nous avoir une réponse précise ?

J’ajoute un mot à propos d’un autre sujet sensible : le principe selon lequel chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous. Vous n’arrêtez pas de le rabâcher, vous le répétez sur tous les tons. Or il est évident qu’en fonction de la génération à laquelle on appartient, un euro cotisé n’ouvrira pas les mêmes droits, puisque l’âge d’équilibre va évoluer. Autrement dit, au moment où une personne partira à la retraite, le point cotisé n’aura pas la même valeur que pour une personne appartenant à une autre génération. Au vu de ces éléments, l’alinéa 5 est tout simplement mensonger.

La commission rejette l’amendement n° 21083.

Elle en vient aux amendements identiques n° 1475 de Mme Clémentine Autain, n° 1482 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1483 de Mme Danièle Obono et n° 21163 de Mme Valérie Rabault.

Mme Clémentine Autain. Honnêtement, si nous ne recevons aucune réponse à nos questions, cela va mal finir.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Défendez-vous votre amendement, madame Autain ?

Mme Clémentine Autain. Je veux bien défendre mon amendement mais, en principe, nous devrions défendre des amendements face à une majorité défendant, elle, son texte, et à des ministres censés répondre à nos interrogations. En l’occurrence, nos interrogations ne sont pas seulement celles des députés insoumis, communistes ou socialistes : ce sont aussi les questions que se posent les gens, qui sont inquiets pour leur avenir et pour leur retraite. Vous vous moquez de nous ; le problème est qu’à travers nous, c’est aussi des Français que vous vous moquez, lesquels sont majoritairement opposés à votre projet. Je veux bien défendre l’amendement n° 1475, qui vise à supprimer l’alinéa 5, mais la manière dont nous débattons dans cette commission pose un problème démocratique.

J’exposerai mes arguments très rapidement, et mes collègues compléteront. Nous voulons supprimer l’alinéa 5 parce qu’il est mensonger : il n’est pas vrai qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous. Il faut également se rendre compte du fait que le calcul se fera désormais, dans le privé, non plus sur les vingt-cinq meilleures années mais sur toute la carrière et, dans le public, non plus sur les six derniers mois mais sur toute la carrière. Cela pose un véritable problème. En effet, par définition, si vous calculez sur une période plus longue, ceux qui ont des carrières hachées et des salaires bas vont nécessairement y perdre. Je ne vois donc pas comment on peut parler d’équité et de justice, dès lors que le système va conduire à une diminution du niveau des pensions.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 1482 est lui aussi un amendement de suppression, dont la raison va vous paraître évidente : nous sommes en désaccord pratiquement avec un mot sur deux. Il est nécessaire de demander la suppression d’un texte auquel on ne croit pas, en tout cas quand on se sent un devoir de sincérité à l’égard de ceux qui nous ont envoyés ici.

Je vous demande, collègues, de bien regarder ce que vous écrivez : il est question, à l’alinéa 5, d’un « objectif d’équité ». Je ne vous infligerai pas de nouveau le débat que nous avons eu tout à l’heure sur l’équité et l’égalité ; toujours est-il qu’un objectif d’équité, ce n’est pas un objectif d’égalité. Pourtant, à la fin de la phrase, on passe de l’équité à l’égalité, puisqu’il est écrit que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » – ce qui, naturellement, n’est pas vrai ; tout le monde l’a dit, y compris ceux qui sont partisans du système à points –, et ce, est-il précisé pour finir, « dans les conditions définies par la loi ». Autrement dit, nous passons de l’équité à l’égalité, pour terminer dans le brouillard.

Vous avez établi qu’il n’y aurait ni équité ni égalité. En effet, c’est la fin des régimes spéciaux : si vous en avez maintenu un certain nombre, vous en avez supprimé beaucoup, et toutes les personnes concernées vont y perdre. Par ailleurs, nous l’avons dit, vous expulsez du système tous ceux qui sont au-dessus de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale. En outre, vous instaurez des méthodes de calcul différentes selon que l’on est dans le privé ou dans le public. Enfin, nous n’avons pas encore compris en quoi consiste une carrière complète dans le cadre d’un système à points.

Dans l’alinéa 5, on trouve une phrase de deux lignes comportant trois notions oxymoriques : ce sont des énoncés collés les uns à côté des autres par la magie de la grammaire et de la syntaxe, mais pas par celle de la politique.

Mme Danièle Obono. Je me joins aux interpellations de mes collègues. J’en profite également pour rappeler que, si nous sommes réunis ici, c’est parce que votre majorité et votre gouvernement l’ont voulu. En dépit des conditions de l’examen du texte, quelque peu problématiques, nous avons fait le travail de lire très attentivement le projet de loi et l’étude d’impact, aussi rocambolesques que soient ses composantes. Nous avons étudié le texte alinéa par alinéa. S’agissant de l’alinéa 5, Jean-Luc Mélenchon vient de démontrer l’incohérence totale entre, d’une part, ce que vous prétendez avoir inscrit dans le texte, à savoir l’universalité, l’égalité et tutti quanti, d’autre part, la réalité de ce que signifie ce qui est écrit. Nous proposons donc la suppression de cet alinéa, et nous l’expliquons à travers tous ces amendements. En vérité, rien de ce que vous prétendez avoir écrit n’est aujourd’hui établi dans le projet de loi. Il va bien falloir que vous nous donniez des réponses, faute de quoi votre silence sera l’aveu de l’inanité des travaux menés pendant plus de deux ans, qui nous ont pourtant été présentés comme un exemple formidable de dialogue social. Si vous avez dialogué avec les syndicats de la même manière que vous le faites avec les parlementaires, on comprend pourquoi cela a fini en eau de boudin, au point que le seul syndicat qui vous présentait un visage avenant s’est lui‑même trouvé dans l’impossibilité de vous soutenir jusqu’au bout. Il va falloir que vous nous donniez des réponses, car votre silence confirmera les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’alinéa 5 et, plus largement, de l’ensemble des dispositions du projet de loi. Nous espérons qu’au cours des nombreuses heures que nous allons passer ensemble, vous nous donnerez des réponses précises.

Mme Valérie Rabault. L’amendement n° 21163 vise lui aussi à supprimer l’alinéa 5 de l’article 1er. Je l’ai dit, vous faites croire que le système universel va être plus lisible et que le montant de la pension sera égal au nombre de points acquis pendant la carrière, multiplié par la valeur du point. En réalité, on découvre au fur et à mesure qu’il faudra déduire le malus – dans le projet de loi, il est question de « coefficient d’ajustement » ; je pense pour ma part qu’il vaut mieux l’appeler « malus », pour que chacun comprenne bien de quoi il s’agit.

Il se trouve que ce malus est fondé sur l’âge réel de départ à la retraite. Depuis le début des travaux de cette commission, nous vous avons interrogés au moins dix fois, en vain, sur la situation de l’ouvrier qui commence à travailler à 20 ans, qui cotise quarante-trois ans et souhaite donc partir à la retraite à 63 ans, soit deux ans avant d’atteindre le fameux âge d’équilibre qui, à ce stade, figure dans le texte. De ce fait, cet ouvrier perd 10 % de sa pension. Un cadre qui a fait des études et a donc commencé à travailler à 24 ans, cotise quarante-trois ans et part à la retraite à 67 ans, c’est-à-dire deux ans de plus par rapport à l’âge d’équilibre, bénéficie quant à lui d’un bonus de 10 % sur le montant de sa retraite. Il faut que vous nous disiez, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, comment un tel système peut, à vos yeux, produire de la justice. En effet, sur la base de l’exemple que nous reprenons sans arrêt depuis tout à l’heure, il est tout bonnement impensable que votre majorité puisse considérer que le système établit une quelconque justice entre l’ensemble des assurés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sur la forme, madame Autain, madame Rabault, vous dites que nous ne vous répondons pas ; mais, dans cet article, nous en sommes aux objectifs du système proposé, tandis que vous nous parlez des moyens permettant de les mettre en œuvre. Vous contestez ces moyens, c’est tout à fait votre droit, mais je vous invite à nous interpeller à nouveau au moment où nous aborderons la question : nous vous donnerons alors des réponses sur le fond. Nous n’allons pas débattre de ce point avant d’en arriver aux articles du texte qui s’y rapportent.

Madame Autain, les 19 000 amendements que votre groupe a déposés noient le débat. Nous n’allons pas répéter 19 000 fois les mêmes explications : cela nuirait à la qualité des réponses que nous apportons aux autres groupes.

S’agissant des éléments techniques, monsieur le secrétaire d’État pourra s’exprimer dès à présent s’il le souhaite mais, je le répète, il me semble qu’il faut les aborder au moment de l’examen des articles qui s’y rapportent. L’article 1er, quant à lui, traite des objectifs, lesquels ont été fixés à partir du constat que nous faisons sur le système actuel. Or celui-ci est source d’iniquités : certaines durées d’activité, parce qu’elles correspondent à des revenus inférieurs à 150 heures au SMIC, ne permettent pas de valider des trimestres, ce que nous trouvons inéquitable ; certains polypensionnés peuvent acquérir plus de quatre trimestres par an, ce que nous trouvons surprenant ; certains trimestres accordés au titre de la majoration de durée d’assurance ne valident pas de droits à retraite, ce que nous trouvons inéquitable – de même, d’ailleurs, que le fait que cette majoration permette de bénéficier de huit trimestres dans le privé, contre deux dans le public ; les taux de rendement du point peuvent varier du simple au double suivant la caisse de retraite, ce que nous trouvons inéquitable ; enfin, et cet exemple est peut-être celui qui me tient le plus à cœur, quand une femme s’arrête de travailler pendant dix ans, elle doit attendre jusqu’à 67 ans pour faire valider sa retraite sans décote, ce que nous trouvons profondément inéquitable. Tel est le constat que nous dressons. Nous essayons de construire un nouveau système, qui a certainement des limites, que vous pointerez le moment venu, et sur lesquelles nous pourrons essayer de travailler. En attendant, je suis donc absolument défavorable à la suppression de l’alinéa 5.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’entends bien les questions qui sont posées. Je ne voudrais pas répéter ce que vient de dire M. le rapporteur mais, de fait, nous essayons d’examiner les articles du texte dans l’ordre. Or, alors que nous en sommes au chapitre Ier du titre Ier, vous me posez des questions sur la transition, qui sera abordée bien plus loin dans le texte. Ce que je trouve respectueux du Parlement – ce n’est pas vous faire offense que de vous le dire –, c’est d’intervenir au moment utile, d’une manière qui soit en lien avec le contenu du texte. Si vous m’interrogez sur tous les sujets au motif que nous en sommes au titre Ier, qui pose les principes généraux, nous pouvons y passer beaucoup de temps. Peut-être pourrions‑nous convenir d’aborder les thèmes qui vous intéressent – ce que je comprends – dans la partie du texte afférente ?

Cela dit, je veux bien revenir sur certains éléments. D’abord, madame Rabault, vous m’interrogiez tout à l’heure sur les générations 2004 et 2005, vous inquiétant d’une naissance qui aurait lieu le 31 décembre 2004 et d’une autre qui surviendrait le 1er janvier 2005. En réalité, si ces deux personnes entrent dans la vie active à 18 ans, elles auront des cotisations identiques, au même taux, dans le système universel de retraite. Je pense que vous vouliez plutôt parler des années 2003 et 2004, et que vous craigniez qu’une personne née en 2004 ne soit tout de suite dans le système universel de retraite, quand une personne née en 2003 n’y serait qu’en 2025. Le niveau de cotisation sera le même, mais la première de ces personnes se créera des droits dans le cadre du système actuel et rejoindra le système universel en 2025, quand la seconde – celle qui appartient à la génération 2004 – y sera d’emblée.

Votre deuxième réflexion, reprise par Mme Autain, portait sur le départ à 62 ans. Vous avez, l’une et l’autre – même si je ne dis pas que telle était votre intention –, opposé deux catégories sociales, en l’occurrence les cadres et les ouvriers. Et si nous examinions les choses factuellement ? C’est une erreur de croire qu’un niveau de qualification plus bas vous permet d’entrer directement sur le marché de l’emploi ; c’est même un peu le contraire. Vous faites l’hypothèse selon laquelle les ouvriers commencent à travailler très tôt. Malheureusement, force est de constater que l’âge moyen d’entrée dans la vie active est de 21 ans pour les ouvriers – et de 22 ans pour les cadres. La différence essentielle entre ces deux catégories socioprofessionnelles est que, dans l’une, à près de 80 %, on trouve très vite du travail – je parle de ceux ayant fait des études longues –, alors que, dans l’autre, on met du temps à y arriver.

Votre comparaison ne tient donc pas au vu des faits : un ouvrier commence à travailler non pas à 20 ans mais à 21 ans, et un cadre à 22 ans, non à 24 ans. En revanche, puisque je comprends votre logique, je vais la prolonger, cette fois-ci sur la base de faits objectifs : 21 ans plus 43 font 64 ans, ce qui, je vous le rappelle, est ni plus ni moins que l’application de la réforme dite « Touraine », votée en 2014. L’ouvrier en question travaillera donc jusqu’à 64 ans – en admettant d’ailleurs qu’il reste ouvrier toute sa vie, ce qui n’est pas forcément une hypothèse que je ferais : la dynamique des carrières professionnelles est telle que ce n’est pas nécessairement ainsi que les choses se passent et, quoi qu’il en soit, on peut souhaiter que les personnes qui commencent par exercer des métiers dont l’accès est plus immédiat puissent évoluer et endosser par la suite des responsabilités. Quant au cadre, arrivé à 22 ans sur le marché du travail, il devrait lui aussi travailler quarante-trois ans du fait de la « réforme Touraine », ce qui veut dire qu’il partirait à 65 ans. L’étude d’impact comporte un certain nombre d’hypothèses de cet ordre.

Quoi qu’il en soit, vous le voyez, la dynamique ne serait pas du tout celle que vous avez décrite. Je comprends parfaitement, d’ailleurs, pourquoi vous avez évoqué l’âge de 20 ans : ce faisant, vous pensiez pouvoir ouvrir le débat sur les décotes et les surcotes. Il se trouve que la situation que vous avez décrite ne correspond pas, objectivement, à ce qui se passe sur le marché de l’emploi ; c’est incontestable et factuel. Même si mon regard n’est pas forcément le même que le vôtre, nous pourrions peut-être nous rejoindre sur un point, à savoir la réalité de ce que vivent un certain nombre de personnes dans le système actuel, que M. le rapporteur a rappelée tout à l’heure – je pense en particulier aux personnes qui doivent travailler jusqu’à 67 ans, âge à partir duquel la décote est annulée. Puisque vous vous référez au système actuel, je pense que vous avez tout cela bien en tête.

S’il n’y a pas, contrairement à ce que vous vouliez peut-être souligner, d’opposition entre les catégories socioprofessionnelles s’agissant de l’entrée dans la vie active, on observe, en revanche, en ce qui concerne l’âge d’annulation de la décote, que ce ne sont pas les cadres supérieurs ou les professions libérales qui travaillent aussi longtemps : ce sont, pour l’essentiel, ceux de nos concitoyens ayant les revenus les plus faibles, car ils y sont obligés. Je vais vous donner quelques chiffres – en effet, là encore, il s’agit d’un constat objectif : je ne suis pas intéressé par les pétitions de principe, j’essaye d’étudier les statistiques qui sont à ma disposition. Ce sont les personnes ayant eu les carrières les plus heurtées qui partent à 67 ans. C’est un monde que je connais bien, mes parents ayant été concernés : 28 % des artisans et 15 % des salariés sont dans ce cas – mais 19 % des femmes salariées puisque, vous le savez, c’est un phénomène qui touche plus particulièrement les femmes. Or, selon l’AGIRC-ARRCO, l’âge moyen de départ à la retraite pour les cadres se situe plutôt aux alentours de 62 ans. Vous le voyez, la réalité n’est pas aussi simple qu’on peut le croire quand on s’en tient à des exemples destinés à opposer les uns aux autres – je n’ai pas dit que c’était là le fond de votre pensée. Du reste, nous pouvons tous souhaiter que les gens évoluent au cours de leur carrière et accèdent à davantage de responsabilités, même si ce n’est pas le cas de tout le monde. Quoi qu’il en soit, l’évolution professionnelle, cela existe et, en la matière, il faut en rester sereinement aux faits.

Vous avez évoqué tout à l’heure un autre aspect, Madame Autain, lorsque vous vous êtes inquiétée de l’universalité. Vous m’avez dit en substance : « J’aimerais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous m’expliquiez pourquoi, si votre système universel de retraite est si bon, vous ne l’appliquez pas aussi aux policiers et aux militaires » – je ne voudrais pas déformer vos propos, mais je crois que c’était à peu près leur teneur. Or il n’y a pas de débat à ce sujet : les policiers et les miliaires sont bien dans le système universel de retraite ; simplement, ils bénéficient de dispositions particulières, ce que je vais vous expliquer bien volontiers. J’estime que le fait de risquer sa vie pour protéger celle de ses concitoyens et de veiller à l’intégrité de son pays mérite d’être pris en compte. Cela me paraît tout à fait raisonnable. Par ailleurs, au-delà d’un certain âge, on n’a pas nécessairement les ressources physiques pour partir en mission au Sahel
– notamment au Mali. De la même manière, il est important d’avoir des policiers en situation de faire leur travail, c’est-à-dire jouissant de l’intégralité de leurs moyens. Il y a donc effectivement des différences, mais elles sont liées à l’activité exercée, et ont été précisées dès le début. De plus, elles concernent l’âge de départ : cela n’a rien à voir avec le fait d’être ou pas inclus dans le système universel de retraite.

Mme Catherine Fabre. Je souhaite verser à mon tour quelques éléments au débat. En effet, certains arguments de l’opposition, qui peuvent sembler justes à première vue, se révèlent infondés quand on examine les faits. M. le secrétaire d’État vient de parler de l’âge réel de départ à la retraite des cadres et des ouvriers, et de rappeler quelles sont les catégories socioprofessionnelles les plus concernées par le départ à 67 ans. On voit que ce sont les plus précaires qui sont touchés, et de loin.

Vous dites qu’il vaut mieux indexer les points de solidarité correspondant aux périodes de chômage sur le salaire plutôt que sur les indemnités versées. Or celles-ci sont beaucoup plus redistributives : dès lors que les indemnités ont un plancher et un plafond, il est plus égalitaire de déterminer les points de solidarité sur cette base. Là encore, il faut donc faire attention, car la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.

Enfin, vous dites que le fait de se fonder sur les six derniers mois
– s’agissant du public – ou les vingt-cinq dernières années – dans le privé – est plus favorable aux carrières heurtées que la prise en compte de la totalité de la carrière, mais c’est absolument faux. Le problème est que les pensions de retraite et les droits à la retraite sont indexés sur l’inflation. Nous voulons, quant à nous, les indexer sur les salaires. Les personnes dont les carrières et les salaires ne progressent pas, c’est-à-dire, une fois encore, les plus précaires, auront ainsi de meilleures pensions, dans la mesure où les points acquis en début de carrière vaudront autant que les points acquis en fin de carrière, ce qui n’est pas le cas dans le système actuel – c’est d’ailleurs une injustice criante ; je pense que nous serons d’accord sur ce point, et j’aimerais bien vous entendre dénoncer cette injustice, qui existe d’ailleurs depuis de nombreuses années.

M. Boris Vallaud. Je voudrais d’abord féliciter M. le secrétaire d’État, parce qu’une fois qu’il a répondu à nos questions, nous ne les comprenons plus nous-mêmes.

M. Olivier Véran. Quelle arrogance !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’aimerais que le débat soit un peu plus posé, monsieur Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il est tout à fait posé, madame la présidente. Ma remarque était parfaitement objective. D’ailleurs, je ne critiquais pas tant les réponses de M. le secrétaire d’État que mes questions, vous auriez pu le noter.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous avais posé une question dans l’hémicycle, en m’appuyant sur l’exemple de deux personnes – Laurent et Édouard, si je me souviens bien –, nées toutes les deux en 2005 et pour lesquelles s’appliquait le même âge pivot, à savoir 67 ans. Peu importe que l’un soit cadre et l’autre ouvrier : Laurent commençait à travailler à 20 ans et avait nécessairement une décote, alors qu’Édouard, qui avait travaillé à partir de l’âge de 25 ans, avait nécessairement une surcote. Voilà qui est factuel et objectif. Vous ne pouvez pas le contester. Ensuite, vous parlez des carrières heurtées. Selon vous, il serait mieux de prendre toute la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années. Comment serait-ce possible, notamment pour les jeunes, dont le début de carrière est nécessairement marqué par des contrats précaires et de longues périodes de chômage non indemnisé ? Dans votre réforme, vous ne créez pas de points pour le chômage non indemnisé.

M. Jacques Marilossian. Si !

M. Boris Vallaud. Par ailleurs, vous avez dégradé les conditions pour les chômeurs indemnisés : le calcul sera fait non pas sur le dernier salaire mais sur l’allocation. Par conséquent, quand on sera un vieux chômeur – compte tenu du taux d’emploi des seniors, le cas de figure sera fréquent –, on aura à choisir entre être au chômage et être un retraité subissant une décote potentiellement très importante. En outre, vous dites que vous voulez une indexation sur les salaires, mais ce ne sera pas une règle d’or : seul l’équilibre financier du système est considéré comme tel. D’ailleurs, si c’était un désir ardent, pourquoi ne l’avez‑vous pas fait plus tôt ? Or, tout au contraire, vous avez sous-indexé par rapport à l’inflation. Comment pourrions-nous donc vous croire ?

M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai deux petites questions à vous poser à propos de l’alinéa 5. La première porte sur l’« euro cotisé » : pourriez-vous nous préciser si cela inclut bien les cotisations salariales et patronales, voire les cotisations payées par des tiers – il existe un certain nombre de cas : par exemple, pour les médecins, les cotisations sont directement prises en charge ? La seconde concerne une promesse faite par le Président de la République pendant sa campagne : il avait parlé, à l’époque, d’un système par points associé à des comptes notionnels. Or l’idée de comptes notionnels semble avoir disparu du projet gouvernemental. Pourriez-vous nous confirmer que le Gouvernement y a renoncé ?

M. Jean-Luc Mélenchon. L’une de nos collègues nous disait il y a un instant, pointant du doigt tel ou tel point qui ne fonctionne pas bien dans le régime actuel, qu’elle aimerait nous entendre les dénoncer. Eh bien, entendez-nous, madame, car nous n’avons jamais dit que le régime actuel était parfait, qu’il n’y avait rien à y toucher. C’est même tout le contraire. Je résume souvent notre position par la formule suivante : selon nous, les gens partent trop tard – car nous sommes pour un départ à la retraite à 60 ans – et trop pauvres, sans parler bien sûr des autres aspects. Ce qui est intéressant dans votre remarque, collègue, c’est que vous abordez les effets d’un projet concernant les retraites sur les carrières et sur la projection que chacun a de sa propre existence professionnelle. Autrement dit, on s’aperçoit qu’en toutes circonstances l’aval déforme l’amont. Je vais vous en donner immédiatement un exemple.

Le rapporteur a dit, en substance, que nous avions déposé 19 000 amendements et qu’il n’allait pas nous répondre 19 000 fois la même chose. Mais, cher rapporteur, ces 19 000 amendements ne sont pas identiques ; ne craignez donc pas de diversifier vos réponses. Imaginez quelle tête vous auriez fait si vous aviez été le rapporteur du projet de loi privatisant EDF, sur lequel 130 000 amendements avaient été déposés... Quelques-uns de nos collègues, présents dans cette pièce, y étaient.

Pour prolonger mon propos et le finir, qu’est-ce qui change dans la carrière de quelqu’un du fait du régime de retraite que vous allez introduire ? Eh bien, c’est qu’une carrière n’a plus de sens : si vous avez commencé en bas de l’échelle des salaires et des qualifications, qu’en cours de route vous avez amélioré votre position et que vous terminez dans l’encadrement, par exemple, cela est effacé au moment où vous prenez votre retraite, puisqu’on reprend toute votre carrière au lieu de se fonder uniquement sur la partie correspondant à votre promotion. La conséquence en est que cela détruit un modèle : à quoi bon être apprenti au niveau V, si c’est pour ensuite ne pas pouvoir progresser dans l’entreprise ?

M. Jacques Marilossian. Cela n’a aucun rapport !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Un certain nombre de questions ont été adressées à M. le secrétaire d’État, et il y a répondu. Pour la qualité de nos débats, il me semble fort regrettable que ces réponses suscitent des réactions comme celle que nous avons entendue : l’orateur disait qu’il était perdu, qu’il ne comprenait plus rien, et cela alors que M. le secrétaire d’État a tout simplement décrit la réalité du système actuel, ses injustices et les objectifs que poursuit le projet de loi, qui consistent à proposer un certain nombre de solutions. La moindre des choses est que nos échanges restent corrects, même si les réponses apportées ne satisfont pas l’un ou l’autre d’entre nous. La réalité est que ceux de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui ont les carrières les plus difficiles et les plus heurtées, de même que les salaires les plus bas, partent après 65 ans – et bien souvent même à 67 ans – pour bénéficier du taux plein, et non à 60 ans. C’est bien à cela que nous essayons d’apporter des réponses.

M. Éric Woerth. Madame Rabault renvoie en fait au débat entre durée de cotisation et âge de départ. Même si cela le sera un peu moins à l’avenir, il me paraît très utile, aujourd’hui, de conserver l’un comme l’autre, pour une bonne raison, qui va perdurer : il faut remédier à l’iniquité entre ceux qui sont entrés tôt et ceux qui sont entrés sur le marché du travail plus tard, pour de bonnes raisons, car ils suivaient des études visant à leur permettre d’acquérir une qualification, participant en cela à l’élévation du niveau de qualification de l’emploi en France. Ils n’ont donc pas passé ces années en vacances.

Pour d’autres raisons, que l’on peut d’ailleurs parfois regretter, certains entrent tôt sur ce même marché et les carrières longues, commencées jusqu’à l’âge de 20 ans, couvrent ces cas. On entre à cet âge-là sur le marché du travail, ou l’on suit des études pour y entrer ultérieurement. Il est donc logique que l’âge légal soit un âge effectif de départ à la retraite – quel que soit l’âge d’entrée dans une
carrière –, la pension correspondante subissant une décote si cette carrière n’est pas complète. On a le droit, lorsque l’on a atteint cet âge, de prendre sa retraite : cela me paraît extrêmement important. Les exemples cités dans l’amendement de notre collègue Valérie Rabault sont exacts.

Au fond, cet âge d’équilibre, qui ne figure pas dans le texte – il y est en réalité omniprésent, sans y être mentionné –, est discuté actuellement, ainsi que toutes les autres mesures d’équilibre financier, dans la pièce d’à côté, c’est-à-dire avec les partenaires sociaux : nous ne pouvons donc pas en débattre et cela n’est pas normal. Pourtant, à l’évidence, tout tourne autour de cette disposition. Qu’un problème d’âge se pose dans le domaine des retraites, c’est dans sa nature même : c’est d’ailleurs un des seuls que se posent les Français. Répondre par l’âge pivot revient à répondre par le niveau de pension : en réalité, vous abaissez la pension à laquelle avaient droit les Français ayant effectué une carrière complète avant d’atteindre cet âge.

M. Sébastien Jumel. Boris Vallaud a, plus brillamment que je ne serai capable de le faire, battu en brèche votre argumentation relative à l’indexation des pensions sur les salaires ainsi qu’au report, que vous avez décidé à l’horizon 2040, d’une mesure si positive pour les retraités.

Je m’attarde sur l’argument développé par l’une de nos collègues sur la référence aux six derniers mois de la carrière des fonctionnaires, ce qui n’est pas positif, et aux vingt-cinq dernières années des salariés du privé, ce qui est préjudiciable.

Elle est aux oiseaux : dans la fonction publique en effet, sauf si l’on commet une faute grave, l’évolution des échelons et des grades, la capacité à passer des concours, comme la possibilité offerte à l’autorité compétente de donner, y compris avant la retraite, un coup de pouce, fait que les six derniers mois sont toujours plus positifs que les six premiers, ou que les vingt-cinq dernières années.

Par conséquent, c’est classé : votre mesure va pénaliser les fonctionnaires. L’intégration des primes va d’ailleurs pénaliser davantage les femmes que les hommes : cela est démontré.

Il en va de même, bien sûr, des salariés du privé : les femmes seront également fortement pénalisées par votre réforme puisqu’à l’évidence, les questions des enfants et du temps partiel imposé sont plus problématiques en début de vie professionnelle qu’à la fin.

Mis à part, évidemment, un salarié qui serait victime d’un licenciement
– les seniors, que vous invitez à travailler plus longtemps, vont en être victimes –, les carrières sont, au bout du compte, consolidées. Le remettre en cause va donc également pénaliser les salariés du privé : votre réforme est une réforme perdant-perdant !

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement n° 22601 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit de discuter, et même de contester, cette formule facile – qui a servi de slogan mais qui n’est, en réalité pas respectée par le texte qui nous est proposé, car c’est impossible – utilisée pour présenter et défendre en définitive ce projet de loi : chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits.

Vous vous êtes rendus à l’évidence et avez choisi de conserver le slogan tout en ne l’appliquant pas. Nous avons d’ailleurs dit que nous ne souhaitions pas que notre système de retraites s’inspire d’une telle philosophie.

Aller au bout de celle-ci conduirait en effet à rompre avec l’idée qu’un bon taux de remplacement est nécessaire et à entrer dans une logique selon laquelle chacun doit retrouver, au bout du compte, ce qu’il a versé au cours de sa carrière. Même si vous n’allez pas au bout de cette logique, c’est bien cette philosophie qui sous-tend votre proposition.

Vous avez beau nous expliquer qu’il existerait d’un côté le système actuel, qui est infernal, et de l’autre celui que vous proposez, qui est paradisiaque, cette rhétorique ne trompe pas grand monde. Le système actuel présente bien des défauts, notamment parce qu’il a été dégradé, je l’ai expliqué. Le problème est que vous n’expliquez pas en quoi la formule que vous proposez permettrait de faire mieux. En réalité, vous nous vantez les subterfuges que vous imaginez vous-même pour corriger les défauts de votre nouveau système et vous les présentez comme autant de trucs miraculeux qui permettraient de relever les défis actuels. Cette autojustification ne fonctionnant pas, vous finissez par vous prendre les pieds dans le tapis.

L’iniquité des mesures que vous proposez a été démontrée, notamment pour les femmes. S’agissant des chômeurs, ce qui a été dit ne me semble pas tout à fait conforme à ce qui figure dans le texte : j’y reviendrai.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cher collègue Dharréville, nous n’avons je crois jamais dit que le système actuel était infernal ni que celui que nous proposons serait paradisiaque. Le premier rencontre un certain nombre de difficultés, notamment liées à la démographie de plusieurs régimes, le second vise à atténuer un certain nombre de difficultés que traverse notre société : il faut remettre les choses à leur place.

S’agissant de la notion d’iniquité et des exemples qui ont été pris, si l’on valorise les carrières continues et croissantes, d’autres, qui sont nombreuses – et qui comportent des trous dus à leur arrêt brutal suite à un accident, de nature professionnelle ou médicale –, sont assez mal prises en compte dans le dispositif actuel.

Le système par points reflétera mieux ce type de carrière et permettra de se montrer plus : tel est l’objectif de cette réforme. Vous évoquiez les carrières ascendantes : les droits acquis par celles et ceux qui seraient déjà en activité et qui seront donc concernés en 2025 par celle-ci le resteront en fonction des règles actuelles.

M. Pierre Dharréville. Le bon système sera donc préservé.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À compter de cette échéance, si leur carrière est croissante en termes de salaire, l’application de cette réforme se traduira par un certain nombre de points dont le nombre augmentera année après année : ce point ne pose donc pas de difficulté.

Si l’on ne menait pas cette réforme, une personne ayant la chance d’avoir suivi une carrière très linéaire et très croissante ne rencontrerait pas de problème tandis que perdurerait le système actuel, défavorable à quiconque a une carrière heurtée ou plate. M. le secrétaire d’État le confirmera sûrement, nous disposerons, en termes de financement, de la même somme à répartir. Une redistribution s’opérera donc au profit des personnes aujourd’hui plus défavorisées. Nous assumons donc pleinement de rechercher cette équité qui, si elle n’est peut-être pas optimale, nous semble traduire, le Conseil d’État l’a souligné, un réel progrès.

Je suis donc, évidemment, défavorable à l’amendement de notre collègue Pierre Dharréville.

M. Olivier Véran. Députés de l’opposition et membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nos collègues Pierre Dharréville et Sébastien Jumel sont constructifs et n’ont pas inondé le débat parlementaire d’amendements.

M. Pierre Dharréville. N’essayez pas de nous diviser !

M. Olivier Véran. Ils posent de véritables questions et nous soumettent de réelles réflexions. Je les sais en outre d’une probité morale à toute épreuve.

Une fois ce compliment fait, je voudrais, chers collègues, que vous m’expliquiez par quel miracle – il s’agit bien d’un miracle – vous faites disparaître des euros. Comme l’a dit le rapporteur, la nation consacre aujourd’hui 310 milliards d’euros aux retraites des 17 millions de Français pensionnés.

On prévoit d’indexer l’évolution des pensions de retraite sur les salaires et de leur consacrer une part du PIB a minima constante dans la durée, c’est-à-dire une part de la richesse de la nation. Question toute bête : si, comme vous l’expliquez, les salariés du privé sont tous perdants, comme leurs homologues du public, où ira l’argent ?

Aujourd’hui comme demain, 310 milliards iront aux retraites des 17 millions de Français retraités : la seule chose que l’on sait, c’est que les plus hauts revenus – les 1 % – ne seront, eux, pas gagnants puisque lorsqu’ils percevront plus de 10 000 euros par mois, ils sortiront du système de solidarité nationale. Puisque tout le monde serait perdant, où va l’argent ?

J’ai voté la « réforme Touraine » de 2013-2014, qui a retardé l’âge de départ à la retraite – chaque année de cotisation le retardant d’un trimestre – car c’était nécessaire. Je vais ressortir au cours de ce débat certains des arguments avancés à l’époque par mon propre groupe, non pas pour me déjuger, mais pour aller dans le même sens.

Comment pouvez-vous affirmer qu’il n’existe ni équité ni justice sociale alors que, vous qui êtes tellement attachés à la lettre de l’avis du Conseil d’État, devriez y lire que l’effet redistributif de ce projet de loi atteint à 30 %, ce qui n’a jamais été fait auparavant dans aucune réforme des retraites ?

Mesdames et messieurs du groupe Les Républicains qui en revendiquez la paternité, vous n’avez pas été jusqu’à présent à l’origine d’une quelconque redistribution en la matière.

M. Thibault Bazin. Mais si !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, on ne peut pas à la fois demander à la majorité de s’exprimer et l’interrompre à chaque fois qu’elle le fait... Je veux que tout le monde puisse s’exprimer tranquillement, sans être interrompu : j’y veille.

M. Pierre Dharréville. Le choix que vous faites revient à tenir compte de toute la carrière pour le calcul de la retraite, alors qu’aujourd’hui le calcul de la pension des salariés du privé s’opère, dans le cadre du régime général, à partir des vingt-cinq meilleures années.

Nous critiquons un tel choix : nous sommes pour notre part favorable, et depuis très longtemps, à ce que ce calcul s’opère sur les dix meilleures années et nous sommes donc, logiquement, opposés à l’allongement de la base de calcul, qui pèsera ceux dont les carrières sont mitées ou trouées, puisque, mécaniquement, leurs plus mauvaises années seront désormais prises en compte. Comment pouvez-vous prétendre le contraire ?

De même, s’agissant du chômage, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années neutralise aujourd’hui tout ou partie des périodes d’interruption involontaire d’activité. Et je passe sur les conséquences croisées de la réforme de l’assurance chômage, que vous avez précédemment imposée, et de celle que nous examinons. La volonté qui les sous-tend est très claire.

Olivier Véran nous demande : où passe l’argent ? Il évident – c’est inscrit dans le texte – que l’objectif est non seulement de contraindre mais de faire baisser la part de richesses produites consacrée aux retraites jusqu’à 12,9 % du PIB.

M. Olivier Véran. C’est un effet de la démographie !

M. Pierre Dharréville. Cela figure dans l’étude d’impact. Peut-être contient-elle des informations fausses. Hélas celle-ci me semble vraie.

Nous ne partageons pas cet objectif, car nous pensons qu’il faut dépenser plus d’argent pour répondre à un certain nombre d’enjeux, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes et la prise en compte des années d’études dans le calcul de la retraite.

M. Boris Vallaud. Vous prétendez d’abord que le nouveau système prendrait mieux en considération tant les carrières hachées que les périodes de chômage. Las, j’ai montré à quel point il durcira les conditions créatrices de droits.

Vous affirmez ensuite qu’on se construira la meilleure des pensions dans la meilleure des carrières. Or la réforme de l’assurance chômage intervenue il y a quelques mois, qui s’est faite contre les partenaires sociaux, a produit 40 % de chômage supplémentaire.

Mme Pénicaud nous avait dit : attention les yeux, vous allez voir ce que vous allez voir, c’est la plus grande réforme de progrès depuis René Coty ! Tel n’est pas vraiment le cas, puisque, à cause de cette réforme, il est devenu plus difficile de se créer des droits à indemnisation ou de les maintenir.

La coexistence des deux réformes fait que tous seront, en réalité, perdants.

Vous faites valoir que le nouveau système de retraites serait plus redistributif en ce qu’il écraserait les carrières ascendantes au bénéfice des carrières heurtées. Pourtant, vos études de cas montrent que les salariés gagnant 120 000 euros par an seront gagnants. Comment est-ce possible ? Honnêtement, je ne l’ai pas compris, sauf à ce que les cas en question soient bidonnés, ce qui assez probable.

Monsieur Véran nous a dit que les pensions seraient indexées sur les salaires. Ce n’est pas le cas, elles le seront sur l’inflation : c’est la valeur du point qui sera indexée sur les salaires. D’ailleurs, compte tenu de la valeur de rachat des points, il vaudra mieux voir son salaire augmenter au même niveau que la moyenne des salaires plutôt qu’en deçà car, dans ce dernier cas, le pouvoir d’achat desdits points diminuerait dans le temps. Un euro cotisé ne créera donc évidemment pas les mêmes droits.

Contre l’avis de nombre d’entre nous, vous affirmez, cher collègue, que tout le monde y gagnera. Or votre étude d’impact montre qu’en 2050 la part des retraites dans le PIB tombera à 12,9 % alors que le nombre de retraités aura augmenté. Concrètement, cela signifie que le taux de remplacement diminuera fortement et que la seule façon de compenser cela sera de travailler plus longtemps.

M. Jacques Marilossian. Vous ne savez pas compter !

M. Boris Vallaud. Le choix fondamental que propose votre réforme est donc le suivant : soit travailler plus, soit gagner moins. Enfin, si vous excluez les plus riches de la redistribution, il est sûr que cela réduit les écarts...

Mme Clémentine Autain. Puisque M. le secrétaire d’État a bien voulu me répondre à leur sujet, je reviens sur le cas des policiers et des militaires : si le régime par points leur est appliqué, ils échapperont au régime général.

Je rappelle que cette réforme a été présentée, dans le débat public, comme indispensable, notamment parce qu’il fallait mettre fin aux régimes spéciaux. Il apparaît donc comme hallucinant que nous nous retrouvions maintenant à débattre du cas de certains de nos concitoyens qui, au sein du système général dit universel, disposeraient non pas de régimes spéciaux, mais en tout cas de régimes spécifiques, ce qui revient à peu près au même.

Je voulais pointer l’absurdité de la démarche consistant à démanteler l’ensemble du régime au nom de la fin des régimes spéciaux tout en revenant
– évidemment, par la fenêtre – sur celle-ci. On voit bien que des conditions spécifiques à un certain nombre de travailleurs justifient qu’ils disposent d’un régime qui, par définition, soit également spécifique.

S’agissant de l’âge d’entrée sur le marché du travail, je vous donne raison sur un point : en effet, aujourd’hui, compte tenu des difficultés rencontrées par les publics les moins diplômés pour entrer sur le marché du travail, il n’est pas faux de dire qu’ils y entrent parfois plus tardivement, ce qui explique qu’ils n’auront pas cotisé pendant un certain nombre d’années. Il est ainsi possible qu’ils atteignent l’âge de 65 ou 66 ans sans que leur carrière ne soit complète. Mais dans quel état un ouvrier devant porter des charges lourdes, une hôtesse de caisse, qui certes ne seront pas soumis à la décote que j’évoquais tout à l’heure, atteindront l’âge de 63, 64 ou 65 ans ?

Vous nous dites enfin que le montant global de 310 milliards d’euros resterait inchangé. Je rappelle tout de même que selon l’étude d’impact, si 13,8 % du PIB sont aujourd’hui consacrés aux retraites, cette part chutera à 13,3 % en 2040 et à 12,9 % en 2050, tandis que la population de retraités s’accroîtra. Je suis désolée, mais une telle évolution équivaut à une baisse.

M. Jean-Pierre Door. Je réponds à notre collègue Olivier Véran : il a fait un bel exposé, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ce n’est pas Mme Touraine qui a repoussé l’âge légal de départ de la retraite de 60 à 62 ans : c’est, avec Éric Woerth aux manettes, le gouvernement Fillon.

À l’époque, en 2010, nous étions présents : cette réforme a permis, vous le savez, d’équilibrer les comptes de la branche vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Si cet âge n’avait pas été repoussé, cette branche n’aurait pu trouver un tel équilibre.

M. Sébastien Jumel. Notre débat commence à devenir intéressant au fond, puisque les Marcheurs posent des questions à l’opposition : il va donc pouvoir prospérer.

Vous avez obtenu, monsieur Véran, la réponse à votre question : où va l’argent ? Lorsque l’on augmente le nombre de retraités et que l’on réduit le poids des retraites dans le PIB en le faisant passer de 14 % à 12,9 %, une règle de trois assez simple permet – je suis un peu con, mais j’y arrive – à comprendre que la part de la richesse que la nation consacre aux retraites baisse.

Le président du MEDEF, qui a au bout du compte dicté la loi, nous a indiqué que trois leviers pouvaient être actionnés : le taux, l’assiette et la durée de cotisation. Mais il n’a ouvert qu’une seule porte, ladite durée, c’est-à-dire l’âge de départ à la retraite, car il considère en fait que seuls les salariés doivent contribuer à l’effort.

Cela montre bien qui sera perdant et qui sera gagnant.

M. Olivier Véran. Ah, il y aura donc des gagnants ?

M. Sébastien Jumel. Tout ce que nous essayons de démontrer ce soir est qu’à âge égal de départ, le taux de remplacement – donc le niveau de pension – ne sera au bout du compte pas le même.

Vous avez ainsi obtenu, Monsieur le rapporteur, la réponse à vos trois questions.

Si le fric n’est en effet pas un problème, pourquoi n’avez-vous pas pris en considération le diagnostic raisonnable du Conseil d’orientation des retraites (COR) faisant état du caractère conjoncturel du déficit ?

Vous êtes en outre responsables d’une partie du déficit, à hauteur de 7 milliards d’euros, en raison des emplois publics que vous avez supprimés. Des mesures correctrices auraient donc pu être prises pour le stabiliser, le résorber et préserver ainsi notre système de retraites par répartition.

M. Jacques Marilossian. Je suis très embêté : on nous répète à l’envi que les retraites vont baisser parce que leur part relative dans le PIB passerait de 14 % à 13 %. L’un de nos concitoyens m’a écrit à ce sujet que les gens qui affirment une telle chose sont ou de mauvaise foi ou nuls en mathématiques. Si je ne vous ferai pas l’injure d’affirmer que vous êtes de mauvaise foi, je dois admettre que vous êtes nuls en mathématiques.

Je m’explique : tout le monde devrait comprendre, monsieur Jumel, que lorsque l’on passe en part relative de 14 % à 13 %, cela signifie simplement que la proportion en question diminue par rapport au diviseur.

M. Sébastien Jumel. Il faut en parler à Villani...

M. Jacques Marilossian. Or il suffit que la croissance du PIB soit simplement supérieure à celle des dépenses de retraites pour que ce même ratio diminue : ces dépenses peuvent donc parfaitement augmenter à un rythme élevé, permettant de voir toutes les pensions augmenter, quand bien même le nombre de pensionnés augmenterait.

Une telle évolution ne fera donc pas baisser les pensions, tout simplement parce que dans le même temps le PIB augmentera plus vite : c’est mathématique. Vous ne pouvez pas dire le contraire !

Mme Valérie Rabault. Je ne peux pas laisser passer le raisonnement qui vient d’être tenu : il est pour le coup et de mauvaise foi et mathématiquement extrêmement faux.

Vous espérez tout d’abord, cher collègue, que la croissance va augmenter. Or manque de chance, la croissance a, au quatrième trimestre 2019, pour la première fois depuis bien longtemps, été négative, l’Institut national de la statistique et des études économiques l’a annoncé il y a deux jours, à – 0,1 % du PIB. Cela signifie qu’au cours de ce trimestre, l’économie française n’a même pas été stable : elle a détruit de la richesse et votre dénominateur, que vous pensiez voir augmenter, a de la sorte diminué.

Par ailleurs, baisser d’un point la part du PIB consacrée aux retraites équivaut à 25 milliards d’euros en moins.

M. Jacques Marilossian. C’est faux !

Mme Valérie Rabault. Vous pouvez tourner les choses comme vous voulez, une telle baisse équivaut à 25 milliards d’euros de moins. Je sais que vous n’aimez pas les chiffres, je pense que, comme l’a suggéré Sébastien Jumel, Cédric Villani se ferait un plaisir de vous expliquer celui-ci, qui ne vous plaît pas mais qui est tiré de votre étude d’impact.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 395 de M. Stéphane Viry et n° 21618 de Mme Émilie Bonnivard.

M. Thibault Bazin. Nous étudions une modification du livre Ier du code de la sécurité sociale qu’il ne faut pas confondre avec les éléments de langage préparés pour les repas de Noël des Marcheurs...

La rédaction de l’alinéa 5 imaginée par le Gouvernement, à savoir que « [...] chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous [...] » relève surtout du slogan politique et de la com politique, qui n’ont rien à faire dans la loi. Le Conseil d’État lui-même la déplore, puisqu’il a, dans la troisième partie de son avis sur le projet loi, dénoncé un tel abus de langage. Il juge qu’un tel objectif « [...] reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi [...] ». Cela a le mérite d’être clair.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains souhaite voir cet alinéa 5 réécrit de la façon suivante, en maintenant le principe de l’équité devant les cotisations : « [...] Un objectif d’équité, afin de garantir aux assurés "les mêmes droits selon leurs cotisations" ».

Mme Émilie Bonnivard. L’idée est, comme vient de le dire excellemment mon collègue Thibault Bazin, que les textes de loi et le droit ne comportent pas d’éléments de propagande politique et restent neutres.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Même si je comprends la philosophie de ces amendements, la formulation du projet de loi – chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits – me paraît beaucoup plus parlante et illustre mieux les grands principes retenus. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Il est profondément faux d’écrire dès le départ que chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits : chaque euro cotisé n’ouvrira pas les mêmes droits, on le voit bien tout au long du texte. Vous ne pouvez pas faire d’une telle affirmation un principe initial. Nous ne parlons pas dans l’absolu : si c’était le cas, cela changerait tout le reste du projet de loi. Dans une telle hypothèse, vous pourriez revoir tous les articles. Nous ne nous reverrions alors que dans quelques mois.

M. Patrick Mignola. Il s’agit d’un principe !

M. Thibault Bazin. Non : vous écrivez quelque chose qui ne se vérifie pas. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais le Conseil d’État, qui n’est pas marié avec nous : il considère, après avoir étudié le projet de loi, que vous avez commis un abus de langage.

M. Brahim Hammouche. Quelle page de l’avis ?

M. Thibault Bazin. Si le mépris règne ici, ce n’est franchement pas à l’honneur de notre assemblée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, depuis tout à l’heure vous interrompez également les orateurs. Je voudrais que nous nous respections : je le demande à tous les groupes. L’on n’interrompt pas un orateur. Il reste 21 000 amendements : vous aurez tout loisir de vous défouler.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 14654 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Il traite du même sujet. Voyant qu’il existe une aspiration à entrer dans la finesse des choses, il s’agit de préciser que chaque euro cotisé ouvrira « des droits pour tous, dans le respect des spécificités des métiers et des sujétions de services publics, dans les conditions définies par la loi ». Une telle rédaction se rapprocherait un peu plus de la réalité : il nous semble que c’est nécessaire. J’ai d’ailleurs déjà émis un certain nombre de critiques à l’endroit de ce principe qui nous semble extrêmement discutable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends bien votre intention, cher collègue, mais nous avons pour notre part considéré que les règles d’acquisition des points ne devaient pas varier en fonction des métiers. Il ne faut cependant pas nier leurs spécificités : un certain nombre de critères permet d’en tenir compte, mais cela ne vaut pas pour le calcul des points. Je suis donc défavorable à l’amendement.

M. Pierre Dharréville. Je ne comprends pas bien le sens de cette réponse, dans la mesure où vous allez prendre en considération un certain nombre d’éléments liés à la pénibilité, ce qui me semble tout à fait nécessaire. Or la pénibilité est elle-même liée à l’exercice de certains métiers : la rédaction que j’ai proposée correspond à une telle prise en considération. Je ne comprends donc pas votre refus de l’inscrire au nombre des principes initiaux, puisque vous allez la mettre en œuvre pour partie – insuffisamment, il est vrai, à mon goût – dans la suite du projet de loi. Je vois bien que vous souhaitez faire un peu de marketing : il me semble cependant que ce n’est pas le lieu.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21271 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Nous proposons, à l’alinéa 5, d’insérer les mots suivants : « au regard de leur espérance de vie en bonne santé ». Nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer, à la suite du rapport de Mme Nathalie Blanpain, que treize années d’espérance de vie séparent les 5 % de Français les plus riches des 5 % les plus pauvres. L’espérance de vie en bonne santé est aujourd’hui de 62 ans. Arrivé à 60 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de dix ans à celle d’un cadre : il ne saurait naturellement y avoir de réforme juste qui ne prenne en considération cette dimension. De ce point de vue, le projet du Gouvernement, bien que conforme aux décisions qu’il a prises en 2017, est très insuffisant et très décevant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je profite de l’amendement pour faire un point sur l’espérance de vie en bonne santé en général : si l’intention est louable, sa prise en considération est assez difficile.

On a en outre évoqué l’espérance de vie selon la catégorie socioprofessionnelle. Elle peut être liée aux conditions d’exercice du métier ou à l’hygiène de vie d’un certain nombre de nos concitoyens, qui peut assez notablement l’influencer.

Je réponds à la remarque faite tout à l’heure par Éric Woerth à propos de la retraite notionnelle, qui s’appuie également sur les catégories : il serait possible de s’engager dans cette voie mais cela impliquerait de prendre en compte des critères parfois compliqués à agréger les uns aux autres.

Le premier argument ayant trait à l’espérance de vie en bonne santé est que, dans l’hypothèse où nous la prendrions en considération, nous défavoriserions massivement les femmes dont l’espérance de vie est plus longue que celle des hommes. Il semble que ce n’est pas l’objet de cette réforme qui vise au contraire à résorber les différences entre les hommes et les femmes.

Je suis par conséquent défavorable à l’amendement.

M. Régis Juanico. J’entends dans la bouche du rapporteur certains arguments déjà entendus il y a quelques années lors du débat sur la pénibilité, selon lesquels les différences d’espérance de vie en bonne santé seraient dues à des comportements sociaux en matière d’hygiène de vie. De tels arguments ont récemment été battus en brèche et il y a désormais un consensus en la matière.

Les chiffres tant de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail que de l’Institut national d’études démographiques (INED) sont extrêmement clairs : aujourd’hui, l’écart d’espérance de vie en bonne santé à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de dix ans, alors que l’écart d’espérance de vie n’est que de six ans. Un tel écart est donc phénoménal.

Cela signifie que ne pas prendre en considération une telle donnée dans le système que vous êtes en train d’élaborer et qui conduira au fur et à mesure à reculer systématiquement et mécaniquement l’âge réel de départ à la retraite, reviendra à pénaliser nos concitoyens les plus modestes, en particulier les ouvriers et les employés qui sont les catégories les plus touchées par cet écart d’espérance de vie en bonne santé.

Je ne comprends donc pas bien l’argument fondé sur l’hygiène de vie : peut‑être allez-vous nous l’expliquer en détail.

M. Sébastien Jumel. Je suis d’accord avec le rapporteur sur un point : il est clair que toutes les études en santé publique montrent que l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même en fonction du niveau d’études, du salaire et du type de logement dans lequel on habite. En gros, que vous soyez riche et puissant ou pauvre et misérable, vos vies ne seront pas les mêmes, et cela vaut dès la naissance, pour les mômes, bien avant qu’ils commencent à travailler. Si l’on ajoute à cela la pénibilité du travail, les écarts d’espérance de vie se creusent de manière colossale.

Un exemple très concret, qui fera entrer la vie de nos territoires dans cette salle : le flaconnage de luxe, c’est-à-dire la fabrication des flacons de parfum de toutes marques chez moi, dans la vallée de la Bresle. Au bout chaud, c’est-à-dire au pied du four, dans un environnement hostile marqué par le bruit, la chaleur et l’insalubrité, le conducteur de machine doit assurer la transformation d’une goutte de verre en un flacon de pharmacie ou de parfumerie pour le compte des plus grandes marques. 8 heures par jour, cet opérateur se trouve – premier facteur de pénibilité – exposé aux fumées de graissage produites lors de la lubrification des moules. Au bout froid, le trieur de verre – ou plutôt la trieuse, car ce sont des métiers essentiellement exercés par des femmes – doit, tout en respectant la cadence de travail, contrôler chaque pièce produite selon le cahier des charges imposé par le client, au rythme auquel le tapis la transporte. Outre le côté répétitif et rébarbatif de la tâche, les opératrices concernées sont exposées aux troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs imposés par leur poste.

Voilà quelques-uns des éléments de pénibilité, que votre réforme de 2017 a d’ailleurs contribué à exclure, qui aggravent les écarts d’espérance de vie en bonne santé. C’est donc de cela dont il s’agit lorsque l’on parle de pénibilité.

M. Boris Vallaud. Je suis, je dois le dire, un peu choqué par la réponse du rapporteur : nous parlons espérance de vie, il répond hygiène de vie. Est-ce à dire que chacun serait responsable de son espérance de vie, qu’il n’existerait pas une prévalence du cancer chez les salariés de l’industrie exposés aux produits chimiques, et qu’un égoutier n’aurait pas une espérance de vie inférieure de dix‑sept ans à la moyenne ?

Nous ne nous situons pas ici, même si d’autres pays la pratiquent, dans l’optique d’une notation du comportement social des individus : je ne pense pas qu’il s’agisse du modèle auquel nous aspirons. Nous vous parlons de pénibilité et d’espérance de vie, et de rien d’autre.

Mme Cendra Motin. Si cet indicateur existe effectivement, il est essentiellement utilisé par la DARES uniquement dans le cadre d’études sociologiques, car il a un point faible : il est déclaratif. On pose la question : êtes‑vous limité depuis au moins six mois à cause d’un problème de santé dans les actions que les gens font habituellement ? Trois réponses s’offrent aux personnes interrogées : oui, fortement ; oui, limité ; non, pas limité du tout. Il s’agit donc bien d’un élément déclaratif qui ne repose sur aucune donnée scientifique : vous voyez que, bien qu’intéressant d’un point de vue sociologique dans le cadre d’études, cet indicateur n’est pas suffisamment robuste pour être utilisé comme paramètre de décompte dans le cadre d’un système de retraites.

M. Éric Woerth. Nous aurons ce débat ultérieurement. Comment fait-on dans d’autres pays du même niveau que le nôtre ? Une telle étude recèle bien des surprises : en Europe notamment, les régimes de retraite tiennent compte un peu, mais nettement moins, des caractères sociaux. Beaucoup de mesures correctrices interviennent dans le système actuel, et c’est heureux.

L’espérance de vie en bonne santé est bien d’une donnée déclarative, par conséquent éminemment discutable. Il existe mille manières de parler d’espérance de vie, par exemple par génération. Il faudrait, pour bien la mesurer, intégrer la différence entre les hommes et les femmes ou entre le Nord et le Sud, ce qui pourrait conduire à échafauder des systèmes totalement absurdes et éminemment contestables sur le plan de la justice.

On peut toujours dire, comme le fait M. Vallaud, et il a sans doute raison, qu’à tel métier est attachée une pénibilité supplémentaire et que c’est pour cette raison qu’existe un compte pénibilité valant pour la retraite. Mais ce compte ne peut pas être généralisé car tous les métiers seraient alors considérés comme pénibles. Il ne serait par exemple pas possible de prendre en considération le fait, pour se rendre à son travail, d’attendre 3 heures un train qui n’arrive jamais. Cela ne marchera pas et c’est une pénibilité objective pour l’ensemble de la société qui doit être définie.

Enfin, des mesures correctrices existent : telles celles relatives aux carrières longues, que j’ai évoquées. Les ouvriers ont souvent commencé à travailler plus tôt que les cadres ; ils bénéficient, pour la plupart d’entre eux, du dispositif carrières longues, qui permet de partir plus tôt à la retraite.

La combinaison de la durée et du taux de cotisation d’une part, de l’âge légal d’entrée dans la vie active d’autre part, permet également d’en tenir en compte et de faire une différence entre le salarié qui, parce qu’il a suivi des études, est entré plus tard dans la vie active et celui qui n’en a pas suivi. On doit par conséquent tenir compte de nombre de phénomènes.

Plus notre système de retraite sera sophistiqué, plus on le rendra totalement illisible et totalement injuste.

M. le rapporteur général. Vous avez raison, chers collègues, nous pouvons et nous devons en débattre, car la problématique émerge. Mais reconnaissez aussi que la notion d’espérance de vie en bonne santé n’est, pour l’instant, pas techniquement viable car elle repose sur du déclaratif.

En outre, le rapporteur l’a souligné, nous ne savons pas mesurer l’ampleur des effets de bord. C’est le cas pour les femmes, qui ont une espérance de vie plus élevée que les hommes, ou pour certaines catégories socioprofessionnelles. Ainsi, les enseignants et les professeurs, dont l’espérance de vie est la plus élevée, verraient leur pension diminuer si nous tenions compte de l’espérance de vie en bonne santé. Je ne suis pas sûr que ce soit votre objectif, chers collègues.

Avant toute chose, le projet de loi et le futur système visent à mieux prendre en compte les évolutions d’espérance de vie et la pénibilité.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle passe aux amendements identiques n° 13171 de M. Éric Woerth et n° 21724 de M. Thibault Bazin.

M. Éric Woerth. L’amendement n° 13171 vise à ce que l’équilibre financier du système universel soit une priorité. Notre débat est surréaliste : tous les amendements évoquent soit l’âge de départ en retraite, soit le financement du système. Or ces deux sujets sont à peine effleurés dans le projet de loi. Il ne s’agit pas d’une réunion publique sur les retraites ! Nous sommes à l’Assemblée nationale et devrions pouvoir analyser un dispositif complet : des objectifs et, en face, des actions pour les atteindre, leur coût et leurs modalités de financement pour atteindre l’équilibre. En effet, pour reprendre des expressions souvent entendues, en cas de déséquilibre, ce sont les marchés financiers qui financent, par le biais du financement du déficit. Veut-on mettre le régime par répartition dans leurs mains ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne façon de procéder...

Nous devons donc équilibrer ce système et nous montrer responsables. Le Gouvernement aurait dû présenter un projet de loi global. Ce n’est pas le cas... Mais, même sans disposer de toutes les mesures de recettes, vous devriez avoir une idée du coût complet du système et pouvoir répondre à certaines questions : quel est le taux de cotisation de l’État par rapport aux autres employeurs pour équilibrer le régime public ? Plus globalement, pour équilibrer ce régime universel, combien cotisera l’État – donc le contribuable ? Comment utiliserez-vous les réserves des autres fonds ? Comment allez-vous financer le système dédié aux hauts cadres, qui devra payer leurs pensions sans jamais plus recevoir leurs cotisations ?

Vous voulez que le système soit plus redistributif. Je vous rappelle qu’il l’est déjà – M. Véran a cité les statistiques actuelles : 30 % du système l’est ; c’est considérable ! Vous voulez accroître la redistributivité, tant mieux. Mais est-ce possible à l’intérieur du volume financier ? Je ne le crois pas. Comment allez-vous faire ? La seule variable d’ajustement sera le niveau des pensions. C’est tout ce que l’on arrive à comprendre en lisant votre projet de loi : le niveau des pensions va progressivement diminuer...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous souhaitez insérer l’objectif de soutenabilité économique et financière dès l’alinéa 5. Sur le fond, vous faites de cette soutenabilité économique l’objectif premier du système universel et de la réforme. Si c’est un objectif important, la réforme s’accompagne surtout d’objectifs qualitatifs. La soutenabilité n’est pas le préalable, c’est une conséquence.

Sur la forme, vous reprenez cet alinéa dans sa rédaction antérieure au Conseil des ministres. Entre-temps, le Conseil d’État a apporté deux précisions : une référence aux cotisations, et non aux seules contributions, ces deux prélèvements correspondant à des catégories juridiques distinctes. En outre, le nouveau dispositif prévoit une répartition de ces prélèvements entre assurés et employeurs, et non simplement entre assurés comme dans votre amendement.

En conséquence, j’émets un avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais rassurer nos collègues membres des Républicains : le verrouillage financier est bien assuré. C’est même le socle de la réforme !

Je suis d’accord avec Éric Woerth, nous connaissons les variables d’ajustement du nouveau système : c’est l’âge de départ, « âge d’équilibre », qui va être repoussé tant et plus, et le niveau des pensions avec la variation de la valeur du point, valeur d’achat ou de service. Tout est parfaitement organisé et nous savons les effets d’une telle réforme paramétrique permanente.

Monsieur Gouffier-Cha, vous avez critiqué le caractère déclaratif de l’espérance de vie en bonne santé. Permettez-moi de revenir sur ce débat important : lorsqu’on demande à des femmes et des hommes s’ils se sentent en bonne santé, je pense qu’ils répondent sincèrement. Même subjective, c’est donc une indication à prendre en compte, d’autant que votre âge d’équilibre est supérieur à l’espérance de vie en bonne santé... En outre, vous ne devez pas oublier un fait, incontestable : 50 % des personnes qui partent à la retraite ne travaillent déjà plus ; il est indéniable que cela correspond à une forme d’usure.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Woerth entretient la confusion entre l’objet du projet de loi et des ordonnances d’une part, et la conférence de financement, d’autre part. Le projet de loi pose des principes politiques clairs – ce qui nous différencie de nos prédécesseurs – en termes de redistribution, d’égalité hommes-femmes ou de pénibilité. La transition entre l’ancien et ce nouveau système fera quant à elle l’objet d’ordonnances. Or vous plaidez pour en connaître le contenu avant même que nous ayons défini les principes !

S’agissant du financement à l’horizon 2027, nous respectons la négociation avec les partenaires sociaux et estimons qu’il faut donner toute sa place à la démocratie sociale pour réussir l’atterrissage à cette date, mais aussi pour négocier la transition.

M. Éric Woerth. Vous parlez de respect, mais il arrive bien tard, au dernier moment. Où est la concertation ? Comment expliquez-vous la situation sociale, que nous sommes les premiers à déplorer ? Ce chahut social est le reflet d’une souffrance dont ni notre pays, ni nos concitoyens, n’ont besoin. Depuis deux ans, ne pouviez-vous pas prévoir comment le système allait s’équilibrer ? Nous savons tous depuis dix ans qu’il allait être à nouveau déficitaire à partir de 2020-2025, en fonction des conditions économiques.

Il fallait simplement l’accepter et ne pas considérer que tout ce qui concerne le financement et l’âge de départ en retraite était poussière à mettre sous le tapis jusqu’au dernier moment. Le dernier moment, c’est aujourd’hui, en commission. Or vous nous proposez un texte incomplet et de grands principes. Croyez-vous que les Français sont attentifs aux grands principes ? Ils veulent simplement savoir à quel âge et avec quel niveau de pension ils partiront en retraite ! C’est cela l’essentiel. Et vous n’êtes pas capables d’y répondre !

M. Thibault Bazin. Nous sommes face à un problème de confiance dans le système, de crédibilité et de responsabilité : vous ne pouvez pas faire des promesses sans dire comment vous allez les financer. On ne peut brandir la justice sociale sans s’en donner les moyens. Quel équilibre proposez-vous, entre ceux appelés à faire des efforts et ceux qui pourront en bénéficier ? Le cloisonnement que vous opérez est risqué. Ne va-t-on pas vers des lendemains qui déchantent ?

On ne pourra sauver et pérenniser notre système par répartition sans une approche globale des dépenses et des recettes, mais surtout sans hypothèses fiables. Quelle est votre vision de la politique familiale ? Quels seront les cotisants de demain ? Sera-t-on capable de gérer la dépendance, dont la réforme est tant attendue, dans ce nouveau système ?

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 1781 de Mme Clémentine Autain et n° 1789 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 6 relatif à la solidarité car vous dévoyez ce terme. L’alinéa prévoit par exemple de contribuer à la « résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes ». C’est le refrain de la Macronie : les femmes seraient les grandes gagnantes de la réforme. C’est une vaste fumisterie ! Qu’en est-il du refus d’attribuer aux femmes divorcées des pensions de réversion, ce qui revient à les maintenir, par nécessité économique, dans des couples qui ne leur conviennent plus ? Ne supprimez-vous pas dans le secteur privé le calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années, qui permettait de limiter l’impact des carrières structurellement plus heurtées des femmes sur le montant de leur pension ? Qu’en est-il de la suppression du calcul sur la base des six derniers mois pour les fonctionnaires, parmi lesquels les femmes sont majoritaires, notamment dans les emplois les moins bien rémunérés ? La majoration, proportionnée au salaire, qui pourra être attribuée aux hommes dès la naissance du premier enfant si les couples font ce choix, va-t-elle dans ce sens ?

Les femmes sont plus souvent au chômage que les hommes ; elles subissent plus le temps partiel et des carrières hachées, car elles s’interrompent pour cause de maternité. Elles vont donc pâtir plus gravement de votre réforme. Dans ce contexte, invoquer la solidarité et l’égalité est inapproprié.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cela ne s’invente pas, Mme Obono va défendre l’amendement qui porte le numéro 1789 !

Mme Danièle Obono. Il va dans le même sens.

Le rapporteur et le ministre ont usé du prétexte que le projet de loi portait sur de grands principes pour ne pas répondre à nos questions et rejeter nos amendements. Mais les grands principes ne sont pas que des mots ! Qu’entendez‑vous par « solidarité » ? Comment va-t-elle se déployer ? Nous ne le voyons pas. La solidarité existe déjà dans le système actuel : comment l’améliorez‑vous ?

Vous allez en fait aggraver les inégalités sociales et de genre. Nous avons beau faire nos calculs dans tous les sens, nous ne comprenons pas – et nous ne sommes pas les seuls... – comment l’objectif de solidarité sera mieux servi après la réforme, pour les femmes avec enfants ou pour les femmes seules par exemple. Même les mille pages de l’étude d’impact ne permettent pas d’arriver à cette conclusion.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis particulièrement perturbé par cette série d’amendements qui supprime l’objectif de solidarité. Nous aurions pu débattre du périmètre de l’objectif ou de l’objectif lui‑même, mais quel signal envoyez-vous aux citoyens qui nous regardent en supprimant le principe ? Le débat est bloqué par des milliers d’amendements du même type...

Madame Autain, vous évoquez les chômeurs, notamment les chômeuses. Je vous rappelle que nous venons de loin. La politique gouvernementale est cohérente. Nous pourrions sûrement faire mieux, mais les chiffres sont encourageants. Certes, ce n’est pas parce que l’on sort du chômage que l’on sort de la précarité. Mais nous avons adopté des dispositifs qui prennent désormais de l’ampleur et devraient contribuer à résoudre le problème.

Cela répond également aux interrogations de M. Woerth sur le financement : grâce à cette évolution, les cotisations vont évoluer favorablement et permettre un rééquilibrage du système.

Je suis défavorable à ces amendements.

Mme Célia de Lavergne. Je partage l’analyse du rapporteur : il s’agit d’un principe fondateur du nouveau système de retraite. Cette solidarité s’exprimera entre les générations. Elle visera à pallier les accidents de la vie, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, etc. Nous pouvons débattre de chacun des moyens de cette solidarité, mais non en supprimer le principe ! C’est un objectif essentiel à la réussite de la réforme.

Mme Clémentine Autain. Nous sommes parfaitement cohérents : nous souhaitons supprimer tous les articles d’un projet de loi qui façonne un nouveau régime contraire à la solidarité et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Vous ne pouvez donc pas nous demander de valider un principe philosophique et politique que l’on ne retrouve nulle part dans le projet ? Ce serait absolument incohérent et dangereux pour notre démocratie. C’est d’ailleurs ce qui dévalue le rôle du Parlement : votre projet de loi emploie des mots et affirme des principes qui sont ensuite, dans la pratique, totalement mis en pièces.

M. Éric Woerth. Même si on a presque honte de le dire, il faut le reconnaître : le système que nous avons construit au fil des années, avec ses différents régimes, est très solidaire. En effet, il déforme la retraite par rapport à la carrière. En conséquence, la pension de retraite n’est pas le reflet exact de toutes les inégalités de carrière.

Ces inégalités, nous devons tout faire pour les traiter pendant la carrière, le plus tôt possible, en agissant sur la formation, les règles de délivrance des prestations sociales, qui peuvent parfois éloigner du marché du travail, l’employabilité, la garde des enfants, plus ou moins facile, plus ou moins chère. Tous ces paramètres vont orienter les choix de carrière et aboutir à une retraite plus ou moins faible, simple miroir d’une faible rémunération. Le minimum contributif augmente, c’est une bonne chose, même si ce n’est pas la première fois. En outre, il n’était pas nécessaire d’accompagner cette mesure d’une réforme d’une telle ampleur, à laquelle plus personne ne comprend rien.

Mme Danièle Obono. Une fois n’est pas coutume, je suis parfaitement d’accord avec notre collègue Woerth. La République en Marche n’a pas inventé le principe de solidarité de notre système de retraite. Elle est au cœur du régime actuel, que vous remettez en cause, et au cœur du programme du Conseil national de la Résistance. Certes, elle a été dégradée, mais elle existe.

Les mots ont un sens, monsieur le rapporteur ! On ne peut pas simplement parler de « solidarité », de « libération des énergies », de « flexibilité gagnante ». Votre projet de loi est digne de l’univers d’Orwell, à l’image de votre politique depuis deux ans et demi. Vous employez des mots qui sonnent bien et faites en réalité tout le contraire. C’est ce que nous rejetons : le principe macronien
– orwellien – de la solidarité est contraire à celui, fondateur, de notre système en 1945, que nous souhaitons renforcer. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa.

Vous prenez les gens pour des imbéciles : vous revendiquez un principe que vous vous évertuez à détruire en pratique. C’est une insulte à l’intelligence, une insulte aux conquêtes de la solidarité qui ont construit ce système.

Mme Sophie Panonacle. Vous évoquez tous les inégalités femmes‑hommes. Je vous invite à lire la contribution de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au projet de loi, qui démontre que la réforme va réduire les inégalités entre les femmes et les hommes : 5 % dès le premier enfant ; pour le conjoint survivant, la réversion de 70 % des pensions touchées du vivant du conjoint ; 85 % du SMIC pour tous les salariés liquidant leurs droits à pension et nés à partir de 1975, etc. Bien entendu, nous serons vigilants sur certains points – nous les aborderons ultérieurement – mais le projet de loi contribue objectivement à l’amélioration de l’égalité femmes-hommes. Vous avez raison, il s’agit avant tout de réduire les inégalités salariales. Nous y travaillons depuis plusieurs mois et notre groupe n’a pas à rougir de ce qui a été fait !

M. le rapporteur général. Je rassure notre collègue Danièle Obono : La République en Marche n’a pas la prétention d’avoir inventé la solidarité. Mais nous souhaitons la renforcer, comme vous tous. Vous nous avez renvoyés en 1945 mais, rappelez-vous, déjà à l’époque, on voulait construire un régime universel. Cela n’avait pas pu aboutir. Nous allons le faire.

Vous nous accusez de vider le mot « solidarité » de son sens et de ne rien prévoir derrière les mots. Mais il y a également des faits : le système universel de retraite va renforcer les effets redistributifs et permettre à 30 % de nos concitoyens de partir plus tôt à la retraite à taux plein. Nous améliorons aussi l’égalité de pensions entre femmes et hommes. Je vous invite à lire le très bon rapport de notre collègue Sophie Panonacle, remis à la délégation aux droits des femmes en début de semaine.

Madame Autain, vous soulevez un point important – nous y reviendrons au titre III. La réforme va nous permettre d’aborder la question de l’explosion des inégalités entre les femmes et les hommes au moment du divorce, grâce à un système de partage des points.

Enfin, dans le système actuel, 24 % de nos concitoyens n’ont pas accès à l’intégralité de leur pension et 7 % n’ont accès à aucune pension. Avec le système universel, tous auront accès à l’intégralité de leur pension.

M. Sébastien Jumel. Dans son édition du 24 janvier, Le Parisien a analysé dans les détails l’étude d’impact annexée au projet de loi. Selon le journal, les mères sont « loin d’être gagnantes avec la réforme ». Il indique : « dans de nombreux cas, le nouveau système par points sera moins favorable aux mères de famille si elles prennent leur retraite entre 62 et 65 ans ». Sur les six cas types présentés dans l’étude d’impact, « seuls deux profils tirent leur épingle du jeu en cas de départ avant 65 ans ». Les quatre autres, notamment les classes moyennes et les classes modestes, seront fortement pénalisées. C’est d’autant plus inquiétant qu’on soupçonne votre étude d’avoir pris les six cas les plus favorables – c’est dire !

Les femmes sont perdantes et ce n’est pas L’Humanité ou les « cocos » qui le disent ! C’est Le Parisien, par le biais d’une analyse objective et détaillée de votre étude d’impact. D’ailleurs, tous les économistes font la démonstration que les femmes seront les grandes perdantes de votre projet de réforme...

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22602 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Votre référence au programme du Conseil national de la Résistance m’a heurté. Ambroise Croizat et les résistants ont écrit Les Jours heureux, vous nous préparez des lendemains tristes...

Ambroise Croizat disait « dans une France libérée, nous libérerons le peuple des angoisses du lendemain ! ». Depuis que vous avez présenté votre projet de réforme des retraites, les angoisses du lendemain explosent : 61 % des Français sont profondément inquiets de votre réforme. Le ministre de l’intérieur l’a rappelé, depuis que vous êtes aux responsabilités, 56 000 manifestations ont émaillé notre quotidien.

Par cohérence, nous proposons d’inscrire dans le marbre de la loi le fait que vous vous détachez complètement des objectifs du Conseil national de la Résistance. Il faut afficher clairement la couleur !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Jumel, je vous remercie d’avoir parlé d’Ambroise Croizat. Cette réforme m’a permis de revisiter mon histoire de la sécurité sociale et de découvrir le rôle fondamental de ce dernier et d’Alexandre Parodi dans sa création.

M. Sébastien Jumel. Il a découvert Ambroise Croizat !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ça suffit !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le 8 août 1946, devant l’Assemblée nationale constituante, Ambroise Croizat, alors ministre communiste du travail et de la sécurité sociale, affirmait : « la sécurité sociale est une unité. Ce résultat ne peut être atteint par une multiplicité d’institutions entre lesquelles il est impossible d’assurer une coordination suffisante. L’unité de la sécurité sociale est la condition nécessaire de son efficacité. » C’est la justification même de l’universalité et d’une coordination bien plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui.

En outre, au même moment, la CGT était à l’origine de la mise en place de l’AGIRC, premier système par points. Quelques années plus tard, c’est Force ouvrière qui portait la création de l’ARRCO, nouveau système par points. Ces systèmes de gouvernance sont plus simples et plus équilibrés. Ils ont apporté des solutions de compléments pour des retraites particulièrement faibles. On ne peut pas nier l’histoire, elle est révélatrice !

Je suis défavorable à votre amendement.

M. Olivier Véran. Pour l’anecdote, savez-vous qu’Ambroise Croizat a été le ministre chargé de mettre en œuvre les ordonnances de création de la sécurité sociale ? Avec Pierre Laroque, il a eu un rôle absolument décisif.

Monsieur Jumel, l’histoire a du sens ! Pierre Laroque et, surtout, Ambroise Croizat, affirmaient déjà que la sécurité sociale devait sécuriser le travailleur et toute sa famille, afin qu’il puisse rapporter à cette dernière des moyens de subsistance. Bien sûr, on n’avait pas encore pensé au risque dépendance – à l’époque, on mourait beaucoup plus jeune et on ne profitait pas de sa retraite comme aujourd’hui. Mais le travailleur était protégé du risque d’accidents professionnels, de maladies professionnelles, de maladie. On était encore assez loin des allocations familiales et de la politique familiale, mais on avait déjà perçu que la sécurité sociale serait amenée à se développer.

Dans ses discours – c’est intéressant – Ambroise Croizat disait que le marché et le monde du travail évolueraient, que les risques sociaux évolueraient et qu’il faudrait que la sécurité sociale évolue avec eux. Cela explique la création ultérieure du risque famille et, demain, du risque dépendance, ainsi que la fiscalisation progressive de la protection sociale.

Depuis Ambroise Croizat, le monde a évolué, monsieur Jumel, et lui avait été capable de l’anticiper.

M. Pierre Dharréville. Je veux bien entendre l’exégèse des grands textes historiques, notamment ceux d’Ambroise Croizat, mais j’aimerais qu’on respecte sa mémoire...

S’agissant des ordonnances, on peut toujours comparer la Libération, la fin de l’occupation, un pays désorganisé qu’il fallait reconstruire, et la période actuelle, mais nous ne sommes pas dans la même situation ! Si le Gouvernement a légiféré par ordonnances à l’époque, c’est que les espaces de délibération dont nous disposons n’existaient pas. L’artifice est donc facile !

Vous citez un des grands discours d’Ambroise Croizat sur l’unité de la sécurité sociale, à laquelle vous portez atteinte avec ce projet de loi, en remettant en cause l’unité de l’action face à l’ensemble des risques cités à l’instant par Olivier Véran : risque maladie, risque d’accident du travail, risques liés à la vieillesse et prise en compte de certains passages de la vie. Vous n’êtes pas les exécuteurs testamentaires d’Ambroise Croizat, vous en êtes les exécuteurs tout court !

Comme Ambroise Croizat, nous plaidons pour un système beaucoup plus large et plus universel. Comme lui, nous pensons que la sécurité sociale doit évoluer et mieux prendre en charge certains risques. Mais ce n’est pas le chemin que vous prenez, ni celui que vous avez suivi depuis deux ans et demi !

Mme Danièle Obono. Nos camarades communistes ont raison : on atteint un niveau hallucinant dans l’inversion des références en Macronie ! Peut-être ne vous en rendez-vous pas compte quand vous vous félicitez de légiférer par ordonnances, mais vous vous mettez dans la position d’un gouvernement issu d’une guerre – une guerre de classe que vous achevez peut-être –, alors qu’il n’existait pas de représentation démocratique.

M. Jean-François Mbaye. C’est débile !

Mme Danièle Obono. C’est vraiment révélateur de votre état d’esprit. Votre réponse justifie encore plus notre demande de suppression de ces principes que vous dévoyez ! Vous parlez d’universalité mais, à l’époque, on visait le meilleur pour tous, y compris les fameux régimes spéciaux. En stigmatisant et en détruisant les régimes spéciaux, votre universalité est moins-disante. C’est tout le contraire de ce à quoi rêvait et de ce pour quoi se sont battus et ont travaillé la majorité des pères fondateurs de la sécurité sociale.

Chacune de vos interventions justifie que nous supprimions alinéa par alinéa, principe dévoyé après principe dévoyé, l’ensemble de ce projet de loi.

Mme Clémentine Autain. Je voudrais vous lire des extraits de la lettre ouverte de Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat. (Murmures.)

M. Sébastien Jumel. Quel est le problème ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il n’y a pas de problème, tout le monde s’écoute. Monsieur Jumel, vous interrompez aussi les autres tout le temps !

Mme Clémentine Autain. La lettre ouverte s’adresse au sénateur Julien Bargeton qui a cité la même phrase d’Ambroise Croizat que vous : « Que vous fassiez référence à Croizat est une démarche qui vous appartient, mais que vous cherchiez à l’utiliser pour donner du crédit à vos turpitudes de démantèlement du système qu’il a mis en place, c’est une infâme imposture. »

Il ajoute : « Le projet de réforme des retraites que vous portez est la déconstruction du système de retraite par répartition basé sur la solidarité nationale et intergénérationnelle. C’est une opération de nivellement des retraites par le bas et l’ouverture du système à la retraite par capitalisation. Une originalité du système Croizat, c’était justement de mettre les cotisations à l’abri des appétits de la finance en général et de l’assurance privée en particulier. Votre postulat qui consiste à faire sauter ces verrous ne vous permet pas de vous revendiquer de l’héritage de Croizat. Lui n’a jamais pris le parti des privilégiés et des assurances privées. Votre culot n’a d’égal que votre duplicité. »

M. Sébastien Jumel. Pour en rajouter, sans en surajouter, je ne suis pas certain que la légitimité politique d’aujourd’hui soit tout à fait la même que celle, fruit du sang et des larmes de la Libération. En outre, cela m’aura sans doute échappé, mais je n’ai pas souvenir que les ordonnances de 1945 ont provoqué des manifestations massives contre leur adoption...

M. Olivier Véran. Des mouvements sociaux en 1945 !

M. Sébastien Jumel. Je vous l’accorde, comparaison n’est pas raison avec les ordonnances prévues par le présent projet de loi, monsieur Véran ! Sur le fond, l’attachement d’Ambroise Croizat à mettre la plupart des salariés sous la protection du régime général n’a pas interdit au gouvernement auquel il appartenait de créer des régimes spécifiques.

Je pense notamment à l’un de ceux que vous allez flinguer avec votre réforme. Il avait été théorisé par Marcel Paul, dans le sang et les larmes du camp de Buchenwald, je veux parler du statut des électriciens et gaziers. Citer Ambroise Croizat, dénaturer sa pensée et extrapoler pour justifier votre réforme constitue une contre-vérité, une aberration, voire un blasphème politique.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement n° 14655 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit de rappeler que la solidarité induite par notre système de retraite ne s’applique pas uniquement au sein de chaque génération, mais entre toutes les générations, comme c’est prévu dans notre système actuel, même imparfaitement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons déjà eu le débat. Les dispositions permettant de satisfaire votre demande se trouvent aux alinéas 3 et 6. Je vous remercie donc de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j’y serai défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 22117 de M. Philippe Vigier.

Mme Jeanine Dubié. Cet amendement vise à faire de la lutte contre les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes un objectif à part entière du système universel de retraite. Il a pour objet de l’inscrire en tant que tel dans la loi, en lui consacrant un alinéa spécifique après l’alinéa 6. Selon le COR, en 2016, les pensions de droit direct perçues par les femmes étaient inférieures de près de 40 % à celles versées aux hommes. Cet écart demeure de 24 % si on prend en compte la moyenne globale des pensions, y compris les pensions de réversion. Il nous paraît essentiel d’affirmer que la lutte contre les inégalités de retraite est un objectif de justice sociale. Évidemment, cela a été rappelé, il n’appartient pas au seul système de retraite de mettre fin aux inégalités – notamment de carrière et de salaires – entre les hommes et les femmes, mais celui-ci peut les compenser.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je remercie Mme Dubié et son groupe de présenter cet amendement, qui a trait à l’un des sujets qui ont motivé la réforme des retraites. On constate en effet un écart de 40 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La réduction de ces inégalités me semble, comme vous, indispensable, mais elle doit être complémentaire de la politique menée pour mettre fin aux écarts de rémunération. Par ailleurs, il ne nous apparaît pas opportun de dissocier cette priorité des autres enjeux inscrits à l’alinéa 6, telles les interruptions et les réductions d’activité pour éduquer les enfants. Je vous demande donc de retirer votre amendement, même si j’en partage évidemment la philosophie.

M. Charles de Courson. La rédaction du projet de loi n’est pas satisfaisante, car elle évoque la « résorption des écarts de retraites », ce qui sous-entend qu’on se satisferait de ne les réduire que faiblement. Plutôt que de vous assigner cet objectif très imprécis, vous pourriez viser la « résorption intégrale » ou une finalité du même ordre. Par cet amendement, dont je suis cosignataire, nous nous efforçons de préciser cette disposition.

Mme Albane Gaillot. Je vous rejoins totalement, madame Dubié, monsieur le rapporteur : le système que nous construisons – qui se caractérise par sa dimension solidaire – doit participer à la résorption de ces inégalités, en particulier de l’écart de 42 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La rédaction actuelle du début de l’alinéa 6 – « Un objectif de solidarité, au sein de chaque génération, notamment par la résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes [...] » me semble à cet égard tout à fait satisfaisante. Tout au long de nos débats, nous aurons l’occasion de préciser les mesures qui participeront à la résorption des inégalités. À titre d’illustration, le système de retraite par points prendra mieux en compte l’ensemble des aléas de carrière, en prévoyant, par exemple, un minimum de retraite à 85 % du SMIC, en attribuant des majorations pour chaque enfant ou encore en compensant le temps partiel subi par la possibilité de cotiser à taux plein.

M. le secrétaire d’État. J’ai bien entendu vos propositions, et je suis tout à fait prêt à échanger avec vous pour voir s’il est possible d’améliorer le texte d’ici à la séance. Dans l’immédiat, je vous invite, à l’instar du rapporteur, à retirer votre amendement.

Mme Jeanine Dubié. Je note que le rapporteur comme le secrétaire d’État reconnaissent que c’est un point important du projet de loi. Mon expérience de députée, depuis 2012, m’a montré qu’il n’était pas toujours opportun d’employer le mot « notamment » – qui figure au début de l’alinéa 6 – dans la loi. Je ne retire pas l’amendement, qui vise à la justice sociale. S’il ne recevait pas l’assentiment de la commission, je répondrais à l’invitation de M. le secrétaire d’État de travailler à une autre rédaction.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 20535 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Albane Gaillot. Il est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme vient de le dire le secrétaire d’État, le texte peut sans doute être amélioré. Je ne saurais parler en son nom, mais il me semble qu’on pourrait le retravailler pour mettre davantage en valeur l’objectif de la lutte contre les inégalités. Cela étant, si le système de retraite doit s’assigner un certain nombre d’objectifs, c’est avant tout dans la vie professionnelle qu’il faut chercher à résoudre les inégalités. On ne peut pas corriger, au stade de la retraite, l’ensemble des différences et des injustices qui se sont accumulées au cours de la carrière. Sur le fond, je partage votre avis ; sur la forme, si le secrétaire d’État en était d’accord, le texte pourrait être retravaillé d’ici à la séance.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à la discussion commune des amendements identiques  21537 de M. Boris Vallaud et n° 21635 de M. Thibault Bazin ainsi que des amendements identiques  14584 de M. Marc Le Fur et n° 22092 de M. Philippe Vigier.

M. Régis Juanico. Il s’agit de mieux reconnaître le rôle des aidants familiaux dans notre société et d’affirmer la nécessité de la prise en compte de leur rôle dans le système dit « universel » de retraite. Comme le rappelle le collectif interassociatif des aidants familiaux, on dénombre entre 8 et 11 millions d’aidants, souvent des femmes, qui sont fréquemment dans l’obligation de mettre entre parenthèses leur carrière, de manière temporaire ou définitive, dès lors que le handicap survient dans leur famille. Près d’un quart d’entre eux y consacrent plus de 20 heures par semaine. Compte tenu de la mission sociale des aidants, qui pallient souvent la carence de la prise en charge par l’État, il est nécessaire que la solidarité nationale prenne en compte leur situation dans le système dit « universel » de retraite.

M. Thibault Bazin. L’amendement n° 21635 vise à répondre à la nécessité de renforcer la solidarité entre les assurés. Si l’exposé des motifs du projet de loi prévoit que le système universel doit également compenser, en vue de la retraite, l’impact sur la carrière des parents de l’arrivée d’un enfant, le texte ne tient pas compte de l’incidence sur la vie professionnelle de l’aide apportée par un aidant à une personne handicapée, une personne âgée en situation de perte d’autonomie ou une personne malade. L’objet de l’amendement est de mentionner explicitement les aidants à l’alinéa 6.

Mme Marie-Christine Dalloz. Afficher une volonté d’universalité et de solidarité me paraît une bonne chose. Toutefois, la rédaction de l’article 1er ressemble à un inventaire à la Prévert. Il n’accorde pas une place suffisante au handicap pour la détermination des droits à la retraite. Aussi l’amendement de Marc Le Fur propose-t-il de prendre en considération, de manière réelle et affirmée, la notion de handicap.

Mme Jeanine Dubié. Le deuxième objectif assigné par le projet de loi au système universel de retraite est de renforcer la solidarité entre les assurés. La solidarité a toujours été au cœur de notre système de retraite, qui est constitué de plusieurs régimes. Ce devra être encore davantage le cas dans le système universel, qui a pour ambition d’effacer les logiques professionnelles. Or, l’article 1er ne définit pas précisément les situations qui devront relever des mécanismes de solidarité. Nous proposons de mentionner explicitement dans le texte la situation de proche aidant et le handicap. Au-delà de l’aspect symbolique, il s’agit de prévoir que le pilotage du futur système intégrera des mécanismes de solidarité envers les personnes concernées par un handicap ou ayant un rôle de proche aidant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les propos que viennent de tenir nos collègues sont en parfaite cohérence avec l’objectif de solidarité du système universel. Les périodes d’interruption d’activité peuvent certes être justifiées par l’éducation des enfants, mais aussi par l’aide apportée à une personne en situation de handicap ou à une personne âgée dépendante. Je donne un avis favorable aux amendements présentés par M. Juanico et M. Bazin, qui font référence, de manière générique, à l’« aidant » ; si ces deux amendements étaient adoptés, les deux suivants seraient satisfaits. Je précise que la réforme prévoit l’attribution de points aux aidants.

M. le secrétaire d’État. J’émets également un avis favorable aux amendements de M. Vallaud et de M. Bazin. Je ne suis pas certain qu’il soit juridiquement nécessaire d’apporter ces précisions, mais je comprends l’esprit qui vous anime.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le signal est fort !

M. le secrétaire d’État. Je l’entends, et c’est la raison pour laquelle je suis favorable à ces initiatives.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Longtemps oubliés, les 8 à 11 millions d’aidants que compte notre pays sont, depuis le début de la législature, l’objet de toute notre attention. De nombreuses mesures ont déjà été intégrées à la stratégie nationale de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, comme l’indemnisation du congé de proche aidant, l’assouplissement du congé de présence parentale ou encore l’aménagement des rythmes d’études pour les étudiants aidants. L’article 43 du projet de loi prend en considération la situation des aidants dans le nouveau système universel de retraite. Il prévoit de leur attribuer des points de solidarité, conformément à l’engagement du Président de la République. Nous voterons les amendements identiques de précision nos 21537 et 21635, qui vont dans le sens de notre engagement pour une reconnaissance plus affirmée des aidants dans notre pays.

M. Sébastien Jumel. C’est un grand pas pour l’homme mais un petit pas pour l’humanité... Mme Cloarec‑Le Nabour vient d’ailleurs de dire que, dans son esprit, il s’agit d’amendements de précision. Cela étant, ils vont dans le bon sens et prolongent le rapport de la commission d’enquête que j’avais commis sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République, adopté à l’unanimité en 2019, qui insistait sur la nécessité de tenir compte des ruptures professionnelles subies par les familles aidant un enfant en situation de handicap. L’affichage de cet objectif ne dit toutefois pas ce que seront les droits concrets, réels des aidants en matière d’accès à la retraite.

M. Pierre Dharréville. Ça va mieux en l’écrivant, même si on sait ce qu’il en est des grands principes affirmés dans cette partie du texte, dont on vient de passer quelques heures à critiquer la portée. Il faudra vérifier sur quels droits effectifs cela débouche. On doit évidemment prendre en considération cet enjeu majeur, qui concerne au bas mot 11 millions de personnes dans notre pays. Ceci dit, on va nous expliquer que, grâce aux vertus du système par points, on va enfin tenir compte de la situation des aidants. Or des mesures avaient déjà été proposées dans le cadre actuel. Une proposition de loi, débattue – et balayée – à l’Assemblée nationale il y a deux ans prévoyait la prise en compte de la situation des aidants au titre de leurs droits à la retraite. Un rappel historique permet de montrer comment les choses s’emboîtent. Peut-être des avancées – tout à fait nécessaires – seront-elles réalisées en faveur des aidants, mais on est encore au début du chemin.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Dharréville, je salue les travaux que vous-même et M. Christophe avez menés. Lorsqu’on va dans le même sens, cela permet d’obtenir des résultats.

Mme Jeanine Dubié. Je retire notre amendement, car sa première partie sera satisfaite si les deux premiers amendements sont adoptés. Je regrette toutefois que vous n’ayez pas eu la même attention pour les personnes en situation de handicap. Il aurait été nécessaire de mentionner le handicap à l’alinéa 6, juste avant les mots « à leur état de santé ».

L’amendement n° 22092 est retiré.

La commission adopte les amendements  21537 et n° 21635.

En conséquence, l’amendement n° 14584 tombe.

La commission est saisie de l’amendement n° 14657 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement vise à inscrire dans la loi la « prise en compte des périodes de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ». Il faut repenser la notion de carrière complète et y intégrer les périodes de privation d’emploi subies. C’est un changement de paradigme que nous avons introduit dans le débat en déposant la proposition de loi pour une retraite universellement juste.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le système universel tiendra compte des périodes d’interruption d’activité, au titre, par exemple, du chômage, par le biais du futur Fonds de solidarité vieillesse universel. L’acquisition de ces droits ne saurait toutefois être comprise, à mon sens, dans cette série de grands principes. Elle relève tout autant de la politique de l’emploi et de la lutte contre le chômage. Demande de retrait.

M. Sébastien Jumel. Le Conseil d’État a relevé, vous le savez, dans un avis dont vous n’avez pas fini d’entendre parler, que le projet de réforme ne prend pas en considération les périodes de chômage non indemnisé – pour ne citer que cet exemple – dans le calcul des interruptions de carrière. Il ajoute que le traitement des périodes de chômage indemnisé renvoie à des inégalités entre catégories professionnelles.

Cet amendement vise à corriger ces inégalités par la prise en compte des « périodes de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ».

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 14656 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Dans le même esprit, nous proposons que soient prises en compte, dans le calcul d’une carrière complète, les années d’études et de formation, lesquelles permettent de recevoir une qualification et d’accéder à l’emploi. Cette mesure s’inscrit dans l’objectif plus large de reconnaissance du travail et des métiers. Tout cela doit se conjuguer, y compris pour le calcul des droits à la retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’appelle votre attention sur le fait que le système universel permettra au gouvernement actuel, comme aux suivants, d’accorder tel ou tel point suivant l’importance qu’il accordera à un domaine particulier. L’organisation actuelle, en quarante-deux régimes, très difficilement pilotable, n’offre pas une telle souplesse.

S’agissant plus particulièrement de votre amendement, les périodes d’études et de formation permettront d’acquérir des points dans le système universel, à l’initiative des assurés. Il ne s’agit toutefois que d’une faculté, qui ne trouve à mon sens pas sa place au sein des principes génériques du système universel. Par ailleurs, je rappelle que les périodes d’apprentissage permettront d’acquérir des points gratuits pour l’assuré. Demande de retrait.

M. Pierre Dharréville. Je ne partage pas le point de vue du rapporteur quant à l’impossibilité d’appliquer cette disposition dans le cadre actuel. Je l’invite à consulter la proposition de loi que nous avons déposée, qui contient tous les éléments pour le faire.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 21528 de M. Pierre Dharréville.

Puis elle examine l’amendement n° 543 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à inscrire la pénibilité – sujet dont nous avons beaucoup discuté – comme un objectif déterminant, en garantissant « aux assurés concernés par des métiers pénibles, des carrières longues ou qui connaissent des difficultés en raison de leur état de santé ou de leur carrière, un droit à anticiper leur départ en retraite ». La pénibilité deviendrait ainsi un principe fondamental de votre projet de loi.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le projet de loi prend en compte l’état de santé et les départs anticipés, notamment pour les carrières longues. Sa rédaction est plus ouverte que la vôtre, qui semble distinguer l’enjeu des métiers pénibles de celui des problèmes de santé. Je ne suis pas convaincu que votre amendement apporterait plus de clarifications, et vous propose de le retirer.

La commission rejette l’amendement.

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*     *

3.   Réunion du mardi 4 février 2020 à 17 heures (suite de l’article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8684749_5e3993251e88b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-4-fevrier-2020

Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné hier 245 amendements ; il nous reste donc 20 804 amendements à examiner.

M. Éric Woerth. Madame la présidente, je voudrais vous interroger sur les conditions d’examen du texte. Vous venez de l’indiquer, nous n’avons examiné pour le moment que 1 % des amendements en discussion. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité de notre commission à en voir le bout. D’ailleurs, vous-même donnez le sentiment que nous n’y parviendrons pas.

Dans ces conditions, considérez-vous que nous serons amenés à siéger ce weekend, voire la semaine prochaine ? À défaut, que se passera-t-il si vous décidez d’arrêter nos débats vendredi soir sans que nous ayons examiné l’ensemble du texte ? Déciderez-vous que le texte examiné en séance sera celui du Gouvernement, sans aucun amendement ?

En outre, ce texte est incomplet. On a le sentiment d’être à un repas de famille, avec d’un côté la table des enfants, où on s’amuse, et, de l’autre, celle des parents, où il est question des sujets sérieux. À la table des parents, donc, le Gouvernement et les syndicats négocient sur le financement du texte, et à la table des enfants, les députés parlementent sans savoir comment les mesures discutées seront financées.

Aux yeux du groupe Les Républicains, la façon dont notre débat est organisé pose donc plusieurs problèmes.

M. Pierre Dharréville. Ma question porte sur les amendements ayant été déclarés irrecevables. Je souhaite protester solennellement, car certains d’entre eux ont pour objet le cœur du dispositif, notamment l’âge d’équilibre. En d’autres termes, nous ne pouvons pas amender le texte sur cet aspect, ce qui est un problème. Je ne vois d’ailleurs pas sur quel critère se fonde l’irrecevabilité, car le système n’étant pas encore créé, il n’y a pas création de charge. Le Règlement restreint déjà largement le droit d’amendement. On ne peut donc accepter que l’irrecevabilité financière soit appliquée de cette façon. Il me semble qu’il faudrait au contraire ouvrir la discussion.

M. Boris Vallaud. Je suis certain que vous êtes comme nous tous soucieuse de la qualité de nos débats, madame la présidente, et vous comprendrez que nous ayons besoin d’avoir une certaine visibilité sur vos intentions, ou sur celles de la majorité et du Gouvernement. Beaucoup de rumeurs bruissent ; pourriez-vous lever le doute sur certaines hypothèses ? Un débat long serait, en tout cas, préférable à un débat tronqué ou escamoté.

M. Adrien Quatennens. J’aimerais exprimer la déception du groupe La France insoumise après les échanges qui ont eu lieu hier après-midi et hier soir. Plus de 21 000 amendements restent à examiner, qui seraient autant d’occasions pour la majorité de défendre avec cœur son projet de loi, mais je constate qu’il y a dans les rangs de celle-ci peu d’enthousiasme à le faire.

Je me dois aussi de vous interpeller directement en votre qualité, madame la présidente, car vous n’êtes pas sans savoir que l’un des documents sur lesquels nos travaux se fondent, à savoir la magnifique étude d’impact qui a été remise aux parlementaires, a été truqué. Nous l’avons dénoncé hier à plusieurs reprises et, étrangement, cela n’a étonné personne. Vous-même n’avez rien trouvé à y redire. L’ensemble des cas-types envisagés dans l’étude ont pourtant été faussés par le gel de l’âge d’équilibre, de façon à faire croire que le système par points est plus favorable. Or ce sont sur ces cas que nous serons amenés à débattre. Dans le rapport Delevoye, c’est le système actuel qui avait été minoré pour aboutir au même effet mensonger.

Vous semblez déplorer la lenteur avec laquelle la discussion avance, mais nous ferons en sorte de la ralentir davantage encore si nous n’obtenons pas les réponses à nos questions. Je rappelle que ce projet de loi, non seulement est contesté par une majorité de nos concitoyens, mais aussi contredit les engagements présidentiels. Nous sommes las du ronronnement habituel : si vous voulez que cette discussion aille à son terme, vous devrez monter au créneau et défendre ce projet de loi argument contre argument. Nous ne laisserons pas cette commission défiler tranquillement alors que le pays est en ébullition au sujet des retraites.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous aurez l’occasion de le répéter tout au long de la soirée et toute cette semaine.

M. Adrien Quatennens. Comptez sur nous !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Concernant l’organisation de nos échanges, en tant que présidente de cette commission, et nonobstant le nombre d’amendements restant en discussion et la lenteur de nos travaux, je suivrai la procédure et ferai examiner les amendements l’un après l’autre. Il est donc assez vraisemblable que nous siégions ce week-end, et peut-être aussi lundi et mardi ; nous aviserons ensuite, au fil de l’avancée des débats.

S’agissant des cas types de l’étude d’impact, ils ont été évoqués en conférence des présidents, et la question a été tranchée. Vous avez toujours la possibilité d’aller au bout de votre démarche en déférant le texte au Conseil constitutionnel, et je ne doute pas que vous le ferez.

Permettez-moi néanmoins de vous faire remarquer que je ne suis pas responsable du nombre d’amendements déposés ou restant en discussion. Si vous souhaitez que nous puissions débattre du fond de ce projet, et pas seulement de sa forme, peut-être faudra-t-il renoncer à défendre les amendements qui ne mériteraient pas de l’être, mais ce choix vous appartient.

Je réunirai le bureau à l’issue de nos débats de l’après-midi, vers 19 heures 45, de façon que nous arrêtions formellement le nombre de prises de parole et leur durée. J’ai laissé chacun s’exprimer librement hier, mais je pourrais décider qu’il en soit autrement, par exemple en ne laissant la parole qu’à un orateur pour et à un orateur contre, comme cela se pratique en commission des finances. J’ai préféré laisser le débat s’installer, afin que chacun puisse exposer ses arguments, et je souhaite que nous puissions poursuivre ainsi, ce qui repose sur vous.

Sur la recevabilité financière des amendements, monsieur Dharréville, je vais laisser le président Woerth vous répondre.

M. Éric Woerth. Permettez-moi de préciser au préalable qu’en commission des finances, chacun est libre de s’exprimer. La règle que vous nous prêtez serait d’ailleurs assez difficile à appliquer, madame la présidente, car les arguments contre un amendement sont souvent multiples, les oppositions étant très différentes.

Je vous ai interrogée précisément sur la façon dont vous-même interpréterez le Règlement si nous n’arrivons pas au bout de l’examen du texte, ce qui est tout à fait possible.

Au sujet de l’application de l’article 40 de la Constitution, la présidente de la commission spéciale m’a consulté, comme de coutume, sur la recevabilité d’un grand nombre d’amendements. Je me suis efforcé de concilier l’exigence de recevabilité financière et le respect de l’initiative parlementaire, comme le faisait le président Gilles Carrez. Dès lors qu’il y a doute, il profite au député.

Le projet du Gouvernement vise à instaurer un système nouveau par rapport au droit en vigueur. Les points ne sont pas l’équivalent des trimestres. Chaque fois qu’un amendement avait pour objet d’améliorer les droits à pension de ce nouveau système, il a été considéré comme créant une charge nouvelle. Lorsque la comparaison avec le système actuel était possible, j’ai déclaré recevables des amendements qui n’ouvraient pas de nouveaux droits par rapport à la situation actuelle. Par exemple, j’ai considéré que le fait de maintenir la prise en compte des six derniers mois de traitement pour les fonctionnaires n’était possible qu’à condition d’exclure les primes ; à défaut, on va au-delà de la situation actuelle et du projet de loi du Gouvernement, ce qui est un motif d’irrecevabilité.

Les amendements visant à supprimer un article sont toujours recevables ; ceux qui visent à supprimer un alinéa doivent être examinés au cas par cas. Je m’y suis employé durant de nombreuses heures compte tenu du nombre d’amendements à examiner.

Le fait qu’il y ait à la fois un projet de loi et un projet de loi organique ouvre la possibilité de déposer plus d’amendements, mais la règle constitutionnelle s’applique invariablement.

M. Damien Abad. Il me paraît nécessaire que nous soyons bien informés sur le déroulement de notre débat et sur la façon dont il pourrait se conclure, car c’est important.

Vous avez pu constater que nous sommes une opposition responsable qui ne fait pas de l’obstruction. Nous avons déposé environ mille amendements pour cent députés, soit une moyenne de dix amendements par député, ce qui, sur un texte comme celui-ci, est tout à fait respectable et louable. Nous avons un contre-projet, et nous ne sommes pas là pour bloquer le pays ni le Parlement. Nous contestons toutefois l’ensemble des modalités de la réforme proposée.

Vous envisagez que nous siégions ce weekend, lundi et mardi. Avez-vous, en tant que présidente de la commission spéciale, la volonté d’aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte ? À défaut, si le temps venait à manquer en raison des délais à respecter, notamment pour l’examen dans l’hémicycle, cela signifierait-il que la discussion que nous aurons eue sera nulle et non avenue ? Reviendra-t-on au texte gouvernemental en considérant qu’aucun amendement, pas même celui de notre collègue Bazin, n’a été adopté ? Compte tenu de l’enjeu de nos débats, il serait regrettable que tout le temps et l’énergie qui y auront été consacrés s’avèrent inutiles.

M. Thibault Bazin. Je souhaite, pour ma part, que la réunion du bureau que vous avez annoncée aborde, outre les modalités de répartition du temps de parole, cette question fondamentale : que prévoit la procédure si nous n’arrivons pas au bout de l’examen du texte ? Autrement dit, à quoi sert notre travail au sein de cette commission ? La volonté cachée du Gouvernement ne serait-elle pas qu’on ne change rien au texte et qu’on n’évoque pas les sujets de fond ? Ce serait profondément dommageable, car nous souhaitons qu’un débat ait lieu sur chacune des modalités de la réforme. Le texte comporte, en effet, plusieurs imprécisions que le Conseil d’État a relevées.

M. Sébastien Jumel. Ces questions ne sont pas neutres. La concertation a échoué, le dialogue social a avorté, et le débat parlementaire risque de s’avérer improductif. La question de la procédure d’examen du texte touche donc directement à la solidité juridique de la loi.

Sur l’irrecevabilité financière, je n’ai pas l’expérience de notre collègue Éric Woerth, mais j’avais cru comprendre que l’article 40 était opposable aux amendements créant une dépense nouvelle ou diminuant une ressource existante. Or les amendements jugés irrecevables touchent à l’âge d’équilibre. S’il existe des éléments tangibles pour affirmer que la modification de ce critère entraîne automatiquement une hausse des dépenses ou une baisse des recettes, il serait souhaitable que le président de la commission des finances les transmette à la commission spéciale. À défaut, ces amendements doivent être discutés.

J’ajoute que le fait de soumettre nos propositions au filtre financier alors même que la question du financement du projet de loi échappe à la compétence du Parlement renforce notre frustration et ne nous permet pas de trancher en connaissance de cause. Nous vous demandons donc de rétablir la recevabilité d’amendements qui portent sur des questions de fond. Il s’agit non pas d’un procédé d’obstruction, mais d’une tentative de débattre du fond. L’âge d’équilibre a été au cœur des préoccupations des organisations syndicales, c’est un sujet central du débat.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’ai bien écouté vos remarques, chers collègues ; nous reviendrons sur ces questions lors de la réunion du bureau.

Monsieur Woerth, en votre qualité de président de la commission des finances, vous connaissez parfaitement la manière de procéder. Étant parlementaire avant tout, j’aime quand le travail parlementaire paie, quand des amendements déposés sont retenus et qu’on ne revient pas sur ce qui a été voté. J’espère donc que nous pourrons aller au bout de l’examen de ce texte, ce qui dépendra de l’attitude de chacun d’entre vous. Il est souhaitable que la parole circule davantage au vu du nombre d’amendements à discuter. Il y va de notre crédibilité à l’extérieur de ces murs.

Ma volonté est très claire : j’ouvrirai le nombre de jours nécessaire à ce que nous discutions ce texte jusqu’au bout.

M. Éric Woerth. J’aimerais néanmoins connaître votre interprétation du Règlement quant à l’éventualité que nous n’arrivions pas au bout de nos travaux, madame la présidente.

Monsieur Jumel, il m’est impossible de donner une réponse d’ensemble sur l’irrecevabilité de plusieurs centaines d’amendements. Je peux, en revanche, vous donner les motifs précis d’irrecevabilité de chaque amendement sur lequel vous vous interrogez. Si des erreurs ont été commises, ce dont je doute, elles seront corrigées.

Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition

La commission examine les amendements identiques n° 1799 de M. Ugo Bernalicis, n° 1801 de M. Alexis Corbière, n° 1809 de M. Adrien Quatennens et n° 1813 de M. François Ruffin.

M. Ugo Bernalicis. Nous reprenons notre discussion sur l’objectif assigné au système universel de retraite à l’alinéa 7 de l’article 1er : celui « de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d’une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Non seulement l’étude d’impact est truquée, mais on nous trompe aussi dans le projet de loi lui-même en y insérant des affirmations aussi mensongères que celle-ci, car on voit bien, dans les articles qui suivent, qu’il n’en est rien.

Prenons l’exemple des avocats, qui vient d’être abordé à la séance de questions au Gouvernement. Actuellement, en cas de carrière hachée, ces professionnels sont assurés de partir à la retraite avec un revenu plancher de 1 400 euros environ, tandis que votre projet de régime universel prétendument juste prévoit un plancher de 1 000 euros. Pensez-vous vraiment atteindre ainsi l’objectif d’un niveau de vie satisfaisant pour les retraités ? À l’évidence, pour les avocats, on est loin du compte !

Vous prévoyez, en outre, un taux de remplacement de 85 % du SMIC pour une carrière complète. Et vous osez appeler cela une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ? Vous vous moquez du monde !

Voilà donc l’alternative : soit vous changez tout le reste du texte pour qu’il soit cohérent avec l’alinéa 7 de l’article 1er, soit vous supprimez cet alinéa.

M. Alexis Corbière. L’amendement vise à supprimer cet alinéa, par lequel vous prétendez garantir un niveau de vie satisfaisant. Or, nous en avons déjà débattu hier, un niveau de vie satisfaisant ne saurait être inférieur au SMIC. Le seul objectif chiffré que vous inscrivez dans le projet est pourtant celui d’une pension équivalente à 85 % du SMIC pour une carrière complète. Cette incohérence n’est pas respectueuse pour les lecteurs, ni pour les citoyens qui suivraient notre débat.

Il serait donc sain de supprimer cet alinéa qui ne correspond pas au véritable contenu du texte : la réforme ne garantira pas un niveau de vie décent aux retraités, bien au contraire !

M. Adrien Quatennens. Je le répète, il est particulièrement difficile d’apprécier le contenu d’un texte mité ; vingt-neuf ordonnances, ce sont autant de trous dans le projet de loi, autant de sujets dont nous ne pouvons pas discuter, sur lesquels nous ne pouvons qu’habiliter le Gouvernement à légiférer.

Alors que l’étude d’impact a été truquée, il est question dans l’alinéa 7 de garantir un niveau de vie satisfaisant et de verser une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active. Les deux questions essentielles que se posent les Français sont précisément les suivantes : à quel âge ils pourront partir en retraite, et avec quel niveau de vie. Compte tenu des objectifs qui sont les vôtres dans cette réforme, vous vous contentez de répondre qu’on partira toujours plus tard, à un âge supérieur à l’espérance de vie en bonne santé, et vous n’offrez aucune garantie quant au revenu, car ce sera la variable d’ajustement.

Les générations connaîtront, l’une après l’autre, une baisse des pensions qui sera fonction de leur part dans la population totale et de l’espérance de vie. Vous entendez ainsi pousser les gens à travailler plus longtemps, et il n’y a là rien de satisfaisant.

L’ensemble du projet de loi est faussé, et nous ne pouvons continuer de discuter d’un texte insincère.

M. François Ruffin. Vous prétendez dans cet alinéa assurer un niveau de vie satisfaisant pour les retraités, mais comment comptez-vous vous y prendre ? Alors qu’on sait qu’il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, votre objectif est de faire baisser la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) en la faisant passer de 14 % à 13 %. C’est la quadrature du cercle !

Je crains que le résultat mathématique de ce problème ne soit le même que celui que vous avez obtenu avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et vos autres mesures du même type, c’est-à-dire 400 000 pauvres de plus en France. Tel sera l’aboutissement de votre réforme.

En dix ans, les montants versés aux plus de 60 ans au titre du revenu de solidarité active ont augmenté de 157 %. Pourquoi ? Parce que l’allocation de retraite méritée est remplacée par une allocation de pauvreté. Voilà la perspective que vous tracez. Dans ces conditions, nous sommes donc impatients d’entendre vos explications quant à la garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je reprendrai les explications données hier soir, car MM. Ruffin, Bernalicis et Corbière n’étaient pas présents.

Il est toujours possible de contester les outils et les moyens choisis pour mettre en œuvre un dispositif, mais l’article 1er rassemble les objectifs que nous nous donnons. L’amendement proposé vise ainsi à supprimer l’alinéa 7 de l’article, c’est-à-dire l’objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas beau de mentir !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne conteste pas le droit à multiplier les amendements individuels, mais je déplore que, par cette manœuvre, on détourne le fonctionnement de notre assemblée, on abîme le rôle du Parlement, on empêche les autres oppositions de s’exprimer.

M. Bazin s’interrogeait tout à l’heure sur une hypothétique volonté cachée du Gouvernement d’empêcher que l’examen du texte arrive à son terme. Il n’y a pas loin à penser que le Gouvernement s’est entendu avec le groupe La France insoumise pour exécuter ce dessein... Je vais mener mon enquête !

Au vu des difficultés que rencontrent les retraités, et de celles qui sont à craindre pour les futurs retraités...

M. Adrien Quatennens. Avec votre projet, elles sont certaines !

M. Nicolas Turquois. ...nous ne sommes pas à la hauteur. Nos propositions sont peut-être inadaptées selon votre cadre d’analyse, mais il serait plus approprié que nous travaillions ensemble, au lieu de perdre du temps avec des punchlines, car ces amendements de suppression d’objectifs empêchent la discussion des idées susceptibles d’améliorer véritablement le texte.

L’avis est donc défavorable, et le sera sur tous les amendements de même inspiration.

M. Boris Vallaud. Après avoir entendu les explications de M. le rapporteur, je constate que la notion de niveau de vie satisfaisant est manifestement dépourvue de portée normative, ce qui rend l’alinéa 7 inconstitutionnel. Dans sa décision du 21 avril 2005, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs censuré pour ce motif un article de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, dite « loi Fillon », qui fixait pour objectif la réussite de tous les élèves.

En outre, la notion de niveau de vie satisfaisant est ici à l’état gazeux, compte tenu du fait que vous prévoyez dans l’étude d’impact une part réduite de PIB consacrée aux retraites à l’horizon de 2050 alors que le nombre de retraités va augmenter.

Vous avez interdit le débat sur le niveau de vie des retraités relativement à celui des actifs. Or le taux de remplacement va baisser de façon très importante tandis que l’âge de départ à la retraite va augmenter. Quant au minimum de pension, il sera de 85 % du SMIC à l’entrée en vigueur du régime universel, mais compte tenu des règles de revalorisation du salaire minimum – qui permettent, pour l’instant, d’en préserver le niveau – on sera peut-être à 75 % du SMIC vingt ans plus tard.

Au total, donc, contrairement à l’objectif qu’il énonce, votre texte de loi ne garantit pas un niveau de vie satisfaisant aux retraités.

M. Adrien Quatennens. Si nous souhaitons supprimer l’alinéa 7, c’est précisément parce qu’il ne correspond pas du tout à vos objectifs réels, qui sont de limiter la part des richesses consacrées aux retraites. Votre objectif, c’est de faire en sorte que les Français travaillent toujours plus longtemps, c’est d’encourager la capitalisation, et rien d’autre. Le reste n’est qu’un écran de fumée.

Vous nous reprochez de nous appuyer sur des punchlines, monsieur le rapporteur, mais c’est vous qui paradez avec votre réforme universelle, juste, simple et pour tous, qui prétendez qu’un euro donnera lieu aux mêmes droits. Toutes ces formules étaient vaines : vous avez perdu la bataille de l’opinion.

Vous êtes bien mal placé pour nous donner des leçons. Vous affirmez que nous abîmons le rôle du Parlement, mais c’est le Gouvernement qui a transmis aux parlementaires une étude d’impact truquée. Alors que l’exécutif a un devoir de sincérité vis-à-vis du Parlement et des Français, nous examinons un texte à trous construit sur la base de cas-types faussés !

Nous jouons ici notre rôle d’opposition parlementaire. Quant à vous, votre dessein est de faire travailler les Français plus longtemps, alors assumez-le. Et ne venez pas dire autre chose. Vous avez truqué l’étude d’impact pour faire croire que la réforme était favorable. Le Parlement est méprisé dans le cadre de cette réforme, et vous le savez.

Sortez du bois, collègues Marcheurs ! Défendez votre réforme des retraites, si formidable, si juste ! Vous êtes silencieux ; avez-vous reçu des instructions ?

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22451 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous avons fait plusieurs propositions de réécriture de l’alinéa 7, qui nous paraît, à nous aussi, en complet décalage avec le reste du texte.

Pour rappel, il s’agit de fixer un « objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d’une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Rien n’est toutefois précisément défini – ni le niveau de vie satisfaisant ni la retraite en rapport avec les revenus perçus. Le taux de remplacement n’est pas non plus inscrit dans le texte. En revanche, les objectifs sont très clairement énoncés concernant l’équilibre financier et la maîtrise des dépenses. Voilà qui nous renseigne sur la réelle visée de cette réforme.

Nous proposons donc ici que vos objectifs initiaux soient mis en conformité avec le reste du texte. Mon collègue Sébastien Jumel présentera plus tard les objectifs que nous aurions souhaité y voir inscrits.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avec la rédaction proposée – « le système universel de retraite doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités, reflétant les revenus perçus pendant la vie active » –, ce gouvernement et ceux qui lui succéderont pourront définir précisément, en fonction de leurs objectifs sociaux, ce que pourrait être ce niveau.

S’agissant de la définition du « niveau de vie satisfaisant », je rappelle à M. Vallaud, qui, me semble-t-il, a occupé des responsabilités sous la précédente législature, les termes de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale tel qu’issu de la « loi Touraine » : « La Nation assigne au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre (les générations et au sein de chaque génération [...] et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités ». La précision des termes qui valait il y a cinq ans vaut encore aujourd’hui. Avant d’intervenir, il faut vérifier les textes existants.

Enfin, monsieur Dharréville, J’ai envie de dire : « Chiche ! Adoptons votre amendement et inscrivons à l’article 1er : "un objectif de dégradation du niveau de vie des retraités, et de versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active" ». Les aspirations du Parti communiste pour les retraités et les conditions sociales dans lesquelles il veut engager notre pays ont bien changé !

Avis défavorable.

M. François Ruffin. Monsieur le rapporteur, allez-y, votez un tel objectif ! Ce que nous vous demandons, c’est de la sincérité entre les objectifs que vous fixez et les moyens que vous mettez en face.

Je pose ma question pour la deuxième fois, mais peut-être l’entendrez-vous huit cents fois : comment ferez-vous pour garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités ? Alors qu’il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, vous expliquez très clairement dans votre projet de loi que vous allez baisser la part du PIB consacrée aux retraites. Le gâteau sera plus petit, il y a aura plus de personnes à manger dessus, mais vous prétendez que les parts seront les mêmes. Il y a là un mystère que j’aimerais vraiment que vous éclaircissiez !

Ce midi, j’ai constaté, avec des représentants de la Coordination rurale que j’ai reçus pour évoquer les états généraux de l’alimentation, qu’il y avait un fossé énorme entre les objectifs affichés et les moyens réellement consacrés : cela n’avait plus rien à voir. Cette fois, nous vous demandons de la cohérence entre vos objectifs et les moyens à mettre en œuvre.

M. Éric Woerth. Hormis qu’il s’agit là d’un amendement de provocation, le groupe Les Républicains comprend de votre texte que la variable d’ajustement – il en faut toujours une – dans le système que vous proposez, c’est la baisse des pensions. L’âge pivot engage la baisse des pensions, contrairement au recul de l’âge légal qui entraîne un décalage des droits. Avec un âge pivot, beaucoup de personnes décideront de partir, parce qu’elles en ont le droit, avec une pension dégradée par rapport au système actuel, un malus à vie. La baisse des pensions, c’est le cœur de la variable d’ajustement de ce que vous proposez.

M. Sébastien Jumel. Exactement !

M. Éric Woerth. Pour notre part, nous proposons de repousser l’âge légal de départ à la retraite, ce qui n’est pas du tout la même chose.

M. Pierre Dharréville. J’ai effectivement souligné la faiblesse insigne des objectifs que vous fixez. Mais nous voulons aller plus loin en vous proposant d’assumer les conséquences directes de votre texte. Cet amendement de coordination ou de précision, en quelque sorte, vise à inscrire dans la loi ce que sera réellement son résultat : la dégradation du niveau de vie des retraités avec le versement d’une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active. Le mécanisme que vous nous proposez, c’est non seulement l’allongement de la durée de travail pour avoir droit à sa retraite, mais également la baisse très nette du niveau des pensions pour toute une partie de la population. Nous vous demandons simplement d’avoir la cohérence d’inscrire vos objectifs dans ce texte, plutôt que de faire semblant.

M. Jean-Paul Mattei. Depuis hier soir, on tourne en rond dans une discussion générale sans fin. Vous placez le débat sur le terrain des principes et présentez des amendements de provocation, sachant fort bien que s’ils étaient adoptés, vous ne voteriez pas la loi. Soyons sérieux !

L’article 1er pose les grands principes. J’ai hâte que l’on en vienne à l’examen des articles suivants afin que l’on aborde les amendements sur le fond. Ceux que nous examinons actuellement sont ridicules et ne font que ralentir les débats

M. Adrien Quatennens. Ce qui est ridicule, c’est ce projet de loi !

M. Jean-Paul Mattei. On ne peut pas dire que le débat parlementaire soit serein. C’est lamentable !

La commission rejette l’amendement.

Puis la commission examine l’amendement n° 14658 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Vous gouvernez par ordonnances ! Depuis que vous êtes aux responsabilités, il y a eu 56 000 manifestations. Alors que la France est fractionnée, divisée, bâillonnée, humiliée, vous nous donnez des leçons de démocratie : ça suffit ! On joue notre rôle de parlementaires. (Protestations parmi les députés du groupe La République en Marche.)

Après un amendement de provocation, nous vous proposons un amendement de consolidation, qui vise à substituer à l’objectif de garantie d’un niveau de vie satisfaisant celui d’améliorer le niveau de vie. Votre projet ne garantit pas le taux de remplacement ; la réduction du poids des retraites dans le PIB, qui passe de 14 à 12,8 %, a une conséquence sur le niveau des pensions. Contrairement à ce que dit Éric Woerth, les gens ne choisiront pas de partir plus tôt à la retraite, ils y seront contraints parce que certains métiers ne permettent pas aux salariés de travailler comme votre loi va les y obliger. In fine, votre projet va dégrader les conditions de pension. Notre amendement constructif vise à s’en prémunir.

J’ajoute que l’indexation du niveau des pensions sur le niveau des salaires moyens est reportée à perpète – en 2048. Elle n’offre donc pas, elle non plus, de garantie satisfaisante en matière de niveau de vie de nos pensionnés.

Vous refusez l’amendement de provocation, et je l’entends. Mais je vous demande d’adopter cet amendement constructif.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’objectif est tout à fait louable et nous avons le même. Nous voulons améliorer le niveau de vie des retraités car, si leur revenu moyen en France représente 106 % du revenu moyen de la population active – c’est le meilleur rapport parmi les pays européens –, au sein de cette moyenne, un certain nombre de retraités touchent des pensions excessivement modestes. C’est pourquoi nous proposons de fixer le minimum de retraite à 85 % du SMIC, ce qui est certes toujours modeste, mais c’est une progression par rapport aux 70 % d’aujourd’hui. Notre objectif est plutôt d’aboutir à une meilleure répartition des pensions, d’où notre préférence pour les termes « niveau de vie satisfaisant », étant entendu que nous nous retrouvons sur la philosophie.

Avis défavorable.

M. Alexis Corbière. S’il y a des amendements de provocation, j’ai dans les mains un document de provocation : celui de mille pages que nous avons reçu il y a quatre jours, dont nous devrions, pour le maîtriser, lire une quarantaine de pages par heure pendant 10 heures... Tout cela n’est pas sérieux ! Évidemment, personne ici n’a lu cette étude d’impact et personne ne la maîtrise. Mon collègue Adrien Quatennens, qui l’a lue plus en détail que moi, a dit ce que la presse a révélé, à savoir que nombre de chiffres sont erronés et que les études d’impact sont biaisées. Voilà ce contre quoi nous protestons !

Je défends cet amendement parce que les conditions dans lesquelles nous travaillons doivent être dénoncées. Vous inscrivez des objectifs qui ne se révèlent pas dans les documents tels que vous nous les présentez, quand on les lit dans le détail. Nos amendements ne sont pas de provocation mais de bons sens. La provocation, ce sont les conditions déplorables, inacceptables, et méprisantes pour toute représentation parlementaire sérieuse, dans lesquelles vous avez placé ce débat. On ne peut pas travailler sereinement à cause du Gouvernement. D’ailleurs, vous ne voulez pas qu’on travaille mais qu’on obéisse et qu’on vote hors de toute connaissance de cause ce projet de loi.

Par sympathie à votre égard, nous avons déposé beaucoup d’amendements pour que vous ayez le temps de réfléchir sur ce scandale démocratique. Au terme de quinze jours de réflexion, vous pourrez ainsi reconnaître que les conditions n’étaient pas réunies pour ce travail et nous pourrons nous rassembler pour représenter ceux qui manifestent actuellement, qui sont majoritaires.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Corbière, pour cette charmante attention dont nous vous savons vraiment gré.

Je vais maintenant demander un peu de sérieux à ceux qui réclament un débat parlementaire sérieux, et de cesser de brandir des accessoires – ils ont bien été vus sur la vidéo. J’aimerais que l’on discute posément, comme on l’a fait hier soir, et que l’on s’écoute.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes au cœur du problème avec le taux de remplacement sur lequel il n’y a aucune garantie. La réponse que vous avez faite, monsieur le rapporteur, mérite d’être discutée. D’abord, le niveau actuel de retraite n’est pas garanti par les termes « niveau de vie satisfaisant ». Ensuite, vous avez sous-entendu que certains allaient y perdre. Cela mérite des explications. Notre formulation nous semble offrir un objectif beaucoup plus souhaitable pour les salariés et les retraités de notre pays.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 22458 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Vous avez raison de dire que le système de retraite imparfait que nous connaissons a permis de résorber la précarité, voire l’extrême pauvreté dans laquelle les retraités se trouvent depuis 1970, même si des poches d’extrême pauvreté persistent, comme c’est le cas pour les agriculteurs que je connais bien, comme vous. On peut considérer que le système par répartition que vous allez flinguer a permis une élévation du niveau de vie des retraités.

Vous dites partager la philosophie qui consiste à vouloir améliorer le niveau de vie des retraités, mais vous ne voulez pas l’inscrire dans le marbre de la loi parce que la seule chose que vous êtes capables de garantir, après votre vachement bonne réforme, c’est un niveau de vie simplement satisfaisant. Cela ne veut rien dire !

Soit vous pouvez nous démontrer que les taux de remplacement seront garantis, que le niveau de pension moyen de chaque retraité sera augmenté, que les femmes ne seront pas pénalisées, que les carrières hachées, les carrières précaires s’en sortiront grandies, que les 3 millions d’agriculteurs à qui vous avez fait des promesses verront leur niveau de vie amélioré et le minimum retraite mis en œuvre, y compris de manière rétroactive pour ceux qui sont déjà à la retraite, et alors vous nous aurez convaincus et nous nous reprocherons de nous être opposés à votre projet. Soit, comme je le crois et comme le démontre à chaque minute le débat sérieux que nous avons depuis plusieurs jours, vous ne le pouvez pas, et cela légitime notre amendement.

Monsieur le rapporteur, vous êtes bien sympathique de dire que vous partagez nos objectifs, mais si cela vous empêche de les inscrire dans la loi, soyez-le moins et montrez‑vous plus pragmatique !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Ruffin, la taille du gâteau est dynamique puisqu’elle est corrigée de la croissance chaque année. Dans les diverses hypothèses, il est communément admis que, en période de croissance, la taille du gâteau augmente plus rapidement que celle des pensions, d’où la part relative plus faible de ces dernières dans les prévisions, y compris celles du Conseil d’orientation des retraites (COR).

En outre, dans le dernier rapport du COR, un tableau montre que la proportion des pensions moyennes, qui représente aujourd’hui 106 % du revenu moyen des Français, dans un contexte de croissance à 1 % ou 1,3 %, et sans réforme, s’écroulerait puisque les revenus progresseraient plus rapidement qu’évoqué. Nous proposons de tenir compte de l’évolution du revenu moyen pour caler le niveau des pensions.

Nous assumons que la réforme proposée par le Gouvernement soit extrêmement redistributive. Cela implique que certaines professions gagneront moins en proportion que les autres. Assurément, ce sont celles dont les revenus sont les plus élevés qui y perdront, pour autant qu’on doive parler de perte. Mais puisqu’on renforce la solidarité nationale, au final c’est un gain pour tous.

Monsieur Jumel, je suis d’accord avec vous, si nous sommes le pays européen où les revenus des retraités sont les plus élevés en proportion des revenus moyens constatés, il existe néanmoins de forts écarts. Tout l’enjeu de cette réforme est d’y remédier. Vous avez cité les agriculteurs, auxquels je suis particulièrement attaché. Comment moins de 400 000 agriculteurs actifs pourraient-ils assumer, de façon équitable et honnête, une retraite à 1,6 million de retraités agricoles ? Ce n’est pas possible !

Imaginons, dans votre logique, que les informaticiens réclament l’instauration d’un régime qui leur soit propre. Actuellement, ils sont très nombreux, manifestement mieux payés que la moyenne des actifs, et très peu sont retraités. Si on votait un tel système aujourd’hui, la caisse de retraite des informaticiens engrangerait très rapidement des réserves pendant que d’autres accumuleraient des déficits. Des systèmes de correction existent, mais ils fonctionnent très mal – c’est ce qu’a indiqué le président du COR, la semaine dernière. Comme nous ne savons pas quelle profession nous-mêmes ou nos enfants exercerons demain, la mutualisation est la meilleure façon d’assurer une garantie de retraite la plus équitable et la plus satisfaisante possible à nos futurs concitoyens.

Compte tenu de ces éléments, j’émets un avis défavorable.

Mme Catherine Fabre. En alignant le niveau de vie des retraités sur celui des actifs, le résultat est qu’on abaisse le niveau de vie des retraités, puisqu’aujourd’hui, le niveau de vie moyen des plus de 65 ans est supérieur de 6 points à celui de l’ensemble des Français. C’est le résultat d’un choix de société que nous avons fait depuis longtemps et dont nous sommes fiers. Avec notre réforme, nous le réaffirmons. En outre, le taux de pauvreté des retraités est de 7 % quand celui des Français est de 14 %. Nous avons l’ambition de conserver le même niveau consacré aux retraites, tout en opérant une redistribution en faveur de ces 7 % les plus pauvres. C’est ce que nous faisons en proposant de porter le montant minimum de la retraite à 85 % du SMIC net.

En résumé, votre amendement appauvrirait les retraités. Je ne pense pas que telle soit votre intention. Notre système est bien plus favorable, et je vous conseille de ne pas voter votre amendement.

M. Ugo Bernalicis. Selon le rapporteur, les grands perdants de cette réforme des retraites seront les plus riches de ce pays, parce qu’ils vont devoir faire preuve de solidarité. Reprenons le cas concret de nos amis les avocats. Leur caisse autonome fonctionne sur le principe que plus ils gagnent, plus ils cotisent. Aujourd’hui, pour les avocats qui s’installent, pour les plus pauvres, le taux de cotisation est de 14 %. Avec votre réforme, il passera à 28 %. À l’inverse, les plus gros cabinets d’avocats, ceux qui ont un taux supérieur à 28 %, cotiseront moins demain. Je ne suis pas sûr que ce cas de figure faisait partie de l’étude d’impact.

M. Pierre Dharréville. De toute façon, elle est truquée !

M. Ugo Bernalicis. En effet...

Vous parlez du meilleur taux de remplacement d’Europe. C’est vrai, et c’est pourquoi vous voulez faire en sorte qu’il soit moins bon. De fait, notre pays a une autre spécificité : son marché des retraites par capitalisation est assez peu dynamique. Pour libérer les énergies sur ce marché, quoi de mieux que d’appauvrir les retraités, faire en sorte que le taux de remplacement soit plus faible ? La voie sera ainsi toute tracée à votre assureur pour venir vous proposer un nouveau produit assurantiel offrant un meilleur taux de remplacement ou global. Ce sera génial !

Quant à la ressource dynamique du PIB si vous y incluez l’inflation et tout le reste, sachant que notre PIB n’augmente pas de 14 points ni même de 5 par an, je crains que l’on ne finisse par être plus pauvres à la retraite.

M. Pierre Dharréville. En réalité, votre objectif est d’abaisser le taux de remplacement. Une étude menée par l’économiste Henri Sterdyniak montre même qu’avec votre système, il baissera de 22 %. C’est pourquoi nous proposons que le niveau de vie des retraités soit comparable à celui des actifs, qu’il n’y ait pas de rupture dans l’existence. C’est le concept de la retraite comme salaire continué, la reconnaissance du salarié qui cesse d’avoir un travail prescrit.

Je vous le dis très tranquillement, l’écart entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs va s’aggraver à grand pas, car toutes les réformes que vous avez produites continuent à dégrader le travail, le salaire. Aussi, je suis d’accord avec vous : faisons quelque chose pour nous attaquer à ce problème.

M. Boris Vallaud. Je fais le pari que chacun ici est de bonne foi, mais notre discussion révèle une incompréhension majeure. Une députée de la majorité a dit que le projet permettra de maintenir durablement le niveau de vie relatif des pensionnés à 106 % de celui des actifs. C’est parfaitement faux au regard des études du COR et de ce que nous a dit son président lors de son audition, qui a fait état de 75 % : comme la part du PIB augmente, le taux de remplacement va baisser durablement. Le niveau de vie relatif des retraités va baisser fortement par rapport à celui des actifs. Et cela vaudra pour tout le monde, en particulier pour ceux qui perçoivent le minimum contributif. Avec votre projet, 30 % des pensionnés seront dans ce filet de sécurité. C’est une trappe à basses pensions. Cela concernera 40 % des femmes. Comment peut-on considérer que c’est un progrès ? Je ne crois pas que ça en soit un. Dire la vérité sur ces projections, c’est important, et cela montre l’indigence de l’étude d’impact. Je maintiens les chiffres que je viens de citer.

M. Éric Woerth. L’amendement est tout à fait théorique. La vérité, c’est que vous ne pouvez pas maintenir le niveau des pensions si vous ne repoussez pas l’âge légal de départ à la retraite. Celui qui pense le contraire a totalement tort.

La République en Marche réduit l’âge de départ à la retraite à taux plein en le faisant passer de 67 à 64 ans, ce qui est une grande première – aucun pays ne l’a fait. L’équilibre financier est la première des justices d’un système de retraite. Vous ne pouvez pas laisser les marchés financiers financer le déficit des retraites, ne rien dire et ne rien faire ou prendre des demi-mesures. Seul l’allongement légal, clair vis-à-vis des Français, permet de régler le problème. Vous pouvez toujours faire tourner un moteur social à l’intérieur du système de retraite – il tourne déjà à plein, à hauteur de 30 % des sommes engagées –, mais la seule question responsable que vous devez vous poser, c’est la capacité à le faire en acceptant l’idée qu’on travaillera plus longtemps avec, par correction, des systèmes de pénibilité qui ne créent pas de nouveaux régimes spéciaux.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. La notion de revenu satisfaisant a dérivé sur un débat autour du produit intérieur brut. Que s’est-il passé ces dix dernières années ? Les dépenses liées aux retraites sont demeurées à un niveau relativement stable de 13,7 % du PIB, ce que chacun peut vérifier sur le site internet du COR. Autres éléments incontestables et vérifiables à la même source : sur la même période, il y a eu 2 millions de retraités supplémentaires, ce qui a porté leur nombre à 16,1 millions au 31 décembre 2017, contre 14,2 millions en 2008 ; en dix ans, la pension brute d’un retraité a augmenté de 20 %.

Nous venons de poser la simple réalité du fonctionnement de notre dispositif par répartition. Il fonctionne de façon dynamique ; le PIB se développe et notre pays est en situation d’avoir davantage de retraités, avec des niveaux de vie qui progressent. C’est ce que nous venons de démontrer collectivement sur les dix dernières années.

M. Sébastien Jumel. Le silence sur le taux de remplacement est assourdissant !

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 22553 de Mme Martine Wonner.

Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à affermir un système socialement juste en s’assurant que l’objectif soit bien de garantir un niveau de vie digne à tous les assurés du système universel de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous partageons la même intention, mais le débat me semble un peu sémantique. De mon point de vue, un « niveau de vie digne » suggère un niveau juste au-dessus de l’acceptable, tandis que « satisfaisant » renvoie au revenu perçu pendant la vie active. Voilà pourquoi je préfère, à titre personnel, le mot « satisfaisant » à celui de « digne ».

M. Pierre Dharréville. C’est sans doute un débat sémantique, mais c’est aussi un débat politique pour savoir si nous en restons à une conception de la retraite telle que je l’ai décrite – un droit garanti, un salaire continué – ou si nous n’en faisons plus qu’une sorte de droit minimum qui serait complété par d’autres dispositifs.

Je suis favorable à ce qu’on garantisse un véritable droit à la retraite et que cela soit énoncé dans les objectifs du système, d’autant que de nombreux retraités ont vu leur situation se dégrader ces dernières années. Les retraités ont manifesté à de très nombreuses reprises pour défendre leur pouvoir d’achat, ce qui a conduit notamment au bouillonnement social que nous connaissons.

Par ailleurs, je crois que l’on peut indexer les pensions sur l’évolution des salaires sans avoir recours à la machinerie que vous nous soumettez, et nous l’expliquons dans notre proposition de loi tendant à garantir le pouvoir d’achat des retraités. Nous défendons comme autre mesure de porter le minimum de pension au niveau du SMIC plutôt que de le laisser à 85 %.

M. François Ruffin. Garantir un niveau de vie satisfaisant, décent ou digne, telle est la question que pose cet amendement. Je rejoins le camarade Vallaud du Parti socialiste qui vous interroge sur le taux de remplacement. De la même manière que les camarades Dharréville ou Jumel, je préférerais qu’on garantisse un niveau de vie, voire qu’on l’améliore. C’est un indicateur beaucoup plus fiable.

Par ailleurs, je suis blessé quand je vous entends dire que notre attitude abîme le Parlement, que nous ne travaillons pas sérieusement et que nous attentons à la dignité ou à la crédibilité de l’Assemblée nationale. Quel culot de votre part ! Passe encore que le Conseil d’État a montré que votre étude d’impact était bidon, qu’on nous soumet un texte à trous avec des ordonnances, et que nous devons étudier plus de mille pages en procédure accélérée. Mais c’était la commission des affaires sociales qui était chargée d’examiner la proposition de loi visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d’un enfant, qui a été discutée dans l’hémicycle il y a moins d’une semaine.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Revenez-en au texte sur les retraites !

M. François Ruffin. Je ne suis pas hors sujet. L’attitude crédible est de notre côté, le travail est de notre côté. Ce qui abîme le plus le Parlement, ce sont des votes de godillots !

M. Ugo Bernalicis. Eh oui !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je donne maintenant la parole à M. Thierry Michels...

M. François Ruffin. Je n’ai pas terminé, madame la présidente !

M. Alexis Corbière. Ce n’est pas à vous de décider ce que disent les députés, madame la présidente !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. En tout cas, je décide de suspendre la séance !

(Suspension de séance)

M. Thierry Michels. La formule « niveau de vie satisfaisant » est utilisée dans le code de la sécurité sociale et la charte sociale européenne. C’est donc par cohérence que le Gouvernement souhaite employer ce terme. Nous devons discuter ici de la façon dont nous allons parvenir à garantir ce niveau de retraite satisfaisant et à accomplir des avancées telle la retraite minimum à 1 000 euros dès 2022, grâce à cette réforme.

M. le secrétaire d’État. Madame Gaillot, quel sens confère-t-on au mot « satisfaisant » ? Pour ma part, je regarde ce que promet le Gouvernement aux Français : un minimum de pension à hauteur de 85 % du SMIC, étant entendu que le SMIC est un élément dynamique, qui évolue de par la loi, chaque année. Il s’agit donc d’un minimum de pension évolutif.

Certes, j’entends que l’engagement pris par le Gouvernement pourrait s’élargir par les mots. Mais nous en sommes ici aux principes généraux, et j’entendais quelques députés exprimer leur envie de discuter du texte sur le fond. Le présent débat trouvera peut-être à se prolonger à ce moment-là. Comme l’a dit M. Michels, le terme « satisfaisant » est repris du code de la sécurité sociale. Je crois surtout qu’il renvoie à ce qui est attendu et qui est dans le texte. J’espère que nous allons pouvoir en débattre très rapidement ensemble.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie les amendements identiques n° 21538 de M. Boris Vallaud et n° 22087 de M. Philippe Vigier.

M. Régis Juanico. Nous souhaitons améliorer le système actuel des retraites, qui se caractérise par un haut niveau de taux de remplacement puisqu’il est de 75 %, ainsi que par l’un des plus faibles taux de pauvreté au monde, autour de 7,5 %. Lors de son audition, la semaine dernière, le président du COR a indiqué que le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs était de 106 %, ajoutant que celui-ci allait évoluer avec ou sans réforme, et que d’ici à 2050, il baissera à 75 %, soit une perte de niveau de vie relatif de 30 %.

Comme l’a dit hier notre collègue Valérie Rabault, la part des pensions dans le PIB passera de 14 % aujourd’hui à 13 % demain, ce qui représentera 25 milliards d’euros en moins pour les retraités. Quant au minimum contributif, s’il est bien de 85 % au départ, comme l’a indiqué M. Boris Vallaud, au vu des règles d’indexation, il baissera à 75 %. Enfin, avec l’âge pivot et le recul de trois ans du départ à la retraite, et la baisse du taux de remplacement, on va vers une paupérisation des retraités. C’est pourquoi cet amendement vise à indexer le niveau de vie relatif des retraités sur celui des actifs.

Mme Jeanine Dubié. Le nouveau système nourrit une angoisse chez nos concitoyens du fait que le montant de leur retraite est inconnu. Dans le système actuel, la base de calcul du taux de remplacement est fixée et connue – les salaires des vingt-cinq meilleures années pour les salariés du privé, 70 % du traitement au dernier indice pour les agents de la fonction publique. Le nouveau système ne fournit pas ce repère.

Pour sécuriser le dispositif et rassurer nos concitoyens, l’amendement n° 22087 introduit un lien entre le montant de la retraite et les revenus des actifs. En remplaçant la notion de niveau de vie satisfaisant, qui ne veut pas dire grand-chose, par celle de niveau de vie comparable à celui des actifs, on évite que des retraités ne se retrouvent avec des pensions trop faibles et que des actifs dont la carrière a été précaire ne soient obligés d’allonger leur période de cotisation, sachant que le taux d’emploi dans la tranche salariale des 55-64 ans n’est que de 52 %.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je salue votre volonté d’établir une comparaison entre les revenus des retraités et ceux des actifs. Je rappelle toutefois que la notion de revenu satisfaisant figure, non seulement dans la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites qu’a fait adopter Marisol Touraine, mais également dans la Charte sociale européenne.

Actuellement, pour les salariés du régime général, par exemple, on retient 50 % du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années, lesquelles, depuis la réforme Balladur en 1993, sont revalorisées tous les ans en fonction du taux de l’inflation. Aucune majorité n’est revenue sur cette indexation des salaires. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l’inflation a augmenté de 40 % entre 1993 et 2018, tandis que les salaires moyens évoluaient de 70 % sur la même période. L’écart est donc de 30 points.

Dans le projet de loi, nous prévoyons de revaloriser les points suivant l’évolution des revenus pour que, au cours du temps, le nombre de points corresponde aux salaires. Un SMIC vaudra autant en 2025 qu’en 2050, et il n’y aura pas de perte relative du revenu dans le calcul, entre le début et la fin d’une carrière. Par ce biais, nous contribuons à garantir un calcul des retraites plus satisfaisant que la règle actuelle, qui se fonde sur une indexation sur l’inflation. Je maintiens que, dans ces conditions, le terme « satisfaisant » est préférable.

Avis défavorable.

M. François Ruffin. Mesurez le miracle politique auquel on est en train de toucher ! Pendant des millénaires, pour les classes populaires, vieillesse signifiait pauvreté. On vieillissait dans l’indigence, dans les hospices ou en étant à la charge de sa famille. Cette malédiction millénaire a été brisée en 1945, lorsque le ministre des travailleurs Ambroise Croizat, dans son vaste plan de sécurité sociale, déclara que « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie ». Ses décisions ne se sont concrétisées que dans les années 1970, compte tenu du délai qui court entre les décisions que l’on prend sur les retraites et leurs conséquences visibles. Il en ira de même avec votre réforme : les décisions sont prises aujourd’hui, mais ce sont les générations à venir qui en subiront les conséquences.

Dans les années 1970, le taux de pauvreté des personnes de plus de 60 ans a été divisé par quatre, passant de 35 % à 7,5 % en une décennie. C’est ce miracle politique que l’on démantèle depuis les réformes Balladur, Fillon, Raffarin, et, maintenant, Macron. Il n’y a pas de doute sur ce fait puisque vous refusez les mots de « garantie » ou d’« amélioration » du niveau de vie. François Fillon le disait, quand on instaure un système à point – sans compter qu’en plus, vous inscrivez que vous entendez baisser la part des retraites dans le PIB –, l’objectif est clairement de baisser le niveau de vie des retraités.

M. Boris Vallaud. Le rapporteur n’a pas pris le soin d’apporter certaines précisions. La majorité a, dit-il, décidé d’indexer la valeur du point sur les salaires. Or, avant 2045, l’indice sera compris entre l’évolution de l’inflation et celle des salaires ; durant cette période, il va donc se dégrader. Après 2045, la revalorisation s’effectuera selon l’évolution des salaires, sous réserve de l’équilibre financier du système – la seule véritable règle d’or.

Vous avez répondu à la question de savoir ce qu’est le niveau de vie satisfaisant pour les retraités. Pour vous, c’est le minimum contributif. La meilleure preuve en est que le nombre de ceux qui seront dans ce filet de sécurité, dans cette trappe à basses pensions, explosera : 30 % des pensionnés et 40 % des femmes.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le rapporteur, nous vous parlons de taux de remplacement, et vous nous répondez par l’indexation. Ce n’est pas le sujet.

Aujourd’hui, l’absence de certitude sur la valeur du point inquiète les Français. Ils ne peuvent pas se projeter et évaluer le montant de leur retraite. Comme l’a dit Boris Vallaud, la seule donnée chiffrée fournie à ce jour, c’est le minimum de 1 000 euros pour une retraite à taux plein.

Je comprends que vous ne souhaitiez pas modifier la rédaction de l’alinéa. Je vous demande cependant de réfléchir à notre formulation. Nous ne faisons pas référence au niveau de vie des actifs pour le plaisir, mais pour que la réforme soit mieux comprise et mieux acceptée, et qu’elle crée moins d’incertitudes.

Mme Catherine Fabre. Les données du COR indiquent que, sans réforme, le taux de remplacement baisse fortement à l’horizon 2050. Or, d’après l’étude d’impact, la réforme permet de consolider ce taux, notamment du fait de l’indexation du point sur les salaires.

M. Boris Vallaud. Ce n’est pas vrai !

Mme Catherine Fabre. Cette indexation n’existe pas aujourd’hui, et c’est la raison pour laquelle, vous le savez, les pensions se réduisent comme peau de chagrin, de manière automatique, sans qu’on s’en rende compte. Nous allons changer les choses en les indexant sur les salaires mais aussi, et nous l’assumons, en demandant aux Français de travailler un peu plus pour consolider ce taux de remplacement.

Les chiffres existent donc : ils figurent dans les études du COR et dans l’étude d’impact.

M. Pierre Dharréville. Vous avez désindexé les pensions depuis trois ans, ne vous étonnez donc pas qu’il y ait un problème ! Vous proposez aujourd’hui de les réindexer autrement, sur les salaires, ce que nous proposons depuis des années. Cela figure dans une proposition de loi que j’ai déposée en novembre 2018.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 1390 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Les Français se demandent avec quel niveau de pension ils pourront vivre à la retraite. À cette question, nous répondons : jamais en dessous du SMIC pour une carrière complète. Là où vous évoquez une hypothétique pension de 1 000 euros, avec toutes les difficultés à définir ce qu’est une carrière complète dans le système à point, nous considérons qu’en dessous du seuil de pauvreté, on ne vit pas, on survit. Par conséquent, un des objectifs politiques que nous pourrions nous fixer est de faire en sorte qu’aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté, quand bien même sa carrière aurait été très hachée.

J’en profite pour informer nos collègues qu’au lieu de l’étude d’impact truquée de mille pages qui nous a été remise, nous tenons à leur disposition un document d’une quarantaine de pages qui se veut un contre-projet sérieux, chiffré, financé, non truqué, permettant d’atteindre l’équilibre financier des retraites sans avoir besoin de faire travailler les Français plus longtemps, ce qui, admettez-le, est le seul dessein de votre projet de loi. Or cela ne correspond pas à ce qu’il convient de faire.

La productivité a augmenté ; le partage de la richesse produite n’a jamais été aussi inéquitable. Travailler plus longtemps, c’est aggraver le chômage, le Conseil d’État le confirme, comme il a confirmé l’essentiel des arguments de l’opposition parlementaire taillant en pièces l’ensemble de vos éléments de langage sur l’universalité, et tout le reste.

L’amendement vise à se doter d’un objectif qui est politique, non comptable, celui de soulager la vie des gens et de faire en sorte que, dans ce pays, aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté. Voilà un objectif ambitieux et tout à fait raisonnable.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 749 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je vous propose d’envisager la retraite sous un autre angle, non pas celui de la période de travail mais celui du souhait des Français d’accéder au paradis de la retraite, à une nouvelle tranche de vie longue et heureuse, vécue dans de bonnes conditions physiques et matérielles. Il s’agirait d’un moment heureux durant lequel les bénéficiaires ont une espérance de vie en bonne santé de dix à quinze ans, et un revenu correct.

Pour le concrétiser en termes législatifs, l’amendement introduit un âge pivot variable selon l’espérance de vie en bonne santé, et spécifique à chaque catégorie professionnelle. En la matière, en effet, les écarts sont énormes et connus. En France, les cadres de sexe masculin bénéficient d’une espérance de vie sans incapacité de 69 ans. Elle n’est que de 59 ans, soit dix années de moins, pour un ouvrier, alors que l’espérance de vie totale s’élève à 76 ans.

Ces inégalités sociales de santé n’ont pas reculé depuis le début des années 1970. Les actuaires d’assurance peuvent facilement, et sans se tromper, calculer le risque d’une personne qui souhaite souscrire une assurance ou une mutuelle, alors que le calcul de la pénibilité est bien plus difficile. Intégrer dans notre réflexion l’espérance de vie en bonne santé, sans incapacité, pour déterminer un âge de départ à la retraite permettrait de concilier deux impératifs : maintenir la pérennité de notre système par répartition et permettre à tous les Français de bénéficier du même nombre d’années de retraite dans de bonnes conditions physiques et matérielles.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je sais que ce sujet vous tient à cœur, cher collègue Isaac-Sibille. Nous avons eu hier un débat assez similaire sur la difficulté d’intégrer les carrières des polypensionnés et sur l’effet de bord qui affecterait les femmes. Intégrer un tel indicateur reviendrait, en effet, à repousser l’âge de retraite des femmes, au motif que leur espérance de vie en bonne santé est supérieure à celle des hommes. L’intention est louable, mais la mise en œuvre serait compliquée. Je vous demande de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement n° 21822 de M. Julien Aubert.

Mme Constance Le Grip. Il est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je comprends que l’on veuille passer vite sur les amendements du groupe Les Républicains, mais ils méritent quand même un argument de la part du rapporteur et du secrétaire d’État. Il importe que nous puissions nous arrêter sur le niveau futur des pensions, la question fondamentale étant de savoir comment faire en sorte qu’il ne baisse pas à l’avenir. À cet égard, inscrire comme objectif le refus de toute baisse du pouvoir d’achat des retraités est essentiel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 55 du projet de loi indique clairement que « le coefficient de revalorisation annuelle des retraites [...] ne peut être inférieur à un ». Aucune baisse n’est donc possible et votre amendement est satisfait. Aussi vous demandé-je de le retirer.

M. Boris Vallaud. L’article 55 interdit une baisse nominale, mais une diminution du pouvoir d’achat est possible.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 14659 de M. Sébastien Jumel et n° 21269 de M. Boris Vallaud.

M. Sébastien Jumel. La faculté qu’ont les libéraux de présenter les contraintes comme une nouvelle liberté ou un nouveau droit me déconcerte toujours un peu. En affichant la liberté de choix de partir à la retraite, vous faites l’impasse sur une réalité sociale majeure. Voyez les gars chargés de la collecte des ordures ménagères, qui ont rapidement le corps broyé par la difficulté de leur travail, et d’autant plus s’ils n’adoptent pas les bonnes postures ; les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui s’occupent de nos mômes – touchés par les congés maladie et les arrêts de travail, ils n’atteignent pas l’âge de la retraite en bonne santé ; les chaudronniers soudeurs des chantiers navals, qui sont atteints de cancers de l’amiante ; les ouvriers à la chaîne, dont la santé et les conditions de vie sont bousculées par les tâches répétées qu’ils effectuent. Je pourrais multiplier les exemples à l’envi. Pensez‑vous que ces gens-là vous prendront au sérieux si vous leur dites qu’ils ont la liberté de choisir entre prendre leur retraite à 65 ans et partir avant ? Votre projet de loi ne leur laisse comme choix que de partir plus tard, donc de travailler plus longtemps et de s’abîmer encore davantage, ou de partir plus tôt, avec une décote sur le niveau de leurs pensions. Cette liberté de choix est une provocation, une humiliation !

M. Régis Juanico. L’amendement n° 21269 tend à supprimer l’alinéa 8, qui est une publicité mensongère : il n’y aura pas de liberté de choix pour les Français.

Avec votre réforme, nos concitoyens sont dans un brouillard épais. Nous l’avons vu tout à l’heure avec le taux de remplacement, qui est actuellement l’un des meilleurs au monde : vous êtes incapables de nous assurer qu’il restera à un haut niveau pour l’ensemble des Français. Nous l’avons aussi vu avec le taux de pauvreté, qui est actuellement l’un des plus faibles au monde. Aujourd’hui, les Français ne savent pas dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite et avec quel montant de pension. D’ailleurs, mettre, comme vous l’avez indiqué, un simulateur à la disposition de nos concitoyens seulement après l’adoption définitive du projet de loi, contribue grandement à nourrir le scepticisme.

La liberté de choix suppose une absence de contrainte. À l’évidence, l’âge d’équilibre ou l’âge pivot – c’est la même chose –, nous enferme dans une mécanique redoutable par laquelle le choix de partir à la retraite sera d’abord commandé par un calcul économique. Nous l’avons montré hier avec le cas de l’ouvrier qui commence sa vie active à 20 ou 21 ans : avec quarante-trois ans de cotisations, il devra attendre 65 ans pour partir à la retraite au taux plein ; s’il part avant, il subira une décote, de 5 % ou 10 %, alors que le cadre supérieur, qui commencerait sa vie active à 25 ans, pourrait obtenir une surcote s’il cotise au-delà de l’âge d’équilibre. Voilà l’inégalité majeure : il n’y aura pas de liberté de choix.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les exemples cités par M. Jumel relèvent de la prise en compte de la pénibilité dans le droit du travail. La réforme de Mme Touraine l’a abordée. Nous proposons de faire de même pour la fonction publique, où la pénibilité n’était pas prise en compte. Il existe sûrement encore des injustices, mais ce sujet progresse tout de même.

On peut aussi faire valoir le compte pénibilité, qui donne la possibilité d’engranger, dès le début de carrière, des points permettant de suivre des formations pour se reconvertir et évoluer vers des métiers moins pénibles, ou partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite.

Au-delà de ces aspects, la liberté s’exerce évidemment dans le cadre contraint de l’âge minimum de liquidation à 62 ans, avec une décote correspondant à la situation de la personne. Aujourd’hui, selon le déroulement de leur carrière, nos concitoyens font le choix, pour les uns, de partir plus tôt sans avoir le nombre de trimestres requis pour un taux plein, quitte à subir une proratisation, les autres, de partir plus tard parce que la proratisation est trop importante ou parce qu’ils veulent travailler plus longtemps.

Nous voulons à la fois laisser partir plus tôt ceux qui le souhaitent en sachant qu’ils auront des pensions réduites et inciter ceux qui le veulent et le peuvent à travailler plus longtemps, non seulement en rajoutant un bonus après l’âge d’équilibre, mais aussi en laissant la possibilité de cumuler emploi et retraite, et d’acquérir de nouveaux droits, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Bien que le cadre reste contraint, les éléments de choix seront plus nombreux qu’aujourd’hui.

Reste qu’il subsiste des questions sur la qualité de vie au travail, notamment en fin de carrière. Ces sujets occuperont le ministère du travail dans les années qui viendront.

M. Adrien Quatennens. Si j’en crois les explications du rapporteur, cet alinéa présente finalement un objectif de liberté dans un cadre contraint de choix. C’est là la définition de la liberté en Macronie : vous êtes libre de choisir, mais le pistolet sur la tempe, sous une contrainte absolue.

Tout le monde a bien compris que tout en laissant le droit de partir à l’âge légal de départ de 62 ans, votre projet de loi touche à l’âge de départ effectif, puisqu’il vaudrait mieux ne pas partir à cet âge légal. On en revient donc toujours au fameux âge d’équilibre. Cet âge, qu’il soit d’équilibre ou pivot, n’a absolument pas disparu du projet de loi, même provisoirement. Seuls ne sont pas concernés par ce débat les Françaises et les Français qui ne se verront pas appliquer le système par points, c’est-à-dire la génération née avant 1975, puisqu’Édouard Philippe a renoncé à l’appliquer aux personnes nées à partir de 1963. Par contre, celles et ceux qui partiront à la retraite dès 2027 auront à se préoccuper d’un âge d’équilibre à 64 ans. La réalité, c’est que vous appliquez à ces Français la conséquence principale qu’aurait provoqué pour eux l’application de ce système par point. Tous les Français sont donc bien concernés, et tous y perdront.

Cet alinéa n’a donc pas lieu d’être : il n’y a pas de liberté dans ce cadre contraint. La liberté dans un cadre contraint, voilà bien un concept fumeux ! Le projet de loi l’est déjà beaucoup, du fait de l’étude d’impact truquée. Il n’y a pas de liberté dans ce contexte, puisque, tout le monde l’a compris, l’âge pivot se décalera, génération après génération. Plus on avancera, plus il faudra travailler, toujours plus longtemps, et au-delà de l’espérance de vie en bonne santé.

Mme Monique Limon. Comme le rapporteur, j’entends vos remarques, qui concernent davantage la prise en compte de la pénibilité en fonction des métiers exercés. Nous aborderons ce sujet plus tard dans le texte. La ministre du travail et les partenaires sociaux étudient ces aspects en ce moment même, pour voir comment mieux considérer ce qui relève de la prévention, de la reconversion ou de la réparation, et le traduire en points.

Le groupe La République en Marche estime que le système universel de retraite sera plus lisible et transparent pour chacun. À tout moment, un citoyen pourra savoir où il en est de ses points, et mieux choisir son parcours professionnel et sa vie. C’est pourquoi nous pensons que cette possibilité – pourquoi ne pas l’appeler liberté ? – donnée à chacun de faire des choix plus éclairés tout au long d’un parcours est un avantage.

Notre volonté est aussi de permettre aux personnes qui ont des carrières hachées, principalement des femmes, de pouvoir partir plus tôt. Aujourd’hui, une décote s’applique jusqu’à leurs 67 ans. Si elles travaillent trois ans de moins, c’est toujours ça de gagné.

Nous voulons aussi donner la possibilité – la liberté – aux retraités qui ont liquidé leur retraite, de travailler à nouveau. Travailler, ce n’est pas toujours la galère. C’est aussi pouvoir rencontrer des gens, créer du lien social, tout en bénéficiant de points supplémentaires.

M. Éric Woerth. Nous n’arrêtons pas d’évoquer l’âge pivot, alors qu’il ne figure pas dans le texte, mais plutôt dans la conférence de financement. Cela donne au débat une tournure assez baroque et caricaturale.

Notre système de retraite est fondé sur l’obligation, avec un régime et des cotisations obligatoires. Depuis toujours, en tout cas depuis plus de soixante ou soixante-dix ans, on pense que les Français ne mettront pas volontairement de l’argent de côté ou qu’ils ne pourront pas le faire, en tout cas, qu’ils ne le prévoiront pas. Le système obligatoire tend donc à préserver l’avenir des Français. D’une certaine manière, les cotisations sont des revenus différés.

La notion même d’âge pivot est contraire à ce principe. Fixer un âge légal de départ, tout en conseillant de ne pas partir à cet âge-là, c’est une fausse liberté qui est laissée aux Français, car ceux qui partiront à 62 ans – puisque c’est l’âge que vous conservez – subiront une super décote, bien plus qu’un prorata temporis ou un malus, qui fera d’eux des retraités super pauvres, pendant des années, vingt-cinq ou trente ans. L’idée, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. L’âge pivot avait déjà été rejeté, il y a dix ans. L’étude d’impact du projet de loi indiquait alors : « le Gouvernement écarte toutefois une telle option car elle est incompatible avec l’objectif de ne pas baisser les pensions de retraite ». C’est pourquoi le présent texte est essentiellement orienté vers la baisse des retraites.

M. Sébastien Jumel. Je ne m’attendais pas à être, un jour, d’accord avec Éric Woerth ! Sa démonstration est imparable. Quant au rapporteur, il a inventé le concept de la liberté de choix sous contrainte. Je propose de l’inscrire tel quel dans la loi.

Revenons à des faits objectifs. Parmi la génération née en 1954, quatre personnes sur dix n’étaient plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite ; 19 % étaient au chômage – par liberté de choix, j’imagine ; 7 %, en arrêt maladie ou invalidité – là encore, je suppose qu’elles l’avaient choisi ; 3 %, en préretraite – un choix peut-être plus assumé ; 13 % étaient absentes du marché du travail, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Cela renvoie au débat que nous avons eu sur le taux de faible employabilité des seniors.

En reculant l’âge de la retraite, vous n’augmentez pas la liberté de choix, vous aggravez les conditions de non-choix de celui à qui vous demandez, comme dans le sketch de Pierre Palmade, s’il préfère se couper l’oreille droite, c’est-à-dire accepter une décote lourde qui le conduira à être durablement pauvre pendant sa retraite. Et ce ne sera pas seulement pendant deux ans, contrairement à ce qu’a affirmé la porte-parole du Gouvernement, mais jusqu’à la fin, « jusqu’à la mort », pour reprendre François Morel, ou continuer de travailler plus longtemps.

Vous entendez mes remarques sur la pénibilité, dites-vous ; nous verrons. Mais il y a aussi un choix de société. Il faut convenir que des personnes en bonne santé, qui se plaisent dans leur travail, ont aussi envie, à un moment donné, après quarante-trois ans de cotisations, de s’occuper de leurs petits-enfants, de voyager, d’être utile à la vie associative, de s’engager dans la vie de leur commune, bref d’être des retraités actifs, et pas, comme vous le dites, des poids, une génération dorée qui coûte cher et dont il faudrait se débarrasser au plus vite.

M. Boris Vallaud. Les parlementaires de la majorité nous ont rapporté l’extraordinaire travail qui était en train d’être accompli. Je rappelle tout de même que l’un de leurs actes fondateurs a consisté à supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité, et à en retirer quatre critères qu’ils n’entendent pas réintroduire dans le projet. Cela a fait sortir du bénéfice de la pénibilité tous les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, l’essentiel des ouvriers de l’industrie, les égoutiers et les caissières.

S’agissant de la pénibilité, le texte prévoit simplement de baisser de deux ans l’âge d’équilibre pour les salariés qui y auraient été exposés. La seule façon de partir plus tôt pour un salarié qui se trouverait dans un travail très pénible sera donc l’incapacité.

Pour les carrières longues, vous diminuez l’âge pivot mais, pour partir à 60 ans, le salarié devra consentir à une décote de deux fois 5 %. Pour avoir droit à la surcote, en revanche, il faudra travailler six ans de plus. Drôle de conception de l’égalité et de la liberté !

Au fond, en parlant de liberté de choix sous contrainte, vous faites la démonstration qu’il y aura deux libertés : celle de ceux qui peuvent être libres, et celle de ceux qui ne le pourront pas et qui devront travailler plus longtemps, à moins d’être des retraités pauvres.

M. le secrétaire d’État. Quelques mots de ce qui nous différencie du président Éric Woerth sur la façon de transformer notre système de retraite. Le programme du groupe Les Républicains préconise de porter l’âge légal à 65 ans. Ce n’est évidemment pas notre vision. Pour notre part, nous invoquons une liberté de choix, qui s’exprime, dans le projet de loi, à la fois par le maintien, conformément à l’engagement du Président de la République, de l’âge de départ à la retraite à 62 ans, et par la possibilité d’aménager autour d’un âge d’équilibre des surcotes ou des décotes. Cela peut certes paraître éloigné de la position des Républicains : cela tombe bien, nous n’avions pas le même programme !

Nous pensons qu’il est préférable d’inciter les Français à travailler un peu plus longtemps, en fonction de la progression de l’espérance de vie, plutôt que d’imposer à tous un âge légal à 65 ans. Ces mesures soulèvent des questions, notamment celle de la personnalisation de l’âge d’équilibre, qui nous ont été posées depuis plusieurs semaines. C’est le débat qui a pu se tenir entre les notions de durée comme référence collective, ou celle d’âge d’équilibre. Le Gouvernement a choisi l’âge d’équilibre, tout en précisant qu’il était disponible pour examiner les conditions de sa personnalisation, à la fois au travers de la pénibilité – nous pourrons en débattre lorsque nous aborderons ce chapitre – et des carrières longues.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22452 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous considérons que, dans sa rédaction actuelle, le projet va plutôt obliger ceux qui le peuvent à travailler plus longtemps. Vous l’avez, d’ailleurs, dit vous-même, monsieur le rapporteur, en parlant de liberté sous contrainte. Il n’est même plus question de « travailler plus pour gagner plus », mais de « travailler plus pour gagner pareil », autrement dit pour avoir droit à une retraite normale. C’est là une conception de la retraite profondément régressive.

Il faut, au contraire, établir un véritable droit car, une fois à la retraite, on peut être utile à la société autrement. Dans cette libération du travail prescrit, il y a pour autant du travail qui perdure sous d’autres formes. Un nouvel âge de la vie s’ouvre. C’est ce que nous souhaitons à tous.

Pour nous, la liberté de choix que vous proposez est en bois, puisque soumise à réelle punition à travers cette décote que vous imposez à celles et ceux qui ne voudraient pas travailler jusqu’à l’âge d’équilibre. La présentation très avantageuse que vous faites ne nous convient pas ; elle ne nous semble pas correspondre à la réalité.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les amendements se succèdent autour des mêmes sujets. L’affirmation de Boris Vallaud sur l’incapacité permanente est fausse : l’âge d’équilibre sera évidemment abaissé à l’âge de départ de l’assuré. Il ne pourra pas y avoir de décote. La règle actuellement en vigueur continuera donc de s’appliquer.

S’agissant du fantasme des réformes qui font baisser le pouvoir d’achat des retraités, l’INSEE a réalisé une étude sur ce sujet à partir de 1996, soit trois ans après la réforme Balladur : alors que 10 % des retraités vivaient sous le seuil de pauvreté en 1996, ils n’étaient plus que 7 % en 2015, malgré les différentes réformes qui ont eu lieu ; par contre, le taux de précarité chez les jeunes avait progressé. On peut toujours mettre en doute les résultats, mais une autre étude insérée dans le rapport de Jean-Paul Delevoye a montré que, d’après un sondage, les actifs considéraient qu’en devant payer davantage pour financer les études de leurs enfants et les retraites, ils se trouvaient confrontés à de vraies difficultés financières. Les Français le comprennent bien, il n’est pas possible que la durée des études ou celle des retraites s’allonge sans qu’elle pèse sur leur propre pouvoir d’achat. Il faut travailler cet équilibre, pour que la situation de chaque catégorie sociale soit la plus favorable possible.

Avis défavorable.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. S’agissant des départs anticipés, nous proposons de faire en sorte que ce qui existe aujourd’hui pour le régime général soit élargi à l’ensemble des bénéficiaires du système universel de retraite. J’en prendrai trois exemples très concrets, que vous retrouverez dans le présent projet de loi.

L’inaptitude, aujourd’hui réservée aux salariés du régime général, sera étendue à tous les assurés, et permettra de partir à 62 ans, à taux plein. De la même façon, l’incapacité permanente, avec une invalidité de 10 %, ainsi que le compte professionnel de prévention étendu, prenant en compte la pénibilité, permettront à l’ensemble des bénéficiaires du régime universel de partir en retraite dès 60 ans, à taux plein.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous reprenez la thèse, que j’ai déjà lue ici et là, de la guerre des générations. Vous dites que le système coûte plus cher aux actifs, parce qu’il faut prendre en charge des études plus longues. Prouvez-le ! Trouvez une statistique montrant qu’avoir des retraités en bonne santé, qui peuvent participer à la vie commune, aider leurs enfants et leurs petits-enfants, coûte plus cher que la situation actuelle.

Pourquoi présenter comme une charge que nous aurions à regretter le fait que la pauvreté a été réduite parmi les retraités ? La vieillesse a été une malédiction pendant des générations. C’est par le système par répartition que les gens ont commencé à avoir une vie digne. Depuis les années 1970, nous avons divisé par quatre le taux de pauvreté des retraités, qui est passé de 13 % à 9 % entre 2009 et maintenant. C’est un immense succès de notre système !

Au contraire, chez nos voisins allemands, que l’on nous invite sans cesse à imiter, le nombre de retraités pauvres a explosé dans les dernières années. Bon sang, apprécions notre victoire ! Nous avons enfin réussi quelque chose en matière d’égalité, qui mérite qu’on ne la présente pas comme une charge pour nous.

J’entends bien que toute liberté est encadrée : une liberté absolue n’existe pas, hormis la liberté de conscience. Vous parlez d’une liberté de choix, sous réserve d’un âge minimum – ce n’est déjà pas rien, comme contrainte ! – et en fonction du montant de la retraite. Nous avons tous, si ce n’est notre situation personnelle, quelque parent, quelque ami dont nous savons qu’il n’a pas de liberté. Quand on doit choisir à 50 ou 100 euros près, on n’est pas libre ; on reste au boulot, dût-on y crever, pour avoir cette somme. Les gens serrent les dents, ils souffrent mais ne s’écoutent pas. C’est contre cela que nous allons, car le texte ne donne pas une liberté, mais seulement une double contrainte.

M. Sébastien Jumel. Nos débats sont suivis par des gens qui regardent, qui écoutent attentivement. C’est bon pour la démocratie parlementaire. Dans mon territoire, par exemple, il y a Nathalie, qui est trieuse de verres. En une journée, elle a calculé qu’elle peut manipuler pas loin d’une tonne de flacons de parfum de luxe. Même avec un poste de travail aménagé –c’est le cas dans sa boîte, parce que le syndicat y est puissant –, même avec des séances de kiné une fois par semaine, c’est « raide », c’est dur. Elle m’a demandé si le gros pavé dont on parle depuis le début tenait compte de ces situations. Je lui ai répondu que non.

Elle m’a également demandé si elle serait libre de choisir de ne pas trimer jusqu’à 65 ans en déplaçant quotidiennement une tonne de flacons de parfum : je suis bien en peine de lui répondre si elle disposera ou non de la liberté de vivre convenablement, dignement, en bénéficiant de conditions de vie – comment avez‑vous dit ? – « satisfaisantes ».

J’ai donc besoin que vous m’éclairiez, monsieur le rapporteur : cette liberté de choix sera-t-elle possible, dans quelles conditions ? Nathalie Vasseur, trieuse de verres dans la vallée de la Bresle, aura-t-elle la liberté de choisir de ne pas mourir au travail ?

La commission rejette l’amendement.

M. Sébastien Jumel. Je lui répondrai donc que je n’ai pas eu de réponse.

Puis la commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 1444 de M. Alexis Corbière, n° 1445 de Mme Caroline Fiat, n° 1448 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1452 de M. Adrien Quatennens, ainsi que l’amendement n° 14660 de M. Pierre Dharréville.

M. Alexis Corbière. Cet amendement est déterminant dans notre débat : il est temps, en effet, de fixer clairement dans la loi un âge de départ à la retraite et de refuser votre rhétorique consistant à laisser une pseudo-liberté de choix.

Avec les travaux du regretté M. Delevoye, nous avons tous bien compris que vous proposez un âge fluctuant, un âge mystère appelé à évoluer avec le temps dans le sens d’une augmentation de la durée du temps de travail. L’âge de départ de la génération qui partira à la retraite dans les années 2080 sera d’au moins 67 ans, ce qui constitue une régression totale.

C’est un débat de fond : toute l’histoire du mouvement ouvrier et de la République sociale a tendu à ce que le temps de travail ne soit pas augmenté pour bénéficier d’une retraite complète. En l’occurrence, il n’y a aucune « liberté » dans ce que vous proposez, non au sens d’un dirigeant du mouvement ouvrier mais au sens d’un père dominicain, Lacordaire, l’une des figures du catholicisme social, selon qui « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Il est temps que la loi affranchisse les travailleurs en fixant l’âge de départ à 60 ans, tel que nous le proposons, plutôt que de défendre la liberté de partir à 67 ou, pourquoi pas, demain, à 70 ans ! Légiférons en faisant taire cette ambiguïté et adoptons cet amendement qui dira à des millions de travailleurs qu’ils pourront enfin bénéficier, à 60 ans, d’une retraite bien méritée !

Mme Caroline Fiat. La semaine dernière, monsieur le secrétaire d’État, vous avez oublié de me répondre à propos du cas de Marie, exposé sur le simulateur que vous avez mis en ligne pour calculer le montant des retraites. Infirmière née en 2002, elle aurait commencé à travailler à 23 ans, en 2025, et prendrait sa retraite en 2068, son revenu équivalant à 30 000 euros annuels pendant toute sa carrière, soit 2 500 euros par mois. Je vous avais proposé un questionnaire à choix multiples avec trois propositions : a) vous nous mentiez pour que l’on croie que Marie aura une retraite digne en assurant qu’elle gagne 2 500 euros mensuels ; b) vous annonciez que Mme la ministre Buzyn augmenterait enfin les salaires des personnels hospitaliers en les payant 2 500 euros mensuels ; c) vous misiez sur l’arrivée au pouvoir de La France insoumise en 2025, de manière que les personnels hospitaliers soient payés dignement.

Vous n’aviez pas répondu. Reprenant le cas de Marie, je constate qu’elle prendra sa retraite en 2068, à 66 ans, après avoir subi les conditions de travail dont je vous parle depuis deux ans et demi : les patients sont maltraités, nous n’avons pas les moyens de travailler dignement, nous manquons de brancards, des moyens nécessaires aux soins. Onze mois que mes collègues sont en grève, vous savez, celles que vous ignorez parce qu’elles sont réquisitionnées et qu’on ne les voit pas dans la rue !

Pouvez-vous confirmer une telle simulation, monsieur le secrétaire d’État, et dire à mes collègues qu’elles partiront à la retraite à 66 ans ? Si tel n’est pas le cas, appelez donc à voter l’amendement n° 1445 proposant un départ à un âge digne après avoir travaillé dans des conditions dignes !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je tiens à me montrer un peu solennel à propos de cet amendement visant à introduire à l’alinéa 8 l’âge minimum de 60 ans pour partir à la retraite. Il m’a en effet semblé qu’hier, vous avez été surpris et que vous n’avez pas pris cela pour une véritable proposition. J’affirme donc solennellement que deux formations politiques au moins, dans l’hémicycle – La France insoumise et les communistes – réclament la retraite à 60 ans après quarante annuités, ce qui, d’ailleurs, est encore trop. C’est en effet pour nous un objectif de civilisation.

J’étais bien jeune homme que j’allais, mon Programme commun à la main, en Franche-Comté, de porte en porte. Les gens qui me recevaient se félicitaient que, contrairement à eux, les jeunes croyaient à la retraite à 60 ans. Celle-ci était alors bien plus tardive et, parfois, leurs propres parents n’en avaient pas bénéficié. Et nous avons fini par avoir le dernier mot ! La retraite à 60 ans semblait si inimaginable, si magique que cela vaut la peine de l’avoir fait pour tous ces gens. Avez-vous entendu dire que le pays avait été ruiné ?

L’espérance de vie en bonne santé aujourd’hui est, dit-on, de 63 ans et quelques. Et c’est l’âge que vous voulez fixer pour qu’il soit possible de partir à la retraite ! Ces trois ans valent la peine d’être disputés, que l’on se batte pour eux ! Je le répète, rien n’oblige à faire travailler les gens plus longtemps ! Il vous suffirait de décider, par exemple, que les femmes sont payées comme les hommes, d’augmenter de un, deux ou trois points le niveau des salaires ou de répartir autrement la masse immense des richesses produites, et vous pouvez financer le départ à 60 ans ! La retraite à 60 ans reviendra dans ce pays, en même temps que nous, lorsque nous serons au pouvoir !

M. Adrien Quatennens. Cet amendement identique n° 1452 illustre la différence de nos logiques. La vôtre est comptable, austéritaire, budgétaire : il s’agit de faire chuter la part des richesses produites consacrée aux retraites, la variable d’ajustement pour ce faire étant la vie des gens en jouant sur l’âge de départ à taux plein. De surcroît, vous encouragez ainsi la capitalisation comme jamais. La nôtre est à l’opposé. Il s’agit de répondre à cette question fondamentale : à quel âge doit‑on partir ? Quelle idée la France se fait-elle de l’âge décent pour partir en retraite après une vie de travail ?

Quand on sait que l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans, alors, oui, 60 ans est un objectif désirable, n’est-ce pas ? Je vous pose la question, en sachant qu’il en est une autre qui vous angoisse, qui concerne le financement. À celle-là, nous sommes, quant à nous, très à l’aise pour répondre.

Est-il donc désirable, du point de vue du progrès humain, de limiter le temps de travail ? L’histoire sociale de notre pays montre que oui. Rassurez-vous, la productivité a augmenté : un actif, aujourd’hui, produit bien plus qu’auparavant ! À quoi bon travailler plus longtemps que ce qui est nécessaire pour satisfaire nos besoins ?

J’en arrive à la question qui vous angoisse : comment financer ? Le président Mélenchon vous a dit à l’instant que la hausse de cotisations qu’induirait une égalité salariale entre les femmes et les hommes permettrait de financer la retraite à 60 ans à court terme. Pour les moyen et long termes, toutes les projections économiques montrent que l’augmentation des salaires et des cotisations – ces dernières augmentant moins rapidement que les premiers –financerait la retraite à 60 ans.

Oui, l’objectif doit être de soulager les gens et de libérer du temps ! Mais vous faites tout l’inverse : vous mettez la vie des gens au service d’objectifs comptables. Ce n’est pas cela un bon, un juste, un simple projet de réforme des retraites pour tous ! Avec vous, il ne reste rien.

M. Pierre Dharréville. Par l’amendement n° 14660, nous essayons de limiter la portée négative et les insuffisances de la loi.

L’alinéa 8 fait état d’« un objectif de liberté de choix pour les assurés, leur permettant, sous réserve d’un âge minimum, de décider de leur date de départ à la retraite en fonction du montant de leur retraite ». Au passage, nous remarquons que vous ôtez toute pertinence à l’âge légal de départ, qui est de 62 ans, avec la création d’un âge d’équilibre qui finira par le supplanter. Dans ces conditions, l’âge légal n’est pas autre chose qu’un âge de départ anticipé avec une décote.

Nous proposons, quant à nous, d’inscrire dans la loi, non pas un âge minimum, mais un « âge garantissant un départ en bonne santé ». J’en conviens, c’est assez bancal – nous avons d’ailleurs formulé d’autres propositions –, mais nous réintroduisons cette notion, car vous avez essayé de la balayer.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis d’accord avec vous sur un point, monsieur Mélenchon. Le système de répartition tel que nous le connaissons a remporté un immense succès, depuis l’après-guerre, en réduisant la pauvreté des retraités. C’est justement parce que nous le constatons que nous tenons à le pérenniser. Cependant, si succès il y a, d’importantes poches de pauvreté demeurent dans certaines catégories, car ce système par répartition et par corporations crée des difficultés pour toutes celles qui connaissent des problèmes démographiques. Nous voulons donc mutualiser ces différentes corporations afin que la nation assure un système solidaire à l’ensemble de nos retraités.

Vous avez également déclaré, monsieur Mélenchon, qu’il suffit de fixer l’âge de départ à 60 ans, qu’il suffit d’augmenter la proportion des impôts et là, je ne suis évidemment plus d’accord. Nous considérons, quant à nous, qu’il suffit d’un peu de bon sens. Il permet de constater que l’âge d’entrée dans la vie active recule, que l’espérance de vie augmente.

Vous allez me dire que vous n’avez pas eu le temps de prendre connaissance de l’intégralité de l’étude d’impact, mais vous trouverez, à la page 39, un diagramme sur l’espérance de vie après la sortie du marché du travail dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques : la France y est la mieux placée, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, ce dont nous pouvons être fiers. Il est compliqué, alors que de nombreux pays engagent un certain nombre de réformes, que la France soit la seule à s’en exonérer. Je souhaite que nous conservions cette première place, mais il faut aussi regarder ce qui se passe chez tous nos voisins. Nous réformons pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie.

Dernier constat de bon sens à travers une observation personnelle, ce dont je ne suis pas coutumier. J’ai perdu ma dernière grand-mère il y a un mois. Mon épouse et moi avions observé, quelque temps auparavant, que tous nos enfants font des études, que nos parents respectifs sont à la retraite et que c’était aussi le cas de ma grand-mère, qui représentait alors la génération d’avant. Deux actifs, ainsi, supportaient trois générations. Le système solidaire en vigueur dans notre pays nous donne la chance de pouvoir le faire en offrant à ces dernières un niveau de vie satisfaisant, mais un certain nombre de nos concitoyens comprend bien qu’il peut être difficile pour eux-mêmes, s’ils n’ont pas la chance d’avoir le même niveau de vie que nous, d’assumer le maintien d’un niveau de vie correct de trois générations.

Un peu de bon sens permet donc de constater la nécessité d’un partage équilibré entre l’augmentation de l’espérance de vie et l’augmentation de la durée de la vie active.

Avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. Éric Woerth. Il serait certes possible d’inscrire un âge dans la loi – 63 ans dans trois ans, 64 ans, plus tard, etc. –, mais fixer un retour à l’âge de 60 ans me semble un peu démagogique et, surtout, anachronique et dangereux pour un système par répartition. Cela reviendrait à faire porter sur les actifs une charge qu’ils ne doivent ni ne peuvent supporter, et cela reviendrait à diminuer le montant des pensions.

Comment les autres pays procèdent-ils ? Ils y arrivent plutôt bien. Nous avons suffisamment de dispositifs, que nous pouvons améliorer – comme l’ont fait tous les gouvernements et comme le fera celui-ci, car cette réforme comporte des points positifs en matière de justice et d’équilibre. Chaque Gouvernement y contribue donc, mais il faut aussi qu’il y contribue en trouvant des financements.

Toutes ces questions se posent en raison d’une bonne nouvelle : nous vivons plus longtemps ! Il convient simplement d’en tirer les conclusions en trouvant un équilibre entre le temps de travail et le temps de la retraite. Il y a quelques années, le temps de la retraite, grossièrement, était le temps de mourir. Vous rendez-vous compte de ce qui a été fait depuis lors ? Vous rendez-vous compte à quel point on peut désormais profiter de ce temps ? La question n’est pas uniquement celle, sur laquelle vous vous arc-boutez, d’une bonne santé ou non. Vous semblez totalement ignorer les dispositifs liés à la pénibilité ou aux carrières longues !

Vous méconnaissez le système de retraite, de même que la nécessité du travail, et vous voulez anéantir toute justice intergénérationnelle alors qu’elle est très importante. Vous n’avez pas le droit de mettre autant de charges sur le dos des générations qui nous succèderont.

M. Charles de Courson. Cet alinéa 8 est-il bien rédigé ? Je ne le crois pas.

Nous évoquons un âge minimum mais, avec les quarante-deux régimes existants que nous connaissons, il est déjà très différent en fonction des catégories ! L’avis du Conseil d’État illustre excellemment qu’en l’état du texte, le régime universel est un ensemble de régimes particuliers. Il serait donc préférable d’inscrire dans la loi « d’un âge minimum différencié », d’autant plus que telle est l’intention du Gouvernement – si je l’ai bien comprise. Il ne faudrait pas que le texte interdise une telle possibilité, n’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État !

Je lis l’amendement de notre collègue Corbière a contrario : il vise à montrer qu’il est impossible de fixer un âge minimum standard. Il serait donc préférable d’évoquer un âge minimum « différencié ».

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous finissons par nous dire des choses et peut-être, à la fin, nous comprendrons-nous, quitte à faire des choix différents.

Selon notre rapporteur, si je l’ai bien compris, le système en vigueur a permis de parvenir à un beau résultat : l’éradication progressive de la pauvreté chez les retraités – nous étions en effet sur le point d’en venir à bout –, même si les disparités sont considérables. Je vous ferai remarquer, à ce propos, que ces disparités ont-elles-mêmes une histoire. Les corporations qui ne voulaient pas participer au régime général se sont rendu compte en cours de route de leur immense erreur. À l’époque, on leur prêchait la liberté individuelle et tout le bla-bla. Au final, les salariés, c’estàdire les ouvriers des villes, ont pris en charge les retraites des autres ce qui, d’une certaine manière, ne me dérange pas parce que la justice y avait sa part : pendant des générations, les paysans français ont payé par la baisse des produits agricoles la majoration du pouvoir d’achat des ouvriers. C’est la vérité vraie, et c’est comme cela que cet amortisseur social a permis de contenir la situation.

Deux collègues ont dit qu’il n’était pas possible de charger les actifs par une prise en charge écrasante, mais à revenus constants ! Si vous déplacez le curseur, il en sera tout autrement ! Aujourd’hui, un salarié français produit trois fois plus qu’en 1970, mais le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital est passée de 70 %-30 % en 1982, à l’acmé de notre politique, à 60 %-40 % – j’admets que 1982 fut une année extraordinaire en raison de l’application du Programme commun. Si l’on déplace le curseur d’un ou deux points, le problème est réglé ! Ce ne sont pas les actifs qui ont à prendre cette charge sur le dos : c’est la répartition de la plus‑value entre le capital et le travail !

De grâce, ne faisons pas comme si la taille du gâteau était invariable !

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous avez reconnu que le système en vigueur a fait reculer la pauvreté et sans doute même permis d’augmenter l’espérance de vie en bonne santé – vous avez fait part des chiffres de l’INSEE. Il est donc incompréhensible de l’attaquer alors qu’il avait quelques vertus !

Le problème, cet alinéa en témoigne, c’est que le texte ne comporte aucune assurance quant au taux de remplacement et à l’âge de départ. Ce que vous proposez, ce sont deux variables d’ajustement. Or vous oubliez l’antagonisme qui existe dans la société et qui sépare, grossièrement, ceux qui possèdent et ceux qui travaillent. Vous ne voulez pas vous attaquer à toute une masse d’argent qui échappe à la contribution aux besoins communs. Vous raisonnez à périmètre constant et vous voulez même le réduire pour que la propriété de quelques-uns continue de s’accroître. Nous, nous disons qu’il est possible de financer un véritable droit à la retraite si l’on s’en donne les moyens, au lieu de continuer à assécher les ressources de la sécurité sociale, de la protection sociale et de la retraite.

Le désaccord entre nous est total : nous pensons qu’il est possible de garantir le droit à la retraite à 60 ans.

M. le rapporteur général. Dans ce débat passionnant, notre rapporteur considère, me semble-t-il, que l’important c’est de protéger notre système de retraite et de tout faire pour qu’il perdure. À cette fin, il faut regarder notre société telle qu’elle est aujourd’hui et pas telle que l’on voudrait qu’elle soit.

Oui, c’est une réalité, nous sommes confrontés à un vieillissement de notre population, de l’ensemble des populations des pays occidentaux. J’ajoute que ce vieillissement, contrairement à ce que j’ai entendu à plusieurs reprises, ne s’explique pas uniquement par l’abaissement de l’âge de la retraite mais aussi par des progrès médicaux, dans le monde entier. C’est cela qui a accru l’espérance de vie et il faut le prendre en compte pour améliorer notre système, tout en luttant contre les inégalités qui l’affectent.

À entendre les uns et les autres, notamment à gauche, j’ai l’impression que tout le monde, aujourd’hui, part à 62 ans. Ce n’est pas le cas ! C’est en effet l’âge légal, mais l’âge moyen de départ se situe à 63,5 ans, si on exclut les départs anticipés ; 25 % de nos concitoyens partent à la retraite entre 64 et 67 ans, 67 ans étant l’âge d’annulation de la décote – notre système tel qu’il est aujourd’hui en contient bel et bien déjà une.

Dans le système que nous instaurons, en revanche, nous voulons abaisser l’âge de la décote à l’âge d’équilibre qui sera défini, ce qui permettra aux 30 % de nos concitoyens qui, souvent, ont connu les carrières les plus difficiles et ont les pensions les plus basses – les études, en tout cas, l’attestent –, de partir plus tôt avec une pension à taux plein.

La commission rejette successivement les amendements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous suspendons nos travaux pour tenir la réunion de bureau dont nous avons décidé en début de séance.

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4.   Réunion du mardi 4 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8689551_5e39d1f60b286.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-4-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 311 amendements ; il nous en reste donc 20 135 à examiner.

Conformément à ce qui a été décidé lors de notre séance de l’après-midi, j’ai réuni le bureau de notre commission. Le bureau a constaté qu’en l’état des travaux de la commission spéciale, il ne peut être exclu que la discussion du projet de loi ordinaire se poursuive jusqu’au mardi 11 février inclus, y compris les samedi 8 et dimanche 9 février, et que la discussion du projet de loi organique se tienne le mardi 12 février.

Le bureau a décidé que dans les séries d’amendements identiques déposés par un même groupe, chaque amendement pourra être défendu par son auteur, pour une durée ne pouvant excéder une minute.

Enfin, le bureau a convenu de faire à nouveau le point vendredi 7 février sur les modalités d’organisation et le calendrier des travaux de la commission spéciale.

M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, j’entends protester contre cette décision au nom du groupe La France insoumise. Elle est contraire à ce que vous avez annoncé il y a une journée à peine : nous n’en sommes qu’au deuxième jour de discussion, et vous voilà déjà conduits à raccourcir le temps de parole de l’opposition.

En toute hypothèse, aucune discussion d’aucune sorte ne tiendra dans le délai prévu, nous le savons depuis la première heure du premier jour. Nous avions adapté nos arguments en conséquence afin de vous présenter, à chaque amendement défendu, un aspect particulier de notre raisonnement.

À quoi bon réduire le temps de parole ? Cela ne raccourcira pas la procédure et n’aura aucun résultat. Parler en une minute est un défi, contraire au bon sens, qui réserve la parole à ceux capables de développer un argument dans un délai si court. J’ai été parlementaire européen, je suis à votre disposition pour parler 30 secondes s’il le faut, mais ce ne sont pas de bonnes conditions pour échanger.

Il me semblait que nous menions un vrai échange intellectuel sur le fond du dossier. Comment allons-nous faire avec un temps de parole d’une minute, quel est le sens d’une telle décision, madame la présidente ? C’est incompréhensible.

M. Adrien Quatennens. Depuis le début de nos travaux, les parlementaires de la majorité nous assènent régulièrement des leçons de démocratie. Je rappelle que nous discutons d’un texte contesté par une majorité de Français, qui ne correspond pas aux engagements de la campagne présidentielle, et qu’une étude d’impact truquée nous a été remise.

M. Jean-Jacques Bridey. À croire qu’elle vous embête, cette étude d’impact !

M. Adrien Quatennens. Et après 24 heures de débats au cours desquels nous avons peu entendu la majorité parlementaire, vous prétendez octroyer le droit de continuer à défendre les amendements, mais vous réduisez de moitié le temps de parole pour le faire.

Vous disiez cet après-midi que cette façon de faire serait plus respectueuse pour nos concitoyens qui suivent nos débats. Il se trouve qu’à l’instant où le bureau de la commission prenait cette décision, nous nous sommes chargés de la faire connaître, car il n’est pas question que les conditions de ce débat ne soient pas connues hors de ces couloirs. À l’heure qu’il est, votre décision de diviser par deux le temps de parole des parlementaires circule sur les réseaux sociaux...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est devenu une habitude !

M. Adrien Quatennens. Chacun pourra juger du niveau de mépris manifesté à l’égard du Parlement dans ce débat essentiel sur les retraites.

M. Jean-Jacques Bridey. Et vos 20 000 amendements, ce n’est pas du mépris ?

M. Ugo Bernalicis. Non, c’est du travail !

M. Thibault Bazin. Madame la présidente, les services de l’Assemblée ont-ils réalisé une simulation, en prenant en compte ces nouvelles règles de temps de parole et les séances ouvertes samedi et dimanche, afin de déterminer si nous serons en mesure d’examiner le projet de loi, avec le sérieux requis, d’ici à lundi soir ?

Si ce n’est pas le cas, tous les amendements adoptés d’ici là tomberaient et nous en reviendrions à la version initiale du texte du Gouvernement : notre travail n’aurait servi à rien. Pourquoi cette date butoir ? Si nous avons besoin de deux ou trois jours de plus, pourquoi ne pas nous donner le temps nécessaire pour faire une réforme sérieuse et sincère ?

M. Sébastien Jumel. Le Gouvernement a décidé de recourir à la procédure accélérée. Il a décidé de renvoyer à vingt-neuf ordonnances, privant ainsi le Parlement de sa capacité à modifier et enrichir la loi dans le champ de ces ordonnances. Une étude d’impact, tronquée et pipée, nous a été livrée, mais dans des conditions qui ne permettent pas son analyse.

Vous créez les conditions pour alimenter un recours devant le Conseil constitutionnel, et nous ferons aisément la démonstration que les débats n’ont pas été éclairés, que les droits fondamentaux attachés individuellement à chacun des députés – droits d’amendement et droit de défendre ses amendements – n’ont pas été respectés. Après l’avis du Conseil d’État, vous nous donnez des arguments supplémentaires. C’est tant mieux pour nous, car ils nous permettront de nous opposer à votre texte, mais je tiens à vous mettre en garde.

Je m’oppose à la décision du bureau de cette commission spéciale, mais j’aimerais que vous nous la précisiez : vous prévoyez un temps de parole d’une minute pour les amendements identiques présentés par un même groupe ; est-ce à dire que pour les autres amendements, nous aurons toujours droit à 2 minutes ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. En effet.

M. Sébastien Jumel. C’est moins pire que si c’était mieux, comme disait ma grand‑mère... Reste que le scénario est écrit, au bout du compte : vous allez tenter de faire passer en force un projet rejeté par l’opinion publique. Nous ne savons pas encore si vous allez recourir au vote bloqué, ou à l’article 49, alinéa 3, sans doute cherchez-vous encore le meilleur moyen. Mais que vous soyez dans la confidence ou non, vous êtes l’instrument de cette manœuvre. Nous allons débattre pendant plusieurs jours pour, in fine, revenir au texte dans sa version originale, c’est-à-dire celle issue du rapport Delevoye, qui n’a tenu aucun compte des discussions avec les organisations syndicales, ni de la concertation en cours sur les financements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Jumel.

M. Sébastien Jumel. Le chronomètre n’est pas déclenché, vous n’avez aucun repère pour estimer mon temps de parole.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mon repère, ce sont les demandes de parole des autres députés, et je les respecte.

M. Sébastien Jumel. Je termine mon argumentation. Je respecte profondément mes collègues, et je souhaite qu’ils bénéficient du même temps de parole que moi, voire plus s’ils ont des choses à dire – ce qui n’est pas évident vu le vœu de silence, d’obéissance et d’allégeance des membres de la majorité.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous aimerions bien en tout cas ne plus nous faire insulter à longueur de temps.

M. Sébastien Jumel. Ai-je insulté qui que ce soit ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous n’arrêtez pas !

M. Sébastien Jumel. Repassez l’enregistrement vidéo, comme on le fait lors des matchs de football...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Qui a parlé de vœu d’allégeance ?

M. Sébastien Jumel. Allégeance, ce n’est pas une insulte, pas plus qu’obéissance !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est une insulte, tout comme les « Playmobil sans cœur » hier. J’ai dû vous reprendre à de multiples reprises.

M. Sébastien Jumel. Playmobil, ce n’est pas un gros mot, c’est un jouet !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Arrêtons de jouer, justement. Si vous demandez le respect, faites-en preuve à l’égard des autres.

M. Sébastien Jumel. J’ai le plus grand respect pour vous, madame la présidente, mais je m’oppose fortement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas une raison !

M. Alexis Corbière. Chacun d’entre nous est censé maîtriser en deux ou trois jours les mille pages de l’étude d’impact, ce qui est rigoureusement impossible et traduit les conditions terribles dans lesquelles nous sommes placés. Nous avons commencé nos travaux depuis à peine une journée et vous réduisez déjà le temps de parole des parlementaires de moitié. Peut-être allez-vous le ramener demain à quelques secondes ? Malgré cela, les délais qui nous sont imposés ne pourront pas être tenus.

Soyons raisonnables : tout cela ne rime à rien, ce n’est pas de notre fait ; c’est par la volonté du Gouvernement que nous sommes placés dans des conditions impossibles. Le Gouvernement a mis le pays sens dessus dessous et veut passer en force. Nous sommes dix‑sept parlementaires...

M. Jean-Jacques Bridey. Et nous trois cents !

M. Alexis Corbière. Je parle au nom du groupe La France insoumise. Suite à cette décision du bureau, nous viendrons encore plus nombreux au sein de cette commission afin de défendre l’ensemble de nos amendements. Rien ne nous affaiblira.

Et malgré cette réduction du temps de parole, les délais qui nous sont imposés ne permettront pas d’étudier l’ensemble des amendements. Il n’est pas possible que ce texte soit étudié dans les quinze jours qui viennent, quelles que soient les brimades faites à l’ensemble des députés, et particulièrement à ceux de l’opposition. Ces conditions de travail ne sont pas raisonnables, elles sont méprisantes, madame la présidente, je vous invite à en tirer les conséquences : cessez de réduire le temps de parole des députés et de brimer le travail parlementaire.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Corbière, c’est une décision du bureau qu’il me revient de respecter. Et vous ne serez brimés d’aucune façon puisque vous vous êtes organisés autrement : dont acte.

Je respecte toutes les nuances au sein de cette commission spéciale, vous n’y êtes pas seuls. Certains souhaitent défendre d’autres amendements que les vôtres, ils ont aussi travaillé sur ce texte. Vous n’empêcherez pas les autres députés de cette commission spéciale de défendre leurs propres amendements, même si cela vous fait mal aux oreilles !

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, cette décision n’a pas été prise à l’unanimité du bureau. Je me suis opposé à cette restriction au droit d’amendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Vallaud, vous avez voté pour limiter à une minute le temps de parole en défense des amendements identiques.

M. Boris Vallaud. Non, j’ai voté contre ! Consultez donc le compte rendu, il y a des témoins ! Respectez au moins le vote du vice-président de votre bureau, sinon je démissionne. Je ne serai pas votre pantin !

Le problème de fond, c’est le temps programmé et la procédure accélérée qui nous est imposée. La Conférence des présidents pouvait faire d’autres choix, cela n’a pas été le cas, il faut le déplorer. Il est loisible à chaque député de prendre la parole sur chaque amendement, y compris ceux dont il n’est pas signataire.

Nos débats au cours de l’après-midi étaient de qualité ; nous avons pu aller au fond des choses en suivant les règles habituelles. Il n’y avait pas de motif impérieux pour réduire le temps de parole.

M. Stéphane Viry. Compte tenu des premières heures d’examen du texte par notre commission spéciale, cette réunion de bureau s’imposait pour trouver une façon d’avancer. Nous nous sommes portés candidats à cette commission spéciale pour faire en sorte que nos travaux aient du sens, et des conséquences. Si nous n’avons pas le temps d’achever nos travaux, nous craignons que tout cela ne serve à rien. Le calendrier est court, les délais restreints, et nous pouvons nous interroger sur ce qu’il adviendra des amendements adoptés et de ceux qui n’ont pas été examinés.

Le groupe Les Républicains souhaite présenter un contre-projet à cette réforme du système de retraite, et nous espérons que nous aurons les moyens de nous exprimer au cours des travaux de cette commission spéciale. À défaut, ce ne serait qu’un marché de dupes, une pure théâtralisation, et nous ne tiendrions pas notre rang. Nous avons des choses à dire sur cette réforme et nous espérons pouvoir le faire dans les heures qui viendront.

Ajoutons que si nous prolongions nos travaux jusqu’au mercredi 12, le délai de dépôt des amendements pour la séance, fixé au jeudi 13, serait excessivement court.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Dans cette hypothèse, le délai de dépôt des amendements devrait être décalé.

M. Jean-Pierre Door. Nous sommes pour une réforme des retraites, mais pas la même que la vôtre. Nous avons fait part de nos propositions, qui sont pour l’instant restées lettre morte.

Pourquoi prolonger nos débats jusqu’à la semaine prochaine alors que la conférence sur le financement engagé avant-hier ne donnera ses réponses que le 6 avril, lors de la prochaine assemblée plénière ? Nous débattons d’un projet non financé, totalement insincère. À quoi bon débattre de ces 20 000 amendements de blocage ?

M. Thierry Michels. Chacun d’entre nous a intérêt à ce que la commission mène ses travaux de la manière la plus complète possible, et les dispositions prises par le bureau sont de nature à favoriser l’examen le plus complet du texte.

M. Éric Coquerel. J’arrive au sein de cette commission, j’apprends que le temps de parole y est réduit... Je n’y vois pas de lien causal, mais je suis néanmoins surpris.

Mes chers collègues de La République en Marche, vous venez de connaître un accident avec le rejet du congé parental en cas de décès d’un enfant ; voilà que vous vous apprêtez, sur une réforme structurelle qui constitue un des piliers du patrimoine social français, à passer en procédure accélérée, faisant fi de l’opposition au sein de cette assemblée.

Vous prétendez que les dizaines de milliers d’amendements brouillent le calendrier prévu. Pour mémoire, 136 000 amendements avaient été déposés pour l’examen du projet de loi de privatisation de Gaz de France en 2006 : nous sommes très loin du compte.

Faire passer une réforme des retraites en procédure accélérée est déjà largement critiquable. Vous nous demandez d’assimiler une étude d’impact immense en quelques jours, vous prévoyez le recours à des ordonnances pour définir de grandes parties de la réforme une fois cette loi adoptée et, dès le début, vous réduisez le temps de parole des députés !

Je peux vous dire la suite : en dépit des assurances que vous avez données et du souhait de certains députés, vous aller recourir à l’article 49, alinéa 3, pour tenir votre calendrier. C’est écrit ! Mais cela ne fonctionnera pas, car beaucoup de gens s’intéressent aux travaux de cette commission et constatent qu’une fois de plus, vous faites en sorte de raccourcir les débats et de faire taire l’opposition, qu’elle s’exprime à l’Assemblée ou dans la rue. À votre place, je réunirais à nouveau le bureau pour réfléchir aux conséquences de cette division par deux du temps de parole. Pour débattre d’un projet de loi exceptionnel, vous ne pouvez pas prendre de mesures d’exception.

M. Pierre Dharréville. Nous avons un problème pour examiner ce texte dans de bonnes conditions. Une solution assez simple consisterait à suggérer habilement au Gouvernement de renoncer à faire commencer les travaux dans l’hémicycle le 17 février et d’abandonner la procédure accélérée afin de laisser le temps nécessaire au débat sur une réforme qui nous engage pour les décennies à venir. Si le Gouvernement décidait de desserrer le calendrier, tout le monde y gagnerait.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je regrette la manière dont nos travaux ont commencé, par des propos irrespectueux envers notre présidente et irrespectueux des décisions du bureau de cette commission. N’en déplaise à certains, en démocratie, des règles définissent notre mode de fonctionnement, nous ne sommes pas en anarchie.

M. Ugo Bernalicis. Vous êtes sûrs que nous ne sommes pas dans une ZAD ?

M. le rapporteur général. La ZAD, c’est ce que vous proposez, nous proposons autre chose. Vous prétendez que le débat n’aura pas lieu, mais nous avons 20 135 amendements à discuter, et nous discuterons article par article, jusqu’au bout. Peut‑être que certains répéteront en boucle les mêmes arguments, mais le groupe La République en Marche prend aussi la parole pour défendre ce projet, de manière certes moins répétitive.

J’espère que nous allons réussir à avancer, car comme le disait Stéphane Viry, il faut débattre sur le fond, projet contre projet. Tous les groupes d’opposition n’ont pas la même stratégie ; l’un d’entre eux a choisi de déposer 19 000 amendements pour dégrader la qualité de nos travaux et empêcher le débat légitime entre la majorité et l’opposition. J’espère que nous en reviendrons le plus rapidement possible à un débat de fond, et non de slogans.

M. Olivier Véran. Si nous faisons un peu de mathématiques, 18 000 amendements présentés par La France insoumise, à raison d’une minute de temps de parole pour chacun, cela fait 18 000 minutes uniquement pour la présentation des amendements de LFI, autrement dit 300 heures de débat. En comptant 10 heures de débat par jour, et en admettant que nous siégions tous les week-ends, le groupe LFI a un temps de parole de 30 jours !

Je ne voudrais pas que les Français considèrent que nous sommes en train de vous priver de parole. L’un d’entre vous parlait de ZAD, nous ne sommes pas en train de Zigouiller Allégrement les Débats ! En revanche, je pense qu’un certain zèle peut abîmer la démocratie.

Les députés du groupe La France insoumise ont 300 heures de temps de parole, uniquement pour présenter leurs amendements : il est évident que nous ne sommes pas en train de les priver de temps de parole.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons maintenant reprendre nos travaux, et poursuivre l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition

La commission se saisit de l’amendement n° 14661 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. C’est avec un profond respect, comme depuis le début des débats, que je vais défendre cet amendement, qui tend à supprimer la fin de l’alinéa 8.

Avec ce mauvais projet, vous tentez de convaincre qu’il va falloir travailler plus, plus longtemps, pour finalement gagner moins. Nous condamnons la mécanique qui nous fera travailler plus longtemps sans aucune garantie sur le taux de remplacement, le niveau des pensions et la prise en compte des critères de pénibilité.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Contrairement à ce qu’indique votre exposé sommaire, la rédaction du projet de loi ne correspond pas à une manœuvre, mais à la simple possibilité pour les assurés de décider librement de leur date de départ.

La méthode par points, plus lisible et compréhensible, permet d’estimer assez longtemps à l’avance le montant de la retraite dont on pourra bénéficier, dans la mesure où, à salaire égal, le nombre de points sera égal chaque année. Allez demander à un Français de 50 ans quel sera l’ordre de grandeur de sa retraite : il n’en a aucune idée. C’est en comprenant le système que l’on peut choisir la décision optimale pour soi en fonction de son projet de vie personnel. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Je trouve assez dingue cette manière de concevoir l’âge du départ à la retraite en fonction du montant de la pension ! Dans cet alinéa, vous expliquez assez crûment qu’on aura le choix : ou bien partir dans des conditions parfois difficiles, avec des pensions plus faibles, ou continuer à bosser pour toucher une retraite plus élevée.

Qu’en penserait l’ancien directeur général de la police nationale, M. Éric Morvan ? Il vient de prendre sa retraite anticipée car il en avait plein le dos d’assumer la politique de votre Gouvernement, ce maintien de l’ordre chaotique, le préfet Lallement qui vient marcher sur ses plates-bandes... Il ne savait plus à quoi il servait, et il a finalement liquidé sa retraite alors qu’il aurait pu travailler plus longtemps. Selon vous, il a fait une croix sur une retraite plus élevée en toute liberté de choix, c’est librement qu’il est parti plus tôt pour gagner moins... Est-ce votre conception de la liberté ? Si M. Morvan avait eu de bonnes conditions de travail, si tout se passait bien dans le pays, serait-il parti dans ces conditions ? Évidemment non. Il est totalement hypocrite de parler dans la même phrase de liberté de choix et de date de départ à la retraite en fonction du montant de la retraite. Les camarades communistes ont donc raison de supprimer le dernier élément de la phrase : si le montant de la retraite est le seul critère pour s’en aller, c’est dire l’idée que vous avez de ce que devrait être la retraite...

M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, vous avez expliqué que cette liberté de choix est une liberté sous contrainte : on aura le choix entre amputer son niveau de pension par l’application d’une décote si l’on veut partir avec des conditions d’espérance de vie raisonnables, ou bien travailler plus longtemps pour partir avec un niveau de retraite satisfaisant, mais en prenant le risque d’aggraver sa situation de santé... Preuve est faite que ce libre choix n’existe pas. Votre projet a bien été résumé par le MEDEF : il s’agit de faire porter aux salariés tout l’effort de la contribution.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de huit amendements identiques n° 1459 de M. Ugo Bernalicis, n° 1460 de M. Éric Coquerel, n° 1461 de M. Alexis Corbière, n° 1462 de Mme Caroline Fiat, n° 1464 de M. Michel Larive, n° 1465 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1468 de M. Loïc Prud’homme et n° 1469 de M. Adrien Quatennens.

M. Ugo Bernalicis. Dans l’hypothèse malheureuse où ce projet de loi serait promulgué, nous souhaitons que le Gouvernement remette un rapport visant à instaurer l’âge minimal légal de départ à taux plein à 60 ans.

Est-il possible de partir à taux plein à 60 ans, avec les paramètres que nous avons sous les yeux ? Avons-nous les moyens de le faire ? C’est la question que nous creusons dans le contre-projet de La France insoumise, que vous pouvez retrouver en ligne.

Vous avez parlé de l’inflation et du produit intérieur brut (PIB), qui augmentent tous les ans d’à peine 2 %. Mais il y a des revenus qui augmentent bien plus vite tous les ans, ce sont les dividendes des entreprises du CAC40 : ça crache du 12 % ! De l’argent, il y en a, pour financer la retraite à 60 ans par exemple.

M. Éric Coquerel. Ces amendements soulèvent la question civilisationnelle derrière cette réforme. Depuis des décennies, voire un siècle, la productivité par travailleur, matérielle et intellectuelle ne cesse de croître, et la richesse de même.

Parallèlement à la hausse des profits, on s’échine à ce que chacun travaille plus : on remet en question la durée hebdomadaire du travail est remise en cause, et maintenant ce fléchissement séculaire de l’âge du départ à la retraite : on peut donc parler d’un recul civilisationnel.

Une fois les richesses produites, va-t-on demander aux gens de travailler plus longtemps, ou au contraire de permettre à tout le monde d’en profiter en diminuant le temps de travail ? C’est toute une question de civilisation, qui nous oppose fondamentalement et qui illustre votre réforme et votre loi.

M. Alexis Corbière. Je ne doute pas que la commission adoptera cet amendement qui va dans la logique des choses. C’est presque un amendement de repli : si par malheur votre projet de loi était adopté, le débat doit continuer.

La marche de l’histoire, depuis toujours, voit l’être humain chercher à se libérer des contraintes du travail, à réduire le temps de travail et à créer les conditions pour jouir d’une période de vie digne, sans être trop abîmé au sortir de sa vie professionnelle. Vous en êtes tellement conscients qu’Emmanuel Macron s’était engagé lors de la campagne présidentielle à ne pas modifier l’âge de départ à la retraite : je vous renvoie à la page 13 de son programme. Aucun Président de la République n’a été élu en déclarant qu’il ferait travailler les Français plus longtemps, et vous vous étiez engagés à ne pas le faire. Les conditions d’un retour à la retraite à 60 ans à taux plein existent ; il vous faudrait beaucoup de mauvaise foi pour repousser cette demande de rapport.

Mme Caroline Fiat. Comme l’ont dit mes collègues, ces amendements demandent un rapport au Gouvernement ; peut-être y trouverai-je la réponse à ma question récurrente ? Et peut-être sera-t-il possible d’y expliquer à Marie, infirmière, née en 2002, qui aura commencé à travailler à 23 ans en 2025 et pris sa retraite en 2068, à 66 ans, comment on pourrait faire pour qu’elle n’ait pas à travailler jusqu’à 66 ans. Et ça, ce n’était pas prévu dans votre programme aux législatives !

Je repose ma question en 30 secondes car je ne désespère pas d’obtenir une réponse : Est-ce que : a) vous vous êtes trompés dans le simulateur et Marie ne peut pas gagner 2 500 euros ; b) Mme Buzyn va augmenter les salaires des infirmières à 2 500 euros ; c) vous misez sur le fait que nous soyons au pouvoir en 2025 pour qu’elle gagne alors 2 500 euros ?

M. Michel Larive. Ce projet de loi est contesté parce que contestable, dans cette assemblée, dans la rue, et même au Conseil d’État ; il est réactionnaire et inabouti. Il faut donc revenir à la raison et le retirer au profit d’une alternative plus réaliste.

Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à instaurer l’âge minimal de départ à la retraite à taux plein à 60 ans.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce pays a connu la retraite à 60 ans et les gens en étaient extraordinairement heureux. Le rapporteur en convient, le système des retraites a permis d’éradiquer un fléau qui sévissait depuis longtemps : la vieillesse dans la misère. Ce régime aura permis de diviser la misère par quatre.

Je ne voudrais pas manquer de rappeler que tout cela a été obtenu grâce, et exclusivement grâce aux luttes ouvrières et syndicales et aux gouvernements de la gauche : 1910 et les premières lois sur les retraites ouvrières et paysannes, prises après l’immense catastrophe de la mine de Courrières ; 1945 et le Conseil national de la Résistance ; 1981. Rien n’est jamais venu à nous, sinon par la lutte et le combat, et il est bien triste de constater qu’il nous faut en 2020 recommencer la lutte de 1910 !

M. Loïc Prud’homme. Nous pensons que c’est bien à 60 ans qu’il faut quitter son travail, d’autant que le taux d’activité des seniors est en deçà de ce que vous voulez nous faire croire : la moitié sont déjà sans emploi, virés de leur boîte parce que trop âgés ou payés trop cher. Allonger sans fin la durée du travail n’a aucun sens puisque cela revient à allonger la durée du chômage. Ce n’est pas cohérent non plus avec ce que nous savons de l’espérance de vie en bonne santé : ce que vous proposez, c’est de partir les pieds devant. Enfin, alors que vous prétendez lutter contre le chômage, allonger à l’envi et sans limite la durée du travail, c’est reculer d’autant le moment où les demandeurs d’emploi pourront accéder au marché.

M. Adrien Quatennens. J’espère que le débat sur le financement des retraites, qui se tient ce soir dans l’hémicycle, sera plus interactif que celui que nous avons en commission. Il m’a donné l’occasion de faire, devant Mme Buzyn, la démonstration qu’il était tout à fait possible de financer la retraite à 60 ans sans se faire trop violence, tout simplement en partageant mieux la richesse produite. Cela passe à court terme par l’égalité salariale entre les femmes et les hommes – grande cause du quinquennat, nous disait-on –, à moyen et long termes par l’augmentation des salaires et des cotisations. Faire travailler les gens plus longtemps ne peut être l’unique recours ; le Conseil d’État confirme d’ailleurs que cela contribuera à aggraver le chômage des seniors – on compte 300 000 chômeurs de plus de 60 ans, et un actif sur deux n’a plus d’emploi arrivé à l’âge de la retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est mon premier mandat de député. Jusque-là conseiller municipal, j’avais l’habitude de participer à des discussions où l’on livrait argument contre argument, avant de prendre une décision. Je pensais que l’Assemblée était le lieu de débats de même nature, mais à une échelle différente, sur les enjeux de société. Mais pour se faire entendre, des députés répètent comme une antienne les mêmes arguments, privant notre assemblée de la possibilité d’échanger. D’autres projets, différents du nôtre, existent pourtant ; il serait intéressant de les écouter et de les analyser.

Je me limiterai désormais à indiquer le sens de mon avis sur les amendements du groupe La France insoumise. N’est-il pas surprenant, lorsque l’on ne dispose pas de temps suffisant pour lire une étude d’impact, de trouver le moyen de déposer 19 000 amendements – ou plutôt dix-sept fois 1 200 amendements – ? Cette attitude est contraire au fonctionnement de la démocratie et n’est pas du tout à la hauteur de la réflexion collective que nous devons avoir sur les retraites.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Je m’en voudrais de troubler ce dialogue entre La France insoumise et la majorité, aussi ne m’autoriserai-je que deux ou trois mots. Pour commencer, contrairement à ce que l’on nous soutient, la productivité du travail ne progresse plus dans la plupart des grands pays, et depuis pas mal de temps. Ensuite, la répartition entre le travail et le capital est à peu près stable, quoi que vous en pensiez. Enfin, le nombre d’heures de travail par habitant est chez nous est un des plus bas du monde. Et cependant, les Français partent à la retraite à un âge raisonnable et bénéficient d’un des systèmes les plus redistributifs du monde. Et le peuple français serait à vous croire le plus malheureux de la terre ! N’y a-t-il pas là quelque paradoxe ?

Les solutions que vous proposez, monsieur Mélenchon, sont des voies sans issue et vos amendements, 19 000 chimères. Vous nous parlez de Marie, de Pierre ou de Jean, qui travailleront beaucoup et partiront sans doute beaucoup trop tard ; mais Marie, Pierre ou Jean, comme nous-mêmes, travaillent 35 heures par semaine et ont droit à cinq semaines de congés payés, ce qui n’est pas le cas dans bien des pays. Cessons donc de noircir le tableau !

Nous parlons juste de l’âge de départ à la retraite ; nous pourrions nous réjouir en consacrant que nous vivons tous plus longtemps, parce que nous vieillissons tous plus longtemps, et en bonne santé pour la plupart. Et pour ceux dont ce n’est pas le cas, il existe des dispositifs pour les carrières longues, pour la pénibilité, etc. La France est un des pays où les écarts sont les plus faibles, avant et après redistribution, et c’est tant mieux. Je ne nie pas qu’il faille faire progresser davantage la justice sociale, je dis qu’elle existe et qu’en aucun cas cela justifie que l’on s’exonère d’un financement raisonnable et durable.

M. Sacha Houlié. Puisque M. Mélenchon a convoqué l’histoire, peut-être nous faut‑il rappeler que le système universel par points est directement inspiré des travaux de Michel Rocard, et torpillé par François Mitterrand ? Et puisqu’il faut contextualiser, rappelons que, lorsque l’âge légal de départ à la retraite fut fixé à 60 ans, l’espérance de vie en bonne santé n’était pas aussi élevée, la durée hebdomadaire du temps de travail était plus longue, et la productivité des salariés n’était pas moindre.

Conformément aux engagements présidentiels, l’âge légal de départ à 60 ans est conservé, tout comme le dispositif de retraite anticipée, dès lors que la personne aura commencé à travailler et cotisé cinq trimestres avant l’âge de 20 ans. Nous proposerons de modifier certains critères, sur la majorité notamment. Ces amendements n’ont aucun sens.

M. Adrien Quatennens. Monsieur Woerth, que votre groupe, qui dispose de bien plus de moyens que le nôtre, n’ait pas souhaité déposer davantage d’amendements est une chose, mais dire que les 19 000 amendements de La France insoumise sont autant de chimères en est une autre. Avec une tout aussi mauvaise foi, je pourrais vous rétorquer que l’idée selon laquelle une mesure d’âge est la seule solution est une chimère. Vous vous êtes personnellement illustré dans une réforme des retraites qui visait justement à faire travailler davantage les Français, tolérez que d’autres défendent des solutions différentes ! Oui, il est techniquement possible, à condition de partager les richesses, de financer un système de retraite à 60 ans. Je concède que vous le contestiez, mais faites-le dans le détail !

Mme Valérie Rabault. Monsieur Houlié, ce que vous venez de dire est inexact. Dans le système que vous proposez, la pension est égale au nombre de points, multiplié par la valeur du point, moins le malus ; or, pour la première fois de notre histoire, le malus n’est plus indexé sur la durée de cotisation mais sur l’âge réel de départ à la retraite. De ce fait, un ouvrier ayant commencé à travailler à 20 ans et cotisé quarante-trois annuités subira deux années de malus s’il part à 63 ans, soit une minoration de 10 %, tandis qu’un salarié ayant commencé à travailler à 24 ans et cotisé quarante-trois annuités partira à 67 ans avec deux années de bonus, soit une majoration de 10 %. Vous mentez sur les mots : tout en prétendant maintenir l’âge légal de départ à la retraite, vous utilisez l’âge réel comme âge pivot.

M. Sébastien Jumel. Depuis le début de nos respectueux débats, quelque chose me taraude. J’ai donc recherché la profession de foi des Marcheurs, où figuraient dix engagements nationaux. Permettez-moi de donner lecture du sixième : « Conforter notre système de protection sociale en uniformisant à terme les régimes de retraites, en préservant l’âge de départ à la retraite et en revalorisant la prime d’activité de 100 euros par mois. »

Vous prétendiez préserver l’âge de départ à la retraite, mais avec l’âge d’équilibre, l’âge pivot et la minoration, vous vous trouvez en flagrant délit de mensonge ! Vous n’avez pas fait campagne en disant aux électeurs : « On va vous taper sur la carafe, on va aggraver votre précarité, on va dégrader vos pensions et allonger la durée de cotisation, on va vous permettre de partir à 65 ans. » Vous n’avez pas été élus sur ce programme, rien de ce que vous proposez ne figurait dans vos professions de foi. Je dépasse mon temps de parole, madame la présidente, mais il faut bien plus d’une minute pour dénoncer autant de mensonges ! Nous ferons tout pour empêcher cette réforme !

La commission rejette les amendements identiques.

Elle en vient à l’examen des amendements identiques n° 1816 de M. Ugo Bernalicis, n° 1818 de M. Alexis Corbière, n° 1819 de Mme Caroline Fiat, n° 1821 de M. Michel Larive, n° 1822 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1825 de M. Loïc Prud’homme, n° 1826 de M. Adrien Quatennens et n° 21164 de Mme Valérie Rabault.

M. Ugo Bernalicis. À l’alinéa 9, que nous proposons de supprimer, il est indiqué que le système doit répondre à un objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier. Il a été dit, dans le débat public, qu’il fallait limiter la dépense à 14 % du PIB. On a vu que le PIB n’était pas aussi dynamique que ce que l’on pourrait escompter et qu’il ne compenserait pas l’augmentation, dynamique pour le coup, du nombre de retraités. Cette insoutenabilité économique sera bien celle supportée par les gens, qui vont juste devenir pauvres. Mais peut‑être que, par un heureux hasard, ils ne pourront même pas faire valoir leurs droits à la retraite ? Avec une espérance de vie en bonne santé en recul, ils bosseront jusqu’à 65, 66 ou 68 ans pour ne pas se voir appliquer le fameux malus et mourront en poste. C’est parfaitement cynique.

M. Alexis Corbière. Tout compte fait, cet alinéa fait éclater la vérité : votre seul objectif est la soutenabilité économique et l’équilibre financier, vous n’avez aucunement pour dessein de construire une société où temps de travail et temps de retraite seraient justement répartis. Les seules contraintes que vous posez s’appliquent aux dépenses, qui ne devront pas dépasser une certaine part de PIB : cela entraînera mécaniquement une dégradation des pensions actuelles. Nous voulons une réflexion sur la place donnée au temps de travail : il est économiquement possible de faire bénéficier les Français d’un troisième temps de vie, à 60 ans.

Mme Caroline Fiat. Marie, infirmière, aurait bien besoin d’une « soutenabilité » physique et psychologique et de moyens pour s’occuper dignement de ses patients. Surtout, elle voudrait savoir si elle gagnera 2 500 euros par mois et si elle devra attendre 66 ans pour partir à la retraite. Pour le moment, Marie est en classe de première, elle n’a pas pu passer les épreuves communes de contrôle continu – c’était compliqué, les gendarmes étaient mobilisés –, elle s’est connectée à nos débats et aimerait bien une réponse à ses questions.

M. Michel Larive. Madame la présidente, vous vous demandez pourquoi nous manifestons notre opposition en défendant 19 000 amendements : c’est parce que c’est possible, et légal. Le Gouvernement use de la même rhétorique pour justifier la destruction massive de notre modèle social tant envié. Il le fait parce que c’est possible. Vous divisez notre temps de parole par deux, parce que c’est possible. Nous nous opposons, parce que c’est encore possible. Cela s’appelle la démocratie. Nous souhaitons la suppression de cet alinéa, et de tous les autres.

M. Jean-Luc Mélenchon. La soutenabilité économique et l’équilibre financier sont des vues idéologiques. Ne nous dites pas le contraire, vous n’avez strictement rien inventé, vous êtes les exécutants de décisions prises ailleurs. C’est la Commission européenne qui demande que les systèmes de retraite par capitalisation européens deviennent des systèmes de retraite à points. La réforme de 2014 est issue d’une recommandation de 2013, tout comme celle de 2010 s’inspirait d’un texte européen. C’est vous, monsieur Woerth, qui avez amené les gens à travailler jusqu’à 62 ans. Je m’étonne que vous n’en ayez pas de remords : vous êtes un homme sensible et vous savez bien que si l’espérance de vie, pour la première fois, stagne et que l’espérance de vie en bonne santé recule, c’est parce que l’on use encore davantage les gens au travail ! Avec votre ami M. Balladur en 1993, M. Juppé en 1995, M. Fillon en 2003 et Mme Touraine en 2014, vous avez précédé le destructeur final, M. Macron. Ce que vous êtes en train de faire, c’est de l’idéologie !

M. Loïc Prud’homme. Je voudrais revenir sur l’évolution du rapport entre nombre d’actifs et nombre de retraités, dont l’alinéa 9 prévoit qu’elle doit être prise en compte par le pilotage du système. Vous répétez à l’envi qu’il y avait quatre actifs pour un retraité il y a cinquante ans et que nous ne sommes plus que 1,7 actif pour un retraité, ce qui justifie les contraintes. Mais c’est un mensonge, du moins par omission, car vous ne dites pas que, dans le même temps, la productivité a été multipliée par trois : du coup, le ratio est passé de quatre à 5,1 pour un, soit une augmentation de 25 %.

M. Adrien Quatennens. Pour justifier ce projet de loi, la majorité convoque souvent l’idée selon laquelle il pourrait y avoir un déficit de 8 à 17 milliards d’euros d’ici à 2025. Pour commencer, il convient d’en relativiser le poids, en le rapportant aux 330 milliards de budget. J’aimerais vous rassurer en rappelant aussi que les différents fonds de réserve s’élèvent à 127 milliards, ce qui laisse de quoi voir venir. Et cela ne suffisait pas pour apaiser vos craintes, je pourrais vous parler du régime spécial des très riches, les retraites chapeaux, dont les encours bancaires atteignent 42 milliards. Et s’il en fallait encore, j’évoquerais les 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires en 2019.

Une meilleure répartition de la richesse devrait nous permettre de financer convenablement les retraites. Les gens, habitués qu’ils sont à voir la richesse aussi mal partagée dans ce pays, ne se laissent pas impressionner par quelques milliards de déficit !

Mme Marie-Noëlle Battistel. À l’heure actuelle, les pensions versées sont financées à 80 % par les cotisations retraites versées par les actifs, à 20 % par l’État et la branche famille. Dans cet alinéa, le Gouvernement ne précise pas s’il entend ou non maintenir cette partie du financement, qui s’élevait tout de même à 65 milliards d’euros en 2018. Cela fait partie des multiples données absentes de ce texte ; il est important que l’on nous réponde sur cette question majeure.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Battistel, l’équilibre financier et la soutenabilité économique ne sont ni une obsession comptable ni une option. Il ne s’agit pas davantage de l’alpha et de l’oméga de cette réforme, c’est pourquoi nous avons rejeté l’amendement du groupe Les Républicains qui visait à placer cet objectif dans les premiers alinéas.

En revanche, nous estimons que l’équilibre financier est la condition de la préservation d’un système par répartition. Les enquêtes montrent que ce sont les jeunes qui croient le moins en l’avenir de ce système, car ils ont l’impression qu’ils devront régler non seulement les pensions actuelles, mais aussi assumer les dettes des générations précédentes. Nous avons décidé que l’objectif d’équilibre financier devait être atteint sur un temps relativement court – cinq ans – car c’est la condition sine qua non de la viabilité du système.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je ne suis pas d’accord avec le rapporteur : l’équilibre financier constitue bien l’alpha et l’oméga du système. Sans équilibre, les pensions risquent de baisser et les mesures nouvelles de justice sociale – elles sont nombreuses ici – ne seront plus crédibles. Certes, on attribuera des points, mais leur valeur étant susceptible de diminuer, ce sera profondément hypocrite. L’inconnue sur le volet financement biaise le débat et le rend quasiment impossible. Afficher un objectif ne suffit pas : en toute responsabilité, il faut préciser le financement. Pour le groupe Les Républicains, l’équilibre financier et la justice sociale sont étroitement liés et nous devons pouvoir débattre sereinement des deux.

M. le rapporteur général. Notre vision de l’Europe et celle de M. Mélenchon sont opposées ; je ne peux le laisser dire que c’est l’Union européenne qui nous impose cette réforme et voir ce discours anti-européen infuser nos débats. Bien que les membres de La République en Marche soient attachés à l’Union européenne, à sa construction, à son approfondissement et aux valeurs de progrès, d’humanité et de paix qui la fondent, nous affirmons que ce n’est pas la Commission qui nous pousse à cette réforme.

Comme l’a rappelé Sacha Houlié, l’idée de cette réforme est bien plus ancienne : elle est d’origine rocardienne, elle a été longtemps portée par la CFDT, travaillée par des économistes de renom, comme Thomas Piketty ou Antoine Bozio, et analysée par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Ce n’est pas l’Union européenne qui a demandé un rapport au COR en 2010. Cette réflexion était déjà à l’œuvre dans les réformes de 2010 et de 2013. Le système universel nous permettra enfin de sortir des réformettes engagées tous les trois ou quatre ans sans jamais parvenir à restaurer l’équilibre.

Mme Valérie Rabault. Jamais le Gouvernement et le haut-commissaire précédent n’ont répondu à la question essentielle de savoir si les 20 % apportés par l’État et la branche famille seront conservés. On parle quand même de 60 milliards d’euros ! Monsieur le secrétaire d’État, vous devez nous apporter une réponse sur ces 60 milliards d’euros, sans quoi nos débats seront vains !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je remercie le collègue qui nous fait l’amitié de discuter avec nous car nous allons finir par parler avec les murs ! Le secrétaire d’État, lui, ne s’exprime pas, il n’a rien à dire...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Si vous permettez, j’allais lui passer la parole !

M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, je dis ce que je veux ! J’ai une vie parlementaire aussi longue que la vôtre...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Bien plus longue !

M. Jean-Luc Mélenchon.... et j’ai l’habitude d’entendre les ministres défendre leurs projets de loi.

Le rapporteur a décidé qu’il ne nous répondrait pas, au motif que nous ferions de l’obstruction. Il nous faut donc faire les questions et les réponses. Aucune réponse sur l’augmentation des salaires proposée par M. Quatennens, aucune réponse sur la hausse des cotisations avancée par M. Bernalicis, pas davantage de réponse sur ma proposition de mieux partager les richesses. Que reste-t-il alors comme paramètre, messieurs, mesdames les grands amis de la soutenabilité financière ? Un seul : la durée au travail. Vous allez donc voter une mesure complètement à rebours de ce qui se passe depuis un siècle : le temps de travail au long de la vie augmentera, sans que l’on se soucie de ce que les gens endurent. Voilà la grande trouvaille de la Macronie !

Mme Célia de Lavergne. L’objectif de soutenabilité économique et d’équilibre financier est d’abord une question de responsabilité, c’est un gage de durabilité. Si nous ne l’adoptions pas, chers collègues, cela signifierait que nous acceptons de voir le déséquilibre se creuser progressivement. Vais-je demander à mes enfants de payer, en plus de la pension de leurs grands-parents et de leurs parents, la dette que nous aurons laissée ? L’équilibre financier est la condition du fonctionnement du système, c’est le gage de la confiance.

De plus, cette soutenabilité est tout à fait compatible avec la solidarité. Les 14 % du PIB que nous consacrons au système de retraite ont permis d’assurer, ces dix dernières années, la pension de deux millions de retraités supplémentaires et une hausse des pensions brutes de 30 %. Alors oui, en 2040, avec 13,3 % du PIB, nous pourrons à la fois financer le niveau de pension actuel et la solidarité.

M. Hubert Wulfranc. La soutenabilité économique et l’équilibre financier sont une clef de voûte idéologique, mais ils participent aussi d’une approche très pragmatique, dans la mesure où cette règle d’or permettra de toucher à l’ensemble des paramètres relatifs à l’indexation des pensions, à l’âge effectif de la retraite, à la valeur du point et donc au niveau des pensions. C’est l’arme dont vous dotez les gouvernements libéraux pour ajuster à la baisse les retraites, au prix d’une vision très court-termiste que vous déclinez à l’article 55. Cette référence à la soutenabilité économique et à l’équilibre financier est la marque flagrante d’une démarche libérale !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites. La reprise des arguments, déjà utilisés la veille, m’oblige à apporter une réponse en partie semblable à celle que j’ai donnée hier.

Le débat sur la part de la richesse nationale consacrée aux retraites est toujours aussi stérile. Comme je l’ai déjà dit, et il suffit d’être de bonne volonté pour aller sur le site du COR vérifier mes dires, le nombre de retraités a crû de 2 millions ces dix dernières années, tandis que les pensions brutes augmentaient de 20 % et que la part du PIB consacrée aux retraites demeurait en dessous des 14 %, à 13,7 %. Il est vain de faire jouer en permanence cette mécanique intellectuelle et de remettre sur la table un débat dont il est prouvé qu’il est sans sujet.

La question de l’équilibre financier n’est pas taboue dans un système par répartition. Il ne fait pas de doute que tous ici, nous souhaitons voir perdurer le système de retraite par répartition. Alors que nous partageons tous cette idée, comment pourrions-nous refuser de regarder la vérité en face ? Pour que la solidarité soit durable, pour que les plus jeunes acceptent de cotiser pour leurs aînés, encore faut-il que le système soit garanti et stable dans le temps. Lorsque le COR donne une indication moyenne en prévoyant un déficit de 12 milliards d’euros en 2025, cela signifie qu’un déficit aura été aussi constaté en 2024, en 2023, en 2022, en 2021 et 2020.

M. Loïc Prud’homme. C’est pourquoi des réserves ont été constituées !

M. le secrétaire d’État. Ceux qui se livrent un peu facilement à des calculs macroéconomiques en additionnant la performance des entreprises, les exonérations et d’autres sources éventuelles de financement oublient tout simplement d’additionner les déficits successifs... Il n’est nul besoin d’être un grand spécialiste des retraites mais de faire preuve de rigueur intellectuelle.

M. Adrien Quatennens. Et publier une étude d’impact truquée, c’est aussi faire preuve de rigueur intellectuelle ? (Protestations sur les bancs du groupe La République en Marche.)

M. le secrétaire d’État. Enfin, madame Rabault, vous m’avez interrogé à plusieurs reprises, et avec pertinence, sur le rôle et la contribution de l’État. Il ne vous a pas échappé que les taux de cotisation de l’État sont significativement plus élevés aujourd’hui ; il est important, pour l’équilibre du système de retraite, que la contribution de l’État reste, au moment de la bascule, équivalente à ce qu’elle est à l’heure actuelle. La normalisation de l’assiette et du taux de cotisation de l’État aurait un effet de 47,4 milliards d’euros, une somme qui correspond aux dispositifs de solidarité pris en charge directement, comme les avantages familiaux ; s’y ajouteront les dotations d’équilibre ou leurs recettes fiscales qui seront affectées aux régimes spéciaux, pour 8,5 milliards. Soyez rassurée, il ne s’agit pas d’une entreprise de désengagement de l’État ; celui-ci qui maintient son concours pour assurer les équilibres.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle examine ensuite l’amendement n° 14663 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. La seule pérennité financière d’un système de retraite par répartition n’est pas un objectif suffisant en soi. Nous jugeons plus pertinent de reprendre la formulation du code de la sécurité sociale, qui prévoit que « la pérennité financière est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital ». Nous en revenons au débat de tout à l’heure : il existait d’autres leviers pour financer les retraites, l’assiette de la cotisation et le taux, mais vous avez choisi de ne jouer que sur la durée et de ne viser que les salariés dans votre mauvais projet.

Je profite de cette intervention pour demander aux collègues qui auraient retrouvé leur profession de foi de me la faire parvenir, afin que je puisse la relire attentivement...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Bazin, nous considérons qu’il faut avoir des ambitions, sociales en l’occurrence, mais aussi les moyens de les financer. C’est un « en même temps » que nous revendiquons volontiers. Notre projet est de préserver le modèle par répartition, grâce à la mutualisation de l’ensemble des carrières et des cotisations des Français et au financement.

Madame Rabault, l’État apporte des contributions d’équilibre qui, demain, avec la participation au système de retraite universel seront différentes, puisque le taux de cotisation sera similaire à celui en vigueur dans le privé. L’État s’est engagé à contribuer à la même hauteur que ses engagements initiaux. Aujourd’hui, l’État ne cotise pas à un système de retraite mais paye en direct les pensions des fonctionnaires retraités. Ramené à l’équivalent des salariés actifs, c’est comme si l’État cotisait parfois à hauteur de 30 ou 70 % selon les catégories. La somme totale ira abonder le budget de la Caisse nationale de retraite universelle, nous y reviendrons dans la partie financement.

Nous défendons l’idée d’un équilibre financier au service d’un projet social : c’est la raison pour laquelle je suis défavorable à ces amendements.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le ministre, votre argumentaire était assez laborieux. Comme vous êtes assez silencieux, nous buvons vos paroles lorsque vous vous exprimez, mais supportez que, dans cette affaire, personne n’ait raison ou tort. Pour ma part, je ne remets pas en cause vos propos, sauf lorsque vous truquez les études d’impact. C’est vous qui assénez des arguments stériles : vous parlez d’universalité, mais cela n’existe pas ; vous parlez d’une réforme juste et simple, cela n’existe pas. Vous êtes soucieux, je l’entends, de la soutenabilité financière ; mais il n’est pas un député dans cette salle qui ne l’est pas.

Je vous ai remis notre contre-projet ; il ne repose pas sur les mêmes options, mais il est financièrement soutenable. Nous souhaitons financer le départ à la retraite des Français à un âge décent et avec un bon niveau de pension ; il n’est pas nécessaire pour cela qu’ils travaillent plus longtemps. Nos vues s’opposent, mais ne nous taxez pas de faire un travail qui serait faussé.

Par ailleurs, vous ne m’avez pas répondu monsieur le ministre : avez-vous oui ou non gelé l’âge d’équilibre dans l’étude d’impact, ce qui revient à la truquer ?

M. Régis Juanico. Ambroise Croizat a été beaucoup cité hier soir. J’ignore quelles consignes circulent au sein du groupe La République en Marche, mais il semblerait que ce soit le tour de Michel Rocard ce soir. Établir une filiation entre la contre-réforme que vous engagez sur les retraites et Michel Rocard... Je l’ai un peu côtoyé, Jean-Luc Mélenchon le connaissait très bien et le seul député de La République en Marche qui l’ait un peu connu est Jacques Maire.

Jamais Michel Rocard n’a fait allusion au système que vous allez instaurer, pas même dans son Livre blanc en 1991. Jamais il n’aurait engagé une réforme telle que celle-ci : c’était un farouche défenseur du dialogue et du compromis social. Jamais il n’aurait lancé une contre-réforme provoquant dix semaines de mobilisation syndicale. Lors de leur audition la semaine dernière, les syndicats de salariés nous ont tous dit qu’ils n’étaient en aucun cas demandeurs de cette réforme. Enfin, Michel Rocard respectait profondément le Parlement : jamais il ne l’aurait ainsi court-circuité ni produit une étude d’impact aussi indigente.

M. Fabien Di Filippo. Le rapporteur et la majorité ne peuvent pour l’instant se prévaloir d’une quelconque vision sociale, puisqu’ils sont incapables de nous expliquer comment les réformes qu’ils envisagent seront financées et équilibrées. La seule réforme qui avait le mérite d’équilibrer les pensions sans augmenter les cotisations, les taxes ou les impôts – je dis cela à l’intention des Insoumis –, c’était le projet des Républicains. La seule générosité sociale qui ne renvoie pas le fardeau sur la dette ou les générations futures est pour l’instant du côté des Républicains, comme l’avait démontré Thibault Bazin. Le projet des Républicains sera le seul valable jusqu’à ce que vous soyez capables de nous expliquer précisément le financement de la réforme et d’en assumer certaines mesures.

Par ailleurs, il ne faut pas entendre en valeur absolue l’allongement du temps de travail : on vit de plus en plus longtemps, le temps de travail doit être considéré à l’aune de cette durée, en temps relatif.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je suis content de constater que la stabilité financière des régimes fait consensus. Je suis aussi ravi de voir que tout le monde est d’accord pour que le dispositif soit financé par des contributions équitablement réparties entre les générations. Vous serez donc d’accord avec nous pour supprimer les régimes spéciaux des députés, des sénateurs, de la SNCF ou des industries électriques et gazières. Vous serez également d’accord pour faire en sorte que les revenus du capital soient aussi soumis à contribution, puisque les cotisations patronales et syndicales représentent 75 % du financement, alors que les financements directs publics de l’État en représentent 25 %.

Je vois se dessiner un immense enjeu de convergence ; cela me réjouit d’autant que des personnalités importantes – notamment MM. Thomas Piketty et Thomas Cazenave – se sont déclarées favorables à ce projet. À la fin de votre réflexion, je suis certain que vous vous accorderez avec nous sur l’alinéa 9 tel qu’il est rédigé initialement.

M. le rapporteur général. Si je vous ai bien compris, monsieur Juanico, lors de leurs auditions, les organisations syndicales se seraient prononcées unanimement contre le système universel. Manifestement, nous n’avons pas assisté aux mêmes auditions. Il y avait en effet des divergences entre les organisations syndicales : je vous invite à regarder l’enregistrement. Certaines d’entre elles réfléchissent depuis un certain temps à un système universel – il est vrai que certains membres du Parti socialiste s’y opposaient depuis longtemps.

M. Pierre Dharréville. Le rapporteur général lance un intéressant débat. J’avais suggéré que nous puissions échanger, avant de démarrer l’examen des amendements, sur ce que nous retenions des auditions de la semaine dernière, afin qu’elles n’aient pas été une simple formalité. Visiblement, nous n’en avons pas retenu la même chose. Aucune des organisations syndicales n’a exprimé de franc soutien à ce projet. Sans aucun doute, il y a des désaccords entre elles ; ils sont d’ailleurs publics. J’ai néanmoins entendu beaucoup de critiques et aucune louange. Nous lirons en effet les comptes rendus de ces auditions, mais je ne crois pas que vous puissiez vous prévaloir, en la matière, de quelque soutien que ce soit à ce stade.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 22453 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Le précédent amendement avait pour but de rédiger correctement les objectifs relatifs au budget. Celui-ci est un amendement de repli qui a pour objectif de préciser votre pensée : faire croire à l’urgente nécessité d’une réforme et préparer les esprits à la montée en charge de la capitalisation.

Lors de son audition, le président du COR a expliqué qu’aucun péril ne pesait sur le système actuel et qu’il n’y avait pas de justification financière à la réforme proposée.

Le texte propose un verrouillage total conforme à la règle d’or. Le cœur de votre projet se trouve dans l’alinéa 9 ; la soutenabilité financière en représente l’alpha et l’oméga, d’où le verrouillage à un an, le verrouillage à cinq ans et le verrouillage à quarante ans. L’adaptation se fait avec les variables d’ajustement que vous connaissez – principalement l’âge de départ à la retraite et le niveau des pensions. Nous contestons fondamentalement le cœur de votre projet.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cet amendement appartient à la série de ceux qui font sourire : vous nous proposez d’intégrer un « objectif de maquillage des conditions d’équilibre financier »... Nous y sommes évidemment défavorables.

M. Boris Vallaud. S’agissant des compensations, pourriez-vous nous dire ce qu’il adviendra des 2,6 milliards d’euros qui manqueront à l’assurance maladie suite à la modification des assiettes de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) des indépendants ?

Vous avez répondu au sujet des contributions de l’État : la situation sera-t-elle la même pour les employeurs que sont les collectivités locales et les hôpitaux ? Si je comprends bien le tableau 20 de l’étude d’impact, il manquera 5,5 milliards en année pleine ; ce gain sera-t-il laissé à la disposition des collectivités ou des hôpitaux ? Dans l’affirmative, qui supportera la charge de compenser cette perte pour le système de retraite ? Est-ce l’État ?

Enfin, la suppression de la cotisation pour les salaires situés entre trois et huit plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) créera un vide durable, de l’ordre de 3,7 milliards par an, pour financer les pensions de ceux qui avaient déjà contribué jusqu’à 8 PASS.

M. Éric Coquerel. Le discours du Gouvernement sur l’équilibre des finances a beaucoup évolué. Il y a peu, M. Laurent Pietraszewski expliquait sur les ondes de France Info, que la question n’était pas celle d’un équilibre comptable, mais celle d’une plus grande égalité entre les Français. En réalité, vous vous trompez sur ces deux points : nous reparlerons de l’égalité. S’agissant de l’équilibre, vous êtes incapables d’estimer le coût des périodes de transition. La fameuse exonération pour les salaires supérieurs à 10 000 euros coûtera plus de 3 milliards par an entre 2025 et 2040 ; je ne parle pas de ceux qui ne bénéficieront pas des cotisations, mais de ceux qui demanderont leur dû en fonction des cotisations passées, alors même que les cotisations ne seront plus perçues. Cela représente au total 72 milliards. Vous avez raison de ne plus insister sur ce point. Non seulement votre système est inégalitaire, mais il coûtera beaucoup d’argent.

M. Hubert Wulfranc. Je voudrais citer l’amendement suggéré par la CFDT concernant la déclinaison opérationnelle de la règle d’or : « [...] le respect d’un équilibre financier par le solde cumulé supérieur ou égal à zéro sur une période de cinq années. Ce mécanisme porte sur un court terme et tend à être pro-cyclique. En cas de conjoncture défavorable, cela revient à constater une baisse des ressources du système universel de retraite (SUR) et à observer potentiellement un déficit conjoncturel. Le mécanisme de la règle d’or sur cinq ans peut donc impliquer de réduire les dépenses de retraites et d’ajuster les paramètres impliqués à l’article 55 […] en période de ralentissement économique au détriment du mécanisme d’amortisseur social ». Comment cela se traduira-t-il dans la déclinaison opérationnelle de votre projet de loi ?

M. Sacha Houlié. L’article 55 qu’Hubert Wulfranc vient d’évoquer prévoit un cycle de cinq ans ; la CFDT a observé que ce cycle pourrait être de dix ans afin d’être anticyclique plutôt que pro-cyclique. L’article 55 n’a donc rien à voir avec le présent alinéa.

Monsieur Coquerel, vous avez exprimé une très vive critique du plafonnement des cotisations pour les salaires supérieurs à 3 PASS. Cette mesure correspond au plafonnement des montants des revenus de substitution versés. Vous appelez de vos vœux le plafonnement des salaires : nous le réalisons concernant les pensions de retraite puisque nous ne verserons pas de pensions supérieures à 10 000 euros dans le nouveau système. Nous concrétisons une mesure qui figurait dans votre programme : vous pourriez vous en satisfaire.

M. Jean-Pierre Door. À l’alinéa 9, il est question de la constitution de réserves pour accompagner les évolutions démographiques et économiques. Vous avez rencontré les caisses autonomes à plusieurs reprises, monsieur le secrétaire d’État, et vous avez évoqué la possibilité de conserver leurs caisses de réserve. Or lundi 3 février 2020 sur France 2, Sibeth Ndiaye a indiqué que les réserves des avocats seraient utilisées pour compenser en partie la hausse de leurs cotisations. Pouvez-vous confirmer les propos de votre collègue ? Maintenez‑vous vos positions au sujet des caisses autonomes ?

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 21918 de M. Emmanuel Maquet.

M. Julien Dive. Cet amendement peut paraître cosmétique, mais il est plein de bon sens et de perspectives. La soutenabilité financière telle qu’elle est prévue dans l’alinéa 9 de l’article 1er représente le minimum syndical ; le financement est bien l’alpha et l’oméga du projet. Cet amendement vise à garantir l’équilibre financier du régime à long terme et selon la variation des agrégats économiques, en l’associant à un objectif de performance, qui fait sens avec la logique de croissance économique, d’inflation et d’évaluation à la hausse ou à la baisse du pouvoir d’achat de nos compatriotes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La soutenabilité financière est une condition absolument nécessaire à notre projet, mais elle n’est pas suffisante. Nous défendons avant tout un projet de société ; nous souhaitons le financer afin d’en assurer la pérennité. Par conséquent, je suis défavorable à cet amendement.

M. Thibault Bazin. Jean-Pierre Door vous a posé une question précise. Il est important pour la représentation nationale qu’une réponse précise y soit apportée.

Monsieur le rapporteur, la réforme présente des éléments intéressants, tels que le minimum contributif et le cumul emploi-retraite. Mais afficher sans cesse vos ambitions sans dire comment vous les financerez ne les rend pas crédibles. Le déficit à venir est estimé à plus de 12 milliards d’euros d’ici à 2025, sans même comptabiliser les nouvelles mesures. Il y a un risque de déséquilibre entre les conditions de financement de ces mesures et ce qui est demandé pour en bénéficier. De plus, le système produira des perdants, et ce, de façon injuste ; je pense notamment aux caisses autonomes. Il me semble donc pertinent d’apporter des garanties, comme vous l’a demandé Jean-Pierre Door.

M. Ugo Bernalicis. Grâce aux Républicains, nous avons le traducteur des véritables objectifs de La République en Marche... Selon eux, la soutenabilité demande une performance économique et une croissance infinie. Or nous savons très bien que le changement climatique nous impose de considérer un peu différemment les objectifs économiques ; le partage de la richesse peut être une option, tout aussi soutenable ou performante que ce qu’ils décrivent.

Quant aux réserves des caisses autonomes, cher collègue Door, elles ne seront pas touchées : on se contentera de leur appliquer violemment la réforme, sans phase de transition. Et comme aux avocats, on expliquera que la réserve servira à lisser l’augmentation du montant des cotisations : ce faisant, on ne vole pas le pognon, mais finalement, cela revient à peu près au même.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons tous besoin d’un éclairage sur le régime de transition et sur le régime final que vous voulez atteindre. Sinon, pour reprendre ce terme qui convient assez bien, vous maquillez des choses, ce qui est insupportable lorsqu’il s’agit d’éclairer la représentation nationale.

Boris Vallaud vous a posé une question sur la compensation de la modification de l’assiette de CSG. Vous dites aux avocats de ne pas s’inquiéter, car la baisse de la CSG compensera le doublement du montant de leurs cotisations ; vous avouerez qu’il y a plus simple. Vous ne nous dites pas combien représente cette compensation ni si la CSG qui manquera dans les caisses de la sécurité sociale sera elle-même compensée par autre chose.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 14662 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement a pour but de tempérer l’objectif affiché de soutenabilité économique. Nous examinons un chapitre qui définit les objectifs assignés par la Nation au système universel, parmi lesquels se trouve la soutenabilité économique, au même titre que la garantie des niveaux de vie. Nous proposons d’inclure l’idée que la soutenabilité économique respecte la justice sociale : cela mange d’autant moins de pain que les objectifs affichés en sont déjà très éloignés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’objectif de justice sociale irrigue l’ensemble de ce projet. Nous nous fixons des objectifs d’équité, de solidarité, de garantie de niveau de vie et de liberté dans le choix de départ à la retraite ; vous pourrez discuter des outils à disposition. Nous nous fixons également des objectifs dans les articles suivants.

Si l’organisation des amendements permettait d’en discuter, nous pourrions progresser utilement dans la compréhension de la réforme et de la maîtrise des enjeux. Des contre-vérités ont été formulées à plusieurs reprises, mais sans rapport direct avec l’article examiné. Essayons d’étudier ces enjeux et ces outils au moment où ils seront abordés dans le texte de loi.

Défavorable.

M. Boris Vallaud. Nos questions sont précises et devraient appeler des réponses un tant soit peu précises. Sans réponse, on ne peut pas considérer que la représentation nationale est suffisamment éclairée pour prendre une décision en conscience. Je vais poursuivre mes questions ; vous y répondrez quand vous le jugerez bon.

Nous parlons d’équilibre financier : comment les évolutions des cotisations s’articuleront avec les exonérations de cotisations employeurs actuellement en vigueur ? Quels seront demain les taux de cotisation effectifs selon le niveau de rémunération ? Dans le régime universel, les salariés du secteur privé bénéficient d’exonérations : certains employeurs publics pourraient-ils revendiquer ce bénéfice ? Des exonérations de cotisation vieillesse ne sont actuellement pas compensées : qu’en sera-t-il dans le futur régime ?

Compte tenu de votre temps de préparation – deux ans et demi tout de même – je ne comprendrais pas que vous ne soyez pas capables de me répondre.

M. Stéphane Viry. Il va de soi que cette réforme doit faire preuve de justice ; c’est l’occasion de remettre sur la table des inégalités et des situations anormales.

La question des retraites est somme toute simple : il s’agit de répondre à des besoins qui iront croissant. Pour ce faire, il faut s’interroger sur les ressources. Sans nécessairement crier au maquillage, force est d’admettre que la soutenabilité financière et la pérennité de l’équilibre du système sont essentielles : tout le reste n’est que littérature. On peut se payer de grands mots en parlant de justice : il faut avant tout s’assurer de ce qu’il en est.

Nous vous avons interrogé sur les réserves, monsieur le ministre, notamment sur celles des régimes autonomes. Nous avons besoin de vous entendre ; les Français sont dans la rue et attendent des éléments précis.

M. Pierre Dharréville. Nous avons les moyens aujourd’hui d’instaurer un système équilibré avec pour objectif la justice sociale. Celle-ci ne peut être sacrifiée au profit de la soutenabilité financière ; l’amendement que je défends ne dit rien d’autre.

Nous avons émis une réserve concernant l’alinéa 4 : un objectif de liberté de choix pour les assurés sous réserve d’un âge minimum, etc. Il me semble donc tout à fait acceptable de procéder de la même façon et de pondérer cet alinéa.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, votre seule réponse à l’opposition consiste à répéter que nos arguments sont faux, mais c’est vous qui assénez de faux arguments et qui truquez les cas-types en gelant l’âge d’équilibre. Le Conseil d’État l’a dit : l’universalité, c’est faux, le fait qu’un euro de cotisation ouvrira les mêmes droits, c’est faux. C’est tout le verbiage auquel vous habituez les Français depuis des mois qui est faux ; je vous trouve bien mal placé pour contester les chiffres de l’opposition ! Est-ce qu’il y a 127 milliards d’euros dans les réserves de différents régimes ? Oui. Est-ce qu’il y a 42 milliards d’encours bancaires pour les régimes des retraites chapeaux ? Oui. Est-ce que 60 milliards de dividendes ont été versés aux actionnaires ? Oui. Est-ce qu’on peut financer la retraite à 60 ans en assurant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ? Oui. Est-ce qu’on peut financer une retraite à un âge digne avec un bon niveau de pension, en augmentant les salaires et les cotisations ? Oui. Tout cela est vrai.

Dites que vous n’êtes pas d’accord, dites la vérité aux Français, expliquez-leur que vous ne voulez pas consacrer plus de richesse à leurs retraites et qu’ils devront bosser toujours plus longtemps, mais cessez de répéter que ce que nous disons est faux !

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 20536 de M. Matthieu Orphelin.

M. Jean-François Cesarini. Cet amendement vise à inscrire dans les objectifs généraux relatifs à l’équilibre financier du système universel de retraite la dimension solidaire des cotisations et des contributions des assurés et des employeurs. Cette solidarité peut se traduire notamment par la création de mécanismes redistributifs comme l’instauration d’une progressivité sur le taux de cotisation de solidarité ou encore par une modulation de la valeur d’achat du point en fonction des tranches de revenu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Une fois n’est pas coutume, je suis favorable à cet amendement. Il est bon de réaffirmer cette dimension solidaire.

M. le secrétaire d’État. Je ne suis pas persuadé qu’il est juridiquement indispensable d’intégrer cette modification, mais je pense qu’elle a du sens. Je serai donc favorable à cet amendement.

S’agissant des réserves, le Premier ministre s’est exprimé à de nombreuses reprises. Je vous renvoie simplement au titre IV, qui précise que le Fonds de réserve universel se compose uniquement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Je le répète, les réserves constituées par les caisses autonomes leur appartiennent, tout comme la décision concernant leur utilisation.

M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous expliquer, avant le vote de l’article, la différence entre les cotisations et les contributions ? Votre texte parle de cotisations et contributions équitablement réparties entre les assurés comme entre les assurés et les employeurs. Quelles assiettes pourraient avoir des contributions ainsi définies ? En droit constitutionnel il n’y a que deux catégories : les impositions de toute nature et les cotisations sociales. Je ne comprends pas très bien votre rédaction.

Mme Valérie Rabault. La question de Charles de Courson est extrêmement intéressante ; je vous ai moi-même demandé tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, si l’État procéderait à de nouvelles compensations, mais sans prononcer le mot de contribution, qui n’existe pas en droit constitutionnel. Le Conseil constitutionnel pourrait être tenté de dire qu’une telle compensation, au statut totalement hybride, n’a pas de réalité en droit.

Mme Marie-Christine Dalloz. Si l’on s’en tient à une lecture grammaticale, on peut imaginer à quoi correspond la contribution à caractère solidaire. Mais en droit comme en fiscalité, une telle contribution n’a ni définition ni fondement. Il est intéressant de faire de la communication, mais un texte de loi exige de la précision.

L’exposé sommaire de l’amendement précise : « Cette solidarité peut se traduire notamment par la mise en place de mécanismes redistributifs comme l’instauration d’une progressivité sur le taux de cotisation de solidarité, ou encore par une modulation de la valeur d’achat du point en fonction des tranches de revenu. » C’est inquiétant, alors même que l’on n’a aucune vision de l’équilibre financier du texte et qu’on ne sait pas à quoi s’attendre. Il est question d’une « contribution à caractère solidaire » qui crée un déséquilibre. C’est comme si l’on ne votait que les recettes – ou les dépenses – d’un budget, sans savoir si l’on est à l’équilibre : on est à l’aveugle !

M. le secrétaire d’État. La CSG, comme toutes les contributions, fait partie des impositions de toute nature ; c’est ce qui la distingue des cotisations, telles que les cotisations vieillesse. Il n’y a là aucune nouveauté.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement n° 22554 de Mme Martine Wonner.

M. Jean-François Cesarini. Cet amendement a pour but de moduler l’âge du départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie en bonne santé. Cela permettrait de créer un système universel dynamique et non statique en déterminant un âge pivot pour tous. L’espérance de vie en bonne santé doit être répartie entre la retraite et l’activité professionnelle, comme le prévoit l’article 10.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends la philosophie de la démarche, qui a fait l’objet d’un débat cet après-midi. La notion d’espérance de vie en bonne santé est très subjective et notamment corrélée à des habitudes de vie ; de nombreuses enquêtes à ce sujet ont été publiées. L’intention est bonne et il faut approfondir au maximum les notions démographiques pour mieux piloter le système. Cependant, cette notion est difficile à appliquer de façon juste entre les uns et les autres. Je suis défavorable à cet amendement, même si j’en partage la philosophie.

M. Jean-François Cesarini. L’article 10 traite de la répartition de l’espérance de vie en bonne santé : deux tiers pour l’activité professionnelle et un tiers pour la retraite. On sait calculer l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé. La vraie injustice, c’est lorsque l’on constate que, selon les métiers, l’espérance de vie en bonne santé peut varier de dix ans, et le fait de partir au même âge est injuste, avec la même pension, n’y change rien. Il faut pouvoir moduler en fonction des catégories socioprofessionnelles, et l’espérance de vie en bonne santé me semble être le bon baromètre.

M. Adrien Quatennens. Signifier que vous modulerez le système en fonction de l’espérance de vie d’une génération éclaire vos intentions : avec le système par points, il faudra espérer que les concitoyens de sa génération meurent tôt pour avoir une meilleure part du gâteau. L’espérance de vie tout court stagne désormais ; quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle est de 63 ans. Il sera bien inspiré celui qui pourra démontrer que les pesticides, la pollution, voire la 5G n’auront pas d’impact sur l’espérance de vie en bonne santé. Enfin, faire partir tout le monde de la même ligne de départ n’apporte pas de solution aux écarts d’espérance de vie qui existent au sein d’une génération. Entre un cadre et un ouvrier, il y a six ans d’écart d’espérance de vie ; entre les 10 % les plus riches et les 10 % les moins riches, cet écart peut atteindre treize ans.

Moduler le système en fonction de l’espérance de vie revient à faire un pari très hasardeux, et surtout un pari dangereux.

Mme Cendra Motin. L’espérance de vie en bonne santé présente un travers : elle ne concerne pas une génération, mais un groupe de personnes, et se fonde sur une base déclarative. Nous prenons des décisions qui changent la situation en la matière : ainsi, nous avons voté le 30 janvier 2020 une belle proposition de loi qui changera la vie de milliers de personnes souffrant d’affections de longue durée. Celles-ci répondront désormais différemment à la question suivante : est-ce qu’un problème de santé est à l’origine d’un accès limité à des activités courantes ? Elles pourront maintenant travailler normalement et ce faisant, leur espérance de vie en bonne santé augmentera. Nous pouvons nous en féliciter.

Mme Marie-Christine Dalloz. Parler de l’espérance de vie amène effectivement à s’intéresser à des groupes de personnes. L’espérance de vie en France varie en fonction des métiers, mais aussi selon les régions. Il y aura donc différents régimes au sein du régime universel : c’est un vrai paradoxe.

M. Sébastien Jumel. Plus on avance dans la législature, plus la jambe gauche d’En Marche ! raccourcit et plus la majorité boite... Cet amendement issu de ses rangs nous en offre une nouvelle illustration. De fait, il vise à prendre en compte une réalité que vous refusez de voir : selon qu’on a été ouvrier ou qu’on a baigné dans le luxe, le calme et la volupté, l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même.

Si, parfois, nous nous énervons, madame la présidente, ce n’est pas parce que nous vous manquons de respect – nous vous respectons beaucoup –, c’est parce que nous avons dans la tronche les gens qui vivent à nos côtés. Je pense à Bob, ce cheminot mort prématurément, ou à ce chaudronnier-soudeur du chantier naval flingué par le cancer de l’amiante. On m’explique que l’espérance de vie en bonne santé étant déclarative, elle est difficile à appréhender. Mais les mecs flingués par le boulot, la mort leur est tombée dessus sans prévenir ! L’espérance de vie en bonne santé mérite d’être prise en compte. Pensez à votre jambe gauche !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel, je n’ai aucune leçon à recevoir : mon père était chaudronnier et il est mort à 64 ans.

M. Sébastien Jumel. Le mien aussi. Je ne vous donne pas de leçon, madame la présidente : ne le prenez pas pour vous !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous nous faites part de votre expérience, je vous fais part de la mienne. Nous ne sommes pas hors-sol !

M. Sébastien Jumel. Il semble que si !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21529 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Défendu !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La majorité est déterminée à rappeler les enjeux de cette réforme. En effet, je veux bien admettre que le changement soit complexe ; c’est pourquoi nous envisageons d’étaler sa mise en œuvre sur quinze à vingt ans. Mais n’oublions pas qu’actuellement, certains agriculteurs perçoivent une pension de 800 euros, que la maternité donne droit à huit trimestres supplémentaires dans le privé et à deux trimestres dans le public, que le montant de la pension est calculé sur vingt-cinq années d’un côté et sur six mois de l’autre, que le taux de conversion est de 50 % dans le régime général et de 75 % dans la fonction publique et que le chômage est décompté ou non comme une période d’activité, selon les régimes.

Ces différences témoignent de l’iniquité profonde du système actuel, iniquité à laquelle nous vous proposons de remédier grâce à des outils que vous pouvez éventuellement améliorer et dont nous pouvons en tout cas discuter. Or, cet enjeu est – hélas ! – noyé dans des débats qui tournent en rond, à cause d’amendements tels que celui-là, qui vise à remplacer un mot par un autre. Substituer « inéquitable » à « universel » n’a aucun sens ; cela ne grandit pas le débat parlementaire ni ne résout les problèmes de nos concitoyens.

Avis défavorable, bien entendu.

M. Ugo Bernalicis. Il est vrai que remplacer un mot par un autre n’a pas grande importance, dès lors que l’étude d’impact elle-même est truquée. À quoi bon discuter ? Faisons plutôt confiance aux ordonnances... Reconnaissez, monsieur le rapporteur, que vous êtes à court d’arguments.

L’amendement de nos collègues est, certes, un peu provocateur, mais il dit la vérité : le système de retraite que vous nous proposez est inéquitable. Du reste, vous le savez, puisque vous passez votre temps à promettre des points gratuits à telle ou telle profession ! De fait, l’espérance de vie en bonne santé n’est pas la même selon que l’on est éboueur, égoutier ou policier.

Quant à la soutenabilité économique, c’est le fond de l’affaire : est-ce à dire que les retraités sont un poids mort ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Madame la présidente, vous avez indiqué que le temps de parole était limité à une minute uniquement pour les orateurs d’un même groupe défendant des amendements identiques. Tel n’est pas le cas, en l’espèce.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est pas sérieux. M. Quatennens respecte les règles, lui.

M. Ugo Bernalicis. Je veux bien les respecter ; encore faut-il qu’elles ne changent pas.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Elles ne changent pas : depuis tout à l’heure, chacun s’exprime une minute.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, je constate, non sans malice, que j’ai obtenu de vous une réponse plus longue que celles que vous m’avez faites lorsque j’ai défendu mes amendements. Quoi qu’il en soit, votre démonstration ne tient pas. Les problèmes que vous avez mentionnés – et que personne ne conteste, surtout pas nous – seront résolus, non pas par un système par points, mais par d’autres mécanismes qui peuvent parfaitement être instaurés dans le cadre du système actuel. Je vous renvoie, sur ce point, à la proposition de loi que nous avons déposée il y a quelques jours.

Mme Monique Limon. En 2018, l’espérance de vie sans incapacité était de 64,5 ans pour les femmes et de 63,4 pour les hommes, soit un écart de neuf mois. Par ailleurs, les enseignants, par exemple, ont une longue espérance de vie en bonne santé. Faut-il en conclure que les femmes ou les profs doivent travailler plus longtemps ? Je ne le crois pas. Les inégalités d’espérance de vie selon les métiers doivent être traitées dans le cadre de la pénibilité, dont la prise en compte offrira la possibilité de partir à la retraite avant 62 ans. En effet, l’espérance de vie ou l’espérance de vie en bonne santé liée aux catégories professionnelles ne prend pas en compte la multiplicité des statuts au cours d’une carrière : on peut commencer ouvrier et finir cadre.

Mme Valérie Rabault. Je souhaite revenir sur la question des équilibres financiers. Il est indiqué, à la page 179 de l’étude d’impact que, « dans le futur système, la contribution de l’État au système de retraite serait maintenue en 2025 ». Ce serait une réponse à la première partie de la question. Mais il est précisé : « Elle évoluera ensuite selon la nature et la dynamique des dépenses qu’elle vise à couvrir (droits assimilables au droit commun [...]). Elle intégrera donc progressivement les conséquences financières pour l’État de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories actives. » En clair, cela signifie que la contribution de l’État diminuera.

Monsieur le secrétaire d’État, vous devez nous dire quel sera, selon vos projections, le montant de cette diminution, année par année. Vous ne pouvez pas évoquer l’âge d’équilibre en 2037 et ne nous donner aucun chiffre. Pour l’instant, nous ne savons pas ce qui se passera après 2025 : c’est le saut dans l’inconnu !

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 538 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Par cet amendement, nous proposons d’inscrire les gains de productivité à l’alinéa 9. Depuis 1950, d’importants gains de productivité ont été réalisés, qui se traduisent par une augmentation de la richesse produite par rapport au nombre d’heures travaillées. Un actif produit actuellement plus de richesses, et les produit plus rapidement, qu’en 1950. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, le PIB par habitant a ainsi été multiplié par 3,4 hors inflation entre 1960 et 2017. Au cours de la même période, le temps de travail s’est nettement réduit.

Ces constats démontrent que les retraites ont été financées tout en réduisant le temps de travail. Or, elles pourront continuer à l’être à l’avenir, puisque la richesse par habitant va continuer à croître. Le pilotage du système de retraite doit donc tenir compte non seulement de l’évolution à long terme du rapport entre le nombre des actifs et celui des retraités, mais aussi des gains de productivité.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Jumel, vous devriez être inquiet : après avoir souscrit aux propos de M. Woerth, voilà que votre collègue M. Dharréville évoque les gains de productivité. L’emploi de cette sémantique serait-il le signe d’une dérive politique ? (Sourires.)

Plus sérieusement, il est évident que les gains de productivité peuvent être, au même titre que la progression des salaires, le taux d’inflation ou le taux de croissance, un élément du pilotage et du financement du système. Mais nous ne pouvons pas pour autant apporter à Mme Rabault une réponse précise sur ce que sera ce financement dans quinze ans. Il s’agit, ici, de définir un cadre dans lequel le Gouvernement et les majorités qui lui succéderont s’inscriront pour piloter le plus finement possible un système de retraite le plus équitable possible.

Même si nous ne souhaitions pas retenir cette notion dans le texte, les gains de productivité sont évidemment un des éléments du pilotage du système. C’est pourquoi j’émets finalement un avis favorable à cet amendement.

M. Adrien Quatennens. La question des gains de productivité est centrale dans le débat sur le financement des retraites. En effet, au fur et à mesure que la productivité a augmenté, s’est développée la revendication d’une diminution du temps de travail ; c’est le sens du progrès. En effet, dès lors que la quantité de travail humain nécessaire pour produire la même quantité de richesse baisse, la véritable question est celle de la répartition de celle-ci. Sinon, pourquoi travailler plus ? Pour enrichir qui ?

Par ailleurs, nous sommes soumis à l’impératif écologique. La majorité en appelle à une croissance économique exponentielle. Or, elle sait non seulement qu’une telle croissance n’est pas économiquement possible mais, surtout, qu’elle n’est pas souhaitable. Je pose donc à nouveau la question, qui est peut-être d’ordre philosophique mais qui est centrale dans notre débat : à quoi bon travailler plus longtemps que le temps nécessaire pour produire ce dont nous avons besoin ?

M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, pour un « coco », le fait de parler de gains de productivité n’est pas un blasphème ; c’est une réalité objective, liée à l’apparition de nouvelles méthodes, aux efforts des salariés, à la robotique, etc. Mais la question pour le « coco » est de savoir si ces gains de productivité profitent au capital ou, dans le cadre d’une répartition juste et équitable de l’effort, à la valeur travail. Je vous rassure donc : il n’y a pas de dérive politique de mon camarade Dharréville. Même si elle n’a rien de révolutionnaire, nous sommes sensibles à la prise en compte des gains de productivité dans le pilotage du système.

M. Thibault Bazin. Pour la troisième fois depuis le début de l’examen du texte, le rapporteur se déclare favorable à un amendement. Mais à quoi cela servira-t-il puisque, de toute façon, la commission n’achèvera sans doute pas l’examen du projet de loi, de sorte que nous examinerons, en séance publique, le texte du Gouvernement ? C’est à se demander quel est le sens de nos travaux !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La question a été tranchée tout à l’heure.

M. le secrétaire d’État. Il est vrai que les gains de productivité sont une des variables prises en compte dans les hypothèses du COR. Ainsi, je le reconnais, monsieur Dharréville, votre amendement peut compléter utilement le texte. Avis favorable, donc.

Madame Rabault, vous avez bien lu l’étude d’impact – je me réjouis de pouvoir discuter avec des députés qui en ont fait une lecture attentive. Je vous confirme que l’État compensera à l’euro près toutes les dépenses induites notamment par les retraites des fonctionnaires. Évidemment, compte tenu de l’extinction progressive de ces engagements, la dotation diminuera à due proportion. Tel est le sens de la phrase que vous avez citée.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 553, n° 555, n° 554, n° 556 et n° 557 de M. Jean-François Cesarini.

M. Jean-François Cesarini. Si nous voulons éviter de devoir proposer tous les dix ans une nouvelle réforme afin de reporter l’âge du départ à taux plein, il faut que le système soit dynamique et évolue dans le temps en fonction de l’espérance de vie en bonne santé à partir de 65 ans. En effet, après cet âge, les écarts sont beaucoup plus resserrés entre les hommes et les femmes mais demeurent très importants entre les différentes catégories socioprofessionnelles. En intégrant dans le régime universel une pondération selon le métier exercé, nous élaborerons une véritable réforme systémique pour les soixante à cent ans à venir. Si l’espérance de vie en bonne santé stagne, l’âge de départ à la retraite reste le même ; en revanche, s’il augmente, l’âge de départ est reporté.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous confirme que la prise en compte de l’espérance de vie sera bien au cœur du pilotage du futur système – je vous renvoie, sur ce point, à la rédaction de l’article 10. Cependant, les différents dispositifs que vous proposez me semblent préciser ce pilotage de manière excessive. J’ajoute qu’en matière d’espérance de vie, s’il est évident que les différences entre catégories socioprofessionnelles peuvent être marquées, votre analyse présente une limite : la consommation de tabac est également un facteur important qui mériterait d’être pris en compte par notre assemblée.

Je partage votre préoccupation, mais il faudrait que nous disposions de données plus précises et indiscutables. Je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements.

M. Jean-François Cesarini. S’agissant des données chiffrées, le ministère des solidarités et de la santé produit, chaque année, des statistiques sur l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans. Par ailleurs, croyez-vous sincèrement, monsieur le rapporteur, que les ouvriers meurent plus tôt parce qu’ils fument davantage ?

M. Ugo Bernalicis. Les amendements de M. Cesarini sont intéressants.

Les ouvriers fument beaucoup moins qu’auparavant car ils n’ont plus les moyens de s’acheter un paquet de clopes. De là à en déduire que la baisse de l’espérance de vie en bonne santé liée au tabac devienne un jour l’apanage des plus hauts revenus...

Quoi qu’il en soit, si nous voulons que les gens puissent vivre leur vie de retraité de manière digne et décente et contribuer à l’intérêt général – un membre du Gouvernement lui‑même reconnaissait que les associations et les retraités permettent à l’État de réaliser des économies en faisant le travail qu’il ne peut pas faire –, permettons-leur de partir à la retraite tôt et en bonne santé.

Mme Cendra Motin. L’Observatoire des inégalités confirme – hélas ! – les propos de notre rapporteur : plus de 38 % des ouvriers sont des fumeurs habituels. Par ailleurs, les partenaires sociaux disposeront de tous les leviers nécessaires pour rendre l’âge de départ à la retraite dynamique et prendre en compte la pénibilité des métiers, sans s’arrêter aux seules catégories socioprofessionnelles : peut-on dire, par exemple, que tous les cadres ont une vie calme et tranquille ? Non, certains d’entre eux sont soumis à de fortes pressions et exercent un métier pénible. Raisonnons donc par métier plutôt que par catégorie socioprofessionnelle et, surtout, laissons faire les partenaires sociaux, qui connaissent bien les sujétions liées aux différents métiers, mais également la façon dont ceux-ci peuvent évoluer.

M. Sébastien Jumel. Par précaution, j’indique d’emblée que mon propos ne vise à mettre en cause ni la présidente ni qui que ce soit d’autre. Je parle simplement avec mes tripes et mon cœur. Connaissez-vous la chanson intitulée Du gris ?

« Tu n’fumes pas ! Oh ben, t’en a de la chance

« C’est que la vie, pour toi, c’est du velours

« Le tabac, c’est le baume de la souffrance

« Quand on fume, le fardeau est moins lourd. »

Ces paroles renvoient à une réalité objective, celle des personnes qui ont une vie de galères, des revenus faibles, un logement indigne... Les observatoires régionaux de la santé le montrent : dans ch’Nord sans doute, comme chez moi, les facteurs de mauvaise santé se cumulent : taux de morbidité, maladies professionnelles, tabac, alcool... C’est cela, la réalité économique et sociale de nos territoires ! Sur quelle planète vit-on pour ne pas la voir ? L’espérance de vie en bonne santé dépend des moyens financiers dont on dispose : en fonction des thunes qu’on a, on ne mange pas la même chose, on n’habite pas au même endroit, on n’a pas le même niveau d’éducation. Et si l’on ajoute à ces paramètres un boulot pénible qui n’est pas aussi épanouissant que celui d’une personne qui a grandi à Neuilly ou chez Rothschild, on conçoit aisément que l’espérance de vie de ces personnes soit moindre. Ce n’est tout de même pas difficile à comprendre !

M. Stéphane Viry. Il eût été opportun, me semble-t-il, de réfléchir, dans le cadre de ce projet de loi, à un régime universel de pénibilité qui prenne en charge tous les Français, quel que soit leur statut, les salariés comme les travailleurs indépendants, plutôt que d’en rester à un dispositif tronçonné qui apporte une réponse métier par métier en fonction de critères dont on sait qu’ils suscitent la controverse.

M. le secrétaire d’État. J’entends ce que vous dites, monsieur Viry. Mais, au fond, c’est bien ce que nous proposons dans ce projet de loi : un régime universel de la pénibilité. En effet, l’accès au compte professionnel de prévention sera ouvert à l’ensemble des actifs, qu’ils soient fonctionnaires, salariés des régimes spéciaux ou du privé. Quant aux travailleurs indépendants, il faudrait qu’ils évaluent eux‑mêmes la pénibilité de leur métier, ce qui complique la situation. Néanmoins, ce projet d’universalité de la pénibilité correspond à l’esprit du texte.

M. Thibault Bazin. Il faut l’objectiver !

La commission rejette successivement les amendements.

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5.   Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 1er à après l’article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8691161_5e3a7a531ef9b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-5-fevrier-2020

Mme Brigitte Bourguignon, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 364 amendements ; il en reste 20 080.

Avant de commencer, je voudrais adresser mes excuses à M. Vallaud car, vérification faite, il avait effectivement voté contre la limitation du temps de parole lors de la réunion du bureau de la commission qui s’est tenue hier.

M. Boris Vallaud. Je vous remercie très sincèrement, madame la présidente.

Article 1er (suite) : Création d’un système universel de retraite par répartition

La commission examine les amendements identiques n° 1832 de Mme Clémentine Autain et n° 1836 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1832 vise à supprimer l’alinéa 10. Celui-ci inscrit la lisibilité parmi les objectifs du système, ce qui est presque amusant tant, en l’espèce, le terme est mensonger. En effet, dans votre système, il y aura autant de régimes que de générations, puisque l’âge d’équilibre est évolutif ; quant à l’universalité, que vous avez beaucoup brandie, c’est également un leurre, puisque des régimes spéciaux seront introduits pour les policiers, les militaires, les personnels navigants, les routiers, les avocats – j’en passe. Vous avez jeté par la fenêtre les régimes spéciaux, tant décriés, mais en réalité ils reviennent. Quant à l’étude d’impact, censée permettre d’y voir clair, son contenu est tel qu’elle rend en fait les choses encore plus illisibles – ainsi, l’âge pivot y est fixé à 65 ans ad vitam aeternam, ce qui ne sera pas le cas. Enfin, le Conseil d’État, dans son avis, évoque les vingt-neuf ordonnances, qui rendent la loi totalement illisible, et met en cause le fait que la valeur d’acquisition du point ne sera pas la même que sa valeur de service. Autrement dit, on connaît la valeur du point au moment où on l’engrange, mais pas celle qu’il aura au moment de le convertir en rente.

Mme Caroline Fiat. Pourquoi vouloir supprimer l’alinéa 10 ? Il vise à instaurer un « objectif de lisibilité des droits constitués par les assurés tout au long de leur vie active ». Nous n’aurions demandé qu’à vous croire, n’était le fait que, depuis plusieurs jours, nous vous posons les mêmes questions et citons des exemples, et n’avons toujours pas reçu de réponses. Quand on prétend à la lisibilité, on donne des réponses. Je prends donc à nouveau l’exemple de Marie – si cela vous agace, il ne tient qu’à vous de me répondre –, infirmière, censée gagner 2 500 euros tout au long de sa vie et partir à la retraite à 66 ans. Vous êtes-vous trompé dans la simulation, monsieur le secrétaire d’État ? Si c’est le cas, dites-le. Aucune infirmière ne touche cela – mais peut-être Mme la ministre de la solidarité et de la santé va-t-elle les augmenter ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le fait de fixer des objectifs au système de retraite, notamment celui d’être lisible, fait partie de nos ambitions. Peut-être ces objectifs ne seront-ils pas à la hauteur de ce que certains espèrent. Toujours est-il que cela permettra à d’autres, par la suite, d’essayer d’améliorer le système. En attendant, et puisqu’il était question d’une infirmière, il est nécessaire de faire un certain nombre de piqûres de rappel.

Actuellement, dans le public, le salaire de référence retenu pour le calcul est celui des six derniers mois et, dans le privé, ce sont les vingt-cinq meilleures années qui sont retenues. Les majorations de durée d’assurance peuvent atteindre huit trimestres dans le privé, contre deux trimestres dans le public. Le chômage n’est pas toujours pris en compte de la même façon dans le calcul des durées d’activité. Tout cela, même pour des experts, peut être difficile à interpréter ; pour l’essentiel de nos concitoyens, c’est complètement opaque. Ils n’y comprennent rien, et font parfois de mauvais choix au moment de partir à la retraite, par exemple parce qu’ils croient avoir tous leurs trimestres alors que ce n’est pas le cas, ou encore parce qu’ils se trompent sur le salaire de référence. Il existe à cet égard, chez nos concitoyens, une méconnaissance et une incompréhension profondes. Nous voulons gagner en lisibilité par un système à points accordant des droits aussi similaires que possible – je ne dirai pas universels – aux uns et aux autres s’agissant du mode d’attribution et de liquidation. Je suis donc absolument défavorable à ces amendements.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup critiqué l’état actuel des choses, du point de vue de la lisibilité, mais vous n’avez pas beaucoup défendu le système que vous proposez. Or je considère pour ma part qu’il n’apportera pas de lisibilité supplémentaire. Par ailleurs, les quelques anomalies que vous avez citées, notamment le nombre différent de trimestres obtenus dans le privé et dans le public au titre de la majoration de durée d’assurance – respectivement huit et deux –, peuvent tout à fait être corrigées : dès aujourd’hui, si vous le voulez, vous pouvez prendre des dispositions pour mettre les choses d’équerre. Il faudrait que nous réussissions à avoir un débat dans lequel, au bout du compte, nous sachions de quoi nous parlons. Or les éléments que vous apportez n’ont pas trait, en définitive, à la modification fondamentale du système que vous proposez : ce ne sont que des éléments pouvant faire l’objet de corrections.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je suis un peu gêné par votre réponse s’agissant du cas très particulier des infirmiers et infirmières. Vous avez évoqué les salariés du privé et les fonctionnaires, mais vous n’avez pas parlé des infirmiers libéraux, catégorie qui n’est pourtant pas négligeable, et qui s’inquiète beaucoup. Ils dépendent actuellement de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO). On voit bien, à en juger d’après les simulations, qu’ils sont fortement perdants. Dans le cadre du groupe d’études sur les professions paramédicales, nous avons rencontré un certain nombre de leurs représentants, que le nouveau système inquiétait beaucoup. Pourriez-vous nous rassurer ? Il ne faut pas oublier les infirmiers et infirmières libéraux, qui jouent un rôle essentiel dans le maillage territorial : ils assurent, dans nos territoires, la santé de proximité dont nous avons tant besoin.

Mme Clémentine Autain. J’insiste sur l’illisibilité du système : au moment où vous engrangez des points, vous ne savez pas quelle sera leur valeur quand vous partirez à la retraite, et il est impossible de le savoir puisque l’âge d’équilibre va être régulièrement modifié. Autrement dit, ni la valeur du point ni les surcotes et les décotes ne peuvent être anticipées par les salariés. On n’accroît donc pas la lisibilité ; au contraire, on rend la confusion beaucoup plus grande. Il y a aussi le problème de la transition dont nous n’avons pas encore parlé ce matin. Vous avez séparé les générations – le régime ne sera pas le même selon que vous serez né avant ou après 1975 –, sans que l’on sache précisément à quelle sauce les uns et les autres vont être mangés ; cela aussi, c’est totalement illisible. Je ne parle même pas des vingt-neuf ordonnances, qui portent sur des éléments structurants de la réforme.

M. Jean-Paul Mattei. Je suis un peu étonné que l’on veuille supprimer l’alinéa 10, parce que c’est une des mesures les plus intéressantes, qui va effectivement permettre à chaque futur retraité de savoir où il en est. Je rappelle que le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) a été beaucoup critiqué lui aussi. Or cela marche bien : on a une bonne visibilité sur le prélèvement, effectué en fonction d’un taux. L’alinéa 10 est une mesure de bon sens, qui donnera de la visibilité. Je pense donc que c’est un très bon alinéa, qu’il faut absolument maintenir.

M. Boris Vallaud. Je voudrais d’abord rappeler que le Conseil d’État lui‑même, dans son avis, a considéré que votre futur système était moins lisible que le système actuel – c’est écrit tel quel. Mais libre à vous de considérer le contraire. Ensuite, une chose me trouble à propos des cas types – même si nous les contestons car nous considérons qu’ils sont tronqués et même, pour tout dire, truqués : comment êtes-vous en mesure de faire des simulations sans connaître le contenu des ordonnances ? En effet, la réalisation d’un certain nombre des simulations figurant dans l’étude d’impact suppose que les ordonnances soient déjà écrites. Si tel est le cas, pourquoi ne les avons-nous pas ?

Il était question des infirmiers. Nous avons besoin de comprendre la cohérence de ce que vous faites : d’un côté, vous avez exclu le métier d’infirmier de la catégorie active – ce qui a supprimé pour ceux qui l’exercent la possibilité de s’arrêter plus tôt –, et dégradé leurs droits à la retraite, quand, de l’autre, vous avez maintenu les droits des aiguilleurs du ciel. Nous nous retrouvons donc dans la situation où les aiguilleurs du ciel pourront partir à la retraite avant les infirmiers.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je voudrais commencer par vous rassurer, monsieur Bazin, s’il en était besoin : nous avons travaillé très en amont sur la question avec toutes les professions libérales, y compris les infirmiers et infirmières libéraux, en l’occurrence avec les syndicats représentatifs – à commencer par la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Cette organisation, tout en étant extrêmement vigilante quant aux effets de la réforme – je vous le dis en toute transparence –, a bien compris les impacts positifs qu’elle aurait dans le temps, notamment sur le niveau des pensions. Elle a également été rassurée par les mesures qui ont été proposées, et que vous retrouverez dans le texte, en particulier les évolutions de l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG). Chaque fois que nous nous exprimons, nous devons être clairs.

De fait, vous avez raison de pointer le fait qu’il existe des différences. D’ailleurs, en vous écoutant, monsieur le député, je me disais que, pour les infirmiers et infirmières, l’utilité de la réforme est particulièrement évidente : c’est précisément parce que, dans cette profession, il y a des temps de vie différents – on peut exercer à un moment donné dans le secteur privé, puis dans le secteur public, puis en libéral ; peu importe dans quel ordre, naturellement – que le système universel de retraite est intéressant. Actuellement, selon le cadre où ils exercent, les cotisations se font auprès de caisses différentes, avec des règles de liquidation différentes, ce qui n’existera plus à l’avenir. Le système universel de retraite procurera une véritable simplification, une lisibilité de la pension pour les personnes ayant exercé en libéral, dans le privé, dans le public ou ayant alterné entre ces modes d’exercice.

S’agissant des infirmiers et infirmières, je rappelle encore que la suppression de la catégorie active a été prise en 2010. Il n’y a donc pas, dans ce texte, d’éléments nouveaux. Comme vous le savez, Mme la ministre des solidarités et de la santé mène des concertations avec les représentants des infirmiers et infirmières exerçant dans la fonction publique, de la même façon que le fait Olivier Dussopt pour la fonction publique dans son ensemble. Enfin, sur la prise en compte universelle de la pénibilité, c’est-à-dire aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, ce projet de loi apporte un élément de réponse. Le Gouvernement a veillé en effet à proposer une baisse du seuil des critères de pénibilité, parmi lesquels figurent les rythmes de travail, ce qui fait que les infirmiers et les aides-soignants sont évidemment concernés. Nous ferons en sorte d’intégrer cette dimension au moment de la personnalisation de l’âge d’équilibre, pour tenir compte de la réalité de leur métier.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement n° 22454 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 22454 est un peu caustique ; nous l’avons déposé pour vous aider à préciser vos intentions. Il s’agit d’inscrire dans le texte un « objectif d’individualisation des droits aux dépens des mécanismes de solidarité » qui gouvernent notre système de retraite, car c’est bien ce qui se passerait si le projet de loi devait être adopté. Naturellement, nous ne partageons pas cet objectif. Nous vous présenterons par la suite un certain nombre de propositions correspondant davantage aux objectifs que nous souhaiterions assigner au système de retraite. L’objectif de lisibilité est au cœur de l’alinéa 10, mais vous ne faites pas la démonstration que votre système est plus lisible que le système actuel, car vous vous trouvez dans l’incapacité de répondre aux cas concrets et précis qui vous ont été soumis depuis le début de nos discussions. Tout cela est assez troublant et va nourrir les questionnements qui sont sans doute déjà ceux du Conseil constitutionnel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour cet alinéa comme pour les précédents, je resterai fidèle à mon argumentaire : nous nous donnons ici des objectifs, et nous aimerions discuter avec vous des outils permettant de les mettre en œuvre, qui sont détaillés plus loin dans le texte. Peut-être faut-il effectivement les améliorer mais, à ce stade, vous devriez nous savoir gré de fixer un objectif que nous pourrions à peu près tous partager, à savoir la lisibilité.

Vous parlez d’une individualisation des droits. Comment la réforme pourrait-elle favoriser l’individualisation des droits, dès lors que, au contraire, nous mutualisons le système ? Nous proposons en effet que l’architecture de l’ensemble du réseau repose sur une caisse de retraite unique, la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) ; nous travaillons à établir autant de règles communes que possible – et, en tout état de cause, il y en aura beaucoup plus qu’à l’heure actuelle ; nous mutualisons les ressources et homogénéisons les droits à retraite. Autrement dit, nous progressons sur le chemin de l’égalité. Il me paraît donc dommage qu’un parti de gauche comme celui auquel vous appartenez, qui a une longue tradition de luttes sociales pour plus d’égalité, défende un amendement tel que celui-ci.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. La question de la lisibilité est vraiment centrale, et l’opposition – j’insiste sur ce fait – n’est pas la seule à le dire. Je viens de relire l’avis du Conseil d’État. Cinq régimes différents, un traitement différencié selon que les assurés seront nés avant ou après 1975, des mécanismes de transition peu perceptibles : tout cela, estime-t-il, est inintelligible. Autrement dit, le Conseil d’État est encore plus sévère que nous ! C’est évidemment un problème pour vous. La constitutionnalité du texte est d’ailleurs en cause, puisqu’il est impératif que le Parlement, lorsqu’il acte un projet de loi, ait une lisibilité s’agissant de ses conséquences financières et normatives. Or, je le répète, votre texte est inintelligible. Ce ne sont pas les communistes, les socialistes ou les insoumis qui vous le disent : c’est la plus haute juridiction de notre pays.

Mme Clémentine Autain. Excusez-moi de vous le dire, monsieur Turquois, mais la remarque que vous venez de faire est un peu perverse. Vous nous dites que le projet de loi fixe un certain nombre d’objectifs au système de retraite, parmi lesquels ceux d’être lisible et solidaire et de garantir un niveau de vie satisfaisant pour les retraités, et vous nous reprochez de ne pas voter en leur faveur. Or nous ne saurions adopter des objectifs qui ne correspondent pas à la réalité du texte. En effet, celui-ci aura pour conséquence que les personnes qui souhaitent savoir ce qu’elles toucheront une fois à la retraite ne le pourront pas. À cet égard, l’étude d’impact est même mensongère : une infirmière est censée toucher 2 500 euros, ce qui, manifestement, ne correspond pas à la réalité. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous ne répondez pas sur ce sujet – comme sur bien d’autres encore. Il y a donc un véritable problème de visibilité ; les Français ne peuvent pas avoir confiance dans votre nouveau système, car celui-ci, excusez-moi de vous le dire, est totalement illisible, point à la ligne.

M. Régis Juanico. Vous parlez de lisibilité, mais vous plongez les Français dans un brouillard épais, un brouillard londonien : ceux de nos concitoyens qui suivent nos débats depuis deux jours, et qui constatent qu’aucune réponse précise n’est apportée à nos questions sur les conditions de départ à la retraite sont-ils plus éclairés ? Non. Vous êtes en train de fabriquer une véritable usine à gaz et, qui plus est, le système sera extrêmement anxiogène. À cela s’ajoute la question de l’âge d’équilibre : celui-ci sera évolutif, ce qui sera également très anxiogène par rapport au système actuel. Le Conseil d’État n’a pas seulement dénoncé dans son avis le manque de visibilité d’ensemble et les projections financières lacunaires : il a aussi dit très précisément que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point ».

Mme Catherine Fabre. C’est quand même incroyable : vous vous offusquez que nous gardions cinq régimes, alors que, dans le système actuel, il y en a quarante-deux. Qui plus est, disons-le honnêtement, aucun de nos concitoyens ne comprend à quoi il a droit et comment il a réussi à se créer des droits à retraite. En moyenne, chaque Français dépend de trois régimes différents. L’avantage principal du système à points est justement la lisibilité. C’est ce que disent ceux qui l’ont conçu, ceux qui l’ont soutenu – que ce soient Antoine Bozio, Thomas Piketty ou la CFDT –, mais aussi l’ensemble des personnes, chez Les Républicains, qui s’y sont intéressées. Je crois vraiment que, dans votre position, il entre beaucoup de posture politicienne.

M. Thibault Bazin. Je ne peux que m’inscrire en faux par rapport à vos propos, madame Fabre : on ne peut pas dire que tous les régimes actuels sont illisibles. Dans un certain nombre d’entre eux, les règles sont claires, il y a de la visibilité, et les assurés savent combien ils toucheront à la retraite. Il était important de le rappeler.

Je voudrais souligner un problème de fond : alors que, dans les régimes à points existants, on sait quelle sera l’évolution du point, dans votre système, on ne sait pas quelle sera la valeur de service par rapport à la valeur d’acquisition. Vous allez donc devoir prendre des engagements fermes et de nature à nous rassurer.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Monsieur Bazin, vous prétendez que le système actuel est lisible et que nos concitoyennes et concitoyens s’y retrouvent. Ce n’est pas vrai : ils sont perdus. C’est ce que nous a dit, parmi d’autres, le président du Conseil supérieur des retraites (CSR) durant son audition. Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a même pointé, il y a quelques mois, le fait que 24 % de nos concitoyens ne liquident pas l’intégralité de leur retraite – 7 % n’en liquident même aucune. Il y a donc un véritable problème d’accès aux droits. Or cette situation est liée au fait que, dans le système actuel, les pensions de retraite sont effectivement, en moyenne, versées par trois caisses différentes : nous sommes généralement polypensionnés. Le système universel viendra réparer ce qui constitue une injustice profonde.

M. Thierry Benoit. Je voulais réagir aux propos de notre collègue Thibault Bazin, que j’apprécie et dont les observations sont souvent pertinentes. On peut tout reprocher au système par points, sauf de ne pas être lisible. Personnellement, en tant que député centriste, je soutiens l’instauration d’un régime universel de retraite par points depuis au moins trois législatures et trois élections présidentielles, notamment celle de 2007, à travers la candidature de François Bayrou. Ce qui est certain, c’est que, pour ce qui est de la lisibilité, rien ne peut être pire que le système de retraite actuel. On peut avoir une vague idée, deux à trois avant de partir, de la pension qu’on touchera, mais il est faux de dire que la situation est claire car, selon qu’on est indépendant, commerçant, ouvrier ou agent de la fonction publique, le système est totalement différent. Il n’y a donc aucune lisibilité et rien, je le répète, ne sera pire, de ce point de vue, que la situation actuelle.

M. le secrétaire d’État. Je voudrais répondre à M. Bazin en m’appuyant sur ce qui vient d’être dit par M. Benoit. Puisque la situation des infirmières semble vous intéresser beaucoup – ce qui est aussi mon cas, d’ailleurs –, je reprendrai le même exemple que tout à l’heure. Quand une infirmière part à la retraite après avoir travaillé quinze ans l’hôpital, quinze ans dans une clinique privée et douze ans dans telle ou telle entreprise et dans un autre service de santé, soit quarante-deux ans de carrière, combien va-t-elle toucher dans le cadre des quatre régimes différents au sein desquels elle a cotisé ? Ne voyez là aucune taquinerie de ma part, monsieur Bazin, car je n’ai pas l’intention de répondre à votre question par une autre question. Disons-le franchement, les choses sont exactement telles que M. Benoit vient de les décrire, c’est-à-dire illisibles. Or, s’il n’est pas possible de donner une réponse simple à la question que je viens de poser, c’est précisément parce que les parcours professionnels ressemblent souvent à ce que je viens de décrire. Nous pourrions à la rigueur vous rejoindre, monsieur Bazin, s’agissant de parcours simples, comme celui que j’ai eu la chance d’avoir, c’est-à-dire ceux de personnes qui entrent dans une entreprise à l’âge de 22 ans et qui en sortent à 62 ou à 63 ans après y avoir fait la totalité de leur carrière, mais cela ne correspond plus, en cette première moitié du XXIe siècle, à la réalité de ce que vivent la plupart des gens – et ce sera encore plus vrai à l’avenir.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21270 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Chacun a bien compris que ce projet de loi était censé rendre le système de retraite plus clair, plus juste et plus solide, mais qu’en réalité celui-ci sera plus opaque, plus injuste et plus fragile. S’agissant de la lisibilité, je pense notamment aux générations d’assurés nés entre 1975 et 2003 : ils relèveront de plusieurs systèmes, voire de plusieurs régimes, et si, de surcroît, certains de ces régimes font l’objet de dispositifs transitoires de convergence, la reconstitution des droits sera pour le moins rock’n’roll. Ils seront tout bonnement dans l’incapacité de vérifier leurs droits. Nous pensons donc que la lisibilité que vous mettez en avant dans vos discours et dans votre communication est tout à fait fallacieuse. L’objet de cet amendement est de faire en sorte que la lisibilité des droits soit effective pour les assurés nés à compter du 1er janvier 2004.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je pense que nous gagnerons en lisibilité quand nous travaillerons sur les outils plutôt que d’en rester aux principes. Si nous adoptions votre amendement, l’alinéa 10 serait rédigé de la façon suivante : « Un objectif de lisibilité des droits constitués par les assurés nés à partir du 1er janvier 2004 ». Autrement dit, ceux qui sont nés entre 1975 et 2003 seraient concernés par la réforme mais l’objectif de lisibilité ne vaudrait pas pour eux. Du simple point de vue de la cohérence, ce que vous proposez n’a pas beaucoup de sens. Cela participe du flou que vous voulez entretenir : au lieu de travailler sur les outils déclinés dans les articles suivants, on en reste aux principes généraux.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Mon collègue Régis Juanico n’a pas eu le temps de finir de vous lire l’avis du Conseil d’État. Celui-ci estime que le nouveau système « retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système ». C’est bien là tout le problème, et c’est le cœur même de votre démarche ; il serait compliqué de dénier cette réalité. Par ailleurs, mon collègue Hervé Saulignac l’a dit : les modalités des périodes de transition sont tellement obscures que vous n’avez pas même été capables de les expliquer dans le projet de loi. C’est dire la confusion qui présidera, pour un certain nombre de pensionnés, à la mise en œuvre de votre réforme pendant la période de transition.

Mme Clémentine Autain. Notre collègue de La République en Marche, Mme Fabre, a énuméré des économistes censés soutenir le projet de loi, mais c’était avant d’en connaître la teneur. Antoine Bozio, par exemple, a publié aujourd’hui dans Le Monde une tribune dans laquelle, précisément, il met en cause les impasses et les incertitudes du texte : « cette étude d’impact, qui devait apporter clarté et transparence, ne va malheureusement pas donner tous les éléments pour permettre un débat serein ». Quant à Thomas Piketty, voici ce qu’il a écrit récemment : « L’absence d’une analyse détaillée des effets redistributifs interroge et alimente le soupçon de dissimulation des effets réels de la réforme proposée. » Vous pratiquez donc de façon récurrente la manipulation et le mensonge, même au sein de cette commission, et vous ne répondez pas aux questions que nous vous posons, y compris lorsqu’elles sont fondées sur l’analyse du Conseil d’État.

M. Stéphane Viry. La question de la lisibilité est effectivement centrale et essentielle, d’autant qu’elle a été utilisée – et peut-être même un peu galvaudée – par la majorité pour vendre ce projet de réforme. J’en profite pour dire que mon collègue Thibault Bazin ne méritait pas l’opprobre dont vous l’avez couvert pour les observations qu’il a faites. Le système actuel n’est peut-être pas parfait, mais toutes les caisses ont mis en place des outils permettant de donner des informations aux ayants droit. Que les Français soient inquiets, qu’ils aient le sentiment que le système est opaque, soit, mais il est tout à fait excessif, et même un peu trop facile, pour tout dire, de fonder tout entier la réforme sur l’idée selon laquelle, à l’heure actuelle, le mécanisme serait illisible. Je m’inscris en faux par rapport à cette démarche.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement n° 21917 de M. Emmanuel Maquet.

M. Emmanuel Maquet. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »), le Gouvernement voyait dans l’épargne retraite « un élément massif de la simplification [...] pour transformer la vie des salariés et leur permettre d’être mieux rémunérés au travail ». Ceux qui partagent ce constat ne pourront qu’être déçus de voir que la question est absente du présent projet de loi. Au vu de l’importance de l’épargne retraite pour la modernisation de notre économie – sans oublier qu’elle représente un complément de pouvoir d’achat pour nos concitoyens –, je propose de l’inscrire en tant qu’objectif à part entière de la réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’alinéa que vous proposez de créer à travers cet amendement est en phase avec certaines des valeurs régulièrement défendues par votre groupe, qui consistent à favoriser la capitalisation. Avec le mécanisme que nous créons, 99 % des actifs et 96 % des revenus seront concernés, car ils se situent en dessous de la limite fixée, à savoir trois fois le PASS. Nous voulons résolument consolider le mécanisme par répartition, qui nous semble beaucoup plus stable que la capitalisation. Celle‑ci, en effet, repose sur des outils boursiers qui peuvent certes se révéler intéressants, mais ne donnent aucun gage de sécurité. Enfin, un objectif d’indépendance des assurés nous semble contradictoire avec l’objectif de solidarité que nous devons avoir les uns envers les autres. Avis défavorable.

M. Jacques Maire. Voilà des décennies que les produits d’épargne retraite existent, et ils ont été encadrés fiscalement par les gouvernements successifs. Ces dispositifs ne sont donc pas du tout source de conflit entre nous. En revanche, le fait d’inscrire dans le texte un objectif d’indépendance des assurés, alors même que ces derniers sont, pour une bonne part, complètement dépendants du régime de répartition, ne correspond pas au message que nous souhaitons envoyer, car cela va à l’encontre du principe même d’une sécurité universelle pour les assurés. Certains assurés peuvent effectivement poursuivre l’objectif de s’assurer un complément de revenu, mais cela ne concerne que quelques-uns d’entre eux.

M. Emmanuel Maquet. À travers cet amendement, je voulais simplement faire en sorte qu’il y ait une cohérence entre ce texte et la loi « PACTE », laquelle prévoit des outils de ce type. Au demeurant, je le disais, l’épargne salariale est destinée à soutenir le pouvoir d’achat. Je vous invite donc à veiller à la cohérence des différents textes que vous nous proposez.

M. Sébastien Jumel. Vous devriez rassurer notre collègue Emmanuel Maquet, car il a raison : la loi « PACTE » constitue l’amorce de la capitalisation. De ce point de vue, votre projet est cohérent. La baisse de la rémunération du livret A envoie elle aussi aux Français le signal qu’il faut se porter vers la capitalisation et l’individualisation de leurs retraites. Ce qui est bien, avec la droite, c’est qu’elle décrypte l’idéologie du projet, et qu’elle vous propose d’aller au bout de votre logique libérale. Rassurez donc notre collègue Emmanuel Maquet ; quant à nous, nous allons évidemment nous opposer à l’amendement qu’il vient de défendre.

La commission rejette l’amendement.

Elle en arrive l’amendement n° 12941 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 12941 vise à vous permettre d’inscrire véritablement un élément de visibilité dans le projet, en l’occurrence un « objectif de parité du niveau de vie entre les retraités et les actifs ». Cela renvoie à la question du salaire continué, telle que je l’ai exposée hier. Vous avez évacué par la fenêtre la notion de taux de remplacement ; nous voulons, pour notre part, la faire rentrer par la grande porte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Dharréville, votre amendement, tel que je l’ai compris, ne correspond pas à ce que vous venez d’expliquer. J’ai l’impression, en effet, que vous nous avez parlé de la continuité du niveau de vie, pour une personne, entre l’activité et la retraite. Or, tel que je comprends votre amendement, celui-ci vise à fixer l’objectif d’une parité entre les retraités et les actifs. Actuellement, en moyenne, le revenu des retraités est supérieur de 6 % à celui de l’ensemble de la population. Fixer un objectif de parité entre les retraités et les actifs, cela veut-il dire qu’il faut baisser le niveau moyen des retraites ? Je ne pense pas que telle soit exactement votre intention. J’en profite toutefois pour rappeler que les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) – dont j’ai l’impression, à écouter les uns et les autres, qu’elles sont communément acceptées – indiquent que, faute de réforme, le niveau de vie des retraités connaîtra un décrochage, ce à quoi nous souhaitons précisément remédier.

Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Certaines projections reposent en réalité sur les effets négatifs des lois qui ont été adoptées, notamment depuis 1993. Il ne vous aura pas échappé que le fait d’indexer les retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires paupérise les retraités. Par ailleurs, il vaut mieux parler de « niveau de vie » que de « revenu ». Le niveau de vie moyen des retraités, en l’occurrence, est effectivement supérieur de 5,3 % à celui des actifs, mais la différence est quand même très faible si l’on considère que ces personnes ont travaillé toute leur vie. Elles méritent évidemment de vivre de façon décente. Or nous nous dirigeons vers une paupérisation des retraités, et il est clair que votre réforme, loin de corriger les méfaits des contre-réformes précédentes, ne fera qu’aggraver la situation. Pourrions-nous avoir votre avis en ce qui concerne l’indexation sur l’inflation plutôt que sur les salaires ?

M. Sacha Houlié. Plusieurs choses intéressantes viennent d’être dites, à commencer par celle-ci : si on ne fait rien, effectivement, le niveau de la pension des retraités actuels et futurs va se dégrader. Voilà qui, en soi, justifie le projet de loi que nous défendons. Celui-ci prévoit l’indexation des pensions sur l’évolution des salaires et non sur l’inflation, ce qui permettra de faire en sorte que les pensions augmentent plus vite qu’elles ne le faisaient jusqu’à présent. Je proposais même, pour ma part, de considérer le niveau de l’inflation comme un plancher si l’indexation sur les salaires n’était pas suffisante. Par ailleurs, grâce à la réforme, les pensions les plus faibles, celles des personnes ayant les parcours les plus heurtés, les plus décousus, et qui ouvrent donc moins de droits à retraite, vont augmenter, comme l’indique l’étude d’impact, que vous critiquez tant. De ce fait, le caractère redistributif du système va augmenter de façon manifeste.

M. Boris Vallaud. Le COR dit effectivement, nul n’en disconvient, que, faute de réforme, le taux de remplacement va diminuer, et que le niveau de vie des pensionnés va décrocher par rapport à celui des actifs. Le phénomène se mesure très simplement : il suffit de faire le rapport entre la part de produit intérieur brut (PIB) consacrée aux retraites et le nombre de retraités. Mais votre réforme ne change absolument rien à cet équilibre, et nous allons retrouver l’écart qu’il y avait dans les années 1980. Autrement dit, et nous devrions tous nous en inquiéter, les effets de quarante années d’alignement du niveau de vie entre les actifs et les pensionnés vont se trouver gommés.

M. Pierre Dharréville. Je partage naturellement ce qui vient d’être dit par Boris Vallaud. Les députés communistes pensent qu’il faut une réforme. D’ailleurs, nous en proposons une. Dès novembre 2018, pour ce qui me concerne, j’avais déposé une proposition de loi sur le sujet pour garantir le pouvoir d’achat des retraités, et nous en avons déposé une nouvelle, beaucoup plus complète, il y a quelques jours. Nous sommes donc tout à fait convaincus de la nécessité d’une réforme des retraites. Là où il y a une entourloupe, c’est que vous nous expliquez qu’il faut une réforme et que celle que vous proposez permet de régler les problèmes. Or tel n’est pas le cas ; nous pensons même qu’elle va aggraver la situation. M. Houlié a parlé d’indexer les pensions sur les salaires, mais ce n’est pas ce qui figure dans votre proposition : je vous invite à relire le texte.

La commission rejette l’amendement.

La commission en vient à l’amendement n° 541 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Pierre Dharréville complétera mes propos si besoin. Au cours de nos auditions, quasi unanimement, les organisations syndicales ont déploré que le nouveau mode de gouvernance affaiblisse leur participation, et donc celle des travailleurs, à la définition des objectifs du système. Lors de l’audition du COR la semaine dernière – que vous avez condamné à disparaître, tout en lui rendant hommage, c’était surréaliste –, son président fait le même constat. Vous allez rayer de la carte cet organisme qui associait de manière ouverte et paritaire les partenaires sociaux au diagnostic de long terme et à la stratégie.

Vous leur demandez de se mettre d’accord sur la gouvernance, sans créer les conditions de cet accord. Cela permettra ensuite à l’exécutif et au Président de la République – et non au Parlement, affaibli – de reprendre la main. Notre amendement vise à remettre le paritarisme et la participation des travailleurs au cœur du système de gouvernance des retraites.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rassurez-vous, monsieur Jumel, au titre IV qui concerne la gouvernance de la CNRU, vous constaterez que son conseil d’administration est entièrement confié aux partenaires sociaux, salariés et employeurs, comme c’est l’usage.

Vous avez évoqué la question de l’indexation des pensions : soyons clairs, la valeur d’acquisition et la valeur de service du point seront indexées à terme sur les salaires. Une fois liquidée, la pension sera, elle, indexée sur l’inflation, sauf décision contraire de la CNRU.

Quelle que soit la période d’activité, il faut que les points soient équivalents. Ainsi, un SMIC perçu en 2025 ou en 2050 doit représenter la même proportion de points. Mais la pension constitue un pouvoir d’achat. Or ce dernier est affecté par l’inflation. La pension sera donc réévaluée chaque année suivant l’inflation.

Mme Clémentine Autain. Je vais rafraîchir la mémoire de nos collègues sur toutes ces lois qui ont dégradé la situation des retraités. En 1993, Édouard Balladur décide d’indexer les pensions sur l’inflation, et non plus sur l’évolution des salaires, ce qui pénalise les retraités. À la même époque, cent soixante trimestres, contre cent cinquante auparavant, deviennent nécessaires pour bénéficier d’une pension à taux plein. Enfin, la pension est désormais calculée sur les vingt-cinq meilleures années, au lieu de dix.

En 1996, la « loi Juppé » met fin de la démocratie sociale. En 2003, la réforme Fillon allonge la durée de cotisation, qui passe à cent soixante-quatre trimestres. En 2008, Xavier Bertrand nivelle par le bas et aligne les régimes spéciaux sur le privé.

En 2010, M. Woerth allonge à nouveau la durée – à cent soixante-six trimestres –, recule l’âge minimal de départ en retraite à 62 ans et l’âge légal à 67 ans. En 2014, un nouvel allongement de la durée de cotisation est décidé.

Et nous voilà en 2019, avec la situation que l’on connaît et votre régime à points qui va encore détériorer la situation !

M. Boris Vallaud. Il faut être précis, monsieur le rapporteur : vous parlez des modalités d’indexation, mais aucune règle d’or ne vient garantir l’indexation que vous décrivez. Jusqu’en 2045, l’indexation du point sera ajustée, entre l’inflation et l’augmentation des salaires. La valeur de 0,55 euro du point peut donc s’éroder. Après 2045, le conseil d’administration de la CNRU pourra également déroger au principe pour respecter l’équilibre financier du système. Nous ne pouvons donc pas prendre l’engagement devant les Français d’une garantie ad vitam aeternam ! En outre, même lorsque l’indexation sur l’inflation est inscrite dans le code de la sécurité sociale, comme c’est le cas aujourd’hui, vous y dérogez, comme depuis deux ans et demi...

M. Sébastien Jumel. L’article 56 réduit les pouvoirs du conseil d’administration : un comité d’experts non paritaire – le comité d’expertise des retraites – pilotera le système, le rôle du conseil d’administration se limitant à proposer des paramètres. In fine, le Gouvernement prendra la décision, sur avis des « experts ».

La hiérarchie et les règles de pilotage sont également très originales, voire étonnantes d’un point de vue économique, puisque l’équilibre de court terme
– annuel – prévaudra sur l’équilibre pluriannuel.

Pour résumer, la délibération sera actée en conseil d’administration. Elle devra ensuite être validée par décret, après avis du comité d’expertise. Si aucun accord n’est trouvé sur la règle d’or, le Gouvernement décidera seul. C’est ce que vous appelez une gouvernance partagée à laquelle les travailleurs participent ! Vous souriez à mes explications ; c’est dire si vous y croyez !

M. Éric Girardin. Madame Autain, pourquoi a-t-on connu une succession de réformes depuis une vingtaine d’années ? Tout simplement pour conforter le système actuel de retraite. Sur quoi repose-t-il ? Un bilan actifs-retraités favorable et une performance économique régulière. À partir du moment où l’une des deux conditions n’est pas remplie, il faut réformer le système. Je vous rappelle que les réformes sont toutes intervenues après la mise en place de la retraite à 60 ans en 1980, puisqu’elle a modifié l’équilibre actifs-retraités.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le rapporteur, vous nous renvoyez au titre IV pour débattre de la gouvernance et vous affirmez qu’elle est entièrement confiée aux partenaires sociaux. Mais ce ne sont pas les termes du projet de loi ! L’article 56 dispose que la CNRU est un établissement public national à caractère administratif et qu’elle est soumise au contrôle de l’État. Où sont les partenaires sociaux ? Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

M. le secrétaire d’État. Monsieur Vallaud, vous avez dénoncé ces politiques qui, parfois, sont amenées à minorer la pension de nos aînés. Par curiosité, j’ai recherché les mesures prises entre 2013 et 2016, par une majorité dont vous étiez proche. En 2013, la revalorisation a été de 1,3 %. En 2014, le gouvernement de l’époque a décidé de décaler la revalorisation d’avril à octobre, soit six mois supplémentaires sans réévaluation. En octobre, cette dernière a été forfaitaire, de 40 euros. Au 1er octobre 2015, la revalorisation a été de 0,1 % et, en 2016, de 0 %. Certes, l’inflation était quasi nulle, mais vous auriez pu faire un geste, si j’en crois votre volonté actuelle.

M. Boris Vallaud. Je n’étais pas parlementaire !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle passe à l’amendement n° 539 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Lors de la création de la sécurité sociale, l’un des enjeux fondamentaux était de savoir qui allait en exercer le contrôle et en assurer la gestion. C’était l’une des batailles d’Ambroise Croizat, et de quelques autres : faire en sorte que les travailleurs eux-mêmes soient les gestionnaires. Petit à petit, le rôle des organisations syndicales et des représentants de salariés a nettement reculé. Vous êtes en train de franchir une nouvelle étape, d’où notre précédent amendement.

Le présent amendement vise à afficher un objectif de réduction du travail prescrit, afin de garantir un vrai temps de retraite, libéré de ce travail prescrit. Le travail ne s’arrête pas pour autant : il en existe beaucoup d’autres formes et toutes ne sont pas reconnues ou sanctionnées par un contrat de travail.

Le contrat de travail a constitué un progrès par rapport au travail journalier – je vous renvoie à Uber, par exemple, même si l’on constate un retour en arrière. Mais, à l’âge de la retraite, les femmes et les hommes qui le souhaitent doivent pouvoir en être libéré, tout en continuant à exercer d’autres formes de travail profitables à la société, dans d’autres domaines ou d’autres secteurs. Nous souhaitons en conséquence que la retraite soit une forme de salaire continué.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’entends vos arguments, monsieur Dharréville. J’entends également votre plaidoyer pour le travail social, d’implication dans les associations, au moment de la retraite. Mais il serait souhaitable de ne pas le limiter à cette période de la vie.

Pour ma part, j’estime qu’il est dommage d’assimiler le travail à une contrainte car on peut s’y épanouir, s’intégrer socialement et faire œuvre de citoyenneté en travaillant. Le travail permet la production de richesses. Il permet à nos enfants d’aller à l’école. Il nous permet de financer un service public de qualité et des conditions de départ en retraite, peut‑être plus progressives, peut-être aménagées, mais de qualité.

La mission du Gouvernement, comme celle des suivants, est d’améliorer les conditions de travail les plus pénibles. Nous souhaitons en tenir davantage compte dans le projet de loi. Mais je refuse l’idée que le travail n’est qu’une forme de sanction.

M. Boris Vallaud. Je suis ravi de voir que le secrétaire d’État est capable de précision. Je note qu’il est plus habile à rechercher les responsabilités passées qu’à assumer les siennes et à répondre aux interrogations sur son projet de loi. Mais je conçois que ce soit plus difficile...

Merci, monsieur le secrétaire d’État, quand nous vous poserons des questions, d’avoir le souci d’y répondre avec autant de diligence.

M. Jean-Paul Mattei. Je reviens sur la gouvernance. Notre discussion est intéressante car nous abordons le fond du projet de loi, ce qui nous permettra peut-être de gagner du temps dans la suite de l’examen du texte. Le paritarisme au sein du conseil d’administration de la CNRU, au centre du dispositif, sera régi par le nouvel article L. 199-3 du code de la sécurité sociale. Lisez le texte : je ne vois pas en quoi ce n’est pas paritaire !

M. François Ruffin. La planète et les hommes ont besoin de repos. Quel est le sens du combat ouvrier depuis le XIXe siècle ? Il vise à libérer du travail : les enfants d’abord ; avec le dimanche chômé ensuite – que votre majorité remet en cause ; avec le principe des trois fois huit – 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs ; avec le samedi à l’anglaise, puis les congés payés et enfin les retraites.

Or votre réforme vise à allonger la durée de travail et à réduire encore davantage le temps de la retraite. Vous revenez sur un conquis social et ne prenez pas en compte l’écologie : au burn out des hommes répond celui de la planète. En conséquence, je le répète, la planète et les hommes ont besoin de repos ! Travailler moins, consommer moins devrait faire partie des objectifs de votre réforme. Sinon, quel sens a-t-elle ? Nous ne l’avons toujours pas compris alors qu’elle est supposée être sur la table depuis deux ans !

M. Pierre Dharréville. Notre débat est important. Je plaide pour la réduction du temps de travail prescrit. Or, vous l’augmentez. Ce n’est pas le sens de l’histoire : nous devons repasser la marche avant. Monsieur le rapporteur, cela ne signifie pas qu’il faille opposer deux visions caricaturales du travail. Je suis d’accord, on peut s’épanouir dans le travail prescrit, mais cela reste du travail prescrit !

Vous êtes favorable au travail non prescrit, y compris pendant la vie active. Je suis d’accord à 200 %, mais vous n’en créez pas les conditions. Regardez toutes les lois votées depuis deux ans et demi, y compris les ordonnances réformant le code du travail. Je ne suis pas non plus certain que le présent projet de loi aille dans cette direction...

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 540 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Pour combattre les préjugés – nous serions prétendument attachés au statu quo –, je rappelle que nous déplorons les inégalités touchant les femmes dans le système actuel : leur pension de droit direct est inférieure de 42 % à celles des hommes, 20 % d’entre elles sont obligées d’attendre 67 ans pour éviter la décote – ce qui signifie que 80 % d’entre elles partent en retraite avec une décote. Ces inégalités se creusent. Mais, en intégrant les périodes à temps partiel, en ne prenant pas en compte les interruptions les plus fréquentes pour charges familiales ou les périodes de chômage, votre réforme va considérablement aggraver la situation des femmes.

Si on ajoute les attaques sur les droits familiaux, la suppression de la majoration de durée d’assurance ou la suppression de la majoration de pension de 10 %, qu’on offre désormais à l’option du père ou de la mère, les femmes seront évidemment davantage pénalisées encore par cette mauvaise réforme. En complétant l’alinéa, notre amendement vise à inscrire l’égalité de retraite entre les hommes et les femmes comme objectif politique majeur de la réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’entends votre souhait. Mais l’alinéa 6 fixe déjà un objectif de résorption des écarts de retraite entre les femmes et les hommes. Plus fondamentalement, nous pensons que les inégalités de pension reflètent d’abord celles de la vie professionnelle. En 2017, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail avait ainsi relevé que 83 % des femmes de 25 à 49 ans étaient en activité en France, soit 10 points de moins que les hommes. Sur la même tranche d’âge, le taux de temps partiel atteignait 28 %, chez les femmes, contre 6 % pour les hommes. Le taux d’activité des femmes était de 88 % sans enfant, de 85 % avec un enfant et de 64 % avec trois enfants ou plus, la baisse étant encore plus prononcée quand les enfants étaient en bas âge. Pour un homme et une femme dont les salaires sont identiques autour de 25 ans, après la naissance d’un enfant, la différence de salaire atteint 20 %.

Des réformes sont engagées, mais nous devons faire l’effort de résorber les inégalités durant la vie professionnelle et nous fixer des objectifs clairs – ainsi nous accordons une majoration dès le premier enfant puisque nous avons constaté que chaque enfant « coûte » 5 % de salaire aux femmes.

En conséquence, je suis défavorable à votre amendement.

Mme Clémentine Autain. Je vous remercie de nous brosser la situation existante. Nous aussi sommes inquiets des inégalités qui se développent entre les hommes et les femmes au cours de leur vie professionnelle, puis à la retraite. Mais vous ne nous expliquez pas comment votre nouveau régime répondra au problème. Les femmes ne seront pas les grandes gagnantes, contrairement à ce que vous affirmez ; elles vont y perdre considérablement !

Je vais ajouter à la liste des questions auxquelles nous n’avons aucune réponse que rien ne nous permet de comprendre à quelle sauce vont être mangées les personnes qui bénéficient actuellement d’une pension de réversion. Cette mécanique, certes imparfaite, a le mérite de combler une situation profondément inégalitaire.

Je reviendrai ultérieurement sur le mensonge proféré par la ministre en réponse à une de mes questions concernant la différence entre l’actuelle majoration pour durée d’assurance et la majoration de 5 % à venir.

M. le secrétaire d’État. Il faut toujours évoquer la question de la pension de réversion avec grande prudence, et grand respect, car elle concerne un conjoint survivant et être celui ou celle qui reste seul dans un couple n’est jamais facile. Il n’est pas sain de faire peur à nos concitoyens...

Notre volonté est d’assurer un revenu cohérent au conjoint survivant. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur différentes études, notamment celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui estiment qu’en conservant 70 % du revenu du couple, le niveau de revenu du conjoint survivant est comparable à son niveau de vie passé. D’où la proposition du Gouvernement : à partir de 55 ans, et sans conditions de ressources, le conjoint survivant touchera une pension de réversion permettant d’atteindre ce niveau de revenu. Le dispositif a donc évolué depuis la remise du rapport de Jean-Paul Delevoye et il est unanimement salué.

Madame Autain, ces dispositions ne s’appliquent bien entendu pas à ceux qui perçoivent déjà des pensions de réversion.

M. Cherpion faisait remarquer que nous décrivons la situation future, celle de 2037. C’est bien l’objet de notre débat. Les transitions, qui ont donné lieu à de nombreuses questions, seront abordées au titre V, sur le rapport de Paul Christophe. J’espère que nous pourrons l’atteindre et en débattre dans le détail.

Monsieur le député, je ne vous avais pas répondu sur la gouvernance, mais M. Mattei l’a rappelé : nous avons fait le choix de renforcer les pouvoirs des partenaires sociaux dans le pilotage du système. Certes, nous le faisons dans un contexte différent du contexte actuel. Nous souhaitons que le fonctionnement de la CNRU se rapproche plus de celui de l’AGIRC-ARRCO que de celui de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Vous nous le rappelez régulièrement depuis deux jours, il s’agit d’un budget important – autour de 14 % du PIB et plus de 300 milliards d’euros. Il est donc normal de prévoir un encadrement par le Parlement et le Gouvernement. C’est ce que nous faisons, tout en laissant des espaces très clairs de gouvernance aux partenaires sociaux.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous référez à l’AGIRC-ARRCO. Certes, c’est un système par points, mais il inclut une surcotisation affectée à l’action sociale, qui disparaît dans le nouveau système... En outre, l’AGIRC-ARRCO est uniquement administrée par les partenaires sociaux. Ce n’est pas un établissement public. Cette organisation strictement paritaire a démontré son efficacité : non seulement elle est à l’équilibre, mais elle dispose de six mois de réserves, prévues dans ses statuts. Je ne comprends donc pas votre réponse...

La commission rejette l’amendement.

Elle passe aux amendements identiques n° 1849 de Mme Clémentine Autain, n° 1853 de Mme Caroline Fiat, n° 1860 de M. Adrien Quatennens et n° 1864 de M. François Ruffin.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1849 vise à supprimer la référence aux indicateurs de suivi, qui doivent être définis par décret. Comment vous faire confiance pour définir par décret les conditions de suivi quand on voit la tête de votre étude d’impact ? Vos capacités de dissimulation et de manipulation des mots et des chiffres sont hallucinantes ! (Exclamations sur les bancs de la majorité) Nous préférerions donc que la loi définisse ces indicateurs. Cela vous remue ; je suis ravie de vous avoir réveillés !

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 1853 est similaire. Vous voulez que les indicateurs de suivi des objectifs soient définis par décret. Vous ne souhaitez donc pas que nous puissions contribuer avec vous à leur définition. Comme beaucoup de nos amis qui manifestent contre le projet de loi, nous protestons contre notre mise à l’écart de décisions importantes.

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 1860 est identique. Le fameux âge d’équilibre sera évidemment la seule variable d’ajustement permettant de piloter le nouveau système des retraites. Les garanties proposées sur la valeur du point, et donc le niveau des pensions, n’en sont pas. Le point aura certes une valeur d’acquisition, mais également une valeur de service et, entre l’acquisition et la liquidation, le coefficient de conversion et d’autres paramètres, comme l’espérance de vie, pourront être modifiés. Vous n’offrez donc aucune garantie. La seule variable d’ajustement, ce seront les travailleurs, les Françaises et les Français eux-mêmes !

M. François Ruffin. L’amendement n° 1864 a le même objet. Il faut replacer cette réforme dans son contexte : Emmanuel Macron, président des riches, Robin des Bois à l’envers, la jouait façon brutale. (Protestations sur les bancs de la majorité).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ne cédez pas à la provocation...

M. François Ruffin. Emmanuel Macron, c’est d’abord la suppression de l’impôt sur la fortune, la flat tax et l’exit tax, d’un côté, et la hausse de la CSG pour les retraités, la baisse des aides personnelles au logement pour les locataires et la suppression des emplois aidés, de l’autre. C’était franc, direct, massif, et réalisé à la demande de l’AFEP et du MEDEF ; on comprenait.

Désormais, vous poursuivez cette politique sous des dehors plus retors, avec un habillage techniciste, pour que les gens n’y comprennent rien. Le Monde a publié une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui souligne que la politique économique d’Emmanuel Macron profite aux plus aisés. Nous n’y sommes toujours pas habitués ! Les 5 % des ménages les plus riches ont récolté 4,5 milliards d’euros, tandis que le 5 % les plus pauvres ont vu leurs revenus baisser de 240 euros. La France compte 400 000 pauvres en plus en 2018 et le niveau de vie va encore diminuer avec votre réforme !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements proposent de supprimer les indicateurs de suivi. J’y suis défavorable car c’est la base de tout pilotage politique : faire des constats et en déduire les actions à mener. La référence au décret vise simplement à apporter les précisions réglementaires nécessaires. Les indicateurs de suivi seront déclinés en fonction des objectifs fixés dans la loi : objectif d’équité, objectifs de répartition de salaire entre catégories sociales, entre hommes et femmes, objectif de solidarité, objectif de garantie d’un niveau satisfaisant de pension, etc. Ce Gouvernement, et ceux qui lui succéderont, pourront définir les indicateurs ou les adapter en fonction de leurs objectifs politiques.

Mme Autain parlait de régression sociale suite aux différentes réformes du système de retraite – c’est une forme d’indicateur de suivi. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a publié une étude indiquant qu’à l’époque de la première réforme importante, celle de M. Balladur, le taux de pauvreté chez les retraités était de 10 %. Après les différentes réformes, que vous décriez, mais qui ont, à mon sens, été portées avec courage par d’autres majorités, ce taux est passé à 7 %. Vous le constatez : on peut faire des réformes socialement gagnantes tout en pérennisant un système auquel tous les Français sont attachés.

M. Stéphane Viry. Pour aller dans le sens de l’intervention de mon collègue Gérard Cherpion sur l’AGIRC-ARRCO, nous sommes au cœur du débat : ce régime, que vous invoquez comme modèle, a toujours eu un comportement responsable du seul fait des partenaires sociaux. Ils ont su poser des règles pour constituer des excédents et assurer, à terme, le paiement des pensions. Ils ont su aussi évoluer avec le temps. Votre réforme écarte au contraire les partenaires sociaux. Vous donnez un coup d’arrêt à la démocratie sociale et, que ce soit par décret ou par la loi, c’est une marque de défiance envers celles et ceux qui sont les usagers et les contributeurs du système. Je ne suis pas favorable aux amendements de La France insoumise, mais j’estime que cette réforme constitue une étatisation de la protection sociale.

M. Régis Juanico. Vous nous avez indiqué que les femmes seraient les grandes gagnantes de votre réforme. Mais que nous dit l’économiste Mathilde Guergoat-Larivière ce matin dans Le Monde : « Les femmes ont tout bonnement disparu des cas-types présentés dans l’étude finale ! [...] Les six cas-types présentés pour les salariés du privé correspondent ainsi à des trajectoires typiquement... masculines : cinq carrières complètes et une "carrière heurtée" caractérisée par un chômage de longue durée à partir de quarante-deux ans. On est très loin des carrières féminines caractérisées par des interruptions d’activité de plus en plus longues en fonction du nombre d’enfants, de reprises d’emploi, souvent à temps partiel, des passages par le chômage, etc. »

Plus problématique, elle souligne que le calcul des pensions de ces six cas-types a été réalisé sans prendre en compte les maternités. Quand on sait qu’en France, près de neuf femmes sur dix en ont et qu’elles ont un impact fort sur les carrières, nous avons une preuve supplémentaire que l’étude d’impact est pipée !

Mme Clémentine Autain. Dans le prolongement de M. Juanico, je reviens sur la question que je n’ai pas pu poser – une minute pour intervenir, c’est bien court pour des questions aussi techniques...

En l’état actuel du droit, deux paramètres visent à compenser le manque à gagner des femmes lié à leurs maternités : leur pension est majorée de 10 % pour trois enfants – vous l’augmenterez désormais de 5 % dès le premier enfant – mais, surtout, les maternités sont prises en compte dans la durée de cotisation. Ainsi, un enfant fait « gagner » une année de cotisation et deux enfants en font gagner quatre. Comment cela sera-t-il compensé dans le nouveau système ? En effet, vos majorations ne compenseront pas la disparition de ce dernier paramètre.

La commission rejette les amendements.

Puis est saisie, en discussion commune, des amendements n° 21274 de M. Boris Vallaud et n° 21167 de Mme Valérie Rabault.

M. Boris Vallaud. Nous avons lu, comme vous, le rapport du Conseil d’État. Compte tenu des nombreuses erreurs, lacunes et imprécisions qu’il a relevées lors de l’examen préalable du projet, il apparaît essentiel que le Gouvernement soit accompagné et assisté par cette haute juridiction administrative lors de la préparation des décrets et autres actes réglementaires qui compléteront la loi. Il y va de la sécurité juridique des assurés et de l’ensemble des acteurs concernés. C’est la raison pour laquelle nous demandons que le décret soit pris en Conseil d’État, après consultation des organisations représentatives des employeurs et des différentes catégories d’assurés. J’ajouterai, même si ce n’est pas dans l’amendement, que ces consultations mériteraient d’être opérées très en amont. Comme le Conseil d’État l’a relevé, les délais que vous avez pratiqués ne vous ont pas permis de prendre en considération les avis et les remarques qui ont été formulés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les indicateurs de suivi ont pour objet d’éclairer le conseil d’administration de la CNRU et de faciliter sa prise de décision : ils ne conduiront en aucun cas à une décision automatique. Vous proposez de solliciter le Conseil d’État sur des sujets qui ne relèvent pas du cœur de sa mission. Je n’ai pas souvenir qu’en 2014, lorsqu’ont été définis de tels indicateurs, destinés à permettre le pilotage par le CSR, la majorité d’alors ait jugé utile de renvoyer à un décret en Conseil d’État ou à une consultation des partenaires sociaux. Je suis même convaincu de l’inverse, et vous renvoie au décret simple n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au CSR.

Avis défavorable sur les deux amendements.

M. Philippe Gosselin. Nos collègues ont tout à fait raison. Le Conseil d’État est le conseiller juridique du Gouvernement. À la lecture de certains avis, on se dit qu’il est préférable que le Gouvernement soit bien encadré... Ces propositions me paraissent donc de bon sens. On pourrait presque souhaiter que ces dispositions figurent dans le texte de loi lui‑même et non dans des décrets. On subit déjà un dessaisissement assez prononcé du fait des ordonnances.

Pour revenir à un débat précédent, le texte soulève une vraie difficulté concernant les femmes. Nous ne savons pas à quoi nous en tenir exactement, puisqu’on ne peut plus se référer aux cas-types qui nous étaient soumis jusqu’à une date récente, comme Le Monde l’a souligné – Le Canard enchaîné s’en était fait l’écho en son temps. Le texte ne contient pas réellement de dispositions sur les enfants : quid des mères ? Qu’en est-il, par ailleurs, de la progression au mérite ? Marc Le Fur a souligné une difficulté concernant celles et ceux qui, commençant ouvriers, terminent cadres. Puisqu’on ne prendra plus en compte les vingt-cinq meilleures années, ils ne verront pas leur progression reconnue et traîneront comme un boulet les premières années de cotisations. Il n’a pas été répondu à ces questions.

Mme Célia de Lavergne. Le projet de loi affirme six grands principes qui nous ont déjà valu, parmi d’autres sujets, près de 12 heures de débat. Les indicateurs de suivi doivent contribuer au pilotage du système, qui est confié aux partenaires sociaux, réunis au sein du conseil d’administration de la CNRU. Il est essentiel que les indicateurs apportent une contribution à la réflexion. Pourquoi les décrets les définissant ne seront-ils pas adoptés en Conseil d’État ? La haute juridiction administrative nous dit elle‑même que cela ne se justifie pas pour un certain nombre de décrets, car on risque l’embolie du système. Or le système universel aura besoin de flexibilité. Les indicateurs, à l’instar de la société, vont évoluer ; il est essentiel qu’ils soient définis le plus rapidement possible. En outre, c’est ne pas faire confiance aux partenaires sociaux que de vouloir à tout prix s’en remettre à une autre instance.

M. Pierre Dharréville. Vous avez besoin de sécuriser votre projet, qui a déjà reçu un gros tacle, d’entrée de jeu, de la plus haute juridiction administrative, et se trouve très fragilisé sur le plan juridique. Il ne rassure pas. Le Conseil d’État n’est pas seul à s’inquiéter : c’est le cas, également, d’une grande partie de la société française. Nous débattons ici des indicateurs qui permettront le pilotage. Or on va se trouver rapidement en situation de pilotage automatique, ce qui conférera un rôle décisif aux indicateurs. Dans le cadre d’une logique de repli – car ce n’est évidemment pas comme cela que nous souhaiterions que le système fonctionne –, je suggère donc qu’on soumette ces décrets au Conseil d’État. Il paraîtrait impensable que ce ne soit pas le cas, alors que le Parlement est dessaisi par les décrets et les ordonnances et que les grands principes qui viennent d’être évoqués sont très insuffisants et ne permettent pas d’y voir clair sur les indicateurs.

M. Boris Vallaud. Je voudrais insister à mon tour sur la nécessité de cet accompagnement. Après le Conseil d’État, c’est la Commission européenne qui émet de vives réserves sur les éléments financiers de la réforme, selon le cabinet de la présidente von der Leyen. Je sais que, comme nous, vous soutenez l’apprentissage : ayez conscience que vous avez besoin de tuteurs.

M. François Ruffin. François Fillon a mis au jour la logique du régime de retraite par points en affirmant, lors de la campagne présidentielle : « Le système par points, en réalité, ça permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue : [...] baisser chaque année la valeur des points et donc diminuer le niveau des pensions. » Il nous faut donc un maximum de garde-fous partout pour éviter que ça n’aboutisse à la baisse généralisée des pensions et à un grand n’importe quoi. Après l’avis du Conseil d’État sur votre projet, et alors que, même les intellectuels qui se montraient favorables au système par points le jugent à présent catastrophique, on doit s’assurer que ça ne se deviendra pas un grand bazar. On parle quand même d’une des principales conquêtes sociales des Français au XXe siècle, qui a permis de diviser par quatre le niveau de pauvreté chez les personnes âgées. Pour la préserver, le camarade Dharréville demande qu’une sorte de base minimale nous soit accordée.

M. le secrétaire d’État. Comme Clémentine Autain, je suis très demandeur d’un échange avec la commission spéciale sur la réalité des pensions perçues par les femmes dans le système actuel et sur ce qu’elles pourraient toucher dans le futur régime. Pour ce faire, il faudrait que nous puissions avancer dans le débat et discuter de l’article 44, qui est consacré à ce sujet.

Permettez-moi de vous livrer d’ores et déjà quelques pistes de réflexion. La majoration de la durée d’assurance que vous avez évoquée ne sert à rien, à l’heure actuelle, dans 20 % des cas. Par ailleurs, comme vous avez dû le constater lors de la préparation du débat en commission, elle ne donne lieu au versement d’aucun salaire et n’a donc aucune incidence sur la pension. En outre, le taux actuel d’activité des femmes diffère de ce qu’il était il y a cinquante ans – j’en parle en connaissance de cause, moi qui ai deux filles, qui sont aujourd’hui deux jeunes femmes. Nous devrons appréhender cela ensemble, plus précisément, en examinant l’article 44.

Je ne pense pas que les opposants au système plus solidaire que nous voulons bâtir aient la volonté d’inquiéter ; il me semble qu’ils sont eux-mêmes inquiets. Ils expriment, par leurs questions, leurs propres préoccupations plus que celles de nos concitoyens. Répétons que le système actuel de retraite par points et par répartition existe, et qu’il fonctionne très bien. Il ne suscite aucune difficulté. Il pèse pour près de la moitié de la pension perçue chaque mois par les retraités anciennement salariés. Et, tenez-vous bien, cette pension est calculée sur l’intégralité de la carrière. Autrement dit, nous proposons de faire vivre pour tous les Français un dispositif qui s’applique avec succès à 70 % de ceux qui ont eu un parcours de salarié. L’intérêt du débat est de nous permettre de confronter nos idées, mais il faut avoir conscience de ce qui fonctionne déjà bien, et le rappeler. Quand le projet du Gouvernement reprend des mécanismes qui donnent satisfaction, on pourrait unanimement reconnaître ici que c’est une bonne idée.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21531 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Je regrette que vous n’ayez pas adopté les amendements précédents, car ils visaient à remédier à une réalité à laquelle nous sommes confrontés trop souvent, et depuis trop longtemps, que l’on pourrait qualifier de volonté de s’affranchir du droit, y compris lorsqu’il est rappelé par le Conseil d’État. On voit bien que ça vous gêne, et vous en témoignez encore une fois.

Je ne crois évidemment pas que le système que vous nous proposez sera plus solidaire. Je ne me fais pas simplement l’écho de mes propres inquiétudes : je constate qu’elles sont largement partagées dans la société. Vous voulez étendre la logique des retraites complémentaires, que vous avez au préalable repensée, au système de base. Nous exprimons la volonté inverse : après avoir restauré les principes de la retraite de base – qui ont été profondément abîmés –, nous entendons les appliquer à l’ensemble des régimes de retraite. Deux visions s’affrontent.

Nous jugeons le système inéquitable, comme l’illustre notre amendement n° 21531. Raisonner comme vous le faites, continuer à peser sur les salaires et les pensions empêche aussi, à nos yeux, les femmes et les hommes de notre pays de relever le défi de la transition écologique. Cela réclame en effet des moyens et exige la conduite de politiques publiques. On ne peut pas se livrer à des injonctions permanentes sans donner les moyens aux gens de contribuer à cette action. Atteindre un niveau de retraite satisfaisant, grâce à un taux de remplacement suffisamment élevé, est un objectif qui doit aussi permettre de garantir cela.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On est dans l’humour de répétition, donc défavorable.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le secrétaire d’État, je m’étonne que vous partagiez ma préoccupation d’avoir des réponses sur les pensions de réversion. Cela paraît même ahurissant, alors que vous êtes membre du Gouvernement et que vous nous demandez de nous prononcer sur le projet de loi. Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à ma question sur la durée de cotisation. Deux leviers permettent de compenser les inégalités : la durée de cotisation et la majoration de pension. Dans le système actuel, le fait d’avoir un enfant vous donne droit au bénéfice de deux ans de cotisations supplémentaires. Comment cela sera-t-il compensé à l’avenir ?

M. Éric Woerth. Les membres de notre groupe auraient pu voter l’amendement s’il avait eu pour objet d’ajouter, après le mot « universel » les mots « de base », au lieu de proposer d’écrire « système universel inéquitable ». Le système universel, à nos yeux, devrait valoir jusqu’à 1 PASS pour couvrir la plupart des Français au moyen d’un régime partagé. Au-delà, nous préconisons de laisser vivre les régimes complémentaires. On peut d’ailleurs se demander si les agents de la fonction publique et les travailleurs salariés ne doivent pas partager le même système complémentaire. Pour le reste des Français, les systèmes complémentaires doivent constituer le strict reflet des problèmes qu’ils peuvent rencontrer dans leur carrière. On peut citer les avocats – pour faire écho à l’actualité – mais aussi de nombreuses autres professions. C’est une des erreurs fondamentales de votre réforme, qui la rend totalement illisible. À vouloir couvrir tout le monde, on couvre mal tout le monde.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 14664 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement prévoit que les décrets définissant les indicateurs de suivi seront pris « après concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ». Vous allez nous dire qu’il n’est pas besoin de l’écrire pour le faire. Nous pensons au contraire que c’est nécessaire, même si ça ne suffira pas. On ne peut retirer aucune satisfaction de la manière dont vous avez mené, jusqu’ici, la concertation, ni des résultats que vous avez obtenus. Il nous semble donc essentiel que ces décrets soient au moins discutés par les organisations syndicales, dans le cadre de la démocratie sociale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La plupart des indicateurs existent déjà ; ils ont été adoptés sous les législatures précédentes. La majorité d’entre eux sont suivis par l’INSEE et présentent un caractère tout à fait neutre. Il n’est pas nécessaire d’instituer la procédure que vous préconisez. Si les partenaires sociaux de la CNRU jugent pertinent, à un moment donné, d’adopter un nouvel indicateur, ils le feront. Il n’est pas souhaitable de rigidifier les modalités de définition des indicateurs. Il faut faire confiance au futur conseil d’administration pour choisir ceux qui lui paraîtront les plus pertinents, en fonction des objectifs qu’il s’assignera.

Défavorable.

M. Gérard Cherpion. Je peux comprendre l’inquiétude que traduit cet amendement. M. le secrétaire d’État nous a livré, dans sa réponse, la clé du système. Il a dit que le régime actuel de gestion des retraites complémentaires fonctionnait très bien, ce que nous reconnaissons également. Cela dit, il y avait deux possibilités : soit on faisait le choix de ce système et on confiait toute la gestion du régime de retraite aux partenaires sociaux – cet amendement n’aurait alors plus eu d’objet ; soit on étatisait le système : c’est le choix que vous avez fait.

M. Pierre Dharréville. Votre refus illustre l’étatisation que vient de décrire Gérard Cherpion. Vous allez tout remettre à plat ; vous devrez rendre des arbitrages. Pourquoi ne pas indiquer clairement que ceux-ci se feront dans le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux, les organisations syndicales ? Ce refus est soit incompréhensible, soit la manifestation d’une volonté d’écarter les organisations des discussions essentielles. Une telle échappatoire n’est pas acceptable.

M. Éric Coquerel. Votre réponse, monsieur Turquois, est confondante. Vous nous dites qu’il faut faire confiance au conseil d’administration de la CNRU – dont on ne connaît même pas la composition, puisque le texte ne la définit pas de manière détaillée – tout en s’en remettant à vous pour la désignation de ses membres. Non seulement c’est une étatisation, mais c’est la pire qui soit, car elle est fondamentalement non démocratique : elle est technocratique et obéit uniquement aux règles d’or que vous avez fixées. Vous ne voulez pas de la disposition proposée par l’amendement, vous imposez des décrets. Vous refusez d’écrire – ce qui me fait penser qu’il y a un loup – que la définition des indicateurs se fera en concertation avec les organisations syndicales. Bref, vous êtes en train d’admettre que la réforme va non seulement changer profondément la gestion du système de retraite français mais que, de surcroît, elle va le faire de manière non démocratique et technocratique.

M. le secrétaire d’État. J’ai exprimé tout à l’heure la conviction du Gouvernement et ai exposé la manière dont on avait pensé la composition du conseil d’administration – je vous renvoie aux alinéas 14 à 16 de l’article 49. Le projet de loi contient donc des dispositions claires en la matière ; il présente les grandes catégories auxquelles appartiendront les membres du conseil d’administration. Cela me semble de nature à vous satisfaire. Aussi, je vous propose de retirer votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 1396 de Mme Clémentine Autain, n° 1397 de M. Éric Coquerel, n° 1399 de Mme Caroline Fiat et n° 1406 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 1396 vise à ce que le Parlement se voie remettre un rapport non truqué sur la possibilité d’instaurer un montant minimum de pension à l’âge légal de départ, fixé à 60 % du revenu médian. Nous voulons que plus un seul, plus une seule retraitée ne vive en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 1 041 euros. Nous sommes en effet très inquiets des effets de votre contre-réforme, qui va accroître la paupérisation des retraités. À titre d’exemple, en Allemagne, la situation a été terriblement aggravée après l’application de la réforme par points. Selon Eurostat, en 2018, 19 % des Allemands de plus de 65 ans connaissaient un risque de pauvreté : ce chiffre, qui excède la moyenne de la zone euro, est supérieur de 3 points à celui de 2009.

M. Éric Coquerel. L’amendement n° 1397 demande un rapport concernant la possibilité d’instaurer un montant minimal de pension égal à 60 % du revenu médian – ce qui correspond au seuil de pauvreté, soit 1 041 euros – pour toute personne ayant atteint l’âge légal du départ en retraite – sans exiger qu’elle totalise un certain nombre d’années de cotisation. Il ne nous paraît pas normal que, dans la sixième puissance économique mondiale, des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui plus est lorsqu’ils ont atteint l’âge légal de départ à la retraite. Vous allez nous demander où chercher l’argent. Nous vous répondons qu’il est possible d’augmenter les cotisations, de supprimer, surtout, les 52 milliards d’exonérations totales que vous appliquez aux cotisations sociales à l’année, et enfin, pourquoi pas, de redistribuer la richesse entre le travail et le capital. En la matière, il y a largement de quoi faire. L’OFCE montre, dans une étude publiée ce matin, que, depuis trois ans, vous avez reversé un quart des gains fiscaux aux 5 % les plus riches au détriment des 5 % les plus pauvres et des retraités. Nous proposons un modèle inverse.

Mme Caroline Fiat. Vous ne pouvez qu’être favorables à notre amendement car il vise à permettre l’application d’une mesure du programme de M. Macron. Nous proposons de nous assurer que ceux qui n’ont rien aient suffisamment. Nous souhaitons appliquer le fameux « ruissellement » que vous proposez. Nous demandons un rapport pour être sûrs que ce dernier fonctionne. Vous nous en parlez depuis deux ans et demi mais nous n’en voyons pas nettement la concrétisation.

M. Adrien Quatennens. Il est clair – surtout au vu des nouvelles qui tombent ce matin – que le ruissellement promis par le Président de la République défie les lois de la gravité, car il se produit à l’envers : des moins aisés vers les plus riches. On voit le résultat sous nos yeux : en France, sept milliardaires possèdent autant que 30 % de la population. On ne relance pas l’économie et l’activité d’un pays avec une telle inégalité de répartition de la richesse. Vous allez me demander le rapport avec les retraites. Leur mode de financement est précisément un levier pour améliorer le partage de la richesse produite. Comme l’ont dit mes collègues, par l’augmentation des salaires et des cotisations, on peut parfaitement financer un système de retraite qui fixerait un âge de départ raisonnable, compte tenu de l’espérance de vie, et offrirait un niveau de pension décent. Personne, dans notre pays, quel que soit le stade qu’il a atteint dans sa carrière, ne devrait tomber sous le seuil de pauvreté. Placé dans cette situation, en effet, on ne vit plus mais on survit, comme vous le savez pertinemment.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La succession des interventions de M. Cherpion et des membres de La France insoumise me conforte dans l’idée que nous avons une position équilibrée. M. Cherpion nous reproche d’étatiser le système – un de ses collègues, l’autre jour, m’avait dit qu’on réinventait le Komintern. De son côté, M. Quatennens considère qu’on privatise, qu’on favorise les plus riches et qu’on va développer les systèmes par capitalisation. Je me dis qu’on se trouve dans un juste milieu, ce qui est l’objet de mon engagement politique.

M. Adrien Quatennens. Un extrême milieu !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’extrême-centre, si vous préférez...

Madame Autain, même si je trouve l’Allemagne séduisante par certains aspects, nous sommes en France et nous ne comptons pas adopter le système allemand. Par ailleurs, vous parlez des réformes qui appauvrissent. Comme je l’indiquais tout à l’heure, à la suite de la première réforme de M. Balladur, en 1993, l’INSEE a publié une étude, trois ans plus tard, montrant que 10 % des retraités étaient en situation de pauvreté. Or, à la suite des réformes qui ont été engagées
– « malgré elles », devrais-je dire, pour reprendre vos critiques –, ce chiffre est aujourd’hui descendu à 7 %. C’est la preuve qu’on peut concilier des réformes
– décidées par des majorités précédentes – pour garantir la pérennité financière du système et contribuer à diminuer le taux de pauvreté en France – il faut naturellement continuer à aller dans ce sens. Vous souhaitez que nous nous fixions pour objectif de garantir un minimum de pension égal à 60 % du revenu médian, niveau correspondant au seuil de pauvreté. Nous pourrions effectivement nous assigner pour but de suivre cette tendance. Je signale que depuis 2018, nous avons fait passer le minimum vieillesse de 800 à 900 euros. C’est une progression certes encore insuffisante, mais significative en l’espace de deux ans. Nous agissons en fonction des capacités de la société à financer ces efforts. Sous cette réserve, on peut se fixer l’objectif de progresser en ce sens.

Défavorable.

M. Gérard Cherpion. Les chiffres qui ont été donnés ce matin sont plutôt flatteurs pour l’Allemagne, qui a été citée dans le débat. Notre voisin présente en effet un excédent budgétaire, alors que nous accusons un déficit de 92 milliards cette année. Pour revenir à l’alinéa 11, monsieur le secrétaire d’État, je crains que la gouvernance que vous nous proposez reproduise le système appliqué à France compétences, à savoir un système tripartite comportant le même nombre de personnes, qu’il s’agisse des partenaires sociaux ou des représentants de l’État. Mais comme on donne plus de voix à ces derniers, l’État prédomine.

M. Sébastien Jumel. C’est un débat intéressant, qui va marquer de plusieurs taches indélébiles le quinquennat. Flagrant délit d’illégalité : Conseil d’État 2, Gouvernement 0. Flagrant délit d’inhumanité – ce qui s’est passé jeudi restera dans toutes les têtes. Et, aujourd’hui, flagrant délit d’inégalité : sur les 17 milliards d’euros distribués depuis le début de la législature, 4,5 milliards ont bénéficié aux 5 % les plus riches. Ces taches indélébiles vont vous conduire dans les prochains jours à un flagrant délit d’autoritarisme : une fois de plus, vous allez vous asseoir sur les désaccords de l’opinion et du Parlement. Ce tournant majeur, grave pour la démocratie, va marquer le mandat d’Emmanuel Macron.

M. Jacques Maire. Je voudrais rappeler à ceux de nos collègues qui auraient la mémoire courte quelques actions que nous avons menées : la suppression des cotisations salariales maladie et chômage – soit 0,75 % et 2,4 % –, l’exonération de 300 000 personnes de la hausse de la CSG, contrairement à ce qui avait été prévu à l’origine, la baisse des impôts de 6 milliards d’euros pour les ménages, la réduction de 30 % de la taxe d’habitation, l’augmentation du minimum vieillesse ou encore, pour ne citer que celles-ci, l’accroissement du revenu de solidarité active. Une centaine de mesures ont été adoptées en deux ans pour rééquilibrer la politique sociale, qui ont concerné assez largement la vie quotidienne des Français, et trouvent aujourd’hui leur prolongement dans le projet de loi. Nous n’avons honte de rien.

La commission rejette les amendements.

La commission examine les amendements identiques n° 1866 de Mme Clémentine Autain, n° 1868 de M. Éric Coquerel, n° 1870 de Mme Caroline Fiat, n° 1873 de M. JeanLuc Mélenchon et n° 1877 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. C’est un amendement de suppression particulièrement important. En effet, à l’alinéa 12, vous proposez d’abroger le II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. [...] La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération [...] ». Or vous nous proposez de supprimer ce passage. Voilà qui est assez clair. Je ne vois pas comment on peut mieux comprendre la forfaiture qui inspire votre système et le fait que vous voulez en finir avec tous les mécanismes de solidarité et les fondements de notre régime par répartition.

M. Éric Coquerel. Je ne dirai pas mieux que Clémentine Autain. En supprimant cet alinéa, vous avouez le crime, tout simplement. Il est bien question, contrairement à ce que vous affirmez depuis des jours, de supprimer le système de retraite par répartition, fondé sur une solidarité intergénérationnelle, au profit d’un régime individualisé. D’ailleurs, le chef de l’État l’a dit, en expliquant qu’il y aurait pratiquement autant de retraites par points que de Français. On ne connaîtra donc plus du tout un système collectif de solidarité intergénérationnelle. Ce ne sont plus ces principes qui seront pris en compte, mais des critères d’équilibre financier
– comprenez « d’austérité » – et la volonté de ne pas alourdir ce que vous nommez le « coût » du travail et que nous appelons le « prix » du travail. En supprimant cet alinéa, vous révélez à chacun ce que vous êtes en train de faire, c’est-à-dire engager la disparition de l’un des deux piliers du patrimoine social français.

Mme Caroline Fiat. En complément, je voudrais préciser que les deuxième et troisième paragraphes du II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale offrent la possibilité de partir plus tôt à la retraite lorsqu’on a connu une carrière longue ou pénible. Ces dispositions définissent un « objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération » et permettent la « prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle ». Nous demandons la suppression de l’alinéa 12, qui acte la disparition, totalement inadmissible, de ces dispositions.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a tant à dire. On ne comprend pas pourquoi vous supprimez cette sorte de monument national. Ce n’est peut-être pas de la grande littérature, mais cela affirme quelque chose d’essentiel : c’est par son union sociale que les Français se constituent en tant que peuple et que nation. Il est essentiel de se souvenir de ça. L’unité de la patrie n’est pas seulement fondée sur des grands principes et des grandes déclarations. Elle repose aussi sur une intime et quasi charnelle répartition de l’effort sur toutes les épaules et du partage de la richesse entre tous. Voilà ce qui est écrit dans ces paragraphes, et que vous supprimez. Il faut sans doute y voir la marque de la quasi-certitude idéologique qui vous anime : ne valent que les relations individuelles, ce qui vaut pour soi-même est bon, et non pas ce qui est bon pour tous. Le texte que vous entendez abroger décrit ce qui est bon pour tous, autrement dit, ce qui constitue l’essence de la République, de la res publica, de la chose commune.

M. Adrien Quatennens. On sait qu’en général, les plus mauvaises entreprises législatives ne sont pas réalisées en une fois. Quand il s’est agi de démanteler des monopoles d’État et des grands services publics, on a commencé par privatiser, puis on a ouvert à la concurrence. Habituellement, quand on privatise, on commence par dire qu’on n’ouvrira pas à la concurrence – ou l’inverse. En l’occurrence, vous faites de même, en saucissonnant votre projet en différents objectifs. Chacun a compris que, même s’il mimait un système par capitalisation, votre régime par points va demeurer, pour un temps du moins, un système par répartition, au sens où les actifs d’aujourd’hui paieront pour les retraités d’aujourd’hui. Une chose est sûre, néanmoins : si, demain, votre intention était de passer à la retraite par capitalisation, une étape intermédiaire serait nécessairement l’institution d’un régime à points. En abrogeant l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, vous entendez faire disparaître le grand principe de répartition caractérisant le système actuel. Vous vous ménagez donc l’occasion de passer définitivement, demain ou après-demain, à un système par capitalisation.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il s’agit là de l’épisode le plus marquant de mauvaise foi ou de manque de maîtrise de votre mission de député. Vous dénoncez le fait que le II de l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale est abrogé. Or, au deuxième alinéa de l’article 1er du projet de loi, après l’article L. 111-2-1 – qui mélangeait la protection sociale sous l’angle de la santé et de la retraite – nous créons un article L. 11121-1, aux termes duquel « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite [...] ». Nous ne faisons donc que déplacer les dispositions que vous nous reprochez d’avoir retirées, pour les mettre en valeur dans une partie consacrée spécifiquement au système de retraite. C’est le travail de base d’un député que de structurer la lecture d’un texte de loi. Ce n’est pas 1 à 0, mais 10 à 0 pour la défense de notre projet de loi.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n’avez pas le monopole de la mauvaise foi !

M. Éric Woerth. Mes chers collègues Insoumis, au fil de vos interventions, j’ai le sentiment que vous souhaitez substituer au système par répartition un régime de protection sociale, quelque peu déconnecté des réalités, qui romprait tous les liens avec la carrière et le travail. Le système de prestations sociales que vous appelez de vos vœux ne correspond pas à la retraite, telle que nous la connaissons. La retraite est liée à la carrière, même si certains éléments du système permettent de gommer des injustices. On doit laisser à nos concitoyens la possibilité de préparer leur retraite tout au long de la carrière. On peut les y aider, mais cela passe surtout par le travail. J’ai également le sentiment que vous considérez le travail comme une aliénation, et qu’il faudrait le quitter le plus vite possible. Ce sont deux conceptions différentes. La manière dont vous voulez financer les retraites conduirait à réduire à néant la compétitivité de notre pays, ce qui entraînerait une augmentation massive du chômage. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de financer le modèle social français. Tout cela tourne en rond, ne fonctionne pas, est en réalité du faux humanisme. Nous nous opposons évidemment très catégoriquement à l’ensemble de ces amendements.

M. Sacha Houlié. Comme M. le rapporteur l’a montré, tout ce que nous reprochaient de supprimer les Insoumis figure à l’alinéa 3 de l’article 1er du projet de loi. Peut-être se sont‑ils eux-mêmes perdus dans le nombre immense d’amendements qu’ils nous proposent ? Je vous rappelle, mes chers collègues de La France insoumise, que vos amendements de suppression de l’alinéa 3 n’ont pas rencontré de succès. Les amendements que nous examinons actuellement n’ont plus aucun intérêt car ils sont dénués de sens et de fondement. Je vous suggère donc les retirer.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Houlié, pourquoi ne pas vérifier avant de parler ? Quant au rapporteur, je vois qu’une fois de plus, il réclame pour lui‑même un privilège : celui de la mauvaise foi. Il est faux de dire que ce qui se trouve dans l’alinéa que vous supprimez apparaît plus loin. On retrouve, en réalité, six phrases sur dix, auxquelles il manque le mot « répartition ». Il est écrit dans le projet de loi : « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition, exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social. » Vous avez supprimé le mot « répartition » et démoli toute la rédaction détaillée, passant de quatre paragraphes à une pauvre ligne qui n’a pas toute la saveur, la richesse et la finesse de ce qui se trouvait dans le texte initial.

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur Mélenchon, vous savez pourtant lire ! Le choix d’un financement par répartition, c’est l’alinéa 3 de l’article 1er ! Nous avons bien compris votre méthode : des amendements de posture. Il ne s’agit, dans ce cas, que d’une question rédactionnelle, afin d’être le plus sérieux possible, ce que ne sont assurément pas vos amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 2183 de Mme Clémentine Autain, n° 2185 de M. Éric Coquerel et n° 2187 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement de suppression est particulièrement important, puisque vous proposez de remplacer « allocations vieillesse » par « prestations de retraite ». Or les mots ont un sens. Selon la définition du Petit Robert, une allocation est une somme d’argent consentie par la sécurité sociale ou par un organisme similaire à différents titres de la législation sociale, alors qu’une prestation est l’action de fournir un bien ou un service contre un paiement. Ce changement lexical résume à lui seul la philosophie de votre réforme ! Il ne s’agit plus d’avoir droit à un temps de répit après une vie de travail, mais de percevoir une pension relative aux points cumulés. Les personnes toucheront donc au plus près de ce qu’elles ont cotisé. Je ne vois pas comment on peut mieux signifier les adieux que vous faites au mécanisme de solidarité. C’est pourquoi nous nous opposons à la forfaiture que vous êtes en train de nous imposer.

M. Éric Coquerel. Nous voulons conserver le système français intergénérationnel, qui ne repose pas sur l’octroi d’une prestation, mais bien sur une allocation attribuée à des retraités grâce au travail collectif fourni, parce que nous avons estimé collectivement qu’il était normal, à partir d’un certain âge, que la société assure une allocation à ceux qui n’ont plus les moyens de continuer à travailler, afin de leur assurer la vieillesse la plus heureuse possible. Or le terme de prestation suppose un échange, une marchandisation.

Mme Caroline Fiat. Comme l’a dit Clémentine Autain, nous ne souhaitons pas remplacer les termes « allocations vieillesse » par « prestations de retraite ».

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Notre référence, madame Autain, ce n’est pas le Petit Robert, mais le code de la sécurité sociale.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Si le projet est de donner la même retraite à tous, en imposant un égalitarisme par le bas, ce n’est plus de la répartition... S’agissant de la solidarité, je crains, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, que votre système rende notre société beaucoup plus individualiste. La logique de répartition des points risque de fragiliser certains droits familiaux. Pis encore, si c’est une individualisation des droits qui est retenue, cela réduira les droits conjugaux et pénalisera le pouvoir d’achat du foyer.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Mélenchon, vous vous inquiétez de la finesse de la rédaction de l’article 1er. Je veux, au contraire, vous renvoyer à sa richesse. Je vous crois, lorsque vous affirmez vouloir défendre le régime par répartition. En réalité, la simple lecture de l’alinéa 3 devrait vous rassurer.

Monsieur Bazin, je ne demande pas mieux que de débattre des sujets, au bon endroit dans le texte, sans qu’il soit fait recours à des exemples farfelus ou incohérents. Nous pourrons en parler lors de l’examen du titre III.

M. Thibault Bazin. Mais arriverons‑nous jamais au titre III, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le secrétaire d’État. Je fais l’hypothèse que oui !

La commission rejette les amendements.

Puis elle passe à l’examen des amendements identiques n° 22248 du rapporteur général et n° 5205 de M. Pierre Dharréville.

M. le rapporteur général. L’amendement vise à supprimer les alinéas 14 et 15, relatifs à deux lois de programmation tendant à la revalorisation des salaires des enseignants et des enseignants‑chercheurs, de sorte que cet engagement très fort de la majorité trouve sa place dans un article distinct.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 5205 vise également à supprimer ces dispositions jugées inconstitutionnelles par le Conseil d’État. Tout cela témoigne d’un système qui ne fonctionne pas, étant donné que vous êtes obligés de prendre des dispositions particulières pour en corriger les effets négatifs. Il faut tenir compte des structures de rémunération et de carrière différentes, comme c’est le cas actuellement. Par ailleurs, même s’il faut augmenter la rémunération des agents de l’éducation nationale, afin de reconnaître leur travail, il paraît nécessaire de décorréler la question des revenus de l’enjeu des retraites.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que M. Dharréville, avis favorable. J’ai déposé cet amendement avec le rapporteur général, pour mettre en avant l’importance du rôle des enseignants.

Mme Clémentine Autain. Visiblement, vous reculez, parce que le Conseil d’État a signifié que l’injonction à faire une loi postérieure pour revaloriser le salaire des enseignants serait inconstitutionnelle. Votre recul montre le niveau d’impréparation du projet de loi ! Je vous signale, si cela vous avait échappé dans votre bulle macroniste, que le niveau de colère des enseignants est très élevé face à votre contre‑réforme. Je vais prendre un exemple, parce qu’il faut être concret : un professeur certifié né en 1953 qui prendrait sa retraite en 2020 aurait une pension de 2 197 euros, ce qui représente une perte de 743 euros par mois !

M. Jacques Marilossian. Mais il n’est pas concerné par la réforme !

Mme Clémentine Autain. Prenez le micro, on ne vous entend pas ! Cette attitude des députés macronistes est insupportable !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Autain, les invectives ne servent à rien ! Nous sommes députés de la Nation, comme vous. Je vous demande de cesser ce genre de procédés. Tout comme je demande à chacun, depuis hier, de ne pas interrompe les orateurs.

Mme Clémentine Autain. Je dis seulement que de nombreux députés commentent nos propos pendant que nous parlons, sans pour autant prendre le micro pour exprimer leur point de vue et défendre cette si mirifique réforme. Qu’ils nous laissent nous exprimer !

Alors que les pertes pourront être de 800 euros, l’augmentation proposée, sans la moindre garantie, ne vient certainement pas compenser les pertes colossales que vont subir les enseignants.

M. Charles de Courson. Monsieur le secrétaire d’État, les alinéas 14 et 15 sont‑ils conformes à la Constitution ? On peut lire, au paragraphe 29 de l’avis du Conseil d’État : « Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution. »

Par ailleurs, ces deux alinéas posent un problème de fond. La majorité des fonctionnaires des trois fonctions publiques ont peu de primes ou n’en ont pas. Le système à points va donc faire baisser les retraites des fonctionnaires modestes, mais augmentera voire doublera celles des hauts fonctionnaires, qui ont jusqu’à 100 % de primes. Le Gouvernement essaie de régler le problème, en réévaluant dans le temps les rémunérations. Avez‑vous inventorié l’ensemble des situations ? Quel serait le coût ? Comment le financez‑vous ?

M. Jean-Pierre Door. La question de la constitutionnalité des deux alinéas est importante, mais également celle du financement. Vous vous êtes engagés à augmenter les salaires d’une classe de fonctionnaires, mais pourquoi pas les autres ? Qui plus est, pourquoi inscrire des augmentations de salaires à l’intérieur d’une réforme des retraites, alors que cela n’a absolument rien à voir ? Vous cherchez seulement à vous assurer un peu de calme dans le monde des enseignants et des chercheurs...

M. Sébastien Jumel. Charles de Courson a raison. L’intégration des primes va privilégier les hauts fonctionnaires au détriment des catégories C. Il aurait d’ailleurs pu ajouter que l’intégration des primes aggravera les inégalités entre les hommes et les femmes, puisque, selon un récent rapport, le manque à gagner moyen des femmes en matière de primes représente 20 % de l’ensemble des écarts de rémunération. Enfin, nous faisons, depuis le début, la démonstration que cette réforme va dégrader le niveau des pensions. Si vous le corrigez pour les enseignants, nous disposons d’une étude d’impact non truquée, réalisée par le collectif Nos retraites, qui applique votre réforme aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Ils perdront entre 7,15 et 3,65 %, s’ils partent à 65 ans ou avant. Pour gagner de l’argent, il leur faudra partir à 67 ans ! Vous devriez aussi réparer, pour ces catégories, le préjudice que représente la mise en œuvre de votre réforme.

Mme Céline Calvez. À l’occasion de la réforme des retraites, nous nous attaquons enfin à une forte injustice : la non‑revalorisation depuis des années du salaire des enseignants, des chercheurs et des enseignants‑chercheurs. Or vous nous demandez de passer à côté d’une telle occasion ! Pour nous, il est important d’investir dans l’éducation de nos enfants ; il est nécessaire d’organiser, pour les prochaines années, la revalorisation du salaire des enseignants, laquelle sera accompagnée d’une réflexion sur leurs carrières. Pendant des années, on s’est drapé dans l’excuse de la bonne retraite. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’assurer le niveau et les conditions décentes d’un bon enseignement dès le début de carrière.

M. le secrétaire d’État. Monsieur de Courson, il n’y a pas de problème de constitutionnalité : la disposition semble normative, parce qu’elle renvoie à des lois financières ultérieures.

S’agissant des fonctionnaires les plus modestes, la dynamique même du système leur sera favorable, étant donné qu’il permet aux futurs retraités les plus modestes, touchant une retraite de moins de 1 400 euros, de bénéficier d’un gros effet redistributif. La réflexion menée sur les enseignants ne concerne pas que les primes et les rémunérations, mais également leurs carrières.

Pour ce qui est du coût, je crois vous avoir déjà répondu, monsieur de Courson, lors de mon audition, et je n’ai pas changé d’avis : entre 0,3 et 0,4 point de PIB. Il faut bien comprendre le choix du Gouvernement, qui saisit l’occasion de récrire le contrat social qu’a la Nation avec ses enseignants, selon la formule de Jean‑Paul Delevoye.

Monsieur Gouffier‑Cha, je comprends que vous souhaitiez donner plus de visibilité à cette disposition, en en faisant un article à part.

M. Thibault Bazin. C’est de la com !

M. le secrétaire d’État. Néanmoins, je pense qu’elle a également beaucoup de sens à sa place actuelle, étant donné que l’on y retrouve les éléments fondamentaux de ce que nous défendons, comme l’égalité ou la solidarité. Cet ensemble constitue un message fort vis‑à‑vis de nos enseignants et rappelle l’engagement solennel et irrévocable du Gouvernement de revoir les rémunérations. Sagesse.

M. le rapporteur général. Ces deux lois de programmation sont particulièrement importantes. Clémentine Autain nous renvoyait tout à l’heure à notre bulle. Pour ce qui est de ce sujet, nous allons y rester et assumer notre choix jusqu’au bout. En Allemagne, à l’école primaire, la rémunération moyenne d’un enseignant, après quinze ans d’expérience, s’élève à 67 279 euros et, dans le secondaire, à 76 962 euros. En France, elle est de 34 048 euros en primaire et de 35 504 euros dans le secondaire. La dernière revalorisation remonte à 1989 ! Trente années d’une démission collective ! Le choix a été fait de ne pas payer nos enseignants, de ne pas revaloriser ce beau métier, si important, de ne pas rediscuter avec eux le contrat social dont vous parliez, monsieur le secrétaire d’État. Nous, nous garantissons le maintien du niveau de pension actuel, qui se situe, en moyenne, à 2 600 euros, et nous veillerons à réduire les écarts actuels. Monsieur Dharréville, vous avez proposé de revaloriser le point d’indice. Mais il faut aller plus loin et mener une vraie politique de revalorisation des salaires, de 20 %. Les deux lois de programmation sont essentielles et seront inscrites dans le texte, dans un nouvel article 1er bis.

M. Éric Woerth. Je comprends bien que vous souhaitiez vous réconcilier avec les enseignants. Mais les augmentez‑vous vraiment ? Cela n’est pas si clair. En réalité, il s’agit d’une augmentation‑compensation. Vous les augmentez pour qu’ils puissent avoir à peu près la même retraite. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une reconnaissance extraordinaire de la fonction d’enseignant ! Je préférerais un débat sur l’augmentation réelle des enseignants, lors de l’examen du budget, et sur leur place dans la société. Mais ce n’est pas du tout le cas ici !

Par ailleurs, vous avez répondu en pourcentage de PIB mais quel est le coût réel de cette augmentation ? Selon quel calendrier va‑t‑elle se dérouler ?

Mme Clémentine Autain. Il a pu s’exprimer une minute vingt !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Autain, nous n’allons pas jouer à ce jeu ! Le sujet est important. D’ailleurs, je redonne la parole à ceux qui la demandent, alors que je n’y étais pas obligée.

M. Sébastien Jumel. Commençons par nous souvenir de l’histoire... Le Premier ministre fait ses annonces ; puis, patatras, les premières simulations montrent que les enseignants sont défoncés. On monte alors à la va‑vite un système de compensation. J’aimerais, par ailleurs, que le président de la commission des finances m’éclaire. De quelle façon la revalorisation sera‑t‑elle touchée par l’impôt sur le revenu ? Quel sera l’impact réel des primes sur le pouvoir d’achat ?

À moi qui ne suis pas très intelligent et qui essaie chaque jour d’apprendre un peu plus, j’aimerais que vous expliquiez, monsieur le secrétaire d’État, comment, pour la fonction publique territoriale, la suppression de la référence aux six derniers mois pour le calcul de la pension se traduira par une augmentation de pension ? Pour avoir été maire, je sais que les maires nomment au grade supérieur, avant les six derniers mois, certains agents touchant un petit salaire pour donner un coup de pouce à leurs retraites.

M. Éric Coquerel. Monsieur Pietraszewski, vous êtes fort présomptueux de balayer ainsi le risque d’inconstitutionnalité ! L’avis du Conseil d’État est tout de même clair ! Vous nous faites voter des dispositions en prévision d’une loi, dont nous ne connaissons pas le contenu, mais sur laquelle nous devrions vous faire confiance, ainsi que les enseignants. Non seulement cela me semble très léonin, mais surtout je vous garantis que ce sera jugé inconstitutionnel. C’est peut‑être pour cela que vous avez pris les devants et annoncé la suppression de l’alinéa 14.

Monsieur Gouffier‑Cha, essayer de nous faire croire que tout cela est une revalorisation du métier d’enseignant, alors même que vous continuez de geler le point d’indice des fonctionnaires et que vous allez répondre à une inégalité de fait, qui prouve d’ailleurs que votre système n’a rien d’universel, en bricolant quelque chose pour la suite, ça ne peut pas marcher ! Venez avec moi à la porte d’un lycée et allez expliquer aux enseignants que vous êtes en train de revaloriser leur métier, alors que vous créez une usine à gaz. En réalité, après le vote de la loi, ils auront moins de retraite, comme les autres fonctionnaires !

M. Philippe Vigier. Le week‑end dernier, j’ai rencontré une jeune certifiée d’histoire‑géographie, qui gagne 1,15 SMIC, à 27 ans, après quatre ans d’expérience. Alors que le métier d’enseignant est difficile et qu’il manque d’attractivité, vous devez établir une règle de confiance et leur garantir qu’ils ne seront pas perdants pour leur retraite. La comparaison des niveaux de rémunération des enseignants en Europe est également assez édifiante. On ne peut pas agiter le spectre d’une diminution des retraites, sans la moindre perspective de revalorisation des salaires. Ce serait prendre le risque d’un effondrement de tout notre système éducatif. Alors qu’il y existe déjà des concours avec moins de candidats que de postes, il est urgent de réagir !

M. Hervé Saulignac. Les syndicats enseignants suivent attentivement nos débats, et je ne suis pas certain qu’ils soient en cet instant très rassurés sur leur sort... Hier, lors de la séance de questions au Gouvernement, notre présidente, Valérie Rabault, a appelé l’attention du Gouvernement sur la pénalisation que risquaient les enseignants, en l’absence de mesure correctrice. Lorsque l’hypothèse de la revalorisation a été avancée, il s’agissait d’une dépense de 12 milliards d’euros pour une augmentation de 25 % de leur rémunération. Vous êtes dans une impasse. Pour préserver le niveau de la retraite des enseignants et des chercheurs, vous allez devoir admettre l’existence d’un régime spécifique supplémentaire. Je ne vois pas comment vous allez pouvoir vous en tirer autrement. Si vous avez une idée, faites-nous en part dès maintenant, car cela rassurerait les enseignants qui nous écoutent.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’amendement n° 2217 de Mme Clémentine Autain et les seize amendements identiques, l’amendement n° 21275 de M. Boris Vallaud, l’amendement n° 194 de M. Dino Cinieri, l’amendement n° 21532 de M. Sébastien Jumel, l’amendement n° 22572 de Mme Martine Wonner et l’amendement n° 5077 de Mme Clémentine Autain ainsi que les seize amendements identiques, tombent.

La commission examine ensuite l’amendement n° 22609 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. L’amendement vise à inscrire dans le marbre que les réserves financières des régimes de base et complémentaire des professions indépendantes et libérales demeurent leur propriété et ne peuvent faire l’objet d’un transfert au bénéfice d’une caisse commune. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement s’y est engagé, mais cela va parfois mieux en l’écrivant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je rejoins totalement votre intention : il est hors de question de ponctionner les réserves financières constituées par les différents régimes de retraite, qui relèvent de la propriété privée, en quelque sorte. Elles n’ont donc aucune vocation à abonder un quelconque pot commun. Néanmoins, l’adoption de votre amendement conduirait à empêcher l’application d’une disposition à l’article 58, permettant le transfert de trois mois de fonds de roulement à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui deviendra la banque de l’ensemble du système.

Je demande le retrait.

Mme Valérie Rabault. Cet amendement est essentiel, dans la mesure où le Gouvernement n’a donné aucune garantie. Quand bien même il en donnerait, les seules garanties qui doivent exister sont celles inscrites dans la loi. En réponse à mon courrier, le Premier ministre m’a indiqué que les réserves des régimes des professions indépendantes et libérales s’élevaient à 30 milliards d’euros. Il est hors de question qu’elles soient siphonnées par le système. Sa réponse ne m’a pas rassurée.

S’agissant des enseignants, le rapporteur général a fait supprimer les alinéas 14 et 15, sans donner la moindre garantie. Un enseignant qui part à la retraite aujourd’hui bénéficie en moyenne de 2 300 euros par mois. Avec votre système, il va tomber à tomber 2 040 euros. S’il est hors classe, il passera de 2 600 euros à moins de 2 100 euros. Pour que les enseignants puissent conserver leur niveau de retraite actuel, il faut revaloriser leur salaire entre 17 et 35 % dès le début de carrière. Or ni le Gouvernement ni la majorité ne s’y sont engagés.

M. Sébastien Jumel. Je pense qu’il faut prendre au sérieux l’amendement de la collègue qui a succédé à Édouard Philippe... Elle est toujours bien informée, et sa vigilance toujours éclairée. À Dieppe, on dit : « À chacun son pain, chacun son hareng. » Un amendement nous permettant de graver dans le marbre de la loi le fait que ces réserves ne seront ni spoliées ni fongibles me semble de nature à rassurer.

M. Charles de Courson. Quelle analyse faites‑vous, en droit constitutionnel, de la nature juridique de ces réserves ? Monsieur le rapporteur, vous avez dit – et je partage votre sentiment – que ce sont des fonds privés. Vous avez reconnu que Mme Firmin Le Bodo avait raison sur le fond, sous réserve des alinéas 27 et 28 de l’article 58 sur l’écrêtement des fonds de roulement. Mais comment pouvez‑vous les écrêter si ce sont des fonds privés ? Si vous utilisez une partie de ces réserves, qui sont des fonds privés, en droit constitutionnel, cela s’appelle une expropriation, ce qui suppose une indemnisation des détenteurs des réserves. Pourriez‑vous nous dire qui sont les propriétaires de ces fonds privés ? Il me semble que ce sont ceux qui ont cotisé. En cas d’extinction de ces régimes, tant de base que complémentaires, il faudra restituer ces réserves à leurs propriétaires. Où en êtes‑vous de votre réflexion à ce sujet ?

M. Thibault Bazin. C’est un sujet essentiel, qui inquiète légitimement les caisses de retraite des régimes bien gérés, qui n’ont pas demandé d’argent à l’État et contribuent même à équilibrer les autres régimes. Vos termes ne sont pas clairs. Constitutionnellement, la propriété est leur. Allez‑vous les contraindre à un usage spécifique de ces réserves pour financer la transition ? Je ne suis pas sûr que vous en ayez le droit constitutionnellement...

Par ailleurs, ces régimes auront-ils à financer le fonds de trésorerie du futur système ? Ce serait injuste et inéquitable, et je ne suis pas sûr que ce soit constitutionnellement possible. Pouvez-vous nous donner des garanties claires sur la question des réserves ?

M. Jean-Paul Mattei. Je vais soutenir cet amendement à titre personnel. Il n’est pas contradictoire avec le reste du texte et n’empêchera pas de négocier par la suite. Poser le principe de la propriété de ces réserves facilitera les négociations et le travail ultérieur. Nous pourrons faire évoluer le système au sein d’un régime universel.

M. le secrétaire d’État. Ce travail est intéressant, et je me suis replongé dans le texte de la loi, l’avis du Conseil d’État et les éléments de l’étude d’impact pour vous répondre au mieux.

Madame Firmin Le Bodo, votre amendement me semble satisfait par le projet de loi. Soyons clairs : les réserves sont constituées par des cotisations qui ont été rendues obligatoires par la loi – ce sont donc des fonds publics –, dont les caisses sont propriétaires et dont elles décideront en toute autonomie de l’affectation. Ces sommes doivent être affectées à la gestion des régimes qui les ont perçues, cela ne fait pas débat.

Thibault Bazin rappelait les dispositions constitutionnelles sur le droit de propriété, il a raison. Pour rassurer chacun de vous, je vais m’appuyer sur l’avis du Conseil d’État dont on parle tant depuis trois jours. En page 57, il détermine que les dispositions portant sur le fonds de roulement ne portent pas atteinte au droit de propriété. Ce dispositif est donc bien sécurisé juridiquement.

Au cours de nos réflexions, nous avions suggéré que les caisses puissent décider d’affecter ces sommes, pour une période transitoire, à une éventuelle augmentation des cotisations vieillesse. Mais cette décision leur appartient pleinement, en aucun cas le Gouvernement n’imposera quoi que ce soit – il ne le peut d’ailleurs pas. Je le répète, ces caisses gèrent en toute autonomie les sommes qui ont été constituées.

Le projet de loi est très explicite : seul le Fonds de réserve pour les retraites actuel viendra abonder le Fonds de réserves universel.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à deux amendements identiques n° 14648 de M. Lionel Causse et n° 22089 de M. Philippe Vigier.

M. Lionel Causse. Cet amendement tend à compléter l’article 1er afin de garantir à l’ensemble des agents publics des trois versants une retraite comparable à celle qu’ils auraient perçu avant l’entrée en vigueur du nouveau système.

M. Philippe Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes pas là pour vous ennuyer, l’amendement précédent, repoussé à deux voix près, avait pour objet d’instaurer la confiance. Celui-ci est de la même veine : il traduit l’engagement du Gouvernement en prévoyant explicitement qu’une garantie sera apportée aux agents publics sur le niveau de leurs retraites.

Il ne s’agit pas de dispositions techniques compliquées : nous garantissons qu’ils n’auront pas moins avec le nouveau système qu’avec le système précédent. Cet amendement a une forte portée symbolique, puisqu’il concerne 2,5 millions de personnes des fonctions publiques territoriales, hospitalière et d’État. Donner aux agents de catégorie C de la fonction publique territoriale, dont les rémunérations sont faibles et qui touchent très peu de primes, l’assurance qu’ils ne subiront pas de baisse du niveau de leur retraite est un message important, le même que vous auriez pu adresser aux professions libérales.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Permettez-moi de revenir brièvement sur l’amendement n° 22609. L’article 50 du projet de loi, dans ses alinéas 20 et 22, précise les conditions dans lesquelles le directeur général de la CNRU prépare l’intégration des caisses de retraite, en excluant explicitement les réserves des régimes. Ce point est donc clairement prévu.

J’en reviens aux deux amendements identiques en discussion. Évidemment, les fonctionnaires ne doivent pas perdre de droits, mais cela doit être vrai pour tous les salariés. Ce texte va garantir que tous les droits acquis seront maintenus, pour les fonctionnaires, les enseignants ou les salariés du secteur privé. Le Gouvernement s’y est clairement engagé, à plusieurs reprises. Il n’y a pas un enjeu spécifique pour les enseignants. Tous les salariés concernés par la bascule dans le nouveau régime ne perdront pas de droits.

Je demande donc le retrait de ces amendements, tout en partageant votre préoccupation.

L’amendement n° 14648 est retiré.

M. Fabien Di Filippo. Les interrogations soulevées par Mme Rabault et M. Woerth et les réponses apportées par le secrétaire d’État sont plutôt de nature à nous inquiéter. L’augmentation des rémunérations pour les enseignants accompagnant cette réforme des retraites représentera rapidement entre 15 et 20 milliards d’euros par an. Or je pense, monsieur le secrétaire d’État, qu’en cet instant, vous êtes incapable de nous dire comment ces dépenses seront financées.

S’agissant de l’ensemble de la fonction publique, allez-vous les laisser pour compte, ou faudra-t-il trouver 15 à 20 milliards d’euros supplémentaires ? Quelles cotisations, quelles taxes comptez-vous augmenter pour financer cela ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Comme l’a dit M. Vigier, cet amendement et le précédent ont pour objet de rassurer. Ce projet de loi est anxiogène, ce qui est légitime s’agissant du départ à la retraite, moment compliqué. S’il est possible de rassurer les gens, comme le permet l’amendement de M. Vigier, faisons-le.

M. Charles de Courson. L’amendement de M. Vigier complète logiquement le vote sur la suppression des alinéas 14 et 15. Il est équitable, puisqu’il prévoit que le Gouvernement examinera l’ensemble des situations des trois fonctions publiques, et pas uniquement celle des enseignants et des chercheurs. L’adopter serait une mesure de justice entre tous les fonctionnaires, tandis que le repousser ferait courir un vrai risque : les demandes reconventionnelles vont pleuvoir. Quelle réponse donnerez-vous alors ? Pourquoi prévoir une revalorisation pour les enseignants et les chercheurs, mais pas pour les autres catégories dans la même situation ? Votre position serait intenable.

Mme Clémentine Autain. Le député Causse, de la majorité, a décidé de retirer son amendement alors qu’il était très intéressant. En creux, il montrait que vous reconnaissiez les méfaits du calcul, non plus sur les six derniers mois, mais sur l’ensemble de la carrière des fonctionnaires plutôt que sur les six derniers mois.

Je reviens sur mon exemple précédent : un professeur certifié né en 1953 qui prendra sa retraite en 2020 ne sera effectivement pas concerné par la réforme, et percevra donc 2 197 euros. Mais si l’on transpose sa situation dans le nouveau système, il perdra 743 euros. Voilà la réalité ! Vous savez très bien que les fonctionnaires vont perdre à cette réforme.

M. Causse a retiré son amendement de manière zélée et docile, mais l’inquiétude a gagné les bancs de la majorité. Elle sait pertinemment que le manque à gagner va être considérable pour les fonctionnaires, et que l’engagement du Gouvernement à compenser est nul.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Chaque député est libre de son choix.

M. Sébastien Jumel. Nous débattons des conséquences de la réforme, des simulations au cas par cas : nous disons que la situation va se dégrader tandis que la majorité soutient qu’elle va s’améliorer.

Si vous en êtes vraiment convaincus, chers collègues, adopter l’amendement de M. Vigier ne mange pas de pain, puisqu’il vise simplement à écrire dans la loi la garantie que la situation ne peut pas se détériorer avec le nouveau système. Puisque vous êtes sûrs que votre réforme est extraordinaire, et qu’elle va permettre de régler toutes les inégalités et de vivre mieux adoptez donc cet amendement qui vise à rassurer tout le monde ! Si vous ne l’adoptiez pas, vous seriez pris la main dans le sac. Et l’anxiété sera au rendez-vous !

M. Jean-Paul Mattei. Je voterai bien cet amendement, mais, à la lecture de l’avis du Conseil d’État, il apparaît qu’il soulève le même risque d’inconstitutionnalité qui nous a amenés à supprimer les alinéas 14 et 15. Dans quel cadre juridique allons-nous l’appliquer ? La prudence commande donc de retirer cet amendement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous arrivons au vote sur le dernier amendement à l’article 1er. Le travail, qui a été intense, sur cet article nous permet d’acter des objectifs importants qui vont structurer l’ensemble de notre réforme. C’est une bonne nouvelle et je voulais le souligner.

Je prends conscience d’un effet de bord de notre réforme : à écouter certains de nos opposants de gauche, pour les commissaires de la commission spéciale, c’est « dé-primes » assurées ! (Sourires.) Je voulais juste détendre un peu l’atmosphère... Cette réforme des retraites soulève des enjeux importants. Il faut certes en discuter, mais certaines des interpellations ne sont pas à la hauteur.

M. le secrétaire d’État. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment explicite. Il existe une spécificité des enseignants et des chercheurs en comparaison aux autres fonctionnaires de catégorie A. C’est ce que le Gouvernement veut marquer, et qui a fait l’objet d’un débat et d’une prise de position de ma part. Certains demandent combien cela va coûter : nous assumons qu’il s’agit d’un investissement de la Nation envers tous ceux qui permettent l’émancipation de nos jeunes. Sur le fond, ce sujet fait consensus.

L’amendement proposé porte sur les autres catégories de fonctionnaires. Les travaux préparatoires et l’étude d’impact ont permis d’étudier un grand nombre de situations. Les fonctionnaires qui touchent peu de primes ont des carrières relativement plates ; c’est notamment le cas des catégories C dans la fonction publique territoriale. Mais ces fonctionnaires sont structurellement bénéficiaires du nouveau système universel de retraite. Les effets redistributifs entraîneront une augmentation significative de leur niveau de retraite.

J’entends votre volonté de créer de la confiance, monsieur Vigier. Pour réussir collectivement cette grande transformation de notre système de retraite, il est en effet fondamental de créer les conditions de la confiance. C’est pourquoi le Gouvernement entend adresser un message clair aux enseignants, aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs dont la situation est décalée par rapport aux autres fonctionnaires de catégorie A. Quant aux fonctionnaires peu primés, la dynamique du système leur est très favorable. Voilà pourquoi je propose le retrait de cet amendement.

La commission rejette l’amendement n° 22089.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis (nouveau) : Lois de programmation relatives aux personnels enseignants, enseignantschercheurs et chercheurs

La commission est saisie de l’amendement n° 22249 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Cet amendement tire les conséquences de la suppression des alinéas 14 et 15 de l’article 1er, relatifs aux deux lois de programmation, en réintroduisant ces mesures dans un nouvel article 1er bis. Je suis convaincu que nous adopterons cet amendement car nous sommes tous attachés à la revalorisation des rémunérations des enseignants et des chercheurs.

Pour répondre à notre collègue Coquerel, je l’invite moi-même dans ma circonscription pour y visiter les établissements scolaires. Nous comprenons les inquiétudes du monde enseignant, elles sont bien légitimes puisqu’aucune réponse ne leur est apportée depuis trente ans. Nous travaillons précisément à apporter des solutions, notamment pour répondre aux attentes de revalorisation des carrières.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons beaucoup échangé avec le rapporteur général à ce sujet. Le décalage entre la rémunération de nos enseignants et celle en vigueur dans les pays voisins est en effet le résultat d’une longue sous-valorisation de cette profession. Bien évidemment, nous ne pouvons pas régler ce problème en deux coups de crayon, mais nous nous engageons clairement à procéder à une revalorisation importante et à un rattrapage vis-à-vis des autres fonctionnaires de catégorie A pour revenir à un équilibre.

Avis favorable.

M. Thibault Bazin. Ce n’est pas avec cet article que vous allez régler la question de la rémunération des fonctionnaires. Cet amendement du rapporteur général est en tout cas révélateur, ce n’est pas qu’une opération de communication : vous avez peur de la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions qui figuraient à l’article 1er.

Il a fallu attendre le troisième jour pour que le rapporteur général présente un amendement ! Seize amendements seulement ont été déposés par les six rapporteurs sur ce texte qui compte soixante-cinq articles ! C’est à se demander si la majorité compte réellement examiner tout ce projet, ou si les rapporteurs considèrent que le travail en commission ne sert à rien...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, je vous demande de respecter le travail des parlementaires.

M. Thibault Bazin. Peut-être que les rapporteurs n’ont simplement pas eu le temps de faire un travail sérieux ? Je m’interroge sur la sincérité de votre volonté d’examiner l’ensemble du projet. Si tout cela n’était qu’un faux-semblant, cela pourrait intéresser le Conseil constitutionnel.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Bazin, si vous considérez que votre travail est un faux-semblant, c’est votre problème.

Mme Clémentine Autain. Vous avez précédemment supprimé ces dispositions pour les réintroduire ici : nous revenons donc au point de départ. Vous êtes sur le point d’adopter des dispositions inconstitutionnelles, comme l’a expliqué le Conseil d’État.

Sur le fond, le gel du point d’indice court depuis neuf ans. Non seulement les enseignants français ont les salaires les plus bas des pays d’Europe occidentale, mais ceux-ci n’ont pas été revalorisés depuis neuf ans. Pour compenser les méfaits de votre régime de retraite, vous allez donc revaloriser les salaires mais à quel niveau ? Il semble que le montant prévu soit extrêmement faible. Les enseignants devront donc renoncer à une revalorisation correspondant à la reconnaissance de leur métier et au manque à gagner accumulé pendant tant d’années. Pour eux, c’est la double peine. Je comprends qu’ils soient très en colère et fassent grève depuis un moment. Et cela ne va pas s’arrêter.

M. Pierre Dharréville. Nous avons là l’aveu de l’inadaptation du système que vous proposez à toute une série de carrières et de situations, dans la fonction publique, mais aussi pour les avocats ou les infirmières libérales. Votre système ne fonctionne pas et vous êtes obligés de prévoir des exceptions. Vous devriez en tirer la leçon qui s’impose.

Vos annonces ne rassurent pas, elles inquiètent, au contraire. En effet, la parole du Gouvernement est démonétisée, après toutes les arnaques, les entourloupes et les tours de passe-passe que nous avons constatés depuis deux ans et demi. Il a ainsi été plus ou moins dit que la revalorisation aurait pour contrepartie une discussion sur le métier d’enseignant, qu’on leur demanderait de travailler plus, ce qui alimente l’inquiétude au sein de l’éducation nationale.

Enfin, ces annonces préoccupent également toutes les professions qui n’entrent pas dans le périmètre de vos correctifs. Le débat n’est pas clos et il vous faudra apporter les précisions nécessaires.

M. Hervé Saulignac. Je souhaite que l’on m’assure que cet amendement est conforme à la Constitution. Je ne comprends plus vos pratiques. Vous répondez en effet à l’observation du Conseil d’État par un amendement qui encourt les mêmes griefs du point de vue constitutionnel. J’ai le sentiment que nous sommes dans l’affichage et que cet amendement sera finalement rejeté par le Conseil constitutionnel.

M. Olivier Véran. « Cachez ce progrès social que je ne saurais voir ! » Depuis avant-hier, à chaque avancée sociale forte du texte, vous répondez qu’elle ne marchera jamais. Depuis le début de l’examen de ce texte, vous appliquez une méthode anti-Coué qui montre bien que nous allons dans le bon sens.

Les rémunérations des enseignants ont été revalorisées par la gauche au début des années 1990 et depuis, quasiment plus rien. Au cours des cinq années du dernier mandat socialiste, j’aurais aimé que les rémunérations des enseignants soient revalorisées, j’aurais adoré voter un amendement en ce sens, j’aurais sauté de joie si l’on m’avait annoncé que 500 millions d’euros seraient injectés l’année prochaine pour les rémunérations des enseignants, et que 10 milliards allaient être consacrés à leur carrière. Les enseignants vont percevoir une meilleure rémunération pendant leur période d’activité, et une même pension de retraite. Cela vous embête, pour nous c’est un plaisir !

M. le rapporteur général. Je suis surpris des excuses données par les uns et les autres sur une telle disposition, c’est un peu « courage, fuyons ! » C’est l’attitude qui a prévalu pendant trente ans au sujet des enseignants. C’est pourquoi les inquiétudes sont fortes. Nous apportons aujourd’hui des réponses. Je suis certain que vous serez tous mobilisés pour que ces lois de programmation soient les plus solides et les plus progressistes possible.

M. Éric Woerth. Cet amendement de la majorité a de fortes chances d’être adopté. Il me semble naturel que le débat dure un petit peu plus sur les amendements dont l’adoption est certaine. Je reconnais que ceux de nos collègues de La France insoumise ont peu de chances de l’être. Là, il y aura une conséquence – même si nous allons probablement en revenir au texte du Gouvernement...

M. le secrétaire d’État. Compte tenu des choix précédents de la commission, il est indispensable de réintroduire ces dispositions. Les mettre en valeur dans un nouvel article 1er bis, comme le propose la commission, a du sens.

J’espère que nous trouverons les voies de l’unanimité, car les enseignants comprendraient mal que des voix au sein de cette commission s’opposent à cet amendement qui tend à refonder le contrat social entre l’État et les enseignants, et à revaloriser leur rémunération.

M. Éric Woerth. Il n’est pas financé, ce n’est pas responsable !

La commission adopte l’amendement n° 22249.

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6.   Réunion du mercredi 5 février 2020 à 15 heures (avant l’article 2 à article 3)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8697727_5e3ac8b61f593.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-5-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous allons poursuivre l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite.

Nous avons examiné 507 amendements, il nous en reste 19 931 à examiner.

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au Règlement sur le fondement de l’article 86, alinéa 5 du Règlement, portant sur les conditions de recevabilité des amendements en commission.

Ce matin, la majorité a adopté l’amendement n° 22249 du rapporteur général et du rapporteur, qui prévoit que la mise en place du système universel de retraite s’accompagne, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes permettant de garantir le niveau de pension des personnels enseignants fonctionnaires. Le premier alinéa de cet amendement est rigoureusement identique aux dispositions incriminées par le Conseil d’État dans son avis : « Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution. »

Madame la présidente, je crois qu’il n’est pas de bonne politique et pas très honnête à l’endroit des enseignants que votre majorité, instruite de l’avis du Conseil d’État, fasse sciemment adopter un amendement inconstitutionnel, dont le seul but est de donner l’impression que le problème a été réglé alors qu’il persiste.

Par ailleurs, la mise en débat de cet article constitue une violation constitutionnelle qu’il vous appartenait de prévenir. Dans ses décisions du 22 janvier 1990, du 4 mai 2000 et du 7 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a estimé que de telles injections ne trouvent de base juridique ni dans l’article 34, ni dans aucune autre disposition de la Constitution, et portent atteinte au droit d’initiative des lois conféré par son article 39 au Premier ministre. Dès lors, cet amendement devait être déclaré irrecevable, comme l’ont été tous les amendements portant injonction et déposés sur ce texte, comme sur n’importe quel autre texte de loi. Le groupe Socialistes et apparentés ne peut que s’émouvoir de ce tour de passe-passe qui finira par rattraper le Gouvernement et, au bout du compte, l’ensemble des enseignants – qui ont encore un peu d’espoir dans les promesses qui leur ont été faites, même s’ils commencent à douter fortement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je prends acte de votre remarque, monsieur Vallaud.

Nous avons déjà débattu sur l’amendement que vous évoquez, c’est pourquoi je me contenterai de donner la parole au rapporteur s’il le souhaite, après quoi nous poursuivrons nos travaux.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je rappelle à M. Vallaud, qui le sait très certainement, que si le Conseil d’État fournit des avis au Gouvernement, il n’a pas le même rôle que le Conseil constitutionnel. Nous avons pris note de l’avis du Conseil d’État et en tirerons les conclusions qui s’imposent mais, pour le moment, cet avis n’apporte rien de particulier.

M. Adrien Quatennens. Ce que vient de dire M. Vallaud confirme le risque que votre projet de loi soit inconstitutionnel, ce qui pourrait réduire à néant l’ensemble des travaux parlementaires le concernant. On sait désormais que ce sera le cas des travaux de la commission spéciale, dans la mesure où elle n’aura jamais assez de temps pour examiner la totalité du texte dans les délais qui lui sont impartis.

Plusieurs députés du groupe La République en Marche. À qui la faute ?

M. Adrien Quatennens. À qui la faute, si ce n’est à ce Gouvernement et à son obstination ? En tout état de cause, force est de constater que nos travaux ne suscitent pas un grand intérêt de la part de la majorité, qui joue assez peu le jeu du débat. Si on ajoute à cela le fait que les amendements adoptés sont entachés d’un risque inconstitutionnel, on se demande à quoi servent nos réunions – c’est peut-être la raison qui fait que les travaux de cette commission ne semblent pas intéresser grand monde : en tout cas, il y a de moins en moins de députés à y prendre part... (Exclamations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.)

Mme Cendra Motin. Vous êtes vous-même un peu seul en ce moment, cher collègue... Où sont les autres députés de votre groupe ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Quatennens, ce sont là des appréciations qui n’ont rien à voir avec la recevabilité des amendements. Nous allons donc reprendre le cours de nos travaux.

M. Adrien Quatennens. À quoi bon ?

La commission poursuit l’examen des articles du projet de loi instituant un système universel de retraite.

Avant l’article 2

La commission est saisie de l’amendement n° 2545 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 2545 vise à mettre en conformité le titre de la section 2 avec ce qu’elle contient réellement, en rédigeant ainsi l’intitulé de cette section : « Une réforme bâclée aux champs d’application temporels comme matériels délibérément flous ». En effet, il s’agit indéniablement d’une réforme bâclée : le Conseil d’État, qui a passé en revue l’ensemble des éléments de langage le composant, indique clairement que rien de ce qui a été mis en avant par le Gouvernement ne fonctionne et souligne, surtout, le caractère lacunaire du financement de la réforme proposée.

Sur cette question du financement, qui constitue bien le point central du débat, nos collègues de la majorité ne semblent envisager qu’une solution : faire travailler les Français plus longtemps, alors que l’opposition s’emploie à démontrer que ce n’est pas inéluctable et qu’il y a d’autres choses à faire. En résumé, c’est bien une réforme bâclée, et nous vous invitons à le dire clairement dans l’intitulé de la section 2.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Section 2 : Champ d’application

Article 2 : Champ d’application du système universel de retraite (dispositions communes)

La commission examine les amendements identiques n° 545 de M. Sébastien Jumel, n° 3017 de M. Adrien Quatennens et n° 21085 de M. Boris Vallaud.

M. Hubert Wulfranc. Au prétexte d’une simplification du système de retraite, l’article 2 procède à un nivellement par le bas des droits à la retraite entre les différents régimes existants. La logique du moins-disant social qui imprègne cette réforme fera de nombreux perdants : les femmes, la majorité des 22 millions de salariés du régime général, les professionnels libéraux, les 400 000 agents des régimes spéciaux et les 4,4 millions de fonctionnaires, notamment ceux appartenant aux catégories actives.

En outre, la mise en place d’un système universel crée des régimes de retraite à la carte, à rebours des objectifs de justice sociale et de simplification. Ce sont plusieurs dizaines de régimes de retraite qui cohabiteront dans le système universel, voire des centaines avec les régimes par capitalisation.

Pour toutes ces raisons, l’amendement n° 545 vise à la suppression de l’article 2.

M. Adrien Quatennens. L’article 2, qui a pour objet de définir le champ d’application de la réforme, évoque au passage quarante-deux régimes différents, dont chacun aura compris qu’ils n’existent pas. Je rappelle en effet que le Conseil d’orientation des retraites (COR) n’en connaît que vingt-trois, et le ministère de la santé dix-huit seulement, ce qui montre bien qu’on grossit artificiellement le nombre de régimes spéciaux afin de le faire paraître plus important et de renforcer ainsi l’idée qu’une simplification serait nécessaire.

Surtout, l’article 2 contient une entourloupe, consistant à réaffirmer l’idée que la réforme ne va s’appliquer qu’aux Français nés à partir de 1975. Or, comme nous en avons obtenu confirmation à plusieurs reprises auprès de M. le secrétaire d’État, le retrait provisoire de l’âge pivot concerne également des personnes nées avant 1975 – vraisemblablement dès 1959. Cet article illustre bien le caractère insincère du champ d’application de la loi, dont chacun doit savoir qu’elle concerne en réalité également les Français nés avant 1975, puisque lors du retrait provisoire de l’âge pivot à 64 ans, le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de trouver 12,5 milliards d’euros d’économies pour les personnes nées avant 1975.

Nous vous proposons donc d’adopter l’amendement n° 3017, qui a pour objet de supprimer l’article 2.

M. Boris Vallaud. L’amendement n° 21085 vise également à la suppression de l’article 2.

Alors que vous prétendiez supprimer quarante-deux régimes spéciaux, vous avez créé des centaines de régimes spécieux, ce qui fait que plus personne n’est capable de dire ce qu’il va advenir de sa pension. Mes chers collègues, je vous suggère la lecture fort instructive de l’analyse de l’étude d’impact publiée dans Le Monde d’aujourd’hui : plusieurs économistes, dont Antoine Bozio, y dénoncent le côté lapidaire, lacunaire, pour ne pas dire tronqué et truqué, de ladite étude d’impact.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous évoquez un nivellement par le bas, monsieur Wulfranc : je vous dirai que, pour ma part, je suis plutôt content que les agriculteurs, les commerçants et les artisans puissent bénéficier d’une retraite d’au moins 1 000 euros.

Je suis content que les femmes, dont les interruptions de carrière liées à la maternité et à l’éducation des enfants, puissent également bénéficier de la réforme.

Je suis content que les périodes de chômage puissent être mieux intégrées dans le parcours professionnel et donner lieu à l’obtention de points – même si, bien sûr, la situation des demandeurs d’emploi restera compliquée.

Pour toutes ces catégories de personnes, la réforme va constituer une source de progrès, dont il serait dommage de les priver.

Je suis également un peu étonné de voir que, dans les rangs de la gauche, censée avoir pour objectif politique de porter une forme d’universalité, on défend des régimes différents, des droits différents et des particularismes qui sont à l’opposé du fonctionnement de notre société, qui se veut plus égalitaire.

Rappelons au passage que lorsqu’on parle de quarante-deux régimes de retraite, cela correspond aux quarante-deux combinaisons possibles entre régime de base et régime complémentaire.

Enfin, pour ce qui est des dates d’affiliation, monsieur Quattenens, je constate que vous persistez à mélanger ce qui relève du rééquilibrage du régime actuel, un élément prévu par la conférence de financement, et le projet de futur système universel dont nous débattons. Ce faisant, vous contribuez à entretenir le flou que vous prétendez combattre, empêchant ainsi nos concitoyens de percevoir clairement les enjeux de cette réforme.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de l’article 2.

M. Gilles Carrez. Monsieur le rapporteur, l’emploi de l’adjectif « universel » pour désigner le système qui nous est proposé est un peu excessif, pour ne pas dire abusif... En effet, il est certain que vont être constitués de façon pérenne une multitude de régimes distincts, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis. Par ailleurs, le slogan unificateur selon lequel « un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits pour tous » a été corrigé à la demande du Conseil d’État, qui a précisé que ce principe devait être mis en œuvre selon des modalités fixées par la loi. Sans aller jusqu’à risquer de constituer une rupture du principe d’égalité, il devra bel et bien être mis en application suivant différentes modalités.

La durée prévue pour le système transitoire est exagérément longue ; pendant des décennies, on verra continuer à coexister, au sein par exemple de la RATP et de la SNCF des régimes spéciaux et plusieurs régimes différant du régime général selon que les agents seront nés avant 1975, avant 1980 ou avant 1985. Nos collègues ont donc raison de souligner les limites de l’emploi du mot « universel ».

M. Régis Juanico. Il y a un devoir de sincérité dans l’exposé des différents articles, notamment dans l’article 2, qui évoque un système universel alors que le Conseil d’État précise bien qu’il y aura cinq régimes différents, auxquels s’appliqueront des règles dérogatoires.

La vérité, c’est que vous n’avez pas supprimé les régimes spéciaux. Vous n’avez pas supprimé le régime spécial des marins-pêcheurs, par exemple, et personne n’imagine que vous le fassiez.

De même, dans le cadre du régime spécial des mines, que j’ai déjà cité, les mineurs de fond ont obtenu en 1946 à la fois la gratuité totale des soins mais aussi, en contrepartie de la pénibilité et de la dangerosité de leur métier où beaucoup ont malheureusement laissé leur vie, un système de retraite obéissant à des modalités particulières. Aujourd’hui, il y a encore 240 000 bénéficiaires de ce régime – d’anciens mineurs, mais aussi des veuves touchant des pensions de réversion d’un très faible montant, qui sont dans la précarité –, pour un coût annuel de 1 milliard d’euros environ. Le secrétaire d’État a précisé que cette somme serait prise en charge par la solidarité nationale, ce qui montre bien, s’il en est besoin, que vous ne supprimerez pas le régime spécial des mines : même en l’absence de nouveaux entrants dans ce régime spécial, vous devrez le maintenir jusqu’à la disparition du dernier bénéficiaire.

M. Hubert Wulfranc. Je ne peux laisser le rapporteur dire que le nouveau système par points va sensiblement améliorer la situation des demandeurs d’emploi. Certes, vous attribuez des points aux allocataires du chômage, ce qui est pour vous l’occasion de prétendre faire preuve de solidarité, mais vous ne le faites qu’après avoir limité l’accès aux allocations et limité leur montant ! La CFDT vous a d’ailleurs rappelé sa proposition consistant à se référer au dernier revenu de la période travaillée. De même, il semble que vous vouliez instituer un délai de carence de trente jours sur les congés maladie. Vous pouvez difficilement vous prévaloir de l’argument de la solidarité à l’appui de l’universalité.

M. Adrien Quatennens. Une fois pour toutes, je veux demander à M. le rapporteur de se contenter de contre-argumenter et de cesser de balayer les arguments de l’opposition au motif qu’il s’agirait de fausses informations constituant une manipulation de l’opinion. Pour ce qui est de manipuler l’opinion, vous êtes les grands champions... (Rires et exclamations.)

M. Thibault Bazin. Disons que vous êtes à égalité, c’est bien le drame ! Vous êtes les idiots utiles du macronisme !

M. Adrien Quatennens. C’est vous qui avez créé autant de régimes spéciaux qu’il existe d’entreprises, c’est vous qui vous apprêtez à créer autant de régimes spéciaux qu’il y a de générations, c’est vous qui nous parlez d’universalité alors qu’il n’en est rien, c’est vous qui nous parlez d’un euro qui conférerait les mêmes droits alors qu’il n’en est absolument rien ! Donc, les accusations de lancer de fausses informations, ça suffit !

Puisque la répétition fixe la notion, je rappelle également que vous nous avez fourni une étude d’impact truquée, puisque vous avez gelé...  Ah ! » sur les bancs des députés du groupe La République en Marche.) Vous vous marrez, mais ça suffit maintenant de nous prendre pour des imbéciles et de vous moquer de nous ! (Protestations sur les bancs des députés du groupe La République en Marche).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Personne ne se moque de vous, monsieur Quattenens.

M. Sébastien Jumel. Écoutez beugler le troupeau !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je demande à chacun de reprendre son calme – à commencer par vous, monsieur Jumel.

M. Jean-Jacques Bridey. Je vais essayer de faire revenir la sérénité dans ce débat en rétablissant la vérité sur notre projet, que certains de nos collègues s’ingénient à déformer.

Les Français sont-ils satisfaits du système de retraite actuel ? La réponse est non. Ils jugent en effet à 72 % que ce système ne leur garantit pas de bénéficier d’une retraite correcte. Ils sont 68 % à le trouver trop complexe, 74 % le jugent trop injuste à 79 % et 74 % qu’il n’est pas adapté à leur parcours professionnel. Enfin, 79 % d’entre eux considèrent qu’il n’est pas viable à long terme. Ce sondage datant de fin 2018 n’a pas été réalisé par La République en Marche et il n’est pas issu de l’étude d’impact : on le doit à l’institut d’études indépendant Odoxa, que chacun connaît.

Ces chiffres montrent bien – et je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point – qu’il faut remettre à plat le système de retraite ; c’est ce que nous faisons. Si les périodes de transition que nous prévoyons sont critiquées par certains, il ne faut pas perdre de vue que ce système, nous le fondons pour soixante ou soixante‑dix ans, c’est-à-dire pour au moins deux ou trois générations. Il est donc normal de prendre le temps d’une transition sur dix ou quinze ans.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle est saisie de l’amendement n° 2562 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 2562 a pour objet de supprimer l’alinéa 1 de l’article 2. Cela fait plusieurs fois que nous vous disons que l’universalité qui est l’alibi de ce projet n’a en réalité aucune existence, et adjurons une nouvelle fois la majorité de cesser d’employer ce terme. Dites ce que vous faites, et non l’inverse : le système que vous proposez n’est pas universel puisque, selon les conclusions du Conseil d’État, il comporte au moins cinq régimes différents – sans compter les nombreuses dérogations – et autant de régimes que de générations, puisque l’âge d’équilibre va se décaler un peu plus à chaque génération, contrairement à ce qu’affirme votre étude d’impact truquée pour donner l’impression que le système est plus favorable qu’il ne l’est en réalité.

Nous proposons donc la suppression de l’alinéa 1, dont les termes ne correspondent absolument pas aux effets que va produire votre projet de loi.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Une de vos collègues s’est référée ce matin au Petit Robert ; je vous invite à en faire de même : vous pourrez ainsi vérifier que « universel » ne signifie pas « uniforme ». Il existe des différences entre les métiers, et si le système que nous proposons vise à couvrir tout le monde avec un corps de règles communes s’appliquant aux régimes de retraite de base et complémentaire, il tient également compte des particularités des métiers.

Par ailleurs, pour revenir sur des propos qui ont été tenus tout à l’heure, nous envisageons une réforme systémique, ce qui, par définition, nécessite une période de transition suffisamment longue pour faire converger les différents systèmes actuels vers le régime universel que nous appelons de nos vœux.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, le système proposé n’a d’universel que le nom et, à en croire les six pages de l’analyse consacrée aujourd’hui par Le Monde à votre réforme des retraites, nous ne sommes pas les seuls à le penser : des économistes – et pas seulement de gauche – font aussi ce constat : Jean-Paul Fitoussi y affirme, page 30, ainsi que « l’illusion technocratique a tourné au déni de l’exigence de solidarité » et que « dans un système universel, la base doit être la solidarité ». Or cette exigence de solidarité ne fait pas partie de votre projet de loi. Nous le répétons depuis deux jours, mais nous ne sommes désormais plus les seuls, puisque d’autres que nous commencent à le dire publiquement.

Mme Cendra Motin. Pourquoi ne lisez-vous pas aussi la page 33 du même journal ?

M. Pierre Dharréville. On dirait que vous voulez raconter une belle histoire, mais que vous n’en avez pas les moyens, parce que le texte ne contient pas ce que vous souhaitez lui faire dire. Ainsi, monsieur le rapporteur, quand vous égrenez les points sur lesquels le texte constituerait un progrès, on a l’impression d’assister à un jeu de bonneteau, où les choses sont toujours plus compliquées qu’il n’y paraît. Je me permets de vous rappeler que certains des éléments que vous avez cités ne relèvent pas de la nouvelle réforme systémique dont vous parlez, mais de paramètres qu’il suffirait de corriger dans le régime actuel – ce que nous demandons parfois depuis très longtemps.

Par ailleurs, vous insistez sur le fait que vous n’avez pas parlé d’un système uniforme, mais d’un système universel. Or, et c’est tout ce qui compte, la définition que vous donnez de votre système correspond très exactement à l’existant... Il faudrait examiner les effets concrets des propositions contenues dans votre projet, ce qui permettrait de se rendre compte des lourds problèmes qu’il pose.

Si elle contient beaucoup d’approximations, l’étude d’impact contient cependant une explication intéressante en page 149 : « les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d’activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré ses règles différentes ». Vous dites sus aux privilèges, mais en visant des privilèges que vous estimez appartenir à des retraités comme vous et moi ! Ce faisant, vous vous trompez de cible, car les vrais privilégiés de notre société ne sont pas ces retraités.

M. Éric Woerth. Ce que vous proposez n’est pas un système universel, et nous n’avons de toute façon pas besoin d’un système universel pour régler la question des retraites. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système équilibré sur le plan financier et qui traite les gens de la même manière sur une partie de la rémunération. Nous avons besoin des systèmes complémentaires ; il n’y a donc aucune raison de les supprimer – ni eux, ni les systèmes autonomes. C’est donc une réforme assez inutile, en tout cas inutilement provocatrice pour certaines professions, que vous nous proposez.

Nous avons besoin d’un système universel qui couvre une partie de la rémunération, peut-être à hauteur d’un plafond, en laissant vivre ensuite les différences entre les professions. L’idée de base de votre réforme, consistant à dire qu’il faut simplifier le puzzle incompréhensible constitué par les quarante-deux régimes, est une idée fausse : en réalité, cinq ou six régimes, sept tout au plus, couvrent 95 % de la population, et le reste n’a rien de systémique – les cinq ou six régimes en question ne le sont d’ailleurs pas tous.

Il suffisait de faire converger un certain nombre de règles et sans doute, comme nous le proposons, de faire fusionner le public et le privé jusqu’à un plafond – et éventuellement au-delà – et de régler ensuite la question des régimes spéciaux dans une transition d’une durée acceptable, et non pas interminable comme celle prévue par le texte. À partir du moment où vous augmentiez l’âge de la retraite, vous aviez un système capable de vivre pendant longtemps, et de plus en plus juste. Vous avez, au contraire, fait le choix de bâtir votre système sur quelque chose d’inexplicable, qu’aucun Français ne peut s’approprier. Il n’y avait aucune raison de provoquer de nombreuses catégories de nos concitoyens, comme vous l’avez fait. La retraite, c’est tout de même le reflet des carrières, et nous regrettons que l’ayez perdu de vue.

M. Dominique Da Silva. Le système universel de retraite se fonde sur la solidarité interprofessionnelle, et je m’étonne de constater que ceux qui prônent la solidarité ne comprennent pas, en réalité, le sens profond de ce système. Vous préférez en fait conserver des régimes professionnels qui se caractérisent par des démographies favorables pour certains, et totalement défavorables pour d’autres. Pour notre part, nous estimons qu’il faut placer tous les Français dans un même système, afin d’obtenir une démographie favorable pour tous.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21533 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Si les termes de l’amendement n° 21533 peuvent sembler un peu récurrents, ce n’est pas pour autant un amendement d’obstruction. Il serait sage que notre commission adopte un amendement pour que le calendrier s’arrête, ce qui permettrait de mettre fin au déluge de mauvaises nouvelles que vous subissez quotidiennement... En ce moment, pas une journée ne se passe sans que vous en preniez plein la carafe à propos de votre mauvais projet, ce qui vient confirmer ce que nous disons à ce sujet depuis plusieurs semaines !

C’est le Conseil d’État qui a ouvert le bal en affirmant que votre projet était inintelligible et pipé. Aujourd’hui, c’est un quotidien national sérieux – je parle du Monde, pas de L’Huma... – qui, sur la base de son expertise et de données étayées, vous fait le même procès que celui que nous vous faisons depuis plusieurs jours, affirmant que vos études de cas sont tronquées et confirmant tout ce que nous disons sur les effets dramatiques que votre réforme va avoir sur les fonctionnaires ou sur les carrières hachées.

Franchement, il vaudrait mieux arrêter le temps car, depuis jeudi, les choses deviennent très compliquées pour vous ! Vous êtes de plus en plus détachés du corps social, des corps constitués et des hautes juridictions qui sont là pour éviter que ne soient commises des erreurs manifestes en matière juridique.

Avec l’amendement n° 21533, je voulais souligner et graver dans le marbre l’iniquité de votre projet, et je me félicite d’avoir pu le faire sans trop faire grogner le centre de l’hémicycle.

Mme Fadila Khattabi. Grogner ? Dites donc, on n’est pas des bêtes !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Et nous ne sommes pas dans l’hémicycle, mais en commission.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À amendement récurrent, réponse récurrente : défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 14665 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous avons tenté à plusieurs reprises de développer des arguments visant à démontrer que les prestations prévues par le projet ne seront pas garanties. Mais ce matin, il s’est passé quelque chose de grave. À l’initiative du président Vigier, nous avons proposé d’inscrire dans le texte la garantie faite aux retraités que leur situation ne se dégraderait pas après la réforme. Une telle proposition aurait dû susciter un consensus, si ce n’est l’unanimité, et aurait pu constituer pour vous un bon moyen de rassurer l’opinion publique, chaque jour un peu plus inquiète. En refusant cet amendement de notre collègue Vigier, vous reconnaissez officiellement, au bout du compte, que cette réforme va dégrader le niveau de pensions de bon nombre de nos concitoyens.

Je vous vois faire la moue et je vous comprends : d’une certaine manière, vous êtes pris en flagrant délit !

Mme Cendra Motin. Faire les questions et les réponses, c’est pratique !

M. Sébastien Jumel. Par ailleurs, invoquant l’article 40, vous avez refusé un amendement de fond que nous avions déposé afin de supprimer l’âge d’équilibre. Ce faisant, vous avez démontré que, si la suppression de l’âge d’équilibre se traduit par une baisse des recettes et une hausse des dépenses, cet âge d’équilibre n’a pas d’autre objet que celui de réaliser des économies sur le dos des retraités.

Heureusement, vous pouvez vous rattraper en votant pour notre amendement n° 14665.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons déjà débattu exactement du même amendement à l’article 1er, et je ne suis toujours pas convaincu que le système actuel soit à prestations définies, ni que le système de demain devienne à cotisations définies.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 2613 de M. Adrien Quatennens et n° 21170 de Mme Valérie Rabault.

M. Adrien Quatennens. Ce projet de loi n’a qu’un but : contenir la part des richesses consacrées aux retraites et, pour cela, faire en sorte que les Français travaillent mécaniquement et progressivement toujours plus longtemps. Chacun sait pourtant que ce n’est pas le seul moyen de financer les retraites. Ce moyen est d’autant plus inacceptable aux yeux de nos concitoyens qu’ils savent que la productivité a augmenté et que la richesse produite par le travail est mal répartie : dans ces conditions, devoir travailler toujours plus longtemps n’est aucunement une fatalité.

L’idée que vous avez trouvée pour vendre votre projet de loi, totalement inacceptable pour l’opinion publique, consiste à le parer de cette histoire d’universalité qui ne tient pas debout. Si vous n’êtes pas convaincu par nos arguments, je rappelle que le Conseil d’État, qui est votre conseil juridique, s’est chargé de vous expliquer que vous ne créez pas un régime universel. Cessez donc de vous acharner à essayer de nous en convaincre, en prenant pour cela, à la suite d’Emmanuel Macron, toutes les libertés dans la manière de définir l’universalité. Le Conseil d’État l’a dit : cette histoire d’universalité, ce n’est que le verre d’eau pour mieux faire avaler une pilule inacceptable aux Français ! D’où notre amendement n° 2613, qui vise à supprimer l’alinéa 2.

M. Régis Juanico. Le Gouvernement veut accréditer l’idée qu’il créerait un système universel, sous-entendant que le système actuel ne le serait pas, ce qui est faux. Par ailleurs, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis, le système proposé ne crée pas un régime universel de retraite qui serait caractérisé, comme tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d’une population éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique, puisque subsistent à l’intérieur de ce système cinq régimes : ce système n’a donc d’universel que le nom.

Par ailleurs, le Gouvernement fait reposer son système sur des règles mouvantes liées à l’évolution de l’âge équilibre, ce qui est contraire à l’idée et à l’esprit mêmes d’un système universel. Nous estimons que l’alinéa 2 devrait décrire un système piloté par l’ensemble des cotisants et garantissant à tous un revenu digne, ce qui n’est pas le cas actuellement, c’est pourquoi nous proposons par notre amendement n° 21170 de supprimer cet alinéa.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons déjà débattu sur ce point lorsqu’il a été proposé de supprimer la totalité de l’article 2.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Nous insistons lourdement sur le fait que vous ne pouvez pas utiliser le mot « universel » pour décrire un système qui ne l’est pas. Vous avez beau user d’effets de sémantique et chercher à vous faire plaisir en imaginant construire un système universel, ce n’en est pas moins faux : comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, chaque génération va avoir un âge d’équilibre différent, donc un malus différent. Le montant de chaque pension sera calculé en multipliant le nombre de points par leur valeur, moins le malus. La seule chose qui sera peut-être universelle, c’est le nombre de points qui pourront être acquis. En revanche, la valeur du point va évoluer chaque année ; quant au malus, il dépendra de l’âge d’équilibre que vous allez instaurer. Je le répète, et je le ferai jusqu’à la fin de l’examen de ce texte : c’est la première fois depuis 1945 qu’un malus dépend d’un âge d’équilibre et non de la durée de cotisation.

M. Sacha Houlié. Le fait de répéter la même ineptie n’en fait pas une vérité, madame Rabault. Plutôt que de m’appuyer sur l’étude d’impact, que nous estimons intéressante mais que vous jugez truquée, je ferai référence à l’avis du Conseil d’État, que vous avez vous-mêmes largement cité. En son considérant n° 12, le Conseil indique : « Est bien créé un "système universel" par points applicable à l’ensemble des affiliés à la sécurité sociale française, du secteur privé comme du secteur public, qui se substitue aux régimes de base et aux complémentaires et surcomplémentaires obligatoires [...] » Ces mots viennent battre en brèche toute votre argumentation consistant à prétendre qu’il n’y a pas de système universel : il y en a un, reconnu comme tel par la haute juridiction française.

M. Adrien Quatennens. La seule chose qui soit véritablement universelle dans votre projet de loi, monsieur Houlié, c’est le fait qu’il faille travailler plus longtemps. L’âge d’équilibre, qui respecte les préconisations du rapport Delevoye, va se décaler à chaque génération, et il sera bien rare d’avoir le même âge d’équilibre que son voisin, puisque cet âge sera déterminé en fonction de l’année de naissance. Pour ma génération, celle de l’année 1990, l’âge d’équilibre est de 66,5 ans, mais il ne sera pas le même pour les générations précédentes et pour celles d’après. Il y a donc bien une tromperie sur ce point, puisqu’on comptera autant de régimes spéciaux qu’il y aura de générations : chacune de ces générations aura des consignes différentes à respecter, notamment pour ce qui est de l’âge requis pour bénéficier d’une pension à taux plein.

Il n’y a pas d’universalité dans ce projet de loi – ou, plus exactement, ce n’est que l’un des éléments de langage qui le composent à 90 % pour masquer son véritable contenu, qui se résume en très peu de mots que vous n’assumez pas.

Pour ce qui est de l’étude d’impact, si vous contestez qu’elle soit manipulée comme nous le pensons, démontrez-nous qu’elle ne l’est pas ! La notion d’écart-type gèle l’âge d’équilibre, en contradiction avec votre projet de loi, qui voudrait qu’il se décale à chaque génération.

M. Gilles Carrez. Je confirme les propos de Valérie Rabault et j’infirme ceux de Sacha Houlié : le considérant 38 de l’avis du Conseil d’État précise que, pour la première fois, le système de surcote et de décote dépendra de l’évolution de l’âge d’équilibre. Or celui-ci diffère selon les générations, ce qui est un élément nouveau. Ce point est explicite dans l’avis du Conseil d’État.

Mme Valérie Rabault. Merci, monsieur Carrez !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 2579 de M. Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Je vais prendre quelques exemples : pour une naissance en 1973, l’âge d’équilibre est de 64 ans ; pour une naissance en 1982, 1983 ou 1984, il est de 64,75 ans ; pour une naissance en 1997, 1998 ou 1999, il est de 66 ans ; pour une naissance en 2009, 2010 ou 2011, il est de 67 ans. Autrement dit, les conditions d’accès à une pension à taux plein diffèrent pour chaque génération. Il ne peut donc y avoir d’universalité, en raison même de la variable d’ajustement que vous avez retenue : l’âge auquel les gens pourront partir à la retraite avec une pension à taux plein. Il n’y a rien d’universel dans ce projet de loi, sinon ce principe à vos yeux essentiel : vous voulez contracter la part consacrée des richesses aux retraites, encourager la capitalisation et pousser inexorablement les Français à travailler plus longtemps. Vous en avez le droit, mais dites-le !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il serait bon, monsieur Quatennens, de défendre les amendements que vous déposez : celui-ci n’a rien à voir avec le point que vous venez d’évoquer.

L’universalité correspond à un ensemble de principes communs à tous : un système par points, un âge d’équilibre, une réversion à 70 % pour le conjoint survivant, une majoration pour chaque enfant et la prise en compte de la pénibilité. Ces principes, que nous assumons, s’appliqueront de la même façon à chacun et non suivant le régime. C’est en cela que le système que nous défendons est universel. Quant à l’âge d’équilibre, il évoluera effectivement en fonction de l’espérance de vie.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Cette discussion nous pose un problème de fond : comme votre projet comporte des trous, nous n’arrêtons pas d’évoquer des sujets qui n’y figurent pas. Ne serait-il pas opportun de nous dire ce qui y sera intégré ? Quelles sont vos intentions en la matière ? Compte tenu de son rythme – la prochaine plénière a été renvoyée au mois d’avril 2020 – la conférence de financement ne nous apportera pas de réponse rapidement. Pourtant, il serait intéressant de savoir quelles sont vos hypothèses.

Pour ce qui est de l’universalité, le Conseil d’État trouve le mot un peu abusif, compte tenu de la diversité et de la complexité des situations. Qui plus est, vous n’appliquerez pas les mêmes règles à tous : certains des cinq régimes auront un taux majoré qui ne donnera pas les mêmes droits.

Le problème ne tient pas aux dispositifs, intéressants, comme la prise en compte des droits familiaux et des droits conjugaux, mais au fait que les règles diffèrent selon les situations. Vous n’allez pas au bout du principe d’universalité : il ne se vérifie pas dans le traitement que vous prévoyez, notamment des professions libérales.

M. Sébastien Jumel. Le calendrier comme l’âge d’équilibre varient selon l’âge du travailleur : pour quelqu’un né en 1960, la réforme s’appliquera en 2022 et l’âge d’équilibre sera de 62 ans et 4 mois ; pour quelqu’un né en 1965, la réforme s’appliquera en 2025 et l’âge d’équilibre sera de 64 ans. En outre, l’espérance de vie en bonne santé est un élément supplémentaire de rupture de l’universalité.

En fait, votre projet, c’est « chacun son pain, chacun son hareng », comme on dit à Dieppe : une individualisation des droits qui, au bout du compte, flingue la répartition et la solidarité entre les générations, autrement ce qui fait le socle de la protection sociale à la française. Assumez au moins ce choix idéologique, finalement assez classique chez les libéraux, puisqu’il a pour vocation d’ouvrir la porte à la capitalisation. Reconnaissez-nous dans notre rôle d’opposants lorsque nous le dénonçons et réaffirmons notre attachement aux fondamentaux de notre système de retraite.

M. Boris Vallaud. La lecture de l’avis du Conseil d’État est une interprétation à géométrie variable. La mienne étant en désaccord avec celle de Sacha Houlié, je vais recourir à une autre source pour vous montrer que nous ne sommes pas dans un système universel.

Le 3 octobre 2019, à Rodez, Président de la République a déclaré : « Si je commence à dire, on garde un régime spécial pour l’un, ça va tomber comme des dominos. Parce que derrière on me dira vous faites pour les policiers donc les gendarmes. Ensuite on me dira : "vous faites pour les gendarmes, pourquoi pas pour les infirmiers et infirmières, les aides-soignants". » Et de conclure : « Et puis on va refaire des régimes spéciaux. En deux temps trois mouvements on y est. » Conclusion parfaitement juste : on y est...

M. Jean-Paul Mattei. Pour une fois, l’amendement de La France insoumise s’intéresse au fond, bien qu’il soit à mon avis moins bien rédigé que le texte, sur lequel porte tout de même le travail de cette commission. Le titre Ier définit les règles du système universel de retraite. L’article 2 en précise le champ d’application ; les autres dispositifs seront déclinés par la suite. Faisons un peu du droit, au lieu de poursuivre des discussions générales à l’infini. Cet amendement est beaucoup plus restrictif et succinct que l’alinéa lui-même.

Mme Catherine Fabre. Vous êtes plus royaliste que le roi, monsieur Vallaud ! Mais souhaitez-vous vraiment un régime universel ? J’ai du mal à vous comprendre. Le projet de loi va très loin dans l’universalité : que n’en avez-vous instauré un avant, si vous y tenez tant et souhaitez une telle pureté ?

Les progrès sont indéniables : nous passerons d’un système comptant quarante-deux régimes à un système beaucoup mieux intégré. Vous ne pouvez soutenir le contraire sans faire preuve de mauvaise foi. L’universalité ne concerne pas une classe d’âge, il s’agit d’appliquer les mêmes règles pour tous, quels que soient les statuts et les professions. Tel est bien le chemin que nous empruntons.

Mme Clémentine Autain. Ce débat arrive enfin dans cette commission, nous nous en réjouissons. Nous voulons un système plus juste, qui favorise des mécanismes de solidarité. C’est pourquoi nous ne voulons pas de votre régime qui n’est pas universel, et ce, pour plusieurs raisons : il y a déjà des mécanismes spécifiques pour les militaires, les policiers, les personnels navigants, les routiers, etc. Par ailleurs, nous plaidons pour la reconnaissance de la pénibilité, ce qui créé aussi des spécificités. Nous n’avons rien contre les spécificités, nous contestons le fait que votre régime serait universel. Les différentes générations n’auront pas le même régime, puisque l’âge d’équilibre aura un impact sur les montants des pensions. Votre système n’a rien d’universel. En revanche, il détruit les mécanismes de solidarité auxquels nous sommes profondément attachés.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques n° 2585 de Mme Clémentine Autain, n° 2589 de Mme Caroline Fiat et n° 2596 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Après le mot « système », nous proposons de rédiger ainsi la fin de l’alinéa 2 : « de retraite comprend des règles communes à l’ensemble des assurés, qui peuvent toutefois relever de régimes prenant en compte la pénibilité de leur activité, les périodes d’interruptions ou d’activité partielle subie. Ce régime commun étant basé sur le principe de solidarité, des correctifs sont apportés de façon à permettre à tous de bénéficier d’une pension digne. »

Nous voulons un régime qui permette de reconnaître des spécificités – la pénibilité, les périodes d’interruption, l’activité partielle – et de corriger les mécanismes qui ne fonctionnent pas dans le système. Si un égale un pour tout le monde, comment prévoir des mécanismes de correction et de solidarité ? C’est tout à fait contradictoire. Nous voulons inscrire dans le marbre de la loi la reconnaissance des compensations pour les carrières hachées, pour la pénibilité et pour tout ce qui empêche d’avoir une retraite digne à un âge décent.

Nous sommes ici au cœur du choix politique qui diffère entre vous et nous.

Mme Caroline Fiat. Nous souhaitons répertorier les critères de pénibilité avec les partenaires sociaux, afin d’évaluer quels travailleurs doivent partir plus tôt à la retraite.

Dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les résidents sont admis à partir de 60 ans. Je suis aide-soignante et je devrais travailler jusqu’à 66 ans ; je serais donc amenée à m’occuper de résidents plus jeunes que moi. Cependant, à 43 ans, je souffre déjà de troubles musculo-squelettiques (TMS) : j’ai bien peur de ne plus réussir à les remettre dans leur lit
– déjà que je les maltraite faute de temps et de moyens ! Si je dois attendre d’avoir atteint l’âge d’entrer dans un EHPAD pour prendre ma retraite, peut-être pourrais-je dormir sur place, en guise compensation...

M. Adrien Quatennens. Nous n’avons pas su vous convaincre du caractère absolument vain de l’idée d’universalité au regard de l’âge effectif de départ, par le biais de l’âge d’équilibre et de l’âge pivot ; au demeurant, faire partir tout le monde de la même ligne de départ ne corrige en rien les inégalités persistantes au sein même d’une génération. Entre un cadre et un ouvrier, il y a six à sept ans d’écart d’espérance de vie ; entre les 10 % les plus riches et les 10 % les moins riches, cet écart peut atteindre treize ans.

Votre système est nul et non avenu, il n’y a pas d’universalité ; elle n’est d’ailleurs pas possible. Nous sommes partisans d’une harmonisation par le haut. Mettre tout le monde dans le même panier se paiera très cher pour beaucoup, et tout le monde l’a compris.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le groupe La France insoumise vient de faire la démonstration de son accord : il demande que des règles communes s’appliquent à l’ensemble des assurés, ce que nous prévoyons ; il demande qu’elles prennent en compte la pénibilité, les périodes d’activité partielle subie ou d’interruption pour cause de chômage, de maladie, d’accident, ce que nous prévoyons également, de même que la possibilité de surcotiser sur une assiette pleine. Finalement, notre projet est en phase avec vos objectifs profonds.

Je suis néanmoins défavorable à la rédaction de cet amendement, puisque nous déclinons cet aspect tout au long du texte.

M. Bruno Millienne. Je m’apprêtais à tenir exactement les mêmes propos. Et si Mme Clémentine Autain et M. Adrien Quatennens peuvent me préciser ce qu’ils définissent comme une pension digne, je suis preneur !

M. Sébastien Jumel. Mes propos seront peut-être politiquement incorrects pour les libéraux que vous êtes : j’assume le fait de considérer comme juste et utile la préservation des régimes construits en raison de la spécificité du métier considéré. Il me semble juste que les marins, dans mon port, bénéficient d’un régime spécifique : ils n’ont pas la même vie que tout un chacun. C’est d’ailleurs tellement juste qu’ils font partie des dérogations que vous avez été obligés de consentir à votre universalité – sans que l’on sache réellement ce qu’il y aura dedans, puisque vous renvoyez tout cela aux ordonnances dans l’article 7.

Par ailleurs, vous agitez de manière idéologique, presque sectaire, l’épouvantail des régimes spéciaux – qui ne concernent que 1,4 % des actifs et 4 % des retraités – pour justifier de laminer l’ensemble du système de retraite. Au lendemain de la référence faite au Conseil national de la Résistance, il me semble juste de préserver le statut construit par Marcel Paul pour les électriciens-gaziers : ce n’est pas n’importe quel boulot !

M. Éric Woerth. Vous vous trompez de réforme. Nous sommes d’accord avec vous sur le beau mot d’universalité, auquel nous sommes attachés. Il résonne bien dans une campagne électorale, mais moins dans un système de retraite appliqué à l’ensemble des Français. Vous faites référence aux quarante-deux régimes spéciaux comme s’il s’agissait d’éléments de langage : c’est faux ! Vous créez au moins autant de dérogations !

Il faut évidemment une forme d’universalité : un socle commun concernant un plafond de sécurité sociale, mais il faut laisser des régimes autonomes prendre en compte les particularités des métiers. La retraite est liée au métier ; si vous dénouez ce lien, cela ne fonctionne plus. Vous-même le reconnaissez, puisque vous créez autant de dérogations à chaque fois, tant et si bien que plus personne n’y comprend rien et que le système devient plus injuste. Vous ajoutez une variabilité, qui est en fait le niveau de pension, par le biais d’un âge pivot qui ne figure pas dans le texte. C’est beau comme de l’antique, mais cela ne marche pas !

Les avocats, comme d’autres professions libérales qui ne font pas appel à la solidarité nationale tout en y contribuant, devraient garder leur caisse autonome. Or toutes ces caisses, quoi que vous en disiez, finiront bel et bien par être fondues dans un ensemble plus vaste : il est faux de dire qu’elles continueront à être la propriété des professions qui les ont créées.

Mme Valérie Rabault. Il faut savoir faire preuve de modestie : si, depuis 1945, nous avons mis trente ou trente-cinq ans à construire des régimes de retraite et à les modifier en raison de spécificités qui correspondent aux réalités des métiers, comme l’ont souligné tant Éric Woerth que Sébastien Jumel, c’est bien parce que cette affaire est particulièrement complexe. Vous voulez mettre au tapis tout un système pour le remplacer par des règles incompréhensibles : tout le monde dénonce l’illisibilité de votre projet de loi. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, disait le poète : on en est très, très loin. En démocratie, la clarté fait partie des fondements du débat. Or vous entraînez les Français dans le mur, avec un système auquel personne ne comprend rien et un âge d’équilibre dont personne ne connaît le détail.

Mme Caroline Fiat. Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le rapporteur. Au risque de passer pour une égoïste, je reprends le cas des aides-soignants : actuellement, nous pouvons partir à la retraite à 57 ans. Mais depuis deux ans et demi, on nous dit que les instituts de formation d’aides-soignants (IFAS) se vident et qu’il va falloir revaloriser le métier. Les gens n’avaient plus envie de le faire pour ne plus se retrouver à devoir maltraiter nos patients, mais au moins on pouvait partir à la retraite à 57 ans. Avec votre projet, il va falloir maltraiter les patients jusqu’à 62, 64, voire 66 ans ! Pardonnez-moi, mais votre histoire ne fonctionne pas bien et votre projet est illisible.

Certaines professions sont difficiles, les corps ne tiennent pas. Les TMS ne sont pas une invention, des études ont été publiées sur ce sujet. Lorsque l’on prend soin des autres, on s’abîme la santé. Et c’est pour cela qu’on part plus tôt en retraite, monsieur Woerth.

Mme Célia de Lavergne. Je voudrais dépasser les slogans de campagne et revenir à ce qu’était le sens de l’universalité au moment de la création de la sécurité sociale. Pierre Laroque, rédacteur des ordonnances sur la sécurité sociale en 1945 aux côtés du ministre Alexandre Parodi, a été guidé par trois principes : l’élargissement de la protection sociale à toute la population et à tous les risques, l’unité par le biais d’une seule organisation et les mêmes prestations pour tous.

En effet, le régime proposé n’est pas universel, mais il repose sur ces trois principes d’universalité : l’élargissement à tous, agriculteurs, commerçants, indépendants, qui sont aujourd’hui mal couverts par notre système ; une caisse nationale dans laquelle chacun se retrouvera ; des prestations et des avancées sociales, le minimum de pension et la majoration pour les femmes notamment.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21534 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes nombreux à contester le caractère universel de votre projet. Il ne suffit pas d’affirmer dans un titre slogan « système universel de retraite » ; encore faut-il le traduire en actes. Or les actes ne sont pas là : je n’ai vu aucune preuve de cette universalité jusqu’à présent. En réalité, tous vos arguments tournent autour, mais ne justifient jamais le cœur de votre dispositif. Vous n’expliquez pas pourquoi vous ne parlez pas de taux de remplacement ni en quoi le système à points est plus vertueux. Les seuls arguments de justification se trouvent dans les correctifs que vous apportez et dont vous faites des arguments de vente.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous proposez de substituer « inéquitable » à « universel », cela faisait longtemps...

Défavorable.

M. Thibault Bazin. Je ne peux pas laisser dire ici que les aides-soignants maltraitent nos anciens ; ces termes me choquent. Fort heureusement, de nombreux aides-soignants, qui s’en occupent matin, midi, soir, week-ends compris, sont très loin de la maltraitance. La considération qu’on leur doit et la pénibilité de leur métier sont des questions évidemment légitimes, mais d’une autre nature. Éric Woerth n’a jamais dit qu’il ne fallait pas prendre en compte la pénibilité : il a parlé d’un socle de base, dont il nous faut discuter au fond. Une fois ce socle fixé, la pénibilité doit être prise en compte, après avoir été objectivée. Mais nous avons besoin de règles de base pour rendre la réforme lisible et juste.

M. Boris Vallaud. Caroline Fiat est assez autorisée à utiliser les termes qu’elle a employés : ce n’est pas elle qui maltraite ses patients, c’est l’organisation de notre système qui fait que la souffrance des personnels finit par créer de la souffrance chez les patients.

Pourquoi contestons-nous l’universalité ? Pour une raison simple : quand bien même on voudrait la vérifier dans les études de cas, on ne le peut pas, tout est tronqué ou truqué. On a l’impression que tout le monde est gagnant dans votre réforme : comment peut-on être tous gagnants et qu’il y ait quand même de la redistribution ? Cela défie toute logique. Pour déterminer les gagnants et les perdants, il faudrait être capable de mesurer les montants des pensions tout au long de la vie, puisqu’elles évolueront. Or votre étude d’impact ne le propose pas.

Au fond, la seule chose que vous avez retenue d’Alexandre Parodi, ce n’est pas le nom propre, mais bien le nom commun : parodie, autrement dit une grossière imitation.

Mme Clémentine Autain. Ce n’est pas parce que vous ne répondez pas à nos questions que nous n’allons pas répondre aux vôtres. Vous nous avez demandé ce qu’est une pension digne : je vous invite à consulter notre contre-projet, dans lequel vous trouverez des éléments de réponse. Pour commencer, il faudrait qu’aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté, qui est aujourd’hui de 1 041 euros. Une pension digne, cela signifie également que pour une carrière complète, aucune pension ne soit inférieure au salaire minimum de croissance (SMIC). Dans le secteur privé, nous proposons de revenir aux dix meilleures années au lieu des vingt-cinq et de fixer à 75 % le taux de remplacement moyen. Dans le secteur public, nous préconisons a minima d’en rester à l’état actuel plutôt que la détérioration que vous proposez. Tout cela suppose des moyens financiers et l’accroissement de la part des richesses consacrées aux retraités. Il est tout à fait possible d’imaginer un système dans lequel nous progressons au lieu de régresser.

M. Sébastien Jumel. Je veux apporter mon soutien à Caroline Fiat. La violence institutionnelle dans les EHPAD et les hôpitaux est dénoncée par tous, par tous les rapports, par les 1 200 médecins chefs de service qui ont démissionné de leurs fonctions administratives. Personne ne peut ignorer cela, ni que l’asphyxie des établissements de santé et des EHPAD a conduit à une violence institutionnelle qui se transforme en maltraitance à l’égard des soignants et des soignés. Dire cela, ce n’est pas remettre en cause l’engagement professionnel des aides-soignants, c’est rapporter une réalité objective que la ministre elle‑même a fini par admettre, sans toutefois y apporter de remède.

M. Olivier Véran. J’entends les promesses des députés de La France insoumise. Jusqu’ici, ils nous promettaient l’avenir en commun, mais pour l’instant, nous voyons surtout l’avenir en commission...

Madame Fiat, vos propos concernent les difficultés inhérentes à la profession d’aide‑soignant – je l’ai moi-même été, certes beaucoup moins longtemps que vous. Le régime par points permet la prise en compte de chaque nuit et de chaque heure de travail, y compris lorsque le trimestre complet n’est pas validé. La moitié du travail que j’ai effectué comme aide-soignant en EHPAD, dans le secteur privé comme dans le secteur public, ne sera jamais comptabilisée pour ma retraite, parce que je n’ai pas cotisé suffisamment de semaines consécutives. Le système universel par points le permettra.

Par ailleurs, il est plus difficile de transformer une maison que de la construire à partir de zéro. Si nous devions aujourd’hui élaborer un système de retraite, personne n’imaginerait le faire avec quarante-deux régimes différents. Nous préparons le système des retraites à l’évolution du marché du travail ; n’oublions pas que 40 % des enfants qui entrent à l’école exerceront un métier qui n’a pas encore été inventé.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Plusieurs députés et le rapporteur ont rappelé que l’universalité n’est pas l’uniformité. Certains d’entre vous se sont réjoui que les spécificités et les difficultés propres à certaines professions, les marins notamment, soient reconnues. La mesure de la pénibilité par des critères objectifs, dans les secteurs privés et publics, ainsi que dans les entreprises ayant des régimes spéciaux, est une réponse à cette problématique. Mais qu’entendons-nous par universalité ?

Premièrement, cela consiste à appliquer à tous les Français les mêmes règles pour ce qui est de leur retraite. Nos concitoyens nous demandent d’agir et de mettre un terme aux inégalités lorsqu’elles sont infondées. Des départs anticipés peuvent reposer sur des raisons objectives ; c’est le cas pour les gendarmes, les policiers, les militaires. On ne peut pas demander à quelqu’un qui expose sa vie pour protéger celle des autres et qui exerce son activité dans des conditions dangereuses, d’avoir le même âge de départ que tout un chacun.

Deuxièmement, le projet du Gouvernement consiste à demander aux Français les mêmes efforts pour obtenir les mêmes droits. C’est parce que nous faisons des efforts collectivement que nous produisons et redistribuons de la richesse : dire cela n’a rien de tabou. Encore faut-il que cela génère les mêmes droits.

Troisièmement, le rendement des cotisations doit être le même pour tous.

Ces trois points sont les marqueurs de l’universalité. Ce n’est pas de l’uniformité : nous reprendrons collectivement en compte les spécificités et la réalité de certaines situations difficiles, mais en garantissant les mêmes règles et les mêmes rendements pour tous et en demandant les mêmes efforts pour construire les mêmes droits. Les Français attendent de nous que nous réécrivions le contrat social sur ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 544 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Puisque vous en parlez, monsieur le secrétaire d’État, je serais curieux de connaître précisément les différents taux de rendement, génération par génération ; ils ne nous ont pas été fournis.

Ce qui universalise votre système, c’est la régression, la pénurie et le rabais. C’est pourquoi nous l’appelons le régime « miniversel ».

Mon amendement est une proposition assez symptomatique de ce qui nous oppose. Vous dites : « Le système universel de retraite prévu est un ensemble de règles de calcul, de conditions de versement des retraites, etc. [...] » Ce n’est pas cela dont nous avons besoin. Pour nous, un système de retraite, ce sont d’abord des droits garantis ; or cela n’apparaît pas dans votre définition. Vous inversez l’ordre des choses, ce qui est symptomatique : ce n’est pas votre problème, en tout cas pas votre objectif prioritaire.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cela tient tout simplement à la structure de tout texte de loi. La conception de la retraite doit être distinguée sous l’angle des droits ; c’était tout l’enjeu de l’article 1er. L’article 2 détaille les outils qui seront utilisés au service de ces droits. Les règles de calcul concrétisent ce droit et qui lui donnent une dimension réaliste pour nos concitoyens. Elles ne sont pas un ensemble purement technique ou formel, mais conditionnent l’enveloppe dont disposeront les retraités chaque mois ; elles doivent donc bien figurer dans la loi. Demande de retrait.

M. Éric Woerth. À un moment donné, l’ensemble des droits reviennent à une série de règles de calcul. Les Français aiment les droits généraux, mais ils aiment bien aussi savoir comment ils se concrétisent. Le paramétrique domine le systémique ; au fond, ce sont les paramètres qui définissent exactement ce qu’est un système.

À entendre les propos de nos collègues Insoumis, le travail serait une souffrance permanente. Fort heureusement, il est bien plus que cela, quel qu’il soit ! Du reste, lorsque le travail est une souffrance objectivable, il y a des mécanismes de compensation, tels que le temps de travail. Arrêtez de présenter le travail comme une souffrance !

Cessons également de parler des quarante-deux régimes, cela ne correspond pas à la réalité : les Français ne passent en moyenne guère que par deux ou trois caisses au cours de leur carrière. Je ne crois pas, monsieur le secrétaire d’État, que les Français demandaient davantage de justice dans le domaine des retraites : ils demandaient plus de clarté, la suppression de régimes spéciaux anormalement construits et l’assurance et la garantie concernant leur retraite – en somme, un système permettant d’égaliser les situations.

Il était tout à fait possible de le faire autrement ; il suffisait de modifier les règles de distribution des trimestres pour éviter le problème du premier euro, qui parfois n’entre pas dans le calcul de la carrière. Ce n’était pas la peine de tout bouleverser pour résoudre cette problématique ; on pouvait faire beaucoup plus simple, plus efficace et plus lisible.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La parole est à Régis Juanico, auquel je souhaite un joyeux anniversaire.

M. Régis Juanico. Merci, madame la présidente : à 48 ans, je suis encore très loin de la retraite !

M. le secrétaire d’État présentait à l’instant le système universel, dans lequel les mêmes règles seront appliquées et les mêmes efforts seront demandés. Or il n’y a pas plus injuste, sur le plan social, que le système de l’âge d’équilibre ou de l’âge pivot, avec ce malus et cette décote puissante.

Depuis les débuts de cette commission spéciale, nous n’avons pas manqué de soulever le cas d’espèce suivant : un ouvrier qui aura démarré dans la vie active à 20 ans et cotisé quarante-trois ans devra partir avant 65 ans et subira une très grosse décote ; parallèlement, un cadre supérieur qui aura commencé sa vie active à 25 ans et qui aura lui aussi cotisé quarante-trois ans partira après 65 ans et bénéficiera d’une surcote. Est-ce cela, appliquer les mêmes règles et demander les mêmes efforts ?

M. Adrien Quatennens. Monsieur Woerth, nous ne présentons pas le travail comme une souffrance. Le travail peut tout à fait être une source d’épanouissement et de réalisation de soi, nous n’avons jamais dit le contraire. Vous, en revanche, vous avez l’air de nier, le fait qu’il puisse être une source de souffrance et qu’il puisse être pénible, ce qui est pourtant une évidence. C’est une martingale...

Je voudrais surtout que vous vous interrogiez : à quoi bon travailler toujours plus longtemps ? Le sens de l’histoire et du progrès social n’est-il pas précisément de faire en sorte qu’on se libère du temps ? Ouvrons un débat sur ce que font les retraités de ce pays et sur la conception que nous avons du troisième âge de la vie ! À quoi bon travailler toujours plus, si on peut se payer le luxe – et on le peut – de ne pas le faire ? Il ne vous vient pas à l’esprit qu’on puisse avoir envie de faire autre chose que travailler. Pourtant, nos retraités font beaucoup d’autres choses, et des choses utiles à la société.

M. Hubert Wulfranc. Le travail est une valeur positive, mais on ne peut pas vivre coupé du réel et de l’actualité. Je vous renvoie au récent colloque organisé à l’initiative de nos collègues socialistes et intitulé « Souffrances au travail : quelles perspectives après France Télécom ? » Car le constat est bien le suivant : la santé au travail est bel et bien malmenée, et pas seulement à cause de la pénibilité, dont nous avons déjà discuté. Cela devrait donner lieu à des réformes majeures : rendre illégales les organisations pathogènes du travail, par exemple, ou repenser la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, notamment d’origine psychique. Autant d’éléments majeurs, que pourtant vous négligez, autour desquels on devrait bâtir une véritable politique de la santé au travail et qui devraient accompagner une évolution positive de notre système de retraite.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement n° 13174 de M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Les Républicains proposent un système de retraite différent, organisé autour d’un socle universel qui vaudrait pour tous, à hauteur d’un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), et de caisses autonomes, qui permettent ensuite à chacun d’avoir une retraite en adéquation avec ses conditions de travail et l’exercice de son métier. Chaque caisse peut, dans ces conditions, s’organiser comme elle le souhaite, dès lors que le contribuable n’est pas sollicité ; si, à terme, elle éprouve le besoin de rejoindre le système universel, elle le fait par une démarche volontaire.

Vous, au contraire, vous voulez araser toutes les différences, jusqu’à 120 000 euros et laisser, au-delà, les gens se débrouiller seuls. Un tel choix peut être terriblement injuste. Par ailleurs, ces différences que vous voulez niveler, vous les recréez par ailleurs, et vous en produirez d’autres, plus nombreuses encore, car vos phases de transition sont de plus en plus longues, dans la mesure où il faudra au moins un demi-siècle pour achever la convergence. Personne ne pourra plus dire alors si c’était mieux ou pire avant, personne ne sera en mesure de calculer ce qu’il aurait gagné avec l’ancien système. De toute façon, les simulations montrent bien que c’est impossible, car les résultats diffèrent selon les modes de calcul. La vérité est que tout cela est parfaitement imprévisible, a fortiori avec ce système dont la construction s’achèvera dans trois, quatre ou cinq quinquennats, ce qui pose des questions sur sa pérennité et sa viabilité.

C’est la raison pour laquelle nous proposons un socle commun, qui préserve les droits familiaux et notamment ceux des aidants, complété par des caisses autonomes, qui peuvent fusionner si elles le souhaitent. Ce serait bien plus utile, plus efficace et plus juste.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le problème majeur avec votre proposition, monsieur Woerth, c’est qu’elle maintient des régimes qui ne sont pas démographiquement viables. Notre commission aurait pu être utilement éclairée par l’audition des spécialistes de l’histoire sociale en France. J’ai en effet découvert assez récemment qu’en 1990, au moment de la publication du Livre blanc de Michel Rocard, il existait encore une centaine de régimes spéciaux : chaque banque, chaque port autonome avait le sien – seul subsiste aujourd’hui celui du port autonome de Strasbourg, qui compte environ deux cents salariés –, sans compter les régimes spéciaux d’Alsace-Lorraine. Ces régimes, assis sur une base démographique extrêmement fragile, ont été progressivement intégrés dans le régime général, grâce à un dispositif de protection actuarielle des droits, impliquant pendant quelques années une légère surcotisation pour leurs adhérents. Entend-on aujourd’hui les salariés du système bancaire revendiquer le retour à un régime spécifique ?

Pensons aux jeunes qui ont déjà du mal à choisir leur avenir professionnel : faut-il en plus les obliger à réfléchir à leur système de retraite ? C’est le cadet de leurs soucis ! Nous leur proposons, nous, d’avoir tous les mêmes chances face à la retraite. Ce système, que nous souhaitons le plus équitable, possible, exige une transition qui accompagne la transformation en profondeur que nous opérons. C’est pour cela que nous agissons sur le temps long. Avis défavorable.

M. Jacques Marilossian. Cet amendement propose de limiter les cotisations du système universel aux cotisations assises sur la fraction du revenu inférieur à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), au lieu de trois. Pourtant, l’idée du projet de réforme est simple et juste : 100 % des actifs doivent être couverts par le système universel avec une acquisition de droits sur la totalité de leurs revenus d’activité dans la fameuse limite de 3 PASS, c’est-à-dire, en 2020, 123 408 euros bruts. Au-delà, pour moins de 1 % d’entre eux, il y a une cotisation de solidarité. Pour les régimes dont le plafond est différent, il est prévu de les faire converger vers une cible de 3 PASS sur une durée de quinze ans.

Si on appliquait cet amendement, on maintiendrait un système de base limité à un PASS et des systèmes complémentaires au-delà d’un PASS, avec un problème : l’amendement ne nous dit pas ce que seraient les règles au-delà d’un PASS.

Proposer ainsi un tout petit socle de solidarité limité à un PASS, ce n’est pas notre philosophie. Nous voulons un système de plus universel, qui s’adresse à tous les actifs et qui soit surtout bâti sur la solidarité la plus large possible. Je ne peux donc pas soutenir cet amendement.

M. Éric Woerth. Vous voulez fondre l’ensemble des régimes dans un seul, mais c’est une mauvaise idée, une idée de technocrate. Faire en sorte que des régimes convergent au fur et à mesure du temps pour des raisons démographiques, cela peut se prévoir longtemps à l’avance ; et des régimes peuvent converger naturellement, comme cela s’est d’ailleurs produit par le passé. Laissons aux marins, aux avocats et à tous les autres la possibilité de faire pareil. Vous auriez pu, vous-mêmes, savoir qu’en 2020 se poseraient des problèmes financiers – on le prédisait déjà en 2010. Mais, depuis deux ans, vous n’avez rien fait ; vous semblez découvrir la situation au dernier moment.

Quant aux jeunes, ils n’auront pas plus confiance dans le système que vous organisez qu’ils n’ont confiance dans le système actuel, par principe. Comment en effet avoir confiance dans un système dont on ne sait pas si son financement est garanti ?

Enfin, puisque vous voulez faire de l’histoire, monsieur le rapporteur, en 2010, nous avions proposé un débat sur le système universel par points ; vous n’avez donc rien inventé. L’idée, que nos successeurs socialistes ont mise à bas, était de bâtir un système universel, du moins un système de base universel, qui aurait déjà permis la fusion entre les régimes de la fonction publique et du secteur privé, ce qui pouvait avoir un sens, même si c’était difficile et coûteux ; car ce que vous faites est extraordinairement coûteux.

M. Boris Vallaud. Nous sommes tous en effet les héritiers d’une histoire longue, et l’histoire des assurances vieillesse ne commence pas en 1945. C’est une histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle et qui commence par un rapport très compliqué des ouvriers et des syndicats à ce type d’assurance, auquel ils ont d’abord refusé de cotiser parce qu’ils pensaient qu’ils n’en bénéficieraient jamais.

Pour ce qui vous concerne, vous êtes dans une forme d’obstination ou d’illusion technocratique. La réalité, c’est que le système que vous proposez ne fonctionne que sur le bureau de la direction générale du Trésor ; dans la vraie vie, il ne fonctionne pas et se heurte à la complexité des existences. Ce dont les uns et les autres, y compris les partisans initiaux de la réforme prennent aujourd’hui conscience, c’est que vous êtes en train de nous entraîner dans un désordre considérable, un chaos total, et que cette réforme n’est pas maîtrisée. La meilleure des preuves en est que vous n’êtes même pas capables d’en présenter les tenants et les aboutissants dans l’étude d’impact. Il y a fort à craindre que, dans dix ans, nous n’ayons à ramasser notre régime de retraite à la petite cuillère.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 2619 de Mme Clémentine Autain, n° 2623 de Mme Caroline Fiat et n° 2630 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 3, qui propose de rendre applicable la réforme aux fonctionnaires, aux assurés relevant de régimes complémentaires et aux assurés relevant des caisses de mutualité agricole. Une telle fusion présente de nombreuses difficultés, non résolues, compte tenu du niveau d’impréparation du Gouvernement. En vérité, une multitude de régimes vont subsister et s’appliquer aux différentes catégories qui subsisteront.

Avec votre contre-réforme, vous avez mis le pays à feu et à sang ; en fait d’universalité, c’est surtout l’universalité de la colère qui s’observe aujourd’hui dans notre pays...

Je vous recommande la lecture du Monde de ce soir : vous y trouverez, mes chers collègues, les analyses de plusieurs économistes sur l’impact de votre contre-réforme. C’est littéralement édifiant. À titre d’exemple, Henri Sterdyniak donne un bilan terrifiant de la fusion en ce qui concerne les fonctionnaires, pour qui le manque à gagner sur les retraites serait de l’ordre de 32 %. C’est simple, clair, net et précis : c’est une immense régression.

Mme Caroline Fiat. Je voudrais profiter de cet amendement pour répondre à M. Bazin, qui m’a reproché d’avoir dit que les aides-soignantes étaient maltraitantes. J’assume mon propos. Dès juillet 2017, à la tribune de l’hémicycle, j’ai parlé de mes conditions de travail, j’ai parlé des quatorze besoins fondamentaux. Je considère qu’en me demandant de faire une toilette sur un corps meurtri en moins de 5 minutes, on m’a demandé de devenir maltraitante.

Ce sont les gouvernements qui se sont succédé ces vingt dernières années qui ont fait de moi une maltraitante, ce n’est pas moi qui ai choisi de le devenir, pas davantage qu’aucune de mes collègues ne s’est réveillée un matin en disant : « J’ai envie de devenir maltraitante. » Ces collègues raccrochent leurs blouses, certaines se sont suicidées, beaucoup vont très mal, les IFAS sont vides, mais je suis contente de vous avoir choqué en vous disant que nous sommes devenues maltraitantes. Cela fait deux ans et demi que j’attends de vous choquer ; peut-être les choses vont-elles changer à présent. Mais je ne retirerai pas mes propos, parce que c’est la réalité : je suis devenue maltraitante à cause des gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays.

M. Adrien Quatennens. Non seulement votre réforme ne crée pas l’universalité, mais ses effets, au contraire, vont être extrêmement variables selon les catégories socioprofessionnelles. Clémentine Autain a fait référence aux articles du Monde ; on y apprend notamment que les effets de la réforme toucheront beaucoup plus durement les employés et les professions intermédiaires que les cadres supérieurs qui, eux, vont potentiellement y gagner. Il y a donc bien plusieurs poids et plusieurs mesures dans ce projet de loi, ce qui non seulement conforte l’idée qu’il n’y a pas d’universalité, mais surtout que les effets de la réforme seront très différents selon les situations individuelles, si l’on considère le temps pendant lequel chacun devra travailler pour pouvoir accéder à une retraite à taux plein, du fait du report de l’âge d’équilibre. C’est écrit dans Le Monde : les employés seront les grands perdants de cette réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je viens de comprendre ce que je ne comprenais pas au début de mon mandat : déposer beaucoup d’amendements permet d’apparaître dans les statistiques publiées sur le site NosDéputés.fr et d’exploser les chiffres... Mais en faisant cela, on ne construit rien, on renvoie au contraire une très mauvaise image du fonctionnement de l’Assemblée nationale. Je peux entendre que vous fassiez des propositions dont on peut discuter, mais amender chaque alinéa du texte n’a aucun sens.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Dans quelques instants, notre groupe va faire un rappel au Règlement en séance. Je voulais le relayer ici parce qu’il concerne notre commission spéciale. Il n’est pas exclu que nos travaux se poursuivent jusqu’au mardi 11 février et que nous travaillions les samedi 8 et dimanche 9, la discussion sur le projet de loi organique ayant lieu le mercredi 12.

Dans les faits, la commission examine en moyenne 125 amendements par jour. À ce rythme, somme toute raisonnable, il lui sera impossible d’examiner l’ensemble des amendements, c’est désormais acquis. La majorité en impute la responsabilité à l’opposition et au nombre d’amendements que nous avons déposés. Pourtant, le groupe de La République en Marche en a déposé à lui seul 322. Si l’ensemble des autres groupes en avaient déposé le même nombre, il nous aurait fallu vingt jours de débats pour les examiner. La mise en cause de l’opposition est donc infondée.

Mme Albane Gaillot. Mais assumez vos responsabilités !

M. Sébastien Jumel. Arrêtez de vociférer ! Il est donc vraisemblable que la commission spéciale ne parviendra jamais à examiner les soixante-cinq articles du projet de loi avant son arrivée dans l’hémicycle, le 17 février, et cela est imputable à une organisation de nos travaux parfaitement déraisonnable, dans le seul but de satisfaire au calendrier gouvernemental.

Nous demandons donc que la Conférence des présidents décide du report de l’examen du texte en séance, pour permettre à la commission de siéger... jusqu’à ce que mort s’ensuive – en tout cas, jusqu’à épuisement de l’examen des amendements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci pour ce rappel au Règlement, monsieur Jumel, mais vous devez conclure.

M. Sébastien Jumel. Madame la présidente, c’est le projet de loi qu’on affaiblit ainsi...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel, je vous ai laissé parler. Il serait souhaitable que, de temps en temps, vous respectiez votre temps de parole et le droit à s’exprimer des autres personnes qui se trouvent dans cette salle, qui ne sont pas toutes de votre avis.

C’est parce que je respecte le travail des parlementaires que nous allons poursuivre nos travaux et que nous discuterons ultérieurement, dans le cadre approprié, de la question que vous soulevez.

M. Adrien Quattennens. Monsieur le rapporteur, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, mais cessez de faire accroire que nos positions ne seraient que du folklore ! C’est vous qui avez remis aux parlementaires une étude d’impact truquée, c’est vous qui avez trompé les Français, en gelant l’âge d’équilibre dans les cas types que vous leur présentez, donc, de grâce !

Opposons nos points de vue sur le financement du système, l’âge de départ et la manière de le garantir – ce que vous êtes d’ailleurs incapables de faire –, mais arrêtez de prétendre que nos arguments seraient faux et qu’ils ne serviraient qu’à alimenter l’obstruction. Chacune de nos interventions, même si elles sont nombreuses, est argumentée et pose des axes de débat dont vous refusez de vous emparer. Finissons-en donc avec cette mauvaise foi, car nous ne manquerons pas de rappeler en contrepartie que c’est vous qui avez trompé la représentation nationale et les Français avec votre étude d’impact.

M. Patrick Mignola. Je salue la démonstration arithmétique de notre collègue Jumel : elle est implacable. Si chaque groupe avait déposé environ 300 amendements, comme le groupe majoritaire, nous aurions en effet pu travailler dans de meilleures conditions !

M. Sébastien Jumel. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit !

M. Patrick Mignola. C’est simplement une démonstration par l’absurde, pour montrer que certains groupes de l’opposition ont délibérément bloqué les débats.

La commission rejette les amendements identiques.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, pour des raisons techniques, je suis obligée de suspendre la séance quelques instants.

(Suspension de séance)

La commission est saisie de l’amendement n° 21535 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Il est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme je le dis à mes enfants, à 8 ans la blague du chewing-gum sur la poignée de porte, c’est rigolo ; à 12 ans, ça l’est moins ; à 16, c’est inquiétant ; mais à 40... Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Vous parlez de votre âge ou vous présumez du mien ?

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 3040 de Mme Clémentine Autain, n° 3044 de Mme Caroline Fiat et n° 21171 de Mme Valérie Rabault.

Mme Clémentine Autain. Nous proposons de supprimer les articles qui étalent dans le temps l’application de la réforme. Cela crée des inégalités entre générations, puisque les assurés nés le 1er janvier 2004 et après entreront dans le nouveau système à compter du 1er janvier 2022, tandis que ceux nés entre 1975 et 2003 l’intégreront le 1er janvier 2025. C’est cette mise en œuvre progressive de votre système universel que nous contestons en bloc.

Nous estimons que notre commission n’est pas suffisamment éclairée sur les modalités d’application de cette montée en puissance du système. J’aimerais donc des éclairages concrets sur la façon dont va s’échelonner cette mise en œuvre du système universel. Cela ne nous empêchera pas de le rejeter, mais cela pourrait intéresser les Français qui nous écoutent.

M. Jean-Louis Bricout. Avec l’amendement n° 21171, nous demandons la suppression des alinéas 4 à 6, par lesquels le Gouvernement tente de faire croire aux Français que seuls ceux nés après 1975 seraient concernés par la réforme des retraites. En réalité, les articles 13, 15 et 62 du présent projet de loi montrent que tous nos concitoyens vont être touchés par la réforme des retraites dès 2022. Concrètement, qu’ils soient nés avant ou après 1975, tous nos concitoyens qui ont une activité professionnelle verront leur assiette et leur taux de cotisation modulés par le biais du régime de transition. Il me semble d’ailleurs que c’est ce que le Premier ministre a répondu à Mme Rabault lors de la dernière séance de questions au Gouvernement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La règle qui préside à la transition entre l’ancien et le nouveau système est que ceux qui sont à moins de dix-sept ans du départ à la retraite ne sont pas concernés. Pour ceux qui entreront sur le marché du travail à partir de 2022 et qui sont nés après le 1er janvier 2004, nous avons choisi, plutôt que de les affilier pour trois ans seulement à l’ancien système avant de les faire basculer vers le nouveau, de les faire entrer directement dans le système universel. C’est plus simple et plus efficace.

M. Thibault Bazin. Ces périodes de transition vont poser un problème à certains couples si un des conjoints est né avant 1975 et l’autre après. Vont-ils pouvoir choisir le système qui leur est le plus bénéfique ? Prenons le cas d’un couple dans ce cas, et qui a trois enfants : avec l’actuel système, ils ont droit à une majoration de 5 %, plus 5 %, plus 10 % ; le nouveau système leur accordera 5 % par enfant, plus 2 % au titre du troisième. Ce qui fait que 17 %, et non plus 20 %. C’est une question très concrète, pour laquelle nous avons besoin d’une réponse, si nous ne voulons pas faire de perdants dans ces couples.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 2636 de Mme Clémentine Autain et n° 2640 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Ces amendements portent sur l’alinéa 4 ; les suivants porteront sur l’alinéa 5, puis sur l’alinéa 6. Il me permet de demander au rapporteur et au secrétaire d’État des explications sur ces propos des Économistes atterrés : « Dès 2022, théoriquement, mais surtout 2025 en pratique (car très peu de jeunes nés en 2004 ou après commenceront à travailler avant 2025), les caisses existantes seront privées des cotisations des personnes nées après 1975, soit approximativement de la moitié de leurs ressources, alors qu’elles devront continuer, au moins jusqu’en 2037, à distribuer autant de prestations. » Ce qui pose un petit problème, sur lequel j’aimerais avoir une réponse concrète.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Qui dit période de transition dit dotations de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) pour maintenir l’équilibre.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21540 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. La réponse que nous a faite le rapporteur sur les amendements précédents est très intéressante : peut-on avoir une estimation précise et non truquée de la somme que va représenter ce manque à gagner, appelé à être compensé par la CNRU ?

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 21536 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. Défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques n° 2653 de Mme Clémentine Autain, n° 2657 de Mme Caroline Fiat et n° 2664 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Je réitère ma question : est-il possible d’avoir une évaluation du manque à gagner que je viens d’évoquer et du coût que cela va représenter pour la CNRU ? Est-ce le Gouvernement qui va décider de ces transferts ? Certaines caisses seront‑elles défavorisées par rapport à d’autres ?

Si vous n’apportez pas de réponses à ces questions légitimes, en nous expliquant comment vous anticipez la transition, comment voulez-vous que les Français aient confiance ? Il est incroyable que, sur un dossier aussi important, pour lequel vous avez choisi la procédure accélérée, vous ne soyez pas capables de répondre à des questions aussi élémentaires que celles qui portent sur le financement des mesures transitoires !

M. Adrien Quatennens. Vous êtes incapables de répondre aux questions précises que nous vous posons sur le financement, alors que c’est pourtant un point central. Nous voudrions donc que le secrétaire d’État nous réponde et nous donne une évaluation du manque à gagner, considérable, que va représenter la transition pour les caisses.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le financement de la réforme est traité au titre IV, ce qui nous donnera l’occasion d’aborder les points particuliers. En ce qui concerne le principe général, les taux de cotisation restent les mêmes pour l’immense majorité de nos concitoyens, autrement dit les ressources seront identiques pour l’immense majorité du système ; il en va de même pour les dépenses, puisque les pensions demeurent en grande majorité identiques. La transition d’un système à l’autre s’étalant sur quinze à vingt ans, les baisses ou les hausses seront extrêmement faibles d’une année sur l’autre, et c’est la CNRU qui en assumera les coûts ou en récupérera les bénéfices.

Sur les amendements, j’émets un avis défavorable.

M. Boris Vallaud. J’ai bien saisi le principe mécanique, mais ce qui nous intéresse, ce sont les montants. Nous avons besoin d’un tableau retraçant sur toute la période de transition les transferts et tous les effets de bord. Toutes les informations financières sur la période transitoire comme sur le système définitif sont lapidaires – nous ne sommes pas les seuls à le dire : le Conseil d’État et la Commission européenne sont du même avis. A-t-on droit à un peu de clarté ? Peut‑on avoir des éléments précis sur tous les aspects financiers de cette réforme ?

Vous engagez des changements considérables et vous nous demandez d’avancer les yeux fermés. Ça ne peut pas fonctionner comme ça, à moins de considérer que la représentation nationale n’a pas besoin d’être correctement instruite, ce qui est contraire aux obligations du Gouvernement, telles que fixées par la Constitution.

M. Hubert Wulfranc. Vous justifiez votre projet de réforme en arguant de l’insoutenabilité financière du système actuel, chiffres précis à l’appui, mais vous êtes incapables de nous éclairer sur les aspects financiers concernant, dès demain, la transition, c’est-à-dire la soutenabilité financière à court terme de ce que vous proposez. Il y a là un paradoxe criant : comprenez que cela ne fait qu’alimenter les inquiétudes de l’opposition et que vous ne pourrez plus longtemps vous soustraire à vos responsabilités en la matière.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Thibault Bazin, nous aborderons tout ce qui concerne les droits familiaux et les majorations par enfant, en particulier pendant la période de transition, dans la partie du texte qui leur est consacrée, en l’occurrence le titre V. Je le souhaite en tout cas, car de nombreux parlementaires veulent, tout comme moi, avancer dans nos débats.

Quant à la question posée par La France insoumise, il me semble que le rapporteur a été extrêmement clair : où y a-t-il un manque à gagner ? Il est clairement indiqué dans le texte que la CNRU compensera à due proportion les engagements des caisses, ce qui est logique ; dans le cas contraire, vous auriez raison d’interpeller le rapporteur et le Gouvernement. J’espère donc que vous êtes rassurés, puisque cela sera écrit dans la loi.

Mme Clémentine Autain. Pardonnez-moi, mais cela n’est toujours pas clair pour moi, d’autant que ces questions ne seront pas réglées dans la loi mais par ordonnance et par la conférence de financement. Vous nous dites qu’il va y avoir compensation, mais comment l’argent va-t-il être affecté aux différentes caisses, l’AGIRC-ARRCO, les régimes complémentaires des indépendants, les régimes autonomes des professions libérales ?

Pour les fonctionnaires ensuite, allez-vous retenir le taux de 16,87 % pour les plus jeunes et de 74,28 % pour les plus anciens ? Ce sont autant de questions sur lesquelles on n’y voit absolument pas clair, sans parler de la valeur du point : dans un régime transitoire en effet, quelle garantie avons-nous sur la valeur du point ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 14666 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. On aura tous compris notre ardent désir de voir ce dispositif entrer en vigueur... Nous proposons donc de repousser son application afin de nous donner le temps de le remettre en cause.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est ce qu’on appelle un renvoi aux calendes grecques...

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Le secrétaire d’État accepterait-il de nous transmettre dans un délai raisonnable – 24 ou 48 heures – le tableau des flux financiers qu’il a évoqué ? Il avait l’air très au fait de ce qui se passera et nous apprécierions de pouvoir l’être autant que lui.

M. Pierre Dharréville. J’ajoute un argument qui devrait vous séduire : il est nécessaire de surseoir pour vous donner le temps de nous transmettre les tableaux, données, études d’impact afin de répondre aux exigences du Conseil d’État, lequel considère qu’il incombe au Gouvernement d’améliorer encore son texte.

M. Thibault Bazin. Si le projet est mauvais, pourquoi pénaliser les générations de 2082 et 2064 ? Ne faudrait-il pas envisager une date postérieure ?

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques n° 2670 de Mme Clémentine Autain, n° 2677 de M. Jean-Luc Mélenchon, et n° 2681 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Nous vous proposons de supprimer l’alinéa 6.

M. le secrétaire d’État juge qu’il est inopportun de parler de manque à gagner, mais c’est tout de même la réalité ! Si des personnes basculent dans le régime par points et qu’une grosse masse des salariés n’y sont pas, vous vous rendez bien compte que l’entre-deux pose problème : il faut donc remplir les caisses.

Comment la répartition s’effectuera-t-elle ? Quelle sera précisément la valeur du point à ce moment-là ? Ce ne sont pas des questions en l’air ! Vous nous dites que cela figure dans le texte mais celui-ci fait état de principes, on n’y voit pas de tableaux – ou alors, indiquez-moi la page si je l’ai ratée, puisque nous n’avons eu qu’une semaine pour étudier les soixante-cinq articles et les mille pages de l’étude d’impact. Dites-moi donc précisément où se trouvent les éléments précis décrivant le financement de la transition.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne serez pas étonnés de m’entendre poser les mêmes questions, auxquelles je suis surpris que le secrétaire d’État ne puisse répondre. En vérité, vous ne savez pas quoi dire et vous attendez que ça se passe. Sachez qu’à l’extérieur de ces murs, des gens travaillent, lisent, étudient et que nos amis des Économistes atterrés nous ont bien approvisionnés. Vous devez donc répondre.

Deux systèmes, deux régimes fonctionneront en même temps : comment organisez‑vous la stabilité financière d’un tel attelage ? Dites-le nous ! Ou bien nous nous sommes trompés et nous n’avons pas bien lu, ou bien reconnaissez que vous l’ignorez, que vous n’avez aucune idée sur la question et que vous vous en remettez à ce qu’il adviendra.

M. Adrien Quatennens. La situation a le mérite d’être claire. Ces deux alinéas montrent que celles et ceux qui sont nés avant 1975 seront aussi concernés par votre réforme des retraites. Vous ne leur appliquez pas le système par points mais leur régime devra économiser 12 milliards, ce qui est d’ailleurs l’unique objet de la conférence de financement –dont on apprend qu’elle fera part de ses conclusions après le vote du texte dont nous discutons.

De quoi discutons-nous, en fait, si ce n’est de grands principes, dont tout le monde sait qu’ils se réduisent à des éléments de langage ? Ça suffit ! Nous devons avancer, ce qui suppose d’avoir les précisions que la représentation nationale est en droit d’exiger. Nous avons besoin d’éléments chiffrés et de données assez précises, en particulier s’agissant de la transition, de la période où les deux régimes coexisteront, celui de ceux qui ne seront pas concernés par le système par points mais dont le régime devra faire des économies, et ceux qui, nés en 1975, entreront dans le système par points. Ce sont des questions essentielles pour pouvoir avancer. Il n’est pas possible de s’en tenir à des vœux pieux. Vous devez nous répondre !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces interpellations n’ayant pas directement de rapport avec des amendements visant à supprimer la date de 2025, je rappelle à M. Quatennens que la conférence de financement concerne le système actuel et que nous discutons du système à venir.

S’agissant de la mécanique de financement, madame Autain, je vous invite à vous reporter à l’article 58, alinéa 20 : la CNRU « verse aux régimes mentionnés [...] des dotations calculées en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l’absence de modification du périmètre d’affiliation »...

Mme Clémentine Autain. C’est limpide !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme pour tout changement de système, nous prévoyons une période de transition, en l’occurrence de quinze ans. S’agissant des taux définitifs, je vous invite à vous reporter à la page 141 de l’étude d’impact pour ce qui concerne les salariés, à la page 143 pour les fonctionnaires, à la page 145 pour les régimes spéciaux et à la page 147 pour les travailleurs indépendants.

Avis défavorable.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je me réjouis qu’après quelques heures, M. Quatennens se soit enfin aperçu que le titre Ier concerne les principes. Bravo, c’est un beau progrès, le travail a porté ses fruits !

Vous avez compris que la question de la transition intéresse un très grand nombre de professions, qu’elles ont droit à un dialogue social, à être entendues. Les ordonnances qui, en vertu du principe constitutionnel, seront prises par la suite, une fois l’habilitation adoptée, auront vocation à déterminer avec les secteurs concernés la façon dont la transition sera gérée.

M. Adrien Quatennens. Les Français qui nous suivent contribuent également à faire la lumière sur ce qui est en train de se passer car vous venez de confirmer une information qui me semble très importante. La situation n’était pas aussi claire lors de l’audition des syndicats, la semaine dernière.

La conférence de financement, dites-vous, monsieur le rapporteur, n’a pour seul objet que le système actuel. Rappelons qu’elle a été organisée après le retrait provisoire de l’âge pivot pour les seules générations nées avant 1975, contrairement à ce que certains croyaient. Voilà une première information qui a le mérite de la clarté : la conférence de financement n’a rien à voir avec le projet de loi dont nous discutons ni avec le système par points : elle ne concerne que le système actuel.

Autre information, qui en est le corollaire : l’âge pivot n’a jamais été retiré du texte, même provisoirement, en tant que mesure d’économie envisagée pour les générations d’avant 1975. Dans le débat public, tout le monde avait fini par penser que vous l’aviez provisoirement retiré du texte, mais ce n’était absolument pas le cas.

M. Boris Vallaud. Je remercie le rapporteur pour la précision des références mais si sa réponse avait été complète, il aurait signalé que sous les tableaux figure « Sources : calcul DSS sur données ACOSS », « Note de lecture : Les effets présentés ici sont hypothétiques puisqu’ils correspondent à une bascule immédiate dans le système cible dès 2025 en l’absence de toutes transitions » ; « En raison des allégements de cotisations sur les bas salaires, les montants de cotisations employeurs présentés ici pour un niveau de revenu égal à un Smic sont "théoriques" : ils ouvrent bien des droits au salarié mais ne font pas l’objet d’un versement effectif de la part de l’employeur. »

On aimerait que vous stabilisiez un peu plus les sources que vous donnez...

M. Pierre Dharréville. Nous aimerions en effet un peu de clarté et quelques engagements. En l’état, celles et ceux qui seront dans ce système hybride ne disposent d’aucune garantie ; or, si la technologie hybride a accompli quelques progrès dans le secteur de l’automobile, elle est loin d’avoir fait ses preuves dans celui des retraites...

Jusqu’à votre arrivée au pouvoir, je pensais que 1975 était une belle année mais je commence à me poser des questions. Ceux qui sont nés après cette date seront pris dans cet entre-deux, dans cette brèche de l’espace-temps où ils seront affiliés à deux systèmes, deux régimes, sans connaître exactement les garanties dont ils bénéficieront ni pour la première partie de leur carrière, ni pour la seconde.

Vous n’êtes pas au rendez-vous de votre devoir d’information.

M. Jean-Pierre Door. Il faut de la clarté et de la vérité ; or nous en sommes très loin. Monsieur le secrétaire d’État, comment peut-on relier ce projet de loi dont nous débattons depuis lundi et le financement ? Vous savez fort bien que rien n’est financé et comme l’assemblée plénière de la conférence de financement n’aura lieu qu’en avril, nous ne serons peut-être fixés qu’à ce moment-là sur les éventuelles solutions permettant de relier l’un et l’autre. Depuis lundi, nous sommes dans le potage : on débat, on débat, on débat, mais rien n’est financé, dans quelque domaine que ce soit.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On pourrait comparer les différents régimes de protection sociale depuis l’après-guerre aux maisons d’un village qui auraient été construites en suivant un certain nombre de consignes communes, mais selon des règles et des styles différents. En l’occurrence, nous envisageons de bâtir un immeuble commun...

M. Sébastien Jumel. Un village comme ça, c’est archi-moche !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier.... dans lequel nous définirons progressivement comment les uns et les autres en aménageront les différentes parties, ce qui prend du temps. C’est le rôle d’un gouvernement, d’un parlement, me semble-t-il, d’essayer de redonner du sens commun, de définir des règles du vivre ensemble en même temps que la façon dont les uns et les autres feront valoir leurs différences. Nous ne nions pas les difficultés de la tâche.

La lettre de mission du Premier ministre adressée à Jean-Jacques Marette est très claire : l’enjeu est de financer le régime actuel et d’évoquer des pistes pour la transition vers le régime futur. Soit on fait semblant de ne pas comprendre, soit on lit les documents remis : la lettre de mission notamment était très claire. Il serait bon, monsieur Quatennens, de ne pas faire semblant de ne pas être au courant.

M. le secrétaire d’État. Il ne faut pas mélanger deux choses.

Premier point : le COR l’a dit, le système actuel connaît un déficit, qui s’accroît significativement.

M. Adrien Quatennens. Pourquoi ?

M. le secrétaire d’État. Le Gouvernement souhaite que le système actuel parvienne aux conditions de l’équilibre : il ne s’agit pas de combler tout le déficit existant, qui continuera d’ailleurs à augmenter jusqu’en 2025, mais de créer les conditions de l’équilibre à cette date, demande parfaitement raisonnable.

Pour ce faire, les partenaires sociaux ont souhaité prendre leur responsabilité, ce dont je suis très heureux. Je crois beaucoup à la réussite de la conférence de l’équilibre et du financement animée par Jean-Jacques Marette ; d’abord parce qu’il connaît bien les systèmes par répartition et par points, ensuite, parce qu’il est habitué à travailler avec les partenaires sociaux – point très important pour la réussite de la conférence.

Je veux bien le répéter deux cents fois : vous ne trouverez pas dans l’étude d’impact des éléments portant sur le résultat de la conférence sur l’équilibre et le financement.

Si d’aucuns persistent dans leur incompréhension, c’est qu’ils n’ont peut-être pas envie de comprendre. Disons donc les choses clairement : les partenaires sociaux ont pris les choses en main, ce qui est fort bien, ils souhaitent pouvoir trouver les conditions d’un accord. En tout cas, je les y invite et je les y aiderai autant que je le peux, la condition de cet accord étant la remise à l’équilibre du système actuel.

Deuxième point : ce projet de loi décrit la nature du futur système à partir d’un certain nombre d’éléments. J’ai bien entendu que certains d’entre eux sont contestés ; reste qu’ils s’appuient sur une étude d’impact riche, bien plus importante que celles qui ont été réalisées par les majorités précédentes – même si, à leur décharge, elles n’étaient sans doute pas animées par la même ambition que la nôtre. Je ne leur fais donc pas grief du caractère relativement limitatif de leurs études d’impact et j’entends leur exigence pour celle-ci, mais regardons sereinement ce qu’il en est. Les éléments fournis répondent parfaitement aux questions posées par Mme Clémentine Autain.

J’entends parler de manque à gagner. Je vais donc répéter les propos du rapporteur : j’espère que nous pourrons parvenir à examiner l’article 58 car mon objectif, chaque fois que je suis interpellé sur des sujets intéressants comme les droits familiaux, les transitions, l’intégration financière, c’est précisément d’en discuter au fond. Il ne faut pas s’étonner d’une certaine confusion si l’on veut débattre des soixante-cinq articles de la loi en examinant le seul titre Ier ! Je ne fais pas de procès d’intention à qui que ce soit, mais tous ceux qui souhaitent que nos concitoyens, qui nous regardent, soient éclairés pourraient s’interroger à ce propos : est-ce le bon endroit pour parler de tous ces sujets ? N’a-t-on pas tous intérêt à avancer ensemble dans l’examen du texte ?

Qu’y a-t-il dans l’article 58, madame Autain ? « [...] Sous réserve des dispositions du II, la Caisse nationale de retraite universelle assure l’équilibre financier des régimes participant à la mise en œuvre du système universel de retraite. [...] Elle verse aux régimes mentionnés [...] des dotations calculées en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l’absence de modification du périmètre d’affiliation. »

Je veux bien discuter avec vous pendant des heures, cela m’intéresse, mais je souhaite que nous puissions avancer ! Ce sujet a été abordé à plusieurs reprises et nous vous avons chaque fois répondu. Le rapporteur a été très clair et j’espère que le Gouvernement l’est également.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 14667 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Je vous écoute toujours très attentivement, monsieur le secrétaire d’État : vous venez de rebaptiser la conférence de financement en la nommant « conférence d’équilibre ». Ce glissement sémantique n’est pas totalement neutre : le seul objectif que vous vous fixez, c’est de respecter la règle d’or, et non de réfléchir à la modification du taux de cotisation, de l’assiette, à des éléments qui ne mettraient pas à contribution les salariés... Les 12 milliards à trouver à moyen terme, voilà ce qui vous préoccupe en premier lieu !

Ensuite, vous ne clarifiez en rien ce qui se passera pendant la période de transition.

Enfin, vous saucissonnez : vous voulez parvenir à l’équilibre pour le système actuel et, le prochain, quant à lui, reposera sur la règle d’or fixée à partir de 2025, la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) étant portée à 12,9 %. CQFD : là encore, l’objectif est de serrer les moyens consacrés aux retraites, donc, de diminuer les pensions puisque la part du gâteau sera réduite.

Mon amendement vise donc à nous donner une bouffée d’oxygène en épargnant la génération de 1975.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cet amendement propose en fait de repousser l’entrée en vigueur du système de soixante ans.

Je suis un peu surpris par ces interpellations. Mme Autain s’est demandé s’il y avait un trou dans les finances et M. Jumel si c’est une conférence d’équilibre qui réglera le problème. D’ordinaire, les questions de ce type proviennent plus de la droite que de la gauche ! Contenir la part des retraites à 12,9 % du PIB n’est pas le fruit d’une volonté, mais une conséquence. Vous aurez noté que, ces dernières années, l’activité économique a été plus soutenue, ce qui a permis de résorber une partie du chômage – même si la route est encore longue – et créé une certaine tension sur les salaires en raison de la difficulté à trouver certaines compétences. Si l’évolution des salaires continue en l’état, la proportion relative des revenus des retraités dans le PIB en sera d’autant diminuée.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Je suis un peu affligée par vos propos, monsieur rapporteur. Permettez-moi de filer votre métaphore des maisons : accepteriez-vous que votre nouveau logement repose sur des fondations hypothétiques ? Accepteriez-vous d’acheter un logement dont le prix de vente serait fixé vingt ou trente ans après la signature de l’acte de vente ? C’est exactement ce que vous proposez de faire ! Pas de fondations et un prix de vente fixé de manière aléatoire dans vingt ou trente ans !

Mme Clémentine Autain. Je vous rassure, monsieur le rapporteur : l’équilibre des comptes nous intéresse. Nous ne sommes pas des charlots ! Lisons bien l’article 58, alinéa 20 : c’est du parfait charabia ! Oui, il faudra des compensations, et pour une raison simple : les régimes qui resteront applicables aux populations nées avant le 1er janvier 1975 seront structurellement déficitaires – c’est indiqué dans l’étude d’impact.

Vous assurez que les dotations seront calculées « en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu au sein de chaque régime en l’absence de modification du périmètre d’affiliation résultant de l’application du système universel », bla-bla-bla. C’est parfaitement incompréhensible ! Qu’est-ce que signifie « en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu » ? Strictement rien !

L’article dispose ensuite que « les modalités de calcul de ces dotations sont précisées par voie réglementaire », ce qui signifie : ordonnances !

M. Erwan Balanant. La voie réglementaire et les ordonnances, ce n’est pas la même chose...

Mme Cendra Motin. Quand on ne veut pas comprendre, on ne veut pas comprendre...

Mme Clémentine Autain. Imaginez que l’on écrive : « Le nouveau niveau du SMIC devra prendre en compte le coût de la vie. » Vous signez, mais vous ne savez pas ce que sera l’augmentation ! C’est une plaisanterie ! Il n’y a là rien de précis.

M. Éric Woerth. Je note avec amusement que M. Jumel est d’accord avec votre proposition : il ne fait qu’en décaler la date d’application, à une échéance un peu lointaine il est vrai...

Valérie Rabault a décrit un certain nombre de faiblesses de votre immeuble, monsieur le rapporteur, mais bienvenue aussi aux assemblées des copropriétaires ! Vaste sujet dans un cadre universel, je vous l’assure !

S’agissant des précédentes études d’impact et de leur ambition, nous ne voulions pas tout refaire car cela ne s’imposait pas. Votre usine à gaz est inutile. Il est possible de faire mieux, plus justement et plus facilement. Je ne dis pas que cela mettrait moins de gens seraient dans la rue mais au moins on comprendrait le système, ce qui participe de la démocratie.

Un équilibre global du système devrait globalement s’équilibrer en 2027, nous dit‑on. Mais comment ? Ce devrait être le but de toute étude d’impact. Si qualité de la vôtre se mesurait au poids, vous remporteriez à coup sûr les championnats du monde, après avoir remporté celle des critiques, particulièrement sévères, du Conseil d’État !

Au fond, ce n’est pas tant votre ambition que nous contestons que l’endroit où vous la placez. C’est ce que nous essayons de vous dire avec nos propositions, qui n’ont du reste rien de contradictoire avec les annonces de principe que le Président de la République avait formulées. Vous devriez pouvoir accepter des amendements de refonte de votre propre système.

M. Pierre Dharréville. Il n’aura pas échappé à Éric Woerth que Sébastien Jumel, nos collègues et moi-même n’avons d’autre objectif que de gagner du temps et de retarder le moment où le bourreau fera son office... Cela permet néanmoins de soulever un certain nombre de questions. Ainsi, est-il possible de nous expliquer à partir de quels critères l’année 1975 a-t-elle été choisie ? Est-ce au petit bonheur la chance ? Le choix de l’année que nous proposons est tout aussi justifié, si l’on y réfléchit bien.

La conférence sur le financement se situe donc sur le même registre que celle qui a eu lieu pour l’assurance chômage : vous imposez des contraintes impossibles aux partenaires sociaux en leur enjoignant de se mettre d’accord, faute de quoi c’est vous qui prendrez la main. Je crains que les résultats ne soient identiques. Nous verrons bien ce qu’il en adviendra.

Enfin, vous exigez un équilibre alors que tout, y compris les prévisions du COR, laisse à penser que, sur le temps long, il était acquis. La contrainte que vous posez ne vise en fait qu’à libérer le terrain pour imposer par la suite votre réforme.

Mme Catherine Fabre. J’ai été très inspirée par la métaphore de Mme Rabault. Je vais essayer de la filer à mon tour afin d’illustrer notre vision des choses.

Les fondations sont bien là : nous sommes les donneurs d’ordre et nous laissons aux architectes et aux experts béton le soin d’en définir les moyens. La garantie résultat est également là, puisque la loi dispose que le système commencera en étant équilibré : quels que soient ces moyens, l’équilibre sera au rendez-vous. S’il le faut, le Gouvernement prendra ses responsabilités, et nous aussi.

Enfin, vous parlez d’un hypothétique prix de vente ; mais il est très fréquent d’acheter une maison sur plan. Nous sommes en train de dessiner les plans du nouveau système que nous bâtissons pour les générations futures.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je donne la parole au chef de chantier. (Sourires)

M. le secrétaire d’État. Je devrais mettre mes chaussures de sécurité et mon casque ! (Sourires.) Les équipements de protection individuelle sont essentiels...

Monsieur Jumel, il n’y a aucun glissement sémantique. Reportez-vous à l’article 57 : vous verrez que la conférence porte sur « l’équilibre et le financement des retraites », formule parfaitement adéquate. Le rapporteur l’a dit, les partenaires sociaux ont accepté de prendre leurs responsabilités : il est nécessaire de reconstruire l’équilibre pour lancer le nouveau système. Mais la conférence aura également pour rôle de faire des recommandations pour l’avenir. Autrement dit, les partenaires sociaux ont la responsabilité de retrouver les conditions de l’équilibre sur le court terme et sont également associés à la façon dont le système sera piloté sur le long terme.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21541 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Vous finissez par bien connaître cet amendement, car nous avons de la suite dans les idées ; nous espérons que vous reconnaîtrez enfin que nous avons raison.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ai plaisir à retrouver régulièrement M. Dharréville et M. Jumel sur les thèmes de l’universalité et de l’iniquité.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 497 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. La question du statut des marins, en raison de leur rythme de travail, des durées d’embarquement, des difficultés de vie en mer, est tout à fait emblématique. L’article 7 renvoie d’ailleurs aux ordonnances le soin d’examiner le régime spécifique qui leur sera réservé, privant ainsi le Parlement d’exprimer son point de vue sur l’âge de départ, la reconnaissance des éléments de pénibilité, et j’en passe. Dès cet article 2, nous proposons de consolider cet héritage historique, cette spécificité irréfragable, notamment s’agissant de l’accès à la retraite.

Si vous avez 5 minutes, monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à Dieppe pour rencontrer mes marins-pêcheurs. Vous vous rendrez compte de la dureté de leur métier, vous verrez à quel point les corps sont marqués. Mais dans la marine de commerce également, dans le Transmanche, pour ceux qui embarquent pour des marées de plus de quinze jours, les éléments de pénibilité ne doivent pas non plus être négligés.

En théorie, vous semblez avoir reconnu la spécificité de ce métier, ce qui contredit l’universalité du texte : encore un régime spécifique que le rapport de force vous a conduit à concéder !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Depuis le début des travaux de cette commission spéciale, M. Jumel et moi-même nous interpellons régulièrement, mais en toute amitié et non sans humour. S’il y a une chose que je ne conteste pas chez lui, c’est son attachement à la cause des marins. Je l’ai entendu en parler maintes fois, notamment à la commission des affaires économiques ; je sais combien il est sincère et combien il connaît le peuple des marins.

Il s’agit de montrer, d’une part, que ces derniers sont comme les autres citoyens et, d’autre part, qu’ils méritent une attention spécifique en raison de leur métier particulièrement difficile, pénible, dangereux, un métier hors normes en quelque sorte. Ce qui justifie le maintien d’un régime des marins au sein du régime universel.

Je suis défavorable à cet amendement tout en lui sachant gré d’avoir rappelé la spécificité et la dureté de ce métier.

M. Stéphane Viry. Monsieur le rapporteur, vous rejetez cet amendement tout en comprenant les spécificités de ce métier, et notamment sa dureté. Mais d’autres professions se sont organisées au sein de régimes autonomes non par souci de privilèges, par volonté de se replier sur soi ou par nombrilisme, mais pour des raisons déontologiques relatives à la philosophie même de leur métier. Le régime autonome répond à de telles exigences : pas de soumission à un ensemble économique qui ferait perdre leur indépendance d’esprit. C’est le cas notamment des auxiliaires de justice. Ce n’est pas une question de défense d’un pré carré ou d’équilibre des caisses. La spécificité d’un métier n’est pas nécessairement liée à sa dureté : elle peut aussi relever de l’éthique de certaines professions au service de tous.

M. Sébastien Jumel. Si les marins ont obtenu quelques concessions, le régime social des marins, l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM), fait partie des régimes spéciaux que vous avez décidé de flinguer à partir de la génération née en 1982.

Plusieurs questions se posent donc : qu’en sera-t-il de la possibilité de partir à 50 ans après vingt-cinq ans de service ? Comment envisagez-vous l’instauration d’un âge pivot adapté au régime des marins ? Quid de l’application d’une bonification des points, à l’instar des militaires, pour prendre en compte la spécificité, que je vous remercie d’avoir saluée, de ce beau mais difficile métier ? Et de l’exclusion des assiettes de cotisations forfaitaires sur la base des catégories – lesquelles pénalisent en l’occurrence beaucoup ceux qui se situent en bas de l’échelle ? Le mode de calcul de la pension de réversion – 54 % – pour les régimes de l’ENIM sera-t-il maintenu, tout comme le système de majoration de pensions pour les enfants de marins – 5 % pour deux enfants, 10 % pour trois et 15 % pour quatre ? Autant d’éléments qui prenaient en compte l’espérance de vie en bonne santé et les difficultés d’existence de nos marins, menacés par bien d’autres choses – le Brexit, la pêche électrique qui les asphyxie, les politiques européennes de quotas qui les broient !

Comment répondez-vous à ces questions précises, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur ?

La commission rejette l’amendement.

M. Sébastien Jumel. Je vous remercie de ces réponses...

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements n° 785 de Mme Marine Brenier et n° 21162 de M. Julien Dive, ainsi que les amendements identiques n° 685 de M. Fabrice Brun, n° 20458 de Mme Clémentine Autain, n° 20460 de M. Ugo Bernalicis, n° 20475 de Mme Caroline Fiat, n° 20483 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 20491 de M. Adrien Quatennens, n° 21265 de M. Thibault Bazin et n° 22506 de M. Julien Dive.

Mme Marine Brenier. Mon amendement n° 785 et ceux qui suivront ont un but : reconnaître l’indépendance des professions libérales, en particulier des avocats.

La question de l’avenir des caisses autonomes reste l’une des grandes inconnues de ce texte comme nous en avons eu encore la preuve ce matin avec l’amendement de notre collègue Agnès Firmin Le Bodo, rejeté à deux voix près seulement, ce qui prouve l’importance de ce sujet.

J’ai bien écouté la réponse que vous lui avez apportée, monsieur le secrétaire d’État, mais elle était malheureusement lacunaire : les caisses, avez-vous dit, décideront de l’affectation de ces réserves, mais quelle en est la garantie, le texte ne prévoyant rien en la matière ?

M. Jean-Pierre Door. L’amendement n° 21162 concerne effectivement les professions libérales, et notamment les médecins. M. le secrétaire d’État a rencontré les représentants de leurs caisses autonomes de retraite, qui comptent plus de 120 000 cotisants.

Nous sommes d’accord sur le régime universel, à condition qu’il ne s’applique que dans la limite de 1 PASS, et pas de trois. Pourquoi ? Parce qu’au-delà de 3 PASS se posera un problème démographique : le nombre de médecins adhérents se trouvera divisé par trois ou par quatre. La soutenabilité de la caisse autonome sera mise en danger et, quels que soient les engagements que vous avez évoqués sur sa préservation, ce régime spécifique risque fort de disparaître : s’il ne s’occupe plus que des prestations sociales et des pensions d’invalidité, décès et autres, il n’aura plus aucun intérêt. Maintenir le plafond des 3 PASS présente donc un risque majeur : 1 PASS suffirait.

M. Fabrice Brun. « Il y a deux sortes d’efficacité : celle du typhon et celle de la sève », écrivait Albert Camus. La sève constructive édifie peu à peu, alors que le typhon destructeur balaie tout sur son passage. Or vous avez fait le choix de tout balayer sur votre passage, tant du côté de ceux qui obstruent le débat parlementaire que de celui de la majorité qui ne dit toujours pas comment elle finance sa réforme, mais qui fait main basse sur les caisses autonomes des avocats, des professions libérales, des artisans, des commerçants, des infirmières libérales... La liste des perdants de votre réforme est en effet très longue.

L’amendement n° 685 me donne l’occasion de me faire l’avocat de la sève en dénonçant le hold-up sur les caisses autonomes.

Mme Clémentine Autain. La campagne de communication du Gouvernement, qui visait à expliquer que les avocats bénéficiaient d’un régime de pension très élevé et à les présenter, en gros, comme des nantis, a visiblement manqué d’efficacité. Vous avez vu à quel point la profession s’est mobilisée : fait sans précédent, les 164 barreaux ont répondu présent. Et pour cause : créé en 1945, leur régime autonome est tout à la fois pérenne, équilibré et solidaire.

Vous proposez de faire passer leurs cotisations de 14 % à 28 %, ce qui est littéralement considérable. Pour quel résultat concret ? Les petits cabinets risquent de mettre la clef sous la porte, et les particuliers les plus pauvres de payer au final l’addition. Cette augmentation de plus de 40 % est littéralement insoutenable. Je ne vois absolument en quoi elle constituerait un progrès : il s’agit d’une régression injustifiée qui illustre, au détriment de toute logique, votre volonté d’imposer par tous les moyens le dogmatisme de votre système à points.

Mme Caroline Fiat. L’amendement identique n° 20475 vise à compléter l’article 2 par l’alinéa suivant : « Les dispositions de cet article ne s’appliquent pas aux avocats affiliés au régime d’assurance vieillesse et invalidité décès défini au titre V du livre VI du code de la sécurité sociale. » Il reprend une proposition du Conseil national des barreaux visant à exclure les avocats du système universel de retraites. Comme le précisent tant l’ensemble des barreaux que la Conférence des bâtonniers et la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), le régime actuel de cette profession d’avocat est autonome, pérenne, solidaire et prévoyant. Il permet de garantir leur indépendance au profit des justiciables : c’est pourquoi il est impératif de les exclure du champ de cette réforme.

M. Jean-Luc Mélenchon. Si vous avez compris ce que nous voulons ajouter et ce que nous voulons supprimer, peut-être n’avez-vous pas entendu la perplexité de la société ? Comment avez-vous en effet réussi ce tour de force de mettre tous les avocats d’accord pour protester contre votre réforme ? La profession est en effet, quant à ses revenus, extrêmement diverse : les uns sont millionnaires, les autres très précaires. Et pourtant, ils sont tous d’accord contre vous : cela vaut par conséquent la peine de s’y arrêter un instant.

Que se passe-t-il ? Son régime est équilibré. Qui mieux est, il l’est jusqu’en 2079 : ils font donc, en matière de prévision, mieux que vous. Pourquoi aller fourrer vos mains dans ce nid de frelons ? D’habitude – mais je sais que vous avez changé tout le code du travail et que le principe de faveur n’existe plus – on fait une loi sociale pour améliorer la situation. Ou au moins, on fait semblant, pour le laisser croire ! Or vous ne mettez, en l’occurrence, rien sur la table. Vous ne leur dites même pas que cela va marcher beaucoup mieux. Rien, que dalle, si ce n’est que cela va aller beaucoup plus mal ! Au point de se demander si ce n’est pas un arrangement avec certains très grands cabinets d’affaires : on ne comprend pas pourquoi vous allez rançonner des gens heureux qui ne vous demandaient rien.

M. Adrien Quatennens. Une chose est évidente : avec ce projet de réforme des retraites, vous aurez réussi à vous mettre une majorité de Français à dos et, surtout, à faire sortir dans la rue, et de manière assez originale, des professions que l’on n’avait franchement pas l’habitude de voir mener la lutte. Les avocats sont extrêmement mobilisés, il faut les en saluer.

Ma collègue Caroline Fiat l’a relevé : effectivement, rien ne justifiait que l’on s’attaque à eux comme vous le faites, sinon en faire des sacrifiés pour l’exemple pour justifier cet habillage d’universalité qui ne trompe personne.

Leur régime est, c’est vrai, à la fois autonome et équilibré. Il s’appuie sur une constante croissance démographique ainsi que, avec la pension minimale, sur une solidarité intraprofessionnelle. Il prévoit même d’économiser près de 2 milliards d’euros de réserves en vue de garantir son équilibre financier – équilibre auquel vous dites si attachés – jusqu’en 2079 ! Il n’y a donc aucune justification à ce que vous infligez à cette profession.

M. Thibault Bazin. Avec votre réforme en marche, notre justice est en panne : grève qui perdure en témoigne. J’ai échangé avec les bâtonniers de mon territoire et reçu dans ma permanence de jeunes avocats et avocates. Elles ne croient pas ceux qui leur disent que les femmes seront gagnantes avec cette réforme. Selon elles, leur caisse est adaptée à leur profession : les premières années, les cotisations sont progressives et elles bénéficient, lorsqu’elles deviennent mères, d’une prise en compte de l’année de naissance de l’enfant.

Une fois que les réserves auront été utilisées pour compenser les hausses de cotisation, les cotisations des avocats nés après 1975 ne seront pas suffisamment compensées. Ils ne pourront par ailleurs pas répercuter ce manque à gagner sur les justiciables qui bénéficient de l’aide juridictionnelle. Il leur sera également difficile, demain, d’assurer leurs permanences dans les territoires. On le voit bien, cette réforme présente un risque pour l’avenir de la justice, notamment pour ceux qui en ont besoin.

Il faut que vous preniez cette réalité en considération afin de vous montrer beaucoup plus justes à leur égard.

M. Julien Dive. Je m’inscris dans la même dynamique que nos collègues : il faut défendre non une profession en tant que telle, mais de gens qui représentent les justiciables et personnifient le droit à la défense de chacun de nos concitoyens. Cette profession a déjà été mise à mal par les réformes conduites par votre gouvernement : la réforme de la justice notamment a déjà déshabillé nos tribunaux de province et, demain, fera partir de nombreux avocats. Avec cette réforme des retraites, vous mettez à mal des acteurs essentiels de la justice et les droits de nos concitoyens.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Notre collègue Sébastien Jumel se plaignait de ne pas avoir obtenu de réponse à propos des marins-pêcheurs : nous proposons de porter la réversion de 54 % à 70 %. Et pour ce qui est de la majoration pour enfants, qui s’élève à 5 % à partir du deuxième, à 10 % à partir du troisième et à 15 % à partir du quatrième, nous proposons de la porter à 5 % pour le premier, à 10 % pour le deuxième, à 17 % pour le troisième et à 22 % pour le quatrième. Nous n’entendons pas nier les spécificités des pêcheurs.

Nous partageons par ailleurs avec Fabrice Brun un intérêt pour le monde agricole. Cela étant, une transition sur quinze ans peut difficilement être qualifiée de typhon...

M. Fabrice Brun. Mais l’organisation de nos débats, si !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’y vois surtout un travail de construction intégrant des changements profonds. Nous prenons en effet le temps de définir le système futur – c’est l’enjeu de ce projet de loi –, puis les modalités de transition, qui prendront quinze ou vingt ans, car un tel changement est compliqué. En aucun cas nous ne comptons faire main basse sur les caisses des régimes existants, qu’ils soient spéciaux ou autonomes ; en revanche, elles pourront effectivement aider à la transition.

M. Fabrice Brun. C’est de la sémantique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est totalement différent.

J’en viens aux avocats, qui comptent environ 4,5 actifs pour un retraité, alors que chez les agriculteurs la proportion est exactement inverse : c’est pour cette raison qu’il nous faut à la fois tenir compte de l’existant et d’un avenir qui sera marqué par la modification de ces équilibres.

Nous sommes nombreux dans cette salle à appartenir à la même tranche d’âge : ainsi notre collègue Régis Juanico, auquel je souhaite bon anniversaire, n’a guère que six mois de plus que moi. Nous sommes nombreux à avoir des enfants ; pour ma part, j’en ai trois, actuellement en pleine réflexion sur leur métier futur : peut-être avocat pour l’un, agriculteur pour l’autre et salarié de la fonction publique pour le troisième. La question de leur retraite future et potentielle n’entre en ligne pas dans les conseils que je peux leur donner sur leur choix ; pour ceux qui ont déjà fait leur choix aujourd’hui, le maintien de leurs acquis est légitime, mais nos enfants et la génération future doivent pouvoir bénéficier de règles équitables. Cette sécurité, nous pouvons la leur offrir.

Enfin, on recense, même chez les avocats, chez les agriculteurs et chez les pêcheurs, de multiples spécificités, ce qui rend la définition de la transition très technique : d’où la nécessité de discussions qui se poursuivent et d’ordonnances par profession. C’est tout ce travail de sève qui va irriguer l’action que ce gouvernement et les prochains auront à mener pendant quinze à vingt ans.

Je suis donc défavorable à cette série d’amendements.

M. Sacha Houlié. Au-delà de ce qui vient d’être dit, j’apporte une précision concernant à la fois le minimum contributif – qui profitera principalement aux artisans et aux agriculteurs – et la démographie des avocats. Vous avez illustré, monsieur le rapporteur, ce qui fait aujourd’hui la force du régime de ces derniers et ce qui en ferait, demain, la faiblesse.

Ayant connaissance de leurs difficultés, les avocats ont d’ailleurs d’eux-mêmes, dès 2015, année au cours de laquelle je plaidais encore au barreau de Paris, relevé leurs cotisations. L’augmentation de cotisations induite par la réforme est d’ailleurs en cours de correction dans le cadre des négociations menées avec le Premier ministre, un abattement de l’assiette et une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) étant envisagés, sachant que le régime qui serait instauré ne porte pas atteinte à leur indépendance, garantie par leur métier, par leur serment et par l’affiliation à leur ordre.

Enfin, les réserves, comme le guichet unique, les dispositifs d’invalidité et de prévention décès et le système de solidarité entre les hauts et les bas revenus, autrement dit tous les principes, seront préservés.

Mme Valérie Rabault. Avec ce doublement des cotisations de tous ceux d’entre eux gagnant moins de 40 000 euros de revenus annuels, que vous proposez, c’est tout simplement un plan de licenciements massif que vous organisez.

Mme Albane Gaillot. N’importe quoi !

Mme Valérie Rabault. Vous avez beau nier la réalité, 20 000 avocats vont mettre la clef sous la porte. Les chiffres sont là...

M. Erwan Balanant. C’est quoi, votre étude d’impact ?

Mme Valérie Rabault. Vous relevez le taux des cotisations retraite de ceux dont les revenus annuels sont inférieurs à 40 000 euros de 14 % à 28 %. Vous n’y touchez en revanche pas à pour ceux qui gagnent plus de 120 000 euros par an : pour ce qui est de la justice, il va falloir que vous nous expliquiez votre définition de ce mot... En tout état de cause, la conséquence économique de votre réforme, c’est un plan de licenciements massif qui touchera au moins 20 000 avocats.

M. Éric Woerth. Quelle mouche a piqué le Gouvernement pour qu’il se lance dans une telle affaire ? Le pacte républicain n’impliquait pas de bâtir un système universel couvrant tout le monde et oubliant la nature des métiers : c’était de verser une retraite à peu près digne et conforme aux carrières menées.

Je rappelle que l’architecture que Les Républicains proposent repose d’une part sur un socle commun à 40 000 euros, c’est-à-dire un plafond au-delà duquel les caisses autonomes et complémentaires interviendraient, et d’autre part sur un alignement des salariés du public et du privé. Les avocats pourraient, comme d’autres, conserver leur caisse autonome : ils ne demandent en effet rien à personne ni au contribuable, en tout cas pas avant de très nombreuses années. Et encore moins une multiplication par deux de leurs cotisations vieillesse ! Le ministère a d’ailleurs évolué sur cette question, en expliquant qu’ils pourront se rattraper en baissant d’autres cotisations. Comme si l’on pouvait ainsi compenser la hausse de la cotisation vieillesse ! C’est d’autant plus surprenant que le régime des avocats, comme d’autres, respecte le principe de solidarité démographique : il renvoie une centaine de millions d’euros par an au régime général.

C’est donc une drôle d’idée, reflétant au fond une idéologie quasiment technocratique qui n’a rien à voir avec la réalité des métiers, du terrain, des besoins et des particularités des professions, autant de choses que vous ne pouvez pas gommer.

M. Pierre Dharréville. Nous en avons une nouvelle illustration : l’idée qui est sur la table aurait pu germer dans la tête de Géo Trouvetou ou dans celle du professeur Tournesol... Et cela ne marche pas. Vous avez réussi à faire descendre dans la rue les avocats, les orthophonistes, les danseuses et les danseurs de l’Opéra national de Paris.

S’agissant des avocats, nous recevons beaucoup de messages et vous avez dû les recevoir aussi : ils considèrent que la réforme se traduira pour eux par plus de cotisations et moins de droits, et que les concessions que vous avez semblé leur faire sont en réalité inexistantes, inopérantes, autrement dit des leurres. Comme on vient de le dire, vous allez plonger la profession dans de grandes difficultés économiques et rendre du même coup l’accès à la justice plus difficile pour un certain nombre de nos concitoyennes.

Il faut se rendre à l’évidence : vous êtes en train de vous enferrer dans un texte qui n’est pas défendable.

M. Jean-Paul Mattei. Beaucoup d’avocats exercent leur activité en bénéfices non commerciaux, en transparence fiscale, ce qui pose un problème de bases. S’il est vrai que les cotisations causent un réel souci, nous pouvons à mon avis faire des propositions alternatives, en jouant notamment sur le premier PASS, qui ne mettent pas en cause l’équilibre de la profession.

D’autres avocats choisissent d’exercer dans le cadre d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Le problème de leurs outils et de la gestion de leurs revenus est donc beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Enfin, je lis, à la page 31 du contre-projet de nos collègues du groupe La France insoumise, que « [...] Plusieurs pistes permettent de lever de nombreux milliards d’euros à court terme. Des sommes sont d’ores et déjà disponibles et [...] représentent un stock de 130 milliards d’euros [...]. » Autrement dit, vous prévoyez de capter les réserves des avocats : je suis donc un peu étonné par votre double langage, dont vous venez à l’instant de donner une illustration.

M. Jean-Luc Mélenchon. On n’est pas au Gouvernement, nous !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Il y a quelques instants, le président Mélenchon nous a demandé pourquoi, au fond, nous faisions une telle chose à des gens heureux.

Nous avons pleinement conscience qu’aujourd’hui, une partie de la profession d’avocat n’est pas heureuse : les avocats peuvent connaître de grandes et réelles difficultés, particulièrement au début de leur carrière. Nous devons apporter des réponses pour améliorer la vie de l’avocat, surtout au début. Des discussions ont été enclenchées en ce sens : il faut qu’elles aboutissent.

Par ailleurs, l’intégration de la profession d’avocat dans le système universel que nous construisons me semble plutôt une bonne chose dans la mesure où cela permettra de mieux prendre en compte la réalité de notre société : on change de plus en plus en plus de carrières. On peut désormais exercer deux, trois, quatre, cinq métiers successifs et cela vaut aussi pour les avocats. On peut l’être durant un moment, puis faire autre chose, ou encore devenir ou redevenir avocat plus tard.

S’agissant des cotisations, comme l’a dit notre collègue Sacha Houlié, l’alignement progressif sur le taux de 28 % impose une hausse de celles-ci, qui sera compensée par une baisse de CSG.

Par ailleurs, cette trajectoire sera accompagnée : le rôle de la CNBF dans la gestion des réserves et en tant qu’interlocuteur des avocats dans le cadre du futur système universel sera préservé. Elle pourra notamment continuer à mettre en place des dispositifs de solidarité entre avocats.

Enfin, pour ce qui est du prétendu saccage de la justice, la loi de programmation adoptée il y a quelques mois permettra, pour la première fois, au budget de notre justice d’augmenter de 24 % d’ici à 2022, passant de 6,7 milliards d’euros à 8,3 milliards d’euros, ce qui conduira à la création de 6 500 postes. Il faut parfois le rappeler.

Quand nous bâtissons une loi de programmation, nous l’adoptons et nous la menons jusqu’au bout, si vous voyez ce que je veux dire...

M. le secrétaire d’État. Cet échange est intéressant : j’ai bien reconnu, dans les interventions, parfaitement intelligibles, de Marine Brenier, Fabrice Brun, Jean-Pierre Door et du président Éric Woerth, la cohérence de l’opposition politique que souhaitent incarner Les Républicains, dont le projet n’a pas été validé par les Français en 2017 – soit dit sans taquinerie aucune. Je comprends cette cohérence qui à mon sens donne de la visibilité à la position que vous défendez, parfaitement intelligible.

Nous ne sommes pas sur le même registre : je défends pour ma part une réforme beaucoup plus universelle, qui implique une transformation de la société. Le moment était venu le moment de proposer à tous nos concitoyens une démarche plus ambitieuse visant à faire République ensemble. Sans doute avez-vous raison, monsieur le président Woerth : cette démarche est plus difficile et réinterroge plus de choses, ce qui explique qu’elle se heurte à plus de résistances. Vous n’avez pas manqué de le relever depuis trois jours et vous continuerez sans doute à le faire.

Nous avons également besoin, pour construire notre pays, de nous réunir autour de fondamentaux : le sens de la solidarité, sous une forme repensée et reconstruite, mais également la reconnaissance du travail : tout retraité est en droit d’attendre un juste retour de son activité et de ses cotisations. Le Gouvernement et la majorité pensent que cette dynamique est essentielle dans la reconstruction du contrat social avec l’ensemble de nos concitoyens.

Nous n’allons pas épiloguer sur les avantages et inconvénients respectifs du PASS et des 3 PASS : les choses sont, à ce sujet, claires, pour vous comme pour moi, ainsi que pour la majorité.

Pour ce qui est des avocats, madame Brenier, des avocats, j’ai senti qu’il émanait de votre amendement beaucoup de vérité : je l’ai donc, compte tenu de mon engagement personnel sur ce sujet, considéré avec le plus grand intérêt. Il n’y a aucune volonté de la part du Gouvernement de montrer du doigt telle profession ou de mettre en difficulté l’évolution de telle autre : j’ai, dans mon activité précédente, recruté de nombreuses avocates qui se montraient satisfaites de devenir salariée pour mener une activité de conseil au sein d’un pôle juridique après quatre, cinq ou six ans d’exercice indépendant. Il arrive que certaines y reviennent par la suite, ou se tournent vers autre chose. Je ne prétends pas réécrire ici avec vous le parcours professionnel des avocats ; je veux simplement mettre en avant sa diversité. Le système universel nous donne l’occasion de la prendre en considération, mais également d’anticiper les évolutions.

J’ai été longtemps le représentant de cette assemblée au sein du COR : les tableaux qui nous y étaient fournis par la CNBF montraient que le régime des avocats se trouverait en difficulté à partir de 2046, autrement dit moins lointaine que celle de 2079, dont on a fait mention.

Monsieur le président Éric Woerth, je ne partage pas l’idée selon laquelle on ne devrait en appeler à la solidarité nationale que lorsqu’on se trouve en difficulté : c’est précisément de genre attitude qui fait réagir nos concitoyens. C’est trop facile de ne parler de solidarité nationale que lorsque l’on se trouve en difficulté. Ils préféreraient que l’on construise un dispositif ensemble, dès le départ – et en toute transparence, vous avez raison, madame Brenier.

Que souhaitent les avocats ? Bénéficier d’une péréquation plus importante, car leur système permet de verser une pension minimale plus importante. Même si je n’étais pas alors au Gouvernement, nous leur avons dès le début indiqué qu’une telle évolution était possible en maintenant le niveau de cotisation, qui est plus élevé, des plus hauts revenus. Encore faut-il construire un tel dispositif. Je ne suis pas le représentant des avocats : c’est à eux de défendre leur projet, et je ne peux pas le faire à leur place. S’ils sont attentifs à l’équilibre financier de leurs cabinets, auxquels ils ont raison de veiller, nous leur avons, à leur demande, présenté des cas types en fonction des niveaux de rémunération.

Par exemple, le niveau de pension d’un avocat gagnant 32 000 euros par an serait supérieur de 13 % à son niveau actuel. En outre, une avocate ayant eu un ou deux enfants et bénéficiant de la dynamique de la bonification de 5 % et disposant des mêmes revenus verrait, elle, sa pension augmenter de 13 %, de 18 %, voire au-delà.

Les avocats seraient donc très souvent gagnants : et si, dans certains cas leurs charges augmenteront légèrement, cette augmentation sera à lisser sur quinze ans. Le changement d’assiette de CSG fait en outre que cette augmentation ne pourrait jamais, quels que soient les cas types sur lesquels nous avons travaillé à la demande de la CNBF, dépasser 5 % sur quinze ans.

La volonté du Gouvernement de trouver une issue avec les représentants des avocats est donc réelle. Je comprends la sensibilité de cette profession soucieuse de son autonomie et très attachée à l’indépendance de la justice de notre pays : il est cependant à mon sens possible, tout en les respectant, de faire maison commune s’agissant des retraites. Je n’y vois pas d’antinomie majeure.

Pour ce qui est des réserves, je répète qu’elles resteront à la main des caisses qui les ont constituées : tous ceux qui les ont alimentées décideront donc, par le biais de leur conseil d’administration, de ce qu’ils voudront en faire.

Toutes les caisses spécifiques ou autonomes doivent-elles disparaître ? Dès lors qu’elles défendent des projets – économiquement viables, s’entend, car le maintien d’une caisse doit avoir du sens – comme celui que j’ai évoqué tout à l’heure à propos des avocats, nous avons affirmé, et cela figure d’ailleurs dans le projet de loi, qu’elles pourraient agir par délégation de la CNRU.

Les possibilités de constructions ne manquent pas : j’ai pu le constater dans tous les échanges, et ils sont nombreux, que nous avons avec les professions libérales, qu’il s’agisse des médecins, des avocats ou des notaires. Nous avons besoin de continuer à nous parler afin de trouver les voies du dialogue. Les notaires par exemple – tout en étant, comme les infirmières libérales, vigilants – sont très au clair sur ces questions.

M. Stéphane Viry. Monsieur le secrétaire d’État, de nombreux amendements ont été déposés par tous les groupes sur les régimes autonomes, et en particulier sur celui des avocats qui, à vous écouter, sortiraient gagnants de la réforme que vous leur proposez. Ils sont peut‑être sourds et ne savent pas se projeter dans l’avenir, mais ils nourrissent le sentiment que vos propos ne sont que des boniments.

Les régimes autonomes sont tout d’abord, je ne reviens pas sur cet aspect, excédentaires.

S’agissant des avocats, cette autonomie s’impose en raison de l’indépendance même du métier. Il ne s’agit pas d’une question uniquement économique : c’est lié à leur serment, ils ne doivent dépendre de personne. Or vous n’en tenez pas compte.

Je ne reviens pas sur le modèle économique de tous les cabinets, particulièrement ceux de taille modeste, qui se trouvera forcément altéré par la hausse des cotisations. Nombre d’avocats se trouvent déjà dans des situations de précarité.

L’on voit bien que votre système n’est pas fiable. Tout à l’heure, notre collègue Jean‑Paul Mattei évoquait des compensations qui constituent, en creux, l’aveu d’erreurs de conception de ce même système, qui vous contraignent à bricoler à chaque fois des solutions pour tenter de faire passer la pilule.

Mon principal souci, c’est la diminution de l’accès au droit et à la justice d’un certain nombre de nos concitoyens. La majorité se bat pour restaurer des droits : si sur nombre de sujets, nous sommes d’accord avec elle, votre réforme va fragiliser des cabinets qui déserteront les territoires, en particulier ruraux, ce qui rendra plus compliqué l’accès à l’institution judiciaire. Ce n’est pas sérieux.

M. Sébastien Jumel. Lundi, j’ai voyagé en train avec les vingt avocates dieppoises qui venaient de manifester. Elles m’ont confié que leur système n’était pas spécial, mais autonome, qu’il ne s’appliquait pas à des salariés, mais à des entrepreneurs libéraux et à des employeurs, qu’il n’était pas consommateur de deniers publics mais contributeur, qu’il n’était pas égoïste mais solidaire, et pas déficitaire, puisque le régime de base est équilibré jusqu’en 2054 et le régime complémentaire jusqu’en 2083. Pourquoi y mettez-vous les doigts ? C’est complètement fou !

Je reviens sur le cas des marins. Le rapporteur m’a répondu, mais pas sur leur taux d’accidents du travail, deux fois plus élevé qu’ailleurs, leur espérance de vie, inférieure de cinq ans, les critères de pénibilité qui se cumulent : travail de nuit, horaires décalés, amplitude horaire forte, éloignement de la famille, exposition à des substances chimiques, port de charges lourdes, températures extrêmes et postures pénibles... Autant d’éléments qui justifient qu’après vingt-cinq ans de cotisation un marin puisse partir à la retraite à 50 ans. Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous maintenir ou flinguer cet acquis ?

Mme Clémentine Autain. Monsieur le secrétaire d’État, à vous écouter avec attention comme je l’ai fait, on se demande pourquoi les avocats sont à ce point vent debout, jettent leurs robes et manifestent comme jamais... Quelle mouche les a piqués ?

Le CNBF conteste fermement votre projet, comme il conteste vos projections. L’étude d’impact est à cet égard assez gratinée. Un de vos avocats-types est un parfait inconnu statistique : il est âgé de 23 ans au début de sa carrière, alors qu’en moyenne les avocats sont à ce moment-là âgés de 28,1 ans, et gagne 40 000 euros, alors que la moitié d’entre eux ont à ce moment-là des revenus inférieurs ! Vous faites par ailleurs état d’une stagnation démographique de la profession alors qu’elle augmente de plus de 3,13 %... Autrement dit, votre étude d’impact ne correspond donc littéralement à rien.

Les compensations que vous envisagez ne sont en outre absolument pas appropriées. Les projections réalisées par la profession montrent que pour les avocats gagnant moins de 30 000 euros, le manque à gagner sera considérable : vous allez donc appauvrir les retraites, notamment des avocats les moins bien rémunérés, et par là même porter atteinte non seulement à une profession, c’est-à-dire à ceux qui font vivre ce métier, mais à l’accès au droit.

M. Dominique Da Silva. Je rappelle que le système universel de retraite s’appliquera à tous les Français, quel que soit leur statut et leur métier sans exception, qui partiront à la retraite à partir de 2037. Cela laisse donc beaucoup de temps pour faire converger – et sans brutalité, nous l’avons souvent rappelé, et sans nier les spécificités des professions – quarante-deux régimes spéciaux et autonomes vers un seul régime. Nous assumons donc effectivement le fait de mutualiser les situations démographiques favorables à certains métiers et défavorables à d’autres, le principe étant évidemment, nous l’avons dit et répété, celui d’une solidarité interprofessionnelle.

M. Thibault Bazin. Ces régimes y contribuent déjà !

M. Dominique Da Silva. Il est par ailleurs faux d’affirmer que ce système souffrirait de manques, puisque cette transition permettra de toute façon de lisser ces financements. Les réserves seront en outre bien attribuées aux professions concernées. La majorité des professions libérales sera bien évidemment gagnante : elles ne cotiseront en outre pas davantage puisqu’une compensation sera, du fait de l’augmentation des taux, assurée au moyen de la CSG : il n’y aura donc même pas de trou pour la sécurité sociale.

M. Boris Vallaud. Comme sans doute beaucoup d’entre vous dans vos circonscriptions, j’ai assisté à Mont-de-Marsan à la rentrée solennelle du tribunal de grande instance, qui a réuni l’ensemble des avocats en robe. Ils arboraient pour l’occasion un bandeau où l’on pouvait lire : « En grève ».

J’ai du mal à saisir votre réponse : à vous entendre, pas un seul d’entre eux n’a compris le grand bénéfice à attendre de votre réforme. C’est à mon sens faire preuve de beaucoup d’arrogance et de morgue que de considérer que les Françaises et les Français ne comprennent pas votre politique. Ils ne la comprennent que trop : ils ont bien mesuré que vous considériez, s’agissant des avocats, l’équilibre démographique de leur seule profession et qu’il existait, en tout cas à moyen terme, un risque de voir leur régime siphonné, alors qu’il est déjà contributeur net à la solidarité, à hauteur de 90 millions d’euros par an, me semble-t-il.

Si l’augmentation des cotisations, qui ne sera que partiellement compensée par les modifications d’assiette de CSG et de contribution pour le remboursement de la dette sociale, conduira à un plan social, elle aura également, en matière d’accès au droit, des conséquences graves pour certains justiciables.

La difficulté tient au fait que vous ne concevez votre réforme que dans un espace clos fermé au reste du monde et à ce qui s’y passe : c’est du reste ce qui explique que la dimension économique et sociale fasse tant défaut dans votre étude d’impact. Vous gagneriez à regarder ce qui se passe au-delà de vos bureaux...

M. Jean-Paul Mattei. Nous devons nous mettre autour d’une table et discuter des modalités. La profession est très spécifique, avec beaucoup d’entreprises individuelles, un impôt sur le revenu élevé. Il faut parler de transparence fiscale, de base taxable et de niveau des cotisations. Le problème existe : on risque effectivement d’asphyxier financièrement les avocats en début de carrière en leur imposant des cotisations trop importantes. Il doit être possible de faire des propositions intelligentes pour regrouper les régimes. Nous pouvons parvenir à changer les choses, nous disposons des outils pour cela.

La commission rejette successivement les amendements.

Enfin, elle adopte l’article 2 sans modification.

Après l’article 2

La commission est saisie des amendements identiques n° 3023 de Mme Clémentine Autain, n° 3027 de Mme Caroline Fiat et n° 3030 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Clémentine Autain. Il s’agit de demander au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur les régimes spéciaux. Celui-ci exposerait dans le détail, et sans transformer la réalité, les quarante-deux régimes spéciaux, en dressant la liste des prétendus privilèges dont bénéficieraient les assurés.

Nous en avons par-dessus la tête de la façon dont vous parlez des régimes spéciaux. Oui, ce sont des conquêtes sociales. Prenons un seul exemple : lorsque l’on a passé sa vie dans un tunnel de métro, il y a un moment où il faut que cela s’arrête ; on peut alors bénéficier d’un droit qui compense la dureté du travail. Or les régimes spéciaux n’apparaissent plus aujourd’hui comme un horizon à atteindre, mais comme une charge pour le régime général. D’aucuns prétendent que le rattrapage est impossible parce que trop coûteux ; ces régimes sont alors perçus comme des rentes injustifiées, versées à des profiteurs, qu’il faut détruire pour réduire le coût global du système. L’égalité pour vous, ce n’est plus élever le niveau des retraites du plus grand nombre, mais abaisser le montant des pensions de quelques-uns.

Mme Caroline Fiat. Peut-être ce rapport convaincra-t-il le Gouvernement du bien‑fondé des régimes spéciaux et de la nécessité de les conserver ? Peut-être qu’en écoutant les personnels soignants, le Gouvernement se rendra compte que l’apparition des troubles musculo-squelettiques est un signe que le corps est fatigué et que ce n’est pas parce qu’il vivra plus longtemps qu’il fonctionnera mieux ? Peut-être qu’en s’attachant à suivre les égoutiers dans leur travail quotidien durant une semaine le travail quotidien des égoutiers, il changera d’avis ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Le malentendu, si j’ose dire, tient au fait que le régime spécial est pour nous un idéal alors qu’il vous paraît, pour une raison assez étrange, une aberration. Vous évoquez souvent l’illisibilité du système, mais c’est là le constat d’un observateur très superficiel – chacun est parfaitement au clair sur son propre régime ! Il faut selon vous mobiliser toutes les ressources à notre disposition, si besoin les ressources générationnelles. Vous avez raison, à ceci près qu’il n’y en a pas besoin.

Le régime spécial est un idéal, une retraite adaptée aux conditions de travail dans les principales corporations. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez été rapporteur d’un texte réformant le code du travail, pratiquement par entreprise. Eh bien, c’est la même chose : il faut que les retraites soient adaptées aux difficultés rencontrées par les gens. Bien que vous vous en défendiez, vous ne pourrez pas lisser la difficulté. Quand un égoutier peut partir aujourd’hui à 52 ans et que la réforme prévoit qu’il partira à 62 ans, comment entendez-vous faire pour contracter les dix années de retraite que ces personnes vont perdre ? Elles, savent quelle est leur espérance de vie. Vous serez bien obligé à la fin de créer un nouveau régime spécial, même si vous êtes inhumain, tout simplement parce que c’est la seule solution raisonnable.

Si vous le permettez, madame la présidente, je répondrai au collègue qui m’a interpellé sur la page 31 de mon livret.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous le permets, même si vous avez déjà utilisé 1 minute 30...

M. Jean-Luc Mélenchon. Je salue votre bienveillance.

Bien qu’il soit d’usage d’interpeller le Gouvernement, et non les députés, ce collègue m’accuse de vouloir piquer les réserves. Je ne veux rien piquer du tout ! Réfléchissez un instant : les réserves, qui s’élèvent à 130 milliards, pourraient être mobilisées s’il y avait le feu à la maison, sauf qu’il n’y a pas le feu – le COR pointe un déficit de 17 milliards seulement. Il suffit de prendre dans la Caisse d’amortissement de la dette sociale, qui crachera 24 milliards d’euros à compter de 2024. Apaisez-vous, nous ne vous prendrons rien, mais si le salut général l’exige, nous prendrons tout !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La définition d’un régime spécial est précise. Il n’y en a pas quarante-deux, mais douze : salariés de la SNCF, de la RATP, clercs et employés de notaire, salariés des industries électriques et gazières, agents titulaires de la Banque de France, membres du personnel de l’Opéra national de Paris, de la Comédie-Française, ouvriers des établissements industriels de l’État, régime des mines, employés du Port autonome de Strasbourg, employés de La Poste...

M. Sébastien Jumel. Cela fait dix.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Douze avec les membres du Conseil économique, social et environnemental et régime des cultes.

Nous ne parlons pas de privilèges, mais de spécificités. Certaines différences ne nous semblent pas devoir avoir la même place dans le système de retraite que nous souhaitons mettre en place pour le XXIe siècle. Sans doute ces régimes ont-ils eu leur utilité à un moment donné, sans doute étaient-ils justifiés par des particularités et par les combats syndicaux qui ont été menés, mais ce que nous voulons proposer, c’est un ensemble de règles plus homogène, eu égard à la situation professionnelle des Français d’aujourd’hui et de demain.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Le décret du 24 décembre 2014 fixe la liste des régimes spéciaux – j’en comptais dix, cela fait donc quinze si l’on inclut la fonction publique, les ouvriers d’État et les militaires. Ces régimes spéciaux ont été largement abîmés par la droite lorsqu’elle était aux responsabilités et le seront plus encore maintenant que vous partagez avec elle le pouvoir. Ces régimes spéciaux ne concernent que 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Vous avez brandi la fin des régimes spéciaux en étendard, avides de les flinguer, pour au bout du compte mettre dans la rue tous ceux que votre mauvaise réforme spoliera !

En outre, il existe, et vous le savez un écart énorme entre les droits théoriques et les droits réels. Pour prendre l’exemple, souvent cité, des agents de conduite de la RATP, l’âge d’ouverture des droits était de 50 ans et 8 mois en 2019 alors que dans la réalité, il est déjà de 55 ans et 8 mois. Malgré tout, vous êtes obnubilés, et par dogmatisme, vous dites vouloir chasser ces privilèges. Connaissez‑vous seulement la pension brute moyenne d’un agent de la RATP ? Elle est de 2 357 euros. Cela n’a rien d’énorme face aux privilèges de ceux que vous avez gavés avec les lois de finances !

M. Régis Juanico. Certains régimes spéciaux vont perdurer, comme celui des mines ou des marins-pêcheurs. Il faudrait même en créer de nouveaux. La situation des agriculteurs n’est pas satisfaisante : 300 000 retraités, parmi les 1,3 million de pensionnés de la Mutualité sociale agricole, sont en dessous du seuil de pauvreté ; les pensions moyennes versées sont les plus faibles, 740 euros pour les hommes, 580 euros pour les femmes. Il faudrait créer un régime spécial pour les augmenter. Votre revalorisation à 1 000 euros net à compter de 2022, puis à 85 % du SMIC en 2025, ne concernera que les futurs retraités agricoles ; en outre, les aides familiaux et les collaborateurs d’exploitation, très majoritairement des femmes, en seront exclus.

M. Éric Woerth. Il ne faut pas confondre régimes autonomes et régimes spéciaux. Les régimes spéciaux n’ont plus de raison d’être à partir du moment où les conditions d’exercice des professions sont semblables, ce qui est le cas pour la plupart d’entre eux. Il est vrai que nous avons commencé à faire converger la durée de cotisation en 2010, ce qui explique que les gens partent plus tard pour réduire ce décalage entre le droit et la réalité. Je pense que nous devons désormais entrer dans le droit commun, sans brutalité.

Là où nous divergeons fondamentalement, c’est sur la période de transition. Elle est beaucoup trop longue ; dans un certain nombre de cas, on n’est pas très loin du demi-siècle, bien que ce ne soit pas que clair du tout : vous renvoyez à des ordonnances et vous ne répondez jamais à nos questions. Nous sommes favorables à la suppression des régimes spéciaux et souhaitons que la durée de transition soit raccourcie. Si la pénibilité est réelle, elle doit être prise en compte et donner lieu à une réduction de l’âge de départ à la retraite.

Mme Clémentine Autain. On touche au cœur de la logique qui est la vôtre, cette logique néolibérale que l’on voit à l’œuvre depuis les années 1990 et qui vise tout simplement à détruire la sécurité sociale. Vous estimez que les droits offerts par les régimes spéciaux sont coûteux et qu’aucun rattrapage n’est possible, ce qui est faux. C’est précisément ce qui est décrit dans La Guerre sociale en France, de Romaric Godin, dont je vous recommande la lecture. Vous citez des cas qui confinent à l’absurde. Imaginez-vous que les danseurs de l’Opéra puissent encore se produire à 65 ans ? S’ils bénéficient d’un régime spécial, c’est pour une raison objective et légitime. On pourrait imaginer harmoniser par le haut, mais cela n’entre pas dans votre cadre de pensée. On pourrait considérer ces droits non comme un privilège mais comme une norme à atteindre pour l’ensemble de la population. Nous sommes dans des logiques totalement différentes, nos projets de société sont diamétralement opposés.

La commission rejette les amendements identiques.

Article 3 : Champ d’application du système universel de retraite (salariés et assimilés)

La commission est saisie des amendements de suppression n° 547 de M. Pierre Dharréville, n° 3509 de Mme Clémentine Autain, n° 3513 de Mme Caroline Fiat, n° 3516 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 3520 de M. Adrien Quatennens et n° 21086 de M. Boris Vallaud.

M. Sébastien Jumel. L’article 3 prévoit que le système universel de retraite s’appliquera aux 20 millions d’assurés relevant du régime général, c’est-à-dire aux salariés du privé et aux contractuels de la fonction publique. Il remet en cause la fameuse règle des vingt‑cinq meilleures années dans le privé et acte l’allongement de la durée de cotisation. Il est aisé de démontrer que ce système dégradera les pensions. Qui plus est, cela ouvre la porte, dans la conscience collective, à une individualisation du droit à la retraite et à la capitalisation, à la quête des « Smarties » comme le disait Agnès Pannier-Runacher... Cet article résume parfaitement l’idéologie de ce projet de loi que nous combattons.

Mme Clémentine Autain. Il s’agit ici de changer le mode de calcul des retraites des salariés du privé, en le basant sur l’ensemble de la carrière. Déjà, lorsque l’on est passé des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années, les pensions ont forcément baissé : il n’est pas besoin d’avoir fait de longues études statistiques ou mathématiques pour le comprendre. Cela concernera sept retraités sur dix. Ce point majeur de votre contre-réforme est une des raisons pour lesquelles nous nous y opposons farouchement.

Mme Caroline Fiat. Prendre toute la carrière, c’est compter les périodes où l’on a le moins gagné. Olivier Véran se réjouissait de voir prises en compte les périodes où il était aide-soignant de nuit mais il y perdra forcément puisqu’il ne gagnait pas la même chose à l’époque. Cette réforme conduira inévitablement à une baisse des pensions, c’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 3.

M. Jean-Luc Mélenchon. Là, c’est vraiment le coup de couteau dans le dos ! Non seulement les gens ne seront jamais certains de leur âge de départ car ils devront tenir compte d’un malus potentiel, mais en plus, le calcul de la pension sera lissé sur l’ensemble de leur carrière. Déjà, le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années n’avait pas été une décision des plus philanthropiques et n’avait pas valu que des compliments à son inventeur, M. Balladur.

Je ne vous accuse pas de cruauté : je sais que votre seul souhait est que le système fonctionne. Mais dans votre système, les gens doivent travailler plus longtemps car l’accumulation capitaliste est meilleure si la personne passe davantage de temps au travail. Nous pensons l’inverse : nous croyons que les progrès de la technique et de l’ingénierie doivent permettre aux humains de travailler moins longtemps. Les pays les mieux équipés sont ceux dont la durée du temps de travail, quotidienne, hebdomadaire, mensuelle et annuelle est la plus courte. Nos visions de ce que doit être le temps de travail, notamment tout au long de la vie, sont totalement opposées.

M. Adrien Quatennens. Si vous dites à un enfant de primaire que sa moyenne sera calculée sur l’ensemble de sa scolarité, il comprendra que cela lui sera moins favorable que si elle ne tient compte que du dernier trimestre, où ses notes ont été particulièrement bonnes ! C’est logique.

Surtout, cette réforme aggravera la situation des carrières précaires, que vous avez rendue plus difficile encore avec les ordonnances travail. Récemment, Mme Pénicaud a déclaré que l’on n’avait jamais autant embauché qu’aujourd’hui. Si l’on n’a jamais autant signé de contrats de travail, c’est qu’ils sont, pour 87 % d’entre eux, des contrats à durée déterminée. Parmi ces contrats courts, 83 % sont des contrats de moins d’un mois, un tiers des contrats de moins d’un jour... Bon courage pour faire une carrière complète dans votre réforme à points, avec des emplois aussi précaires !

M. Boris Vallaud. Vous expliquez que cette réforme assure une meilleure redistribution au bénéfice des carrières linéaires, en écrasant les carrières ascendantes. Pourtant, dans les cas que vous mettez en avant, les cadres sont tous gagnants, tandis que le nombre de personnes qui se retrouvent au minimum contributif explose – 30 % des pensionnés, 40 % des femmes. Vous êtes très forts, vous avez réussi à imaginer un système qui crée des trappes à basses pensions.

Vous avez doublé cette hérésie d’un autre cynisme. Non contents que votre grande réforme de l’assurance chômage ait fait 40 % de perdants et occasionné bien des dégâts sociaux, vous avez décidé que les périodes de chômage non indemnisé, donc incluses dans les quarante-trois ans, ne donneraient pas lieu à création de points et que la prise en compte des périodes de chômage indemnisées serait moins favorable que dans le régime actuel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rappelons que l’article 3 ne traite pas du mode de calcul, qui examiné plus loin, mais de l’application du système universel de retraite aux 25 millions d’assurés relevant du régime général. Supprimer cet article ferait perdre tout son sens à la réforme.

Certes, il serait injuste de prendre en compte l’ensemble de la carrière pour certaines catégories, et de se référer aux six derniers mois pour d’autres. Mais si l’on applique la même règle à tous, il n’y aura plus de perdant, et votre exemple ne tient pas.

Enfin, pour reprendre l’image de M. Quatennens, j’aimerais que tous les enfants aient d’excellentes notes au dernier trimestre ; pourtant, il en est certains dont les notes chutent en fin d’année, parce que leurs parents se séparent par exemple. C’est la même chose dans une carrière : les accidents de vie peuvent survenir dans les dernières années, qui ne seront donc pas toujours les meilleures. Nous reviendrons plus tard sur le mode de calcul.

Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon. La retraite, c’est du temps de vie produit par du temps de travail. Or la marotte libérale est d’allonger le temps de travail, ce à quoi vous ne cessez de vous employer. Nul doute que de plus en plus de gens chercheront à repousser l’âge de leur départ à la retraite, non pour prolonger leur temps de vie, mais pour survivre.

S’il existe une génération qui n’est pas dupe, c’est celle née après 1975, celle-là même qui sera la première à subir votre réforme. Ces personnes ont vu combien leurs parents avaient perdu avec les réformes successives, à la fois sur le temps de retraite et sur le niveau de pension. Cette génération n’a pas envie de dire à ses propres enfants qu’eux aussi perdront en temps de vie et en montant de retraite.

M. Erwan Balanant. M. Quatennens nous dit que même un enfant comprendrait la différence entre une pension tenant compte des vingt-cinq dernières années et une pension basée sur l’ensemble de la carrière. C’est en réalité un peu plus compliqué que cela. Aujourd’hui, pour valider les trimestres, il faut avoir travaillé une année complète. L’exemple donné par M. Véran est parlant : lorsque vous accumulez les petits boulots, jamais vous ne parvenez à valider un trimestre. C’est souvent le lot des femmes, qui connaissent des temps partiels subis, des carrières hachées, des maternités.

Même si cela peut paraître contre-intuitif, le calcul sur l’ensemble de la carrière est plus favorable. Dans ce système, on pourra cumuler les points dès la première heure travaillée. Un étudiant qui travaille le soir pourra valider des points, ce qui lui permettra d’avoir une meilleure retraite. Pour le coup, l’étude d’impact, dont vous nous direz une nouvelle fois qu’elle est insincère, le démontre.

M. Adrien Quatennens. C’est vrai, monsieur le rapporteur, que les dernières années ne sont pas toujours les meilleures. C’est bien pour cette raison que, pour les carrières privées, on tient compte des vingt-cinq meilleures années ; lorsque l’on prend la dernière période travaillée, cela concerne les fonctionnaires qui ont une carrière graduelle du fait de la prise d’échelon. Votre démonstration ne tient pas debout.

Par définition, les vingt-cinq meilleures années sont plus favorables que l’ensemble de la carrière. Les gens l’ont parfaitement compris, regardez les pancartes dans les manifestations : avec votre système, « carrières hachées, retraites à chier ». (Protestations.) Permettez-moi de rapporter entre ces murs un peu de ce qui se passe à l’extérieur ! Nous sommes la maison du peuple et le peuple s’exprime en ces termes.

Mme Valérie Rabault. Je suis un peu surprise d’entendre nos collègues expliquer qu’il est plus pénalisant de calculer une moyenne sur les six meilleures notes que sur l’ensemble des notes de l’année. Cela me semble contraire à toute logique mathématique… Vous nous expliquez que le montant sera plus élevé si l’on prend en compte toute la carrière. J’espère que vos démonstrations figureront dans les comptes rendus de ces débats, car elles ne manqueront pas d’ébahir les historiens !

M. Éric Woerth. Je pense que nous aurions dû faire en sorte que les régimes convergent et que la fonction publique se voie aussi appliquer la règle des vingt-cinq meilleures années. On pourrait d’ailleurs imaginer un système par points qui ne serait pas fondé sur toute la carrière.

À vous entendre parler, ici ou dans les médias, on a l’impression que cette réforme est uniquement faite pour les carrières hachées. Dieu merci, ce n’est pas le cas de tout le monde ! Sans oublier que certaines carrières hachées peuvent être le résultat de choix personnels. Il était inutile de lancer une réforme aussi universelle et aussi englobante pour que la première heure soit comptabilisée dans la retraite. Il suffisait de modifier la règle de validation des trimestres, ou dans un système par points, le régime de validation des points. C’est d’une simplicité biblique et même si c’est coûteux, c’est plus juste. Une chose est sûre, on n’avait pas besoin d’en arriver là !

M. Jacques Marilossian. Je rappelle que la règle des vingt-cinq meilleures années ne s’applique qu’au régime général géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et que 80 % des Français sont affiliés à des régimes complémentaires, comme l’AGIRC-ARRCO. La pension AGIRC-ARRCO, qui peut représenter entre 30 et 80 % de la pension d’un retraité du privé, est déjà calculée sur l’ensemble de la carrière et elle est à points. On ne peut donc tirer aucune conclusion.

Par ailleurs, la règle des vingt-cinq meilleures années ne s’applique que régime par régime : si vous avez cotisé à deux régimes, la prise en compte du calcul des vingt-cinq meilleures années, ce sera sept années dans un régime, dix-huit dans l’autre. Et ce ne sont pas forcément les meilleures qui sont prises dans ce cas.

Enfin, pour calculer la retraite, la CNAV actualise les salaires de référence, ceux des vingt-cinq meilleures années. J’ai fait le calcul pour moi : c’est tout sauf intéressant. Les points, et je l’ai vérifié dans le régime AGIRC-ARRCO, restent des points et sont intégralement valorisés. Même si vous nous accusez d’être nuls en mathématiques, la formule est bien plus compliquée que ce que vous pensez.

J’ajoute que pour les cadres qui gagnent plus de 2 600 euros, la règle n’a aucun effet puisque la plus grande partie de leur pension provient de l’AGIRC‑ARRCO.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3057 de Mme Clémentine Autain, n° 3061 de Mme Caroline Fiat, n° 3064 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 3068 de M. Adrien Quatennens

Mme Clémentine Autain. L’intervention de M. Balanant restera dans toutes les mémoires ! À l’entendre expliquer qu’il est plus favorable de calculer la retraite sur toute la carrière plutôt que sur les vingt-cinq meilleures années, les bras m’en sont tombés !

Les femmes salariées du privé, qui connaissent davantage les carrières hachées, sont celles qui paieront le plus cher votre réforme. Je vous invite à lire la tribune de Mathilde Guergoat-Larivière dans Le Monde, où l’économiste explique que, sur les six cas types de salariées du privé présentés dans l’étude d’impact, cinq correspondent à des trajectoires typiquement masculines : carrières continues, sans interruption d’activité, pas d’enfant. Effectivement, si les femmes ont les mêmes carrières que les hommes et ne prennent pas de congé maternité, elles bénéficieront potentiellement de la réforme ! Mais nous avons peu confiance dans cette étude. La réalité est que cela va être très difficile, notamment pour les femmes.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous refusons tout simplement que le code de la sécurité sociale soit modifié comme l’indique ce premier alinéa. J’en suis encore à me demander comment il est possible de croire qu’il est plus favorable de supprimer la référence aux meilleures années. Rappelez-vous que le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années a mis tout le monde dans la rue. Ce peuple n’est-il pas étrange, qui ne comprend pas le bon sens de La République en Marche lorsqu’on lui annonce les misères qu’il va devoir subir ?

M. Adrien Quatennens. Puisqu’il est question de la sécurité sociale, je veux rappeler qu’elle est basée sur l’idée que chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Malgré les coups de canif qui lui ont été portés, ce système a permis que la part des richesses consacrées aux retraites croisse à mesure que la part des seniors augmentait. C’est grâce à lui que la France peut se prévaloir d’un taux de pauvreté des seniors bien inférieur à celui des voisins européens, y compris dans les pays que vous prenez pour modèles. Il n’est pas question que La République en Marche, après avoir détruit le code du travail, en fasse autant avec le code de la sécurité sociale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je m’en suis expliqué tout à l’heure : avis défavorable.

Mme Corinne Vignon, rapporteure pour le titre III. Bonne nouvelle, madame Autain : oui, les femmes pourront avoir une carrière quasi similaire à celle des hommes car, au lieu de leur donner des trimestres, c’est-à-dire du temps, nous allons leur donner des points, c’est-à-dire de l’argent. C’est simplissime !

Mme Clémentine Autain. Il s’agit d’une question de fond. La majoration de la durée d’assurance, c’est-à-dire l’attribution d’un certain nombre de trimestres par enfant, permet aux femmes de partir à la retraite moins tardivement en bénéficiant d’un revenu plus décent. En substituant à ce dispositif une majoration des droits – majoration que nous contestons, car nous préférerions une attribution forfaitaire –, vous proposez un moins-disant, surtout si vous allongez par ailleurs la durée de cotisation. De fait, je ne crois pas que les femmes souhaitent partir plus tard à la retraite parce qu’elles ont pris le temps de faire un enfant.

Il n’y a pas lieu d’opposer le temps et l’argent : on veut partir à un âge décent avec une pension qui permette de vivre dignement.

M. Erwan Balanant. Comme vous, madame Autain, je me suis demandé comment le système pouvait être meilleur en prenant en compte l’intégralité de la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années. J’ai donc étudié la question, et je vous invite à faire de même. En effet, vous oubliez certains détails. Par exemple, sur quoi la valeur du point sera-t-elle indexée ?

Mme Clémentine Autain. Sur l’inflation !

M. Erwan Balanant. Non, sur les salaires. C’est une première différence considérable avec le modèle actuel. Qui plus est, il faut prendre en considération, outre la durée de cotisation, le taux de remplacement. Tout cela doit être calculé.

J’étais aussi dubitatif que vous, mais je me suis efforcé de comprendre le dispositif. Faites cet effort, au lieu d’en rester à une posture idéologique !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3074 de Mme Clémentine Autain, n° 3078 de Mme Caroline Fiat, n° 3081 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3085 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 3074 vise à supprimer l’alinéa 2 de l’article 3.

Tout reste en effet à calculer, monsieur Balanant. Le point ne sera pas indexé sur les salaires, puisque sa valeur sera calculée en fonction d’un âge d’équilibre afin de garantir l’équilibre financier du système à l’instant T. Comprenez-vous ? Ainsi, le fait de retenir l’ensemble de la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années se traduira inévitablement par une diminution substantielle. Je ne comprends toujours pas dans votre charabia en quoi le futur système représenterait un mieux-disant.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je souhaiterais que l’on s’abstienne de porter un jugement de valeur sur les argumentations des uns et des autres !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi toute cette émotion ? Je ne comprends pas. Le fait est, collègue, que tout est calculé pour assurer l’équilibre financier, lequel, dit-on, ne pourrait pas être garanti par le système actuel. Nous avons réfuté cette première accusation en faisant la démonstration que la prétendue crise qu’on nous annonce n’existe pas. Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas contester qu’au bout du compte, le système s’équilibrera en fonction de la situation de chaque génération et de ce qui sera disponible à l’instant T. En toute logique – je ne comprends pas que vous contestiez ce point –, le résultat ne peut pas être le même si le calcul est fondé sur la carrière entière ou sur les vingt-cinq meilleures années. Si nous nous trompons, montrez-nous en quoi. Puisque le mode de calcul du point n’est précisé nulle part, nous sommes obligés de vous dire que vos arguments ne peuvent pas être entendus. C’est pourquoi nous avons raison de demander la suppression de tous les alinéas de l’article 2.

M. Adrien Quatennens. Monsieur Balanant, la valeur du point ne pourra pas baisser, nous a dit Édouard Philippe. Mais celui-ci a une valeur d’acquisition et une valeur de service. En réalité, la prétendue garantie que l’on nous donne sur la valeur du point ne garantit en rien le niveau des pensions. L’objectif du Gouvernement est, on l’a compris, de faire en sorte que la part de la richesse nationale consacrée aux retraites n’augmente pas. Dès lors, le système par points n’a qu’une seule utilité : adapter la taille des miettes restantes au nombre des convives. L’âge de départ à la retraite servira ainsi de variable d’ajustement, de façon que la décote fasse baisser le niveau des pensions. Sinon, comment pourrait-on assurer l’équilibre financier du système ?

Soit vous fixez une règle d’or, et l’âge de départ sert de variable d’ajustement, soit vous fixez, comme nous le proposons, un âge de départ, et vous y adaptez la part des richesses consacrées aux retraites. Il n’y a pas trente-cinq solutions possibles. Vous, vous voulez assurer l’équilibre financier sur le dos des travailleurs français, point !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Mélenchon, il est vrai que si le passage d’un calcul sur les vingt-cinq meilleures années à un calcul sur l’ensemble de la carrière s’appliquait à une seule catégorie, celle-ci serait perdante. Mais si les mêmes règles s’appliquent à tous, l’effet de la progression de carrière sera le même pour tous.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et si vous avez une carrière hachée ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous ne pouvez pas savoir si votre carrière sera hachée.

M. Sébastien Jumel. En attendant, c’est votre argumentation qui est hachée...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ajoute, puisque M. Juanico a évoqué la situation des agriculteurs, qu’actuellement, leur pension est calculée sur l’ensemble de leur carrière.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3091 de Mme Clémentine Autain, n° 3095 de Mme Caroline Fiat, n° 3098 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3102 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 3091 tend à supprimer l’alinéa 3 de l’article 3, soit le titre du chapitre VIII. Voyez comme nous sommes cohérents : nous proposons de supprimer méthodiquement, point par point, l’ensemble du texte. Nous voulons en effet que ce projet de loi soit retiré au profit d’un autre système de retraite qui permette de calculer les pensions en fonction des meilleures années.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut que nous nous comprenions, faute de quoi notre discussion serait absurde. Le rapporteur admet enfin qu’un calcul sur les vingt-cinq meilleures années est plus favorable qu’un calcul sur l’ensemble de la carrière. Mais, dit-il, si les mêmes règles s’appliquent à tous, la progression sera la même pour tous. Je mets de côté bien des arguments qui me viennent à l’esprit, pour ne retenir qu’un exemple, celui des carrières hachées. Selon le rapporteur, on ne peut pas préjuger du fait que sa carrière sera hachée. Or Mme Autain vient précisément de citer le cas concret des femmes qui ont des enfants – situation exceptionnelle, comme chacun sait, au point que vous ne jugez pas nécessaire de la reprendre dans votre étude... Si ces femmes interrompent leur carrière, celle-ci sera hachée, leur durée de cotisation sera moindre et elles gagneront moins. En quoi le raisonnement de Mme Autain est-il faux ?

Encore ne prenons-nous que cet exemple, car il est simple à comprendre. Mais nous pourrions suivre le même raisonnement à propos des personnes qui entrent dans la vie active en passant d’un emploi précaire à l’autre.

M. Adrien Quatennens. Pour une fois, nos échanges sont intéressants. Je poursuis donc notre discussion, monsieur Balanant. La part de gâteau consacrée aux retraites diminuera à cause de votre projet de loi – le Conseil d’État lui-même l’a souligné : elle tombera à moins de 13 % du PIB. Or, le nombre des seniors va, quant à lui, considérablement augmenter. Certes, dites-vous, mais il faut tenir compte de la croissance du PIB. Tout d’abord, il ne croîtra jamais autant, proportionnellement, que le nombre des seniors. Ensuite, il n’est pas souhaitable de tout faire reposer sur la croissance, en particulier dans un contexte de changement climatique. Ainsi, l’équilibre financier ne peut être assuré qu’au prix d’une baisse du niveau des pensions. Mais comme vous ne souhaitez pas annoncer qu’à 62 ans, le montant de la pension sera moindre, vous dites qu’il ne baissera pas mais qu’il faudra travailler plus longtemps. Or, si l’on doit travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension qu’aujourd’hui, c’est bien qu’au même âge, le niveau des pensions aura diminué.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Quatennens, il ne vous a pas échappé que nous parlons ici, compte tenu de la mise en œuvre progressive de la réforme, de 2030 ou 2035. Or, dans dix ou quinze ans, les baby-boomers – qui forment des générations très nombreuses, puisqu’ils ont fait passer le nombre des retraités de 350 000 à 600 000 d’une année sur l’autre – vont commencer à disparaître, de sorte que la structure de la population retraitée va fortement évoluer.

Monsieur Mélenchon, reprenons votre exemple : une femme a trois enfants. Le premier a une carrière en progression. Le deuxième a une carrière de polypensionné, à l’instar des personnes qui prennent leur retraite aujourd’hui, puisqu’elles liquident en moyenne plus de trois pensions différentes. Dans le système actuel, cet enfant est perdant. Le troisième a une carrière au niveau du SMIC. Dans le système actuel, la revalorisation de sa vingt‑cinquième meilleure année est calculée en fonction de l’inflation. Or, au cours des vingt-cinq dernières années, c’est-à-dire depuis 1993, l’inflation a été de 40 % alors que les salaires ont augmenté de 70 %. Il aura donc perdu 30 % de sa revalorisation par rapport au futur système.

Certes, lorsqu’on tient compte des vingt-cinq meilleures années, on élimine un certain nombre d’accidents. Mais qui peut savoir si ses enfants auront une carrière plate ou ascendante ? Il est vrai que la pension de celui qui aura eu une carrière ascendante sera érodée par rapport au système actuel, mais celui qui a une carrière plate, hachée ou de polypensionné y gagnera.

Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Très bien !

M. Adrien Quatennens. Comment prévoir que les carrières seront précaires, monsieur le rapporteur ? Il suffit d’observer la conjoncture et la situation de l’emploi. Selon les chiffres du ministère du travail, 87 % des contrats de travail signés aujourd’hui sont des contrats courts : 83 % d’entre eux sont des contrats de moins d’un mois, un tiers des contrats de moins d’un jour. À moins que vous ne prévoyiez – ce qui n’est pas le cas – la validation de trimestres pour chaque période durant laquelle une personne est privée d’emploi, qu’elle soit au chômage ou au revenu de solidarité active, la prise en compte de l’ensemble de la carrière pour le calcul des droits à la retraite pénalisera bien les carrières hachées. Or, compte tenu de la conjoncture et de la précarisation accrue de l’activité liée à vos ordonnances « travail », nous avons toutes les raisons de penser qu’elles le seront de plus en plus. Ce sera donc pire, et les gens le comprennent très bien.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3355 de Mme Clémentine Autain, n° 3359 de Mme Caroline Fiat, n° 3362 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3366 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Par l’amendement n° 3355, nous proposons de supprimer l’alinéa 4 de l’article 3. M. Balanant nous a dit...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Adressez-vous au rapporteur et au ministre, madame.

Mme Clémentine Autain. Entendu, madame la présidente. Toutefois, il n’est pas absurde que les députés de la majorité et de l’opposition débattent. Il était temps ! Car, jusqu’à présent, les membres du groupe La République en Marche ont été plus nombreux à parler dans notre dos et à nous interrompre qu’à prendre le micro pour défendre la réforme. (Protestations sur les bancs du groupe La République en Marche.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ne répondez pas à ce type de provocations, s’il vous plaît.

Mme Clémentine Autain. Il est vrai que, lorsqu’ils le font, leurs interventions apportent davantage de confusion que de clarté.

En réalité, il n’y aura pas d’indexation sur les salaires. En effet, le calcul est fondé sur un coefficient de conversion : si l’on ne comprend pas cela, on ne comprend rien au système. Or ce coefficient va évoluer, puisque l’âge d’équilibre ne sera pas le même selon les générations. Du reste, on ne peut même pas savoir, au cours de sa carrière, quel sera le coefficient de conversion qui nous sera appliqué. Rien n’est donc automatique. En fait, vous organisez une baisse programmée du taux de conversion.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut que cette conversation aboutisse ; nous ne pouvons pas en rester là.

Monsieur le rapporteur, vous réfutez notre objection au motif que l’on ne peut pas savoir si les carrières seront hachées ou non. Mais pourriez-vous affirmer qu’elles le seront moins à l’avenir qu’aujourd’hui ? Certainement pas. Car, au-delà de l’évolution des conditions de travail – pour ne rien dire des embauches qui, pour l’instant, se font majoritairement sous des contrats de très courte durée –, rien ne garantit la pérennité des emplois futurs. De fait, l’intelligence artificielle va bouleverser les conditions de travail, le cycle d’une machine, qui était de dix ans il y a vingt-cinq ans, est aujourd’hui de moins de cinq ans, et ainsi de suite.

Dès lors, nous sommes face à deux logiques. Les tenants de la première disent : « Vendez votre force de travail au meilleur prix possible et ne venez pas nous casser les pieds avec des garanties ! » C’est la logique qui a conduit à la réforme du code du travail et à l’abolition du principe de faveur. Les tenants de la seconde, c’est-à-dire les collectivistes que nous sommes, souhaitent, quant à eux, que nous nous donnions des garanties pour conforter le droit de vivre avec un revenu digne, que ce soit dans la vie active ou à la retraite.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour ce qui est de cette dernière, si l’on ne prend pas pour base de calcul les vingt-cinq meilleures années...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci !

M. Jean-Luc Mélenchon.... même si nous préférerions les dix meilleures années, on ne garantit pas la pérennité des résultats.

Je ne veux pas abuser, madame la présidente. Mais je fais des progrès : pour moi, une minute, c’est peu ! (Sourires.)

M. Adrien Quatennens. Dans le système à points proposé, la pension est le produit de la multiplication du stock de points par le coefficient de conversion. Si vous pouvez fixer la valeur d’achat du point, vous ne pouvez pas fixer sa valeur dite de service, puisqu’elle sera fonction de ce fameux coefficient de conversion, lequel dépend de l’âge d’équilibre dont la seule fin est d’assurer l’équilibre financier du système. Ainsi, la valeur du point n’offre aucune garantie quant au niveau de pensions. C’est pourquoi nos amis belges, lorsqu’ils ont été confrontés à un projet de réforme analogue au vôtre, ont parlé d’une retraite tombola : on connaît le prix du ticket d’achat, mais on ignore quel lot on gagnera, quelle sera sa valeur, et on ne sait même pas si on pourra le gagner !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Quatennens, il n’y a pas de coefficient de conversion. Le point a, en effet, une valeur d’acquisition et une valeur de service, respectivement fixées à 10 euros et à 0,55 euro dans le rapport Delevoye. Il est prévu que ces deux critères suivent l’évolution des salaires, sauf si le conseil d’administration de la future CNRU, dont je rappelle qu’il sera composé des partenaires sociaux, en décide autrement. Pourquoi la valeur de service a-t-elle été fixée à 55 centimes ? Parce que, le calcul étant fondé sur un âge d’équilibre fixé à 64 ans, si l’on divise 100 par 18, soit l’espérance de vie, on obtient un taux de service de 5,5 %.

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Au moins avons-nous, pour une fois, un échange intéressant. Alors que, par le passé, la droite a réalisé des réformes dites paramétriques consistant à modifier l’âge de départ ou la durée des cotisations, vous instaurez, quant à vous, un système qui fonctionnera en pilotage automatique si bien qu’il rend inutile toute autre réforme à l’avenir.

Il existe bien, monsieur le rapporteur, un coefficient de conversion, lié précisément à l’âge d’équilibre, lequel évoluera. Du reste, dans son rapport, M. Delevoye explique que cet âge d’équilibre sera décalé en fonction de ces paramètres. Votre objectif est limpide : c’est l’équilibre financier à tout prix, l’âge de départ servant de variable d’ajustement. La réforme n’est donc pas floue, contrairement à ce que d’aucuns disent ; elle est très claire et parfaitement cohérente. Nous souhaitons fixer l’âge de départ et le niveau de pension et adapter la comptabilité à cet objectif. Vous, vous faites l’inverse. Vous en avez le droit, mais assumez-le !

M. Pierre Dharréville. Puisqu’on nous vante les mérites du régime complémentaire de l’AGIRC-ARRCO, je tiens à rappeler que, depuis une trentaine d’années, le rendement du point acheté a baissé de 40 %.

Les garanties que vous prétendez nous donner n’existent pas ; elles existent d’autant moins que vous venez de nous expliquer, monsieur le rapporteur, que le système permettra de jouer sur la différence entre valeur d’acquisition et valeur de service du point. Cela vous arrange, car vous pourrez ainsi procéder, sans provoquer trop d’émoi, à des ajustements permanents, au détriment de la garantie des droits. Plus la discussion avance, plus nous comprenons que le système que vous nous proposez est bien celui que nous décrivons et qu’il est très nocif.

M. Brahim Hammouche. Je remercie nos collègues de gauche, car ils nous font gagner beaucoup de temps en évoquant dès à présent l’article 55, relatif à la gouvernance, qui répond à toutes leurs questions, qu’il s’agisse de la fixation de la valeur du point ou du rôle des partenaires sociaux dans une gouvernance partagée.

M. Sébastien Jumel. Partagée ? Sa valeur sera fixée par décret en cas d’échec des discussions !

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3389 de Mme Clémentine Autain, n° 3393 de Mme Caroline Fiat, n° 3396 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 3400 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Puisque le rapporteur m’a interpellée au sujet des cas types, je me permets de lui lire un extrait de l’article que Mathilde Guergoat‑Larivière a fait paraître dans Le Monde : « Les six cas types présentés pour les salariés du privé correspondent ainsi à des trajectoires typiquement... masculines : cinq carrières complètes et une "carrière heurtée" caractérisée par un chômage de longue durée à partir de 42 ans. On est donc très loin des carrières féminines [...] ». Et elle ajoute un peu plus loin que ces cas‑types concernent des personnes sans enfants, ce qui nous laisse particulièrement dubitatifs. L’analyse de cette maîtresse de conférences en économie devrait alerter notre commission sur les effets de la réforme sur les carrières féminines, qui ne sont pas mesurés de façon correcte et juste par l’étude d’impact.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne veux pas lâcher cette affaire. Collègue rapporteur, le point a une valeur d’acquisition – nous avons lu le rapport Delevoye : pas de problèmes – et une valeur de service, dont tout le monde comprend qu’elle détermine ce qu’on percevra au moment où on part à la retraite. M. Delevoye avait proposé une clef de répartition : 10 euros, 55 centimes. Soit. Mais entre la valeur d’acquisition et la valeur de service se glisse un coefficient de conversion, et il ne peut pas en être autrement. En effet, le système est, comme tout système de retraite – y compris les systèmes par capitalisation –, sensible à la démographie. À supposer qu’un coronavirus extermine la moitié d’une génération, la valeur du point montera : mauvaise nouvelle pour l’humanité, mais bonne nouvelle pour votre système... À l’inverse, si nous trouvons le moyen de vaincre le cancer, nous nous retrouverons avec des milliers de retraités supplémentaires, qui percevront, dans votre système, une pension de misère. Démontrez-moi que je me trompe !

M. Adrien Quatennens. Nous sommes là au cœur de l’affaire. On observe, au cours des dernières décennies, que la courbe statistique de la part des seniors et celle de la part des richesses consacrée aux retraites sont strictement parallèles. Vous dites qu’à son niveau actuel, cette dernière permet d’absorber les évolutions de la démographie. Néanmoins, la part des seniors va continuer à augmenter. Or, M. Delevoye a clairement indiqué, sur France Inter notamment, que la part des richesses consacrées aux retraites serait plafonnée à 14 % du PIB. Cette courbe sera donc plate alors que celle des seniors sera ascendante.

Le système de retraites par points est le mieux adapté à votre objectif, qui est d’assurer l’équilibre financier par un pilotage automatique en jouant sur une seule variable d’ajustement : l’âge d’équilibre. De fait, c’est ce qui se produira, à moins que vous n’admettiez qu’il faut consacrer, comme nous le proposons et comme on l’a fait par le passé, une part plus importante de la richesse nationale aux retraites afin que les gens ne soient pas obligés de partir plus tard. Pour financer et équilibrer un système de retraite, M. le secrétaire d’État l’a dit lui-même, les paramètres ne sont pas au nombre de cinquante, il n’y en a que quelques-uns : la durée de cotisation, l’âge de départ...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’hypothèse d’une épidémie qu’a évoquée M. Mélenchon est peut-être la meilleure illustration des mérites d’un système plus largement mutualisé. Au cours des derniers siècles, la survie des personnes âgées était assurée par leurs enfants ou par le village. Or, plus la base est faible, plus le risque est élevé. On l’a donc étendue ensuite à l’échelle des corporations, mais l’on constate, de la même manière, que celles qui sont actuellement en difficulté sont celles dont la base est la plus fragile. Ainsi, en élargissant la base à l’ensemble de la société, on mutualise, donc on répartit les risques. Si une guerre, une épidémie de coronavirus ou je ne sais quelle catastrophe survient, le système sera d’autant plus résilient que sa base est large : tel est le principe de la réforme. Bien entendu, il y aura des effets de bord : certains, disons‑le, seront perdants par rapport au régime actuel ; ce seront surtout ceux qui ont les revenus les élevés et les progressions de carrière les plus fortes. En revanche, les plus fragiles, ceux qui sont le plus en difficulté dans le système actuel, seront gagnants.

Avis défavorable, donc.

M. Boris Vallaud. La question que l’on esquive est celle de la part de la richesse nationale que l’on est prêt à consacrer aux personnes âgées. Si l’on abaisse cette part à 12,9 % du PIB en 2050 alors que le nombre des retraités de plus de 65 ans aura, comme l’indique le Conseil d’État, augmenté de 70 % à l’horizon de 2070, le taux de remplacement diminuera très fortement et le niveau de vie des retraités va décrocher par rapport à celui des actifs. C’est un véritable débat. Ce n’est peut-être pas un problème pour ceux qui ont de très hauts revenus mais, pour ceux qui ont des revenus modestes, ce système prétendument plus juste provoquera un alignement par le bas. C’est ce que j’appelle les trappes à basses pensions. Lorsque 30 % des retraités et 40 % des femmes relèvent du minimum contributif, c’est-à-dire du filet de sécurité, on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’un progrès.

M. Adrien Quatennens. Je remercie notre collègue rapporteur, car je crois que nous avons là, malgré nos désaccords, un échange utile et sérieux.

Prenons l’exemple cité par le président Mélenchon. Dans le rapport Delevoye, l’âge d’équilibre est associé à une génération et dépendra de l’espérance de vie de celle-ci. Par conséquent, il est clair, dès lors que votre objectif est l’équilibre financier, que si l’espérance de vie de votre génération a augmenté, vous devrez travailler plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension. Pour le dire autrement, en m’excusant pour le caractère un peu raide, voire morbide, de la démonstration, si vous ne voulez pas avoir à travailler encore plus longtemps, vous avez intérêt à ce que les membres de votre génération meurent plus tôt...

Mme Célia de Lavergne. Certains des propos de nos collègues de La France insoumise sont blessants. À propos de la CNRU, qui sera pilotée par les partenaires sociaux, ils ont évoqué un « pilotage automatique ». Est-ce là leur conception du dialogue social ?

Ne changeons rien à la sécurité sociale, dit M. Mélenchon. Mais, moi, je ne veux pas laisser de dettes à mes enfants. Il nous faut donc construire un système plus solide, et c’est ce à quoi nous nous attachons.

Madame Autain, vous invoquez souvent à la solidarité. Pourtant, votre amendement n° 1781 visait à supprimer le principe de solidarité du régime des retraites !

Enfin, vous vous référez à un certain nombre d’économistes. Or, ceux-ci ne parlent pas d’une seule voix et ils font des différentes réformes des analyses différentes. Ainsi, en 2017, vingt-cinq prix Nobel ont réfuté la pertinence du programme de La France insoumise.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il ne s’agit pas ici de comparer et de noter les différents programmes politiques. Mais, puisque je viens d’entendre une députée de la majorité nous indiquer qu’elle ne voulait pas laisser de dettes à ses enfants, je me permets de lui rappeler que, depuis le début de la législature, soit en deux ans et demi, cette majorité est responsable de 190 milliards d’euros de dettes supplémentaires !

M. Erwan Balanant. Contre 450 milliards sous Nicolas Sarkozy !

La commission rejette les amendements.

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7.   Réunion du mercredi 5 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 3 à article 4)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8705991_5e3b2369d80c4.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-5-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 898 amendements ; il nous en reste 19 540.

Article 3 (suite) : Champ d’application du système universel de retraite (salariés et assimilés)

La commission est saisie des amendements identiques n° 3372 de Mme Clémentine Autain, n° 3373 de M. Ugo Bernalicis, n° 3376 de Mme Caroline Fiat, n° 3381 de Mme Mathilde Panot et n° 3383 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. La majorité, qui a défendu le nouveau système en soulignant qu’il constituait une amélioration, devrait approuver notre proposition de réécriture de l’alinéa 5 de l’article 3. Nous posons la règle d’or suivante : la réforme ne sera pas applicable tant que les personnes concernées par les régimes en question n’auront pas l’assurance, par une hausse de leur rémunération notamment, de pouvoir atteindre exactement le même taux de remplacement au moment de la liquidation de leur pension.

M. Ugo Bernalicis. Avec le système à points, les personnes concernées peuvent se demander quel sera exactement le niveau de leur pension. La nouvelle rédaction que nous proposons leur garantira qu’il ne pourra être inférieur à celui qu’elles auraient atteint avec le système actuel. C’est une belle promesse. Si vous voulez avoir l’adhésion du pays, si vous voulez en finir avec les sondages défavorables et regagner du terrain dans la bataille de l’opinion publique, je vous incite à voter cet amendement, qui graverait dans le marbre que votre réforme ne fera aucun perdant.

Mme Caroline Fiat. Les paroles s’envolent et les écrits restent, d’où l’importance d’inscrire ce principe dans la loi. Vous affirmez que vous prendrez des dispositions pour assurer un montant de pension correct, notamment pour les travailleurs et les travailleuses précaires ; commencez donc par voter notre amendement ! Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, y souscrirait sans doute. Mediapart a en effet révélé que, dans un courrier envoyé au Premier ministre, le 24 janvier dernier, elle disait craindre que les femmes ne soient pas les grandes gagnantes de la réforme.

Mme Mathilde Panot. Tout le monde a compris que vous prépariez une retraite tombola où l’on ne sait ni à quel âge on part ni avec quelle pension – c’est d’ailleurs cet argument qui a permis aux Belges d’obtenir le retrait du projet de retraite à points de leur gouvernement. Je mets au défi les députés de La République en Marche et les rapporteurs de citer un seul pays où la mise en place de la retraite à points ne s’est pas accompagnée d’un doublement, voire d’un triplement, du nombre de retraités pauvres et d’un recours croissant à la capitalisation.

M. Adrien Quatennens. Cet après-midi, nous avons débattu de l’âge effectif de départ, appelé à reculer de génération en génération en vertu du principe d’équilibre financier que vous voulez à tout prix voir respecté. Je dis bien « à tout prix ». Cela vous évite de répondre précisément aux deux questions fondamentales que se posent les Français. À la première – « à quel âge puis-je partir ? » –, vous opposez un « toujours plus tard au-delà de 64 ans ». Pour la seconde – « avec quel niveau de pension ? » –, vous ne donnez aucun engagement. Vous ne le pouvez pas, puisque, précisément, le taux de remplacement comme l’âge constituent pour vous des variables d’ajustement.

Notre démarche est inverse. Nous ne nous contentons pas de sécuriser la comptabilité, même si nous l’intégrons dans notre contre-projet – et je veux rassurer ici notre collègue qui expliquait ne pas vouloir laisser de dettes à ses enfants. Nous nous engageons sur le taux de remplacement, car les Français veulent savoir avec quel pourcentage de leur dernier salaire ils partiront à la retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tous les éléments concernant la reprise des droits existants pour les personnes ayant cotisé dans le cadre du système actuel et prenant leur retraite dans le cadre du nouveau système figurent au titre V, à l’article 61. Je vous propose d’attendre son examen pour en discuter.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Pour les membres de la commission qui prennent leur service de nuit, je rappellerai que dans la journée, nous avons parlé d’Ambroise Croizat et d’Alexandre Parodi, que nous avons cité Camus et que nous avons évoqué les infirmières et les avocats. J’ai pensé à résumer la situation de la manière suivante. Quand Emmanuel Macron est arrivé, il n’y avait rien, « pas un troquet, pas une mobylette », comme disait Coluche. Alors, il a créé le système universel à points. Il s’est dit : il y aura des hommes jeunes, des hommes vieux, des femmes célibataires, des mères de famille, des chômeurs, des agriculteurs, des avocats, des infirmières, et tous seront égaux, mais ce ne sera pas facile. Il a ajouté : il y en aura même qui seront en même temps femmes, chômeuses après avoir exercé un métier pénible et pour elles, ce sera très dur.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il est inutile de revenir sur les engagements inscrits à l’article 61 et suivants. Les droits acquis par les personnes nées après 1975 dans le cadre de système actuel de retraite seront garantis.

Derrière ces amendements, je vois une tendance à une bureaucratisation aveugle. Le gel complet des rémunérations des retraités interdirait, in fine, toute redistribution, car si vous garantissez le niveau des pensions pour tout le monde, cela veut dire que les plus gros salaires seraient aussi concernés. Cela impliquerait aussi que tout rattrapage des inégalités de pensions entre hommes et femmes serait empêché. Autrement dit, votre objectif est dénué de toute portée politique.

M. Adrien Quatennens. Le rapporteur nous invite à attendre l’article 61. Comme il nous reste 19 500 amendements à examiner, je doute que nous y parvenions.

M. Olivier Véran. Il ne tient qu’à vous qu’il en soit autrement.

M. Adrien Quatennens. Quand bien même nous y parviendrions, nous savons que le projet de loi comporte vingt-neuf trous puisqu’il renvoie à vingt-neuf ordonnances.

Je repose donc ma question : pouvez-vous donner aux Français des engagements sur le taux de remplacement ? Avec quel pourcentage de leur dernier salaire partiront-ils à la retraite ? Avec l’âge, c’est une question essentielle pour celles et ceux qui nous écoutent.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques n° 3406 de Mme Clémentine Autain, n° 3407 de M. Ugo Bernalicis, n° 3410 de Mme Caroline Fiat, n° 3415 de Mme Mathilde Panot et n° 3417 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Nous continuons de proposer de supprimer les alinéas déclinant, profession par profession, les diverses modalités d’application du nouveau système. L’alinéa 8 concerne les agents publics non titulaires.

Célia de Lavergne m’interpellait tout à l’heure, s’étonnant que nos amendements visent à supprimer des parties du projet de loi où figurait le mot « solidarité ». Redisons quel est notre état d’esprit : nous n’acceptons pas que, dans ce texte, il y ait des mots comme « solidarité », « lisibilité » ou « universalité » qui ne correspondent en rien à son contenu. Visiblement, la citation d’Orwell, « La guerre, c’est la paix », vous plaît bien. Nous, nous dénonçons la manipulation par les mots et par les chiffres à l’œuvre dans ce projet de loi. C’est pourquoi nous proposons d’appeler un chat un chat, et d’inscrire des termes plus conformes à la réalité de vos intentions.

M. Ugo Bernalicis. Les agents publics non titulaires, déjà nombreux, vont voir leurs rangs grossir avec la dernière loi sur la fonction publique. L’étude d’impact – mais non, il ne faut pas trop se fier aux études d’impact –, disons des chiffres du Conseil d’État, non publiés, montrent que dans moins de dix ans, les trois fonctions publiques seront composées pour moitié de contractuels. Nous connaissons votre objectif de précariser toujours plus de monde. Éviter d’imposer à cette catégorie votre système à points serait faire œuvre utile.

Mme Caroline Fiat. Depuis trois jours, nous sommes un peu moqués, toujours gentiment : on ferait semblant de ne pas vouloir comprendre, on représenterait des gens qui n’existent pas puisqu’il n’y aurait personne de mécontent dans les rues ou qui ferait grève.

Je vais arrêter avec mon histoire de Marie l’infirmière, car j’ai bien compris qu’elle vous saoulait. Je constate tout de même qu’une personne, qui n’a rien d’une gaucho, se soucie, comme moi, des femmes de chambre, des auxiliaires de vie, des puéricultrices, des infirmières. Il s’agit de Marlène Schiappa, qui a exprimé des doutes au sujet des conséquences de la réforme pour les femmes précaires.

Mme Mathilde Panot. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage, dit le dicton. C’est exactement ce qui est en train de se passer avec l’emploi public, aujourd’hui fortement menacé, car, sous l’ère Macron, la capacité d’expertise de l’État est en train d’être tuée. À l’heure de l’urgence climatique, il n’est pas sérieux de ne pas prendre en compte le besoin d’expertise publique dans une loi qui concerne les cinquante prochaines années. Dans notre contre-projet, nous avons établi que la création de 100 000 emplois destinés à répondre à l’urgence écologique et sociale ferait rentrer 1,3 milliard d’euros de cotisations.

M. Adrien Quatennens. Cette volonté de supprimer chaque alinéa du texte est en cohérence avec notre mot d’ordre : obtenir le retrait de ce projet de loi. Le fait qu’il soit finalement examiné à l’Assemblée ne laisse rien présager de l’épilogue. L’autre jour, le président Macron s’est montré très inspiré par Jacques Chirac. Nous lui suggérons de poursuivre sur sa lancée. Rappelons que l’ancien président avait fini par reculer sur le projet de loi très contesté instituant le contrat première embauche alors que le processus législatif était bien engagé.

Nous voyons bien qu’au sein du groupe La République en Marche règne une ambiance crépusculaire. L’issue la plus raisonnable serait le retrait de ce projet de loi.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ce sont plutôt vos discussions qui sont crépusculaires : nous allons finir par nous endormir à force de vous entendre répéter les mêmes arguments.

L’alinéa 8 ne concerne pas les agents publics non titulaires en général mais ceux qui ne seraient pas couverts par le régime d’assurance du livre VII. On essaie de prévoir pour qu’il n’y ait pas d’oublis. C’est une sorte clause de rattrapage au cas où des personnes ne seraient pas prises en compte dans le système.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous poser une question précise sur les agents publics titulaires qui appellerait une réponse précise de votre part. Avec le nouveau système, les fonctionnaires vont devoir acquitter des cotisations sur leurs primes, ce qui pèsera sur leur pouvoir d’achat. La hausse est significative, car, si j’ai bien compris le tableau 20 de l’étude d’impact, elle représenterait 1,8 milliard pour la fonction publique d’État et 1,4 milliard pour la fonction publique locale et hospitalière. Considérez‑vous qu’assurer une évolution convergente de la rémunération nette moyenne des agents publics et des salariés du privé est un objectif légitime ? Si tel n’est pas le cas, comment justifiez‑vous votre position ? Estimez-vous que les agents publics sont aujourd’hui privilégiés ? Si oui, qu’avez-vous prévu pour assurer une évolution de la rémunération des fonctionnaires actifs en lien avec celle des salariés du privé ?

M. Ugo Bernalicis. Le rapporteur nous a précisé que ces alinéas visaient à n’oublier personne. Mais il y a des gens qui ne vous demandent qu’une chose : « oubliez-nous ! ». Je pense notamment aux avocats. Laissez les tranquilles avec leur système de retraite actuelle. Améliorez-le, si vous voulez, mais ne bouleversez pas tout. Cela ne fera qu’aggraver l’insécurité sociale.

Un membre du Gouvernement aurait dit en off à un journaliste du Figaro : « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps et surtout fermer sa gueule. ». Pas terrible...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Les bruits de couloir ne m’intéressent pas, monsieur Bernalicis.

M. Sébastien Jumel. Madame la présidente, il va falloir vous habituer à ce que l’on pose les questions que l’on veut pour vous permettre d’apporter les réponses que vous voulez. C’est ce qui s’appelle la démocratie, et il est heureux que nous puissions la pratiquer.

À mon tour de poser une question précise. Il est établi que votre réforme va faire mal aux fonctionnaires. Le simple fait de supprimer la référence aux six derniers mois dégrade mécaniquement leurs pensions. Pour compenser cette diminution, vous avez prévu d’intégrer les primes dans le calcul des points des enseignants, et il semblerait que vous vouliez étendre cette procédure à l’ensemble des fonctionnaires. Or des études très sérieuses montrent que les femmes ont des primes inférieures de 20 % à celles des hommes dans les trois fonctions publiques. Elles seraient donc pénalisées par l’intégration des primes dans le calcul des points. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous me répondre à ce sujet ? Que pensez‑vous de la lucidité de Mme Schiappa ?

M. Éric Woerth. Pour continuer sur les fonctionnaires, j’aimerais savoir, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous prévoyez pour la phase de transition. Les fonctionnaires nés après 1975 relèveront du nouveau système. Comment seront pris en compte les droits acquis ? J’imagine que, pour la partie de leur carrière relevant de la règle des six derniers mois, les primes ne seront pas prises en compte puisqu’elles n’auront pas donné lieu à cotisations. Comment se fera l’entrée dans le nouveau système ? Vous augmenterez, si j’ai bien compris, la rémunération des fonctionnaires pour leur permettre d’accumuler les points nécessaires. L’étude d’impact présente bien des cas de fonctionnaires mais ils sont toujours surprenants, car personne n’est jamais perdant.

M. Olivier Véran. Chers collègues de La France insoumise, vous avez fait le choix, et c’est votre droit, de recourir à l’arme de l’obstruction massive. Ce n’est pas parce qu’on ne vous répond pas qu’on ne vous écoute pas, ou plutôt qu’on ne vous entend pas. Et ce n’est pas parce que votre groupe s’appelle La France insoumise et que nous ne répondons pas à chacune de vos provocations que nous sommes La France soumise.

Madame Autain, vous voulez nous priver de la possibilité d’utiliser le mot « solidarité » dans un texte qui traite justement de solidarité et de redistribution. Vous avez fait une citation d’Orwell, je vous répondrai par Albert Camus : « Chaque fois qu’une voix libre s’essaiera à dire sans prétention ce qu’elle pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboiera furieusement pour couvrir son écho. ». Je sais que vous ne le prendrez pas mal. Depuis trois jours, nous encaissons vos attaques sans coup férir.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 3423 de Mme Clémentine Autain, n° 3424 de M. Ugo Bernalicis, n° 3427 de Mme Caroline Fiat, n° 3432 de Mme Mathilde Panot et n° 3434 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Monsieur Véran, je fais mienne votre citation d’Albert Camus et vous la retourne. Les chiens de garde ne sont peut-être pas là où vous le pensez.

Notre rapporteur a prononcé une magnifique phrase qui a sans doute intéressé les 624 personnes qui suivent le live de notre commission sur Facebook : « On essaie de prévoir pour qu’il n’y ait pas d’oublis », assertion qui ne rassurera sans doute pas les Français.

Une collègue de la majorité a souligné que de nombreux économistes libéraux soutenaient la réforme. En réalité, beaucoup ont fait sécession. Parmi eux, citons Patrick Artus : « On s’est imposé une norme de réduction du poids des retraites qui sort de nulle part, qui n’a pas été débattue, et on en conclut que le système est déficitaire. »

M. Ugo Bernalicis. M. Véran a peut-être voulu nous insulter en déclarant que nous faisions du « zadisme parlementaire ». Que veut-il nous reprocher ? D’occuper l’Assemblée nationale ? Ça tombe bien, nous avons été élus pour ça ! Qui plus est, l’expérience du zadisme a récemment été couronnée de succès : les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, après avoir bataillé ferme, ont obtenu le retrait du projet contre lequel ils se sont mobilisés. Je tiens donc, au nom de mon groupe, à remercier M. Véran très sincèrement, car on ne pouvait rêver mieux comme comparaison.

Mme Caroline Fiat. Pendant les interventions de notre groupe, des petites remarques fort sympathiques fusent, comme « Bonjour, le niveau des débats ». Nous pourrions en dire autant. Quand on entend le rapporteur dire « On essaie de prévoir pour qu’il n’y ait pas d’oublis », croyez-vous qu’on puisse être convaincu de ne pas tout supprimer ?

Mme Mathilde Panot. M. le rapporteur disait que les députés de la République en Marche risquaient de s’endormir. Ils auraient donc la conscience tranquille alors que notre pays connaît le plus long mouvement social depuis 1968. Le peuple, en manifestant, en signant des pétitions, en dansant, en chantant, en rendant outils et uniformes de travail vous dit qu’il ne veut pas de cette réforme. Pour reprendre une formule devenue célèbre « Si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir ». La lutte continue !

M. Adrien Quatennens. Je reviendrai à notre collègue qui se montrait sincèrement inquiète de laisser à ses enfants la charge du financement des retraites. Je comprends cette angoisse profonde qui l’atteint mais peut-être devrait-elle aussi leur dire que c’est leur maman, par les projets de loi qu’elle soutient avec ses collègues, qui creuse ce déficit. Le déficit potentiel prévu par le Conseil d’orientation des retraites (COR) ne tombe pas du ciel : il résulte du gel des salaires des fonctionnaires et des exonérations sociales. Peut-être pourrait‑elle aussi donner à lire à ses enfants le rapport Delevoye : ils verraient jusqu’à quel âge leur maman veut les faire travailler. Je ne suis pas sûr que cela les rassure davantage.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ai toujours considéré qu’il était beaucoup plus facile de détruire que de construire. Supprimer le contenu des articles alinéa par alinéa, c’est vraiment le degré zéro du travail parlementaire.

Avis défavorable.

M. Régis Juanico. « On essaie de prévoir qu’il n’y ait pas d’oublis » dans la réforme, avez-vous dit, monsieur le rapporteur. Puissiez-vous aussi essayer de prévoir qu’il n’y ait pas d’oublis dans vos réponses ! Boris Vallaud vous a posé une question précise au sujet des fonctionnaires. Ils seront astreints à cotiser sur leurs primes, ce qui va peser sur leur pouvoir d’achat. Cet effort représentera 1,8 milliard d’euros pour les fonctionnaires d’État et 1,4 milliard pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers. Considérez-vous que cette évolution convergente de la rémunération nette moyenne des agents publics et des salariés du secteur privé est un objectif légitime, oui ou non ? Si la réponse est non, comment justifiez‑vous cette position ? Considérez-vous que les agents publics sont privilégiés ? Si oui, qu’avez-vous prévu pour assurer une évolution des rémunérations des fonctionnaires actifs en lien avec celles des salariés du privé ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Dans la salle des pas perdus se trouvent trois statues, qui représentent des vertus dont les parlementaires sont censés être parés : le courage, la sagesse et la prudence. Dans ce lieu chargé d’histoire qu’est l’Assemblée nationale, les statues et les tableaux ont un sens et nous rappellent les valeurs qui doivent être les nôtres. Je crois que le rapporteur veille à s’y conformer. Si, par le passé, nous avions fait les lois avec plus de prudence et d’humilité, nous n’aurions pas oublié d’intégrer autant de nos concitoyennes et de nos concitoyens dans nos politiques de justice et de solidarité. C’est ce que nous essayons en tout cas de faire dans ce texte.

M. Thibault Bazin. À quoi servons-nous ici ? Serait-il possible d’éviter à la fois l’obstruction et les discours qui nous éloignent du débat ? J’ai l’impression d’assister ce soir à une mise en scène, à un sketch où chacun fait semblant de débattre, alors que tout le monde a fait le deuil d’aller au bout de l’examen du texte. Cette mascarade a assez duré ! Le groupe Les Républicains a des propositions à faire sur le fond et notre collègue nous fait un cours sur les statues ! Pourrions-nous travailler sur le texte et avoir des réponses à nos questions, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Adrien Quatennens. Si vous étiez courageux, comme nous y appellent les statues, vous diriez la vérité aux Français : vous leur diriez que vous avez envie de les faire travailler plus longtemps pour ne pas avoir à mieux partager les fruits de la richesse produite. Si vous étiez sages, après plus de soixante jours de grève et un mouvement social historique, vous retireriez une réforme qui est en contradiction avec votre programme politique. Si vous étiez prudents, vous éviteriez de nous transmettre un texte à trous et non financé, accompagné d’une étude d’impact truquée, et qui a été littéralement torpillé par le Conseil d’État et par certains économistes – qui ne sont pas des insoumis.

Si vous vous ennuyez, allez donc méditer sur le courage, la sagesse et la prudence dans la salle des pas perdus !

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 3440 de Mme Clémentine Autain, n° 3441 de M. Ugo Bernalicis, n° 3444 de Mme Caroline Fiat, n° 3449 de Mme Mathilde Panot et n° 3451 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 3440 est un amendement de suppression. Nos collègues de droite espèrent amender le texte, y apporter quelques améliorations. Nous, nous pensons que ce texte est inamendable (Rires et exclamations parmi les députés du groupe La République en Marche) parce que nous en rejetons la logique. Je regrette que nos collègues de la majorité préfèrent chahuter, plutôt que de prendre le micro pour défendre la logique de leur réforme.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ayez tout de même un peu d’humour, madame Autain.

Mme Clémentine Autain. Il est plus facile de détruire que de construire, et je vois la facilité avec laquelle la Macronie a décidé de détruire notre système de retraite par répartition.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement n° 3441 vise à supprimer la mention des « agents publics non titulaires », car les agents publics non titulaires ne devraient pas exister : il devrait y avoir des plans de titularisation réguliers dans la fonction publique. On devrait stabiliser les gens dans leur existence et dans leur vie. On devrait d’ailleurs leur garantir un taux de remplacement convenable au moment de leur départ à la retraite. On devrait veiller à ce que les agents publics, qui œuvrent à l’intérêt général, le fassent dans les meilleures conditions et qu’ils n’aient pas à s’inquiéter pour leur retraite. L’incertitude dans laquelle vous les placez n’est pas acceptable.

J’ai déclaré, le 29 janvier dernier, dans un article qui est désormais en ligne : « J’ai un profond sentiment d’inutilité dans le travail législatif. » J’expliquais que mes amendements étaient systématiquement rejetés. Mais j’ajoutais être rassuré par le fait que les députés de La République en Marche subissaient le même traitement que moi dès que leurs amendements n’étaient pas exactement dans la ligne du parti. On en vient à se dire que tout cela ne sert à rien : quand vous travaillez sérieusement, on vous méprise.

Mme Mathilde Panot. Oui, nous assumons de faire ce que nous appelons une grève du zèle. Nous la faisons, parce que la majorité de la population demande que votre réforme soit retirée, pour que nous puissions en rediscuter sur de nouvelles bases. Nos concitoyens ne veulent pas de la retraite à points : ils ont compris l’arnaque qui se cache derrière tous vos mensonges.

Il faut arrêter de dire que les femmes seront les « grandes gagnantes » de votre réforme ! Les femmes, soi-disant grandes gagnantes, ont imaginé une chorégraphie pour dénoncer que, « à cause de Macron », elles auront des pensions plus faibles et que la réforme de la pension de réversion leur interdira de divorcer, ce qui est une attaque contre l’émancipation des femmes. Elles savent qu’elles partiront plus tard à la retraite, et encore plus défavorisées que dans le système actuel. Chers collègues, souffrez qu’il y ait une opposition dans ce pays !

M. Olivier Véran. Oui, on souffre !

Mme Mathilde Panot. La première qualité d’un parlementaire, c’est d’être un représentant du peuple. Or un représentant du peuple, pour nous, ce n’est pas un représentant de BlackRock ni des riches, c’est quelqu’un qui doit entendre ce qui se passe et ne pas être irresponsable au point de mettre le pays à feu et à sang, comme c’est en train d’arriver.

M. Adrien Quatennens. Contrairement à ce qu’on a pu entendre tout à l’heure, les agents de la fonction publique seront forcément perdants si l’on prend en compte l’ensemble de leur carrière plutôt que les six derniers mois, à moins d’attribuer des trimestres et des points pour tous les moments ou leur carrière a connu une interruption, par exemple des trimestres passés au revenu de solidarité active (RSA). Tout le monde le comprend très bien : inutile de nous faire croire qu’il y aura des gagnants. Pourquoi ne pas amender le texte pour prendre en compte les interruptions de carrière ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour faire écho aux propos de M. Bazin, cet après-midi, les avis étaient très tranchés, mais cela ne nous a pas empêchés d’avoir un débat de fond. Ce soir, on discute du texte ligne à ligne et nous n’entendons aucun argument de fond. Il y a une forme de captation du débat qui n’apporte pas grand-chose.

S’agissant des amendements, je répète que nous visons ici les agents publics non titulaires « ne relevant pas d’un régime d’assurance vieillesse prévu au livre VII ». Il existe de très nombreux statuts en France et nous tâchons de n’en oublier aucun. Nous travaillons avec modestie, afin d’éviter que des gens ne se retrouvent dans une situation difficile. Vous dites qu’il ne devrait plus y avoir d’agents non titulaires. Il ne devrait plus non plus y avoir de chômage, ni de pauvreté ; il ne faudrait plus que des agriculteurs n’aient que 800, voire 600 euros de retraite.

M. Ugo Bernalicis. Exactement !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tout cela ne se décrète pas d’un claquement de doigts : ça se travaille, ça se construit. Or le travail et la construction ne semblent pas être des points forts de votre mouvement !

M. Éric Woerth. Madame Panot, vous nous demandez de souffrir : c’est ce qu’on appelle la souffrance au travail. Heureusement que nous sommes résistants ! Avec ce texte, vous avez décidé de jouer, mais l’Assemblée nationale n’est pas un terrain de jeux. Vous pourriez faire un autre choix, en faisant des propositions, en présentant un projet alternatif dont nous pourrions discuter. Ce serait plus sérieux !

Vous dites, madame Autain, que la droite veut amender le texte : c’est le principe même du débat parlementaire, où l’opposition propose des modifications au projet de la majorité et du Gouvernement. Pour notre part, nous ne voulons pas l’amender point par point. Ce qui nous intéresse, c’est de montrer que nous avons une autre proposition de réforme, dont nous avons déjà exposé les grandes lignes : un régime de base qui concernerait tout le monde ; une fusion entre les régimes publics et privés ; des caisses autonomes selon les professions, avec la possibilité de rejoindre, à tout moment, un régime supérieur ; une augmentation de l’âge de la retraite ; une prise en compte de la pénibilité qui permette à quelqu’un qui ne peut plus travailler, pour des raisons professionnelles objectives, de partir plus tôt.

C’est un projet extrêmement pratique et précis, qui fonctionnerait très bien et qui répondrait à la plupart des problèmes qui se posent aujourd’hui. Nous exposerons nos propositions au fur et à mesure, tranquillement, mais avec beaucoup de détermination.

M. Boris Vallaud. Le rapporteur et la majorité ne cessent de répéter que la façon de procéder de La France insoumise ne leur convient pas et empêche d’avoir un débat sur le fond. Pour ma part, et mon collègue Régis Juanico l’a fait à ma suite, j’ai posé des questions très précises, dont le Conseil constitutionnel saurait conclure que la représentation nationale n’est pas éclairée. Votre silence devient insupportable !

Voici une autre question précise, à laquelle j’espère que vous allez enfin donner un commencement de réponse – sinon, qu’est-ce qu’on fout là ! S’agissant de la rémunération des fonctionnaires, pourquoi, dans l’étude d’impact, le Gouvernement a-t-il pris comme hypothèse une augmentation de la part des primes de 0,23 point par an pendant cinquante ans ? Cela signifie que le niveau de vie des fonctionnaires par rapport au reste des actifs baissera de 36 %. Cette hypothèse vous semble-t-elle de nature à décrédibiliser le système actuel et à valoriser le système futur ? Cette question devrait recevoir une réponse claire, sauf si vous avez bidonné vos chiffres. Vous ne pouvez pas continuer de nous opposer un mur de silence.

M. Sébastien Jumel. Quelle que soit la manière dont nous posons nos questions – avec humour, en pétant les plombs, avec sérieux –, à chaque fois, vous adoptez la même posture, nous avons un mur devant nous. Je vous ai demandé, monsieur le secrétaire d’État, si intégrer les primes dans le mode de calcul des fonctionnaires pénalisait les femmes. J’attends toujours la réponse.

Le Collectif Nos retraites a produit une contre-étude d’impact : « Un des exemples les plus parlants est celui d’une femme (appelons-la Mathilde), née en 1990, mère de deux enfants ayant fait sa carrière complète au SMIC qui part à 62 ans en retraite. Elle passe d’un taux de remplacement brut de 57 % dans le système actuel à un taux de remplacement brut de 48 % » avec votre réforme. Conclusion : « Pour notre exemple, cela représente une perte de plus de 15 % des droits à la retraite. Ces pertes apparaissent également pour un départ à 63 ans ou 64 ans. »

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, commenter cet exemple cartes sur table ? Nous pouvons vous poser les mêmes questions dans toutes les langues, sur tous les tons... Vous nous prenez pour des cons et, à un moment donné, ça devient exaspérant !

M. Ugo Bernalicis. Lorsque nos collègues, comme vient de le faire Boris Vallaud, vous interrogent par trois fois sans obtenir de réponse, et que vous les accusez de ne pas nourrir le débat, quel signal pensez-vous donner ? Qu’on s’en fout de ce qu’ils racontent ! Que les questions techniques sur le taux de remplacement, les primes, les agents non titulaires ne sont pas le sujet. En agissant de la sorte, vous nous donnez du grain à moudre et vous nous aidez. Alors, continuez comme ça...

Mme Célia de Lavergne. À titre personnel, j’ai une haute opinion du débat parlementaire. Je suis peut-être un peu vieux jeu mais, pour moi, c’est un exercice auquel les Français, la République, nous ont fait l’honneur de pouvoir participer. Depuis l’enfance, il m’a toujours inspiré du respect : argument contre argument, analyse contre analyse, valeur contre valeur, ...

M. Adrien Quatennens. Vous êtes obligée de lire un papier pour dire ça ? Ce n’est même pas spontané !

Mme Célia de Lavergne. ... pas de moqueries, pas de cris, pas d’extraits tronqués de Facebook live ou de tweets, pas d’attaques personnelles. Je suis navrée de voir que nous assistons davantage ce soir à un vaudeville qu’à un véritable débat parlementaire. Quelle conception de la démocratie avez-vous ? Quelle image renvoyez-vous aux citoyens ?

M. Adrien Quatennens. C’est du foutage de gueule !

Mme Célia de Lavergne. Je n’ose croire que vous voulez la fin de notre démocratie parlementaire, alors que vous en êtes les dépositaires. Je veux dire aux personnes qui nous écoutent que le débat parlementaire pourrait se passer autrement. Un débat de qualité continuerait à inspirer aux Français et aux enfants qui se forgent une autre conception de la démocratie. J’appelle à revenir au fond du débat !

La commission rejette les amendements.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le président Woerth, la phase de transition entre les deux régimes est l’un des quatre sujets sur lesquels le débat a été rouvert par le Premier ministre il y a quelques semaines. Les autres sujets sont le minimum de pension, c’est-à-dire le minimum contributif, la prise en compte de la pénibilité et les cessations progressives d’activité dans la fonction publique. Le minimum de pension et la phase de transition ont fait l’objet de négociations et de concertations – deux par mois –, menées par chacun des ministres concernés.

J’entends votre impatience, mais je rappelle que le Premier ministre s’exprimera publiquement sur l’issue de ces concertations avant l’examen du texte en séance. Il faut attendre que les partenaires sociaux se mettent d’accord sur ces questions essentielles, notamment sur la manière de garantir que 100 % des droits acquis dans l’ancien système seront préservés dans le régime universel. Lors de mon audition de la semaine dernière, j’ai indiqué que, pour la phase de transition, plusieurs options sont envisageables : la transition « à l’italienne » ou un système de bascule avec une conversion à une date donnée. Cette question donnera lieu à un arbitrage avant la séance. Je crois avoir répondu du même coup à M. Quatennens.

Quant aux réponses précises, je prends toujours beaucoup de plaisir à être précis, mais les réponses aux questions que vous posez se trouvent déjà dans l’étude d’impact.

M. Boris Vallaud. Si elles y étaient, on ne les poserait pas !

M. le secrétaire d’État. J’invite tous les députés ici présents à se reporter à la page 203 où se trouve la réponse précise à la question du député Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Ce n’est pas vrai !

M. le secrétaire d’État. Ce sont des éléments incontestables, que chacun peut vérifier, y compris M. Vallaud.

Plusieurs d’entre vous m’ont, par ailleurs, interrogé sur la prise en compte des primes dans le calcul des pensions des fonctionnaires. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises depuis lundi, nous examinons, dans les premiers articles du texte, les principes généraux de la réforme. Je suis prêt à passer tout le temps qui sera nécessaire pour débattre avec vous de ce texte, mais si, au moment où nous devrions débattre des principes généraux de la réforme, d’aucuns souhaitent aborder l’article 44 et d’autres l’article 28, le débat perd de sa cohérence. Il me semble qu’un débat de qualité doit respecter l’organisation du texte. Je renvoie ceux qui s’intéressent aux fonctionnaires et à la part des primes dans le calcul de leur pension à l’article 18 du projet de loi. Nous pourrons débattre de ces questions lorsque nous entamerons l’examen de cet article.

La commission examine les amendements identiques n° 3457 de Mme Clémentine Autain, n° 3458 de M. Ugo Bernalicis, n° 3461 de Mme Caroline Fiat, n° 3466 de Mme Mathilde Panot, n° 3468 de M. Adrien Quatennens et n° 3472 de M. François Ruffin.

Mme Clémentine Autain. Mon collègue Ugo Bernalicis a eu raison de rappeler qu’il y a de plus en plus d’agents contractuels dans la fonction publique et que c’est un vrai problème. J’aimerais, pour ma part, vous interroger sur ceux qui, dans la fonction publique, ont encore le statut de fonctionnaire. Pouvez-vous nous expliquer comment vous pensez améliorer leur retraite dès lors qu’elle ne sera plus calculée sur les six derniers mois, mais sur l’ensemble de leur carrière ? J’ai hâte d’entendre nos collègues de La République en Marche nous expliquer sérieusement comment cela est possible !

M. Ugo Bernalicis. Une question un peu plus technique me vaudra peutêtre une réponse... Dans votre étude d’impact, vous ne prévoyez d’augmenter la part des primes des fonctionnaires que de 0,23 point par an. Et, si je comprends bien ce qui est écrit en filigrane dans cette étude d’impact, vous avez prévu de ne pas toucher au point d’indice pendant les cinquante prochaines années. La rémunération des agents publics n’augmentera donc pas, qu’ils soient titulaires ou non.

Par ailleurs, comment pouvez-vous savoir comment seront payés les agents non titulaires, alors même qu’ils ne dépendront plus d’aucune grille, puisque vous avez tout fait sauter avec la réforme de la fonction publique ? On peut désormais rémunérer les agents non titulaires à peu près comme on veut et ils peuvent faire une rupture conventionnelle, dont on ne connaît pas le montant prévisionnel !

Mme Caroline Fiat. « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse », dit-on. Depuis plusieurs jours, certains députés disent qu’ils ne veulent pas qu’on juge leur manière d’être députés. Je ne vois pas pourquoi, ce soir, il faudrait que les députés de La France insoumise soient jugés sur leur façon d’être députés. Mon amendement est défendu.

Mme Mathilde Panot. Une de nos collègues clamait son amour de la démocratie et du débat parlementaire. La démocratie suscite tout de même une indignation bien sélective ! Oui, nous reconnaissons qu’Emmanuel Macron et les députés de la majorité ont une légitimité, puisqu’ils ont été élus – tout comme nous. Mais, en République, il faut toujours se rappeler que c’est le peuple qui est souverain. Et lorsque le peuple, dans sa grande majorité et par tous les moyens possibles, refuse une réforme et demande qu’elle soit rediscutée sérieusement sur d’autres bases, il a une légitimité à le faire que vous ne pouvez pas balayer d’un revers de main.

Cela me fait doucement rigoler de recevoir des leçons de démocratie de la part de La République en Marche qui, lorsqu’il s’agit d’accepter des propositions de l’opposition parlementaire, est plus nulle que nulle.

M. Adrien Quatennens. Chers collègues, nous ne faisons que relayer une colère majoritaire dans le pays contre votre projet de retraite. Vous, vous défendez un projet de loi en contradiction avec les engagements présidentiels et soutenu par une minorité dans ce pays. Vous, vous prenez les Français pour des imbéciles en leur vendant une réforme soi-disant « juste, simple et pour tous », alors qu’elle ne consiste qu’à les faire travailler plus longtemps et à les pousser vers la capitalisation. Vous, vous avez remis aux parlementaires une étude d’impact truquée et des cas types qui ne permettent même pas aux Français de se repérer. Alors, de grâce, remballez définitivement vos leçons de démocratie !

Vous appelez de vos vœux un débat de qualité ? Je veux bien jouer le jeu sur les prochains amendements ! Depuis le début du débat, nous faisons des contre-propositions. Nous tenons à votre disposition un contre-projet répondant à la commande d’Édouard Philippe, qui s’est dit prêt à entendre toutes les propositions des parlementaires à même d’assurer l’équilibre financier du système. Ce contre-projet financé et chiffré, qui est prêt depuis des mois, je lui ai remis en mains propres. À partir de maintenant, je m’engage à ce que tous les amendements que nous défendrons alimentent un débat de fond, mais il faut que vous répondiez à nos questions et...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Laissez-moi finir !

M. Jean-Jacques Bridey. Du calme !

M. Adrien Quatennens. Non, je ne vais pas me calmer ! Les leçons de démocratie, j’en ai ras le bol ! (Vives exclamations parmi les députés du groupe La République en Marche.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je suspends la séance pour 5 minutes.

(Suspension de séance)

M. Éric Woerth. C’est de pire en pire... Je ne vois pas comment nous pourrons sortir de cette commission la tête haute. Le nombre d’amendements à examiner est considérable et nos collègues de La France insoumise ont décidé de les défendre un à un – vu leur rédaction, il est clair qu’il s’agit d’une volonté d’obstruction. Ils l’habillent de façon politique : c’est leur choix et c’est leur droit. De notre côté, nous avons aussi le droit de refuser de jouer à ce jeu et, à un moment donné, nous pouvons considérer que le débat est impossible.

Impossible, il l’est de toute façon dans le temps qui nous est imparti. Tous les calculs ont été faits et chacun sait que nous n’arriverons pas au bout de cet examen, à moins que les insoumis n’abandonnent tout à coup leurs amendements, mais je n’ai pas l’impression qu’ils en aient envie. Peut-être pourront-ils nous le confirmer ?

Madame la présidente, à un moment donné, il faudra peut-être faire le choix de mettre fin à cette mascarade, car les députés ne sont pas là pour jouer. Vous redoutez sans doute le reproche que le Conseil constitutionnel pourrait faire de n’avoir pas été jusqu’au bout pour pouvoir faire jouer certains dispositifs. Néanmoins, il convient d’adopter une attitude responsable et adulte, et de respecter l’Assemblée nationale pour ce qu’elle est : un lieu de débats, et pas d’affrontements comme ceux auxquels nous assistons en ce moment sur un texte aussi important pour tous les Français.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’allais justement inviter chacun d’entre vous à s’en tenir au débat sur le texte. Finissons-en avec les invectives, une fois pour toutes. Nous ne sommes pas des enfants et je ne vais pas passer mon temps à faire la maîtresse d’école. Si tout le monde se comportait correctement, tout se passerait mieux. Même si certaines réponses ne vous conviennent pas, je vous invite à cesser de crier et à vous écouter. Songez à l’image que nous renvoyons !

Je préside une commission spéciale qui doit travailler sur un texte ; je tiens à le faire, dans le respect de chacun. Tous les partis d’opposition ont travaillé et ont déposé des amendements sérieux sur le projet de loi. Je souhaite que nous nous en tenions au texte. Toutes les divagations autour de la vie politique en général sont peu intéressantes pour les Français et pour notre travail parlementaire. Siéger en commission, ce n’est pas assiéger une commission !

M. Sébastien Jumel. Bien entendu, cela vaut pour tout le monde !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Tout à fait.

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, il est vraisemblable que nous n’arriverons pas au bout de l’examen de ce texte en commission. C’est la raison pour laquelle nous essayons de faire de chaque amendement l’occasion d’un débat de fond sur certains sujets que nous risquons de ne jamais aborder. Lorsque nous posons des questions sur ces sujets lointains, qu’on fasse au moins l’effort de nous répondre !

M. François Ruffin. Le problème, c’est d’avoir choisi la procédure accélérée sur un tel texte. C’est la première fois que les députés de La France insoumise font le choix de l’obstruction parlementaire. Nous le faisons parce que, sur cette question essentielle, vous agissez contre la volonté des Français et contre tout ce qui se passe dans la rue. Nous voulons accompagner ce mouvement.

Monsieur Woerth, la droite a fait de l’obstruction sur d’autres textes, en d’autres temps. Au début des années 1980, lors de l’examen de la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, j’ai souvenir que Jacques Toubon, Jacques Chirac et d’autres ont déposé des milliers d’amendements pour retarder le débat pendant des semaines. Or, pour ce projet de loi aussi important, on n’a prévu que deux semaines de débat en commission et deux semaines en séance publique. Nous sommes en train de parler d’un texte qui va remettre en cause le contrat social pour tous les Français et on nous presse ! Tout cela est parfaitement incohérent, d’où notre choix de déposer 19 000 amendements et de les défendre.

La responsabilité incombe bien à la majorité, qui nous a présenté un texte de mille pages que nous étions censés avaler en six jours et qui nous demande d’examiner le texte de façon accélérée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous pouvons à présent revenir au texte. Vous aviez, monsieur Ruffin, l’amendement n° 3472 à défendre.

M. François Ruffin. Je vais reformuler la question d’Adrien Quatennens. Cet après‑midi paraît un article dans Marianne : M. Guy Bricout, député du groupe UDI, Agir et Indépendants y est interrogé. On lui demande si la majorité est « une majorité de "playmobils", comme dirait François Ruffin ». Il répond : « Les playmobils, ce n’est pas ma génération, mais ce sont des automates, oui. En commission, ils n’écoutent même pas, ils se contentent de lever la main. »

Le mot « automates » traduit bien ce qu’on peut ressentir en assistant à ces débats. Sur un texte comme celui-ci, on s’attendrait à ce que la majorité soit habitée par une foi, par une envie, par une conviction. On s’attendrait à ce qu’elle défende comme une nécessité la remise en cause du contrat social qu’elle propose dans ce texte. Or on n’entend pas les députés de la majorité exprimer cette foi !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Entre l’interpellation dynamique de M. Quatennens et M. Ruffin qui nous traite d’automates, je ne sais pas ce que je préfère... Sincèrement, je trouve tout cela profondément irrespectueux. Lors de la prochaine niche parlementaire de La France insoumise, je songe à déposer un amendement sur chaque mot !

M. François Ruffin. Allez-y, c’est votre boulot !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je peux entendre que ce projet soit contesté, que vous ne le partagiez pas. Mais moi, je vois quotidiennement des Français dont la retraite est misérable dans le système actuel. Mme Fiat a évoqué à plusieurs reprises les difficultés de son métier d’aide-soignante. Je vous invite à rencontrer des gens qui travaillent dans les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). Leur mission est de calculer et d’annoncer aux gens le montant de leur retraite : ils les voient souvent repartir en pleurs.

Repérer les dysfonctionnements majeurs du système actuel, comme nous le faisons, me semble être une attitude responsable. Nous voulons essayer de construire un meilleur système : il ne sera sans doute pas parfait, mais nous entendons au moins poser un cadre. Nous gagnerions tous à débattre sur le fond, comme nous l’avons fait cet après-midi.

Sur ces amendements, j’émets un avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. C’est bien de retrouver de la sérénité, mais c’est bien aussi de reconnaître que nous ne parviendrons pas à tomber d’accord. Plus je vous écoute et plus je me dis que nous ne représentons pas les mêmes classes. Quand vous rencontrez votre électorat, il vous dit des choses différentes de ce que nous dit le nôtre. Je ne veux pas donner de leçon, mais il est vrai que j’ai parfois le ventre tordu quand je pense à ces gens qui, chez moi, ont la gueule cassée, les visages abîmés, dont les vies sont broyées : ils se trouveront encore plus mal après la réforme qu’avant. Cela m’exaspère ! Mon rôle de représentant du peuple est de faire entrer cette colère ici.

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) vient de publier un rapport démontrant que vous réservez votre politique aux 5 % les plus riches : j’imagine que quand vous les rencontrez, ils vous remercient et vous encouragent à poursuivre. Tout au long de ce débat, nous aborderons la discussion sous des angles de vue différents : c’est cela, la démocratie !

M. Adrien Quatennens. Je m’en tiendrai à la règle que vous avez posée sur le retour au débat de fond mais auparavant, et à la suite de l’incident intervenu avant la pause, je me dois de dire quelques mots. Il y a dix-sept parlementaires insoumis, ce qui fait dix-sept styles et dix-sept façons de faire différentes mais je ne crois pas être connu pour mes emportements. Ma colère n’était pas feinte : je pense à tous ceux qui, depuis plusieurs jours, payent cher le prix de la lutte. Ma colère est forte parce que je considère que cette séquence comme l’obstination du Gouvernement sont déflagrateurs pour notre démocratie.

Vous en appelez à un débat de fond. Nous avons mis à votre disposition un contre‑projet sérieux, financé. Il est dans les mains du Premier ministre, à qui je l’ai remis ; il est dans les mains du secrétaire d’État ici présent. Je veux bien jouer le jeu de ce débat de fond, à la condition que les parlementaires obtiennent des réponses quand ils posent des questions et que, sauf à considérer que l’Assemblée nationale n’est que l’imprimante de l’Élysée, lorsque nous engageons un débat sur le fond, les parlementaires de La République en Marche s’y engagent à leur tour. Il y a beaucoup de députés dans cette commission que nous n’avons pas entendus, et je le regrette.

Enfin, nous avons fait le choix de déposer une multitude d’amendements : même si cela est insupportable pour la majorité, cela lui donne autant d’occasions de défendre un projet de loi auquel elle prétend croire. Ayons un débat de fond, mais jouons clairement le jeu, toutes et tous ! Et répondons-nous les uns les autres, notamment quand les parlementaires posent des questions précises.

M. Jean-Jacques Bridey. Depuis trois jours et demi, tous les quarts d’heure, nous votons sur des amendements de votre groupe, monsieur Quatennens : or ces amendements ne nous proposent que l’abrogation d’alinéas ou d’articles. Nous avons eu très peu de débats sur le fond : les seuls amendements qui ont été adoptés par la commission ont été déposés soit par notre groupe, soit par le groupe Socialistes, soit par le groupe Les Républicains, soit même par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, parce que nous voulons avoir un échange constructif. Ayez un échange constructif !

Vous critiquez le silence de certains de mes collègues de la majorité, mais nous ne pouvons pas nous prononcer puisque nous attendons de pouvoir défendre les quelque 300 à 400 amendements que notre groupe et le groupe MoDem ont déposés ; or vous nous empêchez de les défendre. Arrêtez de faire de l’obstruction, avançons dans le débat et faisons progresser ce projet de loi, même si vous êtes contre ! Débattons projet contre projet, dans un esprit démocratique et parlementaire !

M. Bruno Fuchs. Je suis un peu excédé d’entendre toujours les mêmes arguments sur la lutte des classes. Les gueules cassées, chez moi, ce sont des carreleurs, des femmes de ménage, des déménageurs, des couvreurs, des gens qui travailleront jusqu’à 67 ans et qui toucheront 800, 1 000 ou 1 200 euros de retraite. Ce sont ces gens-là que nous défendons également dans cette réforme des retraites ! Ils me disent : « Continuez ! Moi je ne veux pas partir à 67 ans quand d’autres partent à 55 ou 57 ans, avec deux ou trois fois plus de retraite ! » Voilà ce que vous défendez ! Il faut rétablir les faits ! Je trouve insupportable qu’on nous ressorte sans cesse la lutte des classes, de façon caricaturale, alors que cela ne correspond pas à la réalité. Vous défendez des gens qui partiront à 55 ou 57 ans avec trois fois plus de retraite : les gueules cassées ne sont pas les mêmes chez vous que chez moi !

M. Sébastien Jumel. Ça commence très mal, le débat de fond !

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 3492 de M. Ugo Bernalicis, n° 3495 de Mme Caroline Fiat, n° 3500 de Mme Mathilde Panot, n° 3502 de M. Adrien Quatennens et n° 3506 de M. François Ruffin.

M. Ugo Bernalicis. Personne ici n’empêche quiconque de prendre la parole. Ce ne sont pas les députés de La France insoumise qui distribuent la parole, mais la présidente de la commission spéciale, même si celle-ci s’est vu imposer des règles et un calendrier stricts par le Gouvernement. Nous voulons prendre le temps des débats pour examiner un projet de loi qui changera fondamentalement le pacte social en France issu de 1945 et du Conseil national de la Résistance. Or vous voulez torcher cela en deux semaines de commission et deux semaines d’hémicycle : ce n’est pas possible ! Si vous souhaitez que tout le monde puisse prendre la parole et défendre ses amendements, rallongez les débats !

Mme Mathilde Panot. Je vous ai, à plusieurs reprises, entendus dire que La France insoumise jouait. Nous ne sommes pas en train de jouer : à Vitry, dans le dépôt de bus où je me rends souvent pour soutenir les grévistes, un agent s’est ouvert les veines sur son lieu de travail après cinquante-deux jours de grève. Il s’est ouvert les veines parce qu’on ne sait plus comment se faire entendre par ce gouvernement, qui n’écoute ni les députés d’opposition, ni les associations, ni les professionnels, ni les gens qui protestent dans la rue. Que doivent faire les gens ? Devront-ils se rendre dans les cérémonies de vœux pour socialiser et boire du champagne dans l’espoir de se faire entendre ?

Nous vous posons des questions très concrètes. Ma collègue Clémentine Autain vous a demandé comment la pension des fonctionnaires pouvait augmenter si l’on prend en compte leur carrière complète et non plus les six derniers mois de salaires. Vous évoquiez tout à l’heure les gens qui gagnent 800, 1 000 ou 1 200 euros de retraite : ce sont justement eux que nous défendons !

M. Adrien Quatennens. Cet après-midi, le Président de la République Emmanuel Macron a appelé à mener à bon port ce projet de réforme des retraites. Je crois que nous n’avons pas la même conception de ce qu’est une réforme des retraites menée à bon port. Pour nous, parlementaires d’opposition, cela signifie emmener ce projet à l’endroit où une majorité de Français souhaite le voir : à la poubelle !

L’alinéa 12 a pour objet les complémentaires. On sait que votre projet de loi a vocation à encourager la capitalisation. Vous dites maintenir l’âge légal de départ à 62 ans alors qu’il existe un âge d’équilibre différent de cet âge légal : si les gens veulent partir à 62 ans, ils ont plutôt intérêt à avoir complété leur niveau de retraite avec la capitalisation ! De la même manière, en abaissant le plafond pour les hauts revenus de 324 000 à 120 000 euros, vous encouragez à la capitalisation. Je pose la question à la majorité : pourquoi le faites-vous ?

M. François Ruffin. M. le rapporteur prétend que les agents de la CARSAT sont d’accord. J’ai cherché « CARSAT » sur Google : « La CARSAT en grève à Toulouse : "Cette réforme ne fera que des perdants." » On peut lire dans l’article : « Nous sommes bien placés pour savoir comment se calculent les retraites et on voit les ravages que cette réforme va faire sur les pensions. ». Et, plus loin : « C’était important d’être mobilisés devant le symbole de la CARSAT car cette réforme signe la fin de la sécurité sociale. » Voilà ce que disent les agents de la CARSAT !

Par ailleurs, l’OFCE a publié ce matin une étude selon laquelle l’essentiel des 17 milliards d’euros d’allégements fiscaux versés par Macron allait aux 5 % de ménages les plus riches, alors que le niveau de vie des retraités devrait baisser de 0,5 %. Il est évident que l’on cherche à cacher les vrais privilégiés derrière les petites gens, les cheminots.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je répondrai seulement sur un point, car ce sont les mêmes arguments qui reviennent. M. Quatennens a établi un lien entre complémentaire et capitalisation. Nous nous inscrivons pleinement dans un système de retraite par répartition, et même nous l’élargissons. Certains systèmes s’arrêtaient à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), alors que 99 % des personnes sont en dessous de 3 PASS. Nous intégrons donc 99 % des personnes, soit 96 % des revenus, dans un seul et unique régime par répartition : c’est un progrès par rapport à la situation existante. L’amendement proposé, en l’occurrence, visait à supprimer l’alinéa 12 – on ne voit pas trop la logique !

Avis défavorable.

M. le secrétaire d’État. Depuis trois jours, certains députés, plutôt de La France insoumise, nous disent ne pas comprendre pourquoi les vingt-cinq meilleures années seraient moins intéressantes que la carrière totale. Sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, j’invite à regarder les pages 116 et 117 de l’étude d’impact. Lisons-les tranquillement : il n’y a rien de scandaleux ! Ce support, que vous contestez, présente tout de même beaucoup d’éléments intéressants, même si, sur le fond, vous ne serez peut-être pas d’accord. Vous affirmez que cette étude est insincère, mais il serait dommage que vous n’en lisiez pas au moins les pages traitant de ce sujet qui, vraisemblablement, vous intéresse !

Le point 2 de la page 116 s’intitule « Un système par points plus favorable aux petites retraites, aux carrières peu ascendantes et aux carrières heurtées ». Quant à la page 117, elle comporte un tableau retraçant des parcours-types. Sur le fond, vous ne pouvez qu’être sensibles à notre volonté d’être plus redistributifs mais, puisque vous le contestez, lisons le tableau n° 7 : il compare des calculs sur vingt-cinq ans et sur quarante-trois ans, pour une carrière complète en 2035. Les cas cités sont dénommés « COR1 » et « COR2 », qui sont les cas types utilisés par le COR ; ce ne sont pas des cas inventés par le Gouvernement. Ils sont donc parfaitement légitimes, validés par le COR, dans lequel siègent des représentants de tous les partenaires sociaux. Le COR n’étudie pas des cas types fumeux ou nébuleux ; il étudie des cas-types sérieux.

Comme le démontre ce tableau, le système est très favorable, en carrière complète, pour les salariés au SMIC et au salaire moyen : il est donc plus redistributif. Je veux bien discuter avec vous de ce sujet pendant trois jours, mais vous avez tous les éléments sur deux pages dans l’étude d’impact. Si vous les contestez, dites-moi en quoi ces éléments sont faux !

M. Ugo Bernalicis. Ils sont truqués !

M. le secrétaire d’État. Vous passez votre temps à poser la même question à dix, quinze ou vingt reprises, alors que la réponse se trouve dans l’étude d’impact. Dites-nous au moins pourquoi vous n’êtes pas d’accord : on aura plus de chances de pouvoir discuter !

M. Adrien Quatennens. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour vos explications, mais voulez-vous bien admettre qu’il est difficile, pour nous, d’accorder du crédit à votre étude d’impact ? Lors d’un débat sur une antenne du service public, il y a une dizaine de jours, je vous avais fait remarquer, alors que nous venions de recevoir cette étude d’impact, qu’elle posait un problème évident : elle est pleine de contradictions avec votre propre projet de loi. Pouvez-vous au moins admettre que j’ai raison sur ce point ? Votre étude d’impact gèle à 65 ans l’âge d’équilibre dans chacun des cas types qui sont présentés, alors que l’article 10 de votre projet de loi précise que l’âge d’équilibre se décalera. Par conséquent, les cas types que vous avez présentés aux parlementaires comme aux Français sont truqués et donnent l’impression que le système par points est plus favorable. J’ai d’autres arguments à vous opposer mais pouvez-vous déjà me répondre sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Oui ou non, l’étude d’impact a-t-elle gelé l’âge d’équilibre, mettant ces cas types en contradiction avec votre projet de loi ?

M. le secrétaire d’État. Les hypothèses retenues pour établir cette étude d’impact reposent sur des éléments objectifs et vérifiables : entrée moyenne dans la vie active à 22 ans, durée de carrière de quarante-trois ans en 2035. Il s’agit de cas-types ; certaines personnes entrent dans la vie active avant 22 ans, d’autres après. C’est une simple observation sociologique de ce qu’il se passe en France : les fortement diplômés trouvent très rapidement du travail – 80 % dans l’année qui suit l’obtention du diplôme –, ce qui est moins vrai pour les moins diplômés. L’entrée dans la vie active a tendance à converger. Je ne l’invente pas, c’est une donnée de l’Institut national de la statistique et des études économiques que vous pouvez vérifier. Nous avons simplement retenu une hypothèse, solide et robuste, qui permet d’affirmer que nous serions sur cette base-là en 2035 si le système actuel n’était pas modifié. C’est donc parfaitement honnête et transparent.

M. Sébastien Jumel. J’ai ouvert l’étude d’impact à la page 117. Sous le tableau qui vous sert d’argumentation, monsieur le secrétaire d’État, il y a une note : « Il s’agit ici de calculs n’intégrant que les effets relatifs au salaire de référence et aux modalités d’indexation ; il ne s’agit pas de cas types traduisant les effets du système universel dans son ensemble (beaucoup d’autres facteurs interviennent pour le calcul final de la pension). » Fermez le ban ! Cette note suffit à relativiser, à plomber et à effacer l’argumentation brillante que vous venez de développer !

M. le secrétaire d’État. Le tableau apporte la réponse à une question, posée à plusieurs reprises ces derniers jours, sur l’intérêt d’un calcul sur une carrière complète par rapport aux vingt-cinq meilleures années. Cela ne répond pas aux autres questions concernant le montant des pensions, mais cela dit clairement que si nous comparons les pensions entre une carrière complète de quarante-trois ans et une pension calculée sur vingt-cinq ans, notre projet est très favorable aux personnes qui sont au SMIC et au salaire moyen, mais pas aux cadres supérieurs.

En revanche, ce tableau ne récapitule pas tous les entrants et toutes les questions que vous m’avez posées, notamment sur le financement. Voilà ce que j’essaye de partager avec vous depuis plusieurs jours, car je sais que vous avez la solidarité chevillée au corps. C’est cela qui fait parfois surréagir le député Adrien Quatennens ; je ne crois pas qu’il soit dans une volonté d’ostracisme et de fermeture. La véracité de certains éléments vous inquiète peut-être, mais cela ne fait que souligner un élément important : le nouveau système de retraite sera redistributif pour les petits revenus mais pas pour les hauts revenus. C’est tout ce que cela veut dire, mais c’est déjà beaucoup !

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 3475 de M. Ugo Bernalicis, n° 3483 de Mme Mathilde Panot, n° 3485 de M. Adrien Quatennens et n° 3489 de M. François Ruffin.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’un amendement de proposition et non de suppression, vous l’aurez noté. Nous proposons que les mesures en question ne soient pas applicables aux agents publics non titulaires tant qu’ils n’auront pas l’assurance, par une hausse de leur rémunération notamment, de pouvoir atteindre exactement le même taux de remplacement au moment de la liquidation de leur pension. Cet amendement se place dans la continuité de la remarque faite par mon collègue Sébastien Jumel sur la note de bas de tableau. Celle-ci dit que, dans un monde pur et parfait, si l’on retire tous les paramètres qui pourraient être défavorables, alors votre système est plus favorable. C’est un peu léger ! On sait bien que de nombreux paramètres entrent en ligne de compte dans vos calculs, mais encore faudrait-il croire sur parole vos cas types. Ce n’est pas exactement le cas !

Mme Mathilde Panot. Monsieur le secrétaire d’État, La France insoumise n’est pas la seule à discuter l’étude d’impact. D’aucuns pourraient être tentés de dire que vous êtes trop intelligents et trop subtils pour que nous, parlementaires et peuple français, comprenions ladite étude. Il se trouve qu’un travail très sérieux a été fait par le collectif d’économistes Nos retraites, qui montre que les cas-types évoqués ne sont pas en réalité des cas gagnants. J’aimerais que l’on s’arrête sur la situation des chômeurs. Vous comprenez que l’on se méfie un peu quand vous affirmez qu’il n’y aura pas d’oubliés de la réforme et que tout se passera bien pour absolument tout le monde. Il se trouve que, concernant les chômeurs, l’allocation ne sera plus calculée sur le salaire mais sur l’allocation de retour à l’emploi...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, madame Panot.

M. Adrien Quatennens. Le rapport Delevoye détermine un âge de naissance auquel est associé un âge d’équilibre : pourquoi ne pas appliquer vos propres préconisations à l’étude d’impact ? Pour le coup, vous auriez fait preuve de sincérité. J’ai mon explication : en ne le faisant pas, vingt et un cas sur vingt-huit apparaissent comme gagnants ; mais si, comme le Collectif Nos retraites, on applique scrupuleusement vos propres préconisations en matière d’âge d’équilibre, il n’y a plus que dix cas gagnants sur vingt-huit, et donc une majorité de perdants, ce que nous démontrons depuis le début.

Ensuite, vous affirmez avoir retenu des hypothèses correspondant à peu près à la moyenne de ce que l’on peut vérifier sur le marché de l’emploi. Vous faites donc commencer les carrières de quasiment tous vos cas types à 22 ans – admettons ! – mais vous leur attribuez à tous quatre trimestres par an : reconnaissez que c’est une situation particulièrement favorable, qui ne correspond pas à la réalité vécue par une majorité de nos concitoyens. Les cas-types qui en résultent favorisent donc très largement votre système à points et relèvent plus d’une sorte de publicité !

M. François Ruffin. Vous vous appuyez sur l’étude d’impact. Le Conseil d’État l’a jugée insincère ; nous préférons la dire truquée. Même celui qui a porté cette réforme sur les fonts baptismaux, l’économiste Antoine Bozio, celui qui a enthousiasmé l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron au point de vouloir convertir le pays entier au système de retraite par points, a lui-même publié une tribune dans Le Monde, ce matin, dans laquelle il dit l’inutilité des cas-types présentés, le caractère très incertain des projections, l’absence de revalorisation de carrière – bref, il met à mal cette étude d’impact !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour illustrer ce que nous faisons, je citerai un exemple – je ne sais pas s’il est bon mais vous allez sûrement y réagir. En 2009, Nicolas Sarkozy a lancé le projet du Grand Paris Express. Des réflexions ont été menées sur les enjeux de la mobilité à Paris, qu’il a reprises et synthétisées dans le projet lancé en 2010 : avait-il alors précisément à l’esprit où seraient situées les bouches de métro ?

M. Aurélien Pradié. Quel est le rapport ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sauf erreur, monsieur Pradié, vous n’avez pas participé aux travaux de la commission spéciale jusque-là...

M. Aurélien Pradié. C’est une erreur : j’ai suffisamment assisté aux travaux de cette commission pour vous dire que cela n’a rien à voir avec le Grand Paris Express !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’enjeu est de proposer un système intégrant tout le monde. On pourra contester à l’infini les trajectoires fines à horizon de dix ans – je vous mets au défi de prévoir la croissance, la productivité, le taux d’inflation, l’évolution des carrières, la révolution numérique et les changements de métiers ! Nous définissons un cadre, et ce sera à ce gouvernement et aux majorités qui nous succéderont de fixer les trajectoires entrant dans ce cadre : tel est l’objectif que nous nous donnons. Pour en revenir à l’exemple du Grand Paris Express, un projet a été lancé en 2010 et les majorités qui se sont succédé depuis l’ont adapté : le principe même de la politique est de se définir comme un navigateur, qui se fixe un cap et l’adapte chaque jour en tenant compte du vent et de la houle.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Marin d’eau douce !

M. le secrétaire d’État. Le sujet des périodes de chômage a été évoqué. Cette question figure à l’article 42 du projet de loi, mais j’entends que vous avez envie d’en parler dès l’article 3. Je vous donnerai donc quelques éléments : le projet du Gouvernement est d’accorder des points pour toutes les périodes d’inactivité subies, comme le chômage, notamment pour ceux qui sont en fin de droits et touchent l’allocation de solidarité spécifique. La volonté du Gouvernement, avec ce système de retraites par points, est de couvrir l’ensemble de nos concitoyens lorsqu’ils sont dans des périodes de difficultés subies. Nous aurons la possibilité d’échanger largement sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 42.

Mme Marie-Christine Dalloz. La réforme des retraites que la majorité propose est importante, voire grave ; elle aura inévitablement des conséquences sur des cohortes complètes de population et sur les futures générations. Il y a une inquiétude très forte dans le pays. Monsieur le rapporteur, vous citez l’exemple du navigateur qui rectifie régulièrement sa trajectoire ; or les futurs retraités doivent savoir précisément où ils vont. On ne va pas rectifier le cap tous les six mois ou tous les deux ans ! Quant à la comparaison avec Nicolas Sarkozy qui n’avait pas imaginé l’emplacement des bouches de métro du Grand Paris Express, elle ne fait que renforcer l’inquiétude totale et le flou artistique !

Mme Catherine Fabre. Les réformes des retraites menées dans les années précédentes ont fait bouger les différents paramètres : à 30 ans, les personnes n’avaient pas de vision de ce que serait leur retraite à 65 ans, trente-cinq ans plus tard. Il y a toujours eu certain flou sur ce point, et c’est bien logique puisque nous travaillons sur des échéances d’une génération.

Mme Marie-Christine Dalloz. La différence, c’est que nos réformes étaient financées !

Mme Catherine Fabre. Concernant la validité de l’étude d’impact, quand on veut mesurer l’effet d’un facteur, on fige tous les autres pour être sûr que la conséquence est due à ce facteur et uniquement à lui : on regarde ce qu’il se passe toutes choses égales par ailleurs. C’est vraiment la base des modèles de projection économique : non seulement il n’y a rien d’étonnant à cela mais il est même plutôt rassurant que l’étude soit sérieuse et faite selon les règles.

Par ailleurs, je voudrais citer un passage intéressant de l’article d’Antoine Bozio paru dans Le Monde : « [...] les gains de pension vont aux plus faibles pensions, tandis que les effets sont neutres pour les 50 % des plus hautes pensions ».

M. Boris Vallaud. Non ! Il dit que c’est ce que prétend l’étude !

M. Adrien Quatennens. Collègue Fabre, vous aurez mal lu Le Monde puisqu’Antoine Bozio précise justement qu’il est en désaccord avec ce qu’affirme l’étude d’impact sur ce point ! Je répète donc que si vous appliquez les âges d’équilibre du projet de loi, vous ne tombez pas sur le même résultat ; mais je l’ai déjà démontré.

Pour en revenir au caractère redistributif, le projet de loi est très clair : vous abaissez de 324 000 euros par an à 120 000 euros le plafond à partir duquel les hauts revenus n’acquièrent plus de droits nouveaux à la retraite, en disant qu’ils passent à une cotisation symbolique qui serait en quelque sorte une générosité. Vous oubliez de dire que l’abaissement de leurs cotisations provoquera un trou dans les caisses de 3,5 milliards par an pendant quinze ans et que le Conseil d’État s’en inquiète. Mais surtout, croyez-vous qu’ils vont rester sans droits à la retraite ? Non ! Vous leur adressez un message clair : vous avez de l’argent, alors placez-le dans les fonds de pension, chez les assureurs et les banques ! Ne vous embêtez plus avec ce système rétrograde qu’est la sécurité sociale ! Le message que vous leur envoyez est limpide : vous encouragez la capitalisation ! S’il fallait vous en convaincre, lisez les assureurs et les banquiers qui, dans Les Échos, Challenge ou Capital, disent leur enthousiasme à l’idée que votre projet de réforme des retraites aboutisse.

M. Bruno Fuchs. Je veux simplement préciser que les hypothèses retenues dans la réforme de Nicolas Sarkozy allaient à dix ans, ce qui donne quand même de la visibilité sur un certain nombre de facteurs. En l’occurrence, nous faisons des prévisions à trente ans : personne ne trouverait crédible de faire des projections précises à trente ans compte tenu de nombre de facteurs en jeu ! Soyez donc un tout petit peu réalistes et objectifs sur ce point !

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 : Champ d’application du système universel de retraite (indépendants et professions libérales)

La commission est saisie des amendements identiques n° 548 de M. Sébastien Jumel, n° 686 de M. Fabrice Brun, n° 3786 de Mme Caroline Fiat, n° 3791 de Mme Mathilde Panot, n° 3793 de M. Adrien Quatennens, n° 3797 de M. François Ruffin et n° 21087 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. L’article 4 dispose que le système universel de retraite s’applique aux travailleurs indépendants, supposant donc la fusion des régimes autonomes et de leurs caisses complémentaires. Dans de nombreux cas, cette fusion fera des perdants au regard, soit des cotisations, soit des prestations. Plusieurs professions sont très opposées à ce texte et l’ont fait savoir. Nous venons, à l’instant, d’avoir un débat sur le flou des projections qui ne permettent ni à nous, ni aux premiers concernés d’y voir clair. Vous avez tendance à relativiser cela, mais je pense que c’est un véritable problème, d’autant plus que les garanties que l’on peut attendre des données que vous fournissez sont très minimales. Votre préoccupation, en effet, n’est pas d’apporter des garanties mais d’équilibrer le système : nous avons donc un problème philosophique initial. C’est pourquoi l’amendement n° 548 tend à supprimer l’article.

Mme Marine Brenier. Dans la même veine que les amendements précédemment défendus sur les caisses autonomes, le but de l’amendement n° 686 est de supprimer l’article 4 afin de reconnaître les spécificités des professions libérales, notamment celle des avocats.

Mme Mathilde Panot. Beaucoup de travailleurs et travailleuses indépendants sont aujourd’hui mobilisés contre cette réforme des retraites, notamment les avocats. Ceux-ci ne cessent de le répéter : dans le système que vous leur proposez, ils devraient cotiser le double de ce qu’ils cotisent aujourd’hui.

Je reviens, par ailleurs, sur l’étude d’impact, car ce n’est pas comparable avec l’exemple du Grand Paris Express et l’emplacement des bouches de métro, que le rapporteur a mis en regard. L’étude d’impact est la garantie de la sincérité des débats ; c’est ce qui permet à un parlementaire de savoir à quoi il s’engage dans la discussion. Or, si le Conseil d’État, des économistes et des intellectuels affirment, de manière forte, qu’il y a un problème avec cette étude d’impact, on ne peut pas effacer leur avis d’un coup d’éponge.

M. Adrien Quatennens. Les dix-sept parlementaires de La France insoumise n’étaient pas de grands spécialistes des retraites, mais ils le sont devenus ; ils ont beaucoup étudié votre texte. Puisqu’il s’agit de se projeter dans l’avenir et, pour cela, de s’en remettre à une étude d’impact, il aurait mieux valu que celle-ci soit sincère.

Votre projet de réforme a poussé dans la rue, non seulement ceux qui bénéficient de régimes spéciaux – dont il a beaucoup été question mais qui ne concernent que 3 % de la population active –, mais aussi des gens exerçant des professions qui n’avaient pas l’habitude de participer aux mobilisations et aux luttes sociales. Nombre d’entre eux ont manifesté à cette occasion pour la première fois, et ils l’ont fait avec beaucoup de créativité. C’est le cas des travailleurs indépendants, et en particulier des avocats, dont nous avons démontré tout à l’heure à quel point leur régime était peu coûteux et ne méritait donc pas un tel traitement.

L’universalité n’existe pas, mais vous en faites un alibi qui se paie à un prix très élevé pour de nombreuses professions. Ce n’est pas sérieux !

M. François Ruffin. Truquer une étude d’impact ou la rendre insincère, c’est une chose ; truquer une tribune du Monde, c’en est une autre. Dans la tribune en question, Antoine Bozio, l’inspirateur même de la réforme, reprend l’étude d’impact, selon laquelle les effets seront neutres pour les 50 % des plus hautes pensions, alors que les deux quartiles du bas y gagneront. Il demande comment cela est possible en baissant la part des retraites dans le produit intérieur brut. La réponse, ajoute-t-il, n’est pas affirmée explicitement dans l’étude d’impact, mais s’y trouve en filigrane : l’âge de départ à la retraite sera relevé. Or les effets de cette hausse ne sont pas comptabilisés, notamment les nombreux salariés qui ne réussiront pas à travailler jusqu’au moment de leur retraite. C’est déjà ce qui se passe depuis dix ans, avec le relèvement progressif des seuils de la retraite : une étude de la Cour des comptes de juillet 2019 indique que, sur cette période, le montant total de RSA versé aux personnes âgées de 60 à 64 ans a augmenté de 157 %. Cela veut dire que les gens ne parviennent d’ores et déjà plus aujourd’hui à travailler jusqu’à la retraite, et que l’on remplace une retraite méritée par de l’allocation de pauvreté.

M. Boris Vallaud. Vous affirmez qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous. Pourtant, pour les indépendants, les cotisations entre 1 et 3 PASS, acquittées à un taux moindre que celles des salariés, seront moins créatrices de droits. Par conséquent, pour un même montant total d’euros cotisés, leurs droits à la retraite seront eux aussi plus faibles. Pour un euro cotisé, les droits ouverts ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les autres. Monsieur le rapporteur, comment justifiez-vous cet écart par rapport à la règle fixée ? Ne craignez-vous pas que le Conseil constitutionnel censure la disposition au titre de l’égalité ?

Vous modifiez, par ailleurs, substantiellement l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG) des indépendants, sans toucher à celle des salariés. Or, lors de la création de la CSG sur la base de l’assiette actuelle, le Conseil constitutionnel avait explicitement considéré que l’égalité devant l’impôt entre les salariés et les indépendants était assurée. Qu’est-ce qui vous laisse penser que le Conseil constitutionnel de 2020 va contredire celui de 1991 ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous proposez d’exclure les indépendants du système universel de retraite, qu’ils soient artisans, commerçants ou professionnels libéraux. Nous ne pouvons évidemment pas vous suivre. D’abord, nous ne pourrions justifier cette exception au regard du principe d’égalité par rapport à l’ensemble des autres professions. Ensuite, ces professions bénéficieront de règles dérogatoires pendant la période de transition puis dans le barème, au-delà de 1 PASS. Un autre élément sera de nature à vous rassurer : le projet de loi ne prévoit pas de supprimer de caisse ; celles qui s’occupent actuellement des indépendants poursuivront demain leur activité, sachant que certaines gèrent aussi d’autres éléments de leur protection sociale, comme les assurances décès invalidité.

Après l’exemple du Grand Paris Express, je prendrai celui d’un petit chef d’entreprise, agriculteur, qui porte un projet assez lourd au regard de la taille de son exploitation ; il lui faut donc convaincre un banquier. Pour cela, il lui propose un certain nombre d’hypothèses permettant d’évaluer la rentabilité du projet sur quatre ou cinq ans, avec un déblocage progressif des fonds prêtés. Au bout d’un an, le chef d’entreprise revient voir le banquier pour mettre à jour ces hypothèses, qui sont validées chaque année.

Le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) devra agir selon deux principes directeurs : d’une part, un principe de pilotage annuel, à l’aide des outils dont disposent les responsables professionnels et qui ont été évoqués dans les articles précédents ; d’autre part, un principe de cadrage permettant de veiller à l’équilibre financier du système sur cinq ans, selon la règle d’or. Avec ces outils et cette capacité de pilotage fin, la CNRU sera en mesure de prendre les décisions qui permettront d’amener progressivement l’ensemble de nos concitoyens qui travaillent vers le système universel.

Monsieur Vallaud, aujourd’hui, le mode de calcul de la CSG n’est pas le même pour les salariés et pour les indépendants. Quand vous êtes indépendant, comme moi, votre CSG est une fraction – par exemple 20 % – de votre revenu moins la CSG. Il faut donc connaître le montant des cotisations pour calculer le montant des cotisations ; il y a une formule pour le faire, mais il y a un aspect circulaire. Au final, les salariés cotisent sur une base brute de leur salaire, tandis que les indépendants le font sur une base super-brute, et l’harmonisation des modes de calcul est une revendication ancienne des indépendants. Ce transfert d’assiette va faire diminuer la CSG mais augmenter les cotisations sociales des indépendants ; il y aura donc, pour eux, davantage de droits acquis. C’est un jeu à somme nulle, et on ne peut pas dire que le taux de cotisation des avocats va passer de 14 % à 28 %. Le delta sera beaucoup plus faible, et sera étalé sur plusieurs années – c’est d’ailleurs l’objet de la négociation que mène actuellement le ministère avec les représentants des barreaux.

Contrairement à ce qu’a dit Mme Dalloz, un pilotage demande de déterminer une direction – on l’a précisément –, qui doit être, en permanence, en tenant compte d’un certain nombre d’indicateurs, régulièrement corrigée pour parvenir à l’objectif. C’est ça le principe d’un pilotage.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il n’y a pas de négociation en cours avec les avocats. La présidente du Conseil national des barreaux a d’ailleurs regretté qu’un communiqué de presse ait été publié à l’issue de leur réunion avec Matignon sans même qu’une réponse officielle leur ait été donnée au cours de celle-ci. C’est vous dire l’état de crispation dans lequel se trouve le Gouvernement vis-à-vis des avocats.

Vous dites que leur taux de cotisation ne va pas passer instantanément de 14 % à 28 %, mais l’objectif est tout de même d’arriver à 28 %. Pour y parvenir, la « négociation » consiste à demander aux avocats de prendre dans leur caisse autonome les milliards d’euros qu’ils ont mis de côté pour lisser de 5 % par an l’effort qu’ils devront consentir. Cela revient à leur dire de payer eux-mêmes, avec l’argent qu’ils ont mis de côté, la transition prévue par cette réforme pourrie. Vous appelez cela une négociation ? Non, c’est du vol ! Ça ne passera pas, et je pense que, tout comme nous, ils continueront leurs actions jusqu’au retrait de votre réforme.

M. Jacques Marilossian. Depuis trois jours, les députés Insoumis nous inondent d’apostrophes toujours plus méprisantes. Ils réfutent tous les objectifs de justice sociale et de redistribution inscrits dans notre réforme. Ils se comportent comme s’ils détenaient la vérité ; quant à nous, nous serions dans l’erreur. C’est donc parole contre parole. J’invite tous les Français à ne pas les croire, et ce pour plusieurs raisons.

Nous avons tous constaté, à plusieurs occasions, qu’ils n’ont pas vraiment lu l’étude d’impact. Ils ont ainsi contesté le fait qu’il y avait quarante-deux régimes de retraite, alors que ces régimes sont très précisément décrits à la page 42 – ça ne s’invente pas – de l’étude d’impact.

Plus encore, il y a deux ans, La France insoumise vociférait dans l’hémicycle lorsque nous étions en train de voter les ordonnances de la « loi travail », en particulier à propos de l’apprentissage. Ils nous annonçaient, au son des fameuses trompettes, tous les malheurs de l’Apocalypse. Ces lois devaient entraîner une montée irrésistible du chômage, mais aussi la désorganisation totale de l’apprentissage en France. Que voyons-nous aujourd’hui ? Un demi‑million de chômeurs ont retrouvé un travail et, depuis 2018, 50 000 nouveaux apprentis ont commencé une formation. C’est bien la preuve que La France insoumise s’est trompée.

M. Hubert Wulfranc. À cette heure, un sentiment en vaut un autre. Quels que soient nos débats au sein de cette instance et le ton employé par les uns et les autres, on peut dire, chers collègues de la majorité, que vous avez échoué à convaincre. Vous avez échoué à installer dans le pays, pas tant d’ailleurs au travers de cette réforme des retraites illisible, un climat de confiance avec la population, et ce depuis l’origine de votre mandat. Quelles que soient vos démonstrations, quelques résultats que vous vantiez, aujourd’hui, plus de sept Français sur dix ne vous font pas confiance. Ils ont de la mémoire ! La réforme du code du travail en 2017 et la hausse de la CSG en 2018 ont laissé des traces profondes dans la population. Vous ne parvenez pas à installer la confiance, donc à réunir les conditions d’un débat démocratique. Et celui-ci se crispe d’autant plus que votre réforme est contestable sur le fond, et vous le savez.

M. le secrétaire d’État. S’agissant de la CSG, outre que le rapporteur en a bien expliqué les modalités, je vous invite à consulter l’étude d’impact : les pages 146 et 147 sont très claires au sujet de l’assiette. Ainsi documentés, vous pourrez contester.

Par ailleurs, toutes les questions posées à propos des travailleurs indépendants et professions libérales trouvent des réponses aux pages 427 à 497 de l’étude d’impact, qui fournissent un grand nombre d’études de cas, mais également des explications très claires par type de professions.

Puisque l’avis du Conseil d’État a suscité votre intérêt, peut-être pourriez-vous aussi retenir qu’il a validé le niveau d’abattement CSG prévu dans le projet de loi.

Enfin, monsieur le député Boris Vallaud, vous posiez la question du taux de cotisation des indépendants qui serait différent de celui des salariés au-dessus de 1 PASS. La réalité, c’est qu’il nous faut être attentifs à l’équilibre financier, à la capacité des entreprises à vivre de manière pérenne, donc à supporter une éventuelle évolution de charges.

M. Boris Vallaud. Ce n’était pas ma question !

M. le secrétaire d’État. C’est pour cela que nous avons proposé que le taux de cotisation soit le même pour tous jusqu’à 1 PASS et, qu’au-dessus, le taux soit réduit pour les indépendants et les professions libérales. Cela s’explique par des éléments objectifs : contrairement aux salariés, ils ne partagent pas les cotisations avec des employeurs.

La commission rejette les amendements.

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*     *

8.   Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 4 à l’article 6)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8708322_5e3bcca02099b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite---systeme-universel-de-retraite-suite-6-fevrier-2020

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8711303_5e3beb1312e79.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-6-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 1 045 amendements ; il nous en reste 19 393 à examiner.

Article 4 (suite) : Champ d’application du système universel de retraite (indépendants et professions libérales)

La commission examine l’amendement n° 3526 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Nous refusons que le code de la sécurité sociale soit modifié de manière à appliquer une telle réforme aux travailleurs indépendants. C’est une rupture avec le programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944, qui visait à assurer des moyens d’existence à tous les citoyens. C’est ainsi que la France a fait le choix, en 1945, de construire un système de sécurité sociale qui couvre la population, avec une affiliation obligatoire qui s’impose aux employeurs, aux salariés et aux travailleurs indépendants.

Par ailleurs, cet article prévoit des mesures de convergence modifiant les assiettes et les taux de cotisation des indépendants, qui ne sont pas connues. Il nous est demandé de signer un chèque en blanc puisque l’article 21 de ce projet de loi prévoit que nous habilitions le Gouvernement à légiférer sur cette question. Le ministre pourrait-il au moins nous éclairer sur l’assiette et les taux de cotisation ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 3543 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Je réitère ma question. Nous ne connaissons pas les assiettes et les taux de cotisation qui s’appliqueront aux travailleurs indépendants. Est-il possible d’avoir des éléments de réponse ? L’article 21 précise que ces taux et cette assiette de cotisations seront fixés par ordonnance, mais le législateur n’est pas du tout éclairé, et même amputé de sa capacité à décider.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les taux sont connus, ils ont été publiés dans le rapport Delevoye.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 3560 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Le rapporteur vient de me répondre que les taux et les assiettes figurent dans le rapport Delevoye. Est-il possible d’avoir un engagement du Gouvernement à reprendre les taux indiqués dans ce rapport dans les futures ordonnances ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les ordonnances sont faites pour organiser la transition, sur une période plus ou moins longue.

Avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Madame Autain, les taux seront fixés par décret, et l’ordonnance interviendra dans le cadre de l’habilitation qui lui sera, je l’espère, donnée par le Parlement. Ces chiffres sont connus : le rapporteur vous renvoyait au rapport Delevoye, vous les trouverez également en page 422 de l’étude d’impact, ainsi que tous les éléments pour répondre à votre question.

M. Pierre Dharréville. Les taux seront fixés par décret et les indications nous sont données ailleurs, dites-vous. Mais nous sommes en train de voter la loi, et nous souhaiterions disposer d’engagements précis de la part du Gouvernement pour que le Parlement puisse prendre une position ferme.

Vous indiquez que la transition sera organisée par voie d’ordonnance, mais nous critiquons justement le nombre élevé d’ordonnances dans ce projet de loi, et le champ extrêmement vaste de l’habilitation. Édouard Philippe a demandé à disposer d’une extrême latitude ; nous pensons que ce n’est pas raisonnable compte tenu de ce que nous savons.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 3577 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Nous demandons systématiquement la suppression de chaque alinéa du texte, même si certains ont pour effet de compenser les méfaits de la réforme, car nous nous opposons globalement à sa logique.

Je cherche la réponse à ma question dans l’étude d’impact, comme vous m’y invitez, mais si l’étude d’impact détermine ainsi la décision à venir du Gouvernement, pourquoi ne pas avoir intégré ces éléments dans le projet de loi, et pourquoi renvoyer cela aux ordonnances ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est la définition même de la distinction entre normes législatives et réglementaires. Le pouvoir législatif définit des principes, un objectif, et vu le nombre de situations particulières dans les différentes professions, il faut recourir aux ordonnances pour régler très précisément chacun des cas, avec le concours du pouvoir réglementaire.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 3594 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le ministre, s’agissant de l’assiette et des taux de cotisation, la discussion est-elle close avec les avocats notamment, qui verront le leur augmenter de 40 % ? C’est une manière d’inciter les moins bien rémunérés d’entre eux, ceux qui s’occupent en particulier des personnes les plus défavorisées, à mettre la clé sous la porte. La décision est-elle arrêtée, le décret qui suivra l’ordonnance entérinera-t-il cette augmentation de 40 % ?

Je prends l’exemple des avocats, mais je serais ravie que vous m’indiquiez d’autres exemples sur lesquels vous pouvez vous engager devant la représentation nationale et les Français.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous allons mettre en place un système universel, ce qui implique un certain nombre de changements pour les uns et les autres, mais dans le cadre d’une approche très graduelle et très progressive.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Le problème est que les explications que vous refusez de nous donner nous plongent dans une incertitude totale, alors que la lisibilité du futur système est l’un de vos arguments principaux de votre réforme. Il y a comme un bug dans la machine...

M. le secrétaire d’État. Je réponds une fois de plus à Clémentine Autain que les taux relèvent du domaine réglementaire, non parce que c’est l’intérêt ou la volonté politique de telle ou telle majorité, mais parce que c’est ainsi que fonctionne notre République.

Quant à l’ordonnance, elle prévoit les modalités de transition, donc l’évolution de l’assiette et des taux, et la possibilité de mobiliser les réserves, dans le cadre d’un échange avec les différentes professions. Comme le disait le rapporteur, les ordonnances ont précisément l’intérêt de laisser de l’espace pour l’échange et la concertation.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 3611 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Vous avez commencé par dire que l’assiette et les taux figuraient à la page 422 de l’étude d’impact, mais vous convenez maintenant qu’ils seront fixés par décret et par ordonnance. C’est une invitation pour ceux qui sont mobilisés, à poursuivre cette mobilisation jusqu’à la négociation des décrets. Les avocats notamment dénoncent l’absence de concertation véritable : ils sont furieux de ne pas avoir été associés à la prise de décision. Si les taux ne sont pas définitivement fixés et que l’étude d’impact ne donne qu’une indication sans valeur réglementaire, pouvez-vous vous engager devant nous à recevoir les avocats et à les associer à la négociation ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. S’il y a un argument que je conteste, c’est celui de l’absence de concertation.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Quels engagements pouvez-vous prendre sur la concertation, à ce sujet et plus généralement ? Vous engagez-vous sur la qualité de cette concertation ? On ne peut dire que vous ayez brillé en la matière depuis le début de cette réforme : nombreux sont ceux qui ont critiqué la qualité de votre écoute et dénoncé une concertation de façade.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3628 de Mme Clémentine Autain et n° 3632 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Allez-vous décider par décret ou par ordonnance ?

Mme Caroline Fiat. Je vous ai trouvé taquin hier soir, monsieur le secrétaire d’État, lorsque vous avez déclaré que si nous avions des questions précises sur l’étude d’impact, vous étiez prêt à y répondre. J’y ai entendu une invitation à vous questionner sur le cas de Marie, l’infirmière. L’étude d’impact fait référence à une infirmière qui gagne 2 500 euros par mois, admettez-vous que cette étude d’impact est faussée ? Aucune infirmière ne gagne actuellement 2 500 euros par mois...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous continuez à proposer la suppression de chaque alinéa, ligne par ligne.

Avis défavorable.

Je précise simplement que le décret fixera les taux, tandis que l’ordonnance fixera les modalités de transition.

M. Olivier Véran. En réponse à Mme Fiat, deux situations sont abordées par les cas‑types, s’agissant des infirmières. L’un de ces cas porte sur les infirmières dans la fonction publique hospitalière. Il reprend précisément la grille indiciaire en vigueur pour le métier d’infirmière, à l’euro près. L’autre cas de figure porte sur les infirmières en secteur libéral. Les 2 500 euros évoqués correspondent à la rémunération brute, ils représentent un revenu de 30 000 euros bruts annuels. En recherchant sur le site de l’assurance maladie ou des syndicats infirmiers, vous trouverez le revenu annuel moyen d’une infirmière libérale. Je ne dis pas du tout que les infirmières sont trop payées : je considère comme vous que c’est plutôt l’inverse. Mais un revenu annuel de 30 000 euros est crédible ; la réalité est même plutôt au-dessus puisque le revenu moyen, avant de payer les charges et les impôts, est de 50 000 euros.

Mme Caroline Fiat. 50 000 ? La vache !

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3645 de Mme Clémentine Autain et n° 3649 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Le rapporteur pourrait-il donner quelques éléments concrets sur les évolutions prévues, notamment la garantie que les retraites ne diminueront pas ? Pourriez-vous nous expliquer comment la situation va se passer en vous fondant sur quelques cas d’indépendants ?

Mme Caroline Fiat. Les travailleurs indépendants sont très inquiets de cette réforme. Des éléments d’information supplémentaire pourraient les rassurer. Ou pas...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. De nombreux travailleurs indépendants ont une protection sociale minimale, d’autant plus fragilisée que la base démographique de certaines catégories est faible. Le régime de retraite universelle est une meilleure assurance pour garantir leur retraite, c’est l’objet de cette réforme.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 3662 de Mme Clémentine Autain et n° 3666 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Prenons le cas des médecins. Une baisse des cotisations est prévue dans leur cas. Faut-il y voir une amélioration de leur situation, ou plutôt un encouragement à la capitalisation ? C’est autant d’argent qui n’ira pas alimenter les caisses communes. Et pour maintenir un niveau de retraite équivalent à celui du passé, ils vont devoir recourir à des assurances privées, donc à de la capitalisation.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Qui dit régime universel et meilleure redistribution dit possibles effets de bords pour certaines professions ou situations. La redistribution amènera peut-être certains à cotiser davantage ou à bénéficier de droits moindres, mais nous l’assumons pleinement : nous souhaitons protéger les plus faibles de nos concitoyens sur la question des retraites.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 3680 de Mme Clémentine Autain et n° 3684 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Je réitère ma question : pouvons-nous avoir quelques exemples concrets pour illustrer l’impact de votre réforme sur les médecins ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous invite à vous reporter à la page 446 de l’étude d’impact.

Avis défavorable.

M. le secrétaire d’État. La pagination de l’étude d’impact n’a pas changé depuis hier soir : les professions libérales sont abordées sur une cinquantaine de pages, numérotées 446 à 497.

Les questions que vous posez sur les professions libérales sont très intéressantes, nous allons les aborder à l’endroit approprié du texte, en l’occurrence l’article 51. J’espère que nous l’atteindrons rapidement pour pouvoir en débattre...

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 3697 de Mme Clémentine Autain et n° 3701 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Le Gouvernement ayant choisi la procédure accélérée, il est fort probable que nous n’aurons pas le temps d’examiner l’article 51.

M. Jean-Jacques Bridey. Mais si !

Mme Clémentine Autain. Cela ne dépend pas de nous, mais du Gouvernement, qui a choisi de passer en force alors qu’il n’y a aucune urgence à légiférer sur les retraites et que le pays est en ébullition.

J’en reviens aux médecins. Je me reporte à la page 446 de l’étude d’impact ; on y trouve la baisse du taux de cotisation, mais ce n’est pas le sujet sur lequel je vous interroge. Après cette baisse, quelle sera la situation ? Pensez-vous que les retraites seront suffisantes ? Quel sera l’effet de la baisse des cotisations versées au régime collectif et qu’en est-il de la capitalisation ?

Mme Caroline Fiat. Il est important de savoir si les médecins vont devoir capitaliser à côté des cotisations au régime général pour maintenir leur niveau de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le principe du travail législatif commande d’aborder les sujets à l’article qui les concerne. Je vous invite à en débattre lorsque nous examinerons l’article 51, alinéa 2.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 3714 de Mme Clémentine Autain et n° 3718 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. La liste des questions sans réponse s’allonge au fil des heures d’examen de ce texte, cela en devient épuisant...

Je vais vous poser une question très simple : votre étude d’impact mentionne le cas type d’un médecin libéral gagnant 3 000 euros par mois. Est-ce que sa pension va baisser ou augmenter ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. N’aurions-nous pas sauté l’amendement qui propose de supprimer l’alinéa 11 et demi ? (Sourires.)

Avis défavorable : nous n’allons pas examiner les propositions de suppression de chaque alinéa, chaque mot, un par un, cela n’a aucun sens. Les explications ont déjà été données sur le mode de fixation des taux et les décrets.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 593 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je ne propose pas de supprimer l’alinéa 12, mais de lui substituer une autre rédaction afin de mettre en cohérence ces dispositions avec le titre IV du livre VI du code de la sécurité sociale, qui porte sur l’assurance vieillesse, invalidité, décès des professions libérales. Je propose de dresser la liste des professions libérales qui continueront à être régies par les régimes de retraite actuels, qui sont bien gérés et contribuent massivement aux autres régimes, et de maintenir également leurs régimes d’assurance invalidité décès propres. Sont notamment mentionnés les médecins, les notaires, les architectes, les artistes, les vétérinaires, les moniteurs de ski, les guides de montagne et les accompagnateurs de moyenne montagne.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Votre amendement illustre précisément la nécessité de recourir aux ordonnances, monsieur Bazin. Vous dressez une liste à la Prévert de professions : médecin, étudiant en médecine, chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien, auxiliaire médical, psychothérapeute, psychologue, ergothérapeute, ostéopathe, chiropracteur, diététicien, notaire, huissier de justice, architecte, architecte d’intérieur, économiste de la construction, géomètre, ingénieur-conseil, maître d’œuvre, artiste non mentionné à l’article L. 382‑1, vétérinaire, moniteur de ski, etc. Nous nous perdrions dans notre travail de législateur en définissant toutes les trajectoires de chacun de ces métiers. Tous ont leur spécificité, et le travail des députés n’est pas d’entrer dans le détail de chacun des six statuts.

M. Thibault Bazin. On utilise généralement les ordonnances pour aller plus vite, pas lorsque le sujet est complexe. Vous pourriez me dire qu’une profession a été oubliée, je suis prêt à l’ajouter. On nous donnait hier des leçons sur les statues qui devaient nous inciter à jouer notre rôle de législateur ; or celui-ci consiste précisément à légiférer, non à déléguer ce pouvoir au Gouvernement. Nous proposons un amendement qui a le mérite de dresser une liste exhaustive plutôt que de renvoyer à une ordonnance. Ces professions sont très inquiètes et attendent une réponse de notre part.

Mme Monique Limon. Les travailleurs indépendants connaissent une grande diversité de régimes, en particulier dans le cas des activités exercées sous le statut de la micro‑entreprise, parfois à titre accessoire, et qui correspondent souvent à des métiers nouveaux. Les frontières d’affiliation entre régimes sont nombreuses et complexes, l’étude d’impact est très claire sur ce point. Nous n’allons pas en décider ici, notre rôle est de fixer le cadre général. Nous défendons la lisibilité tandis que vous défendez la complexité du système.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21526 de M. Pierre Dharréville.

M. Hubert Wulfranc. Cet amendement vise tout simplement à maintenir le régime de retraite des avocats.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà exposées précédemment.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques n° 3731 de Mme Clémentine Autain et n° 3735 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Je poursuis avec l’exemple des médecins. À la page 452 de l’étude d’impact, il est écrit noir sur blanc que pour un médecin de secteur 1 dont le revenu serait de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), le passage au système universel sans convergence des cotisations entre 2025 et 2040 se traduirait par une baisse des pensions de 20 %. Pourriez-vous m’expliquer cette convergence ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’évolution se ferait au rythme d’un quinzième par an pendant quinze ans, donc de manière extrêmement progressive. Compte tenu du contexte économique, cette évolution sera absorbée, d’autant qu’il faut également prendre en compte l’effet de la réduction de l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG) et l’indexation des droits sur les salaires plutôt que sur l’inflation. Au bout de dix ans, tout cela ne sera que de l’écume, et nous aurons le temps d’affiner les trajectoires d’évolution.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Le Gouvernement aurait pu retenir un autre système, dont nous avons déjà discuté, consistant à définir trois grandes catégories dont les règles seraient uniformisées : un régime commun aux professions libérales, un régime commun à la fonction publique et un troisième pour les salariés du privé. On aurait ainsi couvert toutes les situations en conservant la particularité de chacun. Cette architecture aurait probablement été mieux comprise et adaptée à la situation réelle du pays. Tous ces alinéas que propose de supprimer le groupe La France insoumise font défiler des professions pour lesquelles vous aller parfois devoir créer des régimes dérogatoires.

Enfin, s’agissant des ordonnances et de la fixation des taux, il est assez naturel d’avoir, de temps en temps, des précisions sur les dispositions qui seront prévues dans ces boîtes noires. Nous sentons bien que beaucoup de choses restent encore soumises à ce que vous appelez la concertation, mais cela fait deux ans que vous êtes censés être en concertation, pas deux mois : il est naturel que les parlementaires exigent d’avoir une vision claire de ce qui sera prévu par les ordonnances.

Mme Clémentine Autain. Le rapporteur estime que la convergence n’est que de l’écume, mais l’écume à 20 %, ce n’est pas tout à fait rien... Un collectif rassemblant cinq syndicats de médecins a réalisé un comparatif de la réforme avec l’appui d’un économiste. Selon leurs résultats, un médecin de secteur 1, qui ne facture pas de dépassements d’honoraires, perçoit 4 227 euros de retraite dans le système actuel. Il ne toucherait plus que 2 825 euros dans le système universel. Ce n’est pas que de l’écume ! Certes, ses cotisations de CSG vont baisser de 7 000 euros par an, mais il perdrait 21 000 euros de l’autre côté.

Les médecins connaissent le système par points, ils en subissent déjà le principe. La valeur du point sera déterminée par l’État...

M. Jean-Paul Mattei. Non, pas par l’État !

Mme Clémentine Autain.... et les retraites vont servir de variable d’ajustement : c’est déjà le cas avec l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, une enveloppe contrainte votée chaque année dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Boris Vallaud. Depuis hier, nous avons compris la nouvelle stratégie de la majorité : après les deux ans de concertation et le débat parlementaire, il y aura une troisième mi-temps...

La seule démonstration que vous êtes en train de faire, c’est que vous n’êtes pas prêts, vous ne savez pas où vous allez. Vous ne pouvez pas renvoyer aux décrets futurs, à l’étude d’impact ou aux concertations pour ne pas répondre à la représentation nationale.

La représentation nationale n’est pas éclairée. Elle l’aurait été si vous aviez accepté, dans le cadre d’une commission permanente, la nomination d’un rapporteur qui aurait réalisé l’évaluation de cette étude d’impact au bénéfice de tous. Vous ne l’avez pas fait, escamotant un peu plus les droits du Parlement, en particulier de l’opposition.

Arrêtez de répondre que l’on verra plus tard, nous ne pouvons pas fonctionner comme ça ! Si vous n’êtes pas prêts, retirez votre réforme et nous nous reverrons plus tard !

M. Jean-Jacques Bridey. Nous sommes prêts !

Mme Clémentine Autain. Votre projet de loi est insincère !

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 3748 de Mme Clémentine Autain, n° 3752 de Mme Caroline Fiat et n° 12939 de M. Stéphane Peu.

Mme Clémentine Autain. C’est ahurissant. Nous avons parlé des avocats et des médecins, mais l’amendement de nos collègues Les Républicains dressait la liste de toutes les professions concernées ; vous êtes incapables de nous répondre de façon précise sur le sort de très nombreuses catégories de la population.

Page 453 de l’étude d’impact, vous présentez différents cas pour les médecins. Peut‑on au moins savoir sur quel âge de départ en retraite ils sont calculés ? Vous vous fixez sur l’âge d’équilibre à 65 ans, mais il n’est pas du tout garanti. En cas de crise financière, la barre des 65 ans aura vite fait de passer à 67 ans... C’est insensé !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous raisonnez comme si rien ne changeait par ailleurs. Les trajectoires de cotisation de certaines caisses de professions libérales ont évolué ces dernières années : le rendement a parfois baissé, ou le taux de cotisation a augmenté. Vous êtes les seuls à imaginer que si l’on ne faisait rien, les choses resteraient en l’état ; or la base démographique notamment peut poser difficulté.

Monsieur Vallaud, ce que nous sommes en train de faire, personne ne l’a jamais fait avant nous. Placer l’ensemble de nos concitoyens sous un même régime est un chantier d’ampleur, il faut réajuster et affiner les trajectoires en permanence.

Enfin, s’agissant des médecins, je trouverais paradoxal que les acteurs qui vivent grâce à ce système de protection sociale, comme les infirmières, soient exonérés de cette réforme. On ne peut pas avoir un pied dedans et un pied dehors selon ses intérêts ; le régime universel doit s’appliquer à tous.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vos propos confirment notre conviction : vous n’êtes pas prêts, ce projet de loi n’est pas fini et il mérite encore beaucoup de travail avant d’être discuté au Parlement. Vous dites qu’il faut ajuster le projet, mais nous ne pouvons faire preuve d’autant de légèreté en légiférant sur des sujets de cette importance, d’une telle complexité. Vous dites que la situation ne va pas rester en l’état et que le système doit évoluer dans tous les cas, nous le disons aussi, et nous avons fait de nombreuses propositions en la matière. Mais il n’est pas sérieux de continuer dans cette voie, nous n’avons pas les éléments nous permettant de juger. Vous devriez nous présenter un projet de loi complet, sans renvoyer à vingt-neuf ordonnances et je ne sais combien de décrets dont nous ne connaissons pas le contenu.

M. Boris Vallaud. Nous avons auditionné les organisations syndicales la semaine dernière : dans le temps de parole qui leur était accordé, elles ont fait part d’un nombre effarant de questions pendantes.

Ma question est simple : qu’avez-vous fait pendant deux ans et demi ? Qu’avez-vous fait pour que nous soyons dans cette situation ? Si vous n’êtes pas prêts, reconnaissez-le ! Mais vous ne pouvez pas nous dire : ne vous occupez de rien, nous nous occuperons de tout. Ce n’est pas notre conception d’un débat parlementaire de qualité.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 3765 de Mme Clémentine Autain, n° 3768 de M. Alexis Corbière et n° 3769 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Vous travaillez à ce projet de réforme depuis deux ans et demi, mais vous n’avez pas de réponse aux questions précises et importantes que nous vous posons, et qui concernent de nombreux concitoyens. On a l’impression d’être face aux Pieds nickelés !

M. Jacques Maire. Un peu de respect !

M. Patrick Mignola. Moi, j’aime bien la bande dessinée...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Évitons de recommencer dans les invectives. Et cela vaut pour tout le monde.

Mme Clémentine Autain. Le projet étant assez peu préparé et les Français très inquiets, pourquoi le recours à un référendum n’est-il pas envisagé par le Gouvernement ? Cela permettrait de calmer les choses et d’avoir un grand débat national sur un enjeu majeur, un des piliers du système de sécurité sociale.

M. Alexis Corbière. Nos amendements ont pour but de supprimer l’alinéa 15. Nous ne voulons pas que le code de la sécurité sociale soit modifié pour rendre applicable cette réforme.

Au vu de nos échanges et de l’indiscutable enlisement de la situation, je parlerais de coup de force : les conditions d’un bon travail ne sont à l’évidence pas réunies. Personne n’a lu votre étude d’impact de 1 000 pages. C’est impossible, ayons l’honnêteté de le reconnaître ! Adressons-nous au peuple souverain pour trancher cette question démocratiquement. Sur un sujet aussi important, il faut donner la parole au peuple.

Mme Caroline Fiat. On parle souvent des déserts médicaux. Lundi 3 février, les blouses blanches – médecins, podologues, kinésithérapeutes, etc. – manifestaient aux côtés des blouses noires. N’êtes-vous pas inquiets ? Ne craignez‑vous pas de faire fuir les étudiants de ces belles professions, alors que des problèmes de recrutement se posent déjà ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il faut porter une attention spécifique aux futurs étudiants en médecine. Nous avons supprimé le numerus clausus pour résoudre le problème des déserts médicaux, mais cela ne fera effet que dans douze ans ; à ce stade, le nombre d’étudiants est satisfaisant. Par ailleurs, la ministre de la santé mène une politique d’amélioration de l’attractivité dans certains territoires. Le problème n’est donc pas là.

Notre objectif ici consiste à intégrer tout le monde au système universel ; une telle réforme suppose également de s’attacher à rapprocher les trajectoires et d’apaiser les transitions. On reproche souvent aux politiques de réagir dans l’instant : nous avons pris le temps de définir un cadre, afin de donner au pays un cap, à sept ou huit ans pour commencer, puis à quinze ou vingt ans pour chacune des professions libérales.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Nous contestons l’opportunité même de créer un système universel, que nous jugeons inutile et inefficace. Évidemment, il faut continuer à mettre de l’ordre, mais un système qui arase les caractéristiques professionnelles ne pourra que reproduire des exceptions ; vous avez déjà commencé à le faire. Cette architecture très centralisée – et très française – est souvent dangereuse. Vous pouviez faire autrement, plus efficace et plus utile.

M. Jean-Paul Mattei. Pendant trente ans, j’ai analysé l’évolution des professions libérales. Les retraites ne constituent pas la priorité des jeunes professionnels, mais ils ont besoin de plus de visibilité. Or ils n’en ont pour l’instant aucune. C’est pourquoi je suis convaincu que c’est une très bonne réforme.

Bien évidemment, l’étude d’impact ne peut pas nous apporter de précisions à l’horizon de vingt ou trente ans. Les professions libérales recouvrent différents statuts – individuels, sociétés d’exercice libéral, etc. –, elles peuvent opter ou non pour l’impôt sur les sociétés : rien n’est figé, et c’est heureux. Les statuts ont d’ailleurs évolué ces dernières années.

Monsieur Vallaud, vous nous reprochez de ne pas être préparés : je ne suis pas d’accord avec vous. Nous mettons en place un outil pour l’avenir, qui nous permettra de clarifier les statuts des professions libérales.

M. Olivier Véran. La réforme porte en elle la possibilité de changer l’âge d’annulation de la décote. Un médecin libéral commençant à travailler à 24 ans prendra sa retraite à 67 ans ; l’annulation de l’âge de la décote lui permettra de la prendre à 65 ans, voire 64 ans. Aujourd’hui, un médecin libéral qui intègre le régime universel est assuré de pouvoir prendre sa retraite plus tôt ; ce sera le cas pour d’autres professions libérales. Il arrive à l’inverse que des indépendants, des entrepreneurs, n’aient pas nécessairement envie de passer la main à 65 ou 66 ans ; parfois, ils n’ont pas trouvé de successeur. Ils auront également la possibilité de prendre leur retraite plus tôt grâce à l’annulation de l’âge de la décote. On ne parle pas beaucoup de cette mesure, sans doute parce qu’elle est positive pour les Français.

M. Boris Vallaud. Je comprends que cette loi définit les objectifs de l’action de l’État en matière d’assurance vieillesse, de retraite. Pourquoi alors prévoir de renvoyer à vingt-neuf ordonnances et à cent décrets ? Cela aurait dû faire l’objet d’autres textes, d’autres lois ordinaires. S’il s’agit simplement de fixer le cadre et les objectifs de l’action de l’État, c’est autre chose : cela s’appelle une loi de programmation. Vous vous êtes trompés de procédure.

S’agissant des avocats, vous avez dit que l’assiette et le taux seraient fixés par décret et que tout était expliqué dans l’étude d’impact. Quel calendrier avez‑vous en tête ?

Mme Caroline Fiat. Vous avez mis fin au numerus clausus, mais sans ouvrir de postes d’enseignants ni d’amphithéâtres : on n’est pas près d’avoir des résultats !

Vous prenez le temps, dites-vous, monsieur le rapporteur ; quel dommage alors d’avoir choisi une procédure accélérée !

Monsieur Véran, vous me parlez des médecins, qui adoreront ce système. Moi je vous parle de mon kinésithérapeute, qui va fermer son cabinet et ne recommandera à personne de choisir sa profession.

M. Pierre Dharréville. L’idée de la réforme des retraites avait été évoquée pendant la campagne électorale. Un haut-commissaire a été nommé pour réfléchir, discuter et organiser des concertations. Après un an et demi à deux ans, vous avez décidé de passer à la phase opérationnelle. Comment avez-vous pu ne pas voir que cela provoquerait autant de rejets, de fractures et de mobilisations ? Sans doute n’avez-vous pas suffisamment écouté pendant les deux années de concertation. Vous auriez ainsi pu vous rendre compte que cette idée n’était finalement peut-être pas si bonne, et revoir votre projet. Mais vous avez décidé de continuer quand même... Un peu de pragmatisme ne vous aurait pas nui.

La commission rejette les amendements.

Enfin, elle adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 : Champ d’application du système universel de retraite (agricoles)

La commission est saisie des amendements de suppression n° 549 de M. Sébastien Jumel, n° 3919 de Mme Clémentine Autain, n° 3922 de M. Alexis Corbière,  3923 de Mme Caroline Fiat et n° 21088 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. Vous nous dites que vous avez pris le temps, monsieur le rapporteur, mais le problème, c’est que nous, parlementaires, nous n’allons pas le prendre. Je ne suis pas sûr que cette formule doive continuer à prospérer chez vous...

L’article 5 prévoit que le système dit universel de retraite s’applique aux salariés et exploitants agricoles. Le passage à un système à points ne se justifie pas pour relever les droits des retraités agricoles. D’ailleurs, vous ne prenez aucune disposition pour relever ceux des retraités actuels. Nous avons formulé des propositions qui permettraient de le faire immédiatement ; vous les avez repoussées. C’est une très mauvaise manière de procéder. D’où notre amendement de suppression n° 549.

Mme Clémentine Autain. Nous connaissons les difficultés actuelles des retraités relevant du régime des exploitants agricoles. La faiblesse de leurs pensions est la conséquence directe de celles de leurs revenus et des cotisations ; or cette faiblesse est structurelle, car elle s’inscrit dans la politique agricole globale que nous contestons. Selon une étude publiée par la Mutualité sociale agricole (MSA) en 2017, 30 % des agriculteurs gagnaient moins de 350 euros par mois. Cela fait froid dans le dos et les conséquences en sont terribles : les suicides sont de plus en plus nombreux. Cette catégorie, dont le rôle est fondamental, est plongée dans une immense détresse.

M. Alexis Corbière. Rien n’oblige à instaurer ce système pour augmenter les pensions de retraite des agriculteurs. Au cours des débats qui ont précédé la présentation de cette réforme, beaucoup de choses fausses ont été dites. Le problème ne concerne pas tant les salariés du secteur agricole que les exploitants eux-mêmes. Vous avez rejeté des propositions permettant de revaloriser leurs pensions dans le cadre du système actuel. Contrairement à vos affirmations, le système que vous proposez met en danger les retraites en général et apporte une aide peu significative à ceux dont vient de parler Clémentine Autain, aux prises avec les situations dramatiques.

M. Boris Vallaud. À la fin du précédent quinquennat, les députés avaient adopté à l’unanimité, toutes sensibilités politiques confondues, la proposition de loi d’André Chassaigne portant à 85 % du SMIC le niveau des retraites agricoles, immédiatement et même pour ceux qui étaient déjà retraités. Au Sénat, toutes les familles politiques étaient décidées à satisfaire à cette mesure de justice. Le Gouvernement, par une motion de procédure assez abjecte, y avait fait échec en la renvoyant à la réforme des retraites. Cette réforme est désormais là, mais elle ne concerne pas ceux qui sont déjà à la retraite. Des parlementaires de la majorité me répondent qu’il existe un minimum vieillesse : ce n’est pas la même chose. Rien ne dit que la promesse du Gouvernement sera tenue.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous avoue être surpris. Lorsqu’il s’agissait les avocats, mesdames et messieurs les députés de La France insoumise, vous avez défendu des amendements de suppression ligne à ligne, preuve sans doute de l’intérêt, légitime, que vous témoignez à cette profession. Mais lorsqu’il s’agit des professions agricoles, vous ne défendez qu’un seul amendement... Les agriculteurs ne semblent pas être au cœur de vos préoccupations quotidiennes.

Vous avez beau jeu d’évoquer leur mal-être mais je peux vous rappeler le discours qu’a tenu votre collègue M. Bastien Lachaud lors des États généraux de l’agriculture à propos des éleveurs : « Les vaches deviennent sourdes à force de beugler quand on les sépare de leurs petits. » Ce genre de phrases a beaucoup plus d’impact sur les agriculteurs que vos prétendues considérations. L’attention, cela se manifeste au quotidien, et non à coups de grandes déclarations.

Dans le secteur agricole, c’est un système à points intégral qui sera appliqué, sur l’ensemble de la carrière ; il ne sera pas proportionnel, mais très redistributif. Par ailleurs, nous n’avons pas attendu la réforme pour essayer de pallier les difficultés des exploitants agricoles.

Pour ce qui est du minimum de retraite, monsieur Vallaud, nous ne réglons pas le problème du stock, c’est vrai. Mais ce sera chose faite non pas dès 2022.

M. Boris Vallaud. Dès 2022 !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous étiez aux responsabilités précédemment : vous n’avez pas bougé d’un poil !

M. Boris Vallaud. Je ne le nie pas.

Mme Valérie Rabault. Attaquer un collègue absent, ce n’est pas très réglo, monsieur le rapporteur...

Concernant les agriculteurs, le ministre ne m’a pas répondu la semaine dernière. La pension minimale de 1 000 euros ne sera versée que si l’on a cotisé au niveau du SMIC toute sa carrière. Combien d’agriculteurs dégagent suffisamment de revenus pour cotiser à ce niveau ? Moins de la moitié, alors ne venez pas nous raconter d’histoires ! Plus de la moitié des agriculteurs ne percevront jamais 1 000 euros de retraite par mois.

Depuis deux ans et demi, vous aviez la possibilité de faire voter par le Sénat la loi portant la retraite agricole à 85 % du SMIC pour une carrière complète : pourquoi vous ne l’avez pas fait ? Qu’attendez-vous ? Vous voulez prendre votre temps, mais là, il y a urgence !

Vous dites également que rien n’a été fait avant vous : les deux seuls qui ont augmenté la retraite des agriculteurs sont Lionel Jospin en 2000 et François Hollande en 2013 ; ils ont accordé des points de retraite gratuits pour augmenter leurs pensions. Vous pouvez dire que ce n’est pas assez. Le jour où vous aurez fait autant qu’eux, vous aurez droit aux commentaires !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Rabault, on ne parle pas sur ce ton. Tout le monde a le droit de faire des commentaires, et de s’exprimer comme il l’entend.

M. Pierre Dharréville. Comme cela a été rappelé, André Chassaigne avait formulé une proposition de loi qui avait largement rassemblé ; vous l’avez repoussée sans apporter les réponses promises. Nous attendons toujours des engagements de la part du Gouvernement en la matière. Pour ma part, je propose de supprimer la décote. L’argument évoqué par Olivier Véran s’éteindra rapidement : l’âge d’équilibre évoluera, pour atteindre 66,5 ans pour la génération née dans les années 1990.

M. Alexis Corbière. Il n’est effectivement pas très élégant de s’adresser à des députés absents. Vous, monsieur le rapporteur, vous êtes bien présent : vous répondez complètement à côté de la plaque. Nous avons déposé des amendements sur chaque alinéa : votre effet de manche en défense des agriculteurs, qui auraient été injustement négligés par La France insoumise, tombe à plat.

Par ailleurs, le 28 janvier dernier, le ministre Didier Guillaume a laissé entendre dans l’hémicycle que les pensions des agriculteurs retraités, actuellement très basses, ne seraient pas revalorisées dans le cadre de l’actuelle réforme. Un représentant de la Confédération paysanne, un agriculteur donc, Francis Enjalbert, a quant à lui déclaré : « Ce qu’affirme le Gouvernement sur les agriculteurs, qui seraient les premiers bénéficiaires de la réforme des retraites, est un mensonge. » Nous continuons à demander la suppression de ces dispositions, alinéa par alinéa. Mais sans doute est-ce la fatigue, monsieur le rapporteur, je vous suggère d’aller boire un petit café...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Corbière, votre remarque n’est pas gentille : nous ne sommes pas plus fatigués que vous.

M. Olivier Véran. Nos travaux avaient bien démarré ce matin ; sans vouloir être provocateur, je préfère nettement La France insoumise à La France insolente.

M. Alexis Corbière. Vous êtes un arrogant !

M. Olivier Véran. Je peux vous donner du temps de parole si vous voulez crier, monsieur Corbière.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous en prie ! Les invectives personnelles n’intéressent personne.

M. Alexis Corbière. Ce ne sont pas des invectives, c’est un constat !

M. Olivier Véran. Monsieur Corbière, vous êtes arrivé il y a 10 minutes et depuis, la tension est montée de trois crans. C’était la même chose hier ! Vos collègues se comportent de manière remarquable depuis ce matin ; mon commentaire était plutôt un compliment pour eux qu’une attaque contre vous.

Monsieur Vallaud, on peut considérer qu’une pension de 1 000 ou de 1 040 euros est insuffisante pour un agriculteur qui a cotisé toute sa vie. On peut avoir la même sensibilité que vous sur ce qu’on appelle le stock, c’est-à-dire des agriculteurs déjà retraités qui ne pourraient pas bénéficier du minimum contributif ; nous devons travailler à ce problème, notamment avec les collègues du MoDem, qui y sont sensibles. On peut l’évaluer et l’expertiser d’ici au prochain budget de la sécurité sociale.

Dans les comptes rendus du débat en 2013 figurent les propos suivants, tenus tant par Arnaud Robinet pour Les Républicains que par Marisol Touraine pour le Parti socialiste : « Il serait tout à fait normal que les plus modestes des chefs d’exploitation agricoles voient leurs pensions portées à 75 % du SMIC d’ici à 2017. » On peut considérer que 85 % du SMIC, ce n’est pas suffisant, mais c’est tout de même 10 % de plus que les 75 % adoptés en 2013...

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 3953 de Mme Clémentine Autain, n° 3956 de M. Alexis Corbière et n° 3957 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Nous avons déposé des amendements de suppression de façon méthodique ; il n’y a donc pas de désintérêt vis-à-vis des agriculteurs, contrairement à ce que vous affirmez. En revanche, nous n’avons pas la même façon que vous de considérer le sujet : pour nous, augmenter les revenus des agriculteurs est le meilleur moyen de leur assurer une pension correcte. Cela suppose une refonte totale de la politique agricole.

Ces amendements concernent les conjoints des agriculteurs, bien souvent des agricultrices mais qui ne sont pas reconnues comme telles et sont donc invisibilisées. Pour bénéficier du statut de collaborateur, les règles actuelles sont très complexes : tout dépend du bon vouloir de l’exploitant agricole. Nous proposons qu’un rapport non truqué soit remis au Parlement sur la création d’un service rattaché à la Caisse nationale de retraite universelle, ayant pour fonction de s’assurer que tous les conjoints d’exploitants sont bien déclarés et cotisent pour leur retraite.

M. Alexis Corbière. La question du conjoint de l’exploitant est fondamentale ; malheureusement, elle n’est pas traitée dans votre projet. Notre amendement propose donc de mener une étude, afin de pouvoir par la suite légiférer pour améliorer les conditions de retraite des agriculteurs.

Mme Caroline Fiat. On nous a beaucoup taquinés sur nos amendements de suppression ; vous reconnaîtrez qu’il s’agit bien cette fois d’une proposition de bon sens, que je vous invite tous à voter.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je partage votre interrogation sur le statut des conjoints, qui sera abordé à l’article 20. Cependant, ma réflexion n’est pas encore aboutie : le statut de conjoint d’exploitant, depuis qu’il a été mis en place, a permis la création d’une protection sociale pour les conjoints d’agriculteurs – essentiellement des conjointes. Le problème, c’est qu’il a tendance à maintenir une forme de déséquilibre entre les hommes et les femmes. Je discute avec le ministère de l’agriculture d’une limitation dans le temps de ce statut ; l’idée est de permettre l’installation progressive du conjoint dans l’exploitation. Ce statut a certes permis la création d’une protection, mais il maintient parfois des femmes dans une situation de dépendance ; les évolutions sociétales valent aussi pour les agriculteurs, et une séparation à 45 ans, par exemple, peut plonger la conjointe dans une extrême précarité en termes de droits à la retraite. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’article 20.

En attendant, avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je vous avais interrogé il y a peu sur la façon dont se passerait la transition pour les avocats. Je n’ai pas eu de réponse en séance, mais heureusement, les dépêches AFP nous permettent de savoir ce que dit Mme Belloubet. Il faudrait savoir qui conduit quelle discussion, et à quoi nous servons lorsque nous débattons ici.

M. Jean-Paul Mattei. L’article 5 quinquies de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») contient déjà des dispositions en faveur des conjoints. La majorité ne vote pas que de mauvais textes... Je souscris aux propos du rapporteur, même si on peut évidemment s’interroger sur le coût que représenterait la prise en compte des conjoints des agriculteurs dans le système de retraite.

Mme Clémentine Autain. Nous lisons à l’instant la dépêche de l’AFP, dans laquelle Mme Belloubet annonce qu’il n’y aura pas d’augmentation de cotisation pour les avocats jusqu’en 2029. Il est assez effrayant de constater que cette annonce intervient au moment même où nous débattions de cette question. Le niveau de non-réponse dans cette commission et d’impréparation du Gouvernement est hallucinant. Nous confirmez-vous l’annonce de Mme Belloubet ?

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 3936 de Mme Clémentine Autain, n° 3939 de M. Alexis Corbière et n° 3940 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement a pour but de demander au Gouvernement de remettre un rapport pour améliorer concrètement la situation des agriculteurs et des agricultrices en agissant sur leurs revenus supplémentaires. Nous proposons plusieurs points que nous voudrions voir mis à l’étude, dans une logique de transition écologique dont les agriculteurs sont des acteurs essentiels : subventions destinées à compenser les investissements et autres coûts générés par la transition écologique de l’agriculture ; rémunération de services spécifiques fournis à la société par l’agriculture écologique ; soutien au revenu des exploitations agricoles situées en zones défavorisées ; soutien à l’installation de nouveaux agriculteurs ; soutien aux réseaux d’appui à la transition écologique ; soutien à la transition du système alimentaire, y compris via des dotations à la restauration collective. Autant de pistes décisives que nous mettons sur la table, afin de permettre le basculement qui s’impose.

M. Alexis Corbière. Mon amendement est défendu.

Mme Caroline Fiat. À défaut de pouvoir dépenser de l’argent, nous proposons que l’on nous remette un rapport détaillant les améliorations qui permettraient une hausse des revenus des exploitants agricoles et l’instauration d’un revenu minimum garanti. Ces revenus supplémentaires pourraient ainsi assurer des pensions correctes, mais également accélérer la transition écologique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est certain que notre société est traversée de nombreuses difficultés. La pension de retraite est parfois le reflet de complications survenues au cours d’une carrière : les écarts de salaire entre hommes et femmes, les faibles revenus des agriculteurs, etc. Mais si le système universel corrige certaines inégalités, il n’a pas vocation à régler toutes les difficultés accumulées à ce jour. Nous devons parallèlement œuvrer à résoudre ces problématiques, mais cette commission n’est pas le lieu pour ce faire. Défavorable.

M. Patrick Mignola. Nous avons été quelques-uns, tous groupes confondus, à rencontrer des avocats dernièrement. J’avais reçu l’information relatée dans la dépêche AFP, non par le Gouvernement, mais par les avocats eux-mêmes, dans le cadre des négociations conduites avec la ministre.

La majorité a assumé de laisser de la place dans ce texte à la démocratie sociale et aux discussions bilatérales légitimes entre le Gouvernement et les professions. Au cours des prochains jours, nous pourrons remplir les places ainsi laissées et inscrire « dans le dur » les avancées sur la retraite progressive ou la pénibilité, de même que les solutions à trouver pour les avocats.

Les propositions décrites dans cette dépêche avaient été présentées il y a une dizaine de jours, lors des premières réunions. Elles ont été réitérées par le Premier ministre, précisées et discutées. À l’évidence, les informations ne redescendent pas toujours à certains parlementaires ni à tous les représentants des avocats. Il est temps qu’elles soient connues de tous, afin de faire redescendre la pression et de calmer les inquiétudes.

M. le secrétaire d’État. Je ne doute pas que Boris Vallaud suit de très près les concertations avec les avocats et que, s’il ne participe pas à toutes les réunions, il est régulièrement mis au courant des communiqués de presse et des échos des discussions avec les professions – à moins de supposer que les restitutions qui lui ont été faites étaient incomplètes.

La caisse des avocats anticipe les évolutions démographiques et a déjà prévu des augmentations de cotisations, qui perdureront jusqu’en 2029. Il est sans doute judicieux de ne pas ajouter d’autres augmentations de cotisations et de prévoir, en concertation avec les avocats, à quel moment d’éventuelles évolutions devraient se faire sentir. Tout cela était déjà bien connu de tous, et pas seulement de la représentation nationale. Le but est de faire en sorte que les professions concernées trouvent leur place dans le système universel de retraite tout en préservant leurs spécificités, tout comme le souhait de maintenir une péréquation importante entre les plus hauts et les plus bas revenus dans le cadre de la retraite.

Enfin, nous avons longuement insisté hier sur la nécessité de maintenir une viabilité économique pour toutes les professions libérales, avec notamment le changement d’assiette de CSG : il était normal que ce sujet fût également abordé, pour les avocats comme pour les autres professions libérales.

Mme Valérie Rabault. Nous ne pouvons pas travailler de façon éclairée sans éléments chiffrés et précis. Vous dites, monsieur le secrétaire d’État, qu’il y aura des compensations de CSG : en rajoutant un tuyau, vous complexifiez les choses. Pourriez-vous nous donner le bilan financier global, une fois l’assiette changée et la CSG intégrée ? Par ailleurs, l’État compensera-t-il ce manque à gagner pour les caisses de sécurité sociale ?

M. Gilles Carrez. On voit bien la difficulté de tout unifier et de mettre en place un système qui englobe l’ensemble des caisses autonomes. Les indépendants, dont les régimes spécifiques sont souvent excédentaires, vont subir des augmentations de cotisations sans pour autant voir leurs droits à la retraite augmenter. Cela crée beaucoup d’anxiété.

Le Gouvernement serait bien avisé de s’inspirer de nos propositions, beaucoup plus raisonnables et réalistes. Il s’agirait de créer un socle commun jusqu’à une fois le PASS, rassemblant fonctionnaires, salariés du privé et indépendants, et de maintenir les régimes autonomes au-delà. Chacune de ces professions a ses spécificités : en conservant les caisses complémentaires, on lève les inquiétudes, on évite les problèmes de compensation de CSG. Je ne comprends pas cette volonté, du reste très française, de centralisation, d’étatisation, d’unification, d’uniformisation, parfaitement contraire à l’histoire du système de retraite par répartition.

Mme Clémentine Autain. On comprend que les avocats soient particulièrement mobilisés : le projet de loi prévoit de doubler les cotisations, qui seraient portées de 14 % à 28 %, ce qui n’est pas rien pour une profession qui gagne en moyenne moins de 40 000 euros par an. Les pensions les moins élevées, qui atteignent 1 400 euros, pourraient passer à 1 000 euros, un niveau très bas.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous aviez expliqué que les choses étaient très claires puisque gravées dans le marbre de l’étude d’impact ; vous dites maintenant qu’elles changent sous l’effet de la négociation. Franchement, on n’y comprend plus rien ! Je voudrais poser une question précise concernant la Caisse nationale des barreaux français, dont Mme Belloubet explique qu’elle aura une délégation de gestion. L’objectif, s’il n’est pas affiché, paraît clair : en mettant la caisse sous tutelle, vous pourrez récupérer les 2 milliards de réserves et les injecter dans le système général. Cela ne serait pas constitutionnel et s’apparenterait à une nationalisation, ce qui est assez amusant et quelque peu contraire à votre logique libérale !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3799 de Mme Clémentine Autain, n° 3802 de M. Alexis Corbière et n° 3803 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous devait améliorer la condition des agriculteurs mais avec le recul, on constate qu’elle n’a absolument pas dopé leurs revenus. La situation reste dramatique. Un agriculteur sur deux partira à la retraite d’ici à 2026, le modèle actuel n’attire absolument pas les jeunes et les deux tiers des agriculteurs risquent tout simplement de ne pas être remplacés. Je continue de plaider pour une refonte du modèle agricole, une relocalisation des productions avec l’installation de circuits courts, des prix planchers et une sortie planifiée de l’usage des pesticides – l’inverse exact de la politique que vous menez.

M. Alexis Corbière. Je voudrais revenir sur la situation des avocats car nous découvrons, en séance, les annonces de la ministre selon lesquelles il n’y aura pas d’augmentation des cotisations des avocats. Je m’interroge sur notre travail de législateur. À quoi tout cela sert-il ? Notre discussion est en fait suspendue à la négociation entamée par la garde des sceaux. Tout cela participe d’une dévalorisation du travail parlementaire ; on s’aperçoit que ce n’est pas ici que les décisions se prennent et c’est regrettable.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le rapporteur, vous avez laissé entendre que le sujet des exploitants agricoles ne comptait pas pour nous. Je trouve cela décevant de votre part, et pas très cordial.

Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez mon attachement à votre simulateur de parcours. Je pense y avoir détecté un gros bug : Thomas, agriculteur, gagne 1 000 euros par mois mais percevra 1 899 euros de retraite. Si cela s’avère juste, les exploitants seront très favorables à votre réforme ; je crains pourtant qu’ils ne soient déçus...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ce qui vient de se passer est assez révélateur : alors que nous parlions des agriculteurs, dont la situation est très compliquée, la discussion a de nouveau glissé sur les avocats, et a duré 20 minutes. On voit bien qu’il y a deux poids, deux mesures. Le minimum serait que notre assemblée accorde son attention aux agriculteurs, alors que nous sommes en train d’examiner l’article qui leur est consacré.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 3816 de Mme Clémentine Autain, n° 3819 de M. Alexis Corbière et n° 3820 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Pour commencer, nous n’avons aucune réponse aux questions que nous posons sur les agriculteurs. Et si nous revenons sur le sujet des avocats, c’est que la garde des sceaux fait des déclarations qui influent l’examen du texte, alors même que nous travaillons en commission. Pardonnez-nous de nous intéresser à l’actualité !

Ce qui est prévu pour la période transitoire soulève bien des questions. La ministre explique qu’il n’y aura pas d’augmentation des cotisations d’ici à 2029 car l’assiette des cotisations hors retraite diminuera. Nous aimerions savoir quelles en seront les conséquences pour les autres branches assurantielles. Cela signifie-t-il que l’on ponctionnera dans les réserves du régime maladie ? Les autres cotisations seront-elles compensées par les réserves que les avocats se sont constituées ? Les 2 milliards d’euros dans leur caisse ne sont pas prévus pour cela. Nous aimerions que des réponses précises soient apportées aux questions que nous posons.

M. Alexis Corbière. Quand bien même vous vous laisseriez convaincre par le rapporteur en pensant que je méprise les agriculteurs, admettez qu’il est pour le moins singulier que des ministres fassent des annonces aussi importantes sur la réforme des retraites alors que nous sommes en train de plancher sur le texte ! Nous nous interrogeons sur l’utilité du travail parlementaire, d’autant que nous n’obtenons pas de réponses aux questions que nous posons. Force est de constater que ce n’est pas ici que les choses se décident, et c’est assez désagréable.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement vise à supprimer l’alinéa 2 car nous refusons de voir modifier le code rural et de la pêche maritime. De fait, cet article ne concerne pas que les exploitants agricoles, mais aussi les marins-pêcheurs, chers à M. Jumel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Hier, des communiqués de presse évoquaient déjà les taux de cotisation. Il est probable qu’il y ait la semaine prochaine des annonces sur la pénibilité parce que les discussions auront avancé, ou de nouveaux éléments concernant une autre profession : c’est le principe même de la concertation et du temps de transition.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Nous sommes disposés à intervenir sur le sujet sur lequel porte l’article, encore faudrait-il que nous obtenions les réponses au même moment, cela éviterait de décaler les propos. Vous pouvez trouver toutes les vertus à cette méthode, mais il aurait été bien que vous alliez au bout des négociations avant que la représentation nationale, en conscience, se prononce sur un texte achevé, pas sur un texte à trous. Les Français ont pourtant droit, à travers leurs représentants, à un débat parlementaire de qualité – ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

M. Pierre Dharréville. L’inquiétude perdure s’agissant des agriculteurs. Aucune solution n’est proposée aux retraités actuels, et nombreux sont ceux qui seront touchés par les mesures proposées. S’agissant de l’avenir de la MSA, comment poursuivra-t-elle son action ? On assiste à un découpage de ses missions, jusque-là pleinement intégrées, comme c’est le cas pour le régime général. Je voudrais en savoir davantage sur les effets de la réforme sur la MSA, son activité et ses personnels.

Mme Clémentine Autain. Je souhaite revenir sur les annonces de Mme Belloubet. Une chose m’intrigue : comment peut-elle négocier avec les avocats un régime transitoire, prévu dans une loi qui n’a pas été adoptée ? Nous sommes en train de débattre d’un texte et pendant ce temps, la ministre fait des annonces sur LCI, au mépris du travail parlementaire. Si la garde des sceaux est capable de communiquer ses décisions par tweet ou sur un plateau de télévision, elle doit pouvoir être auditionnée par la commission spéciale et venir rendre des comptes devant les députés. Jusqu’à nouvel ordre, nous sommes les représentants de nos concitoyens.

M. Éric Woerth. M. le rapporteur a raison de dire que tout n’est pas fixé et que la concertation, commencée il y a deux ans, se poursuit. Mais peut-être finirez‑vous par reconnaître que la création d’un régime universellement universel est une erreur et qu’il n’est pas nécessaire de tout centraliser pour résoudre les problèmes qui se posent ? Peut-être serez‑vous convaincus par nos propositions plus efficaces et qui ne mettent pas tout le monde dans le même sac – un socle de droits universels jusqu’à une fois le plafond de la sécurité sociale, la conservation des caisses autonomes et la préservation des droits familiaux ? Il est assez curieux de parler d’une architecture alors qu’elle pourrait être remise en cause par une concertation encore en cours !

M. le secrétaire d’État. J’ai déjà répondu à la question de Mme Rabault, mais je peux y revenir. Pour les indépendants, le changement d’assiette entraînera une hausse des cotisations vieillesse – cette dynamique positive apportera un gain de 2,2 milliards d’euros –, mais aussi, côté CSG, une baisse des prélèvements sociaux de 2,6 milliards. Le delta, qui pourrait impacter les branches maladie et famille, sera compensé par la branche retraite. Ces éléments figurent à la page 147 de l’étude d’impact.

M. Dharréville m’a interrogé sur la MSA. La sécurité sociale agricole demeure dans ses fonctions, mais elle gérera les retraites des agriculteurs par délégation du système universel. C’est clairement indiqué à l’article 54 du projet de loi.

S’agissant des annonces concernant la profession d’avocat, j’entends la réaction des députés de La France insoumise. Pourtant, les choses sont claires : vous savez, pour l’avoir fortement critiqué, que le texte contient des habilitations à légiférer par ordonnance. Ces ordonnances permettent précisément à la concertation de se construire. Vous voulez tout connaître en amont, tout en nous reprochant une concertation insuffisante. Il va falloir choisir ! Ce que le Gouvernement défend à l’Assemblée, ce sont le cadre et le mode de fonctionnement du système universel, notamment sa gouvernance, qui fait l’objet de nombreux amendements ; les dispositions transitoires, qui doivent être définies en concertation avec les professions concernées, notamment libérales, seront arrêtées dans le cadre des ordonnances.

Madame Fiat, vous avez cru détecter un bug, mais sans en être totalement certaine. Vous avez eu raison de faire preuve de prudence dans vos propos : vérification faite, il n’y a pas de bug. Il s’agit d’une personne née en 2003, qui a commencé à travailler à 22 ans en 2025 et prendra sa retraite en 2068. Son revenu annuel est de 7 000 euros, sa pension mensuelle s’élèvera à 1 899 euros. En effet, nous avons prévu des éléments de sécurité qui permettent à tous ceux qui auront travaillé sur la base de 50 heures SMIC par mois de toucher le minimum de retraite, équivalant à 85 % du SMIC – SMIC projeté en 2068. Si le système actuel avait perduré, sa pension aurait été de 1 590 euros ; elle sera donc bien plus élevée dans le système universel.

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

La commission examine les amendements identiques n° 3833 de Mme Clémentine Autain et n° 3837 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Permettez-moi de rebondir sur la réponse du secrétaire d’État à Caroline Fiat. Ce qui fait que les simulations de l’étude d’impact sont complètement faussées, c’est que vous partez du principe qu’en 2068, l’âge d’équilibre sera encore à 65 ans. C’est une vue de l’esprit que d’imaginer que l’âge d’équilibre ne sera pas reporté à 67 ou 68 ans. Il suffira d’une crise financière pour que l’on prenne immédiatement – sans l’aval du Parlement d’ailleurs – une mesure d’allongement. Si cette personne part à 65 ans, mais que l’âge d’équilibre est à 68 ans, elle subira une minoration de 5 % par année. Quant au minimum de retraite équivalant à 85 % du SMIC, je rappelle qu’il est déjà prévu par la loi.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Gilles Carrez. S’agissant des pertes de CSG, je voudrais évoquer le risque de rupture d’égalité. S’agissant d’une imposition de toute nature, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est très vigilante sur ce point. Il est vrai qu’en 1990 et en 2004, le Conseil constitutionnel a validé l’existence de taux et d’assiettes différents de CSG. Mais dans le cas qui nous intéresse, celui du nouveau régime des indépendants, il sera procédé à un abattement de 30 % pour une assiette traitée en super-brut, c’est-à-dire intégrant l’ensemble des cotisations sociales. Si vous êtes conduits, dans le cadre des négociations, à jouer sur cet abattement ou sur le taux de CSG, n’y aura-t-il pas un risque de rupture d’égalité ? Ces aspects ont-ils bien été vérifiés ? Le Conseil d’État semble le confirmer dans son avis mais nous posons tout de même la question, car c’est un problème que nous rencontrerons à d’autres reprises, notamment pour les primes des fonctionnaires.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3850 de Mme Clémentine Autain et n° 3854 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Je serais ravie d’entendre la réponse à la question posée par M. Carrez, d’autant que M. Vallaud a posé la même hier et que nous n’excluons pas de la poser à nouveau cet après-midi, ce soir et demain ! Vous nous dites que nos amendements empêchent un débat de fond, mais nous passons notre temps à vous interroger de façon précise, sur des points techniques ou plus généraux, sans jamais obtenir de réponse. Nous avons l’impression d’être face à un édredon, vous faites le dos rond, vous attendez que ça passe ! Il est pourtant normal d’éclairer la représentation nationale !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne sais pas si vous étiez présente hier, madame Autain, lorsque j’ai répondu à M. Vallaud. Il existe une différence fondamentale entre les salariés et les indépendants : la base de cotisation des salariés, c’est le revenu brut, autrement dit le revenu net plus les cotisations salariales ; la base de cotisation des indépendants équivaut au revenu super-brut des salariés – le revenu brut plus les cotisations patronales. Lorsque j’étais indépendant, je me suis arraché les cheveux à comprendre le système de l’assiette circulaire, qui suppose de connaître à l’avance le montant des cotisations.

Ce que nous proposons, c’est d’homogénéiser l’assiette. Cela conduit à réduire la CSG d’un côté, de l’autre côté à augmenter les cotisations, donc les droits en matière de retraite. Le tour de passe-passe que vous dénoncez n’est qu’une forme de retour à la logique.

Avoir des règles communes présente bien des intérêts. La MSA est un guichet unique, qui permet d’obtenir de votre interlocuteur une réponse à toutes les questions que vous vous posez en matière de prestations sociales, de maladie ou de retraite : c’est quelque chose de rassurant. Avec ce nouveau système, nous proposons une forme de réponse universelle. Cette lisibilité des droits est une avancée majeure de la réforme.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. La réponse que vous m’avez apportée hier ne m’a qu’à moitié convaincu de la constitutionnalité de la proposition. Par ailleurs, une question connexe se pose : comment comptez-vous compenser les moindres rentrées de CSG pour l’assurance maladie ?

M. le secrétaire d’État. Si le rapporteur a convaincu à moitié Boris Vallaud, c’est qu’il a été très bon, et je crains que l’autre moitié ne soit quasiment impossible à obtenir ! (Sourires.)

Monsieur Carrez, vous nous avez interrogés sur l’évolution de l’assiette de CSG. On a vu que le rapporteur, en tant que travailleur indépendant, avait déjà calculé son assiette de CSG – il est toujours réjouissant de constater que certains députés ne sont pas des professionnels de la politique, mais des personnes ancrées dans la vraie vie et dans les territoires, qui appliquent ce que d’autres, à Paris, ont imaginé.

Dans son avis, le Conseil d’État considère que « si la constitutionnalité des règles d’assiette antérieures a été admise par le Conseil constitutionnel [...] l’habilitation proposée n’apparaît pas, en son principe, porter atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques dans la mesure où elle vise à rapprocher la situation des travailleurs indépendants de celle des salariés, en simplifiant également les règles applicables. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de déterminer les paramètres de cette réforme en veillant au respect de ce principe. » Nous pouvons être rassurés, car l’avis est très circonstancié sur ce point.

Par ailleurs, dans la vraie vie, celle que connaît Nicolas Turquois comme de nombreux Français, il est incompréhensible que l’assiette de CSG circulaire soit aussi compliquée et que les indépendants se retrouvent à payer davantage pour des éléments qui devraient normalement être renvoyés à la solidarité nationale. Dans le nouveau système, ils constitueront des droits contributifs. Franchement, c’est une belle dimension du texte que vous serez, je l’espère, nombreux à voter.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 3867 de Mme Clémentine Autain, n° 3868 de M. Ugo Bernalicis et n° 3871 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Je veux profiter de cet amendement de suppression pour vous interpeller sur la question de la pénibilité pour les agriculteurs. Comme ce sont des indépendants, il est compliqué pour eux de mesurer la pénibilité de leur travail, ils ne sont d’ailleurs pas habilités à le faire. La question de l’évaluation est d’ailleurs très compliquée, on l’a vu en discutant avec les différents syndicats. Comme le Gouvernement a supprimé en 2017 les critères de la manutention manuelle de charges lourdes et les postures pénibles – critères qui pourraient tout à fait concerner le travail des agriculteurs –, on peut imaginer que même s’ils accédaient au compte prévisionnel de prévention (C2P), cela ne suffirait pas à régler la question. Ma question est donc simple : comment comptez-vous prendre en considération la pénibilité du travail des agriculteurs ?

M. Ugo Bernalicis. Je vais prolonger le questionnement de ma collègue : l’exposition à des agents chimiques dangereux, des substances potentiellement cancérigènes comme les pesticides par exemple, pourrait entrer en ligne de compte dans la prise en charge de la pénibilité. En effet, les agriculteurs développent des pathologies qui y sont liées ; leur espérance de vie en bonne santé et leur espérance de vie tout court sont réduites du fait de leur profession. Cela doit être pris en compte dans le calcul de l’âge de départ à la retraite. Dans la mesure où votre système risque d’allonger le temps de travail pour tous, il serait bien que la pénibilité du travail des agriculteurs soit prise en compte.

Mme Caroline Fiat. Je suis toujours sur le simulateur de parcours-type, et je me transforme en agricultrice, mère de quatre enfants. Vous me dites que je suis super-gagnante, car tout sera désormais pris en compte. Pourquoi donc, dans les fiches méthodologiques, j’apprends que ce ne sera pas le cas, à ce stade, des droits familiaux ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je n’ai pas bien saisi votre question sur les droits familiaux, madame Fiat.

Vos questions sur la pénibilité montrent bien que nous avons un rapport totalement différent au travail. La plupart des agriculteurs que je côtoie, y compris dans ma propre famille, sont des passionnés. Leur souci n’est pas de prendre leur retraite, mais de poursuivre leur activité, sous une autre forme, plus légère. La plupart d’entre eux restent sur l’exploitation, où ils continuent de travailler avec leurs enfants. L’âge de la retraite ne correspond pas à un arrêt de leur activité : ils ont envie de continuer de participer, certes différemment, à la vie de leur ferme. Il convient donc de s’intéresser à cette fin de carrière progressive.

Il y a des gens qui aiment leur boulot, et je pense que les agriculteurs en font partie. Certes, on ne fait pas la même chose à 60 ans qu’à 40 ou à 20, et ils souffrent parfois de ne pas gagner suffisamment, ce qui explique le développement de la polyactivité : certains travaillent durant la semaine pour gagner leur vie et continuent d’entretenir l’exploitation, cette passion familiale, le week-end.

La pénibilité peut être réelle et physique, mais elle est parfois dans la tête. Lorsque vous exercez votre métier avec passion, la pénibilité n’est pas vécue de la même manière. Il faudra certainement se pencher sur cette question pour les exploitants agricoles, mais je le répète, on peut avoir une autre appréhension de la vie au travail. Il peut être source d’épanouissement, et c’est le cas pour beaucoup d’agriculteurs.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. En ce qui concerne la CSG, si le dispositif proposé apporte incontestablement une clarification, se pose néanmoins la question du financement. On augmente une cotisation vieillesse et, en contrepartie, on baisse la CSG, mais celle-ci servait bien à quelque chose. Comment bouche-t-on le trou ? On ne nous l’explique pas. Nous ne vivons pas dans un monde idéal : il faut bien financer les mesures que l’on prend. Or, sur ce point, nous n’avons toujours pas de réponse.

M. Hervé Saulignac. Je ne peux pas laisser dire, à propos de la situation des exploitants agricoles, que la pénibilité est dans la tête : elle se ressent dans leurs bras, dans leur dos, dans tout leur corps ! Va-t-on envisager un jour de donner aux agriculteurs, qui continuent souvent de travailler à des âges indus, notamment pour aider leurs enfants et alléger ainsi les charges de l’exploitation familiale, des moyens décents pour partir à la retraite à un âge décent ? Je ne vois pas pourquoi – j’ai parfois le sentiment que c’est d’ordre culturel, dans votre esprit – on maintiendrait les paysans français dans une telle situation. Ils n’attendaient pas grand-chose de notre débat, mais ils seront contents du voyage : il n’en sort strictement rien... Leurs pensions ne peuvent pas être plus basses ; nous avons désormais la certitude qu’elles ne seront guère plus hautes.

M. Ugo Bernalicis. Je suis persuadé que les paysans sont passionnés par leur métier, en tout cas ont le goût de bien l’exercer. On pourrait en dire autant des aides-soignantes, des médecins, des avocats, des fonctionnaires de l’État : tout le monde a à cœur de bien faire son métier. Mais le travail, ce n’est pas que la santé, ce n’est pas qu’épanouissement, monsieur le rapporteur. En vous écoutant, on a le sentiment que la passion justifierait tout, y compris de continuer à travailler ad vitam aeternam pour cumuler cette activité, exercée aux côtés de ses enfants ou de ses petits-enfants, avec une faible pension de retraite. Nous parlons tout de même de la profession où le taux de suicide est l’un des plus élevés ! Ne pourrions-nous pas envisager, par exemple, de prendre en compte cet élément dans l’évaluation de la pénibilité ? Accordons-nous en tout cas sur le fait que ce métier est suffisamment pénible pour que bon nombre de ceux qui l’exercent décident de mettre fin à leurs jours !

M. le secrétaire d’État. Je conçois que M. Carrez et M. Woerth, qui ont l’habitude de se plonger dans les lois de finances, cherchent à comprendre la manière dont tout cela va fonctionner.

Mme Clémentine Autain. C’est normal !

M. le secrétaire d’État. Bien entendu.

En ce qui concerne la compensation aux branches famille et maladie, nous modifierons, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, la clef de répartition de certains impôts ou taxes.

M. Éric Woerth. La TVA, par exemple...

M. le secrétaire d’État. Je rappelle, tout d’abord, que les risques posturaux n’ont pas disparu : ils ont été transférés au tableau des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Du reste, lorsqu’on a été exposé à de tels risques, il est possible – et ce sera toujours le cas dans le cadre du futur régime universel – de partir à la retraite à taux plein dès l’âge de 60 ans, si un taux d’incapacité d’au moins 10 % a été établi par un médecin. Certes, il ne s’agit ici que de la réparation d’un préjudice prise en charge par la solidarité nationale. Mais cette réparation est réelle. Au demeurant, la prise en compte des critères posturaux dans le C2P aurait été moins avantageuse, puisqu’elle leur aurait permis de bénéficier de 4 points par an, sachant qu’il en faut 80 pour partir à la retraite deux ans plus tôt. Le choix qui a été fait en 2017 d’inscrire les trois critères posturaux ainsi que le risque chimique dans le tableau des AT-MP était donc réaliste et traduisait la volonté d’assurer une réparation.

Néanmoins, je suis conscient que celle-ci n’est pas suffisante et qu’il faut désormais privilégier la prévention et la réorientation professionnelle – à laquelle je crois beaucoup, pourvu qu’elle fasse l’objet d’un véritable accompagnement : il ne suffit pas de claquer des doigts... Muriel Pénicaud fera, dans quelques jours, mais bien avant l’examen du texte en séance publique, des annonces en la matière.

Je rappelle également que les agriculteurs sont couverts au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles et qu’ils peuvent donc, le cas échéant, partir à la retraite à taux plein dès 60 ans si un taux d’incapacité d’au moins 10 % a été reconnu par le médecin. J’ajoute, monsieur Bernalicis, que les risques phytosanitaires agricoles sont également inscrits au tableau des maladies professionnelles.

Enfin, j’ai rencontré les représentants des artisans, commerçants, professions libérales et petites entreprises – secteur que je connais bien, puisque mes parents ont été très longtemps artisans. Leur couverture sociale pourrait, je le sais, progresser. Mais la prise en compte de la pénibilité sous la forme du C2P soulève la question de l’auto-déclaration ; il est donc nécessaire que l’on continue d’y travailler.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 3885 de Mme Clémentine Autain, n° 3886 de M. Ugo Bernalicis et n° 3889 de Mme Caroline Fiat.

Mme Clémentine Autain. Puisque le Président de la République a découvert la banlieue en regardant le film Les Misérables, nous vous recommandons, monsieur le rapporteur, d’aller voir Petit Paysan d’Hubert Charuel. Peut-être pourrez-vous ainsi prendre la mesure de la violence que les agriculteurs subissent de plein fouet.

Mme Cendra Motin. À Montreuil ?

Mme Clémentine Autain. Comment pouvez-vous dire que, chez les paysans, la pénibilité, c’est dans la tête ? C’est extrêmement choquant et insupportable. Certes, la dimension psychologique compte, mais comment ne pas voir la dimension physique d’un labeur éprouvant, qui commence très tôt le matin pour se terminer très tard le soir, sans week‑end ?

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites, à propos de la reconnaissance de la pénibilité, que les agriculteurs sont protégés au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles. Soit, mais le mal est fait.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, madame Autain.

M. Ugo Bernalicis. « Vous allez voir ce que vous allez voir », nous dit M. le secrétaire d’État : « Ne vous inquiétez pas, les annonces vont arriver et elles seront faites avant la séance publique. » Quel mépris pour notre commission spéciale ! Ne sommes-nous pas dignes de disposer des informations nécessaires pour nous prononcer sur le texte ? Il est tout de même insupportable de devoir examiner un projet de loi sans en connaître l’intégralité. On me rétorquera sans doute : « Le dialogue social, bla-bla-bla... » Mais alors, pourquoi ne pas saisir les partenaires sociaux avant le dépôt du texte ? En agissant ainsi, à la hussarde, vous fâchez tout le monde : les oppositions, les organisations syndicales, les Françaises et les Français...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Bernalicis. « Bla-bla-bla » : les partenaires sociaux apprécieront !

Mme Caroline Fiat. Auparavant, dans ma région en tout cas, l’exploitation agricole était l’objet d’une fierté et elle se transmettait de génération en génération. Désormais, elles sont en vente et ne trouvent pas toujours d’acheteur, au point que certaines d’entre elles commencent à se couvrir de panneaux solaires. On peut le comprendre : les enfants ont vu leurs parents trimer sept jours sur sept, 24 heures sur 24, toute l’année. C’est un métier très difficile ; la pénibilité est réelle et doit être prise en compte. Si les agriculteurs continuent à travailler une fois à la retraite, c’est pour aider leurs enfants lorsque ceux-ci ont repris l’exploitation. Or, souvent, ils le leur déconseillent.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est tout de même piquant d’entendre Mme Autain m’expliquer le métier d’agriculteur... Je n’en ai du reste nullement nié la pénibilité.

Permettez-moi de revenir sur la question du suicide. Le métier d’agriculteur n’est pas tout à fait un métier comme les autres. Souvent, en tant qu’exploitant, vous portez le poids d’une histoire familiale – ma ferme, par exemple, est dans ma famille depuis six générations. Or, lorsque vous vous apercevez, sous le regard de vos frères et sœurs, de vos parents, que vous n’y arrivez pas, que vous ne parvenez pas à assumer le poids de cette histoire, vous subissez une pression supplémentaire qui en pousse certains, hélas ! à commettre l’irréparable. M. Mattei doit le savoir, car il a sans doute eu à s’occuper, en tant que notaire, de nombre de transmissions de ce type. Sur ce sujet, il faut donc être extrêmement attentif aux mots que l’on emploie.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je suis consterné : on confond tout – il s’agit soit de maladresses de langage, soit d’insanités. Hier, on vous parlait espérance de vie, vous nous avez répondu hygiène de vie ; aujourd’hui, on vous parle de pénibilité, vous nous dites que c’est dans la tête... Quant au secrétaire d’État, il confond le dispositif de prise en compte de la pénibilité et celui qui relève de l’incapacité. Or, ils n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre, à moins que l’on change complètement de philosophie.

Monsieur le secrétaire d’État, vous savez, pour avoir été avec moi, pendant quelques semaines, corapporteur de la mission d’évaluation de l’application des ordonnances de Mme Pénicaud, que chacun a vu dans la suppression du compte personnel de prévention de la pénibilité et son remplacement par le C2P un recul considérable en matière de prévention et de financement de celle-ci, précisément par la branche AT-MP. En outre, vous savez parfaitement que vous avez exclu du bénéfice de ces dispositions l’ensemble des travailleurs du BTP, ceux de l’industrie, les caissières, les égoutiers... Il faut aborder ces questions avec un minimum de sérieux.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je suis bien d’accord avec vous, monsieur Vallaud : tous les mots ont un sens !

M. Éric Woerth. Personne, ici, n’a le monopole de la compréhension de la souffrance au travail et de la pénibilité, et certainement pas nos collègues Insoumis. On invoque différentes professions pour montrer que le travail ne serait que souffrance ; or, c’est aussi bien d’autres choses. Il faut arrêter de nous donner des leçons dans ce domaine. Si tout est pénibilité et souffrance, autant mettre les gens à la retraite dès la fin de leurs études ! C’est absurde, et c’est donner du monde du travail une image qu’il ne devrait pas avoir dans une société aussi civilisée que la nôtre.

Par ailleurs, monsieur Vallaud, pénibilité et incapacité sont bel et bien la même chose, et il doit en être ainsi. À cet égard, le compte pénibilité, que la majorité précédente avait créé, a provoqué une confusion extrême. Bien entendu, la pénibilité doit être mesurée en fonction de l’exposition à un certain nombre de facteurs, mais elle se mesure en termes d’incapacité. Si elle n’est pas ainsi avérée, objectivée, on se demandera pourquoi vous pouvez partir à la retraite plus tôt.

M. Jean-Paul Mattei. Cela fait quarante ans que j’habite une commune rurale dont j’ai été le maire durant seize ans ; je me suis en effet occupé de nombreux exploitants agricoles. Ce qu’a voulu dire le rapporteur, c’est que le métier d’agriculteur est un métier de passion, qui est lié au foncier, au sol. J’ai connu beaucoup d’exploitants qui, arrivés à l’âge de la retraite, n’avaient aucune envie de s’arrêter. Du reste, cette éventualité est prévue, puisqu’on laisse aux retraités ce qu’on appelle des parcelles de subsistance, d’une surface d’environ 3 hectares en général. Par ailleurs, certaines structures sont montées qui, même si elles ne sont pas forcément adaptées à l’avenir du véritable métier d’agriculteur, permettent de continuer de travailler en famille, d’habiter à la ferme.

Je ne nie pas vos connaissances, chers collègues Insoumis. Mais laissez-nous témoigner de notre expérience de terrain. Peut-être ne rencontrons-nous pas les mêmes agriculteurs. Bien entendu, certains sont en grande détresse, mais, encore une fois, c’est un métier de passion. Par ailleurs, M. Woerth a raison : lorsqu’on embrasse une carrière, on ne pense pas à sa retraite, mais à tout ce que l’on va construire.

Pour ma part, je reste convaincu que cette réforme, en offrant une visibilité sur les points acquis au cours de sa carrière, permettra d’élaborer une véritable stratégie. C’est un bel outil qui nous est proposé : saisissons cette opportunité !

M. Thierry Benoit. La question de la pénibilité est bien entendu très importante. Notre débat me fait penser à la polémique née, la semaine dernière, de l’examen d’une proposition de loi : je considère, pour ma part, que les parlementaires s’efforcent de faire montre d’humanité dans leur travail de législateur. On ne peut pas reprocher au rapporteur d’avoir évoqué la dimension morale, psychologique, du métier d’agriculteur. De fait, il existe un lien charnel entre l’agriculteur et la terre qu’il exploite, à plus forte raison lorsque cette terre se transmet de génération en génération.

La pénibilité pourrait être mesurée à l’aune de l’espérance de vie ou des tâches nuisibles pour la santé : on parle des postures, des vibrations, des charges lourdes, des risques chimiques, des horaires de nuit, des horaires décalés, des cadences imposées. Comme l’a dit Éric Woerth, la pénibilité doit être abordée de manière précautionneuse, mais il est bon que le nouveau régime par points permette de la prendre en compte tout au long de la carrière.

Mme Caroline Fiat. Je ne crois pas avoir dit que je connaissais plus qu’un autre la question de la pénibilité. Je n’ai fait que citer des exemples tirés de ma circonscription, où des exploitations ne sont plus reprises par la famille parce que les parents déconseillent à leurs enfants de prendre leur succession.

Députés de la majorité et députés de droite semblent s’accorder sur le fait que, parce que nous vivons plus longtemps, nous devons travailler plus longtemps. Selon nous, il faut prendre en compte le fait qu’un agriculteur, par exemple, est trop abîmé pour pouvoir travailler plus longtemps.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 3902 de Mme Clémentine Autain, n° 3903 de M. Ugo Bernalicis et n° 3905 de M. Alexis Corbière.

Mme Clémentine Autain. Permettez-moi de revenir sur l’exemple de Thomas, cité par Caroline Fiat, dont M. le secrétaire d’État a bien voulu nous indiquer que sa situation serait meilleure dans le nouveau régime, étant entendu, ai-je compris, que l’âge d’équilibre serait maintenu à 65 ans. Nous sommes là au cœur du sujet. Le secrétaire d’État et le rapporteur peuvent-ils nous expliquer pourquoi l’ensemble de l’étude d’impact repose sur un âge d’équilibre fixe à 65 ans, alors que cette fixité ne correspond pas à la réalité ? Comment peut-on imaginer qu’en 2068, date à laquelle cet agriculteur partirait à la retraite, l’âge d’équilibre sera 65 ans ?

M. Ugo Bernalicis. Il est vrai que la retraite des paysans ne se résume pas à la question de la pénibilité ; il y va également de la rémunération qu’ils perçoivent tout au long de leur vie professionnelle. Or, sur ce point, force est de constater que la politique du Gouvernement a échoué puisque, contrairement à ce que prévoit la loi qu’il a fait voter, le niveau de vie des agriculteurs ne s’est pas amélioré et le prix de leurs productions n’est pas suffisamment rémunérateur. Si le Gouvernement a échoué, c’est parce qu’il a refusé de sortir de la logique de fixation des prix par le marché. Tant que vous resterez enfermés dans votre dogme libéral, les agriculteurs français seront les grands perdants de la compétition internationale, qui plus est après la conclusion du CETA et d’autres accords de libre-échange. On ne peut pas se contenter de dire qu’ils auront, certes, une petite retraite, mais que c’est toujours mieux que rien et que le futur système sera moins pire que le précédent. Vous n’avez pas réglé les véritables problèmes, et nous ne pouvons que constater, ici, les insuffisances de votre politique.

M. Alexis Corbière. L’objet de l’amendement n° 3905 est de supprimer l’alinéa 7 de l’article 5, car nous ne voulons pas modifier le code rural et la pêche maritime pour étendre aux exploitants et salariés agricoles le système de la retraite par points. Comme l’a dit mon collègue Bernalicis, la retraite n’est que le reflet d’une vie de travail et de cotisation. Or, le problème des agriculteurs, c’est que, malgré un travail extrêmement difficile, ils sont trop faiblement rémunérés. Je rappelle que, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, 20 % des exploitants agricoles déclaraient des revenus nuls. Est-il besoin de rappeler que leurs conditions de travail sont terribles, qu’ils s’interrogent sur la finalité de leur métier et qu’ils sont endettés, au point qu’actuellement, et nous le regrettons tous, un agriculteur se suicide chaque jour ? Non seulement le Gouvernement ne remédie pas à cette situation, mais il nous propose un système de retraite qui ne ferait, selon nous, que l’aggraver.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis d’accord avec MM. Corbière et Bernalicis : la retraite est un miroir, certes déformé, des difficultés de la vie professionnelle. Le système que nous proposons a pour objet, non pas de les supprimer, mais de les résorber. L’enjeu essentiel est de réfléchir aux parcours professionnels, quel que soit le métier. Or, à cet égard, un système par points nous semble plus facile à piloter. Ainsi, lorsqu’on aura trouvé les financements nécessaires pour résoudre, par exemple, le problème de la pénibilité du métier d’agriculteur, ce système sera plus facile à amender – en attribuant des points, éventuellement – que le système actuel, divisé en quarante-deux régimes.

Défavorable.

M. Dominique Potier. Valérie Rabault a très bien décrit le leurre que constitue l’effet d’annonce d’une retraite minimale de 1 000 euros pour les indépendants, notamment les paysans. En effet, l’assiette sur laquelle reposera cette retraite exclura la plupart d’entre eux, à moins qu’ils ne consentent un effort de cotisation qui sera difficile à assumer. Par ailleurs, sont laissées pour compte l’ensemble de générations actuellement à la retraite, en faveur desquelles nous avons défendu, avec nos collègues communistes, sous la précédente législature, une revalorisation à hauteur d’au moins 85 % du SMIC. Enfin, il me semble que la plupart des professions agricoles remplissent huit des dix anciens critères de pénibilité et deux tiers de ceux qui ont survécu à la réforme du code du travail. J’ajoute qu’un de nos amendements portera sur l’assiette fiscale dans la construction du revenu des agriculteurs, car on a observé des effets pervers en matière d’optimisation fiscale et sociale qui peuvent avoir des conséquences néfastes pour l’entreprise.

Pour conclure, 40 % des exploitants vont partir à la retraite dans les dix années à venir. L’enjeu n° 1 est donc le renouvellement des générations, indispensable à la santé de nos paysans et à celle de la terre ; il suppose une retraite décente et une organisation du partage des moyens de production et des marchés qui permette aux nouvelles générations de pratiquer l’agro-écologie. Sans cela, tout le reste ne sera que littérature.

M. Thibault Bazin. Je ne crois pas, pour en avoir discuté avec ceux de mon territoire, que les attentes des agriculteurs vis-à-vis de la réforme des retraites portent essentiellement sur la pénibilité. Du reste, dans ma région, je ne vois pas que des exploitations en vente : j’observe plutôt un énorme travail en faveur de la transmission et des jeunes agriculteurs passionnés – et qui ne viennent pas forcément d’une famille d’exploitants – désireux de s’installer. À cet égard, les exonérations de cotisations sociales sont un enjeu important ; nous aurons besoin que le Gouvernement nous donne des assurances à ce sujet. Par ailleurs, une de nos collègues a indiqué que des champs de panneaux solaires prenaient la place des exploitations. Ils ne les remplacent pas, me semble-t-il : ils s’y ajoutent, dans le cadre d’une diversification.

Enfin, il est pertinent que le système comporte un socle de base et que, pour le reste, il s’adapte aux différentes réalités. Les attentes des agriculteurs portent sur la transition, qu’ils souhaiteraient plus rapide, sur l’assiette des cotisations, sur le cumul emploi-retraite, sur les conjoints collaborateurs... Telles sont les questions qui nous sont remontées du terrain et qu’il nous faudra traiter dans le cadre de cette réforme.

M. Ugo Bernalicis. Nous estimons, quant à nous, qu’un des moyens de résoudre le problème de la rémunération des agriculteurs serait d’augmenter le SMIC, afin de permettre aux Françaises et aux Français de payer les denrées alimentaires qu’ils consomment au juste prix et de faire en sorte, bien entendu, que la grande distribution soit moins gourmande dans les taux de marge qu’elle applique.

Par ailleurs, vous ne cessez d’évoquer les quarante-deux régimes de retraite actuels ; on m’a même rétorqué qu’ils figuraient à la page 42, ce qui ne s’invente pas, de l’étude d’impact. Or, dans la colonne « Régimes », je n’ai compté que trente et une lignes... Je ne sais pas d’où sort le chiffre 42, mais n’en rajoutons pas inutilement.

M. le secrétaire d’État. En ce qui concerne les hypothèses retenues pour élaborer les cas-types figurant dans l’étude d’impact, je rappelle, pour la troisième ou la quatrième fois, aux députés de La France insoumise que nous projetons dans le système futur la réalité actuelle. Or, qu’observons-nous ? L’âge moyen d’entrée dans la vie active est d’environ 22 ans. Si l’on y ajoute les quarante-trois années de cotisation prévues par la « loi Touraine » de 2014, on arrive à 65 ans. Il n’y a là aucune malice : c’est un élément objectif, incontestable. Cela ne préjuge en rien de l’âge d’équilibre, qui, vous le savez, sera proposé par la gouvernance. J’ajoute que cette question est traitée à l’article 10 et que, plus vous m’interrogerez à ce sujet, moins vite nous arriverons à son examen, ce qui est dommage.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 5 sans modification.

Article 6 : Champ d’application du système universel de retraite (fonctionnaire, magistrats, militaires)

La commission est saisie des amendements de suppression n° 551 de M. Pierre Dharréville, n° 4651 de Mme Clémentine Autain, n° 4652 de M. Ugo Bernalicis, n° 4654 de M. Alexis Corbière, n° 4655 de Mme Caroline Fiat et n° 21089 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. L’article 6, qui vise à étendre le système universel de retraite aux fonctionnaires, aux magistrats et aux militaires, marque un grave recul. Il implique en effet, pour les fonctionnaires, la fin du calcul de la retraite sur les six derniers mois, qui permet à celle-ci d’atteindre 75 % de leur dernier traitement. Les catégories actives – 600 000 agents, dont 500 000 agents hospitaliers – vont perdre la possibilité de partir de manière anticipée à 57 ans et seront soumises au droit commun, à savoir : un départ à 62 ans, mais avec une décote. Certains d’entre eux auront la possibilité, si leur métier est pénible, de partir deux ans avant l’âge légal sans bénéficier du taux plein, qui sera calculé en référence à l’âge d’équilibre. Enfin, le calcul en points sera particulièrement dommageable pour les pensions des fonctionnaires percevant peu de primes, comme les enseignants notamment.

Pour ces différentes raisons, nous demandons la suppression de l’article 6. Le système que vous nous proposez n’est pas de nature à garantir un véritable droit à la retraite.

Mme Clémentine Autain. Nous avons évoqué hier le basculement, pour les salariés du privé, de la référence aux vingt-cinq meilleures années vers la prise en compte de l’ensemble de la carrière. À présent que nous abordons la situation des fonctionnaires, j’ai hâte d’entendre les députés de la majorité nous expliquer comment la prise en compte de l’ensemble de la carrière, et non plus des six derniers mois, sera bénéfique pour les agents de la fonction publique.

M. Ugo Bernalicis. Pourquoi retient-on, pour le calcul de la retraite des fonctionnaires, les six derniers mois de traitement ? Tout simplement parce qu’on applique, dans la fonction publique, une grille indiciaire dans laquelle les agents progressent au cours de leur carrière. Dès lors, en retenant les six derniers mois, la méthode de calcul est simple et le fonctionnaire sait à quoi s’attendre. Cette règle semblait d’autant plus évidente à tous que les primes perçues par les fonctionnaires ne sont pas calculées de la même manière pendant leur carrière et au moment de leur retraite.

M. Alexis Corbière. Je veux appeler l’attention sur la situation des militaires puisque, vous ne l’ignorez pas, le Conseil supérieur de la fonction militaire a émis un avis particulièrement sévère sur cette réforme.

En ce qui concerne les enseignants, le ministre lui-même a reconnu qu’il serait absurde de leur appliquer la réforme en l’état et qu’une revalorisation salariale leur serait donc proposée, d’ici à l’été. On nous demande donc d’examiner une réforme dont le Gouvernement considère qu’elle aurait des effets terribles sur la situation des enseignants, tout en nous assurant qu’il sera possible de les corriger trois mois après l’examen du texte. Avouez tout de même que c’est une drôle de façon de travailler ! C’est la raison pour laquelle nous vous proposons, par l’amendement n° 4654, de supprimer l’article 6.

Mme Caroline Fiat. J’aimerais que l’on m’explique. Actuellement, une aide‑soignante peut partir à la retraite à 57 ans avec une pension calculée sur ses six derniers mois de traitement, lequel s’établit en moyenne à 1 575 euros par mois. Dans le futur système, elle partira à 62 ans ou 64 ans – on ne sait pas très bien – et on prendra en compte, pour le calcul de sa pension, la moyenne de ce qu’elle aura gagné au cours de sa carrière, soit, en comptant les week-ends et les jours fériés, 1 357 euros. Peut-on me dire en quoi il est avantageux pour elle de partir à la retraite quatre ans plus tard en percevant une pension calculée sur une base inférieure de 200 euros ?

Mme Valérie Rabault. Premièrement, il est évident que l’impact n’est pas le même selon que l’on prend en compte, pour calculer la pension des fonctionnaires, la moyenne des six derniers mois ou la moyenne de l’ensemble de la carrière.

Deuxièmement, tout cela n’est pas sans conséquences sur les finances publiques. Le tableau figurant à la page 143 de l’étude d’impact est révélateur : la réforme va se traduire par une baisse de 42,7 milliards d’euros de cotisations. Pouvez-vous nous indiquer comment cette perte de recettes sera compensée ? Vous ne nous avez apporté aucune précision en la matière.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’intégration des fonctionnaires, des magistrats et des militaires au système universel est l’incarnation la plus tangible de l’universalité, qui transcende les distinctions entre secteur public et secteur privé.

L’appellation « fonctionnaire » recouvre des réalités extrêmement hétérogènes, tant en termes de rémunération que de cotisations, de primes et de prestations. Il faut prévoir des transitions adaptées à chacune de ces particularités, ce qui explique la méthode retenue. On a souvent entendu l’exemple de jumelles exerçant le même métier, par exemple celui d’aide‑soignante – je sais, madame Fiat, que le sort de cette profession vous tient à cœur. Imaginons des triplées aides-soignantes, la première exerçant dans le libéral, la deuxième dans le privé, la troisième dans le public : vous semble-t-il équitable qu’elles ne bénéficient pas des mêmes conditions de retraite ? Autre exemple : le fait, pour une aide‑soignante, de travailler vingt ans dans le privé, puis vingt ans dans le public ne vous donne pas la même retraite que si vous suivez le cheminement inverse. Ce n’est pas normal : le système a quelque chose d’illogique. Nous souhaitons que la retraite reflète au mieux le déroulement de carrière.

M. Ugo Bernalicis. Dans ce cas, nivelez par le haut !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous m’avez interpellé sur le changement du mode de calcul de la pension des fonctionnaires, qui se fait actuellement à partir des six derniers mois. En considérant la progression indiciaire, on se dit effectivement que les six derniers mois sont les plus rémunérateurs et on pense, intuitivement, que, si on ne prend en compte que cette période, cela se traduira par une pension plus élevée. À ceci près qu’en moyenne, même si cela recouvre des situations très variées, la rémunération d’un fonctionnaire en fin de carrière est constituée, pour 22 %, par des primes. Pourquoi celles-ci ne permettraient-elles pas d’acquérir des droits à la retraite ? La réforme a deux volets : l’intégration des primes à l’assiette des cotisations et l’uniformisation très progressive des règles de fixation des taux. Les agents en activité, qui seront concernés par la réforme en fin de carrière, se verront appliquer ces règles de manière très graduelle. Ceux qui vont commencer à travailler seront soumis à des règles de calcul communes. On cherche à résorber ces inégalités – j’y insiste – de manière extrêmement progressive. Je suis défavorable à la suppression de cet article, car il nous semble essentiel d’intégrer tout le monde, y compris les fonctionnaires. Nous faisons en effet partie du même corps social ; c’est ce que nous voulons montrer par la réforme du système universel.

M. Éric Woerth. La convergence des règles applicables aux agents du secteur public et aux salariés du secteur privé ne me choque pas. On l’a d’ailleurs déjà engagée, dans une certaine mesure, puisque le taux de cotisation d’un fonctionnaire est aujourd’hui à peu près le même que celui d’un salarié du privé. Il y a dix ans, le premier était inférieur de 3 points au second, ce qui était une injustice flagrante : on n’achetait pas sa retraite au même prix. Des évolutions ont aussi concerné, entre autres exemples, les droits familiaux.

Toutefois, je voudrais savoir comment se déroulera exactement la période de transition. Vous comptez intégrer progressivement dans l’assiette des cotisations les primes des agents publics qui basculent dans le système. Faibles dans un premier temps, les cotisations sur les primes devraient augmenter progressivement, pour éviter un effet trop prononcé sur le revenu. C’est ainsi que je comprends les choses. Une prime sur laquelle très peu de cotisations – mettons 10 % du taux plein – auront été versées ouvrirait néanmoins le bénéfice de 100 % des droits. L’employeur, autrement dit l’État et, in fine, le contribuable devrait y pourvoir. Cela créerait une injustice assez flagrante vis-à-vis des salariés du privé, qui ne sont pas traités de la même manière. Mon interprétation est-elle la bonne ? Allez-vous faire autrement ? En tout cas, je n’imagine pas laisser à l’État le soin de payer les cotisations que n’auraient pas versées les fonctionnaires sur leurs primes.

M. Jacques Marilossian. Mme Rabault avait appelé notre attention sur les chiffres de l’évolution des cotisations dans le secteur public, page 143 de l’étude d’impact. Il y est écrit que les « cotisations d’équilibre, versées actuellement par l’État pour équilibrer le service des retraites de l’État et de certains régimes spéciaux (notamment la SNCF et la RATP), disparaîtront progressivement au profit de transferts versés par l’État à différents titres [...] ». L’étude d’impact montre simplement – et, à mon sens, clairement – qu’à terme, le nouveau régime de cotisation devrait produire les effets résumés dans le tableau de la page 143, à savoir la disparition des contributions d’équilibre, ce qui explique la baisse des cotisations. Immédiatement après, il est écrit que « [la contribution de l’État au système de retraite] intégrera progressivement les conséquences financières pour l’État de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories [...] ». Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le rapporteur, j’entends les différences que vous avez exposées et je prends acte de votre volonté de faire en sorte que chacun bénéficie d’un régime égal. Reprenons l’exemple des sœurs jumelles Caro et Caroline. Dans le système actuel, Caro peut partir à 57 ans avec près de 1 000 euros de pension, tandis que Caroline doit attendre 61 ans et percevra une retraite du même montant. Dans le futur système, pour assurer un traitement égalitaire, vous les ferez partir toutes les deux à 66 ans. Autrement dit, tout le monde sera puni et les pensions baisseront ! Nous n’avons à l’évidence pas la même vision des choses : pourquoi ne pas faire partir tout le monde à 57 ans et accorder des pensions de retraite dignes ?

M. Hervé Saulignac. Vous usez d’un raisonnement assez habile : vous vous appuyez sur des inégalités bien réelles de pension entre le public et le privé pour justifier la nécessité de mettre tout le monde à égalité dans un système à vos yeux meilleur, parce qu’universel. L’universalité est bien le propre de ce qui s’applique à tous, mais si vous universalisez l’injustice – ce qui, en l’occurrence, semble être le cas –, il y a un vrai problème. Caroline Fiat a posé une question précise. On est capable, aujourd’hui, de calculer la pension que reçoit une aide-soignante au terme d’une carrière complète. Ce qui nous éclairerait, ce serait de connaître le montant de la pension que percevrait cette même aide‑soignante à l’avenir. S’il était identique voire – soyons fous – supérieur au montant actuel, ce serait formidable ; mais si vous ne nous le dites pas, c’est qu’à coup sûr il y a quelque chose qui devrait nous choquer.

Autre question : une aide-soignante qui débute tôt, ce qui est souvent le cas dans cette profession, par exemple à 20 ou à 21 ans, s’entendra‑t‑elle dire, après quarante-trois ans de travail, qu’elle doit pousser jusqu’à 65 ans si elle ne veut pas être punie ? C’est une question très précise : apportez-lui, s’il vous plaît, une réponse qui le soit tout autant.

M. le secrétaire d’État. Nous avons eu un débat sur les carrières complètes et la prise en compte des vingt-cinq meilleures années. J’espère qu’il a permis de répondre à certaines questions et que les éléments communiqués dans l’étude d’impact ont pu éclairer les uns et les autres. Vous m’interrogez sur la question des six derniers mois de traitement. Il est intéressant d’aller dans le détail du calcul de la retraite de ceux – essentiellement les fonctionnaires – qui sont concernés par cette évolution. Actuellement, la pension de retraite des fonctionnaires est égale, au maximum, à 75 % du traitement, autrement dit de l’indice affecté de la valeur du point de la fonction publique. Le montant de la pension dépend donc de deux paramètres : l’évolution du point d’indice et la part des primes. Le premier facteur n’est pas nécessairement dynamique sur le plan conjoncturel, mais peut l’être de façon tendancielle. Dans son projet, le Gouvernement propose de revaloriser les droits en indexant l’évolution des droits constitués sur les salaires. Nous en avons d’ailleurs débattu plusieurs fois au cours des quatre derniers jours. Comme vous le savez, la dynamique des salaires est plus forte que celle de l’inflation. C’est pourquoi, dans le cadre de la réforme de 1993, il avait été décidé d’indexer les salaires portés au compte sur l’inflation et non plus sur le salaire moyen par tête. Nous proposons, pour notre part, de revenir sur cette décision, ce qui aura des conséquences très significatives pour tout le monde, y compris pour les fonctionnaires. Il faut intégrer cela dans la vision de la carrière complète.

Comme l’a très bien dit le rapporteur, ce n’est que justice d’intégrer les primes dans le calcul de la retraite des agents publics. Cette décision, qui semble, ici, faire l’unanimité, soulève toutefois quelques questions. La première d’entre elles concerne les cotisations. Le projet de loi prévoit l’intégration de toutes les primes au 1er janvier 2025 et l’instauration, à titre dérogatoire, d’une transition sur quinze ans. Sur le fond, l’architecture du système universel a été décrite, jusqu’à un certain degré de détail, par le rapport Delevoye de juillet dernier. Au-delà des discussions alinéa par alinéa – dont je ne suis pas sûr qu’elles contribuent fortement à éclairer les personnes qui suivent nos travaux –, les transitions vous ont fait réagir. Ce sont des mécanismes dynamiques, qui ont vocation à s’ajuster.

Pardonnez-moi d’ouvrir une parenthèse à propos des avocats, puisque vous m’avez interpellé tout à l’heure : la concertation engagée avec leurs représentants n’est pas facile mais il semble que, grâce à la volonté qui se manifeste de part et d’autre, on s’engage dans une voie de sortie, ce dont il faut se réjouir.

Mais revenons au cas des agents publics. Une transition de quinze ans, disais-je, s’appliquera au versement des cotisations salariales sur les primes. Dans le futur système, la part des cotisations à la charge de l’employeur sera – pour tous – de 60 %, et la part salariale, de 40 %. À titre dérogatoire, la montée en charge des cotisations des fonctionnaires se fera progressivement. Nous sommes en effet attentifs au salaire net qu’ils perçoivent. Cette réforme introduira immédiatement de l’équité, car elle concernera tout le monde ; l’effort s’ajustera progressivement pour arriver au point d’équilibre.

Je vois le président Woerth sourciller : mais ce type de dérogation, qui ne sera que temporaire, existe aussi dans le secteur privé, où des dérogations conventionnelles s’appliquent déjà. Nous nous adaptons à la situation. Nous n’avons pas pour objectif d’imposer un système rigide, formant un bloc, mais de viser de manière claire une cible partagée et une construction progressive. J’entends que cela puisse susciter questions et inquiétudes, auxquelles je m’emploie à répondre. En revanche, cette réforme ne produira pas d’injustices. Lorsqu’on a tous pour objectif de construire une société plus solidaire et plus équitable, de récompenser l’effort en octroyant les mêmes droits, on s’y engage en sachant qu’on ne va pas construire cela en six mois, par un coup de baguette magique. Il nous faut du temps, parce que notre société a son histoire, que nous entendons collectivement respecter.

M. Éric Woerth. On vous sent un peu gêné, monsieur le secrétaire d’État, ce que je peux comprendre. Il n’y a, sur ce sujet, aucun rapport entre le privé et le public : lorsque les primes seront cotisées, à un taux très inférieur au taux plein, et donneront droit à la retraite – plus tard, un jour – il faudra bien que quelqu’un se substitue à l’agent public pour garantir l’ouverture de droits à la retraite au taux plein. Autrement dit, le contribuable va payer les cotisations qu’aurait dû payer le salarié, ce qui soulève un problème d’égalité considérable.

Mme Cendra Motin. Cela se pratique déjà !

M. Éric Woerth. Non : il n’existe pas, à l’heure actuelle, de cas de cette nature. L’État paie évidemment des cotisations – élevées – en tant qu’employeur, mais vous ouvrez des droits sur une rémunération, à partir d’un faible taux de cotisation qui sera compensé par l’employeur, c’est-à-dire par le contribuable. C’est une injustice totale.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, vous dites qu’il vous faut du temps. J’en suis bien d’accord, et nous avons aussi besoin de temps. Mais vous avez tout fait pour que le débat n’ait pas vraiment lieu, en faisant le choix de la procédure accélérée. Par vos propos, vous apportez une nouvelle fois la démonstration que vous n’êtes pas prêts. Vous nous parlez de dérogations, d’exceptions : c’est la preuve que votre dossier n’est pas ficelé. Les propositions que vous faites ne sont pas adaptées à la fonction publique, à la structure des carrières, au traitement de ses agents ; il y aurait des progrès à faire pour améliorer leur droit à la retraite. Nous avons, pour notre part, formulé des propositions en ce sens, que nous avons traduites en amendements. Certains d’entre eux, d’ailleurs, continuent à être déclarés irrecevables, ce que je regrette, car cela ne permet pas d’avoir un débat aussi ample que l’exigerait le sujet. Il y avait la retraite Croizat : avec vous, ce sera la retraite « crois‑y ». (Sourires.)

M. Ugo Bernalicis. On commence à bien comprendre votre système universel et à percevoir qu’il sera universellement injuste : dans le cas des fonctionnaires, c’est flagrant. On peut considérer la question de plusieurs façons. L’intégration des primes au calcul de la retraite peut sembler intéressante, bien que cela existe déjà pour les cadres, avec le dispositif – plafonné – de la retraite additionnelle de la fonction publique. On peut se dire que la réforme sera favorable aux cadres, dont les primes ne sont, pour l’heure, que faiblement prises en compte. Mais pour tous les fonctionnaires qui n’en perçoivent pas, ou très ou peu, le passage à un système par points ne leur sera d’aucun avantage, à plus forte raison avec une pension calculée sur l’intégralité de la carrière. Les surveillants pénitentiaires, notamment, mais peut‑être l’ignorez-vous, ne perçoivent aucune prime et dépendent intégralement de l’évolution du point d’indice. À ce propos, monsieur le secrétaire d’État, comment avez-vous défini son évolution, en élaborant votre étude d’impact, au cours des vingt, trente, quarante ou cinquante prochaines années ? Avez-vous prévu, vous aussi, son gel éternel ?

M. Paul Christophe. Les questions relatives aux transitions m’intéressent au premier chef, puisque je suis rapporteur sur le titre V : plus on avancera vite, plus on aura le loisir de s’y pencher avec toute la sérénité qui sied. On en reparlera, je l’espère, lors de l’examen des articles 61 à 65.

Cher Pierre Dharréville, j’espère que vous m’adresserez les amendements que vous évoquiez, quand bien même ils seraient déclarés irrecevables. Il serait intéressant qu’on les habille, sous une forme ou une autre, ou en tout cas que l’on échange à leur sujet. Je suis sensible, en effet, à la qualité du travail auquel vous vous astreignez habituellement, et je ne doute pas que vous ayez préparé l’examen du texte de la même façon. Il serait intéressant qu’on examine la portée de ces amendements.

Les transitions se feront certes sur des périodes relativement longues
– quinze à vingt ans –, mais il faut garder à l’esprit que leur objet est de préserver les droits acquis. Ce n’est pas neutre et, compte tenu de l’ensemble des carrières et des dispositifs concernés, cela mérite d’y porter toute notre attention et de prévoir une évolution sur un certain temps.

Le dialogue social, vous l’avez compris, a aussi toute sa place dans cette aventure. On ne peut pas à la fois regretter qu’on ne soit pas à l’écoute des partenaires sociaux et déplorer qu’on leur donne trop d’importance au détriment du dialogue parlementaire. Il me semble que le dialogue social et le débat parlementaire peuvent coexister. J’ai en tout cas une très grande confiance dans le dialogue social actuellement conduit et je suis persuadé que qu’il aboutira à des dispositifs de transition qui sauront préserver les intérêts des cadres comme de ceux qui ne perçoivent pas de primes. J’y suis en tout cas très attentif.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Notre droit social se caractérise par un morcellement extrême et une multitude de situations particulières au sein même de chaque statut. Ce que vous voyez comme des avantages acquis est perçu par beaucoup comme une injustice, car on ne connaît plus les raisons historiques qui en sont à l’origine : ils peuvent être le fruit, par exemple, de combats sociaux ou de la sédimentation de plusieurs réglementations. Certains peuvent se demander pourquoi ils ne bénéficient pas de tel ou tel avantage. C’est tout l’objet de la transition. On peut aborder tous les cas particuliers possibles mais, en l’occurrence, nous souhaitons travailler sur la situation générale. Et si vous me permettez ce jeu de mots, madame Fiat, notre souhait est de faire en sorte qu’il y ait le moins de Caroline possible à rester sur le carreau... (Sourires.)

La commission rejette les amendements.

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9.   Réunion du jeudi 6 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 6 à l’article 7)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8714391_5e3c18f54cdd8.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-6-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 1 527 amendements. Il en reste 18 911.

M. Pierre Dharréville. Je suis déjà intervenu sur question de la recevabilité des amendements et je remercie Éric Woerth d’avoir bien voulu me répondre, avec ses services, plus précisément sur les raisons de leur irrecevabilité. Par exemple, quand on veut amender le texte en touchant aux âges indiqués dans le projet de loi, on en est empêché. Lorsqu’il s’agit de proposer de porter la pension minimale de retraite à 85 % du montant mensuel, mesure qui a été annoncée par le Gouvernement mais qui ne figurait pas dans le projet de loi, l’amendement est accepté. Mais lorsque nous proposons que ce montant ne soit pas inférieur au SMIC, l’amendement est jugé irrecevable. Je ne comprends pas pour quel motif… Nous souhaiterions que toutes les propositions puissent être examinées.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne peux que vous répéter de vous adresser, pour plus de précisions, au président de la commission des finances.

Article 6 (suite) : Champ d’application du système universel de retraite (fonctionnaire, magistrats, militaires)

La commission examine les amendements identiques n° 4128 de Mme Caroline Fiat et n° 4138 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Nous en sommes toujours aux modifications portant sur les retraites des fonctionnaires. Ce matin, j’ai évoqué le cas des aides-soignants, mais comme on m’a rappelé qu’il n’y avait pas que des soignants dans la fonction publique hospitalière, je prendrai cette fois-ci l’exemple de l’adjoint administratif, cette personne qui vous accueille gentiment et qui se fait beaucoup insulter parce que cela ne va jamais assez vite. Auparavant, le calcul de sa retraite se faisait sur la base des six derniers mois, soit environ 2 183 euros par mois. Dorénavant, ce sera une moyenne, soit 1 911 euros, ce qui représente une perte de 272 euros. Bien évidemment, on ne peut pas accepter qu’on puisse faire perdre 272 euros à un fonctionnaire qui a donné sa vie à l’hôpital public. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 1er de l’article 6.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4138 est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Beaucoup d’entre nous se projettent dans le futur système de retraite. Or celui-ci est fait pour s’adapter aux réalités professionnelles d’aujourd’hui et de demain qui sont de moins en moins linéaires, de moins en moins sans à-coups. Certes, on pourra trouver le cas de personnes qui auront travaillé, de 22 à 65 ans, dans la même entreprise et qui auront connu une progression de salaire. Elles risquent en effet d’être touchés, mais il est rare qu’on soit agent d’accueil à l’hôpital public toute sa carrière. Aujourd’hui, les vrais perdants sont les polypensionnés, ceux qui ont des trous dans leur carrière, ou encore les femmes dans certaines circonstances. Je suis donc défavorable à exclure telle ou telle catégorie.

M. Gilles Carrez. L’unification à marche forcée entre le privé et le public me paraît vraiment relever de l’esprit de système. C’est même un dogmatisme qui va multiplier les difficultés et, derrière, les injustices.

Lors des réformes précédentes, comme l’a dit Éric Woerth, nous avons unifié les taux de cotisation dans le public et le privé, et les âges de départ à la retraite, mais nous ne l’avons pas fait sur les assiettes parce que les six derniers mois répondent à une logique totalement liée à la plupart des déroulements de carrière dans les trois fonctions publiques. On a beaucoup parlé des fonctionnaires enseignants et enseignants-chercheurs, pour lesquels d’ailleurs est prévue une loi de programmation pluriannuelle, mais le même problème se pose pour les personnels de catégorie C qui représentent l’essentiel des fonctionnaires de la fonction publique territoriale, auxquels on donne souvent – tous les maires le savent – le coup de chapeau avant la retraite, ce qui permet un avancement pour avoir une retraite décente. Ce matin, Mme Fiat a évoqué à juste titre le cas des aides-soignantes. Il va falloir compenser tout cela, à coup de lois de programmation.

Mais il nous manque une donnée, monsieur le secrétaire d’État. Ce matin, on vous a demandé comment sera financé le manque à gagner de CSG, et ces augmentations indispensables de rémunérations dans nos différentes fonctions publiques.

Pour trouver une solution sur la caisse indépendante des avocats, il serait envisagé par la garde des sceaux d’augmenter le montant de l’aide juridictionnelle. Tout cela conduira à des milliards de dépenses publiques supplémentaires, mais nous n’avons pas de chiffrage. Monsieur le secrétaire d’État, existe-t-il un tableau de financement pluriannuel sur les coûts budgétaires de cette réforme dans un pays dont la dette publique a dépassé les 100 % du PIB ?

M. Thibault Bazin. C’est une question de responsabilité !

M. Pierre Dharréville. La première partie de l’intervention de Gilles Carrez correspond à un problème que vous ne traitez pas et sur lequel je concentrerai mon propos : le traitement des fonctionnaires.

Ce matin, Henri Sterdyniak s’est exprimé dans nos murs, avec d’autres économistes, dans le cadre de la semaine de contrôle à l’Assemblée nationale, en présence de Mme Agnès Pannier-Runacher, et il a publié hier une tribune dans Le Monde, dont je vous livre la conclusion : « Il faut donc choisir entre deux hypothèses : soit le Gouvernement envisage effectivement une forte paupérisation des fonctionnaires, la baisse relative de leurs salaires entraînant automatiquement une baisse de leurs retraites ; soit l’étude ne l’a envisagée que comme un stratagème pour masquer la forte baisse du taux de remplacement. Est-il acceptable qu’un gouvernement présente ainsi des données fallacieuses dans un document destiné à éclairer le débat public et le vote des parlementaires ? » Il critique fortement les hypothèses que vous avez utilisées pour présenter l’impact de votre projet de loi. Avez-vous des réponses à apporter à cet éminent économiste et à nous par la même occasion ?

M. Boris Vallaud. Ma question ira dans le sens de celle de Pierre Dharréville.

Dans chacune de vos hypothèses, vous avez bidonné les projections, c’est-à-dire que vous appliquez la loi de 2014 au-delà de ce qu’elle prévoit, vous prévoyez un rendement constant de 5,5 % dans le futur système qui n’est pas garanti par la loi, et vous ne prévoyez des gains de pouvoir d’achat que par une augmentation de la part des primes. Ce faisant, cela vous permet de comparer un régime imaginaire qui se dégraderait où, en effet, les primes n’étant pas prises en compte dans le calcul de la retraite, les pensions ne sont pas très hautes, avec un système futur où tous les curseurs seraient au vert. Quel crédit peut-on donner à vos hypothèses, dans ces conditions? Elles sont démontées méthodiquement les unes après les autres. N’avez-vous pas l’impression de tromper la représentation nationale et les Français?

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 4145 de Mme Caroline Fiat et n° 4155 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. On ne cesse de parler des problèmes rencontrés pour recruter des personnels dans nos hôpitaux. Si on ne leur permet pas d’avoir une retraite décente, je crains qu’on ne vide ces établissements. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 2 de l’article 6.

Mme Sabine Rubin. Ce projet de loi a le mérite de mettre en évidence la faible rémunération des fonctionnaires, et notamment des enseignants dont la rémunération est inférieure de 22 % à celle de leurs homologues des pays de l’OCDE. Je sais que le Gouvernement a l’intention de revaloriser ces rémunérations, mais cette revalorisation est très incertaine.

Par ailleurs, on profite de la nécessité de revaloriser le traitement des enseignants pour faire une loi de programmation qui modifiera complètement leurs missions. Comme je n’ai qu’une minute pour m’exprimer, je donnerai ultérieurement des chiffres précis concernant les enseignants. Si vous voulez créer une catégorie de futurs pauvres, vous ne pouvez pas mieux vous y prendre.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Rassurez-vous, madame Rubin : vous n’avez qu’une minute, mais des milliers de fois…

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Sortir les fonctionnaires d’un régime universel est un non-sens absolu.

À l’instant, on a évoqué la rémunération des enseignants, et tout à l’heure le manque de rentabilité de l’agriculture ou encore l’aide juridictionnelle. On découvre avec gravité l’ensemble des sujets qui n’ont pas ou qui ont mal été traités depuis des années. On ne peut pas régler tous ces problèmes d’un coup de baguette magique. Il est normal que les avocats qui rencontrent Mme la garde des sceaux évoquent la retraite mais aussi les autres sujets qui les concernent, comme l’aide juridictionnelle. Et quand on voit les montants que touchent les avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle, on s’aperçoit que cela ne fait pas cher de l’heure. De même, on constate qu’il y a un écart substantiel entre les traitements des enseignants français et allemands. Chaque ministre concerné se penche sur la trajectoire à suivre en fonction des ressources propres de son ministère et des objectifs liés à la retraite. Tous ces sujets sont pris à bras-le-corps, mais demandent du temps.

Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 2.

M. Stéphane Viry. Le sujet est sensible et le Conseil d’État a bien mentionné le risque d’inconstitutionnalité d’un certain nombre de dispositions législatives.

Je rejoins les propos de Gilles Carrez. Même si nous sommes favorables à un universalisme, celui-ci doit être éclairé. Les métiers de la fonction publique ne sont pas, par nature, similaires à ceux du privé, puisqu’il s’agit de remplir des missions d’intérêt général et de service public. Notre dispositif qui prévoit pour les métiers de la fonction publique des régimes différents répond à ce qu’on attend des hommes et des femmes qui sont au service de l’intérêt général.

Monsieur le rapporteur, j’entends qu’il faut globalement vous faire confiance en laissant chaque ministre trouver, dans son domaine de compétences, la solution adaptée pour que tout s’emboîte bien. Je considère quant à moi qu’il y a une forme de rupture par rapport à ce qu’on attend et demande à un fonctionnaire, et surtout un risque d’embolie dans les trois fonctions publiques. C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup de doutes quant à l’universalisme que vous voulez mettre en œuvre à tous crins dans l’article 6.

M. Pierre Dharréville. Je reprends à mon compte les propos qui viennent d’être tenus par notre collègue Stéphane Viry.

À la page 149 de l’étude d’impact – au moins peut-on considérer que les chiffres qui indiquent les pages, eux, ne sont pas truqués – on peut lire ceci : « Les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d’activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré ses règles différentes », autrement dit il y a deux systèmes de calcul qui aboutissent à un taux de remplacement à peu près identique. Quant à Henri Sterdyniak, il indique que le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente actuellement 123 % de son salaire moyen de carrière et que, dans le nouveau système, le taux de remplacement à 65 ans, après 42 années de carrière, serait sur le salaire moyen de 58,47 %. Je souhaiterais avoir des précisions sur les effets de cette réforme.

M. Boris Vallaud. Hier, je n’ai pas obtenu de réponse très claire sur l’augmentation de 0,23 % de la part des primes pour les enseignants. D’où vient cette hypothèse ? Pour quelles raisons l’avez-vous retenue ? Vous paraît-elle réaliste ? Avec cette hypothèse, quelle serait, dans le cadre du système actuel, le taux de remplacement moyen des salariés du privé et des fonctionnaires en 2050, 2060 et 2070 ? Est-ce cette hypothèse qui explique, dans votre étude d’impact, un résultat assez surprenant ? Dans le système actuel, le niveau de pension des fonctionnaires, enseignants et non enseignants, stagne jusqu’à la génération 2000, voire diminue – c’est le graphique 52 – et il augmente de plus de 10 % pour l’ensemble des retraités – c’est le graphique 66. Comme vous, je me réfère à votre étude d’impact.

Mme Cendra Motin. Nous sommes parfaitement conscients que, depuis 30 ans, peu de choses ont été faites pour certains salaires dans la fonction publique. C’est notamment le cas pour les enseignants, et dans la fonction publique hospitalière où nous essayons de rendre plus attractives les rémunérations.

Je rappelle en outre que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale a validé ce projet de loi.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur les calculs atterrants de cet économiste attéré dont vous ne cessez de parler. Il oublie que le fait que le point augmente avec les salaires, et non avec l’inflation, permet de garantir ce fameux taux de remplacement.

Enfin, bien sûr les fonctionnaires portent l’intérêt général, mais ils ne sont pas les seuls : il en va de même pour un médecin qui prête le serment d’Hippocrate, ou pour une infirmière. Pourquoi leur régime de retraite serait-il différent ? Ce qui compte avant tout pour nous, ce n’est pas le statut mais le service rendu à la nation.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je pense que la discussion a été assez nourrie sur la question des enseignants qui a fait l’objet d’un amendement du rapporteur général. Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer ont pris l’engagement irrévocable de revoir le contrat qui lie la nation et les enseignants et enseignants-chercheurs. La lecture du Gouvernement est très simple : il s’agit d’un investissement – 0,3 ou 0,4 % de PIB – qui permettra de reconstruire ce contrat social avec les enseignants et les chercheurs.

Je n’ai pas forcément la même lecture pour le reste de la fonction publique. Ce matin, on a appelé mon attention sur ceux qui bénéficient de peu de primes, notamment les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM). Il y a un an, Pierre Dharréville a eu la gentillesse de m’inviter à la fête de l’Humanité où j’ai assisté, avec Stéphane Viry et Boris Vallaud, à un débat au cours duquel nous avons évoqué le fait que les taux de remplacement des fonctionnaires et ceux des salariés du privé étaient relativement proches. Le sujet n’est donc pas tant le taux de remplacement que les règles qui s’appliquent. La page 215 de l’étude d’impact montre que les taux de remplacement des ATSEM sont très proches de 62 ans à 65 ans, et très favorables au-delà de 65 ans. Il ne s’agit pas de dire ici que tout le monde travaillera jusqu’à 65 ans, et que ce n’est pas parce qu’on est fonctionnaire qu’on ne travaille pas 42 ans. Certes, les fonctionnaires ont un système spécifique de calcul de la retraite, mais j’ai expliqué quelles en étaient les limites, notamment le rôle du point d’indice et le fait que les primes ne sont pas intégrées. L’étude d’impact montre bien la dynamique du système universel de retraite qui d’ailleurs sera très favorable en matière de redistribution à tous les fonctionnaires de catégorie C qui n’ont pas de primes, comme les ATSEM. Je vous renvoie au rapport de Yannick Moreau, très éclairant à cet égard.

Appliquer les mêmes règles à tout le monde n’implique pas que certains seront perdants. Tout cela va se construire dans le temps. Les exemples sont rassurants, notamment pour ceux qui ont les carrières les plus plates et une évolution salariale malheureusement relativement faible.

La commission rejette les amendements.

Elle étudie ensuite les amendements identiques n° 4162 de Mme Caroline Fiat et n° 4172 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Les médecins ont beau avoir tous prêté le serment d’Hippocrate, le salaire d’un médecin dans le privé n’est pas le même que celui d’un médecin dans le public. C’est peut-être pour cela que les médecins qui exercent dans le public ont droit à quelques petites compensations lorsqu’ils partent à la retraite.

Mme Sabine Rubin. J’ai bien entendu que le cas des professeurs et des chercheurs posait problème. D’ailleurs, si les collectivités territoriales ont validé la réforme, ce n’est pas le cas des enseignants qui sont en ce moment même dans la rue.

J’ai bien compris également que le ministre de l’éducation nationale allait se saisir du problème au travers d’une loi de programmation, et en profiter pour modifier complètement les missions des enseignants, ce qui les inquiète.

Selon votre étude d’impact, le pouvoir d’achat d’un professeur certifié à un échelon donné n’augmenterait que de 0,2 % par an, dû entièrement aux primes, ce qui implique que le salaire d’un professeur certifié à 10 ans de carrière passerait de 165 fois à 0,97 fois du SMIC…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Rubin, je vous rappelle les règles que nous avons fixées depuis hier, même si elles déplaisent à certains qui nous regardent : chaque orateur dispose d’une minute pour présenter un amendement identique, quel que soit le groupe auquel il appartient.

Je déteste couper le micro. Même si je suis accusée, par vos supporters, de me comporter comme un censeur, sachez que je sais faire respecter cette règle pour tout le monde.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je voudrais répondre à M. Vallaud qui nous interroge régulièrement sur les taux de remplacement en 2050, en 2060, en 2070... C’est un exercice de prévision qui part d’hypothèses. C’est la limite de l’exercice. Avec la révolution numérique, par exemple, qui sait si les métiers d’aujourd’hui existeront encore dans cinq ans ? S’agissant des avocats, par exemple, bon nombre d’articles évoquent qu’une partie du conseil juridique pourrait être automatisée, parce qu’il existe déjà des plateformes qui répondent aux questions posées très fréquement. L’enjeu de la réforme est de mutualiser. Il faut prévoir un cadre suffisamment souple pour prévoir les évolutions professionnelles. Sur les paramètres, on ne peut donc avoir que des tendances, des projections qui devront être affinées par les différents ministères chargés de ces métiers, et il convient de relativiser la précision des prévisions, ne serait-ce qu’à sept ou huit ans, ce qui est déjà extrêmement compliqué.

Défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez en effet identifié le problème des enseignants, comme on l’a vu lors de l’examen des alinéas 14 et 15 de l’article 1er. La mesure sera inscrite dans une loi de programmation – on parle de 0,3 à 0,4 % du PIB, coût difficile à chiffrer. Mais la loi de programmation militaire, par exemple, peut évoluer chaque année. Ce n’est pas parce que vous aurez pris un engagement lors de l’examen du texte dans l’hémicycle, qu’il n’y aura pas ensuite de variations sur la rémunération des enseignants

Par ailleurs, je vous rappelle que les agents des catégories C ne touchent quasiment pas de primes. Ce qui m’atterre, c’est que vos taux de remplacement sont très variables en fonction des professions et des catégories de fonctionnaires. Vous remplacez un régime dans lequel on savait à peu près quel était le taux de conversion, par des régimes spécifiques en fonction des professions : 60 % à 64 ans pour l’agent technique territorial, 53 % pour le rédacteur territorial, et 59 % à 64 ans pour les ATSEM. Qu’est-ce que c’est que cette vision universelle à l’entrée et spécifique à la sortie ?

M. Pierre Dharréville. Le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique a diminué de 15 % depuis 2000, ce qui a eu un impact à peu près identique sur les retraites des agents. Nous craignons que cela se poursuive et crée des inégalités.

Monsieur le rapporteur, alors que vous avez fait adopter, au début du texte, un objectif de lisibilité des droits, vous dites maintenant ne pouvoir vous engager que sur des tendances, des trajectoires. Comme Boris Vallaud, je demande que vous précisiez les taux de remplacement par catégorie, génération par génération.

Mme Caroline Fiat. Madame la présidente, vous dites que nos supporters vous auraient accusée d’être un censeur. Sachez qu’on ne choisit pas forcément ses supporters. Pour faire partie depuis deux ans et demi de cette commission, je sais que l’on peut y prendre la parole. Le bureau a décidé, bien malgré nous, que l’on ne pourrait disposer que d’une minute pour défendre un amendement – nous aurions préféré deux minutes. Ce n’est pas vous qui avez fait ce choix. Je tiens à vous dire que je suis assez choquée que l’on puisse vous insulter de la sorte.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie beaucoup.

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, moi non plus je ne suis pas d’accord.

Monsieur le rapporteur, plus on avance, plus vous nous expliquez qu’en fait on est dans une loi de programmation, avec les principes d’action de l’État. Vous vous êtes trompé de loi : ce n’est pas une loi ordinaire qu’il fallait faire.

Tout ce que vous nous demandez de voter n’est pas normatif et n’a donc pas sa place dans ce texte. Ce n’est pas nous qui avons présenté des cas d’espèce qui trouvent leur aboutissement dans 50 ou 60 ans ! Êtes-vous en train de nous dire que tout est bidon ? Vous dites essayer de nous apporter des éclairages, mais ce sont des éclairages basse tension, c’est vraiment très tamisé. En réalité, vous n’êtes pas prêt, et vous en faites la démonstration dans chacune de vos réponses. Je ne vous en veux pas de naviguer à vue, mais je vous demande simplement de le reconnaître.

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 4179 de Mme Caroline Fiat et n° 4189 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Je profite de mon temps de parole d’une minute pour finaliser mon explication précédente.

Je prends l’exemple d’un professeur, né en 2003, qui prendrait sa retraite à 65 ans – c’est déjà très courageux – en 2068, autrement dit dans 48 ans. Selon votre étude d’impact, ce professeur toucherait une pension de 2 990 euros avec l’actuel système prolongé et de 2 921 euros avec le système à points. Bien sûr, vous me direz que l’écart n’est pas grand, mais si on l’exprime par rapport au salaire moyen de l’économie, la baisse atteint 46 %. Si ce professeur partait à la retraite à l’âge de 67 ans – là, je lui souhaite bon courage –, sa pension atteindrait 3 460 euros. Cette somme représenterait cependant une baisse de 36 euros par rapport au salaire moyen, et encore si l’âge pivot ne change pas. Tout cela figure dans votre étude d’impact, qui montre bien une baisse très importante pour les enseignants. On ne voit pas comment, budgétairement, vous pourrez répondre à cette baisse.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Madame Rubin, par définition ce fonctionnaire, né en 2003, n’existe pas. Il a 17 ans aujourd’hui et, comme tous les jeunes de cet âge, il ne sait pas ce qu’il fera plus tard et il se pose beaucoup de questions. C’est le cas de mes enfants. Ils ont peur de s’engager dans une voie qui les contraindra toute leur vie. Statistiquement, un de mes enfants – mais je ne lui souhaite pas – devra refaire sa vie au cours de son existence. Comment faire des projections à trente ans pour des personnes qui seront amenées à changer de métier, de vie personnelle ? Les hypothèses doivent être prises comme des tendances. Vous confondez prévisibilité et lisibilité. La lisibilité, c’est savoir à tout moment quels sont ses droits sur son compte, ce qui permet de commencer à estimer quelle sera sa retraite. La prévisibilité, c’est tenir compte de son évolution de carrière, de l’inflation et de la progression du salaire dans la catégorie où on se situe.

Vous prenez le cas de carrières très linéaires, comme on a pu en connaître après‑guerre. Mais ce n’est plus la réalité aujourd’hui. Ne surestimons pas la précision d’une prévision de quelqu’un qui est né en 2003.

Défavorable.

M. Éric Woerth. Comment pouvez-vous rendre plus lisible la situation des uns et des autres alors que la réforme est totalement illisible ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’opinion publique. Personne ne parvient à l’expliquer ! Il est assez compliqué de considérer que ce sera plus simple pour chacun dans 30 ans, ce qui aurait été le cas avec une réforme nettement moins polémique et qui aurait donné des résultats peut-être plus efficaces sur le plan financier. L’illisibilité est la marque de fabrique de cette réforme. Vous essayez de tout mettre dans le même sac, et cela vous conduit à tordre la réalité des professions.

Mme Monique Limon. C’est bien parce que cette réforme de retraites est importante et complexe que nous posons aujourd’hui le cadre ; les détails seront examinés au fur et à mesure. En tout état de cause, l’instauration du système universel de retraite ne conduira pas à une baisse des pensions moyennes des fonctionnaires, mais permettra leur maintien.

Les fonctionnaires polypensionnés sont surreprésentés dans la fonction publique. En 2012, seuls 50 %, 17 % et 35 % des affiliés respectivement de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière touchaient une pension d’un seul régime de base. La filiation au système universel aura des effets positifs pour les générations des plus jeunes fonctionnaires et l’intégration des primes dans le calcul permettra l’acquisition de droits plus importants tout au long de la carrière. Oui, tout n’est pas complètement calé aujourd’hui, mais chacun travaille pour y parvenir. Pour autant, cela ne nous empêche pas de voter le cadre général et d’apporter des compléments au fur et à mesure.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21670 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. La pension militaire n’est pas assimilable à une retraite, ce que dénie l’alinéa 4 de l’article 6.

En effet, comme le rappelle le Conseil supérieur de la fonction militaire : « La pension contribue au dispositif de gestion des ressources humaines, manifeste une reconnaissance de la Nation pour l’engagement du militaire pouvant aller jusqu’à son sacrifice suprême et représente une rémunération différée en compensation de sujétions exorbitantes du droit commun. »

Pour que ce texte soit plus en adéquation avec l’attente des militaires et une meilleure reconnaissance de leur singularité militaire, le chef d’état-major considère que « La préserver est absolument central ». Cet amendement vous propose donc de remplacer le terme « retraite » par « pension ».

J’ajouterai que même le président Macron a déclaré, le 21 décembre en Côte d’Ivoire, aux côtés des troupes françaises : « Quand on est militaire on ne touche pas la retraite, on a une pension. C’est différent. »

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Votre amendement, comme beaucoup d’autres à l’article 37, vise à remplacer le terme de « retraite » par celui de « pension », afin de rappeler que cette retraite n’est pas qu’une simple pension de vieillesse, mais aussi un moyen de maintenir la jeunesse des forces armées, grâce à des départs anticipés. Cependant, le terme de « pension » n’apporte aucune garantie supplémentaire par rapport à l’ajout réalisé sur la recommandation du Conseil d’État à l’article 37, rappelant que les règles dérogatoires en matière de retraite des militaires font partie intégrante de leur condition. Avis défavorable.

S’agissant des conséquences financières de notre réforme, sur lesquelles j’ai été interpellé à plusieurs reprises, monsieur Woerth, vous avez été le ministre du budget d’un gouvernement qui, de 2008 à 2012, a fait passer l’endettement de la France de 65 % du PIB à 90 % ! Certes, les conditions économiques étaient exceptionnelles, mais cela devrait vous inciter à relativiser, car nous payons aujourd’hui le prix d’un endettement massif.

M. Fabien Gouttefarde. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, les militaires seront pleinement intégrés au système universel de retraite. Conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, les spécificités de la carrière militaire y seront intégrées, notamment pour conserver une armée jeune. Les militaires garderont la possibilité de bénéficier d’une retraite à jouissance immédiate et pourront cumuler une pension de retraite et un salaire, tout en continuant à engranger des points. Ce système universel est donc particulièrement bien adapté à la spécificité de la carrière militaire.

M. Éric Woerth. La situation de 2008 ou de 2009 n’avait pas grand‑chose à voir avec le climat économique paisible que nous connaissons, par définition plus propice aux réformes. S’agissant des retraites, la prévision de déficit s’élevait à 45 milliards. Nous l’avons réduit à quasiment rien ; puis il est reparti, comme nous l’avions dit, avant de baisser de nouveau. Il n’y a donc aucune surprise. Nous sommes légitimes pour évoquer les questions de financement, parce que nous avons rétabli les finances d’un système. Ce n’est pas normal que vous ne puissiez répondre à aucune question sur le financement. Votre réforme est aussi contestable dans son approche organisationnelle que dans son absence d’approche financière.

Mme Valérie Rabault. Pour avoir été rapporteure générale sous le précédent quinquennat, je suis toujours très surprise, monsieur le rapporteur, d’entendre de votre part que ce n’est pas grave de ne pas avoir les arbitrages budgétaires et financiers.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je n’ai pas dit ça !

Mme Valérie Rabault. Même si je comprends que tout ne soit pas arrêté, nous parlons des grandes masses ! Ce matin, je vous ai posé la question sur 43 milliards d’euros ! Dans l’hémicycle, il nous arrive parfois de débattre pendant deux heures d’un amendement à 20 000 ou 200 000 euros, alors qu’aujourd’hui, vous vous asseyez tranquillement sur 43 milliards.

J’ai lu très attentivement l’avis rendu par le Conseil supérieur de la fonction militaire. Ces trois pages, très détaillées, posent des questions précises. Si vous pouviez nous donner les réponses à toutes ces questions, cela nous rassurerait… En l’espèce, le Conseil dit ne pas pouvoir, en ce qui concerne la condition militaire, émettre un avis favorable. C’est une première, monsieur le rapporteur, que vous devez entendre !

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 4196 de Mme Caroline Fiat et n° 4206 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 5. Monsieur le rapporteur, vous disiez tout à l’heure que l’exemple de ma collègue n’était pas recevable, parce que les enfants de 2003 n’existaient pas. Mais si ! Ils sont bien nés ! Monsieur le secrétaire d’État, je passe mon temps sur votre site et son simulateur de parcours types. Mais les parcours ne sont pas bons – et j’ai le sentiment que le rapporteur partage mon avis ! La copie est à revoir !

Mme Sabine Rubin. Monsieur le rapporteur, je viens d’entendre une nouvelle subtilité : à défaut d’être lisible, votre loi est prévisible. Vu la politique que vous menez en matière d’écologie, je ne sais pas trop si l’on peut prévoir ce qui se passera dans quarante‑sept ans…

M. Blanquer serait par ailleurs très heureux d’apprendre la manière dont vous faites la promotion de sa volonté de revaloriser les métiers de l’enseignement : vous ne souhaitez pas que vos enfants choisissent une voie qui les contraignent toute leur vie ! Je ne savais pas que le métier d’enseignant représentait une telle contrainte ! Étant donné la valorisation et le futur que vous prévoyez, ce sera peut‑être, en effet, plus une contrainte qu’autre chose. L’enseignement, ce sont des métiers de passion qui n’ont pas vocation à être flexibles.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Avis défavorable sur les deux amendements.

Monsieur Bazin, l’avis du Conseil supérieur de la fonction militaire a été rendu avant celui du Conseil d’État. À la suite des remarques du Conseil d’État, l’alinéa 39 a été introduit à l’article 37 du projet de loi : « Art. L. 4111-1-1. – Les dispositions du chapitre IV du titre II du livre VII du code de la sécurité sociale relatives à l’application aux militaires du système universel de retraite concourent aux objectifs de la défense et permettent d’adapter à ces objectifs la structure des forces armées. Elles constituent une composante de la condition militaire. »

M. Thibault Bazin. Cet ajout est en effet pertinent. Mais ma question était sémantique. Il vaut mieux parler de pensions, pour les militaires, parce qu’elles peuvent être à jouissance immédiate. Tout l’intérêt du système actuel pour eux est dans la possibilité de cumuler leur pension avec un salaire. Conserver le terme de « pension » permettrait de maintenir, de manière claire, cette particularité.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements identiques n° 4213 de Mme Caroline Fiat et n° 4223 de Mme Sabine Rubin, ainsi que les amendements identiques n° 4230 de Mme Caroline Fiat et n° 4240 de Mme Sabine Rubin.

La commission examine l’amendement n° 21750 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Nous connaissons aujourd’hui très bien le mécanisme régissant les pensions des fonctionnaires : le principe des 75 % du traitement indiciaire des six derniers mois, sachant que le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente 123 % du salaire moyen. Nous aimerions que votre nouveau système soit aussi clair. Or il me semble qu’il exige soit un sacrifice des pensions des fonctionnaires, soit une explosion massive du budget de l’État, soit un mélange des deux. Quel choix faites‑vous ? Selon nos calculs, les conséquences de la réforme se chiffreraient à plus de 50 milliards d’euros par an. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que vous fixez un cadre et que tout y reste à définir.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Votre amendement supprime certaines catégories de fonctionnaires… Ce type d’amendement atteint vraiment ses limites avec de tels exemples. Nous avons parfois des débats intéressants sur des sujets de fond, mais demander la suppression du texte, alinéa par alinéa, est un non‑sens absolu !

Vous nous expliquez, d’un côté, que les retraites vont s’écrouler et, de l’autre, que les dépenses de l’État vont augmenter de 50 milliards. Quel tour de passe‑passe ! Actuellement, l’État ne cotise pas, en quelque sorte, à un régime de retraite pour les fonctionnaires, puisqu’il est son propre régime de retraite et qu’il paie les pensions au fil de l’eau. Si l’on définit un taux de cotisation théorique calculé d’après le rapport de la somme versée pour les pensions des fonctionnaires et du nombre de fonctionnaires, il sera très élevé – de l’ordre de 70 % suivant les catégories. Mais c’est purement théorique. L’État ne met pas d’argent dans un système de retraite qu’il toucherait de nouveau ensuite. Avec le taux de cotisation unique à 28 %, c’est sur le papier comme si l’État allait faire un gain magique. Mais il s’est engagé à financer les retraites déjà liquidées, à abonder cette même somme aux régimes de retraite universelle pour assumer les pensions. Il s’agit simplement d’une différence d’écriture, mais le montant est garanti, bien sûr. Il n’y aura pas, en 2025, une augmentation ou une baisse subite des cotisations.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, et quitte à me répéter, l’État assure actuellement ses propres retraites ; demain, il contribuera, comme les autres employeurs, à hauteur du taux de cotisation unique. Les normalisations d’assiette et de taux représenteront un coût de 45,7 milliards d’euros pour l’État, comme vous pouvez le lire à la page 143 de l’étude d’impact. Au moment de la bascule, l’État assurera mécaniquement l’ensemble de ses engagements ; par la suite, sa contribution évoluera selon la nature et la dynamique des dépenses qu’elle vise à couvrir. Soyez sereins sur ce sujet. Les principes retenus pour l’évolution de la contribution de l’État seront d’ailleurs présentés à la conférence sur l’équilibre et de financement des retraites. Nous sommes parfaitement transparents. L’État garantit évidemment les pensions de retraite et les droits qui ont été acquis.

M. Éric Woerth. L’État continuera de mettre pas mal d’argent dans le nouveau système. Il compensera certains points, comme la diminution de la CSG. Un jour, tout sera financé par la TVA, ce qui sera plus simple, même si je doute que ce soit le meilleur système... Ma question portait sur la trajectoire du financement de l’État. Évidemment qu’il continuera à verser une subvention d’équilibre aux régimes des retraites pour contrebalancer le déséquilibre démographique du régime de la fonction publique. Mais une fois qu’il sera universel, cette subvention aura vocation à demeurer pendant une période de transition. Comment la contribution de l’État pour ses fonctionnaires va‑t‑elle évoluer, d’autant qu’il aura à payer le surcroît de cotisations sur les primes, qui seront intégrées au régime de retraite ? Quel sera le bilan global pour l’État dans cinq ans et dans quinze ans ?

M. Boris Vallaud. J’ai bien compris la baisse de cotisations et la compensation par l’État, mais qu’en est‑il des employeurs publics que sont les collectivités locales et les hôpitaux publics ? Si j’en crois le tableau 20 de l’étude d’impact, ils auraient, du fait de la baisse de leurs cotisations, un gain de 5,5 milliards d’euros. Où passe cet argent ?

Par ailleurs, s’agissant de la trajectoire des augmentations salariales, où en êtes‑vous dans les discussions avec les partenaires sociaux, notamment sur la question des contreparties ? Combien cela coûte‑t‑il ? La contrepartie, est‑ce moins de fonctionnaires ? Des primes de mobilité ? Des primes en échange d’une réduction des congés ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il y a quelques jours, au Conseil national d’évaluation des normes, ont été présentés des éléments de l’étude d’impact. Le tableau 40, page 180, présente explicitement l’impact financier de la réforme sur les administrations publiques à l’horizon de 2050 en points de PIB, avec l’effet sur les soldes des différents secteurs, mais également sur le niveau du solde du système de retraite. On voit que l’effet de la réforme sur les collectivités locales est quasi nul. La cotisation employeur va baisser. À l’inverse, la cotisation sur l’intégralité des primes va augmenter. Il sera également nécessaire de définir des surcotisations pour financer les départs anticipés, notamment des catégories actives mises en extinction. Les effets s’annulent, ce qui est rassurant pour les collectivités locales.

L’État, quant à lui, répondra à ses engagements financiers. Il devra également intégrer progressivement les conséquences financières de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories actives. L’équilibre de la réforme est bien pris en compte.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 4250 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4254 de M. Adrien Quatennens et n° 4257 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement est défendu.

M. Adrien Quatennens. En tant que fonctionnaires, la situation sera défavorable aux militaires. D’ailleurs, au sein même de l’armée, l’opposition au projet de loi est claire. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 8. Quant aux fonctionnaires, si leur pension est calculée sur la base de l’ensemble de leur carrière plutôt que sur les six derniers mois, le niveau de leur pension baissera, ce qui les poussera à travailler plus longtemps.

Mme Sabine Rubin. L’augmentation du traitement des fonctionnaires étant très progressive au cours de leur carrière, il est plus intéressant pour eux de tenir compte des six derniers mois. Par ailleurs, il y a beaucoup de femmes parmi les fonctionnaires, et elles seront les perdantes du régime à points.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer précédemment, avis défavorable.

M. Gilles Carrez. Monsieur le secrétaire d’État, en commentant le tableau 40 de l’étude d’impact, vous nous avez dit qu’à l’horizon de 2050 la réforme n’aurait qu’un effet marginal en matière de surcoût pour les collectivités, les cotisations s’équilibrant. Mais la note de bas de page est très intéressante, puisqu’il y est expliqué que tous les calculs sont faits hors revalorisation salariale. Or, si l’on prend les catégories C, qui ont peu de primes, en l’absence de revalorisation salariale, contrairement à ce qui est prévu pour les enseignants et les chercheurs, il est évident que leur niveau de retraite qui est déjà très faible, mais qui est calculé sur la base des six derniers mois, sera largement inférieur. Il est impossible de leur garantir un niveau équivalent de retraite sans mesure de revalorisation salariale. Peut‑être vous fondez‑vous sur une hypothèse implicite pour limiter à ce point le surcoût : le recul de l’âge de départ ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Les chiffres du tableau 40 font bien montre d’un gain pour les collectivités territoriales. Reprenons le tableau 66, page 215, concernant les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, dont le cas est assez représentatif parmi les catégories C. La dynamique redistributive du système leur est favorable, précisément parce qu’ils ont des carrières plates avec peu de primes. Ils font en réalité partie des 30 % de retraités aux revenus très modestes, qui bénéficieront fortement de la dynamique redistributive, même si cela vous semble contre‑intuitif.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 4436 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4440 de M. Adrien Quatennens et n° 4443 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous allons parler ici de gens dont on ne parle jamais et qu’on ne verra jamais dans une manif : les gens qui participent au renseignement, de l’espionnage et du contre‑espionnage. Je ne sais pas dans quoi vous êtes encore allés fourrer les doigts ; mais il s’agit de services dont l’organisation est très spéciale, qui n’a pas vocation à être rendue publique, et dont nous avons absolument besoin. Je ne mesure pas tout à fait les conséquences, même si j’ai quelques idées, d’après les renseignements qu’on m’a donnés. Ce n’est pas une bonne idée du tout d’aller fiche la pagaille là‑dedans. Nous avons besoin de ce service, et qu’il y ait plus de monde dedans. Nous avons eu toutes sortes de déboires ces temps derniers, notamment en ce qui concerne l’intelligence économique ou spatiale, montrant que nous devons faire des efforts. Il faut rendre ces métiers plus attractifs, et pas plus compliqués en changeant leur régime de retraite. Je vous suggère, chers collègues, de voter avec nous la suppression de l’alinéa, afin d’obliger le Gouvernement à bien réfléchir à ce qu’il fait. Il faut être sûr que cet alinéa n’est pas seulement une idée de technocrate qui s’est rappelé qu’il y avait une catégorie de fonctionnaires à intégrer à la loi.

M. Adrien Quatennens. Même si certaines professions n’avaient pas l’habitude d’être dans la lutte et que nous les y avons vues, ce ne sera pas le cas de cette profession. Vous souhaitez tripatouiller leur régime de retraite. Les professionnels du secteur qui ont eu l’occasion de s’exprimer sont très critiques à l’égard de votre projet de loi, notamment de votre incapacité à proposer des simulations des différentes situations. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet alinéa 9, comme nous le ferons pour d’autres professions. Pour plusieurs régimes, même l’étude d’impact, si insincère soit‑elle, ne permet pas d’entrevoir ce qui se produira pour ces professions, sinon que ce sera plus compliqué pour elles.

Mme Sabine Rubin. Avec un régime par points, la pension reflète au plus près la somme des cotisations versées tout au long de la vie active, dans une logique d’individualisation. Or les femmes fonctionnaires ayant des carrières particulièrement heurtées, leur pension sera le reflet de ces aléas et de leurs mauvaises années. Les femmes, qui sont les bénéficiaires majoritaires des dispositifs de solidarité et qui sont majoritaires parmi les fonctionnaires, seront les premières victimes du nouveau régime.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je m’associe à M. Mélenchon et M. Quatennens pour rendre hommage à tous nos agents de l’ombre. Néanmoins, ils sont des citoyens français et sont, de ce fait, concernés par le système universel, qui n’exclut pas une attention spécifique pour telle ou telle catégorie de métiers. Pour l’anecdote, quand Jules Ferry a instauré l’école publique, c’était loin d’être évident. Or, aujourd’hui, on trouverait très surprenant que les écoles diffèrent en fonction de l’employeur des parents, comme ce pouvait être le cas dans les villages de mineurs. La retraite, qui est un peu le pendant de l’école, est un temps où la société devrait se retrouver, de sorte que les règles soient les plus communes possible. Il faut évidemment porter une attention spécifique aux agents de la DGSE et d’autres services similaires. Mais il est bien aussi qu’à certains moments de la vie l’ensemble de la nation se retrouve dans des règles les plus communes possible. Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je sollicite de mes collègues un vote de l’amendement de suppression de l’alinéa, de manière à ce que la question particulière des agents du renseignement soit discutée avec eux dans des conditions permettant d’appréhender la spécificité de leur travail, que le rapporteur a dit entendre. Mais s’il a d’abord dit qu’il était, comme nous tous, sensible à leur métier particulier, il est ensuite aussitôt passé à l’idée qu’il valait mieux que tous les Français aient le même système de retraite. Or ce n’est pas exactement ce que nous sommes en train de faire, puisqu’on fait un régime universel qui ne l’est pas et que toutes sortes de régimes spécifiques vont être maintenus. Les gens visés par cet alinéa ne pourront pas s’exprimer et ne pourront pas vous rencontrer, ni venir devant notre commission. Je demande une suppression de l’alinéa pour nous obliger à examiner ce cas particulier, parce que je ne suis pas sûr qu’un agent du renseignement de 65 ou 67 ans soit dans les meilleures conditions pour exercer son métier. Votez cet amendement, chers collègues, pour préserver la qualité du renseignement de notre pays.

M. Éric Woerth. On ne peut pas prendre tous les cas types ; ce serait bien trop compliqué. Et l’absence de partie financière, dans le projet de loi, complique encore le débat. Les gains de pouvoir d’achat que vous évoquez, dans certains tableaux, concernent essentiellement les petites retraites, ce qui est une bonne chose. Mais, en réalité, ce n’est pas votre système universel qui produit un tel effet, c’est parce que vous remontez le minimum contributif, ce qu’il aurait été tout à fait possible de faire sans tout remettre en cause inutilement... Les retraites n’augmentent finalement que très peu, pour certaines catégories, ici ou là. Comment faites‑vous pour réduire le poids des retraites dans le PIB, tout en les augmentant ? Peut‑être supposez‑vous que la croissance augmentera très vite et que le PIB augmentera plus vite que les retraites ? Mais cela pose la question du calcul même des retraites. Les parlementaires devront avoir à un moment une vraie réponse : pourquoi aussi peu de résultats pour un tel chambardement ?

M. Jean-Jacques Bridey. Les amendements identiques de La France insoumise visent à supprimer des alinéas ou des articles. Or les sujets qui sont traités dans certains des amendements le sont aussi dans d’autres articles. Par exemple, la situation des militaires sera traitée à l’article 37, sur lequel des groupes ont déposé des amendements qu’il serait essentiel d’étudier. Mais nous n’arriverons jamais à l’article 37, parce que nous ne faisons que discuter de suppression d’articles et d’alinéas, sans avancer. Le débat ne peut pas progresser, étant donné que nous n’avons pas tous les éléments.

M. Pierre Dharréville. Je comprends pour partie les préoccupations de Jean‑Jacques Bridey. C’est pour cela que la formule du retrait provisoire, suggérée par Jean‑Luc Mélenchon, en attendant d’en savoir plus et d’examiner les prochains articles, serait peut‑être la bonne.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 4453 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4457 de M. Adrien Quatennens et n° 4460 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4453 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 10. Monsieur Bridey, nous n’ignorons pas que les prochains articles de la loi aborderont plus en détail le sujet que nous évoquons dans cette partie relative aux principes généraux. Nous sommes tout à fait favorables à l’idée d’examiner les prochains articles ; mais il faudra seulement peutêtre un peu plus de temps que celui prévu par le Gouvernement. Tout dépend du côté où l’on se positionne : vous considérez que le problème est le nombre d’amendements ; nous considérons que le problème est l’empressement du Gouvernement à faire adopter une réforme extrêmement contestée. Si le temps imparti pour nos débats le permet, nous irons jusqu’au bout des articles et aurons l’occasion d’évoquer tous les détails que vous appelez de vos vœux.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4460 vise à supprimer l’alinéa qui concerne les administrateurs parlementaires, qui d’ailleurs travailleront tout le week-end. Aucun autre article du projet de loi ne vient ensuite aménager leur situation. Ils seront donc régis par les règles générales : leur retraite ne sera plus calculée sur les six derniers mois de traitement ; leur pension baissera ; ils seront aussi victimes de toutes les mesures concernant les fonctionnaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. J’ai l’impression de me répéter. Madame Rubin, je ne sais pas si vous avez des enfants. Mais si l’un choisit d’être fonctionnaire et l’autre de travailler dans le secteur privé, ne souhaiteriez-vous pas qu’ils disposent des mêmes conditions d’obtention de la retraite ? Nous mettons en place le système de retraite de la génération qui vient de commencer à travailler, et des suivantes. Nous souhaitons assurer la stabilité de l’ensemble grâce à la mutualisation et à des règles identiques pour tous.

Bien sûr, nous allons intégrer tous les fonctionnaires. Mais ce n’est pas parce que nous les intégrons que nous ne reconnaissons pas la qualité de leur travail. Je constate le travail que réalisent les administrateurs à mes côtés : ils sont particulièrement sollicités en ce moment, et extrêmement professionnels. Nous connaissons tous leurs horaires particuliers – nous le voyons régulièrement dans l’hémicycle – et la qualité du service qu’ils rendent. Il ne s’agit donc pas de remettre en cause la qualité de leur investissement, mais de « faire unité » dans notre société au cours de cette période particulière qu’est la retraite.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 4470 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4474 de M. Adrien Quatennens et n° 4477 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous allons continuer à nous pencher sur différentes professions. L’amendement n° 4470 concerne les magistrats, dont le statut professionnel est sensible. Comment réagissent-ils ? En analysant les documents produits par leurs syndicats, l’unanimité est frappante. Quel est leur principal reproche ? Ils ne savent rien de leur condition à venir. Ils ne peuvent donc en retenir que ce que leurs collègues, magistrats au Conseil d’État, en ont dit.

Peut-être allons-nous entendre le ministre ou le rapporteur – puisque c’est lui qui fait tout le travail – nous expliquer ce qui se passe. Ainsi les magistrats en sauront-ils un peu plus…

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 4474 est similaire.

Le Syndicat de la magistrature a, comme beaucoup d’autres, appelé à la grève. Il dénonce la surdité du Gouvernement et l’opacité de cette réforme. Beaucoup de professions attendent toujours des simulateurs pour pouvoir se repérer, avec une certaine impatience – elle atteint ses limites. Elles seront d’autant plus méfiantes que les vingt-huit cas types présentés sur le site internet du Gouvernement sont biaisés par le gel de l’âge d’équilibre… Ils ont été repris dans l’étude d’impact mais, avec le report de l’âge d’équilibre, le collectif Nos retraites, ne trouvent plus que dix gagnants, alors que vous en comptiez vingt et un sur vingt-huit ! Par souci de transparence, nous espérons que le ministre aura, dès à présent, des éléments à nous transmettre sur le cas particulier des magistrats…

Mme Sabine Rubin. Nous sommes à nouveau face à un cas de figure, celui des magistrats, qui sera traité « ailleurs », « à part ». Vos réponses m’évoquent une règle d’orthographe : avec l’auxiliaire avoir, le participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le complément d’objet direct (COD) si ce dernier est placé avant le verbe. Si c’est le cas, on connaît le genre du COD et on peut accorder le verbe ; mais s’il est placé après, on ne le sait pas, donc on ne peut pas. Nous sommes dans la même configuration : les différents cas de figure sont traités après la règle générale et nous ne savons donc pas comment l’accorder. C’est pourquoi nous plaidons pour la suppression de l’alinéa.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie pour cette parenthèse grammaticale !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Si je comprends bien, madame Rubin, il eût fallu que vous le sachiez. J’ai du mal à accorder tout cela… Je suis défavorable à ces amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4487 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4491 de M. Adrien Quatennens et n° 4494 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4487 vise les militaires. Ils sont mécontents, c’est le moins qu’on puisse dire. L’armée n’est pas autorisée à s’exprimer par le biais de syndicats et ses membres ne peuvent adhérer à aucun parti – même si c’est discutable. Pour autant, une structure – le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) – est chargé de transmettre leur avis aux autorités, et elle est sévère. Le Parisien du 18 janvier, reprenant un document interne au ministère des armées daté du 15 janvier, s’en est fait l’écho. En outre, je ne sais pas qui bavarde sans arrêt, mais le contenu de la réunion de la commission de la défense qui s’est déroulée à huis clos sur le sujet a été diffusé. Le ton est bien monté, vous devriez faire attention…

Le Conseil supérieur de la fonction militaire vous reproche de vieillir les armées, compte tenu du nombre de ceux qui sont concernés, de rendre les métiers moins intéressants et de pénaliser les hommes de troupe. En effet, les derniers mois ne seront plus seuls pris en compte dans le calcul de la pension, alors que ce sont ceux durant lesquels les militaires obtiennent les avancements les plus importants.

Par prudence, car les militaires ne s’exprimeront pas et ne feront pas valoir leurs droits, nous vous proposons de supprimer l’alinéa afin que nous puissions discuter calmement de la pérennité de nos armées.

M. Adrien Quatennens.  M. Mélenchon a expliqué la colère des militaires face à ce projet de loi. L’une des raisons de cette colère, c’est évidemment l’abandon du calcul de la pension sur les six derniers mois de traitement. En effet, le cas des militaires est spécifique puisque leurs rémunérations augmentent plus particulièrement en fin de carrière. Ils sont donc plus précisément pénalisés.

L’alinéa 12 concerne à la fois les militaires de carrière, ceux qui servent en vertu d’un contrat et les réservistes. Tous ont bien compris que la nouvelle règle de calcul va les pénaliser et que leur pension va diminuer. En conséquence, le Premier ministre ment quand il déclare à la télévision que le niveau des pensions ne baissera pas ! Pour que le niveau de pension soit identique, il faudra travailler plus longtemps !

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4494 poursuit évidemment le même objectif. Point positif peut-être : il y a moins de femmes dans les armées que dans d’autres métiers ; elles seront donc moins concernées par l’alinéa !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements car, pour les militaires comme pour les magistrats, des adaptations sont prévues. Je laisserai M. le secrétaire d’État l’exposer, si la présidente en est d’accord. En outre, le cas des magistrats est essentiellement traité dans la loi organique du fait de l’indépendance constitutionnelle de la justice.

M. Pierre Dharréville. Toutes ces exceptions prouvent que votre système ne fonctionne pas ! En l’état actuel du droit, les militaires bénéficient de conditions de retraite et de pensions différentes de celles des fonctionnaires de l’État : il n’existe pas d’âge minimum légal, seule la durée de service compte. Un soldat du rang doit avoir servi dix-sept ans, quand un officier doit effectuer vingt-sept ans. L’âge moyen de départ en retraite est donc de quarante et un ans pour les non-officiers, de quarante-neuf ans pour les sous-officiers et de cinquante-trois ans pour les officiers.

Certes, à l’article 37, le Gouvernement prévoit de recréer un régime spécifique, mais cela ne suffit pas à nous rassurer, ni à rassurer les militaires. Jean‑Luc Mélenchon l’a souligné, le Conseil supérieur de la fonction militaire a rendu un avis très critique. En effet, si les principes de la réforme sont maintenus, les militaires seront fortement pénalisés et percevront des pensions plus faibles. C’est inacceptable et cela souligne votre impréparation. Nous vous appelons à prendre en considération l’avis du CSFM.

M. Boris Vallaud. Les conclusions de l’avis du Conseil supérieur de la fonction militaire sont tout aussi cinglantes que celles du Conseil d’État – vous accumulez les satisfecit ! Le Conseil « désapprouve les dispositions restrictives, voire le recul significatif dans plusieurs domaines, et la persistance d’incertitudes concernant le devenir des pensions militaires : ouverture des droits, réversion, modalités de calcul, cotisations employeurs, pensions minimales garanties, emploi des réservistes, disparition de la pension à jouissance différée. Le Conseil insiste sur la nécessité pour les armées de disposer de leviers de ressources humaines, permettant de maintenir un outil militaire efficace. Après étude du projet de loi sur lequel le conseil supérieur de la fonction militaire a été saisi pour avis, il ne peut, en ce qui concerne la condition militaire, émettre un avis favorable ».

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez déjà chauffé les militaires avec l’épisode de Villiers. Bien sûr, ils serviront et ils obéiront quoi qu’il leur en coûte – c’est leur mission. Mais il est important de connaître l’état d’esprit des armées car l’autorité fonctionne seulement quand on y consent. Quand on n’y consent plus, les problèmes commencent…

La direction des ressources humaines des armées, tout comme le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont défavorables au projet de loi. Ils se plaignent, estimant qu’ils n’ont pas eu le temps de l’étudier sérieusement. Aucun simulateur n’existe pour les militaires et ils n’ont aucune certitude sur des sujets aussi majeurs que l’âge d’ouverture des droits, les reversions, les pensions minimales, les pensions à jouissance différée. Ce n’est pas rien !

Quand vous êtes militaire, vous signez un contrat qui engage votre propre vie ! Il faut y être attentif et traiter le dossier avec beaucoup de délicatesse. On nous parle de décotes de 60 % – vous avez bien entendu, chers collègues, 60 % ! La sagesse voudrait donc que l’on supprime l’alinéa et que les discussions se déroulent dans les enceintes appropriées.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. S’agissant des magistrats, le rapporteur a eu raison de proposer de revenir sur le sujet. Pourquoi les mentionnons-nous dans le projet de loi, monsieur Mélenchon ? Tout simplement parce que certaines règles qui régissent le régime de retraite des magistrats sont nichées dans l’ordonnance de 1958, que nous ne pourrons modifier sans ces précisions. À moins de dix-sept ans de la retraite, ils ne seront pas concernés par le système de retraite universel. En conséquence, les générations nées jusqu’en 1975 continueront d’être régies par l’ordonnance de 1958, alors que les plus jeunes seuls seront affiliés au système universel de retraite.

Je discuterai bien volontiers de la situation des militaires, mais encore faut-il que nous arrivions à l’article 37 du titre II du projet de loi… Sur tous les bancs, vous soulignez l’importance du contrat entre la Nation et ses forces armées. Nous sommes tous d’accord : engager sa vie pour protéger celle des autres, pour défendre sa Nation, mérite un regard spécifique.

Quel est-il ? Fabien Gouttefarde l’a rappelé, la retraite à jouissance immédiate, à dix-sept ans pour les non-officiers et à vingt-sept ans pour les officiers, sera maintenue. Le cumul emploi-retraite sera également toujours possible, sans limites. J’entends M. Bazin au premier rang, qui plaide pour son amendement ; nous y reviendrons.

Le projet de loi reconnaît les sujétions spéciales, comme les campagnes militaires. En outre, il dispose que l’État continuera à financer les droits spécifiques. Quels sont-ils ? Qu’en est-il de cette crainte d’une baisse des pensions de 60 % ? En l’état actuel du droit, les militaires bénéficient de bonus qui s’expriment en durée – c’est la logique du système. Demain, ils bénéficieront de bonus en points, qui maintiendront donc le niveau de leur retraite.

Quel pourrait être l’âge d’équilibre pour les militaires ? L’alinéa 13 de l’article 37 – dont j’aimerais pouvoir débattre avec vous – dispose que « l’âge d’équilibre est, sans que l’application du coefficient d’ajustement ne puisse conduire à majorer le montant de la retraite, abaissé par décret en tenant compte des spécificités des fonctions militaires et des limites d’âge applicables aux militaires concernés ». Voilà qui devrait rassurer : il n’y a pas de décote et les spécificités militaires sont clairement reconnues.

Enfin, pour répondre aux inquiétudes de M. Bazin, l’alinéa 39 de ce même article précise que la retraite est une composante de la condition militaire, ce qui autorisera le cumul. Mais j’ai bien compris que l’objectif de votre amendement était plus sémantique que technique.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement n° 21672 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, avant l’article 37, l’article 6 soulève malgré tout des questions de principe relatives à la gouvernance. L’alinéa 12 du présent article m’interpelle : qui va déterminer les règles applicables au régime des pensions militaires ? Qui sera compétent ? Quel ministère décidera ? Le transfert de ces dispositions du code de la défense au code de la sécurité sociale est-il sans conséquences ?

Le Conseil d’État le souligne dans son avis, « l’impératif de jeunesse des forces armées, en lien avec l’exercice d’activités nécessitant une aptitude physique particulière » impose la « brièveté de certaines carrières ». Le départ anticipé des militaires est donc un véritable outil de gestion. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez travaillé dans les ressources humaines et vous le savez : il est important de disposer de tels leviers d’action, qui relèvent de la responsabilité de l’employeur – en l’occurrence le ministère des armées. C’est l’objet de mon amendement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la retraite de nos militaires. Votre amendement conduit à dissocier les militaires du régime prévu pour les fonctionnaires et les magistrats. Or la fonction publique constituera bien un ensemble cohérent dans le futur système universel, tenant compte des sujétions particulières et de la dangerosité de certains métiers. Le code de la sécurité sociale est pertinent pour fixer ces règles et le code de la défense rappellera parallèlement que celles, dérogatoires, applicables aux retraites des militaires font partie intégrante de la condition militaire. Votre demande est donc satisfaite.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le secrétaire d’État vient de nous garantir qu’un régime spécifique est prévu pour les militaires. C’est important car le Conseil supérieur de la fonction militaire n’avait aucune information. Ce soir, ils en ont une : il y aura un régime et des dates de départ spécifiques.

Je comprends d’autant moins que vous ayez refusé mon amendement sur les agents du renseignement, mais peut-être reviendrez-vous sur votre déclaration ?

M. Didier Le Gac. Le ministère des Armées, et plus largement le Gouvernement, entretient un dialogue constant avec Conseil supérieur de la fonction militaire. Ce dernier n’a pas découvert les dispositifs ce soir. Nous le leur avons confirmé à plusieurs reprises : les principales dispositions spécifiques aux militaires seront maintenues dans le système universel – retraite à jouissance immédiate, liquidation partielle, cumul possible de la pension avec un salaire issu d’une activité civile, activité qui leur permettra d’ailleurs d’acquérir des points supplémentaires pour leur retraite, le calcul de la seconde part de retraite étant effectué sans recalcul de la première, qui demeure acquise à l’assuré. Des points supplémentaires seront également attribués aux militaires au titre des services aériens ou sous-marins.

Enfin, l’article 46 du projet de loi dispose que la pension de réversion ne pourra être inférieure au montant de la retraite dont le militaire décédé aurait pu bénéficier, lorsque ce militaire est décédé en service. Il s’agit encore d’une particularité maintenue pour les militaires, mais aussi les policiers ou les douaniers décédés dans les mêmes conditions. Ce droit à la retraite de réversion est ouvert sans condition d’âge et affecté au conjoint survivant.

Rappelons pour finir que les fonctionnaires bénéficieront de la réforme du système de retraite puisque le montant de leurs primes sera intégré dans le calcul de leur pension. En moyenne, ces primes représentent 22 % du traitement ; pour les militaires, elles atteignent environ 40 %.

M. Gilles Carrez. Des règles spécifiques sont tout à fait nécessaires pour les militaires. En matière de pensions, les contentieux sont sensibles. Si j’ai bien compris, c’est désormais la juridiction judiciaire, et non plus la juridiction administrative, qui sera compétente pour les militaires. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Valérie Rabault. C’est très important. Excellente question !

M. Gilles Carrez. Qui sera compétent ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il me semblait que la juridiction administrative était seule compétente.

M. Gilles Carrez. L’avis du Conseil d’État indique que, par saisine rectificative, le Gouvernement a décidé de soumettre expressément à la juridiction judiciaire les litiges relatifs à la mise en œuvre du système universel de retraite à l’égard des fonctionnaires. Les militaires sont fonctionnaires, me semble-t-il.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. On me le confirme : le contentieux relèvera désormais intégralement de l’ordre judiciaire.

M. Jacques Maire. Le Conseil d’État a effectivement validé la compétence du juge judiciaire. À titre personnel et familial, j’ai vécu la situation des sous-mariniers : j’ai eu l’honneur de faire mon service militaire avec eux et beaucoup de mes oncles et cousins sont sous-mariniers. Après quinze ans de service dans un sous-marin, quand vous avez trente-cinq ans, vous ressemblez plus à quelqu’un de quarante-cinq ou cinquante-cinq ans !

Il est donc absolument exclu de remettre en cause la situation de ces personnels. Si nous avons la chance d’arriver jusqu’à l’article 37, nous aurons l’occasion d’examiner des sous-amendements et des amendements. En outre, nous sommes particulièrement favorables à la saisine du Conseil supérieur de la fonction militaire sur l’intégralité des dispositifs spécifiques aux militaires à l’intérieur du régime universel, régime de droit commun pour tous les assurés, mais prenant en compte leurs spécificités.

Le CSFM a un rôle important car les militaires attendent la protection de leur hiérarchie, qui défend leurs intérêts. Ils ont confiance en elle. Or elle s’intègre au sein du CSFM. Il est donc très important de respecter les prérogatives de ce dernier.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. L’alinéa 18 de l’article 6 est explicite. Il n’y a pas d’ambiguïté. Le contentieux est transféré à l’ordre judiciaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4518 de Mme Caroline Fiat, n° 4521 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4525 de M. Adrien Quatennens et n° 4528 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4518 est défendu.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4521 est défendu.

M. Adrien Quatennens.  Le système par points va à l’encontre même de la logique qui prévaut au sein de l’armée, celle du mérite. Un soldat montant progressivement en grade, jusqu’à devenir général, aura une pension inférieure à celui qui est rentré officier dans l’armée. Or l’armée est logiquement attachée à l’égalité dans les grades.

Dans votre réforme, l’universalité n’est qu’un alibi. De surcroît, quand vous vous acharnez tout de même à faire partir tout le monde d’une même ligne de départ – ce qui est par nature absurde si l’on considère par exemple les inégalités d’espérance de vie au sein d’une génération en fonction de la profession –, vous créez des dommages collatéraux. S’agissant de l’armée, cela mériterait tout de même plus ample réflexion…

Mme Sabine Rubin. Il s’agit donc de supprimer l’alinéa 13 qui introduit différentes dérogations à votre fameuse universalité. L’universalité en effet devient de plus en plus « diverse ». Au cours des débats, j’aimerais comprendre ce qui justifie que l’on passe de régimes spécifiques – pour les avocats par exemple – à toutes ces exceptions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vos amendements visent à supprimer les exceptions d’affiliation au régime des fonctionnaires qui concernent les agents contractuels dans le privé, agents détachés pour un mandat local ou agents détachés auprès d’une administration étrangère. J’y suis défavorable. Tout le monde sera affilié au régime universel. Je vous renvoie à la page 28 de mon rapport si vous souhaitez davantage de précisions.

M. Jacques Marilossian. Je suis stupéfait que La France insoumise nous demande ce qui justifie le traitement spécifique réservé aux militaires dans cette réforme. Les bras m’en tombent ! Si vous n’avez pas compris, nous n’avons plus de raisons de débattre… Ils risquent leur vie pour défendre la France ! Cela ne suffit‑il pas ?

Mme Sabine Rubin. J’ai demandé pourquoi tous ces gens avaient droit à des dérogations, je n’ai pas visé les militaires…

Mme Valérie Rabault. Je souhaite revenir sur les propos de M. Quatennens. Les pensions font partie des outils de gestion des ressources humaines dans l’armée. Quand vous atteignez un certain grade, il serait incompréhensible que les retraites ne soient pas équivalentes. Sinon, vous allez casser le système ! Or ce n’est traité nulle part dans votre projet de loi.

Je vous livre une des conclusions de l’avis rendu par le CSFM qui nous inquiète beaucoup : « le fait d’avoir une règle de calcul assise sur l’ensemble de la carrière au lieu des six derniers mois engendrera inexorablement [– c’est le terme qui est utilisé –] une baisse des pensions. Cela concerne principalement les populations les plus fragiles financièrement, que les armées cherchent à attirer et à promouvoir par ailleurs. » La contradiction est flagrante… Vous faites beaucoup de publicité dans les médias pour recruter des militaires. Or leur pension va très largement diminuer, alors que c’était auparavant aussi ce qui rendait le métier attractif.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 4534 de Mme Caroline Fiat et n° 4541 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4534 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 4541 vise à supprimer l’alinéa 14 afin de réaffirmer que, quels que soient les fonctionnaires concernés, le projet de loi va leur être défavorable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. La première exception concerne des fonctionnaires qui accepteraient temporairement un contrat de droit privé. Dans ce cas, ils cotiseront au régime général. À l’inverse, les militaires sous contrat privé constituent une exception à l’exception du fait de l’unité des contrats militaires. Ils seront donc intégrés au régime militaire. Je suis donc défavorable à la suppression de cet alinéa.

M. Boris Vallaud. Dans son avis, le Conseil d’État a posé la question de l’opportunité du choix de l’ordre judiciaire puisque le juge administratif demeure compétent concernant le déroulement de carrière des agents publics. Comment les deux vont-ils s’articuler ? Le déroulement de carrière a évidemment des conséquences sur la constitution de la pension.

Je vous rappelle qu’il y a quelques mois, nous avons débattu d’un projet de loi portant de sévères coups au statut de la fonction publique. Qu’ils soient militaires ou fonctionnaires civils, ils ne perçoivent pas de salaire, mais un traitement. Comme d’autres ici – Stéphane Viry par exemple –, je considère qu’on ne sert pas de la même manière l’État et une entreprise. Or, lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, la direction générale de la fonction publique avait évoqué devant le Conseil d’État une proportion de contractuels pouvant aller jusqu’à 40 %.

En prenant en compte les dispositions de cette loi qui modifie le statut de la fonction publique, pouvez-vous nous indiquer les conséquences de cette dissociation des juridictions compétentes en fonction des contentieux ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. C’est François Hollande qui, sous le précédent quinquennat, a demandé la publication des avis du Conseil d’État. Il s’agissait d’un effort de clarification car, auparavant, ils n’étaient pas publiés.

Je lis l’avis du Conseil d’État sur l’unification du contentieux : « le Gouvernement a choisi de prévenir une incertitude juridique (…) en modifiant l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale afin de soumettre expressément à la juridiction judiciaire les litiges relatifs à la mise en œuvre du système universel de retraite à l’égard des fonctionnaires. Le Conseil d’État estime que cette clarification ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, les litiges en cause n’étant pas au nombre de ceux que le principe fondamental reconnu par les lois de la République, affirmé par la décision du 23 janvier 1987, n° 86-224 DC, réserve à la juridiction administrative. »

M. Boris Vallaud. Je suis vraiment ravi de cette démonstration en direct de votre lecture partielle et partiale de l’avis du Conseil d’État ! Pourquoi n’avez-vous pas lu un des paragraphes qui suit ? « Le Conseil d’État regrette que l’étude d’impact ne comporte pas d’analyse permettant d’éclairer le choix retenu par le projet de loi, en particulier sur la manière dont les juridictions des retraites pourront être amenées à se prononcer sur les questions relatives au déroulement de la carrière des agents publics, dont le juge administratif restera compétent pour connaître dans le contentieux de la fonction publique. » Si votre lecture est partielle, votre vision est borgne ! Malheureusement, c’est la façon dont vous traitez à peu près tous les sujets.

M. Bruno Fuchs. Monsieur Vallaud, Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, a été interrogé par Le Monde. Ces propos sont intéressants et permettent de replacer cet avis dans son contexte, et non de l’instrumentaliser comme vous le faites : « L’avis, qui fait soixante-trois pages, ne consacre que quelques paragraphes à l’étude d’impact. Il s’agit de remarques de méthode, en particulier sur les lacunes des projections financières, que le Conseil d’État a déjà formulées sur d’autres textes. Ce n’est pas non plus la première fois que l’institution regrette les délais très serrés dans lesquels elle doit examiner un projet de loi, ou qu’elle invite le Gouvernement à compléter son étude d’impact. L’épisode que nous venons de vivre n’a rien d’exceptionnel ». Vous devriez poursuivre la lecture de cet article ! (Exclamations sur les bancs de l’opposition)

M. Pierre Dharréville. Ces lectures successives sont très instructives… Je ne vois pas en quoi les remarques de Bruno Fuchs nous empêchent de tenir compte de l’avis du Conseil d’État : les critiques sont réelles, pourquoi en relativiser la portée ? Il faut au contraire en prendre la juste mesure. Elles correspondent aux lacunes et à l’impréparation de ce projet de loi.

Mme Catherine Fabre. Les explications du vice-président du Conseil d’État sont importantes. Depuis trois jours, sur la base de l’avis de cette institution, vous nous expliquez que la réforme est mauvaise. Mais que dit le vice-président ? Que cet avis n’a rien d’exceptionnel, que les études d’impact ne sont obligatoires que depuis 2008 et qu’en conséquence, la France n’est pas encore totalement « au point ». Certaines réformes très performantes n’ont-elles pas été votées avant 2008, quand les études d’impact n’étaient pas obligatoires ? Vous essayez de prouver que l’étude d’impact a des défauts et que cela met en cause notre réforme. Les propos du vice-président du Conseil d’État devraient vous conduire à relativiser !

M. Éric Woerth. Il n’y a rien à relativiser. Ces propos ne changent rien à l’avis rendu. Ils expliquent simplement l’environnement dans lequel il a été rendu. M. Lasserre le souligne d’ailleurs : « nous ne nous situons pas dans le jeu politique. Le rôle du Conseil d’État est de dire des choses qui parfois ne plaisent pas ». C’est tout ! Cela ne vous plaît pas, c’est comme ça. Nous avons le droit d’en débattre et de nous appuyer sur ces remarques, d’autant qu’elles ont rarement été aussi sévères.

M. Adrien Quatennens. Moi aussi, pour la sérénité de nos débats, j’aimerais qu’on évite d’utiliser de manière trop régulière cette étude d’impact. (Rire.)

Une telle étude, dont tous les cas types ont commencé à travailler à vingt‑deux ans – j’entends que c’est l’âge moyen d’entrée sur le marché de l’emploi –, avec des salariés dont les quatre trimestres sont validés chaque année – situation extrêmement favorable –, qui prend pour exemple des infirmières dont le salaire ferait envie à beaucoup – et qu’elles-mêmes ne peuvent pas espérer gagner un jour –, une étude d’impact qui gèle l’âge d’équilibre, contredisant votre propre projet de loi, ne mérite qu’une chose, comme le projet de loi d’ailleurs : c’est d’aller à bon port, suivant le souhait d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire à la poubelle !

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

La commission examine les amendements identiques n° 4552 de Mme Caroline Fiat et n° 4562 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Nous avons beaucoup parlé des militaires qui, parce qu’ils mettent leur vie en danger pour le pays, auront un régime différent et ne seront pas intégrés au système universel. Doit-on comprendre que les pompiers, qui risquent eux aussi leur vie tous les jours, conserveront leur régime de retraite actuel ?

Mme Sabine Rubin. Les alinéas que nous sommes en train d’examiner proposent des dérogations pour un certain nombre de personnes. En l’occurrence, l’alinéa 15 concerne ceux qui « sont détachés dans une fonction publique élective locale ». J’aimerais savoir ce qui justifie ces exceptions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les militaires sont dans le système universel, mais leurs spécificités sont reconnues en tant que telles – on parle de sujétions. Tout à l’heure, M. Jean-Luc Mélenchon a énuméré un certain nombre des risques auxquels ils sont confrontés, et dont nous avons tous conscience. Nous les prenons en compte comme une spécificité de leur activité.

Pour revenir à vos amendements, qui tendent à supprimer l’alinéa 15, je rappelle qu’il existe un certain nombre d’exemptions au statut des fonctionnaires. Par exemple, des agents publics détachés dans une fonction publique élective locale relèveront, pendant cette période de détachement, du régime général. Je suis donc défavorable à la suppression de l’alinéa 15.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4569 de Mme Caroline Fiat et n° 4579 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 16, mais j’aimerais revenir à la question que je viens de vous poser et que j’avais mal formulée, monsieur le rapporteur. J’aimerais savoir si, comme vous le faites pour les militaires, vous tenez compte du fait que les pompiers risquent quotidiennement leur vie pour la nation. Bénéficieront-ils, eux aussi, d’une clause spéciale dans le système universel de retraite ?

Mme Sabine Rubin. Mon amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. L’alinéa 16 concerne les gens qui sont détachés à l’étranger ou dans des organismes internationaux. Ils devront adhérer à l’assurance vieillesse volontaire du système universel pour acquérir des droits.

Je ne reviens pas sur les spécificités des militaires : je m’en tiens aux amendements en discussion. Avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Madame Fiat, les dispositions relatives aux pompiers figurent à l’article 36, alinéa 4, qui concerne les départs anticipés pour certaines fonctions régaliennes : il y est question des « fonctionnaires concourant à des missions publiques de sécurité, y compris civile ».

La commission rejette les amendements.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 4586 de Mme Caroline Fiat et n° 4596 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Cette analyse point par point est intéressante. Je suis surprise de voir que les fonctionnaires détachés dans une fonction élective locale seront, le temps de ce détachement, rattachés à un régime général. Que signifie au juste l’expression « régime général » ? Est-ce la même chose que le régime universel ? J’attends des précisions sur ce point.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vous me demandez une explication de texte et je conçois volontiers la difficulté, pour tout un chacun, de saisir toutes ces subtilités. Tout élu local relèvera du régime général, quel que soit son métier, sa fonction ou son statut d’origine. Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 17.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4603 de Mme Caroline Fiat et n° 4613 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Je regrette, mais je n’ai pas compris vos explications. Quand vous parlez du régime général, vous voulez parler du régime universel, duquel l’élu local dépend habituellement ? Vous voulez dire qu’il dépend du même régime que lorsqu’il n’est pas élu ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Madame Rubin, j’ai déjà donné ces explications hier. Il existe un système universel et cinq régimes d’affiliation : le régime général, le régime agricole salarié, le régime agricole non salarié, celui des marins et celui de la fonction publique. L’élu local sera affilié au système universel via le régime général, le temps de son mandat.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21542 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement, vous le connaissez bien, puisqu’il vise à substituer au mot « universel » le mot « inéquitable », à l’alinéa 18 de l’article 6. Je ne lâche pas l’affaire, parce que je suis toujours aussi convaincu du bien-fondé de cet amendement.

Je vous rappelle que nous vivons aujourd’hui une nouvelle journée de mobilisation, marquée par de grandes manifestations, à Paris, où elle se poursuit, mais aussi à Marseille, ce matin. C’est la preuve que votre projet ne passe pas : vous devriez écouter le refus qui s’exprime en dehors de cette enceinte – et dont je me fais le porte-voix.

Votre texte suscite un rejet massif et les réponses que vous apportez ne lèvent ni les inquiétudes, ni la volonté de le voir retiré. J’insiste sur l’importance de ce qui est en train de se passer en dehors de ces murs.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Sans Mme Rubin et ses demandes d’explication sur l’alinéa 15, nous n’aurions pas eu la chance, monsieur Dharréville, de vous entendre défendre cet amendement récurrent, que nous n’avions pas encore examiné aujourd’hui.

Blague à part, nous ne sommes insensibles ni à la mobilisation d’aujourd’hui, ni à l’appréhension que peuvent ressentir certaines professions. Mais c’est une erreur de monter les gens les uns contre les autres. Il faut apaiser nos concitoyens, leur expliquer que la transition vers le nouveau régime ne se fera pas du jour au lendemain et qu’à la fin, nous aurons un système de retraite plus résilient, car plus mutualisé. Les mêmes règles, ou du moins un ensemble de règles communes, s’appliqueront à tout le monde. Il faut rassurer ceux de nos concitoyens qui prendront leur retraite à partir de 2025 et ceux qui acquerront des droits à la retraite après cette date. Ils ne seront pas des perdants du futur régime. Nous serons tous gagnants, ensemble. Avis défavorable sur cet amendement.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous dites qu’il ne faut pas monter les gens les uns contre les autres. Ce que je constate, c’est que vous avez réussi à rassembler les Français, mais contre vous et votre projet. Dans la rue, les avocats, les infirmiers et les infirmières, les professeurs, les dockers, les ouvriers portuaires, les danseurs et les danseuses de l’Opéra de Paris défilent ensemble – pour ne citer qu’eux. Le peuple de notre pays, dans toute sa diversité, manifeste contre votre réforme. Il faudrait le rassembler sur un projet qu’il accepte et qui nous tire vers l’avant, mais ce n’est pas ce que vous faites.

Essayer de monter les gens les uns contre les autres, ça a été le fondement, le point de départ de votre réforme, puisque vous avez commencé par pointer du doigt des soi-disant privilégiés. Mais vous n’avez pas réussi à monter les gens les uns contre les autres et les cheminots manifestent aux côtés des salariés du privé et des agents du service public. Regardez cette réalité en face : je crois que vous n’en avez pas encore pris la mesure.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 22623 de Mme Émilie Cariou.

Mme Florence Granjus. L’amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. L’unification de la compétence en matière de contentieux relatif à l’assurance vieillesse est une conséquence de l’universalisation du système de retraite. Jusqu’ici, le contentieux des droits à pension était divisé entre l’ordre administratif, en charge des assurés de la fonction publique, et l’ordre judiciaire, compétent pour les autres assurés. Ce que vous souhaitez supprimer permet pourtant de clarifier cette intégration du système universel dans le champ des litiges relevant du nouveau pôle social, récemment mis en place, de la juridiction judiciaire. Cette clarification ne contrevient pas au principe constitutionnel, comme nous l’avons indiqué avant la suspension de séance.

Je tiens à souligner que l’ordre judiciaire aura le temps de s’approprier cette unification du contentieux, qui se produira pour l’essentiel à compter de 2037, date à laquelle les assurés nés en 1975 partiront à la retraite, à 62 ans. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je vous remercie pour cette précision, mais elle n’est que partielle, car la question que nous avons posée tout à l’heure était celle de l’articulation entre la compétence de l’ordre administratif, s’agissant des carrières, et de l’ordre judiciaire, s’agissant des pensions. Ce que déplore le Conseil d’État, c’est que vous n’en disiez rien dans l’étude d’impact, alors qu’il y a un lien patent entre la carrière et la pension.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 4620 de Mme Caroline Fiat et n° 4630 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4620 vise à supprimer l’alinéa 19 de l’article 6. J’en profite pour souligner qu’il n’y a pas qu’à Paris ou chez M. Dharréville, à Marseille, que les gens sont descendus dans la rue : à Nancy aussi, il y avait du monde cet après-midi. Par ailleurs, on entend trop souvent que le privé n’est pas dans la rue, mais ce n’est pas vrai. Demandez aux gens qui manifestent s’ils travaillent dans le public ou dans le privé : vous serez surpris !

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4630 vise à supprimer l’alinéa 19, relatif au code des pensions civiles et militaires de retraite, mais c’est d’un tout autre sujet que je souhaite parler. Qu’en sera-t-il des danseurs de l’Opéra ? Feront-ils l’objet d’un article plus loin dans le texte ? Nous avons déjà évoqué un certain nombre de cas très spécifiques, mais pas celui des danseurs de l’Opéra.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il me semble que notre rôle est d’examiner les amendements en suivant l’ordre du texte. L’alinéa visé par vos amendements concerne le code de pensions civiles et militaires et nous parlerons de l’Opéra de Paris plus tard. Ne mélangeons pas tous les sujets.

S’agissant des gens qui manifestent aujourd’hui, je tiens à dire que lors des cérémonies des vœux qui se sont succédé au mois de janvier, j’ai rencontré nombre de Français, notamment en milieu rural, qui soutiennent notre réforme. Il y a des gens qui se posent des questions et qui s’inquiètent, je ne le nie pas, mais il y a aussi des gens qui espèrent beaucoup du système mutualisé que nous proposons et de la revalorisation de la retraite minimum.

Pour en revenir aux amendements, aux alinéas 19 et suivants, nous inscrivons dans le code des pensions civiles et militaires les décisions que nous avons prises, à savoir que : « Le présent code n’est pas applicable : « 1° À partir du 1er janvier 2022 pour les assurés nés à compter du 1er janvier 2004 ; « 2° À partir du 1er janvier 2025 pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1975. »

Avis défavorable sur ces amendements.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il est toujours intéressant, en début de texte, de faire référence à ce qui viendra plus tard. Votre question sur les artistes du ballet de l’Opéra national de Paris trouvera sa réponse à l’article 39, alinéa 2. Cela dit, il n’est pas exclu que vous ayez déposé un amendement tendant à supprimer cet alinéa…

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, puisque vous venez d’évoquer la date fatidique du 1er janvier 1975, permettez-moi de vous demander une nouvelle fois ce qui a présidé au choix de cette date.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4638 de Mme Caroline Fiat et n° 4648 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement tend à supprimer l’alinéa 23 de l’article 6. Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que vous avez rencontré des gens qui sont contents de votre réforme : heureusement qu’il y en a quand même quelques-uns ! Même si 66 % des Français y sont défavorables, il y en a quand même 21 % qui vous suivent : nous ne l’avons jamais nié. Si 100 % des Français rejetaient cette réforme, on peut quand même imaginer que vous l’auriez retirée…

Mme Sabine Rubin. Monsieur le rapporteur, il est vrai que je n’ai pas appris le numéro des articles et leur contenu par cœur et je vous prie de m’en excuser. Cela étant, il est difficile de suivre l’ordre du texte comme vous nous y invitez, car il est assez décousu et qu’il est par exemple question des militaires à différents endroits.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 23, car il tire les conséquences de l’intégration des fonctionnaires parlementaires dans le régime universel.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 6 sans modification.

Après l’article 6

La commission examine les amendements identiques n° 4672 de Mme Caroline Fiat et n° 4682 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4672 est défendu.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4682 vise à insérer, après l’article 6, l’article suivant : « Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation malheureuse de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport non truqué concernant l’application pertinente d’une mesure de convergence ayant pour objectif le maintien du niveau de vie des fonctionnaires à la retraite. Il établit la hausse des revenus nécessaires afin de maintenir un montant de pension similaire proportionnellement au taux de remplacement actuel, ainsi qu’au positionnement de ces pensions par rapport au revenu médian. » Nous voulons connaître précisément l’impact qu’aura votre réforme sur les fonctionnaires.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Article 7 : Champ d’application du système universel de retraite (salariés des régimes spéciaux)

La commission examine les amendements identiques n° 12866 de M. Sébastien Jumel et n° 21090 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. À l’article 7, vous supprimez douze régimes spéciaux pour les remplacer par votre nouveau système. Vous rayez d’un trait de plume les acquis sociaux que nous devons aux négociations et aux luttes du siècle passé. L’amendement n° 12866 vise donc à supprimer cet article.

Il existe, dans la société, différents métiers différents statuts, différentes réalités, auxquels il faut s’adapter. Les régimes spéciaux ont déjà été bien abîmés par les réformes successives. On a d’ailleurs assisté à une course de vitesse pour supprimer, d’un côté, les droits au régime général et, de l’autre, les droits aux régimes spéciaux. Les mesures que vous proposez ne prennent pas en compte ce que vivent réellement celles et ceux qui, aujourd’hui, sont sous ces régimes.

Il est absolument incroyable que vous preniez prétexte de l’existence de ces régimes pour justifier votre réforme. Avec ce projet de loi, vous ne vous attaquez pas seulement aux régimes spéciaux, mais à l’ensemble des régimes, y compris, au régime général. Je tenais à le rappeler pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre nous et que notre débat ne soit pas tronqué.

M. Boris Vallaud. Le marché léonin que vous proposez aux Français – voir leur pension baisser ou travailler plus longtemps – ne saurait nous convenir. Votre système n’introduit pas beaucoup de justice ; la question de la pénibilité est traitée par-dessus la jambe ; vous durcissez le régime des carrières longues ; les droits que l’on se crée quand on est au chômage seront moins généreux qu’aujourd’hui ; et celles et ceux qui sont censés être les grands gagnants de la réforme, en particulier les femmes, ne le seront pas.

Vous avez réussi le tour de force de nous présenter une réforme qui semble ne faire que des gagnants, alors que la part des pensions dans le PIB va baisser et que le nombre de retraités va augmenter. Nous aurions aimé que vous nous présentiez des simulations indiquant clairement qui va y gagner et qui va y perdre sur l’ensemble d’un cycle de vie, en prenant en compte les cotisations et les pensions. Nous aimerions connaître le taux de remplacement pour chaque génération, puisque nous savons qu’il va fortement baisser.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Cet article expose les règles générales s’appliquant aux régimes spéciaux.

Monsieur Dharréville, à aucun moment nous n’avons stigmatisé les régimes spéciaux. La plupart d’entre eux ont été créés avant-guerre et ils correspondent à un moment de l’histoire. Aujourd’hui, nous considérons qu’ils n’ont plus lieu d’être et qu’il faut construire un régime qui définisse des règles communes à l’ensemble de nos concitoyens. Qui plus est, nombre de ces régimes spéciaux ont une base démographique étroite et ils présentent tous un déséquilibre entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités, ce qui nécessite des compensations financières. Il convient, à l’avenir, d’intégrer les personnes qui relèvent de ces régimes dans le régime général.

Vous m’avez interrogé sur le choix de la date du 1er janvier 1975. Nous avons fait le choix d’intégrer dans le système universel tous ceux qui sont à plus de dix-sept ans de leur âge de départ légal à la retraite – cette période de dix-sept ans correspondant grosso modo au tiers de la vie professionnelle. Nous avons estimé qu’à dix-sept ans de la retraite, les gens commençaient à réfléchir à leur projet de vie post-professionnelle. L’âge légal de la retraite étant aujourd’hui de 62 ans, nous avons pris comme repère l’année de naissance des gens qui ont aujourd’hui 45 ans, c’est-à-dire 1975. Pour les personnes qui peuvent aujourd’hui partir à 57 ans – certains personnels non roulants de la SNCF ou de la RATP –, c’est l’année 1980, et pour ceux qui peuvent partir à 52 ans, l’année 1985.

M. Stéphane Viry. Il ne faut pas confondre les régimes spéciaux et les régimes autonomes. Pour notre part, nous sommes favorables au maintien des régimes autonomes au sein d’un système global. S’agissant des régimes spéciaux, un travail de convergence de tous les régimes a été mené par plusieurs gouvernements de droite – je songe notamment à la loi Woerth de 2010 – car l’universalité nous semble être une condition essentielle de notre pacte républicain. De ce point de vue, le groupe Les Républicains approuve cet aspect du texte. Cela étant, nous sommes en désaccord avec la méthode qui a donné naissance à ce projet de loi et avec les modalités d’application que vous préconisez : votre réforme, ce n’est pas notre réforme. Même si nous approuvons la fermeture de régimes spéciaux et si nous reconnaissons qu’il faut avoir le courage de le faire, nous aurions, pour notre part, défendu un projet plus ambitieux.

M. Pierre Dharréville. Je confirme qu’à cause de la démarche en escalier que vous décrivez, les régimes spéciaux ont déjà été largement réformés et n’ont rien à voir avec le tableau caricatural qu’on en fait souvent dans les médias.

Les bénéficiaires de ces régimes spéciaux sont aujourd’hui très minoritaires, puisqu’ils représentent 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Indépendamment de votre réforme, il y aura toujours moins de personnes relevant des régimes spéciaux, puisque la réforme de la SNCF et celle des industries gazières et électriques ont sorti nombre de travailleurs de ces régimes. Vous avez déjà largement dégradé les droits acquis, alors que nous pensons, pour notre part, qu’il aurait fallu adopter la démarche inverse et faire progresser les droits de tous et de toutes. Un certain nombre de métiers, aujourd’hui, ne sont pas reconnus à leur juste pénibilité et ne font l’objet d’aucun régime spécial, alors qu’ils auraient nécessité des mesures spécifiques.

Ce que nous contestons, c’est l’idée selon laquelle celles et ceux qui bénéficient de ces régimes spéciaux seraient des privilégiés : ce n’est absolument pas le cas. Il s’agit seulement de prendre en compte certaines particularités de leur statut, de leur carrière et de leur rémunération. Il existe d’autres solutions pour faire converger les choses intelligemment : par exemple notre projet d’une maison commune des régimes de retraite. Il y aurait beaucoup mieux à faire que cette suppression pure et simple des régimes spéciaux.

M. Jacques Maire. Je souhaiterais exprimer – et c’est la première fois – la position du groupe La République en marche sur la question des régimes spéciaux. Je voudrais d’abord rectifier les chiffres : les régimes spéciaux représentent 3 % des cotisants, mais 17 % des retraités. Ce déséquilibre, qui est déjà préoccupant aujourd’hui, ne fera que s’aggraver à l’avenir, puisqu’aujourd’hui le taux de remplacement est de 0,5 pour la SNCF et de 1,7 pour le régime général. On voit bien quelle est la tendance… Et le déficit des régimes spéciaux s’élève à 7 milliards d’euros, année après année.

Vous voyez bien que ces régimes sont en danger vital, puisqu’ils sont sous perfusion, et donc à la merci d’une décision brutale, comme vient de le dire notre collègue du groupe Les Républicains. Nous n’avons pas fait le choix de la décision brutale, mais celui de la transition longue. Il faut garantir aux salariés concernés, qui ont été engagés sur la base d’un statut, que ce statut sera respecté et définir des clauses pour chaque situation particulière.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Dharréville, même si nous ne voyons pas les choses de la même façon, j’ai tout de même le sentiment que nous sommes parvenus, dans cette partie de la loi, à construire cette maison commune que nous voulions construire initialement, sans monter les Français les uns contre les autres et sans stigmatiser qui que ce soit. Ce faisant, il me semble que nous avons répondu à une demande essentielle de nos concitoyens, qu’ils ont souvent exprimée dans la vingtaine d’ateliers citoyens que j’ai pu animer quand j’étais député : celle d’une équité face à la retraite. Nos concitoyens ne nient pas, et nous non plus, la pénibilité de certaines activités, dans le transport ferroviaire, par exemple, pas plus que la nécessité de prendre en compte certaines carrières longues. Mais ils demandent que cela se fasse de la même façon pour tout le monde, sur des bases objectives.

Cette demande ne vise pas à exclure, mais à inclure, à créer une dynamique du vivre ensemble. Ma conviction profonde, c’est que si nous voulons réaliser ce vivre ensemble, si nous voulons vraiment faire République, il faut que nous soyons capables, sur un socle de solidarité aussi important que celui de la retraite, de parler d’une seule voix et de créer cette dynamique. C’est une dynamique positive, qui se fait dans le respect du contrat social conclu par ceux qui se sont engagés dans ces entreprises à régimes spéciaux.

Des concertations spécifiques ont lieu avec chacune des entreprises concernées, parce qu’elles ne partent pas toutes du même point. Cela montre la volonté des responsables de ces entreprises, mais aussi des membres du Gouvernement, Mme Élisabeth Borne et M. Jean-Baptiste Djebbari, de trouver des voies de sortie apaisantes pour ceux qui ont choisi de s’engager dans ces entreprises, mais aussi dynamisantes et constructives pour l’avenir. Nos concitoyens se retrouveront dans une maison de retraite où chacun sera considéré selon les mêmes critères, où la pénibilité sera prise en compte de la même façon pour tout le monde et où nous aurons enfin des règles communes.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 14668 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais rappeler qu’il existe aujourd’hui dans notre pays dix régimes spéciaux tout à fait identifiables et que les chiffres que j’ai rappelés tout à l’heure sont justes. Ceux que vous donnez, monsieur Maire, incluent les agents de la fonction publique. Or il n’est pas question d’eux ici.

Vous évoquez le risque financier. Je rappellerai d’abord que l’État a une responsabilité très claire dans la situation financière de ces régimes, puisqu’il s’agit pour l’essentiel d’entreprises publiques et que l’État a lui-même organisé la sortie d’un certain nombre de travailleurs et de travailleuses de ces régimes spéciaux, en privatisant.

Par ailleurs, je rappelle que ces hommes et ces femmes ont signé un contrat de travail global et que vous êtes en train de le modifier avec cette loi. Ces régimes spéciaux ont été conçus pour assurer l’équité et c’est vous qui la remettez en cause, comme nous le démontrons depuis le début de nos débats. Vous construisez un système qui ne va pas fonctionner et que vous êtes obligé d’adapter en permanence à des situations particulières. Ces régimes correspondent à des situations qu’il faut prendre en compte et cela n’exclut pas de beaucoup mieux prendre en compte d’autres situations qui ne le sont pas aujourd’hui.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne souhaite pas m’exprimer sur chacun des régimes spéciaux. À ce stade de nos débats, j’aimerais vous faire part d’une réflexion. Depuis vingt-cinq ans, plusieurs réformes des retraites sont intervenues, notamment celle qu’a menée M. Éric Woerth, ici présent. J’ai relu l’histoire de ces réformes et je dois dire qu’il a fallu une bonne dose de courage pour les mener à bien, parce qu’on touche, avec les retraites, à quelque chose de fondamental. Heureusement que des gens, dans notre République, ont fait ces réformes pour garantir la pérennité financière de notre système.

À chaque réforme, il y a eu des blocages dans le pays, au détriment de l’unité nationale. Il serait préférable, à l’avenir, de procéder d’une façon moins chaotique et de réformer le système de manière plus régulière et progressive. Un système universel, dans lequel les mêmes règles s’appliqueront à tous, favorisera cette évolution, car c’est souvent la comparaison avec les autres qui crée des crispations. Si nous pouvions instaurer un dialogue annuel au sein de la CNRU, notre pays et notre unité sociale auraient tout à y gagner.

Je suis favorable à l’extinction progressive des régimes spéciaux, non pas pour les stigmatiser, mais pour faire place à plus d’unité. Avis défavorable sur cet amendement.

M. Éric Woerth. Il faut évidemment faire converger les régimes spéciaux vers le régime de droit commun. Nous nous y sommes employés et vous voulez aujourd’hui aller plus loin : nous vous soutiendrons sur ce sujet. Rien ne justifie aujourd’hui le maintien de régimes spéciaux. Il convient en revanche de tenir compte de la pénibilité, pour tous et toutes.

Quand on est jeune, je ne crois pas que l’on choisisse une entreprise, uniquement parce qu’elle offre un système de retraite avantageux. Il arrive aussi que l’on aime son travail et qu’on n’ait pas envie de le quitter trop tôt.

J’aimerais savoir à quelle date un conducteur de train, qui a aujourd’hui le droit de partir à 52 ans, partira à l’âge légal de départ à la retraite, c’est-à-dire, dans votre système, à 62 ans. Je n’ai pas réussi à obtenir une réponse à cette question. À mon avis, il faudra un demi-siècle, mais vous allez peut-être me dire qu’il faudra trente ou quarante ans. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous militons pour une période de transition plus courte. Il ne s’agit pas de se montrer brutal, mais seulement de raccourcir ces délais. À quelle date un conducteur de la SNCF qui part aujourd’hui à 52 ans devra-t-il partir à l’âge légal, c’est-à-dire à 62 ans ?

M. Boris Vallaud. J’entends le secrétaire d'État et le rapporteur dire qu’ils n’ont jamais cherché à stigmatiser qui que ce soit : la réalité, c’est que vous avez tenté d’utiliser les régimes spéciaux comme levier pour évacuer les débats sur le reste de la réforme, qui en constitue pourtant l’essentiel. Il vous aurait d’ailleurs été loisible de dire que les régimes spéciaux convergent avec le régime général depuis longtemps : les réformes successives de la SNCF en 2008 et 2011, ainsi que la réforme que vous récemment avez menée ont conduit à une augmentation de la cotisation des cheminots jusqu’en 2026, à une surcote et à une décote qui les incitent à partir plus tard ; à partir de la génération 1973, ils doivent déjà cotiser quarante‑trois ans. Sur la période 2026-2060, l’âge de départ moyen des cheminots aurait été 61 ans.

Mais dans la mesure où vous avez supprimé le statut, personne n’entre plus dans ce régime spécial : cela va à l’évidence poser un problème démographique, alors que le stock de ceux qui sont déjà en pension demeure intégralement. Le sujet de la période de transition nous est masqué car il est renvoyé à une ordonnance. Comment voulez-vous que nous nous prononcions en conscience sur cet aspect essentiel de la réforme ?

M. Pierre Dharréville. Dans les régimes spéciaux, les âges d’ouverture des droits sont de plus en plus hypothétiques et aléatoires parce qu’ils sont désormais fonction de la durée de cotisation, qui évolue ; la durée d’assurance est désormais alignée sur le régime général ; enfin, la base de calcul pour la pension à taux plein a été alignée sur celle de la fonction publique. On voit bien que tout converge déjà et qu’il n’y avait pas besoin de cette réforme. L’objectif est donc bien de supprimer des droits à toutes et à tous. Je partage, pour d’autres raisons que lui, la question posée par Éric Woerth : vous ne dites pas ce qu’il adviendra précisément des premiers concernés par ces régimes. J’aimerais que vous nous décriviez précisément non seulement le processus de transition, mais les effets réels, concrets, pour chaque personne concernée.

Mme Sabine Rubin. J’ai du mal à comprendre votre logique à propos de l’universalité. Dès votre arrivée, vous vous êtes employés à casser la règle commune, le code du travail, au profit d’une négociation par entreprise. Comment croire que l’universalité soit autre chose qu’un alibi pour passer à un système de retraite à points, qui sera globalement défavorable à tout le monde ?

Par ailleurs, je voudrais revenir sur le déficit de certaines caisses – pas celle des avocats, qui n’est pas déficitaire. Je ne comprends pas la logique générale de votre projet, si ce n’est qu’elle vise à instaurer un système à points dont on sait, de source sûre, qu’il entraîne une baisse des retraites.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques n° 13551 de Mme Caroline Fiat, n° 13561 de Mme Sabine Rubin et n° 14669 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. L’objet de l’amendement n° 13551 est de supprimer l’alinéa 6. Laissez-moi vous parler de mon ami Bertrand : cela fait vingt ans qu’il est cadre à la SNCF, vingt ans que je le saoule en vain à chaque mobilisation pour qu’il fasse grève. Je voulais vous féliciter car vous avez réussi là où j’avais échoué : vous avez poussé Bertrand à faire grève ! Vous aurez au moins réussi cela dans votre mandat ! Bertrand a en effet un humour très limité quand il s’agit de sa retraite, lui qui a accepté un emploi moins bien payé parce qu’il savait qu’en compensation, il partirait plus tôt à la retraite.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13561 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14669 a pour objet de sauvegarder le système en vigueur pour les agents de la SNCF. Supprimer les régimes spéciaux ne résoudra en rien les problèmes de financement des retraites : ce n’est absolument pas la question ! En effet, les supprimer aujourd'hui ne garantirait pas à l’État de récupérer 6 milliards d’euros immédiatement car il faudrait dans tous les cas financer les droits acquis et les droits des régimes fermés.

Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on entend bien souvent, les âges de départ des agents de la SNCF sont différents au sein de ce régime : or vous n’avez toujours pas expliqué comment vous allez gérer ces différents cas de figure. Les conducteurs sont soumis à une contrainte particulière car leur service requiert une concentration permanente, dont les effets sur leur santé ont été démontrés et ont conduit à la création de ce régime particulier de pénibilité. De manière plus générale, vous ne dites pas comment vous prendrez en compte la spécificité des différents métiers exercés au sein de la SNCF.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Que puis-je ajouter à ce que j’ai déjà dit ? Pour répondre à M. Woerth, qui disait que l’intégration dans le régime général serait repoussée de cinquante ans, je rappelle que nous avons réussi à le faire puisque nous avons supprimé le recrutement au statut à compter du 1er janvier 2020. Ceux qui seront embauchés à partir de cette date ans seront déjà en retraite dans cinquante ans : ils seront donc bien concernés avant.

L’enjeu particulier de tous ces régimes spéciaux, c’est le déséquilibre démographique : à la SNCF, il y a 127 000 cotisants pour 249 000 retraités. Le principe même de cette réforme est de mutualiser, ce qui se traduit par une subvention d’équilibre de 3,4 milliards d’euros en 2018. Nous sommes donc défavorables à ces amendements.

Concernant la pénibilité évoquée par M. Dharréville, de nombreuses professions, comme celle des infirmières, requièrent une concentration permanente. Cela n’est pas spécifique à un métier : il faut en tenir compte de la même façon, que l’on travaille à la SNCF, à l’hôpital ou dans le privé, en fonction de critères objectivés. Le ministère du travail aura pour tâche de définir, de la façon la plus équitable possible, un même critère de pénibilité applicable à tous les métiers qui y sont exposés. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que la subvention d’équilibre au régime des cheminots pour 2018 s’était élevée à 3,4 milliards. Mais dans le nouveau système, le stock de ceux qui sont déjà pensionnés continuera à exister et ce que vous aurez à financer demeurera strictement équivalent.

M. Pierre Dharréville. Dans un certain nombre de métiers, la pénibilité pose un problème de sécurité publique : cela mérite d’être intégré dans nos réflexions. Monsieur le rapporteur, vous m’avez répondu qu’il fallait également tenir compte de la pénibilité du métier d’infirmière : je suis entièrement d’accord ! La pénibilité est insuffisamment reconnue pour certaines professions, mais faut-il pour cette raison dégrader sa prise charge quand elle est déjà reconnue ? Je ne le crois pas ; or c’est ce que vous êtes en train de faire.

La réforme que vous proposez aura pour conséquence qu’un certain nombre de personnes partiront à la retraite des années plus tard que ce qui est prévu sous le régime actuel ; dites-nous donc précisément à quoi cela aboutira pour elles. De la même façon, je suis favorable à ce que l’on discute des infirmières et des aides-soignantes. Il faut mieux prendre en compte la pénibilité et nous avons des propositions en la matière.

M. Jacques Maire. Tout d’abord, monsieur Dharréville, vous avez raison : j’ai fait une erreur tout à l’heure. Les régimes spéciaux représentent non pas 17 % mais 6 % de l’ensemble des retraités : vous avez eu raison de le faire remarquer, parfois on va un peu vite.

Concernant les mesures transitoires appliquées aux régimes spéciaux, l’article 39 prévoit que les assurés ayant effectué la durée de service qui leur est applicable ont droit à partir de façon anticipée dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. De ce point de vue, M. Vallaud a raison : il n’y a pas de gain automatique à court terme sur les 3,4 milliards d’euros, et c’est bien normal.

Enfin, une ordonnance déterminera les conditions de la négociation transitoire. Celle-ci ne devra pas se limiter à la question des retraites : quand des jeunes cheminots ont pour principale motivation la retraite, parce qu’ils considèrent que les conditions de travail ne sont pas bonnes, cela signifie que ces métiers ont un sérieux problème d’attractivité. La retraite ne peut pas constituer la réponse.

M. Thierry Benoit. La convergence public-privé est un préalable à la création d’un régime universel de retraite par points. Il me paraît donc logique d’amorcer la mise en extinction des régimes spéciaux, qui aurait déjà dû être faite depuis quelques dizaines d’années – ce sujet est abordé à chaque campagne électorale, présidentielle ou législative.

Pour ce qui concerne la pénibilité, le législateur devra se mettre d’accord sur une grille commune de critères. Ceux-ci devront être énoncés dans la loi et appliqués pour assurer une meilleure prise en compte, équitable et juste, de la pénibilité.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 13569 de Mme Caroline Fiat, n° 13579 de Mme Sabine Rubin et n° 14670 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Tout comme pour la SNCF, nous souhaitons supprimer l’alinéa 7 afin que les agents de la RATP continuent à bénéficier de ce à quoi ils ont droit actuellement et ne subissent pas votre réforme.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13579 est défendu.

M. Pierre Dharréville. Les arguments pour la SNCF valent pour la RATP. Je continue donc d’affirmer que vous ne prenez pas en compte la réalité du travail. Je serais d’ailleurs curieux de savoir comment vous avez engagé la concertation – je pense d’ailleurs que cela aurait plutôt mérité des négociations – avec les organisations syndicales concernées. J’aimerais en savoir plus car nous allons une fois de plus voter dans une incertitude totale. Tout cela n’est pas sérieux : comme vous pouvez le constater, la mobilisation est forte dans ces entreprises. Celles-ci ne se mobilisent d’ailleurs pas que pour elles-mêmes, chacun ayant parfaitement compris que, au-delà des régimes spéciaux, c’était le régime général qui était visé. La formule des points n’est pas adaptée, pas plus pour les salariés du régime général que pour ceux des régimes spéciaux. Comment envisagez-vous précisément la suite ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne vais pas répondre spécifiquement sur la RATP. Toutefois, concernant le sujet de la pénibilité des conducteurs de train, il me semble que cette dernière n’est plus la même que celle qu’ils ont pu connaître par le passé. Ce matin, vous étiez d’accord pour reconnaître la pénibilité des agriculteurs ; hier, M. Jumel, à juste titre, nous a parlé des marins, mais nous pourrions parler des maçons, des caissières, des policiers, des enseignants, des chauffeurs routiers, etc. Si la liste des métiers pénibles représentait 70 % de l’ensemble, cela poserait un problème de financement. Il faut donc objectiver les choses, les faire évoluer progressivement, travailler sur la pénibilité et la reconnaître de façon homogène, que l’on soit dans le privé ou dans le public et quel que soit le métier. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. J’aimerais savoir si vous considérez que la transition du régime actuel au régime futur est un élément substantiel de la réforme. Si c’est le cas, on comprend d’autant moins que cela ne soit pas soumis à notre discussion.

Vous parlez de la pénibilité en disant « il faut, il faut, il faut ! », mais enfin, vous avez supprimé le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) en 2017, vous travaillez sur cette réforme depuis deux ans et demi, cela concerte prétendument depuis deux ans… Je vous pose la question : qu’est-ce que vous faites ? Il faut se réveiller ! En attendant, il y a des gens qui ont des vraies vies professionnelles, qui les abîment ! Il serait donc utile que l’on passe un peu à l’acte : si vous n’êtes pas prêts, différez !

M. Pierre Dharréville. Selon vous, la pénibilité n’est plus la même car les métiers ont évolué. Certes, mais le reste aussi a évolué – la prise en compte de la pénibilité, le régime – donc ne faisons pas comme si ! Il faut mesurer ce que peuvent être les conditions de travail de celles et ceux qui conduisent des métros – certains travaillent sous terre toute la journée –, des tramways ou des bus. Je suis pour que l’on reconnaisse la pénibilité, et pas seulement en région parisienne – on nous a beaucoup ressorti l’exemple du chauffeur de bus de Bordeaux : on le connaît par cœur !

Nous proposons donc un départ dès 55 ans pour les métiers pénibles et la création d’un nouveau dispositif de reconnaissance de la pénibilité en fonction des emplois occupés, du temps passé dans la fonction concernée et des facteurs de risques professionnels, afin d’assurer un temps suffisant de retraite en bonne santé. Tout cela est pour partie déjà pris en compte dans les régimes spéciaux, mais de manière insuffisante.

M. Stéphane Viry. Mon collègue Éric Woerth vous a interrogé, monsieur le rapporteur, sur les modalités et les délais d’extinction des régimes spéciaux. Il nous paraît que la portée du texte proposé par le Gouvernement variera selon les modalités. Pour les nouveaux entrants au 1er janvier, ce n’est pas une réponse, ce n’est pas une information : cela a été voté. Notre préoccupation porte sur celles et ceux qui sont actuellement dans ces régimes, qui seront ayants droit. Mes collègues vous posent des questions, sans doute avec une autre finalité que la mienne, sur les modalités de transition : en deux mots, pendant combien de temps le budget de l’État devra-t-il contribuer au financement des régimes spéciaux ? Pendant combien de temps, alors que vous prônez l’universalité, allons-nous admettre différents statuts de retraités dans notre pays ? Nous avons besoin d’éléments de réponse précis sur le délai d’extinction des régimes spéciaux.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 13586 de Mme Caroline Fiat, n° 13596 de Mme Sabine Rubin et n° 14671 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. Plus je vous écoute, monsieur le rapporteur, et plus je suis convaincue que votre système universel ne fonctionne pas. Quand on vous parle d’une profession, vous répondez systématiquement que les infirmières méritent que l’on s’attarde sur leur cas, tout comme les pompiers et d’autres professions, qu’il faudra continuer à tenir compte de la pénibilité à la SNCF, et que l’on étudiera la question pour la RATP… Mais à tout garder, comme le disait Emmanuel Macron, ça va tomber comme des dominos : dès lors que l’on préserve un régime spécial, il faudra tous les conserver ! Nous voulons donc supprimer l’alinéa 8 car votre système universel de retraites n’en est pas un.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13596 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14671 a pour objet de supprimer l’alinéa 8, qui concerne le régime spécial en vigueur pour les clercs et employés de notaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Monsieur Vallaud, vous répétez à l’envi : « Votre réforme n’est pas prête ! » Je vais donc vous citer un exemple typique de ce à quoi on aboutit quand on ne prend pas le temps de faire une réforme. Le C3P, que j’ai expérimenté en tant qu’agriculteur employeur de salariés, était une catastrophe ! Chaque mois, je devais déclarer si mon salarié portait des charges lourdes, s’il était exposé aux produits chimiques – sauf qu’un salarié agricole, par définition, n’est pas un salarié à la chaîne ! Il faisait peut-être deux traitements dans le mois : comment devait-on le déclarer ? Il soulevait peut-être une fois dans le mois un sac de ciment : devais-je le prendre en compte au titre des charges lourdes ? C’était inapplicable ! Il faut donc, pour ce type de métiers, une approche de branche : globalement, un salarié qui travaille dans le domaine des productions végétales, il est peut-être exposé en moyenne à tel ou tel risque. C’est comme cela qu’il fallait l’envisager !

La politique demande de fixer des objectifs mais cela suppose de déterminer les moyens d’y parvenir. Il faut tracer le chemin : c’est ce que nous faisons ici. Comme c’est un changement majeur, nous prenons le temps !

Mme Valérie Rabault. C’est ce qu’on vous demande depuis le début !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Pour répondre à M. Viry sur la SNCF, les conducteurs de train concernés sont ceux qui ont été embauchés depuis le 1er janvier 1985 : ceux qui l’ont été avant cette date ne sont pas concernés. Cela veut dire qu’en 2025, des évolutions commenceront à intervenir, comme dans toutes les autres professions. Nous nous inscrivons dans une trajectoire de quinze à vingt ans pour rapprocher le statut actuel du statut définitif.

M. Boris Vallaud. Vous venez de faire la démonstration, en effet, de la nécessité, y compris quand la réforme porte sur un seul objet, de prendre le temps. Je conçois tout à fait que des réformes soient difficiles à mettre en œuvre, soit parce qu’elles ont fait l’objet d’une insuffisante préparation, soit qu’elles méritent d’être revues. Mais, en l’occurrence, votre réforme porte sur des dizaines, pour ne pas dire des centaines de points ! S’il ne s’agissait que d’une réforme de la pénibilité, encore ! Mais c’est la pénibilité, les carrières longues ; vous engagez tous les Françaises et les Français sur soixante ans ; il y a des effets de bord dans tous les sens, des transferts ; cela va changer le niveau des pensions, le niveau des cotisations ; des caisses demeureront et d’autres non ; il y aura un doublon entre tous pendant des décennies ; des gens qui rentreront dans les carrières au même moment n’auront pas le même niveau de pension… On est en train de s’engager dans un truc qui va ressembler au Brexit : une fois que vous l’aurez voté, vous ne saurez plus comment faire pour vous en sortir ! Voilà la réalité ! Vous avez dit que c’était une ambition considérable : alors prenez le temps ! Vous êtes en train de nous dire : « On fait les soubassements et on verra plus tard combien de pièces et d’étages on construit, avec quels matériaux… » Nous aimerions bien avoir une petite idée de ce que cela va donner !

M. Pierre Dharréville. Toutes les réponses que vous nous apportez font la démonstration que vous n’avez pas de projet précis. Vous venez de dire vous-même que vous ne saviez pas trop comment se ferait la transition, avant d’affirmer que la lisibilité était une des vertus cardinales de votre projet. Qu’entendez-vous par lisibilité ? Tout cela me semble de plus en plus obscur ! In fine, votre projet aura pour conséquence de faire cotiser plus certaines personnes pour un droit moins important. Il faut aussi assumer les choses telles qu’elles sont en le disant de la manière la plus claire possible.

Mme Carole Grandjean. Je veux revenir sur les questions de gouvernance, que nous examinerons dans le titre IV. Chacun d’entre nous aura pris connaissance des dispositifs prévus. Il faut rappeler qu’un schéma de transformation sera engagé et que le texte législatif prévoira un certain nombre d’évolutions pour la période de transition. De plus, dans la période de transition, des conventionnements seront prévus avec la caisse nationale ; en aucun cas il n’y aura de doublons, comme cela vient d’être dit. Enfin, le titre IV comporte des garanties, dans le cadre de la transition, pour l’ensemble des caisses, notamment les caisses autonomes.

M. Thibault Bazin. Arrivera-t-on un jour à ce titre IV ?

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 13603 de Mme Caroline Fiat, n° 13764 de Mme Sabine Rubin et n° 14672 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 13603 a pour objet de supprimer l’alinéa 9 pour protéger le régime spécial des industries gazières, conquis après des années de lutte sociale.

Mme Sabine Rubin. Nous souhaitons supprimer l’alinéa 9, lequel met fin au régime spécial des personnels des industries du gaz et de l’électricité. Cet alinéa est en effet en cohérence avec votre politique en matière d’énergie, qui consiste à découper ces entreprises de l’énergie en petits morceaux et à les privatiser. Vous remplacez ces régimes spéciaux par des aménagements spécifiques pour faire passer la retraite à points, qui est un excellent véhicule pour faire baisser les retraites de tous.

M. Pierre Dharréville. L’alinéa 9 vise à supprimer le régime spécial des ouvriers des industries électriques et gazières instauré en 1946, garantissant la prise en compte des facteurs spécifiques de pénibilité des travailleurs du secteur mais également la spécificité de leur mission, de leurs astreintes. Ce statut a été forgé à la Libération pour garantir la sécurité et l’indépendance énergétiques de notre pays. Tout cela fait un paquet global : quand on touche aux retraites, on touche aussi à l’ensemble des enjeux qui se rapportent au service public de l’énergie. Cela étant, ce n’est pas une raison pour poursuivre dans cette voie. Nous nous opposons donc à la suppression de ce régime spécial.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les discussions sont assez décousues. Nous avons évoqué tout à l’heure les clercs de notaire, qui sont révélateurs de la situation démographique : ce petit régime de 60 000 personnes environ pour 60 000 retraités connaît un rapport démographique très défavorable. De ce fait, il faut faire appel à la solidarité nationale pour l’équilibrer. Nous devons être proactifs sur ces sujets.

Concernant EDF, je ne sous-estime pas le travail remarquable qui a été accompli après-guerre pour électrifier la France et gagner en indépendance énergétique. Mais je pourrais en dire autant des agriculteurs, qui ont redonné l’autonomie alimentaire à notre pays après-guerre, alors qu’il y avait encore des tickets de rationnement ; pour autant, eux n’ont pas bénéficié d’un régime spécial.

M. Viry et ses collègues trouvaient tout à l’heure que l’on consacrait trop de temps aux régimes spéciaux, que ces réformes coûteraient trop cher et engendreraient des dépenses nouvelles, tandis qu’à gauche, on nous dit que les pensions vont s’écrouler : nous devons être quelque part dans le juste milieu.

M. Boris Vallaud. Ou dans l’erreur complète !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Avis défavorable à ces amendements.

Mme Valérie Rabault. Je souhaite réagir aux propos tenus par le rapporteur concernant l’importance des études d’impact – sur ce point, nous serons à 100 % d’accord avec lui.

Ma question n’est pas directement liée aux gaziers mais peut les concerner aussi. Ainsi, page 311 de votre étude d'impact, on constate que la pension médiane baissera pour les générations des années 1980 – ce n’est pas moi qui le dis, c’est votre graphique, établi avec le logiciel Prisme de la CNAV. Comme vous ne cessez de nous dire, depuis le début de l’examen de ce texte, que tout va augmenter, je voulais savoir ce qui explique que cela baisse dans ce graphique : celui-ci est assez parlant car il montre que la réforme est pénalisante pour la génération 1980.

M. Stéphane Viry. M. le rapporteur a engagé un dialogue sur la portée du projet de loi. Nous ne donnons pas, monsieur le rapporteur, le même sens que vous au mot « réforme » : pour moi, réformer, c’est prendre des mesures compliquées, courageuses, mais qui s’inscrivent dans un temps maîtrisé. Vous avez dit vous-même : « On prend le temps. » Prendre le temps sur quinze à vingt ans, ce n’est plus une réforme : c’est peut-être un ajustement de situation, mais ce n’est pas une nouvelle donne ! Votre gestion des régimes spéciaux dénature totalement le concept de réforme !

M. Pierre Dharréville. Je connais un peu les enjeux de la reconstruction. Vous avez raison de dire que les gaziers et les électriciens n’ont pas été les seuls à donner pour la reconstruction de la France à la Libération. François Billoux, un communiste marseillais, fut le ministre de la reconstruction à l’époque. Mais la question qui nous est posée aujourd'hui est celle des conditions de travail actuelles dans ces industries en pleine mutation. Je ne pense pas que les 6 milliards dont vous parlez, comparés aux 321 milliards dépensés pour la totalité des retraites, posent un problème insurmontable à la solidarité.

Chacun s’était félicité, après la tempête de 1999, de voir tous ces électriciens monter sur les poteaux pendant les fêtes pour rétablir le courant ; cela arrive d’ailleurs très régulièrement. Nous devons tenir compte de ces contraintes, qui existent aussi dans d’autres métiers : je suis pour qu’on les prenne en compte partout où elles existent, mais qu’on ne les supprime pas là où elles sont bien prises en compte !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je ne boude pas mon plaisir à voir Mme la présidente Valérie Rabault nous solliciter sur l’étude d'impact : je ne voudrais pas qu’elle pense que nous ne lui répondrons pas sur ce sujet. Le tableau sur lequel vous nous avez alertés est intéressant. Sans faire d’analyse statistique trop pointue, il retrace à la fois la médiane et la moyenne : la première coupe en deux l’échantillon, tandis que la seconde établit la valeur moyenne. On observe que la moyenne augmente significativement alors que la médiane fait moins 0,1, ce qui correspond à la marge d’erreur, dans un sens ou dans un autre.

Mme Valérie Rabault. Non ! Elle est à moins 2,5 !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. La moyenne progresse de quasi 5 % tandis que la médiane est quasi stable. Je veux bien que l’on passe du temps sur ce sujet mais nous devrons alors consacrer ce temps à la moyenne, parce qu’elle augmente fortement. Ce sujet est intéressant mais il faut que vous regardiez l’ensemble, et pas seulement cette médiane, qui est quasi à l’équilibre.

Monsieur Viry, vous êtes un peu embêté parce que La République en marche arrive à mettre fin aux régimes spéciaux alors que les précédents gouvernements de droite n’y sont pas parvenus. C’est du moins le sentiment que vous donnez… Il est nécessaire de prendre le temps. Si vous aviez pensé pouvoir faire cette réforme en trois ou quatre ans, j’imagine que vous l’auriez fait ! En rappelant que nous allons mettre quinze à vingt ans pour éteindre les régimes spéciaux, vous soulignez que nous respectons le contrat social et moral passé entre ceux qui ont choisi ces régimes spéciaux et leurs entreprises, tout en prenant acte que ces régimes vont bien s’éteindre. Oui, c’est vrai, nous le faisons, dans le respect des engagements et avec la volonté de créer un système universel dans lequel tous les Français se retrouveront à égalité devant les retraites.

La commission rejette les amendements.

La commission en vient aux amendements identiques n° 14052 de M. Adrien Quatennens, n° 14055 de Mme Sabine Rubin et n° 14673 de M. Sébastien Jumel.

M. Adrien Quatennens. Je reviendrai sur les industries électriques et gazières, dont j’ai été le salarié. Il ne m’est pas nécessaire d’invoquer les relations personnelles que j’entretiens avec elles, pour dire que celles-ci sont très mobilisées. Nous avons d’ailleurs pu rencontrer certains de leurs représentants au cours de la manifestation qui a eu lieu cet après-midi. Votre réforme vient s’ajouter à une entreprise de déconstruction méthodique, qui a eu lieu avant même l’arrivée au pouvoir de votre gouvernement. Elle a consisté à démanteler l’opérateur historique de l’électricité et du gaz, avec le résultat que l’on sait, sous l’injonction de la Commission européenne. Il s’agissait de mettre en œuvre une concurrence libre et non faussée qui est en réalité tout à fait artificielle, puisque c’est l’opérateur historique qui fournit à ses concurrents les moyens de lui faire concurrence – ceux‑ci ne disposent pas des moyens de production suffisants. C’est une absurdité totale à laquelle la réforme des retraites vient s’ajouter, alors que le statut des salariés de ces industries est par ailleurs mis en cause. Cela fait beaucoup. Mon collègue Dharréville a eu raison d’évoquer la tempête de 1999 ; il suffit d’observer les conséquences du changement climatique pour imaginer qu’à l’avenir, ces salariés seront amenés à être mobilisés très régulièrement. Pourtant, cette réforme des retraites vient leur porter un nouveau coup très dur.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 14055 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14673 porte sur le régime spécial de retraite actuellement en vigueur pour les agents titulaires de la Banque de France. Pour des raisons similaires à celles invoquées pour d’autres catégories de salariés, nous proposons de le maintenir. Ce n’est pas le régime qui comprend le plus d’agents, mais ce n’est pas une raison pour nier le travail accompli pour aboutir à ce statut spécifique, dont vous ne prenez pas la mesure.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Tout se perd ! Il est assez amusant de voir M. Dharréville défendre la banque…

M. Pierre Dharréville. La Banque de France, pas toutes les banques !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je plaisante. C’est à tout à votre honneur de défendre l’ensemble des salariés.

La tempête de 1999 a été évoquée. Je ne prétends pas connaître particulièrement les électriciens et les gaziers ; en revanche, je connais beaucoup mieux les bûcherons, qui ont été beaucoup sollicités à cette occasion. S’il est un métier pénible par excellence – que l’on pense aux vibrations permanentes de la tronçonneuse ou au danger des arbres en chablis –, c’est bien celui-là. Il existe de nombreux métiers en France qui sont importants, dangereux et invisibles – les bûcherons sont vraiment les invisibles parmi les invisibles. Nous devons tenir compte de tout cela de la manière la plus homogène possible, mais tous les métiers sont concernés.

Madame Rabault, j’ai regardé le graphique que vous évoquiez tout à l’heure décrivant l’évolution de la retraite médiane ; il s’explique très bien. Aujourd’hui, la situation est la suivante : le montant mensuel brut moyen de la pension de retraite des hommes – tous retraités confondus – s’élève à 1 780 euros, tandis qu’il est de 1 100 euros pour les femmes. La réforme met en œuvre une redistribution ; son impact n’est donc pas le même pour les hommes et pour les femmes, et les hommes vont moins y gagner. Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, la pension médiane des hommes de la génération 1980 va connaître une évolution légèrement négative – d’environ 2 % ; les hommes représentant à peu près 50 % de la population totale, cela pourra conduire à une très légère baisse de la pension médiane pour l’ensemble de la génération 1980, hommes et femmes confondus. Cependant, on joue sur l’épaisseur du trait : la diminution est marginale, et je pense même que l’on se situe dans le taux d’erreur habituellement constaté pour ce genre de prévisions. Cette tendance est assurément liée au rééquilibrage hommes-femmes. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je commence à m’habituer à votre rhétorique consistant à dire que parce qu’il existe d’autres régimes spéciaux que celui que l’on est en train d’évoquer, il faut tous les supprimer. C’est un peu la logique de votre argumentation. Je ne partage pas cette orientation politique qui vous conduit à tout araser en cessant de traiter les problèmes auxquels des solutions pérennes avaient jusqu’à présent été trouvées : je pense qu’il faut au contraire mieux prendre en compte un certain nombre de réalités spécifiques.

S’agissant de la Banque de France, vous savez que j’y suis attaché ; je serais même favorable à ce qu’elle ait davantage de pouvoir – et que, de manière générale, les banques centrales aient un pouvoir plus important que les banques privées. En 2019, l’âge d’ouverture des droits à la retraite s’y élevait à 61 ans et trois mois, tandis que l’âge de départ moyen y était de 60,5 ans. Je donne des chiffres pour éviter que certains fantasmes soient nourris – je ne vous en fais pas le procès, monsieur le rapporteur, mais c’est l’occasion de rétablir un certain nombre de vérités dans l’opinion publique.

Mme Marie-Christine Dalloz. Deux choses m’interpellent dans le débat.

M. le rapporteur a l’air de penser qu’il va falloir traiter la question de la pénibilité par métier. Chaque fois qu’il prend la parole à propos d’un métier particulier, il reconnaît à son propos la notion de pénibilité. À la fin, on se rendra compte que tous les métiers ont une dimension pénible. Je ne connais personne qui dirait qu’il n’y a pas une part de pénibilité dans son activité professionnelle. Attention donc à votre manière de traiter le sujet.

Monsieur le secrétaire d’État, j’étais déjà députée lorsque nous avons voté la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Le courage, c’était alors d’afficher le recul de l’âge légal du départ à la retraite de 60 à 62 ans, ce que vous n’avez pas fait puisque vous avez retiré « provisoirement » l’âge pivot. Je ne sais pas ce que signifie ce retrait provisoire, mais ce n’est pas faire preuve de courage. Quand vous dites qu’il faudra vingt ans pour effectuer la transition entre les deux systèmes de retraite, et que l’on y ajoute les cinq ans qui mènent à 2025, on parvient à une réforme prévue pour dans vingt-cinq ans. Je ne suis pas certaine que ce soit courageux.

M. Éric Girardin. S’agissant du courage politique, pour compléter les propos de Mme Dalloz, je crois qu’en tant que députés, nous avons eu le courage de faire voter l’abandon de notre régime spécial, et que ce fut un bel exemple donné à la population. C’est pourquoi nous pouvons avoir ce débat sereinement ; en effet, s’il est une chose que la population jugeait anormale, c’était bien le régime spécial des députés – qui subsiste d’ailleurs pour les sénateurs. En faisant cela, nous avons fait un grand pas vers une forme de normalisation, permettant à chaque citoyen français d’apprécier ce qu’est un système de retraite juste.

Ensuite, vous jugez que la transition entre l’ancien et le nouveau système de retraite est trop longue. Il s’agit de faire converger les quarante-deux régimes existants vers le régime universel. À l’époque où ces quarante-deux régimes ont été mis en place, ils l’ont été en fonction de critères qui ont ensuite évolué au cours du temps. Notre approche est différente : il s’agit de mettre en œuvre une réforme de manière progressive, en prenant le temps d’envisager l’ensemble des aspects de la transposition conduisant à l’intégration de quarante-deux régimes en un seul.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14062 de Mme. Caroline Fiat, n° 14069 de M. Adrien Quatennens, n° 14072 de Mme Sabine Rubin et n° 14674 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Par l’amendement n° 14062, nous souhaitons supprimer l’alinéa 11 de l’article 7. Les mobilisations s’opposant à votre projet de système universel de retraite ont été fortes et durent depuis plus de soixante jours – cela devrait déjà vous faire réfléchir –, mais l’Opéra national de Paris nous a montré que la grève pouvait aussi être très belle. Nous en avons tous profité : après le spectacle improvisé des danseuses sur les marches de l’opéra Garnier, les musiciens de l’orchestre ont offert un concert sur celles de l’opéra Bastille. Ils ont refusé ce que vous leur proposiez, c’est-à-dire que la réforme ne s’applique pas à eux mais seulement aux artistes qui seront recrutés à partir de 2022. Tout à l’heure, quand j’ai pris l’exemple de mon ami Bertrand qui travaille à la SNCF, vous avez répondu, dans une perspective égoïste, qu’il n’était pas concerné. Mais tout le monde n’est pas égoïste ; certains ne pensent pas qu’à eux-mêmes et pensent aussi aux autres.

M. Adrien Quatennens. À observer la liste des secteurs mobilisés contre le projet de réforme des retraites, on se demande qui, à part les assureurs et les banques qui vont peut-être bénéficier de l’appel d’air créé vers les retraites par capitalisation, peut se réjouir d’une telle réforme. La mobilisation donne à voir des scènes que l’on n’avait jamais vues en France ; de ce point de vue, vous méritez peut-être tout de même d’être salués, car vous avez indirectement permis que se tiennent les magnifiques concerts donnés en place publique par l’Opéra de Paris, et qui vont encore se développer. Nombre de nos concitoyens se sont également adonnés à des happenings ou des flash-mobs, comme celui effectué par des femmes – les « grandes gagnantes » de la réforme, qui n’ont pourtant pas l’air d’en vouloir – dans la gare de l’Est. C’est peut-être la raison pour laquelle le candidat de La République en Marche pour les municipales à Paris a ensuite éprouvé l’envie de raser la gare de l’Est... On voit bien que toutes les professions sont concernées et se mobilisent contre votre projet de réforme des retraites.

Mme Sabine Rubin. Nous voilà enfin à l’opéra, pour traiter du cas des danseurs et des musiciens. Ce sont 2 000 salariés, dont 20 % de musiciens qui partent actuellement à la retraite à 60 ans, et des danseurs qui partent à 42 ans – il est aisé de comprendre pourquoi. Monsieur le secrétaire d’État, je sais qu’avec le ministre de la culture, vous avez vainement tenté de trouver un accord pour leur faire avaler la pilule de la réforme : il s’agissait qu’elle ne s’applique qu’à partir de la génération 1977 pour les musiciens, et de la génération 1980 pour les choristes et les techniciens ; quant aux danseurs, vous leur avez concédé la « clause du grand-père », selon laquelle seuls ceux recrutés à partir 2022 seraient concernés. Quid des danseurs recrutés en 2023 ? Est-ce qu’ils en bénéficieront ? En 2050, nous aurons peut-être des danseurs de cinquante ou soixante ans, pourquoi pas ? Je voulais alerter sur ce qui me semble être un cas d’école quant à l’absurdité de cette réforme.

M. Pierre Dharréville. L’Opéra de Paris est cette institution culturelle tricentenaire qui participe au rayonnement de la France, et dont l’ensemble des artistes, machinistes et techniciens sont reconnus dans le monde entier. La spécificité de leur métier justifie pleinement de conserver un régime de retraite adapté, prenant en compte la pénibilité des tâches et le niveau d’excellence attendu au sein de l’institution.

Je voudrais également souligner qu’au sein de cette institution, on exerce de véritables métiers, et que certains sont reconnus comme répondant à des critères de « fatigue exceptionnelle ».

Enfin, la caisse de retraite de l’Opéra de Paris a un financement particulier. Si votre réforme aboutissait, on estime qu’elle entraînerait une perte de pouvoir d’achat de 25 % pour toutes les catégories de personnels.

Ces exemples montrent bien l’incurie de la proposition qui a été mise sur la table.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne sais pas comment on peut parler d’incurie. Il est évident que le travail des artistes de l’Opéra de Paris et sa spécificité sont tout à fait reconnus et pris en compte. Ce n’est pas parce qu’ils seront intégrés dans un système universel posant des bases communes à tous les salariés que cette reconnaissance, que notre pays leur doit, sera remise en cause. Ce n’est pas la question.

Sur la Banque de France, monsieur Dharréville, le régime de retraite de ses agents n’est pas très éloigné du futur régime universel – à la différence par exemple de la SNCF ou de la RATP. Pour eux, la convergence sera donc plus rapide et plus simple. Rien en tout cas ne justifie aujourd’hui le fait qu’ils bénéficient d’un régime spécifique.

Madame Dalloz, selon vous, je considèrerais que tout travail est pénible. Ce n’est pas le cas : je crois beaucoup à l’émancipation par le travail. Cependant, les critères de pénibilité sont parfois transversaux et communs à un certain nombre de métiers. Je pense par exemple aux coiffeuses, avec qui je discute régulièrement – ce sont souvent des femmes, même s’il y a aussi beaucoup d’hommes qui sont coiffeurs ; la position verticale qu’elles doivent tenir en permanence en tournant autour du client est un facteur de pénibilité physique. Il faut donc essayer d’intégrer ces aspects. Chaque métier a sa part de pénibilité ; c’est une réalité inhérente aux métiers physiques.

Enfin, s’agissant des vingt-cinq ans que prendrait la réforme, j’insiste sur le fait que c’est à partir de 2025 qu’elle sera mise en œuvre et que la transition vers le régime universel débutera.

Mme Marie-Christine Dalloz. Celle-ci durera vingt ans !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Cela signifie que pour celui qui partira à la retraite en 2025, ce sera peut-être un quinzième du problème qui sera réglé ; l’année d’après, ce seront deux quinzièmes, et ainsi de suite. Il s’agit de faire évoluer progressivement les situations pour les faire converger vers le système voulu. C’est le principe même de toute politique. Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Je suis ravie d’entendre M. le rapporteur reconnaître la pénibilité du travail. Ce matin, il nous a indiqué que c’était dans la tête, et que nous nous faisions des idées. (Protestations.) C’est ce que nous avons entendu. Nous pourrons retrouver ce que les uns et les autres ont dit. Assumez-le ! Vous avez le droit de penser que la pénibilité n’existe que dans la tête. Nous avons du respect pour M. le rapporteur : nous l’écoutons et nous retenons ce qu’il a dit. Je suis ravie de l’entendre dire que quand on est coiffeur, la position debout tenue à longueur de journées et d’années peut finir par être pénible.

En ce qui concerne l’Opéra de Paris, tous les Français ont été sensibilisés à ce sujet au moment de Noël. Chacun sait que la danse fait partie des professions dans lesquelles le corps est mis à rude épreuve ; si un régime spécial a été conçu pour les danseurs, c’est précisément pour tenir compte des spécificités du métier. La carrière, c’est un tout : ce qu’on y fait, ce qu’on y gagne, et aussi la retraite.

M. Jacques Marilossian. Ayant longtemps habité à Lyon, j’y suis souvent allé à l’opéra. On m’a dit qu’il y avait aussi de très bons opéras à Strasbourg, à Bordeaux et à Toulouse. Aucun d’entre eux, me semble-t-il, ne bénéficie d’un régime spécial comparable à celui de Paris. Or nous pourrions reconnaître que ni à Strasbourg, ni à Toulouse, ni à Bordeaux, ni à Lyon, personne n’a jamais vu un danseur de 65 ans. Je suppose que tous les gens qui travaillent dans ces opéras de province – on pourrait ajouter à cette liste Nantes, Marseille ou Nancy, et j’adresse mes excuses à tous les opéras que j’ai omis de citer – ont des statuts qui leur permettent de vivre parfaitement l’état dans lequel ils ont à travailler. Il n’y pas de raison que ce ne soit pas le cas à Paris si l’on créé un même statut pour tous.

M. Pierre Dharréville. Nous connaissons bien cet argumentaire. Cependant, il faudrait en effet se poser la question de savoir si toutes ces danseuses et tous ces danseurs sont suffisamment protégés, et ce qu’ils deviennent une fois qu’ils ont arrêté de se produire sur scène.

Comme M. le rapporteur, je crois à l’émancipation par le travail ; cependant, je crois aussi – ce n’est pas incompatible – à l’émancipation par la retraite, qui doit arriver à un moment donné. Ces deux étapes peuvent se compléter utilement. Or vous nous proposez de reculer l’âge de départ en retraite, et vous nous livrez l’argument selon lequel s’il recule pour les uns, il doit aussi reculer pour les autres. Bien entendu, il serait problématique de laisser prendre des mauvaises mesures pour la majorité des travailleurs, en se contentant de préserver le statut de quelques-uns d’entre eux. Mais ce n’est pas la démarche que nous proposons : ce que nous voulons, c’est que l’âge de départ en retraite s’arrête de reculer pour tous. C’est bien le cœur de votre réforme – régime spéciaux ou pas –, et c’est bien cela que nous contestons.

M. Brahim Hammouche. Nous sommes dans une démarche d’accompagnement par rapport à des trajectoires professionnelles, et par rapport à des événements qui peuvent surgir au cours de la vie. Dans cette perspective, plusieurs questions doivent être prises en compte : celle de la pénibilité, que vous avez abordée, mais aussi celles de la prévention, de la réparation ou encore de la réorientation. À la fin du parcours professionnel de chacun, toutes ces difficultés éventuelles peuvent avoir un impact sur la retraite. Nous voulons adopter une démarche plus globale, et permettre avec cette réforme – qui est bien une réforme, au sens où elle s’inscrit moins dans une volonté de rupture que dans une exigence de couture, d’adaptation au plus près des besoins de chacun – que celles et ceux qui arrivent à la retraite ne le fassent pas au sens sémantique du terme, comme s’il s’agissait d’une fin de vie, mais le fassent en pleine capacité ; et que celles et ceux qui ont connu des heurts dans leur parcours ne subissent pas une double-peine et soient accompagnés au mieux, à l’aide d’une solidarité renforcée et bien répartie. Cette réforme, vous l’avez peut-être rêvée, nous sommes en train de la faire.

Mme Caroline Fiat. L’Opéra de Paris est une source de fierté nationale, il fait partie des institutions françaises les plus reconnues à l’étranger. M. Marilossian voulait opposer les opéras de province à l’Opéra de Paris ; pour ce faire, il a commencé par parler de celui de Lyon. Je n’ai pas eu le temps de me renseigner sur les autres mais, cher collègue, l’opéra de Lyon est en grève – contre le système universel de retraite, cela va sans dire ! Vous devriez aller rencontrer ceux qui y travaillent, car tout ne doit pas s’y passer si bien que vous le dites. Du fait de la grève, plusieurs représentations de Tosca ont été annulées entre le 24 janvier et le 1er février.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 14079 de Mme. Caroline Fiat, n° 14086 de M. Adrien Quatennens, n° 14089 de Mme Sabine Rubin et n° 14675 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. Tout comme l’Opéra de Paris, la Comédie Française est une institution très importante, qui compte 300 salariés. Par la suppression de l’alinéa 12 de l’article 7, nous voulons protéger son régime spécial qui a été conquis après des années de luttes sociales. Je ne vais pas vous vendre la Comédie Française, dont on en parle au-delà de nos frontières ; elle représente la France et mérite largement que l’on supprime l’alinéa en question.

M. Adrien Quatennens. Il faut supprimer l’alinéa 12 comme il faut supprimer l’ensemble de cette réforme des retraites, qui est en contradiction avec les engagements présidentiels pris par Emmanuel Macron. Non seulement ce texte est très éloigné des grands principes que vous nous avez vendu – l’universalité et tout le reste –, mais l’argument d’autorité souvent utilisé par la majorité, selon lequel elle respecterait le programme pour lequel elle a été élue, est concrètement faux. Les Français s’en rendent compte, et nous aussi : nous avons lu le programme d’Emmanuel Macron, qui dit bien qu’il ne touchera pas à l’âge de départ en retraite ni au niveau des pensions. La retraite par points fera les deux, précisément, puisqu’en diminuant le montant des pensions, elle va pousser les gens à travailler plus longtemps, ce qui va automatiquement faire reculer l’âge effectif de départ en retraite. C’est valable y compris pour les artistes et les membres de la Comédie Française qui, comme tous les autres Français, ne méritent pas un tel traitement.

Mme Sabine Rubin. Le métier d’artiste, que ce soit à la Comédie Française, à l’Opéra de Paris ou ailleurs, est d’autant plus difficile et dangereux quand les moyens financiers sont insuffisants. J’ai eu l’occasion de rencontrer certains artistes avant la mise en œuvre de la réforme des retraites, et je me souviens d’un danseur qui avait failli prendre un décor sur la tête, au cours d’un spectacle, parce qu’il manquait de techniciens pour installer convenablement les décors. Je me souviens aussi de chanteurs qui disaient qu’ils devaient chanter tous les jours du Wagner, ce qui est impossible : à cause du contexte global d’austérité qui existe dans le domaine de la culture, ils sont poussés à bout.

Je sais que des solutions ont été présentées, avec des caisses autonomes ou des pré-retraites d’entreprise, mais elles coûtent beaucoup plus cher que le système actuel.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais démentir M. Brahim Hammouche, car je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé de cette réforme. Il est vrai que l’on ne se souvient pas de tous ses rêves, et peut-être mon inconscient me protège-t-il. J’aurais pu, à la limite, en cauchemarder, mais je vous confirme qu’il ne m’est jamais arrivé d’en rêver.

La Comédie Française est l’une des institutions culturelles françaises les plus remarquables. Ses artistes et employés bénéficient d’un régime adapté aux contraintes inhérentes à leur métier depuis 1914. Les techniciens et les salariés du service de sécurité peuvent partir à la retraite dès 57 ans, ce qui se justifie par la pénibilité liée à la manœuvre des décors. En outre, que ce soit pour les artistes ou pour les techniciens, les représentations sont très nombreuses – 912 pour la saison 2018-2019 –, et la grille salariale y est inférieure à celle du théâtre privé, du lyrique ou du cinéma, ce qui est compensé par la possibilité d’un départ anticipé. Enfin les pensions de retraite étant actuellement calculées sur les six derniers mois, les salariés de la Comédie Française auraient beaucoup à perdre avec cette réforme. Nous nous prononçons donc pour la suppression de l’alinéa 12.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vous confondez deux choses : d’une part, le problème des difficultés financières, qui sont réelles pour un certain nombre d’institutions culturelles, comme elles le sont pour l’hôpital, pour le secteur agricole ou ailleurs ; et d’autre part, la question du système de retraite. Aujourd’hui, la Comédie Française compte 300 actifs et 300 retraités ; ce sont donc des effectifs très faibles. Il y a un système spécifique pour 300 personnes ! Il faut les intégrer dans le système universel tout en tenant compte des spécificités de leur activité, notamment en matière de pénibilité. Cependant, il me semble qu’à Châtellerault, qui est la principale ville de ma circonscription, il y a aussi un théâtre avec des décors à manœuvrer, et j’imagine que les conditions de travail à la Comédie Française et leur pénibilité doivent être comparables à celles qui s’observent dans les autres théâtres de France et de Navarre. La nécessité d’adopter une approche commune me semble couler de source. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Vous proposez de tenir compte des spécificités de ces métiers. Encore une fois, je demande des engagements sur le sujet qui ne soient pas vagues. Actuellement, ils ont des droits très précis. Tenir compte, ce n’est pas une garantie, et c’est aussi parce que vous ne leur apportez pas de telles garanties qu’ils sont en colère.

J’ai rappelé que leur statut constituait une forme de compensation par rapport à d’autres avantages dont ils ne bénéficient pas. Tous cela est plus complexe qu’il n’y paraît.

M. Boris Vallaud. Un collègue disait tout à l’heure que l’on n’avait jamais vu un danseur danser à 60 ans. En réalité, aujourd’hui, les artistes du ballet de l’Opéra de Paris ont le droit de partir à la retraite à 40 ans. Nous avons besoin que vous formuliez un certain nombre d’engagements pour savoir comment seront prises en compte les spécificités de ces métiers, y compris s’agissant des techniciens dont les conditions de travail répondent aux critères de « fatigue exceptionnelle », et qui risquent de ne plus bénéficier du compte professionnel de prévention (C2P). Ceux-ci vont devoir partir à la retraite à 62 ans voire 64 ans pour obtenir une pension à taux plein, alors qu’ils peuvent actuellement le faire à 57 ans. Quant aux artistes des chœurs, l’âge d’ouverture des droits est également fixé à 57 ans – 60 ans sans la décote – parce que l’on considère que, dans la perspective de maintenir le niveau d’excellence des prestations de l’Opéra de Paris, la plupart d’entre eux ne peuvent aller au-delà. Enfin, l’existence d’un régime autonome se justifie aussi par le fait que les affiliés versent un droit spécial sur les places occupées à l’opéra ; vous prévoyez de le leur retirer pour l’affecter au fonds de solidarité universelle. On lâche la proie pour l’ombre ! On ne sait en aucune manière, pour ces métiers comme pour beaucoup d’autres, quelles sont vos intentions, et il est peu probable que votre réforme améliore la situation des uns et des autres.

M. Olivier Damaisin. Monsieur Vallaud, pour suivre régulièrement le rugby, je me demande ce qui se passerait si tous les rugbymen prenaient leur retraite à 35 ou 40 ans. On peut pousser le raisonnement s’agissant des basketteurs, des handballeurs – et handballeuses, bien sûr – et des footballeurs. Compte tenu du salaire de certains footballeurs, je pense que ce serait très compliqué. Les sportifs professionnels ont bien conscience que leur carrière est très courte ; ils se reconvertissent ensuite, par exemple dans l’encadrement, en tant qu’entraîneur ou dirigeant. C’est la même chose pour les danseurs : à Lyon, à Bordeaux ou à Marseille, ils savent qu’ils ne pourront plus être danseurs passé un certain âge, et ils s’orientent vers une autre carrière. C’est très simple, et ce n’est pas la peine de chercher des problèmes là où il n’y en a pas.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14209 de Mme. Caroline Fiat, n° 14216 de M. Adrien Quatennens et n° 14676 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Par l’amendement n° 14209, nous souhaitons supprimer l’alinéa 13 de l’article 7, et donc l’application de la réforme aux ouvriers d’État, catégorie qui comprend différents corps comme les spécialistes des infrastructures de transport et de celles de la défense. Leur régime de retraite est très ancien, les premiers décrets régissant leur corps ayant été mis en place dès 1897. S’il a été décidé à cette époque qu’il fallait que ces ouvriers bénéficient d’une retraite spécifique, ce n’était pas pour rien.

M. Adrien Quatennens. M. Damaisin nous dit que tout va bien, un peu à la manière du Président de la République qui, lors de ses vœux aux Français le 31 décembre au soir, avait dit que la France n’avait pas connu un tel élan depuis des années. Vous êtes vraisemblablement les seuls à considérer les choses ainsi. Vous ne prenez pas la mesure de la situation dans le pays. Cette réforme des retraites est contestée par une majorité de Français ; si vous analysez la contestation seulement à l’aune du taux de grévistes et de manifestants, c’est que vous n’avez pas compris que de nombreuses personnes n’ayant pas l’opportunité de faire grève sont malgré tout très opposées à votre réforme. Surtout, même si vous avez été élus démocratiquement, votre programme disait l’inverse de ce que vous faites. Chers collègues, êtes-vous conscients de la signification de cette réforme des retraites ? À moins que vous soyez vous-mêmes atteints par les éléments de langage qui consistent à répéter qu’il s’agit d’une réforme juste, simple et pour tous – c’est beau, nous y souscrivons tous –, vous ne pouvez pas ne pas vous rendre compte qu’elle va simplement pousser les gens à travailler plus longtemps et encourager la capitalisation.

M. Pierre Dharréville. Il est ici question de la retraite des ouvriers des établissements industriels de l’État. Encore une fois, nous ne souhaitons pas la dégradation des conditions de vie, de travail et de retraite des salariés de ce pays dans leur ensemble. Un certain nombre d’entre eux ont été pointés du doigt comme des privilégiés ; nous pensons que ce n’est pas la vérité, que les privilégiés sont ailleurs et que vous ne vous attaquez pas réellement à leur cas. Votre discours est un leurre. J’entends des réactions outrées dans la salle lorsque nous expliquons que cette réforme provoque un rejet massif dans le pays, et qu’elle n’emporte pas l’adhésion de la majorité. C’est pourtant bien ce que je pense ; la contestation s’est manifestée de diverses façons et, malgré tous vos efforts, vous n’avez pas réussi à convaincre. Si vous êtes si certains de votre fait, organisez un référendum afin de soumettre votre projet au vote populaire. Nous verrons bien ce qui en sortira.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Tout a été dit à ce propos, et je ne veux pas me faire enfermer dans le débat qui consiste à dire que nous ne reconnaîtrions pas tel ou tel métier ; au contraire, nous faisons œuvre d’égalité et d’équité, ni plus, ni moins. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 674 de M. Sébastien Jumel, n° 14226 de Mme. Caroline Fiat, n° 14233 de M. Adrien Quatennens et n° 22007 de M. Thibault Bazin.

M. Pierre Dharréville. Il est ici question d’un régime de sécurité sociale particulier et historique, qui date de plus d’un siècle : celui des mines, qui assure la solidarité nationale avec les 256 000 mineurs retraités – il y en a dans mon département des Bouches-du-Rhône. Ce régime a permis de garantir des départs à la retraite anticipés et des prises en charge spécifiques pour les mineurs ; voué à l’extinction progressive depuis 2010, il doit être préservé pour assurer à l’ensemble des 1 400 salariés cotisants des mines encore en activité de pouvoir bénéficier d’un régime de retraite adapté à leurs besoins. Nous proposons donc la suppression de l’alinéa 14 de l’article 7.

Mme Caroline Fiat. Comme l’a dit mon collègue Pierre Dharréville, il est ici question des mines. Je pense que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur la pénibilité qui caractérise ce métier. Les mineurs ne sont plus que 1 400 à cotiser ; les affiliés ayant travaillé « au fond » des mines et ayant validé au moins 120 trimestres peuvent partir à la retraite de manière anticipée. Je pense que vous devez faire attention à ce que vous faites, et qu’il faut absolument protéger ce régime spécifique pour éviter un drame supplémentaire.

M. Adrien Quatennens. À mesure que nous étudions les alinéas, nous égrenons autant de professions ; tout le monde va être touché par cette réforme. Chers collègues de la majorité, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous demander – j’imagine que vous recevez beaucoup de courrier : combien de Français soutiennent votre réforme des retraites et, le cas échéant, en quels termes le font-ils ?

M. Thibault Bazin. Le régime minier a été mis en extinction en septembre 2010 ; depuis cette date, tous les salariés embauchés dans les mines le sont au régime général. C’est la donne de la réforme précédente. La dernière mine en activité dans l’Hexagone se trouve dans ma circonscription de Meurthe-et-Moselle – sur le site internet du régime des mines, il est indiqué que toutes les mines sont fermées, mais c’est faux. Il y a à Varangéville une mine de sel qui fonctionne très bien, et j’en profite pour saluer ceux qui y travaillent. La question porte sur les derniers mineurs au régime minier, qui partiront à la retraite en 2040, soit trois ans après la date butoir de janvier 2037 prévue dans le projet de loi. Étant donné le coût de la transition et le fait que l’extinction du régime est déjà mise en œuvre – elle est gérée en délégation par la Caisse des dépôts et consignations, qui le fait plutôt bien –, ne vaudrait-il pas mieux en rester à ce qui avait été prévu ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. En réalité, monsieur Bazin, la transition ne durera pas seulement trois ans, mais bien quinze. Les mineurs n’entreront pas brusquement dans le régime universel en 2037, et c’est dès 2025 qu’ils commenceront à s’en rapprocher. Leurs conditions d’affiliation et de cotisation commenceront alors à évoluer pour qu’ils puissent liquider leur retraite à la date prévue, en partie dans les conditions du nouveau système – environ un tiers de leur retraite subira l’influence de la réforme. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

La commission examine les amendements identiques n° 14243 de Mme Caroline Fia et n° 14250 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14243 est défendu.

M. Adrien Quatennens. À l’heure où nous abordons le cas des employés du port autonome de Strasbourg, nous apprenons que de plus en plus de députés du groupe La République en marche quittent le parti : deux l’ont fait aujourd’hui, en raison de la réforme des retraites. Ils commencent à comprendre ; il n’y a donc pas que ces employés qui soient opposés à votre texte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. J’ai essayé de comprendre le régime des employés du port autonome de Strasbourg car je ne connaissais pas son histoire. Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, tous les ports autonomes disposaient d’un régime spécifique, celui de Strasbourg a été le dernier à en bénéficier. En raison de la faiblesse de leur base démographique, ces régimes ont été intégrés, les uns après les autres, au régime général. Il faut s’inscrire dans cette évolution. Il est donc normal que ces employés rejoignent le régime universel, sachant qu’il sera tenu compte de leur spécificité. Je suis donc défavorable aux amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14260 de Mme Caroline Fiat, n° 14267 de M. Adrien Quatennens et n° 14679 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14260 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’alinéa 16, que l’amendement n° 14267 vise à supprimer, nous renvoie à la loi du 18 germinal an X.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14679 vise à supprimer cet alinéa relatif au régime spécial de retraite des cultes.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14616 de Mme Caroline Fiat et n° 14623 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14616 vise à supprimer l’alinéa 17 et à s’opposer à la suppression du régime spécial des pensionnés du Conseil économique, social et environnemental.

M. Adrien Quatennens. Le financement d’un régime de retraite permettant de partir à un âge convenable, c’est-à-dire selon nous, compte tenu de l’espérance de vie en bonne santé, à 60 ans, ne soulève pas de grande difficulté : la hausse des salaires et des cotisations induite le rendrait possible.

Puisque 1 % d’augmentation de salaire produit 2,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires, 100 000 emplois créés par exemple au moyen de la transition écologique généreraient 1,3 milliard d’euros de cotisations supplémentaires.

La productivité a augmenté mais la richesse produite est mal répartie. Les Français savent bien qu’il existe d’autres solutions que de travailler plus longtemps. Cette réforme des retraites permettra d’éviter qu’il soit nécessaire, dans les quinze ou vingt ans à venir, de décaler l’âge de départ à la retraite ou de jouer sur la durée de cotisation. C’est une sorte de package pour ne pas avoir à partager davantage les fruits de la richesse produite par le travail. Voilà pourquoi elle est totalement inacceptable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Monsieur Quatennens, notre projet est différent du vôtre, en matière de répartition des richesses. S’il faut effectivement garantir le niveau de vie des retraités, une part de ces richesses doit aussi permettre de répondre, de façon équilibrée, à d’autres urgences, comme les difficultés de l’hôpital ou de l’institution judiciaire, qu’il faut financer.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons intégrer tout le monde dans le système universel et adopter les mêmes règles en vue d’affronter les différents défis que vous avez mentionnés. Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. En mettant de côté les aspects comptables, la fixation d’un objectif de départ à la retraite à un âge permettant, statistiquement en tout cas, de profiter de la vie en bonne santé, vous paraît-elle désirable ? La fixation de cet âge à 60 ans est-elle une perspective souhaitable ? Si vous répondez oui, je vous rassure : nous sommes capables de financer une telle mesure sans de trop grandes difficultés.

Depuis le début, vous présentez l’allongement de la vie active comme la seule solution pour financer les retraites : or il en existe d’autres. Pourquoi donc voulez-vous que les Français travaillent toujours plus longtemps ? Vous ne faites pas la démonstration qu’une telle évolution serait nécessaire.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14633 de Mme Caroline Fiat et n° 14640 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14633 vise à supprimer l’alinéa 18. Je n’aime pas trop les ordonnances…

M. Adrien Quatennens. Ce gouvernement a souhaité faire de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat, les femmes gagnant en moyenne 22 % de moins que les hommes. Or, si nous allions au-delà des vœux pieux, si le Gouvernement prenait des mesures permettant véritablement de l’atteindre, nous pourrions financer à court terme la retraite à soixante ans, compte tenu des cotisations supplémentaires que cela engendrerait. Nul ici ne s’oppose à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Mettons-la en œuvre !

Je cherche à vous aider à mettre en corrélation ce projet de loi avec vos éléments de langage : une réforme juste, simple et pour tous. Partir à 60 ans, c’est une belle perspective, non ?

La commission rejette les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 22653 du rapporteur général.

Puis elle est saisie des amendements identiques n  3 de M. Stéphane Viry, n° 458 de Mme Marie-Christine Dalloz et n° 703 de M. Pierre Dharréville.

M. Stéphane Viry. Le Gouvernement demande au Parlement de l’habiliter à légiférer par voie d’ordonnance. Si notre groupe n’est pas hostile par principe à cet outil, dans la mesure où il est prévu par notre constitution, il s’y oppose avec beaucoup de détermination et de fermeté dans le cadre d’un texte aussi important que celui portant sur les retraites, d’autant qu’il y est fait recours dans des proportions presque indécentes, c’est-à-dire pour près d’un tiers des dispositions. Or une telle réforme concerne tous les Français et, à travers eux, leurs représentants, c’est-à-dire les députés.

On ne peut pas demander au Parlement de déléguer au Gouvernement le choix d’un système de retraites qui concernera, en devenant universel, chaque homme et chaque femme de notre pays, c’est-à-dire les jeunes et les moins jeunes, les ruraux et les urbains, les salariés et les non-salariés, les fonctionnaires et les indépendants.

Seul le Parlement représentant du peuple français peut et doit légiférer en la matière : les Français ont le droit de savoir, avant que nous votions, ce qu’il en est. Or ils seront mis devant le fait accompli lors de la publication des ordonnances. Le Conseil d’État a lui-même pointé les limites à ce recours.

Mme Marie-Christine Dalloz. Trop d’éléments importants sont renvoyés aux ordonnances, et notamment la définition des dérogations à caractère professionnel, celle du régime d’invalidité, d’inaptitude et de pénibilité, la gouvernance du nouveau système de retraite et les conditions d’entrée en vigueur de la réforme.

Un tel recours est si excessif que le Conseil d’État a rendu un avis négatif sur le sujet. L’exigence de lisibilité de la loi, comme la garantie de la constitutionnalité de votre projet de loi, nous imposent de ne pas travailler à l’aveugle.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 703 vise à supprimer les alinéas 25 à 29 habilitant le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi visant à adapter les règles du système prétendu universel de retraite à la situation particulière des marins mentionnés à l’article L. 5551-1 du code des transports.

Il s’agit d’un sujet d’intérêt national nécessitant incontestablement un débat serein et approfondi de la représentation nationale, et non une discussion expresse autorisant le Gouvernement à faire ce qu’il souhaite. Nous refuserons donc toutes les habilitations qui nous seront proposées car elles montrent clairement que votre projet n’a pas été préparé et n’est pas fini, et que vous voulez le mener au bout sans nous.

Vous avez refusé de discuter avec les organisations syndicales comme avec le Parlement et de prendre en considération l’avis du Conseil d’État. Comment accepter d’examiner un texte si important dans de telles conditions ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les spécificités de chaque métier imposent de recourir aux ordonnances, sans quoi nous parlerions dans le vide. Celles relatives au régime des marins requièrent une attention particulière, compte tenu de son histoire très ancienne. Avis défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il n’y a pas que les marins.

Mme Cendra Motin. Moi, je ne suis vraiment pas spécialiste des marins. Il me paraît donc préférable, pour écrire la loi et surtout des mesures réglementaires, que le ministre en charge discute des conditions particulières relatives aux personnes concernées avant de revenir devant nous avec des éléments précis. Je vous rappelle en effet que nous devrons ratifier ces ordonnances.

Toutes les personnes que nous avons auditionnées dans le cadre de la mission d’information sur la concrétisation des lois, nous ont demandé de définir simplement des cadres et d’arrêter d’inscrire dans la loi les détails les plus infimes, car cela revient à corseter leur action. Au final, les acteurs sur le terrain ne peuvent plus procéder aux adaptations qui leur conviennent.

Contrairement à ce que vous affirmez, ces ordonnances laisseront plus de liberté aux personnes concernées.

M. Boris Vallaud. Je ne me sens pas spécialiste des retraites, pas plus que la sécurité sociale ou de nombre de sujets examinés par la représentation nationale.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela évite de donner des leçons !

M. Boris Vallaud. Heureusement que nous ne sommes pas une assemblée de spécialistes et que la démocratie permet à chacun de se présenter, à un moment donné, aux suffrages et d’assumer une part de responsabilité. Ce qui est insupportable c’est de devoir s’en dessaisir car elle nous a été confiée. À nous seuls. Si le Gouvernement nous demande une habilitation à légiférer par la voie d’une ordonnance, c’est probablement que les dispositions concernées relève du domaine de la loi et non du domaine réglementaire.

La réforme des retraites de M. Fillon ne prévoyait pas de recours aux ordonnances. Celle de 2014 de Mme Touraine en comportait deux, dont une qui visait à étendre ses dispositions à un certain nombre de territoires d’outre-mer. Vos deux textes en prévoient 29 sur 70 articles, ainsi que 110 décrets : c’est indigent. Comment travailler dans de telles conditions ?  Comment accepter d’abdiquer ainsi la part de responsabilité que les Français nous ont confiée ?

Mme Jeanine Dubié. Sans revenir précisément sur l’ordonnance relative au régime des marins, le groupe Libertés et territoires déplore, comme d’autres, et notamment le Conseil d’État, cette façon de procéder. Vingt-neuf ordonnances sur quarante sujets tout aussi importants que le régime transitoire ou le financement : une telle démarche ne contribue pas à la lisibilité de cette réforme et ne participe pas au rétablissement de la confiance. Or un tel texte a d’abord besoin de l’adhésion des gens qu’il vise.

M. Stéphane Viry. Je ne peux souscrire aux propos tenus par notre collègue Cendra Motin : une ordonnance traite du législatif, pas du réglementaire. En outre, elle est rédigée, non pas par des acteurs professionnels, mais par le Gouvernement. Cette procédure est un transfert de souveraineté au Gouvernement et à la majorité. Un tiers des dispositions se trouvent ainsi confisquées au débat parlementaire sur un texte aussi important. C’est indécent !

Le Conseil d’État relève d’ailleurs qu’il existe un risque majeur d’inconstitutionnalité du fait de cette absence de visibilité d’ensemble du projet de loi. Un tiers du texte, c’est loin d’être anecdotique.

Je maintiens donc avec beaucoup de détermination cet amendement, qui se justifie totalement.

M. Pierre Dharréville. Je suis moi aussi défavorable à ce que nous nous dessaisissions de nos prérogatives sur ce sujet – comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs. C’est loin d’être un détail pour les gens concernés. Nous faisons la loi pour tout le monde, et cela engage des vies. Venant d’un territoire maritime, j’ai été élu notamment par des marins pour cela : ils attendent donc de moi que je n’abdique pas ce pouvoir et que je ne regarde pas ailleurs au moment où les choses se font.

Je revendique le droit des parlementaires que nous sommes à écrire la loi. Ce sujet est suffisamment important pour que nous puissions en débattre ici. Si vous n’y êtes pas prêts, allez discuter avec ceux qui peuvent vous éclairer sur la question et revenez nous voir ensuite. Nous déciderons alors. Mais il faut faire les choses dans l’ordre.

M. Adrien Quatennens. Mes collègues font état de l’émotion que suscite chez eux le recours massif aux ordonnances – 29 – s’agissant d’un texte aussi essentiel. Il souligne le caractère assez vain de notre discussion et, finalement, un simulacre de démocratie.

Si nous n’étions pas des spécialistes de la question des retraites, nous le sommes devenus à force d’étudier votre projet de loi et d’élaborer un contre-projet, conformément à notre rôle d’opposition parlementaire.

Les propos d’un membre du Gouvernement ont été rapportés dans Le Figaro : « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps… (Vives protestations sur les bancs du groupe LaREM).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Une telle remarque est déplacée par rapport au débat que nous avons. Nous ne sommes pas des godillots. Même si nous avons l’habitude de ce genre d’invectives, je vous assure que c’est désagréable. Il s’agit en outre de propos rapportés et de bruits de couloirs, ce qui n’est pas très intéressant.

M. Adrien Quatennens. Madame la présidente, puis-je terminer mon intervention ? Ces deux derniers jours, vous m’avez en effet beaucoup coupé la parole quand mes propos ne vous convenaient pas.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Comme je l’ai déjà fait observer, cela me vaut beaucoup de messages de la part de vos amis. Mais ce n’est pas très correct dans la mesure où je respecte de la même façon tous les temps de parole.

M. Adrien Quatennens. Ce membre du Gouvernement disait donc : « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps et surtout, pour fermer sa gueule. » (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) Supportez que l’opposition parlementaire envisage son rôle autrement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous permettrez aux députés de la majorité de réagir de temps en temps. Nous ne pouvons pas jouer les momies vingt heures durant. Nous ne pouvons pas tout prendre dans la figure sans réaction. Mes collègues sont particulièrement patients mais ils doivent aussi pouvoir, parfois, se manifester sans se faire invectiver.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cette ordonnance est nécessaire pour les marins, qui ont un régime de cotisation spécifique. Ils partent à la retraite à des âges spécifiques et travaillent dans un environnement marqué par la concurrence internationale, comme on l’a vu récemment, notamment dans la région des Hauts-de-France. Il faut donc prendre le temps de la discussion avec eux, et il faut le faire bien. Même lorsqu’on n’est pas familier de leur activité, on comprend vite leur engagement dans la réalité de leur métier.

J’entends le débat sur les pouvoirs du Parlement. Sachez que le Gouvernement est soucieux de les respecter. Mais il considère qu’il faut écouter les marins afin d’intégrer leurs spécificités. Tel est l’objet de l’ordonnance.

La semaine dernière, j’ai écrit avec Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports, aux marins pour leur donner trois garanties. C’est bien ce qui compte sur le fond. Peu importe en effet aux marins que les mesures les concernant soient prises ou non par ordonnance, du moment qu’elles leur donnent satisfaction.

 La première a trait au régime spécifique et à la caisse spéciale dont ils bénéficieront au sein du système universel, car c’est important pour eux. Votre collègue Gilles Lurton, qui connaît bien l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM) m’avait d’ailleurs sensibilisé, lorsque j’étais député, à la réalité du métier de marin. La deuxième garantie porte sur le maintien d’un départ à l’âge de 55 ans, et la troisième sur le niveau des pensions.

Un gros travail reste donc à faire pour mettre cela en œuvre : tel est l’objet de cette ordonnance.

La commission rejette les amendements.

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*     *

10.   Réunion du jeudi 6 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 7 à l’article 8)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8716993_5e3c78b55223c.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-6-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite.

Nous avons examiné 2 127 amendements ; il nous en reste donc 17 990 à examiner.

Conformément à ce dont nous sommes convenus mercredi dernier, je réunirai le bureau demain, à la fin de la séance de l’après-midi, à 19 heures 45, pour faire le point de l’avancement de nos travaux.

Article 7 (suite) : Champ d’application du système universel de retraite (salariés des régimes spéciaux)

La commission examine l’amendement n° 21543 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Nous pouvons considérer le présent amendement comme une mise en jambe : je ne désespère pas que vous soyez bientôt cuits et frits, chers collègues, c’est-à-dire à point pour vous rendre enfin à l’évidence et l’adopter.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’avis est défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 506 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit à nouveau du régime de retraite des marins. À nos yeux, la détermination de l’âge d’ouverture des droits et de l’âge d’équilibre est une question trop sensible pour que le législateur s’en dessaisisse pour laisser le Gouvernement la traiter par voie d’ordonnance.

Vous avez fait valoir que vous souhaitiez avoir une discussion approfondie avec les marins et que vous aviez besoin de temps, monsieur le secrétaire d’État. J’entends cela comme la confirmation que vous n’êtes pas prêt. Et j’ajouterai que bien d’autres professions auraient souhaité pouvoir discuter avec vous de l’avenir de leur régime de retraite, et n’ont pas le sentiment d’avoir été écoutées.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’avis est défavorable.

Pour les marins comme pour les autres professions, les ministres compétents doivent pouvoir discuter des conditions d’exercice, et le secrétaire d’État chargé des retraites aborder spécifiquement les conditions de départ à la retraite. Ce dialogue est nécessaire tout au long de l’année.

M. Boris Vallaud. Nous soutiendrons bien évidemment cet amendement, car la position inverse reviendrait à abdiquer une part de la souveraineté dont nous sommes les dépositaires et qui est une lourde responsabilité. Ce mandat a bien été confié au corps législatif, et non pas à l’exécutif.

Certes, nous sommes plusieurs à avoir reconnu n’être pas spécialistes du métier de marin, mais nous pouvons nous appuyer sur les connaissances de Sébastien Jumel en la matière.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je soutiens également cet amendement de suppression de l’alinéa 26, et je suis curieux de savoir ce que le rapporteur aura à nous répondre.

Pour commencer, un marin vit en moyenne cinq ans de moins qu’un autre travailleur, ce qui reflète la dureté de ses conditions de travail. En outre, l’attractivité de la profession est un enjeu important. Ce n’est sans doute pas votre préoccupation principale, monsieur le rapporteur, mais l’objectif est de parvenir à imposer le pavillon français et le statut qui lui est associé pour tous les marins. Nous pourrions en effet décider qu’en France, le cabotage d’un port à l’autre ne soit permis que pour les marins battant pavillon français, comme c’est le cas aux États-Unis pour le pavillon américain. Pour cela, nous avons besoin de marins, ce qui est loin d’être acquis. En raison de la dureté des conditions de travail et de la concurrence des travailleurs détachés, la profession ne suscite pas beaucoup de vocations. Que la liaison entre Marseille et la Corse puisse être assurée par un bateau battant pavillon maltais est pourtant une aberration ! Il est temps que cela cesse.

M. Pierre Dharréville. Permettez-moi d’évoquer brièvement la vie particulière des marins, rythmée par les grandes traversées, et plus spécifiquement celle des pêcheurs. Ceux de Carro, port de pêche de ma circonscription, ont en effet la vie rude : contraints de sortir en mer y compris par gros temps, ils ne parviennent pas toujours à tirer subsistance de leur travail. Il est donc légitime de porter une attention particulière à cette profession. J’aimerais vous convaincre que cette responsabilité nous revient, et ne doit en aucun cas être déléguée.

M. Paul Christophe. Je précise qu’il y a aussi des pêcheurs dans le Nord et que, du fait de mes attaches familiales, je me sens particulièrement concerné par le sujet.

Vous savez tous à quel point le régime spécial des marins, géré par l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM), est déficitaire et a besoin du soutien financier de l’État. Ce n’est donc pas faire injure aux marins que de demander au ministère compétent de se saisir de la question, et j’en suis pour ma part rassuré.

Les mesures qui seront proposées pour accompagner les marins-pêcheurs dans la transition vers le régime universel tiendront compte de la pénibilité du métier, des conditions que nous constatons régulièrement sur le territoire.

C’est pour ces raisons que nous voterons contre cet amendement.

M. Gérard Cherpion. Nous avons exprimé tout à l’heure notre opposition au choix de procéder par ordonnance dans ce texte, et nous soutiendrons donc cet amendement.

On peut lire à la page 32 du rapport provisoire : « Selon les informations transmises au rapporteur, les marins devraient pouvoir préserver leur âge minimal de départ à 55 ans sans aucune baisse de pension. » Ce type d’informations montrent bien qu’un travail a été fait, que des discussions ont été menées et des éléments transmis par le Gouvernement. Alors pourquoi renvoyer le sujet à une ordonnance, au lieu de l’inscrire directement dans le texte et d’en discuter ici ?

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement n° 511 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Je vais rebondir sur les propos de M. Gérard Cherpion et les éléments du rapport qu’il vient de rappeler au sujet de l’âge de départ et de l’âge d’équilibre des marins. Nous proposons dans cet amendement de jouer simplement notre rôle et d’insérer à l’alinéa 26 les termes : « ne peuvent excéder l’âge de cinquante-cinq ans ». Puisque cette disposition semble correspondre aux intentions du Gouvernement, ce serait au moins une garantie ferme pour ces métiers, à défaut de concerner les autres.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

Mme Mathilde Panot. Je remercie notre collègue Jumel de porter à notre attention cette question importante, qui ne doit pas être traitée exclusivement par le Gouvernement.

Le régime spécial des gens de mer remonte au XVIIe siècle, c’est le plus ancien de tous. La France a toujours reconnu la spécificité de ces métiers, et le régime actuel est l’héritier d’une longue tradition. En outre, le droit du travail maritime est moins favorable que le droit général, et les conditions d’exercice du métier de marin sont particulièrement pénibles. Le Parlement a donc son mot à dire sur la question et je voterai cet amendement.

M. Didier Le Gac. L’exercice de ce métier est non seulement très pénible, mais il est aussi dangereux : les accidents mortels dans le secteur maritime sont quinze fois plus importants que la moyenne française. Je voudrais néanmoins souligner que le régime du Bas‑Rhin est emblématique de l’ensemble des discussions qui ont eu lieu avec le haut‑commissariat et qui se poursuivront après le vote du projet de loi : une concertation multilatérale est en cours avec les organisations professionnelles pour conserver aux marins leurs spécificités après l’intégration de leur régime au régime universel.

Ces garanties ont été établies par un courrier que le ministre a mentionné tout à l’heure : les marins dont la carrière est supérieure à quinze ans pourront toujours bénéficier d’un âge d’ouverture des droits à 55 ans, l’assiette forfaitaire est maintenue, et l’harmonisation des taux sera effective en quinze ou vingt ans dans le cadre du régime transitoire. Il y a donc lieu de se réjouir de cette concertation approfondie.

Quant aux ordonnances, elles seront coconstruites dans les douze mois qui suivront le vote de la réforme. Nous avons donc à compter d’aujourd’hui dix-huit mois pour poursuivre le dialogue avec les organisations professionnelles.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Gérard Cherpion a souligné à juste titre que le dialogue avec les marins avait commencé bien en amont : trois réunions multilatérales ont eu lieu ces trois derniers mois dont j’ai repris les dates dans mon courrier – le 28 novembre, le 19 décembre, le 17 janvier –, ce qui est un rythme dense.

Des propositions ont ainsi été confirmées, et M. Le Gac vient d’en rappeler quelques‑unes : la garantie du maintien du régime spécifique à l’intérieur du système universel et de la caisse de retraite de l’ENIM, le maintien des départs anticipés à 55 ans, liés à l’acquisition d’une durée minimale de deux jours au service du navire. Cette définition est en cours de discussion, tout comme la garantie de maintien du niveau des pensions actuelles et des cotisations forfaitaires. Ces éléments doivent être précisés au cours des échanges que nous aurons les prochains dix-huit mois avant d’être inscrits dans l’ordonnance qui vous sera soumise pour ratification.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements nos 509 et 510 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 509 vise à compléter l’alinéa 26 par une phrase plus complète, qui lui vaudra peut-être un avis favorable du rapporteur : « L’âge d’ouverture du droit à une retraite ne peut excéder cinquante-cinq ans. » Une fois encore, il s’agit simplement de traduire un engagement qui a été pris. Que vous ne consentiez pas à l’inscrire en toutes lettres dans la loi est suspect, et nous souhaiterions que notre assemblée formalise la garantie qu’il n’y aura pas de régression pour les marins.

L’amendement n° 510 est destiné à introduire un dispositif un peu différent pour maintenir le droit existant : il s’agit de la pension d’ancienneté, c’est-à-dire la possibilité de partir à la retraite à 50 ans après vingt-cinq ans de service.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous vous avons en effet transmis au travers du rapport les éléments dont nous disposions, et une attention particulière a été portée aux marins. La négociation est ouverte sur ces sujets comme sur tous ceux qui ont été évoqués cet après-midi. L’objet du projet de loi est de définir le cadre du régime universel. Les ordonnances qui seront élaborées dans les douze mois suivant l’adoption du texte permettront de définir précisément les chemins, en posant sereinement les enjeux.

À ce stade de nos discussions, nous ne souhaitons donc pas inscrire ces éléments dans le texte et faisons confiance à la négociation des ministères compétents avec les professions concernées. L’avis est défavorable.

M. Boris Vallaud. Vous voulez jouer la confiance et parier sur l’aboutissement de la négociation, mais nous n’avons pas vraiment confiance en vous, ni envie de parier. Nous préférerions que les choses soient inscrites dans le marbre.

À propos de chacun des métiers évoqués tout à l’heure, notamment les salariés de l’Opéra de Paris, vous avez tenu le même discours, laissant entendre que ceux dont vous allez ébranler le régime actuel seraient de votre côté, ou n’auraient pas bien compris vos intentions.

Compte tenu du soin apporté à leur rédaction, ces deux amendements mériteraient d’être adoptés.

Mme Mathilde Panot. D’après ce que j’entends, nous sommes tous d’accord ici pour maintenir les spécificités du régime des marins en raison de la pénibilité de leurs conditions de travail. Vous avez vous-même adressé aux syndicats un courrier dans lequel vous affirmez que le départ à 55 ans restera une possibilité pour les marins, monsieur le secrétaire d’État. C’est pourquoi nous devons adopter ces amendements, qui sont précis et correspondent à l’engagement qui a été pris.

Il ressort des prises de parole de tous les groupes qu’un sujet d’une telle importance doit être discuté dans les détails au vu des conséquences que ces dispositions auront pour les marins. Les métiers maritimes souffrent d’ailleurs d’un manque d’attractivité en raison des difficultés propres à leur exercice, et que le Brexit viendra aggraver si les pêcheurs français se voient interdire les eaux anglaises.

Il n’est pas question que le Gouvernement décide de tout dans son coin, et nous ne lui faisons pas confiance sur le contenu des ordonnances. Nous souhaiterions discuter de ces sujets et savoir précisément ce que nous allons voter, au lieu de donner un blanc-seing au Gouvernement par l’habilitation aux ordonnances.

Ces amendements sont de nature à apporter des garanties tangibles sur une question qui préoccupe beaucoup de gens dans ce pays.

M. Didier Le Gac. L’exposé des motifs de l’article 32, relatif à l’exposition aux risques professionnels, précise que pourront bénéficier du dispositif « l’ensemble des assurés des régimes spéciaux et des agents publics – à l’exception des marins et des militaires, dont les conditions particulières d’exercice du métier justifient le maintien de mécanismes spécifiques de prise en compte de la pénibilité ». On ne peut pas être plus clair.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le rapporteur, vous faites valoir qu’il est nécessaire de prendre le temps de négocier au sujet du régime des marins et justifiez ainsi le recours aux ordonnances. Mais voilà précisément ce que nous reprochons à ce texte : il nous est présenté alors même que les négociations sont encore en cours avec de nombreuses professions, y compris celle des marins. Il eût été plus judicieux de venir devant le Parlement une fois ces discussions achevées : le recours aux ordonnances aurait été moins systématique, ce qui aurait rendu le texte plus lisible et plus compréhensible pour nos concitoyens.

M. Jean-Paul Mattei. Les ordonnances seront en tous les cas présentées au Parlement, qui disposera alors de toutes les précisions nécessaires pour les ratifier en connaissance de cause. Le sujet des négociations est tellement complexe et renvoie à tant de cas particuliers qu’il ne peut faire l’objet d’un traitement législatif. Faites confiance à la procédure des ordonnances, qui paraît ici pertinente.

M. Pierre Dharréville. Je crains que vous ne soyez atteints d’un TOC : trouble de l’ordonnance compulsive. (Sourires.) Vous essayez de minimiser la nature des ordonnances, mais cette procédure est très claire : elle consiste pour le Parlement à se dessaisir de son pouvoir au profit du Gouvernement. Et, pour ma part, j’appelle le Parlement à faire acte de résistance, à se rebeller contre cette offensive, qui porte atteinte au bon fonctionnement de la démocratie et de la République.

Nous devons défendre les prérogatives du pouvoir législatif, et nous ne pouvons pas nous laisser mener par le bout du nez, à plus forte raison sur un sujet aussi important que celui des retraites. Pas moins de vingt-neuf ordonnances sont prévues dans ce texte : c’est inacceptable ! Reprenons la main, ne nous laissons pas faire, chers collègues ! Et si vous n’êtes pas prêt, monsieur le secrétaire d’État, et que vous avez encore besoin de temps pour discuter, ce que je peux comprendre, alors revenez nous voir plus tard.

M. Stéphane Viry. Quelles que soient nos positions et qui que nous soyons, nous avons été élus députés au suffrage universel pour exercer le pouvoir législatif. Nous ne saurions donc vous laisser banaliser le recours aux ordonnances qui, même s’il est prévu par la Constitution, doit rester l’exception. Or, sur un sujet aussi important que celui des retraites, un tiers du texte est délégué au Gouvernement ; c’est hors de proportion ! Je conçois qu’on ait des divergences d’interprétation sur le contenu du texte, mais je ne comprends pas que parmi nos collègues certains ne soient pas hérissés par ce procédé, qui n’est pas conforme à la volonté des constituants de 1958. Nous devons donc résister !

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement n° 507 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il nous semble inconcevable que le niveau des cotisations du régime des marins – ou même des autres régimes – soit déterminé par ordonnances. La notion de prise en charge transitoire doit par ailleurs être supprimée : l’activité de pêche est, au même titre que celle des armateurs de commerce, soumise à une concurrence intracommunautaire et internationale, du fait de l’application de règles sociales moins favorables dans certains pays et de l’embarquement de marins extracommunautaires faiblement rémunérés. Jean-Luc Mélenchon rappelait également voilà quelques instants que la libéralisation dans les transports à l’échelle européenne tend à détruire l’emploi maritime dans notre territoire. Pour protéger ces métiers, nous devons donc nous assurer de certaines garanties et ne pas procéder par ordonnance.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’objet de ce projet de loi est de définir le cadre d’une réforme majeure qui va concerner tous nos concitoyens. Exception faite des augmentations d’impôts qui, par définition, concernent tous les contribuables, je n’ai pas souvenir d’un texte adopté ces dernières années qui aurait touché autant de personnes. Or, qui dit réforme majeure dit changements majeurs. Et tant que nous n’aurons pas défini le cadre, l’objectif, nous ne pourrons pas définir précisément le chemin pour l’atteindre, monsieur Dharréville.

Les ministres compétents ne restent pas pour autant les bras croisés. Au sujet des pêcheurs, par exemple, un courrier a été adressé fin janvier par M. le secrétaire d’État chargé des transports et M. le secrétaire d’État chargé des retraites. Il y est notamment précisé que les marins ayant une carrière supérieure à quinze ans pourront bénéficier d’un âge d’ouverture des droits à 55 ans s’ils ont accompli une période cumulée de quinze ans de navigation, selon un décompte à définir dans le cadre de la suite de la concertation. Il existe en effet de nombreuses situations intermédiaires : des marins peuvent avoir servi à temps partiel, et les armements des bateaux ne sont pas toujours les mêmes.

Les principes que je viens d’énoncer ont donc été écrits et envoyés aux syndicats de marins, avec la signature des deux secrétaires d’État compétents ; c’est donc une garantie, un engagement fort. La multiplicité des statuts et des spécificités rend nécessaire ces engagements point par point. Tant que le cadre final n’aura pas été voté, nous ne pourrons pas voter le chemin pour entrer dans ce cadre.

Je proposerai un amendement de précision sur le champ de l’ordonnance : tous les sujets pourront y être évoqués, y compris financiers, c’est-à-dire le taux et l’assiette. Les marins cotisent en effet à partir d’une assiette forfaitaire. Retenir ces éléments de cadrage permet de laisser de la place à la négociation tout en précisant les objectifs à atteindre.

L’avis est par conséquent défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Chacun aura noté que les marins ont un sort particulier, puisqu’ils font l’objet d’une ordonnance, ce qui n’est pas le cas des ministres des cultes, des ouvriers de l’État, des mineurs, des cotisants du Port autonome de Strasbourg, de l’Opéra de Paris, de la Banque de France, etc. Le collègue Mattei nous dit que, pour les marins, c’est très compliqué, et il a raison. Mais pour tous ceux que j’ai cités, ce n’est pas simple non plus, et cela n’empêche pas que les précisions les concernant figurent dans le projet de loi ! Il est ainsi indiqué que, pour les retraités de la RATP et de la SNCF, seuls les agents nés après 1980 pour le personnel sédentaire et après 1985 pour le personnel roulant entreront dans le système de retraite universel. À l’Opéra de Paris, les nouvelles règles permettront à ceux qui ont été embauchés avant le 1er janvier 2022 de partir à la retraite à 42 ans – quant aux autres, ils devront danser jusqu’à la nuit des temps...

Le fait que ce soit compliqué n’est donc pas le sujet. Moi, je vous dis qu’il y a un loup ! L’armement français est une question très importante, et nous avons tous intérêt à conserver un armement dynamique et efficace. Si on se désintéresse du problème et qu’on permet que n’importe quel ressortissant européen devienne marin en France, si on n’est plus attaché au fait que les navires soient fabriqués en France, alors en effet, on peut adopter un système de retraite qui passe tout par‑dessus bord. En revanche, si on veut conserver des marins français, un armement et des navires fabriqués en France, alors il faut protéger les métiers.

Vous devriez vous méfier, vous qui êtes aujourd’hui aux responsabilités : les armateurs, on les aime beaucoup, mais on se pose tout de même quelques questions à leur sujet... Comment se fait-il que parmi eux, pas un n’ait été fichu de racheter les chantiers navals de Saint-Nazaire, qui sont passés sous pavillon italien alors même qu’à Bercy, on affirmait que le prix de ces chantiers ne représentait que l’épaisseur d’un trait de crayon ? Croyez-moi, il y a anguille sous roche !

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, vous nous expliquez que le régime des marins est très complexe et qu’il nécessite un temps de discussion avec les professionnels du secteur, ce dont personne ne disconvient. Tout ce qu’on demande, c’est que cette étape préalable ait été effectuée avant que le secrétaire d’État vienne présenter son texte devant la représentation nationale. Vous nous dites que le Gouvernement ne reste pas les bras croisés… Peut-être, mais en revanche c’est précisément ce que vous nous demandez !

Je sais que vous n’aimez pas qu’on en fasse le constat, mais force est de constater que vous n’êtes pas prêts et, franchement, on se demande parfois ce qu’on fait là ! Vous nous dites organiser différentes choses, vous nous lisez des mails, et ainsi de suite, mais à quoi tout cela sert-il ? Cela ne fait pas avancer le débat, et on n’y voit pas plus clair quant aux intentions du Gouvernement et à ce qui pourrait être le point d’arrivée. Vous essayez de nous convaincre que la somme de vos retards et de vos insuffisances obéit à une logique millimétrée, mais nous ne sommes pas dupes : vous nous faites avancer dans le brouillard le plus complet, et nous ne pouvons l’admettre.

M. Éric Woerth. Nous aussi, nous avons l’impression d’être dans le brouillard. Vous nous dites qu’il n’y a jamais eu de réforme aussi globale, touchant autant de personnes en même temps et sur autant d’années... Peut-être, mais le problème est justement que cette réforme est trop globale, et constitue pour cette raison un exercice inutile, je l’ai déjà dit. Vous auriez pu obtenir les résultats qu’il était nécessaire d’obtenir – car il fallait effectivement continuer à réformer le système de retraite – sans chercher à mettre tout le monde sous la même toise : cela ne sert à rien, ce n’est ni plus juste, ni mieux financé, bien au contraire.

Quant aux ordonnances, il est évident qu’il en fallait dans un texte de cette nature, qui ne pouvait tout régler. Mais une trentaine d’ordonnances, c’est énorme, et cela prive la représentation d’une masse d’informations dont elle a besoin pour voter. Cette quantité d’ordonnances est d’autant plus gênante que le texte ne comprend aucune mesure relative au financement du système : cela fait beaucoup d’éléments manquants pour des discussions au cours desquelles, durant des jours et des jours, on va devoir examiner 20 000 amendements – ce qui représente bien plus que le texte lui-même...

M. Pierre Dharréville. Vous nous dites que cette réforme est d’une ampleur inédite : ce devrait être une raison supplémentaire d’apporter un soin particulier à l’élaboration du texte, qui relève de notre responsabilité. Prenons le temps nécessaire pour cela, d’autant que cette réforme nous engage pour plusieurs décennies ! L’argument portant sur l’ampleur particulière de la réforme ne plaide donc pas du tout en votre faveur.

Par ailleurs, si la première partie du texte que vous nous avez lu semble assez acceptable, pourquoi ne pas intégrer au texte les dispositions correspondantes ?

Je vous mets en garde : vous allez vraiment devoir être plus précis. Nous commençons à être habitués au fait que vous ne le soyez pas, mais le Conseil constitutionnel, lui, risque de ne pas apprécier ! Au-delà même du nombre d’ordonnances, le législateur doit être pleinement informé de ce que prévoit le Gouvernement.

Enfin, nous ne comprenons pas pourquoi certaines professions sont au régime des ordonnances, alors que d’autres sont soumises à la décision unilatérale prise d’un trait de plume : au bout du compte, tout cela donne l’impression d’une grande incohérence.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je pense qu’il y a effectivement eu beaucoup de discussions avant que ne soit prise la décision d’exclure les marins-pêcheurs de l’article 32. Ceci pour une raison très simple, indiquée par notre collègue Le Gac, c’est que le mode de financement de l’ENIM est complètement exorbitant du droit commun – il ne prévoit pas d’annuités, mais un régime forfaitaire, et toutes sortes d’autres dispositions dérogatoires, le tout bénéficiant d’un important financement public.

De ce point de vue, les ordonnances prises dans le cadre de cette réforme me font penser à la « loi Larcher » de 2007 sur la rénovation du dialogue social
– une loi qui doit vous être chère, monsieur Viry – qui, pour la première fois, avait intégré un grand respect des partenaires sociaux. Elle prévoyait en effet que, quand un accord doit être trouvé sur des sujets difficiles en matière de droit du travail, cet accord ne s’impose pas à l’Assemblée, mais détermine tout de même les conditions dans lesquelles celle-ci va pouvoir légiférer.

Dans le cas présent, l’approche choisie par le Gouvernement serait un peu l’inverse de celle de la « loi Larcher », puisqu’il prévoit un cadre de négociation assez général, à savoir le système universel, et un niveau de dérogation extrêmement important, le tout assorti d’une obligation de discipline de l’Assemblée, afin que le consensus puisse émerger. Personnellement, je me félicite de ces dispositions, tout comme je me félicite de la « loi Larcher ».

M. Jean-Paul Mattei. Pour ce qui est des ordonnances, je n’ai pas du tout envie de déléguer au Gouvernement le pouvoir législatif dont je dispose en tant que député, et nous avons été nombreux, depuis le début de la législature, à avoir prouvé que nous étions dans cette disposition d’esprit. Cela dit, je dois reconnaître que le recours aux ordonnances me paraît plutôt justifié lorsque celles-ci portent sur des sujets très techniques : en tant que législateur, j’estime que les textes sont mieux conçus et rédigés lorsqu’on en fixe préalablement le cadre – ainsi la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (« PACTE ») a-t-elle permis au Gouvernement, l’année dernière, de légiférer en matière de droit des sûretés, un droit extrêmement complexe.

En tout état de cause, l’étape de la ratification au Parlement nous permettra de reprendre la main et, éventuellement de refuser de valider un texte qui ne nous conviendrait pas. Nous devons faire confiance à la volonté du Gouvernement de négocier et d’aller dans le bon sens. Le cadre législatif qui a été fixé me semble très précis et, je le répète, j’estime que les ordonnances permettent d’aboutir à un bon résultat, car on rédige mieux quand on peut prendre son temps que quand il faut subir 20 000 amendements et travailler dans des conditions où il n’est pas toujours évident de rester serein. Pour moi, donc, le recours aux ordonnances est un gage de sécurité juridique.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement n° 22654 du rapporteur général.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il permet d’intégrer une assiette forfaitaire dans le calcul des droits à la retraite des marins. Il précise le volet de cotisations de l’habilitation prévue par le projet de loi pour définir par ordonnances les mesures visant à adapter les règles du système universel aux marins. Il s’agit en fait de maintenir le principe de cotisations sur des assiettes forfaitaires et de prévoir la possibilité de surcotiser afin de garantir le niveau actuel des pensions dans l’hypothèse d’un départ en retraite précoce. En effet, les employeurs et les marins sont a priori opposés à toute augmentation des cotisations, donc au passage à des assiettes réelles, mais souhaitent en même temps le maintien du niveau de retraite, ce sur quoi nous nous engageons.

Mme Mathilde Panot. La question des ordonnances va revenir souvent au cours de nos débats, puisque près d’un tiers du texte prévoit le recours aux ordonnances, donc le fait que le Parlement se dessaisisse lui-même de certains aspects. Notre groupe a un problème avec les ordonnances : il considère qu’aucun sujet n’est trop technique pour le Parlement, et que tous les sujets sont politiques. Le rôle d’une assemblée est de procéder à une délibération, une discussion collective, avant de prendre une décision ; ce rôle n’est certainement pas de faire confiance au Gouvernement.

J’ajoute que nous, élus d’opposition, n’avons précisément pas été élus pour faire confiance au Gouvernement, mais pour savoir ce que nous votons et être en mesure d’en répondre, ainsi que des conséquences qui en résulteront, devant le peuple et nos électeurs et électrices.

Le fait que ce texte prévoie vingt-neuf ordonnances nous semble poser un vrai problème démocratique, que vous ne pouvez éluder en invoquant l’argument de la technicité. En effet, s’il fallait admettre cet argument, votre attitude ne serait pas logique, puisque rien n’expliquerait – vous n’avez pas répondu à M. Mélenchon sur ce point – que le régime des marins nécessite de recourir aux ordonnances quand de nombreux autres corps de métier, qui ne manquent pas non plus de complexité, ne le nécessitent apparemment pas.

M. Pierre Dharréville. Si je comprends bien, monsieur le rapporteur, vous décidez d’inclure dans le texte une précision portant sur la retraite des marins. Pouvez-vous nous dire pourquoi – à la suite de quels événements, de quelles discussions – et, à l’inverse, pourquoi vous refusez d’inclure d’autres précisions, notamment celles que j’ai proposées ?

Quant à l’argument selon lequel il faudrait faire confiance, il me semble totalement hors sujet. D’une part, vous imaginez bien que je ne suis pas du tout dans cet état d’esprit à l’égard du Gouvernement – désolé, mais c’est ainsi –, d’autre part, j’estime qu’aucun député ne devrait raisonner de la sorte. Pour ce qui est de la notion de discipline qui a été évoquée tout à l’heure, je ne vois pas ce que cela peut vouloir dire : en quoi devrions-nous être disciplinés, et à l’égard de qui ? En tout état de cause, nous n’avons pas été élus pour cela.

M. Éric Woerth. C’est un fait, notre Constitution permet de légiférer par voie d’ordonnance. Au sein même de notre famille politique, celle du groupe Les Républicains, certains ont prôné un gouvernement par ordonnances. Cela n’a jamais été mon cas, et cela ne figurait pas dans le programme de celui qui fut notre candidat à l’élection présidentielle.

Cela dit, entre l’ordonnance et le pouvoir réglementaire, il reste un espace pour que les parlementaires puissent assumer leur rôle de législateur. Le projet de loi qui nous est actuellement soumis est l’exemple même du texte exigeant de faire preuve d’une grande précision. En effet, les textes complexes comme celui-ci nécessitent une discussion allant au fond des choses. À défaut, on en reste aux principes – dont l’ordonnance et le règlement ne peuvent que s’éloigner.

Puisque vous voulez complètement refonder les retraites – de manière totalement inutile, mais c’est votre choix –, il faut absolument que vous soyez précis, sans laisser au Gouvernement – ou à l’administration, par le pouvoir réglementaire – le soin de l’être à votre place. Je rappelle que la réforme des retraites de 2010 s’est faite sans recourir aux ordonnances. Si vous aviez été précis, le texte qui nous actuellement soumis aurait moins donné prise à l’obstruction. En effet, celle-ci s’engouffre dans les vides, et ceux-ci ne manquent pas dans votre projet, notamment en matière de financement.

Mme Nathalie Elimas. Puisque ce gouvernement et cette majorité sont régulièrement accusés, tantôt de travailler exclusivement dans le cadre de la procédure accélérée, tantôt de ne vouloir légiférer que par voie d’ordonnances, il me semble nécessaire de faire un petit rappel historique.

Durant le quinquennat précédent, celui du Président Hollande, alias le « Président normal », je voudrais rappeler qu’un certain nombre de textes – à l’exception, il est vrai, du mariage pour tous –, parfois aussi structurants que la loi « NOTRe » ou encore la « loi Touraine » sur les retraites, ont été adoptés selon la procédure accélérée. De même, sous Jacques Chirac, de 1995 à 2007, ce sont 282 ordonnances qui ont été prises, 274 sous François Hollande, et un certain nombre également sous Nicolas Sarkozy. Il me paraissait important de remettre les choses en perspective, voilà qui est fait.

M. Olivier Damaisin. Sous Jospin aussi, il y en a eu !

M. Didier Le Gac. Certains disent que le rôle des parlementaires ne consiste pas à faire confiance au Gouvernement... Mais adapter ce texte par voie d’ordonnances, ce n’est pas tant faire confiance au Gouvernement qu’aux partenaires sociaux ! Il nous revient, en commission et en séance publique, de fixer le cadre légal, avant qu’il soit procédé à une concertation approfondie avec les partenaires sociaux – ce qui nous donne une occasion de montrer que nous savons travailler avec les corps intermédiaires, qu’il nous est parfois reproché de ne pas prendre suffisamment en considération. Faisons confiance, donc, à la négociation avec les syndicats et les organisations professionnelles, qui vont aller s’asseoir autour d’une table avec le Gouvernement pour déterminer ensemble le contenu des ordonnances – et laissons-les travailler.

M. le secrétaire d’État. Le président Mélenchon se demande s’il n’y a pas anguille sous roche. Moi qui travaille d’arrache-pied sur ce dossier depuis plusieurs mois, je peux vous dire, comme tous ceux qui ont eu à se pencher sur cette question, que le régime des marins est assurément le plus compliqué de tous, d’autant qu’il n’a pas été actualisé à l’occasion des dernières réformes des retraites. Certes, il est important de préserver le pavillon français, mais les spécificités de ce régime nécessitent de prendre beaucoup de précautions avant d’entreprendre de le réformer. Par exemple, les taux de cotisation s’appliquant côté employeur se caractérisent par leur extrême multiplicité : ils vont de 0 % à 19 % ! Il serait facile de faire n’importe quoi avec cette activité économique, en appliquant aux marins‑pêcheurs une mesure très parisienne, c’est-à-dire centralisée, sans se préoccuper de savoir quelles sont les réalités de cette profession, mais ce ne serait pas très sérieux.

Tout est complexe et spécifique dans le régime des marins-pêcheurs : les conditions d’âge sont particulières, comme les modes de calcul des pensions, et même le droit du travail – comment en serait-il autrement pour une activité nécessitant de partir en mer plusieurs jours, sur un bateau représentant un espace d’une vingtaine de mètres carrés, et en travaillant 18 heures sur 24 ?

Croyez-moi, je suis moi aussi très attaché à la défense de la pêche et à la recherche d’équilibres financiers durables pour ce secteur d’activité économique, mais on ne peut improviser en la matière. Je ne doute pas de la bonne volonté du législateur, et je suis persuadé qu’il aura la possibilité de s’exprimer, dans le cadre de l’habilitation, sur le cadre qu’il entend donner aux ordonnances. Quand le rapporteur entreprend de préciser certaines choses, cela me semble correspondre exactement au rôle qui est le vôtre – un rôle qui ne s’arrête pas là puisque, comme l’a rappelé M. Mattei, il reviendra ensuite au Parlement de décider de ratifier ou non les ordonnances.

Le président Woerth s’est, quant à lui, inquiété du nombre d’ordonnances. J’ai envie de lui dire que les trois prochains articles du texte ne prévoient aucune ordonnance, alors même que leur importance n’est pas négligeable, puisqu’ils ont vocation à déterminer les paramètres de calcul des retraites. Pour savoir si le texte du Gouvernement est prêt, il ne saurait y avoir de meilleur test, car quand on est capable de déterminer les paramètres de calcul d’un système de retraite assurant au bout de soixante-quinze ans d’existence le passage de quarante-deux régimes différents à un régime universel, c’est qu’on a sérieusement bossé le sujet !  Bravo ! » sur les bancs du groupe La République en Marche.)

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 513 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il réaffirme la volonté de confier la gestion du système de retraite des marins à un organisme public. Puisque M. le secrétaire d’État vient de nous inciter à apporter des précisions au texte afin de bien cadrer les ordonnances et les intentions du Gouvernement, je vous encourage à adopter cet amendement, dont tel est précisément l’objet.

Vous venez de nous assurer que l’examen des prochains articles nous apporterait la confirmation du fait que ce texte a été parfaitement travaillé. En réalité, je pense que cela ne suffira pas à nous convaincre de votre capacité à fournir en l’état actuel des indications relatives à des points précis qui, lorsqu’ils portent sur la vie des femmes et des hommes prenant leur retraite, ne sont pas de simples détails. Pour ma part, je pense que nous allons plutôt faire la démonstration, en débattant des deux ou trois articles à venir, que votre système ne tient pas la route.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sauf erreur de ma part, monsieur Dharréville, vous n’avez pas vraiment défendu votre amendement...

M. Pierre Dharréville. Si, je l’ai défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Personne ne sait si la gestion des retraites des marins continuera d’être gérée par l’ENIM ; c’est pourquoi l’alinéa 28 de l’article 7 est ainsi rédigé : « Le fonctionnement, l’organisation et les missions de l’organisme chargé de la gestion du régime des marins, afin d’articuler son rôle avec la Caisse nationale de retraite universelle ». Nous n’avons pas souhaité spécifier quel organisme sera chargé de cette mission, compte tenu des évolutions qui pourraient survenir dans ce domaine – même si, en l’état actuel, cet organisme reste l’ENIM.

Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a tant à dire !

Le collègue Mattei a dit tout à l’heure que, sur un sujet aussi compliqué et technique que celui de la retraite des marins, il valait mieux discuter en dehors du Parlement, et que les choses finiraient ainsi par s’arranger. Or, vous remarquerez qu’avec l’amendement du rapporteur qui vient d’être adopté, on précise les choses à un certain degré de technicité...

Il me semble nécessaire de faire un rappel historique. Les ordonnances étaient un matériau rare dans la Constitution de 1958. Entre le moment où elle a été promulguée et la première fois où le général de Gaulle s’en est servi, il s’est écoulé deux ans, puisque c’était en 1960 – pour des circonstances exceptionnelles, en lien avec la guerre d’Algérie. L’ordonnance n’était pas conçue comme une technique parmi d’autres, qu’on aurait fourrée dans la musette sans y réfléchir.

Tous les adversaires de la Constitution de 1958 ne manquaient pas d’affirmer que les ordonnances constituaient un moyen d’une incroyable brutalité, en ce qu’elles constituent un transfert du législatif vers l’exécutif. Vous pouvez prendre le problème par tous les bouts, vous en reviendrez toujours à cela ! Alors que les parlementaires ont longtemps refusé d’admettre ce procédé, il faudrait aujourd’hui l’accueillir avec joie, vingt-neuf fois d’affilée ?

Notre collègue Elimas a eu raison de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’on recourt aux ordonnances... mais c’est bien le problème ! On est passé de 104 utilisations des ordonnances pendant quarante ans à 185 en cinq ans, comme si c’était devenu un mode de légiférer ne différant pas des autres.

Personnellement, je me moque bien de savoir quel gouvernement, qu’il soit socialiste ou de droite, a utilisé le plus d’ordonnances. Dans notre législation, il a toujours traîné des remugles de l’Ancien Régime. Qu’on se souvienne, par exemple, que le délit d’offense au chef de l’État n’a été supprimé du droit français qu’en 2013 – après l’affaire du « Casse-toi pauvre con ! ». On avait découvert à cette occasion que ce délit remontait à Tibère ! Il en est de même pour les ordonnances, qu’on peut voir comme un héritage de l’autorité législative du roi. De nos jours, gouverner par ordonnances alors qu’il existe une assemblée parlementaire, ce n’est pas une méthode traditionnelle en démocratie.

M. Éric Woerth. Sans aller aussi loin que M. Mélenchon, car je ne suis pas opposé par principe aux ordonnances, je dirai que ce n’est pas parce qu’une loi est très complexe – c’est le cas de celle qui nous intéresse, qui aurait d’ailleurs pu être plus simple – qu’elle doit échapper au législateur. Celui-ci n’est pas plus bête qu’un autre : il n’est pas plus bête que l’administration, et sans doute pas plus bête que le gouvernement, et rien ne s’oppose donc à ce qu’il se prononce sur les détails.

Dans son avis, le Conseil d’État « souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ». Le Conseil, qui exprime clairement sa position au sujet de l’usage des ordonnances, vous met en garde sur ce point – à juste titre car, si on considère que le texte ne prévoit pas de mesures de financement, cela commence à faire beaucoup !

Mme Carole Grandjean, rapporteure pour le titre IV. Je me réjouis à l’avance que nous puissions discuter des aspects relatifs à la gouvernance, une thématique que nous aborderons dès le titre IV, qui porte notamment sur le conventionnement, avant que nous ne discutions, au titre V, des aspects liés à la transition. Il est grand temps d’avancer afin de pouvoir arriver à ces titres. Je rappelle que près de 250 ordonnances ont été prises au cours du précédent quinquennat. Le présent projet de loi est un texte majeur, nécessitant que les organisations syndicales et patronales y soient pleinement associées. La voie de l’ordonnance nous paraît une méthode entendable pour impliquer le paritarisme et, je le répète, les députés pourront débattre des questions de gouvernance dès le titre IV.

M. Jean-Paul Mattei. Il faut se méfier des lois qui sont trop précises comme de celles qui ne le sont pas suffisamment. En tout état de cause, il ne faut pas perdre de vue que l’application des lois dépend de la publication de décrets, qui peuvent être source de surprises dès lors qu’ils donnent lieu à une interprétation du texte législatif échappant à la main du Parlement – en tant que juriste, je sais d’expérience que ces décrets ne correspondent pas toujours à l’esprit de la loi adoptée par le législateur. Pour ma part, sur des sujets aussi complexes que celui qui nous occupe, je préfère donc avoir affaire à des ordonnances laissant moins de détails à régler par voie réglementaire.

M. Thibault Bazin. Certains décrets ne sont d’ailleurs jamais publiés !

Mme Valérie Rabault. J’entends bien ce que dit M. Mattei. Cependant, je veux rappeler à nos collègues de la majorité que les réformes des retraites de 2003 et de 2010 n’ont donné lieu à aucune ordonnance et qu’on n’en a compté que deux lors de la réforme de 2014, qui portaient notamment sur une déclinaison outre-mer des mesures proposées. Cela montre bien qu’une réforme des retraites peut se faire sans recourir aux ordonnances : c’est un sujet complexe, certes, mais dont chacun de nous peut débattre au sein de cette commission spéciale et en séance publique.

Vous allez me répondre que cette réforme est d’une ampleur inédite : justement, plus la réforme est importante, plus elle nécessite que le Parlement soit impliqué dans son élaboration. Si vous acceptez, mes chers collègues, de confier au seul Gouvernement le soin de prendre la totalité des décisions relatives à un système de retraite concernant tous les Français, vous abdiquez en quelque sorte le pouvoir que vous a donné le peuple.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Avant l’article 8

La commission est saisie des amendements identiques n° 4689 de Mme Caroline Fiat, n° 4692 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4694 de Mme Mathilde Panot, n° 4696 de M. Adrien Quatennens et n° 4699 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Ces derniers jours, je vous ai parlé de Marie l’infirmière, ainsi que de Caro et Caroline, les sœurs jumelles aides-soignantes, ce qui a été pour moi l’occasion de vous démontrer qu’avec votre système universel de retraite, toutes ces personnes vont partir plus tard à la retraite, et en percevant une pension d’un moindre montant. J’espère vous avoir convaincus grâce à ces exemples et, par cohérence, je vous propose de rédiger ainsi l’intitulé du chapitre II : « L’obligation d’une retraite prise plus tard et au montant plus faible. »

M. Jean-Luc Mélenchon. Je tiens à terminer la petite discussion engagée avec M. Mattei au sujet des ordonnances, qui me semble très importante : il ne faut pas mépriser ces instants de vie parlementaire. Le fait qu’un membre de la majorité ait confiance dans le Gouvernement n’a rien d’étonnant – c’est plutôt conforme à la règle – mais, si j’entends ce qu’il dit de la nécessité de négocier, je ne suis toujours pas d’accord sur le fond.

Une négociation entre deux parties donne lieu à l’établissement d’un contrat. Or, je considère que nous, les parlementaires, n’avons pas à être la caisse enregistreuse de ce contrat – je l’ai déjà dit au cours de législatures précédentes. Nous sommes la tierce partie, la société, et possédons en cette qualité la capacité de remettre en cause, si nous l’estimons nécessaire, ce qui a été négocié précédemment. C’est là une question de philosophie politique absolument centrale, et je me rappelle avoir eu sur ce point une vive dispute avec M. Hollande, qui prétendait que, dès lors qu’un contrat était conclu entre les syndicats représentatifs et le Gouvernement, il devait s’imposer au Gouvernement et à l’Assemblée : il avait même publié une tribune sur ce thème dans Le Monde, qui m’avait donné l’occasion de souligner que ce qu’il préconisait n’était pas conforme à la tradition républicaine.

Mme Mathilde Panot. Nous en venons à ce qui justifie notre principal motif d’opposition au texte, à savoir le principe même d’une retraite par points. Le rapporteur nous dit que, si on appliquait à une seule catégorie l’abandon du principe des vingt-cinq meilleures années au profit de la prise en compte de l’ensemble de la carrière, la catégorie concernée serait perdante, tandis que si on appliquait cette réforme à tous, on obtiendrait de bons résultats.

Pour ce qui est de la retraite par points, il est intéressant de regarder ce qui se fait en dehors de nos frontières. On a beaucoup parlé de la Suède, où il y a deux fois plus de retraités pauvres qu’en France, mais on pourrait aussi se tourner vers l’Allemagne. Dans ce pays, où le système de retraite permettait en théorie à une personne ayant travaillé cinquante‑cinq ans et partant en retraite à l’âge légal de percevoir une pension de 1 487 euros bruts par mois, les retraités percevaient en réalité en 2018 des pensions s’élevant à 928 euros pour les hommes et 675 euros pour les femmes. Voici le beau résultat d’une retraite par points. Nous proposons donc de modifier l’intitulé du chapitre II afin qu’il reflète mieux cette réalité.

M. Adrien Quatennens. Les Français n’ont pas envie de perdre leur vie à la gagner, et la retraite digne est un droit. Sur ce point, Ambroise Croizat, disait : « Il faut faire de la retraite, non plus l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie. »

L’une des questions fondamentales auxquelles nous ayons à répondre est celle de la place du travail dans nos existences, et des moyens par lesquels nous pourrions mieux répartir la richesse que nous produisons. En 2010 déjà, deux actifs produisaient autant de richesses que trois en 1982, lorsque la gauche a instauré la retraite à 60 ans. Le raisonnement fondé exclusivement sur l’évolution du ratio actifs-retraités n’a donc aucun sens, et pourtant il soustend toujours votre projet de loi.

Depuis trente ans, la part des richesses nationales consacrée aux retraites a doublé, passant de 7 % à 14 %. Les plus de 60 ans représentant 23 % de la population, il est tout à fait naturel que cette part des richesses du pays qui leur est consacrée continue d’augmenter. Or, c’est précisément l’inverse que vous voulez faire avec ce projet de loi : c’est pourquoi nous continuons de nous y opposer, à l’instar d’une majorité de Français.

Mme Sabine Rubin. Mes chers collègues, pour changer un peu, c’est en vers que je vais vous présenter l’amendement n° 4699.

La retraite à points / Le peuple n’en veut point / Car il a bien compris / Qu’il n’y gagnait queutchi / Cumuler des points / Des petits points, des gros points / Ne sert vraiment à rien / Car ce que vaudra le point / Est bien trop incertain / Sinon, ce qui est sûr / C’est qu’on gagnera bien moins.

C’est pourquoi nous vous proposons de modifier l’intitulé du chapitre II.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La poésie n’étant pas mon fort, je me contenterai de dire que je suis défavorable à ces amendements identiques. Nous allons discuter du régime par points tout au long des articles 8 et 9 ; nous aurons donc l’occasion d’y revenir.

M. Stéphane Viry. Le débat sur la question des ordonnances me paraît central. Au-delà de ce texte, nous sommes tous là pour défendre les institutions et le fonctionnement de la Constitution. Le choix du Gouvernement de recourir à vingt-neuf ordonnances peut trahir le fait que ce texte ait été insuffisamment préparé, mais pour moi, ce n’est pas le sujet essentiel.

Dans le temps qui m’est imparti, je voudrais surtout appeler l’attention de nos collègues sur l’état d’esprit que nous devons avoir en tant que parlementaires, et auquel nous ne saurions renoncer sans renoncer en même temps au sens de notre engagement. Notre collègue Maire nous dit que, pour que les choses fonctionnent bien, l’Assemblée nationale doit être disciplinée. Ce n’est évidemment pas le cas : son âme ne doit au contraire connaître que la liberté ! En vertu de l’esprit même de la séparation des pouvoirs, le pouvoir législatif que nous incarnons n’a vocation à être soumis à aucun pouvoir.

Quand notre collègue Mattei affirme que nous n’avons pas à subir 20 000 amendements, je lui réponds que si, nous avons évidemment à les subir ! Les députés du groupe Les Républicains n’apprécient pas de se trouver dans cette situation, mais ils admettent que certains de leurs collègues aient souhaité déposer des amendements, car c’est cela, l’esprit du Parlement.

Il estime également qu’on ne rédige jamais mieux une loi que sans le Parlement. Comment peut-on dire une chose pareille ? Le simple fait que les rapporteurs proposent parfois des amendements rédactionnels montre que le législateur peut et doit bonifier les textes. Donc, stop ! Je veux bien que la liberté de parole soit totale et que nous ayons des avis divergents, mais de grâce, ne dénaturons pas notre mandat !

Mme Corinne Vignon. Puisque nous avons la chance d’avoir des collègues lettrés, je vais me risquer à parler un peu de rhétorique, un domaine dans lequel excellent certains d’entre nous. Il faut bien distinguer la vérité objective d’une proposition de l’apparence de vérité que cette proposition peut revêtir pour ceux qui l’écoutent.

Je ne peux plus supporter que certains comparent le système qu’il est proposé d’instaurer en France à ceux en vigueur en Suède, en Allemagne ou en Italie. Je rappelle que les cotisants suédois disposent d’un compte notionnel dans le cadre d’un système par capitalisation et que les retraités de ce pays, qui perçoivent une partie de leur retraite sous forme de capital, ont souvent tout dépensé au bout de dix ans. Pour ce qui est de l’Allemagne, chacun connaît la problématique des mini-jobs. Enfin, chacun sait qu’en Italie, la réforme Fornero s’est faite dans le contexte des graves problèmes budgétaires auxquels est confronté le pays.

Il faut donc bien se rappeler que la réforme proposée aux Français vise à ce que chacun puisse percevoir une pension dont le montant minimum nettement supérieur à celui en vigueur aujourd’hui : alors que le minimum contributif est actuellement inférieur au minimum vieillesse, demain, le minimum de retraite s’établira à 1 000 euros.

Mme Valérie Rabault. L’article 8 est effectivement au cœur de la réforme proposée par le Gouvernement, mais il me semble qu’il aurait été plus simple, plus clair et plus lisible pour nos concitoyens d’afficher clairement la couleur. Dans votre système par points, le montant de la pension est obtenu en multipliant le nombre de points par la valeur du point, et en déduisant le malus. J’insiste sur le fait que, pour la première fois depuis 1945, le malus est indexé sur l’âge réel de départ à la retraite, et non sur la durée de cotisation, ce qui constitue un changement majeur, dont l’importance ne se reflète pas comme elle le devrait dans l’article 8, ce que je regrette, car cela nuit à la lisibilité du dispositif.

À mon sens, il conviendrait qu’il soit indiqué dans le texte que le montant de la pension s’obtient au moyen de l’opération que j’ai indiquée, car cela permettrait à chacun de prendre la mesure du malus. On a cité à plusieurs reprises, depuis le début des travaux de cette commission, le cas d’un ouvrier ayant commencé à travailler à 20 ans et qui, après avoir cotisé quarante-trois ans, part à la retraite à 63 ans : cette personne se verrait appliquer deux ans de malus, donc une réduction de 10 % du montant de sa pension, ce qui est énorme.

M. Jean-Luc Mélenchon. Comme certains collègues, qui ne sont pas toujours membres de mon groupe, je voudrais souligner ce que signifie le recours à vingt‑neuf ordonnances.

À cet égard, les critiques adressées aux gaullistes après la Constitution de 1958 m’inspireraient presque des remords. Quand François Mitterrand évoquait un « coup d’État permanent », certains manifestants brandissaient des pancartes « le fascisme ne passera pas ». Nous n’imaginions pas qu’un texte de loi pouvait comprendre vingt-neuf ordonnances, sans quoi nous aurions immédiatement crié à la dictature !

Il y a une dérive, qui fait croire que la loi est une affaire technique, alors qu’elle n’est qu’une affaire politique. En ce sens, Jean-Paul Mattei avait raison de dire que la loi devait être plus concise mais plus précise quant à ses orientations. Dans le cas présent, elle n’est ni l’un ni l’autre : tout le pouvoir législatif est renvoyé à l’exécutif.

Un jour peut-être, vous ne serez pas majoritaires. Imaginez votre réaction si un nouveau gouvernement propose de confisquer tout votre pouvoir législatif, pour régler l’ensemble des questions dans des négociations on-ne-sait-où avec on-ne-sait-qui.

C’est là un symptôme de la dérive autoritaire que contiennent la mentalité technocratique et le néolibéralisme. Vous êtes persuadés que tout est technique ; nous pensons que tout est politique, donc que tout doit être placé entre les mains du législateur.

M. Éric Woerth. Le régime par points ne pose pas problème en soi – il existe entre autres à l’AGIRC et à l’ARCCO –, et tant mieux s’il simplifie le dispositif. Il s’agit avant tout d’une modalité de calcul. Si la question de la valorisation du point se posera certainement, le système actuel présente d’autres risques de dévalorisation, sur des éléments bien plus structurants que les seuls points. Si le régime par points a pour but de donner à chaque personne le sentiment d’avoir acquis quelques points dès qu’elle commence à travailler, vous auriez pu changer les règles de validation des trimestres ou des mois, pour que la cotisation intervienne dès la première heure, et instaurer un compte – on en crée partout, en France – pour cumuler les droits, puis les utiliser en fin de parcours. Vous auriez donc pu instaurer un dispositif plus simple, si vous l’aviez souhaité.

Par ailleurs, les deux règles d’indexation sont fondamentales, qu’elles portent sur la valeur d’acquisition du point ou sur la valeur du point au moment où l’on calcule la pension. En réalité, vous continuerez à utiliser la durée de cotisation, pour les carrières longues, et pour déterminer les bénéficiaires du minimum garanti. Au bout du compte, nous aurons des points, une durée de cotisation, un âge légal où l’on aura le droit de prendre sa retraite, et un âge pivot. Comme simplification, il y a mieux !

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22119 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. La réforme substitue à notre système à annuités, à prestations définies, un système par points, à cotisations définies. Certes, dire que vous instaurez un système « par points » ne suffit pas à le définir. On pourrait réfléchir à une unité de compte, mais qu’en ferions-nous ensuite, une fois ces unités additionnées ?

Par ce changement, vous bouleversez de façon majeure notre système de retraite, ce qui aura de graves conséquences pour nos concitoyens. Le projet de loi institue ainsi une réforme paramétrique permanente, conduisant à l’allongement de la durée du travail, à la baisse programmée des pensions et au décrochage du taux de remplacement des retraites par rapport aux salaires, sujet que vous ne voulez pas aborder ni détailler.

La prise en compte de l’ensemble de la carrière, au lieu des vingt-cinq meilleures années ou des six derniers mois, conduit à reproduire sur le niveau des pensions les inégalités subies tout au long de la carrière professionnelle. Les femmes, les assurés en contrats courts et précaires, et les assurés connaissant des périodes d’inactivité subie, comme le chômage, seront fortement pénalisés. Loin d’être une réforme redistributive, comme le veut le slogan qui fleurit depuis quelques jours, ce texte procède à un nivellement des droits vers le bas.

Nous sommes opposés au système par points, qui individualise la retraite, rend chacun comptable de son seul sort, et rompt avec les principes fondateurs et solidaristes de la sécurité sociale.

Parce que nous pensons qu’il est possible d’harmoniser les droits vers le haut dans le cadre du système actuel, nous proposons de modifier le calcul du trimestre et de fixer à 75 heures, au lieu de 150 heures actuellement, le minimum de cotisations nécessaires pour valider un trimestre. Cela permettra de favoriser les personnes qui multiplient les contrats courts.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. M. Mélenchon a affirmé qu’aucune ordonnance n’avait été prise avant 1960. Or certaines ont été signées dès 1958 puisque l’alinéa 10 de l’article 6, qui concerne les fonctionnaires, évoque le troisième alinéa de l’article 8 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, et le suivant, consacré aux magistrats, se réfère à l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

Les outils modernes permettent de vérifier très rapidement grâce au site www.legifrance.gouv.fr, qu’en 1959, sous la présidence de M. De Gaulle, le Gouvernement a pris 127 ordonnances, et 25 en 1960.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et vous trouvez ça bien ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne dis pas cela. Je veux simplement replacer les faits dans leur contexte. Je ne conteste pas que le Parlement doive se saisir de tout, mais sur des éléments complexes, qui engagent une transformation, à mi‑chemin entre le réglementaire et le législatif, je ne suis pas sûr que nous ayons à gagner à entrer dans le détail de statuts très particuliers, comme ceux des marins ou des agriculteurs.

Cet après-midi – vous n’étiez pas présent –, nous avons établi une liste de corps de métier, des moniteurs de ski au moniteur de moyenne montagne, en passant par le moniteur de haute montagne. Je ne sais pas si le Parlement y a gagné. De même, il a été question des marins, comme s’il s’agissait d’un corps homogène, alors que le terme recouvre des particularités multiples, qui ont leur raison d’être mais qu’il faut traiter dans un cadre autre que celui du fonctionnement, parfois bouillonnant, de l’Assemblée.

Quant à l’amendement de M. Dharréville, il aborde le sujet des points par trimestre, qui sera traité à l’article 8.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Puisque nous allons entrer dans le calcul du point et des diverses règles d’indexation, chacun doit avoir en tête que l’étude d’impact compare le système projeté par le corps – la continuation d’une dégradation, si aucune mesure n’était prise –, quitte à se fonder sur des hypothèses extralégales, comme les prolongations de la loi de 2014 au-delà de ce que le Parlement a voté, avec un nouveau système, qui se fonde lui-même sur plusieurs hypothèses folkloriques, en particulier un taux de productivité augmentant de 1,3 point par an, alors que sa progression n’est que de 0,8 point depuis dix ans. Tout cela change beaucoup la donne. La réalité est que, si nous le comparons avec le dispositif actuel, le système proposé se traduira à la fois par un report de l’ordre de trois ans de l’âge de départ à la retraite et par une baisse du taux de remplacement, de l’ordre de 30 %. Et c’est ce que vous appelez une réforme de progrès !

De la même manière, quand vous examinez l’effet redistributif, vous dites que la réforme écrasera les carrières ascendantes, avec une baisse des pensions de 4 %, et favorisera les salariés au SMIC, avec une hausse des pensions de 5 %. C’est sans compter la baisse du taux de remplacement, qui sera de 8 % pour des départs à 64 ans et, avec le système de décote, de 18 % pour un départ à 62 ans. Si vous comparez avec la situation actuelle, il n’y a pas un seul gagnant.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, j’ai pleinement confiance en vos propos et je vérifierai mes informations, sachant que je n’ai parlé que sur la base de mes souvenirs. Je suis en revanche très au fait des discussions que les ordonnances ont toujours soulevées. Vous pourriez en retrouver la trace, même sous la IIIe et la IVe République, où il existait des dispositifs équivalents. C’est ce que j’appelle les survivances barbares en droit moderne.

Je considère, peut-être par une tradition héritée des républicains jacobins, que la loi et son contenu sont politiques et que l’on ne peut pas transférer le pouvoir législatif au pouvoir exécutif. Vous me répondez que, certaines fois, on y est obligés. Toute la discussion porte sur ces cas-là. Je n’ai par exemple rien à dire contre une ordonnance qui transforme les valeurs de francs en euros, dans tout le droit français. Que le Parlement ne soit pas consulté à ce sujet ne me dérange pas. En revanche, il doit débattre sur les conditions dans lesquelles le franc devient l’euro. Nous avons ainsi discuté du statut de la Banque centrale européenne et de l’euro. Ce principe n’a toutefois pas été toujours été suivi, car nous sommes en train de revoir le statut de centaines de professions, ce qui encombrerait le travail législatif. Mais qui a décidé de la nécessité de cette révision et du fait que le Parlement devait s’en remettre à des discussions avec les syndicats ?

Même si de telles discussions ont lieu – elles sont indispensables –, le législateur est entièrement fondé à débattre, parce qu’il représente la société dans son ensemble. C’est une question de conception du droit et de son origine dans les parlements. Vingt-neuf ordonnances, prenez-le par le bout que vous voudrez, cela fait tout de même beaucoup dans une loi !

M. Pierre Dharréville. Plutôt que d’instaurer ce système incertain, aléatoire, illisible, injuste, inégalitaire – ces qualificatifs répondent à ceux, très élogieux, que vous lui avez attribués –, il convient d’améliorer le système existant. Nous voyons d’ailleurs que la méthode que vous avez choisie, le projet qui est le vôtre, ne fonctionnent pas. Il oblige à examiner les exceptions nécessaires, et la manière de les prendre en compte. La discussion que nous venons de mener sur les marins en offre un exemple.

Au bout du compte, le mécano que vous avez mis sur la table et dont la forme semble si séduisante, est incohérent. Nous vous invitons à revoir cette logique, d’autant qu’elle s’accompagne d’une modification de la philosophie même du droit à la retraite et de la sécurité sociale elle-même. En effet, au principe « chacun selon ses moyens, chacun selon ses besoins », vous substituez celui, assez discutable et impossible à appliquer, selon lequel chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits.

M. Jacques Marilossian. Je voudrais dénoncer deux contre-vérités qui viennent d’être énoncées. Premièrement, vous vous dites opposés au système par points, au motif qu’il individualise la retraite. Or ce n’est pas le problème du système par points : toutes les retraites sont individuelles, toutes correspondent aux cotisations qu’une personne a versées pendant sa vie professionnelle. Ce n’est donc pas le point qui individualise.

Deuxièmement, vous dites que les Suédois sont malheureux et appauvris, parce qu’ils ont un système à points. D’après les chiffres de l’Organisation de la coopération et du développement économiques, les Suédois cotisent très peu pour leur retraite – 8 % de leur produit intérieur brut (PIB), contre 14 % pour les Français. Ce n’est pas le système à points qui est responsable de la pauvreté des retraités suédois, mais le fait qu’ils cotisent moins pour leur retraite.

M. Thibault Bazin. La question fondamentale, qui inquiète profondément les Français, est de savoir qui gérera efficacement le système à points, de manière à ce que le point vaille quelque chose demain. Actuellement, le système par points qui fonctionne est celui qui est bien géré.

La deuxième question, c’est la valeur de service des points, non pas celle d’acquisition. Sur ce sujet, nous avons besoin de garanties.

Troisième remarque, où je m’inscris en faux contre ce qu’a dit M. Marilossian, il y a un risque d’individualisation de notre société, à travers le dispositif que vous imaginez sur les droits conjugaux et familiaux. Dans le système actuel, si l’on croit à une solidarité conjugale et familiale, les dispositifs relatifs aux pensions de réversion et aux familles avec trois enfants peuvent être avantageux. M. le rapporteur nous avait d’ailleurs exposé son cas : père de trois enfants, il peut être gagnant, et son épouse aussi. Dans le futur système, les membres d’un couple, qui feraient le pari d’une séparation, pourraient choisir de répartir les points entre eux. S’ils ne se séparent pas in fine, le foyer global aura perdu des revenus.

Il s’agit d’hypothèses, car nombreux sont les couples qui restent ensemble, contrairement au modèle qui est peut-être le vôtre. Dans vingt ou trente ans, ce sera certainement encore le cas. Nous faisons donc là un vrai choix de société, car valoriser les comportements individualistes dans la répartition des points, risquerait de pénaliser le pouvoir d’achat des foyers.

C’est un vrai sujet, que nous n’évoquerons peut-être pas, car nous n’arriverons jamais à l’article concerné. De toute façon, nos amendements ne servent à rien, puisque nous reviendrons au texte du Gouvernement. Je me demande d’ailleurs à quoi nous servons nous‑mêmes.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À discuter comme nous le faisons ce soir, et à faire notre travail !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. L’objectif de cette réforme est d’améliorer le système existant et de lutter contre tous ses effets antiredistributifs. Mais je souhaiterais répondre à nos collègues Valérie Rabault et Boris Vallaud, sur les exemples qu’ils citent souvent de l’ouvrier qui commence sa carrière à 20 ans et le cadre, qui entre sur le marché du travail à 25 ans. Dans le système actuel, celui qui a fait des études, qui a des diplômes, a généralement pu faire une carrière, d’ingénieur par exemple, linéaire et ascendante et partir à la retraite avec un bon niveau de revenus. Celui et, souvent, celle, qui n’a pas eu de diplôme, qui a mené une carrière difficile et souvent fréquemment hachée dans le milieu ouvrier, comme vous le dites, Mme Rabault, avec des périodes de chômage et les aléas de la vie, ne partira pas à 62 ou 63 ans, mais entre 65 et 67 ans, pour espérer un taux plein, avec un revenu particulièrement bas.

M. Vallaud évoque souvent les personnes qui doivent travailler un ou deux ans de plus, pour obtenir ce taux plein. Je souhaiterais qu’avec honnêteté, il nous parle également de celles et ceux, que l’étude d’impact évalue à 30 %, qui, grâce au nouveau système, pourront partir deux ans plus tôt et à taux plein. C’est la réalité de ce système, qui permettra d’absorber certains effets antiredistributifs du dispositif actuel.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4706 de Mme Caroline Fiat, n° 4709 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4711 de Mme Mathilde Panot, n° 4713 de M. Adrien Quatennens et n° 4716 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement vise à rédiger l’intitulé de la section 1 de la manière suivante : « Paramètre de calcul des retraites, ou comment baisser les pensions de retraite de façon automatique sans avoir à repasser devant le Parlement ».

Je n’étais déjà pas très rassurée avant le début des discussions, mais plus nous avançons, plus vous m’inquiétez. À tous les exemples que j’ai donnés pour démontrer que les Français partiront plus tard à la retraite et verront leurs revenus diminuer, vous répondez que je ne dois pas m’inquiéter, que tout sera pris en compte et qu’il faut faire confiance aux syndicats, avec lesquels il y aura des concertations. Ce qui m’inquiète, c’est que ces concertations ont déjà eu lieu, il y a deux ans, mais que tout le monde a claqué la porte. Quelles garanties pouvez-vous fournir que les syndicats ne claqueront pas de nouveau la porte car, encore une fois, vous n’allez pas vouloir les entendre quand ils diront qu’ils refusent votre système ?

Mme Mathilde Panot. Plusieurs collègues se rient que nous regardions ce qui se passe dans d’autres pays où le système de la retraite à points a été instauré. J’ai évoqué l’Allemagne et la Suède, qui compte une part de retraités pauvres deux fois plus élevée que la France.

Mais il faut aussi parler des pensions des femmes, qui y sont 68 % plus faibles que celles des hommes. Nos collègues nous disent que cette situation ne résulte pas du système de retraite à points mais de ce que ces pays auraient une retraite par capitalisation.

Cela tombe bien car les articles 13, 15 et 65 du projet de loi font référence à la capitalisation, à tel point que, sur son site, Axa incite les futurs retraités à capitaliser en vue de la « baisse programmée des futures pensions ».

Un autre collègue a dit que les Suédois étaient pauvres car ils ne cotisaient pas assez. Justement, nous proposons entre autres de ne pas plafonner les richesses attribuées aux pensions et de cotiser davantage. Ainsi, si vous étiez favorable à la hausse du SMIC, vous pourriez récolter 2,5 milliards d’euros dans les caisses de retraite, avec 1 % de hausse de salaire, ce qui est peu.

M. Adrien Quatennens. Savoir si l’on se situe dans un système à prestations ou à cotisations définies est capital. Le système à cotisations définies est une logique d’épargne individuelle et un pas vers la capitalisation et la privatisation. Le système de retraite par points, que prône le Gouvernement, mime en quelque sorte une accumulation sur toute la vie d’un capital qui, ensuite, sera rapporté à l’espérance de vie au moment du départ à la retraite. C’est bien une logique individuelle d’épargnant, qui s’appuie sur l’interprétation trompeuse d’un droit à une pension, laquelle serait proportionnelle au montant des cotisations. C’est tout l’inverse du régime solidaire par répartition, puisque ce système cherche à nier la mise en assurance sociale, qui est fondée par le maintien de la rémunération après le départ à la retraite.

La conséquence directe d’un système à cotisations définies, tel celui que vous proposez, est bien de construire un pilotage fondé sur le rendement des cotisations, non plus sur un objectif de taux de remplacement. Or les Français se demandent sans relâche de quelle proportion de leur dernier salaire ils bénéficieront à la retraite.

Notre collègue Pierre Dharréville a fait preuve d’une intuition majeure, en indiquant que vous préparez un système à cotisations définies, donc une logique d’épargne individuelle, qui fait un pas vers la capitalisation.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de revenir sur le sujet des cotisations et prestations définies. Il importe à présent d’aborder la définition et le mode de fonctionnement des points, afin de parler d’éléments concrets. Le changement d’intitulé n’est évidemment pas acceptable.

Défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je résumerai d’une phrase la fin du feuilleton sur les ordonnances : je n’apprendrai à personne que les Insoumis sont partisans d’une VIe République. Le besoin s’en fait sentir car, progressivement, tous les instruments qui ont été instaurés sont en train de dériver, pour nous conduire vers une situation où le Parlement joue un rôle de plus en plus effacé.

S’agissant des points et pour revenir aux remarques de M. Woerth, passer des trimestres aux points n’est pas qu’un arrangement technique – M. le rapporteur le confirmera. Ce qui est en vue, c’est de préparer le passage à la capitalisation. Vous avez le droit de dire que ce n’est pas ce que vous voulez, ni ce que vous êtes prêts à voter, hormis pour certains secteurs. Nous verrons cela à l’article 64, si nous y arrivons un jour, naturellement, et nous y arriverons. (Sourires.)

Le système de cotisations par points ne vous dit rien de ce que vous toucherez à la retraite, à supposer que vous sachiez quand vous pourrez partir, car cela change pour chaque génération. Chers collègues, admettez au moins que vous ne connaissez pas la valeur de service du point au moment où vous l’achetez. Ce que vous instituez, c’est l’habitude d’une capitalisation individuelle car vous achetez des points en vue d’un résultat, que vous ne connaissez pas, exactement comme si vous achetiez vos points à un fonds de pension.

M. le rapporteur général. Certains utilisent le prétexte de la réforme, où nous maintiendrons un système par répartition, pour agiter des peurs, et laisser penser que le système par points serait un premier pas vers un système ultérieur par capitalisation. Cela n’est pas possible : le système par répartition ne peut pas être défait aujourd’hui. Créé en 1945, il a permis d’augmenter sans attendre le niveau de vie des retraités qui, pour beaucoup d’entre eux, n’avaient pas cotisé.

Pour le défaire, il faudrait une très longue série d’années blanches où les retraites d’une génération ne seraient pas financées, ce qui n’est pas faisable. Lorsque vous dites que c’est la première étape pour aller vers un système de capitalisation, vous agitez des craintes qui sont infondées. Au contraire, le système universel de retraite préserve, renforce et pérennise notre système par répartition pour les dizaines d’années qui sont devant nous.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous parlez d’un système de retraite universel. Très bien, mais nous sommes là dans le registre de la communication. Depuis le début de la discussion, je ne vois pas où situer cette universalité, puisque vous avez introduit des exceptions à la règle pratiquement à chaque alinéa du texte.

Le système actuel comprend la notion d’une cotisation par trimestre, convertie en euros par un taux de conversion. Bien malin celui qui pourra donner la valeur de l’euro dans vingt ans, mais on la connaît aujourd’hui. Le problème vient de ce que vous introduisez une nouvelle inconnue, la valeur du point, dont on ne connaît pas l’évolution, à vingt ans. Quant au taux de conversion, on l’a vu, il est variable selon les professions. Vous ne voulez pas entendre que le fait de rajouter dans cette équation un nouveau paramètre crée une réelle inquiétude chez nos concitoyens. Telle est la difficulté. Nous ne voyons pas l’utilité de transformer en points un système en euros.

M. Pierre Dharréville. La seule règle d’or qui vaille dans le projet de loi, c’est l’équilibre budgétaire, assorti d’une volonté de contenir voire de réduire les ressources consacrées à nos retraites, parmi les richesses produites. Nous prévoyons que tout cela ne garantira pas le taux de remplacement, ni le niveau des retraites. Dans un très grand nombre de cas, cela finira même par les abaisser.

C’est donc aussi de cette façon que se prépare le recours potentiel à des systèmes alternatifs, auxquels la loi « PACTE » a préparé le terrain. En réalité, vous instaurez une réforme paramétrique permanente, avec quatre leviers, que le point vous permet d’introduire pour partie : l’âge de départ, un des éléments centraux du dispositif ; la valeur d’acquisition du point, qui fluctue ; la valeur de service, également fluctuante ; et le niveau des pensions. Vous pouvez dès lors piloter ces quatre leviers pour ajuster le niveau des pensions aux ressources.

M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V. Je comprends votre empressement, que nous partageons, à discuter de l’article 65, bien qu’il ne s’agisse que d’une déclinaison de dispositions prévues par la loi « PACTE ».

Pour revenir à la capitalisation, vous faites malheureusement une confusion. Nous défendons bien un système par répartition, auquel nous avons déjà prouvé notre attachement avec les principes énoncés dans le titre Ier. La capitalisation existe depuis bien longtemps. Les partenaires sociaux, en particulier la CGT, gèrent, avec FO, l’un des plus gros fonds de pension français, qui repose sur la retraite additionnelle de la fonction publique et représente 37 milliards d’euros. De la même façon, ce système, géré par les partenaires sociaux, permet de rétribuer une bonne partie des pensions des salariés de la Banque de France.

Vous l’avez compris, si nous n’avons pas inventé la répartition, c’est bien d’elle dont nous vous parlons depuis le début, et dont nous parlerons jusqu’au bout.

M. Boris Vallaud. Nos collègues Dalloz et Dharréville ont eu raison de dire que la seule chose tangible, la règle d’airain, est l’équilibre financier : tout le reste en dépend. On ne sait pas quelle sera la valeur du point : même les règles d’indexation sont contingentes – elles visent à faire respecter l’équilibre financier du système. Le rendement, fixé à 5,5 % par le rapport Jean-Paul Delevoye et par l’étude d’impact, ne figure pas dans le texte. Du fait des règles d’indexation, moins favorables que l’évolution du niveau des salaires, il y a un risque important que le rendement diminue et qu’on soit en réalité bien en dessous du taux évoqué au moment où la réforme sera complètement appliquée. Il n’y a pas de garanties en ce qui concerne la part des pensions par rapport au PIB et le taux de remplacement.

La règle d’or est d’autant moins compréhensible qu’il faudra établir l’équilibre par périodes de cinq ans : le système est procyclique. S’il y a une crise, vous l’aggraverez, et la seule variable d’ajustement sera le niveau des pensions ou l’âge de départ à la retraite. Par ailleurs, les décisions que vous pourriez prendre pour rétablir l’équilibre à court terme, par une augmentation des cotisations, par exemple, vont créer des dépenses supplémentaires à long terme. Cela ne marche donc pas.

Enfin, considérer l’assurance vieillesse indépendamment de la protection sociale, dont le périmètre est beaucoup plus large et qui est très largement excédentaire depuis 2017, n’a pas de sens.

M. Brahim Hammouche. Il est quand même extraordinaire de nous qualifier régulièrement de « financiaristes » ou de libéraux alors que nous sommes ceux qui faisons le plus confiance à la démocratie sociale, que nous remettons entre les mains des partenaires sociaux. Tant mieux s’il y a un équilibre financier : cela représente pour l’économie et la société ce que l’homéostasie est pour le corps humain. Avoir une température en dessous ou au-dessus de la normale n’est pas très bon pour la santé ; de même, je pense qu’il n’est pas très bon d’avoir un système qui n’est pas très équilibré sur le plan financier. Faisons confiance aux partenaires sociaux, faisons marcher la démocratie sociale qui ne fonctionne pas aujourd’hui dans notre pays, et les choses iront beaucoup mieux.

La commission rejette les amendements.

M. le secrétaire d’État. Je voudrais revenir sur certains propos.

M. Quatennens a parlé de prestations définies. En quoi sommes-nous vraiment dans un tel système ? Prenons le cas d’une personne arrivée sur le marché du travail il y a trente ans : l’âge légal était alors fixé à 60 ans, il fallait 37,5 années de cotisations, la pension était calculée en fonction des dix meilleures années, les pensions étaient indexées sur les salaires, et il n’y avait ni décote ni surcote. Il faut regarder objectivement la situation : ce n’est pas un système à prestations définies. Tout le monde sait, même s’il existe des sensibilités différentes, que les réformes menées précédemment ont permis à notre système de retraite de survivre jusqu’à présent. Il y a néanmoins un déficit et les difficultés vont persister si on ne construit pas autre chose. On ne peut pas se contenter de débats théoriques car la société change et le contexte évolue, quoi qu’on en pense.

Je voudrais aussi revenir sur le régime suédois. Mme Vignon, qui connaît cette question – elle a fait partie d’une délégation qui s’est rendue dans différents pays d’Europe pour voir concrètement comment leur système fonctionne –, a dit tout à l’heure qu’il ne faut pas oublier que le système suédois ne repose pas sur la répartition. Elle a raison. Tout le monde peut le vérifier. Il existe même une très belle note du Sénat sur cette question – et on ne peut pas dire que La République en Marche soit majoritaire dans cette assemblée. Le modèle suédois est à comptes notionnels, et il y a obligatoirement une part de capitalisation.

On nous dit que nous voulons aboutir à un résultat propre à chaque génération. Nous construisons quelque chose qui n’est pas le modèle suédois. Celui-ci fonctionne par générations : il faut assurer un équilibre par année de naissance. Ce n’est absolument pas ce que nous prévoyons. Les Suédois ont proposé un âge légal très bas : ils ont voulu donner beaucoup de liberté et ils ont presque caricaturé leur propre système, ce qui a conduit beaucoup de gens à partir très tôt, en sous-estimant la réalité de leurs besoins dans la durée. Partir très tôt peut être séduisant, mais on n’a pas nécessairement en tête qu’on aura peut-être épuisé ses réserves dans quelques années et qu’il vaudrait mieux travailler plus longtemps pour éviter de se trouver dans une telle situation.

Enfin, il faut comparer les choses jusqu’au bout : vous savez que le niveau des dépenses par rapport au PIB est beaucoup plus faible en Suède qu’en France.

Article 8 : Modalités de calcul et d’acquisition du point, unité de mesure d’un système juste et transparent

La commission examine les amendements de suppression n° 4877 de Mme Caroline Fiat, n° 4880 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4882 de Mme Mathilde Panot, n° 4884 de M. Adrien Quatennens, n° 4887 de Mme Sabine Rubin, n° 12865 de M. Sébastien Jumel et n° 21091 de M. Boris Vallaud.

Mme Caroline Fiat. Vous essayez de nous faire croire qu’on va pouvoir, avec un même gâteau, distribuer les mêmes parts alors qu’il y aura davantage de monde à servir. C’est impossible si on ne fait pas un second gâteau. Il va donc falloir que les Français capitalisent pour leur retraite. Certaines personnes pourront le faire et d’autres non : contrairement à ce que vous prétendez, votre système ne sera pas universel. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de l’article 8.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le rapporteur général nous reproche d’agiter des peurs, mais ce n’est pas ce que nous faisons. Le secrétaire d’État vient, lui-même, de dire que le monde change et qu’il faut s’adapter. À quoi sommes-nous donc en train de nous adapter ? Au monde du capitalisme financier transnational. On crée des fonds de retraite par capitalisation partout dans le monde en démantelant ce qui a été créé au lendemain de la Libération. On procède tout le temps de la même manière : on commence par deux fois le plafond de la sécurité sociale, en disant que les personnes concernées sont si riches qu’elles doivent sortir du système. Or leurs cotisations m’intéressent : elles représentent 7 milliards d’euros – si l’on prend en compte aussi bien les cotisations patronales que celles des salariés –, qui n’alimenteront plus le régime général des retraites. On dit à ces gens de se responsabiliser en cotisant ailleurs. Mais quelqu’un peut-il dire combien il faudra cotiser chaque mois pour avoir le même niveau de retraite ? Mon temps de parole ne me permet pas de développer, mais on voit bien ce qui va se passer pendant les prochaines législatures, une fois que vous aurez fait passer votre bouillon à points.

Mme Mathilde Panot. Vous pensez peut-être honnêtement que votre système à points permettra de garder un système de retraite par répartition, mais cela introduira forcément de la capitalisation. Dans un système où on gèle la part du PIB consacrée aux retraites, selon une espèce de règle d’or absurde, les pensions vont diminuer. La valeur du point n’étant pas connue, ce sera précisément la variable d’ajustement. Il est indiqué sur le site d’AXA ce qui suit : « En outre, les premières pistes de réflexion de la réforme globale des retraites ne sont pas encourageantes : mise en place d’un système unique à points, plafonnement possible des cotisations, incitations à reculer l’âge de liquidation de la retraite. [...] L’ensemble de ces indicateurs augure d’une potentielle dégradation des retraites à l’avenir. Il est donc essentiel de prendre les devants et de la préparer le plus tôt possible par le biais de l’épargne individuelle. ». C’est extrêmement clair !

M. Adrien Quatennens. Je voudrais poursuivre le débat engagé avec le secrétaire d’État. Vous souhaitez un système à cotisations définies. Avec mes camarades du groupe La France insoumise, j’appelle de mes vœux un système qui soit réellement à prestations définies, c’est-à-dire qui garantisse le maintien du niveau de vie à la retraite. Un système à prestations définies fixe le niveau moyen des pensions à un âge de départ donné et déduit de ce niveau le taux de cotisation : on adapte les ressources à l’objectif politique. À court terme, cela permet d’atteindre l’équilibre budgétaire – je vous assure que nous en sommes tout aussi soucieux que vous – et surtout l’équation de base implique de poser la question du niveau de vie des retraités avant celle des ressources nécessaires. Vous faites l’inverse : vous définissez les ressources et vous adaptez ensuite le niveau de vie. L’âge de départ à la retraite effectif évoluera compte tenu de la valeur du point et de l’âge d’équilibre. L’objectif, selon nous, doit être politique : il s’agit de savoir à quel âge on doit partir à la retraite et avec quel niveau de vie, et on adapte les ressources. Dans le système à cotisations définies que vous proposez, vous bridez les ressources et vous en déduisez le montant des pensions.

Mme Sabine Rubin. Vous dites que vous allez conserver une part de répartition. Dont acte. Notre reproche est que vous ouvrez le système à la logique de la capitalisation, qui est de nature individuelle. On sait – chacun a pu le lire – que « plusieurs géants américains se positionnent sur les opportunités offertes par la réforme de l’épargne retraite » et que « le Gouvernement a introduit dans la loi "PACTE" des fonds de pension à la française », avec une défiscalisation.

M. Pierre Dharréville. Je crois qu’il serait bon de supprimer l’article 8 : cela permettrait de réorienter complètement nos discussions, qui sont mal engagées. On est au centre du problème avec ce système à points, que vous avez d’ailleurs fait évoluer. J’ai lu ce matin dans L’Humanité les explications d’Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques, et de Philippe Aghion, professeur au Collège de France. Ils estiment que le cœur de la réforme est désormais la volonté de faire des économies – ce n’est pas le souhait de garantir le droit à la retraite. Pour nous, c’est cette dernière préoccupation qui est essentielle. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet.

M. Boris Vallaud. Je voudrais, sans être redondant, revenir sur cette espèce de farce qui consiste à dire qu’on va faire confiance au dialogue social. Je ne mets pas en doute la sincérité de M. Hammouche, car je connais ses convictions personnelles. Le problème est que la réalité est tout autre : la règle d’or est une camisole que vous allez imposer au paritarisme ou une baguette pour taper sur les doigts des partenaires sociaux. Vous ne leur laissez aucune marge de manœuvre, car tout est encadré. Les partenaires sociaux ne pourront pas décider autre chose que l’équilibre financier du système de retraite. Il faut avoir l’honnêteté de le dire. Vous êtes en train de préméditer un échec des négociations et du paritarisme, comme vous l’avez fait à propos de l’assurance chômage – vous aviez adressé une lettre de cadrage impossible, dont le résultat était prévisible. Aujourd’hui, il y a fort à craindre que la conférence de financement soit beaucoup trop encadrée pour qu’il puisse en sortir quoi que ce soit de bénéfique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne sais pas si la réforme a été mal comprise ou s’il existe une part de mauvaise foi.

Il y aura de la répartition jusqu’à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), c’est-à-dire environ 120 000 euros de salaire annuel. Cela concerne 99 % de nos concitoyens et 96 % des revenus – nous sommes, par exemple, sous ce plafond en tant que députés. Aujourd’hui, on se retrouve parfois avec une retraite faible parce qu’on n’a pas nécessairement été incité à cotiser. Dans le système actuel, on ne cotise pas jusqu’à 3 PASS dans certaines professions, notamment libérales – on s’arrête à 1 PASS. Nous allons demander à ces personnes de cotiser davantage si leurs revenus vont au-delà d’une fois le PASS. Tout le monde s’inscrira dans un système de répartition jusqu’à 3 PASS parce que nous pensons que c’est beaucoup plus résilient que la capitalisation. Celle-ci repose sur l’évolution de la bourse : cela peut être favorable certaines années, mais il y a aussi des moments où le système s’effondre – on l’a vu en 2008. Il faut arrêter de dire que nous voulons instaurer de la capitalisation : nous allons développer la répartition.

Par ailleurs, il n’est écrit nulle part que la part du PIB consacrée aux retraites sera gelé. C’est un simple constat, qui figure notamment dans l’étude réalisée par le COR. Aucun alinéa du texte ne prévoit de geler la part du PIB, que ce soit à 12, 13 ou 14 %. Il faut arrêter de faire peur à nos concitoyens. Nous essayons simplement de rendre le système plus lisible.

Le rapport entre le décile le plus haut et le décile le plus bas est de 9,7 pour les salaires et de 4,9 pour les pensions : le système actuel permet de réduire l’écart. Mais quand on regarde la situation de plus près, on voit que ce n’est pas tant les pensions qui permettent d’aboutir à ce résultat que les dispositifs de solidarité, c’est-à-dire l’impôt. Le cœur du système est assez peu redistributif.

Certaines périodes d’activité ne sont pas comptabilisées à l’heure actuelle : un étudiant qui travaille 140 heures l’été ne valide aucun trimestre pour sa retraite, contrairement à celui qui travaille 160 heures. Où est l’égalité ? Il y a aussi la question des polypensionnés : des réductions s’appliquent dans certains systèmes, tandis que d’autres permettent de valider plus de quatre trimestres par an. Est-ce logique ? Les femmes peuvent bénéficier de huit trimestres supplémentaires par enfant, mais certains de ces semestres peuvent être inutiles et ils ne correspondent pas à des salaires pris en compte. Est-ce logique aussi ? J’en viens au malus évoqué par Mme Rabault : oui, il pourra y en avoir un, et c’est clairement prévu. N’y a‑t-il pas un malus dans le système actuel lorsqu’on n’a pas le nombre de trimestres nécessaires ? Il existe même un double malus : la proratisation et les 5 % en moins par année manquante.

La diversité des règles actuelles fait qu’on ne s’y retrouve pas. Le système à points a sûrement des limites, mais il sera plus clair, plus homogène et plus équitable. Je vous invite à nous aider à aller encore davantage en ce sens, et j’émets un avis défavorable aux amendements tendant à supprimer l’article 8.

M. Thibault Bazin. Je voudrais inviter M. Hammouche, qui a fait l’éloge de la démocratie sociale et parlementaire, à ouvrir un peu les yeux sur ce que nous vivons depuis deux ans et demi : je ne suis pas sûr que tout le monde trouve que la période actuelle est exemplaire dans ce domaine. Je précise que notre collègue n’y est pour rien – il subit cette situation comme nous.

Je tiens aussi à dire au rapporteur que le fait de parler seulement du système par répartition ne permet pas de masquer la réalité. Le principe que vous affichez est que les cotisations donneront droit à des points, mais ce n’est pas totalement vrai.

La réduction du plafond, qui passera de 8 à 3 PASS, est une rupture de la solidarité nationale qui aura un effet perdant-perdant. Les 300 000 personnes concernées seront perdantes, car cela leur ouvrira moins de droits en matière de retraite, et le système sera globalement perdant – il y aura 3,8 milliards d’euros de pertes dès 2025. Les cadres avaient eux-mêmes demandé d’aller jusqu’à 8 PASS. Le MEDEF nous a dit la semaine dernière que la mesure prévue n’était pas une bonne chose.

Je pense que la crise de confiance est due à la confusion que vous entretenez. On entend des discours ambivalents, notamment en matière d’âge. Vous dites des choses qui n’existeront pas, et ce qui prévaudra n’est pas dit avec clarté. Vous feriez mieux d’assumer.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vais vous décrire le futur système.

Vous prévoyez un cadrage de la masse totale qui est prélevée sur la richesse du pays. Cela figure dans le rapport de M. Delevoye. Je rappelle ce qu’il a déclaré sur France Inter, le 11 octobre 2018 : « Nous allons tout revisiter. Toutes les questions sont sur la table. Mais il y a un budget : 14 % du PIB – c’est un plafond. » Vous pourrez naturellement démentir ses propos... Comme vous ne pourrez pas augmenter le nombre de personnes présentes à table, vous allez faire sortir des gens. Le déverrouillage a eu lieu avec la loi « PACTE » : vous annoncez aux cadres et à ceux qui cotisent à un fonds de pension que toutes leurs cotisations seront déduites de leurs impôts, ce qui signifie que ce sont les autres qui vont payer. Par ailleurs, les retraites versées seront exemptées d’impôt à hauteur de 70 %. Voilà pour ceux qui sortiront du dispositif.

Vous annoncerez aussi une retraite de base. C’est pourquoi vous revenez sur la loi de 2013. Vous dites que l’on donnera 1 000 euros à tout le monde, sans préciser à quoi correspond précisément une carrière complète dans votre système à points. Cela introduit, en tout cas, l’idée d’une retraite plancher.

On dira aux autres qu’ils sont trop nombreux et qu’ils doivent se responsabiliser en cotisant de leur côté. J’en veux pour preuve ce que vous avez décidé de faire pour les cadres dont les revenus sont supérieurs à 3 PASS. Le rapporteur a déclaré que cela concerne peu de gens, et il a raison : cela représente 350 000 personnes, mais celles-ci sont particulièrement bien payées. Les patrons versent 3 milliards d’euros de cotisations, et les salariés eux-mêmes contribuent à hauteur de 4 milliards, ce qui fait 7 milliards au total.

Vous verrouillez le système et vous faites sortir des gens du côté de la capitalisation, avec des déductions d’impôt, tout en promettant aux autres qu’ils auront une retraite universelle de petit niveau – de 1 000 euros. Ce n’est peut-être pas votre intention, mais tout est en place pour que le système fonctionne comme je viens de le dire. Tout reposera – on le voit partout dans le monde – sur l’avantage fiscal que vous concéderez à ceux qui accepteront de se tourner vers un régime par capitalisation.

Le jour où on a changé la règle du jeu en Nouvelle-Zélande, 70 % des gens sont revenus à un système par répartition. Tout le monde a fait de même en Argentine, qui est pourtant un pays qui a l’habitude de dévaliser les gens. On a préféré confier son argent à l’État et à un système collectif plutôt qu’aux banques. Voilà la vérité, et voilà le scénario que vous écrivez.

M. Jacques Marilossian. Il n’y a pas un mot de vérité dans ce que vous venez de dire !

M. Boris Vallaud. Rien n’est garanti. Comme Jean-Luc Mélenchon l’a rappelé, en citant les propos de M. Delevoye, vous prévoyez un plafond. Nous aurions préféré que ce soit un plancher. On voit bien que la part du PIB consacrée aux retraites diminue dans l’étude d’impact alors même que l’hypothèse retenue pour le taux de rendement est constante – à 5,5 % –, ce qui ne pourra pas être vrai compte tenu des règles d’indexation et de la règle d’or que vous fixez.

S’agissant de la redistribution, Antoine Bozio a souligné hier que vous présentez la situation en raisonnant par quartile. Tout le monde gagne. Or s’il y a de la redistribution, cela fait des gagnants et des perdants. Il existe donc un léger problème.

Vous nous demandez de regarder l’écart entre le premier et le dernier décile, mais vous allez faire sortir les 1 % de Français les plus riches et vous leur rendrez entre 4 et 5 milliards d’euros de cotisations par an en ramenant le plafond de 8 à 3 PASS. Il y a un effet mécanique.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais vous lire ce qu’a écrit l’économiste Guillaume Duval. « C’est l’un des principaux arguments de vente du Gouvernement : le futur système universel de retraite serait plus redistributif que l’ancien, autrement dit moins inégalitaire. Problème, il ne doit essentiellement cette qualité qu’à deux mesures qui n’ont rien à voir avec le système à points : la hausse prévue du minimum de pension à 85 % du SMIC et l’exclusion des salaires de plus de 120 000 euros par an du système de retraite. » On a un peu l’impression d’écouter la publicité pour le nouvel OMO, qui retiendrait la crasse avec ses petits bras musclés (Sourires). Cela ne suffira pas à nous convaincre !

M. le rapporteur général. La Nouvelle-Zélande et l’Argentine n’ont jamais eu des systèmes sociaux comparables au nôtre. Nous n’avons pas du tout la même histoire sociale et le même modèle d’organisation que ces pays, et nous ne prenons pas du tout la même orientation.

Je voudrais également dire quelques mots du plafonnement à 3 PASS – nous en débattrons demain dans le détail. C’est une mesure de justice sociale qui vise à lutter contre des effets antiredistributifs. Sans cette disposition, le système que nous allons créer conduirait les personnes dont les revenus dépassent 3 PASS à recevoir davantage, sous la forme de pensions, que ce qu’elles ont versé en matière de cotisations.

 

La commission rejette les amendements.

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11.   Réunion du vendredi 7 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 8)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8717741_5e3d20c953ab1.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-7-fevrier-2020

Mme Célia de Lavergne, présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 2 195 amendements ; il en reste 17 921.

Article 8 (suite) : Modalités de calcul et d’acquisition du point, unité de mesure d’un système juste et transparent

La commission est saisie des amendements identiques n° 4719 de Mme Clémentine Autain et n° 4730 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Il s’agit de supprimer l’alinéa 1 de l’article 8, qui concerne les décotes et les surcotes. Afin que l’examen de cet article se fasse sur de bonnes bases, est-il possible que le rapporteur et le ministre nous en expliquent la logique ?

M. Adrien Quatennens. Nous entrons ici dans le détail de l’architecture de cette réforme, à savoir la mise en place du système par points, dont l’objectif, ainsi que nous l’expliquons depuis le début de nos débats, est en réalité de limiter la part de la richesse nationale consacrée aux retraites. Hier, nous avons terminé nos travaux en rappelant qu’au mois d’octobre 2018, sur France Inter, Jean-Paul Delevoye avait clairement expliqué qu’on ne saurait excéder le plafond de 14 %. Vous défendez ce plafond en arguant qu’il suffit aujourd’hui à absorber la démographie des retraités. Or nous savons que la part des seniors dans la population de ce pays est vouée à augmenter fortement et que, par conséquent, fixer un plafond de dépenses à 14 % du PIB revient à instaurer une règle d’or dont la variable d’ajustement ne peut être que le niveau des pensions.

Le système à points ne sert donc, à nos yeux, qu’à une chose : moduler la taille de la part du gâteau, qui ne va cesser de diminuer à mesure que les gens seront plus nombreux. Pour que la baisse des pensions ne frappe pas toujours au même âge, vous instaurez cette idée d’âge d’équilibre, qui se décalera, génération après génération.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Supprimer cet alinéa n’a aucun sens.

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Il y a deux jours, nous avons eu de vives altercations sur le cadre de nos débats et la nature de nos échanges. Il va sans dire – et je le réaffirme ce matin – que l’intention de La France insoumise n’étant pas de coopérer à l’élaboration du texte mais de donner voix, au sein de l’Assemblée nationale, à la revendication de la majorité du pays, qui demande le retrait du texte, nous avons fait le choix de demander la suppression de chaque alinéa. Néanmoins, vous aurez compris, compte tenu de ma précédente intervention, que notre intention est également d’avoir un débat de fond, en l’occurrence, ce matin, sur l’instauration du système par points. Il serait donc utile pour l’avancée de nos travaux que le rapporteur fasse l’effort de répondre sur le fond.

Je répète que nous considérons que ce système vise à contracter la part de la richesse consacrée aux retraites avec, comme conséquence directe, la baisse du niveau des pensions par l’instauration d’un âge d’équilibre. Le rapporteur peut-il répondre sur ce point de manière plus musclée qu’il ne vient de le faire ?

M. le rapporteur général. Je vous rassure, nous avons parfaitement compris que vous n’aviez pas l’intention de coopérer à la construction de ce texte. Quant au débat, nous l’avons déjà eu hier, et je maintiens donc mon avis défavorable.

Pour ce qui est des Français, dont vous vous réclamez, la majorité d’entre eux souhaite le changement du système actuel, qu’il juge injuste et ne comprend pas. Ils réclament plus de lisibilité et plus d’équilibre ; c’est ce que nous mettons en place à travers cette réforme.

M. Boris Vallaud. Un mensonge répété cinquante fois ne fait pas une vérité. Quant aux critiques que l’on peut tous formuler à l’endroit du système actuel, elles ne rendent pas pour autant les Français éperdus d’amour et d’impatience pour le projet que vous présentez. La réalité, c’est qu’ils le refusent avec force depuis des semaines, mais vous avez fait de la surdité un mode de gouvernement – cela finit par s’entendre, si j’ose dire !

Votre réforme va entraîner une baisse du taux de remplacement dans le temps, une baisse du niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs et un recul de l’âge de départ à la retraite : ce sont des données objectives, c’est ce que dit votre étude d’impact. Pouvez‑vous le dénier ? Fournissez-nous, si c’est le cas, un tableau avec le taux de remplacement par génération et par niveau de revenus jusqu’en 2070.

M. Pierre Dharréville. Nous avons entamé hier le débat sur la philosophie de votre projet de loi. Il est loin d’être achevé, d’autant que vous n’êtes pas parvenus, et c’est le moins que l’on puisse dire, à nous convaincre. Vous avez donc encore un effort à fournir pour convaincre – nous, si vous le pouvez, mais plus largement le pays –, que votre nouveau système est celui que tout le monde réclamerait à cor et à cri.

Que le système actuel ait des défauts, chacun en convient, et nous savons pourquoi. Nous avons déjà expliqué que les multiples entailles qui avaient été faites au droit à la retraite avaient été regrettables ; nous les avons combattues et nous continuons de les combattre. En l’occurrence, vous nous vantez les mérites d’un système sans les démontrer. Vous le dites plus lisible mais vous êtes incapables de nous indiquer quels seront le taux de remplacement et les droits garantis. Creusez vos arguments !

M. Dominique Da Silva. Pourquoi rejetez-vous absolument le fait qu’un système de retraite ait comme variable d’ajustement l’espérance de vie ? Tout le monde est pourtant capable de le comprendre : si l’espérance de vie venait à doubler, il faudrait doubler les pensions. Imaginez-vous sérieusement qu’on pourrait doubler la taille du gâteau et consacrer 28 % de la richesse nationale aux retraités ? Soyons sérieux ! La France détient déjà le record mondial en matière de durée des pensions servies : nous atteignons une moyenne de vingt‑six ans, alors qu’elle est de dix-sept ans en Europe. Que voulez-vous de plus ?

M. Éric Woerth. Il existe une règle qui veut que le gain d’espérance de vie soit réparti entre vie active et retraite à raison de deux tiers-un tiers. Cette règle, il faut la respecter en jouant sur l’âge légal plutôt que sur l’âge pivot.

En ce qui concerne les points, il faut les considérer comme une simple modalité de calcul. On peut évidemment manipuler le calcul par points, mais on pouvait tout autant le faire lorsqu’il s’agissait de trimestres. Ce que je conteste, c’est l’idée que les points seraient le seul moyen d’accumuler des droits dès la première heure travaillée. Ce n’est pas vrai, il y avait plus simple, mais vous n’avez pas voulu. Quoi qu’il en soit, nos débats doivent surtout porter sur l’évolution de la valeur d’acquisition du point et sur sa valeur de service.

M. Jean-Paul Mattei. Il me semble que le système par points va avant tout permettre à chacun de savoir, de façon plus lisible, tout au long de sa vie professionnelle, ce qu’il a accumulé comme droits à la retraite. Je ne comprends donc pas où est le problème. Qu’on puisse ensuite discuter de la valeur du point, de la manière dont elle est fixée, des modes de rémunération et du fait de savoir s’ils intègrent ou non les revenus du capital, ce sont en effet des enjeux politiques intéressants, mais je ne comprends pas vos réticences sur l’aspect technique du système.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements n° 4890 de Mme Clémentine Autain et n° 4901 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Monsieur Da Silva, ce que nous voulons, c’est préserver notre système et faire en sorte qu’on n’allonge pas la durée de cotisation, qu’on ne retarde pas l’âge de départ et qu’on ne baisse pas les pensions.

Vous manquez d’imagination quant aux moyens d’augmenter les recettes. Sachez que si l’assiette de cotisations était élargie au capital, si les revenus financiers contribuaient au financement des retraites selon le même niveau d’effort que les revenus du travail, on obtiendrait 25 milliards d’euros. Des marges, il en existe donc ! Mais rien ne sert de discuter de la taille du gâteau puisque votre objectif est purement comptable.

J’en reviens donc au point, qui est au cœur de votre réforme. Nous voudrions que le rapporteur ou le secrétaire d’État nous expliquent comment seront calculées sa valeur d’acquisition – au moment où on l’acquiert – et sa valeur de service – au moment où on le touche –, et quel sera le coefficient d’ajustement.

M. Adrien Quatennens. La démonstration de notre collègue Da Silva donne la désagréable impression que nous devrions regretter que l’espérance de vie ait augmenté. D’abord, l’espérance de vie stagne désormais, tandis que l’espérance de vie en bonne santé recule, et j’attends qu’on me prouve que la pollution et notre alimentation n’auront sur elle aucune incidence négative, dans les années à venir.

Considérer l’augmentation de l’espérance de vie comme un problème dans l’équation, c’est oublier un paramètre essentiel : on produit beaucoup de richesse mais cette richesse est extrêmement mal répartie. Il y a donc des solutions pour financer l’augmentation de l’espérance de vie, si toutefois on accepte de ventiler un peu mieux la richesse produite au lieu de la laisser accaparer par quelques-uns. Aujourd’hui, un salarié français travaille en moyenne quarante-cinq jours par an pour rémunérer les actionnaires, contre neuf jours dans les années 1980 ; dans l’intervalle pourtant, la productivité a augmenté. Il y a donc une part des richesses produites par le travail qui ne lui revient pas ; en l’affectant au financement des retraites, nous la lui rendrions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Woerth vous pouvez répéter à l’envi qu’il aurait été plus simple de conserver des trimestres, mais la valeur du trimestre dépend du nombre d’heures travaillées, et il est compliqué, autour de la cinquantaine, de calculer le niveau de pension auquel on aura potentiellement droit. Au contraire, lorsqu’on accumule des points sur un compte, la valeur du point peut certes évoluer – nous en discuterons à l’article 9 –, mais on peut déjà avoir une idée, en euros constants, de ce que sera le montant de sa retraite, si l’on a une carrière relativement linéaire. C’est non seulement beaucoup plus lisible que le calcul par trimestres, mais je rappelle également qu’en ayant travaillé 140 heures au cours d’un trimestre pour un job d’étudiant, vous avez cotisé pour rien, alors que pour 160 heures vous commencez à acquérir des droits : pour les jeunes, cela ne tombe pas sous le sens.

Pour ce qui concerne l’espérance de vie, monsieur Quatennens, c’est un élément paramétrique important dans l’équilibre du système, et j’ai déjà expliqué pourquoi à plusieurs reprises. L’une des vertus du système universel et de la mutualisation globale du système de retraite, c’est que, en cas d’événement majeur – démographique, sanitaire ou économique –, plus la base démographique est large, mieux l’amortisseur fonctionne, de même qu’un système par répartition s’avère plus stable qu’un système par capitalisation.

Cela étant, le calcul du point dépend notamment du nombre de retraités et varie avec lui, de manière assez prévisible. C’est ainsi que la valeur retenue dans le rapport Delevoye permettait qu’en dix-huit ans – durée correspondant à l’espérance de vie après un départ en retraite à l’âge d’équilibre –, vous touchiez l’équivalent du capital que vous aviez versé en cotisations tout au long de votre carrière.

Avis défavorable aux amendements.

M. Éric Woerth. Les Républicains ne sont pas opposés par principe au système à points, et nous savons que cela fonctionne à l’AGIRC-ARRCO. C’est, à nos yeux, une simple modalité de calcul. Vous affirmez qu’elle facilite les prévisions, puisqu’il suffit de multiplier le nombre de points accumulés par un coefficient. C’est en partie vrai, sauf que vous ne stabilisez les règles de fixation de la valeur du point qu’à partir de 2045. En outre, il n’y a pas qu’une valeur du point, mais deux : la valeur d’acquisition et la valeur de service. Tout cela peut donc beaucoup varier, avec des écarts qui, au bout d’un certain temps, pourraient atteindre 10 % ou 12 %. Vous ne pouvez donc pas prétendre que vous proposez un système stabilisé dans lequel chacun pourra connaître, à 30 ans, le montant de sa retraite en fonction des points qu’il a accumulés. Par ailleurs, avec le décompte par trimestres, vous savez en gros, lorsque vous atteignez la cinquantaine, à quoi vous pourrez prétendre, car vous connaissez votre durée de cotisation et que vous avez probablement interrogé votre caisse de retraite.

M. Hervé Saulignac. Nous ne pouvons que constater les difficultés que vous avez à illustrer par des exemples concrets les vertus du système à points, nous expliquant que les choses seront plus claires demain lorsque le dispositif s’appliquera. Avouez que les Français ont de quoi s’inquiéter ! C’est aujourd’hui qu’ils souhaitent des clarifications sur le sort qui leur sera réservé.

Un ancien président avait inventé la formule « travailler plus pour gagner plus » ; vous, c’est « travailler plus pour percevoir moins ». C’est, en tout cas, ce qui semble se dessiner aujourd’hui, alors que j’aimerais pouvoir indiquer des perspectives plus claires à nos concitoyens qui m’interrogent.

Les Français sont prêts à faire des efforts, mais des efforts qui paient, pas des sacrifices. Or tout dans vos propos semble dire, au contraire, que votre réforme n’est ni sociale ni de progrès, mais une réforme comptable, qui passe obligatoirement par des sacrifices.

M. Pierre Dharréville. Nous avons essayé de vous expliquer sur tous les tons que le système que vous proposiez n’offrait aucune visibilité, aucune stabilité, aucune garantie. Vous ne nous dites rien des quatre variables que sont l’âge de départ – qui va probablement reculer au fil du temps –, la valeur d’acquisition du point, sa valeur de service et enfin le niveau des pensions, puisqu’il n’est pas interdit de penser qu’elles seront éventuellement désindexées, comme vous l’avez déjà fait depuis le début de la législature.

Vous avez beau vouloir nous rassurer, vous êtes incapables de nous fournir la grille des taux de rendement et des garanties sur lesquels les gens pourront compter au bout de leur carrière, génération après génération. Je continue donc à vous la réclamer, et j’espère que le Conseil constitutionnel vous le reprochera si vous ne la fournissez pas.

M. Adrien Quatennens. Si l’espérance de vie augmente ou – et c’est probable – si la part des seniors dans la population augmente, il y a deux possibilités, et c’est là que les deux logiques, la nôtre et la vôtre, s’affrontent. La vôtre répond à la volonté de maintenir constante la part du PIB consacré aux retraites, ce qui implique de faire du niveau des pensions une variable d’ajustement. Comme vous n’assumez pas politiquement de dire aux Français qu’en partant à la retraite au même âge que leurs aînés, ils toucheront moins, vous expliquez qu’il leur faudra travailler plus longtemps. En réalité, cela revient au même, car s’il faut travailler plus longtemps, c’est bien parce que vous allez introduire un mécanisme de décote et donc baisser le niveau des pensions à l’âge en question.

Notre logique est à l’opposé. Si l’espérance de vie augmente ou que la part des seniors dans la population augmente, nous considérons qu’il faut maintenir la possibilité de partir à un âge et pour un niveau de pension déterminés par des choix politiques. Il faut donc adapter la part de la richesse nationale consacrée aux retraites. Là est toute la différence entre vous et nous. En résumé, vous poursuivez un objectif comptable et, pour l’atteindre, vous allez diminuer le niveau des pensions. C’est tout !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Beaucoup de bêtises ont été dites ces derniers jours sur les régimes à prestations définies et à cotisations définies, et il serait bon de revenir sur la définition de ces termes. La question des régimes à prestations définies et à cotisations définies ne concerne, en France et en droit français, que les régimes par capitalisation. En effet, tout régime par répartition est piloté grâce à l’ajustement, chaque année, du montant des cotisations et des prestations, pour atteindre l’équilibre budgétaire. À l’inverse, lorsqu’on parle de cotisations et de prestations définies, on se réfère à un système – par exemple celui des régimes complémentaires collectifs par capitalisation – dans lequel vous cotisez en vue de parvenir à une somme finale. Dans un régime à prestations définies, la somme que vous toucherez est garantie par l’employeur, quels que soient les aléas ; dans un régime à cotisation définies, vous ne toucherez que ce que vous avez capitalisé.

M. le rapporteur général. Il est faux de prétendre qu’avec cette réforme les pensions vont baisser. En revanche, ce qui est certain, qu’il faut dire dans un souci de vérité à nos concitoyens et qui est inscrit dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) – auquel chacun de nous est très attaché –, c’est que si nous ne faisons rien, les pensions baisseront. Nous ne pouvons nous y résigner.

Par ailleurs, les Françaises et les Français nous demandent de la lisibilité. Ils connaissent le système par points, qui constitue plus de 50 % des pensions ; le problème est que la retraite de base, fondée sur un système d’annuités, est parfaitement illisible. C’est donc par souci de cohérence que nous voulons généraliser le système par points, ces derniers étant indexés sur les salaires, ce qui permettra de mieux prendre en compte les salaires de début de carrière, sans les écraser. Ainsi, l’ensemble de leur carrière étant prise en compte, nos concitoyens verront leurs pensions augmenter.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Nous avons déjà eu ce débat, et chaque groupe a eu l’occasion d’exprimer sa position sur le système par points. Dans l’article 9 se trouvent nombre des réponses aux questions que se pose notamment La France insoumise sur la valeur d’acquisition et la valeur de service du point ; j’espère que nous pourrons les aborder.

Il est très clairement indiqué dans l’article les conditions dans lesquelles sont définies la valeur d’acquisition et la valeur de service du point, qui sont revalorisées selon la même règle et épousent donc une dynamique commune. On peut contester le système par points, exprimer son désaccord avec le projet du Gouvernement, mais on ne peut pas prétendre qu’il va conduire à des divergences importantes entre la valeur d’acquisition et la valeur de service. Il suffit de se référer au texte, qui indique le contraire.

En ce qui concerne le taux de rendement, nous avons déjà expliqué à plusieurs reprises qu’il serait fixé par la gouvernance, c’est-à-dire par les partenaires sociaux : comment voulez-vous, dans ces conditions, que nous donnions à l’avance des informations sur des éléments qui ne sont pas encore arrêtés ? Si vous souhaitez – et je crois que c’est le cas – que les partenaires sociaux aient un rôle dans la gestion des retraites, il faut leur laisser jouer ce rôle. Cela étant, nous disposons quand même de quelques indications sur le sujet puisque le rapport Delevoye du mois de juillet établissait des hypothèses avec un taux de rendement brut à 5,5 %.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22120 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous tâchons d’expliquer les choses de manière un peu plus claire que vous. Le premier effet de ce système par points, c’est le calcul de la pension sur l’ensemble de la carrière, ce qui ne produit évidemment pas le même résultat que lorsqu’elle est calculée sur les six derniers mois pour la fonction publique, ou sur les vingt-cinq ou dix – ce que nous proposons, pour notre part – meilleures années dans le régime général. Vous intégrez donc dans le calcul les moins bonnes années, tout en nous expliquant que cela améliorerait les droits à la retraite – vous aurez du mal à nous convaincre sur ce point.

Je voudrais aussi dénoncer l’hypocrisie qui entoure le maintien de l’âge, compte tenu de l’âge d’équilibre. Il faut bien préciser, en effet, que la notion d’équilibre ne s’applique pas ici aux trajectoires individuelles mais à l’équilibre financier du système. En d’autres termes, vous faites dépendre le montant des pensions de données financières, et l’âge d’équilibre n’a nullement vocation, dans votre système, à garantir les droits de chacun à la retraite.

La lisibilité que vous nous promettez n’est pas au rendez-vous, parce que vous refusez de garantir ce droit. Nous ne savons même pas quel sera le taux de rendement en 2022. On ne peut pas avancer ainsi, sans garantie, et se dire que les choses se règleront au fil de l’eau. Ce n’est pas sérieux !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À vous écouter, monsieur Dharréville, on a le sentiment que, dans le système tel que vous l’envisagez, certes en exagérant un peu, un fonctionnaire n’aurait à travailler que pendant six mois, et un affilié du régime général pendant vingt-cinq ans, pour acquérir des droits à la retraite. Mais vous semblez oublier qu’il faut valider des trimestres dans un même régime.

Par ailleurs, compte tenu de votre positionnement politique, il me semble que le cœur de votre électorat, ce sont des ouvriers ou des salariés qui ont des carrières relativement plates, au niveau du SMIC ou légèrement au-dessus du SMIC. Or, dans le système actuel, leur vingt-cinquième meilleure année se trouve totalement dévalorisée, puisque le calcul se fait sur la moyenne de vingt-cinq années de salaires revalorisés sur la base de l’inflation. Il y a vingt‑cinq ans, nous étions en 1993, ce qui signifie qu’il y a 40 % d’écart entre la progression par l’inflation et la progression par les salaires, selon les chiffres déjà évoqués.

Le système actuel accentue donc les différences entre les carrières plates et celles qui se sont traduites par d’importantes revalorisations en fin de carrière. Certes, pour ces dernières, le nouveau dispositif écrasera légèrement cette progression, mais l’immense majorité de nos concitoyens, qui perçoivent des rémunérations proches du SMIC ou qui ont des carrières incomplètes, a tout à gagner au calcul par points, qui servira également tous les polypensionnés.

Mme Elsa Faucillon. Il faut arrêter de raconter que vous cherchez à instaurer de la lisibilité dans le système, car l’intervention du secrétaire d’État vient de prouver le contraire. Tous ceux qui l’ont écouté ont pu constater à quel point le Gouvernement maintient le plus grand flou sur son projet.

Par ailleurs, les Français que je rencontre dans ma circonscription ne réclament pas un système plus lisible ; ce qu’ils veulent savoir, c’est quand ils pourront partir, avec quel montant et dans quel état. Ce sont les prestations qui les intéressent et non la manière dont ils vont cotiser.

Enfin, monsieur le rapporteur, si La République en Marche décide des réformes à faire en fonction de son électorat, nous considérons, nous, avant tout, l’intérêt général et la manière de concilier au mieux l’égalité et la liberté. C’est dans cette perspective que nous proposons de retenir, non pas les vingt-cinq meilleures années, mais les dix meilleures.

M. Boris Vallaud. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous ne nous dites pas la vérité. Vous dites qu’il y a un rendement garanti à 5,5 %, mais ce n’est pas dans le texte. Vous dites que la valeur du point sera indexée sur les salaires, mais ce n’est pas vrai. Jusqu’en 2045, la valeur du point évoluera selon un taux supérieur à zéro et compris entre celui de l’inflation et celui de l’évolution des salaires. Après 1945, le point sera indexé sur les salaires, sous réserve de l’équilibre financier du système – et c’est une réserve importante ! Vous dites que les partenaires sociaux pourront débattre, mais ce n’est pas vrai, car vous êtes en train de les corseter. Votre seule règle d’or, c’est celle de l’équilibre financier : il n’y a aucune règle d’or sur les droits sociaux. Dites la vérité et arrêtez de nous donner des chiffres que vous ne démontrez pas !

Mme Clémentine Autain. Plus on vous écoute et plus le brouillard s’épaissit : on est maintenant au cœur du Connemara ! Je partage l’avis de M. Woerth : il n’y aura absolument aucune visibilité et pas de dynamique commune entre la valeur d’acquisition et la valeur de service. La raison en est simple : le système actuel, à prestations définies, va être remplacé par un système à cotisations définies. Nul ne sait quel sera l’âge d’équilibre au moment où il partira à la retraite, pas plus que la valeur du point, puisque ces données seront lissées tous les cinq ans, en vue d’assurer l’équilibre financier du système.

C’est le conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), en se fondant sur l’avis d’un comité d’experts, qui prendra ces décisions et le tout sera validé par décret. Au bout du compte, c’est donc le Gouvernement qui fixera la valeur de service du point. Cette valeur de service bougera nécessairement, parce que tout est corrélé à l’équilibre financier, cette règle d’or de l’austérité budgétaire que vous énoncez à l’article 55 – que nous n’atteindrons pas. Tous ces mécanismes font que nous allons travailler plus longtemps, puisque l’âge d’équilibre va, lui aussi, bouger, contrairement à ce qui est écrit dans votre volume de mille pages, qui est totalement mensonger.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le groupe Les Républicains est tout à fait d’accord avec la nécessité de maintenir l’équilibre financier de notre système de retraite : c’est un impératif et une responsabilité vis-à-vis des générations futures. En revanche, trois points me semblent problématiques dans votre projet. Premièrement, vous nous dites qu’il faudra travailler plus longtemps, mais vous avez retiré l’âge pivot et votre projet ne mentionne pas de durée de cotisation. C’est un vrai paradoxe ! Deuxièmement, vous dites vouloir instaurer un régime universel, mais vous excluez du champ de la réforme un grand nombre de professions : votre système n’a donc plus rien d’universel. Troisièmement, le rapporteur vient de nous dire que les pensions seront garanties et indexées sur la valeur du point, mais ce ne sera pas le cas avant 2045.

Mme Catherine Fabre. Madame Autain, asséner mille fois le même mensonge n’en fait pas une vérité.

Mme Clémentine Autain. Je vous le confirme !

Mme Catherine Fabre. Depuis trois jours, vous répétez des contre-vérités. Sachez que nous ne nous levons pas le matin en nous demandant comment détruire les retraites : nous y tenons, au système de retraite.

La valeur du point n’est rien d’autre qu’une clef de répartition qui remplace celle des vingt-cinq meilleures années. C’est une manière de répartir l’enveloppe globale, dont nous souhaitons d’ailleurs qu’elle reste toujours aussi importante. Cette clef de répartition est moins hasardeuse que celle des vingt-cinq meilleures années, parce qu’elle donne la même valeur à toutes les périodes de la vie professionnelle. Comme le disait M. le rapporteur, cela donne la même valeur au début et à la fin de carrière : ce système favorise donc les faibles pensions et les personnes qui ont des carrières plates. Toutes les études d’impact montrent que cela va augmenter le montant des pensions de retraite de 30 % pour les 25 % les plus pauvres.

M. Jean-Paul Mattei. Il est bien évident qu’il faut assurer l’équilibre financier de notre système. Il serait irresponsable de transmettre une dette à nos successeurs : je suis atterré quand j’entends cela. Je sais bien que François Hollande nous a laissé un budget insincère, mais ce n’est pas une raison... Certes, il existe d’autres solutions pour assurer cet équilibre et l’on peut entendre celle que vous avancez de faire participer le capital. En tout cas, nous ne nous en sortirons pas si le système n’est pas équilibré.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques n° 4753 de Mme Clémentine Autain, n° 4756 de M. Alexis Corbière, n° 4758 de M. Bastien Lachaud et n° 4764 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. À l’alinéa 2, après le mot « carrière », nous proposons d’insérer les mots : « de façon à garantir une pension de retraite lui garantissant un maintien de son niveau de vie ».

Madame Fabre, permettez-moi de vous répondre sur deux points.

Premièrement, pour revenir au débat que nous avons déjà eu hier et avant-hier, il ne fait aucun doute que la prise en compte des vingt-cinq meilleures années est plus favorable que la prise en compte de l’ensemble de la carrière. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait de grandes études pour le comprendre. Nous avons déjà un point de repère, puisque lorsqu’on est passé des dix meilleures aux vingt-cinq meilleures années, cela s’est traduit par une dégradation des pensions. Prendre en compte l’ensemble de la carrière va encore dégrader la situation.

Deuxièmement, s’agissant des travailleurs les plus pauvres, la retraite minimum à 85 % du SMIC était déjà inscrite dans la « loi Fillon » de 2003. Vous êtes donc en train de nous revendre des dispositions qui sont déjà dans la loi, mais qui ne sont pas appliquées.

M. Alexis Corbière. Il est essentiel que nous précisions nos objectifs. Nos collègues de la majorité disent qu’il faut assurer l’équilibre financier. Soit, mais dans quel but ? En fonction de ce dernier, la manière d’atteindre l’équilibre financier peut varier. Le problème, c’est qu’en ouvrant la conférence de financement, le Premier ministre a d’emblée cadré la discussion en ne retenant comme seul levier possible que l’allongement de la durée du temps de travail. D’autres paramètres pourraient être modifiés, mais on ne nous permet pas d’y toucher, ce qui limite nos discussions.

Dans ce contexte, il importe d’écrire dans la loi que nous voulons assurer une pension de retraite qui garantisse à chacun le maintien de son niveau de vie. Sur la base de ce principe, nous pourrons, en tant que législateurs, actionner d’autres leviers, par exemple l’augmentation des cotisations. La France insoumise estime qu’en consacrant 1 ou 2 points de PIB supplémentaires aux retraites, nous assurerons un niveau de pension acceptable à tous. Si nous ne fixons pas des objectifs précis, la discussion restera totalement abstraite.

M. Bastien Lachaud. Ce qui importe, en effet, c’est de définir la finalité de notre système de retraite : le voulons-nous en capacité de garantir le niveau de vie des retraités ou le voulons-nous à l’équilibre ? Garantir le niveau de vie n’implique pas d’avoir un système en déséquilibre ; par contre, un système qui ne vise que l’équilibre ne garantit pas le maintien du niveau de vie.

Permettez-moi de prendre un exemple, qui est développé par le Conseil supérieur de la fonction militaire. Prenons deux généraux en fin de carrière. L’un a fait Saint-Cyr, a commencé aspirant et a été officier toute sa vie ; l’autre est issu du rang et est devenu général en fin de carrière. Celui qui a eu le mérite de s’élever en empruntant l’escalier républicain qui fait l’honneur de l’armée, n’aura pas le même niveau de pension que l’autre général. Votre réforme vous paraît-elle vraiment juste ?

M. Adrien Quatennens. Premièrement, nous ne sommes pas des défenseurs du système actuel, et nous ne sommes pas favorables au statu quo. Compte tenu des coups de canif que ce système a déjà reçus, nous considérons que les gens partent trop tard et trop pauvres à la retraite. Ne vous contentez pas de faire des comparaisons avec le système actuel, nous n’en sommes pas les défenseurs !

Deuxièmement, nous avons, nous aussi, le souci de l’équilibre financier. Alors, cessez de faire comme si vous seuls étiez sérieux. Notre contre-projet est financé et assurera un système à l’équilibre. Notre collègue de La République en Marche a dit à l’instant que si nous ne faisons rien, les pensions baisseront. C’est vrai, mais si vous appliquez votre réforme, les pensions baisseront aussi. Travailler plus longtemps ou diminuer le niveau des pensions, ce sont deux manières de dire la même chose : le poids de l’effort pèsera sur les actifs.

Si nous voulons garantir l’équilibre financier sans faire peser tout l’effort sur les actifs, la question que nous devons nous poser est la suivante : sur quelles recettes supplémentaires pouvons-nous compter pour garantir le niveau des retraites ? Des leviers existent : la hausse des salaires et la hausse des cotisations. Votre règle d’or se limite à ces deux mots d’ordre : 14 % du PIB et équilibre financier. Notre règle d’or, c’est la retraite à 60 ans, aucune pension en dessous du SMIC pour une carrière complète et personne sous le seuil de pauvreté. Nos objectifs sont radicalement différents.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Quatennens, je sais très bien que vous n’êtes pas un défenseur du système actuel et que vous n’en êtes pas l’artisan – contrairement à d’autres groupes d’opposition qui ont une part de responsabilité dans l’évolution du système actuel. Vous voulez, comme nous, améliorer le système et agir en faveur des carrières les plus difficiles, les plus heurtées, les plus fragiles.

À cet égard, j’ai été un peu surpris que M. Lachaud évoque la situation des généraux. Je ne dis évidemment pas qu’il ne faut pas les prendre en considération mais j’ai été surpris que ce soit votre groupe qui le fasse. Notre priorité, c’est de favoriser la redistribution en direction de nos concitoyens les plus faibles. Les militaires, dont il a été question, ont une carrière linéaire et ascendante. Mais il se trouve que les carrières ascendantes, sans accident et qui montent à un niveau aussi élevé ne sont pas le cas le plus commun. Pour notre part, nous pensons qu’il faut revaloriser prioritairement les pensions de ceux de nos concitoyens qui ont les carrières les plus difficiles, avec un salaire autour du SMIC.

S’agissant du maintien du niveau de vie, il est déjà fait mention à l’article 1er de la « garantie d’un niveau de vie satisfaisant ». Les personnes les plus fragiles doivent, en proportion, avoir davantage que ceux de nos concitoyens qui ont eu une belle carrière : il ne semble donc pas judicieux d’établir une proportion qui serait valable pour tous.

Madame Dalloz, vous êtes revenue sur le système par points. Aujourd’hui, 30 % à 50 % des pensions sont versées par l’AGIRC-ARRCO, un régime par points qui est piloté par les partenaires sociaux. Or l’AGIRC-ARCCO est à l’équilibre et a même 70 milliards de réserves – si je ne me trompe pas. Cela prouve que les partenaires sociaux sont capables de piloter un tel régime.

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas dans le système que vous proposez !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous souhaitons nous inspirer de l’AGIRC-ARCCO, car ce système est lisible et a fait ses preuves.

M. Gérard Cherpion. Alors pourquoi la supprimer ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Faucillon, je pense que vous avez, comme moi, rencontré nos concitoyens lors des cérémonies des vœux du mois de janvier ou sur les marchés. Moi aussi, ils me demandent combien ils vont toucher, parce qu’ils ne savent pas comment faire le calcul. Le système actuel manque de lisibilité : le système par points sera beaucoup clair. Nombreux sont ceux qui découvrent douloureusement, au moment de prendre leur retraite, que leur pension ne s’élèvera qu’à 600, 700 ou 800 euros, après une longue vie de labeur. Désormais, la retraite minimum sera à 85 % du SMIC, soit 1 000 euros. Cela reste très modeste, mais c’est un vrai progrès par rapport à la situation actuelle.

Avis défavorable aux amendements.

M. Pierre Dharréville. Quand vous évoquez la lisibilité et la redistributivité de votre projet, on a un peu le sentiment que c’est le père Castor qui nous raconte une histoire, car vous ne faites aucune démonstration. La seule manière d’assurer la lisibilité et la redistributivité du système, c’est d’avoir un taux de remplacement garanti ; or vous ne voulez pas en entendre parler.

Vous dites vouloir mieux prendre en compte les carrières accidentées et les carrières plates, mais votre système par points crée des malus à chaque accident de parcours. Il faudrait que les gens puissent se former et se qualifier tout au long de leur vie pour connaître une évolution de carrière. Or vous ne proposez rien en ce sens : vous parlez des carrières plates comme si elles étaient une fatalité.

M. Thibault Bazin. Ne nous trompons pas de débat : pour leur retraite, les Français n’attendent pas des points, mais des euros. Et tout l’enjeu est de savoir comment les points vont se transformer en pensions sonnantes et trébuchantes. Vous voulez favoriser la clarté et la lisibilité ? Alors indiquez aux Français, non pas combien de points ils vont acquérir, mais quelle sera leur valeur à la retraite – autrement dit, leur pouvoir d’achat.

Aujourd’hui, les systèmes par points bien gérés ne sont pas pilotés par l’État. Quand l’État gère, que se passe-t-il ? Au cours des deux dernières années, on a eu droit à la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités et à la sous-indexation des pensions de retraite par rapport à l’inflation. Dans ce contexte, l’étatisation du système est-elle vraiment souhaitable ?

Surtout, ce nouveau système étatisé, que l’État pourra arbitrer chaque année par décret, protégera-t-il le niveau de vie des retraités et des futurs retraités sur la durée ? Rien ne garantit que 10 euros cotisés donneront les mêmes droits en valeur réelle aux générations suivantes. La génération 1975-2004 est dans le plus grand flou, peu assurée de la bonne valorisation de ses premières années de carrière. La vérité, et beaucoup de Français l’ont compris, c’est que sans la garantie d’un régime équilibré pour demain, le système favorisera la baisse des retraites en valeur réelle – car Bercy ne manque pas d’imagination.

M. Hervé Saulignac. Une fois n’est pas coutume, je partage assez largement l’avis de notre collègue Thibault Bazin, dont les propos m’ont fait penser à une formule de Coluche, qui disait que les Français ne demandent pas du travail et que de l’argent suffirait.

Monsieur le rapporteur, au moins faites-vous vivre le débat en affirmant vouloir revaloriser les pensions des Français qui ont fait toute leur carrière autour du SMIC – j’imagine que personne ici ne s’oppose à cet objectif. Mais pour quelqu’un qui a trimé toute sa vie, recevoir une pension de 1 000 euros pour une carrière pleine, à 65 ans au plus tôt, ce n’est pas vraiment ce que j’appelle une revalorisation ! Par ailleurs, je crains que ce que vous affichez comme une revalorisation notoire ne se fasse aux dépens de tous ceux qui sont à deux ou trois SMIC en fin de carrière.

Pour en revenir aux amendements, vous ne pouvez pas refuser d’inscrire dans la loi le principe du maintien d’un niveau de vie décent.

M. Adrien Quatennens. Vos objectifs, ce sont l’équilibre financier et la limitation de la part des ressources consacrées aux retraites, ce qui implique que le niveau des pensions et l’âge du départ à la retraite seront bel et bien les variables d’ajustement. Nous aussi, nous visons l’équilibre, mais avec un âge de départ et un niveau de pension garantis. La variable, pour nous, c’est la part des ressources consacrée aux retraites. Vous demandez aux Français de soutenir une réforme qui vise surtout à ne pas mieux répartir les fruits de la richesse produite.

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, n’estimez-vous pas que le travail des Français, aujourd’hui, produit suffisamment de richesses pour financer le départ à la retraite à un âge et avec un niveau de pension que l’on puisse garantir ? Vous dites souvent que la France détient le record du monde de la dépense sociale. Vous dites moins souvent que nous avons aussi le record du monde des dividendes versés aux actionnaires. Qui produit ces richesses ? Ce sont bien les actifs. Or c’est sur les actifs que vous faites peser l’intégralité de l’effort pour atteindre votre équilibre financier.

Mme Carole Grandjean, rapporteure pour le titre IV. Je rappelle que le titre IV du projet de loi concerne la CNRU et qu’il décrit la composition et les missions de son conseil d’administration. Paritaire, il aura une capacité de proposition et veillera à l’équilibre financier du système – un objectif qui nous réunit. Il discutera des différents paramètres et pilotera l’ensemble du système. Le conseil d’administration de la CNRU travaillera aussi en lien avec le comité d’experts, composé de représentants du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental, et le conseil citoyen.

M. le rapporteur général. J’aimerais clarifier un point, parce que je crois qu’une erreur est en train de s’installer. À plusieurs reprises, certains d’entre nous – et j’en fais partie – ont dit que si nous ne faisions rien, le niveau de pension des retraités pourrait baisser. En réalité, si nous ne faisons rien, il va y avoir un décrochage entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités. C’est ce que dit le COR, et ce n’est pas la même chose que de parler d’une baisse des pensions.

M. Adrien Quatennens. C’est pareil !

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques n° 4907 de Mme Clémentine Autain, n° 4910 de M. Alexis Corbière, n° 4912 de M. Bastien Lachaud et n° 4918 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 à 8 de l’article 8, relatifs à l’inscription des points au compte personnel de carrière. Nous ne voulons pas du régime à points, non seulement parce qu’il ne nous paraît absolument pas lisible, mais parce que nous pensons qu’il est la voie conduisant à une très grande régression.

J’aimerais reprendre un exemple concret que j’ai déjà exposé et au sujet duquel je n’ai reçu aucune réponse. Imaginons un ouvrier qui aurait commencé à travailler à l’âge de 20 ans et qui aurait travaillé pendant quarante-trois ans. À l’heure actuelle, il devrait partir à la retraite à 63 ans. Si, au moment où il prendra sa retraite, l’âge d’équilibre est à 65 ans, il aura une décote de 10 %, pour les deux années qui lui manquent. Imaginez qu’il se produise un krach boursier et que le conseil d’administration de la CNRU décide, pour y faire face, de faire passer l’âge d’équilibre à 66 ans : il aura 5 % de décote supplémentaire. J’aimerais qu’on me réponde précisément sur ce point.

M. Alexis Corbière. Nous nous perdons parfois dans des débats techniques, sur cette question des points, alors que la question essentielle est celle de l’objectif que nous assignons à notre système de retraite. Nous voulons un système lisible, qui garantisse à nos concitoyens un niveau de vie correct au moment de la retraite. Or vous ne pouvez pas nier que le point introduit une forme de variabilité.

Je rappelle, par ailleurs, que les ordonnances de 2017 ont supprimé des critères de pénibilité, et on a du mal à croire que vous allez à présent les prendre en compte en leur attribuant de points. Avec cet amendement, nous demandons la suppression des alinéas 4 à 8, c’est-à-dire du système à points, parce qu’il existe d’autres options. On pourrait, par exemple, augmenter les cotisations. En tout cas, la variabilité du point n’est pas satisfaisante et elle l’est d’autant moins que ce n’est pas le législateur qui aura la main dessus.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, je ne vois pas pourquoi notre groupe ne pourrait pas défendre les droits à la retraite des généraux. Je vous parlerai des adjudants‑chefs à l’article 37, si nous l’atteignons...

Vous dites vous préoccuper d’améliorer la retraite des plus pauvres et des plus faibles, mais avec les alinéas 4 à 8, vous supprimez le principe de solidarité. Alors que la solidarité nationale compensait les accidents et les trous de carrière, dans votre nouveau système, des personnes au SMIC ne cumuleront plus de points pendant leurs années de chômage, ce qui les pénalisera fortement. Ce n’était pas le cas lorsqu’on prenait en compte les vingt-cinq meilleures années et, a fortiori, les dix meilleures. Votre objectif affiché de soutenir les petites carrières et les plus pauvres est en contradiction avec le fait de prendre en compte la totalité de la carrière.

M. Adrien Quatennens. Je vais reposer la question à laquelle le secrétaire d’État et le rapporteur n’ont pas répondu. N’estimez-vous pas que le travail des Français produit déjà suffisamment de richesse pour financer un départ à la retraite à 60 ans et un niveau de pensions digne ? Votre réforme, dans la mesure où elle se fixe comme objectifs l’équilibre financier et un budget contraint, érige un rempart contre le meilleur partage de la richesse produite. Pour financer les propositions que nous formulons, nous avons besoin de consacrer 2 points de PIB de plus aux retraites d’ici à 2040. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, combien de points de PIB sont passés de la rémunération du travail à la rémunération du capital ces dernières années ? Le débat essentiel, le seul qui vaille, c’est celui sur le partage de la richesse produite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Après chacune de vos interventions, j’ai l’impression de passer l’oral du baccalauréat et d’avoir 2 heures pour préparer un exposé sur le fonctionnement de la sécurité sociale. C’est évidemment un sujet important et je dis cela avec le sourire.

J’ai aussi envie de sourire à cause de M. Bazin : hier, il nous parlait de James Bond, et aujourd’hui, il nous demande : « Comment l’État gère ? ». De votre côté, prenez garde à ne pas vous retrouver... au placard, monsieur Bazin !

L’AGIRC-ARRCO est la preuve qu’un système par points géré de façon paritaire peut être à l’équilibre, et même faire des réserves en cas de coup dur. Certaines décisions ont été difficiles à prendre, notamment au moment du rapprochement de l’AGIRC et de l’ARRCO. Au sein de l’AGIRC-ARRCO, les partenaires sociaux ont pu prendre des décisions responsables, aussi bien vis-à-vis de leurs pensionnés que des finances publiques.

J’ai également un argument plus politique. Dans le système actuel, qui compte quarante-deux régimes, les décisions prises par les conseils d’administration des différentes caisses sont assez peu médiatisées. Lorsqu’il y aura une caisse unique, la CNRU, ses décisions seront scrutées de près et vous pourrez, mesdames, messieurs les députés, veiller au respect des droits des pensionnés bien plus facilement que dans le régime actuel, aux quarante-deux régimes.

Monsieur Quatennens, vous m’interrogez sur la part de dépenses publiques qui pourrait être consacrée aux retraites. Aujourd’hui, la dépense publique représente 54 % du PIB en France : cela nous place en tête au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous pourrions faire le choix d’accorder une part plus importante de nos dépenses aux retraités, mais il existe aussi d’autres urgences sociales et d’autres priorités budgétaires : l’hôpital public, la justice, nos forces de sécurité intérieure qui sont sous-équipées...

Madame Autain, l’hypothèse que vous faites d’un report de l’âge d’équilibre du fait d’un krach boursier n’est pas fondée, puisque l’âge d’équilibre évolue en fonction de l’espérance de vie. Si un krach boursier se produit, la meilleure façon d’y faire face sera de compter sur la solidarité nationale dans son ensemble. Or plus notre système par répartition reposera sur une base large, mieux il absorbera le choc : c’est le système le plus résilient qui soit.

Avis défavorable aux amendements.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Quatennens, vos affirmations sont contestables. Vous dites que ce sont les salariés qui paient aujourd’hui les retraites, mais en réalité, c’est l’ensemble de l’économie : les salariés, pour les cotisations sociales salariales, les entreprises pour les cotisations sociales patronales et l’État, avec la fiscalité sur le travail et le capital et la CSG pour la partie sociale, qui représente un quart du budget des retraites.

J’aimerais surtout souligner l’ineptie de votre projet. Vous proposez de consacrer 2 à 4 points de PIB supplémentaires aux retraites pour financer le départ à 60 ans. Pour ce faire, il y a deux solutions. Soit vous misez tout sur la fiscalité du capital, auquel cas vous mettez fin au paritarisme pour adopter un système totalement public et beveridgien. Soit vous estimez qu’il faut aussi faire porter la charge sur le travail et, dans ce cas-là, les jeunes d’aujourd’hui, qui seront les vieux de demain, feront travailler les jeunes de demain comme des forcenés. Ils ne pourront plus être employés parce qu’ils seront trop chers et ce sera la guerre des générations.

M. Boris Vallaud. J’aimerais rétablir quelques vérités. D’abord, si un choc boursier se produit, la solidarité nationale dans son ensemble l’absorbera effectivement. Mais, en réalité, votre système de règle d’or, avec sa périodicité de cinq ans, va conduire à ce que l’on appelle des ajustements procycliques : en cas de crise, votre système l’aggravera.

Par ailleurs, vous considérez l’équilibre financier du système de retraite indépendamment de la protection sociale dans son ensemble. Or il existe un périmètre beaucoup plus large qui, lui, est largement excédentaire.

En réalité, la valeur de service du point n’est indexée que sur une chose, l’équilibre financier du système, et non sur l’inflation ou sur les salaires, comme vous l’écrivez. C’est votre seule règle d’or : le taux de remplacement et l’âge de départ à la retraite serviront de variables d’ajustement en cas de choc asymétrique.

M. Jean-Paul Mattei. L’article 8 concerne le compte personnel de carrière, sur lequel vont s’accumuler des points. Ce système me paraît excellent, car chacun aura une vision précise de ses points et de ses droits. J’atteins l’âge de la retraite et lorsqu’on a fait les premiers calculs de mes droits à pension, on a oublié dix années de ma carrière salariée : faire la liste de mes premiers petits boulots n’a pas été chose facile. Chacun aura désormais un compte individualisé d’une parfaite clarté et c’est une excellente mesure. Une telle crispation contre ce système à points me semble totalement illogique.

Mme Elsa Faucillon. Mme Fabre nous a dit tout à l’heure qu’elle ne se levait pas le matin en se demandant comment elle allait pouvoir détruire le système de retraite. Tant mieux ! Mais on nous a raconté la même chose sur le droit du travail et sur l’assurance chômage, et on voit aujourd’hui ce qu’il en est. Dans ces conditions, il est de plus en plus difficile de vous croire.

Vous avez déjà tenté hier et avant-hier de nous expliquer qu’en prenant en compte les moins bonnes années d’une carrière, ce sera mieux qu’en prenant les meilleures. J’avoue que nous peinons à comprendre vos calculs arithmétiques. De surcroît, les précédentes réformes, dans la continuité desquelles vous vous inscrivez, ont fait l’objet d’études et d’évaluations. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a, par exemple, démontré que le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années dans le privé a entraîné une diminution de 6 % du niveau des pensions. Alors cessez de nous raconter des histoires en nous parlant de la solidarité nationale, alors que M. Mattei vient de confirmer que chacun sera responsable et comptable de son propre sort !

M. Stéphane Viry. Le bureau de la commission spéciale a fixé l’organisation de nos débats : il a été convenu qu’un orateur de chaque groupe s’exprimerait sur chaque amendement, pour une durée d’une minute. Or M. le rapporteur dispose de beaucoup de temps pour aborder beaucoup de sujets – c’est son droit –, ce qui limite notre capacité à répondre sur des questions essentielles.

Ainsi, s’agissant de l’AGIRC-ARRCO, vous dites que c’est un système qui fonctionne très bien, avec une gouvernance assurée par les seuls partenaires sociaux et une règle d’or de gestion. Pourquoi diable avez-vous pris la décision de la supprimer puisqu’elle est exemplaire ? Concernant la connaissance et la lisibilité, on ne peut pas dire que rien n’existe : les Français peuvent déjà consulter le site Info Retraite, qui fournit des informations particulièrement fiables sur ce sujet. Enfin, je réfute le point comme gage d’information puisqu’il pourra bouger en cours de carrière, selon l’âge d’équilibre et la gouvernance. Comment pourra-t-on l’évaluer en fin de carrière ? On ne le sait pas !

Mme Célia de Lavergne, présidente. Je précise qu’une réunion du bureau, ce soir à 19 heures 45, reviendra sur l’organisation de nos débats.

M. Adrien Quatennens. J’aimerais entendre le secrétaire d’État et le rapporteur sur la question suivante : n’estimez-vous pas que le travail des Français produit suffisamment de richesses et qu’une meilleure répartition de celles-ci permettrait de garantir un âge de départ et le niveau des pensions ?

Par ailleurs, monsieur Maire, la retraite à 60 ans, la garantie d’une pension au SMIC pour une carrière et personne sous le seuil de pauvreté, cela représente seulement 2 points de PIB de plus d’ici à 2040. Depuis 1982, la richesse créée par actif a augmenté de 30 % : alors que, dans les années 1980, 2 points de PIB par an étaient redistribués aux salariés, ce ratio est tombé à 0,7 point de PIB par an depuis les années 1990. La question de la répartition des richesses est donc bien au cœur du débat sur les retraites.

M. le rapporteur général. Le système de retraite complémentaire de l’AGIRC-ARRCO fonctionne bien et peut en effet nous servir de modèle. En revanche, le système de base pose des problèmes d’équilibre et d’incompréhension, nous obligeant à des réformes permanentes qui mettent notre pays dans la difficulté et lui font connaître des crises sociales à répétition. Il est donc normal que nous nous inspirions du modèle AGIRC-ARRCO.

M. Éric Woerth. J’aimerais savoir comment s’organisent les débats parce que nous n’avons pas le temps de nous expliquer. Il y a beaucoup de rapporteurs : le rapporteur général vient de parler, le rapporteur a parlé, un orateur de la majorité a parlé, le secrétaire d’État parle quand il le souhaite : ce n’est pas possible d’avoir trois représentants de la majorité sur chaque sujet ! Tous les rapporteurs parlent et cela n’est pas décompté du temps de parole de la majorité !

Mme Célia de Lavergne, présidente. Monsieur Woerth, en tant que président de commission, vous savez que nous nous tenons à des règles.

M. Éric Woerth. Aucune règle n’impose que plusieurs rapporteurs prennent la parole !

Mme Célia de Lavergne, présidente. Il y a un rapporteur général et un rapporteur thématique, chacun étant appelé à s’exprimer. Lorsqu’un rapporteur intervient sur un rapport thématique qui n’est pas le sien, cela est décompté comme un temps de la majorité, limité à une minute. Ce sont les règles que nous avons fixées en bureau et je vous invite, monsieur Woerth, à faire connaître votre observation à l’ensemble des membres du bureau.

M. Éric Woerth. Votre disque est rayé !

M. Jean-Jacques Bridey. Un peu de respect !

M. Éric Woerth. Où est le manque de respect ? Les règles ont été fixées et vous ne les respectez pas !

M. le secrétaire d’État. Notre pays consacre une part très significative de ses richesses à la redistribution ; il est même l’un des pays de l’OCDE qui redistribue le plus, et nous ne pouvons que nous en réjouir, même si l’on a le droit d’en souhaiter davantage, monsieur Quatennens. Le Gouvernement se montre attentif à une juste répartition de la valeur ajoutée produite dans l’entreprise ; il a notamment adopté des mesures dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises pour encourager les politiques d’intéressement, même dans les petites et moyennes entreprises.

Monsieur Vallaud, vous n’avez sans doute pas bien écouté – ou alors l’avez-vous fait à travers vos filtres personnels – ce que j’ai dit : le projet de loi prévoit très clairement, dans son article 9, que la valeur de service et la valeur d’achat sont indexées sur le même taux.

Sur le montant de pension qui serait redistribué, je vous renvoie à l’étude d’impact : même si elle est contestée, elle contient tout de même des informations intéressantes. En page 132, le tableau n° 13 vous indique très clairement la répartition en quartile de l’ensemble de la génération 1980 : l’évolution des pensions est significative avant et après la réforme, et très favorable aux 25 % des retraités les plus modestes. En page 176, le graphique n° 59, qui retrace l’évolution de la pension annuelle moyenne de droit direct par génération en euros constants, montre que l’évolution proposée par le système universel est positive.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 4805 de Mme Clémentine Autain, n° 4808 de M. Alexis Corbière, n° 4810 de M. Bastien Lachaud et n° 4816 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. J’ai bien écouté le rapporteur nous expliquer que l’âge d’équilibre serait désormais calculé sur l’espérance de vie : c’est faux, archifaux ! À cause de votre choix de la procédure accélérée, notre commission n’arrivera pas à l’article 55 et c’est fort dommage, car cet article est extrêmement précis : tous les cinq ans, sur la base d’un rapport du comité d’expertise indépendant, le conseil d’administration de la CNRU proposera une trajectoire financière du système de retraite sur un horizon de quarante ans, avec ces fameux glissements sur cinq ans qui permettront de modifier les paramètres chaque année. Mais quelle est la règle pour modifier ? C’est une règle d’or d’austérité budgétaire, et c’est indiqué tout à fait clairement dans l’étude d’impact du projet de loi, en page 926 : l’objectif est de « permettre d’assurer [...] une meilleure maîtrise de l’impact financier du système universel de retraite, notamment à travers la mise en place d’une règle d’or imposant le retour à l’équilibre tous les cinq ans [...] ». La logique est donc bien financière et ne se soucie pas de l’espérance de vie.

M. Alexis Corbière. Le calcul sur la totalité de la carrière dégradera les pensions de retraite : toutes les études de la CNAV sur la réforme Balladur de 1993 ont démontré que six salariés sur dix ont vu leur pension baisser dès lors que l’on est passé des dix aux vingt‑cinq meilleures années. Depuis 1982, les richesses produites en France ont augmenté de 30 % en raison de la productivité des salariés. En 1990, 75 % de ces richesses étaient consacrés aux investissements ; cette part est tombée à 57 %, tandis que la part des richesses accordées aux actionnaires est passée de 22 % à 36 % : ne pourrait-on pas réfléchir à une meilleure répartition ? C’est la grande controverse qui traverse ce pays depuis plusieurs décennies, voire un siècle, et les discussions techniques sur les points ne servent que de paravent à votre volonté de ne pas aborder le sujet. Pour garantir un niveau de vie décent, il faut consacrer une part des richesses plus importante aux pensions de retraite, ce que vous refusez de faire.

M. Bastien Lachaud. Notre collègue Fabre nous a dit qu’elle ne se levait pas le matin avec l’objectif de détruire les retraites ; force est de constater qu’elle se couche le soir en l’ayant fait ! À la suite de la réforme Balladur, qui a fait passer le nombre d’annuités de dix à vingt-cinq et la durée de cotisation de trente-sept ans et demi à quarante, les pensions ont baissé de 6 % – sur une moyenne de pensions de 7 110 euros, 660 ont été perdus. Quand on passera de vingt-cinq ans à la totalité de la carrière, la perte sera encore plus importante.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le secrétaire d’État, vous considérez que nous consacrons déjà beaucoup d’argent aux dépenses sociales et vous avez même dit que c’était plutôt bien, mais cela ne répond pas à la question que je vous ai posée : estimez-vous que les Français produisent suffisamment de richesses par leur travail, et est-il vrai que si nous organisions une meilleure répartition de la valeur produite, nous pourrions sans trop de difficultés garantir un âge de départ et un niveau de pension ? Il est bien entendu que répondre par l’affirmative ne vaudrait pas, de votre part, accord avec cette conception.

La droite a souvent dû faire des réformes paramétriques par le passé ; pour votre part, vous organisez un système qui contient à lui seul toutes les futures réformes qu’il aurait fallu faire à l’avenir pour ne pas partager davantage la richesse produite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Concernant l’organisation des débats, j’essaye de ne pas répondre systématiquement « défavorable », pour ne pas crisper les débats. Je réponds donc à des questions parfois posées sur des amendements précédents : la discussion peut paraître décousue, mais nous arrivons ainsi à aborder les sujets de fond. Par ailleurs, le secrétaire d’État ne répond pas systématiquement, pas plus que le rapporteur général : il n’y a donc pas trois prises de parole de la majorité sur chaque amendement.

Nous ne proposons pas de supprimer l’AGIRC-ARRCO mais d’en élargir le système.

M. Gérard Cherpion. Vous l’étatisez !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les acteurs ne seront pas exactement les mêmes, mais le principe reste le même. Quant à Info Retraite, on peut y trouver des informations sur les droits à la retraite des régimes alignés, mais, dès que le système est un peu plus complexe, c’est le brouillard complet !

L’espérance de vie est effectivement un critère à la main de la CNRU, mais la règle de répartition reste de deux tiers de durée d’activité pour un tiers de durée de vie en retraite ; elle est réitérée dans les articles du projet de loi. En tout état de cause, l’espérance de vie n’augmente pas d’un an chaque année.

Enfin, monsieur Vallaud, une question peut effectivement se poser en termes de gouvernance s’agissant de la périodicité de cinq ans au regard de la durée d’un cycle économique, qui est de huit ou dix ans. Il faut donc, en prévision d’une crise économique, comme le fait l’AGIRC-ARRCO, constituer des réserves qui serviront d’amortisseur social. Nous aborderons ce sujet ultérieurement dans le débat.

Avis défavorable aux amendements.

M. Boris Vallaud. Je ne sais si vous m’avez mal compris, monsieur le secrétaire d’État, ou si c’est votre réforme dans son ensemble que vous avez du mal à comprendre : je n’ai jamais prétendu qu’il y avait une dissociation dans l’indexation de la valeur d’acquisition et de la valeur de service du point. J’ai simplement dit que lorsque vous prétendiez que ces valeurs étaient indexées sur l’évolution des salaires, c’était un mensonge, parce que c’est sous réserve de l’équilibre financier du système. Avant 2045, l’indexation est calculée sur une valeur comprise entre l’inflation – cette valeur doit être supérieure à zéro – et l’évolution des salaires. Par le simple fait du décalage de l’entrée en vigueur de la réforme, vous faites des économies : ainsi, pendant vingt-trois ans, jusqu’à ce que les premiers retraités commencent à être concernés par le système, le rendement, fixé à 5,5 % dans toutes vos hypothèses, se dégradera très vraisemblablement. En tout cas, vous ne pouvez pas formuler l’hypothèse que cela ne bougera pas.

M. Éric Woerth. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais la gestion de la Caisse est conçue de telle façon que, in fine, c’est le Gouvernement qui décide. Les paramètres sont l’essentiel du sujet, car ce sont eux qui font fonctionner le système : un moteur sans essence ne sert à rien ! Tout votre système dépend des paramètres : il s’agit bien d’une réforme paramétrique et non systémique. Or ces paramètres sont à la main du Gouvernement.

Il y a un certain nombre de fondamentaux. Oui, les pensions vont baisser à l’âge légal – c’est ce que veut dire l’âge pivot, d’ailleurs ! Vous ne voulez pas le reconnaître mais c’est comme cela que ça marche, et c’est très inquiétant. Les points ne signifient rien : ce n’est qu’une modalité technique. Ce qui importe, c’est ce qu’il y a autour des points, à savoir tous les paramètres permettant notamment de déterminer leur valeur.

Mme Clémentine Autain. Ajuster l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie est en soi contestable, car on peut vivre plus longtemps sans être obligé de travailler plus longtemps. Or, dans votre projet de loi, ce n’est absolument pas le paramètre décisif et final puisqu’y figurent aussi les paramètres économiques et financiers. Ce qui est complètement fou, c’est qu’avant, il fallait en passer par la loi pour changer un paramètre, que ce soit l’âge de départ ou le niveau de pension. Désormais, vous pourrez le faire sans transparence, sans débat national, sans passer par le Parlement, par simple décret. Les paramètres seront totalement dans la main des gouvernements successifs, sans aucune discussion parlementaire, sans débat national. C’est un véritable hold‑up démocratique d’inscrire dans le marbre de la loi que l’on pourra demain, par simple décret, et hop ! changer l’âge de départ et baisser le niveau des pensions. C’est un véritable scandale démocratique !

M. Pierre Dharréville. L’AGIRC-ARRCO est un système de retraite complémentaire : sa création a donné lieu à un débat sur son éventuelle intégration dans le régime général – cela n’a pas été le cas finalement. Quant à vous, vous proposez une réforme à l’envers, c’est-à-dire que vous voulez intégrer le régime général dans le système par points ; ce n’est pas tout à fait la même chose.

La redistribution n’est pas le fait des points mais du filet de sécurité minimum que vous avez fixé. On peut tout à fait, dans le système actuel, prendre des mesures de correction pour avoir droit à un trimestre, pour revenir à l’indexation des droits sur les salaires, comme avant 1993, pour améliorer les droits liés à la maternité, etc. Si l’on ne fait rien, dites-vous, cela va baisser : que faites-vous pour que cela ne baisse pas ? Rien !

Vous n’êtes pas opposés à la redistribution des richesses mais vous vous demandez si l’on n’a pas déjà atteint un niveau suffisant de redistribution. Je vous réponds non ! Quant à ce qui est d’éviter les trop nombreux conflits sociaux qui éclatent à chaque réforme des retraites, vous ne cherchez qu’à passer en catimini vos mauvaises mesures !

M. Jean-Paul Mattei. Nous sommes en train de mettre en place une méthode fondée sur la fixation du point ; il ne faut pas aller au-delà. Monsieur Vallaud, vous nous accusez de mentir sur l’indexation. Or on sait très bien qu’il n’y a pas de certitude dans ce monde. Il suffit de voir le nombre de lois de finances rectificatives qui sont votées – cinq ou six sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy ! Les événements font que l’on doit bouger les règles, c’est une évidence ! Ce serait mentir que de dire aux Français que tout est figé ! On met en place une méthode, des outils, une gouvernance qui assurent le plus de transparence et de solidarité : admettons que c’est une bonne méthode !

Mme Carole Grandjean, rapporteur pour le titre IV. Je me demande si nous avons tous lu le même projet de loi. Le titre IV prévoit clairement que la CNRU propose des orientations donnant lieu à un débat annuel devant la représentation nationale en projet de loi de financement de la sécurité sociale : chaque parlementaire pourra ainsi s’exprimer sur ces orientations. Par ailleurs, quand l’AGIRC-ARRCO a fixé des orientations nouvelles, elle ne l’a pas fait dans le débat public : nous n’en avons absolument pas discuté au sein de la représentation nationale.

Mme Cendra Motin. Excellent !

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement n° 21558 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Le problème, c’est que vous défendez votre système en poussant tous les curseurs à fond, comme si vous n’aviez pas prévu que cela ne se passerait pas tout à fait comme cela dans la réalité. Nous discutons ce choix que vous faites de toujours retenir, au sein d’indicateurs variables, le meilleur cas de figure. Or on sait très bien que les choses ne se passeront pas comme cela, et que toute nouvelle crise pèsera directement sur l’âge, sur les pensions, etc.

Le mode de gouvernance pose également problème. Les partenaires sociaux pourront être force de proposition, dites-vous : c’est un changement de paradigme majeur ! La gestion par les assurés était déjà bien abîmée, mais, là, nous sommes carrément dans un autre registre, il ne faut pas nous raconter d’histoire ! Les partenaires sociaux eux-mêmes le disent : vous étatisez le système et vous les mettez à la porte ! Ils ne disposeront plus que d’un strapontin pour écouter la discussion et faire éventuellement quelques suggestions ! Il faut que vous assumiez la réalité de votre texte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’histoire de la création de la sécurité sociale est très instructive. En 1945, le Conseil national de la Résistance, sous la houlette du général de Gaulle et des communistes, dont nous avons ici les dignes héritiers, a voulu instaurer un système universel. Sous la pression des régimes existants, ils ont fini par y renoncer et créer des régimes différents.

À sa création, la sécurité sociale accordait une pension de 30 % du dernier salaire : nombre de retraités étaient donc extrêmement pauvres. Il a fallu la mise en place de l’AGIRC, sous la houlette de la CGT, puis de l’ARRCO, pilotée par FO, pour qu’un système à points vienne compléter de façon significative les pensions. C’est donc le système à points AGIRC-ARRCO qui a contribué à l’amélioration des retraites.

S’agissant des mesures dont M. Lachaud dit qu’elles ont abîmé le système, en 1993, M. Balladur a fait adopter des mesures assez drastiques. D’autres réformes sont intervenues depuis.

M. Thibault Bazin. Il y aurait eu des réformes avant vous ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Oui, et je les salue, car elles n’ont pas été simples et toutes ont demandé du courage politique.

Entre 1993 et aujourd’hui, le taux de pauvreté des retraités a reculé, passant de 10 % à 7 %. En revanche, la pauvreté en France s’établit à 14 %, et même à 26 % chez les moins de 30 ans en 2017 selon l’Institut national de la statistique et des études économiques. S’il y a une priorité à accorder, n’est-ce pas aux plus jeunes générations, qui ont du mal à entrer sur le marché du travail ? Que nous préservions les retraites est une nécessité absolue, mais si nous devions répartir des points de richesse supplémentaires pour la solidarité, ce serait pour nos plus jeunes concitoyens.

M. Pierre Dharréville. N’opposez pas les générations !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ce choix peut se discuter politiquement, mais la priorité est de faire entrer les jeunes sur le marché du travail : c’est la meilleure façon d’acquérir des futurs points de retraite et de réduire le taux de pauvreté.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Lorsque nous vous alertons sur des points précis, vous nous répondez que ce n’est pas vrai ; deux ans plus tard, on voit que nos craintes se réalisent. Ainsi, pour les taxes énergétiques, il a fallu le mouvement des « gilets jaunes » pour que vous reculiez. Nous l’avions dit aussi s’agissant de votre politique économique. Et hier, une note publiée par Mathieu Plane, économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), indique que « les perdants de la politique économique du Gouvernement se trouvent parmi les plus modestes, les chômeurs et les retraités ». Ce n’est pas l’opposition qui vous le dit, ce sont des économistes.

Mme Clémentine Autain. Pour répondre à Carole Grandjean, nous avons lu le même document. Pour vous, le caractère démocratique des décisions qui seront prises tient au fait que des propositions seront présentées...

Comme la commission ne parviendra pas à terminer ses travaux – tout le monde le sait –, je ne vois pas pourquoi on ne rebasculerait pas sur des interventions de 2 minutes : cela permettrait de développer vaguement une idée. Il est impossible de le faire en 1 minute !

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, n’opposez pas les générations entre elles ! À cet égard, votre réforme pose problème : comment maintenir plus de seniors en activité pourrait aider les jeunes à entrer sur le marché de l’emploi ? C’est un raisonnement enfantin !

Les pensions risquent de baisser de 22 % ; il y aura moins de richesses à partager, comme le montre l’étude d’impact : page 143, 43 milliards d’euros en moins avec la baisse des cotisations des employeurs publics ; page 120, les dépenses de solidarité resteront plafonnées à 22,5 % des dépenses de pension ; page 123, la part des dépenses pour compenser les aléas de carrière baissera. Tous ces faits sont indiqués dans votre étude d’impact !

M. Éric Woerth. Pour la bonne tenue de notre commission, il serait très important que chaque matin, en début de séance, nous sachions où en est la conférence de financement : que dit-on dans cette conférence de financement ? On peut toujours lire le journal, certes, mais nous sommes quand même des parlementaires : ce serait bien d’avoir une information autorisée. Le secrétaire d’État pourrait nous dire chaque jour quels sont les points d’évolution, s’il y a convergence ou non, si des pistes se dessinent. Cela permettrait d’éclairer un peu nos débats parce que j’ai l’impression que la machine tourne à vide : on parle de principes, de points, de 2045, de 2027, de 2022 – tout cela est très bien mais où en est-on et comment évolue cette conférence ?

Par ailleurs, il y a une terrible complexité : le système sera architecturé autour de points, de la durée de cotisation, parce que celle-ci continuera à être calculée, de l’âge légal et de l’âge pivot, soit quatre éléments fondamentaux, alors que le système précédent n’en comportait pas autant.

Mme Cendra Motin. L’économiste en chef de l’OFCE, Xavier Ragot, a admis que l’étude de l’observatoire était incomplète : il manque les 15 milliards d’euros de la formation, les millions du plan pauvreté, le reste à charge zéro et son impact sur les ménages, et d’autres paramètres importants. Les chiffres seront complets au mois d’avril.

Ce qui importe, et que vous ne voulez pas voir, c’est que, malgré tout, ce sont les classes moyennes qui sont les grandes gagnantes de notre politique : 70 % des Français bénéficient de notre politique économique et sociale. Le niveau de vie de nos jeunes, qui font partie des 5 % les plus pauvres, doit être notre préoccupation de tous les jours. À cet égard, je suis ravie des résultats que nous obtenons sur l’apprentissage, dont la hausse montre à l’évidence qu’il apporte une première réponse.

Mme Nathalie Elimas. Cette étude est, en effet, truffée d’erreurs et largement incomplète. Je ne peux pas laisser dire que cette réforme pénalise les plus défavorisés ou les plus fragiles d’entre nous. Les femmes sont largement gagnantes, de même que les familles. J’en veux pour preuve la valorisation de 5 points pour les femmes dès le premier enfant. On peut certes discuter des familles de trois enfants, sujet sur lequel notre groupe avait des amendements à défendre mais n’en aura pas l’occasion puisqu’il est traité à l’article 44. Enfin, les aidants, dont le congé est indemnisé, bénéficieront de droits à la retraite avec ce nouveau système.

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

La commission est saisie des amendements identiques n° 4822 de Mme Clémentine Autain et n° 4825 de M. Alexis Corbière.

Mme Clémentine Autain. À la collègue du groupe La République en Marche qui m’a interpellée sur le caractère démocratique des décisions qui seront prises sur l’âge d’équilibre et la mise en œuvre des paramètres, je précise que nous avons bien lu le même projet de loi. Que le conseil d’administration de la Caisse vienne présenter son affaire lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas un gage de participation du Parlement à la décision ; il ne s’agit que d’information, voire de concertation. Cette disposition n’est pas du tout de nature à garantir un débat démocratique dans notre pays sur cette question.

Quant à l’OFCE, le titre du journal Le Monde est tout de même très éloquent, madame Motin : « Avec la politique économique de Macron, les 5 % de Français les plus pauvres devraient voir leur niveau de vie se réduire ».

M. Alexis Corbière. Vous connaissez notre opposition au système à points ; c’est l’objet de la demande de suppression de l’alinéa 5.

Depuis tout à l’heure, nous vous demandons d’imaginer une autre répartition des richesses prenant acte du déséquilibre qui existe depuis plusieurs décennies et qui devraient inciter le Gouvernement à nous proposer des marges de manœuvre autres que la simple augmentation du temps de travail.

Le rapporteur a parlé de mesures courageuses prises en 1987 et 1993. En 1987, le nouveau calcul sur la base de l’inflation a entraîné une baisse des pensions de 20 %, quant à la réforme de 1993, en faisant passer de dix à vingt-cinq le nombre des années cotisées prises en compte, elle a eu pour conséquence une diminution des pensions de 6 %. Ces mesures me semblent, au contraire, marquées par l’absence de courage, car elles font porter par les salariés un certain choix de répartition de richesses. Vous considérez comme courageux de faire supporter aux salariés la règle d’or que vous vous êtes fixée, donc de les faire travailler plus longtemps. Nous refusons cette logique !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous assumons pleinement rechercher, par ce mode d’organisation, un débat social plus apaisé. Aujourd’hui, pour retrouver l’équilibre, des réformes sur les retraites sont présentées tous les cinq ou six ans, qui suscitent des blocages sociaux très importants et des fracturations dans notre pays. Ici, nous prévoyons une règle de base sur laquelle les partenaires sociaux ont pleinement la main. On nous reproche de les priver de leur rôle alors qu’on leur confie les différents paramètres de gestion sur la valeur du point, sur la valeur de service du point, sur l’évolution de l’âge d’équilibre. Si ce n’est pas faire confiance à la démocratie sociale, je ne sais pas ce que c’est !

Avis défavorable aux amendements.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, vous assumez le fait que, dans un débat social plus apaisé, il s’agira d’éviter les blocages – précisément ce que je défends, de laisser, en face de lois avec lesquelles une partie de la population est en désaccord, la possibilité d’un débat et de manifester pour contester les décisions du Gouvernement. Là, vous choisissez une forme à la fois plus simple et plus discrète.

Arrêtez de nous raconter que ce sont les partenaires sociaux qui vont décider, parce qu’ils ne forment pas un tout homogène. Dois-je vous rappeler ce qui s’est passé lors de la réforme de l’assurance chômage ? Le Président de la République a dit que les partenaires sociaux étaient des imbéciles et le Gouvernement a repris la main. Comme vous conclurez l’affaire par décret, au final, c’est le Gouvernement qui aura la main pour décider des paramètres.

M. Boris Vallaud. Oui, vous tenez compte des délibérations de la CNRU, mais ensuite vous prenez la décision. Tout est totalement corseté. La seule règle d’or, c’est l’équilibre financier du système. Cela se passera exactement de la même manière pour la réforme des retraites : un cadrage impossible à tenir, une conflictualité et un échec prémédité par l’exécutif. N’est-ce pas le Président de la République qui disait : ils demandent à pouvoir se concerter, mais ensuite ils nous appellent au secours ? Non, ce n’est pas de cette manière que ça se passe.

Puisque l’étude de l’OFCE est contestée, je citerai celle de l’Institut des politiques publiques qui montre, sur la base des budgets 2018, 2019 et 2020, que 1 %, soit 5 euros par mois en moyenne, est allé aux 10 % des ménages les plus pauvres, qui ont touché ainsi dix fois moins que leur part dans la population ; 6 %, soit 372 euros par mois, sont allés à 1 % des ménages les plus riches, ce qui représente six fois plus que la part qu’ils représentent dans la population, et 3 % sont allés aux 0,1 % des Français les plus riches, à qui on a rendu environ 1 923 euros par mois, c’est-à-dire qu’ils ont touché trente fois plus que la part qu’ils représentent dans la population.

M. Gérard Cherpion. Nous ne sommes pas opposés à un système de retraite par points. Depuis ce matin, j’entends parler du régime AGIRC-ARRCO. Oui, c’est un système par points ; oui il fait confiance au paritarisme, et c’est tant mieux ; oui c’est une gouvernance totalement paritaire qui fonctionne ; oui il signe des accords dont on n’entend pas parler dans la presse.

Vous, ce que vous proposez, c’est un changement total de gouvernance, comme d’ailleurs vous l’avez fait pour la réforme de l’assurance chômage : vous faites passer d’un paritarisme de gestion à un paritarisme de caution. Les partenaires sociaux ne seront plus là que pour cautionner un système étatisé dont les décisions seront prises par le Gouvernement. D’ailleurs, tout cela était écrit dans le livre de M. Macron intitulé pompeusement Révolution.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Chers collègues, vérifiez vos chiffres ! Hier, vous avez fait des erreurs massives concernant les dates des ordonnances du général de Gaulle ; aujourd’hui, vous en faites encore sur l’impact de l’allongement des annuités prises en considération. Il n’y a jamais eu de baisse du pouvoir d’achat liée aux pensions CNAV et AGIRC-ARRCO cumulées durant les réformes en question, mais une diminution, année après année, du taux de pauvreté des retraités et une augmentation moyenne des retraites pour cette catégorie.

Interrogez les partenaires sociaux sur la gouvernance proposée. Je parle sur le fondement d’une histoire personnelle qui me fait partager avec eux les problématiques, y compris sur la gouvernance, depuis les quarante dernières années.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement n° 22122 de M. Sébastien Jumel.

Mme Elsa Faucillon. À nouveau, il s’agit de vous inviter à en rester à un système à prestations définies.

Je m’alarme de ce que le rapporteur associe le courage politique à une très forte régression des droits. Ce qu’il appelle le courage politique, c’est ce qui a fait baisser le niveau des pensions de 20 %, puis de 6 % lorsqu’on a modifié le calcul des pensions en prenant en compte les vingt-cinq et non plus les dix meilleures années. Dans ce projet de loi, vous affichez comme principe qu’un euro cotisé donne les mêmes droits à tous. C’est donc la reproduction des inégalités qui existent aujourd’hui sur le marché du travail. Vous sortez de l’idée de la solidarité, c’est‑à‑dire que ceux qui subissent aujourd’hui les carrières hachées et les politiques néolibérales les retrouveront de manière plus affirmée encore à la retraite.

Vous n’assumez pas la vision de société que vous offrez dans votre projet de loi, une société où chacun compte ses points pour lui-même, par lui-même. Vous procédez à une forme d’uberisation du système de retraite où c’est chacun pour soi. On sort d’un système de solidarité qui venait compenser les inégalités produites par votre politique néolibérale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Faucillon, cessez de raconter n’importe quoi ! Trouvez-moi un seul graphique montrant que les retraites ont baissé de 20 %. Je suis d’accord sur le fait qu’à partir de 1993 et de la réforme de M. Balladur, les pensions ont augmenté moins rapidement que si elles avaient été indexées sur les salaires, mais à aucun moment elles n’ont baissé de 20 % puis de 6 %.

Le courage, c’est de prévoir un système pérenne. Quand vous parlez des retraites, évoquez plutôt les retraites les plus basses, celles de ceux qui perçoivent actuellement 700 ou 800 euros, celles des commerçants et des artisans et de ceux qui ont carrières incomplètes.

Vous prétendez que le système à points est un système personnel. Comme le dit M. Woerth, c’est une modalité de détermination de l’activité, comme l’est également le système basé sur le trimestre. Le point nous semble plus lisible, plus équitable, parce que plus fin, l’échelle étant plus granulométrique que le système par trimestres. Il serait illusoire de croire qu’un calcul effectué sur vingt-cinq ans élimine les périodes sans activité. Avec le système actuel, le malus est double, avec une proratisation quand il manque des trimestres et une autre proratisation quand il manque des années.

Faisons le constat de ce qui ne va pas dans le système actuel, et essayons de l’améliorer. Nous proposons cette réforme pour l’améliorer durablement et significativement.

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Les projections économiques anticipent une hausse de 67 % du ratio entre les plus de 65 ans et les 20-65 ans – autrement dit, la part des seniors dans la population française va considérablement augmenter. Quant à votre étude d’impact, elle fait baisser la part des richesses consacrées à ces retraités de 13,8 % à 12,9 %, mais elle ne donne aucun chiffre sur l’évolution du ratio entre la pension moyenne et le salaire moyen. L’étude ne compare pas la situation des retraités en 2050 avec la situation actuelle, mais avec une situation fictive et une dégradation pendant trente ans, de sorte que les pensions moyennes baisseraient déjà de 21 % par rapport aux salaires. Dès lors que vous fixez comme paramètre l’équilibre, avec lequel nous sommes d’accord, tout en l’associant à un budget contraint, en réalité, il n’y a qu’un seul paramètre : le niveau des pensions.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, chiche, faisons le constat de ce qui ne va pas – mais aussi de ce qui va ! Dans votre projet, certaines choses vont dans le bon sens : le minimum contributif, le cumul emploi-retraite. Ce qui ne va pas, c’est que, compte tenu du déséquilibre de 17 milliards d’euros dont on parle d’ici à 2025, sans parler des mesures de justice sociale, en l’état, le projet n’apporte aucune garantie de financement. Il ne faut pas leurrer les Français : en l’absence d’équilibre du système, les pensions connaîtront une baisse pérenne, comme l’a souligné mon collègue Cherpion.

Vous dites que les réformes qui ont été faites ont permis d’augmenter les pensions de retraite. Dès lors, pourquoi abandonner tout ce qui a fonctionné ? Si l’AGIRC-ARCCO a permis d’assurer une augmentation des pensions de retraite, ne démolissez pas le système qui existe !

Enfin, comment pouvez-vous dire du système que vous voulez qu’il est plus lisible, alors que vous êtes incapables d’offrir un simulateur fiable pour tout le monde ?

M. Thierry Benoit. Actuellement, chacun construit sa retraite par des trimestres cotisés ; demain, ce seront des points. Plus on avance dans l’examen de ce texte, plus je constate qu’il crée des droits nouveaux. J’en veux pour preuve le cumul emploi-retraite. Actuellement, un salarié qui veut continuer à travailler alors qu’il a pris sa retraite n’obtient aucun droit nouveau ; demain, il capitalisera des points nouveaux qui lui permettront d’augmenter sa retraite. Quant aux périodes involontaires d’interruption – congés maternité, congés maladie, invalidité, chômage –, elles seront prises en compte dans un fonds spécifique qui permettra d’abonder des points supplémentaires. Ce sont bien des avancées qui concernent tout particulièrement les salariés. C’est pourquoi les termes d’uberisation ou d’individualisation des retraites ne me semblent pas appropriés.

M. Boris Vallaud. Vous nous mettez au défi de produire des graphiques ou des tableaux que vous-même ne produisez pas. Évidemment, nous sommes bien en peine de le faire... À nous, donc, de faire des calculs sur la base, par exemple, du tableau de la page 7, qui montrerait qu’une revalorisation sur le salaire moyen nuirait aux carrières ascendantes et favoriserait les carrières au SMIC : il y aurait une baisse de pension de 4 % pour les premières et une augmentation de 5 % pour les secondes. Outre que je remets en cause le fait que le niveau d’indexation serait continu, s’agissant de l’âge du départ à la retraite, on aperçoit une baisse du taux de remplacement à niveau d’âge équivalent. Dans le nouveau système, la baisse du taux de remplacement sera de 8 % pour un départ à 64 ans et de 18 % pour un départ à 62 ans.

La part des retraites dans le PIB baissera de 3,7 %, passant de 14 % environ à 12,9 %. Le report de cinq mois de l’âge de départ à la retraite fournit une économie de 2,7 %, ce qui veut dire qu’en 2050 le ratio retraite moyenne sur salaire moyen baissera de 22 %.

Mme Elsa Faucillon. Ce qui s’est produit en 1987 a bien eu pour effet une baisse de 20 % du niveau des pensions.

Le rapporteur m’interpelle sur les propositions que nous pouvons faire en faveur des agriculteurs, par exemple. Les députés communistes, dont M. Chassaigne, se sont considérablement battus sur la question de la retraite des agriculteurs. L’Assemblée nationale avait même adoptée à l’unanimité une proposition de loi que votre majorité a refusé de reprendre en deuxième lecture. Le travail est déjà fait, mais vous l’avez refusé.

M. Vincent Thiébaut. De 18 à 23 ans, j’ai passé mon baccalauréat en candidat libre et mes petits contrats d’intérim ne m’ont pas permis d’avoir des trimestres pleins. J’ai commencé à travailler à l’âge de 23 ans. Résultat, avec le système actuel, je devrai travailler pendant quarante-deux ans pour avoir une retraite à taux plein, c’est-à-dire jusqu’à 65 ans. Mais comme j’ai eu trois interruptions de carrière dues à des périodes de chômage, je devrai en réalité aller jusqu’à 66 ans et demi. Avec le système à points, l’ensemble des petits boulots que j’ai effectués de 18 à 23 ans serait comptabilisé, ce qui me ferait gagner plus d’un an et percevoir une retraite à taux plein à 65 ans. Partons de cas concrets : pour moi, voilà ce qu’apporterait cette réforme ! Malheureusement, comme je suis né en 1972, je ne pourrai pas en bénéficier.

M. Jean-Paul Mattei. Les agriculteurs que nous interrogeons considèrent que la réforme va dans le bon sens, de même que la Confédération paysanne et d’autres syndicats plus majoritaires, si je puis dire.

Monsieur Vallaud, vous avez vraiment une vision technocratique de cette réforme, vous êtes dans vos chiffres, dans vos tableaux. Mais prenez un peu de recul ! Cette réforme va dans le bon sens. Je vous rappelle que l’étude d’impact sur le projet de loi de Mme Touraine avait été considérée comme insuffisante et il me semble d’ailleurs que le groupe Les Républicains avait saisi le Conseil constitutionnel. Sortons un peu des tableaux ! Je le répète, la retraite à points est un très bon système.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Woerth, je vous donnerai bien volontiers quelques éléments sur l’avancement de la conférence sur l’équilibre et le financement des retraites, mais sans doute pas de façon journalière, ne serait-ce que parce qu’elle est présidée par Jean-Jacques Marette et non par le secrétaire d’État chargé des retraites.

Vous avez dit que le niveau de pension à l’âge légal de départ à la retraite sera moindre, mais vous savez bien que peu de Français partent à l’âge légal ; en réalité, l’âge moyen est de 63,4 ans. Vous avez donc omis de préciser que, pour obtenir une retraite à taux plein, une certaine durée d’activité est nécessaire. Ainsi, les comparaisons que vous avez faites sur l’âge de 62 ans ne tiennent pas au regard de l’âge de la retraite à taux plein. Je vous renvoie à la page 176 de l’étude d’impact, où l’on détaille bien que le système futur sera bénéfique pour autant qu’il y ait, dans certains cas, une légère progression de la durée au travail. D’ailleurs, le Gouvernement a rappelé qu’il souhaitait inciter les Français, sans les y contraindre, à travailler plus longtemps, et que la notion de durée est un élément prépondérant de l’équilibre sur lequel nous avons déjà échangé à plusieurs reprises.

S’agissant de la conférence de financement, je comprends bien qu’un député doit être informé autrement qu’en lisant les journaux. Jean-Jacques Marette a proposé deux groupes de travail : le premier traitera de l’équilibre à 2027 et des différents scénarios de trajectoire financière ; le second précisera les outils et l’affectation des financements aux prestations contributives ou non contributives – qui finance quoi. Des séquences de travail pour ces deux groupes de travail sont prévues le 17 février, le 9 mars et 23 mars. Une séance plénière aura lieu le 6 avril.

Le dialogue social se construit toujours avec une progressivité : la première étape consiste à trouver un large consensus sur le constat, à définir les éléments sur lesquels on veut travailler et les objectifs. Ensuite, on peut avancer sur la méthode et le contenu.

Je connais l’opiniâtreté de M. Quatennens, et plutôt que de l’en excuser, je lui apporterai, sur le partage de la valeur ajoutée, un élément de réflexion tiré du rapport annuel que le COR – où je siégeais encore – a rendu en juin 2019. À la page 33, la figure 1.19 montre que le rapport entre les salaires et la valeur ajoutée, qui était de 57 % dans les années 1990, est supérieur de 2 points aujourd’hui. On peut toujours prendre un agrégat macro-économique pour étayer sa thèse ou sa lecture politique du fonctionnement de la société, mais l’important n’est-il pas que notre pays consacre une part très significative de sa dépense publique aux dépenses sociales – plus de 51 % ? Cette part, du reste, a augmenté, puisqu’elle était de 42 % il y a plusieurs dizaines d’années. Peut-être cette redistribution ne s’opère-t-elle pas de façon suffisamment visible ou dans le sens que vous souhaiteriez les uns les autres, mais on ne peut pas nier que nous sommes dans un pays redistributif qui porte une vraie ambition sociale de partage.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 22537 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. On peut tout à fait se créer des droits dès la première heure de travail sans qu’il soit nécessaire d’instaurer un système à points. Si un système par trimestres a été instauré, c’est parce qu’on comptait à la main. Depuis, on a fait quelques progrès. Tel est l’objet de l’amendement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Toute heure travaillée doit ouvrir les mêmes droits, mais à salaire égal. C’est la notion de durée et de droits qui doit être comptabilisée.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Monsieur le secrétaire d’État, la conférence de financement des retraites aurait dû être installée le 30 janvier 2019, et non pas le 30 janvier 2020 : aujourd’hui, nous serions en train de discuter d’un texte charpenté. Le Conseil d’État indique que « le projet de loi intervient dans un contexte de relative solidité du système français de retraites, notamment en raison des réformes des années récentes qui ont permis de sécuriser son financement ». Heureusement qu’on l’a fait ! D’ailleurs, vous l’avez reconnu. Pour sécuriser son système de financement, il faut évidemment poursuivre de façon extrêmement puissante une vision du financement des retraites, ce qui n’est pas le cas.

Vous minimisez l’effet de l’âge pivot. En vérité, à l’âge légal, il y aura bien une baisse des retraites par une super-décote, une décote supplémentaire à celle qui frappe l’insuffisance de trimestres.

M. Boris Vallaud. Pardon, camarade député Mattei, d’essayer d’expliciter une réforme incroyablement obscure ! Nous travaillons sur un sujet qui va engager la vie des gens pendant cinquante ans ; autant essayer d’être précis et clair. Vous nous expliquez que c’est une esquisse. Une fois de plus, vous ne savez pas où vous allez. Continuez à bosser !

M. Adrien Quatennens. Monsieur le secrétaire d’État, sur la question de la répartition entre le capital et le travail, votre argumentaire ne tient pas complètement. Seul le travail produit de la richesse, la rémunération du capital est basée sur l’idée de gratuité. En réalité, lorsqu’un salarié travaille, sa rémunération ne correspond pas exactement au montant de ce qu’il produit. C’est par l’accaparement de cette richesse que le capitalisme peut vivre, et uniquement comme cela. Il y a bien lieu de savoir où placer le curseur de la répartition entre capital et travail. Lorsque je vous dis que nous n’avons besoin que de 2 points supplémentaires de PIB d’ici à 2040 pour pouvoir financer une mesure qui permet de garantir et le niveau de vie et l’âge de départ à la retraite, admettez que ce n’est pas énorme considérant que ces points de PIB sont passés des poches du travail à celles du capital ces dernières années. Nul besoin de faire la révolution pour financer un système de retraite juste.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 4839 de Mme Clémentine Autain, n° 4842 de M. Alexis Corbière et n° 4850 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Au sein du système universel, quelques petits éléments permettent de faire valoir la solidarité pour les aléas de la vie, tout de même très réduits puisqu’il s’agit des périodes de congé maternité, de congé maladie, d’invalidité et de chômage. Or nous ne savons pas quelle sera la hauteur de la compensation puisqu’elle sera définie par décret, c’est-à-dire par le Gouvernement. On est donc au cœur du chèque en blanc que vous nous demandez de signer sur un texte à trous. Sur les aspects politiques comme techniques, nous n’obtenons pas de réponse.

M. Alexis Corbière. On en revient toujours à ce qui me semble être la controverse entre nous : quelle part des richesses voulons-nous mettre dans notre système de retraite, en l’espèce dans ces points de compensation de solidarité ? Nous devrions, nous législateurs, pouvoir en discuter, regarder comment apporter d’éventuelles corrections. Or vous nous proposez de le faire par décret. Avouez que c’est très peu respectueux pour ce que nous sommes en train de faire et participe d’une méthode qui n’est pas tolérable.

Je veux remercier notre collègue Éric Woerth qui, malgré tous nos désaccords, exprime depuis le début de nos travaux des choses tout à fait vraies. J’espère que, au-delà des arguments pertinents que porte La France insoumise, mes collègues l’entendront : oui, il est évident qu’il y aura une super-décote à l’âge légal de départ en retraite. Cela doit nous inciter à revenir à l’essentiel : un système qui permette de partir à la retraite à l’âge de 60 ans par une autre répartition des richesses. 2 points de PIB, telle est notre proposition.

M. Adrien Quatennens. En réalité, le macronisme nous fait regretter l’honnêteté de la droite républicaine, qui est favorable à une mesure d’âge par le recul de l’âge de départ à la retraite. C’est un point de désaccord fondamental entre nous, mais, au moins, elle dit la vérité aux Français sur ce qu’elle souhaite ; elle explique sur quel paramètre elle souhaite jouer. Vous, vous dissimulez vos intentions : vous parlez d’un système universel, juste, simple, etc., alors que ce que vous préparez, c’est une mesure d’âge à long terme, avec le recul de l’âge de départ effectif au taux plein. Vous êtes tout simplement des gens de droite maquillés en progressistes. Assumez donc de faire une chose en contradiction avec le programme que vous avez défendu lors de l’élection présidentielle !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Quelle déclaration d’amour M. Quatennens vient de faire aux Républicains ! Ce coup de foudre totalement improbable, c’est vraiment le miracle de l’amour...

Plus sérieusement, je ne sais trop comment interpréter cette proposition de suppression de l’alinéa 6 de l’article 8. Je sais bien que telle n’est pas vraiment votre intention, mais il est assez surprenant de lire que vous prévoyez de supprimer l’attribution de points pour des périodes particulières de la vie telles que la maternité, la maladie, les accidents et le chômage.

Dans la définition du financement, nous voulons en revenir aux origines de la sécurité sociale : d’un côté, les cotisations serviront à se constituer des droits à pension à travers l’acquisition de points ; de l’autre, la solidarité sera financée par des taxes – la CSG, mais aussi la contribution sociale de solidarité des sociétés, autrement dit une taxe portant sur les plus grosses entreprises – clairement fléchées vers le Fonds de solidarité vieillesse universel. C’est donc la solidarité qui financera les points attribués au titre des dispositifs visés par l’alinéa 6. Le système nous paraît parfaitement sain, mais aussi tout à fait clair dans ses modalités.

Avis défavorable aux amendements.

M. Stéphane Viry. Il s’agit ici de solidarité, de faire en sorte que le système de retraite soit plus juste – ce à quoi, me semble-t-il, chacun ici aspire. Or, de ce point de vue, le projet de loi constitue une occasion manquée. Nous avions là l’occasion de faire un pas en avant substantiel, de corriger des situations qui paraissent anormales dans la France du XXIe siècle, car elles traduisent des inégalités – je pense notamment aux agriculteurs. Ce que le Gouvernement semblait proposer à cet égard correspondait aux aspirations de chacun, mais il y avait en réalité un malentendu, probablement même une imposture, car le projet de réforme n’apporte aucune solution aux retraités agricoles actuels ; les dispositions ne vaudront que pour les nouveaux ayants droit. On sent bien, partout dans les territoires, l’attente frustrée des agriculteurs.

Par ailleurs, il est évident que, si la conférence de financement ne débouche sur rien, on en reviendra à l’âge d’équilibre, lequel sera en fait un âge décote, pour ne pas dire un « âge pipeau », selon l’excellente expression de Thibault Bazin. Il faut dire la vérité aux Français sur ce qui les attend.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, selon vous, j’aurais adressé une déclaration d’amour à la droite. Pas du tout : j’ai juste souligné sa clarté. Je le répète, contrairement au macronisme, la droite républicaine s’assume. De ce point de vue, nous pouvons la regretter. Elle nous dit clairement qu’elle souhaite modifier le paramètre de l’âge ; vous, vous le faites, mais sans le dire. C’est aussi simple que cela.

En ce qui concerne la conférence de financement, comme l’ont souligné plusieurs collègues, notamment Boris Vallaud, vous invitez les partenaires sociaux à la table des discussions, mais en leur disant que le budget est contraint, car la part du PIB consacrée aux retraites ne saurait dépasser un certain niveau. Autrement dit, vous ne leur laissez absolument aucune marge de manœuvre. Ce qui rend les choses plus claires, c’est qu’on a beau retourner le problème dans tous les sens, le nombre de paramètres sur lesquels on peut jouer apparaît en fait assez restreint. De ce point de vue, ce que vous faites n’a rien de flou ; c’est même très clair.

M. Thierry Benoit. Tout ne peut pas être parfait mais, d’ici à la séance, monsieur le secrétaire d’État, il serait bon, s’agissant des retraites agricoles, notamment les plus petites, d’envisager une trajectoire de rattrapage, pour les ramener en quelques années au niveau du minimum garanti proposé par le Président de la République. Je suis sûr que mon sentiment est partagé dans tous les groupes. Je vous le dis en toute sincérité, ce signal serait très bien accueilli par les agriculteurs en activité, qui ne sont pas éligibles, en l’état, aux dispositions du projet de loi – et il en va de même pour les indépendants, les commerçants et les artisans.

M. Jean-François Mbaye. Je peux comprendre que le recours à des ordonnances et à des décrets vous fasse peur, chers collègues de La France insoumise, mais les règles sont clairement posées dans le projet de loi. Nous n’avançons pas masqués, nous assumons le fait d’attribuer des points de solidarité. Je vous pose la question : êtes-vous pour ou contre l’attribution de points de solidarité dans certains cas de figure ? Si vous êtes contre, dites-le, n’avancez pas masqués. Pour notre part, nous sommes tout à fait clairs : nous acceptons ces points de solidarité, et nous assumons également que le Gouvernement décide des modalités de leur attribution par décret, car c’est clairement indiqué dans le texte.

M. Boris Vallaud. Ce que vient de dire M. le rapporteur est très intéressant, car cela confirme que l’on dissocie ce qui est financé par les cotisations de ce qui est financé par la solidarité. Or, avec la cotisation non créatrice de droits venant alimenter le fonds de solidarité, il y a le risque que la part solidarité devienne la variable d’ajustement du système. D’ailleurs, cela ressemble beaucoup au taux d’appel pratiqué à l’AGIRC-ARRCO, lequel fonctionne de fait, la plupart du temps, comme une variable d’ajustement. Telle est, en pratique, la réalité. Par ailleurs, vous avez changé l’affectation de cette part de solidarité entre le rapport Delevoye et le projet de loi.

La commission rejette les amendements.

Elle en arrive aux amendements identiques n° 21770 de Mme Clémentine Autain, n° 21773 de M. Alexis Corbière et   21781 de M. Adrien Quatennens.

Mme Clémentine Autain. Je poursuis notre discussion en évoquant maintenant la question de l’équilibre. Depuis que vous avez engagé la réforme, vous insistez sur votre souci d’équilibrer le système. L’austérité budgétaire est chez vous obsessionnelle. C’est même la raison pour laquelle vous faites cette contre-réforme : les régimes spéciaux sont accusés d’être trop coûteux, et le déficit serait structurellement insoutenable.

Des économistes se sont intéressés à l’effet du taux de cotisation unique que vous voulez fixer, et je tiens à alerter notre commission sur leurs conclusions. Le taux de cotisation serait de 28,12 % pour tout le monde – la part patronale s’élevant à 16,87 %. À l’heure actuelle, le taux de versement par l’État est de 74 %, et de 30,6 % pour les collectivités locales. Le manque à gagner serait donc considérable. À cela s’ajoute la diminution drastique des cotisations des cadres, car, au-delà de 120 000 euros de revenus annuels, hop ! on échappe au régime de solidarité : encore 4 milliards d’euros de pertes de ce côté-là. Les économistes évaluent ainsi entre 41 milliards, selon Henri Sterdyniak, et 67 milliards d’euros, d’après les calculs de Guillaume Duval, les « trous » que vous êtes en train de créer par une loi qui prétend, au contraire, régler la question du déficit. J’aimerais bien avoir une réponse sur ce point précis.

M. Alexis Corbière. Là où nous sommes en désaccord avec vous, c’est que nous ne pouvons accepter que, sur beaucoup de points, il y ait du flou, voire des trous, des éléments qui seront précisés hors du cadre de cette commission et du travail de législateur que nous faisons ici, qui nous semble être le lieu d’expression normal de la souveraineté populaire.

Certes, nous faisons tous de la rhétorique, mais quand M. Mbaye a dit que nous ne voulions pas corriger certaines situations par l’attribution de points de solidarité, c’était une véritable blague. C’est comme si vous disiez, au motif que nous nous opposons à votre système de retraite, que nous voulions supprimer le système de retraite en tant que tel. Nous ne voulons pas que ces corrections soient fixées par décret parce que, comme l’a dit très bien notre collègue Boris Vallaud, vous allez en faire la variable d’ajustement destinée à assurer l’équilibre financier, ce qui introduit un énorme danger. Par ailleurs, je rappelle que vous avez supprimé quatre critères de pénibilité en 2017, ce qui n’est pas totalement secondaire – vous êtes même marqués au fer rouge pour cette affaire. En définitive, vous nous expliquez que vous allez corriger, par un système fumeux et que nous ne maîtrisons pas, tous les mauvais coups portés par votre réforme au système de retraite.

M. Adrien Quatennens. Vous faites une réforme par points dont l’objectif est l’équilibre, mais avec un budget contraint. Soit vous baisserez le niveau relatif des pensions, soit vous ferez travailler plus longtemps les Français – ce qui est foncièrement la même chose. Vous nous dites que nous sommes des méchants parce que nous voulons supprimer un alinéa qui offre des points de solidarité. C’est un peu comme si vous mettiez le feu à la forêt et nous reprochiez de vouloir supprimer un point d’eau que vous auriez installé au milieu.

Nous disons qu’il est possible de faire une réforme permettant de financer la retraite à 60 ans, garantissant qu’aucune pension ne soit inférieure au SMIC pour une carrière complète, étendant la prise en compte de la pénibilité et reconnaissant la situation des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Je signale au passage que, quand vous parlez de points de solidarité, nous parlons, pour notre part, de trimestres accordés, de validation de droits à la retraite, notamment selon des critères de pénibilité. Il est tout à fait possible d’assurer la solidarité sans en passer par ce que vous vous apprêtez à faire.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il y a là un ensemble de contre‑vérités qui, à force que vous les répétiez, conduisent à se demander s’il n’y a pas, de votre part, une forme de mauvaise foi. Tous les points de service auront la même valeur. En ce qui concerne la solidarité, il existe des mécanismes destinés à tenir compte, notamment, de la maternité. Nous avons souvent pris l’exemple de deux sœurs jumelles, dont l’une travaille dans le privé et l’autre dans le public : la première peut valider huit trimestres, la seconde deux. Ce n’est pas du tout équitable, me semble-t-il. Vous répétez, monsieur Quatennens, que la part du PIB consacrée aux retraites est contrainte, mais je vous mets au défi de trouver un seul article, un seul alinéa du projet de loi où ce serait écrit. Cette part est constatée en baisse au vu des hypothèses retenues, et cela s’explique par le fait que la masse salariale augmente plus vite que la masse des pensions – voilà ce qui est écrit dans l’étude d’impact ; il faut apprendre à lire. C’est une conséquence, ce n’est pas une donnée de base.

Monsieur Vallaud, qui n’est plus parmi nous, nous indiquait que la part de solidarité avait changé entre le rapport Delevoye et le projet de loi. Ce n’est pas vrai : dans l’un comme dans l’autre, elle est fixée à 2,81 %.

Madame Autain, je ne sais plus si vous étiez là hier soir au moment où j’ai donné l’explication en ce qui concerne la retraite des agents publics. Si ce n’était pas le cas, j’ai un scoop pour vous : l’État ne verse aucune cotisation de retraite pour ses salariés. Quand on travaille sur la question, il faut étudier les budgets et les mécanismes. L’État est, en quelque sorte, sa propre caisse de retraite pour ses salariés. Le taux de 74 % résulte du rapport entre la somme des pensions versées par l’État à ses fonctionnaires et la somme des salaires de ces derniers soumis à cotisation. La contribution ne diminue en apparence qu’en raison d’un effet d’optique. La somme versée sera toujours la même : M. le secrétaire d’État s’y est engagé hier, et cela a été écrit à différentes reprises. À partir du moment où la réforme sera mise en œuvre, l’État cotisera à hauteur des 16,87 % prévus pour la part patronale et versera la différence dans une enveloppe à la CNRU.

Monsieur Corbière, en ce qui concerne les quatre critères de pénibilité supprimés dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité mis en place par la précédente majorité, je rappelle qu’il fallait que figure chaque mois sur les feuilles de paie une partie consacrée à ces critères. En l’état, c’était inapplicable. Hier soir, j’ai donné un exemple fondé sur mon expérience personnelle – car j’établis moi-même les feuilles de paie de mes salariés agricoles. Je devais indiquer s’ils avaient été exposés à tel ou tel facteur de risque. S’il est possible de le faire pour un salarié effectuant le même travail à longueur de journée, il n’en va pas de même pour un salarié agricole amené à procéder une ou deux fois par mois à des traitements par produits phytosanitaires ou à porter des charges lourdes : comment voulez‑vous le déclarer ?

Enfin, monsieur Quatennens, tout ce que vous promettez dans votre système me fait penser à cette expression qu’on utilise chez moi : le beurre, l’argent du beurre et... la crémière. Vous, vous ajoutez même ses sœurs. On ne peut pas tout promettre, qui plus est sans prévoir de financement. Pour notre part, nous sommes réalistes.

Avis défavorable aux amendements.

Mme Marie-Christine Dalloz. Au groupe Les Républicains, nous sommes des élus responsables ; nous assumons. Nous refusons toute baisse des pensions, comme nous refusons toute augmentation des cotisations. Dès lors, le seul paramètre sur lequel il est possible de jouer est, effectivement, l’âge de départ à la retraite. Vous, vous n’assumez rien. Vous avez retiré provisoirement les mesures d’âge, ce qui veut dire, très concrètement, que le niveau des pensions va baisser à l’âge légal de la retraite. Il ne saurait en être autrement : c’est mathématique. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, en ce qui concerne les pensions des fonctionnaires, nous connaissons bien le compte d’affectation spéciale Pensions. Personne ici n’a jamais douté de cette réalité. Enfin, je tiens à dire que je suis profondément choquée par la déclaration de M. le secrétaire d’État qui a paru hier. En substance, il a déclaré que, quoi qu’il arrive, les Français devaient se résoudre à la réforme. Ce n’est pas ainsi que je conçois le dialogue social dans notre pays.

Mme Corinne Vignon. Mme Autain nous a dit tout à l’heure qu’au-delà de trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS), hop ! on échapperait au régime de solidarité. J’aimerais lui faire comprendre, si j’y arrive, que le système des 3 PASS est éminemment redistributif et solidaire. Je m’explique. Aujourd’hui, avec les 8 PASS, ce sont les carrières « plates » qui paient les retraites des 300 000 personnes ayant les plus hauts salaires. En établissant le plafond à 3 PASS, on limite les hautes retraites. Surtout, et puisqu’il était question tout à l’heure de l’espérance de vie en bonne santé, n’oublions pas que les personnes dont les retraites sont très élevées sont également celles qui vivent très longtemps. Autrement dit, on paie ces retraites pendant de très longues années. N’oublions pas non plus la cotisation de 2,81 % des 3 PASS.

M. Adrien Quatennens. Fin 2018, sur France Inter, Jean-Paul Delevoye avait clairement dit, et ces propos ont été retrouvés, que la part de 14 % du PIB consacrée aux retraites serait le plafond. Vous nous dites en quelque sorte, monsieur le rapporteur, que cette déclaration n’a pas été traduite dans le projet de loi. Parfait : cela veut dire qu’il est possible de consacrer 2 points de PIB de plus aux retraites pour financer le système que nous proposons.

Vous venez de dire, en substance, que nos propositions étaient folkloriques. Or il n’est pas vrai que nous ne saurions pas financer le système que nous voulons mettre en œuvre. Je vais d’ailleurs vous donner, monsieur le rapporteur, le document que nous avons déjà transmis à M. le secrétaire d’État, qui montre que nous sommes tout à fait en mesure de le faire. À la différence des Républicains, qui ont eu l’honnêteté de dire qu’ils voulaient une mesure d’âge, nous voulons que la nouvelle répartition passe par une hausse des salaires et du taux de cotisation. C’est clair. Là, au moins, il y a une véritable confrontation entre deux visions de ce qu’il convient de faire. Vous, vous restez au milieu du gué : vous n’assumez pas ce que vous allez faire en réalité. C’est toute la différence entre nous.

M. le secrétaire d’État. J’invite, d’abord, Mme Dalloz à vérifier ses sources plutôt que de citer des propos rapportés sur des comptes Twitter parodiques comme s’ils étaient les miens. Je conçois qu’elle ait pu aller un peu trop vite ; pour ma part, je suis prudent quand je cite les uns et les autres : je vérifie toujours.

J’aime beaucoup ce débat, que nous avons déjà eu cinq, six... dix fois, je ne sais plus. Nous avons bien compris qu’une partie des députés ici présents, et qui ont déposé de nombreux amendements, souhaitent débattre de façon récurrente de sujets qui figurent pourtant bien dans le projet de loi, mais un peu plus loin. Il est dommage que nous ne puissions pas en arriver à ces articles, d’autant plus que d’autres députés, de sensibilités politiques différentes, voudraient défendre leurs amendements qui s’y rapportent, parce qu’ils ont des idées à faire valoir – cela les amène, d’ailleurs, à prendre, eux aussi, la parole de façon un peu incongrue, car sans rapport avec les articles du texte que nous examinons à ce moment-là. Voilà, malheureusement, ce que je constate depuis cinq jours.

J’ai déjà répondu deux fois à la question, mais je peux le faire une troisième. En ce qui concerne la participation de l’État, notamment le taux de charges payé, que l’on peut effectivement qualifier de « fictif », ou plutôt d’« implicite » – le terme me paraît plus adéquat –, les enjeux ont été très bien posés à travers les interventions du président Éric Woerth et de la présidente Valérie Rabault. Le mécanisme a été très bien décrit par M. le rapporteur : l’État va couvrir ses engagements. J’ai déjà expliqué, il y a plus de trois jours, à Mme la présidente Valérie Rabault – en présence du plus grand nombre d’entre nous – que le niveau de la contribution serait identique. J’ai indiqué à quel endroit du texte cela se trouvait. Une trajectoire budgétaire a été prévue, nous pouvons donc être tout à fait sereins. On peut certes se prévaloir de tel ou tel article paru dans un journal, mais il me paraît préférable de regarder ce qui est inscrit dans le projet de loi : c’est plus sérieux pour des échanges en commission.

En ce qui concerne le débat sur le produit intérieur brut, c’est la même chose : nous l’avons déjà eu un certain nombre de fois au cours des cinq derniers jours. Qu’à cela ne tienne, ouvrons-le une nouvelle fois, même si c’est dommage car cela se fait au préjudice des autres thèmes que vous êtes pourtant nombreux, mesdames, messieurs les députés, à vouloir aborder. M. Quatennens souhaitait donc revenir sur les propos de Jean-Paul Delevoye. Celui‑ci connaissait bien le sujet et, en l’occurrence, ne faisait que relayer les analyses du COR. Avant même de se saisir de la réforme, le COR avait en effet expliqué, à la suite de la demande qui lui avait été faite par le Premier ministre de se pencher sur le problème des déficits à l’horizon 2025, que, dans le système actuel, la part des retraites dans le PIB diminuait tendanciellement, et ce pour la bonne et simple raison que la dynamique du PIB et celle des salaires étaient fortes. Cela n’empêche pas que la pension moyenne de retraite, elle, augmente : là encore, c’est une réalité incontestable, constatée d’ailleurs par le COR – je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je le répète et il suffit, pour s’en convaincre, de lire le rapport du COR de juin 2019. Jean-Paul Delevoye ne faisait donc, tout simplement, que poser un constat.

Cela dit, je comprends que nous ayons une divergence avec l’opposition de droite, en l’occurrence Les Républicains. Il s’agit là d’une réforme de société, qui doit permettre à notre système de retraite de s’adapter au marché de l’emploi et aux nouvelles règles de vie sociale d’aujourd’hui et de demain. Nous ne voulons pas avoir une approche purement budgétaire, mais nous sommes aussi parfaitement conscients qu’il n’est pas possible de faire de la solidarité de façon durable sans assurer la solidité financière de notre dispositif. Je crois d’ailleurs avoir entendu des propos extrêmement clairs à cet égard émanant de plusieurs groupes, y compris de gauche. Je ne dénie à personne le fait de défendre aussi cette idée. Eh bien, défendons-la ensemble ! Si nous voulons de la solidarité pour l’ensemble de nos concitoyens, si nous voulons des mesures fortes pour partager, il faut absolument que notre système soit robuste, qu’il soit en mesure de passer les années, mais aussi de s’adapter car, que nous le voulions ou non, notre environnement évoluera. Notre responsabilité politique est donc de donner les moyens à notre système de retraite de s’adapter au monde de demain, et de le faire tout en préservant un fort niveau de solidarité.

La commission rejette les amendements.

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12.   Réunion du vendredi 7 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 8 à l’article 10)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8719444_5e3d6ab60e110.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-7-fevrier-2020

Mme Célia de Lavergne, présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné jusqu’à présent 2 333 amendements ; il nous en reste 17 782 à examiner.

Article 8 (suite) : Modalités de calcul et d’acquisition du point, unité de mesure d’un système juste et transparent

La commission est saisie des amendements identiques n° 4856 de Mme Clémentine Autain et n° 4861 de M. Bastien Lachaud.

Mme Clémentine Autain. Je poursuis notre débat de ce matin sur le taux de cotisation unique – il est vrai très haché par votre limitation du temps de parole à une minute. Certes, monsieur le rapporteur, les mécanismes ne sont pas exactement les mêmes pour le privé et pour l’État, mais la logique est la même. Avec votre contre-réforme, l’État va se priver de marges de manœuvre : ainsi, l’exonération de cotisations sociales, qui dure déjà depuis un moment, représente d’ores et déjà un manque à gagner en cumulé de l’ordre de 50 à 60 milliards d’euros par an ; de même avec la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allégement de charges sociales. C’est autant de manque à gagner pour nos caisses de retraite. Comment allez-vous faire avec tous ces trous que vous créez vous-mêmes ?

Mme Célia de Lavergne, présidente. Je rappelle que la règle limitant à une minute le temps de parole des députés défendant un amendement identique a été fixée par le bureau de la commission en raison du grand nombre d’amendements, afin que chacun puisse s’exprimer,

M. Bastien Lachaud. L’alinéa 8 illustre à merveille la logique d’individualisation que nous dénonçons depuis plusieurs mois : il vous permet d’ajouter des points – on ne sait comment, on ne sait combien – pour compenser les différentes périodes pouvant marquer le parcours professionnel ou de vie de l’assuré : périodes de chômage, de maladie, de réduction ou d’interruption d’activité consacrées à l’éducation des enfants. Cette individualisation absolue du mode de calcul est à l’opposé de l’universalité que vous prônez et des principes de redistribution et de solidarité nationale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons déjà évoqué ces points à de nombreuses reprises. En dénonçant les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires mises en place par ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé, comme la transformation du CICE en allégement de charges, vous raisonnez à périmètre constant, en oubliant que l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 1,3 % en 2019 a dégagé 30 milliards d’euros supplémentaires. Une partie importante de la richesse ainsi créée peut, par le biais de la redistribution, être affectée aux politiques publiques, notamment dans le domaine social. Avis défavorable.

M. Fabrice Brun. Ce débat « en kit » montre la difficulté de discuter d’une réforme dont on ne connaît pas le financement : c’est la grande différence avec les réformes antérieures.

Par curiosité, je me suis intéressé à celle de 2010. Le chapitre III de son étude d’impact détaillait, sous forme de tableau, les mesures proposées par le Gouvernement en vue d’un retour à l’équilibre à dix ans, qui s’appuyaient à l’époque sur des données du Conseil d’orientation des retraites (COR) de 2008. Je vous en donne les grandes lignes : solde avant réforme, moins 45 milliards d’euros ; impact annuel des mesures d’âge, 1 milliard d’euros de recettes ; effort net de l’État, 15,6 milliards d’euros, qui correspondent à son taux de contribution pour la retraite des fonctionnaires ; basculement des cotisations de l’UNEDIC, 1,4 milliard d’euros ; différentes mesures de recettes, 4,6 milliards d’euros ; différentes mesures de compensation, moins 1,6 milliard d’euros ; mesures de convergence public‑privé, 4,9 milliards d’euros. Ce qui aboutissait à un solde équilibré qui s’est avéré assez exact, puisque ces résultats ont été atteints un peu plus tôt que prévu.

Monsieur le secrétaire d’État, quand serez-vous en mesure de nous fournir ces chiffres à dix ans pour votre réforme, ce qui permettrait à nos débats de franchir un grand pas ?

Mme Elsa Faucillon. Votre objectif caché, nous l’avons dit ce matin, c’est de faire travailler la population plus longtemps. Pour ce faire, vous avez martelé l’idée selon laquelle ce projet de loi était absolument nécessaire afin de combler le déficit. Mais vous refusez de débattre des ressources permettant de continuer à financer les retraites, alors que ce déficit est la conséquence de vos choix politiques, comme votre décision de supprimer des postes de fonctionnaires : c’est ce que souligne le dernier rapport du COR – vous ne citez d’ailleurs que très rarement cette partie, car elle n’est pas à votre avantage. Pour la population, c’est une double, sinon une triple peine : non seulement ce sont des emplois supprimés, des services publics en moins, mais elle doit travailler plus longtemps avec des pensions en baisse.

Mme Clémentine Autain. Les prévisions de l’étude d’impact sont fondées sur l’hypothèse d’un taux croissance constant de 1,3 % du PIB, alors que l’on n’en sait strictement rien. On pourrait même se demander ce qui serait souhaitable : quel type de croissance, quel type de richesses ? Face au réchauffement climatique et aux défis environnementaux, est-il bien raisonnable de façonner un système de retraite avec des projections tablant sur une croissance linéaire de 1,3 % ? Certaines prévisions du Gouvernement nous ont déjà fait déchanter ; et même sur le plan démographique, les choses ne se sont pas toujours passées comme on s’y attendait. On navigue donc vraiment à vue.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur Brun, je vous renvoie au graphique n° 63 de la page 180 de l’étude d’impact, qui présente le solde du système de retraite avant et après réforme, et au tableau n° 40 qui détaille l’impact financier de la réforme sur les administrations publiques en points de PIB à horizon 2050. Nous en avions déjà parlé avec le président Woerth.

Votre question est intéressante en ce qu’elle fait écho au mandat donné à la conférence sur l’équilibre et le financement de notre système de retraite. Le tableau n° 63 qui prévoient un retour – en pointillés – à l’équilibre en 2027, puisque telle est la feuille de route des partenaires sociaux : il leur reste à proposer la façon de rétablir l’équilibre afin que le nouveau système puisse démarrer sur des bases saines. C’est tout simplement une mesure de bonne gestion. Il ne s’agit évidemment pas de combler le déficit accumulé au fil des ans dans le système actuel ; plusieurs réformes menées par le passé, on l’a dit, ont permis de le contenir dans des limites relativement tolérables – même s’il continue à se creuser.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 22123 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. Cet amendement, certes récurrent, vise à obtenir des réponses de la part du rapporteur et du secrétaire d’État, qui persistent à entretenir le flou autour de leur véritable objectif : faire travailler les gens davantage et individualiser les parcours, au point de se retrouver dans une impasse totale. À vous entendre parler sans cesse d’universalité, de solidarité, ou encore du principe des grands gagnants, autre vaste blague, je me souviens à chaque fois de cette citation de Platon : « La perversion de la cité commence par la fraude des mots. » Ce qui est typiquement le cas ici...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis tout aussi récurrent : défavorable, pour les raisons déjà exposées.

Mme Mathilde Panot. Nous soutenons évidemment l’amendement de nos collègues communistes. L’allongement de la durée de vie, qui justifierait que l’on travaille plus longtemps, cache des disparités sociales insupportables et dont vous ne parlez pas. Ainsi, les youtubeurs Osons causer viennent de mettre en ligne une vidéo relative aux chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), que personne ne contestera : une personne pauvre sur quatre située dans le premier décile meurt avant 62 ans, c’est-à-dire au moment de partir à la retraite ; et un smicard sur cinq meurt avant cette même échéance. En revanche, 95 % des plus riches, contre 76 % des plus pauvres, sont encore en vie à ce moment-là.

Une profession notamment le dit fortement dans la rue : les égoutiers, dont l’espérance de vie est de 62 ans et qui pouvaient jusqu’à présent partir à 52 ans. Le nouveau système les conduira à partir à 62 ans, c’est-à-dire à la fin de leur espérance de vie ! L’un d’entre eux témoigne : « Je n’aurais jamais pataugé dans la merde sans la promesse de l’insalubrité. Avec ces conneries, nous nous faisons avoir. Nous sommes bons pour passer nos retraites six pieds sous terre. » Tel est le monde que vous préparez, où ils passeront directement du travail au cimetière !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 sans modification.

Article 9 : Modalités de calcul et d’acquisition du point, unité de mesure d’un système juste et transparent

La commission est saisie des amendements identiques n° 5119 de Mme Clémentine Autain, n° 5137 Mme Mathilde Panot, n° 12864 de M. Pierre Dharréville et n° 21092 de M. Boris Vallaud.

Mme Clémentine Autain. L’article 9, que nous proposons de supprimer, revêt une grande importance quant à votre nouveau régime de retraite, que nous refusons : il s’agit en effet de savoir comment sera calculée la valeur du point. Je vous ai déjà interrogé ce matin sur les mécanismes de calcul de cette valeur, mais sans guère obtenir de réponses précises. Le rapporteur nous a expliqué que la valeur d’acquisition et la valeur d’usage suivraient une dynamique équivalente, ce que nous contestons, et que le coefficient d’équilibre ne serait déterminé qu’en fonction de l’espérance de vie, ce qui est littéralement faux. Et quand bien même cela serait le cas, que ferez-vous de l’écart entre les ouvriers et les cadres, ou entre les femmes et les hommes ?

Mme Mathilde Panot. Nous nous opposons, dans le droit fil de ce que vient de dire ma collègue Clémentine Autain, à la retraite tombola. Cette expression exaspère certains de nos collègues...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Pas du tout.

Mme Mathilde Panot. Elle dit pourtant bien ce qu’elle veut dire, puisque nous ne savons absolument rien sur ce qui garantira la valeur du point.

M. Jean-Jacques Bridey. Si, vous avez eu les chiffres.

Mme Mathilde Panot. La future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), dont on ne connaît pas la composition, pourra décider des paramètres essentiels, ce qui va à notre sens totalement à l’encontre de l’esprit initial de la sécurité sociale et de l’héritage du Conseil national de la Résistance. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 9.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement n° 12864 est soutenu.

M. Boris Vallaud. L’article 9 est vraiment celui de toutes les embrouilles et de tous les mensonges, qui réduit à néant toutes les assertions définitives sur l’augmentation de la valeur du point au même rythme que les salaires et autres.

Il n’apporte en effet aucune garantie sur le niveau des pensions relativement à celui des salaires : autrement dit, l’ajustement devra se faire sur les pensions et non sur les ressources. Il ne reprend pas pour 2022 le taux de rendement de 5,5 % qui figurait dans le rapport Delevoye ; celui-ci pourra baisser sans aucune garantie pendant vingt-trois ans, jusqu’en 2045, et même ultérieurement.

Pour ce qui est des règles d’indexation elles-mêmes, il y a un avant et un après 2045. En toute hypothèse, le Gouvernement aura la main sur l’évolution du taux : les partenaires sociaux pourront certes émettre un avis, mais l’équilibre du système sera la seule règle d’or qui prévaudra.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Vallaud, toutes vos interventions témoignent d’une indignation permanente. Si le système actuel était si formidable, on ne rencontrerait pas de problèmes de pauvreté chez nos anciens et chez les pensionnés, ni de problèmes liés aux trous de certaines carrières professionnelles. Vous avez exercé des responsabilités : sachons faire preuve de modestie et essayons de trouver les bonnes solutions.

Madame Panot, vous avez parlé de retraite tombola, qui renvoie à l’idée d’un trésor caché : nous quant à nous restons fidèles à la valeur travail, qui demande de s’investir. Le labeur est parfois pénible, parfois épanouissant, et doit en tout état de cause être récompensé, en l’occurrence par des points.

Venons-en au fond de cet article. Les valeurs d’acquisition et de service évolueront de la même façon et seront indexées sur l’évolution du revenu moyen par tête. C’est la règle de base, qui pourra être corrigée par le conseil d’administration de la CNRU.

Encore faut-il prévoir une transition pour éviter les à-coups trop violents : c’est pourquoi nous prévoyons un délai d’intégration qui permettra, d’ici à 2045, de passer en fuseau du système actuel, où la revalorisation calculée sur la base de l’inflation, au nouveau système, où elle est calculée sur celle du revenu moyen par tête.

Je suis donc défavorable à la suppression de cet article.

M. Éric Woerth. Les choses ne sont pas si simples... Il y a deux délais, selon qu’on est avant 2045 ou après, et deux taux d’évolution, le taux d’achat et le taux de service, ce qui fait à chaque fois deux possibilités au moins. Au final, on se retrouve avec un truc assez compliqué. Il faudrait faire très attention à lier ces deux taux. Or vous les déliez totalement jusqu’en 2045, puis vous les liez ensuite, mais en prévoyant toute une série de dérogations. On ne sait donc pas très bien ce que cela peut donner, et notamment comment évoluera le taux d’acquisition, c’est‑à‑dire le prix auquel vous achetez vos points, ni le taux de service, c’est-à-dire votre retraite. Et si vous voulez parvenir au taux d’équilibre en 2027, puis plus tard, en déliant les deux, faire évoluer plus fortement le prix du point que le taux de service, vous appauvrirez les retraités et vous ferez baisser les pensions, probablement de 7 % à 10 %. Les assurés seront donc perdants. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, il serait bon que vos réponses soient précises. Vous avez évoqué le nombre de retraités pauvres, qui serait dû à notre système actuel de retraite. Qu’en est-il dans les autres États membres de l’Union européenne ? En Allemagne, l’âge de la retraite est fixé à 67 ans – vous poursuivez, avec votre âge pivot, un objectif similaire – et le nombre de retraités pauvres a doublé : ils sont 19 %, et on en comptera 21 % dans quelques années. En Suède, le nombre de retraités pauvres a doublé depuis l’adoption du système par points.

M. Jacques Marilossian. Cela n’a rien à voir !

M. Bastien Lachaud. Enfin, taux du point ne sera pas calculé en fonction de l’évolution des salaires, mais sur l’évolution des revenus. Ce n’est pas du tout la même chose. Pire que tout, l’article 9 précise que le conseil d’administration de la CNRU pourra en décider autrement ! Ce projet de loi n’offre donc aucune garantie quant à l’indexation de la valeur point sur les salaires.

M. Boris Vallaud. Dans le prolongement des propos de M. Woerth, aucune retraite ne sera versée sur la base du nouveau régime avant 2037. La part des retraites versées sur cette base n’augmentera que très lentement : elle ne représentera en effet qu’un tiers du total en 2050. La valeur du point en 2022 n’aura donc que très peu d’influence sur l’équilibre cumulé 2022-2061, ce qui fait que le Gouvernement pourra la fixer de façon très aléatoire. Du coup, la part des pensions dans le PIB ne sera pas stabilisée, sauf en 2022. La meilleure preuve est que le décalage de l’entrée en vigueur de la mesure permettra de réaliser, à l’horizon de 2050, une économie de 0,6 % de PIB, ce qui n’est pas rien.

M. Jean-François Mbaye. Chers collègues de La France insoumise, fixer la valeur du point en fonction des salaires, et non en fonction de l’inflation, sera à l’évidence beaucoup plus bénéfique pour les futurs retraités. Il ne faut pas se mentir : on l’a dit, et on le fera. La valeur du point sera inscrite dans la loi. Où est donc le problème ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 5196 de Mme Clémentine Autain, n° 5201 de M. Bastien Lachaud et n° 5203 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Clémentine Autain. Vous nous proposez de jouer notre retraite au loto : on sait ce que l’on cotise, mais on ne sait pas ce que l’on touchera... Vous laissez entendre qu’au fond, valeur d’acquisition et valeur d’usage, c’est pareil. Or il est impossible de les comparer : la cotisation intervient à un instant T, qui se caractérisera par une certaine conjoncture économique et par un âge d’équilibre donné, et la retraite est liquidée à un autre moment, avec une conjoncture peut-être totalement différente et un âge d’équilibre qui aura pu entre-temps être modifié par décret. Autrement dit, cela ne marche pas du tout, votre affaire : on ne peut pas savoir, au moment où l’on cotise, les droits auxquels on aura accès. Votre logique est parfaitement aléatoire : si les cotisations sont fixes, les prestations ne le sont pas. Qui plus est, les garanties ne sont pas inscrites dans la loi et peuvent être modifiées par décret, c’est-à-dire en dehors de tout débat démocratique ! C’est inacceptable.

M. Bastien Lachaud. Comment peut-on aujourd’hui s’engager dans cette réforme des retraites alors qu’il sera totalement impossible aux Français de calculer la retraite avec laquelle ils vont partir ? La méthode de calcul leur est indifférente : ils veulent seulement savoir combien d’euros ils toucheront, le moment venu, à la fin de chaque mois. Jusqu’à présent, ils disposent d’une méthode simple de calcul, et ils le savent...

M. Jean-François Mbaye et M. Jean-Jacques Bridey. Non !

M. Bastien Lachaud. Par exemple, un fonctionnaire peut calculer sa pension en fonction de son échelon...

M. Jean-François Mbaye. Il n’y a pas que les fonctionnaires !

M. Bastien Lachaud. Dans le privé, on le sait aussi dès que l’on connaît ses vingtcinq meilleures années. Avec votre système la valeur du point de service pourra toujours être modifiée par décret, il n’y aura plus aucune certitude. Jusqu’au jour de sa retraite, il sera impossible pour un Français de se projeter dans cette nouvelle phase de la vie. Il est totalement aberrant de nous demander de voter un tel texte.

M. Jean-Luc Mélenchon. Faisons un peu de philosophie politique. Pourquoi la fixation de la valeur du point en fonction du revenu moyen plutôt que des salaires nous pose‑t‑elle problème ?

Le revenu moyen est un paramètre abstrait sur lequel aucun d’entre nous ne peut avoir prise : on prend la somme des revenus, ceux des multimilliardaires comme ceux des clochards, et on la divise par le nombre d’individus.

Le revenu médian est constitué pour l’essentiel – à 90 % – de salaires. Sur celui-ci, nous avons prise, dans la mesure où il varie selon le niveau des cotisations et celui des salaires, ces derniers étant déterminés par le partage de la richesse produite entre capital et travail. Or cette répartition, pour résumer sous forme de boutade, n’est autre que le fruit de ce qu’on appelle la lutte des classes... C’est bien la dispute pour la répartition de la richesse entre capital et travail qui fixe la valeur de la retraite, puisqu’elle détermine celle des cotisations et des trimestres. Voilà pourquoi nous sommes attachés à ce que les salaires constituent le repère pour définir la valeur du point.

Mme Mathilde Panot. Monsieur le rapporteur, lorsqu’on vous parle de retraite tombola, vous nous répondez que le système actuel fait beaucoup de retraités pauvres. C’est vrai, les gens partent trop tard et trop pauvres.

Dans votre monde, il n’existe qu’une seule solution pour garantir un pseudo‑équilibre financier : faire travailler les gens plus longtemps en leur versant moins de pensions. Or il est parfaitement possible d’augmenter les cotisations et les salaires : c’est la démarche que nous défendons. Nous ne sommes pas pour le statu quo : nous avons élaboré un contre-projet, je vous le rappelle, qui propose notamment la retraite à taux plein à 60 ans.

M. Jean-Jacques Bridey. Et de siphonner les caisses des complémentaires !

Mme Mathilde Panot. Vous dites vouloir récompenser la valeur travail. Mais les égoutiers, par exemple, ne font-ils pas un travail extrêmement difficile, plein de dangers, particulièrement pénible et cependant essentiel pour la salubrité publique ? Or votre projet conduira à les mettre à la retraite à l’âge de 62 ans, ce qui correspond précisément à la fin de leur espérance de vie, autrement à celui où ils vont mourir !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Vallaud, vous avez affirmé que l’on ne mesurerait la pleine application de la réforme qu’au terme d’une carrière complète effectuée sous le nouveau régime, c’est-à-dire en 2075, et qu’elle aurait pour conséquence une baisse considérable du montant des pensions. J’en conclus que votre formation politique n’envisage manifestement pas de regagner des élections d’ici là...

M. Boris Vallaud. Ce n’est pas le sujet.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous faites donc la même analyse que nous.

Chers collègues Lachaud et Mélenchon, j’ai bien parlé revenu moyen par tête, non de salaire moyen par tête. Cet indicateur n’existe pas actuellement, et il reviendra à l’INSEE de le créer. Pourquoi a-t-on choisi le revenu et non le salaire ? Parce que nous allons intégrer dans le périmètre de la réforme d’autres catégories que les salariés, les professions libérales notamment, qui perçoivent un revenu et non un salaire. Le futur indicateur mesurera le revenu moyen d’activité ; autrement dit, il n’intégrera pas les revenus financiers qui sont pris en compte dans la division abstraite dont vous avez fait état.

Monsieur Lachaud, je ne peux pas vous laisser dire qu’un système par points conduirait à ne connaître la valeur de sa pension qu’à la veille de son départ en retraite. Les valeurs de service et d’achat du point évolueront chaque année suivant la même grille, à moins que le conseil d’administration de la CNRU n’en décide autrement. Mais à dix ans du départ à la retraite, en fonction du métier que l’on exerce et du nombre de points que l’on aura accumulés chaque année, et sur la base de ce que vaudra l’euro à ce moment-là, il sera parfaitement possible de faire une évaluation de sa pension, beaucoup plus facilement qu’à partir d’un nombre de trimestres ou d’un salaire moyen sur vingt-cinq ans, lui-même revalorisé sur la base de critères que l’on ne connaît pas.

Avis défavorable.

M. Stéphane Viry. Cet article est un des points névralgiques de ce projet de loi, puisqu’il détermine les paramètres de calcul des retraites. Contrairement à ce que vous assénez, nous n’avons aucune garantie et les Français ne peuvent avoir aucune certitude sur le montant de leur retraite. Vous allez ouvrir une période de transition dans laquelle vous vous autorisez toute une série d’aléas. Les valeurs d’acquisition et de service du point pourront diverger, voire baisser, ce qui induira une perte pour les retraités, afin de maintenir l’équilibre financier du système. Qui plus est, seul le pouvoir exécutif aura, au cours de cette période, la main sur cette mécanique : elle échappera donc à tout contrôle. Vous nous demandez en fait de vous signer un chèque en blanc : ce n’est pas possible.

M. Jean-François Mbaye. M. Mélenchon a transformé ma question en sujet de philosophie politique : j’attends toujours qu’il me démontre en quoi il serait plus pertinent d’indexer la valeur du point sur l’inflation que sur les salaires.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, l’invective ne peut vous tenir lieu de réponse.

Je vous ai posé au fond les mêmes questions que celle de notre collègue Stéphane Viry. Pendant la période de transition, la valeur du point n’aura que peu d’impacts sur l’équilibre global, compte tenu de la montée en charge progressive du nouveau système, ce qui rend tous les aléas possibles, et notamment le risque de la voir baisser. On ne peut pas vous signer un chèque en blanc. Plutôt que de me répondre des bêtises, répondez sur le fond !

Mme Nathalie Elimas. Nos collègues soutiennent que le système actuel permet de connaître ses droits. Si c’est certainement vrai pour ce qui concerne les fonctionnaires, cela ne l’est pas en tout cas pour l’ensemble des Français. Le système unique aura l’avantage d’éviter à chacun de devoir aller chercher, à droite et à gauche, au sein de différents régimes, ce qu’il pourra toucher.

Monsieur Lachaud, selon vous, rien ne garantit que le point verra sa valeur augmenter. Je vous invite à cet égard à relire les alinéas 3 et 7 : « La valeur d’acquisition et la valeur de service du point applicables au titre de l’année 2022 sont fixées, avant le 30 juin 2021 [...] ». Je vous laisse prendre connaissance de la suite, car tout figure dans l’article.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cher collègue Jean-François Mbaye, pardonnez-moi d’avoir mal compris vos propos : je pensais que vous étiez opposé au calcul de la valeur du point sur la base des salaires réellement perçus. Puisque nous sommes d’accord, je n’irai pas vous chercher querelle. Mais comment sera calculée la valeur du point ? Le rapporteur vient de nous indiquer ce serait sur la base non pas du salaire, mais du revenu moyen d’activité. À combien s’élève-t-il aujourd’hui ? Nous connaissons en effet le salaire brut moyen, du toubib à celui du fonctionnaire de catégorie C : il est de 3 000 euros. Nous connaissons le revenu d’activité moyen, qui ne s’applique qu’aux indépendants : 3 440 euros ; le salaire net moyen : 2 442 euros, et enfin le revenu moyen, c’est-à-dire le résultat de la division dont je parlais tout à l’heure : 2 238 euros.

M. le secrétaire d’État. Si vous avez un peu d’expérience politique, vous n’êtes pas sans savoir que les paramètres de l’actuel système de retraite
– notamment les taux de cotisation – sont déjà tous déterminés par décret. J’entends les critiques de fond, mais parler de problème démocratique... Évitons de sombrer dans la mauvaise foi !

Vous nous interrogez sur la notion de revenu moyen. Le rapporteur a expliqué de façon intelligible et simple que l’indicateur doit être créé. Vous avez raison, il n’existe pas. Pourquoi est-ce intéressant – et juste – de créer un nouvel indicateur ? Car les salariés ne seront pas seuls concernés par la dynamique de revalorisation. L’indicateur inclura donc les revenus de l’ensemble des Français
– indépendants, fonctionnaires, salariés.

Vous pourriez contester le fait que cette réforme concerne les professions indépendantes ; il y aurait une forme de logique intellectuelle. Mais vous ne pouvez contester le fait que nous souhaitions construire un indicateur cohérent, qui prendra en compte l’évolution de tous les revenus : ceux des salariés, des fonctionnaires et de l’ensemble des professions indépendantes. Peut-être fallait-il vous fournir des explications ? Je le fais bien volontiers.

Nathalie Elimas nous a renvoyés aux alinéas que vous souhaitez supprimer : c’est particulièrement pertinent. Le débat gagnerait en intérêt si nous lisions tous le projet de loi pour ensuite en discuter. Mais comme le débat consiste plutôt à supprimer chaque ligne et chaque mois, il perd en puissance... L’alinéa 3 indique clairement les conditions dans lesquelles les valeurs d’acquisition et de service vont évoluer. Évidemment, cette décision du conseil d’administration de la CNRU sera approuvée par décret, au même titre que les taux de cotisation actuellement. Pourquoi faire semblant de s’en étonner, puisque c’est exactement ainsi que cela fonctionne le système actuel ? Ce sera même encore mieux demain, puisque le décret sera pris sur proposition du conseil d’administration de la CNRU ! Je n’ai aucun problème à débattre d’éléments qui tiennent politiquement la route et à confronter la position du Gouvernement et de la majorité présidentielle avec d’autres. Mais quand on s’acharne sur des mots, des virgules et des alinéas, le débat y perd en cohérence intellectuelle...

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 4924 de Mme Clémentine Autain, n° 4929 de M. Bastien Lachaud, n° 4931 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4933 de Mme Mathilde Panot.

Mme Clémentine Autain. Je suis stupéfaite ! Nous découvrons un nouveau lièvre toutes les heures ! Vous nous répondez à chaque fois que vous ne savez pas. Hier, vous nous avez répondu que ce serait effectivement bien de savoir ce qui va se passer pour les pensions de réversion et, aujourd’hui, nous débattons du revenu moyen et vous êtes toujours à la recherche de l’indicateur qui permettra de le calculer ! Vous rendez-vous compte du niveau d’impréparation du Gouvernement ? Vous nous demandez de voter un projet de loi au sein duquel l’essentiel va être décidé par ordonnance, tout en répondant constamment que vous ne savez pas ! On atteint des sommets !

M. Bastien Lachaud. C’est effectivement stupéfiant... On comprend mieux pourquoi il n’y a pas de simulateur de la réforme : l’indicateur d’évolution du point n’existe pas ! Et qu’en est-il des autres termes de l’équation ?

Deux ans et demi de concertation n’auront servi à rien : ce projet n’est ni fait, ni à faire. Vous m’avez répondu que j’avais tort de dire que les gens ne sauraient pas, mais il suffira d’une crise économique majeure pour que le point vacille. Les Français n’auront pas la moindre idée de la valeur de leurs points, d’autant que l’indicateur qui permettrait de la calculer n’existe toujours pas !

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez tort de dire qu’on embrouille. C’est l’inverse, on débrouille ! Nous cherchons à savoir comment est calculée la valeur du point. Ce n’est pas rien ! Les Français ne savent déjà pas combien ils vont percevoir. Qu’ils sachent au moins ce que le point vaudra !

Le rapporteur est catégorique : la valeur du point sera assise sur le revenu moyen d’activité puisque le système ne concernera pas que des salariés, mais aussi des indépendants. Dont acte. À ceci près que le revenu moyen d’activité, dans la nomenclature actuelle, cela n’existe pas ! La valeur du point doit être ancrée dans la création de richesse, et c’est pour cela que nous sommes particulièrement attachés à ce que les pensions de retraite soient calculées sur les salaires : les salaires sont évalués là où la richesse est produite, la répartition capital-travail se fait dans l’entreprise. Reconnaissez notre cohérence idéologique, monsieur le secrétaire d’État. Vous, vous voudriez qu’elle se fasse dans la société.

Mme Mathilde Panot. Monsieur le rapporteur, je n’ai pas eu de réponse à ma question sur la fameuse récompense et le mérite de la valeur travail. Je vais donc revenir à la situation des égoutiers : « Nous travaillons là où toutes les eaux usées se déversent, de vos toilettes, de vos douches, de vos machines à laver, des toits et des chaussées. Nous marchons littéralement dans la merde, au milieu des rats et des cafards. Nous travaillons parfois debout, parfois accroupis et le dos souvent plié en deux. Le danger peut venir de partout : nous pouvons chuter et nous noyer ; nous respirons aussi des produits chimiques comme ceux balancés par des photographes ou des pressings ; parfois, des poches de gaz explosent près de nos pieds. » Je vous le redemande : trouvez-vous normal qu’avec votre réforme, les égoutiers partent désormais en retraite à 62 ans – c’est leur espérance de vie – et non plus à 52 ans ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il faudrait quand même qu’on examine les articles un par un... La valeur du point est clairement décrite à l’article 55 : son alinéa 24 dispose qu’elle ne peut pas baisser. Et l’alinéa 22 prévoit que les pensions ne peuvent pas non plus baisser. L’article 9 ne fait que créer le point et asseoir son évolution sur le revenu moyen par tête. Il dispose que l’INSEE sera responsable du calcul de ce revenu moyen. L’indicateur sera quant à lui déterminé par décret.

Monsieur Mélenchon, vous estimez que l’indice doit être assis sur les salaires car c’est le lieu de création de la richesse. Les architectes, les agriculteurs, les infirmières libérales, les avocats seront ravis d’apprendre qu’ils ne produisent pas de richesse ! Soyons sérieux ! Tous les travailleurs en produisent, qu’ils soient salariés, indépendants, libéraux, chef d’entreprise ; ils y contribuent tous. Il faut donc en tenir compte dans de justes proportions, grâce à un indicateur représentatif, d’où le rôle de l’INSEE.

Je suis défavorable à vos amendements.

Pour ce qui est des égoutiers, madame Panot, peut-être n’étiez-vous pas présente hier lorsque nous avons énuméré de nombreux métiers dangereux, difficiles ou comportant des sujétions particulières : militaires, bûcherons, etc. Bien sûr, il faut en tenir compte et veiller à améliorer leurs conditions de travail. N’oublions pas non plus les gardiens de prison, qui travaillent sous forte pression sociale et psychologique. Il ne s’agit pas de viser telle ou telle catégorie, mais d’en tenir compte pour tous, avec dignité.

M. Jean-Paul Mattei. Peut-être suis-je un législateur un peu besogneux, mais je note que le II de l’article 9 dispose que la valeur d’acquisition et la valeur de service du point applicables au titre de l’année 2022 sont fixées avant le 30 juin 2021. Le I du même article vise quant à lui la période transitoire et l’alinéa 2 dispose que la revalorisation intervient au 1er janvier de chaque année. La méthode est donc claire, contrairement à ce que laissaient penser vos railleries ce matin : on fixe la valeur du point – en 2022 – et on prévoit les modalités d’évolution durant la période transitoire, jusqu’au 31 décembre 2044.

M. Régis Juanico. La discussion ligne à ligne du projet de loi est extrêmement instructive. Depuis lundi, nous sommes dans un brouillard épais. Petit à petit, le brouillard se dissipe, non pas pour les Français, mais sur vos approximations... Je pourrai prendre une autre comparaison : nous sommes dans des sables mouvants et, plus le temps passe, plus vous vous enfoncez. Comme on dit chez moi, à Saint-Étienne, votre projet n’est ni fait ni à faire et les Français peuvent désormais le constater.

Bastien Lachaud a évoqué le simulateur. Le Parisien a fait le test et le résultat se révèle décevant : dans la plupart des cas, c’est après l’adoption définitive de votre projet de loi que les Français sauront à quelle sauce ils seront mangés ! En maths, on connaît les équations avec plusieurs inconnues. Mais votre projet de loi, c’est une équation qui n’a que des inconnues !

Mme Elsa Faucillon. Notre collègue Mattei parle de méthode. Certains de nos concitoyens suivent cette commission. Faisons donc un point méthodologique : l’indexation sur les salaires, nous dites-vous, sera effective en 2045. Durant la période transitoire, entre 2022 et 2045, le point sera revalorisé sur la base d’un taux situé entre l’inflation et le revenu moyen, sauf délibération contraire de la CNRU validée par un décret, à l’initiative du Gouvernement. C’est déjà moins clair, mais tenons le cap et soyons besogneux, comme nous y invite M. Mattei.

Cherchons ensuite à comprendre comment sera calculé le revenu moyen et selon quels paramètres : et voilà que vous nous expliquez que vous ne les connaissez pas ! Vous rendez-vous compte que toute personne normale repartirait avec son texte sous le bras ?

M. Éric Woerth. En réalité, le Gouvernement garde la main avant 2045
– et même après. Tout le reste relève d’un raisonnement assez théorique.

La question centrale n’est pas de savoir s’il est préférable de revaloriser en se basant sur les revenus ou sur l’inflation : une revalorisation sur les revenus, c’est mieux, à condition qu’ils augmentent plus vite que l’inflation. Dans le cas contraire, mieux vaut s’en tenir à l’inflation... Le projet de loi n’est pas clair sur ce point. Globalement, se caler sur le revenu est plutôt une bonne idée, à ceci près que vous ne prévoyez aucune garantie. Votre graphique n° 64, page 180, dessine un « coup de rein » permettant au système de retrouver l’équilibre en 2027, mais personne ne sait ce qu’il y a dans ce coup de rein ! Si votre objectif est de revenir à l’équilibre en cinq ans, vous avez tout intérêt à indexer sur la moins bonne valeur pour les assurés – et donc probablement l’inflation.

M. Dominique Da Silva. L’indice sera élaboré par l’INSEE, dont personne ne doute du sérieux. Certes, nous ne le connaissons pas encore, mais il suffit d’analyser séparément l’évolution des salaires et celle des revenus des non-salariés. Que constate-t-on entre 2016 et 2017 ? L’évolution des revenus des non-salariés
– + 3 ou 4 % selon que l’on inclut ou non les micro-entreprises – est meilleure que celle des salariés – + 1,9 %. En conséquence, la moyenne des deux sera bien plus favorable aux pensions que la seule évolution des salaires.

Mme Clémentine Autain. C’est tout ce même bien compliqué... S’agira‑t‑il du revenu moyen ou du revenu moyen d’activité ? Tout cela témoigne d’une confusion extrême. Le revenu de solidarité active (RSA) entrera-t-il dans le calcul ? On pourrait aussi discuter de l’activité des Français au RSA, ou des retraités d’ailleurs, et de leur rôle dans la production de richesses. Et vous semblez exclure les revenus du capital ; que se passe-t-il en cas de détérioration du rapport capital-travail, qui ne cesse de s’accélérer depuis plusieurs décennies. Cela ne pourra que nous tirer vers le bas. En conséquence, rien n’indique que la valeur du point ne va pas baisser. Sans parler des décotes liées à d’éventuelles hausses de l’âge d’équilibre. Bref, vous racontez n’importe quoi ! (Exclamations sur certains bancs.)

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4941 de Mme Clémentine Autain, n° 4946 de M. Bastien Lachaud, n° 4948 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4955 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. On évoque souvent les similitudes du nouveau système avec la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO qui, même si cela n’en est pas vraiment un, ressemble à un régime par points : une logique de bonus-malus, des paramètres liés à l’équilibre financier, un taux de remplacement qui n’est pas fixé à l’avance. Nous avons désormais un peu de recul sur la façon dont fonctionne ce système complémentaire. Qu’observe-t-on ? Entre 1990 et 2009, le taux de remplacement a baissé de plus de 30 % !

Autre exemple : l’Allemagne a mis en place un système par points, qui est une machine à fabriquer de la pauvreté. Au sein de la première puissance économique européenne, la pension moyenne atteint 750 euros et, en 2018, 19 % des Allemands de plus de 65 ans étaient en risque de pauvreté, soit trois points de plus qu’en 2009. Encore une preuve, s’il en fallait une de plus, que cette réforme n’apporte absolument aucune garantie dès lors son objectif majeur est l’austérité budgétaire.

M. Jean-Jacques Bridey. On est en France, pas en Allemagne ! Et qu’en est-il au Venezuela ?

M. Bastien Lachaud. Mme Autain vient de donner des exemples des conséquences dramatiques de choix politiques que vous voulez nous imposer en France. Mais il existe des contre-exemples. Ainsi l’Espagne vient-elle de voter une nouvelle taxe sur les banques, destinée à financer les retraites. En outre, le nouveau gouvernement espagnol a revalorisé ces dernières, au bénéfice de plus de 11 millions de retraités. Pour vous, il n’y a qu’une solution : faire travailler les Français jusqu’à la mort et diminuer le niveau des pensions. C’est faux, des alternatives existent, c’est ce que proposons dans notre contre-projet ; l’Espagne les met en œuvre.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous avez argumenté en rappelant que les architectes, ou les paysans, dégagent aussi des revenus. Je ne vous ai jamais dit le contraire : j’ai simplement rappelé que le salaire est issu d’un partage avec le capital au sein de l’entreprise. Même si la base reste la même – la valeur produite –, le revenu agricole, par exemple, comprend bien d’autres composantes.

Vous m’avez répondu que le point serait calculé non sur le salaire moyen, mais sur les revenus d’activité. Le problème, c’est que cette catégorie n’existe pas. On va la créer, comme l’a dit le secrétaire d’État. Mais sachez que nous allons en discuter âprement, car ce n’est pas seulement un sujet technique !

Mme Célia de Lavergne, présidente. Nous n’en doutions pas, monsieur Mélenchon !

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4955 est défendu. J’essaie de comprendre vos mathématiques...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Mélenchon, même si je vous crois sincère dans votre volonté de comprendre, il serait vraiment préférable que nous examinions ces sujets article par article, car toutes les réponses à vos questions s’y trouvent.

En l’état actuel du droit, l’indexation est fondée sur l’inflation. Nous souhaitons à terme qu’elle soit assise sur l’évolution annuelle du revenu moyen par tête. Cet indice n’existe pas encore, nous l’avons indiqué, mais comme M. Da Silva l’a souligné, on peut supposer que l’INSEE va le construire en reprenant l’évolution des salaires et celle des revenus. Or, au cours des dernières années, l’évolution des revenus a toujours été supérieure à celle des salaires.

En outre, si l’on compare l’évolution des salaires et celle des prix – donc l’inflation – en partant d’une base 100 en 1993, les prix sont désormais à 140 et les salaires à 170. Autrement dit, les salaires ont progressé 30 % plus rapidement sur les vingt-cinq dernières années que les prix. À moins de penser qu’ils vont s’écrouler, on peut estimer qu’ils constituent une base de calcul plus intéressante.

Enfin, pour vous rassurer encore davantage, je vous invite à prendre le projet de loi page 137 : l’alinéa 24 dispose que les taux de revalorisation des valeurs d’acquisition et de service mentionnés aux 4° de l’article L. 19-11-2 doivent être supérieurs à zéro et ne peuvent être inférieurs à l’évolution annuelle des prix hors tabac constatée l’année précédente. L’évolution de l’inflation constitue donc un plancher et vous êtes assurés d’une ceinture de rappel. On ne vous floue pas ! Nos discussions sont passionnantes, mais je suis en train de capter tous les débats sur lesquels mes corapporteurs sont compétents. Ils vont finir par m’en vouloir !

M. Thibault Bazin. Certains ont battu en retraite !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On va m’accuser de cumuler. (Sourires.) Même Boris Vallaud est cité dans cet article puisqu’on parle du taux de valorisation... Pardonnez-moi ce jeu de mot facile !

M. Gilles Carrez. Je souhaite revenir sur la notion de revenu moyen par tête : tant qu’il y a de la croissance, effectivement, le revenu évolue mieux que l’inflation. Le rapporteur nous a précisé que cela permettait d’intégrer les indépendants. Or, depuis la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, beaucoup d’indépendants se servent désormais en dividendes plutôt qu’en salaire.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est lui qui le dit !

M. Gilles Carrez. Pour faire plaisir à M. Mélenchon, le décret qui encadrera l’indice devrait intégrer ces dividendes. Nos collègues Insoumis nous ont expliqué que les dividendes explosent : ce devrait donc être très favorable et c’est une manière de réconcilier capital et travail !

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, vos bons mots sont plus enthousiasmants que votre projet de loi : vous fondez le nouveau système de retraite sur un indicateur qui n’existe pas. Comment savez-vous alors qu’il sera meilleur ? Vous attendez peut-être que l’INSEE vous l’explique ? Quel amateurisme ! Quelle impréparation coupable !

Vous n’avez pas répondu concernant la période de transition, durant laquelle la valeur du point n’aura à peu près aucun impact sur l’équilibre financier, compte tenu de la montée en charge progressive du dispositif. Sa détermination pourra donc être l’objet de tous les arbitraires et de tous les aléas – cela ne se verra pas. Or c’est la période durant laquelle la règle d’indexation est la plus lâche ! Le seul moment de stabilité garantie, c’est 2022. Le risque est grand que la part des retraites dans le PIB ne s’émousse au fil des ans...

Mme Clémentine Autain. Il est difficile d’y voir clair. Pourtant, ce n’est pas faute de vous interpeller ! Pourriez-vous nous expliquer clairement ce qui se passe après 2022 ? S’agira-t-il d’un no man’s land ? Ce dont nous sommes certains, c’est que vous déciderez bien ce que vous voudrez, tout comme les gouvernements qui vous succéderont. Mais vous êtes devant la représentation nationale ! Beaucoup de députés de La République en Marche l’ont reconnu : certaines conclusions sont contre-intuitives... Mais on ne travaille pas à l’intuition ou au doigt mouillé ! Essayons de le faire sérieusement : quand on vous demande ce qu’est ce revenu, vous nous répondez « revenu d’activité ». S’agit-il de l’ensemble des revenus ? Des salaires ? Met-on le capital à contribution ?

M. Jean-Paul Mattei. Ce débat devient très intéressant. Je suis d’accord avec Gilles Carrez : il faut intégrer les revenus liés à la distribution de dividendes, voire les revenus fonciers. J’ai déposé des amendements – je ne sais pas si on les étudiera un jour... – sur l’augmentation de la flat tax. Je l’assume.

Mais l’article 9 ne parle que de revalorisation. En français, revalorisation ne signifie pas déflation ou dévalorisation ! C’est donc parfaitement clair.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je remercie nos collègues Carrez et Mélenchon d’ouvrir le passionnant débat du périmètre du régime par répartition.

Monsieur Mélenchon, vous ne pouvez pas considérer qu’élargir ce périmètre aux revenus – et non plus aux seuls salaires – est un problème. Ce serait contradictoire avec votre souhait de développer le système par répartition. Au-delà des modalités techniques, nous devrions donc être d’accord.

Monsieur Carrez, si certains indépendants privilégient aujourd’hui la sortie en dividendes, demain, ils sacrifieront leur retraite. Ce dispositif va donc les inciter à conserver des revenus qui pourront être fléchés sur leur retraite.

En conséquence, ces deux mécanismes sont de nature à conforter la répartition par rapport à la capitalisation.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’amendement n° 22124 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Maire, pour nous c’est parfaitement clair : le périmètre de la répartition doit englober tous les partages de richesse. Mais nous soutenons également que, si vous verrouillez le dispositif à 14 % de la richesse du pays, avec un nombre plus important de retraités, vous allez en contraindre à sortir du cadre et à basculer dans une retraite par capitalisation.

M. Carrez nous a donné une très importante indication. Dans la théorie classique – je suis désolée, c’est la seule que je connais –, la richesse produite est partagée entre capital et travail. C’était la base sur laquelle reposaient les régimes par répartition. Le débat actuel ne tombe pas du ciel : quand on a élargi l’assiette de financement de la sécurité sociale au-delà des seuls revenus du travail lors de la création de la contribution sociale généralisée, la discussion avec le mouvement syndical français a été houleuse.

Prendre en compte tous les revenus, y compris ceux du capital, ne me dérange pas outre mesure : après tout, cela fera monter la valeur du point. Mais il faudra le payer par l’impôt... La richesse ne surgit pas de nulle part : si personne ne la produit, elle n’existe pas !

La commission rejette l’amendement, puis, suivant l’avis du rapporteur, l’amendement n° 21273 de M. Boris Vallaud.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21560 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. Cet amendement est retiré.

L’amendement n° 21560 est retiré.

Puis la commission est saisie, en discussion commune, de l’amendement n° 16131 de M. Éric Woerth, des amendements identiques n° 30 de M. Fabrice Brun, n° 397 de M. Éric Woerth et n° 577 de M. Thibault Bazin, ainsi que des amendements identiques n° 4958 de Mme Clémentine Autain, n° 4963 de M. Bastien Lachaud, n° 4965 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 4972 de Mme Sabine Rubin.

M. Éric Woerth. Il ne suffit pas de dire que la valeur d’acquisition du point et celle des pensions ne baisseront pas, monsieur le secrétaire d’État : il faut préciser comment évolueront les deux valeurs. Si je comprends bien, de 2027 à 2045, vous avez l’intention d’indexer les deux valeurs sur l’inflation, et non sur le revenu : pour moi, c’est le moyen que vous allez utiliser pour tenter d’équilibrer le système à partir de 2027. Mais ce serait bien que vous nous le confirmiez...

J’ai deux questions précises à vous poser sur ce point. Quelle garantie les assurés ont-ils que la revalorisation de la valeur de service ne sera pas inférieure à celle de la valeur d’achat, ce dont je doute ? Quel serait l’impact moyen à la baisse sur la pension d’un retraité si les deux valeurs étaient défavorablement différentes ? L’amendement n° 16131 vise à ce que ces valeurs soient les mêmes.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est pas mal, ça !

M. Fabrice Brun. C’est avec une certaine défiance à votre égard que nous abordons le débat sur l’évolution du point, qui conditionne l’évolution du montant des pensions, puisque vous avez désindexé les retraites du coût de la vie au cours de la bataille que vous avez menée contre le pouvoir d’achat des retraités.

Il me semble important de rétablir la vérité sur certains points donnant actuellement lieu à des approximations. Non, la valeur du point n’est pas indexée sur les salaires ou les revenus de l’activité, en tout cas, elle ne le sera pas avant 2045 : votre texte prévoit bien que, pendant vingt-trois ans, la valeur du point sera indexée sur l’inflation.

Notre rôle en tant que députés consiste à défendre le montant des pensions de retraite des Français, de faire en sorte qu’ils perçoivent la meilleure pension possible. C’est pourquoi nous proposons avec l’amendement n° 30 de supprimer la phase transitoire, en indexant d’emblée sur l’évolution annuelle du revenu moyen par tête. C’est un moyen de lever toute ambiguïté, de mettre un peu de miel dans votre potion amère : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre...

M. Stéphane Viry. Personne n’a oublié ces paroles du Premier ministre en novembre 2019 : « L’indexation des points de retraite sur le niveau des salaires pour éviter tout risque de décrochage. [...] Nous le savons, nos concitoyens veulent être rassurés au sujet de la valeur du point, ils auront cette garantie. » Pourtant, l’article 9 du présent projet de loi, censé rassurer les Français, prévoit que jusqu’en 2044, c’est-à-dire pendant vingt-quatre ans, les valeurs d’acquisition et de service du point ne seront pas indexées sur le niveau des salaires, mais fixées par le conseil d’administration de la CNRU et approuvées par décret. Les valeurs seront indexées selon un taux compris entre l’évolution des prix et l’évolution des salaires.

Les promesses n’engagent que ceux les écoutent, et cet adage s’applique parfaitement au mensonge proféré il y a quelques semaines par le Premier ministre : pendant vingt-deux ans, les Français cotiseront et ne bénéficieront pas de la pleine valeur de leurs cotisations durant toute leur carrière. Pour toutes ces raisons, et pour confronter le Gouvernement à ses propres promesses et ses propres responsabilités, les députés du groupe Les Républicains souhaitent la suppression de cette période transitoire, qui constitue un risque pour les Français, en laissant toutefois la possibilité au conseil d’administration de la CNRU de prendre ses responsabilités en modifiant ces taux. Tel est l’objet de l’amendement n° 397.

M. Thibault Bazin. Les retraités français ont souffert de la sous-revalorisation des pensions que votre majorité leur a imposée. La question de la revalorisation suscite des inquiétudes légitimes pour les prochaines années. Demain, les pensions pourraient être davantage fiscalisées, c’est pourquoi ce qui compte, c’est la revalorisation réelle des retraites. Or, les alinéas 3 et 4 de l’article 9 prévoient une période transitoire si longue – vingt‑cinq ans ! – qu’il est permis de douter de la crédibilité de la réforme.

Surtout, l’illisibilité du taux se traduit par une totale absence de clarté en ce qui concerne les futures pensions. Ce que vous nous promettez en fait, c’est du brouillard pendant vingt-quatre ans, alors que pour restaurer la confiance, il faudrait au contraire une grande visibilité sur l’évolution des pensions. D’où mon amendement n° 577, qui vise à supprimer la période transitoire.

Mme Clémentine Autain. Je rappelle que dans le rapport Delevoye, page 7, il était écrit très clairement : « Ces droits acquis par le travail seront revalorisés comme les salaires : cette règle favorable permettra de préserver leur valeur jusqu’au moment du départ en retraite. »

M. Jacques Marilossian. Vous l’avez lu, ce rapport ?

Mme Clémentine Autain. Oui, je l’ai lu. Je suis blonde, mais je sais lire, figurez‑vous ! Ce genre d’interruption est insupportable, madame la présidente !

Mme Célia de Lavergne, présidente. Vous avez la parole et je demande à tout le monde de vous écouter sans vous interrompre, madame Autain.

Mme Clémentine Autain. J’insiste sur le fait que la variable ne réside pas que dans la valeur du point. Elle est liée à l’âge d’équilibre puisque, dès lors que celui-ci augmente, par exemple à 66 ou 67 ans, une décote de 5 % par an s’applique. Le niveau des pensions n’est donc pas lié simplement à l’idée selon laquelle la valeur du point serait fixe : il y a d’une part l’âge d’équilibre, d’autre part un coefficient qui vient complexifier les choses.

Il est bien dit à l’article 10 que l’âge d’équilibre sera fixé, à l’entrée en vigueur du système universel, sur proposition du conseil d’administration de la CNRU. Ce n’est donc pas le conseil d’administration de la CNRU qui va prendre la décision, mais le Gouvernement, au moyen d’un décret pris sur proposition du conseil d’administration de la CNRU.

M. Bastien Lachaud. Pendant que nous sommes en train de découvrir, au sein de cette commission, que ce projet est encore pire que ce que nous craignions, les Français continuent de se mobiliser. Dans ma circonscription, il y avait ce matin un rassemblement devant le garage des camions-poubelles. Les éboueurs en grève ont été rejoints par des chercheurs et des étudiants du Centre national de la recherche scientifique du campus Condorcet, ce qui a déclenché une violente intervention des forces de l’ordre. Deux personnes, dont un délégué CGT, sont en garde à vue, et je demande solennellement leur libération et l’ouverture d’une enquête sur les violences policières qui ont eu lieu ce matin à Aubervilliers. (Exclamations sur les bancs du groupe La République en Marche.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vais me rendre impopulaire... Toute la commission est maintenant d’accord pour dire que le repère n’est plus constitué par les salaires, mais par le revenu moyen d’activité par tête – indicateur qui n’existe pas, mais que l’INSEE va créer à la demande du Gouvernement, et dont le contenu sera défini ultérieurement. J’espère en tout cas que nous allons en discuter, car c’est important : faut-il notamment y intégrer les revenus du capital ou non ?

Vous m’avez dit tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que je ne regardais pas au bon endroit, et qu’il fallait en fait se référer à la page 137 du projet de loi, où l’alinéa 24 de l’article 55 est ainsi rédigé : « 3° Les taux de revalorisation des valeurs d’acquisition et de service mentionnés au 4° de l’article L. 19-11-2 doivent être supérieurs à zéro et ne peuvent pas être inférieurs à l’évolution annuelle des prix hors tabac constatée l’année précédente. »

Déjà, ce n’est pas le sujet, mais il y a autre chose qui me gêne dans cette phrase, à savoir la précision « constatée l’année précédente » : dans ces conditions, que fait-on des années antérieures ? M. Woerth a répondu partiellement à cette question en soulignant que le fait de se caler sur une seule année pouvait être un moyen de faire baisser le niveau des pensions.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Nous débattrons de l’article 55 le moment venu.

Mme Sabine Rubin. J’ai bien du mal à comprendre votre raisonnement mais, si je ne me trompe pas, vous préférez la notion de revenu, sans doute parce qu’il y aura de moins en moins de vrais salaires. Cette réforme va globalement dans le sens de la flexibilité du travail, de manière que, dès qu’on gagne 2 ou 3 euros, on engrange un petit point.

M. Vincent Thiébaut. Bienvenue au XXIe siècle !

Mme Sabine Rubin. J’ai également compris qu’il était difficile de lire le texte alinéa par alinéa, puisque l’ensemble des dispositions dépendent des conditions de l’équilibre financier qu’il conviendra de garantir sans diminuer la part des retraites dans le produit intérieur brut – qui serait actuellement d’environ 14 %, mais on ne sait pas exactement – et qui sera apprécié selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Bref tout cela est très flou, ce qui ouvre la voie au libre arbitre des institutions. C’est pourquoi nous proposons, au moyen de l’amendement n° 4972, de supprimer l’alinéa 3 de l’article 9.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Vous étiez un peu en avance, madame Rubin, car votre argumentation portait en fait sur l’alinéa 7...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous préféreriez, monsieur Woerth, que le point n’ait qu’une seule valeur, et non une valeur d’acquisition et une valeur de liquidation. C’était le principe de l’AGIRC-ARRCO, qui a placé un taux d’appel entre les deux : afin de parvenir à l’équilibre, il faut que le point soit acheté plus cher pour qu’il puisse servir le moment venu. Pour notre part, nous avons fait le choix de mettre à disposition de la CNRU le plus de manettes possible, afin que le système puisse être piloté finement. Ainsi, en fonction de l’activité économique, la Caisse va pouvoir jouer sur ces différentes variables que sont la valeur d’acquisition, la valeur de service ou de liquidation, mais aussi l’âge d’équilibre.

Mme Autain s’est étonnée du fait que la décision revienne finalement à l’État. En fait, il ne faut pas perdre de vue que le Gouvernement délègue une partie de son pouvoir réglementaire à la Caisse, et valide ensuite par décret les décisions qu’elle prend. La seule exception à ce mécanisme est un dispositif résultant de la règle d’or sur cinq ans, par lequel le Gouvernement doit s’assurer que l’ensemble constitué par les décisions de la CNRU est conforme à la trajectoire qu’elle aura retenue : cela s’appelle du pilotage, pour garantir l’équilibre du système. Je peux légitimement supposer qu’en 2027, nos successeurs ne manqueraient pas de s’exprimer s’ils trouvaient les coups de volant trop brutaux.

J’en reviens à l’amendement que vous avez présenté, mesdames et messieurs les députés du groupe Les Républicains, consistant à caler le point sur le revenu moyen par tête dès 2022 – ce que vous jugez plus favorable...

M. Thibault Bazin. C’est vous qui l’avez dit !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est la réalité : l’évolution du revenu moyen est plus favorable que l’évolution des salaires. Ce que prévoit le projet de loi, c’est une évolution en douceur de 2022 à 2045, afin de concilier d’une part l’objectif ambitieux de la revalorisation, d’autre part un retour progressif à l’équilibre. Si l’un de vos prédécesseurs, en l’occurrence, M. Balladur, a désindexé le critère, c’est parce que c’était plus favorable pour les finances. En ce qui nous concerne, nous souhaitons le réindexer, mais de façon progressive, en suivant une trajectoire compatible avec l’équilibre des finances publiques : c’est un objectif tout à la fois ambitieux – nous visons une revalorisation supérieure à l’inflation – et raisonnable – parce qu’on se donne du temps pour le faire.

Je conclurai en regrettant, monsieur Woerth, que vous persistiez à vouloir mélanger cette réforme avec le retour à l’équilibre du système actuel. Je sais bien que tout est lié, mais j’insiste sur le fait que c’est la conférence de financement qui est chargée de définir les pistes de retour à l’équilibre du système.

J’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

M. Gilles Carrez. Monsieur le rapporteur, pourquoi deux périodes distinctes ? On aurait très bien pu imaginer d’indexer, dès 2022, l’évolution de la valeur des points sur le revenu moyen, sauf décision différente de la CNRU approuvée par décret. Si vous instaurez cette période transitoire, particulièrement inquiétante, où il est même envisagé une indexation nulle, c’est parce que, ce faisant, vous essayez de traiter le problème du retour à l’équilibre. Or, ce qui est très frustrant, c’est que votre texte ne contient aucun élément financier de retour à l’équilibre. Pour comprendre pourquoi il y a deux périodes, il faudrait demander à la conférence de financement, qui se réunit quelque part dans Paris cet après-midi, de venir nous présenter ses perspectives financières. J’estime pour ma part qu’on ne peut pas travailler correctement dans les conditions actuelles : en tout cas, il y a aucune raison logique à prévoir deux périodes distinctes.

M. Brahim Hammouche. Le projet prévoit des dates pour la transition, mais les points de convergence ne seront pas les mêmes d’un régime à l’autre, ni d’un métier à l’autre. Si, de notre côté, nous nous référons aux revenus, c’est en raison du fait qu’il s’agit d’un système se voulant universel, qui doit donc concerner l’ensemble des actifs. Dans ce contexte, le mot « revenus » est celui qui reflète le mieux l’aspect universel du système.

Tout à l’heure, on a cité Platon. Si je me souviens bien, dans le dialogue Ménon, il est dit à un moment qu’entre Socrate et la vérité, Platon préfère la vérité. Il me semble qu’entre le dogme, la doxa et la raison pratique, c’est la dernière que nous devons préférer.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, il faut être un peu sérieux et se dire les choses franchement : à partir du moment où le projet de loi prévoit des éléments de cadrage aussi stricts, notamment en ce qui concerne les cotisations, la Caisse va jouer le rôle d’une chambre d’enregistrement, et les décrets correspondront exactement aux décisions du Gouvernement. C’est la même chose actuellement avec les rapports du COR, censés être validés par les partenaires sociaux alors que, de l’aveu même de ces derniers, ils n’ont pas leur mot à dire dans ce qui reste une commande publique. Ne nous leurrons pas : le débat censé être public, qui devrait être assuré par le législatif, ne le sera pas, alors qu’il s’agit là d’enjeux extrêmement importants pour l’avenir de nos retraites.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il est faux d’affirmer, comme le fait M. Woerth, que le pilotage se fera uniquement par la baisse des pensions. Ce qui est proposé, c’est de pouvoir jouer à la fois sur la valeur d’achat du point, donc sur le montant de la cotisation, et sur la valeur de service, ceci afin de doter la CNRU d’un maximum d’outils.

Par ailleurs, si 2045 joue le rôle d’une année charnière, c’est en raison du coût de la transition que chacun appelle de ses vœux, mais qui doit donner lieu à un pilotage extrêmement fin afin de préserver l’équilibre du régime. Si nous prenions l’engagement dès maintenant, c’est-à-dire durant la période de transition, d’indexer le point sur les revenus, nous prendrions le risque de mettre en péril l’équilibre du régime, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.

M. le secrétaire d’État. En relisant l’amendement de M. Woerth et de ses collègues du groupe Les Républicains, je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’est peut-être pas tout à fait exempt d’une certaine malice. Si je dis cela, au demeurant avec la plus grande bienveillance, c’est que les interventions de ce groupe et de son président, dont on connaît la grande expérience, ont plutôt consisté jusqu’à présent à m’interroger sur les moyens d’équilibrer le futur dispositif de retraite, et me paraissaient inspirées d’un souci de responsabilité : je ne peux donc m’empêcher de penser, non sans malice, que son amendement n° 16131 n’est pas inspiré par des intentions aussi constructives...

Sur le fond, nous aurons un taux de rendement proche de celui de l’AGIRC‑ARRCO, aux alentours de 5 % – le rapport Delevoye le situe à 5,7 % bruts. L’AGIRC-ARCCO indexe ses points en fonction de l’inflation, et on ne peut pas avoir une dynamique sur les salaires appliquée immédiatement et de façon mécanique, comme l’a rappelé Jacques Maire : il est nécessaire de mettre en place une phase de transition afin d’assurer le pilotage financier du dispositif. Le taux de rendement proposé par le Gouvernement me paraît de nature à rassurer l’ensemble de nos concitoyens. J’entends votre remarque comme un appel à la vigilance sur les équilibres financiers plus que comme un amendement visant à instaurer une mesure couperet, qui supprimerait ce qu’en son temps Édouard Balladur avait perçu comme une bonne idée pour permettre au système de survivre – et, qui disons-le, contribue de façon significative à l’équilibre financier actuel.

M. Thibault Bazin. Nous sommes peut-être malicieux, mais nous ne sommes pas dupes !

La commission rejette successivement l’amendement n° 16131, puis les amendements identiques n° 30, n° 397 et n° 577, et enfin les amendements identiques n° 4958, n° 4963, n° 4965 et n° 4972.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21109 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. J’ai observé comment le rapporteur et le secrétaire d’État s’enfonçaient lentement dans les sables mouvants en parlant des valeurs d’acquisition et de service du point, et de l’âge d’équilibre, tout en évoquant la possibilité d’un pilotage fin... J’espère pour eux qu’il n’y aura pas trop de verglas, de coups de volant trop brusques, et de sorties de route !

Ce que veulent les Français, c’est qu’on leur garantisse clairement que leur pouvoir d’achat sera préservé et revalorisé dans le temps. Or les explications que vous leur donnez ne paraissent pas de nature à les rassurer : c’est pourquoi nous souhaitons préciser, à l’alinéa 3 de l’article 9, que les décrets qui seront pris le seront en Conseil d’État : compte tenu des nombreuses erreurs, lacunes et imprécisions que le Conseil d’État a pu relever lors de l’examen préalable de ce projet, il apparaît essentiel que le Gouvernement puisse être mieux accompagné et assisté par cette haute juridiction administrative au moment de la préparation des décrets, en particulier de ceux qui porteront sur la revalorisation des pensions.

Tel est le sens de notre amendement n° 21109.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Puisque beaucoup sont attentifs à ce que pense le Conseil d’État, autant aller à la source. Je vous invite donc à vous reporter à la page 327 du guide de légistique élaboré par le Conseil en collaboration avec le secrétariat général du Gouvernement, où l’on peut lire la préconisation suivante : « Le recours au décret en Conseil d’État entraîne cependant une certaine rigidité. […] Il convient donc d’éviter les renvois non justifiés ainsi que les renvois trop généraux au décret en Conseil d’État dans les dispositions finales d’un texte ou d’une subdivision d’un code. […] Ne justifient en général pas la consultation du Conseil d’État les réglementations techniques et soumises à des changements fréquents ou les dispositions fixant des montants, des seuils et des valeurs. »

Le Conseil d’État – qui, je le rappelle, est le conseil juridique du Gouvernement – indique lui-même qu’il n’est pas recommandé de le solliciter sur ce genre d’éléments : on ne saurait être plus clair.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Éric Woerth. Pardon, monsieur le secrétaire d’État, mais force est de constater qu’il y a ce qu’il faut bien appeler une entourloupe dans votre façon de présenter les choses. Vous avez dit aux Français que le point de pension augmenterait en fonction du revenu – c’est du moins ce que les gens ont cru comprendre de vos explications –, alors que ce n’est pas le cas. Mais dans ce cas, pourquoi faire deux valeurs ? C’est donc bien qu’il doit se passer quelque chose en 2045...

Par ailleurs, vous nous dites que ce que nous proposons coûte cher et n’est pas financé, ce qui est un comble : si vous n’avancez aucune mesure de financement de votre projet, nous assumons pour notre part d’augmenter l’âge de départ en retraite, ce qui représente une dizaine de milliards d’euros pour un an de plus. À terme, l’augmentation serait de trois ans étalée sur une douzaine d’années, ce qui procurerait une trentaine de milliards pouvant être injectés dans le système : comme vous le voyez, nous nous donnons les moyens de changer les paramètres du système.

Enfin, vous prétendez que le pilotage sera confié aux partenaires sociaux, tout en répétant sans cesse que les deux taux de revalorisation sont fixés par une délibération de la CNRU ou à défaut par décret : en réalité, le poids de l’État dans ce dispositif est tout à fait considérable. Il y a donc bel et bien une entourloupe, à la fois sur la valeur du point et sur le pilotage.

M. Boris Vallaud. Cette période de transition ouvre effectivement la porte à toutes les escroqueries, à toutes les mauvaises manières. Dans un premier temps, la valeur du point sera indolore sur l’équilibre financier, puisque vous ne verserez que peu de pensions – un tiers à partir de 2050 – et, durant cette période, tout sera possible, avec des conséquences – érosion du rendement, baisse de la part des retraites dans le PIB, etc. – qui ne se révéleront que lorsque le dispositif jouera à plein. Dans ces conditions, et compte tenu du peu de confiance que nous avons en vous, il ne paraît pas abusif de solliciter l’avis du Conseil d’État.

M. Jean-Luc Mélenchon. Quand vous m’avez renvoyé à l’alinéa 24 de la page 137 du projet de loi au motif de m’éclairer, c’était plutôt pour me perdre, car ce qu’on y trouve est beaucoup moins clair que ce qui est écrit page 65, à l’alinéa 3 de l’article 9 : « [...] l’évolution annuelle du revenu moyen par tête, constatée par l’Institut national de la statistique et des études économiques selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d’État ». En France, c’est donc le Conseil d’État qui décide des modalités de répartition entre capital et travail, comment la richesse produite se répartit entre les actifs et les inactifs... C’est pourtant bien à la représentation nationale de s’occuper de cela, et non à une autorité administrative !

Par ailleurs, M. le rapporteur a lu un extrait du guide de légistique du Conseil d’État où celui-ci préconise de ne pas l’interroger sur des sujets aussi précis, qui ne relèvent pas de sa compétence. Or, que penser de la formule figurant également à l’alinéa 3 : « Chacun de ces taux doit être supérieur à zéro et compris entre l’évolution annuelle des prix hors tabac et l’évolution annuelle du revenu moyen par tête. » ? Supérieur à zéro, cela va de zéro à l’infini ! Vous qui plaidiez pour la précision, monsieur le rapporteur, convenez-en : c’est totalement confus.

M. le secrétaire d’État. Si le fait que les taux de cotisation soient fixés par décret constitue une telle atteinte aux prérogatives du Parlement, on peut s’étonner, monsieur Vallaud, que la majorité de l’époque, dont vous faisiez partie, n’ait pas jugé bon y remédier au cours de la législature précédente...

M. Boris Vallaud. Je n’étais pas député !

M. le secrétaire d’État.... et la même remarque vaut pour le fait de soumettre les décrets au Conseil d’État, ce que vous et vos amis n’avez pas fait non plus.

Monsieur le président Woerth, j’ai bien noté que nous n’avions pas la même vision de ce que doit être la transformation de notre système de retraite. Vous êtes le défenseur d’une mesure d’âge s’appliquant de façon uniforme à l’ensemble des Français, qui faisait d’ailleurs l’objet d’une proposition de votre candidat à l’élection présidentielle. Il ne vous aura pas échappé que, de mon côté, je défends un autre projet, consistant plutôt en une transformation du système de retraite afin de l’adapter aux évolutions de notre société et du marché du travail. Je ne nie pas l’intérêt que votre proposition aurait pu avoir en termes d’équilibre financier, je dis simplement que cette proposition n’était pas suffisamment ambitieuse pour notre société et ne répondait pas aux attentes des Français – qu’il convient cependant, je le reconnais, d’inciter à travailler un peu plus longtemps, tout en leur permettant de partir à l’âge légal de 62 ans s’ils le souhaitent.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21110 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. J’entendais tout à l’heure le rapporteur nous citer le guide de légistique pour justifier le fait qu’on ne soumette pas au Conseil d’État le décret visé à l’alinéa 3 de l’article 9. La « rigidité » évoquée à ce propos me rappelle un peu certains débats que nous avons dans l’hémicycle, notamment lorsque nous parlons du droit du travail. Or le texte dont nous débattons aujourd’hui n’est pas un petit texte technique de simplification, mais un projet qui touche fondamentalement à la vie quotidienne, présente et future, de l’ensemble des Français. Plutôt que de rigidité, j’ai donc plutôt envie de parler de protections fondamentales, de garanties élémentaires des droits collectifs : ce dont il est question, c’est tout de même de notre système de retraite solidaire ! J’estime donc que, par exception à la règle préconisée par le Conseil d’État, nous devrions avoir en la matière un décret en Conseil d’État, qui serait beaucoup plus sécurisant pour les droits des Français.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je conçois tout à fait, monsieur Juanico, qu’il soit essentiel de sécuriser : cette sécurisation doit porter sur la pension versée à nos concitoyens, mais aussi sur l’équilibre budgétaire, afin d’être en mesure de garantir que les générations suivantes pourront aussi en bénéficier. À titre de comparaison, il faut savoir que le budget actuel des pensions versées s’élève à 325 milliards d’euros par an, et le budget de l’État, net de la part redonnée à l’Union européenne et aux collectivités, à 338 milliards : nous sommes dans le même ordre de grandeur. Il est tout simplement dans la logique des choses que l’État soit très attentif à la gestion d’une somme aussi considérable, alimentée par les cotisations de millions de gens et qui sert également à verser une pension à des millions de gens.

Dans ces conditions, vous comprendrez que nous soyons attachés à maintenir un équilibre entre une démocratie sociale représentée au sein de la CNRU et une démocratie parlementaire soutenant le Gouvernement. C’est précisément le fait que plusieurs acteurs aient un rôle à jouer dans ce domaine qui va donner une excellente visibilité aux décisions prises par l’organisme unique qu’est la CNRU. Pour moi, c’est l’expression typique d’un équilibre démocratique des pouvoirs : les décisions pourront être prises en considération des exigences des uns et des contraintes des autres. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Thibault Bazin. Nous sommes peut-être malicieux, comme vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, mais nous ne sommes pas dupes, et je relève des différences fondamentales entre nous. Le projet que vous avez défendu en 2017 devant les Français a été source de confusion du fait du mode de financement du dispositif. Nous avons le mérite de la clarté : nous souhaitons préserver le pouvoir d’achat des Français – c’est notre leitmotiv. Or sans équilibre, il n’y a pas de revalorisation. Les Français veulent savoir quel sera l’avenir de leur pension. Pour ceux nés avant 1975, vous ne changez rien de ce qui est prévu depuis le dispositif Balladur, c’est-à-dire l’indexation sur l’inflation. Pour les Français nés après 2004, l’indexation se fera sur l’évolution des revenus ; il faudra simplement s’assurer des modalités de calcul. En revanche, pour les personnes nées entre 1975 et 2004 ? S’agira-t-il d’une génération sacrifiée ?

M. Jean-Jacques Bridey. Ce sera entre les deux.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21111 de M. Boris Vallaud.

M. Serge Letchimy. M. le rapporteur a indiqué que le recours au Conseil d’État ne serait pas justifié pour le décret visant à fixer les valeurs d’acquisition et de service du point. Vous n’avez pas conscience du contexte extrêmement aléatoire et flou dans lequel nous évoluons. Vous dites vous-même que les éléments paramétriques que craignait tellement M. Berger se retrouvent au cœur du débat, par la construction de la valeur du point. À ce titre, le rapport du Conseil d’État avait fustigé les orientations prises dans le cadre de la réforme des retraites. Il semble donc capital de sécuriser les systèmes, de donner la possibilité de sortir du dogme que vous avez établi, lequel consiste à répéter à plusieurs reprises dans le texte le besoin de soutenabilité et d’équilibre financier, qui s’établira en défaveur des populations, notamment les plus défavorisées. C’est pourquoi nous proposons de recourir au Conseil d’État pour rédiger le décret.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos lectures des avis du Conseil d’État sont à géométrie variable... Lorsqu’il critique le projet de loi, vous le suivez. Dans le cas considéré, où le Conseil d’État indique qu’il ne souhaite pas être embolisé par de telles décisions, vous souhaitez tout de même le solliciter ! Il faut faire preuve de cohérence. Le Conseil d’État, conseil juridique du Gouvernement, ne nous invite pas à le solliciter sur l’évolution des paramètres du système. Nous suivons son avis.

M. Bastien Lachaud. Vous avez raison de dire que le Conseil d’État ne doit pas être enseveli sous des décrets. Son vice-président le disait hier dans Le Monde : « Il convient peutêtre de faire moins, mais mieux, en se montrant plus sélectif sur les réformes qui nécessitent un travail d’évaluation vraiment approfondi. C’est évidemment le cas pour la construction d’un système universel de retraites : il faut y consacrer du temps, de l’expertise, afin d’accompagner ce pari de long terme. » Si vous voulez écouter l’avis du Conseil d’État, retirez votre texte et revenez devant nous avec une autre réforme.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22655 du rapporteur général.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Dans le droit fil de ce que nous avons dit précédemment, l’amendement vise à corriger l’article pour faire apparaître l’expression « revenu d’activité moyen par tête ». C’est une précision dans la rédaction, en lien avec les discussions que nous avons eues. (Exclamations.)

Mme Clémentine Autain. Afin que la commission soit éclairée et puisse voter en conscience, peut-on savoir ce qu’inclut l’expression « revenu d’activité moyen par tête » ?

M. le secrétaire d’État. Elle a fait l’objet d’un long échange, où le président Mélenchon et le président Woerth se sont exprimés. Le rapporteur souhaite préciser que l’indicateur renvoie à l’activité. Nous avons vu, y compris dans les échanges hors micro entre Gilles Carrez et le président Mélenchon, que ce sujet pouvait faire l’objet d’une réflexion.

En page 319 de l’étude d’impact, un graphique montre la dynamique des salaires par rapport à l’inflation. Tout le monde, y compris les précédents législateurs, reconnaît le dynamisme de cet indicateur de l’INSEE. C’est pour cette raison qu’il a été sorti de l’indexation des salaires portés au compte, et désormais indexés sur l’inflation. Voilà donc ce qui a été constaté depuis 1993 en matière d’équilibre budgétaire sur les retraites.

Nous proposons de revenir à la notion d’indexation sur les salaires, en allant plus loin car, on l’a dit, le système universel compte non seulement des salariés, mais aussi des fonctionnaires et des professions libérales. Nous devons donc disposer d’un nouvel indicateur, composite, qui parle aux revenus de l’ensemble de ces populations – 70 % de salariés, 20 % de fonctionnaires et 10 % d’indépendants. La dynamique des salaires qui composerait 70 % de l’indicateur global pèsera le plus dans ce revenu moyen d’activité par tête que propose M. le rapporteur et auquel je donne un avis favorable.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Vous êtes plusieurs à m’avoir demandé la parole. Pour respecter les règles que nous nous sommes fixées, je vais mettre aux voix l’amendement. Comme je l’ai proposé, nous suspendrons ensuite la séance. Compte tenu du nombre d’amendements, nous pourrons naturellement reprendre nos débats après la suspension.

La commission adopte l’amendement.

(Suspension de séance)

La commission examine les amendements identiques n° 4975 de Mme Clémentine Autain, n° 4980 de M. Bastien Lachaud, n° 4982 de Jean-Luc Mélenchon et n° 4989 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. Vous avez fait adopter sans débat l’amendement n° 22655. Son numéro, et le détail n’est pas tout à fait mineur, signifie qu’il a été parmi les derniers à être déposé, il y a quelques jours seulement. Or il ne porte pas sur un sujet anecdotique, mais sur le cœur de notre projet puisque vous passez d’un mode de calcul du point à partir du revenu moyen par tête, à un calcul à partir du revenu d’activité moyen par tête. Non seulement vous n’avez pas été capable de définir le revenu d’activité, quand nous l’avons demandé, mais il n’existe même pas parmi les indicateurs de l’INSEE, au contraire du salaire moyen par tête.

Le rapporteur l’a dit, on peut supposer que l’INSEE en donnera une définition, mais il est ahurissant et totalement antidémocratique de nous demander d’adopter un tel amendement, sans débat. Nous aurons donc une base de calcul du point sans connaître ce qu’est le revenu d’activité moyen par tête.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Tout comme vous, je regrette le déroulé de nos débats. Si nous avions choisi nos combats et déposé un peu moins d’amendements, nous aurions peut-être pu discuter de chacun un peu plus longtemps. (Exclamations.) Nous avons eu un long débat sur le revenu d’activité moyen par tête lors de la discussion sur les amendements précédents. Je considère que le débat a eu lieu. J’ai fait respecter les règles qui ont été définies par le bureau. À ce stade, je considère donc que nous devons poursuivre l’examen des amendements. Plusieurs de vos collègues ayant déposé un amendement de suppression de l’alinéa 4, je donne la parole à M. Lachaud pour défendre l’amendement n° 4980.

M. Bastien Lachaud. Si le débat avait réellement eu lieu, nous saurions aujourd’hui ce qu’est le revenu d’activité moyen. Or force est de constater que nous ne le savons toujours pas. Ce revenu intègre-t-il les revenus du capital, les revenus du travail, la rente, la prime d’activité ? Nous n’en avons aucune idée. On ne peut pas considérer que le débat a eu lieu quand la plus simple des questions n’a pas reçu de réponse. Quel est ce revenu d’activité que vous venez d’adopter ? Que comprend-t-il ? Devrons-nous attendre quarante ans pour que l’INSEE tombe d’accord sur un indice ? Saurons-nous ce que comprendra la loi lorsque nous la voterons ? Pour l’instant, nous ne le savons pas.

M. Jean-Luc Mélenchon. La procédure voulait que nous puissions intervenir après les interventions du rapporteur et du secrétaire d’État. On ne peut pas dire que les règles aient été appliquées, à moins d’avoir été modifiées. Nous avons l’impression que vous êtes embarrassés. Pour ce qui me concerne, je m’en réjouis car un parlementaire peut passer des heures à discuter sans toucher du doigt l’efficacité de son discours.

J’ai posé au rapporteur une question sur le revenu d’activité. Il semble l’avoir oubliée. Ses premières explications montraient qu’il n’avait pas idée de ce que représentait cet indicateur lequel, en effet, n’existe pas et doit être créé. Le secrétaire d’État, après plusieurs interventions d’autres orateurs, a fini par concéder qu’il ne sait pas ce qu’est le revenu d’activité – et pour cause, puisque, d’après l’alinéa 3, son évolution doit être constatée par l’INSEE.

Le secrétaire d’État supposait que l’INSEE nous donnerait un bon indice. Je l’invite à relire son texte : cette tâche revient au Conseil d’État. Il est extraordinaire que des législateurs confient à une autorité administrative la question de savoir si les revenus du capital et ceux du travail sont égaux, au moment d’évaluer la valeur d’un point. Si l’on y inclut les revenus du capital, vous verrez le bond en avant que fera la valeur du point et vous devrez vous demander comment réaliser l’équilibre.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4989 vise à supprimer l’alinéa 4, qui n’est plus valable puisqu’il y est question de « l’évolution annuelle du revenu moyen par tête », et non du revenu d’activité moyen par tête. C’est un brouillon de texte que nous étudions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sur la forme, un rapporteur a le droit de déposer un amendement à tout moment. Par ailleurs, l’amendement n° 22655 a été déposé dimanche dernier. Je veux bien entendre que nous n’avons pas eu le débat, finissons‑en avec les polémiques : nous discutons de ce revenu d’activité depuis une heure et demie.

Par ailleurs, madame Rubin, le texte n’est pas écrit n’importe comment : le II de mon amendement dispose : « En conséquence, procéder à la même insertion à l’alinéa 4. » La notion d’activité est plus large que la simple notion de salaire : au cours de sa vie, un Français peut avoir des périodes où il travaille comme libéral, salarié ou fonctionnaire. Il nous semblait intéressant d’intégrer cette réalité. L’INSEE, comme à son habitude, créera un indicateur agrégé, en utilisant des indicateurs qu’il connaît, comme le prix et le revenu, et en proposant une répartition au vu des années passées. C’est ainsi qu’un indice se construit, et il en existe bien d’autres – l’indice des prix à la construction par exemple. Et personne n’a remis en cause l’objectivité de l’INSEE.

Mme Elsa Faucillon. Depuis plus de trois quarts d’heure, nous vous interrogeons sur le terme de revenu moyen par tête, par opposition à celui de salaire moyen, qui est plus facile à appréhender, grâce à l’inflation. À droite, comme à gauche, les orateurs demandent si cet indicateur inclut les revenus du capital. À ce stade de la discussion, personne ne mentionne le souhait d’ajouter le terme « d’activité ». Non seulement vous ne répondez pas, mais avec votre amendement n° 22655, vous changez les règles et vous le faites voter avant tout débat !

Cela montre à quel point vous êtes gênés aux entournures : il y a quelque chose sur lequel vous ne souhaitez pas nous répondre. De vos précisions sur le « revenu d’activité », je comprends que vous ne voulez surtout pas y inclure les revenus du capital et du patrimoine, qui feraient considérablement monter le taux, ce qui aboutirait à des retraites élevées. En dehors de cela, vous ne savez pas ce que comprendra ce taux. Comment voulez-vous que la représentation nationale puisse être éclairée si vous-même, qui rédigez les textes, n’en savez rien ?

M. Serge Letchimy. Je suis extrêmement étonné de la méthode, qui crée de la suspicion. M. le rapporteur dépose un amendement, et c’est tout à fait son droit, lequel est voté avant même qu’un débat n’ait lieu. Convenez qu’il y a là un vrai problème, d’autant que vous avez refusé à plusieurs reprises notre proposition de demander au Conseil d’État de traduire techniquement ces paramètres, ce qui pourrait nous sécuriser. Or vous modifiez le terme de revenu par tête en y ajoutant « d’activité ». C’est un enjeu majeur, qu’il ne faut pas négliger.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Une fois que le rapporteur a donné son avis, j’ouvre les débats. Chaque groupe peut faire intervenir un orateur, pendant une minute. C’est ce qui s’est produit tout à l’heure. Puis, le secrétaire d’État a la possibilité de répondre, avant que nous ne passions au vote. C’est ainsi que nous avons procédé jusqu’à présent, et que nous continuerons de procéder, sauf si le bureau en décide autrement lors de sa réunion prochaine.

M. Thibault Bazin. Si cela peut rassurer le groupe La France insoumise, comme nous n’irons pas au bout de l’examen des amendements, la modification ne sera pas prise en compte dans le texte final et nous étudierons en séance le texte du Gouvernement. Si l’amendement n’était que rédactionnel, cela n’aurait pas grande importance. S’il introduisait une précision essentielle, cela ne serait pas grave non plus car ce que nous votons ne sert à rien...

Il nous aura fallu attendre cinq jours pour examiner trois amendements du rapporteur. L’ensemble des rapporteurs a déposé moins de vingt amendements sur un texte de soixante‑cinq articles. Soit le projet de loi était parfait, mais il ne l’est pas du tout, soit les rapporteurs avaient anticipé que la commission n’irait pas au bout – on peut alors douter de la sincérité de nos travaux –, soit ils ont manqué de temps pour effectuer un travail sérieux. Mais lorsque l’on envisage de toucher aux 325 milliards d’euros du système de retraite de l’ensemble des Français, on devrait prendre le temps nécessaire pour faire un travail sérieux.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous parlons non seulement de 330 milliards, mais de la vie de millions de gens, qui, au moment de la retraite, seront rémunérés par des points, calculés d’après plusieurs critères. À ce stade, il est question d’une série de changements, qui ont de l’importance mais dont nous ne comprenons pas les motifs.

Premièrement, le salaire moyen, indiqué par le rapport Delevoye, devient revenu d’activité. Je vous interroge sur ce point, et vous me dites que cela va de soi. Je ne partage pas cette opinion : il y a déjà un premier changement.

Deuxièmement, le revenu d’activité, cela n’existe pas. Vous indiquez qu’il revient à agglomérer les salaires et les revenus des gens qui n’ont pas de salaire. Je vous répète que le revenu d’activité n’existe pas, en statistique. Vous-même finissez par en convenir.

Pour finir, le secrétaire d’État dit que l’on peut supposer que l’INSEE fabriquera un bon indice, ce à quoi je réponds que cette tâche revient au Conseil d’État. Sur ce point, je n’ai pas reçu de réponse.

Je continue à me demander comment tout cela a été mis au point et quelles sont vos intentions réelles. J’en profite pour interroger le Conseil d’État, qui a rédigé un très long avis – je l’ai interrogé selon la procédure républicaine : cela ne signifie pas que nous soyons tenus de le suivre –, mais où il omet de calculer le revenu moyen d’activité en France. Cette attribution, qui revient à trancher entre capital et travail, n’est pourtant pas négligeable ; il n’en dit pourtant pas un mot.

M. Jean-Paul Mattei. Je rappelle au président Mélenchon que le revenu d’activité est défini par l’article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale comme « toutes les sommes, ainsi que les avantages et accessoires en nature ou en argent qui y sont associés, dus en contrepartie ou à l’occasion d’un travail, d’une activité ou de l’exercice d’un mandat ou d’une fonction élective, quelles qu’en soient la dénomination ainsi que la qualité de celui qui les attribue, que cette attribution soit directe ou indirecte ».

A contrario, « ne constituent pas un revenu d’activité les remboursements effectués au titre de frais professionnels ». Il est intéressant de se plonger dans cette définition. Ne dites donc pas que le revenu d’activité n’existe pas.

M. Jean-Luc Mélenchon. Dans ce cas, pourquoi demander à quelqu’un de construire un indice ?

M. le secrétaire d’État. Nous avons tout intérêt à bien lire le texte, et particulièrement l’alinéa 7 de l’article 9 : le décret en Conseil d’État fixera les modalités du revenu d’activité, tel que l’amendement du rapporteur général et du rapporteur l’a précisé. Jean-Paul Mattei a rappelé certaines dispositions légales en la matière : sur le fond, il n’y a pas de polémique. Tout le monde connaît le salaire moyen par tête (SMPT), utilisé jusqu’en 1993 pour faire évoluer les salaires portés au compte. Il n’y a donc pas de révélation en la matière, ce que j’ai expliqué reste valable : les salariés et les fonctionnaires ont chacun un SMPT propre. Nous devrons également prendre en compte les revenus des professions libérales et des indépendants. Nous aurons alors un indicateur aggloméré, qui sera précisé et validé par le Conseil d’État, et c’est bien l’INSEE, organisme indépendant, qui le produira tous les ans. Par conséquent, ce revenu moyen d’activité par tête sera construit de façon aussi indépendante et professionnelle que l’actuel SMPT pour les fonctionnaires et les salariés. Finissons-en avec la polémique et avançons sur d’autres sujets. Il s’agit d’un revenu d’activité qui, M. Mattei l’a précisé, est détaillé dans d’autres dispositions légales.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 4992 de Mme Clémentine Autain, n° 4997 de M. Bastien Lachaud, n° 4999 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5005 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. Alors que nous continuons de proposer la suppression des alinéas de l’article 9, je reviens sur le revenu d’activité moyen par tête, qui n’est pas très connu. Vous nous dites tout à la fois qu’il est déjà défini dans les textes, que l’INSEE l’élaborera, voire que le Conseil d’État en décidera... Et lorsque nous vous posons une question précise, par exemple si les personnes qui touchent la prime d’activité entrent dans le calcul, vous n’êtes pas capables de nous répondre. La catégorie est donc suffisamment inconnue pour que, introduite au dernier moment dans le texte, elle ne soit pas de nature à éclairer le législateur !

M. Bastien Lachaud. Tout repose en effet sur la définition du revenu d’activité moyen par tête. Des sites internet affirment que chaque année, le salaire moyen par tête est calculé en France, afin de connaître l’évolution du revenu moyen des Français. Le revenu d’activité ne serait-il donc pas le revenu du salaire ? (Exclamations.) Il faudrait savoir ! Personne n’est d’accord sur une définition du revenu d’activité. Il n’est pas neutre de changer l’indice sur lequel la valeur du point et son évolution seront calculées. La question est simple : quels revenus seront comptabilisés dans le revenu d’activité ? La prime d’activité sera-t-elle prise en compte ?

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai bien compris ce qu’ont dit M. le secrétaire d’État et M. Mattei. Pourtant, l’alinéa 3 de l’article 9 prévoit que l’évolution du revenu moyen par tête sera « constatée par l’Institut national de la statistique et des études économiques selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d’État ». C’est donc bien qu’elles n’existent pas !

L’INSEE utilisera les décisions du décret en Conseil d’État non pour fixer l’indice mais pour réaliser son appréciation. Nous savons bien ce qu’est le revenu médian ou le revenu moyen : ces mots ont un sens bien défini. Mais nous ne pouvons pas improviser le revenu d’activité en cours de route, en disant qu’il va de soi. Il existera, sans doute, mais pourquoi faut-il 2 heures pour que nous parvenions à nous mettre d’accord là-dessus ?

Mme Sabine Rubin. Si le revenu d’activité est déjà défini, pourquoi ne pas préciser dans l’alinéa « tel que précisé dans le code de la sécurité sociale » ? Du reste, à supposer qu’il existe, il reste à calculer le calcul du revenu d’activité moyen par tête, qui n’a rien à voir avec un revenu agrégé. C’est la raison pour laquelle nous demandons des précisions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. M. Letchimy s’est plaint qu’il y ait eu un vote avant débat, mais cela fait une heure et demie que nous discutons sur la nécessité de prendre en compte les revenus d’activité, qui plus est en balayant à plusieurs reprises l’intégralité des sujets qu’abordent les soixante-cinq articles du projet de loi. Nous faisons et refaisons les débats.

M. Serge Letchimy. Il n’empêche qu’il y a eu un vote sans débat !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Letchimy, la règle veut que nous nous répondions, l’un après l’autre. Vous venez d’arriver : respectez au moins le travail posé, équilibré, respectueux et pourtant responsable que nous avons mené.

Il y a eu des débats, des explications. J’entends que l’indice du revenu d’activité moyen par tête, que vous évoquez comme étant moins favorable, doit être précisé. Cela dit, comme il touche à la fois à la valeur d’acquisition et à la valeur de service, cela joue dans les deux sens : s’il s’applique sur une base très dynamique, la valeur d’acquisition le sera aussi, ce qui aura également une incidence pour les Français, qui doit être évaluée. L’indice sera indubitablement présenté et validé, notamment par le conseil d’administration de la CNRU.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Je confirme que nos débats doivent être menés dans le respect et l’écoute des uns et des autres, même s’ils ne portent pas sur l’alinéa que nous devrions examiner. Notre commission et les personnes qui nous regardent sont toutefois conscientes que nous conduisons un débat approfondi sur de nombreux thèmes.

M. Boris Vallaud. Veuillez m’excuser de prolonger la discussion car ces choix ne sont pas neutres. Je ne disconviens pas que l’on puisse réfléchir à un nouvel agrégat. On nous a dit que le revenu d’activité moyen par tête serait l’agrégation de l’évolution des revenus d’activité des non-salariés, qui est très dynamique. J’ignore si c’était le cas juste après la crise de 2008 ou si ce dynamisme perdurera.

De la même manière, on additionne les revenus d’activité des fonctionnaires, alors que l’on connaît les efforts qu’ils ont consentis depuis plus d’une dizaine d’années. Vous fondez un élément central de votre dispositif sur un agrégat dont vous-même êtes en train de dire qu’il est en constitution et dont vous ignorez si l’évolution favorisera les salaires. Vous ne pouvez tout de même pas introduire une telle hypothèque. Il serait extrêmement inquiétant que vous fassiez tout au pif...

M. Jacques Marilossian. M. Mélenchon a estimé scandaleux que le revenu d’activité moyen soit fixé par le Conseil d’État, en vertu de l’alinéa 3. Si j’ai bien lu le texte, il y aura deux périodes pour les taux : l’une, à partir de 2045 ; l’autre, jusqu’au 31 décembre 2044. Je suggère qu’un amendement rédactionnel rectifie légèrement la rédaction de l’alinéa car l’expression « selon des modalités de calcul déterminées par décret en Conseil d’État » concerne non pas le revenu d’activité moyen par tête, mais les taux.

Une virgule semble manquer entre « économiques » et « selon » puisque, au paragraphe suivant, il est dit que les « deux taux sont égaux à l’évolution annuelle du revenu moyen par tête ». C’est bien pour la période d’avant 2045 qu’il faut fixer un taux, calculé par le Conseil d’État, dont nous proposons qu’il soit entre zéro et le revenu moyen d’activité par tête. Avec cette virgule, sans doute auriez-vous compris autrement.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 21112 de M. Boris Vallaud.

M. Serge Letchimy. L’amendement est défendu. Je suis attaché au débat, monsieur le rapporteur ; je note seulement que nous sommes passés d’un revenu moyen par tête, constaté par l’INSEE, à un revenu moyen d’activité. Votre amendement de précision rédactionnelle est bel est bien un amendement de fond !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Les deux taux prévus devront se rejoindre et on tiendra compte, pour cela, de l’évolution annuelle du revenu moyen par tête – le revoilà ! Cet indicateur n’existe pas aujourd’hui – il ne devrait pas être si difficile de le reconnaître. Et ses modalités de calcul ne seront pas déterminées par l’INSEE mais par un décret en Conseil d’État. C’est une question très politique. Bien que le Conseil d’État ait déjà vu passer ce texte, on ne sait toujours pas comment l’indicateur sera constitué – les evenus du capital seront-ils inclus ? Ce n’est un insoumis qui l’a suggéré tout à l’heure mais un membre du groupe Les Républicains. Nous allons vers une clarté toujours plus grande...

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5009 de Mme Clémentine Autain, n° 5014 de M. Bastien Lachaud, n° 5016 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5023 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. J’ai essayé de voir où serait la virgule censée nous éclairer. Peut-être n’avez-vous pas vu que « constatée » est au féminin dans le texte : il est question de l’évolution annuelle et non des taux.

Le 1° concerne la période transitoire, tandis que le 2° s’applique à compter du 1er janvier 2045. Si on lit bien, c’est la même chose qui est prévue : dans les deux cas, il y aura une délibération du conseil d’administration de la CNRU ou un décret. Je ne vois absolument pas la différence.

M. Bastien Lachaud. À partir du moment où l’on est obligé de se demander, pour comprendre la loi, de se demander si une virgule a été oubliée ou de regarder l’accord d’un participe passé, c’est qu’il y a un problème, et pas seulement de rédaction. Sinon, nous ne discuterions pas depuis 2 heures de la définition du revenu d’activité : vous nous auriez dit de quoi il est composé. Cela vous aurait permis de répondre à ma question : la prime d’activité est-elle intégrée ou non ? Je pense qu’il faudrait réécrire l’article 9 dans son ensemble ou, comme nous l’avons proposé, de le supprimer.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’appelle votre attention sur l’ampleur du saut dans l’inconnu : vous avez décidé que le revenu lié au point serait inconnu, bien qu’on s’appuie sur un revenu moyen par tête – tout aussi inconnu –, et que l’on appliquerait des décotes différentes, ce qui fait que, quel que soit le résultat, celui-ci ne s’appliquera pas à tout le monde. Mais il y a encore une autre inconnue dans l’affaire : le système fonctionnera, sauf cas contraire. Ainsi, l’alinéa 4 s’appliquera sauf si une délibération du conseil d’administration de la CNRU approuvée par décret détermine des taux différents selon les modalités et dans les limites prévues aux articles machin, truc et bidule ! Autrement dit, tout est vrai, sauf si ce n’est pas vrai : le conseil d’administration pourra décider un autre taux. Vous avez donc empilé quatre inconnues, on ne sait rien du revenu lié à la retraite.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 5023 tend à supprimer l’alinéa 6, qui mérite à tout le moins une explication de texte : « À compter du 1er janvier 2045, ces deux taux sont égaux à l’évolution annuelle du revenu moyen par tête mentionnée au 1° précédent, sauf si [...] en l’absence d’une délibération mentionnée au a ou en l’absence d’approbation de celleci, un décret détermine des taux différents selon les modalités et dans les limites prévues aux articles L. 19-11-3, L. 19-11-4 et L. 19-11-7. Dans le dernier cas, le décret énonce les motifs pour lesquels la délibération ne peut être approuvée. » Pouvez-vous nous dire, en français, ce que cela signifie ? Cela permettrait à tous ceux qui suivent nos débats de comprendre dans quels cas l’évolution ne se fera pas en fonction du revenu d’activité moyen ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ce passage ne tombe pas nécessairement sous le sens, comme c’est souvent le cas pour les textes juridiques.

À compter du 1er janvier 2045, les deux taux seront égaux à l’évolution annuelle du revenu d’activité moyen par tête. Deux exceptions sont possibles : premièrement, si le conseil d’administration en décide autrement – des limites sont évoquées plus loin, dans le titre IV, en lien avec le pilotage économique ; deuxièmement, si le conseil d’administration ne prend pas de décision ou si la trajectoire prévue n’est pas adaptée à la règle d’or, auquel cas le Gouvernement peut alors reprendre la main.

Mme Clémentine Autain et M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est prévu depuis le début que ce serait validé par décret. Il s’agit d’une affaire à 325 milliards d’euros : un contrôle démocratique pourra avoir lieu à tout instant. Imaginons que le conseil d’administration prenne des décisions conduisant à des difficultés insondables : il faudra garder de la cohérence.

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.

M. Jean-Paul Mattei. L’alinéa 3 définit la période transitoire. À compter du 1er janvier 2045, le conseil d’administration de la Caisse nationale prendra la main et il faudra un décret pour appliquer sa décision ; à défaut, si la délibération du conseil d’administration ne peut pas être approuvée, les motifs seront précisés par le décret. Il y aura une explication précise, une information, et une discussion pourra avoir lieu. Une totale transparence prévaudra. C’est ainsi que je comprends le texte à ce moment de son examen.

Mme Clémentine Autain. Je voudrais saluer cette éclaircie dans une commission où tout est parfois très embrouillé. Vous avez été d’une clarté limpide à propos de la règle d’or. Vous venez de valider ce que nous disons depuis plusieurs jours : cette règle est supérieure à toute autre considération. Vous laissez au conseil d’administration de la Caisse la latitude de fixer la valeur du point, mais dans un cadre totalement corseté par votre obsession de la règle d’or.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie, en présentation commune, des amendements n° 21113, n° 21114 et n° 21272 de M. Boris Vallaud.

M. Serge Letchimy. Je voudrais revenir sur ce que Mme Autain a dit : il y a une règle d’or, très précise, et vous avez le courage de l’annoncer. Le but principal est de limiter les dépenses de retraite en figeant la part du PIB qui leur est consacrée – elle ne doit pas dépasser 14 %. La principale conséquence est que vous allez briser les solidarités construites depuis 1945. Sans oublier le risque, grave, d’une baisse généralisée des pensions. Il faut clarifier ce qui se trouve derrière les mots figurant dans le texte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La gouvernance repose sur le paritarisme mais aussi sur le principe, assumé, de la responsabilité financière. Pour qu’on puisse faire confiance au système, il faut que les contributeurs d’aujourd’hui, les actifs actuels, aient la certitude de pouvoir bénéficier, demain, d’une pension. Toutes les enquêtes d’opinion, y compris auprès des plus jeunes
– mais peut-être est-ce lié au développement de l’individualisme dans notre société – montrent qu’on n’y croit pas. Si l’on veut garantir des pensions pour les retraités, il faut aussi garantir l’équilibre du système. Si les actifs doivent non seulement payer les pensions mais aussi les dettes accumulées, un poids considérable pèsera sur leurs épaules.

Comme pour toute agence, il reviendra à l’État de définir des objectifs, de donner un certain nombre de pouvoirs au directeur ou au conseil d’administration, mais aussi de vérifier au fil de l’eau que les objectifs ne sont pas perdus de vue. Cela s’appelle une gouvernance normale : un conseil d’administration disposant d’une large autonomie, une surveillance exercée par le Gouvernement et, derrière lui, par la représentation nationale. C’est la base du fonctionnement démocratique de nos institutions.

Par conséquent, avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. Tout devra passer sous la toise de la règle d’or : on ne dépassera pas les 13 % du PIB consacrés aux pensions alors que le nombre de retraités va augmenter.

Vous évoquez un contrôle démocratique. Or c’est d’un décret qu’il est question : le Parlement n’aura absolument pas voix au chapitre. La gestion des retraites de millions de Français dépendra uniquement d’une décision du Gouvernement, sans aucun contrôle du Parlement. C’est très éclairant : vous ne lui laissez aucune place.

M. Régis Juanico. Vous nous proposez une réforme au doigt mouillé. Pensez-vous que les Français qui suivent nos débats, et qui s’inquiètent de l’évolution du montant des pensions, des conditions de départ à la retraite, de la valeur d’acquisition du point et de sa valeur de service – je ne parle même pas de l’âge d’équilibre, qui est l’aspect le plus injuste de votre réforme – y comprennent quoi que ce soit ? Vous construisez un nouvel indicateur – le revenu moyen d’activité – en cours de route. C’est dire le degré d’impréparation de cette réforme. Quand on entend des parlementaires nous dire : « voilà ce que je comprends à ce moment de nos débats », il y a franchement de quoi être très inquiet.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis la commission, suivant l’avis défavorable du rapporteur, rejette l’amendement  17783 de M. Matthieu Orphelin.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5556 de Mme Clémentine Autain, n° 5563 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5570 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. Je vous propose de supprimer les alinéas 7 et 8, qui nous font entrer dans la logique posée par l’article 55 ; nous ne l’étudierons malheureusement pas au sein de cette commission alors qu’il s’agit d’une des dispositions les plus importantes du projet de loi – c’est l’article qui établit la règle d’or.

Je voudrais aussi évoquer la question des projections de la situation financière sur lesquelles reposeront la décision du conseil d’administration de la future Caisse nationale et le décret d’approbation. Ces projections seront établies par un comité d’expertise « indépendant » qui supplantera le COR. Il n’est qu’à voir sa composition : un président nommé par le Président de la République, deux magistrats de la Cour des comptes, deux membres nommés par le président de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat, un membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental et le directeur général de l’INSEE... On est au bord du fou rire !

M. Jean-Luc Mélenchon. Récapitulons : les gens achèteront, à un prix qui n’est pas connu, des points qui leur seront restitués à un niveau qui n’est pas connu, selon une évaluation réalisée en fonction d’un revenu moyen d’activité par tête lui aussi inconnu, à moins qu’une délibération du conseil d’administration de la Caisse nationale ne vienne tout modifier, pour des motifs inconnus, ou bien que, si le conseil d’administration n’a pas délibéré, le Gouvernement adopte, en tenant compte de raisons inconnues, un décret fixant le niveau – inconnu – des retraites... La seule chose que l’on sait, c’est que le système doit être à l’équilibre et qu’il ne faut ni réduire la part des retraites dans le PIB – vous êtes trop bons – ni l’augmenter, ce qui signifie que, comme il y aura plus de monde, le point vaudra moins ! Ce qui est également connu, c’est qu’on dira aux gens de se responsabiliser, d’acheter des bons proposés par des fonds de pension pour garantir leur revenu, car le système ne dit pas quelle sera la valeur de remplacement par rapport au revenu d’activité moyen par tête – toujours inconnu !

Mme Sabine Rubin. Les alinéas 7 et 8 précisent comment les valeurs d’acquisition et de service du point seront fixées entre 2022 et 2062. L’objectif est surtout de garantir l’équilibre du système de retraite. Vous dites que celui-ci n’est pas soutenable à moyen terme, mais ce n’est pas vrai : le rapport du COR a montré que le besoin de financement variera entre 0,3 et 0,7 % du PIB, selon les scénarios et les conventions que l’on retient, ce qui correspond à un montant compris entre 8 et 17 milliards d’euros.

Mais admettons qu’il ne le soit pas. Quelle est la cause de ce déficit que vous agitez comme un chiffon rouge ? La baisse des ressources, et non la hausse incontrôlée des dépenses. Les ressources diminuent à cause des exonérations de cotisations sociales et de l’austérité salariale dans la fonction publique. Quand on ne comprend pas les causes, il est difficile de trouver les bonnes solutions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est quand même très surprenant que vous regrettiez, madame Autain, qu’on ne puisse pas examiner l’article 55 : c’est en raison de la démarche adoptée par votre groupe, qui conduit à une embolie des débats. Vous embourbez l’examen du texte – si je peux utiliser une expression agricole.

Je vais vous faire une confidence : j’ai particulièrement travaillé sur le titre Ier, dont je suis le rapporteur. J’ai naturellement regardé les autres dispositions, mais je n’ai pas la même expertise, à leur propos, que les autres rapporteurs. Vous demandez une exégèse de dispositions prévues plus loin dans le texte : pourrait-on travailler comme des parlementaires normaux, en examinant le texte au fur et à mesure ? Votre travail est tout, sauf sérieux. Examinons les éléments techniques, mais au moment où il faudra en débattent. Or nous ne pourrons pas les examiner à cause de votre obstruction parlementaire.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Nous sommes victimes toute à la fois d’une embolie et d’un évitement...

S’il existe beaucoup d’inconnues dans ce projet, il y a une donnée incontournable : cela fait cinq jours que nous examinons ce texte, ce qui signifie que nous sommes à la moitié du temps – contraint – que vous aviez prévu. Sachant que nous avons examiné moins de 20 % des amendements, il est tout à fait certain que nous ne pourrons pas débattre en commission de l’ensemble du texte. De deux choses l’une : ou bien vous décalez l’examen en séance publique afin de nous permettre d’étudier avec sérieux les 22 000 amendements qui ont été déposés – il est tout de même question de plus de 300 milliards d’euros et des retraites de générations entières –, ou bien il nous faudra nous satisfaire du projet du Gouvernement sans bénéficier du travail des rapporteurs, qui a déjà permis de modifier quelques lignes du texte. Ce serait, pour le Parlement, un renoncement à jouer pleinement son rôle. En tout état de cause, il ne rime à rien de faire semblant de travailler ce week-end. Nous pourrions battre en retraite – sinon, ce ne serait pas sérieux et pas responsable.

Mme Célia de Lavergne, présidente. Nous allons faire notre travail de parlementaires, et vous pourrez faire le vôtre, en tant que secrétaire de cette commission spéciale, lors de la réunion du bureau qui aura lieu tout à l’heure – nous reviendrons sur l’état d’avancement du débat.

Mme Clémentine Autain. Notre méthode, monsieur le rapporteur, est tout à fait légale : nous ne cherchons pas à être des parlementaires normaux, nous défendons les idées au nom desquelles nous avons été élus, en utilisant au maximum les possibilités dont nous disposons pour ne pas vous rendre la tâche facile. Mais surtout, sans la procédure accélérée, il n’y aurait aucun problème : nous pourrions aller jusqu’au bout du texte. C’est parce que vous avez fait le choix de cette procédure que nous n’arriverons pas à l’article 55.

Enfin, on doit étudier les textes en prenant en compte leurs échos internes et leur cohérence. On ne peut pas tout saucissonner comme s’il n’y avait pas de lien entre un article inséré au titre Ier et d’autres articles figurant plus loin. Si vous essayez de tout tronçonner, c’est précisément pour qu’on n’y voie plus rien : on avance par petits bouts sans voir la cohérence de l’ensemble, et c’est bien elle que nous contestons, alinéa par alinéa.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 5026 de Mme Clémentine Autain, n° 5033 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5040 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. Nous demandons, à nouveau, la suppression de l’alinéa 7 – cette fois séparément de l’alinéa 8.

J’en profite pour vous alerter sur un point assez important : que se passerait-il en cas de krach ? On va raisonner – c’est prévu à l’article 55, une fois de plus – sur cinq années glissantes. En cas de crise économique, il faudra immédiatement redresser les comptes. Heureusement que les gouvernements qui se sont succédé entre 2008 et 2012, lors de la dernière crise, n’ont pas été contraints d’équilibrer le système et de traiter le déficit accumulé précédemment. Sinon, il aurait fallu trouver 5 milliards d’euros de plus. La règle que vous prévoyez obligera à régler en même temps et rapidement le déficit hérité et celui causé par une éventuelle crise. Cela voudrait dire que les retraités paieraient immédiatement les conséquences des crises financières.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, monsieur le rapporteur, mais de là à nous accuser de n’être pas sérieux... Ce n’est pas ce qui ressort de notre travail. Nous avons éclairci plusieurs points du texte – on a compris, en fait, qu’il n’était pas clair du tout.

Tous ces alinéas renvoient à des articles ultérieurs du projet de loi, en particulier l’article 55, situé à la page 135 du texte. Ne venez pas nous accuser de vouloir débattre trop tôt de dispositions qui viendraient plus tard : c’est vous qui les avez mises là, et nous en discutons quand elles se présentent.

Rappelez-vous qu’il y avait une crise financière tous les vingt ans au XXe siècle ; il y en a maintenant une tous les dix ans. Si vous imposez un équilibre immédiat, vous pousserez d’emblée le système à la faillite et vous vous priverez d’un des plus importants amortisseurs contracycliques qui soient.

Mme Sabine Rubin. Vous invoquez le déséquilibre financier, mais il résulte de vos choix et vous ne répondez pas quand on vous interroge sur ses causes : j’ai évoqué les exonérations de cotisations sociales non compensées et l’austérité salariale dans la fonction publique, mais on pourrait aussi parler de la réduction des recrutements dans les années à venir.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il ne s’agira en aucun cas de remettre le système à l’équilibre immédiatement. Les règles prévues portent sur cinq années glissantes. Il faudra définir une trajectoire pour revenir à l’équilibre d’ici là. J’avoue que mes idées ne sont pas définitivement arrêtées en la matière : la référence à cinq ans est liée, bien sûr, à la durée d’un quinquennat. Un cycle économique dure plutôt huit ou dix ans. On peut discuter de la durée comme de la question de la constitution de réserves. : nous aurons l’occasion d’en parler avec le secrétaire d’État. Il faut construire un système aussi résilient que possible.

On voit bien que de nombreux équilibres peuvent être remis en cause chaque année lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou du projet de loi de finances (PLF). Il est heureux qu’on ne remette pas les taux de cotisations en discussion tous les ans, sous peine de créer une insécurité majeure pour les employeurs. Certains éléments de la trajectoire exigent d’être programmés dans le temps pour garantir une certaine stabilité. Une partie des questions seront explicitées par ce projet de loi, d’autres relèvent du PLFSS, et d’autres encore du décret.

Pour ce qui est des exonérations de cotisations sociales, notre logique est de favoriser la résorption du chômage. Même si nous avons encore un niveau de chômage trop élevé, des progrès ont été réalisés. La trajectoire est intéressante : des gens éloignés de l’emploi reviennent sur le marché du travail. Il faut continuer, d’autant que c’est la meilleure façon d’avoir, en fin de compte, des cotisations sociales.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur ces amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement n° 22125 de M. Sébastien Jumel.

M. Gabriel Serville. Nos échanges montrent à quel point les interrogations s’accumulent, auxquelles nous n’avons pas de réponse. Il y a beaucoup trop d’inconnues, comme notre collègue Jean-Luc Mélenchon le fait remarquer systématiquement. Nous nous demandons notamment comment on pourrait croire à l’objectivité des membres de ce comité dit indépendant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous en avons déjà parlé. Mon avis est défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai entendu quelque chose d’extrêmement important dans la bouche du rapporteur : à l’entendre, le débat, au fond, est ouvert en ce qui concerne la manière d’équilibrer les comptes ; on ne raisonnera pas sur une seule année.

Il faut dire la vérité : nous avons connu une crise financière tous les dix ans depuis 2000, sinon plus : l’explosion de la bulle internet cette année-là, la crise en Argentine en 2001, celle des subprimes en 2008, celle de l’euro en 2010... Pourquoi ces chocs sont-ils aussi violents ? Parce que l’économie financière surplombe l’économie réelle dans des proportions jamais observées jusque-là. En 2016, le volume des opérations de change était de 5 000 milliards de dollars par jour, ce qui représentait 115 fois le montant annuel commerce international !

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement n° 21561 de M. Pierre Dharréville.

Puis elle examine les amendements identiques n° 5043 de Mme Clémentine Autain, n° 5050 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5057 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. En cohérence avec nos amendements précédents, nous demandons la suppression de l’alinéa 8.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cet alinéa introduit un élément de confusion supplémentaire : après le point d’une valeur inconnue, le rendement inconnu, déterminé en fonction d’un revenu inconnu, l’absence de décret qui pourrait rendre l’issue inconnue et la décision, prise pour des motifs inconnus, du conseil d’administration, voici qu’un « décret approuve cette délibération ou énonce les motifs pour lesquelles elle ne peut être approuvée ». On arrive à un degré extrême de confusion.

À entendre le rapporteur, il s’agit seulement de permettre que les comptes soient à l’équilibre ; il a finalement reconnu, en réponse à une intervention précédente, qu’ils peuvent ne pas l’être, car des crises financières surviennent, et qu’on aura alors cinq ans pour lisser. Cela veut dire qu’une nouvelle inconnue s’ajoute, pendant une période de cinq ans, à toutes celles que j’ai déjà citées à propos de la valeur finale du point.

Mme Sabine Rubin. N’ayant pas le code de la sécurité sociale sur moi, auquel l’alinéa 8 se réfère à de nombreuses reprises, je préfère demander sa suppression...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Mélenchon, lisez correctement le texte ! Il ne s’agit pas de la valeur du point à la fin de la transition, en 2045, mais de sa valeur appliquée au titre de l’année 2022, évoquée à l’alinéa 7, juste au-dessus. Si le conseil d’administration de la CNRU ne la définit pas, alors le Gouvernement le fera ; sinon, on ne commence rien du tout. Il faut bien définir une valeur initiale d’acquisition et de service du point, auxquelles s’appliqueront ensuite les évolutions, que ce soit suivant le taux de revalorisation du revenu moyen ou suivant les décisions du conseil d’administration de la CNRU. C’est en quelque sorte le taux « T 0 » du système, qui est indispensable pour qu’il y ait ensuite un taux « T 1 ».

Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne suis pas certain que ce soit vraiment plus clair...

Mme Constance Le Grip. La question de la valeur dite de service du point a été posée de manière récurrente par le groupe Les Républicains, et encore par M. le président Woerth tout à l’heure. On ne peut pas dire que vos éléments de réponse nous aient pleinement rassurés, monsieur le rapporteur. Une grande partie des angoisses et des craintes qu’expriment nos compatriotes à l’égard de ce système se cristallise sur l’inconnue totale quant au différentiel qui pourrait apparaître entre la valeur d’acquisition et la valeur de liquidation du point. Ces questions nous sont très souvent posées dans nos circonscriptions ; nous aimerions pouvoir apporter à nos concitoyens des réponses plus précises et plus rassurantes.

M. le secrétaire d’État. J’écoutais avec intérêt les débats sur ces articles, et j’entends les questions qui sont posées par les groupes d’opposition ; il y a en effet un besoin d’explication sur la façon dont tout cela va fonctionner. Lorsque l’on s’interroge brique par brique, il peut être difficile de voir les choses dans leur globalité. Je vous suggère de vous référer au tableau récapitulatif qui se trouve à la page 923 de l’étude d’impact : il explique ce fonctionnement global, qu’il faut d’abord comprendre avant de pouvoir en débattre au point de vue politique – et de l’approuver ou pas. À force d’en extraire des petits morceaux, on finit par ne pas comprendre comment il fonctionne.

Ce tableau nous dit à la fois ce qui va se passer, et qui fait quoi. Au moment de la mise en place du système, c’est d’abord le comité d’expertise indépendant des retraites (CEIR) – dont on peut certes contester la nomination, j’entends le débat politique qui peut avoir lieu à ce propos – qui énoncera des prévisions et des projections démographiques et macroéconomiques à quarante ans. Ensuite, le conseil d’administration de la CNRU délibèrera sur le contexte et sur les contraintes pesant sur le système, et formulera des propositions d’évolution sur l’ensemble de ses paramètres. Puis le CEIR émettra un avis public sur cette délibération, entre le 30 juin et le 31 juillet, avant que le fonctionnement classique annuel se mette en place. Chaque année, les hypothèses macroéconomiques émises au démarrage seront actualisées, et le Parlement interviendra en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour vérifier que les éléments transmis par la CNRU sont cohérents, avant que l’ensemble soit validé par décret. On voit bien à la fois le rôle de la CNRU et de son conseil d’administration, celui du parlementaire, et celui du Gouvernement. Il faut bien avoir en tête le fonctionnement global du système ; c’est à cette condition qu’il est possible de le contester politiquement, de s’en inquiéter, ou bien d’être rassuré par les nombreuses garanties qu’il apporte. Encore faut-il être en mesure de le comprendre...

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21115 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. J’aimerais être pleinement rassuré par l’explication donnée par M. le secrétaire d’État et par le tableau récapitulatif fourni à la fin de l’étude d’impact... Tout cela ressemble tout de même à une immense usine à gaz, entre le Mikado et le Docteur Maboul ! Vous essayez de nous rassurer en disant que le système est très clair, construit brique par brique, et que tous ses acteurs sont en place ; pourtant, au bout de votre explication, on finit par ne plus rien comprendre. C’est le principe du jeu de bonneteau : on soulève les gobelets, et on se rend compte qu’il n’y a plus rien dessous. Nous préférons nous en remettre au Conseil d’État, dont il nous apparaît essentiel qu’il accompagne le Gouvernement au moment de la préparation des décrets qui viendront compléter la loi. C’est le sens de cet amendement à l’alinéa 8 de l’article 9, qui doit permettre de rassurer pleinement les Français ; il en va de la sécurité juridique des assurés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je crois que ces sujets ont été suffisamment commentés ; avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, il est en effet normal que la réforme soit complexe : notre système actuel est complexe, et parce que le système futur le sera nécessairement ; il devra s’adapter à un certain nombre de réalités. À ce sujet, deux interrogations principales subsistent.

Pour nous, le plus important, c’est que le pouvoir d’achat des retraités ne diminue pas à l’avenir. Le tableau nous fournit une explication sur le comment de la réforme, mais sans nous donner de garantie sur sa finalité. Il y a un flou, notamment lorsqu’il explique que la validation du système se fera soit par LFSS, soit par décret. Le décret est bien mentionné dans le projet de loi, mais on ne voit pas bien ce qu’il en est des LFSS, dont on sait qu’elles pourraient introduire une rupture par rapport à ce qui a été prévu. Quels sont les cas dans lesquels une LFSS pourrait intervenir ?

Un autre paramètre essentiel n’apparaît pas : la contribution de l’État pour ses propres agents. Celui-ci sera amené à jouer un rôle d’arbitre essentiel, sur des montants très importants, quant à l’équilibre global du système. Rien ne garantit que valeur de pension réelle ne diminuera pas alors qu’elle aura augmenté en valeur absolue. Vous devez nous rassurer à ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21116 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Nous ne sommes toujours pas rassurés ni convaincus par les explications qui viennent d’être données. Il faudrait peut-être prendre le temps de présenter un schéma explicatif qui permette de récapituler clairement ce qui ne l’est pas assez dans le tableau récapitulatif de l’étude d’impact, afin que nous soyons suffisamment éclairés.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Article 10 : L’instauration d’un coefficient d’ajustement, associé à un âge d’équilibre

La commission examine les amendements identiques n° 881 de Mme Clémentine Autain, n° 888 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 895 de Mme Sabine Rubin, n° 12863 de M. Pierre Dharréville et n° 21093 de M. Boris Vallaud.

Mme Clémentine Autain. Il est ici question d’un point majeur de votre projet, pudiquement et joliment appelé « coefficient d’ajustement ». En fait, cela signifie tout simplement qu’une décote et une surcote s’appliqueront par rapport à l’âge d’équilibre. Vous avez eu du mal à trouver les mots justes : il avait été question d’un âge pivot, mais l’impopularité de ce terme vous a obligé à lui substituer celui d’âge d’équilibre, qui sera calculé à l’aide du coefficient d’ajustement. Il sera toujours possible de partir à l’âge légal de départ en retraite, fixé à 62 ans ; mais si l’âge d’équilibre est à 65 ans, une décote de trois années s’appliquera, à 5 % par an, ce qui fait un total de 15 % de décote. C’est la réalité de ce qui est prévu à l’article 10. Il y a bien une décote tout à fait importante, qui va pénaliser celles et ceux qui ne peuvent pas, parce que leur travail est trop pénible, travailler jusqu’à l’âge d’équilibre.

M. Jean-Luc Mélenchon. Les Insoumis pensent qu’il est possible de mettre en place une retraite à 60 ans pour quarante annuités cotisées, alors que le système actuel, du fait d’un certain nombre de gens présents dans cette salle, l’a fixée à 62 ans et quarante-trois annuités. Le nouveau système, bien qu’il s’en défende, introduit l’idée que la retraite ne sera plus prise à 62 ans, mais à l’âge pivot de 64, 65, 66 ou 67 ans : à mesure que les gens auront le mauvais goût de continuer à vivre plus longtemps – ce qui n’est pas certain dans la mesure où l’espérance de vie a commencé à stagner –, la décote augmentera. Ne partiront à 62 ans que ceux pour qui la retraite est un revenu d’appoint ; tous les autres, c’est-à-dire ceux qui seront trop fatigués, trop malades ou trop pauvres, ne pourront pas partir et seront condamnés à mort au travail.

Mme Sabine Rubin. On pouvait jusqu’à présent prendre sa retraite une fois qu’on avait cotisé un nombre de trimestres suffisant. Désormais, même si l’on a accumulé de nombreux points de retraite, même si l’on a travaillé assez de trimestres, et même si l’on a atteint l’âge légal du départ en retraite, on pourra ne pas partir à taux plein. S’il est une forme de solidarité dans votre loi, c’est celle qui consiste à être solidaires pour faire respecter l’équilibre branlant et incertain du nouveau système ; d’où ce coquet nom d’« âge d’équilibre ». L’âge d’équilibre étant nécessairement amené à reculer au cours du temps, les Français seront amenés à travailler tous plus longtemps, quel que soit le nombre de points acquis ; sinon, leur pension subira une décote.

M. Gabriel Serville. L’amendement n° 12863 est défendu.

M. Boris Vallaud. Il faut dire aux Françaises et aux Français ce qui se passe exactement. Ces discussions autour d’exemples concrets sont l’occasion de rappeler que vous avez bidonné vos cas types, en fixant un âge d’équilibre à 65 ans à partir de la génération 1975 et quelle que soit ensuite la génération, sans tenir compte du fait qu’il sera progressivement décalé. Prenons le cas de Sylvie, née en 1990 et agent territorial spécialisé des écoles maternelles pendant toute sa carrière – j’ai déjà évoqué cet exemple dans l’hémicycle. Dans votre étude de cas, vous prétendez que si Sylvie part à la retraite à 62 ans, sa pension sera identique à celle du régime actuel, et même qu’elle sera augmentée de 9 % si elle part à 67 ans. C’est faux, car vous avez bidonné l’âge pivot : pour Sylvie, il ne sera pas fixé à 65 ans, mais à 66,2 ans ; si elle part à 62 ans, elle perdra 7 % de sa pension de retraite, et ce n’est qu’à 66 ans qu’elle pourra conserver la situation qui aurait été la sienne dans le régime actuel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous invite à vous reporter à la page 43 de l’avant-projet de rapport que j’ai cosigné sur le projet de loi : un schéma y explique la règle de décision, suivant que le conseil d’administration de la CNRU délibère ou pas pour fixer les valeurs d’acquisition et de service du point.

Madame Autain, vous dites à propos de chaque article qu’il s’agit d’un enjeu majeur. Nous avons bien conscience du fait que la retraite est un enjeu majeur ; par conséquent, le texte de loi qui l’organise, composé d’une somme d’articles majeurs, ne peut être que majeur... Je vous remercie de cette précision !

Monsieur Mélenchon et madame Rubin, à vous entendre présenter les choses, de deux choses l’une : ou bien vous n’avez pas compris le système actuel, ce qui nous conforterait dans l’idée qu’il est complexe ; ou bien vous vous adonnez à un jeu politique, ce qui est somme toute normal.

Vous dites que la réforme sonnerait la fin de la retraite à 62 ans, mais de nombreuses personnes ne prennent pas leur retraite à cet âge ! 20 % des femmes travaillent même jusqu’à 67 ans, et l’âge moyen de départ en retraite pour les personnes au régime général non soumises à des départs anticipés s’élève à 63,4 ans. C’est la réalité ; on a parfois envie de continuer à travailler, mais parfois aussi, convenons-en, on peut vouloir se constituer une meilleure retraite qu’en partant à 62 ans. Nous ne nions pas cette réalité, et nous n’affirmons pas davantage que notre système garantira des retraites magiques ; mais tout système doit s’équilibrer. Dans le rapport Delevoye, l’âge d’équilibre avait été arrêté à 64 ans, et la pension servie pour un départ à cet âge était calculée selon un taux plein fixé à 5,5 % de rendement par an : autrement dit, une valeur de service du point arrêtée à 55 centimes d’euro, multipliée par dix-huit ans, permettait d’arriver à 100 %. La pension de quelqu’un qui part plus tôt sera servie plus longtemps, ce qui fait que les conditions d’équilibre ne seront pas remplies ; c’est donc possible, mais moyennant une décote – ou un malus, si vous préférez l’appeler ainsi. Celui qui veut partir plus tard bénéficiera au contraire d’une surcote – un bonus ; c’est la base même d’un système équilibré.

Je suis donc défavorable à vos amendements.

M. Hervé Saulignac. On touche là au cœur du texte. À mon sens, cette mesure d’âge d’équilibre est injuste et cynique. Je suis choqué que s’agissant des retraites, on puisse évoquer des termes tels que bonus et malus. Le malus, c’est ce que je subis si je suis un mauvais conducteur ; si je suis un bon conducteur, on m’applique un bonus. Mais si je suis contraint de travailler plus longtemps, ce n’est pas parce que j’ai été un mauvais citoyen ou un mauvais travailleur. Pourquoi vous embarrassez-vous avec un âge d’équilibre ? Ce que vous proposez, c’est une carotte pour ceux qui partent plus tard et un bâton pour ceux qui partent plus tôt. Trimez, gens modestes, si votre revenu est faible ; partez plus tôt, veinards privilégiés, si vous avez d’autres revenus et que votre retraite est accessoire. Pourquoi n’avez‑vous pas simplement assumé le recul de l’âge légal de départ à la retraite ? En réalité, même si vous n’osez pas le faire, c’est bien à cela que revient cette mesure !

Mme Clémentine Autain. À vous entendre, ce système permettra de gagner en justice. Ce n’est absolument pas ce qui va se passer. Je voudrais redonner un exemple auquel vous n’avez jamais répondu. Un ouvrier qui commencerait à travailler à 20 ans – alors que dans votre étude d’impact, tout le monde commence à travailler à 22 ans, ce qui ne correspond pas à la réalité – et cotiserait quarante-trois ans devrait partir à la retraite à 63 ans ; compte tenu de l’âge d’équilibre, il subit deux ans de décote, et perd donc 10 % de sa pension. En revanche, le cadre qui a cotisé aussi longtemps, quarante-trois ans, mais qui a commencé à travailler plus tard, à 24 ans, parce qu’il a fait des études, partira à la retraite à 67 ans et se verra donc appliquer une surcote de 10 % ! Quand on sait qu’il y a six à sept ans d’écart en matière d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres, je trouve cela, pardonnez-moi l’expression, parfaitement dégueulasse !

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Je vais me faire le porte-parole de ceux qui ont des carrières incomplètes, hachées, et des 20 % de femmes qui sont contraintes de travailler jusqu’à 67 ans. J’ai moi-même commencé à travailler à 22 ans ; j’ai d’abord effectué des petits boulots, des vacations à moins de 50 heures par mois – deux ans et demi de travail pour rien –, avant d’élever mes enfants pendant neuf ans. J’ai ensuite travaillé à temps partiel subi car mon travail – je suis professeure de danse – est pénible, même s’il n’est pas reconnu comme tel. J’ai récemment reçu la notification de mes droits : pour partir à taux plein, il faudrait que je cotise encore soixante-dix trimestres ; ayant 56 ans, cela me sera difficile. Dans le système actuel, je devrai donc travailler jusqu’à 67 ans, pour obtenir une retraite mensuelle de 898 euros – si je partais à 62 ans, j’aurais 436 euros. Je suis désolée, mais je suis très contente de cet âge d’équilibre grâce auquel tous ceux qui sont dans mon cas partiront à 64 ans au lieu de 67 ans, avec au minimum 85 % du SMIC.

Mme Constance Le Grip. Les Républicains ont présenté les grandes lignes de notre contre-projet visant à pérenniser le système français de retraite par répartition. Nous assumons pleinement de proposer à nos compatriotes, avec clarté et courage, ce qui nous paraît être la bonne mesure pour y parvenir, à l’instar de ce qui s’est fait dans tous les pays européens : repousser l’âge légal du départ à la retraite. Avec l’âge d’équilibre et le mécanisme de bonus‑malus, un zeste d’hypocrisie s’est glissé dans votre réforme : on voit bien que le Gouvernement et la majorité parlementaire sont pieds et poings liés par ce qui fut l’une des promesses du candidat Macron au cours de la campagne présidentielle, et sur laquelle il ne vous est pas possible de revenir : vous ne pouvez pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite. Vous en êtes réduits à inventer un système tout à la fois inefficace et hypocrite qui, au bout du compte, fait courir à nombre de nos compatriotes le risque de voir leur niveau de pension baisser, en raison de l’application de la décote.

M. le rapporteur général. Je voudrais remercier notre collègue Christine Cloarec‑Le Nabour d’avoir si parfaitement résumé les injustices de notre système actuel.

Arrêtons, monsieur Saulignac, de faire croire que c’est le système universel de retraite qui va introduire un dispositif de bonus-malus ; il existe déjà aujourd’hui dans le système AGIRC-ARRCO. Par ailleurs, le système actuel comporte lui-même un mécanisme de double malus avec la double condition du nombre d’annuités requises et de l’âge légal de départ. C’est profondément injuste, car cela pousse celles et ceux qui ont les carrières les plus difficiles et hachées à partir tard pour une petite pension, alors que celles et ceux qui ont eu une belle carrière, linéaire et ascendante, peuvent partir tôt avec une pension élevée. C’est à ces injustices que nous répondons.

Enfin, je voudrais tout de même remercier nos collègues du groupe Les Républicains d’assumer aussi clairement le fait qu’ils souhaitent rehausser à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite.

M. le secrétaire d’État. Je voudrais terminer l’échange que j’ai entamé avec Thibault Bazin, qui regardait avec attention le tableau récapitulatif – page 923 de l’étude d’impact – permettant de bien comprendre le rôle du législateur dans cette nouvelle organisation. Dans cette infographie, il est indiqué que le système sera validé chaque année par loi de financement de la sécurité sociale ou par décret ; M. Bazin me demandait ce qui relève du domaine du décret. Je ne peux que le renvoyer aux articles 34 et 37 de la Constitution : certains éléments seront fixés par décret, comme les taux de cotisation ; d’autres le seront par la LFSS.

Madame Clémentine Autain, l’exemple que vous essayez de mettre en avant pour faire accroire que le nouveau système serait très favorable aux cadres supérieurs, et très défavorable aux employés et aux ouvriers n’est pas des plus heureux. Pour commencer, il consiste à opposer les Français les uns aux autres ; ensuite, il méconnaît la dynamique d’ascenseur social qui, heureusement, existe dans notre pays et que nous voulons développer ; il méconnaît enfin la réalité de ceux qui n’ont pas la chance de faire des études et qui mettent beaucoup de temps à entrer sur le marché de l’emploi, mais aussi de ceux qui doivent travailler jusqu’à 67 ans, comme l’a très bien expliqué Mme la députée Christine Cloarec‑Le Nabour. Il ne s’agit pas de cadres supérieurs qui veulent se faire du bonus, mais plutôt de tous ces gens qui ont eu des carrières hachées et coupées, qui doivent continuer à travailler pour ne pas être touchés par la décote ; ce sont les plus petits revenus, les futurs retraités les plus modestes, ceux dont notre futur système universel prendra bien mieux soin – nous proposons que pour tous ceux-là, y compris ceux travaillant à temps partiel, une pension minimale de 1 000 euros nets par mois soit garantie dès 2022 pour une carrière complète au SMIC, avant d’être augmentée en 2025 à 85 % du SMIC. Votre exemple est donc assez éloigné de ce que vivent nos concitoyens.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’examen de l’amendement n° 400 de M. Éric Woerth.

M. Thibault Bazin. Il y a une réalité qui attend les Français – pour une fois, ce n’est pas une inconnue : notre système de retraite va être en déséquilibre. Si on ne fait rien, le déficit pourrait atteindre jusqu’à 17,2 milliards d’euros en 2025, sans compter les mesures de justice sociale qui ont été prises, avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord. Il nous faut donc rétablir l’équilibre pour éviter que les pensions de retraite baissent.

Ne soyons pas hypocrites : vous prévoyez un âge pivot que certains considèrent comme un âge pipeau, car le système de décote va entraîner une baisse de pension pour ceux qui partiront avant 64 ans. Nous souhaitons plus de clarté et de lisibilité, et surtout que les retraites ne baissent pas. Il faut donc réformer avec sérieux, humanité et responsabilité. Pour cela, nous portons une proposition crédible : augmenter de manière progressive et linéaire l’âge légal de départ à la retraite. Pour les assurés dont l’âge légal est actuellement fixé à 62 ans, il sera repoussé en douze ans, soit un trimestre par an en moyenne, pour arriver à 63 ans en 2025, 64 ans en 2029, puis 65 ans en 2033 ; pour ceux dont l’âge légal est actuellement inférieur à 62 ans, il sera repoussé de manière encore plus progressive. C’est le sens de cet amendement très concret, qui prévoit aussi une prise en compte du handicap, des carrières longues, de la pénibilité qu’il faut objectiver, et des droits familiaux qu’il faut préserver. Notre projet, ainsi équilibré financièrement, permettra de préserver les retraites de demain.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Merci, monsieur Bazin, de présenter un amendement aussi construit, même s’il comprend des éléments sur lesquels je ne partage pas votre position. Quoi qu’il en soit, la réalité de l’engagement du groupe Les Républicains mérite d’être soulignée.

Je voudrais revenir sur l’exemple évoqué tout à l’heure par Mme Autain et commenté par M. le secrétaire d’État, à propos du salarié qui aurait commencé à travailler à 20 ans, opposé à l’étudiant qui entrerait plus tard sur le marché du travail. Je trouve presque un peu injuste que celui qui cherche à faire des études pour essayer de prendre l’ascenseur social se retrouve pénalisé par une date de retraite tardive. Souvent, les étudiants doivent bosser un peu à côté de leurs études, parfois sans valider de trimestres – il est compliqué pour eux de faire autre chose que des petits boulots à temps partiel. Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, il ne faut pas opposer les uns aux autres : les histoires de vie sont souvent plus complexes qu’il n’y paraît.

Notre pays et nos entreprises pourraient d’ailleurs avoir tout intérêt à ce qu’un certain nombre de nos étudiants, à l’issue de leurs études, aient l’occasion d’aller travailler quelques années à l’étranger, pour accumuler une expérience qui pourrait ensuite être profitable à nos entreprises. Dans le système actuel, s’ils profitent de leurs belles années pour aller à l’étranger avant de revenir à 28 ou 30 ans en France, ils se retrouvent d’emblée condamnés à travailler jusqu’à 67 ans ; en effet, ils n’auront jamais le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à taux plein. Le système par points permet de mieux prendre en compte la diversité des parcours professionnels ; il permet aussi à chacun de décider, en fonction des points accumulés et de sa situation personnelle, s’il souhaite partir plus tôt ou pas. C’est donc un système plus souple. Essayons de nous adapter aux réalités du marché du travail et des modes de vie contemporains plutôt que d’opposer les uns aux autres.

Enfin, monsieur Bazin, nous savons que nous devons avoir une réflexion autour de l’âge, et l’âge d’équilibre est une mesure qui doit permettre d’inciter certaines personnes à travailler plus longtemps. Cependant, nous voulons laisser la possibilité à chacun de faire son choix personnel, plutôt que d’arrêter un âge fixe qui soit le même pour tous.

Avis défavorable.

Mme Catherine Fabre. Je trouve intéressant de confronter nos projets, et je remercie à mon tour M. Bazin d’avoir présenté le sien. En fait de zeste d’hypocrisie, je parlerais plutôt d’un vent de liberté. Nous partageons le même attachement à l’équilibre financier du système – nous avons cette responsabilité vis-à-vis de nos enfants – mais, à la différence de ce que vous proposez, cher collègue, il nous semble juste et important d’apporter une certaine souplesse et de laisser les gens choisir à quel âge ils partiront à la retraite en arbitrant selon leur préférence – un peu plus de temps ou un peu plus de pension. C’est une manière de donner davantage de liberté à chaque Français et de ne rien imposer à personne ; ce supplément de liberté, neutre financièrement grâce au bonus-malus, nous semble être tout l’intérêt du système par points.

M. Thibault Bazin. On peut parfois sourire un peu – nous passons 12 heures par jour en commission ! – mais le sujet est sérieux. Nous avons eu du brouillard sur la lisibilité des taux à l’article 9 ; on parle de vent à l’article 10 ; il ne manque plus que la pluie pour que les prévisions météorologiques soient définitivement mauvaises concernant les retraites de demain...

M. Boris Vallaud. Personne ici n’a dit que le système actuel était parfait. Chacun connaît la situation d’un certain nombre de femmes obligées de partir à 67 ans. Mais il est possible de supprimer cette décote sans déclencher le grand Big Bang que vous êtes en train d’organiser et qui finira par vous dépasser. On peut le faire et le financer, c’est assez simple, il suffit que nous le décidions. Cependant, vous avez préféré à la réparation individuelle la punition collective : globalement, le nouveau système sera moins favorable que le système actuel. Votre malice, c’est que vous comparez la génération 1950 avec la génération 1980, alors qu’elles n’ont rigoureusement rien à voir du point de vue des déroulements de carrière et des conditions de départ à la retraite.

Vous évoquez le choix personnel que chacun serait libre de faire, celui de partir à la retraite un peu plus tôt, avec un peu moins de pension, ou un peu plus tard. Mais votre projet est tellement incomplet – il ne prend pas suffisamment en compte les carrières longues ou la pénibilité – qu’il n’est pas juste. Quel choix ont les travailleurs pauvres ? Ceux qui n’auront pas les moyens de vivre dignement parce que le taux de remplacement des pensions aura baissé seront bien obligés de partir plus tard.

Mme Sabine Rubin. Je voulais rebondir sur l’exemple de ma collègue Christine Cloarec-Le Nabour et de son parcours haché. Nous n’avons jamais dit que le système actuel était idéal, et de nombreuses situations doivent être effectivement améliorées. Mais je pense que vous préparez un système pour des emplois et des parcours qui seront de plus en plus heurtés, à l’image du monde que vous voulez, avec toute cette flexibilité, ce chômage, ces incertitudes et ces temps partiels ! C’est bien une retraite adaptée à un monde de demain, un monde dont nous ne voulons pas.

Vous parlez de liberté. Mais a-t-on vraiment la liberté de partir à 63 ans quand on gagne 500 euros par mois ? De quelle liberté parlez-vous ? C’est bien un raisonnement hors‑sol, comme on dit... Et s’agissant du problème du chômage des seniors, qu’allez-vous faire ? Les cadres aussi se retrouvent au chômage quand ils sont âgés. Tout cela est du bla-bla, très loin de la réalité.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Bazin, je comprends bien le projet que vous défendez. Il y a en effet une différence fondamentale entre nous, comme l’a bien expliqué Mme Catherine Fabre, et je pense qu’il ne faut pas s’en cacher.

Votre lecture consiste à dire – je l’ai dit tout à l’heure sans malice à M. le président Woerth – qu’il faut déterminer un âge fixe, qui doit s’appliquer pour tout le monde, certes en tenant compte de certaines spécificités ; c’est une vision plus contraignante que celle que nous incarnons. Pour notre part, nous pensons qu’il est possible de s’adresser à chacun, de lui faire confiance et de lui donner les outils nécessaires pour qu’il ait la capacité de décider. C’est tout le sens du débat que nous avons eu pendant de longues heures sur la manière de rendre les choses plus lisibles ; c’est aussi pour cela que selon nous, le point est un outil qui permet à chacun de se projeter plus facilement dans sa retraite – personne ici ne sait quelles seront les vingt-cinq meilleures années de sa carrière, sauf celui qui serait arrivé la veille du jour de sa retraite. Ces éléments doivent nous permettre de choisir individuellement si nous voulons travailler jusqu’à l’âge d’équilibre, un petit peu au-delà ou un petit peu en deçà, tout en respectant des spécificités individuelles liées à la pénibilité – je crois que cette préoccupation est partagée par une autre partie de la salle. Nous avons confiance en la liberté éclairée de choix qui doit guider chaque Français au moment de prendre sa retraite ; c’est pour cela que nous construisons un système plus simple et par points. Vous persistez à penser qu’il faut mettre en place une mesure d’âge collective – tout en cherchant vous aussi des solutions, je ne le nie pas. C’est toute la différence entre nous.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 830 de Mme Clémentine Autain, n° 837 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 844 de Mme Sabine Rubin.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le secrétaire d’État, en creusant les inégalités avec votre projet, c’est vous qui opposez les Français les uns aux autres. Vous niez la réalité sociale, les différences de pénibilité, les écarts d’espérance de vie, qui sont en rapport direct avec le métier exercé et la catégorie sociale à laquelle on appartient. Vous reproduisez et vous amplifiez les inégalités sociales par votre contre-réforme.

Le rapporteur général nous renvoie à la décote et à la surcote déjà existantes : pourquoi alors légiférer ? Nous ne proposons pas d’en rester au système actuel : à aucun moment nous n’en avons fait un paradis. Nous sommes favorables à la suppression de la décote existante. Vous la remplacez par ce qui ressemble à une arnaque : on nous parle de liberté de choix, mais quelle liberté ? Celle de partir à la retraite avec une pension de misère ou celle de continuer à travailler au risque quasiment de mourir au travail ? Est-ce cela, la liberté ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Il n’y a pas de liberté de choix, ce n’est pas vrai. Quelles que soient les conditions de vie des gens, quels que soient leurs parcours professionnels heurtés, ils n’ont aucune garantie de revenu. Votre système ne les éclaire pas du tout sur l’âge auquel ils pourraient partir avec la meilleure pension possible. Certes, cet alinéa précise qu’il y a bien un âge d’équilibre applicable à sa génération. Cela confirme ce que nous vous disions : ce n’est pas un système universel, mais une addition de systèmes particuliers avec un régime spécifique par génération.

Tantôt on majore, tantôt on minore le revenu, pour aider à la décision, dites‑vous ; en réalité cette décision est contrainte. Les minorations sont-elles maintenues une fois le choix arrêté ou ne durent-elles que jusqu’à l’âge d’équilibre ?

Mme Sabine Rubin. L’âge d’équilibre, fixé par décret, sera réactualisé en fonction du fameux équilibre général du système : nous serons tous solidaires de cet objectif d’équilibre... Autrement dit, tous punis ! C’est bel et bien une solidarité à l’envers, une solidarité dans la gestion de la précarité.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je commencerai par revenir sur des propos tenus par M. Jean-Luc Mélenchon un peu plus tôt et par Mme Clémentine Autain à l’instant. Vous parlez de mourir au travail ; pour vous, le travail est une punition et la punition ultime, c’est la mort au travail. Je ne me retrouve pas du tout dans cette conception : le travail peut être pénible, dur, mais il est aussi un lieu d’épanouissement. Je constate une différence dans le rapport au travail : est-il permis de le présenter comme quelque chose de positif ? Notre rôle de législateur consiste à réduire autant que possible la pénibilité, qui est réelle, notamment dans certains métiers. Mais arrêtons de présenter le travail comme une punition.

Pour répondre à votre question, monsieur Mélenchon, le calcul de la minoration ou de la majoration s’applique à la durée intégrale de la retraite : 5 %, dans un sens ou dans l’autre, multiplié par vingt ans – qui correspond à l’espérance de vie en retraite – égale 100 %. La correction se fait une fois pour toutes.

Avis défavorable.

M. Régis Juanico. L’âge moyen de départ à la retraite est de 63,4 ans pour le régime général des salariés du privé. Si l’on ajoute le secteur public, en particulier les catégories actives, il est plus proche de 62 ans. Le malus est au cœur de l’injustice du système d’âge d’équilibre. L’enjeu consiste à partir à la retraite en bonne santé. Or l’espérance de vie en bonne santé dans notre pays, qui est inférieure à la moyenne européenne, avoisine 64 ans, soit un an avant votre âge d’équilibre en 2037.

Vous appelez à ne pas opposer les différentes catégories les unes aux autres. Mais la différence entre un cadre et un ouvrier en matière l’espérance de vie en bonne santé est de dix ans pour les hommes. Vous parlez d’un supplément de liberté, il faut plutôt parler d’une double peine : soit on partira à la retraite financièrement pénalisé avec le système de décote, soit on partira avec une santé encore plus dégradée.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vos intentions sont bonnes, monsieur le rapporteur, mais il faut y aller doucement : lorsque je m’occupais d’enseignement professionnel, j’ai tenu moi aussi ces discours... Bien sûr, chacun met dans son travail un peu de sa liberté et de son identité ; en général, les gens aiment leur travail, même s’il n’est pas toujours très gratifiant. Nous n’avons jamais dit que le travail était une malédiction : historiquement, nous sommes le parti des travailleurs. Reste que beaucoup de gens meurent au travail.

Soixante-trois années de vie en bonne santé, c’est une moyenne. L’écart est considérable suivant les populations ; pourtant, les mêmes règles s’appliqueront. Il n’y aura aucune liberté pour quelqu’un, déjà malade à 55 ans, de tirer jusqu’à 62 ans. Allez voir la tête des égoutiers – ce sont les derniers que j’ai rencontrés – quand on leur parle de ce sujet. Ils meurent en moyenne à 60 ans ; ils partaient à la retraite à 52 ans ; avec votre projet, ils partiront à 63 ans. Vous devez tenir compte de cela.

L’espérance de vie stagne dans notre pays et recule dans les pays qui ont adopté des systèmes voisins du vôtre : voyez les États-Unis d’Amérique.

M. Jacques Marilossian. Mme Michèle Delaunay, ancienne ministre chargée des personnes âgées et de l’autonomie, disait dans une récente interview au Monde : « Je n’ai trouvé nulle part une définition précise du calcul de l’espérance de vie en bonne santé. Celuici prend en compte les difficultés ou déficits impactant la vie quotidienne depuis six mois, mais cela me paraît discutable. » Elle rappelait : « Prenons une personne très gênée par des douleurs de hanche, son handicap disparaît avec la pose d’une prothèse. De même, on ne vit pas bien avec une cataracte, alors qu’il suffit d’une heure pour la réparer. » Elle rappelait surtout : « Les progrès médicaux, qui ont permis à l’espérance de vie de doubler en un siècle, ont aussi considérablement amélioré l’état de santé des personnes âgées. Nos parents ont vécu à partir de la soixantaine dans la souffrance de mal voir et de mal entendre, avec des douleurs articulaires quasi quotidiennes. Aujourd’hui, nous devenons de plus en plus réparables : [les] prothèses [...], aides auditives [...]. Les boomers ont devant eux encore un tiers de leur vie, et celle-ci peut être active, parce qu’ils sont moins freinés dans leur quotidien. » C’est d’ailleurs pour cela que nous avons instauré le reste à charge zéro pour toutes les prothèses auditives, les lunettes et les prothèses dentaires.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21117 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. L’espérance de vie en bonne santé et la durée de vie sans incapacité dans les gestes du quotidien sont deux concepts différents. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans, c’est un fait.

M. Jacques Marilossian. Non, pas du tout !

M. Régis Juanico. Demandez à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques ! Demandez aux services statistiques qui travaillent sur ces sujets ! Françoise Sivignon et Alfred Spira, médecins, l’ont écrit dans Le Monde : « Une retraite tardive, c’est un corps qui s’abîme » ; vous ne pouvez le nier. Plus vous retarderez le départ à la retraite, plus il y aura de gens que partiront avec une santé dégradée. Or une santé dégradée représente un coût exponentiel pour les finances publiques, en particulier du fait de la dépendance. Les propos de Mme Michèle Delaunay n’ont aucun sens. Avec votre réforme, des millions d’euros supplémentaires seront dépensés parce que les gens seront plus dépendants au moment de leur retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’espérance de vie en bonne santé est mesurée par une enquête déclarative, avec toute la subjectivité que cela suppose. Si nous tenions compte de l’espérance de vie par catégories, les femmes seraient perdantes dans la mesure où, statistiquement, leur espérance de vie est plus élevée que celle des hommes... On voit les limites du raisonnement. Quoi qu’il en soit, le calcul du nombre d’années pendant lequel on va verser les pensions repose sur l’espérance de vie.

M. Mélenchon a évoqué l’espérance de vie qui stagne aux États-Unis.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est en France qu’elle stagne ; aux États-Unis elle recule.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. En effet. Mais je ne pense pas que l’on puisse comparer notre système avec celui des États-Unis. Le modèle que nous défendons est très différent du leur. Des études ont montré que de nombreux Américains dépendent de systèmes de retraite liés aux États ou aux villes, dont certains sont notoirement sous-capitalisés. Ces études s’inquiètent des conséquences d’un krach, qui risqueraient de plonger des millions d’Américains âgés dans des situations très défavorables.

Nous voulons élargir la base du système par répartition jusqu’à trois plafonds annuels de la sécurité sociale ; cela est nettement plus large pour plusieurs professions. Les agriculteurs qui le peuvent pourront ainsi cotiser pour avoir des droits plus élevés. Notre système est plus résilient que le système actuel.

Avis défavorable.

Mme Sabine Rubin. « Le travail, c’est la santé », c’était avant... Les plus passionnés par leur travail – les infirmiers, les enseignants, etc. – sont épuisés avant l’âge, notamment par une forme de management qui exerce sur eux une terrible pression. On peut compter le nombre de burn out ! Au premier semestre 2019, 469 victimes d’accidents graves ou mortels ont été recensées, dont 172 décès. Chaque année, près de 1 200 travailleurs décèdent sur leur lieu de travail. Trois personnes meurent chaque jour en France d’un accident ou d’une maladie liés à leurs conditions de travail, majoritairement des ouvriers. Vous dites vous soucier des évolutions de notre société : tenez compte de celle-ci.

M. Olivier Véran. Nous sommes au cœur du débat entre démocratie sociale et démocratie parlementaire. Les deux ne sont pas antinomiques, mais le Gouvernement a choisi de faire confiance aux partenaires sociaux, qui après s’être mis d’accord, font valider ce choix par décret. L’autre option consistait à avoir un débat parlementaire, pourquoi pas annuel, mais en aurons-nous le temps ? Il est important de faire confiance aux partenaires sociaux et de les accompagner. Plus souvent qu’à son tour, la gauche a créé des dispositions en s’appuyant sur la démocratie sociale.

Un mot sur l’espérance de vie. Jusqu’aux années 1980, l’âge de départ à la retraite était de 65 ans. Lorsque M. Jean-Luc Mélenchon était ministre délégué à l’enseignement professionnel, en 2000, l’âge de départ à la retraite était certes de 60 ans, mais l’espérance de vie atteignait 79 ans ; en cas de départ tardif, à 67 ans, cela ne laissait que douze ans de vie. Aujourd’hui, l’âge de la retraite est de 62 ans, mais pour une espérance de vie de 83 ans. Le temps de retraite en bonne santé a déjà augmenté de deux ans par rapport aux années 2000 : nous n’étions pas aux commandes du pays.

M. Boris Vallaud. Quand vous avez supprimé les quatre critères de pénibilité, ce n’était pas au terme d’une concertation avec les partenaires sociaux, à part peut-être avec le MEDEF ! Vous n’avez pas cherché à améliorer les choses, arrêtez d’enfumer les gens ! Depuis cette suppression, vous avez exclu du bénéfice du compte professionnel de prévention l’ensemble des travailleurs du BTP, les travailleurs de l’industrie exposés aux produits chimiques, les caissières, les égoutiers, etc. Vous pouvez faire l’apologie du dialogue social, mais la réalité est objectivement bien éloignée de vos bons sentiments. Vous avez toujours les bons mots, mais vous avez aussi les mauvaises manières.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 847 de Mme Clémentine Autain, n° 854 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 21564 de M. Pierre Dharréville.

Mme Clémentine Autain. Vous faites toute confiance en l’INSEE puisque vous comptez sur lui pour préciser ce qu’est le revenu d’activité. J’ai donc consulté les chiffres de l’INSEE en matière d’espérance de vie : un cadre peut espérer vivre jusqu’à 84 ans, alors qu’un ouvrier peut espérer vivre jusqu’à 76,5 ans. Cet écart, objectivable, est lié à la réalité de leur vie quotidienne. Vous ne le contestez pas, mais vous n’en corrigez aucun des effets, et vous ne prévoyez rien pour l’intégrer.

Une hôtesse de caisse ou un professeur des écoles, à 65 ou 66 ans, auront le choix entre travailler plus longtemps ou partir à la retraite avec une pension qui ne leur permettra pas de vivre dignement. Tel est le choix cornélien devant lequel vous mettez aujourd’hui les salariés les plus en difficulté.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le rapporteur se trompe lorsqu’il dit que l’espérance de vie en bonne santé n’a pas de valeur parce qu’elle est déclarative : elle en a une, il suffit de regarder les statistiques pour le savoir. Certes, le travail n’est pas une punition ; néanmoins, chaque année 565 personnes meurent à leur poste de travail et 1 200 à cause d’accidents de travail ou de maladies professionnelles. Avez-vous l’impression que cela va s’arranger ?

Une espérance de vie en bonne santé à 63,5 ans, c’est une valeur déclarative dites‑vous. Mais la situation s’aggrave : 30 % des gens ne se soignent pas faute de moyens. Tel n’était pas le cas en l’an 2000 ; tous les indicateurs se sont dégradés depuis. Si j’ai cité les États-Unis, ce n’est certainement pas pour en faire un modèle, mais pour montrer que ce qui détruit la société nord-américaine, c’est le régime généralisé d’égoïsme social. En espérant que M. Bernie Sanders les en tirera bientôt...

Mme Sabine Rubin. Non seulement vous ne faites rien pour corriger l’écart entre les ouvriers et les cadres en matière d’espérance de vie, mais votre système va l’aggraver. Un cadre pourra supporter une décote et partir plus tôt, alors qu’un ouvrier sera obligé de travailler jusqu’à toucher la surcote, pour avoir une pension suffisante. L’écart sera ainsi aggravé. Votre système est mortifère, notamment pour les plus pauvres.

M. Gabriel Serville. L’amendement n° 21564 est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Rubin, les carrières non linéaires ne permettent pas, dans le système actuel, d’avoir le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à 62 ans sans décote. Si vous n’avez pas tous vos trimestres, du fait d’une période de chômage notamment, que faites-vous ? Outre la proratisation, vous subirez une décote de 5 % par année manquante ! Certes, notre système ne transformera pas par magie les petites pensions, mais il apportera des améliorations : pour cette catégorie, la redistribution pourrait être de 25 % à 30 %. Cela permettra au moins de corriger les choses.

Pour ce qui est de l’espérance de vie, monsieur Mélenchon, outre le travail, bien d’autres critères entrent en ligne de compte, à commencer par les habitudes de vie et même des éléments régionaux : ainsi, l’espérance de vie dans les Hauts-de-France est statistiquement bien inférieure à celle de l’Île-de-France. Je vous sais gré de votre idée, qui correspond à une aspiration sociale, mais trop de critères différents entrent en ligne de compte, sans parler des carrières des polypensionnés. En l’état actuel, elle est inapplicable.

Enfin, madame Autain, pénibilité et incapacité sont bien prises en compte. Je vous invite à consulter la page 55 du rapport sur le titre Ier : en cas de carrière longue, on peut partir à la retraite deux ans en avance ; en cas de handicap, on peut partir à l’âge de départ de l’assuré sans malus.

Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. C’est dans le rapport, mais ce n’est pas dans la loi.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les articles 28, 29 et 30 y font référence. Le tableau dont je parle récapitule ce qui est indiqué dans la loi.

Mme Clémentine Autain. Je viens d’une culture politique où la valeur travail est très importante. Nous la défendons aujourd’hui face à la valeur du capital, que nous contestons. Entre l’aliénation et l’émancipation, le débat est presque philosophique ; le rapport au travail est très complexe. Je songe au gardien de mon immeuble : il est passionné par son métier, il aime rendre service, distribuer le courrier, mais il a plus de 60 ans et physiquement, il n’en peut plus ; pousser les poubelles, il n’y arrive plus, cela lui fait mal. On ne peut pas opposer l’épanouissement et la pénibilité, d’autant que celle-ci varie selon les uns et les autres. Vous le savez, 30 % des aides-soignantes partent à la retraite en étant malades. Vous devez voir cette réalité sociale. Je sais que le Président de la République n’aime pas le mot pénibilité, mais la réalité est là : il y a des métiers qui sont plus pénibles que d’autres.

La commission rejette les amendements.

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13.   Réunion du vendredi 7 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 10 à l’article 12)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8721550_5e3dc5ac5fa53.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-7-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 2 641 amendements ; il en reste 17 470.

Réuni à l’issue de la séance de cet après‑midi, le bureau de la commission spéciale propose que la commission spéciale siège samedi et dimanche, à 9 heures 30 et à 15 heures ; lundi, à 9 heures 30, 15 heures et 21 heures 30 ; mardi, à 17 heures et 21 heures 30. Le bureau a par ailleurs confirmé les temps de parole convenus au cours de nos précédentes réunions.

Article 10 (suite) : L’instauration d’un coefficient d’ajustement, associé à un âge d’équilibre

La commission examine l’amendement n° 21118 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Sans doute faut‑il rappeler les conséquences de l’âge pivot. Alors que vous prétendez, dans le tableau 7 de l’étude d’impact, page 117, que les pensions des salariés au SMIC seront revalorisées de 5 % et que les salariés à carrière ascendante perdront 4 %, en réalité, le nouveau système fera baisser le taux de remplacement de 8 % pour un départ à 64 ans et de 18 % pour un départ à 62 ans.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons évoqué cette question plusieurs fois aujourd’hui.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’examen de l’amendement n° 22541 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. L’amendement vise à pondérer l’âge d’équilibre en fonction des recettes attendues par la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) et non uniquement en fonction de l’espérance de vie à la retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends la philosophie de votre amendement. Néanmoins, à mon sens, il faut laisser le soin de cette analyse au conseil d’administration de la CNRU, qui a la main sur l’âge d’équilibre.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 21119 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Contrairement à ce que dit le Gouvernement, le taux de remplacement baisse, tout comme la moyenne des pensions. En réalité, la seule façon de rattraper cette baisse, c’est de toucher au minimum contributif. C’est pourquoi vous êtes en train de créer un système qui a tout du filet de sécurité et qui conduira ceux qui le peuvent à se constituer une retraite complémentaire par capitalisation.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous ne souhaitons pas indiquer d’âge limite à ce stade.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 22556 de Mme Martine Wonner.

Mme Albane Gaillot. L’amendement vise à faire de l’évolution de l’âge d’équilibre l’objet d’un débat au Parlement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le débat aura naturellement lieu lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Il ne faut pas dépouiller la CNRU des outils qu’on lui confie.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. L’amendement est très intéressant, venant de la majorité. Il s’apparente à un cri du cœur pour que le Parlement puisse se prononcer sur les retraites, qui concerneront tant de Français et représenteront un budget de plus de 300 milliards d’euros. Plus que débattre, il faudrait pouvoir voter !

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’examen de l’amendement n° 399 de M. Stéphane Viry.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, le Premier ministre a annoncé une conférence sur le financement des retraites, qui devrait décider du financement de la réforme, notamment de la définition ou non de conditions d’âge. Mais il y a un problème de méthode ! Ce dialogue social n’aurait‑il pas dû être mené avant notre examen en commission ? Soit la conférence décide de conditions d’âge, qu’il faudra en ce cas inscrire dans la loi ; soit elle trouve d’autres moyens de financement, ce qui priverait l’article 10 de son objet. Nous sommes face à une ambiguïté, qui a éveillé la colère sociale : conjuguer la promesse présidentielle de maintenir officiellement un âge légal à 62 ans avec la nécessité d’inciter à travailler plus longtemps pour éviter la baisse des pensions. La vraie liberté serait de consentir à des règles lisibles et assumées, qui protègent le pouvoir d’achat des retraités.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il y a une confusion entre les conditions de retour à l’équilibre du système actuel et l’hypothétique définition d’un âge d’équilibre par la conférence de financement et la définition de l’équilibre du système universel et de l’âge d’équilibre dans la réforme. Ce sont bien deux choses différentes, même si elles sont liées.

Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Cette ambiguïté est révélatrice de la confusion qui règne. Cela ferait deux ans que vous dialoguez avec les partenaires sociaux, de sorte que tout soit prêt pour votre grande réforme, mais, en réalité, rien n’est calé ! Nous discutons d’un texte à trous, plein de points d’interrogation, alors même que le principal argument que vous avez utilisé pour mettre en œuvre la réforme était le problème du financement des retraites. Tout ce flou cache un loup. L’intervention du rapporteur n’a d’ailleurs fait que confirmer votre incapacité à lever l’ambiguïté et à répondre aux questions des Françaises et des Français.

M. Thibault Bazin. Si je comprends bien, l’article 10 a trait à l’âge d’équilibre du futur système et ne concerne donc que ceux qui sont nés après 1975. Est‑ce à dire que, pour les gens nés avant 1975, vous ne prévoyez pas d’âge d’équilibre et que vous laissez filer le déficit jusqu’à 17,2 milliards d’euros voire plus ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Afin de permettre un retour à l’équilibre en 2027, la conférence sur le financement et l’équilibre des retraites devra faire des propositions, lesquelles seront, le cas échéant, transcrites dans l’ordonnance. Il ne s’agit pas de purger le déficit actuel, mais de faire partir le nouveau système sur des bases saines.

Par ailleurs, il est nécessaire d’avoir un système solide et durable, qui donne confiance aux jeunes générations. Pour cela, un âge d’équilibre sera défini par génération. Le Gouvernement, je le répète, souhaite inciter les Français à travailler un peu plus longtemps, sans les y obliger, en maintenant l’âge légal à 62 ans. Ce n’est pas tabou. Le but est qu’ils contribuent à l’équilibre global du système, tout en impulsant une dynamique de pension très positive.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 872 de Mme Danièle Obono et n° 878 de Mme Sabine Rubin.

Mme Danièle Obono. Nous ne voulons pas d’un âge dit d’équilibre, qui est en réalité un âge de déséquilibre, étant donné que le système obligera les salariés à travailler plus, ce qui ne pourra que le déséquilibrer financièrement. Par ailleurs, il creusera les inégalités entre les salariés.

Mme Sabine Rubin. Vous présentez toujours le scénario catastrophe. Or, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le fameux déficit serait entre 8 et 17 milliards d’euros. Qui plus est, ce déficit est bien un effet de votre politique ! Qui ne compense plus les exonérations sociales ? Ce n’est pas nous, mais votre gouvernement depuis 2018 ! Et l’austérité salariale dans la fonction publique ? Ce n’est pas nous ; c’est vous, et les autres avant vous ! Il y a mille manières de régler autrement le déficit, plutôt que de définir un âge d’équilibre et d’imposer à tous une retraite plus tardive et moins bien payée.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme nous avons abordé à maintes reprises le sujet de l’âge d’équilibre, je ne reviendrai pas dessus.

Madame Rubin, nous avons en effet poursuivi la baisse des charges sociales. Je préfère réduire les charges sociales et qu’il y ait moins de chômeurs, plutôt que l’inverse.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, vous m’avez répondu tout à l’heure que l’âge d’équilibre mentionné à l’article 10 ne concernait que le futur système. Monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez la mission de la conférence de financement, qui pourrait soumettre ceux qui partiront d’ici à 2025 ou 2027 à un âge d’équilibre, même s’ils restent libres de partir plus tôt avec une décote. Mais on ne sait pas quel sera l’âge d’équilibre pour ceux qui partiront en 2022, en 2023 ou en 2024. Va‑t‑il évoluer chaque année pendant la période de transition ? Si je vous comprends, tout dépend en réalité de la conférence de financement. Ne faudrait‑il pas repousser l’examen en séance après la conférence, qui aura lieu au début du mois d’avril ?

Mme Sabine Rubin. Une question de vocabulaire. Si vous prêtez allégeance au monde des grosses entreprises, les cotisations sociales deviennent des charges, alors qu’à l’origine, une cotisation sociale, c’est l’expression de la solidarité, du salaire différé. Vous nous accusez souvent d’être conservateurs. Mais instaurer un départ à la retraite à 65 ans, comme en 1910, ce n’est pas être conservateur : c’est être rétrograde !

M. Boris Vallaud. Le secrétaire d’État a parlé de « dynamique de pension très positive », expression qui me laisse pour le moins circonspect... En effet, rien ne permet d’espérer une telle dynamique, puisque d’ici à 2050 il y aura une hausse de 67 % du ratio des plus de 65 ans, par rapport aux 20‑65 ans, et que vous allez faire passer de 13,8 à 12,9 % la part des pensions dans le produit intérieur brut (PIB) – de ce fait, le taux de remplacement des pensions va baisser de façon substantielle.

Par ailleurs, s’agissant de l’âge d’équilibre, n’oublions pas que, même si c’était du bout des lèvres, le Premier ministre a bien dit que les générations avant 1975 seraient concernées par la réforme des retraites. D’ailleurs, au niveau du SMIC, il faudra cotiser 8 euros en plus par mois pendant quatorze ans, sans se créer de droit à pension supplémentaire.

Quant au déficit, il est plein de vos turpitudes : vous n’avez pas compensé les exonérations de cotisations sociales ; vous avez réformé l’assurance chômage, en diminuant les versements de l’Unédic notamment à la branche vieillesse ; vous avez annoncé le maintien du gel du point d’indice d’ici à 2022, ce qui pour un gouvernement qui a l’intention d’augmenter les professeurs est assez prometteur ; et vous avez réduit le nombre de fonctionnaires, ce qui déséquilibre un peu plus la pyramide des cotisants et des non‑cotisants.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21120 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Pour revenir sur le débat que nous avions en fin d’après‑midi sur l’espérance de vie en bonne santé, nous assistons aujourd’hui à une dégradation de l’état de santé général dans notre pays, puisque 20 millions de personnes souffrent d’une maladie chronique, que 10 millions sont en affection longue durée et que 1,4 million sont en situation de dépendance. Cela représente 70 milliards d’euros à la charge de l’État. Travailler jusqu’à 64 ou 65 ans est épuisant, si bien que ces années supplémentaires se révèlent très coûteuses pour les caisses nationales d’assurance vieillesse. Or, dans l’étude d’impact, nous n’avons aucun chiffre sur les conséquences sanitaires d’un départ plus tardif à la retraite. Il faut des simulations.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Si l’espérance de vie n’augmente pas, l’âge d’équilibre n’augmentera pas non plus.

Mme Sabine Rubin. Nous avions quand même bien compris votre logique... Plus les gens mourront vite et tôt, plus ceux qui restent seront assurés d’avoir une bonne retraite ! (Protestations.) Je tire les conclusions de ce qui vient d’être dit : l’âge d’équilibre ne bougera pas, si les gens meurent plus tôt ! On va essayer de mourir vite, pour offrir une meilleure retraite à ceux qui restent.

M. Jean-Jacques Bridey. Ridicule !

M. Gilles Carrez. Au fur et à mesure que nous avançons dans l’examen des articles, nous nous rendons compte que celui qui s’approchera de l’âge de la retraite sera incapable, comme le souligne d’ailleurs le Conseil d’État dans son avis, de connaître le montant de sa retraite. À lire le rapport Delevoye, on se dit pourtant que c’est assez simple : 10 euros rapportent 1 point. Puis c’est le début du grand mystère... On ne sait d’abord pas du tout comment la valeur du point est calculée. On se rend ensuite compte que la valeur d’acquisition et la valeur de service peuvent changer tous les ans ; qu’il y aura deux régimes – l’un transitoire jusqu’en 2045, puis un autre. Avec l’article 10, on comprend que des ajustements seront faits en fonction d’un âge d’équilibre lui‑même mobile. Alors que l’on est, en réalité, incapable de savoir de quel niveau de retraite on bénéficiera, il ne faut pas vous étonner du climat d’anxiété générale ! Dans le système actuel, à l’exception de l’AGIRC-ARRCO, on sait à peu de choses près ce qu’on aura. Or, monsieur le rapporteur, vous êtes vous‑même incapable d’expliquer comment le système fonctionnera. Il est très difficile de convaincre sur une réforme, quand on est incapable de l’expliquer.

M. Jean-Paul Mattei. Comme vous, monsieur Carrez, j’ai lu les articles, mais je ne peux pas être d’accord avec vous. Nous avons débattu tout à l’heure de l’alinéa 7 de l’article 9, qui fixait la valeur d’acquisition et la valeur de service du point applicable à compter de 2022. Les alinéas 9 et 10 de l’article 10 établissent les modalités définissant l’âge d’équilibre en fonction de l’article 63, lequel définit la date d’application du texte. Tout est clair ! Pourquoi agiter des épouvantails ? (Exclamations.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous n’allons pas commencer à débattre d’une table à l’autre ! C’est insupportable ! Personne n’entend personne ! Je vous demande un peu de sérénité, sans quoi on ne comprend rien.

M. Thibault Bazin. On ne comprend rien de toute façon !

Mme Valérie Rabault. M. Carrez a tout à fait raison. Si la commission ne siégeait pas demain et que vous alliez sur le marché dans votre circonscription, beaucoup de personnes pourraient vous dire – j’ai fait le test – qu’elles connaissent le montant de leur future retraite. (Vives exclamations.) Faites l’exercice samedi prochain ! En revanche, si vous expliquez aux gens que leur retraite sera égale à un nombre de points multiplié par la valeur du point, dont on ne sait pas comment elle évolue, moins le malus qui dépend de l’âge réel de départ à la retraite – une première, soit dit en passant –, vous reviendrez bredouilles !

M. Olivier Véran. Madame Rabault, permettez‑moi d’être piquant. Si vous avez compris comment fonctionne l’actuel système de retraite, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. Comme je l’ai déjà dit lundi, du haut de mes 39 ans, j’ai cotisé à quatre régimes différents... Je suis passé par un courtier en retraites, qui a calculé combien je devais cotiser et ce qui avait servi ou non. Le système actuel est un vrai magma. Personne ne dit que le prochain sera simplissime ; mais dire qu’il sera plus compliqué me paraît assez lunaire.

Mme Danièle Obono. Non seulement il est plus compliqué, mais surtout on ne sait rien !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Rubin, laisser entendre qu’il faut que certains meurent tôt pour que d’autres bénéficient d’une bonne retraite, je le prends comme une attaque personnelle. On peut discuter sur la philosophie de la réforme et convenir que nous n’avons pas les mêmes valeurs. Mais nous renvoyer une telle image, alors que je m’attache depuis cinq jours à répondre aux uns et autres, je ne le vis vraiment pas bien !

Monsieur Carrez, les fonctionnaires, grâce au principe des six derniers mois, peuvent connaître leur retraite plus facilement. Celui qui est uniquement dans le régime général, à 50 ans, commence à avoir un ordre de grandeur sur les vingt-cinq ans corrigés de l’inflation, mais ce n’est déjà pas évident. Dans le milieu agricole, avec des points plafonnés et d’autres qui ne le sont pas, ce n’est pas simple. Les spécificités sont multiples ! À l’article 12, nous avons prévu d’inscrire en dur en lieu et place d’un projet d’ordonnance : « Les assurés auront à tout moment la possibilité de disposer d’une estimation du montant de la retraite à laquelle ils auraient droit en fonction de différents âges de départ et de différentes hypothèses d’évolution de carrière. » Les systèmes à points sont nettement plus lisibles.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 10 sans modification.

Article 11 : Une revalorisation dynamique et responsable des pensions de retraite

La commission examine les amendements de suppression n° 21094 de M. Boris Vallaud et n° 21555 de M. Pierre Dharréville.

M. Hervé Saulignac. L’amendement vise à supprimer un article qui nous paraît tout à fait préoccupant. Il dispose en effet qu’une fois liquidées, les retraites seront indexées sur les prix. Aucune hausse des retraites n’est envisagée. Il est précisé par ailleurs que la CNRU pourra proposer un autre coefficient de revalorisation, qui pourrait être inférieur à l’inflation, pour garantir le respect de la trajectoire financière pluriannuelle du système. Ce n’est pas exactement la définition que je me fais de la revalorisation ! Aussi, au mieux, les retraites liquidées ne baisseront‑elles pas. En réalité, elles diminueront progressivement par rapport aux salaires des actifs. Par exemple, à 85 ans, un retraité aura perdu environ 20 % de son pouvoir d’achat relatif – perspective funeste s’il en est.

Mme Elsa Faucillon. Vous avez essayé de communiquer autour de l’idée que la retraite serait indexée sur les salaires. Or nous avons vu cet après‑midi qu’il n’en était rien, étant donné que vous avez introduit cet élément factice du revenu d’activité moyen restant à définir par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Ce que vous avez peu dit, c’est que les pensions seraient bien indexées sur les prix et, surtout, qu’il n’existait aucune garantie pour éviter leur baisse, puisque, en fonction des choix qui seront faits chaque année, certaines pensions pourraient baisser en valeur relative, si l’inflation progressait plus vite que les pensions désindexées.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

En supprimant l’article 11, ces amendements supprimeraient un triple choix.

Celui d’une revalorisation unifiée, d’abord, puisque la plupart des prestations de retraite servies répondent d’ores et déjà à une règle harmonisée d’indexation. Cependant, certains cas spécifiques concernant la retraite complémentaire des salariés ou des revalorisations différenciées en 2019 et 2020 montrent que plusieurs modalités coexistent, ce qui nuit à la cohérence de l’ensemble.

Le deuxième choix, c’est celui d’une revalorisation soutenable. Les retraites constituent la première dépense publique, avec près de 14 points du PIB. Le montant des pensions versées chaque année est un déterminant majeur de la soutenabilité de nos finances publiques. Plutôt que d’inscrire dans la loi une revalorisation ni réaliste ni finançable, qui serait méconnue au premier retournement de conjoncture, il est proposé d’y maintenir le renvoi à une indexation de principe sur les prix, telle que définie à l’article L. 161-25.

Enfin, ce serait renoncer au choix d’une revalorisation dynamique. À condition de respecter la trajectoire financière du système de retraite, la revalorisation pourra être supérieure à celle du niveau des prix. Ces éléments sont à la main du conseil d’administration de la CNRU, dans le respect de la règle d’or, laquelle est la garantie de la pérennité d’un système de répartition efficace et soutenable.

M. Boris Vallaud. Le rapporteur vient à nouveau d’indiquer que la seule règle d’indexation de la valeur de service du point est la règle d’or, destinée à garantir l’équilibre financier du système. L’indexation sur l’inflation vaut pour toutes les pensions, y compris le minimum contributif. Ce minimum est fixé à 85 % du SMIC au moment de la liquidation, mais il va progressivement décrocher par rapport à l’ensemble des salaires, donc par rapport au SMIC, à l’instar de toutes les autres pensions. Donc, pour reprendre l’exemple d’Hervé Saulignac, une personne au minimum contributif, après vingt ans d’indexation de sa pension sur l’inflation et non sur les salaires, ne percevra plus 85 % mais 70 % du SMIC.

Mme Danièle Obono. L’avis du rapporteur démontre que toutes les tentatives pour atténuer l’effet désastreux de cette réforme sont adossées à votre règle d’or, et à l’impératif que vous fixez de faire travailler les salariés plus longtemps. Ce qui peut sembler une avancée n’en est donc pas une. Nous proposons d’indexer les pensions sur l’inflation, ce qui est beaucoup plus cohérent.

Par ailleurs, si nous interpellons de manière aussi forte, parfois sur des sujets graves qui peuvent heurter le rapporteur, ce n’est pas une question personnelle. Nous relayons l’interpellation des salariés de certains secteurs tels les égoutiers ou des éboueurs, qui expliquent qu’ils vont littéralement mourir avant de pouvoir toucher un minimum de retraite à cause de votre réforme. Pour eux, c’est une question personnelle.

M. Gilles Carrez. Depuis des décennies, mon baromètre c’est le marché du vendredi matin à Champigny, place Lénine : certains s’en étonneront, mais je suis en effet député de la place Lénine. (Sourires.) Je propose au rapporteur de venir y passer 2 heures avec moi, pour que nous discutions avec nos concitoyens de la valeur d’acquisition, de la valeur de service, de l’âge d’équilibre et du coefficient d’ajustement. Nous ne serons pas trop de deux pour expliquer comment le système fonctionne ! Et même si je concède à Olivier Véran que le système actuel est compliqué, vous verrez qu’il est plus facile à faire comprendre, surtout si nous rencontrons un fonctionnaire – ils sont nombreux à Champigny.

M. Jean-Jacques Bridey. Nous parlons de règle d’or et d’équilibre, que nos collègues respectent notre notion de l’équilibre ! Certains maintiennent l’équilibre en reculant l’âge de départ. Le groupe La France insoumise le fait en puisant dans les excédents et les réserves des caisses autonomes. Et on ne sait pas comment ferait le groupe Socialistes, mais nous avons vu les effets de la réforme Touraine. Oui, l’équilibre est une règle d’or, car sans lui, il n’y a pas de pérennité et les prestations ne peuvent être servies. Respectons les arguments des uns et des autres.

Quant à la pénibilité, j’aimerais que nous arrivions à discuter de l’article qui y est consacré, car nous avons des propositions en la matière, et nous souhaitons défendre nos amendements. Malheureusement, l’obstruction de certains nous empêche d’en débattre. Avançons sur tous ces sujets.

La commission rejette les amendements.

La commission est saisie des amendements identiques n° 402 de M. Éric Woerth et n° 21715 de M. Thibault Bazin.

M. Gilles Carrez. Sans revenir dans le détail sur le débat que nous avons eu cet après-midi, nous proposons que les 1 000 premiers euros de retraite soient indexés, non pas sur l’inflation, mais sur l’évolution du revenu moyen.

M. Thibault Bazin. Une fois que la retraite est liquidée, les pensionnés subissent nos décisions sur la revalorisation. Les retraités actuels ont ainsi subi une sous-revalorisation ces dernières années. L’article 11 prévoit que les retraites liquidées seront revalorisées chaque année au 1er janvier en fonction de l’évolution de l’inflation. Or vous considérez que l’évolution du salaire moyen est une base de revalorisation plus intéressante que l’inflation. Vous justifiez donc nos amendements, puisque nous proposons que les 1 000 premiers euros soient indexés sur l’évolution du revenu moyen. Cette proposition de justice sociale permettra de mieux revaloriser les petites retraites, tout en s’appliquant à toutes les retraites de manière équitable. Vous allez nous répondre que cette mesure est coûteuse, mais elle est financée par notre proposition d’augmentation progressive et linéaire de l’âge de départ à la retraite. Notre projet est cohérent et offre davantage de justice sociale.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Réexpliquons la logique de ces différents paramètres. Aujourd’hui, les salaires sont ascendants au cours d’une carrière classique – même si tout le monde n’a pas la chance d’en avoir une. Les revenus sont d’autant plus ascendants que du fait de la revalorisation des salaires, en proportion, les revenus perçus il y a vingt-cinq ou trente ans ont été dévalorisés. Ils étaient plus faibles en valeur absolue il y a vingt-cinq ans, et la progression des salaires les dévalorise encore en valeur relative.

Afin de compenser cet effet, nous avons décidé d’indexer la valeur d’acquisition des points et la valeur de service sur l’évolution des revenus plutôt que sur celle de l’inflation. Une fois la retraite liquidée, la question se pose en termes de pouvoir d’achat. Or le pouvoir d’achat est affecté par l’inflation. C’est pourquoi la pension versée, passé la liquidation, est indexée sur l’inflation. La CNRU pourra revaloriser ou sous-valoriser en fonction de paramètres d’équilibre, mais la mécanique profonde est celle que je viens de vous décrire.

Je comprends l’argument selon lequel il serait préférable que la pension aussi soit revalorisée en fonction des salaires. Dans un monde idéal, nous voudrions la doubler tous les ans !

M. Thibault Bazin. Notre proposition est bien plus raisonnable !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous rappelle que c’est M. Balladur, lequel appartenait à votre formation politique, qui a choisi, voilà plus de trente ans, d’indexer les pensions sur l’inflation et non plus sur les salaires. Nous souhaitons, pour notre part, mieux revaloriser l’acquisition de points, pour qu’elle soit plus homogène. Si le chômage diminue ou que la trajectoire de l’économie est favorable, la CNRU pourra toujours décider d’une indexation supérieure à l’inflation.

Je comprends l’intérêt de votre proposition, notamment pour les plus petites pensions, néanmoins avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Comment avez-vous obtenu ce taux de cotisation de 28 % pour les salariés ? J’aimerais savoir comment il se décompose, car il me semble que la somme des taux de cotisation actuels aboutit à un total inférieur. Inclut-il la part non contributive de 2,81 % ?

Mme Sabine Rubin. Merci, monsieur le rapporteur, de répondre à l’ensemble de nos arguments assez précisément. Cela nous éclaire notamment sur cet article car tout va être conditionné par la règle d’or.

Permettez-moi de revenir sur ma réaction un peu vive à l’une de vos explications. J’ai simplement poussé la logique de vos propos jusqu’au bout. Vous parliez d’ajuster l’âge d’équilibre en fonction du nombre de retraités. Or, si l’on est un peu cynique, mieux vaut qu’il y ait le moins de retraités possible pour ne pas reculer l’âge d’équilibre.

J’en reviens à votre règle d’or. Actuellement, la fameuse règle d’or du traité de Maastricht qui met la France à la diète depuis trente ans est remise en cause. Si elles ne sont que conjoncturelles, ces règles ne sont peut-être finalement qu’en plastique !

Mme Corinne Vignon, rapporteure pour le titre III. Je rappelle que les dispositions relatives à la retraite minimum sont traitées au titre III...

À ceux qui prétendent que notre étude d’impact est complètement biaisée, je signale qu’en page 725, au paragraphe 3.2.5, il est écrit : « Afin de garantir dans la durée le principe d’une retraite minimale à 85 % du SMIC net au moment du départ en retraite, le montant du minimum de retraite sera indexé sur le SMIC, soit une modalité de revalorisation plus favorable qu’aujourd’hui, les minima actuels étant indexés sur l’inflation. »

M. Boris Vallaud. Ce n’est valable qu’au moment du départ en retraite !

M. Gilles Carrez. Je remercie le rapporteur d’avoir répondu aussi clairement que possible sur les questions d’indexation. Notre amendement est raisonnable et ne porte que sur les 1 000 premiers euros, car nous sommes bien conscients du fait que l’indexation joue à deux niveaux : au fur et à mesure de la constitution des droits et une fois la retraite liquidée.

L’acquisition des droits était indexée sur les salaires jusqu’en 1987, puis on y a substitué l’indexation sur l’inflation. Les pensions ont également été indexées sur l’inflation à partir de 1993. Depuis cette époque, de nombreux gouvernements de bords politiques différents se sont succédé, mais aucun n’est revenu sur ces critères d’indexation, pour des raisons d’équilibre financier.

Notre amendement, qui porte sur les 1 000 premiers euros, est en effet assez coûteux, mais nous le finançons par le report progressif de l’âge légal. Nous maintenons une cohérence financière que l’on ne retrouve pas dans le projet de la majorité.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21571 de M. Sébastien Jumel.

Mme Elsa Faucillon. Vous avez admis que l’indexation de la retraite devrait plutôt être fonction du revenu moyen. Nous avons tous constaté en effet que l’indexation sur l’inflation a eu pour effet de réduire les pensions. Nous vous avons reproché cet après-midi la période de transition, et le fait que vous ne mentionniez pas un salaire moyen, mais un revenu moyen, dont la définition est floue. Nous proposons par cet amendement une revalorisation en fonction du salaire moyen et non sur l’inflation. Cette mesure serait cohérente avec vos propos et bénéfique aux pensionnés. Et puisque les exemples des autres pays d’Europe montrent que la retraite à points à tendance assez nettement à faire baisser le niveau des pensions, retenons au moins le mode d’indexation le plus favorable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. En réponse à la question de Mme Rabault, le taux de cotisation à 28,12 % sera explicité à l’article 13. Les 2,81 % correspondent à un dixième de ce taux : M. Delevoye a proposé que 90 % des cotisations contribuent à l’acquisition de points, soit 25,31 %, et que les 10 % restants financent les mécanismes mutualisés et la solidarité. Cette part de la cotisation de 2,81 % n’est pas plafonnée, contrairement aux 25,31 %.

Madame Faucillon, votre amendement est une version encore plus étendue de l’amendement présenté par M. Bazin. Nous pouvons fixer l’équilibre sur cette base, mais il faudra alors partir d’une pension plus faible : il faudra sous-indexer les pensions au moment de leur liquidation pour qu’elles progressent ensuite. Or cette solution défavorise ceux dont l’espérance de vie est plus courte. Je suis désolé de la froideur mathématique de ces considérations sur les durées de vie, mais nous devons nous entendre sur la nécessité d’une forme d’équilibre financier.

Nous ne sommes pas des ayatollahs de l’équilibre financier, mais celui-ci permet de garantir la confiance. Les enquêtes d’opinion montrent un vrai doute sur l’avenir de notre système : nous voulons donc assurer son équilibre. Le groupe Les Républicains veut atteindre l’équilibre plus rapidement avec le critère de l’âge légal ; nous voulons quant à nous un équilibre au service d’une pérennité.

M. Boris Vallaud. L’indexation du minimum contributif à 85 % du SMIC pose évidemment la question de la revalorisation du SMIC lui-même, dont le principe est discuté. Au début du quinquennat, Gilbert Cette avait même proposé de mettre fin à sa revalorisation automatique. Du reste, ces dernières années, les gains de pouvoir d’achat n’ont pas été réalisés par des coups de pouce au SMIC, mais par la prime d’activité, qui ne crée pas de droits. Le risque est d’adosser le minimum contributif à un indice peu dynamique par rapport au reste des salaires.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, vous prétendez ne pas être des ayatollahs de l’équilibre financier, mais c’est précisément le cas. Toute cette réforme ne vise qu’à équilibrer un système – qui n’est pas en déséquilibre. Je le rappelle, le COR explique qu’il n’y a pas de déséquilibre actuellement, et que s’il y en a un sera du fait de la politique du Gouvernement, à cause de la baisse des cotisations sociales qui viennent financer les caisses de retraite et de la réduction du nombre de fonctionnaires.

Nous, nous ne sommes pas figés sur l’équilibre financier. Nous proposons un financement correct, en amont, des retraites. De bons salaires permettent de bonnes retraites, mais vous refusez d’agir en ce sens. Plus il y aura de personnes travaillant pour de bons salaires, mieux nous pourrons financer le régime de retraite. Il faut relancer l’activité et embaucher plus de fonctionnaires qui cotisent mieux.

Les marges de manœuvre prévues dans notre programme sont bien plus nombreuses que ne l’a indiqué M. Bridey. Voilà le sens que devraient avoir nos discussions !

Mme Elsa Faucillon. L’équilibre financier n’est pas l’objectif ultime, mais il fait partie des moyens. Oui, il faut arriver à l’équilibre mais tout en finançant des retraites justes et dignes. Vous considérez l’équilibre comme un but en soi, et vous en oubliez de chercher les autres ressources potentielles. En 1960, il y avait quatre actifs pour un retraité. Les choses ont bien changé depuis, la durée hebdomadaire du travail a même diminué, sans pour autant remettre en question le financement des retraites de manière systémique. Le déficit tient à vos décisions de réduire les cotisations sociales et de supprimer des postes de fonctionnaires, ce qui ne permet pas de financer une retraite à 60 ans à taux plein. Intéressez-vous aux ressources alternatives, et vous verrez que l’équilibre est un moyen, pas une fin.

M. Thibault Bazin. Je ne peux pas laisser dire que le projet présenté par Les Républicains est brutal. Il ne se résume pas à une mesure d’âge, et sa mise en œuvre est progressive : à raison d’un trimestre par an, l’âge légal de la retraite passe à 63 ans en 2024. Les marges dégagées permettent de financer des mesures de justice sociale et de pouvoir d’achat, notamment en faveur des petites retraites.

Au-delà des salaires moyens et du minimum contributif, ce qui est bon au cours de la carrière pour l’acquisition de points doit aussi profiter à ceux qui ne peuvent plus acquérir de nouveaux points car ils ont déjà liquidé leur retraite.

Mme Nathalie Elimas. Madame Obono, vous avez utilisé le terme d’ayatollah à propos de notre recherche d’équilibre financier, ce qui me choque. L’équilibre, c’est avant tout notre responsabilité : nous nous devons de transmettre un régime à l’équilibre.

Par ailleurs, nous ne devons pas avoir lu le même rapport du COR : vous dites qu’il n’y a pas de déficit ; il est pourtant estimé entre 8 et 17 milliards d’euros.

Je rejoins vos propos sur les salaires : nous devons nous en préoccuper, et nous faisons justement des propositions en ce sens. Il est question dans ce texte des traitements des enseignants, des enseignants-chercheurs et de la fonction publique.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À la décharge de Mme Obono, c’est le rapporteur qui, le premier, a utilisé le terme d’ayatollah, c’est pourquoi elle le reprenait.

M. le secrétaire d’État. Indexer la revalorisation des retraites sur l’évolution des revenus suppose des marges financières importantes, même si vous proposez de le financer en repoussant l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans pour tout le monde. De plus, votre proposition est antagoniste avec les nôtres. Il faut choisir quels leviers utiliser. Vous souhaitez mieux revaloriser les 1 000 premiers euros de pension, tandis que nous choisissons de retenir un bon taux de rendement au moment de liquider la pension. Votre mesure défavoriserait en outre ceux dont l’espérance de vie est plus faible. Notre démarche me semble plus juste car le taux de rendement à 5,5 profite à tout le monde, sans distinction d’espérance de vie.

Le taux de cotisation de 28,12 % et les 10 % consacrés à la solidarité ont bien été expliqués par le rapporteur. Dans l’étude d’impact, le tableau 16 de la page 140 compare les taux de cotisation applicables avant et après la réforme. Le taux de 28,12 % est celui appliqué par l’AGIRC-ARRCO à la tranche de rémunération comprise entre zéro et un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS).

La commission rejette l’amendement.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 578 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Cet amendement est plus concis : il prévoit simplement que les 1 000 premiers euros sont revalorisés en fonction du salaire moyen.

Monsieur le secrétaire d’État, je comprends votre raisonnement qui porte sur le flux des futurs retraités, mais nous nous préoccupons également du stock de retraités actuels, qui perçoivent une pension faible, notamment les retraités agricoles. Certains risquent d’être frustrés car ils ne seront pas concernés par vos propositions. Nous souhaitons une mesure de pouvoir d’achat extrêmement forte au bénéfice des petites retraites. Indexer la revalorisation sur les revenus plutôt que sur l’inflation permettrait précisément un meilleur rattrapage. Nous parlons d’une réforme dont l’impact se fera sentir en 2047 ou en 2060. Mais les retraités actuels sont préoccupés par le montant de leur retraite l’année prochaine et l’année suivante. La mesure de pouvoir d’achat que nous proposons, financée de manière responsable, aurait un effet immédiat.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je comprends la logique de votre amendement. Mais les mesures portant sur le stock – pour reprendre vos termes – de retraités actuels ont un impact budgétaire extrêmement fort. En outre, l’enjeu du projet de loi, ce sont les retraités futurs. S’agissant des retraités actuels, quelques dizaines d’euros de retraite supplémentaire représentent des milliards d’euros. Il existe d’importants enjeux concernant la protection sociale, la dépendance, les hôpitaux, et nous devons faire des choix. Nous avons fait celui de relancer l’emploi et l’activité économique pour engendrer des rentrées fiscales et des cotisations qui permettront de financer ces priorités, mais l’approche ne peut qu’être progressive.

Je comprends cette sensibilité, qui est tout à votre honneur, mais avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je répète ma question, parce que je comprends bien qu’il y a un loup et que vous êtes gênés pour me répondre. Mme Vignon pensait me répondre, mais le minimum contributif à 85 % du SMIC n’est garanti qu’au moment de la liquidation. Cette proportion n’est pas garantie sur toute la durée de la retraite : le minimum contributif, comme toutes les pensions, sera indexé sur l’inflation, et non sur l’évolution des salaires, il y aura donc un décrochage progressif. Par conséquent, vingt ans après la liquidation, la retraite minimale ne sera plus à 85 %, mais à 70 % du SMIC !

M. Thibault Bazin. Lorsque l’on débat des retraites, il faut en effet se représenter le coût induit par les mesures sympathiques que l’on propose. Notre amendement a un coût très important : plusieurs milliards d’euros. Mais les mesures d’âge ont aussi un effet très fort : une année représente 10 milliards d’euros. Nous essayons donc de nous donner les moyens d’adopter ces mesures tant attendues par la population.

Ce système futur ne doit pas nous faire oublier l’urgence sociale – je pense notamment aux petites retraites. Peut-être que nous pourrons les prendre en compte dans le prochain PLFSS.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques n° 906 de Mme Danièle Obono, n° 912 de Mme Sabine Rubin, n° 12940 de M. Éric Woerth, n° 21570 de M. Sébastien Jumel et n° 21722 de M. Thibault Bazin.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de supprimer l’alinéa 3. Le moindre pas en avant que vous faites est compensé par trois pas en arrière. Ainsi, vous prévoyez d’autoriser le conseil d’administration de la CNRU à geler la revalorisation. Le mécanisme d’évolution des pensions est donc soumis à plusieurs dérogations qui annulent l’effet de l’indexation que vous avez instituée.

Mme Sabine Rubin. Je reviens à l’équilibre financier. Nous ne souhaitons pas que le système soit déséquilibré – d’ailleurs nous pensons que c’est vous qui le déséquilibrez. Nous avons une nouvelle idée à vous proposer : puisque vous êtes soucieux de l’égalité salariale entre hommes et femmes, instaurez-la et vous n’aurez plus besoin de compenser la baisse des cotisations !

Mme Constance Le Grip. Désireux d’éviter aux retraités toute perte de pouvoir d’achat et sachant que la majorité actuelle a décidé à deux reprises d’une revalorisation nulle, Les Républicains souhaitent supprimer l’alinéa autorisant la fixation d’un taux de revalorisation inférieur à l’inflation.

M. Thibault Bazin. Étant primo-député, monsieur Véran, je ne sais pas ce qui s’est passé avant 2017, mais je connais très bien le contenu des lois de finances pour 2018, 2019 et 2020. On sait le traumatisme causé par la sous-revalorisation des pensions de retraite par rapport à l’inflation, notamment, qui a entraîné une perte de pouvoir d’achat. Nous nous méfions de cette possibilité de dérogation, que des personnes bien moins intentionnées que vous pourraient utiliser à mauvais escient.

Mme Elsa Faucillon. Dans ce flou général, sans paramètres fixes et éléments certains, il serait bon et peut-être convaincant que vous apportiez au moins aux futurs retraités l’assurance que les gouvernements ne pourront pas déroger à la revalorisation annuelle.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ne pas vouloir que les pensions baissent est une intention louable, mais ne perdons pas de vue que si un événement économique majeur, telle la crise de 2008, survenait, il faudrait que les pensions puissent être sous-indexées par rapport à l’inflation. La CNRU aura la main – c’est le but – et nous devons lui faire confiance pour prendre des décisions responsables, comme l’ont fait les partenaires sociaux à l’AGIRC-ARRCO. Gardons des outils pour les situations extrêmes. Notre objectif n’est pas de sous-valoriser les pensions, mais de conserver des trajectoires acceptables.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Je voudrais revenir sur la question soulevée par Boris Vallaud. Le minimum retraite est fixé à 85 % du SMIC au moment de la liquidation, et il sera revalorisé chaque année en fonction de l’inflation. Supposons que, pour diverses raisons, les salaires évoluent plus vite que les prix : vingt ans après le départ à la retraite de l’assuré, sa pension n’équivaudra plus à 85 % du SMIC, mais peut-être à 75 % du SMIC.

Mme Danièle Obono. Le rapporteur vient d’éclairer le débat en nous expliquant qu’en cas de crise financière, malheureusement envisageable, les retraites seront la variable d’ajustement. Plutôt que de faire payer ceux qui auront provoqué la crise financière, vous vous donnez la possibilité de geler une revalorisation. Vous utiliserez votre règle d’or, aux dépens des salariés et des retraités, pour atténuer les effets de la crise causée par une bulle financière. Ce sont eux qui paieront les inconséquences de la finance, que vous protégez.

M. Jean-Paul Mattei. Est-ce que le Parlement reprendrait ensuite la main si un coefficient inférieur à l’inflation devait être appliqué ?

Mme Valérie Rabault. Très bonne question !

M. Jean-René Cazeneuve. On ne peut pas laisser dire qu’il y aurait un risque de baisse des pensions ; il pourrait y avoir, de manière tout à fait exceptionnelle, une désindexation des pensions sur l’inflation. Ce n’est pas le Gouvernement qui en déciderait mais la CNRU, un organisme digne de confiance puisque paritaire, externe et indépendant. Objectivement, il est difficile de s’engager au-delà de la revalorisation en fonction de l’inflation et des dérogations en cas de crise : on ne peut pas faire pour les retraités ce que l’on ne fait pas pour les salariés, lesquels peuvent voir en temps de crise leur salaire augmenter moins vite que l’inflation et parfois même subir un gel.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21121 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Les délibérations du conseil d’administration de la CNRU sont extraordinairement encadrées, notamment par la règle d’or qui fait que l’État peut à chaque fois prendre la main. Il est indiqué que la délibération est approuvée par décret et que, si le coefficient est inférieur, le Parlement doit se prononcer dans le cadre du PLFSS. Cet amendement est ce que Régis Juanico appelle un amendement chaussette : il me donne l’occasion de vous interroger sur ce point.

M. le secrétaire d’État. Pour répondre à votre première question, monsieur Vallaud, il n’existe qu’une modalité d’indexation pour les pensions, en fonction de l’inflation. Même aujourd’hui, on ne dit pas à quelqu’un qui s’apprête à percevoir une pension égale à 2 SMIC que, les salaires évoluant plus vite que l’inflation, elle n’atteindra que 1,8 SMIC dans trente ou quarante ans ! La seule référence valable est celle qui est en vigueur au moment de la liquidation des droits.

Le minimum de pension revalorisé à 85 % du SMIC constitue un progrès social puisqu’il concerne les retraités agricoles, les petits commerçants artisans et un certain nombre de salariés. Votre raisonnement est quelque peu étrange : vous craignez une dynamique supérieure des salaires que, par ailleurs, vous appelez de vos vœux.

Enfin, monsieur Mattei, le texte prévoit pour cette dérogation un double verrou. Seuls les partenaires sociaux pourront décider d’un coefficient inférieur à l’inflation, dans le respect de la trajectoire financière pluriannuelle. Comme le prévoit l’alinéa 4, ce taux devra être validé par le Parlement.

M. Boris Vallaud. Vous ramez, monsieur le secrétaire d’État ! Toute votre communication repose sur le fait qu’un nombre considérable de personnes bénéficieront du minimum de pension à 85 % du SMIC, mais jamais vous ne précisez qu’au bout de vingt ans, il atteindra à peine 70 % du SMIC ! Certes, 40 % des femmes toucheront le minimum de pension, mais la plupart ne percevront pas 85 % du SMIC ! Disons la vérité, allons au bout des choses ! Avec l’âge d’équilibre et le système de minoration, vous ne percevrez que 75 % du SMIC à 62 ans. Il faut dire l’entièreté des choses et sortir de l’embrouille permanente. Ce sont ce manque de clarté, cette nébulosité de la pensée que nous vous reprochons. J’ai vu un vent de panique vous saisir lorsque je vous ai posé la question, car la réponse ne collait pas avec votre ligne de communication.

Mme Sabine Rubin. Pourquoi affirmez-vous que la non-indexation est impossible ? C’est pourtant le cas aujourd’hui, alors même qu’il n’y a pas de crise ! Qu’une telle décision doive être validée par le Parlement – par je ne sais qui, je ne sais quoi – n’est pas une garantie, sauf si l’on y met des gens sérieux et équitables.

Laissez-nous donc gérer les choses ! Nous avons de bonnes solutions. Pourquoi donc attendre la retraite pour réaliser l’équité des revenus des hommes et des femmes ? Je me souviens que vous avez rejeté un amendement de notre groupe qui visait à inciter les entreprises à instaurer l’équité des rémunérations. Cette équité, il nous la faut avant et après le départ à la retraite ; elle est d’ailleurs la condition du fameux équilibre que vous recherchez.

M. Jean-Paul Mattei. Nous venons d’en avoir la démonstration, le texte prévoit bien que si la CNRU ne prend pas la bonne décision, le Parlement pourra ne pas la valider. Nous devrions donc être rassurés. On peut ne pas être d’accord sur le fond, mais si l’on prend la peine d’analyser calmement le projet de loi, on s’aperçoit qu’il prévoit une soupape de sécurité en renvoyant la décision devant le Parlement.

Mme Céline Calvez. Depuis deux ans, avec l’index égalité salariale, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour combler les différences de rémunération entre les hommes et les femmes. On se contentait depuis les années 1970 de voter des lois ; aujourd’hui, nous faisons prendre conscience des inégalités, nous les mesurons. Si les entreprises et les administrations ne parviennent pas à les résorber, elles seront sanctionnées. On peut donc réduire les inégalités de salaire aujourd’hui et compenser demain les inégalités de retraite, ce n’est pas incompatible. Mais cela prendra encore quelques années.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 14681 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. Amendement rédactionnel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est bien tenté, mais l’amendement n’est pas vraiment rédactionnel.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Cet amendement dénonce l’impréparation du Gouvernement, et nous ne pouvons que le souligner, car la conférence de financement se tiendra après l’examen du texte en commission, ce qui est très dommageable pour la qualité de nos travaux.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21122 de M. Boris Vallaud.

Mme Valérie Rabault. Il s’agit d’un amendement d’appel. Nous avons reçu aujourd’hui de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) le Panorama de la retraite en France. Cet ouvrage propose des cartographies très intéressantes, dont celle de l’âge de départ à la retraite. On se rend compte que les personnes qui ont pris leur retraite avant l’âge légal de départ sont concentrées sur certains territoires, ceux-là mêmes qui connaissent un fort taux de chômage. Ces inégalités territoriales seront encore davantage accentuées si vous repoussez l’âge réel de départ à la retraite, puisque ces personnes subiront un malus plus important. Disposez-vous de projections territoire par territoire ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il faut certes développer l’emploi sur les territoires et je suis très sensible à l’enjeu qui consiste à mieux répartir les activités en France, notamment hors des métropoles. Ces politiques, comme celle en matière d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, ont une incidence sur les retraites futures. Mais vous dire que nous disposons d’études spécifiques sur leurs effets, territoire par territoire, serait vous mentir.

Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Si nous insistons sur les inégalités entre les femmes et les hommes, c’est que cette réforme, comme les précédentes, risque de les accentuer. Vous avez refusé de revaloriser le traitement des fonctionnaires des catégories C et B, en grande partie des femmes, vous ne voulez pas de mesures contraignantes et vous avez supprimé avec les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail les leviers permettant de favoriser l’égalité. Je ne pense pas que l’index égalité permettra de corriger les inégalités. C’est une mesure d’affichage, un cautère sur une jambe de bois, bien loin des interventions structurelles pourtant nécessaires. La réforme des retraites accentuera encore ces déséquilibres ; cela a été largement démontré, elle ne favorisera pas les femmes, qu’elles aient ou non des enfants.

Mme Albane Gaillot. L’objectif du projet de loi est de participer à la résorption des inégalités entre les femmes et les hommes. Outre le minimum de pension à 85 % du SMIC, le texte prévoit en son article 27 que les personnes à temps partiel pourront cotiser sur la base d’une rémunération à temps plein avec une prise en charge par l’employeur de la part salariale. Avec 29 % des femmes en temps partiel subi, cette mesure est clairement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21123 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Le Panorama de la retraite en France de la DREES fournit, avec les résultats d’une enquête à laquelle 13 000 personnes ont répondu, des chiffres très intéressants sur la transition entre l’emploi et la retraite. On sait que le taux d’emploi des seniors âgés de 60 à 65 ans, à 33 %, est l’un des plus faibles d’Europe. On sait aussi qu’une retraite tardive, c’est un corps qui s’abîme. Entre 2013 et 2016, les arrêts maladie ont augmenté de 13 % du fait de la présence plus importante sur le marché du travail de personnes âgées de plus de 60 ans. Il faut s’attendre à une explosion des dépenses liées au prolongement de la vie professionnelle au-delà de 63 ans. L’âge d’équilibre aggravera encore ces coûts pour les finances publiques.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’exercice devient compliqué pour moi... Non seulement je suis sollicité sur l’ensemble du texte, mais je dois en plus m’exprimer sur toutes les politiques publiques, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’emploi des seniors... Si vous m’interrogez sur les zones de non-traitement à proximité des habitations, je pourrai vous donner mon avis mais là, j’avoue, j’atteins les limites de mes compétences (Sourires.) !

Avis défavorable.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous demande de reprendre le fil du texte car nos débats manquent de cohérence. Je ne doute pas que les très nombreux amendements vous donneront l’occasion d’aborder à peu près tous les sujets.

Mme Danièle Obono. Il est cohérent, monsieur le rapporteur, de vous interroger sur les politiques publiques car elles devraient actionner tous les leviers pour répondre à votre obsession de l’équilibre financier. Mais avec la réforme du code du travail, vous avez abaissé le niveau des protections et supprimé les outils dont les salariés disposaient pour obtenir de meilleurs salaires ; quant à votre politique en faveur des seniors, elle est inexistante.

J’ose espérer que durant les deux ans qu’a duré l’élaboration de cette réforme, tous ces aspects ont été abordés... sans quoi l’impréparation serait totale. Il est incohérent de vouloir absolument atteindre l’équilibre financier et de ne pas actionner tous les leviers en amont, comme l’égalité salariale et un niveau de salaires décent pour tous.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 923 de Mme Danièle Obono et n° 929 de Mme Sabine Rubin.

Mme Danièle Obono. L’alinéa 4, que nous proposons de supprimer, introduit l’hypothèse selon laquelle, par dérogation, la revalorisation pourrait être inférieure à l’inflation. C’est une façon de se servir des pensions comme d’une variable d’ajustement et de faire des économies sur le dos des retraités. La validation par le Parlement n’est pas une garantie dans la mesure où le fonctionnement actuel des institutions veut que la majorité parlementaire fasse ce que le Gouvernement lui demande de faire.

Mme Sabine Rubin. Lorsque je lis les notes annexes au projet de loi de finances, je m’aperçois que les prévisions à un an sont fausses. Je doute donc de la justesse de vos projections à quarante ans. Par ailleurs, un objectif second peut servir un objectif prioritaire. Ainsi, réaliser l’égalité salariale entre les hommes et les femmes dès aujourd’hui permettrait d’atteindre l’équilibre financier. Voilà donc une solution tout à fait conforme à vos vœux.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’alinéa 4 prévoit qu’en cas de sous-indexation sur l’inflation proposée par la CNRU, la validation du Parlement, examinée dans le cadre du PLFSS, serait requise. En le supprimant, vous ôtez au Parlement la possibilité de contester une telle décision. Je veux bien que vous ne portiez pas dans votre cœur le Parlement, qu’il soit pour Mme Rubin « je ne sais qui, je ne sais quoi », mais faites preuve de plus de respect pour les institutions de notre pays !

Mme Sabine Rubin. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il m’importait peu que ce soit le Parlement ou quiconque d’autre qui valide cette décision. Ce n’est pas que je n’aie pas foi dans le Parlement – bien qu’il lui soit arrivé, encore très récemment de sous-indexer ou de ne pas indexer les retraites –, mais qui peut préjuger de ce que sera la majorité le jour où interviendra cette décision ?

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Depuis le début de la semaine, on entend beaucoup de critiques sur la préparation de la réforme, qui a mobilisé des équipes pendant deux ans, et sur l’étude d’impact, qui est conséquente. Un groupe, plus particulièrement, nous parle de son contre-projet, remis au Premier ministre, et nous invite à nous y plonger puisqu’il contiendrait toutes les solutions permettant la retraite à 60 ans, des pensions plus élevées, et même une lutte plus efficace contre le réchauffement climatique. J’ai donc demandé à mon équipe de s’armer de courage et de prendre le temps, même si nous en manquons singulièrement, d’analyser ce projet si fabuleux.

Je n’ai pas été déçu ! Sur les trente pages que compte le projet, quinze pages anti‑Macron, quinze pages de grands principes, trois graphiques, quelques dessins, beaucoup de promesses, de blabla et de vent. Chez vous, chers collègues, c’est « Playmobil, en avant les histoires ! ». Je voulais le souligner, alors que j’entends les critiques pleuvoir sur des équipes qui, depuis deux ans, travaillent sur cette réforme, pour l’avenir de notre pays, et y consacrent leur temps et leurs week-ends.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 11 sans modification.

Après l’article 11

La commission examine les amendements identiques n° 758 de M. Éric Woerth et n° 21717 de M. Thibault Bazin.

Mme Constance Le Grip. Notre proposition d’indexer les 1 000 premiers euros des pensions de retraite sur le salaire moyen n’a pas été couronnée de succès. Par cet amendement de repli, nous souhaitons que cette mesure, juste et pertinente, soit mise à l’étude et que le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant toutes les hypothèses de construction d’un coefficient de revalorisation.

M. Thibault Bazin. Nous avons bien compris que les retraités actuels dont les pensions sont basses n’étaient pas concernés au premier chef par cette réforme. Il nous faut traiter de leur situation dans le cadre du collectif budgétaire ou du PLFSS mais, faute d’un équilibre tenu ces dernières années, nous satisfaire de petit pas. J’en appelle au rapporteur général de la commission des affaires sociales, présent parmi nous, pour qu’il prenne en considération cette mesure.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avec une réforme d’une telle ampleur, nous aurons d’autres priorités, comme la mise en place de la CNRU et la fin des discussions avec les différentes professions.

Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Ces demandes de rapport sont pertinentes. Je ne doute pas de l’engagement et des efforts consentis par ces personnes qui ont travaillé durant deux ans, je doute de l’orientation qui a été donnée à leurs travaux. Comme l’a indiqué le Conseil d’État, l’étude d’impact était insuffisante ; les chiffres, les faux simulateurs et les trucages ont montré qu’une somme de travail, quand bien même de mille pages, pouvait être de très mauvaise qualité. Parallèlement, il est possible de présenter de façon très synthétique des propositions fort sérieuses.

Cher collègue Gouffier-Cha, vous qui êtes attaché à l’égalité entre les femmes et les hommes, que pensez-vous de notre proposition visant à étendre la prise en compte de la pénibilité à des secteurs comme celui de la petite enfance ou des soins aux personnes âgées ? Les salariés de ces secteurs, le plus souvent des femmes en situation précaire, devraient pouvoir partir à la retraite plus tôt.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que vous alliez être très occupé ; j’imagine qu’il va vous falloir, comme les autres députés, arpenter les marchés : j’en ai un à Baccarat, un autre à Dombasle si vous préférez venir le jeudi, un autre encore à Lunéville le samedi – mais j’imagine que vous préférerez rester ce jour-là auprès de vos trois enfants.

Ce n’est pas à vous que nous demandons ce rapport, mais au Gouvernement – depuis quelques semaines, il compte un secrétaire d’État aux retraites. Cela vaudrait le coup qu’il apporte des éléments permettant de répondre à la demande, fort légitime, des retraités aux pensions faibles. Nous ferons aussi notre travail de parlementaires.

La commission rejette les amendements.

Section 2 : Relations avec les assurés

Avant l’article 12

La commission examine l’amendement n° 940 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons de rédiger ainsi l’intitulé de la section 2 : « Droit à l’information délivrée par les services de l’État ». Cette modification nous semble nécessaire, afin de garantir que la mission d’informer et de conseiller les assurés sur leur retraite, qui incombe à l’État, ne sera pas privatisée. En effet, le projet de loi initial ne comporte nulle garantie sur le fait que cette information est un service public. Ainsi, le mot « État » n’apparaît pas dans l’article 12. Or, certaines dispositions devant être prises par voie d’ordonnance, des dérives sont possibles. Attachés aux services publics, nous voulons nous prémunir contre la tendance de la majorité à les privatiser à tout va.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Inutile de modifier l’intitulé de la section 2 ; nous allons examiner l’article 12.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 12 : La garantie d’un droit à l’information des assurés en matière de retraite

La commission est saisie de l’amendement de suppression n° 21095 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. La majorité est assez dure envers le système d’information actuel, dont elle estime qu’il n’offre aux assurés aucune visibilité sur leurs droits. Or, telle n’est pas l’expérience que nous en avons. Quoi qu’il en soit, ce que nous reprochons à l’article 12, c’est de renvoyer la définition des modalités du futur droit à l’information à une ordonnance, dessaisissant ainsi, de nouveau, le Parlement. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il s’agit de l’article-clef en matière de droit à l’information des assurés. L’architecture de notre système de retraite, même si elle a progressé, et la multiplicité des règles applicables sont autant d’obstacles à la compréhension de celles-ci par les assurés et à la reconstitution de leurs droits. Les efforts de simplification ont été réels, mais ils n’ont pas suffi à remédier à l’ensemble des difficultés, en particulier pour les polypensionnés, ni à éliminer le non-recours aux droits. Je rappelle en effet que, selon une étude de la DREES parue en 2019, un assuré sur trois ne liquide pas l’ensemble des droits auxquels il pourrait prétendre. L’article 12 vise donc à concrétiser le droit à un accès en temps réel à l’information et aux simulations, via un compte personnel de carrière que nous proposerons d’inscrire dans cet article.

Avis défavorable.

M. Jean-Paul Mattei. Je m’étonne que nos amis socialistes aient déposé un amendement de suppression de cet article, car celui-ci marque une véritable avancée pour les bénéficiaires, puisqu’il leur permettra d’avoir une vision de l’ensemble de leur carrière. Quant aux ordonnances, on constate, à la lecture de l’article, qu’elles portent essentiellement sur des aspects techniques, et non sur les principes.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements n° 21134 et n° 22186 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. M. Mattei sait pertinemment que le Gouvernement avait transmis au Conseil d’État un dispositif à la rédaction avancée, avant de déposer finalement une version de l’article 12 qui, une fois de plus, renvoie l’essentiel du dispositif à une ordonnance. Or, il nous semble, d’une part, que le niveau de complexité de la question ne nécessite aucunement de recourir à l’article 38 de la Constitution et, d’autre part, que ce recours est d’autant moins justifié que le travail de rédaction a d’ores et déjà été réalisé par les services de l’État dans la version « Rose-1 » du projet de loi. Dès lors, nous proposons de rétablir l’article 12 dans la version transmise au Conseil d’État, en ayant pris soin d’en supprimer le VI, qui le vidait de sa substance en précisant que la CNRU, chargée de la délivrance de ces informations et données aux assurés, n’était aucunement engagée par celles-ci.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous partageons votre intention de transposer « en dur » les dispositions relatives au droit à l’information des assurés. Nous allons toutefois plus loin que vous, puisque les amendements n° 22518 et n° 22656 à venir comportent deux ajouts : premièrement, l’inscription des paramètres et objectifs du futur compte personnel de carrière, qu’il est inutile de renvoyer à une ordonnance, comme votre amendement y conduirait ; deuxièmement, le renvoi des modalités de collecte et de conservation des données personnelles à un décret en Conseil d’état pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Certain que vous n’y serez pas insensible, je vous remercie de votre interpellation et vous suggère de retirer vos amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 962 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Nous proposons, en toute cohérence, de supprimer l’alinéa 1 de l’article 12, car nous ne souhaitons pas que les gens soient informés d’un dispositif que nous contestons. Par ailleurs, nous espérons qu’avant d’être informés et conseillés, ils auront compris la complexité de ce projet de loi. Peut-être la majorité aura-t-elle elle-même compris, d’ici à la publication de l’ordonnance, ce dont il faut informer les futurs assurés.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 973 de Mme Danièle Obono et n° 978 de Mme Sabine Rubin.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de supprimer l’alinéa 2 de l’article 12, qui concerne la numérotation du chapitre qui serait ajouté au code de la sécurité sociale si cet article était voté. En effet, aucune disposition ne nous assure que l’information et le conseil aux assurés demeureront un service public. Or, nous le savons, la majorité s’entête à privatiser le patrimoine des Françaises et des Français. Du reste, le projet de loi vise à favoriser la capitalisation, donc une forme de privatisation et de financiarisation accélérée du système.

Mme Sabine Rubin. Nous proposons en effet de supprimer l’alinéa 2 de l’article 12, à peu près pour les mêmes raisons que tout à l’heure.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À peu près comme tout à l’heure, défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 990 de Mme Danièle Obono et n° 997 de Mme Sabine Rubin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer le troisième alinéa de l’article 12. Encore une fois, la majorité souhaite faire passer un effet d’annonce pour une mesure efficace, sans qu’aucune garantie ne soit offerte à la population. Effet d’annonce, car elle prévoit un droit à l’information pour les assurés qu’elle n’est même pas capable de renseigner. Ce faisant, elle donne l’image d’un pouvoir soucieux de l’accès aux droits et de leur compréhension par la population. Or, nos débats ne font que confirmer l’absence de clarté du texte, qui apparaît de plus en plus en confus à mesure que nous progressons dans son examen.

Mme Sabine Rubin. Je vais défendre dès à présent l’amendement de suppression de l’alinéa 5, car je suis très pressée de connaître la réponse à la question que je vais poser. Il est en effet indiqué à cet alinéa que la retraite sera liquidée et définitivement acquise et qu’elle ne pourra être révisée. Mais si une personne part à la retraite avant l’âge d’équilibre, sa retraite pourra-t-elle être révisée une fois qu’elle aura atteint cet âge ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous venez de défendre l’amendement de suppression de l’alinéa 5 alors que nous examinons les amendements de suppression de l’alinéa 3...

Mme Sabine Rubin. Oui, comme ça on va plus vite ! (Sourires.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est gentil, madame Rubin.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 1006 de Mme Danièle Obono, n° 1012 de Mme Sabine Rubin et n° 22487 de Mme Albane Gaillot.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer le quatrième alinéa de l’article 12, qui prévoit que les administrés auront « gratuitement » accès à « l’information, au conseil et à l’intervention sur leur retraite ». Encore une fois, nous sommes attachés à l’idée du service public, auquel toutes et tous doivent avoir un accès gratuit. Or, le Gouvernement n’a de cesse que de tout privatiser en déléguant les services publics à des entreprises privées. L’article ne précisant pas que la mission d’informer les assurés est dévolue à l’État, nous avons donc de bonnes raisons de craindre que le Gouvernement ne dérogera pas à ses habitudes et privatisera ce service public.

Mme Sabine Rubin. Il est vrai qu’il est précisé que l’accès à l’information se fera « gratuitement ». Ce sera donc du privé gratuit – c’est déjà bien. Par ailleurs, les assurés, indique-t-on, auront accès notamment à l’« intervention » sur leur retraite. Qu’entendez-vous par là ? Ce mot sème le trouble.

L’amendement n° 22487 est retiré.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Défavorable aux deux amendements.

Mme Sabine Rubin. Je pose sérieusement la question : que signifie « avoir accès à l’intervention sur sa retraite » ? Je suis un peu suspicieuse, voyez-vous, quasi complotiste... (Sourires.)

La commission rejette les amendements n° 1006 et n° 1012.

Elle en vient à l’amendement n° 21572 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon. Par cet amendement, nous proposons que les assurés aient accès à une simulation précise du montant de leur pension. En effet, les cas-types qui figurent dans l’étude d’impact, non seulement correspondent à la situation de très peu de personnes, mais comportent des inexactitudes. On a cité l’exemple des femmes, qui ne sont pas représentées dans ces cas typiquement « genrés » qui ne retracent que des carrières parfaitement linéaires, sans coupures ni interruptions liées à la naissance d’un enfant. Quant aux professeurs, la projection se fonde sur l’hypothèse où le point d’indice ne serait plus gelé pendant les années à venir. Nous demandons donc des simulations précises, ce qui suppose que le revenu d’activité moyen soit effectivement défini.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, je proposerai ultérieurement une rédaction qui satisfera votre amendement. Bien entendu, plus on est éloigné de la date de la retraite, plus il peut se passer de choses entre le moment où est effectuée la simulation et cette date et plus il est difficile de proposer une simulation précise. Néanmoins, je proposerai que la simulation puisse être demandée à tout moment. Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

Mme Elsa Faucillon. Il est maintenu : nous ne vous faisons pas assez confiance.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21266 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

M. Régis Juanico. Par cet amendement, nous contestons que l’effort contributif soit concentré sur les niveaux de revenus compris entre 1 et 3 PASS, soit moins de 10 300 euros par mois, alors que, dans le système actuel, il porte sur les tranches comprises entre 1 et 8 PASS. Comme pour l’impôt sur le revenu, il est essentiel que les mécanismes de solidarité aient un effet redistributif qui permette d’assurer au plus grand nombre des conditions de vie et, en l’espèce, de retraite décentes. À cette fin, nous proposons que la fraction de solidarité croisse en fonction des revenus de l’assuré.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Juanico, sans doute est-ce dû à l’heure tardive, mais vous avez manifestement défendu un autre amendement que celui qui est en discussion...

Défavorable.

La commission rejette l’amendement, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, rejette l’amendement n° 21707 de Mme Nicole Dubré-Chirat.

Elle est ensuite saisie des amendements n° 3116 de Mme Danièle Obono et n° 3122 de Mme Sabine Rubin.

Mme Danièle Obono. Cet amendement a pour objet d’établir le principe selon lequel l’information dont il est question dans cet article est délivrée par les services de l’État. Nous souhaitons réaffirmer ainsi notre vision du service public, qui est très différente de celle de la majorité. Alors que vous privatisez à tour de bras et bradez le patrimoine collectif, nous cherchons, quant à nous, à réaffirmer le rôle de l’État à travers les services publics pour combattre votre volonté évidente d’ouvrir la voie, par votre réforme des retraites, à la capitalisation et à la finance.

Mme Sabine Rubin. Compte tenu de la complexité de l’exercice, seul l’État est capable de délivrer les informations qui seront demandées par les assurés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est entendu, mes chères collègues : nous sommes les méchants capitalistes qui veulent tout privatiser. Madame Rubin, j’ignore si vous avez cherché à connaître votre généalogie, mais il est probable que vous ayez parmi vos ancêtres un habitant de la forêt de Sherwood ; je veux parler du fameux Rubin des Bois... (Sourires.). Plus sérieusement, nous ne cherchons pas à privatiser mais à développer un service à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Encore une fois, nous généralisons le système de la retraite par répartition jusqu’à 3 PASS.

Défavorable.

Mme Sabine Rubin. Vous n’avez pas répondu à ma question sur le mot « intervention ».

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22305 de M. Sacha Houlié.

Mme Albane Gaillot. Défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Défavorable.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, nous sommes fiers d’être les héritiers de Robin des Bois et de son souci progressiste du partage. Votre réforme va, hélas, dans le sens de la privatisation et du chacun pour soi, alors que nous sommes pour le tous et toutes ensemble. Du reste, c’est manifestement le cas également d’une majorité de Français, puisqu’ils sont opposés à votre réforme. Merci pour le compliment !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 22518 de Mme Véronique Riotton et n° 22656 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Ces amendements, que le rapporteur a évoqués tout à l’heure, visent à inscrire « en dur » les dispositions que le projet de loi prévoit de renvoyer à une habilitation à légiférer par ordonnance. Ils précisent ainsi les différentes déclinaisons du droit à l’information et au conseil, en s’appuyant sur des outils simplifiés et dématérialisés. Le compte personnel de carrière constitue la principale traduction de ce droit rénové, accessible en temps réel à tous les assurés, qui pourront connaître en temps réel leurs perspectives de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Évidemment favorable. Il est en effet préférable, lorsque cela est possible, d’inscrire « en dur » ce type de dispositions dans le projet de loi.

Mme Sabine Rubin. Allez-vous répondre aux questions que je vous ai posées, s’il vous plaît ? La première, je le rappelle, portait sur le sens du mot « intervention », la seconde sur le point de savoir si la personne qui prend sa retraite avant l’âge d’équilibre pourra voir sa pension révisée lorsqu’elle atteindra cet âge.

M. le secrétaire d’État. Je tiens à saluer l’initiative de Mme Riotton, de M. Gouffier-Cha et des cosignataires de leurs amendements. Le Gouvernement est disposé à faire évoluer son texte, puisqu’il est favorable à ces amendements.

M. Thibault Bazin. Nous regretterons d’autant plus de devoir examiner le texte du Gouvernement en séance publique !

Mme Monique Limon. Je tiens à préciser que l’amendement n° 22656 est soutenu par le groupe La République en Marche, qui juge important d’inscrire ces dispositions dans le projet de loi.

M. Thibault Bazin. À propos des alinéas 5 et suivants de l’article 12, il nous semble qu’en cas d’erreur ou de découverte d’éléments nouveaux, un délai de trois ans est préférable au délai de deux ans. Par ailleurs, il ne faudrait pas que ces amendements fassent obstacle à la possibilité de cumuler emploi et retraite. Si nous approuvons le fait que l’on renonce à recourir à une ordonnance, nous souhaiterions que vous nous rassuriez sur les deux points que je viens de mentionner.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous discuterons demain de l’alinéa 5, qui doit en effet faire l’objet d’une réflexion.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements identiques n° 4, n° 86, n° 96, n° 178, n° 237, n° 460, n° 579, n° 603, n° 701, n° 6029, n° 8566, n° 9109, n° 14586, n° 21850, n° 21871 et n° 22582, les amendements identiques n° 1032 à n° 1048, l’amendement n° 450, les amendements identiques n° 1049 à n° 1064, les amendements n° 269 et n° 21546, les amendements identiques n° 1065 à n° 1081, les amendements n° 268, n° 21547 et n° 8157, les amendements identiques n° 1082 à n° 1098 ainsi que les amendements n° 270 et n° 21548 tombent.

14.   Réunion du samedi 8 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 12 à l’article 13)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8722396_5e3e6e90241c2.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-8-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné jusqu’à présent 2 939 amendements, et 17 170 restent en discussion...

Article 12 (suite) : La garantie d’un droit à l’information des assurés en matière de retraite

La commission est saisie des amendements identiques n° 1015 de Mme Clémentine Autain, n° 1018 de M. Alexis Corbière et n° 1020 de M. Bastien Lachaud.

Mme Clémentine Autain. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 5 dont nous ne comprenons pas ce qu’il vient faire dans l’article 12 non plus que dans la section II « Relations avec les assurés ». En effet, indiquer que « [...] La retraite liquidée est définitivement acquise et ne peut être révisée, à l’initiative de la Caisse nationale de retraite universelle ou sur demande de l’assuré, que dans un délai de deux ans à compter de son attribution. » revient à empêcher de réviser une retraite à l’initiative d’un assuré. Or, les cotisants ouvrent des droits et devraient être en mesure de réviser leur situation sans que la loi ne leur impose de délai. La présence de cette information dans le chapitre VII titre du IX du livre Ier du code de la sécurité sociale précisément intitulé « Droit à l’information des assurés et dispositions communes » appelle à s’interroger en raison d’un manque de lien évident entre l’objet de celui-ci et le contenu de la disposition.

M. Alexis Corbière. Je marche une fois de plus dans les pas de ma collègue Clémentine Autain. Nous nous interrogeons en effet sur ce délai de deux ans au cours duquel la personne partant à la retraite devrait semble-t-il compter sur on ne sait trop quelle aide.

M. Bastien Lachaud. Ce projet de loi est très flou et assez incompréhensible pour le commun des mortels, y compris, on l’a vu hier, pour le rapporteur et pour le secrétaire d’État. Pourquoi cette disposition a-t-elle été intégrée dans le titre Ier « Les principes du système universel de retraite » ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ai en toute honnêteté également cherché à comprendre le sens de ce délai de deux ans dans le cadre du droit existant. Le délai de révision est de deux mois dans le régime général, et de deux ans dans certains régimes : c’est la raison pour laquelle il a été porté à deux ans dans le système universel.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Quel plaisir incommensurable de passer le week-end avec vous ! Ces amendements de mes collègues du groupe La France insoumise, que nous soutenons, ont du sens : nous sommes en effet profondément inquiets des conséquences de la suppression des différentes caisses et, dans nos territoires, de celle de la disparition de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). J’ai bien peur qu’avec votre réforme, ce soit le bordel, y compris pour le calcul des droits à la retraite. Fixer à deux ans le délai pendant lequel un retraité peut faire réviser le montant de pension correspondant à sa retraite liquidée, alors que le flou artistique va régner, que certains régimes spécifiques auront disparu et que la reconstitution des droits sera, demain, un parcours du combattant, causera un préjudice supplémentaire aux retraités de demain.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 21721 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il vise à allonger à trois ans le délai de révision d’une retraite liquidée. Si une erreur survient, si des éléments nouveaux sont découverts, si le montant de la pension se révèle bien inférieur – en raison de l’oubli d’une partie de sa carrière ou de calculs erronés – au montant espéré, un retraité doit pouvoir demander une telle révision afin qu’il reçoive in fine la retraite à laquelle il a droit. Le délai prévu de deux ans peut être court pour accomplir des démarches administratives : pour des personnes ayant eu des carrières complexes, retrouver une caisse peut prendre six mois.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. En raison de l’existence de nombreuses caisses, le système actuel est effectivement extrêmement compliqué. Avec la reconnaissance d’un droit à l’information, au conseil et à l’intervention, nos concitoyens vont pouvoir, au cours des années précédant leur départ en retraite, se renseigner et vérifier l’intégralité de leurs droits. Aujourd’hui, le délai de révision diverge d’une caisse à l’autre. La jurisprudence limite souvent à deux mois le délai de recours contre une liquidation de pension. Fixer le délai de droit commun à deux ans nous semble un bon équilibre.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Personne ne disconvient du fait que les mobilités entre régimes peuvent être complexes. Si l’on trouve tous les vices au système actuel de retraite, il permet toutefois le versement des pensions. En outre, le droit à l’information existe déjà et a même été considérablement renforcé. Depuis juillet 2017, un certain nombre de régimes de base ont été alignés. Cette évolution, qui aurait pu être poursuivie, a touché énormément de monde, notamment les polypensionnés, puisqu’elle a confié à la dernière caisse auprès de laquelle on a cotisé le soin d’établir la consolidation de la vie professionnelle au sein des deux autres régimes et de liquider la retraite concernée.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je me situe après la liquidation de la retraite. Certains assurés confient alors la reconstitution de leur carrière à des services de ressources humaines, notamment au sein d’hôpitaux, et ceux-ci se rapprochent des établissements médico-sociaux au sein desquels les intéressés ont effectué une partie de leur carrière. D’autres effectuent cette recherche eux-mêmes, même s’ils ont été touchés par la maladie ou par d’autres difficultés, ce qui explique que la pension attendue n’est pas forcément au rendez-vous au moment de la liquidation. Ils vont alors, s’ils contestent son montant, de Charybde en Scylla pour trouver les bons interlocuteurs : trois ans ne seraient donc pas de trop.

M. Pierre Dharréville. Il faut être dans les meilleures conditions afin d’être rétabli dans ses droits si une erreur a été commise : tel est le sens de l’amendement de Thibaut Bazin.

J’ai peut-être manqué un épisode mais je constate que les amendements suivants, qui portent notamment sur le droit à l’information des assurés, tombent. Or les alinéas 6 à 10 prévoient une ordonnance à ce sujet. Est-il possible d’obtenir une explication supplémentaire quant à ce droit à l’importance assez décisive ?

M. Jean-Paul Mattei. Ce délai de deux ans existe dans d’autres cas, par exemple celui du départ à la retraite d’un chef d’entreprise cédant son entreprise individuelle. Il ne sort donc pas du chapeau et est usuel dans notre droit. Il me semble raisonnable en ce qu’il ne constitue pas un couperet dans le cadre d’un éventuel contentieux et qu’il permet à l’assuré de demander des précisions en cas de doute.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21716 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je m’interroge sur la compatibilité de l’article 12 avec l’article 24 – j’ignore si nous aurons le temps de l’examiner d’ici mardi soir – qui porte sur le cumul emploi retraite, dispositif intéressant qu’il faut favoriser. L’acquisition définitive de la retraite liquidée ne doit pas faire obstacle à la possibilité d’en bénéficier. Ne faudrait-il donc pas préciser qu’à la demande de l’assuré le délai de deux ans ne s’applique pas s’il bénéficie du cumul emploi‑retraite ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Vallaud, vous avez raison : le droit à l’information a nettement progressé, notamment, s’agissant de l’alignement des régimes, grâce à la liquidation unique des régimes alignés (LURA), qui regroupe le régime général, la mutualité sociale agricole (MSA) et la sécurité sociale pour les indépendants, qui a remplacé le Régime social des indépendants et qui concerne l’immense majorité de nos concitoyens. De nombreuses professions libérales ne se situent cependant pas dans ce périmètre. Il ne s’agit pas d’affirmer que rien n’aurait été fait auparavant ou que ce qui a été fait est nul, car ce n’est pas du tout le cas. J’ai rendu visite à ma propre MSA, qui est impliquée dans la LURA, qui doit être effective dès 2022. Il me semble en outre, M. le secrétaire d’État pourra le confirmer, que les fichiers existants seront utilisés pour ce faire.

Comme l’a dit M. Mattei, le délai de deux ans est celui au cours duquel un assuré peut contester sa pension liquidée et demander sa révision. Il s’appuie sur d’autres délais similaires en vigueur dans notre droit positif. Actuellement, ce même délai est de deux mois dans le cadre du régime général, de l’AGIRC-ARRCO et de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, et d’un an dans celui de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques.

Monsieur Dharréville, vous avez effectivement manqué un épisode : hier soir, deux amendements portant sur l’ordonnance concernant le droit à l’information ont été adoptés.

Les dispositions relatives au cumul entre activité et retraite ne sont pas du tout incompatibles avec le fait que la première retraite liquidée le soit définitivement, le cumul emploi-retraite permettant ensuite une seconde liquidation, celle-ci définitive.

Avis défavorable.

M. Régis Juanico. Je remercie le rapporteur d’avoir reconnu, même si le système est encore imparfait, que des choses avaient été faites en vue d’améliorer le droit à l’information des futurs retraités sur le montant de leur future pension.

Comme notre collègue Thibault Bazin l’a indiqué, la prévisibilité est extrêmement importante. Nous allons vers des bouleversements considérables induits par une réforme extrêmement complexe, pour nous et a fortiori pour les futurs pensionnés, et nécessitant une période de rodage. Le délai de contestation doit donc être allongé à trois ans, compte tenu de l’usine à gaz qui va être bâtie.

M. Sébastien Jumel. L’abus d’ordonnances nuit à la santé : en y recourant, vous avez privé notre commission du droit d’amender le texte, avec un double effet « Kiss cool » qui les fait parfois alterner avec des dispositions que vous décidez de temps en temps de graver « en dur » dans la loi, tout en faisant tomber certains amendements de l’opposition. Après le dérèglement climatique, voici le dérèglement juridique et législatif.

Que vont par ailleurs devenir les CARSAT, dont vous supprimez la personnalité morale et qui vont quitter nos territoires ? Je suis très inquiet à leur sujet, notamment parce que je pouvais obtenir de leur part une réponse en 48 heures concernant les droits de certains de mes électeurs.

M. Thibault Bazin. Je suis très dubitatif à l’égard de l’articulation entre les dispositions de l’article 12 et celles de l’article 26. Si un assuré liquidant sa retraite deux ans avant d’avoir atteint son âge d’équilibre se rend compte au bout de six qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts et qu’il reprend une activité professionnelle, il ne pourra acquérir de points qu’après avoir atteint l’âge d’équilibre. Serait-il possible de modifier cette disposition, d’autant plus qu’au terme d’une période transitoire, la seconde liquidation de sa pension sera, elle définitive ? Serait-il également possible dans ce cas de modifier le délai de deux ans ?

Mme Clémentine Autain. Nous abordons avec l’amendement n° 21716 un enjeu majeur pourtant absent de la réforme, ce que nous regrettons : la transition entre la vie active et la retraite, qui peut être brutale et préjudiciable à la transmission de savoir-faire professionnels. Elle nécessite entre autres de se réinventer de nouvelles activités.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’ai déjà apporté la semaine dernière, à une question de Vincent Thiébaut, une réponse s’agissant du maillage territorial tant de la CARSAT que de la MSA, sur lequel nous nous appuierons : il ne faut pas nourrir d’inquiétude à son propos. Monsieur Jumel, j’ai moi-même eu des contacts réguliers avec les collaborateurs de la CARSAT à Lille.

Je n’ai rien à ajouter aux explications parfaites fournies par le rapporteur à Thibault Bazin sur le cumul emploi-retraite. J’en viens au cas d’école qu’il évoquait d’un assuré parti à la retraite avant d’avoir atteint l’âge d’équilibre et reprenant un emploi : en réalité, il ne liquidera pas sa retraite de façon anticipée, précisément en raison de son employabilité et des informations dont il disposera sur son niveau de pension, sans parler d’un éventuel malus. Il restera donc dans la vie active.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

Chapitre III
UN SYSTÈME FONDÉ SUR UNE ÉQUITÉ CONTRIBUTIVE

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements identiques n° 6735 de Mme Clémentine Autain et n° 6740 de M. Bastien Lachaud ainsi que des amendements identiques n° 22429 de Mme Clémentine Autain et n° 22430 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Clémentine Autain. L’intitulé du chapitre III nous paraissant particulièrement inadapté à son contenu, nous proposons de le remplacer par : « Les hauts revenus capitaliseront chez BlackRock ». Nous souhaitons en effet mettre en lumière la véritable raison qui a poussé le Gouvernement à formuler ces propositions, puisque le plafond limitant les cotisations des hauts salaires va les pousser directement vers de l’épargne privée et vers des fonds de pension comme BlackRock. Les représentants de celui-ci se sont d’ailleurs félicités, en décembre 2019, de la réforme des retraites en ces termes : « Je crois que c’est l’intérêt de ce nouveau texte du Gouvernement, de la loi, que de permettre aux Français, enfin, de s’approprier l’épargne retraite. Et nous, BlackRock, qui avons cette expérience, nous voulons la mettre au service de cette nouvelle épargne retraite. » Tels des vautours, ils se réjouissent par avance de la manne que vous êtes en train de leur offrir.

M. Bastien Lachaud. Il convient en effet de s’interroger sur les relations qu’entretiennent d’une part le Président et son Gouvernement, d’autre part le fonds spéculatif BlackRock, auxquelles la presse s’est intéressée. De nombreux articles de presse ont en effet mis au jour les liens assez proches et profonds qui unissent ce fonds de pension et le Gouvernement. En témoigne le rôle joué par le président de BlackRock France, Jean-François Cirelli, qui vient de recevoir, le 1er janvier dernier, des mains du Premier ministre, la Légion d’honneur, décoration sur laquelle on peut d’ailleurs s’interroger.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 22429 vise à rédiger ainsi l’intitulé du chapitre III : « Un système fondé sur l’inégalité et le chacun pour soi, cassant le système de solidarité qui a permis de sortir les retraités de la pauvreté ». Appelons un chat un chat : l’intitulé du chapitre III – « Un système fondé sur une équité contributive » – est en effet tout à fait mensonger. Pourquoi parlez-vous désormais d’équité et non d’égalité ? Cette dernière fait en effet partie, et ce n’est pas un hasard, de la devise de notre République, alors que la première n’en est qu’un sous-produit. Abaisser de huit à trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) le périmètre de la contribution au régime général ne va pas dans le sens d’une équité contributive. C’est même le contraire, puisque toutes les personnes gagnant plus de 10 000 euros par mois ne seront pas assujetties à cette contribution. Il s’agit en fait d’un manque à gagner pour les caisses de retraite.

M. Bastien Lachaud. Je poursuis mon propos sur M. Cirelli : il a été nommé le 17 octobre 2017 au comité « Action publique 2022 » afin de travailler à la réforme de l’État et est intervenu plusieurs fois dans les médias pour défendre l’épargne retraite, que ce soit sur le plateau de télévision des Échos, le 22 juin 2018, ou de France Info, le 25 juin 2019. Le 25 octobre 2017, le président-directeur général américain de BlackRock, Larry Fink, et plusieurs dirigeants de son groupe, ont été reçus à Matignon ainsi qu’à l’Élysée, notamment dans le salon Murat, où se réunit le Conseil des ministres, pour y assister à des exposés de plusieurs ministres dont Muriel Pénicaud, Élisabeth Borne, Bruno Le Maire, Benjamin Griveaux, avec lesquels ils ont ensuite dîné à l’invitation d’Emmanuel Macron.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je rappelle que la défense d’un amendement identique ne doit pas excéder une minute.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La réforme prévoit que la cotisation d’assurance vieillesse soit assise sur les revenus de tous les salariés dans la limite de 3 PASS : au-delà, le dispositif ne concernant que 1 % de nos concitoyens, une cotisation de solidarité de 2,81 % – alors qu’elle ne s’élève actuellement qu’à 2,30 % – sera perçue sur 100 % des revenus. Il s’agit donc d’une progression significative. Je rappelle que certaines professions n’allaient pas jusqu’à 3 PASS. L’équité contributive diffère, effectivement, de l’égalité. Le taux applicable aux professions libérales par exemple ne s’applique, compte tenu de leur spécificité, que dans la limite de 1 PASS, les revenus l’excédant étant assujettis à un taux réduit.

Sans entrer par ailleurs dans la polémique liée à M. Cirelli, la France a également intérêt, grâce à un écosystème favorable, à attirer des investisseurs pour développer des entreprises notamment dans le secteur pharmaceutique. L’emploi industriel est d’ailleurs reparti à la hausse, ce qui n’était pas arrivé depuis vingt ans.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit d’une entaille sérieuse à la prétendue universalité de votre projet de loi, car bien évidemment ceux dont les revenus excèdent les 3 PASS ne seront pas logés à la même enseigne, ce système créant une sorte de dérivation vers un système parallèle. Vous venez d’expliquer, Monsieur le rapporteur, que cette évolution est forcément bénéfique pour l’économie qui a besoin d’investisseurs, notamment dans l’industrie. Dans mon territoire industriel, on connaît très bien les fonds de pension et, franchement, ils ne nous inspirent pas confiance car nous avons pu mesurer combien ils étaient nocifs à l’économie et destructeurs d’emplois. Il s’agit donc d’une très mauvaise mesure.

M. Éric Woerth. Monsieur le secrétaire d’État, disposez-vous d’un bilan financier précis de l’impact de la disposition relative aux plafonds prévus à 1 puis 3 PASS dans les années à venir, en particulier au cours de la phase de transition ? Qu’est-ce que cela donne précisément ? On ne le voit pas.

Par ailleurs, envisagez-vous – hormis la cotisation de solidarité, qui existe d’ailleurs déjà et dont vous augmentez légèrement le taux – une réforme de la fiscalité de l’épargne retraite pour tous les assurés qui ne feront plus partie du régime par répartition c’est-à-dire ceux dont les revenus excéderont la limite des 3 PASS ? Si oui, comment, et si non, pourquoi ?

Mme Catherine Fabre. Je ne comprends pourquoi vous êtes contre ce plafonnement à 3 PASS car il permet de faire jouer un principe de solidarité pure. Il prend en effet en compte 99,99 % de l’ensemble des revenus. Si l’on calcule le montant de cotisations dû par les assurés gagnant plus de 120 000 euros par an, et le montant de pension qu’ils percevront ensuite, le différentiel s’élève à 40 milliards d’euros. Ils apportent en effet 60 milliards d’euros à la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) au cours de leur vie professionnelle et font ensuite débourser au système 100 milliards d’euros, ce qui signifie qu’ils lui coûtent 40 milliards d’euros. Comment en étant favorables à la solidarité peut-on être opposé à ce plafonnement à 120 000 euros ? Je ne le comprends pas.

M. Régis Juanico. Nos amis Insoumis proposent de modifier le titre du chapitre III, estimant que les hauts revenus iront cotiser chez BlackRock. On pourrait de même intituler l’article 13 « iniquité redistributive et contributive » car tel est le résultat du plafonnement. Cet article prend tout son sens à la lecture de l’article 65 du projet de loi destiné à ratifier différentes ordonnances issues de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »), dont une ordonnance relative aux plans d’épargne retraite par capitalisation. L’exposé des motifs de l’article 65 souligne d’ailleurs que la réforme de l’épargne retraite adoptée à l’occasion de la loi « PACTE » visait à stimuler la concurrence sur ce marché par une ouverture de tous les produits d’épargne retraite aux assureurs, aux gestionnaires d’actifs et aux fonds de retraite professionnelle supplémentaire. L’objectif du plafonnement que vous instaurez est donc très clair !

Mme Clémentine Autain. Votre réforme ne fait que reproduire les inégalités existantes... Demain, les retraités recevront ce qu’ils ont cotisé. Votre logique met à totalement à mal le mécanisme de solidarité : l’équité, ce sera la proportionnalité entre le travail fourni et la pension obtenue. Pourquoi « contributive » ? Car chacun contribuera à payer sa propre retraite ! La suppression d’une partie des cotisations des hauts cadres est une entaille dans le système par répartition et dans la solidarité, par l’introduction d’une logique de capitalisation. La suppression de ces cotisations entraînera pour le système par répartition un manque à gagner estimé à 4,8 milliards d’euros entre 2025 à 2040. Où va aller cet argent ? Bien évidemment, il va être investi dans les dispositifs de défiscalisation développés après l’adoption de la loi « PACTE » ! Votre logique est parfaitement cohérente, mais nous la contestons pied à pied car nous ne voulons pas d’une retraite par capitalisation.

M. Jean-Jacques Bridey. Nous non plus, cela tombe bien !

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. En plafonnant à 3 PASS, notre objectif est pourtant de mettre fin à un système anti-redistributif particulièrement injuste !

M. Thibault Bazin. À quel titre intervenez-vous, M. Gouffier-Cha ?

M. le rapporteur général. J’interviens en tant que rapporteur général. Ce n’est pas la première fois...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. M. Gouffier-Cha est rapporteur général, Mme Fabre est députée. À ce titre, elle a parfaitement le droit d’intervenir puisqu’un orateur par groupe peut prendre la parole. Vous n’allez pas commencer ! Depuis ce matin, toute l’opposition parle et la majorité ne parle jamais !

M. Éric Woerth. C’est une question de principe ! Il y a beaucoup de rapporteurs sur ce texte – c’est votre choix. Mais seul un rapporteur doit prendre la parole. Je n’ai rien contre le rapporteur général, mais tous les rapporteurs ne vont pas prendre la parole les uns après les autres ! Ce n’est pas possible. Sinon, donnez également la parole à deux membres de l’opposition.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Woerth, si vous m’aviez laissé finir, vous auriez su que j’allais laisser ma parole au ministre, puis redonner la parole à tout le monde sur ce sujet important. Franchement, n’y voyez aucune mauvaise intention de ma part !

M. Patrick Mignola. Ce n’est pas la présidente Bourguignon qui a les plus mauvaises intentions !

M. le rapporteur général. Il est effectivement important que nous puissions parfaitement débattre de ce sujet important, et mal compris. Pourquoi parlons-nous d’injustice dans le système actuel ? Les actifs qui gagnent plus de 120 000 euros par an ont une espérance de vie beaucoup plus élevée. En conséquence, leur ratio cotisations/pensions sera moins élevé que celui des autres actifs, Catherine Fabre l’a expliqué.

Demain, l’indexation des points sur l’évolution des salaires renforcera cette « anti-redistributivité » si nous n’instaurons pas de plafond. Pour votre parfaite information, ce dernier restera le plus élevé des pays développés, puisqu’il est de 100 000 euros en Italie, 80 000 euros en Allemagne, 45 000 à 60 000 euros en Espagne, en Belgique, en Suède et au Japon – je sais que vous êtes particulièrement attaché à l’Espagne, monsieur Lachaud – ou 35 000 euros au Canada.

La seule question, M. Woerth l’a rappelé, est liée à la gestion de la période de transition : comment gérer au mieux le lissage afin que la disparition progressive de ces cotisations ne pénalise pas notre système ? Je rappelle qu’elles représentent 1 % de toutes les cotisations.

M. le secrétaire d’État. Restons sereins et objectifs. Arrêtons d’agiter des chimères ! Qu’en est-il aujourd’hui ? Tout le monde peut le vérifier, 13 millions de Français sont déjà adhérents à un dispositif d’épargne retraite, ce qui représente 230 milliards d’euros sur les 5 000 milliards d’encours d’épargne des Français. Les salariés des entreprises peuvent en bénéficier au travers de plans d’épargne pour la retraite collectifs, alimentés par l’intéressement et la participation. Les professions libérales bénéficient du dispositif Madelin et les fonctionnaires de ceux de la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique (PREFON). Nous n’avons donc rien inventé, contrairement à ce que vous laissez entendre pour vous faire peur – et peut-être faire peur ? En complément de notre très bon niveau de retraite par répartition, l’épargne retraite complémentaire n’est pas un tabou dans notre pays et c’est une bonne chose.

De même, le passage du plafond de l’assiette de cotisation de 8 à 3 PASS n’est pas une révélation, Jean-Paul Delevoye l’ayant préconisé bien avant la publication de son rapport. Aucun d’entre vous n’a découvert le sujet la semaine dernière et les partenaires sociaux en avaient débattu à plusieurs reprises avec le haut-commissaire.

Mme Fabre a clairement expliqué l’intérêt redistributif du nouveau système, à destination des futurs retraités les plus modestes – ceux qui touchent moins de 1 400 euros de pension. Nous n’avons aucun intérêt à inverser le dispositif pour redistribuer vers les très hauts revenus, qui cotiseront comme les Français jusqu’à 3 PASS, puis verseront une cotisation de solidarité de 2,81 % au-delà.

M. Thibault Bazin. Vous plafonnez les cotisations à 3 PASS, mais ces salariés à hauts revenus ont constitué des droits pour la retraite : vous ne pouvez donc pas affirmer que c’est de la solidarité pure ! C’est tout l’inverse car cela va constituer un manque à gagner financier pour le système de retraite par répartition et remettre en cause la solidarité nationale. La période transitoire est particulièrement sensible pour l’équilibre de notre système. La perte de recettes est estimée à 3,8 milliards d’euros – et non 40 milliards –, mais nous allons aussi continuer de payer les retraites. C’est pourquoi notre groupe porte des propositions équilibrées : nous ne souhaitons pas perdre les 3,8 milliards de cotisations des 300 000 personnes concernées, surtout si l’on veut financer des mesures de justice sociale, en particulier pour les petites retraites.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, votre langue a fourché sur le « redi-distributif », cela m’a fait penser au sketch du schmilblick : votre redistribution est tellement indéfinissable qu’elle est im-im-impossible à prononcer. (Sourires.)

Si, dans le langage populaire, on dit souvent que, quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage, je dirai plutôt qu’ici, vous voulez la lui inoculer : cet article inocule la rage de la capitalisation au sein du système par répartition ! Votre réforme a un coût – 3,8 milliards d’euros – et les mesures d’austérité que vous avez appliquées à la fonction publique ont également aggravé le déficit des caisses.

Vous vous voulez rassurant : 230 milliards d’euros d’épargne retraite pour 5 000 milliards d’euros d’encours pour l’épargne, ce ne serait rien. Mais, au contraire, que de Smarties à avaler ! Cela explique la réaction de BlackRock quand vous avez présenté votre réforme : « Quelle bonne réforme ! Il y a du pognon à se faire ». C’est ce que nous dénonçons : la fin des principes de la protection sociale à la française, auxquels 61 % de nos concitoyens sont attachés.

M. Boris Vallaud. Je reviens sur quelques chiffres : la suppression de la cotisation entre 3 et 8 PASS entraînera un manque à gagner annuel d’environ 4 milliards d’euros en 2025 et 5 milliards en 2040. Pendant cette période de transition de quinze ans, il manquera également 3,7 milliards par an pour servir les pensions déjà cotisées jusqu’à 8 PASS. En outre, la cotisation de solidarité est due dès le premier euro, quel que soit le revenu, modeste ou élevé. Peut-être aurait-on pu introduire une forme de progressivité, en continuant à faire contribuer jusqu’à 8 PASS, mais en déplaçant le curseur et en introduisant de la progressivité. Enfin, je suis attaché à ce que tout le monde soit dans un même système – solidaire – quel que soit son revenu, car les politiques spécifiques à destination des pauvres finissent par créer des pauvres politiques...

M. Bastien Lachaud. Vous estimez que ce dispositif est une mesure majeure de solidarité. C’est faux ! Elle s’inscrit dans votre volonté de favoriser la retraite par capitalisation. Je rappelle les trois étapes qui vont nous y conduire. Le règlement du 20 juin 2019 relatif à un produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle incite les ménages de l’Union européenne à investir davantage dans les marchés de capitaux pour contribuer à relever les défis posés par le vieillissement de la population.

La loi « PACTE » prévoit déjà des exonérations fiscales pour l’épargne retraite suite au lobbying actif de BlackRock. Le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’est d’ailleurs fait l’écho des multiples rencontres entre BlackRock, les ministres et leurs cabinets lors de la préparation du projet de loi.

Enfin – dernière lame de la tondeuse –, votre réforme des retraites exonère tous les très hauts revenus de cotisations, pour les contraindre à rejoindre le système par capitalisation. La volonté du Gouvernement est donc manifeste : développer ces dernières au détriment du système par répartition et de la solidarité nationale.

M. Brahim Hammouche. Dans une étude publiée en 2008 et intitulée « Pour un nouveau système de retraite : des comptes individuels de cotisations financés par répartition », Antoine Bozio et Thomas Piketty – deux chercheurs reconnus par le plus grand nombre – faisaient les constats suivants : « traiter les super-cadres à 250 000 euros annuels de la même façon que les salariés au salaire minimum n’a aucun intérêt du point de vue de la redistribution. [...] Si l’on ajoute à cela que ces cadres ont tendance à bénéficier d’une espérance de vie supérieure à la moyenne, le résultat est que les cotisations ainsi prélevées tendent à être inférieures aux pensions correspondantes, si bien que le bilan net pour le système de retraite dans son ensemble est négatif. Cette redistribution à l’envers est d’autant plus regrettable que ces cadres ne sont généralement pas demandeurs d’un plafond aussi élevé. [...] Quel est le « bon » niveau de plafond pour un système de retraite ? [...] Il nous semble toutefois qu’un plafond de l’ordre de deux fois le PASS ou au maximum de l’ordre de trois fois le PASS serait raisonnable – voire excessif. »

Voilà une réponse à froid, bien loin de votre mauvaise foi.

M. Paul Christophe. Vous parlez beaucoup de transition ; j’ai l’impression que vous êtes impatients d’atteindre les articles 62 et suivants... À force de vous entendre invoquer la capitalisation, je me demande si vous n’en faites pas la publicité – cela m’inquiète. Vous brandissez les 5 000 milliards d’euros d’épargne des Français comme s’il s’agissait de l’encours futur des retraites par capitalisation et comme si nous allions les forcer dans cette voie.

M. Sébastien Jumel. En baissant le taux du livret A par exemple !

M. Paul Christophe. Rassurez-vous, les Français font ce qu’ils veulent de leur épargne ! En outre, nous n’avons pas inventé la capitalisation. Ainsi, dans une brochure de la CGT Banque de France, le syndicat rappelle que la caisse de réserve – qui verse les pensions aux employés retraités – est fondée sur ce principe : les cotisations des actifs alimentent un capital et le revenu du placement de ce capital sert à payer les retraites !

La commission rejette successivement les deux séries d’amendements.

Puis elle passe à l’amendement n° 11352 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Monsieur Christophe, effectivement, la capitalisation est une très vieille idée, que vous remettez au goût du jour. Mais le système par répartition a marqué un progrès de civilisation.

Monsieur le rapporteur, je suis gêné de vous présenter cet amendement, témoignage de votre impréparation : il s’agit de la modeste correction d’une erreur rédactionnelle puisque vous avez écrit « un système fonde sur une équité contributive ». Nous vous proposons d’accentuer « fondé » afin de faire meilleure figure devant le Conseil constitutionnel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Dharréville, vous auriez pu vous contenter de nous faire remarquer cette coquille. Vous ne gagnez rien à en faire un argument politique. Je me mets à la place de tous les administrateurs assis derrière moi, qui abattent un travail phénoménal et m’ont expliqué de nombreux éléments techniques que je ne maîtrisais pas... Vos convictions sont sincères, mais ne développez pas vos arguments politiques sur des corrections rédactionnelles !

Je suis bien sûr favorable à la correction.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, vous contestez le fait que nous puissions vous faire remarquer votre impréparation mais, depuis le début de l’examen en commission, c’est un festival ! Nous soulevons un nouveau lièvre tous les jours ! (Exclamations sur les bancs de la majorité.)

M. Olivier Véran. Vous voulez parler de marmottes ?

Mme Clémentine Autain. Nous pouvons débattre du vocabulaire si vous le souhaitez, mais les enjeux de fond me semblent plus importants. Nous pouvons refaire un débat sur le revenu d’activité moyen, si vous le souhaitez. Ou préférez-vous une discussion sur les pensions de réversion, dont nous ne savons toujours rien ?

Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous indiquer si l’impact budgétaire des exonérations fiscales prévues pour l’épargne salariale dans la loi « PACTE » a été évalué ? Mme Fabre estime que le bilan sera positif puisque nous paierons moins de retraites, mais ces retraités n’auront pas cotisé ! Le manque à gagner viendra s’ajouter aux exonérations fiscales et tout cela a un coût que vous n’intégrez pas, Madame Fabre.

M. Éric Woerth. J’aimerais que le secrétaire d’État réponde précisément à nos questions financières : l’exonération de cotisations salariales sera-t-elle compensée par le budget de l’État dans tous les cas ? J’ai cru comprendre que ce serait le cas durant une période de transition pour les primes, non totalement cotisées alors qu’elles ouvriront les mêmes droits que les revenus cotisés. Combien cela coûtera-t-il à l’État ? Thibault Bazin a relayé notre interrogation sur la suppression de la cotisation entre 3 et 8 PASS. Nous souhaiterions disposer d’un bilan financier précis. Enfin, envisagez-vous de modifier la fiscalité de l’épargne retraite pour que ceux dont les revenus sont supérieurs à 3 PASS soient traités à égalité ? Le système par répartition ne va pas être abîmé ! Il reste fondamental et le système par capitalisation n’est pas, non plus, le diable absolu. Il fonctionne bien dans certains cas – et les partenaires sociaux ne se gênent alors pas pour l’utiliser. Cessons ces attaques, systématiques à chaque réforme des retraites !

M. Régis Juanico. Boris – pardon, Bastien – Lachaud avait raison.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous voyez, Monsieur Dharréville, l’erreur est humaine ! Nous ne sommes pas des robots...

M. Régis Juanico. Je suis pour l’union de la gauche et des écologistes, Madame la présidente !

M. Lachaud avait raison de souligner le climat favorable au développement d’un régime par capitalisation : position de la Commission européenne, loi « PACTE ». Mais la baisse du taux de livret A est aussi venue fragiliser l’épargne populaire.

Vous nous reprochez de faire la publicité de la capitalisation, mais je vous renvoie aux déclarations de Bruno Le Maire, Olivia Gregoire ou Marc Fesneau durant les débats sur le projet de loi « PACTE » : tous ont dit qu’il fallait développer les plans d’épargne retraite. Le secrétaire d’État se veut rassurant : les 230 milliards d’euros d’épargne retraite ne représenteraient qu’une goutte d’eau. Mais Bruno Le Maire a bien expliqué qu’il souhaite atteindre 300 milliards en 2022 : une hausse de 40 % en deux ans, ce n’est pas une paille ! Votre logique expansionniste vise à favoriser le recours à la capitalisation.

M. Pierre Dharréville. Je suis désolé que vous soyez aussi chatouilleux, monsieur le rapporteur. Je vous ai connu avec un plus grand sens de l’humour. Notre amendement visait simplement à mettre l’accent sur le faible nombre d’amendements rédactionnels des rapporteurs, d’habitude assez classiques au stade de l’examen en commission. Il s’agissait d’un geste de bonne volonté. En outre, probablement peu de nos amendements seront adoptés et celui-ci – même s’il a peu d’importance sur le fond – comptera dans le décompte final.

M. Patrick Mignola. Je suis très favorable à l’adoption de cet amendement. J’ai écouté avec beaucoup de respect la motion du président Chassaigne en Conférence des présidents, expliquant son opposition à la procédure accélérée, qui ne permettrait pas d’examiner le projet dans le détail. J’observe pourtant qu’un des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine a pu le travailler jusqu’aux accents...

La commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à la discussion commune des amendements identiques n° 6752 de Mme Clémentine Autain, n° 6755 de M. Alexis Corbière, n° 6768 de Mme Bénédicte Taurine et des amendements identiques n° 20984 de Mme Bénédicte Taurine, n° 21073 de Mme Clémentine Autain, n° 21076 de M. Alexis Corbière et n° 21078 de M. Bastien Lachaud.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 6752 vise à rebaptiser le chapitre III « En marche vers la capitalisation », conformément aux objectifs de l’article 13. Certains nous reprochent de faire la publicité de l’épargne retraite mais je vous rappelle que, depuis le 1er octobre 2019, de nombreux acteurs des marchés financiers ont annoncé le lancement de leur offre sur ce créneau : Groupama, Swiss Life, AXA, etc. Tous ont parfaitement compris l’aubaine que constituent la loi « PACTE » et votre projet de réforme des retraites. On commence par les hauts revenus – cela permettra d’engranger des capitaux et de faire marcher le système – mais n’est-ce pas un moyen de mettre le doigt dans l’engrenage avant d’élargir le dispositif à tous les salariés ?

M. Alexis Corbière. La question de M. Bazin est très pertinente : les salariés disposant des plus hauts revenus vont moins cotiser, mais il va falloir payer leur retraite. Quel est le coût de cette affaire, qui va grever notre système de retraite ? Il s’agit d’un débat de fond. Nous ne contestons pas les 230 milliards d’épargne retraite évoqués par le rapporteur et le secrétaire d’État. Vous avez raison, qu’on soit fonctionnaire ou salarié, des solutions individuelles existent et sont encouragées. Mais nous souhaitons qu’elles soient réintégrées dans notre système de retraite mutualisé car c’est précisément ce qui lui fait mal !

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 21073 vise à intituler la section 1 « Modification des dispositions applicables aux salariés et assimilés, de façon à leur verser des pensions indigentes et les faire passer sous le seuil de pauvreté » : il est difficile d’être plus clair dans notre analyse de ces dispositions ! En changeant l’intitulé, nous rappelons au Gouvernement que le régime de retraite est le fruit du labeur des travailleurs et des travailleuses et que ce projet de loi est une aberration démocratique. Vous souhaitez passer en force et le faire adopter le plus rapidement possible, dans le mépris le plus total de la forte mobilisation interprofessionnelle, qui persiste et qui est impressionnante par sa durée. Étant donné que vous n’entendez pas les salariés, nous proposons d’expliciter vos intentions et le mépris qui vous anime.

M. Alexis Corbière. Notre collègue nous dit qu’actuellement, les plus hauts revenus cotisent plus que ce qui leur est ensuite versé en pension. Mais c’est précisément le but de notre système de retraite, contrairement à votre logique d’« un euro cotisé, un euro versé à la retraite ». Les systèmes par répartition – de mutualisation solidaire – pour lesquels nous plaidons, sont vertueux, ce qui n’est pas le cas des solutions individuelles que vous nous proposez et que nous rejetons.

M. Bastien Lachaud. J’aimerais que le secrétaire d’État et le rapporteur répondent à ma question concernant l’objectif de l’exonération. On nous dit qu’il s’agit de favoriser la répartition vers les petites retraites, mais Clémentine Autain a démontré que cela ne colle pas ! Je vous ai interrogé sur le règlement de l’Union européenne : votre réforme s’inscrit-elle dans la volonté affichée de l’Union de pousser les ménages à investir davantage sur les marchés de capitaux du fait du vieillissement de la population ? La loi « PACTE » est-elle bien ce qui fait le lien entre ce règlement et la réforme des retraites ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je m’en doutais, mais nous ne partageons pas la même philosophie... Je le répète, même si c’est contre-intuitif : les plus hautes pensions contribuent à alimenter un système redistributif inversé. Madame Autain, vous ne m’écoutez pas...

Mme Clémentine Autain. J’écoute !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Statistiquement, ceux qui bénéficient des pensions les plus élevées – au-delà de 12 000 euros –, sont ceux dont l’espérance de vie est la plus longue. Leur « taux de retour » sur cotisations est donc meilleur et, comme ce sont aussi ceux qui ont des retraites extrêmement élevées, les salariés dont les pensions sont les plus modestes contribuent proportionnellement plus au financement des pensions très élevées dans le système actuel. Est-ce l’objectif ?

Dans ce contexte, MM. Woerth et Bazin ont raison, le seul enjeu est lié à la transition : à partir de 2027, les cotisations vont progressivement être supprimées, en passant de 8 à 3 PASS. Les recettes du système vont donc diminuer, alors qu’il faudra continuer à servir les pensions. D’où l’importance de la progressivité de la baisse, sur vingt ans.

M. Thibault Bazin. Combien cela va-t-il coûter ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ce sera de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros par an.

M. Thibault Bazin. Pourquoi nous parle-t-on de 4,5 milliards ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il s’agit du total. Nous n’allons pas basculer du jour au lendemain.

Dans le discours de La France insoumise, il y a – au moins implicitement – une forme de remise en cause de tels niveaux de salaire. Nous pouvons discuter du niveau de rémunération de ces 300 000 personnes, dont certaines touchent sûrement un salaire indu. Mais, par leur travail, par leurs compétences, certains super-cadres ou super-fonctionnaires apportent une véritable plus-value à notre pays. C’est pourquoi, même si c’est compliqué, nous devons trouver un équilibre entre un système de répartition universel, mais « équitable », et la nécessité d’attirer et de valoriser ces super-compétences en France, car elles sont nécessaires au bon fonctionnement de notre pays. J’entends que cet équilibre est politiquement délicat à trouver.

Monsieur Dharréville, vous chassez les fautes d’orthographe, mais au vu de tous les lièvres que soulève votre collègue Mme Autain, chassez plutôt ces derniers ! Vous ferez assurément une bonne chasse.

Mme Clémentine Autain. J’en reviens à mes lièvres. Le premier, c’est la conférence de financement qui a un cahier des charges particulièrement contraint : des milliards partent en fumée, au moment où on demande aux partenaires sociaux de trouver des solutions pour réduire les déficits !

Deuxième lièvre : vous allez alimenter la machine financière en proposant aux cadres de jouer leur retraite au loto sur les marchés. Madame Fabre, vous êtes subitement sensible aux écarts de salaires... mais vous ne m’écoutez pas !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cessez de vous interpeller entre collègues, contentez-vous de dire ce que vous avez à dire !

Mme Clémentine Autain. Si vous êtes sensible aux écarts de revenus et aux injustices, soyez vigilants aux salaires et à la fiscalité, et pas au moment de la retraite. Ce n’est pas en mettant les mécanismes de redistribution et de solidarité du système de retraite à terre que vous allez combler les écarts. Vous avez supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune, créé une flat tax, etc. Toutes ces mesures bénéficient aux plus riches. Attaquez-vous aux écarts de revenus, taxez les revenus du capital et les dividendes : vous verrez, c’est favorable à la justice sociale !

M. Sébastien Jumel. Vous faites comme si les économistes ne vous étrillaient pas sur l’absence d’effets redistributifs de votre réforme – je pense notamment à Antoine Bozio, qui en a inspiré l’idée au Président de la République, mais qui estime aujourd’hui qu’il est impossible d’établir l’existence d’effets redistributifs sur la base du document de 1 024 pages présenté comme une étude d’impact, mais dont 93 pages seulement méritent ce nom.

On sait certaines choses, par exemple que les cadres seront les grands gagnants de la réforme dans la mesure où, qu’ils partent à 62 ans ou à 65 ans, ils vont toucher entre 2 % et 15 % de plus selon les estimations, tandis que les femmes seront, elles, les grandes oubliées. En dehors de ça, c’est l’incertitude, donc l’inquiétude, qui prédomine, et vous ne pouvez faire comme si ce n’était pas le cas.

Tout porte à croire que cette réforme n’a été faite que pour favoriser les hauts revenus, comme l’ensemble de vos politiques publiques, qui visent, pour dire les choses clairement, à donner du pognon à ceux qui en ont déjà et, comme disait Coluche, à piquer le pognon des plus pauvres, parce qu’ils sont les plus nombreux ! C’est ce qui fait votre armature politique, et c’est pourquoi nous la combattons.

Bien sûr, Monsieur le secrétaire d’État, je suis disposé à retirer ce que je viens de dire si vous nous fournissez des études de cas prouvant que c’est faux...

M. Boris Vallaud. Le dispositif proposé présente effectivement un problème d’efficacité redistributive, se traduisant par une redistribution négative pour certains revenus. Pour y remédier, il faudrait, à périmètre constant, organiser différemment la redistribution. Cela pourrait se faire à la fois par la prise en compte de l’espérance de vie dans l’âge de départ à la retraite, mais aussi de la pénibilité, car il y a treize ans de différence d’espérance de vie entre les 5 % de Français les plus riches et les 5 % les plus pauvres. Le problème, c’est que vous faites partir tout le monde au même âge – et pas tout à fait dans les mêmes conditions, puisque ceux qui ont commencé à travailler tôt auront une décote, tandis que ceux qui ont commencé tard auront une surcote.

Vous auriez également pu favoriser la redistribution en organisant sa progressivité entre 3 et 8 PASS, mais vous avez choisi de sortir du dispositif les 1 % de Français les plus riches, à qui vous allez rendre 4 milliards d’euros de cotisations en 2025. Vous n’en finissez pas de rembourser vos bookmakers mais faites attention, car ça commence à se voir sérieusement !

Enfin, pour ce qui est de la période de transition, j’aimerais disposer de chiffres plus précis, car ceux fournis par l’AGIRC-ARRCO ne sont pas les mêmes que ceux que vient d’avancer M. le rapporteur.

M. Éric Woerth. Je souhaite évoquer certains points précis, à commencer par le fait que les contribuables vont payer, sans doute pendant un certain temps, des cotisations sur les primes des fonctionnaires. Pouvez-vous nous dire combien cela va coûter à l’État ?

Par ailleurs, quel est le bilan financier du passage à 3 PASS ? Cette histoire-là n’est pas une bonne idée : il aurait fallu un plafond et des complémentaires allant jusqu’à 8 PASS, au lieu de quoi vous avez trois plafonds dont vous ne savez que faire... Il vous est donc venu cette idée saugrenue consistant à ne plus faire payer de cotisations aux personnes extrêmement riches, en leur laissant le soin de trouver elles-mêmes leur propre financement. On se demande quand même combien cela va coûter, monsieur le secrétaire d’État, d’autant que, si vous prévoyez une phase de transition sur vingt ans, durant laquelle le plafond à 8 PASS va progressivement diminuer, vous recréez ainsi des droits, puisque les personnes qui cotisent se constituent des droits : quel est le bilan financier de ce véritable feu roulant de droits que vous allez créer ?

M. Éric Girardin. M. Juanico s’est inquiété tout à l’heure du regain de créativité des institutions financières en matière d’épargne de retraite. Pour ma part, j’y vois plutôt une bonne chose, puisque cela va rendre notre pays attractif et servir l’économie. Quant aux excellents outils prévus par la loi « PACTE » dans ce domaine, ils vont permettre de renforcer les fonds propres des entreprises, donc de favoriser l’investissement et de créer de l’emploi, ce qui est exactement l’effet recherché – car en développant l’emploi, on augmente la masse de cotisations, ce qui est une très bonne chose pour notre système de retraite, qui se veut participatif, redistributif et par répartition.

M. Patrick Mignola. M. Corbière a dit tout à l’heure qu’il fallait mutualiser l’ensemble des systèmes de retraite par capitalisation et plus spécifiquement les plans d’épargne retraite supplémentaire. Je ne sais pas si beaucoup de gens suivent nos débats, mais il me semble utile de préciser que cette mutualisation est hors de question. Moi qui ai été maire durant vingt ans, je peux vous dire qu’il est très courant, pour les fonctionnaires publics territoriaux, de cotiser à la PREFON pour améliorer leur future retraite : grâce à quelques dizaines d’euros par mois, ces fonctionnaires se constituent, en plus de la pension qui leur est octroyée par répartition, une retraite complémentaire par capitalisation. Si le projet de La France insoumise est de récupérer les fonds économisés par ces personnes, ce n’est pas celui de la majorité : le système que nous proposons consiste à solidifier la répartition et à améliorer la redistribution, mais il est hors de question que les bas de laine constitués par les personnes les plus modestes au sein de notre société soient récupérés au profit du nouveau système.

M. le secrétaire d’État. Je vais m’efforcer de fournir des éléments de réponse à toutes les questions, même quand elles ne portent pas vraiment sur l’article que nous examinons actuellement...

Je dirai d’abord au président Woerth que le bilan financier global des cotisations sociales du champ privé sur une transition à vingt ans englobant les salariés du secteur privé, les contractuels du public – donc les salariés du public – et les salariés agricoles, dans un système à 3 PASS et 8 PASS, s’établit de la manière suivante : c’est flat en 2025 ; en 2027, on a un gain de 100 millions d’euros ; en 2030, un gain de 300 millions ; et en 2040, un gain d’un milliard. Vous le voyez, il n’y a pas de coût pour les cotisations dans leur globalité.

Vous m’avez également interrogé sur un sujet qui vous intéresse beaucoup, comme nous tous, celui de la montée en charge progressive des cotisations salariales d’assurance vieillesse sur les primes des fonctionnaires. Il s’agit typiquement d’un sujet de transition, sur lequel j’aurai du mal à vous répondre avec précision, puisqu’il faudrait pour cela avoir calé l’ensemble des éléments relatifs à la montée en charge du dispositif et de la part qui sera prise en charge par l’État. Cependant, vous disposerez d’un regard sur cette question dans le cadre de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale et, en vous disant cela, j’espère rassurer le parlementaire et, surtout, le président de la commission des finances...

La commission rejette successivement les deux séries d’amendements identiques.

Section 1 : Dispositions applicables à l’ensemble des assurés

Article 13 : Cotisations applicables aux salariés et assimilés

La commission examine les amendements de suppression n° 21096 de M. Boris Vallaud et n° 21573 de M. Pierre Dharréville.

M. Régis Juanico. Nous abordons l’article 13, qui pose la question de l’équité contributive effective des assurés en fonction de leur niveau de revenu. En l’occurrence, cet article vient concentrer l’effort contributif sur les niveaux de revenu compris entre 1 et 3 PASS, soit moins de 10 300 euros par mois, là où le système actuel portait sur les tranches comprises entre 1 et 8 PASS. Ce point est très important, car nous sommes là au cœur des mécanismes de solidarité et, si nous souhaitons qu’ils aient un effet redistributif, y compris pour le système de retraite, nous considérons que votre projet de loi marque une régression en termes de redistribution. Pouvez-vous nous indiquer comment vous allez financer le surcoût financier dû à la perte de recettes, évaluée il y a quelques instants à 4 milliards d’euros par Boris Vallaud, mais aussi comment vous allez financer la période transitoire ? En effet, il va falloir régler la dette constituée envers ceux qui payaient jusqu’à présent entre 1 et 8 PASS et qui ont des droits acquis, ce qui représente également près de 4 milliards pendant quinze ans.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes opposés à la solution consistant à sortir du système tous ceux qui perçoivent un salaire supérieur à 3 PASS, car nous estimons que cela revient à les encourager à avoir recours à la capitalisation, dont nous connaissons les effets délétères à la fois sur les retraites, avec l’incertitude que cela entraîne pour les personnes concernées, mais aussi sur l’économie elle-même, en raison du comportement de certains acteurs financiers que nous avons malheureusement déjà pu observer à de nombreuses reprises. Outre que nous estimons qu’il n’y a pas lieu d’alimenter les logiques de capitalisation, nous dénonçons un effet en trompe-l’œil, qui vous permet d’afficher un effet redistributif que votre réforme n’a pas. Si vous voulez vraiment accroître la redistributivité, notamment pour cette tranche, il y a d’autres mécanismes que de faire sortir des cotisants du mécanisme mutualisé.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces amendements visent à la suppression de l’article 13, qui est le cœur du nouveau système d’équité contributive que nous vous proposons. Cet article prévoit un taux harmonisé de 28,12 %, qui correspond à ce que payent les salariés aujourd’hui, entre la cotisation de base et la complémentaire. Je rappelle que 90 % de ces cotisations permettront d’acquérir des points, et que 10 % financeront le système dans son ensemble. Enfin, la contribution des plus hauts revenus se trouve renforcée, puisqu’elle passe de 2,30 % à 2,81 % : vous trouvez peut-être que c’est insuffisant, mais cela représente tout de même une progression.

Par ailleurs, Monsieur Dharréville, vous évoquez les risques liés à la capitalisation. Connaissant le « cœur de cible » de votre formation, j’ai tendance à penser que, si des gens aux revenus élevés perdent de l’argent après avoir pris des risques, vous n’aurez sans doute pas trop de peine pour eux... En outre, je dois dire que le fait d’opposer systématiquement le capital aux salariés me laisse toujours dubitatif. En l’occurrence, on sait que 40 % du capital des entreprises du CAC40 sont aujourd’hui la propriété d’investisseurs étrangers, ce qui signifie que les fleurons de nos entreprises sont à la main d’investisseurs aux intentions pas toujours très claires : si une part supplémentaire de ces entreprises peut être détenue par certains de nos compatriotes, cela me semble constituer une garantie supplémentaire de stabilité du système. Je n’oppose pas les uns aux autres, car il faut une part de capital pour développer certaines entreprises. Le dispositif que nous avons mis au point, consistant à faire passer la cotisation de solidarité de 2,30 % à 2,81 %, nous semble aboutir à un équilibre satisfaisant par rapport aux objectifs que nous recherchons.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

Mme Clémentine Autain. Mes chers collègues, je voudrais faire remarquer qu’il y avait un troisième amendement de suppression, qui avait été déposé par Mme Le Pen...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Cet amendement n’a pas été soutenu, puisque Mme Le Pen est absente, comme l’ensemble des députés signataires de cet amendement depuis le début de nos débats.

Mme Clémentine Autain. C’est précisément ce que je voulais faire remarquer, madame la présidente : les députés du groupe d’extrême droite sont absents depuis le début, ce qui n’est pas totalement anodin. En effet, si Marine Le Pen s’est rendue sur les plateaux télévisés pour expliquer qu’elle souhaitait la suppression du projet de loi, personne ne sait vraiment quels sont les choix de société de sa formation en matière de régimes de retraite. En réalité, la retraite par capitalisation ne les dérange pas, et ils ne sont évidemment pas garants, c’est le moins qu’on puisse dire, des mécanismes de solidarité. Pour ce qui est de s’opposer, on les voit dans les médias, mais quand il s’agit de venir à l’Assemblée pour discuter pied à pied du contenu d’un projet de loi, il n’y a plus personne !

M. Thibault Bazin. Le plafonnement à 3 PASS est une mauvaise modalité, conçue comme un trompe-l’œil. Les Français ont besoin de savoir, en tant que cotisants et en tant que contribuables, s’ils seront gagnants ou perdants pendant leur vie active et à la retraite. Ceux percevant plus de 3 PASS, c’est-à-dire plus de 123 000 euros, et jusqu’à 8 PASS, c’est-à-dire 329 000 euros, pourront bénéficier d’une baisse de cotisations jusqu’à 9 963 euros par an, mais ils perdront des droits à la retraite. Ces personnes seront donc gagnantes demain pendant la vie active, mais perdantes après-demain, durant leur retraite.

Les Français percevant entre 1 et 3 PASS – ce qui peut correspondre, par exemple, à un salaire annuel de 60 000 euros – se trouvent pour ainsi dire dans l’angle mort de la réforme. Ils cotiseront un peu plus qu’actuellement, mais sans percevoir davantage de retraite en contrepartie. En tant que contribuables, ils vont aussi payer des compensations, notamment celle des primes des fonctionnaires, ce qui fait qu’ils risquent d’être perdants à la fois demain et après-demain. Ainsi, avec ce dispositif de 3 PASS, vous affaiblissez le système par répartition et vous allez même faire des perdants dans les classes moyennes supérieures.

Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous faire le compte rendu quotidien de l’avancée de la conférence de financement ? Je ne sais pas si la conférence se réunit aussi le samedi, comme nous : on a parlé de lièvres tout à l’heure, j’espère au moins que les membres de la conférence de financement ne sont pas des marmottes...

M. Sébastien Jumel. Je veux d’abord rappeler qu’à l’origine, ce sont les cadres eux‑mêmes qui ont souhaité cotiser sur 8 PASS. Selon une étude réalisée par l’AGIRC-ARRCO, la perte de recettes en résultant sur quinze ans serait de 67 milliards. Quant au rapport Delevoye – qui reste un document de référence, me semble-t-il, même si son auteur n’est plus là pour en parler –, il prévoit que les recettes du système restent fixes pour ne pas entraîner une hausse du coût du travail, ce qui implique obligatoirement une baisse des pensions et un report de l’âge de départ en retraite. En effet, si on se base sur le coût du travail, il y a évidemment une répercussion sur le montant des pensions. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-nous nous faire part de votre analyse de l’étude de l’AGIRC-ARRCO ?

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. J’ai entendu dire tout à l’heure que nous étions en marche vers la capitalisation : c’est vrai, nous sommes en marche vers la capitalisation des bonnes réformes ! Je vais commencer par rappeler brièvement aux personnes qui suivent nos débats ce qu’est un PASS, car tout le monde ne le sait pas forcément : c’est le plafond annuel de la sécurité sociale, qui s’élève à 41 136 euros.

Le plafond des 3 PASS est l’un des premiers paramètres ayant été retenus pendant les concertations. Ce dispositif fait consensus auprès des partenaires sociaux, mais aussi auprès de personnes faisant référence, comme les économistes Thomas Piketty ou Antoine Bozio, qui estiment qu’un système de retraite supérieur à 3 PASS présente un caractère anti-redistributif. Le 1 % des salariés les plus aisés, ce qui représente 240 000 personnes, ne vont pas s’ouvrir de droits à la retraite et vont voir leurs cotisations de solidarité augmenter de 20 %. Faire référence à 3 PASS assure la redistribution et renforce la solidarité financière du système. Enfin, la transition ne coûte pas 3,5 milliards par an, Monsieur Bazin, car cette somme est lissée sur quinze ans.

M. Jean-Paul Mattei. On parle beaucoup des 3 PASS et de la règle antérieure des 8 PASS, mais il ne faut pas oublier que ces retraites sont déductibles de l’impôt sur les sociétés et représentent donc une charge. Le passage à 3 PASS va entraîner un impôt sur les sociétés complémentaire, donc une taxation supplémentaire des entreprises. On ne parle que de la perte de gain que la réforme pourrait avoir pour les salariés mais, s’agissant d’une charge déductible, les cadres avaient évidemment intérêt à aller jusqu’à 8 PASS, la charge correspondante étant en quelque sorte payée par l’impôt sur les sociétés. Aujourd’hui, il faut bien comparer ce que représentent respectivement le gain que constitue l’impôt sur les sociétés complémentaire, résultant de la non-déductibilité des charges, et la perte de ressources liées aux cotisations de solidarité.

M. Boris Vallaud. Je le répète, il y avait bien des façons de régler la question de l’effet anti-redistributif pour les hauts revenus, notamment la possibilité de rester jusqu’à 8 PASS et d’organiser la progressivité entre 3 et 8 PASS : c’est ce que nous proposerons dans un amendement à venir, qui pourrait séduire M. Mattei ou M. Hammouche.

Toujours au sujet des charges déductibles, je vous rappelle que dans la loi « PACTE », le groupe Socialistes et apparentés avait proposé qu’au-delà d’un écart de un à douze, précisément, on ne compte pas comme une charge les surrémunérations de certains cadres et hauts dirigeants, ce qui permettait de régler la difficulté qui vient d’être évoquée.

Par ailleurs, plutôt que d’organiser la redistributivité à périmètre constant, ce qui était gage de justice, vous avez choisi de faire sortir du système le 1 % de Français les plus riches. Dans ces conditions, il est facile de dire que l’écart interdécile entre les plus hautes et les plus basses pensions s’est trouvé réduit, puisque vous avez fait sortir ceux qui tiraient cet écart vers le haut. Le choix que vous avez fait n’est pas le meilleur qu’on puisse imaginer en termes de justice.

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

La commission est saisie des amendements identiques n° 5094 de Mme Clémentine Autain, n° 5097 de M. Alexis Corbière, n° 5099 de M. Bastien Lachaud et n° 5110 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, vous nous disiez tout à l’heure que vous vous réjouissiez que les plus riches prennent des risques : vous défendiez en fait l’exclusion du régime général des personnes touchant plus de 3 PASS, c’est-à-dire plus de 10 000 euros par mois, et qui vont prendre un risque en investissant dans l’épargne privée, c’est-à-dire dans la capitalisation, l’argent qu’ils ne mettront plus dans les cotisations sociales. Je voudrais vous rappeler qu’à l’origine, le projet universel du Conseil national de la Résistance, dont vous osez assez régulièrement vous réclamer, consistait précisément à intégrer tout le monde, dans une vraie logique d’universalité. J’insiste sur le manque à gagner : selon Bruno Le Maire, ce sont 80 milliards d’euros qui vont, à court terme, disparaître des caisses, ce n’est pas rien !

Par ailleurs, j’aimerais savoir quelles garanties vous pouvez nous donner que, demain, on ne va pas s’attaquer à ceux qui sont à moins de 3 PASS. Qu’est-ce qui nous dit que vous n’avez pas mis le doigt dans un engrenage qui vous conduirait prochainement à exclure les personnes percevant 2 PASS, puis un seul ? C’est une vraie question, car le risque que j’évoque est bien réel.

M. Alexis Corbière. Effectivement, votre système fait sortir le 1 % des Français les plus riches, et je constate que notre collègue Bazin n’a pas obtenu de réponse à la question tout à fait pertinente qu’il avait posée sur ce point, à savoir combien va coûter la baisse drastique des cotisations des plus riches, alors que nous allons devoir payer leurs retraites pendant plusieurs années. À n’en pas douter, cela représente un coût très significatif, ce qui me fait penser que votre dispositif ne permet pas d’assurer l’équilibre financier du système – l’étude d’impact ne contient rien de concluant à ce sujet. J’y vois une forme de gaspillage qu’on ne s’explique pas, mais qui conduit à ce que les catégories modestes et les classes moyennes paient pour les plus riches, qui cotiseront moins et pourront aller capitaliser par ailleurs : j’espère au moins qu’ils sont reconnaissants !

M. Bastien Lachaud. Les plus riches vont en effet être, si ce n’est contraints, du moins fortement incités à capitaliser, s’ils veulent préserver leur niveau de vie. Les assurances ne s’y trompent pas et on a ainsi pu lire sur le site d’AXA, avant que cela ne soit retiré, un texte invitant les Français à capitaliser en vue de « la baisse programmée des futures pensions » car « en outre, les premières pistes de réflexion de la réforme globale des retraites ne sont pas encourageantes. Mise en place d’un système unique à points, plafonnement possible des cotisations, incitations à reculer l’âge de liquidation de la retraite : l’ensemble de ces indicateurs augure d’une potentielle dégradation des retraites à l’avenir. Il est donc essentiel de prendre les devants et de la préparer le plus tôt possible par le biais de l’épargne individuelle. ». Vous le voyez, la réforme proposée ouvre la voie à la capitalisation.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 5110 vise à la suppression de l’alinéa 1 de l’article 13. Si je n’ai pas pu prendre part aux débats avant ce matin, c’est parce qu’en fin de semaine, j’étais auprès des salariés en grève, toujours mobilisés...

M. Jean-Jacques Bridey. Nous, nous étions là !

Mme Bénédicte Taurine.... et qui ont bien compris que cette réforme de la retraite n’allait pas dans leur sens. Leur seule demande consiste dans le retrait de ce projet et c’est pourquoi nous allons lutter pied à pied pour obtenir gain de cause pour ces salariés que nous défendons.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, je pense que vous avez mal compris mes propos. Je ne me suis pas réjoui que des gens prennent des risques financiers, j’ai simplement répondu à M. Dharréville, qui évoquait le risque pris par ceux qui placent de l’argent dans des régimes par capitalisation, qu’ils assumaient le risque de subir une perte.

Pour ce qui est des flux financiers, le montant de 70 milliards d’euros dont font état certaines études correspond à l’hypothèse où, du jour au lendemain, on supprimerait le taux de cotisation à 25 % entre 3 et 8 PASS, ce qui représente 3,5 milliards pendant vingt ans. Or, il n’est aucunement question de supprimer d’un seul coup la tranche de 3 à 8 PASS : en réalité, d’un côté le plafond de 8 PASS va diminuer pendant vingt ans – en passant à 7,9, puis à 7,8, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il arrive à 3 – de l’autre, tout aussi progressivement, il va y avoir moins de droits acquis. Le flux de trésorerie va donc constituer un jeu à somme nulle : dans un premier temps, il y aura moins de rentrées de trésorerie alors que les pensions servies resteront au même niveau, puis le montant des pensions va lui aussi commencer à diminuer. Cela va représenter un flux de trésorerie de l’ordre de quelques centaines de millions chaque année pendant vingt ans.

Les cotisations qui étaient plafonnées à 1 PASS pour certaines professions vont monter à 3 PASS. Dans le nouveau système, on va donc couvrir par répartition 100 % des Français jusqu’à 3 PASS, et il y aura 1 % des Français, ceux qui sont au-delà de 3 PASS, dont une partie de la rémunération ne sera pas couverte par ce système. Enfin, je rappelle que les assurances telles que Groupama ou AXA proposent depuis longtemps des produits d’épargne individuelle, et je dirai à titre personnel qu’il ne me paraît pas aberrant que les gens mettent de côté 50 ou 100 euros par mois pour se prémunir contre les accidents de la vie – j’imagine que nous sommes nombreux dans cette salle à l’avoir fait –, ni qu’ils soient incités à le faire.

J’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, il serait bon que vous évitiez de citer les noms des assurances, car certains pourraient finir par penser que nos débats sont sponsorisés...

M. Pierre Dharréville. Je commencerai par dire que, pour ma part, je ne me réjouis pas que des gens puissent perdre leurs économies, d’autant que, lorsqu’un tel événement survient, il contribue à la destruction de valeur : je n’en vois donc pas l’intérêt. Cela dit, l’accumulation de richesses par quelques-uns constitue bien un problème. À ce sujet, vous avez dit tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que le fait d’opposer systématiquement le capital aux salaires vous laissait dubitatif. En réalité, il existe bel et bien aujourd’hui une opposition d’intérêts entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui travaillent : c’est une contradiction objective au sein de la société, qu’il faut bien affronter – et je crois qu’en la matière, vous prenez position en faveur du capital avec votre projet de loi.

J’estime par ailleurs que tout cela contribue à l’assèchement des ressources de la sécurité sociale, alors qu’on pourrait opter pour une répartition différente. Je crains que les choix faits dans ce domaine ne finissent par faire système, et que vous nous expliquiez prochainement que chacun doit avoir dans sa retraite une part de répartition et une part de capitalisation.

M. Thibault Bazin. Le passage progressif de 8 à 3 PASS que vous décrivez n’est pas dans le texte, monsieur le rapporteur, ce qui gêne la réflexion pouvant être menée sur ce point – on observe même une confusion entre les retraités actuels et les futurs retraités. J’estime que nous devons avoir une approche analytique globale, en considérant à la fois les cotisations des actifs, mais aussi les sorties de pension pour ceux qui sont déjà à la retraite.

Vous évaluez le besoin de trésorerie à quelques centaines de millions par an, mais les réserves ne sont pas un puits sans fond : à force de les pomper, elles vont se vider et nous n’aurons plus rien pour la dépendance. Le seul moyen d’équilibrer les finances consistera alors à baisser le montant des pensions, ce qui ne serait pas acceptable. La grande question de la transition, c’est de savoir qui va la payer : le contribuable, ou bien les cotisants ? En l’absence de réponse à cette question, nos inquiétudes ne font que grandir au fil des débats alors que la seule certitude qu’on ait désormais, c’est que la transition sera longue, incertaine et coûteuse.

M. Boris Vallaud. Pour élargir un peu le débat sur l’article 13, je veux souligner que la cotisation non créatrice de droits qui va être instaurée sera destinée, si je ne me trompe, à financer des dépenses de solidarité. Or, il est indiqué dans le projet de loi que sont distinguées, d’une part, les dépenses de solidarité prise en charge par le Fonds de solidarité vieillesse universel (FSVU), d’autre part, les dépenses contributives, prises en charge par la CNRU. Dans ces conditions, je ne comprends pas bien ce que va financer cette cotisation à 2,81 % Sauf erreur, il y a eu sur ce point un changement par rapport au projet initial, car il était prévu dans le rapport Delevoye que le FSVU ait plutôt vocation à financer les départs précoces : pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que le fait que les assurances proposent des produits d’épargne retraite n’était pas une nouveauté, et que de nombreuses personnes plaçaient ainsi 50 ou 100 euros par mois. Le problème, c’est que les sommes qui sont ici en jeu sont bien différentes : étant donné que 3 PASS représentent un salaire de 10 000 euros et 8 PASS un salaire de 27 000 euros, la différence de cotisation entre le haut et le bas de la tranche s’élève à 28 % de l’écart de 17 000 euros entre les deux, soit 4 420 euros – l’équivalent de 3,5 SMIC. Ainsi, les gens qui perçoivent un salaire représentant 8 PASS vont pouvoir investir chaque mois 3,5 fois le SMIC dans leur épargne retraite personnelle – et là-dessus, ils vont encore bénéficier d’une exonération d’impôt grâce à la loi « PACTE » ! Nous souhaitons savoir à combien va s’élever le manque à gagner pour l’État résultant à la fois de la diminution du montant des cotisations et de l’exonération fiscale prévue.

M. Jean-René Cazeneuve. Comme l’a fait remarquer notre collègue Mattei, les personnes dont le revenu est situé entre 3 et 8 PASS vont en réalité subir une augmentation de l’impôt, résultant de l’augmentation de leurs revenus.

Par ailleurs, j’ai trois remarques à faire. Premièrement, il est faux de dire, comme l’ont fait certains de nos collègues, notamment de La France insoumise, que la masse financière présente dans le système de répartition va augmenter, puisque le nombre de ceux qui vont entrer dans la tranche de 1 à 3 PASS est nettement supérieur au nombre de ceux qui sortent de la tranche entre 8 et 3 PASS. Il ne faut pas penser, comme vous le faites, qu’il n’y a qu’un seul système de retraite, car c’est beaucoup plus complexe que cela.

Deuxièmement, vous dites représenter les travailleurs, mais je vous rappelle que la CFDT, qui est à ma connaissance le syndicat majoritaire, est favorable à la restriction de la retraite à 3 PASS.

Troisièmement, il ne faut pas perdre de vue qu’il est prévu une augmentation du prélèvement obligatoire de 0,5 % pour les Français les plus aisés. Puisque vous êtes obsédés par l’imposition des revenus, reconnaissez que cela, au moins, est une avancée à vos yeux !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 5111 de Mme Clémentine Autain, n° 5114 de M. Alexis Corbière, n° 5116 de M. Bastien Lachaud et n° 5133 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous obtenons peu de réponses, mais nous sommes tenaces, et je vais enfoncer le clou en vous demandant une fois de plus à combien vous évaluez le manque à gagner résultant de la baisse des cotisations entre 3 et 8 PASS, ainsi que de l’exonération fiscale permise par la loi « PACTE ». Vous devriez être en mesure de nous le dire, puisque Bruno Le Maire est capable d’évaluer à 80 milliards d’euros le montant de ce qui va partir en capitalisation.

M. Alexis Corbière. La question que nous vous avons posée à plusieurs reprises, et que Mme Autain vient de rappeler, est importante, car la gabegie financière que nous dénonçons va avoir, en raison de son ampleur, des conséquences significatives pour notre pays.

Le président Mignola a jugé nécessaire d’insister sur le fait que je ne suis pas favorable aux dispositifs de type PREFON, auxquels ont recours les fonctionnaires pour compléter leurs petites retraites, comme s’il voulait prévenir les gens que je m’apprête à leur faire les poches... En réalité, il n’y a pas besoin d’épouvantail à moineaux : je voulais au contraire défendre les fonctionnaires en soulignant que c’est le mauvais sort réservé aux fonctionnaires – gel du point d’indice, faible montant des pensions, etc. – qui les incite à adopter des stratégies individuelles pour compléter des pensions d’un montant insuffisant. Ce que nous proposons, c’est avant tout d’augmenter les rémunérations du public et du privé, car le débat sur les retraites n’est en fait que le reflet des carrières, et...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, Monsieur Corbière.

M. Bastien Lachaud. Ce débat est assez surréaliste car, au cours de chaque réunion, il y a toujours un point sur lequel le Gouvernement et le rapporteur sont incapables de nous répondre. Hier après-midi, c’était sur le revenu d’activité, que vous avez adopté sans débat, et aujourd’hui, c’est la question du montant qui ne va pas entrer dans les caisses de l’État à cause de l’exonération fiscale dont vont bénéficier les opérations de capitalisation que vous prônez...

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 5133 a pour objet d’empêcher la suppression des dispositions de l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale. En effet, la modification induite par l’alinéa 2 de l’article 13 fait reposer le financement de la couverture des charges de l’assurance vieillesse et de l’assurance veuvage sur les seuls revenus d’activité qu’ils perçoivent, en prétextant le renforcement de la logique contributive et la volonté d’un pilotage automatique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je voudrais revenir sur une erreur que j’ai commise lorsque j’ai présenté le dispositif. Il s’agira non pas de diminuer progressivement le plafond, pour passer de 8 à 3 PASS, mais d’abaisser le taux, de l’ordre d’un vingtième chaque année, ce qui revient finalement au même.

Par ailleurs, pour répondre à M. Vallaud, le taux de 2,81 % – 10 % de 28,1 % – figure bien dans le rapport Delevoye.

S’agissant du calcul de M. Lachaud, tous les salariés ne gagnent pas 8 PASS : certaines rémunérations peuvent être équivalentes à 3,1 ou 3,2 PASS. Puisqu’il n’y a pas 17 000 euros d’écart entre ces deux catégories, on ne peut pas prendre les 25 % de 17 000. La part plafonnée de la cotisation d’une personne rémunérée 10 500 euros sera calculée sur 10 000 euros, par exemple. Je ne souhaite pas poursuivre le débat sur les rémunérations allant de 3 à 8 fois le PASS, car chacun a pu faire part de sa différence d’approche.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. L’article comprend aussi la possibilité de modifier les taux de cotisation, ainsi que la répartition entre employeurs et salariés, par une délibération du conseil d’administration de la CNRU, et par décret. Est-il possible que le Gouvernement l’utilise ?

Je suppose qu’il s’agira d’augmenter plutôt que de baisser les taux, pour respecter l’équilibre financier pluriannuel, principe qui n’est jamais défini très clairement dans le texte, puisque les mesures de financement n’y figurent pas. Lorsque, y compris sur les plateaux de télévision, on énumère les éléments-clefs d’un système de retraite – cotisations, âge, niveau des pensions –, le Gouvernement exclut systématiquement de modifier les taux de cotisation et le niveau des pensions. Or l’article semble permettre une telle évolution. Le Gouvernement a-t-il l’intention d’utiliser cette ouverture que laisse la loi ?

M. Boris Vallaud. À chacune de vos interventions, vous semblez nous dire : « Ce sont vos questions, mais ce sont nos réponses ». J’ai bien compris de quoi relevait le taux de 2,8 %, mais ma question portait sur ce qu’il financerait, dans la mesure où la loi distingue les dépenses de solidarité prises en charge au sein du FSVU et les dépenses contributives gérées par la CNRU. Si la frontière avec ce que financeront les 2,8 % n’est pas claire pour moi, il se peut qu’elle ne le soit pas pour vous non plus.

M. le secrétaire d’État. La baisse des cotisations sur les rémunérations situées entre 3 et 8 PASS a deux effets. Elle entraîne d’abord une diminution des droits futurs, qui, selon les statistiques, que nous avons rappelées hier, sont plus élevés et perçus plus longtemps que la moyenne pour les hauts revenus. Second effet : en l’absence de cotisation vieillesse, Jean-Paul Mattei l’a évoqué, l’assiette augmente, ce qui crée d’autres recettes fiscales et sociales. Nous en reparlerons lorsque nous discuterons de la progressivité de la baisse de ces cotisations, à l’alinéa 2 de l’article 15.

J’en viens à la question du président Woerth sur notre éventuelle intention d’augmenter les taux de cotisation. Le Gouvernement, vous l’avez compris dans ce texte, a fait le choix de laisser tous les leviers à la gouvernance, dans laquelle les partenaires sociaux seront très largement représentés. C’est bien la marque de confiance qu’il lui fait. Je ne peux donc vous répondre que pour le Gouvernement, non pour la gouvernance, qui aura tous les leviers. Comme nous l’avons dit, nous ne voulons pas voir augmenter le coût du travail. Nous sommes également très attentifs au niveau des pensions, que nous ne souhaitons pas voir baisser. Telle est notre position politique. Nous entendons que la démocratie sociale veut s’exprimer, et avons pris certains engagements envers elle, que nous voulons respecter.

M. Bastien Lachaud. Pour une fois, nous sommes d’accord avec vous : ne prenons pas 4 420 euros pour les 240 000 personnes qui nous occupent, faisons une moyenne à 2 210. Mais 2 210 fois 240 000, ce sont 530 millions par mois qui partiront dans la capitalisation. Multipliés par douze mois, cela fait 6 milliards par an. Comment ferez-vous pour financer un tel manque à gagner ?

M. Alexis Corbière. Madame la présidente, pourriez-vous donner la parole à M. Marilossian, qui s’exprime toujours hors micro ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Corbière, permettez-moi une petite mise au point, car de telles remarques reviennent de manière récurrente. Nous avons commencé la réunion à 9 heures 30 ; il est à présent midi. Hormis le rapporteur, dont vous sollicitez voire exigez les réponses, les membres de la majorité ont parlé 6 minutes. Cela signifie que toutes les oppositions s’expriment depuis 2 heures, sans être interrompues, si j’y parviens.

Nous ne sommes pas des robots, ni des Playmobil. Il nous arrive de respirer, de soupirer, de hausser les sourcils, et même de dire quelques mots. Souffrez d’entendre des remarques. J’essaie sans arrêt de rétablir le silence, sur tous les bancs, pour éviter de tels commentaires.

M. Sébastien Jumel. Il ne m’a pas échappé que la majorité avait en effet fait vœu de silence et d’abstinence, ce qui provoque parfois des soubresauts.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai interpellé sur l’étude de l’AGIRC‑ARRCO, qui évalue la perte de recettes due à cette mesure à 67 milliards sur quinze ans. Disposez-vous d’éléments, tels qu’une étude d’impact corrigée, qui contredisent cette évaluation ?

À Dieppe, on résume la réforme en disant que c’est « chacun son pain, chacun son hareng » – je l’ai dit plusieurs fois. Le projet de loi conduit à individualiser les droits, à ce que chacun épargne ses cacahuètes, comme il le peut. Et mieux vaut avoir les moyens car, avec un petit salaire, on n’épargne rien. À chaque fin de mois, les frigos sont vides et on n’a mis aucun rond de côté. À chaque accident de vie, on se demande comment l’assumer. C’est donc une réforme qui favorise les hauts revenus : chacun a son pain, mais, sur le pain, il n’y a pas la même chose.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, votre intention est de ne pas augmenter le coût du travail pour les entreprises, c’est-à-dire de ne pas toucher aux charges patronales, et que les retraites ne baissent pas. Il vous reste comme possibilité de modifier l’âge ou les cotisations sociales, ce qui conduirait à une baisse du pouvoir d’achat des personnes qui travaillent actuellement. Il serait intéressant de connaître votre intention sur ce point.

Un problème de méthode se pose : si la conférence de financement n’aboutit pas à une solution de financement consensuelle, quelle décision prendra le Gouvernement et sur quelles mesures voterons-nous ? Dans le cas contraire, le Gouvernement et le Parlement n’auront-ils qu’à enregistrer les dispositions de la conférence ou pourront-ils se prononcer ?

Puisqu’il est question de prélèvements obligatoires, allons-nous conserver un paritarisme de gestion ou passer à un paritarisme de caution ? Il est important de savoir si les décisions en matière de cotisations salariales relèvent entièrement du paritarisme ou si le Gouvernement pourra les prendre à tout moment.

M. Jean-Paul Mattei. Dans cette discussion assez irréelle, vous donnez l’impression que les salariés ne font que penser à leur retraite. Or une personne qui construit sa vie professionnelle a plutôt envie d’un bon salaire, pour s’assurer un certain confort. Nos débats semblent indiquer que tous les revenus excédant 3 PASS seront affectés à de l’épargne en lien avec ces affreux fonds de placement. Mais les salariés vont aussi consommer donc acquitter la TVA. J’ai l’impression que nous n’avons pas la même vie...

M. Sébastien Jumel. Ah ça, c’est sûr !

M. Jean-Paul Mattei. En tant qu’entrepreneur, lorsque je discute avec mes collaborateurs, je vois bien qu’ils ont leur pouvoir d’achat plus en tête que leur retraite.

Bien que vous la critiquiez, la loi « PACTE » est un très bon texte, qui permet notamment l’intéressement des salariés et des changements dans la gouvernance. Nous avons aussi redéfini l’objet social de l’entreprise, pour en faire un lieu plus solidaire, où les « patrons » et les salariés travaillent ensemble. Ce ne sont pas de petites mesures !

M. Boris Vallaud. Pardon d’insister, mais lorsque nous posons une question précise, qui porte sur l’article, nous aimerions recevoir des réponses précises. Le rapport Delevoye prévoyait qu’au titre de la solidarité, le Fonds de solidarité financerait les départs précoces liés à la pénibilité. Si j’ai bien compris, ce n’est plus le cas dans le projet de loi. Quel est donc le partage entre le FSVU et la CNRU, qui prend en charge les dépenses contributives ? La question est simple, cadrée.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 5145 de Mme Clémentine Autain, n° 5148 de M. Alexis Corbière, n° 5150 de M. Bastien Lachaud et n° 5161 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 3. J’en profite pour demander à nouveau s’il est possible d’évaluer les recettes que perdront les caisses publiques – M. le secrétaire d’État n’écoute pas, il connaît ma question mais n’a pas la réponse. Mon camarade communiste, M. Jumel, a parlé de 67 milliards d’euros en moins, selon l’AGIRC-ARRCO. Quelle est votre estimation ?

M. Alexis Corbière. Nous aimerions en effet avoir des précisions, pour mieux nous enrichir mutuellement, ce qui est très stimulant.

Monsieur Mattei, vous nous dites que nous n’avons pas la même vie. Cela vaut certainement mieux pour vous ! Pour ma part, je ne passe pas mon temps à parler avec des gens qui se demandent où ils pourraient bien capitaliser, car le Gouvernement vient de défiscaliser tel ou tel dispositif.

M. Jean-Paul Mattei. Je n’ai pas dit cela.

M. Alexis Corbière. Certes, mais quand vous parlez de vos « collaborateurs », qui se félicitent de la loi « PACTE », avouez que, sociologiquement, c’est très ciblé. Tout le monde n’a pas un surplus de revenu à placer ou l’occasion de défiscaliser. Nous n’avons pas tout à fait la même vie, en effet : je ne baigne pas dans cette ambiance.

M. Bastien Lachaud. Le vrai paradoxe de ce travail en commission est d’avoir une étude d’impact pléthorique, de plus de mille pages, que le Conseil d’État a jugée au mieux erratique, au pire frauduleuse. (Exclamations.) Ce qui est sûr, c’est qu’elle est lacunaire car nos questions ne trouvent pas de réponse. Dans les mille pages de l’étude, monsieur le rapporteur, trouvez-vous la réponse à notre question sur le manque à gagner pour les finances de l’État du fait de l’exonération de la capitalisation et de l’épargne retraite instituée par la loi « PACTE » ? Soit le chiffre figure dans l’étude d’impact, soit le Conseil d’État avait raison de la qualifier ainsi.

Mme Bénédicte Taurine. Nous demandons la suppression de l’alinéa 3 afin d’insister sur l’importance des cotisations sociales. Votre réforme conduit à faire dépendre la valeur de rendement du point, déterminant le montant des pensions, de la conjoncture. De nombreux Français vivent actuellement dans l’angoisse car ils sont dans une situation économique très précaire jusqu’à leur retraite. Celle-ci durera-t-elle après leur retraite, et jusqu’à leur mort ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Chaque série d’amendements donnant lieu à sept ou huit interventions, je ne peux pas répondre à toutes les questions posées, non seulement en raison des effets de redite mais aussi parce qu’il m’arrive d’oublier certains sujets abordés.

M. Woerth a souligné le fait qu’en matière de cotisations, la répartition entre les employeurs et les salariés pouvait être modifiée par décret. Je n’imagine pas un seul instant que le ministre qu’il fut ignore que les taux de cotisation se définissent par décret. Cette possibilité d’évolution, qui est réelle, existait déjà auparavant. Le Gouvernement n’a toutefois pas la volonté d’utiliser cette possibilité, même s’il la conserve au cas où les conditions économiques et sociales viendraient à changer.

Monsieur Lachaud, votre calcul du manque à gagner se fonde sur une répartition homogène des personnes dont les rémunérations sont situées entre 3 et 8 PASS. Or il y a évidemment davantage de Français qui gagnent aux alentours de 3 PASS que de 8 PASS. La suppression instantanée de la cotisation sur la population gagnant entre 3 et 8 PASS représenterait 3,5 milliards d’euros, soit 170 millions par an par lissage linéaire sur vingt ans. Ce n’est pas 6 milliards par an, comme vous l’avez calculé.

Même chose pour M. Jumel : l’étude de l’AGIRC-ARRCO ne tient pas compte de la période de transition, comme si nous supprimions en 2027 le taux de 26 % appliqué aux rémunérations comprises entre 3 et 8 PASS.

Je donne donc un avis défavorable à ces amendements.

M. Pierre Dharréville. M. Mattei nous dit que, pendant leur vie active, les gens ne sont pas dans l’obsession de leur retraite, ce qui est vrai pour partie. C’est d’ailleurs pour cela que nous pensons qu’il faut prélever une part de cotisations sur le salaire, afin de garantir une retraite à chacun. C’est une protection collective.

Vous nous dites que ces Français dont les rémunérations sont situées entre 3 et 8 PASS consommeront. Ils auront donc une plus-value de pouvoir d’achat, qui alimentera les critiques que l’Observatoire français des conjonctures économiques vous a adressées récemment sur le fait que vous favorisez les plus hauts revenus. Je rappelle que ces derniers jouent un rôle non négligeable dans la progression du salaire moyen. Il y a donc un problème d’inégalité, que le projet de loi accroît encore.

Enfin, si vous avez mesuré les effets de seuil provoqués, pourquoi le régime est-il identique pour les rémunérations égales à 3 et à 8 PASS ? Où en êtes-vous des discussions avec les cadres, qui sont les premiers concernés ? La CFE-CGC a déjà affirmé son désaccord avec la mesure.

M. Boris Vallaud. Je ne désespère pas d’obtenir une réponse à la question que j’ai posée à plusieurs reprises.

J’en avais posé hier une autre, également demeurée sans réponse, pour savoir ce que vous entendiez par le fait que le Gouvernement prend en compte les délibérations du conseil d’administration de la CNRU dans l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale. Le fait de traduire les délibérations du conseil d’administration dans un décret n’étant pas seulement une mesure technique, comment s’établit ce partage des tâches ?

Les articles étant liés les uns aux autres, je rappelle que, dans l’article 57, qui pourra être activé selon le résultat de la conférence de financement, le Gouvernement aura la possibilité, dans la limite du besoin de financement, de recourir à d’autres paramètres, comme l’âge d’ouverture des droits à la retraite et les conditions d’âge et de durée d’assurance requises. L’habilitation est très large, y compris pour les éléments que vous envisagez de ne pas modifier.

M. Éric Woerth. J’entends souvent que l’étude d’impact contient plus de mille pages mais, en réalité, elle n’en comporte que 120 ou 130.

S’agissant de la répartition entre pouvoir réglementaire et pouvoir législatif, monsieur le rapporteur, je suis d’accord avec vous. Mais l’article traite des pouvoirs de la CNRU, qui peut changer les taux. Son intention sera d’ailleurs plutôt de modifier les taux de cotisation que les mesures d’âge. Le système comprend donc un risque inhérent, celui de l’augmentation des cotisations car c’est toujours ainsi que cela finit, en France. C’est pourquoi, bien que je sache que vous ne pouvez pas répondre à cette question, je demandais quelles étaient les intentions du Gouvernement à ce sujet,

Par ailleurs, Thibault Bazin et moi-même sommes taraudés par la question de savoir si la conférence de financement se réunit au même rythme que le Parlement. Nous souhaiterions avoir connaissance de ses travaux afin de prévoir comment nous en intégrerons les conclusions – si elles sont définies clairement, ce qui me surprendrait.

Mme Clémentine Autain. Je reprends à mon compte la question de M. Woerth, avant de reformuler celle à laquelle nous n’avons toujours pas eu de réponse.

La loi « PACTE » prévoit des exonérations fiscales sur les cotisations d’épargne retraite. Or le projet de loi retire du régime général les personnes dont les rémunérations sont situées entre 3 et 8 PASS, c’est-à-dire celles et ceux qui gagnent plus de 10 000 euros par mois. Ces personnes seront incitées à placer leur argent dans des produits d’épargne privée. Quel sera le manque à gagner de cette mesure pour l’État ? Je pense que vous avez des outils pour estimer le manque à gagner de cette espèce de niche fiscale pour les caisses publiques et j’espère que vous avez réalisé des projections pour l’évaluer.

Je reformule là une question que nous avons déjà énoncée une dizaine de fois sans obtenir de réponse. Travailler ainsi est très fatigant, et j’avoue que je ne comprends pas du tout à quoi sert cette commission.

M. Jacques Marilossian. Je prends la parole pour la première fois aujourd’hui, tant mon intervention se justifie. (Exclamations.) Nous venons d’assister à un bel exemple de ce que les députés du groupe La France insoumise sont capables de dire et de faire. M. Lachaud vient d’affirmer que le Conseil d’État a qualifié l’étude d’impact du projet de loi de « frauduleuse ». C’est ce que j’appelle un exemple de propagande manipulatoire dont La France insoumise est coutumière. En effet, ce terme ne figure pas dans le rapport du Conseil d’État. Je demande donc à M. Lachaud de bien vouloir s’excuser et retirer ce qualificatif. (Exclamations.)

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 22542 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Il vise à rendre la contribution des assurés progressive en fonction de leurs revenus, pour les catégories de rémunérations allant jusqu’à 8 PASS. Il est essentiel que les mécanismes de solidarité, en particulier ceux du système de retraite, aient un effet redistributif. L’amendement établit que la part de la cotisation de solidarité augmente en fonction des revenus de l’assuré, avec un seuil de bascule pour les rémunérations égales à 8 PASS. Au-delà, elle devient supérieure à la part génératrice de droits pour l’assuré. Un tel mécanisme permet d’assurer un effet redistributif réel et proportionné.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je profite de cet amendement du groupe Socialistes et apparentés, pour répondre à la question de M. Vallaud.

Le taux de 2,81 % contribue au financement des éléments de solidarité du système. Si le futur FSVU pourra prendre en charge certains éléments de solidarité relatifs à la maternité ou au chômage, en étant abondé par des droits au chômage, il ne gérera pas d’autres éléments, comme la réversion, qui passera à 70 % des points de retraite du couple dans le système futur, sans que des cotisations n’aient été perçues pour cela.

Vous avez aussi évoqué le fait que le Gouvernement tiendrait compte des décisions du conseil d’administration de la CNRU. En effet, si ses conclusions n’étaient pas compatibles avec la trajectoire fixée et ne permettaient pas le retour à l’équilibre, elles viendraient contredire le projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est en ce sens que le Gouvernement doit intégrer les décisions de la CNRU.

S’agissant de l’amendement, je comprends tout à fait l’idée d’établir une progressivité dans les cotisations. Mais la proposition relève plutôt d’une dynamique d’imposition, et aurait de grandes chances d’être déclarée inconstitutionnelle. En 2014, en effet, le Conseil constitutionnel a déjà rejeté une cotisation de solidarité progressive à un régime contributif, moins élevée que celle que vous proposez et qui n’ouvrait pas de droits. C’est donc plutôt par l’impôt que nous devons chercher à diminuer les inégalités, et non par les cotisations sociales, censées ouvrir des droits. Nous ne souhaitons donc pas nous engager dans cette voie.

M. Thibault Bazin. Avec cette baisse de cotisations pour les Français qui gagnent plus de 120 000 euros, le Gouvernement montre qu’il est prêt à décider d’augmentations de cotisations pour ceux qui gagnent moins. C’est un changement majeur, notamment pour les régimes autonomes, qui fixent eux-mêmes leur taux, comme les infirmières, qui cotisent à 14 %, les orthophonistes, les kinésithérapeutes. Aujourd’hui, ces professions libérales assument leurs cotisations à 100 %, contrairement à d’autres, où l’employeur en acquitte une partie. Nous y voyons une tentation, qui glisse vers l’aveu auquel vous allez nous amener, celui d’une possible augmentation des cotisations, qui entraînera une baisse du pouvoir d’achat des cotisants. Finalement, malgré les simulations qui circulent au taux de 28 %, rien ne nous garantit que ce taux n’atteigne pas bientôt 29 ou 30 %. Cela nous inquiète fortement.

M. Boris Vallaud. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour vos efforts de réponse, mais ma question portait plutôt sur la ventilation des efforts de solidarité entre ce qui relèverait du FSVU et ce qui concernerait la CNRU. De même, vous ne m’avez pas répondu sur le fait que le Gouvernement prend en compte les délibérations de la CNRU. Enfin, il me semble que l’ordonnance lui donne aussi la possibilité de modifier l’âge légal de départ.

M. Pierre Dharréville. Je veux souligner à nouveau la privation de ressources pour la protection sociale qui résulte des mesures que nous discutons. Cette exclusion d’une partie des revenus ne risque-t-elle pas, elle aussi, la censure du Conseil constitutionnel, au motif d’une rupture d’égalité puisque la totalité du salaire ne peut pas être soumise à cotisations et entrer dans la mutualisation du régime de retraite ?

M. Bastien Lachaud. Monsieur Marilossian, c’était en effet la première fois que vous preniez la parole... dans le micro.

Je tiens à vous rappeler que le terme « frauduleux » signifie simplement « qui induit en erreur ». Or le Conseil d’État constate que « les projections financières ainsi transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être ». Plus loin, il affirme que le recours aux ordonnances « fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme ». On peut donc dire que l’étude d’impact induit en erreur.

Et encore le Conseil d’État ne s’est-il pas attardé sur des éléments qui constituent clairement des données faussées. En prenant pour cas‑type un début de carrière à 22 ans et un âge d’équilibre à 65 ans, l’étude neutralise les effets défavorables de l’âge d’équilibre pour les carrières commencées avant 22 ans. Par ailleurs, pour toutes les générations – 1975, 1980, 1990 ou 2003 –, le calcul est réalisé avec l’âge d’équilibre de la génération 1975, fixé à 65 ans. De ce fait, l’étude ne rend pas compte de l’évolution de l’âge d’équilibre. Dans les faits, monsieur Marilossian, cette étude est frauduleuse, car elle nous induit en erreur.

M. le secrétaire d’État. Mme Autain s’inquiétait du fait que le système universel puisse ne pas concerner certains citoyens dont la rémunération est supérieure à 3 PASS. En réalité, ils sont concernés, comme tous les Français, et nous pouvons débattre, comme nous le faisons actuellement des mesures les concernant.

La disposition, je l’ai dit, conduira en premier lieu à une baisse des droits futurs, si nous diminuons progressivement les cotisations, par exemple, d’un vingtième par an comme le proposait le rapporteur, car l’article 15 prévoit un étalement sur vingt ans. Cela ne préjuge pas de ce que pourrait décider le Gouvernement après ses échanges avec les partenaires sociaux. Cette hypothèse d’un lissage d’un vingtième par an est toutefois cohérente avec le projet de loi. La progressivité est la garantie du fait qu’il n’y aura pas d’arrêt subit des cotisations. La constitution de droits se poursuivra, au prorata des cotisations jusqu’au niveau de 3 PASS. La transition a précisément pour objet de gérer ces aspects.

En second lieu, je l’ai rappelé à la suite de M. Mattei, l’augmentation de l’assiette que provoquera l’absence des cotisations vieillesse entraînera elle-même des rentrées fiscales et sociales. Il est dommage que vous ayez omis cet aspect, alors que vous semblez très attentifs à l’absence de rentrée des montants issus des cotisations vieillesse. Il relève d’un examen objectif de ce qui se passe dans l’économie.

Je voudrais aussi indiquer à M. Bazin et au président Woerth, s’agissant des leviers pour maintenir l’équilibre, qu’il n’y a pas d’ambiguïté. Les propos du Gouvernement, comme ceux du Président de la République, sont clairs. Nous voulons inciter les Français à travailler un peu plus longtemps, sans les y contraindre, en leur assurant un niveau de pension élevé. Cela est clairement écrit dans l’étude d’impact. Il sera toujours possible, au terme de cette loi, de partir à 62 ans : il s’agira alors d’un choix éclairé. Nous faisons en effet confiance aux Français pour choisir, en toute liberté, le moment où ils souhaitent partir en retraite. Rappelons que l’âge d’équilibre n’est pas un mot grossier, mais le repère de l’équilibre de notre dispositif collectif de solidarité entre les générations.

Si nous voulons introduire de la solidarité entre les générations, et redistribuer des revenus vers les futurs retraités les plus modestes, il faut que le système que nous construisons ensemble soit durablement à l’équilibre. C’est pourquoi nous évoquons depuis plusieurs jours les réformes qui ont été conduites précédemment. M. Woerth a mentionné les travaux réalisés depuis plus de vingt ans, y compris sous sa conduite. Mais la réalité montre que notre système actuel est régulièrement en difficulté financière. C’est pourquoi des réformes ont dû être menées.

Notre proposition ne se focalise toutefois pas uniquement sur l’équilibre financier. Notre objectif premier est de faire en sorte que notre système de retraite soit adapté à la réalité du marché de l’emploi, aux vies de nos concitoyens et qu’ils soient prêts à affronter les évolutions du monde de la seconde moitié du XXIe siècle.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5162 de Mme Clémentine Autain, n° 5165 de M. Alexis Corbière, n° 5167 de M. Bastien Lachaud et n° 5178 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Entre 200 000 et 300 000 personnes vont être concernées par le passage de 8 à 3 PASS ; elles ne sortiront pas du régime mais se verront appliquer des conditions spécifiques, ce qui constitue une entorse de taille à votre régime dit « universel ». Vous risquez de mettre le doigt dans un engrenage qui conduira à exclure d’autres catégories de la population, qu’on invitera, tout simplement, à capitaliser et à recourir à de l’épargne privée. Vous affirmez aussi qu’on peut travailler plus longtemps, mais il ne vous aura pas échappé qu’on connaît un chômage de masse et que les jeunes ont énormément de mal à trouver leur premier emploi. Aussi, je tombe de ma chaise lorsque j’entends que les choses iraient mieux si l’on faisait travailler les gens jusqu’à 62 ou 65 ans.

M. Alexis Corbière. Ce que vous encouragez, c’est la création d’un régime spécial pour les plus riches – tel est le paradoxe de votre projet. Vous avez commencé le débat en déclarant que les régimes spéciaux ne sont plus tolérables et en prenant le pays à témoin. Or vous encouragez les 1 % les plus riches à se constituer leur régime spécial, qui les ferait quitter le régime mutualisé. Monsieur le secrétaire d’État, l’âge d’équilibre doit correspondre à l’âge de départ, que le projet de loi fixe à 62 ans. Il n’y a pas de choix éclairé, il n’y a que des contraintes et des arbitrages ; les gens devront continuer à travailler pour percevoir la retraite la plus élevée possible. Nous savons très bien que ce qui permet un choix éclairé, ce sont des considérations sonnantes et trébuchantes, c’est-à-dire le montant de la pension. Tout le reste n’est que bavardage.

M. Bastien Lachaud. Que dire ? Ce qui est terrifiant, c’est qu’on ne reçoit pas de réponse. Dans ce pays, 100 milliards partent, chaque année, dans les niches fiscales, et 80 à 100 milliards dans la fraude fiscale. Autrement dit, 180 milliards, au bas mot, échappent à la solidarité nationale. Or, l’introduction de la capitalisation, tout comme l’exonération fiscale sur les plans d’épargne retraite, prévue dans la loi « PACTE », va accroître la part des niches fiscales. Nous souhaitons savoir, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, de quel montant vous allez augmenter les niches fiscales.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour paraphraser un député de La France insoumise : que dire de plus ? Nous avons déjà abondamment discuté du sujet.

Je voudrais répondre à M. Vallaud sur la prise en compte par le Gouvernement des délibérations du conseil d’administration de la CNRU. Si les partenaires sociaux font un choix concernant le montant des cotisations ou un arbitrage quelconque, et que celui-ci est transposé, la loi de financement de la sécurité sociale doit les prendre en compte, autrement dit les intégrer dans ses projections financières. C’est un élément de sincérité budgétaire.

M. Bazin rappelait, à juste titre, que, pour le calcul de leur taux de cotisation, les membres des professions libérales étaient considérés à la fois comme employeurs et employés. Ils présentent, à cet égard, une forte spécificité. Beaucoup d’entre eux ont une rémunération proche du plafond de la sécurité sociale. Le taux de 28 % leur sera appliqué jusqu’à ce plafond ; au-delà, seule la part salariée, à laquelle s’ajoutera la part de solidarité, sera appelée pour tenir compte de la spécificité de ces professions.

Madame Autain, vous avez affirmé qu’on risquait de mettre le doigt dans un engrenage. Je rappelle que nous intégrons dans le système universel un des régimes par capitalisation actuels, lié au régime additionnel de la fonction publique. Il faut arrêter d’agiter des peurs infondées. Le système universel prendra en charge 100 % des personnes ; le plafond de 3 PASS permettra de couvrir 99 % des salariés et 96 % des rémunérations. Par ailleurs, j’observe que le MEDEF, partenaire de gauche s’il en est, a demandé qu’on maintienne le plafond à 8 PASS. Défavorable.

M. Éric Woerth. Monsieur le secrétaire d’État, vous semblez dire que votre réforme aboutit à une sorte d’équilibre structurel du système, ce qui est inexact. Elle est inspirée par la volonté d’équilibrer les comptes sur une période de cinq ans, sans que vous ne nous expliquiez, d’ailleurs, comment vous entendez y parvenir. Les décisions qui seront prises n’auront rien de structurel. Vous modifierez, comme l’ont fait beaucoup de gouvernements lorsqu’ils l’estimaient nécessaire, l’âge de départ – l’âge légal, peut-être, l’âge pivot sans doute –, les taux de cotisation et d’autres paramètres.

Vous courez le risque de privilégier l’augmentation des cotisations. L’article 13, d’une certaine façon, laisse la main, en la matière, au conseil d’administration de la CNRU, dont on ne connaît pas la composition. Cette disposition laisse beaucoup de liberté aux partenaires sociaux – qui privilégieront toujours la hausse des cotisations – dans la fixation des taux jusqu’à 3 PASS.

Enfin, notre système de retraite, qui est issu de la sécurité sociale, repose peu ou prou sur la contrainte. Certains régimes auraient pu être facultatifs, mais on les a rendus obligatoires car on a toujours pensé, en France, que les gens ne seraient pas nécessairement prévoyants pendant vingt, trente ou quarante ans. C’est pourquoi notre régime est protecteur. Quand vous dites que l’âge pivot laissera le choix entre partir à la retraite et continuer à travailler, c’est oublier que les intéressés subiront, le cas échéant, une baisse de leur pension. Cela introduira de la fragilité dans le système.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, tout à l’heure, vous avez dit que vous souhaitiez inciter les Françaises et les Français à travailler un peu plus longtemps sans les y contraindre. Il s’agit, de manière assez claire, de la stratégie de la carotte et du bâton – même si vous agitez plus celui-ci que celle-là. Celles et ceux qui, usés par leur travail, voudront partir à la retraite à un âge raisonnable devront subir une baisse notable de leur pension. C’est pour partie ce que vous recherchez. Faire travailler les gens plus longtemps relève d’une philosophie très discutable. Nous pensons, au contraire, qu’il faut arrêter cette course en avant infernale. Ma question porte sur le lissage du taux de cotisation au fil des ans. Loin de moi l’idée de tenter le Conseil constitutionnel, mais n’y a-t-il pas là une rupture d’égalité entre les générations qui fait courir un risque d’inconstitutionnalité ?

Mme Clémentine Autain. Je reviens à notre amendement de suppression de l’alinéa 4. Monsieur le rapporteur, à l’alinéa 2, le texte dispose que « La cotisation d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et assimilés est assise sur les revenus d’activité qu’ils perçoivent tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations [...] ». Les alinéas 3 et 4 prévoient que « Cette cotisation est assise [...] pour partie dans la limite de trois fois le montant d’un plafond arrêté par le ministre chargé de la sécurité sociale. Le plafond est fixé annuellement en fonction de l’évolution générale des salaires [...]. ». Je ne veux pas relancer le débat d’hier mais vous avez visiblement l’esprit très embrouillé. Faut‑il tenir compte des revenus d’activité ou des salaires ? On ne sait toujours pas quelle est la base de référence. Nous ne savons pas davantage définir le « revenu d’activité », qui ne se rattache à aucune catégorie de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Pourrait-on avoir un éclairage, si vous êtes en mesure de nous l’apporter ?

M. Boris Vallaud. Je voudrais dire un mot de ce qui me paraît être une incongruité, même si vous allez sans doute nous répondre que ce n’est pas le cas. Vous nous avez expliqué que vous alliez inventer un indicateur qui jouerait un rôle central dans la revalorisation de la valeur du point. Cet indicateur devrait agglomérer l’évolution des revenus d’activité de toutes les professions – autrement dit, des salariés, des non-salariés et des fonctionnaires – et serait, selon vous, très cohérent avec l’universalité du système. Vous semblez, en l’occurrence, faire une exception à ce principe. Pourquoi des cotisations d’assurance vieillesse, assises sur des revenus d’activité, sont-elles revalorisées à partir de l’évolution générale des salaires et non de ces mêmes revenus ? Cela renvoie à l’amendement du rapporteur général dont nous avons discuté hier.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement n° 13383 de M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Cet amendement a pour objet de revenir à un plafonnement de 1 PASS, conformément au projet que nous défendons. Nous disons depuis 2010 – nous n’avons donc pas de raison d’affirmer le contraire aujourd’hui – qu’il faut instaurer un système universel et harmoniser un certain nombre de taux de cotisation et de règles. La limite de 3 PASS ne nous paraît pas pertinente. Le plafonnement à 1 PASS permettrait à des régimes complémentaires – je pense par exemple aux professions libérales – d’intégrer les particularités professionnelles et les différences de calcul de la retraite. On peut par exemple faire le choix de payer moins de cotisations et de partir plus tard : cela constitue une forme de liberté. La France, c’est aussi cela, et pas uniquement un jardin à la française où chacun se trouverait placé sous la toise. Dans le cas contraire, comme vous êtes en train de le faire, on crée une multitude de dérogations. À titre d’exemple, vous êtes en train de recréer des niches sociales, alors que, parallèlement, vous essayez, comme nous, de combattre tout ce qui s’apparente à une niche fiscale. Au-delà, il nous semble nécessaire de réfléchir à la création d’un régime complémentaire rassemblant agents publics et salariés du privé, qui serait beaucoup plus clair et cohérent. De manière générale, dans le domaine de la retraite complémentaire, il faut développer la liberté de gestion, sous réserve du respect de quelques règles sociales fondamentales : je pense en particulier aux droits familiaux et aux droits des aidants. L’amendement n° 13383 vise à ramener le plafonnement de 3 à 1 PASS et à laisser la possibilité aux régimes complémentaires de faire leur métier.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cela constituerait à nos yeux, si vous me permettez le mot, une « impasse » pour le système de répartition.

Défavorable.

M. Thibault Bazin. Ce débat de fond, qui a trait à notre pacte social, nous conduit à réfléchir aux règles communes à instituer et à la part de liberté à accorder à chacun. Vous incitez les Français à travailler plus longtemps sans les y contraindre. Cela s’apparente à une fausse liberté, car s’ils partent plus tôt, ils y perdront financièrement. Comme l’a dit Éric Woerth, le système est fait pour les protéger. On a besoin de règles de base, de l’affirmation de droits et de devoirs. Monsieur le secrétaire d’État, vous indiquez que les deux leviers du financement sont l’âge et les cotisations. Si la variable d’ajustement est l’âge, comment la conjuguez-vous avec la hausse possible des cotisations salariales pour tous ? Actuellement, certains régimes, tels les régimes autonomes, peuvent décider de leurs taux de cotisation. Vous allez priver de liberté ces instances, qui assuraient une bonne gestion et étaient gagnantes, et imposer des règles à tous les Français, qui seront perdants.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 12717 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Cet amendement, cosigné par Brahim Hammouche et Philippe Vigier, concerne les plus hautes rémunérations. Il vise à relever le taux de cotisation au-delà de 3 PASS – en le faisant passer de 10 à 20 % du taux qui sera fixé par décret. Cela permettrait de réduire la contribution globale restant due : en dessous de 3 PASS, les cotisations seraient ramenées à 80 % – au lieu de 90 % – du taux précité. Cette mesure de solidarité aurait un effet modeste en termes de coûts puisque, je vous le rappelle, les cotisations sont déductibles. En tout état de cause, la limitation à 3 PASS est un sujet qui doit être débattu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je connais votre engagement social, monsieur Mattei mais, si on ne cotisait qu’à hauteur de 80 %, on limiterait dans la même proportion les droits acquis. Dès lors, 99 % des contribuables percevraient moins de droits. On pourrait peut-être s’inspirer de votre proposition pour travailler à une nouvelle disposition mais, pour l’heure, je vous suggère de retirer l’amendement.

M. Régis Juanico. Je reviens à la question qui avait été posée par Boris Vallaud et Clémentine Autain. L’article prévoit, à l’linéa 2, que « La cotisation d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et assimilés est assise sur les revenus d’activité [...] » et, à l’alinéa 4, que « Le plafond est fixé annuellement en fonction de l’évolution générale des salaires [...] ». Pouvez-nous expliquer cette différence ?

M. Brahim Hammouche. L’amendement soulève aussi la question de la contribution du capital, au côté des revenus du travail. Dans une logique de solidarité – tant intergénérationnelle qu’économique et sociale –, il est essentiel que le capital soit un peu plus mis à contribution qu’il ne l’est actuellement.

M. Pierre Dharréville. Il faudrait un peu de temps pour étudier les effets concrets de l’amendement, qui vise à accroître le taux de cotisation au-delà de 3 PASS et à le réduire en dessous de ce seuil. Si le premier aspect me semble intéressant, le second me pose un problème. Quoi qu’il en soit, cela montre qu’il y a matière à réfléchir et que votre dispositif n’est pas satisfaisant.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à la discussion commune des amendements n° 580 de M. Thibault Bazin et n° 21574 de M. Sébastien Jumel.

M. Thibault Bazin. C’est un amendement essentiel, à nos yeux, qui vise à substituer, à l’alinéa 4, les mots « huit fois » le plafond de la sécurité sociale aux mots « trois fois » le plafond. La limite de 3 PASS serait en effet préjudiciable à la solidarité nationale, du fait d’une perte de cotisations dont on a d’ailleurs du mal à avoir une estimation précise – j’espère qu’on en saura plus d’ici à la séance. De surcroît, elle pénaliserait, à terme, les personnes concernées, qui ne pourraient cotiser et acquérir des points au-delà de ce seuil.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, il n’y a pas que le MEDEF qui demande le rétablissement des 8 PASS – s’il le fait, d’ailleurs, c’est parce qu’il craint une perte de compétitivité et des coûts cachés, et qu’il y voit un risque d’évaporation des cadres supérieurs, qui pourraient se faire recruter ailleurs. L’ensemble des organisations syndicales ont compris qu’avec ce système, on allait aggraver le déficit dès la période de transition. C’est pourquoi nous défendons, sans crainte de nous déporter sur notre droite, un amendement qui vise à rétablir les 8 PASS.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Mme Autain et M. Vallaud m’ont interrogé sur la double référence aux revenus d’activité et à l’évolution générale des salaires. L’alinéa 2 définit l’assiette des cotisations, qui seront calculées à partir d’un revenu d’activité – un salaire, si on est salarié, ou un autre revenu. L’alinéa 4, quant à lui, fait référence à une disposition relative au mode d’évolution du calcul du plafond de la sécurité sociale, qui est conventionnel. Ce sont deux choses différentes.

Pour revenir à l’amendement n° 12717, je précise qu’une part substantielle du futur FSVU sera alimentée par une fraction de la contribution sociale généralisée sur le capital et de la contribution sociale de solidarité des sociétés, qui concerne les grandes entreprises. Peut‑être le législateur jugera-t-il nécessaire de renforcer cet abondement.

S’agissant de l’amendement n° 580, j’avoue avoir du mal à suivre le raisonnement de M. Bazin. Dans un amendement, vous demandez la limitation à 1 PASS et, dans l’amendement suivant, souhaitez la porter à 8 PASS.

Défavorable.

Mme Clémentine Autain. Il ne nous avait pas échappé que, d’un côté, il s’agissait de l’assiette des cotisations et, de l’autre, du mode de calcul du plafond de la sécurité sociale. La question est de savoir pourquoi vous avez changé le mode de calcul des cotisations. Celui‑ci repose, dans le texte, sur le revenu d’activité par tête ; on ne sait toujours pas ce que c’est, mais c’est votre choix – qui diffère, d’ailleurs, des préconisations du rapport Delevoye. Le plafond de sécurité sociale, quant à lui, est fixé en fonction de l’évolution des salaires. On cherche la cohérence d’ensemble. Le fait que vous ayez retenu, au dernier moment, le revenu d’activité par tête – qui ne tient pas debout – donne le sentiment d’une très grande impréparation. Je ne sais pas si la suite du texte – dont on ne pourra pas étudier la fin en commission – est à l’avenant, mais c’est pour le moins étrange.

M. Boris Vallaud. L’argument selon lequel le mode de calcul du plafond de la sécurité sociale relève d’une convention est fragile : vous n’avez pas hésité à changer de convention lorsque vous avez décidé de fonder l’évolution de la valeur de service du point sur un indicateur qui n’existait pas. Peut-être auriez-vous pu vous demander s’il n’aurait pas été plus cohérent d’harmoniser l’ensemble autour de l’indicateur que vous avez créé ? Il aurait été intéressant, à tout le moins, de disposer d’hypothèses et d’en étudier les effets sur la dynamique d’ensemble.

M. Thibault Bazin. M. le rapporteur met en doute la cohérence de notre projet. Pour notre part, nous estimons que le plafonnement à 3 PASS n’est pas pertinent. La limitation actuelle à 8 PASS a beaucoup plus de sens au regard du principe de répartition. Vous allez mettre en danger, pour ne pas dire davantage, les systèmes de retraite complémentaires obligatoires, alors que ceux-ci ont permis à une partie des Français de s’assurer une meilleure retraite. L’avenir de ces régimes est en question. Plutôt que d’instituer un plafonnement à 3 PASS, il aurait mieux valu définir un socle de base – puisque vous tenez à l’universalité – et fixer une limite beaucoup plus élevée. Il faut garantir financièrement la répartition en restant à 8 PASS, ce qui n’empêchera pas d’introduire des modes complémentaires de cotisation pour les très hauts revenus, entre 3 et 8 PASS.

La commission rejette successivement les amendements.

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15.   Réunion du samedi 8 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 13 à l’article 15)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8723514_5e3ebd28d6cf5.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-8-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 3 124 amendements ; il en reste 16 988.

Article 13 (suite) : Cotisations applicables aux salariés et assimilés

La commission est saisie de l’amendement n° 21124 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Comme beaucoup de parlementaires, nous serions demandeurs d’un tableau de financement montrant comment seront compensées les pertes de cotisations pendant la période transitoire. Selon les chiffres de l’AGIRC‑ARRCO, ce régime perdrait 3,8 milliards de cotisations par an dès 2025 et devrait verser jusqu’à 2070 plus de 100 milliards cumulés de prestations sans contrepartie en termes de cotisations.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Résumons une dernière fois : jusqu’à trois fois le montant du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), 100 % des personnes sont concernées ; au-delà de 3 PASS, seulement 1 %. En maintenant le caractère contributif des cotisations au-delà de ce seuil, nous risquerions de mettre en place un système de redistribution inversée.

Votre amendement propose de demander son assistance au Conseil d’État mais cette juridiction a elle-même indiqué qu’il n’était pas pertinent de la solliciter au sujet du changement annuel des taux et des plafonds.

Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, nous n’avons toujours pas la réponse à notre question : quel va être le coût de la nouvelle niche fiscale que constitue le plan épargne retraite (PER), dont l’attractivité va être amplifiée par votre nouveau système de cotisation pour les très hauts revenus ? Comme le souligne Le Figaro aujourd’hui, le plan épargne retraite est un excellent placement, qui s’est envolé depuis sa création : 84 000 PER ont été commercialisés pendant les trois derniers mois de l’année. Les souscripteurs sont, en effet, attirés par l’aubaine que constitue la possibilité de déduire de leur revenu fiscal 100 % de leurs versements.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, ce qui intéresse les Français, c’est de savoir s’ils seront gagnants ou perdants avec ce nouveau système. Tout d’abord, pendant leur vie active : qu’en sera-t-il des cotisations ? Quel poids aura leur augmentation potentielle sur leur pouvoir d’achat ? Ensuite, pendant leur retraite : quelles prestations sont-ils en droit d’attendre ?

Vous nous avez dit viser une réforme plus lisible, mais nous voyons bien que la possibilité d’augmenter à tout moment les cotisations risque de nuire à la prévisibilité. Or les Français ont besoin de garanties ; ils ont à cœur la préservation de leur pouvoir d’achat.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 5184 de M. Bastien Lachaud et n° 5187 de Mme Danièle Obono.

M. Bastien Lachaud. Non seulement les PER permettent à leurs titulaires de déduire 100 % des sommes placées, mais ils offrent les mêmes avantages qu’une assurance vie – abattement, clause bénéficiaire – s’ils sont souscrits auprès d’une compagnie d’assurance. En ce cas, le capital épargné peut être transmis au décès du titulaire, hors succession. Je réitère ma question : à combien évaluez-vous le coût de cette double niche fiscale ?

Mme Danièle Obono. En demandant la suppression de l’alinéa 5, nous souhaitons nous opposer à la remise en cause des règles relatives à l’assiette des cotisations à l’assurance vieillesse. La volonté de prendre en compte la totalité des revenus d’activité pour le calcul de la pension de retraite répond à une logique purement comptable de proportionnalité, qui fera travailler plus longtemps et diminuera les pensions des personnes ayant eu des carrières incomplètes, notamment les femmes. Étrangement, l’effort contributif ne concernera pas les plus hauts revenus, qui s’acquitteront d’une cotisation dite non-contributive de seulement 2,8 % pour les revenus dépassant les 10 000 euros par mois.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Bazin, le conseil d’administration de la future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) sera composé de représentants des employeurs et des salariés. Toute augmentation du taux de cotisation devra être solidement argumentée.

Monsieur Lachaud, madame Obono, nous n’allons pas parler indéfiniment du PER. Favoriser une épargne de long terme était une volonté assumée de notre majorité pour encourager un changement de culture. Les Français épargnent, en effet, beaucoup mais ils sont réticents à financer l’économie. En 2019, ils ont placé 13 milliards d’euros supplémentaires sur le livret A, qui rapporte seulement 0,5 % depuis le 1er février. Certes, les hauts revenus pourront consacrer leurs surplus de capacité financière à l’épargne retraite mais je ne suis pas sûr que pour ceux qui ont 30 ou 40 ans, la retraite constitue une obsession de chaque matin. Ils choisiront sans doute plutôt la consommation, ce qui génèrera de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Avis défavorable aux amendements.

M. Pierre Dharréville. L’incitation à la capitalisation est un encouragement à la financiarisation de l’économie. Avez-vous fait expertiser la possibilité d’assujettir les revenus financiers des sociétés à une contribution d’assurance vieillesse calculée selon un taux égal à la somme des taux qui s’appliquent aux cotisations d’assurance vieillesse patronales et salariales du secteur privé ? Cela permettrait de financer utilement un système vertueux, mutualisé, solidaire pour un droit à la retraite garantie pour toutes et pour tous.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, soyons sérieux ! Pensez-vous réellement qu’une personne gagnant entre 10 000 euros et 27 000 euros va consacrer la totalité de ses revenus à la consommation ? Toutes les études montrent – et c’est ce qui fait de la TVA un impôt particulièrement injuste – qu’à partir d’un certain montant, une partie du revenu est consacré à l’épargne. À cet égard, la défiscalisation de l’épargne retraite constitue un véritable effet d’aubaine. Et quand bien même ces personnes dépensaient tout ce qu’elles gagnent, serait-ce souhaitable à l’heure où nous connaissons une crise écologique majeure ? Est-il bon d’encourager ainsi la surconsommation ?

M. Jean-Paul Mattei. À vous entendre, la déductibilité des sommes placées dans un PER serait totale alors qu’elle est plafonnée, tout comme pour les assurances vie. Il existe bel et bien des règles pour éviter les abus.

Par ailleurs, je ne suis pas certain qu’il y ait un gain d’épargne si important par rapport à l’ancien système où les cotisations s’appliquaient aux revenus allant jusqu’à 8 PASS. Tout cela nécessiterait un calcul macroéconomique.

Mme Cendra Motin. Les PER ne sont pas réservés aux très hauts revenus. Il existe aussi les PER financés par une surcotisation des employeurs à destination d’une catégorie de salariés. Ils remplaceront les « article 83 » qui ont bénéficié, par exemple, aux ouvriers de la métallurgie. Les PER présentent des avantages au moment où les bénéfices de l’entreprise sont redistribués au travers de l’intéressement et de la participation. Depuis plusieurs années ont été ouverts des plans d’épargne retraite collectifs. Ces nouveaux PER entreprise seront abondés par les employeurs en même temps que par les salariés qui placeront des sommes pour améliorer leur retraite. Ajoutons qu’au moment de la sortie du plan d’épargne, les revenus seront fiscalisés.

M. Éric Woerth. Le débat sur la capitalisation est relancé dès qu’on touche un cheveu au système de retraite en place. Au-dessus de 3 PASS, il est certain que la réforme actuelle incite à la capitalisation. Il faudra donc définir correctement les règles fiscales qui s’imposeront et revoir l’ensemble des outils d’épargne retraite. Sinon, il ne manquera pas d’y avoir des décalages et des surprises. La répartition reste la base du système mais, pour autant, la capitalisation n’est pas diabolisée. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose, car beaucoup de Français raisonnent en termes de capitalisation. Beaucoup nous disent qu’ils ont beaucoup cotisé et qu’ils ont droit à une retraite en proportion, ce qui n’est pas la logique de la répartition.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 21827 de M. Julien Aubert et n° 22273 de M. Dominique Da Silva.

M. Thibault Bazin. Avec le nouveau système, la cotisation ne sera plus que de 2,8 % pour la part des rémunérations dépassant 3 PASS. Le premier piège serait de croire que cela constitue un cadeau pour ces hauts revenus. Ce n’est pas le cas. Le deuxième piège serait de croire que cela sera sans incidence sur le principe qui fonde notre système, la répartition, puisque la capitalisation sera encouragée. Pour éviter tout cela, nous proposons d’établir un troisième taux de cotisation pour les hauts niveaux de revenus. Les cotisations qui en découleraient seraient, au même titre que celles du premier taux, prises en compte pour l’acquisition des points.

M. Dominique Da Silva. J’aimerais que le Gouvernement nous fasse la démonstration qu’abaisser jusqu’à supprimer les cotisations au-dessus de 3 PASS, autrement dit pour les salaires de plus de 10 000 euros par mois, sur une période transitoire de vingt ans, suffira à payer les pensions des retraités concernés. Les personnes nées avant 1975, ayant une espérance de vie de l’ordre de 85 ans, bénéficieront de 100 % de leurs droits jusqu’en 2060 et celles qui sont nées après 1975 bénéficieront de manière dégressive d’une partie de leurs droits acquis selon les règles de l’ancien système, ce qui nous amènera environ à 2070. À mon sens, il y aura un besoin de financement supplémentaire et on peut se demander s’il est juste qu’il repose sur l’ensemble des assurés. Je propose d’instaurer une cotisation additionnelle des employeurs qu’aura à définir la CNRU. Nous fixerions un cadre législatif tout en laissant la main aux partenaires sociaux pour rendre plus lisible les paramètres qui financeront ces droits jusqu’à leur extinction.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos deux propositions reviennent à créer des cotisations supplémentaires mais, telles qu’elles sont rédigées, elles ne donneraient pas lieu à de nouveaux droits. En outre, elles constitueraient une forme d’impôt supplémentaire, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. Boris Vallaud. Jusqu’en 2070, la perte de cotisations entraînée par l’abaissement du plafond de 8 à 3 PASS atteindra, au total, 100 milliards, ce qui n’est pas une paille. La conférence de financement doit trouver 12 milliards. Êtes-vous capables de donner une vision d’ensemble du coût de la période de transition ? Quelle est la somme recherchée ?

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, je pense qu’il faut effectivement revoir la rédaction de l’amendement n° 21827. Notre objectif est bien que ce troisième taux de cotisation ouvre de nouveaux droits. Je le retire donc.

M. Dominique Da Silva. Avec le nouveau système, une part des cotisations des hauts revenus n’engendrera pas de droits puisque la dégressivité touche à la fois la part employeur et la part salariale. Je vais retirer mon amendement n° 22273 pour que la cotisation additionnelle que je propose puisse créer des droits.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le secrétaire d’État, pourrait-on faire une nouvelle étude d’impact ? Qu’il s’agisse du coût des pertes de cotisation entraînées par le passage à 3 PASS, des mesures d’exonération patronale que vous multipliez ou des objectifs de la conférence de financement, nous avons du mal à y voir clair. Nous aimerions aussi avoir une idée de l’impact financier de l’application de la révision générale des politiques publiques dans les trois fonctions publiques : quelles conséquences auront les moindres cotisations ? Au total, des milliards sont en jeu. Il y a de quoi flipper.

Comme vous avez décidé de réduire le poids global des retraites dans le produit intérieur brut (PIB), les seules variables d’ajustement seront paramétriques : revoir le niveau des pensions à la baisse ou bien le montant des cotisations à la hausse.

Les amendements sont retirés.

La commission en vient aux amendements identiques n° 5578 de M. Bastien Lachaud, n° 5581 de Mme Danièle Obono et n° 5589 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Nous demandons la suppression de l’alinéa 6 de l’article 13, qui généralise la répartition des cotisations entre l’employeur et les salariés, à raison de 60 % pour l’un et 40 % pour les autres, propre au secteur privé. Cet alignement sera défavorable aux salariés et aux fonctionnaires relevant de régimes où le taux de cotisation des employeurs était beaucoup plus élevé.

Mme Danièle Obono. Lunification – autre mot pour universalité – qui sous-tend votre projet se traduit par une généralisation du moins-disant, un nivellement par le bas. Le système de répartition s’est construit, à l’inverse, par un alignement sur les régimes spécifiques les plus avancés. La logique voudrait que la répartition entre part salariale et part patronale rejoigne celle, plus avantageuse pour les salariés, des régimes spéciaux.

Mme Bénédicte Taurine. Nous nous opposons au principe d’unification des régimes que vous avez retenu. La construction d’un système de sécurité sociale fondé sur la solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle s’est appuyée sur des régimes professionnels. Votre réforme repose sur une convergence vers le bas, qui nie les spécificités professionnelles des régimes et détricote peu à peu les conquis sociaux.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Vallaud, le système sera équilibré sur le long terme. Les retraites des hauts revenus sont une danseuse : elles coûtent très cher. Imaginons que vous achetiez une voiture de luxe dont le prix est trop élevé par rapport à vos revenus ; avant de la revendre, il faudra rembourser l’emprunt que vous avez contracté. Dans la phase de transition, il y aura d’abord un impact en matière de trésorerie, d’environ 150 millions d’euros par an à partir de 2027, si on lisse de manière homogène sur vingt ans – et je ne sais pas de quelle manière le Gouvernement procédera à ce lissage. Toutefois, à terme les droits acquis correspondant aux pensions des hauts revenus diminueront et il y aura, in fine, un gain.

J’en viens aux amendements identiques. Le taux de la cotisation salariale pour les fonctionnaires passera de 11,10 % à 11,25 %. Il n’y aura, pour ainsi dire, pas de changement. Quant à l’État, il n’acquitte pas à proprement parler de cotisations. Il verse directement les pensions. En prenant le rapport entre pensions versées et salaires actuellement payés, on aboutirait, par effet d’optique, à un taux de 70 %. Évidemment, lorsqu’il passera de 70 % à 16 %, l’État fera des économies mais il s’est engagé à abonder la CNRU des sommes correspondantes.

Mme Danièle Obono. L’alinéa 6 aboutira à diminuer le taux de cotisation de l’État. Votre objectif est bien de faire des économies même si on ne voit pas pourquoi l’argent consacré aux retraites serait considéré comme indu, mal utilisé. Le système de répartition perdure, certes, mais il se réduit comme une peau de chagrin avec le nivellement par le bas auquel vous procédez. Vous favorisez un système par capitalisation en vidant le système par répartition de tout principe de solidarité.

M. Boris Vallaud. Nous pensons qu’il y a une autre façon de faire de la redistribution que de supprimer les cotisations retraite des Français les plus riches. Mieux vaut les faire contribuer que de leur rendre 4 à 5 millions par an. Pendant la période de transition, ce ne sont pas eux qui contribueront au retour à l’équilibre mais les 99 % autres. Cela pose un petit problème de justice.

Par ailleurs, je ne comprends pas les pourcentages que vous citez. Ils ne correspondent pas à ceux publiés par l’AGIRC-ARRCO.

M. Éric Woerth. Le débat sur le passage à 3 PASS est assez idéologique. Avez-vous l’intention, monsieur le secrétaire d’État, de procéder de la même manière pour l’assurance maladie ? Même si l’assiette n’est pas la même que pour l’assurance vieillesse, comptez-vous mettre en place un plafond pour les droits à remboursement ? J’aimerais le savoir, car vous êtes en train de toucher certains fondamentaux de la sécurité sociale.

Par ailleurs, nous regrettons de ne pas avoir plus d’informations sur le régime de transition. Durant cette phase, les cotisations au-dessus de 3 PASS seront-elles contributives ? Ouvriront-elles des droits avec la même valeur d’achat de point que pour tout le monde ?

M. Olivier Véran. Le débat que nous avons est vieux de soixante-quinze ans. Depuis 1930, il existait des systèmes d’assurances sociales disparates qui fonctionnaient sur le mode de la capitalisation. L’ordonnance du 4 octobre 1945 a rendu obligatoire l’assurance vieillesse par répartition. Il est intéressant de souligner que trois catégories de population se sont opposées alors au nouveau système : les bénéficiaires de régimes spéciaux antérieurs, qu’ils jugeaient plus avantageux ; le monde agricole, géré par la Mutualité sociale agricole (MSA) ; les professions libérales qui, par contestation, créeront leur propre régime, dit régime autonome.

L’ordonnance de 1945 a aussi institué le fameux PASS, plafond au-delà duquel il était convenu que les Français ne pouvaient plus cotiser pour leur retraite et devaient se débrouiller. C’est pour permettre aux cadres de percevoir une retraite à la hauteur de leurs revenus qu’allaient être créées trois ans plus tard l’AGIRC et quinze ans plus tard l’ARRCO.

Désormais, cette limite au-delà de laquelle les cotisations à l’assurance vieillesse ne sont pas assorties de droits à la retraite est égale à 3 PASS institué en 1945, alors que la retraite par capitalisation était fortement combattue. 3 PASS, c’est aussi l’assiette maximale pour le calcul des cotisations à l’assurance chômage. Le PASS sert, par ailleurs, à déterminer la part du salaire soumise à cotisation pour la retraite complémentaire à l’AGIRC-ARRCO. En outre, c’est dans la limite de 3 PASS que sont calculées les indemnités journalières, notamment dans le cadre des congés pour maternité.

En 1945, c’était vous qui étiez en train d’essayer d’expliquer aux Français ce que nous essayons de leur expliquer aujourd’hui. Nous nous situons donc dans cette continuité.

M. Sébastien Jumel. Je veux bien que Véran se prenne pour Croizat et qu’il s’approprie l’esprit de la Résistance, mais comparaison n’est pas raison.

M. Olivier Véran. Il y avait aussi les gaullistes !

M. Sébastien Jumel. Oui, et tous ceux qui n’ont pas collaboré. La Résistance, c’est la sève de notre engagement. Les régimes spéciaux – qui sont au nombre de dix et non pas de quarante-deux – ont été préservés par les ordonnances de 1945. Un régime spécial supplémentaire a même été créé, celui des électriciens-gaziers, que vous vous apprêtez à flinguer.

Faire l’amalgame entre ceux qui aujourd’hui s’opposent à votre projet de réforme et ceux qui s’opposaient à l’instauration du régime général en 1945 est un anachronisme inacceptable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. En examinant les amendements, j’ai cru comprendre, dans un premier temps, qu’ils visaient la suppression de la répartition des cotisations entre employeurs et salariés à 60/40. Les débats m’ont montré que tel n’était pas le cas. Tous ceux qui défendent le paritarisme sont, je le pense, favorables à ce que ce partage perdure.

Beaucoup de questions ont porté sur l’évolution des cotisations. Selon le scénario de transition sur vingt ans, qui n’est encore qu’une hypothèse puisqu’il n’a pas encore été arbitré, le bilan financier des cotisations pour les salariés du privé, les contractuels du public et les salariés agricoles serait le suivant : il serait neutre en 2025, les cotisations progresseraient de 100 millions en 2027, de 300 millions en 2030 et en 2040 d’1 milliard. Il n’y a donc pas de perte de cotisations avec le passage de 8 PASS à 3 PASS.

Nous insistons sur le fait qu’il importe de redistribuer vers les plus modestes, comme cela a pu être rappelé dans les débats. Choisir de maintenir les cotisations contributives au‑delà de 3 PASS n’a pas d’effet distributif vers les plus modestes mais plutôt vers les plus favorisés, compte tenu de l’espérance de vie très favorable des hauts revenus. De brillants économistes l’ont montré dès 2008.

Quant aux partenaires sociaux, ce n’est pas nous qui leur demandons de trouver des économies, ce sont eux qui souhaitent prendre leurs responsabilités afin de combler le déficit, ce qui est tout à leur honneur. Rappelons que, selon l’hypothèse du Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit s’élève à 12 milliards en 2027 mais il n’est pas à zéro ni en 2026, ni en 2025, ni en 2024, ni en 2023, ni les années précédentes. Il importe de raison garder. Quand on compare des agrégats, il faut le faire jusqu’au bout. Notre système de retraite est en difficulté financière durable et l’objectif du Gouvernement, fort du compromis avec les partenaires sociaux, est de trouver les conditions de l’équilibre du nouveau système universel.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21125 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Le secrétaire d’État nous dit que le Gouvernement veut inciter les Français à travailler un peu plus longtemps sans les y contraindre. Il pourrait dire, de la même façon, qu’il veut inciter les Français à recourir davantage aux plans d’épargne retraite et à la capitalisation sans les y contraindre. Ils seront, en effet, très fortement incités à le faire, et pas seulement les cadres touchant de très hauts revenus qui ne cotiseront plus au-delà de 3 PASS. On voit là la très grande cohérence qui existe entre, d’un côté, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, et, de l’autre côté, votre réforme des retraites. La perspective pour les Français est une baisse des pensions, qui ne leur permettra pas de maintenir un niveau de vie satisfaisant et qui les poussera à rechercher un complément en dehors du régime d’assurance vieillesse public. C’est là qu’intervient l’épargne retraite. Mais comme les sommes consacrées à la capitalisation seront à la fois défiscalisées et désocialisées, c’est en milliards que se chiffrera la perte de ressources, véritable cercle vicieux pour les finances publiques.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je m’en tiendrai à l’objet de votre amendement, qui visait à ajouter les mots « en Conseil d’État ».

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Puisqu’il est question du Conseil d’État, je rappelle que celui-ci a signalé plusieurs trous dans votre projet de loi. Or il importe que nous sachions quel sort attend les retraités demain. Si j’ai bien compris, pendant la période de transition, les personnes dont les revenus sont compris entre 3 et 8 PASS continueront de payer des cotisations sur la part de leurs revenus supérieure à 3 PASS. Ces cotisations leur ouvriront-elles des droits ?

M. le secrétaire d’État. Oui.

M. Thibault Bazin. Très bien. Vous avez estimé tout à l’heure que ces cotisations compenseront en partie les pensions des Français gagnant plus de 3 PASS qui sont déjà partis à la retraite. Nous souhaiterions, d’ici à la séance, avoir un tableau global reprenant l’ensemble des hypothèses que vous avez énoncées oralement, et mettant en regard les recettes liées aux cotisations et les coûts liés aux pensions. Nous pourrons ainsi nous assurer de l’équilibre du système et veiller à ce qu’il n’y ait pas de perdant.

Mme Danièle Obono. Le Conseil d’État, je le rappelle, a fait des remarques assez dures sur votre étude d’impact et sur vos calculs. Vous êtes obsédés par l’équilibre financier, alors même que les projections du COR ne font pas craindre le péril imminent que vous annoncez. Or ce sont vos politiques, notamment celle qui a consisté à réduire le nombre de fonctionnaires, et donc à se priver de leurs cotisations, qui ont contribué à déséquilibrer le système. Et votre politique d’exonération des cotisations va encore amplifier ce déséquilibre. Lorsqu’on vous dit que vous allez perdre 70 à 100 milliards de cotisations, vous répondez que ce n’est pas un problème et que vous allez trouver une solution. Ne trouvez‑vous pas ces exonérations contradictoires avec le prétexte de l’équilibre financier que vous prenez pour remettre en cause la solidarité ?

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5595 de M. Bastien Lachaud, n° 5598 de Mme Danièle Obono et n° 6556 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Monsieur Véran, la comparaison que vous avez faite entre la situation de 2020 et celle de 1945 ne tient pas. En 1945, la part des revenus qui dépassait le plafond de la sécurité sociale n’était pas défiscalisée, comme c’est le cas aujourd’hui avec le PER. L’argent qui entrait dans les finances de l’État en 1945 va désormais passer dans une niche fiscale. Ce qui entrait dans la solidarité nationale n’y entre plus aujourd’hui. Votre comparaison n’a donc aucun sens.

Mme Danièle Obono. Vous essayez de bricoler une justification pour nous vendre votre réforme, mais la ficelle est trop grosse. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 7 qui prévoit que, par dérogation au précédent alinéa, l’État peut fixer des taux différents ainsi qu’une répartition différente entre employeurs et salariés. Or l’expérience nous montre que les dérogations servent rarement à aller vers le mieux-disant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pour revenir à la question de la transition de 8 à 3 PASS, je veux souligner qu’en mutualisant les caisses, on garantit les cotisations des professions qui n’existeront plus demain. Dans le monde agricole, par exemple, il n’y a pas assez d’agriculteurs actifs pour payer les pensions des retraités. C’est la même chose à la SNCF, où il y a beaucoup moins d’actifs que par le passé. La phase de transition, par définition, est une phase qui permet d’assumer les engagements pris par les majorités précédentes ou dans des contextes différents.

Madame Obono, nous n’avons pas pour seul objectif l’équilibre financier, mais l’équilibre financier est la condition nécessaire à la création d’un système plus lisible, plus équitable et plus solidaire.

Avis défavorable aux amendements.

Mme Danièle Obono. Je ne doute pas de votre bonne foi, monsieur le rapporteur, mais vous avez complètement raté votre objectif en matière de lisibilité. Depuis le début, non seulement de cette commission spéciale, mais du débat public sur votre réforme, le flou s’épaissit à mesure même que vous essayez de répondre aux questions que tout le monde se pose – jusqu’au Conseil d’État.

Quant à la solidarité, quand vous imposez aux salariés qui travaillent dans les secteurs les plus pénibles de renoncer à leurs spécificités et de travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive, vous remettez en cause ce que le système actuel avait de solidaire et vous assumez de favoriser la capitalisation, qui n’est ni équitable, ni solidaire.

Je ne doute pas de vos bonnes intentions, mais vous êtes complètement à contresens.

M. Éric Woerth. Au sujet de ceux qui vont continuer à payer des cotisations au-delà de 3 PASS durant la fameuse phase de transition, vous avez dit que ces cotisations leur ouvriront des droits à la retraite. Confirmez-vous qu’ils achèteront leurs points au même prix que les paieront ceux dont les revenus sont en dessous de 3 PASS ?

M. le secrétaire d’État. Oui.

M. Éric Woerth. Indépendamment de l’impact que cette mesure aura sur l’impôt sur le revenu et dans d’autres domaines, êtes-vous bien sûrs que le régime universel va y gagner au regard de la solidarité dont vous parlez sans cesse ? Êtes-vous bien sûrs que la balance entre les cotisations et les pensions versées aux personnes ayant des salaires compris entre 3 et 8 PASS soit déficitaire ? Je doute que vous ayez les chiffres des pensions actuellement versées au-delà de 3 PASS.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21575 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous refusons de limiter le débat sur les retraites à la seule question de l’allongement de la durée de cotisation, car jouer sur la variable de l’âge nous paraît profondément injuste. Le président du MEDEF, quand nous l’avons auditionné, nous a pourtant bien fait comprendre que c’était la seule variable qu’il envisageait de prendre en compte. Il a certes parlé d’un cocktail de mesures, mais nous avons vite compris qu’il y avait un seul ingrédient dans son cocktail – ce doit être assez dégueulasse, comme cocktail.

Je vous propose donc d’ajouter une deuxième liqueur dans ce cocktail, qui pourrait être le taux de cotisation – 1 point de plus, c’est 9 milliards –, ou l’assiette, dans laquelle Pierre Dharréville a envisagé la possibilité d’inclure les revenus financiers. Il ne faut pas mettre à contribution les seuls salariés pour financer votre mauvaise réforme, mais réfléchir à d’autres paramètres.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

Pour répondre à votre question, monsieur Woerth, le point sera effectivement au même prix au-delà de 3 PASS.

M. Sébastien Jumel. Votre réponse est un peu courte, monsieur le rapporteur. Vous refusez, sans aucune explication, d’ouvrir un débat sur les autres paramètres qui pourraient financer les retraites. Vous refusez d’envisager une autre solution que l’âge : tâchons de mourir tôt pour être épargnés par votre réforme ! Y a-t-il, au-delà de votre refus idéologique, une raison technique qui m’échappe ?

Mme Danièle Obono. Je trouve aussi que votre réponse est un peu courte. Pourquoi refusez-vous d’envisager d’assurer l’équilibre financier du système par l’assiette ou le taux ? Vous nous présentez un projet de loi qui, de notre point de vue, remet en cause tous les fondements de notre système. Et lorsque nous faisons des propositions, vous ne nous donnez aucune réponse. À croire que les parlementaires n’ont aucune contribution à faire sur le sujet !

M. Jean-Paul Mattei. Notre pays souffre des charges qui pèsent sur le coût du travail et, avec cet amendement, vous proposez de les augmenter encore. Pour payer ces rémunérations, il faut que l’entreprise dégage une marge brute. Qu’il y ait un débat sur la taxation du capital, je l’entends, mais je ne pense pas qu’il faille encore augmenter les charges.

M. Sébastien Jumel. Ce sont des cotisations, pas des charges !

M. Jean-Paul Mattei. Vous avez raison de me reprendre : ce sont des cotisations, c’est-à-dire l’achat différé d’un droit à des prestations. Quand je dis « charge », ce n’est pas un jugement de valeur, mais une notion comptable. Ce qui arrive dans la poche du salarié, c’est le net, mais l’entreprise paye tout le reste – ce qui est tout à fait logique. Je ne suis pas opposé à ce que nous ayons un débat sur les moyens de trouver d’autres sources de profit, mais je ne pense vraiment pas qu’il faille augmenter encore le coût du travail. Il est déjà suffisamment élevé en France pour ne pas en rajouter une couche.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 21619 de M. Sébastien Jumel et n° 21620 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Je remercie M. Mattei de reconnaître que les cotisations ne sont pas des charges – la question n’est pas que sémantique, elle est fondamentale.

L’amendement que vous venez de repousser sans aucune explication, monsieur le rapporteur, ne proposait pas d’augmenter les taux de cotisation dans l’absolu, il veillait – ce qui n’est pas la même chose – à ce qu’on ne se prive pas de la possibilité d’utiliser ce levier pour financer les retraites sans que la compétitivité du travail en pâtisse forcément. Par ailleurs, il ne nous a pas échappé que vos mesures multiplient les exonérations de cotisations, qui creusent aussi le déficit. Enfin, je trouve assez amusant que ceux qui ont voulu augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités nous donnent aujourd’hui des leçons sur la mise à contribution des Français.

M. Pierre Dharréville. À la première phrase de l’alinéa 7, nous proposons de substituer au mot « universel » le mot « inéquitable ».

On vous entend bien souvent vanter la valeur travail, mais cela ne vous empêche pas de critiquer le prétendu coût du travail, qui n’est pas toujours rémunéré à sa juste valeur. M. Mattei nous explique que ce sont les entreprises qui paient les cotisations, mais les cotisations sont une part du salaire. Il ne faut pas inverser les choses !

Lorsque vous diminuez les cotisations, que vous vous attaquez au coût du travail, vous diminuez les droits. Et la promesse que vous faites en refusant la possibilité de recourir à une augmentation des cotisations, c’est une réduction du droit à la retraite. Pourtant, une telle augmentation est l’un des leviers que les organisations syndicales envisagent – ce n’est pas le seul et c’est sans doute le dernier. Votre volonté de baisser la part des richesses consacrées aux retraites trouve ici une nouvelle illustration.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cela faisait longtemps, monsieur Dharréville, que vous n’aviez pas proposé de substituer au mot « universel » le mot « inéquitable » !

Dans l’alinéa 7, on ne présage rien, on laisse aux partenaires sociaux la liberté de faire évoluer les taux de cotisation, s’ils pensent que c’est nécessaire : cela peut se faire à la baisse, mais aussi à la hausse. Nous ne voulons rien figer et nous nous en remettons au rapport de force équilibré qui existe entre les employeurs et les salariés. En tant qu’employeur, je me souviens qu’il a pu arriver que des taux de cotisations sociales n’augmentent que pour les employeurs, parce qu’il y avait eu un accord. Le texte, dans sa rédaction actuelle, permet une évolution dans un sens comme dans l’autre, ou la stabilité.

M. Pierre Dharréville. M. Mattei a dit que le coût du travail était très élevé dans notre pays. Je veux tout de même rappeler que les mesures successives que vous avez prises depuis 2017 ont considérablement pesé sur la rémunération du travail. Aujourd’hui, on a 66 milliards d’exonérations par an : c’est considérable.

Mme Danièle Obono. Les mots sont révélateurs. Notre collègue Jean-Paul Mattei a expliqué que le terme de « charge » n’avait pas pour lui une valeur péjorative mais qu’il s’agissait seulement d’une notion comptable. De fait, c’est bien une logique comptable qui sous-tend votre texte, avec la règle d’or. Dès lors, il est logique que vous parliez de charge et de coût. Il faut plutôt parler du prix du travail. Ce prix, ce sont les salariés qui le paient, et notre collègue Pierre Dharréville a justement rappelé que les cotisations, c’est du salaire. Et le salaire, c’est le partage de la richesse produite par le travail des salariés. Dans cette logique, la répartition de la richesse produite devient une des variables. Nous pensons qu’il faut en faire profiter celles et ceux qui produisent la richesse, c’est-à-dire les salariés. Et si vous voulez parler de coût, les dividendes nous coûtent bien trop cher. C’est le travail qui devrait être vraiment très cher, parce qu’il coûte d’abord aux personnes qui le font. Changeons de logique !

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement n° 21126 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. À qui profite le hold‑up financier qui consiste à abaisser de 8 PASS à 3 le plafond de cotisation ? Surtout aux grandes entreprises, qui économiseront 60 % des cotisations de retraite patronales, soit 40 milliards d’euros d’ici à 2040. Et, parmi ces grandes entreprises, il profite surtout à celles qui rémunèrent les cadres au-dessus de 10 000 euros par mois : les banques, les assurances ou encore les clubs de football – je vous renvoie à l’enquête parue hier dans L’Équipe sur la rémunération des footballeurs en Ligue 1. Les 40 % de cotisations salariales, quant à elles, iront alimenter les fonds de pension et l’épargne retraite, au détriment des finances publiques. Je rappelle que Bruno Le Maire souhaite que 80 milliards d’euros supplémentaires aillent, d’ici à deux ans, à l’épargne retraite. Combien cette mesure va-t-elle rapporter aux entreprises du CAC40, sachant que ces sommes sont à la fois défiscalisées et désocialisées, avec la baisse des cotisations, et donc une baisse d’impôt ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous propose un jeu : je vais désormais écouter les amendements les yeux fermés et je devrai deviner quel groupe les a déposés, selon qu’ils visent à remplacer « universel » par « inéquitable », à introduire un décret en Conseil d’État ou à supprimer un alinéa. Ce ne sera pas très difficile, mais j’y serai toujours défavorable.

M. Sébastien Jumel. Le débat progresse, puisque le rapporteur vient de nous dire, pour la première fois, qu’il avance sur cette réforme les yeux fermés ! C’est bien ce qu’on lui reproche depuis le début du débat ! La majorité, devant le président Le Gendre, qui n’est pas plus loquace que ses collègues, nous dit qu’elle avance les yeux fermés. Ça valait le coup d’être là un samedi après-midi pour l’entendre !

M. Patrick Mignola. En tout cas, que le rapporteur a les oreilles et la voix bien ouvertes pour vous entendre et vous répondre depuis quatre jours.

M. Juanico a évoqué les clubs de football, mais je pense que le salaire de Kylian Mbappé est très supérieur à 8 PASS. L’article de L’Équipe illustre bien l’amalgame qui est fait entre cotisations patronales et cotisations salariales. Contrairement à la distinction que faisait tout à l’heure Mme Obono entre les dividendes et les salaires, qui me paraît tout à fait pertinente, le débat sur les cotisations salariales et patronales est circulaire et n’a rien à voir avec le pouvoir d’achat des salariés.

M. Éric Woerth. Votre choix de fixer un plafond à 3 PASS et d’écraser les régimes autonomes, qui auraient pu perdurer au sein d’un système général, reste assez mystérieux pour moi. Vous dites qu’à terme, le bilan financier de cette affaire, entre la perte de cotisations et le versement des pensions, sera profitable au système. Mais vous ne le prouvez pas.

Par ailleurs, quand on examine le graphique 63 de l’étude d’impact, on s’aperçoit que votre réforme n’aura que très peu d’effets financiers – tout juste quelques dixièmes de points de PIB. On a le sentiment que cette réforme, sur le plan financier, n’offre aucune garantie structurelle d’économies. Avec ou sans réforme, la situation reste assez semblable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6562 de M. Bastien Lachaud, n° 6565 de Mme Danièle Obono et n° 6573 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Notre collègue Cendra Motin a souligné que le PER n’était pas réservé aux riches et qu’il était ouvert à tous. Voilà une remarque intéressante ! La vérité, c’est que la baisse généralisée des pensions, organisée par cette réforme, va pousser tout le monde vers ces outils de capitalisation, les plus riches pouvant mettre de côté plusieurs SMIC par mois, les autres beaucoup. Ainsi le principe de la capitalisation pour les retraites complémentaires sera-t-il acté pour tout le monde. Le problème, c’est que ce système par capitalisation peut s’avérer très dangereux : en cas de krach boursier ou de mauvaise gestion, tous les investissements disparaîtront. C’est ainsi que les métallurgistes de Cleveland ont vu leur pension baisser de 20 % à 60 % pour éviter la faillite du fonds de pension dont ils dépendaient.

Mme Danièle Obono. Depuis qu’on a levé le lièvre BlackRock, on a vu tourner la vidéo d’une représentante de ce fonds de gestion d’actifs qui se félicitait que les classes moyennes, notamment les enseignants, aient une part de leur retraite dans des fonds de pension. Ce sont celles et ceux à qui il ne reste déjà presque plus rien qui vont tout perdre si une crise financière se produit.

Mme Bénédicte Taurine. En demandant la suppression de l’alinéa 8, nous réaffirmons notre opposition à l’abaissement du plafond de cotisation de 324 000 à 120 000 euros annuels. Comme nous l’avons déjà dit, cette mesure va conduire à ce que les hauts salaires cessent de participer à l’effort collectif, ce qui n’est pas concevable pour nous.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Dans les rangs de la majorité, j’ai entendu certains collègues dire que si l’argent du livret A est réorienté vers ces fonds, ce sera déjà une première étape. Pouvez-vous me dire si c’est un objectif que vous vous êtes fixé ? Si tel est le cas, je comprends mieux pourquoi le livret A a été amputé aussi radicalement.

La secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, Mme Agnès Pannier-Runacher, a bien résumé la situation : vous voulez que les fonds de capitalisation se multiplient comme les Smarties – et les Smarties c’est dégueulasse. Votre projet, c’est bien de multiplier les Smarties, ou les petits pains capitalisés, pour ceux qui en ont les moyens.

Mme Célia de Lavergne. Monsieur Lachaud, nous sommes en train de créer une « sécu des retraites », un système 100 % public qui concerne tous les revenus d’activité, avec un système de cotisation obligatoire. Ce faisant, nous créons les conditions de la confiance et vous devriez y être sensible. Quoi de mieux qu’un système public pour avoir une pension garantie ?

M. Éric Woerth. Nous l’avons déjà !

Mme Célia de Lavergne. Les pays où BlackRock a pu entraîner des dérives sont ceux où il n’existe pas de modèle de protection sociale. Nous, nous créons un système public dont le pilotage sera confié aux partenaires sociaux. Croyez-vous vraiment que les partenaires sociaux veulent des baisses de pensions ? Moi, je ne le crois pas. Ils ont montré, avec l’AGIRC-ARRCO, qu’ils étaient capables de piloter le système et ils le feront très bien, à l’avenir, dans la CNRU.

M. Bastien Lachaud. Ce débat est surréaliste ! Vous nous expliquez que vous inventez quelque chose qui a déjà été inventé en 1945 : cela s’appelait la sécurité sociale qui donnait, elle, une vraie sécurité, puisqu’en cotisant, on savait ce qu’on aurait à la fin. Demain, avec votre système, on ne saura pas ce que l’on cotise, puisqu’on ne connaît toujours pas l’indicateur sur lequel la valeur du point et le prix du point seront calculés. Et on sait encore moins ce que l’on touchera. La seule chose que l’on sache, c’est qu’avec le plafonnement à 13 % du PIB de la somme de richesse qui doit servir à financer les retraites et l’augmentation du nombre de retraités, les pensions vont baisser. Avez-vous vraiment lu le programme ?

M. Thibault Bazin. J’avoue ne pas comprendre l’argumentaire qui vient d’être fait pour nous vendre le système dit universel – mais qui ne l’est pas – des retraites. La meilleure sécurité des retraites, c’est un système équilibré financièrement. Or on ne sait pas comment il sera financé. Vous dites que vous créez les conditions de la confiance mais, je ne suis pas certain que les Français aient confiance dans votre nouveau système. Les régimes autonomes, eux, ont confiance dans leur propre système, qui est bien géré.

Le système public ne garantit rien. Un système à points ne garantit rien non plus, puisque tout dépendra de la valeur de service du point et que vous ne nous donnez aucune réponse claire à ce sujet. Vous vantez le pilotage des partenaires sociaux, mais quand on lit précisément votre texte, on comprend qu’à tout moment, le Gouvernement – c’est-à-dire Bercy – pourra, par décret, prendre des arbitrages pour équilibrer le système. Nous allons passer d’un paritarisme de gestion à un paritarisme de caution. Ce n’est plus la même chose.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 6791 de M. Bastien Lachaud, n° 6794 de Mme Danièle Obono et n° 6802 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Poursuivons le débat sur la capitalisation. Après les métallurgistes de Cleveland qui ont perdu 20 à 60 % de leur pension pour éviter la faillite de leur fonds de pension, prenons l’exemple, plus près de nous, des Pays‑Bas, où le système de retraite repose sur la capitalisation. Le pays fait face aujourd’hui à une crise majeure, du fait d’une forte augmentation du nombre de retraités et des répercussions de l’investissement massif de la Banque centrale européenne dans les banques et les fonds de pension après la crise de 2008. Avec cet argent gratuit, les banques et les fonds de pension ont cessé de vivre sur leur fonctionnement traditionnel et la longévité de leur portefeuille est devenue inférieure à leurs engagements. Les fonds de pension néerlandais étaient investis dans les dettes des États, ce qui est devenu moins rentable. Les taux sur les dettes des États sont aujourd’hui négatifs : il y a donc une perte d’argent.

Mme Danièle Obono. Pour justifier votre réforme, vous dites qu’il est anormal que les personnes qui ont des revenus très importants continuent à avoir des retours sur cotisation. Vous estimez que certains salariés n’ont aucun intérêt à continuer à participer au système dans son ensemble, mais vous êtes incapables de dire comment vous comptez corriger le déséquilibre financier que vous allez vous-mêmes créer en introduisant une exonération. Surtout, vous entamez le principe même de la solidarité. L’abaissement du plafond pose donc un problème à la fois financier et idéologique.

Mme Bénédicte Taurine. Nous demandons de substituer au mot « trois » le mot « huit ». Au moment de la création de notre système de sécurité sociale nationale, Ambroise Croizat disait : « Cotiser selon ses moyens, recevoir selon ses besoins. » La retraite devrait assumer une visée redistributive et ne pas reproduire à l’identique les inégalités salariales.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Lachaud, cela fait cinq jours que j’essaie de répondre avec précision à toutes les questions qui me sont posées. Je trouve donc assez désagréable que vous arriviez au milieu du débat et que vous reposiez ces mêmes questions.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Vous nous présentez le régime de l’AGIRC-ARRCO comme un modèle. Ce régime a certes permis de compléter les retraites d’un certain nombre de salariés dans notre pays, mais il n’empêche qu’entre 1983 et 2018, le rendement du point de l’AGIRC-ARRCO a baissé de 40 % environ. Et, d’après des projections réalisées en septembre 2019 par la commission technique et financière de la caisse, il devrait baisser de 26,99 % d’ici à 2033. Je dis cela car ce n’est pas par plaisir que nous vous interrogeons sur le taux de rendement. Nous avons besoin d’engagements précis sur cette question. Vous dites que le point ne baissera pas, soit, mais qu’en sera-t-il du rendement ?

M. Lionel Causse. Vous faites justement référence à Ambroise Croizat et vous rappelez sa célèbre formule : « Cotiser selon ses moyens, recevoir selon ses besoins. » J’aimerais évoquer la situation de deux personnes, deux femmes d’un certain âge, qui sont venues récemment à ma permanence. La première a perdu son mari au mois de septembre et, cinq mois après, elle ne touche toujours pas de pension de réversion. Le montant de cette pension est extrêmement difficile à calculer parce que son mari a été successivement ouvrier agricole, travailleur indépendant et salarié. La seconde a 600 euros de pension de réversion et un loyer de 500 euros qu’elle ne peut plus payer. Elle est venue me voir pour que je l’aide à trouver un logement social. Il est bel et bien urgent de réparer notre système pour mettre fin à de telles injustices. Il faut que les mots d’Ambroise Croizat deviennent une réalité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Mme Danièle Obono. Citer Ambroise Croizat et s’en revendiquer chacun de son côté n’empêche pas d’être d’accord sur un constat. Le problème, c’est que nous ne pensons pas que votre réforme va améliorer le système actuel et corriger ses insuffisances. Le système a certes permis de réduire drastiquement la pauvreté des seniors, mais elle persiste. Les « gilets jaunes » retraités qui étaient sur les ronds-points ont assez expliqué qu’ils n’avaient souvent pas les moyens de se nourrir. Ce sont des situations insupportables !

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, si nous vous posons les mêmes questions depuis plusieurs jours, c’est parce que vos réponses, quand vous nous en faites, ne font que confirmer nos craintes. Voilà pourquoi nous continuerons à les poser demain.

M. Éric Woerth. J’ai déjà indiqué que la réforme ne changera pas grand-chose sur le plan financier. Rien, dans votre projet, ne garantit l’équilibre structurel du système, contrairement à ce que disait tout à l’heure une collègue de la majorité – qui ne faisait, en réalité, que décrire ce qu’est la sécurité sociale aujourd’hui. Pour équilibrer le système, il va falloir faire bouger des variables, comme on le fait déjà aujourd’hui. La différence, c’est qu’au lieu de toucher au nombre de trimestres ou au niveau des cotisations, on va désormais modifier la valeur du point ou sa revalorisation, en décalant les échelles entre valeur d’acquisition et valeur de service du point. On ne touche pas à l’âge légal parce que le Président de la République a dit qu’il ne fallait pas y toucher – sauf à ce que, sur la période, l’un de ses cinq ou six successeurs en décide autrement –, mais on touche à l’âge pivot, que le Conseil d’État a, d’ailleurs, déjà fait passer de 64 à 65 ans. Enfin, on se laisse la liberté d’augmenter les cotisations, et ce n’est même plus l’État qui le décidera, mais la caisse elle‑même. La clef du débat, c’est donc bien l’évolution des paramètres.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22126 M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Les femmes seront les grandes oubliées du système de retraite par points. Six cas-types présentés pour les salariés du privé correspondent à des trajectoires typiquement masculines : cinq carrières complètes et une carrière heurtée caractérisée par un chômage de longue durée à partir de 42 ans. Aucun de ces six cas-types ne traite d’une femme avec enfant. Mathilde Larivière, maître de conférences du Conservatoire national des arts et métiers, a fait la démonstration que la retraite par points serait préjudiciable aux femmes. Vous haussez les sourcils : démontrez-nous le contraire ! Le présent amendement vise à substituer les trimestres aux points, pour vous forcer à répondre à ces questions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je renouvelle mon attachement à la lisibilité du système par points. Je maintiens qu’il faut aujourd’hui des... « Jumel » pour comprendre le système actuel, tellement il est compliqué !

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Nous aurions besoin d’un télescope pour voir où vous voulez nous emmener ! Les grandes oubliées, ce sont les mères, qui sont effectivement complètement absentes de vos préoccupations. Il y a un vrai loup sur la conversion dans le système à points des assurances de trimestres, que vous convertissez en pourcentage de points. Or, dans une loi, il y a toujours un phénomène incitatif ou dissuasif, et ce système inciterait des mères à ne jamais s’arrêter pour s’occuper des enfants. Le rapport à la retraite et aux enfants changerait complètement, or nous tenons absolument à préserver ces droits familiaux. En l’état, votre projet n’apporte aucune garantie sur ce point.

Mme Danièle Obono. Vous complexifiez le problème en prétendant unifier le système. En fait, vous allez créer des millions de spécificités, en fonction de l’individu, de sa carrière, etc. Les justifications que vous avancez ne correspondent pas à la réalité ; même la ministre du travail a eu du mal à expliquer ce système par points ! Le système actuel nécessite d’être amélioré et simplifié, même si la complexité est normale. Non seulement vous ne simplifiez rien, mais vous rendez la vie encore plus difficile aux plus vulnérables.

Mme Corinne Vignon. Je suis ravie que tout le monde s’inquiète du sort des femmes : c’est notre préoccupation première et je vous invite à lire le titre III, qui ne traite quasiment que de cela. Notre projet de loi favorise les femmes : celles qui partaient à 67 ans pour annuler la décote partiront plus tôt ; elles auront une majoration de 5 % dès le premier enfant, ce qui n’est pas le cas actuellement ; des points leur seraient attribués en cas de chômage ou de maladie.

M. Sébastien Jumel. Antoine Bozio, qui a inspiré le Président de la République, dit que les simulateurs et les cas types présentés dans l’étude d’impact sont d’une utilité « proche de zéro » – manière polie de dire qu’on n’y voit rien ! Les femmes seront les premières victimes de votre retraite par points.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 21621 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Dans le système actuel, il est parfois difficile de faire valoir de véritables droits à la retraite, par exemple pour les agriculteurs. Nous avons donc cherché à les corriger à plusieurs reprises en déposant des propositions de loi. Le droit à la retraite a été abîmé et mérite de progresser dans notre pays. Mais le système que vous proposez sera-t-il plus efficace ? Nous avons fait la démonstration que ce n’est pas le cas.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons fait le constat que certaines choses ne fonctionnaient pas dans le système actuel : alors travaillons sur les outils !

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Le système actuel est tout de même porteur d’avancées sociales dont nous pouvons être fiers, notamment au regard de notre politique familiale. On nous mentionne toujours l’exemple des femmes obligées de travailler jusqu’à 67 ans. Mais d’autres femmes, parce qu’elles ont été mères, partent avant, car elles se voient accorder des trimestres supplémentaires. Vous présentez les 5 % dès le premier enfant comme une avancée : c’est à la fois vrai et faux. Dès aujourd’hui, les femmes salariées ont droit à huit trimestres dès le premier enfant.

Votre réforme reste obscure, car nous n’en connaissons toujours pas les modalités de financement : même le Conseil d’État a souligné qu’elle était profondément incomplète !

M. Bastien Lachaud. Les femmes ne sont pas les grandes gagnantes de cette réforme, d’autant que les 5 % peuvent être pris par le père ou par la mère lors du calcul de la pension. Or, bien souvent, les pensions des hommes sont supérieures à celles des femmes : 5 % de plus, c’est toujours plus que 5 % de moins ! Dans ces conditions, c’est plutôt la pension de l’homme qui bénéficiera de cette augmentation de 5 %, confortant ainsi la vision très patriarcale de la situation des femmes.

M. Pierre Dharréville. Le Gouvernement a récemment donné des précisions sur le système de retraite des avocats, expliquant que tout était quasiment réglé. Or le Conseil national des barreaux, réuni en assemblée générale les 7 et 8 février 2020, continue de dénoncer fermement les propositions qui leur sont faites, considérant qu’elles ne changent pas fondamentalement les choses. Il continue donc à demander le retrait du texte et appelle à la mobilisation. Les négociations ont-elles été arrêtées ? Comment la situation évolue-t-elle ?

M. Jacques Marilossian. Dans le privé, huit trimestres sont accordés par enfant, contre deux trimestres dans le public. Certains déplorent que les trimestres disparaissent, mais ces huit trimestres représentent 4,6 % des 172 trimestres nécessaires pour atteindre les fameuses quarante-trois annuités. C’est bien pour cela que nous accordons 5 % par enfant : personne n’y perd !

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 6579 de M. Bastien Lachaud, n° 6582 de Mme Danièle Obono et n° 6590 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Je veux revenir sur le caractère néfaste de la capitalisation pour montrer combien cette réforme est profondément anti‑écologique. Selon vous, soit les gens qui ne payent pas de surcotisation pourront consommer plus, ce qui n’est pas écologique, soit ils capitaliseront, ce qui ne l’est pas davantage. Reprenons l’exemple de BlackRock, qui explique agir pour la planète : en réalité, ses investissements se tournent la plupart du temps vers les gros pollueurs. Un tiers des membres du conseil d’administration de BlackRock est en effet lié à des entreprises du secteur des énergies fossiles. En 2018, les représentants de BlackRock ont voté contre 90 % des résolutions pour le climat soumises en assemblée générale.

Mme Danièle Obono. En ramenant le plafond de 324 000 euros à 120 000 euros, soit 3 PASS, vous créez un déficit supplémentaire : comment pouvez-vous, dans ces conditions, rendre le système plus équitable et plus lisible ?

Mme Bénédicte Taurine. La situation est crispée parce que vous ne répondez pas à nos questions, monsieur le rapporteur. Les gens qui protestent actuellement dans la rue n’y sont pas par plaisir mais parce qu’ils attendent, eux aussi, des réponses. Commencez par répondre à nos questions et cela se passera mieux !

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Vous venez d’arriver !

Mme Bénédicte Taurine. Je viens d’arriver parce que j’étais avec des personnes qui nous ont expliqué pourquoi...

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. On n’intervient pas quand on ne sait pas !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est ici que nous débattons parce que nous sommes parlementaires avant tout. (Protestations parmi les députés des groupes La France insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine.) J’aimerais que nous reprenions nos débats dans le calme. Madame Taurine, merci de conclure.

Mme Bénédicte Taurine. Nous débarquons aujourd’hui, en effet, parce que nous venons porter les revendications de ceux qui se mobilisent sur le terrain contre votre réforme. Alors arrêtez de nous interpeller et de faire sans arrêt des remarques de ce type ! Je viens d’arriver : et alors ? Je n’en ai pas moins de légitimité que vous !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Taurine, je peux entendre qu’il soit nécessaire de se relayer pendant les débats mais, tout à l’heure, M. Lachaud m’a interpellé et quand j’ai voulu lui répondre, il était parti. Le but du dialogue qui s’est amorcé en commission est d’avoir des échanges de fond – et non de toucher le fond !

M. Bastien Lachaud. Madame la présidente, il serait bon que les débats se calment un peu ! Je me suis absenté 5 minutes sur la totalité des débats aujourd’hui, il est dommage que le rapporteur décide de répondre à mes questions pendant ces 5 minutes alors qu’il ne l’a pas fait le reste du temps ! C’est regrettable. De plus, je rappelle que Mme Taurine n’est pas membre de cette commission et vient pour défendre ses amendements. On peut difficilement comparer le temps de présence des membres de la commission avec celui des députés qui viennent pour défendre leurs amendements ! Nous sommes tous des députés ici, avec la même légitimité !

M. Jean-Jacques Bridey. Moi, je suis ici depuis six jours et je ne peux pas défendre mes amendements parce que vous faites de l’obstruction !

M. Thibault Bazin. Dans l’exemple cité par notre collègue Marilossian, je ne suis pas sûr que les 5 % seront plus avantageux pour toutes les femmes. Ainsi, pour une femme séparée et mère d’un enfant ayant cotisé 152 trimestres sur 25 000 euros par an et souhaitant partir à la retraite à 62 ans, dans le système actuel, sa retraite s’élèvera à 13 747 euros par an, contre 12 497 euros avec le système universel, soit une perte de 1 250 euros par an représentant 9 %.

Autre exemple, un couple avec trois enfants : les deux ont travaillé pour un même salaire de 35 000 euros par an et ont cotisé 162 trimestres chacun. Ils veulent partir à la retraite à 62 ans. Dans le système actuel, la retraite de la femme sera de 26 456 euros, celle de son mari de 22 350 euros, alors que dans le système universel, la retraite de la femme sera de 20 423 euros, celle de son mari de 17 759 euros, ce qui aboutit à une perte pour le couple de 10 624 euros, soit 21 %. Vous mettez en avant les cas où les femmes sont gagnantes, mais il existe aussi des cas où les mères sont perdantes. Il faudra s’assurer, au titre III, qu’aucune mère ne sera perdante.

M. Jean-François Mbaye. On a touché le fond, en effet, lorsque notre collègue Lachaud a fait le parallèle entre écologie et capitalisation. Quand on n’a rien à dire, on disserte ! Ce n’est pas en déposant dix-sept amendements sur chaque alinéa que l’on parviendra à débattre sur le fond. Ces amendements ne veulent rien dire ! Débattons sur le fond et, de grâce, ne nous faites pas la leçon !

M. Patrick Mignola. Il est tout à fait normal que l’on ne soit pas présent jour et nuit en commission, tout comme il est normal d’aller sur le terrain. Le reproche ne peut pas en être fait à nos collègues. Le problème est plutôt celui de la méthode. L’article 13 traite du choix proposé par le Gouvernement de cotiser jusqu’à 3 PASS au lieu de 8. Le débat a très bien commencé puisque nous avons précisément abordé ce sujet ; puis, il a dérivé sur ceux des femmes, des avocats et de BlackRock. Pour la clarté des débats, et pour s’assurer d’obtenir les réponses à ses questions, mieux vaudrait s’en tenir à l’article que nous étudions et à l’amendement en discussion.

M. Boris Vallaud. Parce qu’il est peu vraisemblable que nous terminions l’examen des articles, chacun d’eux nous offre l’occasion de digressions qui ne nous permettent pas moins de débattre du fond. Nous avons eu de bonnes séquences, et je ne crois pas que cela soit vain. Plutôt que d’avoir des considérations méthodologiques, continuons de travailler comme nous le faisons : cela ne fonctionne finalement pas si mal que cela.

M. Sébastien Jumel. Avançons les yeux fermés !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 6596 de M. Bastien Lachaud, n° 6599 de Mme Danièle Obono et n° 6607 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. Je ne pense pas faire une digression en évoquant l’écologie et la capitalisation. L’article 13 ouvre la voie à la capitalisation pour les très hauts revenus, mais pas seulement puisque le niveau des pensions va baisser pour tout le monde, ce qui incitera à se tourner vers la capitalisation. Il faut bien mesurer toutes les conséquences des dispositions que nous adoptons. Pour notre groupe, ouvrir la voie à la capitalisation pose un problème écologique. D’ailleurs, selon Maxime Combes, économiste d’Attac, « Comme les places internationales boursières sont très liées aux résultats des compagnies pétrolières, le résultat des investissements opérés par BlackRock est dépendant des résultats de ces entreprises. BlackRock a donc structurellement intérêt à ce que ces compagnies pétrolières génèrent encore beaucoup de profits. »

Mme Danièle Obono. L’article 13 a pour objet de favoriser une forme d’épargne retraite qui servira, non pas à payer les retraites, mais à permettre aux fonds de pension d’investir dans la bulle financière. Voilà pourquoi, quand vous choisissez de favoriser l’épargne retraite, donc la capitalisation, et d’alimenter ainsi la bulle spéculative, vous favorisez les industries fossiles. Il y a une cohérence dans votre choix et, par conséquent, dans nos amendements.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’alinéa 10 porte sur l’intégration des salariés agricoles dans le régime universel : parlons du fond, c’est‑à-dire du texte ! Quant aux préoccupations de M. Bazin pour les femmes, il pourra les exprimer dans le cadre de l’examen du titre III.

Avis défavorable aux amendements.

M. Thibault Bazin. Notre collègue Jumel a souligné l’importance de ne pas pénaliser les femmes avec enfants, un sujet qui n’est pas déconnecté du débat de fond puisqu’on a évoqué les carrières hachées. Une femme qui a eu une telle carrière peut être pénalisée dans le modèle avec 5 % supplémentaires si elle a cotisé moins de trente années. De même, avec la perte de l’effet de levier de la majoration de la durée d’assurance, si une femme veut partir à 62 ans, soit deux ans avant l’âge pivot de 64 ans, elle subira une décote de 10 % alors que, dans le système actuel, elle bénéficie de huit trimestres, soit précisément deux années.

Mme Danièle Obono. L’alinéa 10 intègre le dispositif du plafond dans le code rural et de la pêche maritime : nous sommes donc bien dans le sujet ! Nous contestons cette remise en cause de la solidarité dans les secteurs spécifiques aussi, car elle favorise un modèle économique global de la financiarisation. De plus, ce n’est pas dans l’économie productive que vous choisissez d’orienter les flux, mais dans l’économie financière, ce qui est problématique pour l’emploi réel, qui permettrait de financer les retraites. Nous poussons au maximum la logique des choix que vous proposez aujourd’hui pour montrer qu’ils se feront au détriment de l’intérêt général.

M. Olivier Véran. Je suis d’accord qu’il y a de l’inquiétude chez les Français. C’est légitime : chaque réforme des retraites, chaque bouleversement du système social est allé avec son lot d’angoisse dans l’opinion. Il est normal qu’une réforme aussi complexe que celle du système des retraites suscite des interrogations. La représentation nationale a l’occasion d’offrir aux Français un débat de fond qui doit permettre de les éclairer et de lever un certain nombre d’inquiétudes. Or, monsieur Lachaud, par votre façon de défendre vos amendements, vous faites exactement l’inverse de ce que vous prétendez faire. Vous les prenez comme point de départ pour nous expliquer que nous serions en train de favoriser le système de retraite par capitalisation pour les hauts revenus, de manière à permettre d’enrichir un groupe de fonds de pension américain dont les investissements sont pourris et que, ce faisant, nous coupons des arbres et ruinons la planète... Vous vous livrez à un véritable lavage de cerveau ! Sachez qu’il y a des cerveaux qui ne moussent pas au lavage malgré les mots savonneux ! Vous êtes ici face à une majorité de parlementaires qui n’ont pas le cerveau qui mousse, pas davantage que les Français. Je vous propose donc d’arrêter cela et d’en revenir au texte.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 13 sans modification.

(Suspension de séance)

Après l’article 13

La commission est saisie de l’amendement n° 19742 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il convient de remettre à plat trente ans de politiques d’allégements sociaux qui ont fragilisé le financement par la cotisation de notre système de protection sociale, et incité à recourir au travail peu qualifié. Désormais, le montant des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises sans condition atteint 66 milliards d’euros par an, soit 13 % de l’ensemble des recettes de la sécurité sociale. Nous proposons d’utiliser une partie de cette somme pour financer de nouveaux droits à la retraite.

Cet article supprime progressivement l’allègement de cotisations patronales remplaçant le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui grève les finances publiques de 22 milliards d’euros par an. Adopté en 2013, le CICE et le dispositif de réduction de cotisations sociales qui l’a suivi n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité en matière de compétitivité et de création d’emplois, tout en incitant les employeurs à ne pas augmenter les salaires. De tels allégements, qui se font à l’aveugle, sans aucune contrepartie ni objectif clairement affiché, ne sont absolument pas efficaces et sont même contre‑productifs.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est l’éternel débat, et si l’on raisonnait à périmètre constant, je serais d’accord. Notre objectif est de recréer de l’emploi : plus l’assiette du nombre de salariés est grande, meilleure est la solidité de notre modèle social. Et si l’on augmente l’assiette, même si les taux sont plus bas, on s’y retrouve au niveau des cotisations.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement n° 19746 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous sommes attachés à l’économie réelle et même disposés à soutenir les entreprises lorsqu’elles sont vertueuses, qu’elles ont des politiques salariales positives, qu’elles mettent en place des plans de formation intégrant la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, ou bien lorsqu’elles ont une responsabilité environnementale avérée. D’où la proposition, par le présent amendement, de faire varier le montant des cotisations patronales : les entreprises peu vertueuses verraient augmenter leur taux de cotisation ; celles qui le sont plus, le verraient diminuer. On pourrait ainsi utilement financer le projet de loi sur le système de retraite, plombé par les exonérations patronales qui s’additionnent sans contrepartie.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons mis en place un bonus-malus pour les employeurs de nombreux contrats à durée déterminée très courts : cela rejoint un peu votre idée.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous proposons d’utiliser ce levier pour orienter de manière beaucoup plus positive les stratégies des entreprises en termes d’embauches, de salaires, d’investissements, de formation des salariés. Il faut encourager tout ce qui peut aller dans la bonne direction et qui créera une dynamique économique positive, respectueuse de l’environnement et des humains. Tout cela peut, en outre, nous permettre de financer un véritable droit à la retraite. Il faut donc revoir complètement ce dispositif mis en place dans le cadre du CICE, qui ne sert qu’à grossir les dividendes d’un petit nombre de gens qui n’en ont pas besoin.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 19743 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Vous avez fait le choix de restreindre le périmètre du financement et de ne surtout pas utiliser le levier de nouvelles ressources. À nos yeux, c’est là un des débats fondamentaux : pour vous, cela signifie que les variables d’ajustement se trouvent forcément dans l’âge de départ et dans le niveau des pensions ; pour nous, ce sont précisément des droits à garantir, qui demandent qu’on s’assure des ressources nécessaires. Or, depuis maintenant deux ans et demi, vous asséchez les ressources de la protection sociale.

Nous proposons ici d’aller chercher les ressources dont nous avons besoin, en abrogeant le dispositif Fillon de réduction générale des cotisations patronales, qui encourage les emplois peu qualifiés et les bas salaires. Cette disposition permettrait de ramener 20 milliards d’euros par an dans les caisses de la sécurité sociale. Afin de compenser, pour les petites et moyennes entreprises l’abrogation progressive de ce dispositif et les hausses de cotisations qui en découleraient, une aide publique directe serait accordée aux TPE-PME et structures du secteur tertiaire non marchand.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Votre raisonnement serait juste si nous étions en vase clos. Or nous vivons dans un monde ouvert. Il est important d’augmenter la masse salariale globale, c’est-à-dire de réduire le chômage et de créer de la richesse que l’on pourra ensuite répartir. Je comprends votre intention, elle est louable, mais ce n’est pas la méthode que nous avons retenue.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Les exonérations massives que vous avez amplifiées n’ont pas produit sur l’emploi les résultats que vous venez de décrire. Toute une partie de cet argent est gaspillée dans la financiarisation et ne sert pas à créer de l’emploi. Or il y a des besoins dans notre pays auxquels il n’est pas répondu. La perte du tissu industriel, mais aussi de services publics, pèse sur les comptes de la sécurité sociale. Lorsque l’État réduit le périmètre des services publics, il porte atteinte à la vie des gens et, par ricochet, affecte le financement des retraites. Vous n’avez pas encore fait la preuve que votre politique contribue à créer des emplois.

M. Boris Vallaud. La question de l’augmentation des salaires, donc des cotisations, donc des ressources de la sécurité sociale, peut être posée de bien des manières. L’appréhender sous l’angle de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, c’est avoir en tête que l’égalité salariale ramènerait 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires en cotisations. Envisager le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, la limitation des écarts de rémunération, la préférence pour les stratégies industrielles plutôt que pour le court‑termisme de marché, tout cela crée aussi de la richesse et de la redistribution.

Par ailleurs, on est souvent plus habile à dire qu’on a un problème de dépenses publiques plutôt que de recettes publiques. Il y a quand même un paquet de gens qui ne payent pas les impôts qu’ils devraient ! Le Gouvernement, je le lui accorde, a commencé à engager le bras de fer avec les GAFA au sujet de leur taxation, mais toutes les multinationales ne payent pas les impôts qu’elles devraient : 40 % du chiffre d’affaires des multinationales est consolidé dans les paradis fiscaux ; il manque 5 milliards par an au titre de l’impôt sur les sociétés en France, et même 20 % au niveau de l’Union européenne. C’est une vraie difficulté que les hyper-riches ne payent pas, parfois avec votre aide, les impôts qu’ils devraient. Quant à ceux qui sont vraiment très riches, ils se constituent eux-mêmes en société pour pouvoir disparaître de la circulation.

J’aimerais, par exemple, que l’on s’interroge sur le scandale des CumEx files : j’ai moi-même déposé plainte auprès du parquet national financier – j’imagine que cela a été transmis à Bercy.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement n° 19745 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. La question du financement des retraites a été résumée, d’une certaine manière, à l’allongement de la durée de cotisation – c’est-à-dire à l’âge de départ –, mais on pourrait très bien l’élargir aux taux et à l’assiette des cotisations. Au banquet des riches, l’assiette des salariés ne représente qu’une coupelle. On les met à contribution alors qu’ils n’ont que des miettes à manger. Notre amendement vise à reconstituer une véritable assiette en élargissant les contributions aux revenus financiers. Cela permettrait de dégager 30 milliards d’euros pour financer la protection sociale à la française et les retraites par répartition.

Il existe plusieurs manières d’accroître le financement, nous l’avons dit : par la parité entre les hommes et les femmes, par l’augmentation des salaires et par l’accroissement du niveau de qualification, qui améliorerait les carrières, donc les revenus, donc les recettes liées. Voilà la logique différente que nous défendons – la vôtre consistant à faire porter l’effort uniquement sur l’âge de départ à la retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous voulons bien distinguer ce qui relève des pensions de droit direct – ce sont les cotisations qui vont en assurer le financement – et ce qui relève de la solidarité – c’est l’impôt qui s’en chargera, par l’intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse universel.

Compte tenu des réductions de charges, qui sont réelles pour les bas salaires, les cotisations patronales ne représentent plus 60 % mais 50 % du financement du régime de base – on est à 60 % pour les régimes complémentaires. Toutefois, les grandes entreprises cotisent aussi à hauteur de 4 milliards d’euros au titre de la contribution sociale de solidarité des sociétés, de 12 milliards d’euros au titre de la CSG sur les revenus du capital et de placement, de 8 milliards d’euros par le biais de la taxe sur les salaires et de 5 milliards d’euros via le forfait social. On peut discuter du niveau, mais on ne peut pas dire que le capital ne finance pas la protection sociale.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Contrairement à vous, nous pouvons le dire en rappelant les mesures que vous avez adoptées depuis que vous êtes aux responsabilités : exit tax, flat tax, allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune, exonérations de tous types, et bien entendu CICE assorti d’aucune contrepartie ni évaluation. Les chiffres consolidés par des économistes sérieux, notamment ceux de l’Observatoire français des conjonctures économiques, le montrent, la multiplication des cadeaux pour les détenteurs de capital et ceux qui se font du pognon en dormant n’a pas fait la preuve de son efficacité. Oui, nous pouvons le dire, il est urgent d’inclure les revenus financiers dans l’assiette des cotisations.

M. Boris Vallaud. J’aimerais savoir comment l’évolution des cotisations va s’articuler avec les exonérations en vigueur pour les employeurs. Quels seront demain les taux de cotisation effectifs en fonction du niveau de rémunération ?

Par ailleurs, les exonérations de cotisations sur les bas salaires ne concernent aujourd’hui que le secteur privé, dans le cadre d’un régime qui lui est propre. S’il y a demain un régime universel, certains employeurs publics ne bénéficiant pas d’exonérations à l’heure actuelle diront que leur situation est désormais identique et demanderont les mêmes exonérations pour leurs salariés payés au SMIC. Quelle réponse ferez-vous sur le plan juridique ?

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 339 de Mme Géraldine Bannier.

M. Vincent Thiébaut. De nombreuses pensions de retraite, bien que leur niveau soit inférieur au montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), font l’objet de prélèvements au titre de la CSG et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Les faibles retraites versées à des personnes qui ont souvent eu une carrière complète sont ainsi encore amputées par des prélèvements fiscaux. Nous proposons d’exonérer de CSG et de CRDS les pensions inférieures au minimum vieillesse.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je crois qu’il y a une incompréhension. J’ai vérifié : le montant de l’ASPA est de 10 800 euros pour une personne seule et le seuil d’exonération, en ce qui concerne la CSG et la CRDS, a été fixé à 11 300 euros. S’agissant des couples, l’ASPA s’élève à 16 826 euros et le seuil d’exonération est de 17 300 euros. La seule manière de ne pas être exonéré est donc d’avoir d’autres revenus que l’ASPA. Sur le fond, je peux partager votre préoccupation : il s’agit de toutes petites pensions. Seulement, à moins qu’ils n’aient d’autres revenus, les allocataires de l’ASPA bénéficient d’une exonération.

Je vous propose donc de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en présentation commune, les amendements n° 12718 et n° 12720 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Je n’étais malheureusement pas là pour défendre l’amendement qui prévoyait de faire passer à 31,7 % le taux de la flat tax – je le regrette, car c’est une mesure que je défends depuis un certain temps. L’amendement n° 12718 demande au Gouvernement de nous remettre une évaluation de l’impact qu’aurait un relèvement de la flat tax sur les revenus du capital. L’objectif est d’améliorer le financement des régimes de retraite et de ne pas inciter – c’est un sujet dont nous avons beaucoup parlé – les acteurs économiques dont les revenus sont supérieurs à 3 PASS à glisser vers la distribution de dividendes. Mon amendement n° 12720 s’inscrit dans la même logique : il serait intéressant d’avoir des rapports permettant de faire le point.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je sais que c’est une question qui vous est chère – vous l’avez déjà abordée lors des réunions de notre groupe. Je dois dire que je ne maîtrise pas tous les effets de bord qui pourraient se produire. L’important, pour l’instant, c’est que le système soit lisible : les cotisations allant au cœur contributif et l’impôt servant à financer ce qui relève de la solidarité.

Je ne vois pas bien où pourrait s’insérer votre proposition, aussi préférerais-je que vous retiriez votre amendement.

M. Jean-Paul Mattei. Je maintiens mon amendement. Il s’agit d’obtenir un rapport, et rien de plus. C’est un vrai sujet dont nous avons déjà beaucoup parlé et qui mérite des éclaircissements.

M. Sébastien Jumel. Je soutiens l’amendement du camarade Mattei. Un rapport nous permettra d’être sûrs de placer le curseur au bon niveau.

Ce qu’a dit le rapporteur à propos de l’ASPA m’étonne. Vous savez qu’on prend en compte les donations et les successions – un remboursement peut être demandé. S’agissant des agriculteurs, pour lesquels la retraite minimum a été repoussée à la Saint-Glinglin, vous répondez qu’on pourra se tourner vers l’ASPA. Des terrains immenses sont transmis, et il faut payer la CSG et la CRDS en plus des droits de succession. Cela légitime tout à fait l’amendement qui a été retiré.

Mme Danièle Obono. Je suis favorable au rapport demandé. Cela permettrait d’avoir les réponses que le rapporteur n’a pas – il l’a dit. Nous sommes contre la flat tax, car elle va coûter énormément d’argent et elle remet en cause la solidarité, notamment l’idée selon laquelle on doit contribuer selon ses moyens. De nombreux économistes, dont Gabriel Zucman, ont montré que cette mesure favorise un évitement par le biais du versement de dividendes au lieu d’un salaire sur lequel les cotisations sont assises. Certains problèmes se posent donc. Le rapporteur a dit clairement qu’il ne sait pas quel peut être l’impact, que c’est compliqué. Cela justifie la remise d’un rapport : nous avons besoin de réponses précises. Vous qui êtes des partisans de l’équilibre financier, vous devriez être sensibles à cette question.

Mme Constance Le Grip. Je voudrais également faire part de notre intérêt pour cet amendement. Si des membres de la majorité parlementaire demandent un rapport, c’est bien qu’on manque de données, d’études d’impact et de simulations éclairantes pour faire au mieux notre travail de législateur.

Je voudrais aussi revenir sur l’amendement précédent, qui a malheureusement été retiré. Il y a eu une rupture de confiance considérable à cause de la hausse de 25 % de la CSG que la majorité avait décidé d’appliquer : cela amputait sérieusement le pouvoir d’achat des retraités, notamment celles et ceux qui ont de toutes petites pensions. Il y a certes eu un rétropédalage, mais cette décision, qui était totalement inique, a sérieusement affecté la relation de confiance qui doit exister, normalement, entre l’exécutif et les retraités – actuels mais aussi futurs.

M. Boris Vallaud. Nous voterons, naturellement, en faveur de l’amendement n° 12718. Il est quand même singulier que vous le refusiez. Nous disons depuis plusieurs jours qu’il y a un problème d’information, que la représentation nationale n’est pas assez éclairée sur les tenants et les aboutissants de votre réforme, que l’on se fonde sur des hypothèses qui paraissent de plus en plus obscures. Il y aura peut-être, si cette loi passe, des ordonnances à valider. Il faudrait qu’on ait un peu le sentiment de servir un peu à quelque chose d’ici là – cela changerait.

M. Patrick Mignola. Il faut s’inscrire dans une dynamique plutôt que de regarder une photographie. Les oppositions font part de réticences au motif que la représentation nationale manquerait d’informations. Je ne fais pas cette analyse, mais je pense qu’il faudra être attentif, dans le cadre du système cible – nous espérons, en effet, que cette loi sera adoptée –, à ce qu’il n’y ait pas d’éviction en matière de recettes. Il y aura une cotisation avant 3 PASS et, au-delà, une contribution de solidarité. Pour un certain nombre de cadres dirigeants et de chefs d’entreprise, la tentation pourrait être grande, comme l’a très bien souligné Jean-Paul Mattei, de transformer les salaires en dividendes. Dans ce cas, il n’y aurait pas de contribution à la solidarité nationale. Cela ne concerne pas la situation actuelle : c’est dans les prochaines années qu’il faudra veiller à ce que la contribution de solidarité soit réelle. Nous pouvons adopter cet amendement tel quel ou bien le Gouvernement peut nous proposer de le retravailler d’ici à la séance publique dans une logique d’accompagnement du dispositif.

Mme Cendra Motin. Notre collègue Jean-Paul Mattei fait un vrai travail sur ce sujet depuis deux ans. Ce qui est demandé n’est pas un rapport d’information mais une projection, sur une base théorique. Arrêtez de dire que cela permettrait d’obtenir une éclaircie dans le brouillard que vous percevez. Comme nous ne sommes pas tous d’accord avec l’idée sous-jacente, à savoir une évolution de la flat tax – notre collègue n’a pas réussi à nous convaincre pour l’instant –, le rapport demandé n’est pas nécessairement opportun.

Quant à l’amendement n° 12720, il concerne un autre sujet, même si c’est encore de la prospective. Il serait intéressant de travailler sur cette question, un peu comme nous l’avons fait à propos de la flat tax et de ses effets dans le cadre de notre premier budget, mais la rédaction de l’amendement ne me paraît pas nécessairement très adaptée.

M. le secrétaire d’État. Les politiques économiques que M. Vallaud et d’autres députés ont contestées ont un intérêt : elles font baisser significativement le chômage. La principale source d’intégration dans la société est l’emploi. Entre le premier trimestre 2017 et le troisième trimestre 2019, on a enregistré 600 000 emplois supplémentaires, dont plus de 20 000 emplois industriels, alors qu’on n’avait fait que détruire de tels emplois dans notre pays jusqu’à une période récente. Ces chiffres proviennent de l’Institut national de la statistique et des études économiques et sont donc parfaitement vérifiables. La dynamique impulsée à l’apprentissage est également extrêmement intéressante. Il y a plus de 485 000 apprentis cette année, et le taux d’embauche s’élève à 80 %.

Vous vous demandez si nos choix ne sont pas trop favorables aux entreprises dans certains cas, mais ils sont directement positifs en matière d’emploi, et donc d’intégration et de niveau de vie. Si le pouvoir d’achat a augmenté sensiblement en 2019 – de plus de 2 % –, c’est notamment parce que nous avons adopté des mesures. Vous les estimez trop ciblées sur certains acteurs économiques, mais il faut regarder les résultats. Ils correspondent à ce que l’on attendait depuis plus de trente ans, c’est-à-dire une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi.

France Stratégie, qui est un organisme très sérieux, a engagé un travail sur le sujet que vous avez évoqué, monsieur Mattei, dans le cadre d’un comité d’évaluation au sein duquel l’Assemblée nationale est représentée – Mme Hai en fait partie. Un rapport a déjà été produit, et c’est un vrai pavé. Je vais émettre un avis défavorable à votre amendement, car je vous propose de regarder si les éléments figurant dans ce rapport peuvent alimenter votre réflexion. Nous pourrons ensuite en reparler.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Section 2 : Dispositions applicables aux salariés et assimilés

Article 14 : Dispositions spécifiques aux salariés relatives à l’activité partielle

La commission est saisie des amendements de suppression n° 7115 de Mme Danièle Obono, n° 7123 de Mme Bénédicte Taurine et n° 21097 de M. Boris Vallaud.

Mme Danièle Obono. L’article 14 est une déclinaison des dispositions prévues par l’article précédent au sujet de l’abaissement du plafond et de la sécession des hauts revenus, que vous allez favoriser au profit de la capitalisation. Nous contestons, une fois encore, votre choix de faciliter des comportements visant à échapper, par l’intermédiaire de l’épargne retraite, à la solidarité inhérente au système par répartition. La flat tax est un exemple typique : cette mesure conduira certaines personnes à se rémunérer en dividendes plutôt que sous la forme d’un salaire. Or les retraites sont financées grâce aux salaires. Il faudrait non seulement supprimer l’article 14, mais aussi remettre en cause la flat tax.

Mme Bénédicte Taurine. Nous demandons la suppression de l’article 14, qui prévoit, en ce qui concerne les temps partiels, une proratisation de la limitation à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale. Nous sommes autant défavorables pour les temps pleins que pour les temps partiels.

M. Boris Vallaud. Il y a, en effet, une continuité entre l’article 13 et l’article 14. Nous nous sommes déjà exprimés à plusieurs reprises sur la manière dont il faudrait garder tout le monde dans le futur système en organisant une redistribution.

J’ai presque eu un moment de joie lorsque j’ai cru que le secrétaire d’État allait répondre à mes questions. Seulement, je n’avais pas parlé de la politique économique du Gouvernement : mes interrogations, extrêmement précises, sont restées sans réponse. Je vais donc les reposer. Comment les évolutions des cotisations s’articuleront-elles avec les exonérations actuelles pour les employeurs ? Quels seront demain les taux effectifs des cotisations selon le niveau de rémunération ? Enfin, vous paraîtrait-il légitime que des employeurs publics puissent demander, comme c’est possible dans le privé aujourd’hui, à bénéficier d’exonérations de cotisations sociales, par exemple au niveau du SMIC ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je n’ai pas toujours compris le rapport entre les prises de parole et l’article 14, très technique, qui prévoit uniquement une proratisation lorsqu’on applique le plafond aux temps partiels, qui sont une des caractéristiques de notre marché du travail.

Avis défavorable aux amendements.

M. Thibault Bazin. Nous réfléchissons depuis plusieurs heures à l’exception que constituent les revenus dépassant 120 000 euros. L’étude d’impact jointe à ce texte à trous a besoin d’être complétée au regard de l’avertissement que le président Mignola a lancé tout à l’heure sur l’incitation à transformer des salaires en dividendes. Les comportements qui seront encouragés par le nouveau système ont effectivement de quoi inquiéter. Il faut vraiment, d’ici à la séance publique, se poser toutes les questions liées à la fixation du plafond à 3 PASS – et on ne doit pas se contenter de demander un rapport. Quel sera le système de solidarité de demain ? Ceux qui ont des hauts revenus seront-ils inclus, afin que tout le monde – eux et la société dans son ensemble – soit gagnant ?

Mme Danièle Obono. Nous parlons bien du plafonnement, monsieur le rapporteur. L’article 14 est une mesure technique, certes, mais elle aura un effet dans le cadre du dispositif d’ensemble, qui a une orientation politique : vous choisissez de favoriser la sécession des plus hauts revenus, ce qui est contraire à l’idée même de la solidarité, et un certain type de fonctionnement économique.

Le secrétaire d’État a cité des chiffres dont il s’est félicité. Le problème est que vous allez privilégier la capitalisation et l’investissement dans la sphère financière qui fonctionne au détriment de l’économie réelle, productive. Vous allez contribuer au grossissement de la bulle aux dépens de l’emploi qui pourrait financer les retraites : vous créez un cercle vicieux.

M. Pierre Dharréville. J’ai posé, il y a déjà quelques heures, une question qui concernait l’impact du plafonnement à 3 PASS sur la nature des rémunérations et les finances de la sécurité sociale. Il est dommage que nous n’ayons pas connaissance des éléments nécessaires.

L’article 14 est, par ailleurs, l’occasion de revenir sur une proposition défendue par la CFE-CGC, me semble-t-il, lors d’une audition qui a eu lieu la semaine dernière, au sujet du temps partiel subi – notamment par les femmes. Dans ce cas, on pourrait porter les cotisations patronales au niveau de celles versées pour un temps plein. Qu’en pensez-vous ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7132 de Mme Danièle Obono et n° 7140 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. J’ai déjà évoqué le problème qui se pose si on favorise le financement de la bulle financière. L’économiste Patrick Artus a expliqué, dans un article auquel je vous renvoie, que les fonds de pension exigent un rendement du capital investi très supérieur au rendement économique du capital productif et que le seul moyen dont les entreprises disposent pour produire un tel rendement est d’augmenter l’effet de levier, c’est‑à‑dire le rapport entre la dette et les fonds propres. Ce processus signifie que l’économie productive, réelle, est soumise à des aléas et à des choix économiques purement comptables. En instaurant des dispositifs de plafonnement qui feront que les cotisations ne seront plus perçues et qui favoriseront l’épargne retraite, vous pousserez notre économie vers toujours plus de financiarisation, ce qui affaiblira le système dans son ensemble. Voilà pourquoi il faut supprimer l’article 14 alinéa par alinéa.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

J’ajoute que Mme Obono n’est pas concernée par les mesures de proratisation : le groupe La France insoumise a largement dépassé le plafond du nombre d’amendements.

Mme Danièle Obono. Vous connaissez les principes qui nous animent : même si nous ne sommes pas directement concernés par une mesure négative ou défavorable, nous nous soucions de celles et ceux qui en subissent l’impact. Nous défendons l’intérêt général. C’est peut-être la différence entre nos positions ou nos traditions respectives. Le secrétaire d’État s’est félicité d’un certain nombre de résultats économiques. Pensez-vous que favoriser la financiarisation et le fait de jouer la retraite des gens à la bourse, au casino de la finance, permettra de stabiliser l’économie et aura un effet bénéfique pour l’activité, et donc pour le financement du système de retraite ?

M. Pierre Dharréville. J’insiste sur la question que j’ai posée à propos des temps partiels subis. Que peut-on envisager dans ce domaine ?

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 7162 de Mme Danièle Obono et n° 7170 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Les pressions des financiers sur l’économie réelle ont un impact direct sur les salariés, les cotisations et donc les retraites. Des entreprises font l’objet de ventes à la découpe qui conduisent à des licenciements boursiers – ils n’ont pas lieu pour des raisons économiquement justifiées, mais simplement pour augmenter les rendements. Si votre obsession, chers collègues de la majorité, est réellement d’assurer l’équilibre financier du système de retraite, vous devriez être obsédés par l’équilibre général du système économique, en vue de financer les retraites. Quand vous favorisez la bulle financière, je le redis, vous favorisez le déséquilibre et la volatilité permanente.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Obono, votre exposé sommaire mentionne les États-Unis, mais je ne pense pas que nous suivions leur modèle. Nous allons créer un système unique dont on nous reproche plutôt l’organisation à la Komintern.

Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Je ne sais pas ce qu’est un système « à la Komintern », et je pense que ce n’est pas du tout la bonne référence. En tout cas, vous n’allez pas créer un système unique.

Vous vous plaignez que nous répétons les mêmes arguments, mais c’est parce que vous présentez à chaque fois les mêmes justifications, que vous avez pourtant vous-mêmes démontées. Mme la garde des sceaux a rencontré, il y a quelques jours, les avocats qui se battent pour les spécificités de leur métier. Elle leur a annoncé des possibilités d’aménagement. Les négociations que vous engagez avec les avocats, les policiers et d’autres secteurs que vous choisissez selon des critères très arbitraires, pour leur permettre d’avoir la chance, ou la malchance, de ne pas être inclus dans le nouveau système, contredisent vos propres affirmations : vous ne créez pas un système unique. Même le Conseil d’État le dit.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 7179 de Mme Danièle Obono et n° 7187 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Il s’agit, cette fois, de supprimer l’alinéa 3. Selon l’Institut des politiques publiques, « les 0,1 % des ménages les plus aisés gagneront 3,9 % de revenu disponible de plus en moyenne en 2020 du fait des mesures des budgets 2018, 2019 et 2020 ». Il y a une cohérence, qui est de permettre à une minorité ou à une fraction particulière de la population de bénéficier de vos politiques économiques – en l’occurrence, d’échapper à la contribution solidaire qui est prévue par le système par répartition. C’est ce que nous remettons en cause.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Quand je suis interpellé sur une question de fond, je cherche à répondre. Face à des demandes systématiques de suppression des articles alinéa par alinéa, je me contente, en revanche, d’émettre un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Nous demandons la suppression de chaque alinéa, mais nous développons à chaque fois des arguments. J’essaie de présenter, depuis que nous examinons cet article, les raisons pour lesquelles nous pensons que le dispositif proposé favorise la sécession des hauts revenus, y compris dans le cadre d’un système de proratisation – c’est ce que fait l’article 14. Nous vous interpellons à travers nos amendements, nombreux, sur la logique générale qui est la vôtre. Pensez-vous que favoriser une fuite en avant va stabiliser et équilibrer le système ? Je crois que c’est une question de fond.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7196 de Mme Danièle Obono et n° 7280 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Il s’agit maintenant de supprimer l’alinéa 4. Nous voulons rappeler, à travers cet amendement, que le Gouvernement ne nous propose qu’un horizon de chiffres, de convergence des taux de cotisation, de convergence européenne des taux d’imposition, d’efficacité, de simplification et d’économies, pour plusieurs milliards d’euros. À quoi cela servira-t-il ? Allez-vous améliorer le bien-être grâce à une meilleure retraite dont on pourra profiter ? Ou bien, comme vous l’avez dit, notamment vous, monsieur le secrétaire d’État, faudra-t-il simplement travailler plus ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ie. Avis défavorable.

Comme vous ne parlez pas du fond, je vais en profiter pour donner une information à M. Dharréville – je n’avais pas les éléments en tête tout à l’heure. Ceux qui sont en activité à temps partiel, qui peuvent parfois ne pas se constituer assez de droits, pourront cotiser sur la base d’une assiette complète, s’ils le souhaitent. Ce sera possible dans le privé et de droit pour les fonctionnaires. C’est prévu à l’article 27.

Mme Danièle Obono. Je ne peux pas laisser sans réponse la remarque du rapporteur. Je ne sais pas ce qu’est le fond pour vous. Il est vrai qu’en Macronie les mots veulent dire tout et son contraire... Le sens de l’action politique et le service rendu à la population ne sont-ils pas des questions de fond pour vous, des questions qui devraient nous intéresser en tant que parlementaires ? Vous avez l’obsession de l’efficacité, de la rentabilité et de l’équilibre financier. Mais cela ne devrait-il pas constituer des outils, des moyens au service de quelque chose ? Nous vous demandons à quoi et à qui vont servir ces dispositifs de proratisation en matière de plafonnement. Concrètement, cela aidera les hauts revenus à éviter de contribuer à la solidarité nationale. Je crois que c’est une question de fond qui mériterait des réponses.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. S’agissant de la forme, quand le rapporteur a fait, au début, une réponse portant sur le fond de l’article, il ne donne ensuite qu’un avis défavorable à la suppression des alinéas.

M. Pierre Dharréville. Je remercie le rapporteur pour sa réponse. Vous dites qu’on pourra cotiser, de manière volontaire, sur la base d’une assiette supérieure à celle du temps partiel auquel on est astreint. C’est une chose, mais la proposition que j’ai citée consiste à créer une automaticité pour l’employeur : il cotiserait, en cas de temps partiel subi, comme s’il s’agissait d’un temps plein. Cela permettrait de constituer des droits, bien sûr, mais aussi d’exercer une forme de dissuasion à l’égard du temps partiel subi. C’est une formule un peu différente.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 7283 de M. Éric Coquerel, n° 7289 de Mme Danièle Obono et n° 7297 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Ces dispositions relatives au prorata sont importantes. Elles induiront une retraite par capitalisation pour ceux qui cotisent moins et qui toucheront des pensions réduites, mais elles coûteront d’abord 72 milliards d’euros à l’État. Votre projet est censé régler les déficits, mais quand les gens qui auront cotisé entièrement demanderont, légitimement, la pension qui leur revient, à partir de 2025, il y aura moins de cotisations. L’AGIRC-ARRCO a calculé que cela représenterait à peu près 3,5 milliards d’euros par an. Votre texte commence par créer des déficits, et je me demande bien qui va les compenser sinon l’État, c’est‑à‑dire nous.

Mme Danièle Obono. Si j’avais une réponse de fond, la discussion pourrait progresser. La logique est bien de cotiser en fonction de ses moyens ! Dites‑moi clairement qu’avec la baisse du plafonnement vous ne favorisez pas l’évitement des plus hauts revenus. Débattons-en chiffres contre chiffres !

Mme Bénédicte Taurine. En 2019, les actionnaires du CAC40 ont reçu 60 milliards d’euros de dividendes, soit un montant supérieur au niveau record de 2007. Le Gouvernement aurait pu s’attaquer à ce régime spécial.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, l’article 14 concerne le temps partiel et la proratisation du plafond. Monsieur Dharréville, je suis très sensible au sujet que vous avez évoqué. Certaines grandes surfaces, par exemple, préfère avoir trente salariés à temps partiel, quand elles pourraient en avoir vingt à temps plein, afin de disposer d’un volant plus large et d’être plus flexibles. Nous devons réfléchir à un système pour éviter ce type de situations. Madame Obono, nous vous avons répondu maintes et maintes fois.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7300 de M. Éric Coquerel, n° 7306 de Mme Danièle Obono et n° 7314 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, j’ai encore une question pour vous. Le projet de loi est si flou et si peu évalué que nous sommes obligés de creuser en permanence. J’ai cru comprendre que ce sont des décrets qui allaient fixer les dispositions applicables au temps partiel. Nous sommes en train de voter des blancs‑seings ! Pouvez‑vous m’en dire plus ?

Mme Danièle Obono. Si nous avions des réponses, nous passerions à d’autres questions – sachez que nous en avons encore beaucoup. Ne pensez‑vous pas qu’il y a suffisamment d’évitement de participation à la solidarité nationale, quand des entreprises comme Sanofi distribuent 3,8 milliards d’euros aux actionnaires en 2019, Total, 8,5 milliards d’euros, et BNP-Paribas, 3,7 milliards ? Le choix de distribuer aux actionnaires plutôt qu’aux salariés qui ont produit la richesse pèse sur l’équilibre financier que vous recherchez.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il existe mille et une possibilités de faire des temps partiels. Pour un salarié qui travaillerait deux jours chez l’un et trois chez l’autre, la proportion serait facile à établir. Mais pour celui qui travaille en libéral et en temps salarié, c’est plus compliqué. Comme nous ne pouvons pas évoquer la multitude infinie des cas, cela paraît logique que l’Assemblée nationale n’entre pas dans un luxe de détails.

M. Éric Coquerel. Vous ouvrez donc bien une usine à gaz ! Le système est quand même beaucoup plus simple aujourd’hui ! Vous êtes en train de nous dire qu’en fait de retraite universelle, vous allez inventer quasiment autant de cas particuliers qu’il en existe dans le temps partiel. C’est une boîte de Pandore, à propos de laquelle même une partie du patronat s’interroge, parce que vous exonérez de cotisations les revenus audelà de 10 000 euros mensuels, soit trois plafonds annuels de sécurité sociale au lieu de huit auparavant. Vous compliquez indéfiniment les choses ! Voilà une bonne démonstration de l’inutilité de votre réforme !

Mme Cendra Motin. La proratisation du plafond du temps partiel sert avant tout aux gens qui doivent cumuler plusieurs travails pour s’en sortir. Cela leur permet de ne pas cotiser avec de tout petits salaires sur un plafond complet. Ainsi, quelqu’un qui gagne 500 euros auprès d’un employeur ne cotise que sur la base de 300 euros, parce qu’il travaillera pendant une quotité de temps correspondant à ce plafond. Il ne cotise donc pas plus qu’il ne devrait. L’article protège les gens qui ont de petits salaires et qui doivent cumuler plusieurs emplois. Voilà ce que vous voulez supprimer !

M. Sébastien Jumel. Vous avez beau nous l’expliquer comme vous voulez, des petits salaires, ça fait des petits points, qui font des petites pensions. Comme vous avez libéralisé le code du travail et ouvert la boîte de Pandore...

M. Olivier Véran. Boîte à gaz ou usine de Pandore ? On s’y perd !

M. Sébastien Jumel. ... sur la précarisation, ce seront des petits points, des petits points, toujours des petits points. Vous réinventez la chanson de Gainsbourg !

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 7317 de M. Éric Coquerel, n° 7323 de Mme Danièle Obono et n° 7331 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Les articles 14 et 15 concernent bien les salaires au‑dessus de 10 000 euros ?

Mme Cendra Motin. Mais non ! Le temps partiel !

M. Éric Coquerel. J’ai bien compris qu’il s’agissait des décrets relatifs aux plafonds pour le temps partiel ! Mais aussi du passage de huit plafonds à trois plafonds pour les hauts revenus...

Madame la présidente, pouvez-vous demander au collègue de la majorité qui fait tout le temps des commentaires d’arrêter. C’est vraiment pénible !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne cesse de demander du silence, je n’y peux rien !

M. Éric Coquerel. Vous le faites bien avec nous ! Vous avez même coupé le sifflet à Adrien Quatennens !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je l’ai fait à tout le monde, monsieur Coquerel ! Il n’y a pas deux poids deux mesures. Monsieur Coquerel, nous avons acté des règles lors d’une réunion du bureau. Si vous n’êtes pas là depuis le début de la semaine, j’en suis navrée pour vous. Je vais dénoncer vos méthodes ! Cela fait cinq jours que je me fais pourrir mon téléphone, mon Twitter, mes Facebook, mes mails, par des gens de votre formation politique, qui me reprochent de couper tel ou tel de votre groupe et déversent un tombereau d’insultes. C’est une honte ! Aucun autre groupe ne me fait cela, parce que tout le monde respecte les règles. Nous ne sommes pas dans la rue, mais à l’Assemblée nationale. (Vifs applaudissements parmi les députés des groupes La République en Marche et du Mouvement Démocrate et apparentés.)

M. Éric Coquerel. Madame la présidente, j’étais présent lors de la séance où vous avez décidé du passage d’un temps de parole de 2 minutes à 1 minute. Par ailleurs, si vous voulez que nous regardions ensemble dans le détail, groupe par groupe, la manière dont nous nous faisons pourrir sur internet, le concours est ouvert ! Pour ma part, je ne vous ai pas pourrie sur internet.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pas vous, votre groupe !

M. Éric Coquerel. C’est seulement qu’il y a une vidéo où mon collègue se fait couper la parole. En tant que présidente, vous devez garantir la qualité des débats. Or l’un de vos collègues passe son temps à intervenir hors micro. Je vous demande simplement de faire respecter les règles.

Pour en revenir au débat, comme Sébastien Jumel, je trouve que, dans la droite ligne de ceux qui vous ont précédés, vous avez continué de remettre en question le contrat à durée indéterminée comme socle du code du travail. Vous êtes bien obligés d’en tenir compte désormais et d’adapter votre réforme.

Mme Danièle Obono. Nous ne sommes pas sur Twitter ou Facebook ! Nous essayons d’illustrer par divers exemples les raisons pour lesquelles nous voulons supprimer votre texte alinéa par alinéa. Nous sommes dix‑sept à tourner en réunion, mais nous suivons tous attentivement le débat. Ceux qui ne sont pas là aujourd’hui sauront ce qui s’est passé et viendront reposer les questions auxquelles nous n’aurons pas obtenu de réponses.

Mme Motin nous a fait la grâce de nous expliquer comment fonctionnait la proratisation. Mais si nous en parlons, c’est que votre réforme introduit un dispositif qui va multiplier les cas particuliers par décret, ce qui, pour nous, est problématique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, je ne sais même pas s’il y a quelques centaines de salariés à temps partiel qui dépassent trois plafonds de la sécurité sociale. En revanche, il faut pouvoir tenir compte de la proratisation pour les salariés qui ont une activité à temps partiel afin de compléter leurs revenus, typiquement les agriculteurs. Madame Obono, de ce point de vue, la situation ne change pas. Les salariés qui ont exercé plusieurs activités sont aujourd’hui polypensionnés. En fonction des régimes, certains qui n’ont travaillé qu’une année valident plus que quatre trimestres, quand d’autres ont des conditions plus défavorables. Vous pouvez critiquer le capital, mais vos remarques n’apportent tout de même pas grand‑chose sur la pluriactivité.

Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Vous avez argué d’une réforme de simplification, alors que ce n’est pas du tout le cas, puisque vous vous donnez les moyens, par le biais des décrets, de vous adapter à la complexité des cas. Nos remarques illustrent au moins qu’un des objectifs de votre réforme n’est pas atteint !

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7334 de M. Éric Coquerel et n° 7416 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, non pas de m’avoir répondu, mais d’avoir bien voulu échanger sur le sujet. Dans un bon système, la retraite serait estimée par rapport aux meilleurs salaires. Nous sommes pour le retour aux dix meilleures années, qui éviterait de pénaliser les gens travaillant à temps partiel. Votre adaptation est la preuve même du problème que pose la retraite par points, en prenant en compte l’ensemble de la carrière.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il peut y avoir des accidents professionnels, si bien que, même en fin de carrière, des salariés doivent compléter leurs revenus par des activités à temps partiel. Or, aujourd’hui, le calcul peut leur être défavorable, alors que le système par points est plus facile, fidèle et lisible. Je vous conseille vraiment d’examiner cette méthode sans a priori politique.

M. Éric Coquerel. Il y a un autre moyen, monsieur le rapporteur : le retour aux dix meilleures années ! À force d’avoir dérégulé le marché du travail, le temps partiel augmente. Vous avez dit quelque chose de profondément vrai, qui devrait vous pousser à vous interroger, s’agissant des fins de carrière en temps partiel. En demandant aux gens de travailler plus longtemps, sachant qu’un senior sur deux arrivera à l’âge de la retraite au chômage, vous aggravez la situation. Cela n’a rien d’idéologique : une pension calculée sur l’ensemble d’une carrière sera toujours moindre que sur les dix meilleures années.

M. le secrétaire d’État. Le tableau 7 de l’étude d’impact, page 117, montre en quoi il est plus intéressant que le calcul soit fait sur quarante‑trois ans, plutôt que sur vingt‑cinq. On voit ainsi l’effet particulièrement redistributif de la réforme, étant donné que les salariés au SMIC et ceux qui ont des salaires moyens voient leur pension progresser, alors que ceux qui ont des très gros salaires, supérieurs à 80 000 euros par an, voient leur pension diminuer. La direction de la sécurité sociale, qui a conçu les tableaux, ne sont pas soumis à des pressions politiques. Ils produisent des éléments objectifs. Ce ne sont pas des agents du Gouvernement, mais des fonctionnaires qui font bien leur boulot et vous donnent des éléments intéressants pour nourrir votre réflexion.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7419 de M. Éric Coquerel, n° 7425 de Mme Danièle Obono et n° 7433 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons étudié très sérieusement votre étude d’impact ; le Conseil d’État a également dit ce qu’il en pensait. Le tableau 7 compare des pensions indexées sur l’inflation et d’autres sur les salaires ! Vous comparez des carottes et des pommes de terre ! Toute votre étude d’impact est de la même eau, pour essayer de nous démontrer que la situation va s’améliorer... Ne faites pas de cette étude d’impact, largement remise en question par le Conseil d’État, la référence pour répondre à nos questions !

Mme Danièle Obono. Si nous tournons en rond, c’est que vous avez détruit le peu de confiance que certains pouvaient avoir. Après deux ans de travail sur la question, nous dites‑vous, aucun des modèles dont vous avez proposé des simulations ne résiste à une étude critique ! Le problème n’est pas tant les personnes qui ont réalisé les projections que l’orientation que vous avez donnée à celles-ci et sur laquelle vous vous fondez.

Mme Bénédicte Taurine. Selon le rapport de la commission des finances du Sénat sur la politique fiscale de votre gouvernement, les cent plus gros contribuables ont gagné 1,7 million d’euros grâce à des réformes que vous disiez faire en direction des plus bas salaires. Comment voulez‑vous que les gens croient que vous faites une réforme qui s’adresse à ceux qui en ont le plus besoin, comme les agriculteurs, alors que vous faites exactement l’inverse depuis que vous êtes au gouvernement ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, ce n’est pas une surprise, nos philosophies économiques divergent. Mais vous avez soulevé une vraie question, celle des seniors et de la fin de carrière. Comment mieux faire vieillir les Français au travail ? Faut‑il organiser un départ progressif ? Si les corps sont plus usés à 60 ans qu’à 20 ans, on a aussi, à cet âge, une expérience à transmettre. Comment faire bénéficier les autres salariés de cette expérience, tout en limitant l’impact sur les corps ? Si j’entends la problématique du vieillissement du corps, je sais aussi, pour avoir des exemples précis dans mon entourage, que des gens peuvent mal vivre un départ brutal à la retraite, qu’ils voient comme une mort sociale. La question du temps partiel est également très importante. Nous devrons nous pencher sur tous ces sujets et engager les politiques nécessaires.

Avis défavorable aux amendements.

M. Boris Vallaud. Je remercie le secrétaire d’État de nous avoir renvoyés au tableau 7. Le calcul oublie un élément : la baisse du taux de remplacement, qui sera de 8 % pour un départ à 64 ans et de 18 % pour un départ à 62 ans. Les cas présentés dans le tableau sont, en réalité, perdants par rapport à la situation actuelle.

M. Éric Coquerel. Excellente intervention, monsieur Vallaud !

Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de bien vieillir au travail. Mais, à partir du moment où l’on vieillit, on a le droit d’arrêter de travailler.

Mme Cendra Motin. Mais quand est-ce qu’on vieillit ? On vieillit tout le temps un peu.

M. Éric Coquerel. Selon votre définition de la société, la seule finalité sociale serait le travail. De notre point de vue, la société ne doit pas permettre de bien vieillir au travail, mais d’arrêter de travailler à un certain âge, afin que chacun puisse s’épanouir grâce aux loisirs ou à l’engagement associatif, qui peuvent d’ailleurs éviter cet effet de rupture sociale dont vous avez parlé. Mes deux grands‑parents étaient ouvriers. Aucun ne m’a dit avoir trouvé dure la rupture ! L’un est mort six mois après sa retraite. Ils n’ont pas pu en profiter, parce qu’ils avaient travaillé jusqu’à 65 ans.

M. Sébastien Jumel. Cher rapporteur, vous devriez être conseiller en communication ! Voilà un beau slogan : « apprendre aux gens à bien vieillir au travail ». C’est un résumé de la réforme assez flippant ! La vie se scinde en plusieurs moments : celui du travail, qui peut être épanouissant, mais aussi le temps de libération que représente la retraite. Et quand bien même, comment bien vieillir au travail sans prendre en compte les éléments de pénibilité, de maladies professionnelles, de décote, de travail partiel subi, qui obligent à cotiser encore plus longtemps ? On se croirait dans le monde des Bisounours ! Personne ne voudrait quitter son travail, mais y rester le plus longtemps possible, voire mourir à son poste. Je ne suis pas sûr que cela fasse un projet de société.

Quant au tableau 7, je pensais que ma lecture de la note de bas de page vous exonérerait de le citer de nouveau. Il est caduc ! Lisez plutôt : il est écrit que les paramètres ne sont pas pris en compte. Arrêtez de citer des tableaux à la con !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous laisse juge de vos propos, monsieur Jumel.

M. Jean-Paul Mattei. Nous siégeons en commission depuis 16 heures lundi. Nous sommes en train de discuter de la modification du code rural et de la pêche maritime. Or nos échanges relèvent de la discussion générale. Nous travaillons en commission, et cela est bien normal, car nous devons à nos électeurs et à notre statut de député de travailler sérieusement. Je n’ai pas manqué une minute de réunion ! Mais nous ne cessons de débattre sur les mêmes sujets, sans jamais parler du fond ! C’est normal que l’on perde notre temps, mais à ce point... Je commence vraiment à saturer, aussi bien pour ce qui est des réponses du rapporteur et du secrétaire d’État, qui ne sont pas forcément dans le sujet, que des orateurs hors sujet. Recadrons‑nous ! Nous le devons au peuple français.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Jumel, vous ne deviez pas être très attentif tout à l’heure, quand j’ai expliqué que, pour faire fonctionner des modèles statistiques et étudier une variable, il fallait figer les autres. Le tableau 7 est un bon tableau, dont les données sont vérifiables par tous ceux qui ont l’habitude de faire un peu de statistiques. Même un samedi en fin de journée, il faut mesurer ses propos.

Monsieur Coquerel, je vous ferai la même réflexion. Nous ne mélangeons pas les pommes de terre et les carottes. C’est un tableau objectif : à gauche, l’évolution actuelle des salaires portés au compte sur la base de l’inflation ; à droite, notre proposition dans le système universel, avec des points qui évolueront avec les salaires, sur la base d’un indicateur qui vous a fait réagir pendant près de 2 heures. La comparaison est en tout point juste.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 7436 de M. Éric Coquerel, n° 7442 de Mme Danièle Obono et n° 7587 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends bien vos leçons. Vous considérez une situation donnée avec un âge de départ à la retraite de 62 ans. Mais, du fait de la baisse du taux de remplacement, les gens vont perdre de l’argent. Imaginons qu’on oblige les gens à travailler jusqu’à 85 ans, peut‑être que, pendant un an, ils profiteraient de leur vie, en touchant une très forte pension, mais seulement un an, soit pendant beaucoup moins longtemps que dans le système actuel. Votre étude d’impact, tout comme votre système, ne tient pas compte de l’âge du départ à la retraite. Or nous savons tous qu’il va être repoussé au‑delà des 65 ans !

Mme Danièle Obono. Le secrétaire d’État vient de défendre l’objectivité de ses tableaux. Mais, comme l’a fait remarquer Sébastien Jumel, dans le tableau 7, il ne s’agit pas de cas-types traduisant l’effet du système universel dans son ensemble. On ne peut donc pas en déduire le montant final de la pension. Or, monsieur Mattei, c’est ça la réponse que les Françaises et les Français attendent ! Ils nous ont élus pour que nous contrôlions l’action du Gouvernement et que nous garantissions l’intérêt général. Mais, au bout de deux ans de dialogue, de débats et de simulations, votre majorité est incapable d’apporter ces réponses. On pousse une majorité de salariés à faire le grand saut vers un inconnu, dont les éléments objectifs montrent qu’il sera moins‑disant. C’est pourquoi nous ne vous croyons pas.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les interventions ne concernant pas le sujet, avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 14 sans modification.

Article 15 : Dispositions relatives à la transmission pour les salariés et assimilés

La commission examine les amendements de suppression n° 581 de M. Thibault Bazin, n° 704 de M. Pierre Dharréville, n° 7590 de M. Éric Coquerel, n° 7596 de Mme Danièle Obono, n° 7604 de Mme Bénédicte Taurine, n° 21098 de M. Boris Vallaud et n° 22450 de Mme Constance Le Grip.

M. Thibault Bazin. L’article est important, puisqu’il a trait à la période transitoire permettant la convergence des taux et des assiettes des régimes de retraite de base et complémentaire aujourd’hui applicables aux salariés et assimilés vers les taux et assiettes applicables dans le cadre du système universel, qui semble ne pas vraiment l’être, soit dit en passant. Il est regrettable qu’un sujet aussi important soit réglé par une ordonnance. En effet, ces questions suscitent de l’inquiétude. C’est à la représentation nationale d’assumer des choix en matière de convergence, qui ont des incidences financières et supposent des choix de société. Vous nous avez prouvé hier soir, sur un autre sujet, que vous pouviez éviter les ordonnances. Faisons en sorte, d’ici à la séance, d’en éviter une autre.

Par ailleurs, vous ne nous avez toujours pas répondu : la conférence de financement travaille‑t‑elle, comme nous, le samedi ou ses travaux n’avancent‑ils pas trop ? J’espère que la conférence de financement est en marche...

M. Pierre Dharréville. L’article 15 habilite le Gouvernement à produire des ordonnances sur les assiettes et les taux de cotisations sociales des régimes complémentaires dans la période transitoire. Il comporte plusieurs éléments importants : le taux de cotisation sociale, fixé à 28,12 % dans le système que vous proposez, implique une convergence des taux et des assiettes qui diffèrent aujourd’hui entre les régimes de retraite ; l’ordonnance va également modifier le régime fiscal et social des dispositifs de retraite supplémentaire pour les hauts salaires, et nous craignons que cela n’incite à la capitalisation pour la tranche salariale qui ne sera plus soumise à cotisation ; enfin, le manque à gagner en cotisations pour les régimes complémentaires s’élèvera à 4 milliards d’euros par an en 2025.

Vous nous dites que les ordonnances vont vous donner le loisir de consulter sur tous ces sujets. Je me permets de vous faire observer qu’en général, c’est l’inverse : on consulte avant de produire des ordonnances. Vous prenez les choses à l’envers, et nous nous opposons à votre volonté de légiférer ainsi. Votre texte prévoit vingt-neuf ordonnances pour régler des points précis du futur système, et c’est insupportable !

M. Éric Coquerel. Le mot « ordonnance » est peu compatible avec la démocratie parlementaire – malheureusement, la Ve République en est assez loin –, et avec la délibération collective d’une assemblée. Non seulement votre projet de loi met à bas et transforme radicalement le système de retraite, qui est un des deux piliers de notre patrimoine social, mais il le fait par la voie d’ordonnances, y compris sur des points qui seront réglés après que nous l’aurons voté, en particulier à l’issue de la conférence de financement des retraites qui s’achèvera en avril. Nous ne pourrons donc pas voter cette loi en connaissance de cause. Pour toutes ces raisons, nous demandons à supprimer l’article 15.

Mme Danièle Obono. L’article 15 donne habilitation au Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures concernant la réduction progressive des différences d’assiette et de taux de cotisation des différents régimes de retraite complémentaire, ainsi que les conditions et les limites dans lesquelles les parts de cotisation seront dues respectivement par les employeurs et les salariés. Nous avons bien compris qu’il s’agissait de favoriser la capitalisation, puisque ce système va rendre plus attractifs les dispositifs de retraite supplémentaire pour les salaires compris entre 3 et 8 PASS. Nous nous y opposons, et nous aimerions savoir pourquoi vous souhaitez favoriser ce type d’épargne retraite.

Mme Bénédicte Taurine. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a souligné « que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme ». Suivant cet avis, nous demandons la suppression de l’article 15.

M. Régis Juanico. Nous sommes face à un texte à trous, qui dessaisit le Parlement à de nombreuses reprises – vingt-neuf ordonnances sont prévues, et cent décrets. S’agissant d’un texte de loi aussi fondamental, sur un sujet qui touche l’ensemble des Français, cela est tout à fait désobligeant de la part du Gouvernement.

Au-delà de l’article, pendant que nous discutons en commission spéciale, par exemple de la revalorisation des traitements des enseignants et des chercheurs, nous apprenons que les différents scenarii présentés dans le cadre des négociations entre M. Blanquer et les organisations syndicales, n’ont finalement rien à voir avec les montants de revalorisation qui avaient été annoncés par le ministre lui-même devant le Parlement. Ils prévoient une augmentation de l’ordre de 200 millions d’euros chaque année, avec des primes qui seraient versées à hauteur de 50 à 150 euros aux enseignants des échelons 2 à 6, soit 25 à 30 % des effectifs.

Mme Constance Le Grip. À mon tour, je souligne l’extrême générosité avec laquelle le Gouvernement a cru bon de recourir aux ordonnances pour cette réforme présentée comme très importante : pas moins de vingt-neuf ordonnances sur soixante-cinq articles. Si l’on y ajoute la mise en œuvre de la procédure accélérée et le caractère extraordinairement lacunaire des perspectives financières souligné par le Conseil d’État, qui nous met en présence d’un texte à trous dépourvu de son volet financement, nous déplorons une méthode qui n’est pas du tout respectueuse de l’institution parlementaire et qui nuit très clairement à la lisibilité d’ensemble de cette réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons d’abord défini les principes généraux de la réforme, puis les catégories professionnelles concernées, et ensuite le système cible au regard du mode de calcul de la pension et de répartition des taux de cotisation entre employeur et salarié. Nous en sommes maintenant à l’organisation de la transition vers cet objectif. L’article 15 concerne les dispositions relatives à la transmission pour les salariés. Il « habilite le Gouvernement à prévoir par voie d’ordonnance les transitions nécessaires à la mise en place du système universel, s’agissant des travailleurs salariés et assimilés ».

Pour l’essentiel, la modification des cotisations se fera à la marge, car le taux de nombreux salariés se trouvent déjà autour du taux-cible évoqué. Mais il s’agit aussi d’assurer une montée progressive des niveaux de cotisations pour les salariés du secteur public affiliés à l’Institut de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (IRCANTEC) ainsi que la situation spécifique de certains publics – nous les étudierons un par un, et les enseignants ne sont pas du tout concernés.

Avis défavorable aux amendements.

M. Thibault Bazin. La transition recouvre des enjeux très importants, qui dépassent la simple question du calage juridique ou financier. Elle est susceptible de menacer la cohésion nationale et intergénérationnelle du fait des distorsions et inégalités qu’elle introduira entre les différentes générations qui cohabiteront durablement sur le marché du travail – les personnes nées avant et après 1975, et celles nées à partir de 2004. Nous avons bien du mal, nous parlementaires, à en mesurer l’impact pour vérifier que les choses iront dans le bon sens, mais les employeurs pourraient en profiter pour adapter leur politique salariale en fonction de la génération à laquelle les salariés appartiennent. Il est important que cette question soit mise sur la table et non laissée au soin d’ordonnances, afin que l’on puisse en débattre d’ici la séance publique.

M. Boris Vallaud. Compte tenu des sommes financières en jeu et du nombre de personnes concernées, on ne peut pas réduire la transition à un problème technique qui ne regarderait pas la représentation nationale. Par rapport à tous les textes que nous sommes régulièrement amenés à examiner, notamment les projets de loi de finances (PLF) et projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), celui-ci n’est pas suffisamment technique pour qu’il nous soit demandé de fermer les yeux et d’attendre. Il revêt des enjeux économiques, sociaux et budgétaires considérables qui, à ce stade, sont impossibles à cerner.

Ce matin, nous avons discuté de la transition pour les rémunérations comprises entre 3 et 8 PASS, et les explications de M. le rapporteur ne nous ont pas convaincus. Elles ont cependant laissé penser qu’il est peut-être mieux informé par le Gouvernement que le reste de la représentation nationale. À cet égard, il ne me semble pas anormal de revendiquer une égalité de traitement entre parlementaires. Or une telle égalité n’existe pas à l’heure actuelle, et nous nous opposons avec vigueur à ce qui nous apparaît comme une obstruction au débat parlementaire.

M. Sébastien Jumel. J’ai déjà dit que vous aviez fait vœu d’allégeance et d’obéissance ; ici, on pourrait parler de vœu d’abstinence. L’article 15 n’est pas une paille ! Il habilite le Gouvernement à prévoir, sur une période transitoire de vingt ans, « la convergence des taux et des assiettes des régimes de retraite de base et complémentaire ». Pour tenir compte de l’abaissement du plafond de cotisation, l’ordonnance pourra également « modifier les règles d’assujettissement à cotisations et contributions sociales ainsi qu’à l’impôt » ; enfin, elle pourra prévoir les conditions dans lesquelles est assuré le financement des régimes de retraite complémentaire. C’est un chèque en blanc laissé au Gouvernement, l’effacement du Parlement ! Elle est là, l’obstruction et la dévalorisation du Parlement dont vous nous accusez ! Vous êtes pris en flagrant délit. Les amendements que nous avons déposés, ce n’est rien par rapport au renoncement que vous incarnez. Le mesurez-vous ? Avez-vous compris que, même vous, vous n’êtes pas respectés à travers cet article ? Ce n’est pas possible !

M. Jean-Jacques Bridey. Nous n’avons pas de leçons à recevoir de vous !

M. Sébastien Jumel. J’en ai malgré tout à vous donner ! Vous êtes des parlementaires godillots !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous ne sommes pas là pour nous faire insulter ; nous passons à l’orateur suivant !

M. Thierry Benoit. Par nature, comme bon nombre de parlementaires, je ne suis pas favorable aux ordonnances par lesquelles le pouvoir législatif délègue, sur des questions importantes, une partie de son pouvoir à l’exécutif. Au cours de mon expérience de parlementaire, j’ai eu à discuter de grands textes fondamentaux éthiques et bioéthiques ou sociétaux, mais aussi techniques, telle la réforme de la taxe professionnelle sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Nous procédons aujourd’hui à une réforme qui va faire évoluer les fondamentaux de la retraite telle que la connaissaient nos concitoyens depuis 1945. À mon sens, nous traitons son aspect politique lorsque nous abordons les carrières longues ou hachées, les petites retraites ou encore la pénibilité. L’article 15 me paraît être une nécessité technique ; en tant que législateur – je parle ici en mon nom propre et au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants –, je considère que nous pouvons la déléguer au pouvoir exécutif.

M. Éric Coquerel. L’article 15, que vous essayez de faire passer pour un article technique, est un article situé au milieu du triangle des Bermudes que représente votre réforme par points. Il s’agit, par exemple, de régler par ordonnance la question de l’acquittement des cotisations qui excèdent le plafond prévu par l’article 13 du projet de loi pour les régimes de retraite complémentaire. Nous sommes en plein dans ce que je dénonçais tout à l’heure : du fait de l’abaissement des cotisations pour les revenus les plus élevés, des sommes importantes devront être réglées aux pensionnés ; comme vous ne savez pas, à l’heure actuelle, où vous allez les trouver, vous renvoyez la question à une ordonnance, en prétendant avec toupet qu’il s’agit d’un problème technique. Que vous légifériez par ordonnance montre que vous ne savez pas comment vous dépêtrer de cet engrenage dans lequel vous avez mis le doigt. Ces périodes de transition, qui vont coûter des dizaines de milliards d’euros à notre pays, mieux vaut en effet qu’elles ne passent pas par le Parlement si vous voulez pouvoir appliquer votre loi. L’article 15 est crucial.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Bazin, je ne peux pas vous dire si la conférence sur l’équilibre et le financement des retraites se réunit aujourd’hui ou demain. Comme je vous l’ai dit précédemment, c’est Jean-Jacques Marette qui a été chargé de la présider. Toutefois, je peux vous donner quelques éléments supplémentaires à propos des deux réunions qui auront lieu dans les semaines qui viennent.

Un premier groupe de travail se réunira pour travailler à l’approfondissement de la trajectoire du scénario de référence établi par le COR, selon cinq axes : l’analyse rétrospective sur la base des études d’impact de 2010 et 2014 ; les écarts constatés entre les projections effectuées par le COR dans ses rapports de juin 2016 et de novembre 2019 ; l’évaluation de l’impact sur l’équilibre du futur système de l’addition des quarante-deux régimes de retraite ; la nécessité ou non de réactualiser les dernières données du COR à la lumière des évolutions des deux ou trois derniers mois ; les conséquences de nos travaux sur le scénario de référence. Cette réunion aura lieu le 18 février.

Le second groupe, qui doit travailler sur la gouvernance et les outils de pilotage, se réunira le 20 février. Il doit se pencher sur les dispositifs prévus au titre IV du projet de loi, dont j’espère que nous aurons l’occasion de débattre ; établir des comparaisons entre les régimes actuels – Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAV), AGIRC-ARRCO, IRCANTEC et Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) ; effectuer des comparaisons internationales. Ce groupe consacrera enfin une séquence aux critères de soutenabilité et aux réserves, en reprenant les éléments des projets de loi organique et ordinaire et les études comparatives que je viens d’évoquer, à la fois entre régimes et aux échelles nationale et internationale.

Deux belles séquences de travail sont donc à venir. Je rappelle que trois séquences sont prévues, et que le 6 avril aura lieu une nouvelle assemblée plénière.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7607 de M. Éric Coquerel, n° 7613 de Mme Danièle Obono et n° 7810 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Nous n’avons toujours pas obtenu de réponse aux questions que nous avons posées au cours de la discussion précédente. Cela ne m’étonne pas, car nous avons pointé, au sein des groupes d’opposition, le danger de légiférer par voie d’ordonnance sur des questions dont la majorité et le Gouvernement ne savent même pas aujourd’hui comment ils les règleront.

Mme Danièle Obono. L’amendement tend à supprimer le premier alinéa de l’article 15, par lequel le Gouvernement est habilité à légiférer par voie d’ordonnance sur un certain nombre de mesures. Comme l’a dit notre collègue Sébastien Jumel tout à l’heure, c’est la crédibilité même de nos travaux au sein de cette commission qui est en cause : à quoi bon passer toutes ces heures à examiner le problème dans tous les sens – je crois, pour ma part, que c’est utile sur un sujet aussi complexe et important –, si c’est pour se dessaisir au final ? S’agissant d’un sujet aussi fondamental que l’ouverture des retraites à la capitalisation, le principe même de l’ordonnance me paraît tout à fait problématique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cette habilitation n’a pas d’autre objet que la réduction très progressive des écarts sur vingt ans. Quel est le public visé ? Vingt millions de salariés sont déjà très proches de la cible. Trois millions de salariés contractuels affiliés à l’IRCANTEC ont un taux de cotisation situé autour de 10-10,5 % ; il faut qu’ils passent à 11,25 %, ce qui représente une augmentation de 0,75 à 1,25 point sur vingt ans. Trois millions de métiers très spécifiques ont des différences de taux de cotisation employeur ou de répartition entre la part patronale et la part salariale. Si nous devions aborder une par une toutes ces catégories, nous perdrions de vue le rôle du Parlement, qui est de se préoccuper de la globalité du système et d’affirmer une volonté de transition très progressive. Nous avons l’ambition de créer un système universel, et surtout pas de modifier brutalement la situation de ceux dont la carrière professionnelle est en cours. Une approche progressive, cela me paraît la base d’une politique adaptée pour changer sans bouleverser.

Avis défavorable aux amendements.

M. Pierre Dharréville. Vous allez tout de même modifier des taux de cotisation, ce qui va avoir un impact concret. Vous nous demandez de vous laisser faire, et c’est cela que nous n’acceptons pas. J’ai consulté l’étude d’impact. À la page 385, concernant l’article 15, le point n° 4 « analyse des impacts des dispositions envisagées » tient en deux lignes : « l’analyse précise des conséquences attendues de la mesure sera effectuée dans la fiche d’impact de l’ordonnance prise sur le fondement de la présente habilitation ». Vous nous demandez de nous prononcer sur cette base ! Comprenez que nous soyons en désaccord avec cette perspective.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous indiquez des dates de réunions et vous nous dites qu’il y aura un rendu le 6 avril. Revenez nous voir le 6 avril ! Faites les choses dans l’ordre ! Aujourd’hui, vous n’êtes pas prêts.

Mme Constance Le Grip. Je remercie M. le secrétaire d’État d’avoir répondu aux questions posées par Thibault Bazin et Éric Woerth à propos du calendrier de travail connu à ce stade de la conférence de financement. Je veux, moi aussi, au nom des Républicains, m’étonner solennellement de ce calendrier, qui vient percuter de plein fouet notre propre calendrier d’examen parlementaire. Nous sommes censés débuter l’examen de ce texte en séance publique le 17 février, et l’achever par un vote solennel en séance le 3 mars. Ce calendrier est assez abracadabrantesque ; il fait peu de cas du respect que l’on doit à l’institution parlementaire et, partant, aux Françaises et aux Français qui se posent des questions. Nous le répétons calmement, sans aucune agressivité, la logique et le bon sens auraient commandé de changer le calendrier et la méthode, et de faire travailler l’Assemblée nationale autrement.

M. Boris Vallaud. Je remercie M. le secrétaire d’État de nous avoir donné le calendrier mais, en effet, que fait-on là ? De quoi parle-t-on ? On aurait pu ajouter le calendrier de travail sur l’emploi des seniors, celui sur la pénibilité, et les résultats de la mission Fragonard sur les droits familiaux de retraite. Vous faites tout n’importe comment ; on se croirait dans un jeu de Mikado. Revenez quand vous serez prêts ! Cela nous épargnerait beaucoup de peine, car nous passons notre temps à poser des questions sans obtenir de réponses. À force de les reformuler jusqu’à trois fois, on s’épuise. Que le Gouvernement cesse de faire de l’obstruction parlementaire !

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, vous nous expliquez qu’il n’est pas souhaitable d’entrer dans le détail technique. Ce n’est pas ce que nous demandons ! Le problème que nous pointons, c’est que nous sommes censés accepter votre période de transition sans savoir comment elle va être financée, alors que nous savons qu’elle va coûter beaucoup d’argent – plus de 70 milliards d’euros, vous ne le contestez pas. Étonnamment, alors que l’équilibre financier est votre mantra, vous nous expliquez ici que ce n’est pas grave de ne pas savoir comment vous allez procéder. Ce n’est pas un choix technique, mais bien un choix politique. En proposant cette habilitation à prendre des mesures par voie d’ordonnance, vous dessaisissez le Parlement d’un droit fondamental et de sa responsabilité – la nôtre – vis‑à‑vis des Françaises et des Français.

M. Brahim Hammouche. L’article 15 déroule tout de même, dans ses alinéas 2, 3, 4 et 5, un fil rouge qui fournit des éléments précis sur ce que comporteront les ordonnances. Peut-être faut-il rappeler ce qu’est une ordonnance, car je me demande parfois si nous vivons dans la même temporalité. Il ne s’agit pas d’ordonnances de droit divin ou des ordonnances de Charles X, mais bien des ordonnances constitutionnelles prévues par l’article 38 de la Constitution de la Ve République. Ce n’est pas le fait du prince. Elles impliquent un vrai respect du Parlement, et elles seront d’ailleurs ratifiées. Cela s’appelle une procédure législative par délégation, au terme de laquelle nous serons amenés à intervenir pour ratifier. J’ai l’impression que nous ne parlons pas du même régime politique. Relisez précisément l’article 15, tout y est très clair, et nous pourrons enfin avancer réellement dans notre travail.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7813 de M. Éric Coquerel, n° 7819 de Mme Danièle Obono et n° 7828 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. N’en déplaise à notre collègue Hammouche, ce n’est pas parce qu’on ne vit pas sous le régime de Charles X qu’on ne peut pas considérer le recours aux ordonnances comme pas tout à fait démocratique, et même pas digne d’un régime parlementaire. C’est surtout que vous voulez détruire un système qui était assez simple et qui, s’il n’était pas géré de la manière la plus démocratique qui soit – pour ma part, je me serais bien passé des organisations patronales –, assurait au moins la participation des partenaires sociaux au processus de décision. Vous transférez ces prérogatives à l’État, et vous le faites de la manière la moins démocratique qui soit, c’est-à-dire en faisant peser sur le Parlement la contrainte de la règle d’or, qui fera des déficits et de ce que vous appelez le « coût du travail » l’alpha et l’oméga de la fixation des pensions de retraite. En outre, vous prévoyez de contourner la représentation nationale en recourant aux ordonnances, et même en disant aux parlementaires qu’ils n’auront pas à connaître la fin du film avant de légiférer à son sujet, puisque la conférence de financement est loin d’avoir livré les conclusions de ses travaux.

Mme Danièle Obono. M. Hammouche, s’emballant, en est déjà arrivé à l’alinéa 6, mais nous sommes très attachés à examiner le texte dans l’ordre, alinéa par alinéa, et nous n’en sommes qu’à l’alinéa 2. Celui-ci dispose que c’est « par dérogation à l’article 13 de la présente loi », qui lui-même portait sur la question des plafonds, que le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance un certain nombre de mesures. Nous sommes donc tout à fait fondés à demander que l’alinéa en question soit supprimé.

Pour vous, il ne s’agit que de déléguer – c’est normal, on le fait depuis des décennies. Pour notre part, nous considérons que ce n’est pas normal, qu’il s’agit d’un chèque en blanc sur des sujets qui relèvent non pas de considérations techniques mais de véritables choix politiques.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 13 régit le système futur. Il est donc nécessaire d’y déroger pendant la phase de transition entre le système actuel et le système futur. Par ailleurs, comme l’a expliqué Brahim Hammouche, cette transition s’effectuera dans un cadre défini. Au demeurant, imaginez que le Parlement doive déterminer, tous les ans, au 1er janvier, l’évolution du taux de cotisation de chaque profession, normalement fixé par décret, pendant vingt ans !

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous avons un petit désaccord sur la portée de ces dispositions. Je perçois, en effet, une forme de banalisation de la procédure des ordonnances. De fait, depuis 2017 au moins, il y a été recouru de façon répétée. Et, en l’espèce, sur les soixante-cinq articles que compte le texte – auxquels s’ajoutent les cinq articles du projet de loi organique – vingt-neuf renvoient à une ordonnance. C’est considérable ! Qui plus est, le Gouvernement ne fournit pas d’éléments suffisamment précis sur ses intentions. On ne peut pas banaliser ainsi cette pratique. Faut-il rappeler que nous avons été élus pour écrire la loi ? Au prétexte de laisser à Emmanuel Macron tout le loisir de mettre en œuvre comme il l’a imaginé l’une de ses promesses de campagne, vous usez d’une méthode qui marque un nouvel abaissement du Parlement, dans un cadre institutionnel où sa place est déjà fort restreinte.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, tout d’abord, tout cela est rendu nécessaire par ce projet de loi : vous complexifiez tout. En fait de régime universel, vous êtes en train d’instaurer, comme le Président de la République l’a lui-même reconnu, autant de régimes qu’il y a de Français. C’est donc à la majorité qu’incombe la responsabilité de cette situation. Ensuite, vous ne pouvez pas affirmer qu’il s’agit de détails qu’il est normal de régler par ordonnance. Encore une fois, nous parlons de la période de transition, pendant laquelle des cotisations ne rentreront plus : cela représente des dizaines de milliards d’euros ! Comment peut-on légiférer par ordonnance lorsque de telles sommes sont en jeu ?

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22644 du Gouvernement.

M. le secrétaire d’État. Cet amendement a pour objet de permettre aux régimes d’affiliation d’utiliser, s’ils le souhaitent, pendant la période de convergence des barèmes de cotisation des salariés, leurs réserves financières afin de faciliter la convergence vers le barème de cotisation du système universel de retraite en finançant une prise en charge partielle des cotisations. Les régimes qui se voient offrir cette possibilité sont l’AGIRC-ARRCO, l’IRCANTEC pour les salariés de droit public ainsi que les caisses autonomes des salariés experts-comptables, officiers ministériels et avocats.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, le taux de cotisation à l’IRCANTEC, par exemple, est passé de 10,5 % à 11,25 %. Faut-il vraiment que la loi définisse ce taux chaque année pendant vingt ans ? Est‑il vraiment nécessaire que l’Assemblée nationale détermine la manière dont l’assiette et le taux de cotisation des commissaires-priseurs judiciaires ou des artistes-auteurs, par exemple, doivent évoluer ? Il me semble qu’un tel niveau de détail ne relève pas du Parlement.

Quant à l’amendement du Gouvernement, j’y suis évidemment favorable.

M. Sébastien Jumel. J’en apprends chaque jour un peu plus ! Alors que les barreaux et toutes les professions libérales sont vent debout contre la réforme, M. le secrétaire d’État nous glisse, l’air de rien, un amendement qui vise à renvoyer à une ordonnance la définition des modalités et conditions selon lesquelles on va piquer dans les réserves des caisses autonomes. C’est un truc de fou !

Quant au calendrier que vous avez eu la gentillesse de nous communiquer, monsieur le secrétaire d’État, il confirme que, pendant que nous discuterons dans l’hémicycle, l’essentiel se jouera ailleurs. Arrêtez de délirer en prétendant que l’obstruction affaiblit le Parlement : c’est vous qui l’abaissez !

M. Éric Coquerel. Il s’agit bien, ici, de la manière dont les réserves de ces régimes seront ponctionnées pour financer « des taux d’appel de cotisation inférieurs à 100 % ». Cette question ne peut pas être réglée par ordonnance car, là encore, ce ne sont pas de petites sommes. En outre, je rappelle qu’il est impossible, me semble-t-il, d’utiliser les réserves de certaines caisses, car elles ont été constituées par tous les salariés et pas uniquement par ceux qui relèvent d’elles.

Par ailleurs, que vous soyez contraint de nous proposer un tel amendement témoigne, une fois de plus, de ce que vous construisez une usine à gaz. Je le dis sans aucun mépris mais j’ai le sentiment, quand je regarde le visage de nos collègues du groupe La République en Marche lors des échanges que nous avons, qu’ils ne comprennent pas plus que beaucoup de Français ce qui est en train de se jouer. De fait, vous complexifiez un système qui fonctionnait depuis des décennies – certes, de manière insatisfaisante parce que plusieurs réformes sont revenues sur des acquis sociaux –, qui plus est en reculant l’âge de départ à la retraite et en diminuant le taux de remplacement. Vous n’y arriverez pas, chers collègues !

M. Patrick Mignola. Il me serait agréable que nos collègues de l’opposition, en tout cas certains d’entre eux, ne déduisent pas de leur incompréhension feinte une prétendue incompréhension de la majorité. Il va de soi que le pilotage du système de transition durant les vingt années à venir implique impérativement qu’on laisse aux partenaires sociaux la possibilité d’utiliser les réserves de ces caisses. De fait, les ordonnances de l’article 15 ont surtout pour objet, comme la plupart des autres ordonnances prévues dans le projet de loi, non pas de laisser des trous, mais de faire de la place aux partenaires sociaux et à la concertation. En l’espèce, il est très important que, pour chaque métier, ceux-ci puissent discuter, organisme de gestion par organisme de gestion et caisse par caisse, de l’aménagement de la période de transition, et qu’ils aient la possibilité
– c’est l’une de leurs revendications – d’utiliser éventuellement leurs réserves. Cela, la majorité l’assume.

Mme Cendra Motin. Permettez-moi de vous lire un petit extrait du Contre-projet de réforme des retraites de La France insoumise : « Mobiliser les réserves immédiates. [...] Des sommes sont d’ores et déjà disponibles et inemployées. Les réserves financières entreposées dans les différents régimes spécifiques de retraite et dans le Fonds de réserve pour les retraites représentent un stock de 130 milliards d’euros. » Nous avons bien compris, chers collègues de La France insoumise, que vous n’aviez demandé l’avis de personne. Sinon, vous auriez eu le courage de vos idées et vous auriez déposé des amendements pour proposer cette solution au lieu de proposer de supprimer le renvoi à une ordonnance. Nos collègues du groupe Les Républicains, par exemple, ont déposé des amendements pour que l’âge légal de départ à la retraite soit fixé, comme ils le souhaitent, à 64 ans puis à 65 ans. Vous n’avez pas le courage de vos idées ; vous ne faites que de l’obstruction, point !

Mme Constance Le Grip. Je tiens également à m’insurger, au nom du groupe Les Républicains, contre cet amendement du Gouvernement. Nous avons déjà indiqué à plusieurs reprises à quel point nous déplorions le recours, que nous qualifions d’abusif, à la procédure des ordonnances dans ce texte aux enjeux financiers et sociétaux si importants. Cet amendement, qui étend le champ de l’ordonnance de l’article 15, suscite d’autant plus notre suspicion qu’il pourrait offrir une plus grande souplesse dans l’utilisation des réserves des différents régimes. Nous y sommes donc défavorables.

M. le secrétaire d’État. Si le Gouvernement souhaite étendre l’habilitation, c’est pour offrir une option et en aucun cas pour contraindre qui que ce soit. Il suffit de lire le libellé de l’amendement : il ne peut pas instiller le doute dans l’esprit d’une personne de bonne foi. Il s’agit de permettre aux caisses concernées, si elles le souhaitent, d’utiliser leurs réserves, et ce pour aider les salariés qui pourraient, pendant la période de transition qui durera vingt ans, devoir faire face à une augmentation de leurs cotisations. Encore une fois, nous offrons une possibilité, que les caisses pourront utiliser ou non.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 7838 de M. Éric Coquerel, n° 7848 de Mme Danièle Obono et n° 7866 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Ce dispositif n’est pas fait pour les salariés, monsieur le secrétaire d’État ; il doit permettre que le produit des cotisations qu’ils ont acquittées puisse leur être versé sous forme de pension parce que vous allez baisser les cotisations dans les années à venir. Cette mesure est donc bien due à la transformation que vous opérez ; elle n’est pas en faveur des salariés. Vous faites passer cet amendement parce que vous ne savez pas où aller chercher l’argent.

Madame Motin, il faut lire l’ensemble de notre contre-projet. Tout d’abord, nous ne nous arrêtons pas aux réserves que vous avez mentionnées : nous évoquons également les 52 milliards d’euros d’exonérations sociales qui ne servent pratiquement à rien et dont on pourrait mobiliser une partie, les emplois à créer qui permettraient de faire rentrer des cotisations... Ensuite, il y a une différence entre le fait de mobiliser les fonds de réserve pour permettre aux salariés de partir plus tôt à la retraite avec des pensions plus élevées et le fait de les mobiliser dans le cadre de la destruction massive à laquelle vous vous livrez, en reculant l’âge de la retraite et en abaissant les pensions. Pardonnez-moi, mais la finalité n’est pas la même.

Mme Danièle Obono. Madame Motin, si vous avez pu lire notre contre-projet, c’est que nous l’avons imprimé et diffusé en invitant tout le monde à en prendre connaissance. Il est donc curieux de prétendre que nous aurions honte de nos propositions. Et puisque l’alinéa 3 de l’article 15 a trait aux régimes de retraite supplémentaire, j’ajoute que, dans notre contre-projet, il est inutile de favoriser ces régimes, car nous proposons que les salariés perçoivent une retraite décente. Je vous invite à lire l’ensemble de nos propositions, qui sont cohérentes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Le Gouvernement a essayé de faire passer un amendement en douce : ni vu ni connu, je t’embrouille ! Cela dit, je constate qu’il y a deux poids deux mesures, car les propositions que nous avons faites pour aller chercher de l’argent ailleurs afin de financer, le cas échéant, les retraites n’ont pas été incluses dans le périmètre. Je suis donc étonné par la méthode. Par-dessus le marché, je le répète, je ne crois pas que cette question puisse être réglée par ordonnance ; elle mérite une véritable discussion. Là encore, nous élargissons la marge de manœuvre du Gouvernement dans un domaine sur lequel nous n’aurons aucune prise.

Mme Danièle Obono. Puisque nous n’avons pas obtenu de réponse à notre question, je la réitère : pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas inclus la question des régimes de retraite supplémentaire dans le dialogue, la concertation qui s’est déroulée au cours des deux dernières années ? Si tel avait été le cas, nous aurions pu débattre ici des cas-types élaborés sur le fondement de ces échanges. En fait, vous avez passé deux ans à faire des tableaux sans mener une véritable concertation, puisque la majorité des organisations syndicales vous ont dit que votre projet ne faisait pas l’affaire. Le fait de recourir à des ordonnances signe votre échec ; si nous tournons en rond aujourd’hui, la responsabilité vous en incombe.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7880 de M. Éric Coquerel, n° 7888 de Mme Danièle Obono et n° 7903 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Il s’agit toujours de la même problématique, qu’a rappelée M. Jumel à propos de l’amendement que vous avez eu le toupet de faire passer avec la mauvaise foi qui vous caractérise, monsieur le secrétaire d’État.

Un député du groupe La République en Marche. Vous pouvez parler !

M. Éric Coquerel. Ah oui, je peux parler de la mauvaise foi du secrétaire d’État. Du reste, le Conseil d’État est manifestement du même avis, même s’il le dit en d’autres termes, en ce qui concerne l’étude d’impact.

Cet amendement a, là encore, pour objet de dénoncer la manière dont le Gouvernement entend gérer par ordonnance l’écart entre l’acquittement des cotisations et leur versement.

Mme Danièle Obono. Il s’agit de supprimer l’alinéa 4 de l’article 15, qui vise à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance « afin de prévoir l’aménagement d’un régime fiscal et social favorisant les versements des salariés et de leurs employeurs dans le cadre de dispositifs de retraite supplémentaire ». N’ayant toujours pas obtenu de réponse, je réitère notre question : pourquoi pensez-vous qu’il faille favoriser ces dispositifs délétères pour la stabilité du système lui-même et l’ensemble de l’économie ?

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 8161 de M. Éric Coquerel, n° 8168 de Mme Danièle Obono et n° 8366 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Il s’agit ici de supprimer l’alinéa 5 de l’article 15, qui traduit la même volonté de légiférer par ordonnance que les alinéas précédents.

Mme Danièle Obono. Si nous tournons en partie en rond, c’est parce que nous n’obtenons aucune réponse. Dès lors que vous demandez au Parlement de se dessaisir de son pouvoir de légiférer au profit du Gouvernement, la moindre des choses serait que celui-ci explique en quoi la logique de son action justifie le recours à cette procédure. Pourquoi voulez-vous favoriser la capitalisation alors qu’elle déséquilibre le système ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V. Puisque nous arrivons au terme de notre réunion et que certains Français suivent nos travaux, je voudrais rappeler que, s’agissant de la méthode, qui a été attaquée tout à l’heure, le Conseil d’État, auquel on s’est beaucoup référé ces derniers jours, évoque « une procédure approfondie de concertation, notamment avec les partenaires sociaux ». Et il ajoute : « En outre, de mai à décembre 2018, une procédure originale de participation citoyenne a été organisée, conduisant à la tenue d’ateliers participatifs et à la mise à disposition d’une plateforme. » Ce n’est pas neutre.

Par ailleurs, nous aurons appris aujourd’hui que les ordonnances, ce n’est pas bien, et que les préciser, ce n’est pas bien non plus. Heureusement qu’un psychiatre est dans la salle ; il pourra peut-être nous aider...

Mme Danièle Obono. Il est vrai que refaire sans arrêt la même chose sans en tirer les conclusions peut relever de la pathologie. Je pourrais donc vous retourner le compliment, cher collègue. Au demeurant, la concertation est si réussie et originale que nous assistons à des mobilisations tous les samedis et que vous êtes parvenus à vous mettre à dos une majorité de la population et des organisations syndicales.

M. Sébastien Jumel. Notre collègue Christophe n’a pas lu l’avis du Conseil d’État jusqu’au bout, car celui-ci relève que le recours aux ordonnances n’est pas justifié en toutes circonstances, et il fait explicitement référence à ce sujet aux dispositions transitoires pour les cotisants aux deux systèmes. Si vous citez l’avis du Conseil d’État, citez-le à propos.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21622 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Monsieur Christophe, en fait de grand succès, nous avons vu quel a été le résultat de la concertation. Cela dit, je retire cet amendement, que je retravaillerai en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 779 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Aucune disposition de nature législative ne précise que les taux de cotisation vieillesse à la charge des artistes-auteurs correspondent à la part salariale. Le présent amendement propose donc de combler ce vide juridique. Les artistes-auteurs ne relevant pas de l’assurance chômage, la hausse de la CSG intervenue au 1er janvier 2018 n’a pas pu être compensée sur la cotisation d’assurance chômage. C’est seulement depuis le 1er janvier 2020 qu’ils ont obtenu, à force de protestations, de bénéficier d’une compensation pérenne sur leurs revenus artistiques, prenant la forme d’une prise en charge par l’État d’une fraction de leurs cotisations vieillesse de base.

Il convient donc de maintenir, dans le cadre de la mise en place du système universel, ce dispositif que les organisations représentant les artistes-auteurs ont eu beaucoup de mal à négocier avec les ministères compétents. Ce faisant, nous apaiserions les fortes inquiétudes exprimées par cette profession ô combien respectable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous remercie d’avoir appelé mon attention sur la situation des artistes-auteurs, que je connaissais mal. Votre amendement reprend les dispositions de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, que nous ne supprimons pas, en vue de maintenir le principe de l’acquittement des seules cotisations salariés. Or ce principe est bien maintenu par le II de l’article 16, qui prévoit une prise charge par l’État de leurs cotisations patronales.

Votre amendement fait également référence au plafond retenu. S’agissant d’un dispositif qui pèse sur les deniers publics, il est normal que la prise en charge de l’État soit plafonnée au niveau d’un seul PASS, soit 41 136 euros. Pour le reste, les règles du droit commun s’appliquent. Enfin, il est bien prévu une faculté de surcotisation pour les artistes-auteurs afin qu’ils puissent aller jusqu’au minimum de pension s’ils le souhaitent.

Votre amendement est ainsi largement satisfait dans l’esprit. C’est pourquoi je vous invite à le retirer.

Mme Constance Le Grip. Je retournerai vers les organisations qui ont appelé mon attention sur la situation des artistes-auteurs et qui sont tout aussi capables que nous, voire davantage, d’analyser la situation présente et future, et je verrai s’il y a lieu d’apporter certaines précisions. À ce stade, je maintiens donc l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 15 modifié.

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*     *

16.   Réunion du dimanche 9 février 2020 à 9 heures 30 (de l’article 16 à après l’article 17)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8725088_5e3fc1a19cc42.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-9-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 3 610 amendements ; il nous en reste 15 970.

Article 16 : Habilitation à neutraliser certains effets du régime par points pour certaines catégories de salariés

La commission examine les amendements de suppression n° 706 de M. Sébastien Jumel, n° 21099 de M. Boris Vallaud, n° 9247 de Mme Sabine Rubin et n° 9251 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Pierre Dharréville. L’article 16 habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, une nouvelle fois, des mesures pour que l’État prenne à sa charge les réductions de cotisations sociales de certaines professions et détermine les modalités de convergence des cotisations des journalistes. Un sujet d’intérêt national comme celui-ci nécessite un débat serein et approfondi, qui inclue la représentation nationale, non une discussion express ou une concertation comme celle à laquelle nous sommes habitués depuis deux ans et demi et dont nous connaissons les insuffisances.

Je saisis cette occasion pour vous interroger sur la situation des artistes-auteurs affiliés à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), la sécurité sociale des auteurs : ils sont nombreux à avoir cru cotiser alors que l’organisme chargé de la collecte était défaillant et ils risquent de se retrouver avec des droits à la retraite très réduits, voire nuls. Cette situation ne peut perdurer et si des erreurs ont été commises, il faut garantir leurs droits à la retraite.

M. Régis Juanico. Nous sommes dimanche, un jour particulier dans la vie sociale et associative de nos concitoyens. Il n’a pas été fait référence, ni dans nos débats ni dans l’étude d’impact, aux conséquences du report de l’âge de départ sur l’engagement associatif et citoyen, notamment dans les conseils municipaux. Sans les retraités, il n’y aurait pas de vie associative : 40 % d’entre eux sont membres d’associations, leur taux de participation culmine à 45 % entre 60 et 70 ans, 50 % des présidents d’associations sont des retraités, et le tiers d’entre eux est âgé de plus de 65 ans. Les publications le montrent, la participation associative est bénéfique pour la santé. Les mesures visant à reporter l’âge de départ ont entraîné ces dix dernières années une baisse de l’engagement, notamment des responsables, qui est passé de 38 à 31 %. Avez-vous mesuré les conséquences de votre réforme dans ce domaine ?

Mme Sabine Rubin. En instaurant un âge d’équilibre fixé à 65 ans, cette réforme nous ramène plus d’un siècle en arrière. Nous avons critiqué à plusieurs reprises les ordonnances. Même si la situation de ces professions pose problème et si l’État pourrait prendre en charge quelques points supplémentaires, cette question ne devrait pas être traitée par voie d’ordonnance.

Mme Bénédicte Taurine. Depuis le début, et comme pour d’autres textes, nous sommes opposés au passage par les ordonnances. Nous demandons donc la suppression de l’article.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je remercie les personnes présentes en ce dimanche matin et salue l’implication de ceux qui se mobilisent pour l’avenir des retraités.

L’article 16 vise à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures pour neutraliser les effets du régime par points pour certaines catégories – les artistes du spectacle, les mannequins, les artistes-auteurs ou les ministres des cultes – et organiser les transitions, sur les taux comme sur les assiettes. La voie de l’ordonnance permet d’apporter une meilleure réponse à ces situations spécifiques.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Nicolas Stérin, un dessinateur qui me caricature parfois dans la presse locale, m’a interpellé sur les défaillances relevées à l’AGESSA, dont il a été beaucoup question au festival d’Angoulême : réglementation respectée pour 6 % des cotisants seulement, champ d’application ouvert à tous vents, artistes-auteurs sans droit à la retraite, cotisations sociales payées sur les recettes et non sur les bénéfices, contribution des diffuseurs à la charge des artistes-auteurs. Les représentants de l’État, qui auraient été informés, se retrouvent d’une certaine manière complices de cette turpitude. Monsieur le secrétaire d’État, comment pouvons-nous, à la faveur de cette réforme, corriger cette situation et répondre à la désespérance des personnes affiliées à la l’AGESSA ? Si vous en êtes d’accord, j’aimerais m’en entretenir avec vous.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Face à ces défaillances, l’État s’est montré plutôt réactif, avant même que nous n’arrivions aux responsabilités, et je ne pense pas que l’on puisse l’accuser d’avoir été « complice de cette turpitude ». Depuis 2016, toutes les mesures ont été prises pour mettre un terme aux dysfonctionnements constatés – un défaut d’information et de communication systématique du numéro de sécurité sociale a empêché l’appel des cotisations – et les artistes auteurs se sont vus proposer de racheter des droits. Les choses sont rentrées dans l’ordre et je me tiens à votre disposition pour échanger dans le détail sur cette question.

M. Régis Juanico. Ce sont quand même 190 000 artistes-auteurs qui sont concernés ! Depuis la création du régime en 1975, ils n’ont jamais été prélevés de cotisations à l’assurance vieillesse, alors que le contraire leur était indiqué. Le prélèvement des cotisations est désormais assuré par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, mais la phase de transition s’avère chaotique. Pouvez‑vous nous rassurer quant au fait que ces personnes se verront servir des pensions à la hauteur de ce qu’elles auraient dû cotiser ? Cela nous invite à réfléchir à l’avenir du statut des auteurs.

M. Pierre Dharréville. Le rapport Racine, qui a fait état de la situation, souligne également que « les représentants des artistes-auteurs entendus par la mission ont exprimé leur inquiétude quant au projet de réforme des retraites. Ils souhaitent pouvoir maintenir leur niveau actuel de cotisations sans réduire leurs droits à pension tout en étant conscients que seul un choix politique en leur faveur pourrait le permettre. »

Il est prévu que le ministère de la culture prenne en charge les cotisations à hauteur des réductions de taux applicables – les artistes auteurs bénéficient d’un abattement de 30 % –, mais rien n’indique que cette charge sera compensée d’une année sur l’autre dans le budget du ministère, ce qui pourrait affaiblir ses autres actions. Inquiets de l’absence de mécanisme de compensation intégrale et durable au sein du budget du ministère mais aussi des répercussions de cette situation complexe sur d’autres secteurs comme la formation, nous souhaitons être éclairés et rassurés. Il est nécessaire d’inscrire des garanties dans la loi.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 10022 de M. Éric Coquerel, n° 10034 de Mme Sabine Rubin et n° 10036 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Opposés au système par points, nous souhaitons inscrire à l’article 16 que les personnes relevant de ces catégories « ne pourront faire l’objet d’aucune mesure les adjoignant à un autre régime tant que leurs revenus ne le permettront pas, ni même qu’une hausse des cotisations ne puisse être effectuée sans mettre en danger leur activité ».

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je me permets de rappeler que des taux réduits de cotisation entraînent moins de droits. C’est la raison pour laquelle nous envisageons une période de transition longue, une prise en charge par l’État des réductions des taux de cotisation et des cotisations à la charge de l’employeur pour les artistes auteurs, ainsi que le maintien de l’assiette au SMIC pour les ministres des cultes. J’ajoute que, dans son considérant 50, le Conseil d’État a estimé que ces taux réduits n’avaient plus de fondement juridique et qu’ils ne pouvaient être maintenus qu’à titre transitoire.

M. Pierre Dharréville. Vous nous dites qu’au sortir de la longue phase de transition, le ratio entre les cotisations et les droits sera modifié. Les artistes-auteurs nous ont pourtant alertés récemment sur la précarité de leur situation et la faible rémunération de leur travail. Quelles mesures prendrez-vous dans l’intervalle ? On ne peut se contenter de cette politique en biseau. Les artistes-auteurs ont besoin de reconnaissance, y compris salariale. Vanter les mérites de leur art une fois l’an est insuffisant.

Mme Bénédicte Taurine. Opposés à la réforme dans sa globalité, nous ne saurions nous satisfaire de votre réponse, monsieur le rapporteur.

Mme Valérie Rabault. M. le secrétaire d’État peut-il nous expliquer comment il entend corriger la situation des artistes-auteurs anciennement assujettis à l’AGESSA, dont les retraites sont menacées en raison d’un défaut de collecte de cotisations ? Ils seraient 190 000, ce qui commence à faire vraiment beaucoup !

M. le secrétaire d’État. L’avis du Conseil d’État est assez détaillé, page 23 : les mesures de compensation prises en faveur des journalistes ou des intermittents seront transitoires, celles dont bénéficieront les ministres des cultes et les artistes-auteurs seront pérennes. Pour cette dernière catégorie, le ministère de la culture prendra en charge les cotisations à la charge de l’employeur. La réforme aura donc un effet très positif sur leur pension.

J’ai évoqué tout à l’heure les dysfonctionnements dans la collecte des cotisations par l’AGESSA et les mesures prises depuis 2016, qui ont permis le rachat de trimestres lorsque c’était possible. Cette réforme représente pour les artistes-auteurs une évolution très positive de leur situation.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 9367 de M. Éric Coquerel, n° 9387 de Mme Sabine Rubin et n° 9408 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Votre réponse ne me convainc pas, monsieur le secrétaire d’État. Vous laissez planer des incertitudes tout en assurant que la réforme sera « positive » pour ces catégories. Cet amendement vise à rectifier le tir.

Mme Sabine Rubin. Ce projet de loi aura des conséquences funestes pour une grande majorité alors que milliardaires et grandes fortunes abondent.

Mme Bénédicte Taurine. En toute logique, nous demandons la suppression de l’alinéa 1, qui prévoit que le Gouvernement est habilité à prendre des mesures par voie d’ordonnance.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’exposé sommaire de votre amendement montre que nous sommes dans un affrontement projet contre projet.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Le texte ne semble pas tenir compte de la spécificité des artistes-auteurs, dont les revenus sont irréguliers et le régime fort peu éloigné de celui des professions libérales. Celles-ci verront leur taux de cotisation doubler, passant de 14 à 28 %, moyennant une compensation via la contribution sociale généralisée (CSG), dont le nouveau calcul de l’assiette demeure encore flou. Pourriez-vous expliquer précisément quelles sont les pistes envisagées pour les artistes-auteurs, quand bien même, et malgré notre opposition, le Gouvernement procédera par voie d’ordonnance ?

M. Pierre Dharréville. Une circulaire interministérielle de 2016 permet aux artistes auteurs anciennement affiliés à l’AGESSA de payer a posteriori leurs cotisations. Comme l’explique le rapport Racine, eu égard à son coût, quelques dizaines de personnes seulement ont pu se permettre d’opter pour cette régularisation. Votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, est insuffisante.

Par ailleurs, dans le rapport du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, il est expliqué qu’« afin de ne pas introduire de rupture dans des outils de soutien à certaines politiques publiques dont la portée va au-delà̀ de la seule question des retraites, il est légitime de financer par le budget de l’État la prise en charge de points à hauteur du niveau qui aurait été́ applicable si les assurés étaient redevables des cotisations au taux de droit commun ». Or il ressort de vos réponses et du projet de loi lui-même que « la prise en charge de points à hauteur des réductions de taux sera transitoire, pour une durée maximale de quinze ans ». Cela ne correspond pas du tout aux attentes, ni aux besoins.

M. le secrétaire d’État. Madame Rabault, ce qui ne change pas pour les artistes‑auteurs, c’est leur mode de rémunération, fondé sur les droits d’auteur, et leur affiliation à l’AGESSA et à la Maison des artistes. Comme pour les autres régimes complémentaires, la profession conservera la maîtrise de ses réserves, et comme ailleurs, les artistes auteurs nés avant 1975 resteront dans l’ancien régime.

Pour les artistes‑auteurs, nous avons fait un choix politique très fort, que nous réaffirmons. L’ordonnance aura pour objet de maintenir l’assujettissement à la seule part salariale des cotisations et de prévoir une prise en charge par le budget de l’État de la part patronale, à hauteur d’un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS). Le soutien aux artistes‑auteurs est donc réaffirmé.

L’effet de la réforme sur les pensions sera très positif. En effet, les artistes‑auteurs, la plupart du temps polypensionnés, auront tout intérêt à intégrer un système universel par points qui permettra un traitement continu de leurs cotisations vieillesse. Les effets se vérifient dans les cas type que nous avons étudiés, allant de 5 000 euros à 3 PASS. Pour les artistes‑auteurs affiliés uniquement au régime de base, une hausse limitée des cotisations est à prévoir ; elle sera lissée sur quinze ans et largement compensée par l’évolution des pensions.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 9449 de Mme Sabine Rubin et n° 9451 Mme Bénédicte Taurine.

Mme Sabine Rubin. Les précisions que vous avez apportées soulèvent quelques interrogations. Que se passera-t-il pour les personnes nées avant 1975 ?

Mme Bénédicte Taurine. Nous ne pouvons pas prendre position de façon éclairée sur une mesure de transition s’étalant sur quinze ans. En conséquence, nous demandons la suppression des alinéas 2 et 3.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous assumons de prendre le temps afin que la transition se fasse de la manière la plus douce et la plus neutre possible. Je vous indique que l’alinéa 3, que vous souhaitez supprimer, prévoit la prise en charge de points supplémentaires par le budget de l’État, à hauteur de la part des cotisations à la charge de l’employeur. Enfin, on parle beaucoup d’assiette réduite. Lorsque l’on est jeune, la constitution de droits à la retraite ne prime pas et l’arbitrage, s’il devait s’imposer entre des cotisations retraite et une fin de mois plus confortable, se ferait rapidement. Lorsque l’assiette est réduite, on acquiert moins de droits et la pension finalement constituée est très faible. Heureusement, des systèmes ont obligé les assurés à cotiser à des hauteurs suffisamment importantes pour jouir de retraites décentes.

Avis défavorable.

Mme Bénédicte Taurine. Nous sommes opposés à l’ensemble du texte, que l’alinéa 3 de l’article 16 n’améliore qu’à la marge. Par ailleurs, la transition pourrait durer trente ou quarante ans que nous n’en saurions pas davantage sur les mesures que vous destinez à ces professions. C’est surtout l’habilitation à prendre des mesures par voie d’ordonnance qui est problématique.

La commission rejette les amendements

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 10039 de M. Éric Coquerel, n° 10054 de Mme Sabine Rubin et n° 10056 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Je souhaite revenir sur la philosophie de cet article. Puisque certains assurés acquerront moins de points du fait des réductions de taux de cotisation, vous êtes obligés d’introduire – par ordonnance qui plus est – des mécanismes de rectification peu lisibles et qui seront synonymes d’appauvrissement. Votre réforme, une usine à gaz qui prétend en finir avec un système qui fonctionnait depuis des décennies, est un gâchis. Heureusement, elle ne passera pas !

Mme Bénédicte Taurine. L’alinéa 3 concerne notamment les ministres des cultes. La France bénéficie d’une laïcité apaisée et ce sujet sensible ne devrait pas être traité par voie d’ordonnance. L’État doit se garder de jouer un rôle actif de financeur ou d’organisateur économique des cultes.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 22127 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Vous avez expliqué que le système par points serait plus favorable aux artistes-auteurs. J’en doute et je ne suis pas le seul, car les organisations syndicales craignent que le soutien de la puissance publique fasse défaut.

En disant « chaque euro cotisé donne les mêmes droits », vous faites une promesse que vous ne pouvez honorer, dans la mesure où la durée de vie est différente pour chacun. Cette logique instaure un système de rente viagère, génération par génération. Il s’agit d’une transformation profonde de la philosophie même de notre système de retraite : les droits ne sont plus garantis, on parie sur l’espérance de vie de chaque génération, qui conditionnera l’âge d’équilibre. Cette transformation n’est pas anodine et mériterait de votre part des justifications plus convaincantes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, s’il existe bien une catégorie pour laquelle il est difficile de calculer la retraite sur la base des trimestres cotisés, c’est celle des artistes-auteurs, dont la carrière est bien peu linéaire et très progressive, au fur et à mesure de leur montée en notoriété. L’approche par points, proportionnelle aux revenus, est beaucoup plus logique. D’autre part, des politiques publiques sont menées en faveur de ces professions très spécifiques. Le secrétaire d’État l’a rappelé, elles sont confirmées avec la prise en charge par l’État de la part patronale jusqu’à 1 PASS. Prendre des mesures par voie d’ordonnance est plus efficace, eu égard à la multiplicité de ces professions.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Le Conseil d’État relève que « l’objectif selon lequel "chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous" reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture de droits définies par le projet de loi ». Il note que le système à points « pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d’emploi difficiles, associées au versement des cotisations nettement moins élevées que sur le reste de leur carrière, dont la règle de prise en compte des 25 meilleures années, applicable au régime général et dans les régimes alignés, supprimait les effets pour le calcul de la pension de retraite ». Vous voyez bien qu’en additionnant système à points et suppression de la référence aux vingt-cinq meilleures années – selon une brillante démonstration mathématique que je n’ai toujours pas comprise –, vous entraînez une dégradation des droits.

Mme Sabine Rubin. Lorsque le rapporteur affirme que le système à points est plus adapté aux personnes dont les revenus sont irréguliers, il souligne en creux qu’il est inutile pour les personnes dont les carrières sont plus stables – ce qui est encore le cas de la majorité d’entre elles. Oui, votre système est adapté au monde futur, celui que vous nous préparez, fait d’incertitudes, de flexibilité et de précarité.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Coquerel, s’il est une usine à gaz, c’est bien le système actuel : j’en veux pour preuve les dysfonctionnements qui ont frappé le régime des artistes-auteurs et que vous vous êtes attachés à relever. Par ailleurs, la prise en charge des cotisations patronales par le budget du ministère de la culture, plutôt que par les autres assurés, est le reflet d’une politique culturelle ambitieuse. Enfin, madame Taurine, nous ne nous immisçons pas dans l’organisation des cultes, nous tenons compte de la réalité des revenus des ministres des cultes, très modestes, en maintenant l’assiette forfaitaire au SMIC.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 9670 de M. Éric Coquerel, n° 9694 de Mme Sabine Rubin et n° 9697 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Je ne sais pas trop à quelle demi-heure vous faites allusion, monsieur le secrétaire d’État, mais soit...

S’agissant des artistes, nous pensons également que le système actuel mérite un toilettage : revenir, par exemple, aux dix meilleures années ou permettre un départ à la retraite à 60 ans au lieu de 62 ans. Concernant les intermittents du spectacle, nous pourrions réfléchir ensemble à un système leur assurant une retraite plus digne, qui tiendrait compte de la précarité de leur travail. Avec votre système à points, non seulement on ne connaît pas vraiment la valeur qu’auront les points en définitive, du fait de la règle d’or, mais surtout on ne sait pas du tout à quel âge on pourra réellement en bénéficier.

Mme Sabine Rubin. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas encore parlé des ministres des cultes, puisque c’est précisément à cet alinéa qu’on les évoque, avec la mention de l’article L. 382 15 du code de la sécurité sociale. Ma collègue ayant exprimé notre position, je n’ai rien à ajouter.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 4. Vous souhaitez prendre par voie d’ordonnance des mesures pour « maintenir les règles particulières d’assiette applicables aux personnes mentionnées à l’article L. 38215 ». En réalité, vous nous demandez de vous habiliter à modifier quelque chose dans le but de ne pas le modifier. Je ne vous comprends pas bien...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La prise en charge de certains ministres des cultes relève d’une histoire, à laquelle nous devons être fidèles, d’autant que leur démographie ne cesse de baisser.

Avis défavorable.

Mme Bénédicte Taurine. Je comprends bien ce que vous dites, monsieur le rapporteur. Mais vous nous demandez, à l’alinéa 4, de prendre par voie d’ordonnance des mesures destinées à maintenir des règles particulières, ce qui ne me semble pas très pertinent.

M. Régis Juanico. Monsieur le secrétaire d’État, quel est l’avenir de l’Institution de retraite complémentaire de l’enseignement et de la création (IRCEC), dont le projet de loi prévoit la disparition, à l’issue d’une période de transition, et l’intégration dans le futur système universel ? La disparition d’une institution, qui gère plusieurs régimes de retraite complémentaire, pourrait priver les auteurs d’une structure dédiée gérant les réserves qu’ils ont collectivement constituées. Elle pourrait aussi fragiliser injustement la possibilité pour les auteurs, en particulier ceux nés avant 1975, de créer un étage professionnel permettant d’ouvrir de nouveaux droits. Enfin, il est nécessaire que l’IRCEC poursuive son activité, au moins jusqu’à ce que les derniers auteurs nés avant 1975 liquident leur retraite.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 16 sans modification.

Avant l’article 17

La commission examine les amendements identiques n° 10231 de M. Éric Coquerel, n° 10246 de Mme Sabine Rubin et n° 10250 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Sabine Rubin. Permettez-moi de revenir un peu en arrière... Les professionnels mentionnés à l’article 16 pourront toucher leur retraite à 64 ans. Or ils ne cessent pas d’être créatifs du jour au lendemain. Est-ce que les cotisations versées après 64 ans leur permettront de bénéficier d’une surcote ?

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement vise à changer l’intitulé de la section 2, en : « Dispositions pour mettre fin au caractère solidaire de notre système de retraite ».

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Rubin, pour ce qui est des décotes et des surcotes, je vous invite à examiner les titres suivants.

Avis défavorable.

M. le secrétaire d’État. Les artistes- auteurs seront concernés comme les autres par les dispositifs de surcote et de cumul emploi-retraite. Le système universel aura un effet très positif pour eux, ce qu’ont d’ailleurs très bien perçu leurs organisations représentatives. Pour un revenu de 5 000 euros annuels, la pension sera doublée ; pour 40 000 euros, elle augmentera de 11 % ; pour un revenu au-delà, de 17 %.

M. Serge Letchimy. L’article 17 est particulièrement important, notamment en ce qui concerne les fonctionnaires. Un décret d’application doit préciser le niveau de plafond imposé aux fonctionnaires touchant la surrémunération liée à la vie chère, obtenue à l’issue de luttes sociales très importantes. À quelle hauteur les fonctionnaires des collectivités d’État contribueront-ils sur ces éléments de rémunération supplémentaires ? Par ailleurs, quelles seraient les conséquences sur la retraite des fonctionnaires d’une surcotisation pour les collectivités locales et les hôpitaux ? Nous savons pertinemment que les fonctionnaires vont perdre avec votre réforme. La diminution de leur pension ne sera pas compensée par la cotisation sur leur surrémunération. La pension risque donc d’être doublement touchée.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, les chiffres que vous venez de citer sont-ils ceux de l’étude d’impact ? Si vous mentionnez l’évolution des pensions, je m’interroge, quant à moi, sur le rendement des cotisations des artistes-auteurs. J’imagine que leurs pensions seront plus élevées parce que leurs cotisations le seront aussi. Selon quel ratio ? Il faudrait qu’ils puissent supporter l’augmentation du niveau de leurs cotisations.

S’agissant du dispositif d’allongement de la durée des cotisations, s’il existe des artistes qui prolongent leurs activités assez tardivement, d’autres ont hâte de bénéficier d’un droit à la retraite. Nous devons porter sur eux un regard juste.

La commission rejette les amendements.

Section 3 : Dispositions applicables aux fonctionnaires et aux salariés des anciens régimes spéciaux

Article 17 : Dispositions applicables aux fonctionnaires

La commission examine les amendements de suppression n° 5442 de M. Éric Coquerel, n° 5540 de Mme Bénédicte Taurine et n° 21100 de M. Boris Vallaud.

M. Éric Coquerel. L’amendement vise à supprimer l’article. Si votre réforme est une machine de guerre contre les salariés, elle l’est encore plus particulièrement contre les fonctionnaires, qui bénéficient en France, comparativement aux pays développés, des plus faibles revenus. Vous allez supprimer le calcul sur les six derniers mois de carrière, ce qui représente un recul considérable. Pour tenter de calmer leur colère, vous leur laissez quelques miettes. C’est ainsi que vous allez prendre en compte les conditions locales d’existence dans l’assiette de cotisations, mais seulement dans les limites d’un plafond fixé par décret. Encore une fois, on ne sait pas à l’avance quel sera leur sort. On sait seulement qu’ils y perdront énormément. C’est en réalité tout un ensemble de lois qui est en train de casser la fonction publique d’État, en l’assimilant à du privé, avec tous les désagréments et toutes les catastrophes que cela entraîne pour eux et pour l’État.

Mme Bénédicte Taurine. L’article prévoit que les cotisations d’assurance vieillesse, dues par les fonctionnaires, les magistrats et les militaires ainsi que par leurs employeurs, seront calculées seront les règles fixées pour les salariés du secteur privé, lesquelles sont moins avantageuses que les règles actuelles. Au lieu d’améliorer les situations, vous tirez les fonctionnaires vers le bas !

M. Serge Letchimy. Le système que vous souhaitez instaurer va accroître les inégalités parmi l’ensemble des assurés, plus particulièrement les fonctionnaires. Calculer le montant de la retraite sur l’ensemble de la carrière plutôt que sur les meilleures années donnera des revenus de référence mécaniquement plus faibles et, par conséquent, une plus faible pension. Je souhaite vraiment, monsieur le secrétaire d’État, entendre votre réponse à ma question précédente. La mobilisation a duré deux mois et demi en Martinique et en Guadeloupe sur la question de la prise en compte de la vie chère dans le calcul des pensions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, vous avez le droit d’être opposé à notre réforme, mais je condamne vos choix d’expression : « laisser des miettes », « calmer leur colère »... Vous cherchez à monter les Français les uns contre les autres. Le système actuel a des défauts ; nous en proposons un autre, qui a peut-être des limites et des insuffisances que je vous invite à corriger. Mais agiter des peurs ne contribue ni à rasséréner notre corps social ni à faire prendre les bonnes décisions.

L’article 17 applique les règles de cotisations cibles prévues pour les salariés aux personnels statutaires des trois fonctions publiques. Ce choix implique une modification importante des taux applicables, compte tenu des contributions élevées des employeurs publics à l’équilibre des régimes de fonctionnaires, ainsi qu’une modification au moins aussi importante de l’assiette de cotisations, qui inclura désormais l’ensemble de la rémunération des fonctionnaires, dont les primes. Madame Taurine, vaut-il mieux calculer la pension sur six mois, mais sur 78 % de la rémunération, ou sur toute la carrière, mais sur 100 % de la rémunération ? Afin de tenir compte de la situation spécifique de certains fonctionnaires, il est également prévu un plafonnement de l’assiette des primes ayant vocation à assurer l’attractivité ou à compenser la cherté de la vie dans certains territoires, notamment les territoires ultramarins.

Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, les Français n’ont pas besoin de nous pour savoir ce qu’il y a dans votre loi. C’est bien parce qu’ils l’ont lue qu’ils y sont opposés. Pour une majorité qui se paie le luxe de mettre le pays à manifester depuis un an et demi, je trouve que, pour ce qui est de diviser les Français, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes favorables à l’intégration des primes dans le calcul des retraites, parce que tout ce qui relève de la rémunération du travail doit ouvrir des droits à la retraite. Dans la proposition de la loi que nous avons déposée, nous avons formulé la même proposition pour le système actuel. Néanmoins, les fonctionnaires percevant peu de primes, comme les enseignants et d’autres, ne vont rien gagner à cette règle. En proposant un système de rattrapage à leur intention, vous faites la preuve que votre système ne tourne pas rond. Par ailleurs, les hommes touchant plus de primes que les femmes dans la fonction publique, la réforme risque de creuser les inégalités. Le système à points est particulièrement inégalitaire.

M. Bruno Fuchs. Monsieur Coquerel, cela fait deux ans et demi que vous vous livrez à une entreprise systématique de dénigrement, sur des bases bien souvent plus idéologiques que factuelles. Les effets des textes que vous avez critiqués sont pourtant éloquents : création d’entreprises record...

M. Éric Coquerel. Combien d’autoentrepreneurs ?

M. Bruno Fuchs. Un quart de plus de micro‑entreprises et un tiers de plus d’entreprises industrielles ! Apprentissage record ! Pays le plus attractif en Europe ! Chômage en baisse sensible et régulière... Tous ces résultats vont à l’encontre de vos dénigrements systématiques.

M. Stéphane Viry. La question de l’intégration des primes des fonctionnaires dans le calcul des droits est importante. On sait que le système pourrait être injuste pour une partie d’entre eux. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaitais vous soumettre une hypothèse que vous n’avez peut-être pas suffisamment étudiée : pourquoi ne pas constituer, au-dessus de votre système universel, un régime complémentaire pour l’ensemble des salariés ? Cela offrirait plus de lisibilité, plus d’équité et permettrait d’intégrer les primes. Votre gouvernement a-t-il étudié une telle possibilité ?

Mme Valérie Rabault. Monsieur Fuchs, il vaut toujours mieux regarder les chiffres dans leur ensemble. Il y a une semaine, l’Institut national de la statistique et des études économiques a publié ceux de la croissance du quatrième trimestre de 2019. Pour la première fois, elle est négative ! Notre économie détruit de la valeur. Vous allez me répondre que c’est la conséquence des mouvements sociaux, alors qu’il s’agit bien de la structure de notre économie. Or, quand vous êtes arrivés aux responsabilités, vous avez hérité d’une croissance à 2,2 %. Je vous connais, vous trouverez de bonnes excuses, en accusant l’environnement international ou d’autres facteurs.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Letchimy, le plafond pour les primes outre‑mer et à l’étranger sera fixé de manière à préserver le niveau des pensions des fonctionnaires concernés, y compris avec une compensation des bonifications de dépaysement. Soyez serein. Nous veillerons à éviter, cependant, tout effet d’aubaine. J’ai répondu, au Sénat, à l’un de vos collègues sur ce sujet que je suis très attentivement avec Annick Girardin.

J’entends une sorte de petite musique de fond qui voudrait essayer de faire croire qu’il y aurait des pertes pour les fonctionnaires. Pour la sixième fois au moins, je vous rappelle que tous les futurs retraités modestes du privé verront une dynamique très positive de leur pension, et qu’un quart d’entre eux verront une amélioration de près de 30 %. L’effet redistributif est réel. Le système étant universel, ce qui sera vrai pour les salariés du privé le sera aussi pour les fonctionnaires. Cela étant, pour les fonctionnaires de catégorie A, qui ont peu de primes voire n’en ont pas, le système posait un vrai problème. C’est pour cela que la majorité et le Gouvernement ont voulu envoyer un signal très fort en créant l’article 1er bis.

S’agissant des inégalités dans la répartition des primes entre les hommes et les femmes dans la fonction publique, il apparaît que la majorité des femmes ont des fonctions de type administratif et les hommes des fonctions techniques, ce qui pose la question du recrutement, de l’intégration et de la formation des femmes. Le 30 novembre 2018, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics, Olivier Dussopt, a d’ailleurs signé un protocole avec une majorité de syndicats sur cette question.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 5429 de Mme Clémentine Autain, n° 5443 de M. Éric Coquerel, n° 5527 de Mme Sabine Rubin et n° 5541 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais entendre vos explications sur l’instauration progressive du taux unique, car nous contestons profondément votre logique d’alignement sur le privé.

M. Éric Coquerel. Je suis également opposé à votre manière de compenser, qui conduit à faire baisser la pension des fonctionnaires et à reculer le départ à la retraite. Même si vous en parlez dans votre texte, rappelons qu’actuellement certaines primes sont déjà prises en compte, dans le régime de retraite additionnelle de la fonction publique. Notons par ailleurs que l’évolution qui a conduit les revenus des fonctionnaires à se transformer en primes n’est pas satisfaisante.

Mme Sabine Rubin. J’ai une question plus précise sur les professeurs des écoles, qui sont le plus souvent des femmes. M. Blanquer a fait des annonces très inquiétantes en réalité. Quand bien même il serait possible de verser les 10 milliards d’euros annoncés de 2021 à 2037, cela ne représenterait qu’une augmentation de salaire de 9,5 % sur toute la période, alors que l’inflation est estimée à 16 %. (Exclamations.) M. Blanquer s’est ensuite engagé à augmenter le budget de 500 millions d’euros uniquement en 2021.

Mme Bénédicte Taurine. J’ai été interpellée par un collègue d’EPS qui m’a fait remarquer que, dans un système à points prenant en compte l’ensemble de la carrière, la faiblesse du salaire des enseignants ne pouvait que les pénaliser. Tout à l’heure, monsieur le rapporteur, vous m’avez dit qu’il valait mieux prendre en compte une carrière à 100 % que 78 % des six derniers mois. Pourriez-vous revenir sur ce calcul ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous progressons ! M. Viry semble admettre l’intérêt du système unique. M. Dharréville trouve qu’il serait intéressant d’intégrer les primes. Quant à M. Coquerel, c’est un choc, il évoque le régime de retraite additionnelle de la fonction publique, un régime par capitalisation et à points...

Monsieur Dharréville, il a été dit très tôt que l’application stricte de la réforme aux enseignants ferait baisser leurs pensions. M. Blanquer travaille sur le sujet, afin que les pensions soient maintenues à leur niveau et que les enseignants voient leur rémunération augmenter, ce qui est doublement positif. Nous essayons de résorber l’écart majeur qui s’est créé entre la rémunération des enseignants français et celles de leurs collègues européens et leur rémunération et celle des autres fonctionnaires de même catégorie. La question de l’inégalité des primes sera également intégrée dans les politiques publiques. Tout cela suppose une transition longue.

Madame Autain, depuis quelques années, le montant de la somme nécessaire pour régler les pensions des fonctionnaires apparaît dans un compte d’affectation spéciale (CAS) pour le rendre visible. Ramené au nombre de fonctionnaires actifs, le montant définit un taux optique de cotisations patronales de 74 % pour les civils et de 126 % pour les militaires. Le ratio actifs sur pensionnés dans la fonction publique d’État est de 0,93. Du fait de la décentralisation notamment, certains fonctionnaires sont pensionnés à l’État sans avoir de successeurs. De même, la professionnalisation de nos armées explique la baisse du nombre de militaires. Ne croyez pas que, parce que son taux diminuera, l’État sera gagnant. Il s’est engagé à transférer la somme correspondante dans les budgets de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU).

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique, l’écart moyen de salaire entre les hommes et les femmes est de 12,6 %. On peut ainsi lire dans Les Échos du 22 janvier : « Le rapport annuel de 2018 montre que les écarts se creusent au fur et à mesure de l’avancement de la carrière et que les primes pèsent lourd dans ce mouvement. Pour la catégorie A (cadres), "le manque à gagner moyen des femmes en termes de primes représente 20 % de l’ensemble des écarts de rémunération constatés", note le rapport, qui cite une étude de 2015. Pour leurs collègues de catégorie B et C, les primes expliquent même respectivement 42 % et 38 % du différentiel de salaire à cet âge. Sachant que le montant des primes représente en moyenne 22,2 % de la rémunération brute des agents. Cette augmentation des inégalités de pensions va même être paradoxalement accrue dans la phase de transition de la réforme. [...] Le taux va démarrer à 5 %, le montant actuel de la cotisation au Régime additionnel de la fonction publique, cette retraite en capitalisation créée en 2003 sur les primes jusqu’au plafond de 20 % de la rémunération. Il augmentera progressivement jusqu’à 11,25 %. L’État versera un complément au régime universel jusqu’à la fin de la montée en charge, ce qui avantagera donc plus les hommes que les femmes. » Pouvez-vous contredire cet article, monsieur le secrétaire d’État ? Par ailleurs, comment la montée en charge des primes sera-t-elle compensée pour la fonction publique territoriale ?

M. Serge Letchimy. Monsieur le ministre, vous reconnaissez qu’il y aura une baisse mécanique de la pension des fonctionnaires, notamment des enseignants. Dans la lettre que vous avez cosignée avec la ministre des outre-mer, vous précisez que la prime de vie chère, de 40 %, ne sera intégrée qu’à 50 % dans le calcul des pensions. Vous infligez une double peine aux fonctionnaires d’outre-mer : une baisse de leur traitement causée par la hausse des cotisations et l’absence de prise en compte de la moitié de la prime dans le calcul de leur pension. Vous dites que le niveau des pensions ne va pas changer, je souhaite vraiment que l’ensemble des syndicats martiniquais et guadeloupéens soient associés à la préparation du décret, afin d’éviter de constater, à la fin, une perte des pensions et une diminution des rémunérations. Une compensation globale par l’État serait bienvenue.

Mme Sabine Rubin. La mention, dans ce projet de loi, d’une future loi de programmation sur la rémunération est inconstitutionnelle ; nous devrions décider de la revalorisation du traitement des enseignants avant de voter ce texte. Toutes les solutions proposées à ce jour pour les enseignants sont insatisfaisantes ; je ne comprends pas pourquoi le rapporteur parle d’une solution doublement positive, puisque les enseignants vont y perdre en rémunération. Et M. Blanquer en profite pour faire passer une loi pour une « école du XXIe siècle » – merci du jargon, nous y sommes depuis déjà vingt ans au XXIe siècle ! – qui fait évoluer le métier. Le flou est total, et toutes ces incertitudes expliquent que les professeurs et les enseignants soient très mobilisés dans la rue.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 5430 de Mme Clémentine Autain, n° 5444 de M. Éric Coquerel, n° 5528 de Mme Sabine Rubin et n° 5542 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Les éclairages du rapporteur ne m’ont pas convaincue. Le taux unique va aligner la part cotisée par l’État sur celle du secteur privé, soit 28 %. Dans le secteur privé, 60 % de cette cotisation est prise en charge par l’employeur, et 40 % par le salarié, bien que cette distinction soit une vue de l’esprit : il s’agit toujours d’une ponction sur la richesse produite. Aujourd’hui, l’État cotise à hauteur de 74 %. Ramener sa cotisation au niveau du secteur privé, donc 28 %, entraîne un manque absolument considérable, que des économistes ont estimé à 43 milliards, soit 2 points de produit intérieur brut (PIB). La question n’est pas marginale : comment comptez-vous compenser cela ?

M. Éric Coquerel. Ce débat sur la compensation me rappelle celui que nous avons consacré au plafonnement des cotisations à 3 PASS au lieu de 8 : cela fait partie des inconnues du texte au moment où nous légiférons. En réalité, nous ne connaissons pas le coût pour la Nation de la réforme prétendument universelle que vous défendez.

Mme Bénédicte Taurine. S’agissant des enseignants, le courrier que j’ai déjà mentionné indique que le calcul des pensions sur les six derniers mois visait à corriger une construction de carrière dans laquelle le début et le milieu de carrière sont mal rémunérés. Pour que les enseignants ne soient pas perdants, il faudrait revaloriser leurs salaires de 30 % tout au long de leur carrière, je ne sais pas si c’est ce que le Gouvernement envisage. Par ailleurs, les mesures de compensation proposées ne sont que des créations indemnitaires, par nature inégalitaires car elles concernent la prise de fonctions supplémentaires, le plus souvent assumées par des hommes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Jumel, effectivement, à très court terme, l’intégration des primes va renforcer l’inégalité entre hommes et femmes car les hommes touchent plus de primes. Si la structure de rémunération des fonctionnaires reste inchangée, par un effet mécanique, l’intégration des primes va aggraver les inégalités de rémunération. Mais ces primes seront intégrées à partir de 2027 ; il faut mener un rééquilibrage entre hommes et femmes de l’ensemble de la rémunération, primes incluses.

La fonction publique territoriale, quant à elle, est de la responsabilité des différentes collectivités. Comme dans le cas soulevé par Mme Autain, le taux optique sera réduit dans les collectivités territoriales, ce qui peut laisser des marges de manœuvre pour rééquilibrer les rémunérations.

Les politiques sur l’égalité entre hommes et femmes doivent s’appliquer à toutes les entreprises, l’État, et bien sûr les collectivités territoriales. Nous suivons bien une trajectoire de résorption de ces inégalités, mais nous ne partons pas d’une page blanche.

Madame Autain, vous sous-estimez presque le constat, puisque vous parlez d’un passage de 74 % à 28 % de la part cotisée par l’État, mais il faudrait en fait comparer aux 60 % de 28 %, qui correspondent à la part patronale des cotisations, soit 16 %. Les fonctionnaires cotisent déjà sur leur part salariale, entre 10 et 10,5 %, le passage à 11,25 % les concernant sera tout à fait gérable avec une longue transition.

S’agissant de la part payée par l’État, en 2020, au sein du CAS Pensions, 46 milliards sont consacrés aux fonctionnaires civils, et environ 10 milliards aux anciens militaires. Optiquement, il semble que l’État va moins cotiser, mais l’État s’est engagé à ce que les 43 milliards que vous évoquez soient affectés à la CNRU. Actuellement, la somme n’est pas budgétée au titre des cotisations professionnelles des fonctionnaires, mais pour payer les pensions de l’année.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Merci de me donner raison, monsieur le rapporteur. La réforme va s’appliquer aux personnes nées après 1975 – c’est l’âge de ma femme – qui sont déjà en poste et ne peuvent pas changer de métier si facilement. Les primes d’élagage et toutes celles afférentes à la spécificité du métier, qui causent les différences de rémunération constatées entre les femmes et les hommes, ne pourront pas être corrigées avec votre réforme. Les collectivités ne font pas selon leur bon vouloir en la matière, les primes sont liées aux fonctions exercées.

Quant à la remise en cause du calcul de la retraite sur les six derniers mois, vous savez qu’au sein des sapeurs-pompiers, des militaires, ou dans la fonction publique territoriale, il était courant de nommer un fonctionnaire au grade supérieur pour ses six derniers mois, à titre de récompense de son engagement. Cette pratique va disparaître, contribuant à amputer plus encore les retraites, en particulier dans la fonction publique territoriale.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, si vous qualifiez d’optique le déficit que la réforme va créer, il faut changer de lunettes, car il est très concret au contraire ! Il sera de 37 milliards d’euros au minimum : 33 milliards pour la fonction publique d’État, et 4 milliards pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Vous allez devoir trouver de meilleures explications. Ce déficit venant s’ajouter aux 72 milliards mentionnés hier, votre projet est en train de faire exploser les déficits. L’État va-t-il assurer ce déficit ? Nous ne pouvons pas légiférer à la hâte à propos d’une réforme qui menace de créer un trou abyssal dans les comptes. C’est pour cela que le mot « optique » me fâche, à moins que ce ne soit de l’humour...

M. Régis Juanico. Les enseignants seront les grands perdants de cette contre-réforme des retraites. Nous en savons un peu plus sur les modalités de compensation envisagées, il ne s’agira pas d’une revalorisation du point d’indice ni de hausse des salaires. Le ministre propose une hausse des primes, et expose quatre scénarios. Le premier concerne les échelons 2 à 5, soit 14 % des enseignants, qui bénéficieraient d’une revalorisation de 64 à 157 euros nets par mois. Le dernier concerne 76 % des enseignants, de l’échelon 2 à l’échelon 11, avec des primes s’échelonnant de 15 à 92 euros par mois. En tout, l’effort représente 200 millions d’euros, bien loin des 10 milliards espérés. En contrepartie, le ministre demande aux enseignants de perdre une semaine de congé par an, qu’ils consacreraient à la formation, et d’effectuer des remplacements rémunérés en heures supplémentaires.

M. Stéphane Viry. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que nos points de vue convergeaient ce dimanche matin : c’est parce que vous vous rapprochez de nos propositions. Nous avons toujours dit que nous étions favorables à un régime de retraite universel allant jusqu’à 1 PASS ; la nouveauté est que vous avanciez vers un alignement du public et du privé.

Nous avons deux sujets d’inquiétude. Tout d’abord, l’étude d’impact mentionne très clairement, page 156, que l’instauration du système universel ne conduira pas à une baisse des pensions moyennes. S’il s’agit d’une moyenne, il y aura bien des disparités, ce qui laisse à penser que des agents publics seront perdants, même si le terme peut sembler excessif.

Le déficit nous inquiète aussi, comme notre collègue de La France insoumise. Comment pouvons-nous assurer que les gouvernements futurs, dans des décennies, accepteront encore de verser des milliards pour combler le manque à gagner ? Ne craignez-vous pas qu’à terme, on demande aux salariés du privé de financer ce que l’État cherchera à économiser ?

Mme Céline Calvez. Puisque les enseignants, les enseignants-chercheurs et les chercheurs reviennent constamment dans le débat, permettez-moi de rappeler que nous avons voté mercredi un article 1er bis qui prévoit une loi de programmation, et nous aurons à nouveau l’occasion d’en parler dans l’hémicycle, ne revenons pas sempiternellement sur ce sujet. Une concertation va être menée jusqu’en avril, puis des négociations en vue d’une loi de programmation. Au cours de nos débats, ici ou au Sénat, nous aurons des points d’avancement qui pourront nous rassurer. Les enseignants seront doublement gagnants, car leur niveau de rémunération va progresser et leurs retraites seront maintenues ou progresseront. Cessons de tourner en rond.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 5431 de Mme Clémentine Autain, n° 5445 de M. Éric Coquerel, n° 5529 de Mme Sabine Rubin et n° 5543 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Ni le rapport Delevoye, ni l’étude d’impact ne contiennent d’éléments permettant de préciser par quel miracle le financement des retraites pourrait rester constant après la réforme malgré la chute vertigineuse des cotisations et de la part contributive de l’État. Même Dominique Seux, sur France inter, s’étonnait du manque d’éléments de cadrage financier.

Vous dites que les fonctionnaires seront peu affectés. Leur part de cotisation va tout de même passer de 10 à 12 %, ce qui représente près de 3 milliards d’euros. Vous prévoyez d’augmenter le traitement des fonctionnaires, mais nous ne savons pas dans quelle mesure : il n’y a strictement aucun engagement concret. Même le Conseil d’État s’est élevé contre le procédé consistant à faire voter un projet de loi ne précisant pas la mesure de l’augmentation du traitement des fonctionnaires que le Parlement devra ensuite adopter, ce qui est potentiellement inconstitutionnel.

M. Éric Coquerel. Madame Calvez, je ne vois pas ce qui vous permet de dire que ce projet sera doublement un gain pour les enseignants. Le projet de loi annonce une loi future, mais nous ne savons pas quel niveau de prime sera retenu pour calculer les cotisations. Et malheureusement, il y a de fortes chances que le Conseil constitutionnel retoque cette disposition car vous empruntez une voie totalement hasardeuse en prenant en compte une loi qui n’existe pas encore. Ce ne sont que des leurres que vous lancez pour calmer les enseignants, qui ont bien raison d’être énervés.

Mme Sabine Rubin. Nous souhaitons obtenir des réponses satisfaisantes : qui va compenser le déficit énorme et qu’en est-il de l’inconstitutionnalité de cette loi ? Concernant les enseignants, les différents scénarios ne sont pas chiffrés, nous sommes dans le brouillard.

Mme Bénédicte Taurine. Vous avez fait le constat que les enseignants français étaient mal rémunérés en comparaison avec leurs homologues européens, et vous prétendez leur offrir une revalorisation. Mais leur demander de remplir des missions supplémentaires pour toucher des primes, ce n’est pas une revalorisation, c’est une augmentation de la charge de travail. Le seul moyen de revaloriser les salaires serait d’améliorer les grilles indiciaires et d’augmenter la valeur du point d’indice, mais le Gouvernement prévoit de poursuivre le gel de ce dernier jusqu’en 2022.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. En réponse à l’interpellation assez désagréable de M. Coquerel, je précise que j’ai employé le terme de déficit « optique » parce qu’actuellement, l’État ne cotise pas en tant qu’employeur ; il s’agit donc d’une construction comptable. Je m’en suis déjà expliqué deux fois : sans parler d’optique, vous semblez avoir des problèmes d’audition.

Je n’imagine pas un instant que l’État revienne sur son engagement d’honorer les retraites de ses fonctionnaires : il assumera les conséquences de cette transformation.

Monsieur Viry, la convergence entre le public et le privé est antérieure à 2003. Un historien nous a rappelé qu’en 1945, le général de Gaulle, avec les communistes, souhaitait un régime unique, mais ils y ont renoncé sous la pression de corporations et des partisans des régimes préexistants. De nombreux régimes spéciaux ont été intégrés au régime général dans le passé ; le pays a compté plus de cent régimes spéciaux. Ainsi en 1990, chaque banque avait le sien, de même que les ports autonomes. Nous nous inscrivons donc dans la succession de réformes courageuses entreprises par le parti auquel vous appartenez. Nos options peuvent différer des vôtres, mais la tendance de fond est à la convergence des régimes.

Vous avez affirmé qu’il y aurait des perdants dans la fonction publique. Je rappelle que nous nous sommes engagés à maintenir les droits acquis. Par exemple, pour l’épouse de M. Jumel, ses droits seront acquis en fonction des règles en vigueur en 2027.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Ce sont des primes liées aux métiers ! Elle ne va pas devenir élagueuse !

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, vous nous dites que le passage de 74 % à 17 % de la part des cotisations de l’État, ou de 30,6 % à 17 % pour les collectivités locales et la fonction publique hospitalière, ne doit pas inquiéter car l’État le compensera. Mais absolument aucune garantie n’est prévue !

Laissez-moi vous rappeler deux exemples. L’État s’était engagé à compenser le manque à gagner engendré par la baisse des cotisations sociales, mais 5,2 milliards d’euros manquent aux caisses de retraite aujourd’hui, parce que l’État n’a pas compensé. De même, lorsque vous avez transféré la charge du revenu de solidarité active (RSA) aux départements, vous avez dit que l’État allait compenser. Or ce n’a pas été le cas, et la Seine-Saint-Denis s’est retrouvée dans une situation financière dramatique.

Vous êtes en train d’installer un système sans aucune garantie de compensation financière.

M. Sébastien Jumel. Plusieurs références historiques au rôle des communistes à la Libération ont été faites, et je vous remercie de rappeler que chaque progrès social dans ce pays tient pour beaucoup aux communistes.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Surtout la CGT !

M. Sébastien Jumel. Vous oubliez de rappeler que c’est le patronat, qui s’était fourvoyé dans la collaboration, qui était vent debout contre le projet d’Ambroise Croizat. Et ceux qui ont construit cet extraordinaire régime dans le sang et les larmes de la Libération ont pris en compte le régime spécifique dont bénéficiaient les marins depuis Colbert ; ils ont pris en compte le régime spécifique des mineurs ; ils étaient peu préoccupés des notaires, ce que je peux comprendre ; puis ils ont créé un régime spécial pour les électriciens-gaziers en 1946 et pour la RATP en 1949. Ne réécrivez pas l’histoire, les gaullistes et les communistes, qui ont eu l’intelligence de construire ce régime qui constitue le socle de la protection sociale à la française, avaient intégré les spécificités d’un certain nombre de métiers.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Letchimy, vous m’avez interrogé sur la prise en charge progressive de la part des cotisations sur les primes. L’article dont nous débattons prévoit que les employeurs publics, et pas seulement l’État, prendront en charge les cotisations pendant quinze ans, et un dispositif très progressif de sortie en sifflet est créé. Nous serons particulièrement attentifs au niveau de pension, en intégrant les primes au revenu de référence, mais aussi au traitement net de chaque mois. Ces éléments figurent dans le courrier que j’ai cosigné avec Mme Girardin ; nous y travaillons avec les parlementaires des territoires et je suis disposé à en parler avec vous.

Monsieur Jumel, l’accord relatif à l’égalité professionnelle dans la fonction publique prévoit plusieurs axes de travail, je vous invite à consulter l’action 3.2 : « Intégrer dans les plans d’action "égalité professionnelle" des mesures de résorption des écarts de rémunération », qui se décline en un calendrier de déploiement de l’évaluation progressive des écarts de rémunération de l’ensemble des corps ; la création d’indicateurs relatifs aux écarts de rémunération et des actions assorties d’objectifs chiffrés de résorption des écarts de rémunération à des échéances déterminées. Je trouve intéressant que la fonction publique s’astreigne aussi à réduire l’écart entre hommes et femmes, comme on le demande au secteur privé.

S’agissant de la structure de rémunération et de la répartition par genre dans la fonction publique, il y a une majorité de femmes dans le monde enseignant, donc le rattrapage des rémunérations des enseignants va contribuer à réduire l’écart global de rémunérations entre hommes et femmes.

Nous avons déjà débattu au moins 2 heures des cotisations de l’État et comme l’a dit le rapporteur, l’État s’est engagé très clairement. Il a parlé d’effet optique ; avec MM. Woerth et Carrez, nous avons évoqué un taux de cotisation implicite, qui est supérieur à 28,12 %, car l’État va continuer d’assumer ses obligations. L’engagement de l’État sera le même en 2025 : il n’y a donc aucune inquiétude à avoir. Je l’ai dit, je le répète encore. Même si vous n’êtes pas d’accord avec moi, admettez que le Gouvernement vous a répondu, et passons à l’examen d’autres parties du texte.

Pour terminer sur le sujet des relations financières avec l’État, qui fait l’objet d’un certain nombre de questions, la conférence de financement va se prononcer. Nous aurons alors des éléments pour caler les relations financières entre l’État et le système universel de retraite.

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

Elle est saisie des amendements identiques n° 5432 de Mme Clémentine Autain, n° 5446 de M. Éric Coquerel et n° 5544 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je voulais répondre au secrétaire d’État, mais il n’est pas encore revenu. Il nous affirme la main sur le cœur que l’État compensera le manque de cotisations, mais l’État s’était également engagé à compenser la baisse des cotisations sociales, la somme s’élève à 5 milliards, et elle n’a pas été compensée. Et si l’État est sûr de compenser, à quoi bon changer la règle ? La pratique en matière de compensation des exonérations de cotisations sociales ôte toute crédibilité à la parole de l’État.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, vous étiez choqués de ma critique de l’expression « déficit optique », mais ce n’est pas une question d’optique : vous ne niez pas qu’il faudra trouver 37 milliards d’euros du fait de la baisse du taux de cotisation de l’État. Vous nous dites que l’État va assumer cette charge, mais la situation n’est pas la même si l’État règle une cotisation en tant qu’employeur : dans ce cas les cotisations restent adossées au travail, ou si les sommes sont fiscalisées. Vos propos éclairent votre projet : une fiscalisation de ces sommes soumettra à la volonté politique de la majorité du moment les montants attribués à telle ou telle prestation.

Mme Bénédicte Taurine. Nous n’avons pas de réponse concernant la revalorisation du salaire des enseignants. Le calcul fondé sur les six derniers mois est lié à la faiblesse de leurs rémunérations. Une revalorisation devrait toucher la grille indiciaire et le point d’indice, mais vous avez annoncé un gel du point d’indice, donc une perte de salaire pour les enseignants, qui sera uniquement compensée par une prime.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, je pense que vous n’avez pas compris comment fonctionne le système actuellement. L’État ne paie pas de cotisation employeur : les pensions sont financées par la fiscalité, les ressources propres de l’État. Nous allons justement créer une cotisation sociale pour les fonctionnaires. Aujourd’hui, ce sont les ressources globales de l’État qui assument les pensions versées aux fonctionnaires, pour une somme totale de l’ordre de 56 milliards d’euros. Après la réforme, ces sommes seront des cotisations au titre de la part patronale qui abonderont la CNRU.

Madame Autain, je suis d’accord avec vous, nous ne pouvons pas nous engager sur les choix des gouvernements futurs. Vous me citez l’exemple du RSA, mais ce n’est pas notre majorité qui a décidé d’en transférer la charge aux départements.

Enfin, monsieur Jumel, vous avez mentionné l’époque où les communistes et les gaullistes avaient bâti le système de retraite...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. C’était le bon temps...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. ...mais ils en avaient exclu les notaires, ce que nous ne pouvons que déplorer, puisque siège parmi nous le notaire le plus rouge de France, notre collègue Mattei. (Sourires).

M. Bruno Fuchs. Monsieur Jumel, effectivement, un certain nombre de luttes et de combats syndicaux ont permis des avancées, mais aussi le travail plus contributif et moins conflictuel d’autres syndicats. Ces avancées n’aboutissent pas à un système très homogène ; elles ont surtout contribué à renforcer les régimes des adhérents de ces syndicats. Qu’en est-il aujourd’hui des femmes de ménage, des 3 millions d’artisans, et des 3 millions de patrons de PME qui ne bénéficient pas des mêmes avantages ? Notre réforme des retraites va achever ce travail d’égalité et de justice pour l’ensemble des Français : il y a eu beaucoup d’avancées, mais de manière non cohérente et inégale.

M. Thierry Benoit. Il est souvent fait référence aux travaux de nos prédécesseurs, notamment au Conseil national de la Résistance. Mais les spécificités de 1945 n’étaient pas celles de 2020, et de nombreuses disparités existent aujourd’hui. Nous voulons qu’à revenus identiques, les droits à la retraite soient identiques, et ce sera le cas avec la retraite par points. Le calcul de la retraite sur l’ensemble de la carrière signifie la fin du mode de calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires et sur les vingt-cinq meilleures années pour les autres, et bon nombre de nos concitoyens souhaitent mettre fin à ces disparités. Nous allons vers plus d’équité et de justice.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, les cotisations et la fiscalité sont deux choses différentes. Actuellement, l’État, je suis désolé de vous le dire, cotise en tant qu’employeur, à hauteur de 74,28 % dans la fonction publique d’État et de 30,26 % dans les collectivités territoriales et dans la fonction publique hospitalière. Or, à la différence d’une mesure fiscale, une cotisation fixée dans le cadre d’un régime par répartition ne dépend pas des décisions que pourrait prendre une majorité future. Pensons, par exemple, au transfert d’une partie du financement de la sécurité sociale à l’État : il a permis que, fin 2019, 5 milliards d’euros d’exonérations ne soient pas compensées en loi de financement de la sécurité sociale. L’État n’intervient pas de la même manière dans un cas et dans l’autre. C’est pourquoi nous sommes très préoccupés.

M. Pierre Dharréville. La majorité a raté le coche. Nous venons d’entendre une sorte de conte de Noël. Or, nous sommes déjà au mois de février. Ce conte a fait long feu ; il faut maintenant changer de disque.

Il a été sous-entendu que les organisations syndicales s’étaient battues pour leurs seuls adhérents. Or, telle n’est pas la tradition syndicale, en France : les organisations luttent pour l’ensemble des salariés et pour que les victoires qu’elles obtiennent profitent à toutes et tous. Par ailleurs, cette réforme mécontente à l’évidence à peu près toutes les professions. De fait, chacun perçoit bien sa dangerosité. Il va donc falloir que nous approfondissions encore la question.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 22128 de M. Pierre Dharréville et n° 22411 de M. Sébastien Jumel.

M. Pierre Dharréville. Il y a quelques jours, Thomas Amossé et Joanie Cayouette-Remblière ont fait paraître dans Libération une tribune intitulée : « Les fonctionnaires sacrifiés sur l’autel du système "universel" de retraite ». Selon ces universitaires, celui-ci ne ferait que « prolonger les inégalités de carrière entre fonctionnaires et salariés du privé, qui se sont fortement accentuées avec les politiques conduites depuis quinze ans ». Citant des exemples précis pour étayer leur propos, ils affirment qu’en appliquant à toutes et tous le mode de calcul des retraites le moins avantageux, le projet de réforme joue la carte d’un nivellement par le bas. C’est ce que nous dénonçons, au bout du compte. Vous vous contorsionnez pour tenter de corriger certains des effets trop négatifs de la réforme, en vain. Force est de constater que le cœur du dispositif que vous proposez ne fonctionne pas.

Enfin, on parle beaucoup des primes perçues par les fonctionnaires, dont on connaît par ailleurs l’inégale répartition et dont on sait que vous voulez en attribuer certaines au mérite. Mais se pose la question du point d’indice, qui a peu évolué ces dernières années, de sorte que les traitements ont notablement baissé compte tenu de l’inflation. Or, il me semble que vos projections sont fondées sur la poursuite de cette politique, qui risque de faire passer certains traitements sous le SMIC.

M. Sébastien Jumel. Monsieur Fuchs, que ce soit en 1936, à la Libération, en 1968 ou en 1981 – avec les lois fondatrices d’Anicet Le Pors sur la fonction publique et de Charles Fiterman sur la consolidation du statut des cheminots –, le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous et profite à tous. J’entendrais votre argument si vous étendiez ces progrès aux agriculteurs ou aux indépendants, par exemple, qui semblent avoir été oubliés, en nivelant les droits par le haut et non par le bas. Or, votre projet est de flinguer toutes ces lois, défendues du reste par des ministres communistes : Marcel Paul, Ambroise Croizat, Charles Fiterman, Anicet Le Pors. Je comprends votre obsession de défaire ce que les communistes ont contribué à faire, mais vous auriez pu envisager un nivellement par le haut. Le rapporteur nous exhorte à ne pas diviser la population, mais je constate, depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, que vous fractionnez, divisez, opposez, stigmatisez, en désignant comme des privilégiés des personnes qui ne le sont pas. Les véritables privilégiés, ce sont ceux que vous servez allégrement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, il est vrai, compte tenu du principe constitutionnel de l’annualité budgétaire, que les engagements pris aujourd’hui par le Gouvernement pourraient être reniés demain. Je peux donc comprendre votre préoccupation sur ce point. Mais, encore une fois, l’État ne cotise pas à hauteur de 74 % : ce taux correspond au budget consacré à ces dépenses rapporté au nombre de fonctionnaires à la retraite.

Monsieur Dharréville, vous proposez, par votre amendement, comme vous l’avez déjà fait à de très nombreuses reprises, de remplacer le mot « points » par le mot « trimestres ». Le traitement médiatique de la réforme pourrait, hélas, se résumer ainsi : « Pourquoi cette réforme est-elle mauvaise ? Parce qu’on est contre ». Or, il faut examiner le texte sur le fond. À cet égard, je ne prétends pas que mon témoignage soit représentatif, mais j’ai reçu des messages de personnes qui suivent nos débats et qui n’avaient pas perçu, par exemple, le problème du ratio démographique qui, dans certaines corporations, est très mauvais ou le fait que nous prévoyions des transitions aussi longues, c’est-à-dire aussi douces. De fait, nous ne voulons pas que l’instauration du système universel marque un virage brutal qui affecterait trop la situation présente. Ces remarques soulignent donc l’utilité de nos débats, qui éclairent nos concitoyens sur le cœur de la réforme. Du reste, plus nous discutons, plus j’ai la conviction que les choses ont été honnêtement évaluées.

Monsieur Jumel, je reconnais que le mouvement dont vous êtes l’héritier a contribué à un certain nombre d’avancées sociales. Or, un système de retraite universel en est une, je le crois. Qu’il soit plus social qu’un système reposant sur les corporations est en tout cas une évidence politique.

Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, la compensation que vous vous engagez à réaliser n’est aucunement garantie à plus long terme puisqu’en 2025, par exemple, vous ne serez plus là. Ensuite, vous nous dites, d’un côté, que vous alignez les différents taux de cotisation sur un taux unique et, de l’autre, qu’il n’existe pas de taux de cotisation dans la fonction publique. En ce cas, que changez-vous ? Vous vous moquez de nous !

Vous reconnaissez que, demain, il pourrait ne pas y avoir de compensation. Et, de fait, vous n’avez pas compensé les 5 milliards de manque à gagner pour le régime de retraite liés aux exonérations. Puisque vous avez pris l’exemple du RSA, je rappelle que, pour ce dispositif, la compensation a été calculée à l’instant T. Or, depuis, le nombre des allocataires a explosé et le surplus n’est pas compensé par l’État.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, notre débat est, c’est vrai, utile et important en ce qu’il nous permet d’aborder le sens de cette réforme et de tenter d’en mesurer toutes les conséquences. La transition est douce, dites-vous. Mais la réforme est dure. Voulez-vous garantir et améliorer le niveau des pensions ? Ce n’est pas l’orientation qui est prise depuis 2017. Ainsi, vous avez augmenté la CSG acquittée par les retraités – même si vous avez été contraint par le mouvement des « gilets jaunes » de faire en partie marche arrière –, au motif que les retraités appartiendraient à une génération dorée et seraient des nantis par rapport aux jeunes. Ce que nous voyons poindre, c’est donc une dégradation des conditions d’accès à la retraite et du niveau des pensions. La transition « douce » que vous nous proposez aura des effets très durs dans la vie réelle.

M. Jean-Paul Mattei. Je souhaiterais revenir sur la méthode. Je constate que la technique consistant à déposer des amendements répétitifs offre à l’opposition un temps de parole dingue. Peut-être est-ce très bien, mais il est bien supérieur à celui de la majorité. Qui plus est, au lieu de défendre ces amendements, leurs auteurs recommencent sans cesse la discussion générale – c’est assez fatigant.

Par ailleurs, actuellement, les retraites des fonctionnaires sont bien payées par quelqu’un. Plus nous avançons dans la discussion du projet de loi, plus je m’aperçois que c’est un bon texte, bien écrit, et il me rassure. Je tenais à porter cette parole positive.

M. Régis Juanico. Loin d’être fatigant, notre débat est éclairant. Le rôle de l’opposition est de poser des questions et d’informer ainsi l’ensemble des Français.

En ce qui concerne les chercheurs, notre collègue Céline Calvez m’a très peu rassuré en évoquant l’article 1er. Après avoir supprimé la disposition concernant la loi de programmation sur la revalorisation des traitements des enseignants, vous l’avez réintroduite à l’identique, ce qui, selon nous, est anticonstitutionnel. Quoi qu’il en soit, nous apprenons, dans le même temps, que M. Blanquer propose aux syndicats une négociation qui ne porte que sur des primes, à hauteur de 200 millions d’euros. Nous sommes donc très loin de 10 milliards. Quant au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, il provoque, depuis deux mois, la mobilisation du monde universitaire – 57 facultés, 171 laboratoires, 6 SP, 6 instituts universitaires de technologie –, qui s’inquiète en particulier de la revalorisation des rémunérations, puisque 100 millions sont prévus pour les jeunes chercheurs et non pour l’ensemble des personnels de recherche. Il s’agit donc davantage d’une logique de revalorisation des primes, qui rejoint notre débat sur la réforme des retraites. Ainsi, ni le projet de loi de programmation de la recherche ni l’article 1er du texte ne sont de nature à rassurer les enseignants sur l’avenir de leurs pensions.

Mme Constance Le Grip. Je souhaite rappeler à M. Mattei que son point de vue n’est manifestement pas partagé par l’ensemble des membres de son groupe. En témoigne l’excellente interview, fort éclairante, que Jean-Louis Bourlanges a donnée il y a quelques jours au Figaro, dans laquelle il souligne de manière limpide les préoccupations suscitées par une réforme des retraites qu’il qualifie d’égalitariste et de mal ficelée.

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur les promesses qu’a faites le ministre Blanquer aux enseignants pour tenter d’apaiser leurs angoisses et leur contestation. Les documents ministériels remis le 7 février dernier aux organisations syndicales ne font plus du tout état des mêmes volumes de revalorisation salariale, puisqu’il est désormais question, sous la forme de scenarii différents, d’éventuels mécanismes de revalorisation de primes à hauteur de 200 millions d’euros maximum par an. On a donc le sentiment d’assister, là aussi, à une opération d’enfumage, ce qui ne peut guère contribuer à rassurer les uns et les autres.

Mme Célia de Lavergne. Monsieur Juanico, notre débat n’est éclairant que dans la mesure où il montre que les Insoumis veulent pourrir la discussion, que les socialistes regrettent de ne pas avoir apporté les bonnes solutions lorsqu’ils étaient au pouvoir et que les communistes regrettent l’époque de Croizat.

M. Sébastien Jumel. Quelle caricature !

Mme Célia de Lavergne. Pourtant, vous l’avez dit, monsieur Mattei, c’est un très beau texte.

M. Sébastien Jumel. Et vous, de quoi êtes-vous nostalgique ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel !

Mme Célia de Lavergne. Nous souhaiterions donc pouvoir discuter des sujets qui intéressent les Français : la pénibilité, l’emploi des seniors, la majoration pour les femmes et les conditions de divorce...

M. Sébastien Jumel. Vous vous êtes nostalgique de Thatcher et de la répression de la grève des mineurs !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. S’il vous plaît, monsieur Jumel. Laissez s’exprimer de temps à autre les représentants d’autres groupes !

M. Sébastien Jumel. « There is no alternative », comme disait Thatcher, n’est-ce pas ? (Protestations sur les bancs du groupe La République en Marche.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel ! Je suspends la séance le temps que vous retrouviez votre calme.

(Suspension de séance)

M. le secrétaire d’État. Madame Autain, dans son rapport de 2019, le Conseil d’orientation des retraites (COR), où je siégeais encore en tant que représentant de l’Assemblée – et qui n’est pas composé de libéraux nostalgiques de l’Angleterre des années 1980 mais de représentants de l’ensemble du paysage syndical et patronal – indiquait, à propos de la noncompensation des exonérations de charges, que les pertes de recettes fiscales sont de l’ordre de 1,4 milliard en 2019, de 0,4 milliard en 2020, soit 0,02 % du PIB, et qu’à l’horizon 2025-2030, l’effet de la non-compensation serait extrêmement limité en ce qui concerne le système de retraite. Cette estimation du COR, dont la qualité des travaux est reconnue, devrait vous rassurer.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 5433 de Mme Clémentine Autain, n° 5447 de M. Éric Coquerel et n° 5545 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous souhaiterions obtenir un éclairage sur l’alinéa 5 de l’article 17, qui a trait aux éléments de rémunération destinés à compenser la cherté de la vie et les charges liées aux conditions locales d’existence en France et à l’étranger, et qui concerne donc, semble-t-il, en particulier les fonctionnaires en poste dans les territoires d’outre-mer. Nous avons en effet le sentiment que vous consacrez là, sinon un régime spécial, du moins certaines spécificités.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, on peut jouer sur les mots mais je précise que les taux de cotisation sont actuellement fixés dans des circulaires au titre de « taux de contribution employeur ». Je réitère ma question sur ce point : le taux, actuellement fixé de manière réglementaire à hauteur de 74 %, sera-t-il bien désormais inscrit dans la loi à hauteur de 17 % ?

M. Éric Coquerel. Si M. Mattei trouve le texte de mieux en mieux au fur et à mesure que se déroulent nos débats, peut-être est-ce parce que nous exposons des arguments de fond. Ainsi, monsieur le rapporteur, nous avons consulté les sites officiels : tous évoquent les cotisations employeur de l’État et les décrivent dans le détail. Vous nous dites que cette cotisation correspondrait aux sommes consacrées par l’État rapportées au nombre des fonctionnaires. Ce n’est pas vrai : nous pouvons vous citer les numéros des circulaires. Il s’agit bien là d’un débat de fond car, si les cotisations patronales de l’État sont ramenées à 17 %, se pose la question du financement.

Mme Bénédicte Taurine. On a dit tout à l’heure, à propos des enseignants, que l’abandon de la prise en compte des six derniers mois de traitement pour le calcul de leur retraite serait compensé par l’octroi de primes liées à de nouvelles fonctions. Or, on sait que ces dernières sont majoritairement exercées par des hommes. De fait, si les femmes représentent 74 % du personnel de l’éducation nationale, les hommes sont néanmoins majoritaires dans la seule catégorie des professeurs agrégés et maîtres de conférences, soit les postes les plus rémunérateurs. Dès lors, dans quelle mesure les pensions des femmes pourront-elles être améliorées ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, comme par hasard, le taux de 74 % permet d’assurer l’équilibre exact du régime de retraite des fonctionnaires : le solde est égal à zéro, comme l’indique le COR. Il s’agit donc bien d’une subvention d’équilibre, et non d’une cotisation. Et, dans le futur système, l’État cotisera à hauteur de 17 %. Par ailleurs, Madame Autain, le propre du travail législatif est de proposer un état du droit à un moment donné. La majorité s’engage, mais il appartiendra au Parlement de veiller à ce que cet engagement soit tenu par la suite.

Quant à l’alinéa 5, il concerne en effet les fonctionnaires en poste dans les territoires d’outre-mer, mais aussi ceux qui sont détachés à l’étranger. Sur ce point, le secrétaire d’État a déjà répondu à M. Letchimy ce matin – je n’y reviens donc pas. J’ajoute cependant qu’en ce qui concerne les territoires d’outre-mer, d’autres éléments seront liés aux résultats de la négociation en cours entre Mme Girardin et les parties concernées.

Enfin, madame Taurine, il est vrai qu’en l’état actuel des choses, on constate, à propos des primes perçues par les enseignants, un déséquilibre en faveur des hommes. Il faut donc dessiner une trajectoire qui vise à résorber cette différence de rémunération et, de ce fait, la part de primes perçues respectivement par les hommes et les femmes dans le corps enseignant.

Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. J’ignore si la rubrique « Checknews » de Libération se penchera sur notre discussion. Quoi qu’il en soit, selon la circulaire du 23 décembre 2019, signée par délégation par Mme Marie Chanchole, sous-directrice du ministère, le taux de contribution employeur au CAS Pensions est bien de 74,28 %. Vous nous expliquez que ce taux sera dorénavant ramené à 17 %. Donc, la question demeure : comment allez-vous transformer le système actuel ? À mon avis, vous recourrez à la fiscalité.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Coquerel, cessons cette polémique sémantique. Je vous renvoie à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui précise, dans son article 21, qu’il s’agit d’une « contribution » – terme que vous avez, du reste, vous-même employé. Il ne s’agit donc pas d’une cotisation. Nous avons déjà débattu, il y a plusieurs jours, avec Gilles Carrez, Éric Woerth et, me semble-t-il, Charles de Courson, de la différence entre ces deux notions. Nous pouvons y revenir autant de fois que vous le souhaiterez, mais la réponse demeurera la même : elle se trouve dans la LOLF.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 22412 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous, communistes, sommes passionnés par l’avenir, le partage des avoirs, des savoirs et des pouvoirs, passionnés du progrès social, de la justice. Ce sont ces valeurs qui nous animent. Peut-être est-ce en partie la raison pour laquelle nous nous opposons dans ce débat.

Les fonctionnaires seraient « doublement gagnants », avez-vous dit. Telle n’est pas l’opinion d’Olivier Bargain et d’Audrey Étienne qui, dans Le Monde, il y a quelques jours, invitent le Gouvernement à proposer des salaires justes pour tous dans la fonction publique et à envisager « une réforme des retraites qui ne soit pas une double peine pour les fonctionnaires, prolongeant les inégalités actuelles au-delà de la vie professionnelle. La sauvegarde de nos services publics, disent-ils, tient dans ce double impératif. »

L’article 17 prévoit que les primes des fonctionnaires seront prises en compte pour acquérir des droits à la retraite, « dans la limite d’un plafond ». Cette rédaction laisse entendre que la totalité des primes ne seront pas prises en compte, ce qui entraînerait une minoration des pensions des fonctionnaires concernés, lesquels sont déjà fortement pénalisés par cette réforme. Nous souhaiterions en savoir plus sur vos intentions en la matière car, si vous êtes prompts à fixer des plafonds, vos planchers ne sont pas très solides.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces primes spécifiques à certaines situations ou à l’exercice de missions dans certains territoires visent à compenser des contraintes particulières ou la cherté de la vie et non à se constituer davantage de droits. Leur plafonnement est donc logique pour reconduire ces dispositifs dans leur esprit actuel.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Pourtant, les primes constituent bien de nouveaux droits si, comme vous le proposez, elles sont prises en compte dans le calcul des retraites. N’y a-t-il pas là un hiatus ?

Mme Clémentine Autain. Nous pouvons avoir un débat sémantique. Admettons que le terme de « cotisation » s’applique au privé et celui de « contribution employeur » à l’État. Cela ne résout en rien le problème de fond que nous avons soulevé.

Je recommence. Actuellement, le taux de la contribution employeur est fixé par circulaire à hauteur de 74 %. Vous voulez le figer, demain, au même niveau que celui des cotisations sociales employeur, soit 17 %. Ne vous inquiétez pas, dites-vous, l’État compensera. Mais entre, d’un côté, 74 %, pour la fonction publique d’État, et 30,65 %, pour les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière, et, de l’autre, 17 %, l’écart est considérable. Or, nous devons nous contenter de votre parole, de votre engagement à réaliser la compensation. Mesurez l’ampleur du problème !

M. Bruno Fuchs. Jean-Louis Bourlanges est un grand garçon : il pense ce qu’il veut. Mais je ne voudrais pas que l’on tronque ses écrits. Il estime également que « cette réforme est, dans son principe, immensément ambitieuse, égalitariste et de gauche ».

Mme Constance Le Grip. Ce n’est pas pour nous rassurer...

M. Bruno Fuchs. Et il ajoute que le principal problème du système actuel réside dans l’inégalité entre les différents régimes, principalement entre les fonctionnaires et les salariés du privé. Tel est précisément l’objet de notre débat. J’ajoute qu’à la page 156 de l’étude d’impact, il est écrit que « la mise en place du système universel ne conduira pas à une baisse des pensions moyennes et permettra leur maintien ». Les choses sont claires. Cessez donc de dénigrer systématiquement le texte !

M. Serge Letchimy. Je m’étonne du propos de notre collègue, car le débat et la contradiction servent la démocratie. Au demeurant, dans un communiqué de presse, l’Association des maires de France nous met en garde contre les conséquences de la réforme pour les collectivités locales, qui représentent 35 000 employeurs et près de 1,8 million d’agents – ce n’est pas rien.

Par ailleurs, je souhaiterais apporter une précision sur la question de l’intégration des primes. Le fait d’exclure l’ensemble des primes liées à la vie chère, en n’en retenant que 50 %, va conduire à une décompensation mécanique et à la réduction des pensions des fonctionnaires. Je demande donc que ces primes soient prises en compte à 100 %, conformément à l’esprit même de cette prime, qui est de tenir compte de la réalité sociale et économique locale.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement n° 22459 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Savez-vous pourquoi je considère que vous êtes les héritiers de Thatcher ? Elle a privatisé, et vous venez de le faire en ce qui concerne Engie et Aéroports de Paris. Elle a remis en cause la protection sociale : c’est également ce que vous vous apprêtez à faire. Elle a envoyé les militaires face aux mineurs : nous constatons chaque jour un peu plus que c’est aussi le cas lors des manifestations. Votre réforme, c’est Thatcher et Malthus. Selon ce dernier, il n’y a pas de place pour tout le monde au « banquet de la nature », et il n’y en aura pas davantage dans la répartition que vous prévoyez à propos des retraites puisque vous voulez réduire leur poids dans le PIB. Ne prenez pas mes propos comme une insulte, mais comme un hommage à vos racines politiques et historiques, qui sont profondément libérales. Vous ne croyez pas à la loi qui prend soin, qui protège. Même Xavier Bertrand l’a dit récemment – il dénonce la politique du Gouvernement.

Mon amendement vise à corriger l’existence d’inégalités entre les hommes et les femmes dans la fonction publique : je propose d’ajouter qu’il faut prendre en compte les inégalités de rémunérations. Nous avons démontré qu’elles sont flagrantes en matière de primes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il me semble que nous avions, jusque-là, un débat portant sur le fond, monsieur Jumel. Je suis un peu surpris que vous preniez maintenant Xavier Bertrand pour référence.

M. Dharréville a dit tout à l’heure que l’absence d’intégration de certaines primes est contraire à l’esprit de notre projet. Toutes les primes ne sont pas de même nature. Certaines d’entre elles sont liées à l’activité et devraient être intégrées. D’autres relèvent d’une compensation, par exemple de la cherté de la vie ou de déplacements réalisés, ce qui est différent. La prime liée à la vie chère, quant à elle, sera intégrée dans la limite du plafond.

Je vais clore notre débat, madame Autain. Nous vous avons expliqué que les cotisations et les contributions ne sont pas la même chose. Ce que je vois surtout dans vos circulaires est que vous finissez par tourner en rond. Mais on peut aussi penser à une scie circulaire – pour couper court à ces débats qui ne nous font pas avancer sur le fond. Le Gouvernement a pris un engagement. Il nous revient, à vous et à nous, en tant que députés, de nous assurer que cet engagement est respecté.

Avis défavorable.

Mme Bénédicte Taurine. Je voudrais aller dans le même sens que M. Jumel. Les femmes seront pénalisées par le nouveau système de retraite sauf si vous instaurez une compensation. Elle pourrait être assurée par des primes, mais le système prévu sera spécifique : toutes les femmes ne pourront pas en bénéficier. En fin de compte, il me semble bien que des femmes seront pénalisées par le nouveau système de retraite. Allez-vous revaloriser le point d’indice des fonctionnaires ou bien est-il gelé jusqu’en 2022 ? Dans le dernier cas, vous ne compenserez rien.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 21127 de M. Boris Vallaud.

M. Serge Letchimy. On voit à chaque instant les incertitudes dont ce texte s’accompagne. Il serait judicieux que le Conseil d’État contribue à la définition des éléments paramétriques.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ai déjà lu à plusieurs reprises ce qui est écrit à la page 327 du Guide de légistique : « Le recours au décret en Conseil d’État entraîne cependant une certaine rigidité » – c’est le Conseil d’État lui-même qui l’écrit. « Il convient d’éviter les renvois non justifiés ainsi que les renvois trop généraux au décret en Conseil d’État dans les dispositions finales d’un texte ou d’une subdivision d’un code » ; par ailleurs, « ne justifient en général pas la consultation du Conseil d’État les réglementations techniques et soumises à des changements fréquents ou les dispositions fixant des montants, des seuils et des valeurs ».

J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 5434 de Mme Clémentine Autain, n° 5448 de M. Éric Coquerel et n° 5546 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je suis désolée de le dire, monsieur le rapporteur, mais je pense que vous n’avez absolument pas clos le débat. Je vais réitérer ma question en utilisant d’autres mots. Vous ne contestez pas le fait que le texte vise à aligner le taux prévu dans la fonction publique sur celui du secteur privé. Sommes-nous bien d’accord ? Le taux de cotisation ou de contribution – peu importe le terme – sera de 17 %. Vous nous dites que pour le reste, c’est-à-dire la différence entre le taux actuel, de 74 %, et le taux de 17 %, on n’a qu’à croire en la parole de l’État. Pourquoi ne pas graver dans le marbre de la loi qu’on restera, en réalité, à 74 % ? Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

M. Éric Coquerel. Les taux de contribution employeur sont définis par circulaire et ne varient pas depuis des années – ils sont de 74,28 % dans la fonction publique d’État et de 30,6 % dans les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière. Vous nous dites que ce ne sont pas des cotisations – admettons – mais des contributions employeur. Par ailleurs, vous annoncez qu’il y aura désormais un taux unique d’environ 17 %. Cela représentera un trou de plusieurs dizaines de milliards, mais vous répondez « circulez, il n’y a rien à voir » quand on vous demande comment vous allez faire. Vous avez fait référence, monsieur le secrétaire d’État, à la question posée par M. de Courson cette semaine : nous n’avons rien compris à votre réponse. Notre collègue vous avait demandé de quelle manière vous alliez procéder. Y aura-t-il des compensations ? Pourquoi ne donnez-vous aucune explication ? Soit vous n’y avez pas réfléchi, et il va falloir vous faire un chèque en blanc, soit tout cela n’est en réalité qu’une fiscalisation.

Mme Bénédicte Taurine. Je vais reposer ma question : dans quelle mesure les primes, qui ne pourront pas être attribuées à toutes les femmes, pourront-elles compenser le fait que l’on ne tiendra plus compte des salaires perçus au cours des six derniers mois ? Les primes sont spécifiques et correspondent à une augmentation de la charge de travail. Il n’y aura donc pas de revalorisation des salaires des enseignants.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tous les arguments ont déjà été exposés à de nombreuses reprises. Je voudrais seulement rappeler à Mme Autain le principe constitutionnel de l’annualité du budget.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 17 sans modification.

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*     *

17.   Réunion du dimanche 9 février 2020 à 15 heures (de l’article 18 à l’article 19)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8725943_5e400e4814fd0.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-9-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 3 877 amendements ; il en reste 15 704.

Article 18 : Habilitation à prendre des dispositions transitoires pour les fonctionnaires

La commission examine les amendements de suppression n° 5 de M. Stéphane Viry, n° 708 de M. Pierre Dharréville, n° 5909 de Mme Clémentine Autain, n° 5923 de M. Éric Coquerel, n° 5958 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 5965 de Mme Danièle Obono, n° 6021 de Mme Bénédicte Taurine et n° 21101 de M. Boris Vallaud.

M. Stéphane Viry. L’article 18 prévoit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour arrêter les dispositions applicables aux fonctionnaires de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière, des magistrats et des militaires, et plus particulièrement leur niveau de cotisation et le régime de transition sur une période de quinze ans. Réduction des écarts du taux de cotisation et d’assiette et l’alignement public-privé, modalités de prise en charge durant la période de transition, d’autre part : ce sont là deux questions majeures.

Le groupe Les Républicains appelle à un alignement public-privé et souhaite en débattre en responsabilité. C’est la raison pour laquelle déléguer ce débat au Gouvernement par le biais d’une ordonnance nous pose problème. Nous considérons que c’est à nous de le faire, en toute transparence, afin que nous puissions faire valoir nos préoccupations sur ce sujet. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 18.

M. Sébastien Jumel. Le Gouvernement est victime de TOC, c’est-à-dire de troubles des ordonnances compulsifs (Sourires.), au point que cela finit par devenir pathologique et préoccupant... Il faudra bien prendre soin de corriger cela, car à force de priver le Parlement de sa capacité d’enrichir la loi, lui-même risque de tomber malade !

Vous demandez d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant une harmonisation, sur une durée de quinze ans, des taux de cotisation employeur pour les fonctionnaires. Le taux de cotisation payé par l’État étant supérieur au taux auquel vous voulez parvenir, cela va entraîner une perte de recettes que nous souhaiterions vous voir évaluer, comme nous aimerions que vous précisiez les conséquences de la révision générale des politiques publiques appliquée à la fonction publique d’État, à la fonction publique hospitalière et à la fonction publique territoriale : la suppression des emplois publics a elle aussi, on le sait, été une de vos obsessions permanentes de votre part, ce qui a abouti à moins d’emplois publics, moins de cotisations salariales, moins de cotisations employeur, et donc à un creusement des déficits. Voilà ce que m’inspire cette habilitation préoccupante.

Mme Clémentine Autain. Je demande la suppression de cet article à défaut d’avoir une vision claire des mécanismes qui permettront de mettre en œuvre la convergence. Nous sommes totalement en désaccord avec l’objectif politique qui consiste à calculer les retraites des fonctionnaires non plus sur les six derniers mois mais sur l’ensemble de la carrière, tout comme nous contestons la diminution de la contribution patronale de l’État pour l’aligner sur le régime du privé.

Qui plus est, les modalités de transition sont si peu claires que le Conseil d’État s’en est mêlé : « Pour le législateur, s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme. » Ce qui veut dire concrètement qu’on ne sait pas de combien vous allez augmenter les fonctionnaires puisque vous nous demandez de signer un chèque en blanc.

M. Éric Coquerel. Dans deux ans et demi au maximum, quand on en aura fini avec le macronisme, on dira peut-être de lui qu’il a une tête d’ordonnance, tant cette manière de gouverner devient chez lui quasiment consubstantiel !

Cet article prévoit une période de transition de quinze ans entre le système en vigueur et celui à venir pour parvenir à la convergence. En termes de cotisations et de pensions, ce sont des questions absolument structurantes, au point que le Conseil d’État souligne le recours aux ordonnances fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme. Une fois de plus, vous nous demandez de légiférer en vous faisant par avance confiance à l’avance, ce qui est bien dans la ligne de la méthode assez autoritaire avec laquelle vous gouvernez ce pays.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : avec ce projet de loi, la pratique des ordonnances atteint un maximum dans la mesure où on en trouve vingt-neuf. Pourtant, les ordonnances étaient jusque-là considérées comme une procédure exceptionnelle dans un régime parlementaire dans la mesure où elles consistent pour le Parlement à transférer son autorité à l’exécutif qui rédige un texte dans des conditions connues de lui seul puis revient devant le Parlement pour lui demander d’approuver ou de désapprouver.

Vous avez fixé, au premier alinéa de l’article 18, un délai de douze mois à compter de la publication de la loi pour prendre des mesures. Vous ne manquerez pas de nous répondre que si vous demandez d’habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances, c’est parce que le sujet est technique ; mais la technique est passée dans le domaine de la politique depuis déjà au moins deux ordonnances dans le cadre du même texte. Et pourquoi douze mois ? Parce qu’il sera impossible pendant douze mois de légiférer sur le même sujet ou des sujets avoisinants...

Mme Danièle Obono. Cet article vise à donner à votre Gouvernement la possibilité de légiférer par ordonnance sur un sujet non pas technique, mais éminemment politique : la transition vers un nouveau système de cotisation pour les fonctionnaires. Nous connaissons la méthode brutale du Gouvernement qui consiste à toujours vouloir passer en force. Depuis trois ans, vous maltraitez systématiquement les fonctionnaires en refusant de faire évoluer le point d’indice et en rendant les conditions d’exercice du service public déplorables. Cette mauvaise réforme aura comme conséquence concrète d’aggraver la situation des fonctionnaires à la retraite.

Mme Bénédicte Taurine. Comme je l’ai dit ce matin, les femmes seront encore pénalisées par cette nouvelle réforme. Vous nous demandez de pouvoir légiférer par ordonnance, autrement dit de signer un blanc-seing. Comment ferez-vous pour ne pas pénaliser les femmes, sachant que vous avez gelé le point d’indice jusqu’en 2022 ? Certes, vous octroyez des primes, mais elles ne seront pas données pas à tout le monde.

M. Régis Juanico. Un exemple vous montrera le niveau de confiance que l’on peut accorder Gouvernement au moment où il demande une fois de plus au Parlement, et à près de trente reprises dans ce texte, de lui signer un chèque en blanc. Bon nombre d’entre vous étaient présents lors de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») : c’est ainsi que nous avons que créé une Autorité nationale des jeux afin de réguler le secteur des jeux d’argent et de hasard. C’était une très bonne chose, à ceci près que nous avons habilité le Gouvernement à le faire par ordonnance, autrement dit en nous ressaisissant de notre pouvoir législatif. Et si l’Autorité nationale des jeux a bien été créée au 1er janvier 2020, le Gouvernement n’a toujours pas déposé de projet de loi de ratification et n’a visiblement pas l’intention de le faire ! Cet exemple très concret montre à quel point nous avons raison de ne nous méfier de ce procédé. C’est pourquoi nous demandons, par notre amendement n° 21101, la suppression de l’article 18.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Rappelons que l’article 18 ne fait que tirer les conséquences de l’article 17, en habilitant le Gouvernement à prendre des dispositions transitoires pendant une durée maximale de quinze ans, permettant de faire converger les taux et les assiettes des cotisations des fonctionnaires vers les taux cibles dont nous avons déjà parlé. Les employeurs publics pourraient se voir confier le financement de l’évolution d’une partie de l’écart, notamment l’intégration des primes dans le nouveau système. Plus précisément, cet article est un enjeu de lissage sur les prélèvements applicables aux salariés. Le taux de cotisation des salariés, qui est actuellement entre 10 et 11 %, suivant les situations, pour l’essentiel hors primes, passera à 11,25 %.

Je sais bien que je ne vais pas faire plaisir à M. Coquerel, puisqu’après avoir parlé ce matin d’effet d’optique, j’emploierai maintenant le terme de « cotisation fictive » de l’État...

Mme Danièle Obono. C’est encore mieux !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. En fait, l’État verse une cotisation d’équilibre, de l’ordre de 74 % des salaires bruts des fonctionnaires, et de 126 % pour les militaires dans le compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions. En résumé, la hausse des cotisations serait de 1,8 milliard d’euros pour les agents de la fonction publique d’État et de 1,4 milliard pour ceux de la fonction publique hospitalière. Côté employeur, la suppression des cotisations fictives...

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est la suppression virtuelle des cotisations !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Effectivement, ce n’est plus le CAS Pensions, mais le casse du siècle... !

...se traduirait par un écart de l’ordre de 38 milliards d’euros pour l’État. Pour les collectivités territoriales, le solde serait un peu plus équilibré : 4,1 milliards d’euros en moins d’un côté, 5,5 milliards en plus de l’autre. Au total, la perte de ressources publiques pourrait être de l’ordre de 42,7 milliards si elle était appliquée à l’ensemble des fonctionnaires de la fonction publique. Mais je vous rappelle que les fonctionnaires nés avant 1975 ne seront pas intégrés dans le projet de réforme.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ça devient de plus en plus clair...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 18 prévoit d’habiliter le Gouvernement à permettre une transition douce sur quinze ans entre la situation actuelle et la situation future en matière de taux et d’intégrer, conformément à l’engagement pris ce matin, ce changement d’affectation sous forme de subvention d’équilibre.

Avis défavorable aux amendements de suppression de l’article 18.

Mme Clémentine Autain. C’est vraiment le casse du siècle... À mesure que vous parlez, l’objectif devient de plus en plus clair. D’abord, vous confirmez nos chiffres : nous parlions de 43 milliards tout à l’heure et vous faites état de 42,7 milliards, et les fonctionnaires subiront bien une hausse de leurs cotisations de l’ordre de 3 milliards.

De combien allez-vous augmenter les fonctionnaires ? C’est le grand mystère de l’Ouest... Vous allez le faire par ordonnance, potentiellement dans les douze mois. Des chiffres circulent, mais sans aucune garantie. Vous nous demandez de vous signer un chèque en blanc. Après neuf ans du gel du point d’indice, alors que certains fonctionnaires sont en situation de paupérisation dans certains secteurs – je pourrais parler pendant des heures des personnels hospitaliers ou des enseignants qui sont en grande difficulté –, vous ne nous donnez aucune garantie que le nouveau calcul qui va leur coûter extrêmement cher en matière de retraite offrira des compensations. Comme nous vous l’avons fait remarquer, cela peut coûter à certains profs 800 euros par mois : c’est énorme. Vos 10 milliards, c’est une plaisanterie à côté du manque à gagner et de la ponction effroyable que vous allez leur imposer.

M. Pierre Dharréville. Pour comprendre exactement ce qui se passe derrière ces ordonnances, je vous invite à vous reporter aux pages 362, 363 et 364 de l’étude d’impact, qui sont assez symptomatiques de la précision des mesures proposées.

M. Sébastien Jumel. Lisez-les, ça vaut le coup !

M. Pierre Dharréville. Dans le système actuel, les primes ne sont pas cotisées par l’État employeur. Or l’obligation d’équilibre qu’a l’État cessera, sauf erreur de ma part, le 1er janvier 2025. Cela signifie, d’après nos calculs, que 10 % des dépenses de retraite actuelles des salariés du privé seront captées pour compenser ce qui fait défaut.

Par ailleurs, que savons-nous de l’évolution du niveau des primes sur le temps long ? Resteront-elles au même niveau, sommes-nous assurés qu’elles ne serviront pas de variable d’ajustement ? Si leur niveau baisse, la rémunération des fonctionnaires concernés diminuera, tout comme leur retraite au bout du compte, contrairement à ce que vous promettez.

Alors que tout cela est symptomatique de votre impréparation, vous nous demandez de vous soutenir, de vous encourager dans cette opération. Ce n’est pas sérieux. Il faut renoncer à ces ordonnances.

M. Stéphane Viry. Le sujet est grave : il s’agit de 38 milliards d’euros pour la seule fonction publique d’État. Le jeu, dites-vous, serait à somme nulle pour la fonction publique territoriale, mais vous n’avez pas parlé de la fonction publique hospitalière : la situation des hôpitaux est telle que l’on se demande où l’on pourrait aller chercher de l’argent.

La question des budgets est un enjeu de responsabilité qui fait partie de nos préoccupations. On ne peut nous interdire concrètement d’aborder concrètement de tels sujets. Ce n’est pas normal, ce n’est pas pensable. Jour après jour, nous recevons des courriels d’enseignants, de fonctionnaires qui nous demandent de réagir, en un mot d’assumer notre fonction, de jouer notre rôle de député. Vous allez nous priver de ce droit, ce qui est grave. C’est la raison pour laquelle je vous demande de renoncer à cette ordonnance, particulièrement lourde de conséquences sur le plan budgétaire comme sur le plan démocratique.

M. Serge Letchimy. Ce que j’entends est totalement hallucinant. On parle de sujets qui vont bouleverser la vie de près de 2 millions d’agents publics des collectivités territoriales et concerner environ 35 000 employeurs publics. Légiférer par ordonnance est dangereux. Il faut impérativement revenir sur cette posture. Vous parlez d’ordonnances techniques alors que c’est un enjeu politique majeur : il s’agit de prendre en charge toute une série de paramètres, dont celui de la pénibilité. Les agents des catégories C, qui représentent 76 % des effectifs globaux, seront les premiers pénalisés, surtout ceux qui touchent peu de primes et qui comptaient sur leur fin de carrière pour améliorer leur pension. Dans la mesure où celle-ci sera désormais calculée sur toute la durée de leur carrière, ils risquent de payer très cher cette réforme des retraites.

Mme Cendra Motin. Ce qu’a dit M. Juanico à propos de l’ordonnance sur l’autorité de régulation des jeux est totalement faux. Je lui rappelle que la loi a été promulguée le 22 mai 2019 et que nous avons, au plus tard, jusqu’au 1er juin 2020 pour ratifier cette ordonnance. Nous ne sommes que le 9 février 2020 ; nous avons donc encore un peu de temps.

Rappelons par ailleurs qu’un protocole d’accord « parcours professionnels, carrières et rémunérations » avait été signé entre le précédent gouvernement et la fonction publique, mais sans prévoir aucun financement. Et pourtant, notre Gouvernement a décidé de faire, avec les fonctionnaires, ce qui avait été convenu. Effectivement, le point d’indice n’a pas connu de hausse depuis deux ans, mais l’augmentation du nombre de points attribués au fil des carrières a été plus rapide que prévu ; et tout cela coûte tout de même la bagatelle de 3,75 milliards d’euros que nous finançons alors que nous n’avions pris aucun engagement et que cet accord n’était pas même majoritaire. Mais comme le précédent gouvernement s’était engagé vis-à-vis des fonctionnaires, nous avons tenu à répondre présents, au nom de la continuité de l’État : c’est pour nous un principe qui doit nous engager tous dans le temps.

M. Sébastien Jumel. C’est la cohérence d’Olivier Dussopt !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Non, la rémunération des fonctionnaires ne va pas baisser. On ne gagne pas à agiter des peurs. L’objet du débat dans cette commission spéciale est de savoir comment fonctionnera le futur système de retraite.

Pourquoi une ordonnance ? Tout simplement parce que, comme pour beaucoup de sujets dans cette loi, il y a des éléments de concertation. J’ai moi-même participé à la celle qu’a engagée Olivier Dussopt. La montée en charge progressive sur la part salariale exige qu’on y réfléchisse avec les partenaires sociaux, qu’on prenne le temps de construire des scénarios avant de voir lequel retiendra leur choix.

Le Gouvernement est déterminé à trouver une solution tout à la fois rassurante pour les fonctionnaires et claire pour le législateur dans le budget de l’État. Si cette concertation arrive à son terme avant que nous ayons examiné l’ensemble du texte, nous traduirons bien sûr « en dur » le scénario qui sera retenu ; mais ce n’est pas encore le cas. Les choses avancent entre Olivier Dussopt et les organisations représentatives de la fonction publique.

La commission rejette les amendements.

Puis elle étudie les amendements n° 5910 de Mme Clémentine Autain, n° 5924 de M. Éric Coquerel, n° 5959 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 5966 de Mme Danièle Obono et n° 6022 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous proposons de rédiger ainsi l’article 18 : « Les agents publics ne peuvent se voir appliquer une réforme du régime des retraites qui leur soit applicable tant que leurs revenus ne permettront pas d’assurer la garantie du maintien de leurs pensions de retraites par rapport aux montants, en valeur courante, perçus aujourd’hui. » Il faut appeler un chat un chat et dire ce qu’il y a réellement dans votre article.

En d’autres termes, monsieur le secrétaire d’État, nous aurions souhaité que vous ne mettiez pas la charrue avant les bœufs, que vous commenciez par une concertation en nous expliquant comment vous comptez compenser. Pour notre part, nous pensons qu’il est non seulement injuste, mais aussi littéralement impossible de compenser au vu du cadre contraint dans lequel vous évoluez. Du fait de l’austérité budgétaire, vous n’avez aucune marge de manœuvre pour essayer d’augmenter les salaires à proportion du manque à gagner lié au calcul sur l’ensemble de la carrière et non sur les six derniers mois.

M. Éric Coquerel. « Effet d’optique », « cotisation fictive » : vos mots montrent que vous avancez à l’aveugle. Vous nous demandez de légiférer en vous faisant confiance et en nous en remettant à des ordonnances pour les quinze ans à venir. Vous avez fait vous-même le calcul, monsieur le rapporteur : 42 milliards d’euros. Moi qui siège à la commission de finances, je peux vous dire qu’aucun de ses membres n’accepterait de traiter par ordonnance des budgets de 42 milliards !

À l’instant, M. le secrétaire d’État nous a demandé de laisser faire la concertation. Outre que l’on peut s’interroger sur ce qu’est la concertation sous le macronisme, revenez dans quelques mois, une fois que la concertation aura eu lieu. Si vous proposez des ordonnances partout, c’est que votre projet est tellement mal ficelé que vous êtes contraint de nous demander un blanc-seing. En fait, cette histoire montre que vous n’êtes pas prêts.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’adore cette situation parce que je suis un amateur de science-fiction ! Des cotisations fictives d’un montant virtuel d’après un critère inconnu : c’est génial, c’est du Philip K. Dick ! Je suppose que c’est pour la défonce...

Ce qui est moins drôle, c’est que vous vous donnez douze mois, à compter de la publication de la présente loi, auxquels on ajoute trois mois pour la ratification, soit au total quinze mois. Autrement dit, pendant quinze mois, on n’aura le droit de toucher à rien, mais la mesure s’applique !

Pour les catégories C, qui représentent 76 %, il existe quelque chose qui s’appelle le minimum garanti. Pouvez-vous garantir que la cotisation fictive d’un montant virtuel d’après un critère inconnu garantit le minimum garanti à ces personnes lorsqu’elles auront atteint l’âge de la décote ? Autrement dit, ce qui se prépare dans cette ordonnance est d’une particulière férocité. Et si les ordonnances ne sont pas ratifiées, comme l’a fait remarquer M. Juanico sur un autre sujet, cela veut dire que vous faites ce que vous voulez – pas vous, monsieur le rapporteur, ni vous, madame la présidente, mais Mme Pénicaud, ce qui pour nous est un symptôme de terreur absolue...

Mme Danièle Obono. N’en déplaise à mes collègues, ce n’est pas simplement de la science-fiction, mais bel et bien de la dystopie ! Vous êtes systématiquement en train de casser le service public et de dégrader les conditions de travail des fonctionnaires. Vous avez sur les bras une grève à l’hôpital public qui dure depuis des mois. Vous tentez de réprimer les enseignants et les élèves à coup de gardes à vue. Il n’est jusqu’à la justice qui s’est mobilisée contre votre mauvaise réforme. Vous vous refusez nous à garantir qu’elle ne s’appliquera pas tant que vous n’aurez pas revalorisé les traitements. Voilà pourquoi ces amendements ont toute leur pertinence.

Mme Bénédicte Taurine. Vous demandez aux enseignants, en contrepartie d’une prime, de renforcer le dispositif de formation pendant les vacances scolaires et le dispositif de remplacement de courte durée dans l’enseignement secondaire privé. C’est bien une charge de travail supplémentaire et non une revalorisation du salaire. Vous les mettez devant le fait accompli : ils n’ont d’autres choix que d’accepter une mesure qui concerne leur retraite en contrepartie d’un traitement potentiellement revalorisé par une prime alors que leur indice reste gelé.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, je ne sais pas si c’est le hasard qui vous a conduit à considérer que cette transition était un mystère de l’Ouest, ou le décès de Robert Conrad, que nous avons appris ce matin... Toujours est-il que notre projet, ce n’est ni Les Mystères de l’Ouest, ni Les Têtes brûlées. Je n’ai nullement l’ambition ni le physique pour jouer Pappy Boyington ! Auparavant, 46 milliards d’euros étaient consacrés au versement des pensions de nos fonctionnaires ; demain ce sera aussi 46 milliards.

M. Sébastien Jumel. Ah bon ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. La seule différence, c’est que jusqu’à présent ces 46 milliards étaient une contribution et que, demain, ce sera pour partie une cotisation réelle et pour partie une compensation financière.

Monsieur Mélenchon, le terme de « cotisation fictive » peut effectivement faire naître des fantasmes. Je vous en lis la définition officielle : « Dans le cas où l’employeur fournit directement des prestations sociales, sa contribution au financement de ces prestations est appelée cotisation fictive, conformément aux conventions de la comptabilité nationale. » Cela correspond à une somme versée dans le cadre du budget, au service d’une prestation. Si l’on divise la somme par le nombre de fonctionnaires actifs, on obtient un taux théorique, mais qui ne correspond pas à un abondement spécifique d’un budget au sens d’une cotisation employeur. Cela revient au même, mais pas en termes de présentation comptable.

Madame Autain, les cotisations sociales sont actuellement appelées à hauteur de 5 % des primes. Si on les appelle sur l’intégralité des primes, on aboutira à une rémunération nette plus faible pour les fonctionnaires concernés. L’article 18 permet à l’État de prendre progressivement en charge la partie employeur de ces primes et la partie salariale jusqu’à épuisement, pour éviter toute perte de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires concernés.

Enfin, monsieur Dharréville, je ne sais pas où vous avez vu une obligation d’équilibre en 2025.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous n’avons pas encore parlé des collectivités locales. Nous avons reçu de l’Association des maires de France (AMF) un message dont le titre est clair : « L’AMF exprime ses plus vives inquiétudes sur le projet de loi portant réforme des retraites ». On peut y lire cette phrase : « Les maires de France s’inquiètent de l’absence de visibilité concernant les mécanismes de transition du dispositif actuel vers le nouveau système de retraite. » Autrement dit, le problème que nous soulevons a été repéré également par les premiers concernés, auxquels vous n’avez pas non plus répondu, ce qui ne les rassure pas. La concertation que vous engagez sur le sujet n’est pas satisfaisante dans la mesure où s’agit de s’en remettre à votre bon vouloir.

Monsieur le rapporteur, l’État employeur a une obligation de compensation, mais à en croire votre réforme, elle devrait cesser au 1er janvier 2025. Comment envisagez-vous ce changement de pied ?

M. Jean-Pierre Door. Celles et ceux qui siègent dans les conseils de surveillance des hôpitaux connaissent parfaitement les difficultés des budgets des hôpitaux, quels qu’ils soient, dont 70 % sont consacrés aux salaires et charges.

Mme Clémentine Autain. Ce sont des cotisations, pas des charges !

M. Jean-Pierre Door. L’État viendra-t-il compenser la charge supplémentaire que les hôpitaux devront supporter pendant la période de transition ? Nous aimerions sortir du brouillard et obtenir une réponse.

Mme Clémentine Autain. Le mystère de l’Ouest reste entier... Pour ma part, je n’ai pas parlé des Têtes brûlées, mais des Pieds nickelés, et je maintiens !

Si j’ai bien compris ce que vous venez de nous dire, l’État prendrait la part patronale et salariale de cette hausse uniquement pour les primes dans la période transitoire. Pouvez‑vous me le confirmer ?

Aujourd’hui, c’est par une réglementation – en l’occurrence une circulaire – qui se répète d’année en année qu’il y a bien une prise en charge à hauteur de 74 %. Ce que nous vous reprochons, c’est d’inscrire dans la loi l’alignement sur les taux du privé. Vous avez beau nous dire, la main sur le cœur, qu’il y aura compensation, nous n’avons aucune garantie là-dessus. Or l’écart est considérable, puisqu’il s’agit de passer de 74 % à 17 %. Je ne comprends pas que les députés macronistes ne se rendent pas compte à quel point cela témoigne d’un mépris hallucinant à l’égard du Parlement. On donne un chèque en blanc au Gouvernement pour légiférer par ordonnance, il fait ce qu’il veut. Et ce qui sera inscrit dans le marbre de la loi, ce sont ces 17 %, autrement dit un gouffre absolu pour l’État en termes de manque à gagner, et une réelle insécurité pour les retraites des fonctionnaires !

M. Régis Juanico. Cendra Motin m’a interpellé sur la question de la ratification des ordonnances. Connaissant un peu ce sujet, je souhaite apporter quelques précisions concernant la loi « PACTE », promulguée le 22 mai 2019. Une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 2 octobre 2019 et transmise le 30 octobre à l’Assemblée nationale, visant à la création d’une Autorité nationale des jeux au 1er janvier 2020, autorité de régulation que nous avions appelée de nos vœux lors de la privatisation de La Française des jeux. En y ajoutant le PMU, les casinos, les jeux en ligne et les paris sportifs, etc., le secteur représente 50 milliards d’euros de mises, ce qui n’est pas rien. Conformément à ce que prévoyait son article 50, l’ordonnance est entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2020 et l’Autorité nationale des jeux, heureusement, est à l’œuvre. J’entends donc que nous avons jusqu’au 1er juin pour ratifier l’ordonnance, mais les choses sont déjà en place, et nous sommes déjà en février : comprenez que nous n’ayons aucune confiance dans le processus de ratification !

M. Jean-Paul Mattei. Cet article 18 n’est autre que la conséquence de l’article 17 : il s’agit d’un domaine particulièrement technique, à mes yeux très compliqué et qui nécessite une négociation avec les syndicats de la fonction publique. Je note d’ailleurs que vous n’avez pas déposé d’amendement de suppression de l’alinéa 4 prévoyant le dépôt d’un projet de loi de ratification : c’est donc bien que vous admettez implicitement que des ordonnances pourront être ratifiées. Le Parlement, après en avoir pris connaissance, les ratifiera ou pas, et nous pourrons ainsi débattre à nouveau de leur pertinence après un travail technique de construction législative. Il me semble donc beaucoup plus pertinent de nous prononcer sur un texte détaillé, issu de la concertation. Les parlementaires auront ainsi une vision claire de ce qui sera proposé.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques  5911 de Mme Clémentine Autain, n° 5925 de M. Éric Coquerel, n° 5960 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5967 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Nous poursuivons dans nos demandes de suppression d’alinéas – en l’occurrence de l’alinéa 1.

Nous devons également faire preuve de vigilance s’agissant du dégel du point d’indice. J’imagine que vous tiendrez votre engagement, fût-ce a minima, d’augmenter les salaires des fonctionnaires. Reste à savoir si cette augmentation ne correspondra pas seulement à la compensation du manque à gagner pour les retraites, le point d’indice, autrement dit leur salaire, restant durablement gelé.

M. Éric Coquerel. M. le rapporteur a enfin prononcé le mot de compensation à propos du passage du taux de « cotisation » ramené de 74,28 % à près de 17 %. Ce qui, à l’entendre, représente une somme de 42 ou 46 milliards d’euros – vos chiffres fluctuent –, dont on nous assure qu’elle sera compensée. Mais dans ce cas, pourquoi changer la loi ? Tout simplement parce que c’est une arnaque : en ne calculant plus la retraite des fonctionnaires sur les six derniers mois, vous leur versez moins de retraites, et du coup l’État aura moins à compenser.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous essayons de comprendre ce dont il est vraiment question. L’État compensera pendant la période de transition. Mais après ? En tout cas, on ne sait pas comment cela fonctionnera pour la partie « primes » – à moins que vous ayez décidé d’augmenter tous les fonctionnaires d’un montant correspondant à leurs primes actuelles, auquel cas la nouvelle mériterait d’être signalée ! Dès lors que le calcul de la retraite ne sera pas effectué à partir des six derniers mois, à combien la perte s’élèvera-t-elle pour les fonctionnaires ? Nous nous rendrons compte ainsi de la sincérité de votre proposition... À moins que vous n’en sachiez rien, comme le laisse entendre notre collègue Mattei ? Je suis d’accord avec lui, à ceci près que je préférerais que la négociation ait eu lieu avant, afin que je puisse voter en connaissance de cause, plutôt que de voter à l’aveugle.

Mme Danièle Obono. Nous sommes passés d’une participation virtuelle de l’État à des compensations bien réelles : fabuleux tour de magie ! Le problème, c’est qu’il n’y aura pas de véritable revalorisation, car il ne s’agit pas de compenser, mais bien de revaloriser les traitements des fonctionnaires ! On nous dit de ne pas nous inquiéter, que cela ne concernera pas une catégorie générationnelle de fonctionnaires. Ce qui revient à dire à celles et ceux qui voudraient s’investir au service du plus grand nombre qu’eux aussi paieront, et paieront cher. Curieuse manière de donner envie pour recruter des fonctionnaires !

Mme Bénédicte Taurine. Je ne sais à qui s’adressait M. Mattei à propos de l’alinéa 4, mais je rappelle que c’est tout l’article que nous demandons de supprimer. La question ne se pose donc pas.

Mes collègues enseignants se demandent comment ont été réalisées les simulations des tableaux 59 et 60 figurant à la page 212 de l’étude d’impact. En effet, leur début de carrière y est envisagé à 22 ans alors que, dans les faits, selon le ministère de l’éducation nationale, l’âge moyen de recrutement est de 26 ans.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous confirme, madame Autain, que la prise en charge sera effective, prime incluse, tant sur la part employeur que sur la part employé, puisque le taux de cotisation sur cette dernière passe de 5 % à 100 %. La convergence se fera en fuseau afin d’éviter toute baisse du traitement net des fonctionnaires concernés.

Vous répétez à l’envi que cela va faire disparaître 46 milliards d’euros. J’ai regardé les chiffres concernant les personnels avant et après 1975 : 740 000 agents ne seraient pas concernés dans la fonction publique d’État – 47 % –, 1,13 million d’agents dans la fonction publique territoriale – 53 % – et 730 000 agents dans la fonction publique hospitalière – 64 %. Plus 5 000 fonctionnaires qui dépendent toujours d’Orange ou de La Poste. Autrement dit à peu près 50 % des effectifs, toutes catégories confondues. Qui peut imaginer un instant que l’État transférerait ces retraites à la Caisse nationale de retraite universelle sans les compenser ? On imagine le tsunami politique que cela provoquerait !

Vous vous demandez, monsieur Mélenchon, ce qu’il en sera de la compensation après la période de transition. Constitutionnellement, le budget est annuel et l’engagement pris cette année « ne vaut pas pour demain » – vous connaissez la règle de droit. Mais je ne peux imaginer un instant qu’une majorité, celle-ci ou une autre, n’assume pas le règlement des pensions des fonctionnaires.

M. Door a soulevé un problème concernant la fonction publique hospitalière. En l’occurrence, le taux salarial de cotisation passerait de 11,10 % à 11,25 %, ce qui est pratiquement la même chose. En revanche, le taux de la part employeur passerait de 30,65 % à 16,87 %. Apparemment, fictivement, optiquement, ce serait autant de gagné pour la fonction publique hospitalière, mais ce gain servira à financer l’importante réforme des départs anticipés de toutes les catégories actives. Une négociation a eu lieu sur ce sujet : cette retraite anticipée doit être donc financée.

Avis défavorable à ces amendements.

Mme Valérie Rabault. Il serait intéressant de disposer d’un tableau des évolutions salariales envisagées pour maintenir le niveau des retraites. J’ai lu attentivement les communiqués des syndicats concernant les annonces du ministre de l’éducation nationale, j’en ai même fait un petit tableau Excel : entre un professeur passé hors classe et un autre qui ne l’est pas, la revalorisation se situe selon les cas entre 17 % et 35 %, ce qui représente 600 euros supplémentaires par mois pour quelqu’un qui gagnerait 1 800 euros – en début de carrière s’entend. Avec les 90 euros supplémentaires annoncés hier pour ceux qui débutent leur carrière, on est très loin du compte !

Quand allez-vous vous engager dans le bon sens ? Dans la prochaine loi de programmation des finances publiques ? Je sais bien qu’elle n’est pas contraignante, à la différence d’un projet de loi de finances, mais que comptez-vous mettre dedans ? Pouvez‑vous nous communiquer au moins quelques simulations de grilles salariales afin que nous puissions y voir un peu plus clair ?

M. Pierre Dharréville. Je reviens sur vos projections et sur les bases à partir desquelles vous les avez élaborées. Sont-elles en euros constants ou intègrent-elles l’évolution, la progression des salaires dans le secteur privé dans les années à venir ? En sera‑t‑il dès lors de même pour les traitements et les primes des fonctionnaires ?

La contribution des employeurs publics au régime de retraite des fonctionnaires est très supérieure à celle des employeurs privés. Le CAS Pensions et l’article 21, alinéa 2, de la loi organique relative aux lois de finances impliquent une obligation d’équilibre financier de l’État – à noter que cette obligation ne vaut pas pour la Caisse nationale de retraite des agents de collectivités locales (CNRACL), établissement public à caractère administratif. C’est essentiellement le déséquilibre démographique qui explique ce niveau de cotisation employeur. La cotisation des employeurs publics intègre également le coût des départs anticipés au titre du service actif et des dépenses de solidarité, qui ne feraient plus partie de la cotisation dans le régime universel. Autrement dit, de nombreux paramètres entrent en ligne de compte, dont nous ne cernons pas tous les tenants et aboutissants.

La conférence sur le financement doit quant à elle chercher les moyens d’équilibrer le système de retraite mais les conditions d’un début de transfert des charges de l’État au régime universel dès 2022 soulèvent des questions.

Enfin, le CAS Pensions disposera en 2020 de 8 milliards d’excédents cumulés afin de prévenir le pic de départ dû aux recrutements des années 1980. J’aimerais savoir ce qu’il en adviendra dans le nouveau contexte.

M. Éric Coquerel. Le dialogue avec M. Turquois a le mérite de faire avancer les choses. Vous avez l’honnêteté de dire, monsieur le rapporteur, qu’il ne sera pas possible de s’engager après quinze ans : tout dépendra des majorités, de l’État. Pourquoi ? Aujourd’hui, c’est la loi qui fixe un niveau de pension – par exemple, calculé à partir des six derniers mois – et un âge légal de départ. Dès lors, nous devons trouver les moyens de financement qui le permettent. Avec la retraite par points, ce sera l’inverse : vous déciderez des moyens de financement estimés nécessaires pour les retraites, et le point, autrement dit le niveau des retraites et l’âge de départ en dépendront, en fonction naturellement des choix retenus par la majorité du moment. Autrement dit, et vous venez de résumer le cœur de ce dont nous discutons, les retraites deviendront un budget de l’État comme un autre et ne seront plus un mécanisme de solidarité entre les salariés.

M. le secrétaire d’État. Madame Taurine, je prends bonne note de votre remarque sur l’âge de recrutement des enseignants. Les cas-types sont définis avec l’ensemble des ministères et nous en proposerons un avec une entrée dans la carrière à 26 ans.

Quid des concertations menées par mon collègue Jean-Michel Blanquer ? Précisément parce qu’il est ministre de l’éducation nationale, c’est lui qui les mène, pas moi. Si l’article 1er fait état d’une loi de programmation pluriannuelle, c’est bien parce que la négociation et la concertation sont nécessaires. Vous vous êtes fait l’écho d’un certain nombre de communiqués de presse, ce qui montre bien que nous en sommes au début, mais le ministre a déjà indiqué que des sommes significatives seraient mobilisées dès 2021, et qu’il y aurait ensuite une loi de programmation pluriannuelle.

Pour ce qui est de l’engagement de l’État à respecter ses obligations en matière de retraite, le rapporteur a été parfaitement clair.

M. Viry s’est inquiété de la situation de la CNRACL, qui gère également la fonction publique hospitalière. En l’occurrence, nous parlons de cotisations, non des contributions, qui se situent à 30,65 %. Avec le taux unique de 28,12 % – 60 % pour la part employeur et 40 % pour la part salariée –, elles ne seront plus que de 16,87 %. L’employeur, autrement dit les collectivités locales, les hôpitaux, cotiseront à hauteur de 30,65 % afin de couvrir la totalité des cotisations dues au titre des catégories actives et de la compensation des primes – M. Letchimy a souligné l’importance de cette question dans les territoires ultramarins. Soyez donc rassurés : le taux de cotisation n’augmentera donc pas pour les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière. Il est déjà plus élevé que ce qu’il devrait être et il couvrira donc la totalité des charges. À partir de 2040, les taux seront normalisés et des concertations auront lieu pour amener les cotisations salariales et employeurs au bon niveau. Le système est financièrement solide.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques  5912 de Mme Clémentine Autain, n° 5926 de M. Éric Coquerel, n° 5961 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 5968 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Voilà deux ans que vous êtes sur le pied de guerre pour nous présenter ce projet de contre-réforme des retraites. Dans la presse, vous vous êtes flattés de l’exceptionnelle concertation qui a eu lieu. Comment pouvez-nous nous soumettre un texte avec autant de trous ? Pourquoi des ordonnances sur des points essentiels pour ce qui concerne les fonctionnaires ? Quelques chiffres vous donneront une idée du niveau des dégâts à venir : en moyenne, le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente actuellement 123 % de son salaire moyen de carrière. Le taux de remplacement passera de 70,5 %, à 47,65 %. Vous rendez-vous compte de la chute ? C’est le Niagara...

M. Éric Coquerel. Au vu de tant de trous et de vides, je me demande si cette réforme n’aurait pas pu tenir en un article unique : « Faites-nous confiance et nous déciderons ce qu’il convient de faire pour l’avenir des retraites des fonctionnaires, des salariés, de tous ceux qui produisent des richesses ». Vous parlez de concertation avec les partenaires sociaux ; mais avec vous, la concertation consiste à donner un point de vue au départ et à faire en sorte qu’il soit le même à l’arrivée, peu importe ce qui aura été dit entre-temps. Ce débat marque d’un fer rouge ces années de macronisme qui, je l’espère, seront vite oubliées.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous ai dit que j’aimais la science-fiction. Avec votre système, la quote-part réelle de l’État est de 57 points. Supposons qu’un M. BlackRock soit déjà dans la haute administration de l’État, à Bercy par exemple, ou quelqu’un qui s’apprêterait à aller chez BlackRock, ou qui en soit revenu pour réintégrer la fonction publique. Que dirait-il ? Ramenons la quote-part de l’État à 54, 50 ou 40 points, ce qui perturbera l’équilibre financier global. Comme le système que vous avez inventé est universel, le calcul doit avoir lieu par rapport à la masse globale. Génial ! Il faudra alors prendre une mesure d’âge ou jouer avec la valeur du point, qui plus est en jetant la pierre aux fonctionnaires, ce qui est toujours très bien vu d’un « blackrockiste »...

Deuxième idée, encore meilleure – et je prie les hauts fonctionnaires qui m’écoutent de la noter avant qu’ils ne changent bientôt de cabane : je supprime une dépense réelle, qui devait être celle de l’État, et je la remplace par un crédit d’impôt, comme prévu par la loi « PACTE ». Ce qui se traduira aussitôt par une perte de recettes !

M. Jacques Marilossian. On est effectivement en pleine science-fiction !

M. Jean-Luc Mélenchon. J’y reviendrai dans un instant, afin de m’assurer que tout le monde m’a bien compris.

Mme Danièle Obono. La porte-parole de BlackRock, lors de l’université du MEDEF, s’est vantée de compter parmi ses clients des professeurs américains obligés d’épargner en investissant sur les marchés pour avoir une retraite décente. Peut-être cela est-il aussi inscrit en filigrane dans vos objectifs.

Je reviens sur la remarque du rapporteur à propos de la différence générationnelle. Tout va donc bien pour les fonctionnaires nés avant 1975 et ceux qui sont nés après vont quant à eux prendre cher. On a bien compris que vous n’aimez pas les fonctionnaires, ni l’État, ni le service public, vous préférez les technocrates macronisés et les godillots...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Et les députés mélenchonistes !

Mme Danièle Obono. Au moment où il faudrait plus de services publics, c’est un bien mauvais message envoyé à la jeunesse, aux étudiants, à toutes celles et à tous ceux qui voudraient s’engager au service de l’intérêt général.

Mme Bénédicte Taurine. Sauf erreur de ma part, mes collègues enseignants qui partent outre-mer bénéficient d’une prime de dépaysement pendant grosso modo trois ans, valant quatre années cotisées, avec pour référence les salaires des six derniers mois. Or, ce dispositif serait remplacé par l’intégration d’une prime courant sur quarante-trois ans. Dans quelle mesure ces collègues ne seront-ils pas perdants ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous nous égarons un peu, monsieur Mélenchon. J’entends les interpellations portant sur les chiffres, sur les montants. Lorsque j’ai su que je serais rapporteur, je me suis donné comme objectif de rendre ce texte accessible – à moins de s’y plonger profondément, il est difficile d’en maîtriser la mécanique : après tout, c’est mon rôle. J’essaie donc d’apporter des explications pour prévenir toute opposition qui serait liée à une incompréhension. Je vous explique ce qu’est une cotisation fictive, et aussitôt, vous faites comme s’il s’agissait d’un hold-up !

Mme Danièle Obono. Mais c’est vous qui avez utilisé cette expression !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous me parlez de BlackRock, vous pourriez tout aussi bien prétendre que l’école publique sera désormais payante ou que l’hôpital sera privatisé !

M. Sébastien Jumel. Ce sera pour la prochaine fois !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On peut sortir les arguments les plus invraisemblables pour démonter notre projet, mais essayons de rester sur le fond ! Je conçois que nous ayons de vraies différences politiques, je n’ai aucunement l’ambition de vous convertir au macronisme, mais essayons au moins de nous entendre sur les constats !

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Je vous rassure, monsieur le rapporteur : c’est parce que nous comprenons que nous nous opposons à ce projet. Si nous ne comprenions pas, nous nous limiterions à demander des explications. Or, nous l’avons trop bien compris, même si des zones d’ombre demeurent. Au demeurant, bien des gens comprennent encore mieux que nous : le président de la CNRACL, les dirigeants de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques et de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques... À en croire La Gazette des communes, publication qui n’a rien de révolutionnaire, que disent-ils ? « Réforme des retraites, trop de zones d’ombre ».

J’ai été maire d’une ville et je sais, comme on le sait dans toutes les communes de France, ce qui s’est passé à chaque fois que nous avons surprélevé sur la CNRACL pour alimenter la solidarité avec d’autres caisses, et comment cela s’est traduit dans nos budgets. Il n’est qu’à voir l’inquiétude de l’AMF et des présidents d’intercommunalités à l’idée de vous donner un blanc-seing pour jouer sur ces leviers-là. Ainsi que l’a dit mon collègue Door, les communes, les hôpitaux, l’ensemble des collectivités territoriales savent que cela aura inévitablement un impact non négligeable sur leurs agents, mais également sur leurs budgets. C’est un sujet que nous connaissons bien, mais sur lequel nous voudrions comprendre encore mieux à la faveur de ce débat.

Mme Marietta Karamanli. Une réforme aussi incertaine ne peut que mettre la population en difficulté. L’augmentation démographique à laquelle on peut s’attendre en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, entraînera une hausse du nombre de retraités. Le niveau des pensions et l’âge de départ seraient alors modulés défavorablement. Le système que vous proposez, qui en appelle à une discipline budgétaire de l’assurance sociale, en fait supporter les aléas sur tous les Français et particulièrement les agents des fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière. Vous nous demandez de prendre position sur système incertain sans en connaître les éléments ni les chiffres, ce qui est inacceptable pour un parlementaire.

M. Stéphane Viry. Je vous sais gré, monsieur le rapporteur, de chercher à apporter des réponses ; l’exercice est délicat, mais vous tenez votre rôle.

Sur le fond, la couverture du système et sa soutenabilité financière préoccupent chacun d’entre nous. Dès lors que nous nous dirigeons vers un système universel avec, fatalement, un alignement public-privé, je m’interroge sur un désengagement de l’État à terme en raison des contraintes économiques, budgétaires, financières, européennes, que sais-je : l’État pourrait être tenté de sa contribution au système de retraite. Auquel cas, de deux choses l’une, ou bien il faudra faire peser sur le secteur privé, les salariés, les employeurs, la compensation de ce que l’État ne donnerait plus, et ce serait la fin de l’alignement entre le public et le privé, ce serait la négation de l’objectif de la réforme, ou bien il faudra, hélas ! réduire le montant des pensions. Je mets en garde sur une possible rupture d’égalité à terme. Depuis des décennies, l’État s’est déjà désengagé de plusieurs politiques publiques, au détriment de certains Français.

M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V. Lorsque j’entends parler de l’article 65, je crois que nous en sommes au titre V... Or nous en sommes loin.

J’ai l’impression que nous assistons à une fixation paranoïde sur la capitalisation. À vous entendre parler en long, en large et en travers d’un certain nombre de fonds privés, je me demande s’il ne faudrait pas consulter la déontologue ou modifier votre déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)...

Nous n’en sommes pas encore au titre IV et nous n’avons donc pas encore parlé de la gouvernance. Il ne s’agit pas de faire injure à ceux qui y participeront ; les instances syndicales notamment seront sans doute amenées à rappeler un certain nombre de principes, notamment ceux qui visent à protéger l’équilibre du système. Je vous invite donc à revisiter la question de la gouvernance, à réfléchir à la nécessité de maintenir ces équilibres et de protéger ce système – autant de questions essentielles pour notre régime universel de retraite.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous vous employez à apporter les explications nécessaires afin que nous votions en toute connaissance de cause. Dont acte. Entendez que je puisse à mon tour décrire mon rôle d’opposant.

Nous ne nous opposons pas à ce texte pour des raisons techniques – bien que nombre d’entre elles méritent d’être exposées – mais parce que nous pensons qu’au même titre que les autres dispositions de même nature prises dans tous les pays d’Europe à la demande de la Commission européenne et plus généralement dans le monde, elles sont directement liées à la transnationalisation et à la financiarisation du capital. Votre réforme n’a d’autre objet que de faire tomber les masses d’argent consacrées aux retraites dans le marché privé de l’assurance. Telle est notre thèse : il est donc nécessaire d’en montrer la cohérence à chaque étape.

Les Communistes, les Insoumis et les Socialistes ne sont pas les seuls : il n’est jusqu’aux Républicains qui eux aussi s’opposent au régime par capitalisation. Il importe donc pour nous de montrer à tout le monde que c’est bien cela qui se prépare avec ce texte, et je vous montrerai plus loin comment on peut le faire par un simple décret.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Le président Mélenchon laisse entendre que demain, un fonctionnaire de Bercy pourrait aller chez BlackRock ou que quelqu’un de chez BlackRock pourrait venir à Bercy...

M. Jean-Luc Mélenchon. Comme le Président Macron.

M. le rapporteur général. Je ne peux laisser répandre sans réagir cette petite musique qui participe à la crise de défiance que traverse notre pays. Nous avons adopté y a quelques mois une loi sur la fonction publique qui accroît considérablement les règles de transparence et de déontologie : renforcement des déclarations d’intérêt, renforcement des contrôles de sortie et de retour, élargissement du périmètre des agents concernés dans les trois fonctions publiques, fusion de la HATVP et de la commission de déontologie et accroissement des prérogatives de l’institution... Autant de règles que nous nous imposons nous‑mêmes en grande partie lorsque, chaque semaine, nous mettons en ligne nos agendas publics ou l’utilisation de nos crédits d’avance sur frais de mandat.

Chère collègue Obono, je ne peux pas non plus laisser votre propos sans réplique. Nous sommes attachés à nos services publics, aux agents, aux femmes et aux hommes qui servent dans les trois fonctions publiques nos concitoyens, comme tous les membres de tous les groupes politiques. C’est en tout cas ce que, pour notre part, à La République en Marche, nous faisons depuis le début de notre mandat à lorsque nous augmentons le budget de l’éducation nationale, lorsque nous adoptons une loi de programmation pour la justice qui augmente de 20 % le budget de la justice et qui permet d’ouvrir 6 500 postes, ou encore lorsque nous prenons des mesures en faveur de l’hôpital public, dont nous savons combien la situation est difficile.

À ce propos, d’aucuns ont laissé entendre que la seule difficulté de ce secteur serait liée aux retraites. Le problème se pose effectivement, notamment, pour les aides-soignantes, et il faut y répondre : les négociations sont en cours. Mais il y a aussi des difficultés structurelles : c’est pourquoi nous avons pris des mesures, en particulier s’agissant de la reprise de la dette, afin que les hôpitaux puissent réinvestir. Nous répondons donc aux problèmes d’organisation, de structuration.

Nous assumons notre volonté de renforcer l’attractivité de notre fonction publique, comme nous l’avons fait dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique. Cette réforme des retraites doit également y participer : il est évident, et nous l’assumons, que demain, le système cible nous permettra de ne pas traiter dans la fonction publique les seules questions liées aux salaires et aux carrières plates – ou hautes, d’ailleurs – à travers des compensations de retraite. Nous avons besoin d’une politique de rémunération réellement attractive au sein de la fonction publique : c’est bien le sens de notre action en direction des femmes et des hommes qui travaillent dans les trois fonctions publiques. Je ne peux pas laisser dire que nous aurions la volonté de tout saccager, de tout casser.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 17499 de M. Éric Woerth.

Mme Constance Le Grip. Nous souhaitons avancer la date de démarrage de la période transitoire au 1er janvier 2021. Une des propositions essentielles autour de laquelle s’articule notre propre projet de réforme du système de retraite consiste à repousser progressivement l’âge légal du départ à la retraite, à raison d’un trimestre par an, pour qu’il atteigne 64 ans dans huit ans, et 65 ans dans douze ans. Si nous voulons parvenir à l’horizon 2033 à un âge légal de départ à la retraite de 65 ans, il faut faire démarrer la période de transition en 2021. Les propositions des Républicains s’inscrivent dans une démarche crédible et responsable. La première des garanties que nous devons à nos compatriotes, c’est d’assurer, à moyen et long terme, l’équilibre financier du système de retraite par répartition. Encore faut-il s’en donner les moyens : je rappelle que repousser d’un an l’âge légal de départ à la retraite rapporte 10 milliards d’euros.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous donne acte de la cohérence de vos propositions. Pour notre part, nous n’avons pas fait le choix d’organiser la réforme autour de l’âge légal ; compte tenu de l’ampleur des modifications que nous apportons au système, la date de 2025 nous paraît la plus appropriée.

M. Viry s’inquiétait d’un éventuel désengagement de l’État à terme. J’attire son attention sur le fait que la rupture d’égalité est déjà de fait dans le système actuel. L’État ou la collectivité prennent en charge, en les compensant, les déficits de certains régimes victimes d’une évolution démographique défavorable : c’est donc bien l’impôt, en définitive, qui finance cette part des retraites.

M. Jean-Luc Mélenchon. Lorsque nous critiquons les modalités techniques de la réforme, vous nous reprochez de perdre de vue l’ensemble ; et lorsque nous critiquons l’ensemble, nous portons à vous entendre des accusations sans fondement ! Oui, nous accusons tous les gouvernements de droite et de centre droit, et parfois de centre gauche, de procéder à la destruction de l’État et à la transformation en marché de tout ce qui était autrefois socialisé. Cela n’est pas de votre seul fait, mais c’est exactement ce que vous êtes en train de faire avec ce projet de loi !

Et quand je parle des hauts fonctionnaires, je n’invente rien : le Président de la République en est la démonstration criante. Inspecteur des finances, il devient banquier chez Rothschild, puis Président de la République pour mettre en œuvre un système qui correspond pile-poil à ce que demandent les fonds de pension mondiaux. Ne nous dites pas que c’est une invention : qui a permis à des gens du privé de venir remplacer des directeurs qui avaient fait toute leur carrière dans la fonction publique ? C’est vous ! Qui a ôté les gros revenus des recettes de la sécurité sociale ? C’est encore vous ! Ne parlez donc pas d’accusations gratuites : nous révélons le sens de ce que vous faites, et ce que vous faites, c’est le travail du capitalisme financier.

M. Stéphane Viry. Monsieur le rapporteur, ma crainte est précisément que cette réforme ne vaille rien, si d’aventure l’anomalie qui, depuis des années, fait que des contribuables paient la retraite de certains de nos compatriotes venait à perdurer. Je présume que l’esprit de votre réforme c’est de créer un système universel dans lequel les Français soient sur un pied d’égalité et que l’impôt ne serve plus à financer la retraite de certains. Cependant, votre réponse me fait douter de votre motivation, alors que c’est un point sur lequel, même si nous contestons le calendrier et les dispositions de la réforme, nous sommes totalement d’accord avec vous.

Mme Valérie Rabault. Vous avez parlé de cotisations fictives, monsieur le rapporteur. N’est-ce pas un moyen de ne pas comptabiliser les dépenses dans le déficit public, dans la mesure où, dans la comptabilité européenne, je ne pense pas que ces cotisations fictives existent ?

La commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 5913 de Mme Clémentine Autain, n° 5927 de M. Éric Coquerel, n° 5962 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 5969 de Mme Danièle Obono et n° 6025 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Concernant les fonctionnaires, vous avez mis l’accent sur la concertation à venir, à laquelle on nous exhorte à faire confiance. Je rappelle simplement le climat dans lequel nous nous trouvons : le secrétaire d’État Olivier Dussopt a été obligé, le 30 janvier dernier, d’annuler ses vœux aux acteurs de la fonction publique, tant l’ambiance est chaleureuse et bienveillante, propice à un dialogue nourri... Il a même eu ces mots : « Nous proposons une méthode un peu particulière, qui consiste à entrelacer les travaux du dialogue social et les travaux des débats parlementaires. » Pas mal ! Pensez-vous donc qu’avant la fin des débats parlementaires, nous pourrons avoir des éléments de réponse sur les modalités de compensation et sur ce que vous envisagez pour augmenter les salaires des fonctionnaires ?

M. Éric Coquerel. L’idée revient depuis ce matin dans les débats que l’État employeur ne verserait pas de cotisations mais des contributions, dont la nature serait très différente. Or je cherche vainement, aux articles 17 et 18, la référence à ces contributions mais je ne trouve que le terme de cotisations. Il serait donc temps que vous remettiez vos pendules à l’heure, car je crains bien que tout cela ne soit qu’arguties.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vais me concentrer sur la deuxième partie de ma démonstration de tout à l’heure, dans laquelle le rapporteur semblait s’être un peu perdu. Il est innocent, bien sûr... Mais ceux qui ont décidé tout cela savent très bien où ils vont !

En libérant pour partie la contribution de l’État de son caractère obligatoire, ceux qui en ont décidé ainsi la rendent aléatoire ; vous l’avez dit vous-même, le principe étant que l’on vote le budget chaque année, personne ne peut prendre d’engagement sur ce qui va se passer dans quinze ans. Un scénario « blackrockiste » est donc tout à fait envisageable : vous diminuez la cotisation que doit l’État pour ses fonctionnaires et vous proposez à ces fonctionnaires de souscrire pour leur retraite à un fonds d’assurance privée, selon une fiscalité avantageuse, exactement comme vous l’avez fait pour les revenus supérieurs.

Jacques Marilossian. Et la PREFON, c’est quoi ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce faisant, vous supprimez une ligne de dette de l’État pour la transformer, de l’autre côté, en une baisse de recettes, ce qui fait que ça ne se voit pas. Et lorsque cela se voit trop, il suffit de diminuer le nombre de fonctionnaires et d’équipements publics. Ainsi va la petite machine des libéraux : d’abord on sabote, puis on détruit et, pour réparer, on sabote encore !

Mme Danièle Obono. Monsieur Gouffier-Cha, ce n’est pas nous qu’il faut convaincre de la sincérité de vos propos, ce sont les fonctionnaires, celles et ceux qui sont mobilisés, depuis des mois, dans la fonction publique hospitalière. Dois-je rappeler qu’en début de semaine dernière des chefs de service de la Pitié-Salpêtrière ont symboliquement démissionné de leurs fonctions administratives pour protester contre la politique que vous menez depuis trois ans et qui s’apparente, selon leurs propres mots, à une casse de l’hôpital public ?

Mme Bénédicte Taurine. Un de nos collègues a dit qu’il fallait rendre la fonction publique plus attractive : ce n’est pas gelant le point d’indice jusqu’en 2022 que l’on y parviendra ! Le rôle des organisations syndicales, il a été singulièrement mis à mal par la disparition des commissions administratives paritaires à l’éducation nationale, que ce soit au niveau académique ou national, ou par celle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Quant à la revalorisation du traitement des fonctionnaires, elle est bel et bien soumise à une forme de chantage : soit la réforme des retraites aboutit, et les traitements seront augmentés, soit elle n’aboutit pas et, comme l’a indiqué M. Blanquer, cette hausse ne se justifiera plus. C’est donc bien une attaque en règle contre la fonction publique, et nos collègues qui servent l’État seront les premières victimes de votre réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je voudrais remercier mes collègues de la majorité qui limitent leurs prises de parole. Cela étant, j’ai fait un rapide calcul : entre les interventions de la majorité et celles de l’opposition le rapport est de un à trois cents !

M. Sébastien Jumel. Ils ont fait vœu d’abstinence, d’obéissance, de révérence, d’effervescence !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Viry, vous vous inquiétez du fait que l’impôt puisse financer une partie du système universel. Notre objectif, à terme, est que les cotisations sociales financent les droits à pension, c’est-à-dire les points qui correspondent aux droits personnels, dans une logique assurantielle ; l’impôt au sens large permettra d’abonder le Fonds de solidarité vieillesse universel, qui financera ce qui relève de la solidarité nationale et dont le périmètre est défini par chaque gouvernement.

Madame Rabault, je ne suis pas spécialiste de la comptabilité européenne ; il m’est difficile de vous dire avec certitude si la modification du CAS Pensions va modifier la lecture du déficit français selon les critères européens. Selon les éléments dont je dispose, les cotisations versées seraient la contrepartie de pensions à verser, donc une dette future, et devraient être intégrées en tant que telles parmi les éléments de calcul du déficit. Mais j’atteins ici la limite de mes compétences ; sans doute faudrait-il interroger le ministère des finances.

Madame Autain, je suppose que si des concertations aboutissaient pendant que nous examinons ce projet de loi, la représentation nationale en serait avertie.

Monsieur Coquerel, je dois vous préciser que nous avons affaire aujourd’hui à des contributions, mais que demain il s’agira de cotisations, d’où les termes employés dans les articles 17 et 18.

Enfin, monsieur Mélenchon, nous avons déjà évoqué BlackRock, et il est inutile d’y revenir.

Quant aux amendements, j’y suis défavorable.

M. Serge Letchimy. Le rapporteur nous a indiqué que, dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale, le taux de cotisation des salariés passera de 11 à 11,25 % et celui des employeurs à 16,87 %, ce qui implique de trouver des mécanismes de compensation. Cela représente pour l’État une baisse de recettes de 42 milliards d’euros, qu’il faudra bien trouver quelque part. D’autant que je m’interroge sur les mesures qui sont envisagées pour alléger le poids des cotisations salariales outre-mer : si la prime de vie chère est soumise à cotisation et si la bonification d’un tiers est supprimée, les fonctionnaires ultramarins vont voir mécaniquement baisser et leurs salaires et leurs retraites. J’aimerais quelques éclaircissements sur ce point.

M. Jean-Luc Mélenchon. Non, monsieur le rapporteur, on n’a pas assez parlé de BlackRock, parce que c’est BlackRock qui est derrière tous ces articles !

Jean-Paul Mattei. C’est une chimère !

M. Jean-Luc Mélenchon. J’en vois qui protestent, mais j’ai le droit de défendre cette thèse politique et de relier les événements de l’instant à leur contexte général : dans le monde entier, dans toute l’Union européenne, on a cherché à faire passer la masse des retraites des mécanismes de solidarité à la sphère marchande. Je ne m’en prends pas spécialement à l’actuel gouvernement, dont la barque est déjà assez chargée ; ceux du passé ne voulaient déjà pas entendre lorsqu’on leur disait qu’en détruisant le statut des PTT ils allaient détruire le statut des fonctionnaires. Aujourd’hui, c’est la même chose : vous faites passer 300 milliards d’euros dans le secteur marchand ! J’ai expliqué tout à l’heure qu’il suffisait que l’État décide de réduire de 7 milliards sa contribution de 42 milliards pour que M. BlackRock se frotte les mains : les fonctionnaires qui cotiseront directement chez lui verront leurs impôts diminuer et on pourra donc leur démontrer qu’ils y trouvent d’autant mieux leur compte qu’au moment où ils toucheront leur pension, celle-ci sera exonérée à 70 % de l’impôt sur le revenu. Ne nous dites pas que ce n’est pas vrai, c’est ce que vous avez déjà fait !

J’en termine avec le type qui, à Bercy, se dira que tout ça est bien beau et que BlackRock est bien gentil, mais il faut bien rééquilibrer les finances publiques. Alors, il lui suffira d’augmenter d’un point la TVA pour ramasser les 7 milliards dont je viens de vous parler, autrement dit 20 % d’économies supplémentaires pour l’État. Et vous savez que la TVA, c’est le rêve des libéraux en matière d’impôt !

M. Sébastien Jumel. Très belle démonstration !

M. Jean-Luc Mélenchon. Merci, camarade !

Mme Constance Le Grip. Je tenais à réaffirmer que la droite républicaine ne construit pas son projet politique contre l’État. Nous sommes clairement déterminés à faire en sorte que l’État se réarme et se recentre sur ses fonctions régaliennes et ses fonctions d’autorité. Nous n’excluons pas d’avoir une pensée innovante et audacieuse pour redessiner le périmètre de l’État et lutter contre certaines obésités, mais nous ne laisserons pas dire que nos projets sont dirigés contre l’État ou contre celles et ceux qui servent l’État républicain.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 22123 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Lorsqu’il leur manque des éléments pour affiner leur jugement et prendre une décision, les gens sérieux, notamment les juristes, ont coutume de surseoir avant de statuer. Dans la mesure où les réponses touchant au financement doivent venir de l’extérieur et où toutes les questions que nous venons d’aborder pendant 3 heures sont renvoyées aux négociations, je vous propose de surseoir, de manière que nous puissions étayer plus solidement notre jugement. Dans l’intervalle, je vais, à partir de demain, recevoir à ma permanence des représentants de métiers où on n’a pas les mêmes points de vie qu’ailleurs : égoutiers, aides-soignantes, aides à domicile, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), tous ces métiers qui sont absents des règles à calcul que nous évoquons à l’instant, mais où l’on a bien conscience que, une fois la réforme adoptée, la situation se dégradera profondément. Et cela vaut aussi pour les trieuses de verre, les décortiqueuses de coquilles...

M. Jacques Marilossian. Les dentellières du Puy !

M. Sébastien Jumel. Puisque vous méprisez ainsi les métiers de mon territoire, venez donc vous frotter à ces femmes...

M. Jacques Marilossian. Je pense à ceux de chez moi, du Puy !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel, adressez‑vous au rapporteur et non à M. Marilossian.

M. Sébastien Jumel. Ils nous provoquent sans arrêt, ça commence à être chiant ! (Protestations sur les bancs des groupes La République en Marche et du Mouvement Démocrate et apparentés.) Quand on emmerde les miens, je ne suis pas poli ! Sachez que les décortiqueuses les éboueurs, les égoutiers, les trieuses de verre, les chaudronniers-soudeurs flingués par l’amiante vont faire irruption dans votre débat : ils vont vous pourrir la vie !

M. Jean-Jacques Bridey. Ça, pour pourrir...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Letchimy, il me semble avoir déjà précisé les éléments sur lesquels vous m’avez interrogé. L’État ne perd nullement 42 milliards d’euros : c’est simplement que, d’un point de vue comptable, ils ne sont pas distribués de la même façon.

En ce qui concerne les cotisations sur les primes, nous avons voté une disposition aux termes de laquelle l’État s’engage à les prendre en charge le temps de la convergence, c’est-à-dire pendant quinze ans. N’ayez donc pas d’inquiétude là-dessus.

Madame Le Grip, votre intervention sur les fonctions régaliennes de l’État m’amène à dire ce que nous n’avons jamais réellement formulé comme tel, à savoir que le système de retraite, dans la mesure où il concerne l’ensemble de nos concitoyens recouvre un aspect stratégique qui en fait, d’une certaine manière, un enjeu régalien. En effet, l’assurance qu’ont les Français de toucher une retraite équitable est à nos yeux un élément de cohésion sociale majeur.

Enfin, monsieur Mélenchon, à ma connaissance, aucune majorité dans aucun Parlement ne serait disposée à voter un texte si BlackRock s’était assis à la table des négociations.

Mme Danièle Obono. BlacRock s’assied en tout cas à la table de l’Élysée !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Pardonnez-moi le mauvais jeu de mot, mais ne Mélenchon pas tout !

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, quand comme votre majorité vote la loi « PACTE », que faites-vous d’autre, sinon favoriser l’épargne privée ? Défiscaliser l’épargne privée c’est ouvrir grand la porte à BlackRock et à toutes les assurances privées qui sont là, à attendre, tels des vautours, pour s’emparer de la manne que vous allez leur distribuer. Si vous baissez les pensions, les gens vont essayer de trouver d’autres solutions pour obtenir un petit complément de retraite. Ils se feront avoir par les assurances privées, parce que vous êtes en train d’organiser la privatisation progressive de notre système de retraite !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Cher collègue Jumel, je ne doute pas de votre sincérité quand vous évoquez ces professions difficiles, notamment celles qui bénéficient d’un départ anticipé. Vous avez évoqué à juste titre les égoutiers, dont le taux de mortalité est en effet multiplié par trois, quatre, cinq ou dix, par rapport à la norme, selon la maladie professionnelle en cause. Mais pensez-vous réellement que, pour un égoutier, la solution pour préserver son espérance de vie est d’obtenir un répit de deux ou trois ans pour gérer sa fin de vie ? Ne faut-il pas plutôt organiser différemment la profession, pour faire en sorte qu’on ne puisse pas être égoutier plus de dix ou quinze ans ? Ne faut-il pas faire confiance aux partenaires sociaux qui, en ce moment même et dans les mois qui viennent, vont négocier dans les branches les conditions nécessaires aux reconversions ? Il ne faut pas tout attendre du système de redistribution mais savoir s’en remettre à ceux qui sont au plus près du terrain pour imaginer de nouvelles solutions.

M. Bruno Fuchs. On est quand même à la limite du débat parlementaire avec les scénarios de fiction de M. Mélenchon, qui ferait mieux d’en faire des livres plutôt que de mobiliser du temps de débat sur ce projet de loi. Je vous renvoie pour ma part au livre de Thomas Piketty : la retraite par répartition concerne 99 % des Français et 96 % du volume des pensions. On ne peut donc pas parler d’une privatisation du système sur laquelle planerait l’ombre de BlackRock.

Quant au capital privé, il fait cruellement défaut dans notre pays : j’ai dans ma circonscription un leader mondial qui a été vendu à des Émiratis parce qu’il n’y avait pas en France les capitaux nécessaires. Et quand Alstom a été repris par General Electric, a-t-on vu des fonds français venir à son secours ? Non. On a donc besoin de capitaux en France, mais ne mélangeons pas tous les sujets. En l’espèce, on ne peut pas parler de privatisation. Restons précis sur les termes.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 5915 de Mme Clémentine Autain, n° 5929 de M. Éric Coquerel, n° 5964 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 5971 de Mme Danièle Obono et n° 6027 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. La baisse des retraites aura nécessairement une incidence sur l’attractivité des métiers de la fonction publique. En 1970, le plus bas salaire d’un agent de catégorie C équivalait à 1,4 SMIC contre 1 SMIC aujourd’hui ; pour les catégories B, nous étions à 1,5 SMIC, contre également 1 SMIC aujourd’hui. Cela donne un aperçu de la baisse des salaires et de la paupérisation générale – les catégories A sont également touchées, dans une moindre mesure – à l’œuvre dans la fonction publique. Jusqu’alors, des retraites plus avantageuses compensaient ces salaires inférieurs à ceux du privé. Si ce n’est plus le cas, la fonction publique cessera d’être attractive, alors que le besoin d’agents publics est important.

M. Éric Coquerel. Dans l’exposé des motifs de la loi, on peut lire, à l’article 65 : « Les organismes de retraite professionnelle supplémentaire constituent, dans ce cadre complété, des véhicules spécifiquement conçus et adaptés pour porter des engagements de retraite et pour financer l’économie sur le long terme [...]. Le secteur de l’assurance est appelé à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules se généralise et que l’économie française puisse ainsi bénéficier pleinement du dynamisme de l’épargne retraite généré par la loi PACTE, d’où découlent, entre autres, la portabilité des droits acquis sur les différents produits ou l’assouplissement des modalités de sortie en rente ou en capital. » Que vient faire dans le projet de loi cet article qui est un hommage – tacite – à la retraite par capitalisation, si votre objectif n’est pas d’en faire un des pivots du système de retraite français ?

M. Jean-Luc Mélenchon. La lecture que vient de donner mon ami Éric Coquerel ne fait que confirmer ce que j’ai dit ; contrairement à ce que soutenait M. Fuchs, BlackRock a un vrai rapport avec ce qui nous occupe. Or le devoir du législateur consiste à envisager le futur au-delà de l’instant présent : nous ne sommes pas au conseil d’administration de la start-up France mais en République française – et la République, c’est nous ! Nos personnes sont sacrées et chacun a quelque chose à dire sur le sujet.

Au prétexte de contester ce que j’ai dit tout à l’heure, M. Fuchs allègue que nous manquerions d’argent en France nous manquons d’argent pour capitaliser les entreprises. Mais d’où tenez-vous cela, cher collègue ? Pas moins de 54 milliards d’euros de dividendes ont distribués au CAC 40, et ces gens-là n’ont pas trouvé un euro à mettre dans le chantier de Saint-Nazaire ! Pas un euro pour Alstom – reconnaissons que là, ils avaient une excuse : personne ne le leur a demandé, puisque la vente s’est faite en douce, directement entre le PDG d’Alstom et les Américains, qui avaient mis les autres en taule, avec la bénédiction du président Macron !

Mme Danièle Obono. Je voudrais en revenir aux égoutiers. Votre réforme remet en cause leur régime spécial, qui tenait compte du déficit d’espérance de vie dans leur métier et des conditions de travail insupportables et pathogènes dans lesquels ils travaillent.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Mais ils mourraient déjà...

Mme Danièle Obono. Ce faisant, vous confirmez vous-même que votre réforme va à l’encontre du progrès humain, qui consisterait à valoriser ces métiers et à les payer les égoutiers beaucoup plus cher, et non à les faire mourir avant qu’ils aient trouvé du répit.

Mme Bénédicte Taurine. Les mesures issues du chantier de réforme des retraites ne corrigent pas le déclassement salarial dont souffrent en particulier les enseignants. Il n’est pas concevable que le ministère veuille résoudre ces questions essentielles que sont la revalorisation, le déroulement des carrières, le remplacement, la formation continue, en piochant dans l’enveloppe de 500 millions d’euros annoncée, qui serait donc multi-usages. En liant la question salariale à celle de l’instauration d’un régime de retraite par points, le ministère ne respecte pas les enseignants et ne tient pas ses promesses de revalorisation.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tous les arguments ont été épuisés. Je rajoute simplement qu’avec le système universel de retraite, nous transformons des régimes par capitalisation – par exemple, le régime additionnel de la fonction publique – en régimes par répartition.

Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Personne ne peut contester les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques : parmi les 5 % de Français les plus aisés, l’espérance de vie des hommes à la naissance est de 84 ans, contre 72 ans chez les 5 % les plus pauvres, soit treize ans d’écart. Du fait de cette forte inégalité sociale par rapport à l’espérance de vie, les pauvres, qui cotisent aussi longtemps que les riches, bénéficient en moyenne beaucoup moins longtemps de la retraite. Votre réforme ne propose aucun correctif à cet état de fait. Un système plus juste consisterait à revoir la répartition des cotisations. Je ne vois ni n’entends rien qui aille dans ce sens.

M. Sébastien Jumel. Le député Maire – qui est le seul à ne pas être atteint par le cumul des mandats... (Sourires.) – nous a expliqué que, pour améliorer la situation des éboueurs, des ATSEM, des égoutiers, des trieuses de verre ou des décortiqueuses, qui risquait d’être encore dégradée par votre réforme, il fallait trouver des solutions pour qu’ils changent de travail. C’est déjà un premier aveu... Mais qu’allez-vous proposer comme métier moins pénible à tous ces gens ? Comment allez-vous leur faire gagner des points de vie ? Car votre histoire ressemble aux jeux vidéo : ceux qui partent avec du pognon jouent avec beaucoup de points de vie, ceux qui n’ont pas de pognon beaucoup moins. J’ai été maire et je sais combien il est compliqué de reclasser un égoutier. Avec ses diplômes et ses compétences, vous n’allez pas transformer un égoutier en préfet...

M. Jean-René Cazeneuve. Pourquoi pas ?

M. Sébastien Jumel. Pourquoi pas, après tout. Peut-être que la France serait mieux gérée... Mais on sait bien que c’est plus compliqué que cela. Votre réforme ne fait rien pour doter ceux qui pratiquent ces métiers difficiles de points de vie en bonne santé. C’est pour cela que j’ai choisi de les inviter dans nos débats à partir de la semaine prochaine.

M. Jean-Paul Mattei. Madame la présidente, alors que les amendements en discussion visent à supprimer l’alinéa 5 du présent article, nos collègues reviennent en boucle sur des sujets qui n’ont rien à voir et dont il a déjà été question. C’est notamment le cas de la situation des égoutiers. Je ne nie pas l’importance de cette question mais, dans la mesure où nous en avons déjà largement débattu, ne pourrions-nous pas nous concentrer sur le texte ?

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est ce que nous faisons !

M. Jean-Paul Mattei. Non !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je me contente d’appeler les amendements dans l’ordre du texte : ce n’est pas à moi de juger du contenu de la discussion.

M. Jean-René Cazeneuve. Je suis d’accord avec notre collègue Jean-Paul Mattei : nos collègues de La France insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine ont innové et trouvé deux nouveaux concepts pour paralyser le fonctionnement du Parlement. Le premier, c’est le harcèlement parlementaire, qui consiste à multiplier les amendements identiques pour noyer le débat et empêcher que l’examen du texte avance sereinement. Le second, c’est l’argumentaire aléatoire : neuf fois sur dix, l’argumentaire n’a rien à voir avec l’amendement, qui n’a lui-même rien à voir avec l’article sur lequel il porte.

Mme Danièle Obono. L’alinéa 5 de cet article concerne les fonctionnaires et c’est bien d’eux que nous parlons : des fonctionnaires d’aujourd’hui et de ceux qui ne le seront plus demain, parce que votre réforme poursuit la casse du service public et du statut que vous avez entamée au début de cette législature.

Je voudrais revenir sur la situation des égoutiers et des éboueurs qui, lorsque leur activité n’est pas déléguée au privé, sont eux aussi des fonctionnaires. Je répète qu’en revenant sur les acquis de leur régime spécial, vous allez les laisser mourir avant qu’ils aient pu prendre leur retraite. Il faudrait au contraire revaloriser leur statut, parce que nous avons éminemment besoin d’eux, comme nous avons éminemment besoin des aides à domicile. Or votre réforme va dissuader les gens de s’engager au service de l’intérêt général, parce que vous remettez en cause leur statut. Nous sommes donc en plein dans le sujet. Et, ne vous en déplaise, nous continuerons à le dire sur tous les tons et de toutes les manières possibles.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il est dommage que nous ne débattions pas effectivement de l’alinéa 5, car il concerne les fonctionnaires de l’Assemblée nationale, auxquels je veux rendre hommage, parce qu’ils sont à nos côtés depuis toutes ces heures. (Applaudissements.)

M. le rapporteur général. Notre collègue Éric Coquerel qui nous a interpellés tout à l’heure au sujet de l’article 65. Il ne vous aura pas échappé, chers collègues, que M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V, et moi-même avons déposé un amendement de suppression de l’ordonnance en question. Même s’il faut renforcer l’épargne, notamment celle des plus petits, nous estimons que cette disposition n’a pas sa place dans ce texte et nous invitons le Gouvernement à venir en rediscuter dans le cadre d’un autre texte, après ce débat sur les retraites.

M. le secrétaire d’État. L’épargne retraite n’est pas un tabou : 13 millions de nos concitoyens y sont adhérents. Pour donner un ordre de grandeur, elle représente 230 milliards d’encours – sur un total de 5 000 milliards d’épargne. Il existe déjà des retraites sous forme d’épargne : les plans d’épargne retraite, les plans d’épargne pour la retraite collectifs pour les salariés, les contrats dits « Madelin » pour les libéraux et le régime PREFON pour les fonctionnaires.

Madame Karamanli, j’ai écouté votre intervention avec intérêt. Pour avoir déjà débattu avec vous, je connais votre profonde honnêteté et votre envie de discuter simplement. Le système actuel est extrêmement redistributif envers les plus aisés, ceux qui ont à la fois les plus grosses retraites et l’espérance de vie la plus grande. Or leur retraite est financée grâce aux cotisations de ceux qui ont une espérance de vie plus faible. Cette question de l’espérance de vie, que vous avez à juste titre évoquée, a été un élément important dans notre choix de ramener le plafond à trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) – même si cela n’a pas été le seul. Certains salariés aisés auraient aimé qu’il soit maintenu à 8 PASS pour continuer à profiter de la redistribution, mais lors des concertations menées par Jean-Paul Delevoye, des représentants des travailleurs indépendants ont demandé, quant à eux, que l’on descende à 1 PASS. Le choix que nous avons fait permet d’englober le plus grand nombre de nos concitoyens, puisque 100 % des actifs français seront concernés et que 99 % ont des rémunérations inférieures à 3 PASS. Nous avons trouvé une voie moyenne, qui fait que la redistribution profitera aux plus modestes. C’est précisément l’objectif de notre réforme.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 18 sans modification.

(Suspension de séance)

Article 19 : Habilitation à prendre des dispositions transitoires pour les salariés des régimes spéciaux

La commission examine les amendements de suppression  6 de M. Stéphane Viry,  6260 de Mme Clémentine Autain,  6294 de M. Éric Coquerel,  6379 de M. Jean-Luc Mélenchon,  6396 de Mme Danièle Obono,  6532 de Mme Bénédicte Taurine,  21102 de M. Boris Vallaud et  22460 de M. Sébastien Jumel.

M. Jean-Pierre Door. Nous ne sommes systématiquement hostiles aux ordonnances, mais trop, c’est trop ! Nous nous opposons fermement au recours à des ordonnances pour une réforme des retraites, surtout dans de telles proportions. Vous dites vouloir garantir une « stricte équité dans les efforts réalisés par les assurés en termes de niveau de cotisations, pour qu’à revenus identiques, les droits à la retraite soient effectivement identiques ». Il est à noter que les cotisations globales, dans les régimes spéciaux, sont plus élevées que dans les régimes de droit commun. Vous avez prévu une période de transition de vingt ans, mais les régimes spéciaux perdureront au-delà cette période de vingt ans, ce qui entraînera une baisse des ressources. C’est pourquoi nous demandons, par notre amendement n° 6, la suppression de cet article.

Mme Clémentine Autain. Avec cet article, le Gouvernement nous demande à nouveau de l’habiliter à prendre des ordonnances et de lui donner un blanc-seing. Pouvez‑vous nous confirmer qu’un amendement supprimera bien l’article 65 ? Ce dernier article du projet de loi prévoit de ratifier l’ordonnance n° 2019-575 du 12 juin 2019 relative aux activités et à la surveillance des institutions de retraite professionnelle supplémentaire, l’ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019 relative aux régimes professionnels de retraite supplémentaire, et l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019 portant réforme de l’épargne retraite – c’est-à-dire l’ordonnance d’application de la loi « PACTE ». Autrement dit, il s’agit de donner toujours plus au privé et de favoriser la capitalisation. Vous avez peut-être fini par vous dire que cela faisait un peu mauvais genre de terminer ce projet de loi avec un article qui favorise clairement cette logique de privatisation.

M. Éric Coquerel. Le recours aux ordonnances est un scandale sur lequel je ne reviendrai pas. J’aimerais en revanche revenir sur les propos que Jacques Maire a tenus tout à l’heure à propos des égoutiers, puisque cet article concerne précisément les métiers les plus pénibles. Notre collègue a repris un argument que j’avais déjà entendu dans la bouche de Mme Muriel Pénicaud – à propos des déménageurs, je crois – et qui m’avait stupéfié : pour régler le problème de la pénibilité, il suffirait d’interdire l’exercice de métiers pénibles à partir d’un certain âge. Autrement dit, on utiliserait la force de travail des salariés à l’âge où ils sont au maximum de leurs capacités, et ensuite, il faudrait les jeter... C’est sidérant ! Le fait d’exercer un travail pénible ne sera plus compensé par un départ à la retraite anticipé : on interdira à ces gens de faire leur travail au-delà d’un certain âge, on leur proposera une formation bidon et on les poussera à trouver un nouvel emploi. Or chacun sait que sur le marché du travail actuel, la requalification est un vœu pieux. Cela en dit long sur l’esprit de votre réforme des retraites !

M. Jean-Luc Mélenchon. Avec cet article, vous passez par-dessus bord les régimes spéciaux. Il faut deux conditions pour passer à la privatisation : premièrement, supprimer les régimes spéciaux, parce qu’ils procèdent fondamentalement de la logique de répartition – mais ce sont les plus durs à supprimer, parce que les gens les défendent bec et ongles ; deuxièmement, il faut des points, que l’on achète un par un. Vous êtes en train de préparer le terrain au système par capitalisation, qui fera l’objet d’une prochaine loi. Toutes les conditions sont désormais réunies, puisqu’à l’article 65, vous passez également par-dessus bord tous les mécanismes de surveillance des agences privées.

Un de nos collègues nous a dit tout à l’heure que ce texte n’avait aucun rapport avec BlackRock – avant de se mettre lui-même à en parler beaucoup. BlackRock est le géant qui guette à nos portes et la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances a même dit que la France n’était qu’une boîte de Smarties à côté de la puissance de BlakRock. Elle exagère et elle devrait croire davantage à la puissance de sa patrie, mais je m’aperçois que j’allais dépasser ma minute : la suite dans un instant...

Mme Danièle Obono. L’amendement n° 6396 vise à supprimer l’article 19, qui habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances sur les modalités de transition applicables aux régimes spéciaux. Je veux rappeler à quel point nous sommes redevables aux travailleurs et travailleuses de la SNCF et de la RATP, aux égoutiers, aux éboueurs, aux gaziers et aux gazières, aux danseurs et aux danseuses de l’Opéra de Paris : ce que vous voulez supprimer, ce sont les compensations qui leur ont été accordées en raison des conditions particulières d’exercice de leur métier. Votre démarche témoigne à la fois d’un mépris et d’une méconnaissance totale de ce que signifient ces régimes spéciaux pour tous ces corps de métiers. Il ne s’agit pas seulement pour eux de profiter de leur retraite, mais de pouvoir le faire dans un état de santé physique et mental digne et décent. C’est cette possibilité que vous voulez supprimer, et c’est lamentable.

Mme Bénédicte Taurine. L’article 19 habilite le Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de convergence du régime de cotisation de différentes catégories d’assurés mentionnés à l’article 7 : il s’agit des travailleurs et travailleuses de la SNCF et de la RATP, des clercs et employés de notaires, des salariés des industries électriques et gazières, de la Banque de France, de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française, des ouvriers de l’État, des mines, du Port autonome de Strasbourg, des ministres des cultes en Alsace-Moselle, ainsi que des membres du Conseil économique, social et environnemental. Compte tenu du nombre de salariés concernés, il nous semble inacceptable que cette question soit traitée par voie d’ordonnances.

M. Serge Letchimy. Pour les mêmes raisons que celles exposées par nos collègues, nous proposons, avec l’amendement n° 21102, la suppression de l’article 19. Vous avez pris l’engagement de supprimer les quarante-deux régimes spéciaux, mais on voit bien que vous êtes en train de reculer, puisque vous en maintenez quelques-uns, parfois en les adaptant. Cela montre que votre réflexion n’était pas suffisamment aboutie et que la concertation avec les différents corps professionnels n’a pas permis de trouver de solutions appropriées.

M. Pierre Dharréville. Sur le fond, à ces salariés qui relèvent aujourd’hui de régimes spéciaux, vous proposez, avec votre réforme, une régression sociale majeure.

Sur la forme, permettez-moi de vous rappeler la définition du terme « ordonnance », que j’ai trouvée sur le site service-public.fr : « En matière constitutionnelle, une ordonnance est une mesure prise par le Gouvernement dans des domaines juridiques relevant normalement de la loi et donc du Parlement. » Nous sommes dans un cadre d’exception, vous choisissez de contourner le Parlement et vous vous donnez trois mois pour mettre cette ordonnance à exécution : cela signifie que vous avez une idée derrière la tête et que nous ne savons pas tout. Ce que nous vous suggérons, c’est de mettre cette idée sur le papier, dans votre projet de loi, pour que nous puissions en discuter sérieusement.

Nous nous opposons à la fois à la pratique des ordonnances et au fond de cette disposition, qui vise à casser des régimes de retraite solidaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 19 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions transitoires pour lisser les effets de convergence des assiettes et des taux de cotisation des salariés des régimes spéciaux sur une période ne pouvant dépasser vingt ans.

On nous accuse de vouloir passer par-dessus bord les régimes spéciaux. Il n’est absolument pas question pour nous de ne pas tenir compte des spécificités de ces métiers. On a un peu oublié qu’il existait plus de cent régimes spéciaux en France en 1990 : toutes les banques avaient le leur, ainsi que les ports autonomes – il ne reste plus que celui du port de Strasbourg. Un certain nombre de ces régimes concernaient des activités ou des sociétés implantées en Alsace ou en Moselle : ils étaient les témoins d’une histoire aujourd’hui révolue. Il ne me semble pas que la disparition de ces régimes spéciaux ait entraîné, par exemple dans les banques, une régression sociale majeure.

Nous souhaitons faire converger très progressivement les taux et les assiettes de ces régimes vers le système cible pour assurer l’équité du système de retraite, rien de plus. Il s’agit de dispositions techniques et le recours aux ordonnances nous semble être le meilleur moyen de prendre en compte les spécificités de chacun de ces métiers.

Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Le marché du travail, en France, n’est pas en bonne santé, avec un taux de chômage qui se situe autour de 8,5 % depuis dix ans. Les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques montrent en outre qu’il s’est considérablement précarisé au cours des dernières décennies : en 2017, 40 % des contrats à durée déterminée ne duraient qu’une journée et le taux de rotation de la main‑d’œuvre est passé de 29 % en 1993 à 96 % en 2017.

Le système de retraite actuel est plus protecteur que celui que vous proposez, surtout pour les carrières hachées – celles des femmes le sont souvent –, puisque le calcul de la pension s’effectue sur les vingt-cinq meilleures années pour les salariés du privé et qu’il se fera, dans votre système, sur l’ensemble de la carrière, ce qui précarisera encore davantage les gens.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, vous vous étonnez que l’on vous accuse de vouloir passer par-dessus bord les régimes spéciaux, mais Édouard Philippe a bien dit que le Gouvernement ne reviendrait pas sur la suppression des régimes spéciaux. Vous entendez donc bien les passer par-dessus bord : vous l’avez dit et répété.

Vous dites aussi qu’il faudra trouver une manière de tenir compte de la pénibilité de certains métiers. M. le secrétaire d’État a expliqué que les cinq critères de pénibilité seraient reconnus, mais sur un tableau des maladies professionnelles. Autrement dit, vous allez reconnaître la pénibilité à partir du moment où elle va se déclarer en maladie professionnelle : ce n’est pas tout à fait la même chose qu’anticiper les maladies professionnelles en permettant à des gens de partir à la retraite plus tôt.

Vous proposez par ailleurs, cela a été dit, de fixer une limite d’âge à l’exercice des métiers reconnus pénibles. Tout cela n’a rien à voir avec la logique des régimes spéciaux, qui permettaient à des gens qui risquaient de mourir plus jeunes ou qui, en tout cas, vieillissaient plus vite, de partir plus tôt à la retraite. S’agissant des égoutiers, si vous ne faites rien, ils mourront avant d’avoir pris leur retraite, puisque leur espérance de vie est inférieure de dix‑sept ans à la moyenne et s’établit, si je ne me trompe pas, à 63 ans. Votre réponse est tout bonnement hallucinante, compte tenu de la gravité de la situation.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je souhaite répondre, non pas à Mme Danièle Obono, qui m’accuse de faire mourir les égoutiers, mais à M. Éric Coquerel, qui a une approche plus intéressante. Il me paraît important de passer d’une vision idéologique à une approche de terrain. Il y a environ 4 000 égoutiers en France. Ils sont employés pour moitié par des collectivités importantes – souvent des conseils départementaux – et, pour l’autre moitié, par de grandes sociétés de services, comme Saur ou Veolia. Ces personnes, lorsqu’elles sont embauchées, peuvent faire l’objet d’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Aujourd’hui, c’est la responsabilité des partenaires sociaux et des employeurs de leur proposer une reconversion. Dire que ce n’est pas le sujet et qu’il vaut mieux leur donner un droit de grâce de trois ou quatre ans me semble être une grave erreur.

Il se trouve que j’ai travaillé pendant un certain temps dans une entreprise agroalimentaire et que j’ai dû faire face à une grève du personnel : les salariés, qui travaillaient dans des espaces frigorifiques, demandaient à ne pas repasser d’un service de nuit à un travail de jour. Ils étaient pour la plupart surendettés, souvent divorcés, certains étaient alcooliques et ils avaient un autre emploi dans la journée, souvent payé au noir. Le retour en arrière, pour eux, était pratiquement impossible. Notre responsabilité est d’empêcher ces drames sociaux et individuels, en faisant en sorte que les partenaires sociaux trouvent des solutions concrètes. Il n’y a pas de fatalité.

Mme Danièle Obono. Vous faites tout le contraire !

M. le secrétaire d’État. Je ne peux que souscrire à cette volonté d’accompagner les gens dans leur parcours professionnel : cela nécessite du temps et des moyens humains. Il faut pouvoir proposer une autre activité professionnelle à des gens dont la santé a été altérée par des tâches répétitives et pénibles : c’est un objectif profondément humain et je sais que Muriel Pénicaud y travaille.

Monsieur Coquerel, je ne vais pas faire basculer les risques dits « posturaux » dans le tableau des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour la bonne raison qu’ils y figurent déjà depuis 2017. Vous avez raison de dire que l’approche qui consiste à réparer est insuffisante et qu’il faut aller plus loin. À cet égard, je partage le point de vue de Jacques Maire : je pense comme lui que pour faire société, il est important d’avoir de grandes ambitions sur ce sujet. Et je crois que proposer une réorientation professionnelle aux personnes concernées est le projet le plus ambitieux – sans leur imposer, cela va de soi, une activité qui leur paraîtrait inintéressante ou des conditions de travail inacceptables. Cela suppose de mobiliser des moyens humains et financiers et je répète que nous y réfléchissons.

J’aimerais également revenir sur les ordonnances, dont il a déjà beaucoup été question pendant les deux premiers jours de nos débats. Si nous recourons aux ordonnances, c’est parce que nous souhaitons créer un mode de convergence et une transition propres à chaque situation. Et s’il y a beaucoup d’ordonnances, c’est parce qu’il y a beaucoup de situations différentes. Je sais que cette méthode ne fait pas l’unanimité et qu’elle mécontente aussi bien M. Stéphane Viry que M. Pierre Dharréville : le Parlement n’est jamais enthousiaste à l’idée d’être dépossédé d’une partie de ses pouvoirs. J’entends cela, mais il y a objectivement des situations très différentes à prendre en compte. Dans les industries électriques et gazières (IEG), par exemple, les taux de prime vont de 0 à 200 % : il est donc nécessaire de travailler avec les IEG pour trouver les voies de la convergence. Les cotisations salariales sont de 8,8 % à la Comédie-Française et de 12,9 % pour les clercs de notaires – je vous renvoie au tableau qui figure à la page 409 de l’étude d’impact : nous devons donc avoir des réflexions au cas par cas, avec les intéressés.

Si nous recourons aux ordonnances, ce n’est pas pour dessaisir le Parlement de son pouvoir, mais pour laisser au dialogue social le temps de se construire tranquillement. Du reste, nous reviendrons devant le Parlement, comme M. Jean-Paul Mattei l’a dit à plusieurs reprises, et ce sera au Parlement de définir le champ de l’habilitation : le Gouvernement a fait une proposition, mais le Parlement pourra le restreindre

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7 de M. Stéphane Viry et n° 709 de M. Sébastien Jumel.

M. Stéphane Viry. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’ignorons pas que les ordonnances sont prévues par la Constitution. Le problème, c’est que vous nous expliquez depuis plusieurs jours qu’elles ont pour objectif de vous laisser le temps de mener des concertations. C’est bien la preuve que ce projet de loi n’est pas prêt ! Il aurait probablement été plus sage de présenter devant le Parlement une version du texte plus aboutie et mieux calibrée : cela nous aurait permis d’en discuter sérieusement, ce qui est notre fonction.

J’aimerais, madame la présidente, dire un mot sur le déroulement de nos débats. Ils sont ce qu’ils sont, ils sont peut-être longs, mais ils nous donnent l’occasion d’échanger des points de vue et des arguments. Tous les groupes y participent, tous sont représentés, mais j’observe qu’un certain nombre d’amendements ont été déposés par nos collègues du Rassemblement national et qu’ils ne sont jamais soutenus. Pour ce qui nous concerne, nous faisons l’effort d’être présents, de défendre nos amendements et de nourrir le débat.

Notre amendement n° 7 vise à supprimer les alinéas 1 et 2 de l’article 19. Nous souhaiterions débattre des modalités de sortie des régimes spéciaux : nous savons très bien que cela ne va pas être simple et j’aurais préféré que nous en débattions ici, plutôt que de déléguer cette décision au Gouvernement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Viry, je ne fais jamais état des amendements non soutenus, mais je vous remercie de votre remarque : le phénomène que vous relevez est effectivement assez régulier.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, vous défendez le recours aux ordonnances et vous avez même tendance à en banaliser l’usage. C’est un vrai problème pour moi : j’y vois le symptôme d’une dérive actuelle, qui tend à abaisser toujours plus le Parlement. Je vous accuse de ne vouloir discuter ni avec le Parlement, ni avec les organisations syndicales. Je pense que vous êtes en train de vous ménager un espace, dans lequel vous ferez ce que vous voudrez. Vous nous parlez de la ratification des ordonnances, mais elle n’interviendra qu’après coup : voilà la réalité !

Le second problème, c’est que nous sommes les porte-parole d’un rejet massif de votre projet dans le pays. Or on a le sentiment que vous ne voulez pas entendre ce qui se passe en dehors de cette salle. Vous essayez de faire rentrer la rivière dans son lit, vous faites comme si de rien n’était, comme si le rejet de votre réforme n’était pas manifeste, dans les rues de notre pays et dans les esprits. Votre volonté de passer en force et votre refus de la discussion sont assez destructeurs pour l’esprit démocratique.

Je vous appelle donc à renoncer à ces méthodes et à entamer un vrai travail sur ce texte de loi ; les organisations syndicales vous ont reproché à de nombreuses reprises de ne pas avoir ouvert une vraie discussion. Il me semblait important de rappeler ce contexte, car cela va au-delà de la mauvaise humeur de quelques parlementaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sur le fond, vous refusez que le Gouvernement modifie, par voie d’ordonnance, le taux et l’assiette des cotisations des actuels régimes spéciaux. Nous estimons que c’est la méthode la plus adaptée, à la fois parce qu’il s’agit de questions techniques et parce que c’est le seul moyen de prendre en compte les spécificités de chacun des métiers concernés : ces ordonnances ne concernent pas seulement la SNCF, la RATP et les industries électriques et gazières, mais aussi les clercs de notaires, les ouvriers d’État, le personnel de la Banque de France, le régime des mines, l’Opéra national de Paris et tous les salariés que nous avons déjà évoqués. Compte tenu de la diversité des taux et des assiettes des cotisations dans ces différentes professions, le recours aux ordonnances nous semble être la méthode la plus adaptée.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

Monsieur Dharréville, je ne partage pas votre analyse et je ne crois pas que ce texte fasse l’objet d’un rejet massif. Certains de nos concitoyens contestent la réforme dans sa globalité, je vous l’accorde, mais nous recevons aussi de nombreuses marques de soutien, parfois plus discrètes. Et nombre de Français voudraient tout simplement comprendre notre projet, parce que le traitement médiatique qui en a été fait n’apportait pas beaucoup de clarté. Certains enjeux techniques ne sont pas immédiatement accessibles et c’est notre rôle de donner des explications : plusieurs de nos concitoyens m’ont écrit hier pour me dire que nos débats leur avaient permis de comprendre que l’entrée en application du nouveau système serait très progressive, ce qu’ils n’avaient pas perçu d’emblée. Nombre de Français jugent le système actuel inéquitable et estiment qu’une réforme est nécessaire.

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour que le système par capitalisation fonctionne, je vous l’ai dit, il faut supprimer les régimes spéciaux ou les faire passer au régime à points – ce que vous appelez le passage du régime spécial au régime spécifique. Vous avez beau soutenir que le problème de la capitalisation ne se pose pas et refuser de voir l’avenir, il n’en reste pas moins que dans le monde réel où nous vivons, la circulation de l’argent représente 115 fois les échanges matériels réels et la capitalisation boursière 65 000 milliards d’euros – une somme supérieure à ce qu’elle était en 2008 !

Si vous ne faites pas votre travail, BlackRock, lui, fait le sien, et ce n’est pas un complot : c’est sa nature. Cette boîte possède 7 000 milliards de dollars d’actifs et les 300 milliards d’euros de notre système de retraite l’intéressent évidemment. En France, elle siège à AXA, Sanofi, Société générale, Vinci, Total, BNP Paribas et Vivendi. Elle est dirigée par un homme qui connaît la maison d’un bout à l’autre : M. Jean-François Cirelli, qui lui aussi ne fait que son travail. Je parlais tout à l’heure des hauts fonctionnaires qui changent de camp : il est de ceux-là. Il est devenu le patron de GDF, qu’il a vendu à Suez. À présent, il dit très tranquillement dans une note à l’attention du Gouvernement français que la loi « PACTE » est un élément majeur pour l’avenir de l’épargne retraite en France. Dire qu’il y a une volonté de capitalisation, ce n’est pas soupçonner BlackRock de complot : elle ne fait que son boulot. Ceux qui deviennent très suspects, en revanche, ce sont ceux qui lui préparent le terrain, surtout quand ils ne veulent pas l’admettre !

M. Pierre Dharréville. Vous avez du mal à regarder la réalité en face et vous faites le dos rond en attendant que la colère s’éteigne d’elle-même. Or cela fait maintenant des semaines qu’elle se manifeste de diverses façons : à voir toutes les enquêtes d’opinion, le rejet de votre projet de loi est manifeste. Vous dites bénéficier d’un soutien discret – ce n’est pas faux. Comme vous, je veux donner des explications. Et je le fais en circonscription et au-delà, espérant faire œuvre utile. Pour l’instant, votre projet paraît particulièrement inéquitable. Les gens ont donc raison de ne pas vous faire confiance : ils ont déjà l’expérience de deux ans et demi de gouvernement avec vous...

Je reviens sur la situation particulière des égoutiers. Il faut s’en occuper, veiller à la sécurisation des parcours et aux évolutions de carrière, mais cela ne doit pas faire obstacle à la prise en compte de la pénibilité, y compris au moment de la liquidation de la retraite.

M. Stéphane Viry. Monsieur le rapporteur, nous avons une divergence sur la méthode : le recours à vingt-neuf ordonnances nous paraît disproportionné et excessif. Celle qui figure aux alinéas 1 et 2 pose véritablement problème, car elle traduit un choix politique. Une transition sur vingt ans, ce n’est pas rien. L’alignement des cotisations, tant patronales que salariales, se traduira inévitablement par une baisse des ressources. Mais dans la mesure où la durée d’extinction des régimes spéciaux est supérieure aux vingt ans de transition que vous vous accordez, on ne peut que s’interroger sur le financement : allons-nous sur une telle question, laisser le Gouvernement décider et baisser les bras ? À l’évidence non. On ne peut pas légiférer par ordonnance sur un tel sujet.

M. Jean-Paul Mattei. Si le projet de loi ne comportait pas d’ordonnances, nous nous retrouverions à coup sûr face à plusieurs millions d’amendements : rien que sur un taux, il serait possible d’en déposer une centaine ! À ce rythme, on ne pourrait qu’adopter un ou deux textes par législature... Franchement, le recours à l’ordonnance est nécessaire. Elle est d’ordre technique, est ouverte à la discussion avec les organisations syndicales et sera soumise au Parlement, qui la ratifiera ou pas. Il n’est pas possible de légiférer autrement sur des sujets aussi techniques, sous peine de totalement embouteiller le débat législatif.

Mme Monique Limon. Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, nous ne méprisons personne. Nous reconnaissons évidemment tous les métiers, comme leurs spécificités. Il est simplement temps de bâtir un système universel de retraite pour que chacun soit traité de la même façon et jouisse, indépendamment de son statut, des mêmes droits.

La pénibilité doit être collectivement prise en considération selon trois critères : la prévention, la reconversion et la réparation. C’est tout l’objet des négociations actuelles entre les partenaires sociaux et le Gouvernement : leur traduction sera ensuite de la responsabilité des branches professionnelles.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 6272 de Mme Clémentine Autain, n° 6306 de M. Éric Coquerel, n° 6391 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6408 de Mme Danièle Obono et n° 6544 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous contestons le recours aux ordonnances s’agissant des travailleuses et des travailleurs de la SNCF, de la RATP, de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française, ainsi que des ouvriers de l’État et des mines et des ministres des cultes en Alsace-Moselle à propos desquels nous avons beaucoup à dire relativement à la laïcité.

Comment est-il possible qu’après deux ans de travail, vous soyez incapables de nous répondre à propos des régimes spéciaux quand votre premier argument, en présentant votre projet, était qu’il fallait précisément les faire disparaître alors même qu’ils ne concernent qu’en gros 3 % des salariés ? Nous n’y voyons qu’une seule explication : votre autoritarisme !

M. Éric Coquerel. Chaque trimestre travaillé dans un métier pénible doit donner des droits à partir plus tôt, sans limitation d’âge ni de durée de cotisation. Le secrétaire d’État a eu raison de souligner la nocivité de la « loi Pénicaud » : c’est elle qui a transformé les critères du compte professionnel de prévention en maladies professionnelles. Nous pensons à l’inverse que le nivellement doit se faire par le haut de non par le bas en dégradant comme vous le faites la retraite de tous les Français.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai observé, lorsque ma collègue Mme Clémentine Autain a évoqué la prolongation du régime spécial de retraite des ministres du culte concordataires d’Alsace-Moselle, des sourires étonnés chez certains collègues. Mais il y a dans cette salle des laïcs conséquents, attachés à la séparation de l’Église et de l’État ; et je ne confonds pas le régime du concordat avec le régime spécial de sécurité sociale des trois départements concernés, qu’il faudrait étendre à toute la France. Je parle des prêtres, des pasteurs protestants et des rabbins : quel que soit le culte, nous sommes opposés à ce qui résulte d’un enchevêtrement de l’histoire qui nous a fait conserver les lois en vigueur lorsque les Allemands nous occupaient...

Mme Danièle Obono. N’en déplaise au député Maire et aux membres du groupe La République en Marche, vous laissez mourir les gens avant qu’ils puissent partir à la retraite.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Et vous, qu’est-ce que vous faites ?

Mme Danièle Obono. Mais depuis plus de cinquante jours, tous ceux que vous avez tant de mal à voir – les danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris, les égoutiers et égoutières, les éboueurs, les cheminots et les cheminotes – se mobilisent dans la rue pour que l’on reconnaisse la spécificité de leurs métiers et la nécessité de leurs régimes spéciaux. Ce que vous refusez, en soutenant qu’ils vous ont mal compris : c’est bien la preuve de votre mépris.

Mme Bénédicte Taurine. Mon amendement vise également à supprimer l’alinéa 1, par lequel le Gouvernement confirme la suppression de quarante-deux régimes spéciaux tout en précisant que certains secteurs bénéficieront tout de même d’un traitement adapté, ce qui ne nous semble pas cohérent. Un euro cotisé doit ouvrir les mêmes droits pour tous, à l’opposé du principe qui voudrait que chaque situation appelle un cheminement particulier.

Le Conseil d’État a par ailleurs souligné que le fait pour le législateur de s’en remettre à des ordonnances nuisait à la visibilité d’ensemble nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Obono, je n’entends dans votre bouche que des mots très condescendants et très blessants, comme celui de mépris, à l’égard de collègues dont je peux témoigner de l’humanisme. On me permettra de les trouver particulièrement déplacés.

Nos désaccords portent tant sur l’objectif que sur la méthode. Je vous renvoie à l’excellent argumentaire de notre collègue Jean-Paul Mattei sur l’intérêt de l’approche par ordonnances en matière de définition des taux et de transition.

Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur Mattei, monsieur le rapporteur, vous vous faites les avocats des ordonnances : or la réforme de 2010, à laquelle j’ai participé et qui était également très technique, a été conduite sans y recourir, même si les débats n’ont pas été faciles.

M. Jean-Paul Mattei. C’était facile : elle ne contenait que des paramètres.

M. Jean-Luc Mélenchon. On ne m’a pas répondu s’agissant du concordat, auquel je suis opposé, comme certains de nos collègues qui ne siègent pas sur nos bancs. Ce pays ne cesse de traiter, dans tous les sens, de la question de la laïcité.

M. Jacques Marilossian. Quel rapport avec les retraites ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Or pour être crédible, il faut qu’elle le soit en toutes circonstances et sur tous les sujets : dans le cas contraire, on en viendrait à croire qu’elle ne concerne qu’une seule religion, ce qui serait une erreur. Nous donnons un signal, et comptez sur moi pour le faire connaître : ce concordat doit être aboli parce qu’il résulte de l’occupation de la France par les Allemands.

M. Vincent Thiébaut. Pas du tout !

M. Jean-Luc Mélenchon. Au passage vous n’évoquez pas le statut des prêtres de Guyane, hérité de Charles X... J’estime avoir droit à une réponse.

M. Vincent Thiébaut. Je me dois, en tant que député d’Alsace, de préciser que le concordat a été parfaitement validé par le Conseil constitutionnel, notamment par sa décision du 21 février 2013, dans laquelle il le considère comme une tradition républicaine observée par tous les gouvernements depuis 1919. Ce n’est pas la première que fois que nos collègues du groupe La France insoumise s’en prennent aux spécificités des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Je les invite à y venir afin qu’ils mesurent de quelle façon se passent les relations entre religions, qui se caractérisent par un véritable respect mutuel. Cela leur permettra également de découvrir le concordat ailleurs que par Wikipédia.

Concordat et droit local, fierté de nos territoires, font par ailleurs l’objet de dispositions législatives et réglementaires qui ne les dissocient pas. Je vous invite à vous rendre sur place pour expliquer aux Alsaciens que vous ne voulez plus ni de l’un ni de l’autre.

M. Bruno Fuchs. Mon collègue Vincent Thiébaut a bien résumé les choses : je m’étonne que notre collègue Jean-Luc Mélenchon n’ait pas proposé que BlackRock se substitue à la puissance publique pour financer les cultes en Alsace-Moselle, tant il le met à toutes les sauces.

M. Jean-Luc Mélenchon. On l’appellera au moment de la quête...

M. Bruno Fuchs. Venez en Alsace-Moselle découvrir comment la laïcité s’exprime dans l’espace public, dans le respect des positions tant philosophiques que religieuses et du dialogue interreligieux. Les manifestations publiques y associent par exemple toujours un imam, un rabbin, un pasteur et un prêtre.

Mme Danièle Obono. Et la laïcité ?

M. Bruno Fuchs. Cela fait justement partie de notre conception de la laïcité. N’essayez pas d’entraver cette expression.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements n° 22461 de M. Pierre Dharréville, n° 21828 de M. Julien Aubert et n° 13610 de M. Éric Woerth.

M. Pierre Dharréville. L’amendement vise à reculer le plus possible l’échéance, dans la mesure où nous sommes opposés tant à la mesure elle-même qu’à l’ordonnance, l’échéance en question. Si ce projet de loi devait aller au bout, ce qui nous semblerait une folie, espérons que nous saurons y mettre un coup d’arrêt en 2022.

Mme Constance Le Grip. L’amendement n° 21828 est défendu.

L’amendement n° 13610, cosigné par l’ensemble des membres du groupe Les Républicains, vise à réduire de vingt à quinze ans la durée de transition au terme de laquelle les régimes spéciaux se seront éteints, et à faire débuter la période de transition en 2021 et non en 2025. Nous sommes clairement favorables à une extinction progressive des régimes spéciaux, qui ne se justifient plus et coûtent cher au contribuable, mais selon une temporalité tout à la fois plus courageuse et plus responsable, afin d’aboutir à une réforme des retraites lisible et compréhensible par nos concitoyens, et surtout d’en garantir la pérennité financière. Nous redoutons que certaines dispositions particulièrement dilatoires ou évasives du projet de loi ne repoussent cette réforme à plusieurs décennies, au point d’en faire une non-réforme.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis défavorable à ces amendements proposant de conduire la transition sur dix, quinze ou cent ans – cette dernière suggestion me semblant sans intérêt.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je rassure mes deux collègues Vincent Thiébaut et Bruno Fuchs : dans mon esprit, l’Alsace et la Moselle sont très françaises, c’est‑à‑dire divisées et friandes de polémiques, comme l’est tout le pays, et sur tous les sujets. Or de nombreuses et de nombreux Mosellans ne sont pas satisfaits du régime concordataire et ont déjà eu l’occasion de le faire savoir. En parler ne veut pas dire que l’on s’en prend à ces territoires : c’est tout le contraire, puisque nous voulons la même loi pour tout le monde.

Il y a une manière de défendre les particularismes locaux qui finit par être un peu suspecte. La laïcité consiste à séparer les églises et l’État. L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État est précis : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Or le concordat, comme la disposition que vous vous apprêtez à adopter, salarie et reconnaît trois cultes : elle n’est donc pas conforme à notre législation sur la laïcité. Elle ne fait que prolonger inutilement ce même concordat.

En revanche, le statut social d’Alsace-Moselle est le meilleur que l’on puisse imaginer : il devrait être étendu à toute la France.

M. Vincent Thiébaut. Ça, c’est vrai.

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais vous êtes en train de faire le contraire avec votre retraite à points.

M. Stéphane Viry. Monsieur le rapporteur, si vous avez répondu à notre collègue Pierre Dharréville, qui souhaitait porter la période de transition à cent ans, vous avez omis de faire de même à l’égard de notre collègue Constance Le Grip, qui proposait de la réduire à quinze ans, ce qui nous paraît raisonnable. Dans la mesure où vous comme nous sommes convaincus que pour faire prévaloir le principe d’équité, auquel nous souscrivons tous et dont l’esprit de cette réforme est empreint, il faut dès que possible que tous les Français soient placés dans la même situation et que l’on cesse de demander au contribuable de financer la retraite de certains. Ne conviendrait-il pas de se montrer plus courageux ? L’article 19 conduit à reporter très loin dans le temps les effets de votre réforme, qui s’en trouve évidée. J’aimerais comprendre, monsieur le rapporteur, pourquoi vous refusez cet ambitieux projet d’une transition sur quinze ans.

M. Thierry Michels. Je ne reprendrai pas les propos de mes collègues Vincent Thiébaut et Bruno Fuchs sur la qualité du dialogue interconfessionnel en Alsace-Moselle, grâce au concordat.

Monsieur le président Mélenchon, plutôt que de parler d’un sujet qui n’a rien à voir avec le projet de loi,...

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais il figure dans le texte !

M. Thierry Michels.... mieux vaudrait savoir comment nous allons, au travers du projet de loi, favoriser les transitions vers la retraite universelle, ou comment nous allons améliorer les dispositifs relatifs à la pénibilité, au lieu de perdre du temps sur des sujets... hors sujet.

M. le secrétaire d’État. Il me semble, sans que cela mette fin au débat sur le concordat, que tous les députés pourraient se retrouver autour de la position du Conseil d’État en la matière, exprimée dans son avis sur le projet de loi : « Le rattachement au régime général des ministres des cultes relevant du régime concordataire d’Alsace-Moselle, qui n’a pour objet ni pour effet d’accroître les différences de traitement ni le champ d’application des dispositions particulières au droit local, lui paraît conforme à la jurisprudence constitutionnelle », telle que précisée dans la décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011 du Conseil constitutionnel.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 6261 de Mme Clémentine Autain, n° 6295 de M. Éric Coquerel,  6380 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6397 de Mme Danièle Obono et n° 6533 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Ces amendements témoignent de notre bon esprit, puisqu’ils proposent d’exclure du champ de l’ordonnance à tout le moins le statut particulier les agents de la SNCF, à défaut de celui des ministres du culte relevant du concordat, ce qui semble vous chatouiller. Le Gouvernement ne doit en effet pas décider tout seul, par voie d’ordonnance : cela ne nous satisfait pas du tout.

M. Éric Coquerel. Je reviens sur les régimes spéciaux et sur la pénibilité : si j’ai bien compris, les militaires comme les policiers continueront de bénéficier de tels régimes, qui comportent des conditions spécifiques en matière de retraite. Mais pourquoi eux et pas d’autres ? Les égoutiers exercent-ils par exemple un métier moins pénible ou moins dur physiquement, ou d’un intérêt social moindre ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ceux-là et pas les autres ? J’ai rencontré les égoutiers en lutte : j’ignorais jusqu’alors que leur mortalité était aussi élevée. Mais il y a d’autres cas. Ainsi, j’étais à Marseille lors de la manifestation du 5 novembre et dans un bistrot, des types sont venus me voir. C’étaient des musiciens. Des musiciens, cela paraît confortable, comme métier ! Et ils m’expliquent : « Jouer de nos instruments oblige à une posture physique, qui à la fin nous détruit. Nous avons besoin de partir avant l’âge légal, parce qu’on n’en peut plus ».

M. Jacques Marilossian. C’est un amendement Café du commerce ?

M. Jean-Luc Mélenchon. L’un jouait de la contrebasse, l’autre du violon : il avait tout le côté du cou marqué par son instrument. Ni vous ni moi n’aurions pu le savoir avant de les rencontrer.

M. Jacques Marilossian. Comme quoi il faut aller au bistrot...

M. Jean-Luc Mélenchon. Que savons-nous des discussions qui se sont déroulées pendant des générations dans toutes ces professions pour mettre au point des régimes spéciaux ?

Mme Danièle Obono. Nous défendons ces régimes, aussi spéciaux que les professions concernées, qui doivent être non seulement protégées mais revalorisées. L’amendement n° 6397 vise à prévoir une exception pour le statut des cheminots et des cheminotes. Il faut en effet non seulement leur garantir des compensations, compte tenu du service qu’ils offrent et qui a un coût personnel, mais également rendre leur métier plus attractif : nous avons besoin de plus de cheminots et de cheminotes. Il nous faut également développer un service public ferroviaire beaucoup plus fin, en rouvrant des gares et en redéveloppant le rail, ne serait-ce que pour faire face au changement climatique et à la transition écologique. Nous avons besoin de ces corps de métiers, qu’il faut mieux rémunérer et valoriser.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 6533 vise à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « à l’exception des salariés régis par le statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du code des transports ». Chaque profession concernée doit faire l’objet d’un débat parlementaire : cela doit notamment être le cas pour la SNCF. Comme vient de le dire ma collègue Danièle Obono, le développement du rail est une nécessité, qu’il s’agisse du transport des voyageurs ou du fret. Pour prendre comme un autre de nos collègues très régulièrement le train de nuit Paris-Briançon, je sais que nous avons encore d’énormes efforts à faire en la matière. Les cheminots, qui travaillent dans des conditions difficiles, notamment sur cette ligne, doivent être accompagnés et non traités par voie d’ordonnance.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Mélenchon, nous avons évoqué ce matin, à l’article 17, le concordat, mais vous étiez absent.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’étais à la messe. (Sourires.)

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Compte tenu de l’évolution de la démographie des ministres du culte, nous pourrions laisser le problème se régler de lui-même sans rouvrir des débats au risque de raviver certaines plaies.

Monsieur Coquerel, les militaires et les policiers ne bénéficient pas de régimes spéciaux : ils sont d’ores et déjà intégrés au système universel, moyennant certaines spécificités liées à leurs sujétions, elles-mêmes justifiés par le caractère dangereux de leur activité. Je vous invite sur ce sujet à patienter jusqu’à l’examen du titre II, dont mon collègue Jacques Maire est le rapporteur : il vous expliquera alors les dispositions concernées bien mieux que je ne pourrais le faire. Et je suis disposé à lui passer le relais le plus tôt possible !

Les cheminots doivent évidemment être soutenus eu égard aux enjeux écologiques et à la desserte insuffisante de certains territoires, même s’il s’agit d’enjeux d’ordre général relevant de la politique des transports. Mais pour ce qui touche à la retraite, il me semble néanmoins important d’établir une équité entre nos concitoyens en matière de droits : tel est l’objet de la réforme.

Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Le rapporteur et le Gouvernement devraient nous indiquer comment ils prévoient de tenir compte des spécificités en termes de carrière. La création des régimes spéciaux a répondu, à un moment de l’histoire, à une demande ; si j’entends votre volonté d’unicité et d’universalisme, la réalité n’est pas universelle, et chaque profession a sa spécificité. Il faudrait a minima nous donner quelques éléments, même si vous déjà l’avez fait pour quelques-unes.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, ce que vous faites n’est pas équitable : si les régimes spéciaux ont été créés, c’est précisément en raison des spécificités de ces professions. L’équité exigerait de tenir compte de l’espérance de vie inférieure à la moyenne des égoutiers et des égoutières, des horaires décalés des cheminots et des cheminotes, également contraints de travailler certains jours fériés. Ce rythme de vie affecte également leurs familles et leur vie en général. Il est totalement inéquitable de balayer tout cela d’un revers de la main et de reconnaître la spécificité des métiers des uns et pas celle des autres, à la tête du client, en quelque sorte. Votre réforme n’est ni universelle en termes de droits positifs, ni équitable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6262 de Mme Clémentine Autain, n° 6296 de M. Éric Coquerel, n° 6381 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6398 de Mme Danièle Obono et n° 6534 Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Même si nous avons échoué avec la SNCF, nous essayons de mettre en avant le cas des salariés de la RATP : serez-vous sensibles au fait que certains d’entre eux travaillent dans le noir, dans les tunnels, et qu’ils exercent des métiers particulièrement pénibles ? Nous défendons à travers ces amendements une logique de protection de toutes les conquêtes sociales : un droit conquis ne doit pas être renié en tirant ainsi tout le monde vers le bas. Chaque régime spécial est le fruit d’une négociation qui a permis finalement de reconnaître une spécificité nécessitant un départ plus précoce à la retraite. Il faut protéger ce qui a pu être arraché tout au long des conquêtes sociales.

M. Éric Coquerel. Cet amendement me donne l’occasion de rendre hommage aux agents de la RATP qui sont à l’origine de la grève du 22 septembre et qui ont ainsi lancé l’offensive contre votre réforme des retraites. Ils ont depuis mené plus de cinquante jours de grève et appellent à une grève totale du réseau métropolitain, qui sera, je l’espère suivie, le lundi 17 février prochain. Je rappelle qu’ils sont notamment exposés aux particules fines, qu’ils travaillent dans des espaces sombres et astreints à des horaires que beaucoup d’entre vous ne supporteraient pas plusieurs années de suite. Or vous entendez les priver de leur régime spécifique, qui leur permet de partir plus tôt à la retraite. S’attaquer à cette profession indispensable me paraît un des aspects les plus honteux de votre système qui n’est pas universel puisqu’il nivelle par le bas toutes les retraites des Français.

M. Jean-Luc Mélenchon. Votre logique veut effectivement que l’on supprime les régimes spéciaux pour pouvoir mettre en place, comme je l’ai démontré à plusieurs reprises, un régime intermédiaire avant la capitalisation. S’y ajoute en l’espèce une condition de statut : comme vous avez l’intention de faire rouler sur les rails, que ce soit ceux de la SNCF ou ceux de la RATP, des entreprises privées, vous avez donc intérêt à ce que toute comparaison entre statuts soit impossible, et à faire en sorte qu’il n’en subsiste qu’un seul. Or l’âge du départ à la retraite fait partie du statut des travailleurs de l’établissement mentionné à l’article L. 2142-1 du code des transports. Votre unification n’a d’autres buts que de favoriser la privatisation du service.

Mme Danièle Obono. Il s’agit de défendre le statut des travailleurs et des travailleuses de la RATP qui auront, durant ces derniers mois, rappelé à quel point leur travail et le service qu’ils rendent étaient indispensables ; et quand il n’a pas été rendu, à cause de votre réforme, cela a affecté non seulement les transports, mais également toute l’économie. Je me joins d’autant plus aux remerciements qui leur ont été adressés qu’ils font actuellement l’objet de pressions insupportables. La direction de la RATP se livre à l’encontre des grévistes à des tentatives et d’intimidation, ce qui est proprement inacceptable : merci à eux, donc, d’avoir mené la bataille de la grève, notamment dans la rue. J’espère qu’ils la poursuivront au cours des prochains jours.

Mme Bénédicte Taurine. Après le mot « assurés, », l’amendement n° 6534 vise à ajouter les mots « à l’exception des salariés régis par le statut particulier de l’établissement mentionné à l’article L. 2142-1 du code des transports », afin d’exclure les salariés de la RATP. Ces derniers sont essentiels au bon fonctionnement du réseau – métros ou RER. Nous sommes nombreux à l’utiliser et nous en constatons la dégradation. Au lieu de priver ces salariés de leur retraite, nous ferions mieux d’améliorer leur statut afin qu’ils soient plus nombreux et qu’ils puissent mieux entretenir ce réseau.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les personnels de la RATP ont aussi toute mon attention. Les horaires de nuit peuvent être pris en compte dans les critères de pénibilité ; les particules fines relèvent quant à elles du droit du travail. Autant d’éléments qu’il faut l’intégrer, à la RATP comme ailleurs – à l’hôpital par exemple.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

Mme Constance Le Grip. Au moment où certains de nos collègues rendent « hommage » à grand bruit aux agents grévistes de la RATP, qui ont mené un mouvement très long et très dur et continuent à mener des grèves perlées, je tiens, au nom de mon groupe, à faire part de ma sympathie et de ma compassion aux centaines de milliers de Franciliens dont la vie quotidienne a été empoisonnée par les très fortes perturbations des transports en commun pendant des semaines et des semaines. Je pense plus particulièrement à nos concitoyens habitant dans la grande couronne, qui ne pouvaient pas télétravailler et ont dû galérer pendant des semaines pour se rendre sur leur lieu de travail ou conduire leurs enfants à l’école. Les conditions d’un service minimum décent et digne dans les transports publics n’ont pas été réunies. Il faudrait que le message passe alors que se profilent de nouveaux appels à la perturbation dans les transports parisiens et franciliens.

M. Éric Coquerel. Il est normal de rendre hommage aux grévistes, mais aussi à nos concitoyens. Quand on connaît les conditions honteuses dans lesquelles les gens sont transportés matin et soir en Île-de-France, du fait de l’incurie et de l’impréparation de l’évolution des transports urbains, l’hommage vaudrait tous les jours, grève ou pas !

Monsieur le rapporteur, vous parlez de reconnaissance de la pénibilité. Cela a bien mal commencé : vous avez supprimé les CHSCT et les critères de pénibilité lors de l’adoption de la « loi Pénicaud ». Vous êtes mal placés pour nous dire que vous voulez en tenir compte !

Votre réforme ne consiste pas à généraliser le système de retraite en procédant à un nivellement par le haut – qui permettrait à tous les Français de partir plus tôt. Vous nous proposez au contraire un nivellement par le bas : tout le monde va partir plus tard, et avec des pensions moindres !

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 6263 de Mme Clémentine Autain, n° 6297 de M. Éric Coquerel, n° 6382 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6399 de Mme Danièle Obono et n° 6535 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous continuons méthodiquement à défendre nos amendements sur les régimes spéciaux. Mon collègue Éric Coquerel vient de le rappeler, c’est la logique générale de votre réforme que nous contestons. Vous proposez un nivellement par le bas. Si c’était par le haut, ce serait autre chose !

Les clercs de notaires ont un régime spécifique, créé bien avant la mise en place du régime général. Les clercs sont les parents pauvres du notariat. Plutôt que de passer par une ordonnance, ne faudrait-il pas à tout le moins discuter de leur situation au lieu de chercher à profiter d’une suppression en bloc de tous les régimes spéciaux pour amener tout le monde travaille plus pour gagner moins ? C’est cette logique que nous contestons.

M. Éric Coquerel. L’amendement n° 6297 va dans le même sens. Effectivement, nous pourrions examiner les spécificités ou la pénibilité de tel ou tel métier mais, dans ce contexte de nivellement par le bas, ce n’est pas possible ! Vous allez faire en sorte que les Français partent à 65, voire 67 ans, en fonction de la règle d’or retenue, avec des pensions amoindries s’ils n’atteignent pas l’âge d’équilibre. Du coup, ils seront forcés de continuer à travailler – ou pour certains d’entre eux de continuer à être au chômage. Vous focalisez l’attention sur les régimes spéciaux pour faire croire que vous allez mettre à égalité tous les Français. En fait, vous voulez niveler tout le monde par le bas !

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est absolument incroyable, vous avez réussi à vous coller à dos les clercs de notaires ! J’ignorais que cette profession s’était mise en mouvement... Ils ont même fait grève pour défendre leur régime, qui remonte à 1937 – je me demande comment ils ont fait pour l’obtenir. C’est une nouvelle pour nous très satisfaisante : elle montre le glissement des classes moyennes qui se séparent du macronisme pour renouer avec le choix alternatif entre la droite ou le camp que nous représentons. Ils connaissent désormais notre amitié – pas la vôtre – pour leur lutte.

Mme Danièle Obono. L’exemple des clercs de notaires est symptomatique : vous vous attaquez systématiquement aux petites mains, et aux professions qui participent à l’exercice de la justice et du droit. C’est grave. La grève inédite et extrêmement suivie des avocats se poursuit également malgré les tentatives de la ministre de leur ordonner de reprendre le travail.

Vous demandez au Parlement de se dessaisir en autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances parce que vous ne gouvernez pas au service de l’intérêt général ni de celui des catégories socioprofessionnelles qui travaillent pour nos concitoyens. C’est pourquoi l’amendement n° 6399 propose l’exclusion des clercs de notaires du dispositif.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 6535 vise à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « à l’exception des clercs et employés de notaires mentionnés à l’article 1er de la loi du 12 juillet 1937 instituant une caisse de retraite et d’assistance des clercs de notaires » ; J’ai été gréviste pendant plusieurs mois et je peux vous dire qu’on ne l’est pas par plaisir. Certains salariés de la SNCF ont déjà pu constater sur leur feuille de paie que leur salaire du mois à venir sera amputé de 800 euros... Essayez de comprendre pourquoi les gens se mettent en grève, plutôt que d’affirmer que des millions de Français sont pris en otage ! Les grévistes le sont dans l’intérêt des usagers.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Le Grip, je me joins à votre soutien aux Franciliens : qu’ils soient pour ou contre ou qu’ils s’interrogent sur la réforme, ils ont subi les conséquences des grèves au quotidien.

La caisse de retraite des clercs de notaires est révélatrice des enjeux de la réforme : elle compte 55 000 cotisants pour 77 000 bénéficiaires : nous sommes très près des taux du régime cible. L’État l’abonde à hauteur de 320 millions d’euros pour la maintenir à l’équilibre. Cela signifie que les contribuables français versent l’équivalent de 4 500 euros par clerc de notaire en retraite... Il n’est absolument pas question de contester leur pension, mais leur situation permet de mieux comprendre l’intérêt de la mutualisation et de l’uniformité des règles.

Par le passé déjà, des régimes spéciaux ont disparu quand l’État s’est retrouvé contraint de compenser leur défaillance, souvent en raison d’un rapport démographique défavorable. Tant qu’il est favorable, les professions tiennent à conserver le bénéfice de leur système, mais sitôt qu’il ne l’est plus, on demande que l’État abonde...

Avis défavorable.

Mme Constance Le Grip. Nous exprimons évidemment toute notre sympathie aux clercs de notaires.

Je me permets de poser à nouveau, avec une certaine insistance, la question que mon collègue Stéphane Viry et moi-même avons déjà posée : pourquoi n’êtes-vous pas favorables à une extinction progressive de ces régimes spéciaux sur quinze ans plutôt que sur vingt ? Vous avez répondu à nos collègues sur l’extinction en cent ans, mais nous ne savons toujours pas pourquoi vous refusez notre proposition, réaliste, raisonnable et courageuse.

Mme Clémentine Autain. Si diminuer les droits conquis par les clercs de notaires permettait d’améliorer la situation des autres, on pourrait peut-être discuter. Mais vous leur retirez des droits, tout en détériorant la situation des autres, qu’ils soient salariés ou fonctionnaires ! Votre réforme ne fonctionne donc absolument pas ! En outre, vous n’avez pas bien compris le mécanisme de solidarité : quand une caisse est en déficit, pour cause de déséquilibre démographique ou pour une autre raison, l’État est précisément là pour venir en soutien. Enfin, vous devriez pouvoir compenser les déficits étant donné que vous faites main basse sur la caisse des avocats, dont les excédents avoisinent les 2 milliards d’euros !

Mme Cendra Motin. Les notaires sont des patrons responsables. Ils sont les mieux à même de nous dire comment préserver les meilleures conditions possibles pour leurs clercs, puisqu’ils ont eux-mêmes créé ce régime et l’abondent à la conclusion de chaque acte. C’est dans leur intérêt de protéger leurs salariés !

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 6264 de Mme Clémentine Autain, n° 6383 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6400 de Mme Danièle Obono et n° 6536 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Les propos de Mme Motin sont particulièrement éclairants : vous êtes totalement étrangers à ce que l’on appelle les rapports de classe. Penser que les notaires sont les mieux à même de protéger les retraites de leurs salariés, autrement dit de leurs subalternes, est symptomatique de la façon dont vous regardez le monde !

Mme Cendra Motin. Et réciproquement !

Mme Clémentine Autain. Non, ce ne sont pas les patrons qui sont toujours les mieux à même de dire comment les retraites de leurs employés peuvent être gérées ! Oui, les rapports de force existent au sein de la société !

Le présent amendement concerne une autre catégorie de salariés touchée par la suppression des régimes spéciaux : les électriciens et les gaziers. Leur lutte va peut-être vous permettre de mieux comprendre les mécanismes de la confrontation sociale, madame Motin ! C’est bien parce qu’ils sont mobilisés depuis longtemps, parce qu’ils jouent les Robin des Bois – ce qui vous a bien gêné et ce dont nous les félicitons –, parce qu’ils sont dans la confrontation, qu’ils peuvent désormais négocier pour essayer d’améliorer la transition ou, a minima, de l’adoucir.

Mme Danièle Obono. Il faut défendre et maintenir le statut des électriciens et des électriciennes, des gaziers et des gazières, qui répond aux conditions particulières d’exercice d’un métier fondamental. Nos concitoyens et nos concitoyennes ont le droit de bénéficier d’une énergie accessible sur tout le territoire. Qui plus est, vous vous attaquez à des personnels qui, du fait de leur formation et de leurs compétences, sont les chevilles ouvrières de la stratégie politique de transition énergétique que nous devrions avoir déjà engagée. C’est totalement rétrograde !

Mme Bénédicte Taurine. Après le mot « assurés », l’amendement n° 6536 vise à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « à l’exception des salariés des salariés régis par le statut particulier fixé par l’article 47 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz ». Les salariés d’EDF disposaient jusqu’à présent d’un statut. Ils défendaient une certaine idée du droit à l’électricité et ne coupaient pas forcément systématiquement l’électricité de nos concitoyens qui n’avaient pas les moyens de la payer. Désormais, on a les compteurs Linky... De même, dans les barrages hydroélectriques, les personnels ne seront plus sous statut, mais embauchés avec un contrat de droit privé, corvéables à merci. C’est potentiellement dangereux.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Le Grip, monsieur Viry, vous proposez une extension sur quinze ans, dès 2021. Mais certains régimes spéciaux sont parfois plus éloignés que d’autres du régime ciblent, de son assiette ou de son taux de cotisation. C’est pourquoi le Gouvernement se réserve la possibilité d’une extinction pouvant aller jusqu’à vingt ans, mais cela pourra être moins. Cela dit sans esprit de polémique, si le dossier était aussi simple, vous auriez pu le porter quand vous étiez aux responsabilités... Mais je n’en méconnais pas la difficulté ; raison de plus pour faire preuve d’un certain pragmatisme.

Madame Autain, vous avez parlé de solidarité, mais les mécanismes de compensation démographique ne concernent que les régimes de base et sont forfaitaires. J’avais posé une question sur ce sujet lorsque nous avons auditionné le Conseil d’orientation des retraites ; il avait donné l’exemple des agriculteurs, dont le régime est en perte démographique et qui sollicite beaucoup quelques régimes excédentaires – celui des avocats entre autres – mais finalement sans grand effet, car les retraités agricoles sont très nombreux. Vous avez raison sur le principe ; mais dans la pratique, M. Bras nous a expliqué qu’ils avaient renoncé à utiliser ce mécanisme, extrêmement difficile à maîtriser, pour lui préférer la mutualisation.

Avis défavorable à ces amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6265 de Mme Clémentine Autain, n° 6299 de M. Éric Coquerel, n° 6384 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6401 de Mme Danièle Obono et n° 6537 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Les quatre organisations syndicales de la Banque de France – Solidaires, CGT, FO et CGC – ont appelé à plusieurs jours de grève et plaidé pour le maintien de leur régime spécial. Une fois de plus, vous leur proposez de basculer dans un régime beaucoup moins favorable. Leur mobilisation a été d’autant plus forte que le gel du point d’indice les a particulièrement pénalisés. Les réserves, la manne qu’ils avaient pu se constituer leur garantissaient un bon niveau de pension. Vous allez considérablement dégrader leurs conditions de retraite.

M. Éric Coquerel. Au-delà du cas d’espèce, il n’est pas concevable que vous légifériez par ordonnance sur la fin d’un régime spécial. Cela devrait faire partie du débat parlementaire, être décidé à l’Assemblée nationale et non par un blanc-seing donné au Gouvernement.

M. Jean-Luc Mélenchon. Là, vous attaquez les cathédrales ! Après les marins, la Banque de France... Cela marchait ; vous allez faire en sorte que cela ne fonctionne plus. Où est le bénéfice ?

Mme Danièle Obono. Les agents et agentes titulaires de la Banque de France sont des acteurs essentiels de notre souveraineté monétaire : à ce titre, il est important de les protéger en défendant leur statut. Il faut redonner de véritables prérogatives à la Banque de France – c’est dans notre programme – afin qu’elle mette en œuvre une politique de relance de l’activité économique et de recrutement de fonctionnaires.

Mme Bénédicte Taurine. Après le mot « assurés », l’amendement n° 6537 vise à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « à l’exception des agents titulaires de la Banque de France ». Leur statut est ancien : il remonte à 1806. Nous sommes défavorables à votre choix de légiférer par ordonnance. C’est pourquoi nous énumérons les exceptions, en revenant sur chacune des professions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le cas de ce régime est particulièrement révélateur : 10 000 cotisants, 16 000 pensionnés, 440 millions de subventions d’équilibre... Qui plus est, c’est un régime par capitalisation, et nous l’intégrons dans le système par répartition ! Je suis déçu, monsieur Mélenchon, je pensais que vous alliez nous accuser de confier à BlackRock les codes secrets d’accès aux coffres !

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous avons un problème avec vos ordonnances : nous ne savons pas par quoi tous ces régimes vont être remplacés ni précisément où l’on va en discuter. Vous renvoyez à des concertations, mais la conférence sur le financement ne traite pas de cette question. C’est pourquoi nous sommes inquiets. Que vous reproche-t-on ? Simplement de ne vouloir discuter ni avec nous ni avec les premiers concernés. Vous voulez faire votre tambouille tout seuls !

M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V. Je l’ai rappelé hier, et avant-hier : c’est effectivement un régime par capitalisation. J’aurais aimé vous entendre le souligner, madame Autain : les cotisations des agents sont investies sur le marché boursier, comme le ferait n’importe quel fonds de pension américain, à ceci près qu’elles sont gérées par les syndicats ! Vous répétez depuis plusieurs jours à quel point il est dangereux d’exposer les salariés français à la capitalisation ; nous faisons précisément entrer les agents de la Banque de France dans le système universel de retraite par répartition.

M. Jean-Luc Mélenchon. Tous ces hymnes à la retraite par répartition me réchauffent le cœur ! Vous nous aurez mal compris, chers collègues : nous n’avons jamais dit que nous étions contre une réforme. Au contraire, nous sommes pour la généralisation du système par répartition, là où il n’existe pas, et pour son amélioration, là où il existe. Nous estimons que les travailleurs partent trop tard, et trop pauvres. Mais ce n’est pas ce que vous faites : vous ne cherchez pas à rapatrier des salariés de la capitalisation vers la répartition, vous cherchez à faire des gens qui ne rentraient pas dans les cases dans votre système à points, pour ensuite basculer tout le monde vers la capitalisation !

M. Jean-René Cazeneuve. Vous êtes décidément dans une logique d’obstruction systématique ! Les bras m’en tombent : vous en venez à défendre un système par capitalisation, mis en place par Napoléon, et non hérité du Conseil national de la Résistance ! Je suis vraiment surpris que l’objectif de justice du système universel ne vous saute pas aux yeux. Vous expliquez au clerc et à l’agent de la Banque de France que vous voulez sauver leur système, mais que racontez-vous aux autres, qui travaillent parfois jusqu’à 65 ans et cotisent pour financer les retraites de ces salariés-là ? Ce n’est pas juste !

M. le secrétaire d’État. L’article 19 vise les transitions, les assiettes et les taux de cotisation, et je vous entends débattre de la Banque de France, sur laquelle nous nous sommes déjà prononcés à l’alinéa 10 de l’article 7. J’ai du mal à comprendre la logique...

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 6266 de Mme Clémentine Autain, n° 6297 de M. Éric Coquerel, n° 6382 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6399 de Mme Danièle Obono et n° 6535 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous en venons au régime spécial des danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris. La magnifique mobilisation de ces personnels est symbolique et symptomatique de l’absurdité de votre entêtement dogmatique à vouloir supprimer l’ensemble des régimes spéciaux : il est tout simplement délirant de vouloir faire travailler des danseurs professionnels au-delà de 42 ans : c’est physiquement impossible. Imaginez-vous un danseur de 50, 55 ou 60 ans ? Cela n’aurait aucun sens. Les musiciens aussi souffrent de contraintes physiques liées au port de leurs instruments – Jean-Luc Mélenchon en parlait tout à l’heure – qui les amènent à partir à 60 ans.

M. Éric Coquerel. Monsieur Cazeneuve, si les salariés partent à 63 ans, ce n’est pas pour financer les régimes spéciaux comme celui de la Banque de France, mais parce que vos prédécesseurs ont retardé l’âge de départ en retraite et durci les conditions de cotisations en passant à quarante-trois annuités ! Vous avez déjà aggravé les conditions actuelles de départ en retraite et, maintenant, vous voulez le faire pour tout le monde !

Les Français l’ont bien compris : ils sont majoritairement contre votre projet de réforme. Vous comptez faire en sorte que les gens partent à 65, 66, voire 67 ans ! Est-ce votre conception de la justice et de l’égalité ? Demain, on aura beau jeu d’invoquer la pénibilité pour obliger les danseuses et les danseurs de l’Opéra de changer de métier ou de profession. Je ne suis pas d’accord ! Les gens qui exercent une activité de ce type ont le droit de partir en retraite plus tôt.

M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà une belle occasion pour notre rapporteur de préciser sa pensée sur le « bien-vieillir au travail », expression qu’il a employée hier. Comment les danseurs et les danseuses de l’Opéra peuvent-ils bien vieillir au travail ? Comment, nous, spectateurs, réagirions-nous face à des gens qui continueraient à danser jusqu’à plus de 64 ans ? Voilà bien un cas concret, qui montre que l’on doit pouvoir partir quand il est temps. Vous estimez qu’il n’est pas juste que certains partent plus tôt alors que les autres partent plus tard. C’est votre vision du monde, où le nivellement par le bas, l’excitation de la jalousie tiennent lieu de ligne politique. L’unité de la Nation se construit par l’unification des revendications sociales et leur satisfaction. Il faut s’en souvenir, car seul le développement d’une telle solidarité permet de demander par la suite les plus grands sacrifices au collectif.

Mme Danièle Obono. J’aimerais vous lire la réponse envoyée par plusieurs danseurs et danseuses face aux tentatives de division de la majorité face à leur grève : « Il nous est proposé d’échapper personnellement aux mesures pour ne les voir appliquées qu’aux prochaines générations. Mais nous ne sommes qu’un petit maillon dans une chaîne vieille de trois cent cinquante ans. Cette chaîne doit se prolonger loin dans le futur. Nous ne pouvons pas être la génération qui aura sacrifié les suivantes. » Cette grève et la forme qu’elle a prise, avec un Lac des cygnes sur les marches de l’Opéra, visaient à rendre l’art des danseurs et danseuses, mais aussi des musiciens, beaucoup plus accessible. C’est la meilleure réponse au discours de la majorité, qui oppose les uns aux autres alors qu’une si belle solidarité est possible.

Mme Bénédicte Taurine. Après le mot « assurés », l’amendement n° 6538 vise à rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « à l’exception des membres du personnel de l’Opéra national de Paris engagés pour une durée indéterminée, ainsi que, pour la période où leurs contrats les placent à disposition du théâtre, les personnels artistiques du chant, des chœurs, de la danse et de l’orchestre, y compris les chefs d’orchestre et les artistes de l’Atelier lyrique, engagés temporairement ». Mes collègues en ont fait la démonstration ; il n’est pas nécessaire d’épiloguer pour comprendre que ces professionnels doivent pouvoir partir plus tôt en retraite du fait de leurs contraintes particulières.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. À mon sens, au cours de sa vie professionnelle, il est parfaitement concevable d’avoir différents métiers. Nous avons déjà eu cette discussion à l’article 7. J’entends les revendications des danseurs de l’Opéra national de Paris ; mais l’Opéra national de Lyon ne fait pas danser des danseurs âgés, me semble-t-il. De même, la carrière des sportifs est courte et tous ne touchent pas le salaire de Mbappé. Les mannequins sont en général plutôt jeunes. Il est donc souhaitable de faciliter le passage d’un métier à l’autre, et c’est ce que nous proposons.

Monsieur Mélenchon, vous avez parlé de jalousie des uns à l’endroit des autres. Mais c’est souvent la multiplicité des statuts qui l’exacerbe : on a toujours l’impression que l’herbe est plus verte chez les autres. En proposant un système universel et des règles communes, nous participons à restaurer l’unité du corps national.

On me fait savoir qu’à Lyon, la Maison de la danse construit déjà de telles carrières ; c’est intéressant. Demander à la profession de réfléchir à des parcours, à une vie professionnelle après la danse, ce n’est pas remettre en cause le caractère exceptionnel de leurs prestations.

Avis défavorable à ces amendements.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Les personnels de l’Opéra national de Paris ne comptent pas que des danseurs et des danseuses. De plus, nous n’avons pas à faire de différence entre ceux de l’Opéra national de Paris et ceux des autres opéras de France. La médecine du travail conseille aux danseurs d’anticiper leur reclassement vers 40 ans. Certains deviennent chorégraphes, d’autres, professeurs. Il ne faut pas non plus faire de différence entre les danseurs et les professeurs de danse, qui ne bénéficient pas d’un régime spécial.

J’en profite pour rendre hommage à mes anciens collègues, et à tous les professeurs de danse français, qui, chaque année, forment les futurs danseurs des opéras. C’est un métier passionnant mais aussi pénible : il oblige à de nombreux déplacements, y compris en milieu rural, à des horaires particuliers, et le corps est sursollicité. Mais les personnes qui s’engagent dans ce métier, comme je l’ai fait il y a plus de vingt ans, en ont parfaitement conscience, et tous les sportifs de haut niveau également. L’enjeu est plutôt de les accompagner dans leur reconversion et dans l’aménagement de leur fin de carrière.

Mme Danièle Obono. C’est vrai, mais ce n’est pas ce que vous faites !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Obono, chacun a le droit de s’exprimer, tour à tour. Vous n’êtes pas obligée d’intervenir sur tous les sujets.

M. Thierry Benoit. M. Mélenchon a parlé de l’unité de la Nation : c’est effectivement quelque chose de précieux. Souvent, dans ma circonscription, j’utilise le mot de cohésion, alors que celui de différenciation revient un peu trop souvent à mon goût. En écoutant certains députés défendre à tous crins les régimes spéciaux de la SNCF, de la RATP, des clercs de notaires, des électriciens, des gaziers, de la Banque de France, de l’Opéra de Paris, je pensais aux salariés de ma circonscription, qui travaillent dans le domaine de l’industrie, de l’agroalimentaire, des abattoirs, dans certains métiers de la grande distribution, du bâtiment, des travaux publics.

Mme Danièle Obono. Nous les défendons aussi !

M. Thierry Benoit. Je lis dans l’exposé des motifs du projet de loi que « la grande majorité des assurés des régimes spéciaux ne cotisent actuellement que sur une assiette de rémunération minorée ». Avec le système universel par points, le but est de faire en sorte que partout, dans le public et dans le privé, nous cotisions et nous percevions une retraite correspondant à une même valeur du point. En France, il y a d’un côté la sphère publique et de l’autre la sphère privée. Ces spécificités, que l’on entend défendre depuis quelques jours, aboutissent à briser l’unité de la Nation. Vous avez donc raison de citer cette expression, monsieur Mélenchon. Le principe même des régimes spéciaux n’est plus soutenable, ne serait-ce qu’au regard des exigences d’unité et de cohésion de la Nation.

M. Jean-Luc Mélenchon. Revenons sur l’unité de la Nation. Je ne sais pas pourquoi vous avez dans l’idée que nous voulons la briser. Pourquoi ferions-nous une chose pareille ? J’appelle votre attention sur le fait que nous n’en avons pas la même doctrine. Depuis Jean Jaurès, nous pensons que l’unification du peuple se construit par l’unification de ses revendications sociales, puis de ses conquêtes sociales, que les individus ont en commun. Et le grand Jaurès, dans un discours prononcé non seulement en France, mais aussi en Argentine, appelait les travailleurs à se regrouper non par nation, mais par revendication. Ici, cher collègue, la revendication commune est seulement la réduction du temps de travail et la prise en compte de la pénibilité, c’est-à-dire de la limite physique de l’individu dans son engagement au travail. Peut-être ne partagez-vous pas cette vision, mais n’allez pas la transformer en une prédilection que nous aurions pour les uns contre les autres. C’est l’inverse ! Nous avons toujours été pour unifier. Si vous voulez unifier le régime général des travailleurs sur celui des employés de la RATP, nous vous applaudissons. Voilà comment nous concevons l’unité de la Nation.

M. le rapporteur s’est montré tout à fait raisonnable en disant qu’il faut pouvoir passer d’un métier à l’autre. Nous le comprenons parfaitement ; encore en faut-il les instruments, les maisons des métiers, par exemple, et en discuter avant, pas après. Sinon, vous plongez les gens dans la trouille. Quelle idée peut-on avoir de l’avenir quand on est dans un métier et qu’on ne sait pas dans quelle autre profession on pourra atterrir ? Si les électriciens deviennent pâtissiers, comme dit Mme Pénicaud, on a du souci à se faire, pour les gâteaux comme pour les circuits électriques !

M. Pierre Dharréville. Nous partageons le souci d’unifier, de rassembler, mais vous ne me semblez pas en train d’y parvenir, si ce n’est contre vous... Tous ces gens descendent dans la rue. Et s’ils se rassemblent, c’est qu’ils ont bien compris que c’étaient les droits de toutes et de tous qui étaient attaqués avec votre réforme. L’étude d’impact indique, page 149, que « les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d’activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré des règles différentes ». Cela montre bien la nécessité d’utiliser des modes de calcul adaptés pour prendre en compte des réalités distinctes. J’en ai assez qu’on laisse à penser que le privilégié est le voisin d’à côté ou d’en face. Les choses ne sont pas ainsi. Vous avez essayé de faire prospérer cet argument, et qu’il devienne un ressort pour votre faire passer votre réforme ; cela n’a pas fonctionné. Peut-être faudrait-il en tirer les leçons.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 6267 de Mme Clémentine Autain, n° 6386 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6403 de M. Danièle Obono et n° 6539 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. M. Cazeneuve nous demandait tout à l’heure ce qu’il devait répondre aux gens qui l’interpellent et qui ne bénéficient pas d’un régime spécial, mais enlever des droits conquis aux uns ne permet en rien d’améliorer la situation des autres : c’est tout le monde qui est tiré vers le bas !

L’amendement n° 6267 concerne la Comédie-Française, dont les techniciens, notamment, ont une grille salariale inférieure à celle de leurs collègues des théâtres privés. Comme pour les fonctionnaires, cela fait partie des « avantages » qu’ils reçoivent, pour compenser le désavantage de percevoir un salaire moindre. Ces personnels vont manger la poussière, si on leur supprime cette spécificité de leur régime. Il en va de même pour les sociétaires, dont je n’ai pas le temps de détailler la situation, qui n’avait déjà rien de formidable : ils risquent demain de faire un grand saut dans la régression.

Mme Danièle Obono. Nous défendons, et nous l’assumons, les personnels de la Comédie-Française, comme nous défendons les danseurs et danseuses, mais aussi les techniciens et techniciennes de l’Opéra ; et à côté des sociétaires de la Comédie-Française, il y a les costumiers et costumières, tous les métiers qui concourent à rendre les représentations, l’art, les spectacles les plus accessibles possible. Contrairement à ce vous prétendez, nous défendons une unité, mais pas vers le bas, vers le moins-disant. Vous aurez pu le constater depuis trois ans : qu’il s’agisse des retraites, de la revalorisation des salaires et des traitements ou de l’amélioration des conditions de travail, quels que soient les corps de métier, salariés du privé comme du public, nous défendons toujours le mieux-disant et l’alignement sur les catégories qui bénéficient des meilleurs statuts. C’est en ce sens que nous défendons l’unité républicaine et la République sociale.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 6539 vise à ajouter l’expression « à l’exception des artistes aux appointements et les employés à traitement fixe de la Comédie-Française » après le mot « assurés ». Mes collègues ont largement développé nos arguments.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Mélenchon, vous avez raison de rappeler l’importance d’organiser les transitions. Celles que nous évoquons dans le texte sont souvent liées à l’évolution des taux et des assiettes, mais, cela a été dit à de nombreuses reprises, la transformation du régime de retraite entraîne implicitement l’application de politiques diverses d’accompagnement. Lors d’une intervention précédente, j’avais utilisé l’expression, que certains de vos collègues avaient transformée : comment vieillit-on au travail ? On peut en effet se demander comment on gère la fin de carrière. Je vois mal mon maçon continuer à transporter des parpaings à 62 ou 63 ans. Il faut donc aborder ces sujets, comme il faut continuer à travailler sur la question de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

L’instauration du système universel n’est pas une fin en soi. Toute une série de politiques d’accompagnement sont aussi nécessaires pour gérer les transitions. Ainsi, les maisons des métiers, que vous avez évoquées, sont essentielles. Et si un électricien n’a pas forcément vocation à devenir pâtissier et inversement, du moins ont-ils en commun une prédisposition à réaliser des éclairs. (Sourires.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Concernant la Comédie-Française, réfléchissez-y à deux fois. Le nom de l’institution impressionne à juste titre, mais les techniciens touchent de petites paies. Ces gens iront très mal, après la réforme. Quant au reste, veut-on une Comédie-Française ? On peut supposer qu’on n’en a pas besoin parce que l’on préfère les théâtres privés. Je n’y crois pas ; mais si l’on veut une Comédie-Française, alors il faut bien payer les gens qui y sont.

Monsieur le rapporteur, je partage avec vous l’idée que, de toute façon, il faudra que nous nous y mettions. Après tout, un électricien peut décider de devenir pâtissier, et vice versa. Toutes ces qualifications s’acquièrent par des diplômes, dont les référentiels sont établis conjointement par l’État, les syndicats et les enseignants. Sans oublier la validation des acquis de l’expérience (VAE), qui devrait nous permettre de faire avancer les choses plus facilement pour les gens. Malheureusement, ce système ne fonctionne pas bien, voire pas du tout. Les kilomètres de discours sur la formation tout au long de la vie ne sont traduits par rien de concret : allez remplir au quatrième étage du rectorat un formulaire de VAE qui à lui tout seul exige une qualification ! On est clairement à côté de la plaque : le pays ne le comprend pas. Arrangeons-nous pour régler d’abord ce problème. Ensuite, tout sera plus simple pour les gens.

Mme Corinne Vignon, rapporteur pour le titre III. Dans ce magma flou de paroles, on en vient à perdre ses petits... Rappelons donc, à l’usage de ceux qui nous regardent, que l’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale a qualifié les régimes spéciaux de provisoires. Pour le Petit Larousse, est provisoire ce « qui n’existe, ne se fait que pour un temps limité, en attendant quelque chose de définitif ». Avec le système universel, nous réparons ce qui n’a pas été fait par les gouvernements précédents. Nous instaurons un système définitif et équitable pour tous les Français.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 6268 de Mme Clémentine Autain, n° 6302 de M. Éric Coquerel, n° 6387 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6404 de Mme Danièle Obono et n° 6540 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Permettez-moi de revenir sur la Comédie-Française et plus globalement sur la culture. Si la mobilisation est si forte à la Comédie-Française comme à l’Opéra de Paris, c’est que la réforme cumule les enjeux du régime de la retraite et des atteintes colossales aux budgets culturels. Regardez aussi Radio France, qui, à raison, est en état d’ébullition récurrente. Ces services publics fonctionnent à plein, et ils fonctionnent bien. Les spectacles de la Comédie-Française sont tous remplis, parfois des mois à l’avance. Les productions de l’Opéra de Paris sont remarquables ; Radio France bat des records d’audience. Et pourtant, ces institutions se retrouvent systématiquement attaquées, menacées, traquées, dans leur budget. Cela pose un vrai problème, celui du rapport que nous avons à la culture, parent pauvre des politiques publiques.

M. Éric Coquerel. Les danseurs et danseuses de l’Opéra viennent d’être comparés à des sportifs de haut niveau. Il me semble que Mme Pénicaud avait aussi mis ces métiers sur le même plan. À coup de conquis sociaux – et non pas d’acquis sociaux, car rien n’a été donné –des lois créent un système faisant en sorte que ce ne soit pas la loi du marché qui permette d’établir une différenciation. Il ne vous aura pas échappé que le salaire d’un footballeur professionnel de première division, même moyen, est tel qu’il permet une carrière de quinze ou vingt ans, ce qui est un moyen de compenser par avance la brièveté de l’exercice de la profession. Il revient à la société de s’occuper de ceux qui sont dans la même situation, mais qui n’ont pas cette chance.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne pourrai pas entrer dans le détail de tous les établissements industriels de l’État – je ne serais pas en état de le faire –, mais ils recouvrent notamment toutes les activités qui garantissent l’indépendance nationale dans la production de certains matériels. J’invite les inventeurs de tout ce texte à bien réfléchir à ce qu’ils font. Trouver du personnel d’un niveau technique assez élevé pour accomplir ces tâches ne se règle pas à la va-comme-je-te-pousse, comme certains peuvent se le figurer faute d’avoir la moindre idée de ce qu’est une production industrielle de haut niveau.

Mme Danièle Obono. L’amendement n° 6404 traite des ouvriers d’État, ouvriers professionnels, chefs d’équipe, techniciens et techniciennes, qui interviennent pour les ministères de l’intérieur, de la défense, de la direction générale de l’aviation civile, Naval Group et Nexter. Ils sont au cœur de problématiques fondamentales, pour peu qu’on ait la vision d’un État qui, en garantissant à ses agents des statuts sécurisants et sécurisés, pour l’activité comme pour la retraite, se donne les moyens de faire face à la nécessité du développement technologique et de nos besoins d’infrastructures en matière d’équipements, de logement et de transport, ayant d’activités dans lesquelles il faudra investir. L’État doit se comporter en visionnaire et pouvoir compter sur des agents, des ouvriers et ouvrières, des techniciens et techniciennes sécurisés dans leur emploi comme dans leur retraite. Voilà pourquoi il faut faire une exception et défendre leur statut.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 6539 vise à ajouter les mots « à l’exception des ouvriers des établissements industriels de l’État » après le mot « assurés ». Comme nous l’avons dit précédemment, nous souhaitons mener un débat pour chacune de ces professions, et non s’en remettre à des ordonnances.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Nous avons naturellement besoin d’ouvriers qualifiés pour tous les corps et pour les entreprises publiques et privées que vous avez citées. Là n’est pas la question. La question est de pouvoir les intégrer dans le régime de retraite. C’est l’enjeu de cet alinéa.

Monsieur Coquerel, tous les sportifs ne sont pas des footballeurs de Ligue 1, ni même de Ligue 2. Certains sportifs gagnent très modestement leur vie, et il faut bien envisager une suite à leur activité. Nous avons certes besoin de sportifs, de danseurs de l’Opéra ou de sociétaires de la Comédie-Française, mais aussi d’agriculteurs, de salariés, d’employés. Cela implique des évolutions dans les déroulements de carrière. Parfois, ces évolutions ne sont pas organisées. D’autres fois, elles peuvent l’être, mais il arrive que des gens en aient une vision par trop personnelle et ne se voient pas travailler dans d’autres métiers, de la même façon que, parfois, des enfants de catégories sociales défavorisées ne s’imaginent pas être en mesure d’accéder à des métiers ou à des professions de cadres. Il faut donc aussi que nous travaillions sur les modèles que nous présentons ; c’est un vrai changement culturel qu’il faut promouvoir dans notre société, pour réserver à la fin de carrière des métiers moins usants physiquement.

Défavorable.

M. Éric Coquerel. La question n’est pas d’assurer une requalification à quelqu’un dont on estime qu’il n’est plus capable d’exercer un métier, mais de reconnaître collectivement que la pénibilité ou les contraintes physiques liées à certaines professions valent des trimestres supplémentaires. Cela n’exclut que l’on puisse, en bénéficiant d’une formation tout au long de la vie, changer de métier si l’on n’est plus en condition de l’exercer un tel métier ; mais les deux choses sont indépendantes, on doit toujours pouvoir bénéficier trimestres de retraite supplémentaires. Rappelons qu’en moyenne, un ouvrier vit sept ans de moins qu’un cadre. Si nous défendons les régimes spéciaux, ce n’est pas pour en rester aux régimes actuels ; il faut étendre la question des pénibilités en tenant compte de toutes ces considérations.

M. Jean-Paul Mattei. La discussion porte sur l’alinéa 1 de l’article 19, qui habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance. Nous posons le principe d’une retraite universelle, et par points. Le débat porte donc sur l’ordonnance qui permettra d’accompagner l’unification de l’ensemble des systèmes. Les trente-trois articles de la loi Woerth, sur laquelle vous m’avez interpellé tout à l’heure, prévoyaient vingt-deux décrets. Entre le décret, pris par le Gouvernement, sans visa du Parlement, et l’ordonnance, je préfère la seconde ; sur le plan législatif, le processus me semble beaucoup plus rassurant. Et sans vouloir vexer M. Woerth, sa loi était beaucoup moins ambitieuse que ce texte.

S’agissant des amendements déposés à l’alinéa 1, voulez-vous vraiment protéger le régime spécial du Conseil économique, social et environnemental ? Ce sera un peu compliqué à justifier...

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 6269 de Mme Clémentine Autain, n° 6303 de M. Éric Coquerel, n° 6388 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 6405 de Mme Danièle Obono et n° 6541 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. L’amendement n° 6269 a pour objet le régime spécial des mineurs, une profession évidemment laminée : elle ne compte plus que 373 000 pensionnés pour 13 000 actifs. Cette spécificité démographique est liée à son histoire. Comprenez bien que nous défendons le maintien du système actuel, à défaut de remettre à plat l’ensemble du régime. Que nous combattions pied à pied chacune des remises en cause des régimes spéciaux ne signifie pas que, dans une réforme progressiste, nous n’aurions pas examiné les possibilités de les modifier. Mais nous n’accepterions de le modifier que dans une logique générale de progrès ; à défaut, nous préférons le maintien de l’existant à la sape que vous êtes en train d’organiser.

M. Éric Coquerel. Cher collègue Jean-Paul Mattei, nous sommes pour un principe universel de solidarité, dont les conditions d’application changent pour reconnaître la pénibilité de tel ou tel métier. Mais vous, vous instaurez un système qui n’aura plus rien d’intergénérationnel ni d’universel dans la mesure où, selon votre année de naissance et l’année où vous serez entré dans une profession, votre point coûtera moins au moment où vous estimerez nécessaire de le réaliser. Chaque génération deviendra un cas spécifique ; qui plus est, vous compliquez les règles générales. En fin de compte, nous aurons ce que M. Macron a annoncé : autant de systèmes que de Français. Ce qui n’a aucun rapport avec un système universel.

M. Jean-Luc Mélenchon. La répartition des rôles à laquelle nous sommes parvenus après toutes ces heures de discussion est un peu surprenante. Jusqu’alors, j’avais toujours vu les libéraux exalter les différences, justifiées par des aptitudes et des parcours personnels, et nous reprocher d’être des égalisateurs qui ne voulaient voir qu’une seule tête, décider à uniformiser tout et tout le monde. C’est aujourd’hui le consensus de la représentation nationale française autour de l’égalité – c’est tout de même un grand événement – et pour le même système. Parfait ! Jusque-là, vous avez tout compris, vous nous avez ralliés. Mais vous nous avez mal compris : nous n’avons jamais nié que les situations puissent être différentes. Nous cherchons donc un principe unificateur, qui aille au fond. La réduction du temps de travail aura depuis toujours, pour nous, été un vecteur privilégié ; et, si vous regardez l’histoire, vous vous apercevrez que seuls nos gouvernements en ont tenu compte, jamais les autres.

Mme Danièle Obono. L’amendement n° 6405 vise à défendre l’exception des personnes affiliées au régime de sécurité sociale dans les mines. Une bonne partie des droits des citoyens et des citoyennes a été acquise grâce aux batailles menées dans ce secteur par les mineurs, face à la répression souvent sanglante non seulement des propriétaires, mais aussi de l’État. Nous devons à cette tradition ouvrière une bonne partie des droits sociaux dont nous bénéficions aujourd’hui et qui sont au cœur du système de solidarité constitué en 1945. Nous parlons également d’une solidarité interprofessionnelle : face à des régimes en baisse démographique, il est de notre devoir de continuer à assurer à ces personnes une retraite digne, ce que vous remettez en cause. Voilà pourquoi nous demandons que leur statut soit préservé et protégé.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 6541 vise à ajouter les mots « à l’exception des personnes ayant été affiliées avant le 1er septembre 2010 au régime de sécurité sociale dans les mines » après le mot « assurés ». Sauf erreur de ma part, après cette date, ce régime n’accepte plus de nouveaux cotisants. Or il existe encore des mines, notamment de nickel, en Nouvelle-Calédonie, qui manquent d’ouvriers. Pour quelles raisons ne souhaitez‑vous pas discuter de la pénibilité de cette profession ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je partage votre interrogation, monsieur Mélenchon : il est surprenant que vous envisagiez le projet de loi comme une ouverture vers BlackRock, alors que j’ai le sentiment profond que c’est la réforme la plus sociale que nous portons dans la mesure où elle vise à l’universalité. On a parfois pu accuser cette majorité de pencher à droite, mais sur ce sujet précis, je soutiens que nous défendons une réforme profondément sociale. Elle nécessite certes des transitions, que je ne sous-estime pas, mais je suis surpris de vous voir défendre certaines corporations, qui, sans conteste, ont eu leur sens il fut un temps.

Mme Obono a évoqué les combats menés par les représentants des mineurs ; on pourrait de la même façon remonter aux canuts de Lyon, sans pour autant réclamer l’instauration d’un régime des ouvriers du textile. Nos origines sont variées et résultent d’histoires multiples ; nous arrivons aujourd’hui à ce résultat de convergence qu’est la réforme, et c’est en quoi elle me semble très sociale.

Défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’était de l’humour de ma part, monsieur le rapporteur... Je ne crois pas une seule seconde que nous soyons tous d’accord sur le fait que l’égalité est préférable à l’équité. La meilleure des preuves, nous l’avons eue pendant cette législature, lorsque le code du travail a été mis à l’envers : du fait de l’abandon du principe de faveur, un accord d’entreprise est devenu plus fort qu’un accord de branche, qui peut lui-même être plus fort que la loi, soit le contraire de cent ans de République sociale. Ce faisant, vous avez créé un code du travail par entreprise. Là, c’est pareil : il y aura une retraite par génération. Vous ne pouvez en disconvenir, c’est dans le texte ! Une retraite par génération, mais également une retraite dont on ne connaît ni la valeur d’acquisition ni la valeur de service du point.

Si vous pensez que la réforme est un grand progrès social, je vous propose d’approfondir l’idée de progrès social : on ne sait plus de quoi on parle... Le progrès social, ce n’est pas d’avoir moins le lendemain que ce que nous avions la veille. Il n’y a pas besoin de tout cela. La France a les moyens de faire vivre les gens décemment et de les faire partir du travail quand ils n’en peuvent plus.

M. Pierre Dharréville. Nous n’avons en effet pas du tout la même lecture de la réalité. Je ne vois pas en quoi ce texte est une grande réforme sociale ; ou alors, cela donne un ordre d’idée de ce qu’ont été les autres ! Vous oubliez tout à la fois sa philosophie et ses résultats. Vous faites argument des quelques réparations, qui peuvent exister à la faveur de certaines dispositions que vous prévoyez, mais cela ne saurait suffire. Vous avez beau essayer de la vendre comme la grande réforme sociale du quinquennat, mais l’affaire est d’ores et déjà actée : tout le monde a compris que ce n’était pas le cas.

M. Brahim Hammouche. Il est intéressant de terminer cette journée par des éléments de philosophie politique. Il est vrai que nous, nous sommes dans la réforme et non dans la rupture, dans la continuité des idées du siècle des Lumières. Nous ne voulons pas retourner deux cent trente et ans en arrière, avant à la Révolution. Nous ne voulons plus des corporations et des corporatismes ; il faudra bien que la gauche, en particulier le groupe La France insoumise, m’explique les contradictions dans lesquelles elle est régulièrement prise. Il y a quelques jours, vous promouviez l’égalité ; aujourd’hui, c’est au tour de l’équité. Il faudra bien que vous nous disiez un jour si vous êtes dans le despotisme égalitaire, ou dans la justice sociale. Pour nous tout cas, les choses sont claires : nous avons différents chemins, nous voudrions qu’ils convergent vers le haut, vers une République incarnée, efficace, solidaire. Nous défendrons les solidarités sous toutes leurs formes, mais dans leur universalité, à l’opposé de l’attitude de conservatisme que vous défendez depuis plusieurs jours.

La commission rejette les amendements.

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18.   Réunion du lundi 10 février 2020 à 9 heures 30 (suite de l’article 19 à l’article 20)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8727531_5e4113007797b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-10-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 4 221 amendements. Il nous en reste 15 360.

Article 19 (suite) : Habilitation à prendre des dispositions transitoires pour les salariés des régimes spéciaux

La commission est saisie des amendements identiques n° 6304 de M. Éric Coquerel, n° 6423 de Mme Mathilde Panot, n° 6457 de M. Adrien Quatennens et n° 6542 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Avec cet amendement, nous nous opposons à ce que le régime spécial des employés du Port autonome de Strasbourg soit supprimé par ordonnance. Nous tenons d’autant plus à ce régime qu’il est, avec 150 cotisants et 200 retraités, le plus petit de France. Il est autonome et ne coûte rien à l’État. Malheureusement, il ne s’applique plus aux nouveaux entrants depuis 2005. Ce régime nous intéresse beaucoup, parce qu’il assure une pension égale à 75 % du salaire des six derniers mois, qu’il est calculé sur 37,5 ans de cotisations – le régime que nous connaissions avant la régression – et qu’il garantit un départ à la retraite à 60 ans. Comme le droit social en Alsace, dont nous avons beaucoup parlé hier, nous souhaiterions que ce régime, au lieu d’être supprimé, soit généralisé, non seulement à tous les salariés des ports autonomes, mais à tous les salariés français.

Mme Mathilde Panot. Une fois de plus, nous refusons d’habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances, car cela dessaisit le Parlement de son pouvoir de discussion. Nous parlons d’un régime qui compte 150 cotisants pour 200 retraités et qui ne s’applique pas aux nouveaux entrants depuis 2005 : on ne voit donc pas l’urgence qu’il y a à le fondre dans le nouveau régime universel. Pourquoi le Parlement ne peut-il être informé précisément de ce qui va arriver à ce régime spécial ?

M. Adrien Quatennens. L’article 19 concerne différents régimes spéciaux. Nous avons déjà rappelé que les régimes spéciaux, dont il a beaucoup été question depuis le début de l’examen de ce projet de loi et dans le débat public, ne représentent que 3 % de la population active. Mais le grand pari d’Emmanuel Macron, c’est de rendre les Français jaloux les uns des autres : il espère que cette jalousie sera plus forte que l’aspiration commune à de bons niveaux de pensions.

Le Port autonome de Strasbourg, mes collègues l’ont rappelé, ce sont 150 cotisants pour 200 retraités. Ce régime ne coûte pas un sou à l’État et garantit une retraite à 60 ans pour 37,5 années de cotisations. Vous feriez mieux d’étendre ce régime à tous les Français et d’harmoniser notre système par le haut que d’alimenter la jalousie des uns ou des autres pour mener à bien votre grand projet de régression sociale. Vous ne ferez presque que des perdants !

Mme Bénédicte Taurine. Nous voulons exclure du champ d’application de cet article les employés du Port autonome de Strasbourg. Comme mes collègues l’ont rappelé, ce régime concerne un très petit nombre de personnes. Vous nous avez dit hier, monsieur le rapporteur, qu’il n’était pas utile de rouvrir le débat sur le régime spécial des ministres du culte, puisqu’il allait s’éteindre de lui-même du fait de l’évolution démographique. Pourquoi vous en prendre à celui du port autonome ? Le délégué syndical du port autonome a expliqué que ce système indépendant ne coûte rien à la collectivité. Il a ajouté qu’il n’est pas acceptable de changer les règles en cours de route, et cela vaut pour tous les salariés concernés par votre réforme. Il a noté, enfin, que tous les régimes spéciaux avaient été sondés par le Gouvernement, à l’exception de celui du port autonome : il se demandait si c’était à cause de sa petite taille.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous continuez d’agiter des peurs. Je ne connais pas la pyramide des âges des salariés du Port autonome de Strasbourg mais j’imagine qu’une grande partie des 150 cotisants est née avant 1975, puisqu’on n’embauche plus sous ce statut depuis 2005. Par ailleurs, multiplier, comme vous le proposez, des régimes qui ne concerneraient que 150 ou 200 personnes ne me semble pas être le meilleur moyen de faire unité au sein de la Nation. Ces personnes vont être intégrées extrêmement progressivement dans le régime général, sans bouleversement. Nous voulons faire un régime universel qui garantisse à tous les Français de partir à la retraite dans des conditions similaires. D’un point de vue financier, enfin, je doute que l’on puisse financer durablement, en l’appliquant à tous les Français, un système qui reposerait, en proportion, sur 150 cotisants pour 200 retraités.

Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Nous agitons des peurs, mais ce n’est pas nous qui avons dit que nous allions supprimer tous les régimes spéciaux ! Nous avons entendu les déclarations du Premier ministre, nous les prenons au sérieux et nous nous inquiétons. Sans aller jusqu’à généraliser le régime du port autonome de Strasbourg, on pourrait revenir à quarante ans de cotisations – en tenant compte des périodes de chômage, de revenue de solidarité active et de formation –, garantir un départ à 60 ans à taux plein à tous les Français et faire en sorte qu’aucune pension ne soit en dessous du SMIC. On y parviendrait si on supprimait les 52 milliards d’euros d’exemptions et d’exonérations qui ne servent à rien, si on créait des emplois – qui dit emploi dit cotisation – et si on assurait l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Si vous voulez débattre d’une réforme qui constituerait un vrai progrès, et non la régression que vous proposez, nous sommes à votre disposition.

M. Pierre Dharréville. Le Gouvernement nous demande une nouvelle fois de l’habiliter à prendre des ordonnances pour organiser une vague transition vers son mauvais système. L’article 19 concerne un certain nombre de salariés qui sont particulièrement visés par la régression que vous voulez imposer à toutes et à tous. Je crois que vous ne mesurez pas la défiance qui habite le pays, et pas seulement parmi les salariés qui dépendent aujourd’hui d’un régime spécial : la défiance est beaucoup plus générale.

Le journal L’Humanité a publié ce matin un appel signé par de nombreuses personnalités, des artistes, des écrivains, des intellectuels et des parlementaires. Le message est très clair : si vous êtes si sûrs de vous et si convaincus du bien-fondé de votre projet, si convaincus, même, qu’il n’est pas contesté dans la rue, ayez le courage de le soumettre à un référendum.

M. Thierry Michels. La discussion sur le régime spécial du Port autonome de Strasbourg illustre bien les enjeux de cette réforme, qui consiste à passer de systèmes de retraite construits sur des statuts à un système universel construit sur les professions. On comprend bien qu’avec 0,75 actif pour un retraité, ce régime spécial, comme bien d’autres, n’est pas viable d’un point de vue économique. Tout le travail qui prépare les ordonnances a précisément vocation à créer les conditions d’une transition respectant les choix professionnels et personnels des salariés concernés. Je rappelle que le système universel ne concerne pas les personnes qui sont à moins de dix-sept ans de la retraite.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6305 de M. Éric Coquerel, n° 6356 de M. Bastien Lachaud, n° 6424 de Mme Mathilde Panot, n° 6458 de M. Adrien Quatennens et n° 6543 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Cette série d’amendements identiques est dans la continuité de la précédente. Nous n’acceptons pas que le Gouvernement recoure aux ordonnances pour modifier un autre régime spécial. Je m’associe aux propos de Pierre Dharréville : plutôt que de recourir à des ordonnances, qui révéleront après coup l’ampleur des dégâts causés par votre réforme, mieux vaudrait faire voter les Français, par la voie d’un référendum. Ce serait une manière de prendre en compte, par la voie démocratique, l’opposition croissante qui s’exprime dans le pays.

M. Bastien Lachaud. Vous voulez modifier par ordonnance le régime de retraite des membres du Conseil économique social et environnemental (CESE), ce qui me semble très problématique. La Cour des comptes pose certes la question de la transformation de son régime actuel en un régime complémentaire par capitalisation à cotisations définies, avec participation du CESE. Le CESE a répondu qu’il ne s’agissait pas d’un régime complémentaire, mais bien d’un régime principal. Compte tenu de la place qu’occupe le CESE dans nos institutions, il serait légitime que nous l’écoutions et que nous ayons un vrai débat démocratique sur cette question.

Je m’associe à l’appel de mes collègues Pierre Dharréville et Éric Coquerel en faveur d’un référendum. Compte tenu de l’état du pays et de la mobilisation de l’opinion contre votre réforme, ce serait une manière de sortir de cette crise par le haut.

Mme Mathilde Panot. Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, de l’unité au sein de la Nation. Attiser la jalousie des Français en montrant du doigt les régimes spéciaux, qui ne concernent que 3 % de la population active, ne me semble pas de nature à la favoriser. Monsieur Michels, ces régimes ne sont pas seulement liés à un statut. Ils sont le résultat de luttes menées pour faire reconnaître la pénibilité et les spécificités de certains métiers. Ils correspondent à une réalité historique et le Parlement doit pouvoir en débattre, sans laisser le Gouvernement décider seul de leur avenir à travers les vingt-neuf ordonnances que comporte ce texte : c’est du jamais vu pour un projet de réforme des retraites !

M. Adrien Quatennens. Nous voulons exclure du champ d’application de cet article le CESE. Comme l’a dit mon collègue Bastien Lachaud, la Cour des comptes pose la question d’une transformation de son régime de retraite actuel en un régime complémentaire par capitalisation à cotisations définies, avec participation du CESE : c’est la preuve, s’il en fallait une, que ce projet de loi contient, dans chacun de ses interstices, un encouragement à la capitalisation. Le CESE a répondu qu’il s’agissait de son régime général, et non d’un régime complémentaire, mais on voit bien que votre intention réelle, derrière cette régression, c’est bien d’encourager à la capitalisation. Vous le faites grâce à deux leviers : premièrement, en maintenant un âge légal qui ne vaut plus rien, puisque les gens ont compris qu’ils ne pourront pas partir avec une pension à taux plein à l’âge légal. Mieux vaut, s’ils veulent partir à la retraite à l’âge légal, qu’ils aient complété leur retraite avec des produits par capitalisation. Deuxièmement, la mesure que vous avez prise en faveur des hauts revenus – les trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS) – est un encouragement à passer de la sécurité sociale à la capitalisation. Je m’associe donc au mot d’ordre de mes collègues : pour nous, c’est le retrait ou le référendum.

Mme Bénédicte Taurine. On entend à longueur de temps que les agents de la SNCF et de la RATP, les salariés de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française ou du Port autonome de Strasbourg, pour ne citer qu’eux, sont des privilégiés. N’oublions pas que certaines personnes sont bien plus avantagées par un autre régime spécial, celui de retraites chapeaux. La Cour des comptes a, par exemple, rappelé que le patron de Dexia, dont la gestion de la banque a coûté 7 milliards d’euros aux contribuables, touche une retraite chapeau de 300 000 euros par an. Il semblerait judicieux de se pencher sur ces retraites chapeaux avant de remettre en cause celle des agents de la SNCF.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Chacun sait que nos concitoyens ressentent aujourd’hui une certaine défiance vis-à-vis de nos institutions. Il semble donc important que toutes les assemblées soient intégrées au régime universel. La loi organique le prévoit pour l’Assemblée nationale et le Sénat. Je vous rappelle, d’ailleurs, que depuis la loi pour la confiance dans la vie publique de 2017, le système de retraite des députés a été aligné sur celui de la fonction publique, ce qui constitue une évolution significative. Le Sénat n’a pas encore adopté une telle disposition.

Plusieurs d’entre vous demandent l’organisation d’un référendum. Il me semble que l’on recourt généralement au référendum lorsqu’une question n’a pu être tranchée au Parlement au terme d’un débat approfondi, ce qui n’est pas vraiment le cas. La présidente nous a indiqué au début de cette séance que nous avions examiné 4 221 amendements : nous aurions eu tout le temps d’examiner l’intégralité du projet de loi si les députés de La France insoumise n’avaient pas déposé 19 000 amendements dans le but de laisser le débat s’enliser. Compte tenu de la manière dont nos débats se sont déroulés, si un référendum devait avoir lieu, nos concitoyens ne seraient absolument pas éclairés sur les enjeux de la réforme. Plus nous expliquons le texte, plus nos concitoyens se manifestent pour nous dire qu’ils le comprennent mieux et qu’ils n’avaient pas compris un certain nombre de points. Vous essayez de noyer le débat en ne produisant qu’une contestation virulente et bruyante. Le rôle des assemblées est de débattre sur le fond des choses, non de supprimer les alinéas du texte, amendement après amendement.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Ce débat est intéressant. Cela fait deux ans et demi que vous tentez de préparer l’opinion publique à votre réforme, par des slogans divers et variés et des concertations plus ou moins discutables et discutées. Et, au bout du compte, votre projet ne passe pas.

De notre point de vue, vous avez aujourd’hui le choix entre deux options. Pour le retrait, tapez 1 : c’est la solution que nous préférons et que nous proposons depuis longtemps. Pour le référendum, tapez 2 : puisque la contestation est vive dans le pays, donnez la parole au peuple pour vérifier que vous avez raison et que vous disposez d’une majorité pour mener votre projet à son terme. Vous, vous choisissez de taper 3 : « On continue, on fonce dans le tas », ce qui n’est pas l’une de nos solutions. Je vous suggère de revenir aux deux premières solutions, et plutôt à la première.

M. Éric Coquerel. Comme Pierre Dharréville, je pense que si étiez raisonnables, vous retireriez ce projet pour le rediscuter à fond, puisqu’il ne passe pas auprès de la majorité des syndicats de ce pays, tant dans le privé que dans le public. Une opposition majoritaire grandit dans le pays. Pourquoi recourir au référendum ? Parce que l’issue des urnes est toujours une issue pacifique en cas de blocage. Et il y a bien un blocage, puisque vous essayez de faire passer par la force une loi qui ne passe pas dans l’opinion. Plus vous argumentez, plus les Français sont convaincus de la nocivité de votre projet de loi. Dans un tel contexte, il vaut toujours mieux appeler le peuple aux urnes que passer en force. Voilà pourquoi nous vous conseillons le référendum : il serait effectivement, comme l’a dit Bastien Lachaud, un moyen de sortir par le haut de cette crise.

Vous vous plaignez de nos 19 000 amendements, mais certaines réformes, par le passé, ont fait l’objet de plus de 100 000 amendements. Pour notre part, nous nous sommes contentés de déposer des amendements de fond. D’ailleurs, quand on regarde les réseaux sociaux, on s’aperçoit que les arguments que nous avons exposés ce week-end ont servi à éclairer le débat public et à renforcer l’opposition à cette réforme.

M. Thierry Benoit. Puisque certains rappellent à l’envi la nécessité de préserver les régimes spéciaux de retraite, je crois utile de rappeler que l’article 19 organise la réduction progressive des régimes spéciaux jusqu’à leur suppression totale, sur une période de vingt ans, au nom d’une plus grande équité et d’une meilleure cohésion des Français. Il prévoit, premièrement, une assiette commune de cotisations pour l’ensemble des actifs et, deuxièmement, le même taux de cotisation pour tous.

Deux logiques s’affrontent dans nos débats : d’un côté, la volonté de maintenir un système hérité du programme du Conseil national de la Résistance et, de l’autre côté, celle de créer un système assurant plus d’équité et de cohésion, parce que c’est ce que les Français demandent, notamment sur la question des retraites, depuis plusieurs dizaines d’années.

M. Jean-Paul Mattei. Je me demandais hier comme vous alliez bien pouvoir défendre cette série d’amendements. Vous avez trouvé l’argument du référendum, ce qui est habile, mais les Français qui nous entendent doivent être très surpris de vous entendre défendre le régime spécial des membres du CESE. Vous ne manquez pas d’air !

M. Gérard Cherpion. Il me semble important que le Parlement prenne ses responsabilités. Je ne suis favorable ni au référendum, ni aux ordonnances parce que, dans les deux cas, les parlementaires se trouvent dessaisis de leurs responsabilités et privés de leur faculté de légiférer.

Monsieur le secrétaire d’État, dans la mesure où les régimes spéciaux perdureront plus longtemps que la période de transition de vingt ans, est-on assuré des ressources de ces régimes spéciaux pendant cette période de transition ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je me suis déjà exprimé au sujet du référendum lors d’une séance de questions au Gouvernement. Jean-Paul Delevoye, lui aussi, avait été interrogé à ce sujet, avant même la remise de son rapport – si ma mémoire est bonne, c’était lors d’une réunion ouverte à Metz. Il avait répondu en demandant quelle question il faudrait poser si l’on organisait un référendum. Je vous la pose à mon tour. Faut-il demander aux Français s’ils sont favorables à plus de redistribution ? S’ils sont favorables à un système à l’équilibre qui assure la solidarité dans la durée ? S’ils sont favorables à des droits familiaux dès le premier enfant ? S’ils sont favorables à des périodes de transition douces et adaptées ?

Comme Gérard Cherpion, je m’étonne que l’on puisse reprocher aux ordonnances de dessaisir le Parlement de ses prérogatives et que l’on réclame un référendum, qui dessaisit encore davantage le Parlement de son pouvoir. Le Parlement donne un cadre à l’ordonnance au moment de l’habilitation et il doit ensuite la ratifier. Je rappelle que si nous recourons aux ordonnances sur ce texte, c’est pour laisser le temps au dialogue social et à la concertation de produire des réponses de qualité. À chaque fois qu’il le pourra – c’est déjà arrivé et j’espère que cela se produira encore souvent, à la fois en commission spéciale et en séance publique –, le Gouvernement gravera dans le marbre de la loi les dispositions issues des concertations qui auront abouti. Plus le dialogue social aura avancé, moins il y aura d’ordonnances et plus nous aurons de raisons d’être satisfaits.

La commission rejette les amendements.

Elle discute ensuite de l’amendement n° 22645 du Gouvernement.

M. le secrétaire d’État. Cet amendement vise à faire progressivement converger les assiettes et les taux de cotisations applicables aux anciens assurés des régimes spéciaux et à leurs employeurs vers ceux de droit commun dans le cadre du système universel. Il complète l’ordonnance en prévoyant la possibilité pour les employeurs des régimes spéciaux de prendre en charge, durant la période transitoire de vingt ans, la part de la cotisation non encore assumée par leurs salariés, ainsi que les conditions d’exonération de ces prises en charge. Cette prise en charge garantira l’acquisition de points pour les salariés et évitera toute perte de droits. Cette disposition traduit la volonté du Gouvernement de trouver des transitions douces et adaptées, dans lesquelles les salariés concernés auront 100 % de leurs droits acquis et verront progressivement leurs droits évoluer, avec une prise en charge par leur employeur à chaque fois que cela sera possible.

M. Adrien Quatennens. Cet amendement est assez éclairant. Ce qui est frappant, d’abord, c’est que la prise en charge de ces écarts de cotisations sera à géométrie variable, puisqu’il est écrit que les employeurs « peuvent » – et non qu’ils « doivent » – les prendre en charge. Quid de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans des entreprises où les employeurs décideront qu’ils ne peuvent pas prendre en charge cet écart ? Mais le plus choquant, c’est la dernière phrase de votre amendement, celle où vous écrivez que « les employeurs peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations sociales ». Nous y revoilà !

L’un des leitmotivs de votre projet de loi, c’est le déficit. Or nous avons démontré méthodiquement qu’il est une construction politique et qu’il est largement le fait des exonérations sociales auxquelles vous avez procédé. Avec cet amendement, vous nous promettez de continuer à mener exactement la même politique : vous allez continuer à accorder des exonérations, en échange d’une prise en charge tout à fait aléatoire de cet écart de cotisations.

Monsieur le secrétaire d’État, si vous manquez d’inspiration et que vous ne savez pas quelle question poser au référendum, j’ai une proposition à vous faire : « Êtes-vous favorable au fait que, plutôt que d’organiser le partage des richesses, nous vous contraignions à travailler toujours plus longtemps, au-delà de l’espérance de vie en bonne santé ? » Voilà qui serait sincère !

M. Boris Vallaud. Le Gouvernement avoue enfin, après bien des dénégations, que toutes les générations seront effectivement concernées par la réforme des retraites, y compris les personnes nées avant 1975 ! Nous le disons depuis longtemps et lorsque nous avons interrogé le Premier ministre à ce sujet lors d’une séance de questions au Gouvernement, il a répondu de façon alambiquée et du bout des lèvres. La réalité, c’est que pendant toute la période de transition, un certain nombre de Françaises et de Français vont devoir cotiser plus, sans se créer de droits supplémentaires, ce qui est d’ailleurs une belle entorse au principe que vous affichez, selon lequel un euro cotisé produit les mêmes droits. De fait, un euro cotisé ne produira pas les mêmes droits pour tous pendant la période de transition.

Par ailleurs, vous créez ici une faculté, et non une obligation, ce qui introduit une rupture d’égalité. Nous aimerions savoir ce qui la motive. Enfin, et une fois de plus, vous ne donnez aucun chiffrage : on ignore tout du coût de cette disposition pour laquelle vous prévoyez, en outre, des exonérations de cotisations sociales. Pourrions-nous avoir des chiffres et connaître les modalités de mise en œuvre de cette mesure ? Le Gouvernement a-t-il l’intention, comme il l’avait fait pour les heures supplémentaires ou pour la prime exceptionnelle, de ne pas compenser ces exonérations ? Si tel est le cas, c’est à l’ensemble des assujettis sociaux que vous les ferez payer.

M. Pierre Dharréville. Avec cet amendement, vous élargissez encore un peu plus le champ de vos ordonnances : vous ajoutez un tuyau dans l’usine à gaz, qui commence à fuir de partout. Cette mesure mériterait au moins quelques lignes ou un petit tableau dans un coin de l’étude d’impact. Vous ne vous êtes pas donné cette peine et c’est une nouvelle preuve de l’impréparation de ce projet de loi et du flou dans lequel vous nous maintenez.

Vous nous avez habilement rétorqué, monsieur le secrétaire d’État, que le référendum, comme les ordonnances, dessaisit le Parlement d’une partie de son pouvoir. C’est de la rhétorique ! La réalité, c’est que vous nous empêchez d’exercer notre droit. Lorsqu’on nous dessaisit de notre pouvoir pour recourir aux ordonnances, c’est à votre profit ; lorsqu’on nous dessaisit de notre pouvoir pour recourir au référendum, c’est au profit de celles et ceux qui nous ont élus. Ce n’est pas tout à fait la même chose ! La question à poser au référendum est assez simple : « Êtes-vous pour ou contre ce projet ? » Vous l’avez mis sur la table et vous voulez qu’on en discute : soumettez-le au peuple ! Vous saurez alors si vous avez, ou non, une majorité en faveur de ce texte.

Mme Cendra Motin. Cette disposition est excellente, car elle va protéger le pouvoir d’achat et le salaire net des salariés des régimes concernés. Il est essentiel de ne pas amputer le pouvoir d’achat de personnes dont les conditions salariales ne sont pas toujours optimales. Je salue la volonté du Gouvernement de préserver leur pouvoir d’achat et leur net à payer et de veiller ainsi à ce que la transition vers le nouveau régime de retraite universelle soit plus douce et plus juste pour eux aussi.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le secrétaire d’État, il y a tout de même des trous dans la raquette ! Premièrement, vous dites que les employeurs prendront en charge les écarts de cotisations salariales pendant la période de transition : cela entraînera, de fait, une augmentation du coût du travail. Vous dites, deuxièmement, que cette prise en charge pourra faire l’objet d’une exonération, mais vous n’expliquez pas comment cette exonération de cotisations sera compensée. Allez‑vous faire comme pour le budget de la sécurité sociale ? L’État va-t-il, oui ou non, compenser ces exonérations, comme le prévoit la « loi Veil » ? S’il ne le fait pas, il risque de creuser le déficit.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. M. Gérard Cherpion a demandé tout à l’heure si nous avions des ressources nécessaires pour accompagner ces régimes spéciaux pendant la période de transition au-delà de quinze ou vingt ans. Aujourd’hui, l’État verse déjà des subventions importantes pour équilibrer le système : nous n’allons donc pas créer de charges supplémentaires.

Monsieur Quatennens, vous parlez de dispositions à géométrie variable, et c’est effectivement le cas, parce que nous sommes partons de situations très différentes, qu’il s’agisse du taux de cotisations ou de l’assiette, qui peut ou non inclure les primes. Nous devons tenir compte de toutes ces spécificités.

Vous contestez, comme M. Boris Vallaud, les exonérations de cotisations sociales, comme si nous faisions rentrer le loup du capitalisme dans la bergerie. Je vous rappelle que nous parlons de professions dont vous n’avez pas cessé de prendre la défense : la SNCF, la RATP, les industries gazières et électriques, les clercs de notaires, les marins, les ouvriers d’État, pour ne citer qu’eux. Je ne crois pas que ces entreprises, ou ces institutions, se caractérisent par un capitalisme effréné.

Cet amendement est le symétrique de celui qui donne la possibilité à l’État d’accompagner la prise en charge des primes pour éviter toute baisse de pouvoir d’achat. Une trajectoire de rapprochement des taux de cotisation va être définie et l’employeur pourra prendre en charge les écarts de cotisation : c’est une manière de rendre cette transition la plus douce possible et d’éviter qu’il y ait des perdants. C’est notre souci majeur.

Avis favorable.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Cherpion, nous pouvons garantir que l’ensemble des régimes spéciaux disposeront des subventions nécessaires. À compter de 2025, il y a aura une intégration financière au régime à points des différents régimes existants. Les régimes spéciaux continueront de recevoir une subvention pour équilibrer leurs comptes en fonction de la trajectoire financière de leurs besoins, pour les assurés nés à partir de 1975 dont les cotisations seront versées au système universel des retraites mais aussi pour les assurés nés avant 1975.

M. Éric Coquerel. L’amendement du Gouvernement est énorme et la réponse de M. Turquois me paraît particulièrement éloquente. Pour limiter l’amputation du pouvoir d’achat à laquelle procède votre réforme, vous proposez d’intégrer les primes des fonctionnaires, mais nous ne savons pas à quelle hauteur, car ce sont les ordonnances qui en décideront. Pour le secteur privé, comment allez-vous faire pour régler la question des écarts de cotisation sociale ? Selon les termes de l’amendement, les employeurs « peuvent » les prendre en charge. Le loup est énorme : vous causez une baisse du pouvoir d’achat, vous comptez sur les employeurs pour la limiter sans aucune certitude qu’ils le feront, et s’ils le font, des exonérations viendront les récompenser, qui creuseront encore des trous supplémentaires. Cet amendement est significatif de l’impréparation de ce projet de loi et de l’usine à gaz dont il va affecter le secteur privé et pas seulement l’État employeur.

M. Boris Vallaud. J’aimerais bien savoir à quel moment j’ai parlé de loup capitaliste entrant dans les entreprises relevant des régimes spéciaux. Dans la dernière loi de financement de sécurité sociale – et chacun s’en est ému –, vous n’avez pas compensé les exonérations de cotisations sociales s’agissant des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle, ce qui explique une part du déficit, y compris celui de 2025 puisqu’une part de ces exonérations concernaient l’assurance vieillesse. Plusieurs centaines de millions d’euros sont en jeu et vous ne nous donnez pas de précisions. Pourtant, ces exonérations sont susceptibles d’aggraver le déficit dans le futur système, ce qui vous servira de prétexte pour modifier l’âge d’équilibre, l’indexation de la valeur de service du point. Tout cela n’est pas neutre et nous sommes en droit de vous poser des questions, en particulier sur les volumes en jeu.

M. Pierre Dharréville. L’explication que vous nous donnez est une forme d’aveu. Vous insistez sur votre volonté de prendre en compte la trajectoire des besoins et de travailler à une transition plus douce. Autrement dit, vous voulez rendre la dégradation promise moins visible. Ce faisant, vous reconnaissez qu’il y aura une perte sèche pour les salariés concernés. Par ailleurs, nous ne pouvons mesurer l’impact financier de ces mesures puisque l’amendement du Gouvernement n’est accompagné d’aucun chiffrage précis.

M. Patrick Mignola. La discussion prend un tour général alors que l’article 19 porte sur la transition longue pour les régimes spéciaux. Rappelons l’enjeu financier : les 6,2 milliards d’euros consacrés au versement des pensions sont compensés à hauteur de 4,2 milliards par l’État. Ce qui nous est proposé ici pour accompagner les salariés n’a pas d’impact budgétaire, contrairement à ce que certains d’entre vous prétendent, puisque ces sommes viendront en déduction des compensations actuellement versées par l’État.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 6308 de M. Éric Coquerel, n° 6325 de M. Alexis Corbière, n° 6359 de M. Bastien Lachaud et n° 6546 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Nous nous opposons à ce qu’une ordonnance décide que les cotisations doivent être assises sur les rémunérations au lieu de l’être sur un pourcentage des salaires, gratifications et avantages de toute nature.

M. Alexis Corbière. Le 10 janvier dernier, le Président de la République a déclaré : « Je pense qu’il faut sur quelques mesures en appeler à un référendum, car c’est ce qui permettra de partager avec tout le monde la préoccupation sur le sujet. ». Il évoquait la convention sur le climat. Pourquoi ne pas faire un référendum aussi au sujet des retraites, qui suscite une grande controverse dans notre pays ? J’aimerais que M. le rapporteur m’éclaire pour que je sois moins bête ce soir – ce qui est peut-être un travail difficile.

M. Bastien Lachaud. Le Gouvernement, plutôt que de supprimer le régime de retraite des clercs de notaires, devrait le généraliser, car il est favorable aux assurés. Je tiens toutefois à rappeler que les clercs et employés des offices notariaux ne bénéficient que du régime de retraite de base et ne sont pas concernés par les retraites complémentaires. Je ne suis pas sûr qu’on puisse les classer parmi les plus privilégiés des Français. Au lieu de décider de leur sort à travers une ordonnance, il faudrait laisser se prononcer le Parlement ou bien le peuple, à travers un référendum.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, vous vous étonnez que le secteur privé ne soit pas, comme l’État et les employeurs publics, acteur de la phase de transition, mais les salariés du privé cotisent déjà au taux cible de 28,12 %, ce qui n’est pas le cas des libéraux – du moins pas de tous –, pour lesquels est également prévue une transition longue.

Monsieur Dharréville, vous parlez de « dégradation promise » comme si la transition prévue avait pour but de l’amortir. N’oublions pas que la dégradation existe déjà puisque ces régimes sont en déficit et qu’ils doivent recevoir une subvention de l’État pour être à l’équilibre. Nous ne voyons pas pourquoi les contribuables devraient aider certains régimes spéciaux au lieu d’assurer un équilibre d’ensemble. Nous voulons que les mêmes règles s’appliquent à tous.

Monsieur Lachaud, vous soulignez que les clercs de notaires n’ont rien de privilégiés puisqu’ils n’ont pas de complémentaire. Je vous engage à travailler davantage le fond du texte : les régimes spéciaux sont des régimes intégrés, qui comprennent à la fois la retraite de base et la retraite complémentaire. Et ce n’est pas autre chose que nous proposons dans le système universel.

M. Éric Coquerel. Vous parlez de « taux cible », monsieur le rapporteur, et je doute que de telles formules éclairent le débat public. Ma question portait sur le fait que si vous donnez aux employeurs une simple possibilité de prendre en charge les écarts de cotisation, l’acquisition des points risque de ne pas être garantie.

M. Hervé Saulignac. Vous avez beaucoup défendu votre réforme en instrumentalisant les régimes spéciaux. Les supprimer permettrait, selon vous, de réaliser des économies puisqu’ils coûtent très cher. En réalité, vous êtes en train de faire la démonstration contraire : la transition coûtera chaque année au moins aussi cher. Pour sortir de cette contradiction, nous vous demandons deux choses extrêmement simples : premièrement, un chiffrage ; deuxièmement, un éclaircissement sur la manière dont seront gérées les inégalités. L’amendement gouvernemental indique que les employeurs « peuvent prendre en charge » les écarts de cotisation, ce qui implique que certains pourraient ne pas le faire. Pour défendre le projet, vous mettez régulièrement en avant l’argument selon lequel les mêmes règles doivent s’appliquer à tous et là, vous instaurez une règle qui produit des inégalités. Nouvelle contradiction !

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 6309 de M. Éric Coquerel, n° 6326 de M. Alexis Corbière, n° 6360 de M. Bastien Lachaud et n° 6547 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Dans Les Échos, le président du Conseil supérieur du notariat déclarait : « La profession souhaite éviter une baisse des pensions et parer le risque démographique en ajoutant la capitalisation à la répartition », et exprimait ses craintes devant le risque de division des clercs de notaires. Certains des avantages conquis de ce régime de retraite, notamment la possibilité de partir plus tôt, devraient être généralisés plutôt que d’être supprimés.

M. Alexis Corbière. Nous ne voyons pas l’intérêt de supprimer ces régimes spéciaux. Les clercs de notaires constituent une catégorie professionnelle de plus à être opposée à la réforme. Raison supplémentaire d’organiser un référendum qui vaut mieux qu’une ordonnance dans une république.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur, parler du fond, c’est exactement ce que nous voulons. Le problème, c’est qu’à force de nous faire légiférer par ordonnance, vous nous en empêchez. Traitons du régime des clercs de notaires en mettant sur la table tous les éléments. Que le Parlement tranche au lieu de laisser au Gouvernement un blanc-seing ou bien organisons un référendum.

Mme Bénédicte Taurine. Nous voulons supprimer l’alinéa 4.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Coquerel, je ne vois pas pourquoi vous faites semblant de ne pas comprendre l’expression de « taux cible ». C’est un terme clair pour tous les membres de cette commission qui sont censés avoir travaillé sur le projet de loi. Nous ne nous exprimons pas sur un plateau de télévision.

Monsieur Saulignac, pour nous, la fin des régimes spéciaux n’est en aucun cas motivée par la volonté de faire des économies. Nous visons l’équité entre tous. Nous ne voyons pas pourquoi les contribuables devraient continuer à permettre à certaines catégories de nos concitoyens de partir dans des conditions particulières. Cela dit, ces conditions particulières étant partie intégrante de leur contrat de travail, nous prévoyons une transition longue pour que la sortie des régimes spéciaux se fasse de la façon la plus douce et apaisée possible.

Comme vous vous relayez au sein de La France insoumise, certains d’entre vous n’ont pas entendu les explications fournies au sujet des ordonnances. Si nous avions intégré ces dispositions dans la loi, chaque taux aurait fait l’objet de centaines d’amendements de votre part, ce qui aurait abouti à des millions d’amendements. Vous dénaturez le travail parlementaire et nous n’abordons que l’écume du texte au lieu d’examiner son fond.

M. Bruno Fuchs. Vous proposez d’étendre à tous les assurés le régime de clercs de notaires, comme vous l’avez fait auparavant pour le régime du Port autonome de Strasbourg, qui compte 156 cotisants et 203 bénéficiaires. Comment vous considérer avec sérieux ? Nous voyons bien que le but de La France insoumise n’est pas d’améliorer la rédaction du texte. Vous appelez de vos vœux un référendum. Comme il est toujours formulé sous forme d’opposition entre deux thèses, il n’y a pas de synthèse possible. Seul le débat parlementaire permet d’y parvenir.

Mme Mathilde Panot. Si nous avons déposé 19 000 amendements, c’est parce que nous considérons que le Gouvernement ne respecte pas la démocratie et le travail parlementaire. Il a choisi la procédure accélérée et a rédigé une étude d’impact truquée vivement critiquée par le Conseil d’État. Vous nous accusez d’un manque de sérieux alors que nous avons présenté, en décembre, un contre-projet extrêmement précis, qui contient des propositions financées.

Plus de 1,8 million de personnes sont descendues dans la rue en une seule journée et certains de nos concitoyens ont fait cinquante-deux jours de grève. Ce que veulent ceux qui se mobilisent si fortement, ce n’est pas l’équité mais l’égalité. Dans la rue, en dansant, en chantant, en signant des pétitions, ils réclament le droit à une pension digne. Vous parlez, monsieur le rapporteur, de « transition apaisée ». Comment serait-ce possible quand plus de la moitié des Françaises et des Français sont opposés à la réforme ? La seule solution lorsqu’il y a un conflit de légitimité aussi fort, c’est soit le retrait du texte, soit le référendum pour laisser le peuple décider.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pour l’heure, nous sommes dans le cadre du débat parlementaire et nous allons le poursuivre. Par le passé, des oppositions ont obtenu le même effet d’obstruction en déposant 3 000 amendements. Il ne s’agit pas de faire le concours Lépine du nombre d’amendements déposés pour faire entendre sa voix.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 6310 de M. Éric Coquerel n° 6361 de M. Bastien Lachaud, n° 6429 de Mme Mathilde Panot, n° 6463 de M. Adrien Quatennens et n° 6548 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Bastien Lachaud. M. le rapporteur affirme que la suppression des régimes spéciaux n’est pas motivée par la volonté de faire des économies. Citons donc Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics : « On a du mal à comprendre pourquoi l’État verse chaque année 8 milliards d’euros sur nos impôts pour équilibrer [les régimes spéciaux]. En économisant ces 8 milliards d’euros, on pourra financer les mesures d’égalité sociale que prévoit notre réforme. ». Le problème, c’est que ces mesures d’égalité sociale, nous les cherchons toujours. Nous voyons bien que, de l’aveu même du ministre du budget, ce sont les économies que vous visez. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à la suppression du régime spécial des clercs de notaires.

Mme Mathilde Panot. Madame la présidente, nous ne prétendons pas participer à un concours Lépine des amendements. Nous ne jouons pas. Ce week‑end, j’ai rencontré des forestiers, notamment des bûcherons. Savez-vous que leur espérance de vie moyenne est de 57 ans et que leur espérance de vie en bonne santé est de 52 ans ? Les régimes spéciaux se justifient par des raisons historiques et des facteurs de pénibilité. Pour les gens, ce n’est pas un problème qu’il existe différents régimes. Ils embrassent une profession en sachant dans quelles conditions ils l’exerceront et partiront à la retraite. Vous vous plaisez à dire que vous voulez faire une réforme « juste », une réforme « universelle ». Les Françaises et les Français qui contestent massivement votre réforme vous appellent à faire preuve de réalisme.

M. Adrien Quatennens. Nos collègues qui mettent en cause notre énervement devant l’étude d’impact truquée de mille pages, que nous avons pris le temps d’étudier, devraient aussi prendre le temps d’étudier les quarante pages de notre contre-projet. Ils verraient qu’en consacrant plus de ressources aux retraites, nous parvenons à un système qui permet de fixer l’âge de départ à 60 ans et qui fait en sorte que personne ne parte avec une pension inférieure au SMIC et qu’aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté. Vous faites l’inverse : vous adaptez le système au niveau des ressources que vous voulez constant. Pour vous, la variable d’ajustement, c’est la vie des gens. Pour nous, c’est ce qui prime, raison pour laquelle nous mettons la comptabilité à son service. Notre contre-projet montre que, par ailleurs, il n’y a pas besoin de changements révolutionnaires pour financer un système digne de retraite. À travers ce projet, nous voyons bien que vous voulez organiser un rempart durable pour éviter le partage des richesses. Les actifs se retrouvent les seuls à payer, en devant moduler l’âge auquel ils partiront.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Les régimes spéciaux coûtent 8 milliards d’euros au titre de la contribution d’équilibre. Le régime des mines compte 1 370 cotisants pour 241 000 retraités ; celui des industries électriques et gazières 38 000 cotisants pour 180 000 retraités ; celui de la SNCF 141 000 cotisants pour 250 000 retraités ; celui de la RATP 42 000 cotisants pour 50 000 retraités. Il nous paraît anormal que les finances publiques, donc les contribuables, financent l’équilibre de tous ces régimes alors que l’équité commande que l’ensemble des actifs finance l’ensemble des pensions. Comme le dit Gérald Darmanin, ces 8 milliards permettront de financer la réforme. C’est précisément les conditions financières du passage d’un régime à un autre que nous étudions à travers ces articles. À terme, dans vingt ou vingt-cinq ans, une fois la transition effectuée, ces 8 milliards pourront être consacrés à d’autres politiques sociales, qu’il s’agisse de la dépendance, du quatrième âge ou de l’hôpital – les besoins ne manquent pas.

Madame Panot, votre exemple des bûcherons est très intéressant. Je l’ai cité moi‑même, car une partie de mon activité est liée à la production du bois. Je sais qu’ils sont exposés à de multiples dangers, entre les chablis et les chutes hasardeuses d’arbres, et aux vibrations permanentes des tronçonneuses. Bien sûr qu’il faut tenir compte de ces éléments, mais de façon équitable, toutes professions confondues. Ils doivent être intégrés dans les conditions de travail et dans les conditions de départ à la retraite.

Avis défavorable aux amendements.

M. Boris Vallaud. M. Darmanin est allé un peu vite en besogne car les 8 milliards devront toujours être versés pour financer les pensions des assurés des régimes spéciaux déjà à la retraite. Il n’y aura pas d’économies de court terme possible.

Par ailleurs, j’aimerais savoir ce que deviendront les réserves provisionnées hors bilan par certaines grandes entreprises comme EDF ? L’État les reprendra-t‑il ?

M. Éric Coquerel. En matière de pénibilité, la piste évoquée jusqu’à présent par votre majorité est plutôt de limiter la possibilité d’exercer certains emplois au-delà d’un certain âge et d’aider à la reconversion et à la formation de ceux qui les occupaient. Là, monsieur le rapporteur, vous semblez envisager la possibilité de prendre en compte la pénibilité dans les conditions de départ à la retraite. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Pierre Dharréville. Par ce mécanisme, vous fiscalisez, au moins de manière temporaire. Vous venez de le reconnaître, monsieur le rapporteur. N’oublions pas que la situation que vous décrivez est aussi le résultat de choix politiques qui renvoient à une responsabilité de l’État : externalisations, privatisations, extinctions programmées de statuts. Tout cela concourt au déséquilibre financier. Vous en faites abstraction alors que cela mériterait débat. Vous venez de confirmer que vous entendez récupérer une somme qui aurait dû être consacrée au financement des pensions des régimes spéciaux. Vous pouvez toujours dire que cet argent sera utile ailleurs mais nous savons à qui vous le prenez. Sur tout cela, l’ordonnance reste peu claire.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 19 modifié.

Avant l’article 20

La commission est saisie des amendements identiques n° 7934 de M. Éric Coquerel, n° 7935 de M. Alexis Corbière, n° 7937 de M. Bastien Lachaud, n° 7941 de Mme Mathilde Panot, n° 7943 de M. Adrien Quatennens et n° 7948 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Par nos amendements, nous visons à modifier l’intitulé de la section 3 au profit de cette formulation : « Dispositions applicables aux travailleurs non‑salariés visant à les précariser davantage ». Vous prétendez défendre une vision universelle mais vous ne prenez en compte ni les inégalités de carrière, ni les situations particulières liées à la pénibilité du travail qui aboutissent le plus souvent à des inégalités d’espérance de vie. Dans notre système actuel, 37 % des femmes et 15 % des hommes perçoivent une pension inférieure à 1 000 euros bruts. Avec la mise en œuvre d’un système par points, leur situation s’aggravera, d’où le nouvel intitulé que nous proposons.

M. Alexis Corbière. Nous faisons un travail sémantique important. Nul n’est censé ignorer la loi et tout le monde est censé la comprendre : il faut donc que les intitulés soient justes. C’est la raison de notre amendement de suppression, car, en matière d’universalité, c’est la précarité pour tous que vous proposez. Tout cela s’inscrit dans la continuité : la réforme Balladur, en 1993, avec le passage aux vingt-cinq meilleures années, avait entraîné une dégradation de 6 % des pensions de retraite. Vous continuez dans cette voie et, évidemment, nous ne vous soutenons pas.

M. Bastien Lachaud. La section 4 accroîtra la précarité des indépendants. Ainsi, l’article 22 vise à appliquer, pour la cotisation minimale, un taux de 25,31 % contre 17,75 % actuellement à l’ensemble des artisans, commerçants et indépendants. Pour ceux qui ont les plus faibles revenus, cela entraînera une augmentation de leurs cotisations. Cela concernera 21 % des artisans et des commerçants, soit 230 000 personnes, et 10 % des professions libérales, soit 83 000 personnes ; au total, plus de 300 000 personnes verront leurs cotisations très fortement augmenter et, par conséquent, leur niveau de vie très fortement diminuer. Cela accroîtra les inégalités, car ces personnes déclarent moins de 1 PASS de revenus.

Mme Mathilde Panot. Puisque les mots de La France insoumise ne vous parlent pas, je citerai le Conseil d’État, qui a pointé les défauts graves du système de retraite à points : « Il pénalise en revanche les carrières complètes pendant lesquelles les assurés connaissent des années d’emploi difficiles, associées au versement des cotisations nettement moins élevées que sur le reste de leur carrière, dont la règle de prise en compte des vingt-cinq meilleures années, applicable au régime général et dans les régimes alignés, supprimait les effets pour le calcul de la pension de retraite. Enfin, il retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système. » Nous proposons donc de supprimer l’ensemble de ce texte afin d’en rediscuter parce que nous sommes opposés au principe même de la retraite à points.

M. Adrien Quatennens. Baisser le niveau des pensions et faire travailler les Français plus longtemps pour restreindre la part des richesses consacrée aux retraites et encourager la capitalisation, ce n’est pas un projet très enthousiasmant. Il fallait donc un habillage pour tenter de convaincre les Français : ce fut l’universalité. Le problème, c’est qu’après la publication de l’avis du Conseil d’État, tout le monde a compris que l’universalité n’était qu’un alibi. Il n’y a pas d’universalité ; il ne pouvait pas y en avoir venant de cette majorité, qui s’est chargée de casser le code du travail, cette fameuse règle commune qui s’appliquait à tous, pour faire autant de règles différentes qu’il y a d’entreprises. C’est donc bien un trompe-l’œil, un élément de langage qui est aujourd’hui tombé. La bataille de l’opinion est perdue parce que 61 % des Français sont opposés à la réforme : où en serions‑nous si les choses avaient été dites clairement ? Avec cet amendement, nous procédons donc à une forme de clarification.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vos amendements ont pour objet de rédiger ainsi l’intitulé de cette section : « Dispositions applicables aux travailleurs non-salariés visant à les précariser davantage ». J’en déduis que c’est le titre de votre contre‑projet !

Quand on paye de faibles cotisations sur de faibles assiettes, comme c’est le cas de nombreux libéraux, commerçants, artisans, agriculteurs, on a de faibles droits. Un effort contributif doit donc être fait, car on privilégie souvent le solde sur son compte à vue en fin de mois plutôt que la constitution de droits pour la retraite. S’il n’y a pas une forme d’obligation, on arrive à l’âge de la retraite avec des droits très faibles et donc des pensions très faibles, à l’origine de véritables situations de précarité. Nous voulons mettre en place des cotisations minimales avec un taux minimal. Cela peut demander un effort pour certaines professions mais, parallèlement, nous mettons en place des minima contributifs pour essayer de concilier des activités souvent difficiles, pas toujours très rémunératrices, et la constitution de droits. C’est un vrai progrès en matière de protection sociale parce que toutes les professions libérales n’ont pas de très hauts revenus.

Mme Catherine Fabre. Nous ne parlons pas assez aux artisans, aux commerçants et aux professions libérales, qui sont les grands gagnants du régime que nous voulons mettre en place. Nous proposons une simplification de l’assiette sociale ; c’est une revendication de très longue date de l’ensemble des indépendants. Cette assiette est pensée pour que cela soit neutre pour les artisans et les commerçants, qui ne débourseront pas 1 euro de plus et qui se créeront énormément de nouveaux droits à la retraite. Je souhaite leur adresser ce message, parce qu’ils n’en sont pas forcément conscients : cette réforme aidera beaucoup les artisans et les commerçants à se constituer une retraite. Pour l’ensemble des professions libérales, notamment médicales, il n’y aura pas de hausse des cotisations : ils vont donc y gagner. Disons bien à toutes ces populations que cette réforme est aussi faite pour eux !

M. Adrien Quatennens. Pour démontrer à quelque profession que ce soit qu’il y aura des gagnants, encore faut-il ne pas geler les âges d’équilibre dans les études d’impact, faute de quoi la démonstration serait artificielle. Mais admettons : si une grande majorité des Français est perdante, il y aura quelques gagnants, sans doute très anecdotiques, très temporaires aussi, de votre système de retraite par points.

Puisque notre collègue Fabre vient d’adresser un message aux artisans et aux commerçants, je veux en faire autant, au nom du groupe de La France insoumise : en tant qu’artisans et en tant que commerçants, vous avez intérêt à ce que les Français gagnent bien leur vie et à ce que les retraités de ce pays ne soient pas précarisés avec des pensions de misère ou obligés de cotiser dans des systèmes par capitalisation. Si vous voulez que vos affaires fonctionnent, il faut que les gens aient de bons revenus. Or le système de retraite que préparent M. Macron et sa majorité va appauvrir les retraités de ce pays. Comme artisans et commerçants, vous n’y avez donc pas intérêt.

M. Jean-Pierre Door. En ce qui concerne le corps médical, oui, les cotisations risquent d’être réduites – on a évoqué 15 % à 20 % de cotisations en moins par rapport à celles versées aujourd’hui. En revanche, les pensions seront considérablement réduites puisqu’elles passeraient d’un niveau moyen de 2 600 euros à 2 000 euros. Pour notre part, nous sommes partisans de constituer un socle commun universel jusqu’à 1 PASS et, au-dessus de ce seuil, de maintenir les régimes spécifiques avec leurs cotisations actuelles.

La commission rejette les amendements.

Section 4 : Dispositions applicables aux travailleurs non-salariés

Article 20 : Dispositions relatives aux cotisations des travailleurs nonsalariés

La commission est saisie des amendements identiques n° 7395 de M. Éric Coquerel, n° 7396 de M. Alexis Corbière, n° 7398 de M. Bastien Lachaud, n° 7402 de Mme Mathilde Panot, n° 7404 de M. Adrien Quatennens, n° 21103 de M. Boris Vallaud et n° 22462 de M. Pierre Dharréville.

M. Alexis Corbière. Il s’agit, toujours selon la même logique, de supprimer l’article 20.

Mme Mathilde Panot. Il s’agit de supprimer l’article 20. Selon vous, « avec cette règle d’équité, près de 75 % des travailleurs indépendants cotiseront au même niveau et, à revenus identiques, ouvriront les mêmes droits à retraite que les salariés ». Pourquoi cela ne concernerait-il pas l’ensemble des indépendants si cela vise à l’équité ? De plus, cette disposition encourage les travailleurs indépendants à recourir à la capitalisation. Enfin, pour les conjoints collaborateurs, qui sont souvent des femmes, le calcul des cotisations reste le même qu’aujourd’hui, de même que les pensions extrêmement faibles, ce qui a des conséquences défavorables pour l’indépendance des femmes.

M. Adrien Quatennens. Nous nous interrogeons sur le caractère inéquitable de cet article puisque tous les travailleurs indépendants ne sont pas concernés. Surtout, cette technique entérinera de nouveau la possibilité d’exonération de cotisations. Il est proposé que les travailleurs indépendants cotisent uniquement sur la part salariale des cotisations ; puisqu’ils cotisent moins, ils s’ouvriront moins de droits que les salariés ayant des revenus identiques. Les travailleurs indépendants auront donc tout à intérêt à recourir à la capitalisation pour compléter leurs revenus. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l’article 20.

M. Boris Vallaud. L’article 20 est intéressant parce qu’il remet en cause les éléments de langage du Gouvernement. Les travailleurs indépendants jusqu’à 1 PASS cotiseront jusqu’à 28,31 % ; entre 1 et 3 PASS, le taux sera de 12,94 %, c’est-à-dire 10,13 points qui ouvriront des droits et 2,81 points qui seront la part de solidarité – c’est dire déjà si ces dispositions s’écartent du régime universel !

On peut d’ailleurs prolonger ce constat : la part des cotisations créatrices de droits dans le total des cotisations est plus faible pour les indépendants entre 1 et 3 PASS que pour les salariés, puisque la part de solidarité est plus importante. Un euro cotisé ne créera pas les mêmes droits : pour quels motifs vous écartez-vous de cette règle que vous avez faite vôtre, notamment au regard des règles constitutionnelles ?

Dernier constat, nous avons entendu le secrétaire d’État valoriser un « bon taux de rendement à 5,5 % » : mais ce bon taux, c’est seulement sur la partie contributive ! Le vrai taux de rendement prend aussi en compte la partie non contributive. Et pour les indépendants entre 1 et 3 PASS, le taux de rendement est encore plus faible, loin des 5,5 % que vous affichez !

M. Pierre Dharréville. Cet article prévoit que les travailleurs indépendants cotiseront à un taux unique de 28,31 % jusqu’à un revenu égal au plafond annuel de la sécurité sociale. Pour certaines catégories d’indépendants, cela correspondra à un doublement des cotisations, sans y gagner en prestations. Cela soulève donc la question du taux de rendement : je sais que vous avez du mal à répondre à cette question qui vous déplaît. Cela témoigne de l’impréparation de ce projet, comme vous l’ont fait savoir certaines professions libérales mobilisées contre ce projet – ce dont vous n’avez pas réellement tenu compte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. L’article 20, sous réserve d’adaptations, applique les règles de cotisation du système universel de retraite à l’ensemble des travailleurs non salariés – indépendants, agriculteurs, libéraux. Les taux actuels sont très variés et s’appliquent à des assiettes très différentes. Ils auront vocation à rejoindre le taux d’objectif de 28,12 % au niveau du plafond de la sécurité sociale ; entre 1 et 3 PASS, ce sera le taux appliqué à la part salariée. En effet, tous ces indépendants sont à la fois leur propre employeur et leur propre employé : c’est une particularité dont nous avons voulu tenir compte en appliquant le taux du régime universel jusqu’à 1 PASS, et un taux réduit – celui de la part salariée uniquement – entre 1 et 3 PASS.

Madame Panot, vous avez parlé des conjointes collaboratrices : je vous rejoins sur ce point. Je défendrai moi-même un amendement sur ce sujet. En effet, elles cotisent peu, n’ont que très peu de droits à la retraite et se retrouvent de ce fait dans des situations parfois très compliquées.

Monsieur Quatennens, vous avez dit que tous les travailleurs indépendants n’étaient pas concernés : je n’ai pas compris le sens de votre interpellation ; je suppose que vous y reviendrez.

Monsieur Vallaud, vous avez indiqué qu’un euro cotisé n’ouvrirait pas les mêmes droits : c’est faux ! On cotise sur une assiette moindre mais chaque euro cotisé donne le même nombre de points. Le taux appliqué à l’assiette n’est pas le même mais un euro cotisé donne les mêmes droits.

Avis défavorable à ces amendements.

M. Adrien Quatennens. J’ai dit que cela ne concernait pas tous les travailleurs indépendants parce que c’est écrit dans votre projet de loi. On peut lire dans l’exposé des motifs de l’article 20 : « Avec cette règle d’équité, près de 75 % des travailleurs indépendants cotiseront au même niveau [...]. »

M. le secrétaire d’État. Un mot pour le député Jean-Pierre Door, qui s’interrogeait sur les médecins. J’ai reçu trois organisations représentantes des médecins : il n’y a pas de débat sur le fait qu’ils cotiseront moins dans le système futur et sur le maintien des dispositifs de prise en charge par l’assurance maladie des prestations complémentaires vieillesse. En outre, la comparaison des différents cas-types a démontré que la réforme se faisait toujours au bénéfice des médecins : proportionnellement, la baisse des pensions sera toujours moindre que la baisse des cotisations. Si, par ailleurs, ils souhaitent maintenir un haut taux de cotisation pour financer un régime complémentaire, il leur appartient d’y réfléchir.

Sur la différence de cotisations des indépendants jusqu’à 1 PASS et entre 1 et 3 PASS, il ne vous aura pas échappé que les professions libérales payent aussi bien la part salariale que la part employeur : ils supportent donc une double charge. Pour des raisons évidentes de viabilité économique, nous avons fait en sorte d’adapter le taux pour les professions libérales. Au-delà de 1 PASS, le taux correspond donc au taux salarial, comme pour les salariés. Et au-delà de 3 PASS, ils payent, comme les salariés, la cotisation de solidarité de 2,81 % sans limite. Nous définissons donc des règles communes mais, et c’est bien normal, nous les adaptons à la réalité économique de ces professions libérales, adaptation que vous appeliez vous-mêmes de vos vœux lorsque nous avons débattu de la situation des avocats. La cohérence intellectuelle que vous appelez de vos vœux devrait donc vous amener à vous rallier à cette position.

M. Boris Vallaud. Je constate que personne n’a contredit le fait que le bon taux de rendement à 5,5 % n’est pas le taux de rendement dont bénéficieront les indépendants.

M. le secrétaire d’État. Il n’y a rien de mystérieux en la matière : le taux de rendement a été calculé sur la base des cotisations contributives, soit 5,5 %. La part non contributive participe à la solidarité nationale – j’espère que cette dimension ne vous avait pas échappé. Il est souhaitable que l’ensemble de nos concitoyens contribuent à la solidarité. Si tel n’était pas le cas, cela signifierait que l’on ne se considère pas comme un citoyen qui participe au vivre ensemble : je ne suis pas sûr que tel soit votre état d’esprit mais j’ai peur que votre façon d’approcher les chiffres ne le laisse penser. Si vous vouliez procéder ainsi, le taux de rendement serait légèrement inférieur d’environ 10 %.

La commission rejette les amendements.

(Suspension de séance)

La commission est saisie des amendements identiques n° 6778 de Mme Mathilde Panot et n° 6785 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Je me réjouis de constater que le rapporteur rejoint ce que je disais sur les conjointes collaboratrices. Je ne sais pas si un amendement d’appel suffira pour régler cette question. J’aimerais connaître l’avis du secrétaire d’État sur ce sujet.

Par ailleurs, certaines questions sont restées sans réponse. Ainsi, aucun des artisans et commerçants n’a intérêt à ce que ce pays comprenne un taux de retraités sous le seuil de pauvreté de 15 % ou 20 %, comme c’est le cas dans les régimes à points et ouvrant à la capitalisation. En effet, si les retraités n’ont pas un niveau de vie digne, cela se répercutera très fortement sur leur activité. De plus, il y a un problème de logique dans l’universalité : à partir de trois plafonds de sécurité sociale, la cotisation ne sera plus la même.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est important d’intégrer l’ensemble de nos concitoyens, notamment les travailleurs non salariés. Beaucoup d’entre eux ne touchent que de très petites retraites : en leur permettant de se constituer davantage de droits, nous tentons à terme de résoudre ce problème et, à court terme, de mettre en œuvre le minimum contributif.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Le secrétaire d’État a consenti à dire que 5,5 % n’était pas le vrai taux de rendement et qu’il serait inférieur de 10 %, soit environ 5 %. S’agissant des indépendants entre 1 et 3 PASS, il est même en dessous de 5 % : j’aimerais en connaître le taux. Enfin, j’aimerais qu’il me soit confirmé que ce taux pourrait être encore plus faible avec la nécessité de maintenir l’équilibre financier du système.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 6874 de Mme Mathilde Panot et n° 6881 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Nous continuons à dire que le régime que vous proposez aux travailleurs non salariés ouvrira à la capitalisation, ne respectant pas les règles d’égalité dont vous vous prévalez. Je repose la question sur les conjointes collaboratrices : que va-t-il se passer puisque rien ne va changer pour elles ? Leurs pensions resteront toujours extrêmement faibles, alors que vous prétendez que les femmes seront les gagnantes de cette réforme. J’aimerais savoir ce que vous allez faire sur cette question, hors l’amendement que le rapporteur nous a indiqué vouloir déposer.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Vallaud, le taux de rendement est bien à 5,5 % sur la partie contributive, que l’on soit en dessous ou au-dessus du plafond. Le taux de 5,5 % est calculé en se fondant sur l’espérance de vie : quel que soit votre nombre de points, le taux est de 5,5 % sur la partie contributive, celle qui crée des droits, donc sans tenir compte du taux de solidarité de 2,81 %.

Je vous assure, madame Panot, que le sujet des conjoints collaborateurs me tient à cœur. Je l’avais abordé sous l’angle agricole parce que je vois dans quelle précarité peut mener ce statut. Nous en reparlerons après l’article 20 ; il y aura sûrement un long débat sur ce sujet complexe.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 6891 de Mme Mathilde Panot et n° 6898 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. L’article 20 concerne les travailleurs indépendants, notamment les exploitants agricoles. Sauf erreur de ma part, les agriculteurs qui partiront à la retraite avant 2022 ne seront pas concernés. Comment seront revalorisées leurs retraites, que l’on sait très faibles ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je sais, madame Taurine, que vous êtes, comme moi, très sensible à la condition des agriculteurs. À ce stade, le projet de réforme concerne des futurs retraités. Théoriquement, si l’on avait déroulé la logique de cette réforme jusqu’au bout, cela aurait concerné les assurés partant à la retraite à partir de 2037. Nous avons voulu marquer notre intérêt pour la situation des agriculteurs partant à la retraite à partir du 1er janvier 2022 : je suis dans l’obligation de reconnaître que ceux qui sont déjà en retraite ou qui partiront avant cette date ne sont pas concernés.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 6908 de Mme Mathilde Panot et n° 6915 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Je reviens sur la question de l’ouverture à la capitalisation. Il est proposé que les travailleurs indépendants cotisent à hauteur de la seule part salariale ; puisqu’ils cotisent moins, les travailleurs indépendants s’ouvriront moins de droits que les salariés ayant des revenus identiques. Cette disposition encouragera donc les travailleurs indépendants à recourir à la capitalisation ; cela est directement en lien avec l’article 65 du projet de loi, qui annonce clairement la couleur. Le secteur de l’assurance est appelé à se mobiliser afin que ce dispositif se généralise et que l’économie française bénéficie ainsi du dynamisme de l’épargne retraite généré par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », qui prévoyait justement une plus grande défiscalisation des produits d’épargne retraite. Malgré tout ce que vous dites sur votre attachement au système par répartition, nous allons vers une ouverture à la capitalisation et, par conséquent, à un régime par capitalisation.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Avis défavorable.

Je rappelle à notre collègue Mathilde Panot que nous avons justement eu ce débat hier soir. Nous avons d’ailleurs signifié que nous retirions l’article 65 – encore faut-il y arriver ! Nous déposerons un amendement avec Paul Christophe visant à la suppression de l’article 65. Je tiens à rappeler notre surprise de voir le groupe de La France insoumise, si attaché à la répartition, défendre coûte que coûte le système par capitalisation de la Banque de France : il serait bon d’avoir une cohérence d’ensemble !

M. Pierre Dharréville. Je comprends que vous vouliez retirer l’article 65, car il se voit comme le nez au milieu de la figure ! C’est un véritable révélateur d’une partie de votre projet. Que vous le retiriez par un amendement en dernière minute n’enlève rien à la réalité des intentions qu’il affichait. Peut-être même y reviendrez-vous par la suite. Tout cela demeure sur la table, et vous ne supprimez pas le problème en supprimant l’article 65.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques n° 6925 de Mme Mathilde Panot et n° 6932 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Vous annoncez le retrait de l’article 65 par un amendement qui sera défendu à la fin, mais la question reste entière pour les dispositions qui ont été votées dans la loi « PACTE », qui comporte déjà une ouverture vers la capitalisation. Plus largement, la manière dont vous avez conçu ce système, avec les plafonds de la sécurité sociale, pousse déjà à la capitalisation ; c’est le cas pour les cadres gagnant de hauts revenus. Puis viendra la généralisation de la capitalisation. Quant au système de retraite de la Banque de France, puisque nous sommes opposés au recours aux ordonnances – ce n’est pas une surprise – nous sommes opposés à ce que des dispositions le concernant soient prises par ordonnances, qui dessaisissent le Parlement.

Mme Bénédicte Taurine. En détaillant les régimes spéciaux profession par profession, nous avons démontré hier que nous voulions remettre en question ce projet de loi et, par conséquent, reprendre pour chaque profession le régime de retraite qui conviendrait selon nous. Par conséquent, il n’y a pas de problème de cohérence.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tous les amendements qui viennent d’être défendus traduisent une conviction politique que nous ne partageons pas : avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 12804 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Je constate – hélas ! – que le nombre des amendements de La France insoumise ravale les nôtres au rang d’amendements d’appel. Celui-ci vise à prévoir une dégressivité des cotisations entre 1 et 2 PASS, afin de tenir compte de l’impact de celles‑ci sur les professions libérales, notamment les avocats. Nous devons avoir une réflexion sur les cotisations et appliquer un abattement sur ces cotisations pour les premières tranches.

J’ai déposé un amendement après l’article 20 afin d’obtenir un rapport sur tous ces sujets. Les professions libérales évoluent, des structures se mettent en place ; nous devons avoir une réflexion de fond sur leur statut. Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas dans vingt ans ; il y a vingt ans, les professions n’étaient pas du tout organisées de la même manière.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis défavorable à l’amendement mais très favorable à l’idée d’un rapport pour étudier les évolutions, notamment sociétaires, dans l’organisation de ces métiers.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle discute des amendements identiques n° 2996 de M. Stéphane Viry, n° 6959 de Mme Mathilde Panot et n° 6966 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Jean-Pierre Door. Notre groupe ne rejette pas le système de retraite universel, qui peut être logique. Nous proposons toutefois une architecture totalement différente, à deux étages, avec un régime universel couvrant de 0 à 1 PASS, des régimes complémentaires au‑dessus pour les travailleurs non salariés, pour les salariés avec l’AGIRC-ARRCO, et pour les salariés de la fonction publique ainsi que des régimes spécifiques pour certaines professions. Tout à l’heure, M. le secrétaire d’État a évoqué la possibilité, au-dessus de 3 PASS, d’ouvrir à des régimes complémentaires : c’est une forme de capitalisation. Nous, nous souhaitons nous arrêter à 1 PASS.

Mme Mathilde Panot. L’étude d’impact ne mentionne pas les indépendants de façon suffisamment claire. Comme le souligne Le Monde, « Les types de carrières sont variés : salariés du privé et du public, bas et hauts revenus, personnes avec et sans enfant, trajectoires linéaires et ascendantes (avec une forte hausse de revenus entre le début et la fin de carrière). Ces cas types n’ont pas de valeur représentative de la population française : certaines catégories d’actifs ne sont d’ailleurs pas étudiées, comme les travailleurs indépendants. » Il est difficile de savoir pour quoi nous votons puisque l’étude d’impact n’est absolument pas claire ni représentative de ce que vivront les centaines de milliers d’indépendants dans notre pays.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces amendements défendus par les Républicains et La France insoumise sont certes identiques, mais ils ont des finalités différentes. Les Républicains sont en phase avec les arguments qu’ils ont déposés depuis le début du texte ; ils ont une vraie cohérence. La France insoumise a une autre cohérence, qui consiste à supprimer alinéa après alinéa. J’ai proposé que l’on dépose un amendement agrégeant tous les alinéas, de façon à n’en avoir qu’un seul par article, mais apparemment cela n’est pas possible !

De mon point de vue, la notion de cas-type est une construction intellectuelle qui n’est pas la bonne. C’est un peu comme si chacun faisait de son propre parcours un cas-type et l’appliquait dans le futur régime pour savoir s’il serait gagnant ou perdant. Or le but est que tout le monde ait les mêmes règles de base à l’avenir : on ne refait pas le jeu avec sa propre histoire. Je suis défavorable à cette approche par cas-type passé et défavorable aux amendements de suppression.

M. Adrien Quatennens. À propos de cas-types, on pourrait parler de ceux que le Gouvernement a présentés aux Français et à la représentation nationale ! Ces cas-types, dans lesquels on doit pouvoir se projeter, sont des situations extrêmement favorables : la carrière commence systématiquement à 22 ans ; chacun valide quatre trimestres par an ; les rémunérations sont enviables pour beaucoup de salariés ; surtout, l’âge d’équilibre est gelé à 65 ans. Vos cas-types sont en réalité largement biaisés. Les Français attendent les simulateurs individuels qui leur permettent vraiment de calculer ce qu’ils vont gagner à la retraite. Mais, en réalité, vous ne pouvez pas répondre à cette question puisque vous allez baisser le niveau des pensions à mesure que le temps va passer, par le décalage de l’âge d’équilibre. Vous ne pouvez pas vous engager sur un taux de remplacement, un niveau de vie ni même un âge de départ.

M. Gérard Cherpion. Je regrette que le rapporteur n’ait répondu qu’à un groupe politique. L’amendement de M. Mattei et celui de M. Viry ont le même objectif. C’est un signe fort que nous plaidons tous pour un socle de définition, même si nous divergeons sur les modalités d’application. Nous sommes d’accord sur les trois catégories : le privé, le public et les travailleurs indépendants. Notre système est plus cohérent. C’est pourquoi je soutiens l’amendement de M. Viry.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22596 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

M. Thierry Benoit. L’article 20 prévoit que les travailleurs indépendants cotisent au même niveau que les salariés et leurs employeurs, jusqu’à un revenu égal à celui du plafond annuel de la sécurité sociale – environ 40 000 euros. Ensuite, entre 1 et 3 PASS, ils cotisent uniquement sur la part salariale. L’amendement propose d’abaisser le niveau supérieur de revenus à 1,5 PASS, et non plus 3.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Door, monsieur Mattei, monsieur Cherpion, votre idée m’interpelle. En tant qu’agriculteur, je me suis posé la question. Dans le système actuel, même quand on réalise de bons résultats, le plafond limite notre possibilité d’acquérir des droits. Il faut certes tenir compte de la spécificité de ces professions libérales, à la fois employeurs et employés. Mais, si elles réalisent des résultats conséquents – ce qui peut arriver –, pourquoi ne cotiseraient-elles pas sur la même base ? Je n’ai pas encore tranché, c’est pourquoi je suis plutôt défavorable à votre amendement. Mais je vous propose d’engager ensemble la réflexion d’ici à la séance.

M. Thierry Benoit. J’entends la réponse du rapporteur. Il est « interpellé » et fait preuve d’ouverture. Beaucoup de nos collègues sont conscients du caractère aléatoire de l’activité, et donc des revenus, de certains indépendants. Nous souhaitons que ce soit pris en compte. Je propose de retirer l’amendement et de faire progresser la cause des indépendants avec les groupes qui le souhaitent, dans une rédaction qui agréerait le rapporteur et le Gouvernement. Soyons œcuméniques !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est tellement rare !

L’amendement est retiré.

M. Jean-Pierre Door. L’amendement défendu par M. Benoit est proche du mien. J’avais rencontré M. Delevoye sur le sujet et aucun argument ne permet d’expliquer pourquoi on est allé jusqu’à 3 PASS pour les indépendants et libéraux... Nous devons réexaminer ce point, et souhaiterions que le plafond soit fixé à 1 PASS.

M. Pierre Dharréville. Ces structures économiques particulières nécessitent certains ajustements. Différents groupes le disent et c’est une nouvelle fois la démonstration de l’ineptie du nouveau système. Votre « machin » ne marche pas ! Dès que nous abordons un cas particulier, nous nous en rendons compte. Vous multipliez les dérogations pour ensuite expliquer que le système est formidable puisqu’il prend en compte chaque spécificité !

La commission en vient aux amendements identiques n° 6970 de M. Alexis Corbière, n° 6976 de Mme Mathilde Panot, n° 6978 de M. Adrien Quatennens et n° 6983 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Alexis Corbière. Nous l’avons déjà dit et je le répète pour les indépendants, s’ils cotisent moins, ils auront moins de droits. C’est un encouragement à trouver d’autres solutions, et cela favorise donc la capitalisation. Nous y sommes totalement opposés. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 8.

Mme Mathilde Panot. La capitalisation, on ne la retrouve malheureusement pas seulement à l’article 65 du projet de loi. Elle était déjà présente dans la loi « PACTE », elle l’est aussi à l’article 13, à l’article 15 et au présent article. Pourquoi n’en voulons-nous pas ? Parce que la moindre brèche conduira à sa généralisation et que nombre de nos concitoyens n’auront plus des niveaux de pension dignes. En outre, en cas de crise financière, l’argent des Français, placé dans des fonds de pension, va s’envoler.

Hier et ce week-end, certains dans la majorité raillaient le lien que nous faisions entre le projet de loi et l’écologie. Ce matin, des militants écologistes viennent d’envahir le siège de BlackRock, actionnaire de Bayer, de Monsanto, de Vinci ou de Total. Regardez ce qui se passe en Australie : les fonds de pension détruisent nos possibilités de vivre dignement !

M. Adrien Quatennens. Cet article constitue un encouragement à la capitalisation. Vous vous en défendez régulièrement, prétendant que le projet de loi a vocation à sauver le système par répartition. Certes, votre système par points reste un régime par répartition, car les actifs continueront bien à payer les pensions des retraités, mais il encourage le développement de la capitalisation par deux moyens : le fameux âge d’équilibre, qui nécessitera d’avoir capitalisé pour avoir un bon niveau de pension à l’âge légal de départ à la retraite, et le plafonnement pour les hauts revenus. Votre réforme n’est que l’étape intermédiaire nécessaire avant de basculer définitivement et complètement dans la capitalisation !

Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le rapporteur, je suis d’accord avec vous, les pensions des agriculteurs actuellement à la retraite sont nettement insuffisantes. Vous indiquez qu’il serait bon d’y travailler ultérieurement. J’estime, au contraire, que, plutôt que de proposer votre réforme, vous auriez dû d’abord vous occuper de ces personnes en grande difficulté.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Ces amendements sont l’illustration même de la méthode de travail de La France insoumise. On supprime !

Mme Panot a parlé des enjeux climatiques, importants, et Mme Taurine, des agriculteurs. Je connais son attachement à ce sujet. L’alinéa 8, dont vous demandez la suppression, est précisément celui qui crée la cotisation de solidarité de 2,81 % sur les revenus des indépendants ! Contrairement à vous, qui ne faites que parler, nous essayons d’agir et de créer de la solidarité : je vous rappelle que le taux n’est que de 2,30 % actuellement. Demain, cette solidarité permettra aux futurs retraités de l’agriculture de vivre mieux puisque la cotisation en question va financer le minimum contributif. C’est déjà un progrès ! Bien sûr, on peut toujours, comme vous, voir le verre à moitié vide !

M. Bruno Fuchs. On entend des arguments démagogues, parfois incohérents, parfois cyniques et souvent méprisants. S’agissant des fonds de pension, je vous rappelle que la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique (PREFON) en est un, qui a été créé le 8 mai 1964 à l’initiative de quatre syndicats, et qui est cogéré par les partenaires sociaux. La Retraite additionnelle de la fonction publique en est un autre. Obligatoire, ce fonds perçoit 1,75 milliard d’euros par an et draine environ 26 milliards de fonds cogérés par les partenaires sociaux. Personne ne s’en plaint ! Vous le voyez, un système universel par répartition fort et solide peut parfaitement coexister avec des fonds de pension permettant aux personnels concernés de percevoir des retraites additionnelles de bon niveau. Vous n’en avez d’ailleurs jamais demandé la suppression. Soyez cohérents ! Si les fonds de pension sont néfastes, demandez la suppression de ces deux fonds !

Mme Bénédicte Taurine. Il ne me semble pas avoir été méprisante envers les agriculteurs lorsque j’ai fait observer que leurs revenus sont actuellement insuffisants. Nous en avons largement discuté avec le rapporteur : il sait que le problème n’est pas tant leur niveau de retraite que celui de leur revenu. Les projets de loi dont nous avons précédemment débattu auraient pu être l’occasion d’améliorer ce revenu – en validant le principe de prix planchers par exemple. À l’occasion de l’examen du présent article, qui les concerne, je saisis l’occasion pour soulever à nouveau le problème, c’est tout.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 6987 de M. Alexis Corbière, n° 6993 de Mme Mathilde Panot, n° 6995 de M. Adrien Quatennens et n° 7000 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Alexis Corbière. Monsieur Fuchs, je ne m’amuserai pas à vous renvoyer les messages d’amitié que vous nous avez transmis... Nous ne nions pas l’existence de la PREFON ou d’autres dispositifs identiques. Mais pourquoi existent-ils ? Ils compensent les faibles rémunérations de nos fonctionnaires, le gel de leur point d’indice, etc. Ils permettent une légère amélioration de leur sort, mais ils créent des inégalités, d’autant qu’il s’agit de stratégies individuelles d’épargne. C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à leur développement. Nous souhaiterions, au contraire, réintégrer tous ces dispositifs dans un système de retraite commun. On pourrait alors parler d’un système universel ! Vous le voyez, nous sommes cohérents : nous voulons mettre fin au gel du point d’indice des fonctionnaires, augmenter leur rémunération et leur permettre de disposer d’une retraite sans avoir à mettre en œuvre des stratégies d’épargne individuelles.

Mme Mathilde Panot. Nous débattons là d’une rupture majeure de notre pacte social. Quel sera le paysage post-réforme dans vingt à cinquante ans, dans un contexte d’urgence écologique ? Je reviens aux fonds de pension. Tout le monde a malheureusement pu observer de près ce qui se passe en Australie. Les méga-feux qui s’y propagent depuis trois mois ont mis en lumière un manque cruel d’eau. Pourtant, un fonds de pension canadien a trouvé le moyen d’acheter l’eau australienne, qu’il revend à prix élevé à des fermes australiennes qui font pousser des orchidées, ensuite envoyées aux quatre coins du monde en avion ! Est-ce l’avenir que nous réservons aux générations futures ? Doit-on s’accommoder d’un monde où les fonds de pension continuent de mettre la main sur des ressources aussi essentielles à la vie ?

M. Adrien Quatennens. Monsieur Fuchs, il faudrait plutôt s’interroger sur ce que viennent compléter ces régimes complémentaires par capitalisation : un système par répartition déjà insuffisant. On ne peut donc pas s’en réjouir et votre projet de loi va aggraver la situation ! D’après vous, quel secteur économique se réjouit de l’adoption de ce projet de loi ? Il n’y en a qu’un et il le fait avec beaucoup d’ostentation, c’est celui des fonds de pension, des assurances et des banques ! De savoir 330 milliards d’euros gérés par des syndicats de travailleurs, c’est insupportable pour eux ! Depuis des décennies, ils cherchent à récupérer une partie de ces fonds et, incontestablement, même si vous ne transformez pas notre système en un régime par capitalisation, vous transférez une part du pactole vers la capitalisation. D’ailleurs, ils vous disent déjà merci !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Taurine, je me suis probablement mal exprimé et m’en excuse. Je connais votre souci des questions agricoles et des agriculteurs de votre circonscription. Je vous l’accorde, le projet de loi interfère avec de nombreuses politiques publiques et la pension n’est que le reflet, parfois déformé, des conditions dans lesquelles s’est déroulée la carrière : c’est vrai pour le niveau de revenu des agriculteurs, pour celui des commerçants, pour les inégalités hommes-femmes. En général, les faibles pensions sont effectivement le reflet de faibles revenus ou celui de faibles cotisations – puisqu’il existait des dispositions particulières. Notre projet s’inscrit dans un ensemble de politiques publiques visant à résoudre les problèmes, y compris ceux en lien avec l’urgence écologique. Nous ne nions pas l’importance de tous ces sujets, mais le projet de loi qui nous occupe concerne les retraites et la mise en place d’un système universel.

Je suis donc défavorable à vos amendements.

M. Gérard Cherpion. L’article 20 est relatif aux travailleurs non salariés et nous discutons de la PREFON... C’est un système tout à fait intéressant, mais il ne concerne pas les travailleurs non salariés ! À l’inverse, nous n’avons toujours pas la réponse de M. le secrétaire d’État sur les propositions de MM. Mattei, Viry et Benoît concernant ces derniers. Le rapporteur est « interpellé », il nous l’a dit. Qu’en est-il de M. Pietraszewski ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 667 de M. Stéphane Viry.

M. Jean-Pierre Door. Le taux de cotisation des salariés est de 25,31 % jusqu’à 3 PASS, auquel s’ajoute une cotisation de solidarité de 2,81 %, déplafonnée. Cette dernière n’apportant pas de droits, les travailleurs indépendants sont pénalisés par rapport aux salariés. L’amendement vise donc à ce que, jusqu’à 3 PASS, les travailleurs indépendants paient une cotisation de solidarité sur leurs revenus égale à la part de cotisation – 40 % – applicable aux salariés, soit 1,124 % au lieu des 2,81 % prévus.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vous avoue qu’il m’a fallu lire plusieurs fois l’amendement pour en comprendre l’objectif... La cotisation de solidarité représentant 10 % du taux de cotisation de 28,12 %, pour les indépendants, vous souhaitez qu’au-delà du plafond, étant donné qu’ils ne payent que la part salariale, la cotisation de solidarité soit calculée sur cette assiette. J’y suis défavorable, car il s’agirait d’une rupture d’égalité. Le taux de la cotisation de solidarité est le même, quelles que soient les rémunérations. En outre, le taux global de cotisation et le taux de la cotisation de solidarité ne sont pas liés, contrairement aux apparences. Si, demain, le premier venait à augmenter, le projet de loi ne prévoit pas que le second soit modifié.

M. Gérard Cherpion. Nous l’avons déjà souligné, les professions libérales ont une double casquette, à la fois employeur et salarié. L’amendement vise à retrouver un équilibre entre ces deux casquettes, afin que les indépendants ne soient pas taxés au maximum.

M. le secrétaire d’État. Nous sommes conscients qu’il ne faut pas fragiliser la viabilité économique de ces structures et nous y sommes très vigilants : c’est pourquoi le taux sera différent au-delà de 1 PASS puisqu’il n’inclura plus que la part salariale de la cotisation vieillesse.

M. Door, vous souhaiteriez que les indépendants ne paient qu’une portion de la cotisation de solidarité. Mais, le rapporteur l’a également rappelé, cette cotisation est à taux unique, car elle est l’expression de la solidarité nationale. Elle n’est pas calculée en proportion d’une autre cotisation, comme vous sembliez le penser. Un tel dispositif serait d’ailleurs probablement inconstitutionnel.

Pourquoi avoir choisi 3 PASS, et non 1 PASS comme le plaident Les Républicains ? Nous souhaitons que les indépendants partagent la même vision du bien commun que les autres professions. Votre position politique – je dirai même programmatique – est claire : vous estimez qu’au-delà de 1 PASS, on ne devrait plus être dans le régime de base, mais laisser les professions s’organiser ou faire perdurer ce qui existe.

Ce n’est pas notre lecture. Nous ne sommes pas opposés à ce que les professions s’organisent et ne voulons mettre en difficulté personne, mais nous estimons que la transformation du système de retraite est nécessaire du fait de l’évolution sociétale et de la transformation du marché de l’emploi dans notre pays. Ainsi, aujourd’hui, un médecin peut alternativement ou concomitamment être salarié et libéral. Olivier Véran pourra vous le confirmer, et il n’est pas un cas unique ! Les parcours professionnels peuvent changer pendant quarante-deux ou quarante-trois ans.

Nous devons répondre à ces évolutions et le système par points le permet : quel que soit son statut, un actif se verra appliquer les mêmes règles. Ce système sera donc plus lisible et plus cohérent que les régimes actuels.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 9044 de M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, nous ne sommes absolument pas d’accord avec vous. Vous touchez à des régimes spécifiques, qui n’ont rien demandé à personne et qui sont autonomes depuis des années. Ils disposent de réserves importantes de trésorerie et sont capables de payer les pensions de leurs mandants. Ils sont déjà solidaires « intraprofessionnellement », mais également avec la Nation puisqu’ils versent une contribution parfois plus de quatre fois supérieure à celle des autres salariés ! Ils sont donc autonomes mais responsables.

L’amendement est similaire au précédent : la cotisation de solidarité n’apportant aucun droit supplémentaire aux travailleurs indépendants, nous souhaitons qu’ils soient traités équitablement par rapport aux salariés. Sinon, il s’agira d’un impôt supplémentaire...

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Exceptionnellement, je vais contredire le secrétaire d’État, qui estime qu’Olivier Véran n’est pas un cas unique. Je ne suis pas d’accord ; il est unique, d’autant qu’il sera l’unique rapporteur du projet de loi organique, si nous arrivons à l’examiner !

Des régimes qui n’ont rien demandé, je l’entends ; des régimes bien gérés, assurément. Mais soyons objectifs, la première raison de leur bonne gestion est liée à la démographie des professions concernées, qui n’est pas déclinante. Ce ne sera peut-être pas le cas demain, car les métiers changent et la révolution numérique va probablement entraîner l’évolution rapide de nombreux métiers.

Enfin, la solidarité intraprofessionnelle que vous avez évoquée sera toujours possible. Quant à la solidarité extraprofessionnelle par la compensation démographique, nous en avons parlé hier – mais peut-être n’étiez-vous pas là. Le Conseil d’orientation des retraites l’a rappelé lors de son audition, elle est extrêmement complexe à mettre en œuvre et ponctionne beaucoup les régimes dont la démographie est positive tout en apportant très peu à ceux dont les pensionnés sont plus nombreux que les cotisants.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement n° 3508 de M. Stéphane Viry.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7021 de M. Alexis Corbière, n° 7027 de Mme Mathilde Panot, n° 7029 de M. Adrien Quatennens et n° 7034 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Alexis Corbière. La logique est toujours la même : nous refusons la réforme.

Mme Mathilde Panot. L’inscription dans la loi des 3 PASS pour les indépendants nous semble problématique : nous ne partageons pas votre analyse. En outre, cela va pousser des commerçants et des indépendants vers le système par capitalisation, que nous jugeons nuisible.

M. Adrien Quatennens. Le déficit est un de vos arguments pour expliquer la nécessité d’une réforme. Mais le déficit annuel des régimes représente à peine 1 % du montant total des retraites versées en 2018, soit l’équivalent d’un découvert mensuel de 15 euros pour un salaire de 1 500 euros. Il n’y a pas de quoi crier « faillite » !

Pour autant, nous ne défendons pas le statu quo. En effet, fin 2016, 31 % des retraités – 38 % des femmes et 23 % des hommes – percevaient une pension totale inférieure ou égale à 1 000 euros brut par mois, et 15 % des retraités avec une carrière complète se trouvaient dans cette situation. Votre projet de loi va aggraver la situation de nombreux salariés, qui ne seront plus capables de remplir les conditions d’une carrière complète pour obtenir les 1 000 euros que vous leur promettez !

Depuis ce matin, nous discutons de la suppression de différents régimes mais, en réalité, vous peinez à répondre à la question fondamentale que se posent les Français : à quel âge vais-je pouvoir partir et avec quel niveau de pension ? Pouvez-vous prendre des engagements, notamment concernant les taux de remplacement ?

Mme Bénédicte Taurine. Nous sommes opposés à ce plafond de 3 PASS. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Quatennens, effectivement, 1 % de 1 500 euros fait bien 15 euros. Mais, à ce niveau de revenu, les témoignages sont récurrents dans les médias : 10 euros comptent. En outre, 1 % de 320 milliards représentent tout de même 3 milliards d’euros, qui pourraient utilement financer de nombreuses politiques publiques !

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Nous n’allons pas débattre de milliards, monsieur le rapporteur, car nous pourrions y passer beaucoup de temps. En outre, ce déficit est le fruit d’une construction politique d’exonération de cotisations. Je vais me contenter d’évoquer un régime spécial dont nous n’avons pas parlé ce matin : celui des retraites chapeaux. Avez-vous une idée du volume des encours bancaires de ces retraites ? Elles représentent 42 milliards, et vous mégotez pour un déficit de 8 à 17 potentiels milliards d’ici à 2025 ! Il y aurait là quelques points de produit intérieur brut à récupérer, malencontreusement passés des poches du travail à celles du capital. Cela permettrait de financer un système de retraite dans lequel les Français pourraient partir à un âge décent, avec un niveau de pension digne.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 3679 de M. Stéphane Viry.

M. Jean-Pierre Door. Notre amendement a toujours le même objectif. L’architecture que nous proposons reposerait sur deux étages : un régime universel jusqu’à 1 PASS, puis des régimes complémentaires pour chacune des trois grandes catégories d’actifs, les salariés continuant à bénéficier de l’AGIRC-ARRCO et les non-salariés de leurs caisses complémentaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne peux que saluer votre persévérance et votre cohérence. Mais ma réponse sera cohérente avec les précédentes : avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques n° 7044 de Mme Mathilde Panot, n° 7046 de M. Adrien Quatennens et n° 7051 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Après l’alinéa 10, l’amendement n° 7044 vise à insérer un alinéa réintroduisant dans ce projet de loi les quatre critères de pénibilité que votre Gouvernement et votre majorité ont décidé de supprimer dès le début de la législature.

Mme Bénédicte Taurine. Nous souhaitons que soit prise en considération la pénibilité à laquelle sont soumis certains professionnels. L’amendement tend à ajouter un paragraphe en ce sens.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Vous nous reprochez d’avoir supprimé quatre critères de pénibilité. Nous voulons des mesures permettant de prendre en charge la pénibilité qui soient applicables, ce que n’étaient pas les dispositions en question. En outre, nous souhaitons étendre le bénéfice du compte professionnel de prévention (C2P) à la fonction publique. Plus généralement, je vous invite à aborder la question dans le cadre du titre II.

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. Effectivement, que vous ayez supprimé quatre critères de reconnaissance de la pénibilité n’encourage pas la confiance des Français s’agissant de ces vœux pieux de prendre en compte celle-ci dans le système de retraite prétendument universel. Quant à nous, nous aspirons à étendre la reconnaissance de la pénibilité à des secteurs dans lesquels elle n’existe absolument pas, notamment s’agissant du port de charges lourdes. C’est le cas des infirmières, par exemple, à commencer par celles qui travaillent dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes : faire la toilette de personnes extrêmement dépendantes peut être assimilé au port de charges lourdes. De tels éléments pourraient tout à fait être comptabilisés. N’essayez pas de faire croire aux gens qu’on est capable d’avoir un niveau de détails extrêmement précis sur leur activité, mais que, bizarrement, on aurait des difficultés à mesurer la pénibilité sur la base de critères clairement établis. Notre rôle de parlementaires, je le répète, est d’étendre la reconnaissance de la pénibilité par l’attribution de trimestres à des professions qui n’en bénéficient pas actuellement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. On a tout dit sur le sujet.

Avis défavorable.

M. le secrétaire d’État. La pénibilité fait partie des questions qui ont été abordées lors des nombreux échanges que nous avons eus avec les représentants des travailleurs indépendants et des professions libérales, notamment l’Union des entreprises de proximité. Le projet de loi ne prévoit pas en tant que tel l’accès au compte professionnel de prévention, mais il ouvre la porte et, je le répète, cela fait partie des sujets de discussion. La profession nous a adressé des demandes en ce sens – assez récemment, je le souligne. Nous pourrions engager la réflexion sur la réparation au titre de l’incapacité permanente. Comme vous le savez, les éléments posturaux sont pris en compte dans le tableau des maladies professionnelles. Il y a encore du travail à faire sur la question, notamment pour identifier les ressources, en termes de cotisations, pour les uns et pour les autres.

M. Hervé Saulignac. Monsieur le rapporteur, vous critiquez assez souvent ce que vous considériez comme étant une lourdeur du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), et vous faites assez régulièrement référence à votre expérience personnelle en disant combien, dans votre profession, son application était complexe. Mais vous auriez pu réformer le C3P, alléger la procédure, modifier les dispositions pour le rendre opérationnel. Or, au prétexte de cette lourdeur, vous avez en quelque sorte jeté le bébé avec l’eau du bain, puisque vous avez purement et simplement supprimé les critères de pénibilité. Comprenez que, dans ces conditions, on soit pour le moins interrogatif, pour ne pas dire suspicieux, quant à votre intention de réintroduire des critères. On voit très bien que vous avez besoin de rassurer l’opinion en lui disant que votre souhait est de tenir compte de la pénibilité. Quant à nous, nous croyons que votre intention est absolument inverse.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques no 7055 de M. Alexis Corbière, no 7061 de Mme Mathilde Panot, no 7063 de M. Adrien Quatennens et no 7068 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Au-delà de l’ouverture du quinquennat par la suppression de quatre critères de pénibilité par le Gouvernement, c’est le principe même de votre démarche, notamment à travers le système des points, qui nous pose problème : la question de la pénibilité est ainsi individualisée, alors qu’il faudrait envisager les critères de pénibilité de manière collective et en étendre la prise en compte, comme le disait mon collègue Adrien Quatennens. Si l’on en reste à un système qui confie aux entreprises l’évaluation de la pénibilité dans le cadre du C2P, c’est inefficace : il faut, au contraire, une gestion collective de la question, fondée sur des critères communs à plusieurs professions – les charges lourdes concernent aussi bien les infirmières que bien d’autres professionnels, notamment les déménageurs.

M. Adrien Quatennens. En réalité, dans votre projet de loi, aucune prise en compte supplémentaire de la pénibilité n’est prévue. In fine, l’égalité mise en avant par le Gouvernement ne concernera que la baisse des pensions ; pour la pénibilité, nous attendons toujours des dispositions claires. Comme il en a été pour la revalorisation des salaires des fonctionnaires, notamment des enseignants, tout cela est parfaitement hypothétique ; rien de précis ne permet de sortir des vœux pieux au regard de la prise en compte de la pénibilité dans certains métiers. Or il faut des mécanismes qui confèrent des droits supplémentaires pour les métiers pénibles, car le système actuel ne le permet pas.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la pénibilité sera abordée dans le titre II. Je suis extrêmement favorable à une approche collective de la pénibilité. Pour prendre une fois encore l’exemple des métiers agricoles –n’ayant pas la prétention de connaître tous les métiers, je m’en tiens à ce que j’ai observé –, il est difficile d’avoir une approche individuelle pour des aspects certes pénibles mais très ponctuels. Une approche moyenne peut être intéressante, quitte à être complétée par une approche individuelle pour d’autres aspects, car, dans une entreprise, on ne fait pas tous la même chose et de la même façon tout au long de la journée.

J’émets un avis défavorable sur vos amendements. Cela dit, la pénibilité est un enjeu vraiment important, et je vous invite à échanger davantage sur la question avec Jacques Maire quand nous en arriverons aux articles qui s’y rapportent directement. Il maîtrise le sujet mieux que moi, et des dispositions spécifiques sont prévues, qu’il est important d’expliciter.

La commission rejette les amendements.

Elle passe aux amendements identiques no 7078 de Mme Mathilde Panot, no 7080 de M. Adrien Quatennens et no 7085 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Il s’agit de supprimer l’alinéa 12 de l’article 20.

Il est extrêmement satisfaisant que M. le rapporteur soit favorable à une approche collective, et nous aurons effectivement une discussion sur le sujet. Cela rend d’autant plus incompréhensible la suppression, en 2017, des quatre critères que sont les charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et le risque d’exposition aux agents chimiques dangereux, qui, pour le coup, permettaient d’avoir une telle approche. Nous devons élargir encore davantage cette approche, notamment avec la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle, comme nous l’avions proposé au début de l’année 2018. Nous sommes encore très loin de reconnaître la pénibilité comme il le faudrait et, malheureusement, dans le projet de loi, le compte n’y est pas du tout.

M. Adrien Quatennens. S’agissant de la pénibilité, il convient de noter qu’à travers ce projet de loi, on demande pour l’essentiel aux actifs de travailler plus longtemps pour atteindre l’âge où ils pourront partir à la retraite au taux plein, alors que, dans le même temps, les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles, et les exigences envers les travailleurs toujours plus élevées, avec des conséquences que l’on connaît bien : la pénibilité a souvent des conséquences sur les corps et sur la capacité des travailleurs à poursuivre leur activité. D’où le phénomène des carrières hachées, et surtout, passé un certain âge, l’usure. On sait, par exemple, qu’au-delà de 50 ans, les chômeurs ont un niveau d’employabilité considérablement amoindri ; qu’un actif sur deux, lorsqu’il atteint l’âge de la retraite, n’est plus en emploi, et qu’il y a plus de 300 000 chômeurs de plus de 60 ans dans notre pays. Le projet de loi aura donc des effets en cascade : la non-reconnaissance de la pénibilité, conjuguée à la suppression de certains régimes qui étaient une contrepartie – ils permettaient à certaines personnes, au vu de leurs conditions de travail, de partir plus tôt –, va aggraver considérablement la situation, y compris s’agissant du chômage des seniors.

Mme Bénédicte Taurine. L’alinéa 12 concerne la cotisation d’assurance vieillesse des conjoints collaborateurs des travailleurs indépendants.

M. Jean-Paul Mattei. Voilà enfin quelqu’un qui parle de l’alinéa que nous examinons !

Mme Bénédicte Taurine. Alors que nous attendions une rénovation du régime de calcul de la retraite des conjoints, qui sont souvent des femmes, rien ne changera avec ce système : comme dans les autres professions, les femmes ne seront pas mieux rémunérées avec votre réforme. C’est pour le moins surprenant.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme je l’ai dit à Mme Panot, il s’agit là d’une question à laquelle je suis sensible. Le statut des conjoints collaborateurs a été très utile, notamment dans le secteur de l’agriculture mais aussi chez les commerçants et les artisans, pour donner aux conjoints – qui sont, en effet, le plus souvent des femmes – une protection juridique et sociale. Toutefois, le statut maintient aussi ces personnes dans une forme de précarité. Elles peuvent faire face à de grandes difficultés, notamment en cas de séparation vers l’âge de 40, 45 ou 50 ans. En effet, les conjoints d’indépendants et les conjoints d’agriculteurs se retrouvent avec très peu de droits à retraite acquis. Je souhaite donc que nous nous penchions sur la question. À cette fin, je défendrai l’amendement no 22668, portant article additionnel après l’article 20. Il s’agira d’un amendement d’appel. Je vois l’intérêt du statut, mais je vois aussi la nécessité de le faire évoluer.

J’émets donc un avis défavorable sur vos amendements visant à supprimer l’alinéa 12, car un certain nombre de personnes bénéficient de ce statut, mais il me semble nécessaire d’étudier la question de façon approfondie.

Mme Corinne Vignon, rapporteur pour le titre III. Si Mme Taurine a bien lu l’étude d’impact – quand bien même elle penserait que celle-ci est truquée –, elle y a vu que le futur système universel de retraite réduirait les écarts de pension entre hommes et femmes de 3 à 5 points en pourcentage : la pension moyenne des femmes nées en 1975 représente 88 % de celle des hommes avec le nouveau système, contre 85 % avec le système actuel ; pour la génération 1990, la proportion serait de 86 %, contre 81 % sans la réforme.

M. Adrien Quatennens. Mme Vignon, qui a le mérite, comparativement à beaucoup de ses collègues de la majorité, d’être une grande ambassadrice du projet de réforme des retraites, vient de dire à ma collègue que celle-ci pense que l’étude d’impact est truquée. Non, nous ne le pensons pas : c’est un fait, et nous l’avons déjà dit. Vous devriez, d’ailleurs, vous en offusquer vous aussi, car, tout comme nous, vous êtes parlementaire. C’est une publicité mensongère, non une étude d’impact sincère. À l’article 10 du projet de loi, l’âge d’équilibre est décalé génération après génération. Or, dans l’étude d’impact, il a été gelé à 65 ans. Nous pouvons donc, effectivement, dire que cette étude d’impact est truquée, puisqu’elle permet de présenter des cas-types plus favorables que la réalité. De fait, si on applique tout simplement les dispositions du projet de loi, que vous défendez brillamment, on obtient beaucoup plus de cas défavorables – une majorité, même.

M. Gérard Cherpion. J’ai bien entendu ce que vient de dire notre collègue Mme Vignon concernant les écarts de retraite entre les hommes et les femmes, mais c’est un autre problème que celui dont il est question ici. La question qu’elle aborde se pose effectivement, et doit être résolue de façon générale, mais nous traitons ici des conjoints – ou conjointes – collaborateurs de professions libérales, pour lesquels un autre système doit être mis en place. Autrement dit, ce n’est pas du tout la même chose, et on est en train de tout mélanger.

M. Jean-Paul Mattei. Je voudrais commencer par une remarque de forme, une fois de plus : certaines prises de parole n’ont rien à voir avec les amendements déposés. Il faudrait tout de même s’astreindre à une méthode de travail cohérente. Certains ont parlé de pénibilité, alors qu’il s’agit, à cet alinéa, des conjoints collaborateurs. À cet égard, je voudrais rappeler que les dispositions de l’article 8 de la loi « PACTE », relatives aux conjoints collaborateurs, ont inscrit dans le marbre une mesure sociale qui a été saluée par tout le monde. Ne commencez donc pas à dire que nous ne nous préoccupons pas des conjoints : c’est nous qui avons instauré le dispositif en vertu duquel, à défaut d’avoir choisi entre trois statuts, ils sont considérés comme des conjoints salariés. Ce fut une avancée législative considérable.

La commission rejette les amendements.

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*     *

19.   Réunion du lundi 10 février 2020 à 15 heures (suite de l’article 20 à après l’article 22)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8728673_5e415f95c79ce.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-10-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un service universel de retraite. Je précise que nous avons examiné 4 573 amendements et qu’il en reste 15 011.

M. Sébastien Chenu. Je souhaiterais connaître le calendrier et la stratégie arrêtés par le Gouvernement et la majorité. Peut-on savoir jusqu’à quand la commission spéciale va siéger et s’il est possible qu’un projet de loi soit discuté en séance publique sans avoir été intégralement examiné auparavant par la commission saisie au fond ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Bienvenue, monsieur Chenu. La commission examine le texte depuis une semaine maintenant. Son bureau a décidé – et chacun en a bien entendu été prévenu – que nous poursuivrions l’examen du projet de loi jusqu’à demain soir – nous constaterons alors où nous en sommes arrivés, sachant que le texte peut, en tout état de cause, être discuté en séance publique – et que nous consacrerions la journée de mercredi à l’examen du projet de loi organique.

Article 20 (suite) : Dispositions relatives aux cotisations des travailleurs non-salariés

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements n° 7102 et n° 7157, tous deux de Mme Bénédicte Taurine.

Puis elle examine l’amendement n° 7216 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis tout particulièrement défavorable à cet amendement, car je tiens à ce que les agriculteurs soient pleinement intégrés au système de retraite universel.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette successivement les amendements identiques n° 7226 de Mme Mathilde Panot et n° 7233 de Mme Bénédicte Taurine et les amendements identiques n° 7351 de Mme Mathilde Panot et n° 7358 de Mme Bénédicte Taurine.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 7368 de Mme Mathilde Panot et n° 7375 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. L’alinéa 18 de l’article 20, que nous vous proposons de supprimer, a trait aux agriculteurs, dont nous connaissons tous la situation dramatique : chaque jour, l’un d’entre eux se suicide, un tiers d’entre eux vivent avec moins de 350 euros par mois et ils perçoivent en moyenne une pension de retraite de 855 euros. Vous proposez, dans le cadre de votre réforme, que cette pension ne soit pas inférieure à 1 000 euros. Or, le seuil de pauvreté est fixé à 1 040 euros. Cette mesure, si elle marque une amélioration, n’est donc pas à la hauteur des besoins. Nous avons déjà fait moult propositions pour améliorer la situation des agriculteurs ; toutes ont été refusées. En outre, la réforme ne résout pas le problème des faibles retraites perçues par ceux qui n’ont pas cotisé pendant une carrière complète ou qui ont le statut de conjoint collaborateur.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Il est certain que la somme de 1 000 euros n’est pas extraordinaire, mais elle représente une progression significative par rapport à la situation actuelle. Pour ma part, je préfère la stratégie consistant à accomplir des pas significatifs à des promesses que l’on ne tiendra pas.

Défavorable.

M. Sébastien Jumel. Tout d’abord, le Gouvernement, qui a refusé la proposition de loi d’André Chassaigne visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles, laquelle avait pourtant été votée à l’unanimité et par l’Assemblée nationale et par le Sénat, aurait pu, depuis deux ans, prendre en compte la misère des retraites agricoles.

Ensuite, votre mauvais projet est ainsi conçu que 2,5 millions d’agriculteurs actuellement à la retraite, auxquels s’ajoutent 500 000 autres exploitants qui prendront la leur durant la phase de transition, se retrouvent le bec dans l’eau. À ceux-là, vous proposez l’allocation de solidarité aux personnes âgées, dont on sait qu’elle ne permet pas de bénéficier du minimum vieillesse et qu’elle est récupérable sur succession. Ainsi, la parole donnée aux agriculteurs, qui ont servi de leurre pour justifier votre mauvaise réforme, ne sera pas tenue. Du reste, lors de son audition, le responsable de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles était très embarrassé. Les agriculteurs ne font pas l’aumône ; ils demandent que leur labeur soit pris en compte dans le système de retraite. Pour 3 millions d’entre eux, ce ne sera pas le cas, et c’est très problématique.

M. Boris Vallaud. Le propos de Sébastien Jumel nous rappelle la question que Valérie Rabault a posée il y a quelques jours sur le nombre des agriculteurs qui seront concernés par le minimum contributif. À ce jour, nous n’avons pas obtenu de réponse.

Je vous informe que le groupe Socialistes utilise son droit de tirage pour demander la création d’une commission d’enquête sur l’étude d’impact du projet de loi instituant un système universel de retraite. Depuis le début de l’examen de celui-ci, la sincérité de cette étude d’impact suscite des interrogations, des doutes – je ne reviendrai pas sur les termes utilisés par le Conseil d’État à ce propos. Nous espérions que l’examen du texte en commission spéciale permettrait de dissiper ces doutes et d’apporter les précisions manquantes. Force est de constater qu’il n’en est rien, alors que nous interrogeons le Gouvernement et le rapporteur, sur les conséquences économiques, budgétaires, financières et sociales de la réforme pour chaque catégorie d’assurés. Bien que cette exigence de clarté soit d’ordre constitutionnel et qu’elle ait été renforcée par la loi organique de 2009, nous observons que les informations nécessaires ne nous ont pas été communiquées s’agissant d’une réforme que vous qualifiez vous-même de majeure et qui engage l’avenir de nos concitoyens sur plusieurs décennies.

Mme Mathilde Panot. La réforme ne concernera pas les 1,3 million de retraités actuels ni ceux qui prendront prochainement leur retraite. Mais n’oublions pas les conjoints collaborateurs, qui sont souvent des femmes – dont vous avez évoqué la situation à plusieurs reprises, monsieur le rapporteur, ce dont je vous en remercie –, les veuves et les aidants familiaux. Je souhaiterais que le secrétaire d’État s’exprime également sur leur situation, que ne doit pas occulter la question des agriculteurs qui vivent dans une misère qui n’est pas acceptable dans un pays comme la France.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le secrétaire d’État, le monde agricole est particulier en ce que les exploitants travaillent seuls, en couple ou dans le cadre d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC). S’ils ont travaillé en couple, par exemple, le ménage touchera-t-il la retraite à 80 % du SMIC ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 22651 du Gouvernement.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Il s’agit de tirer les enseignements de l’avis du Conseil d’État, qui oblige l’État à compenser les exonérations accordées pour la génération de droits. L’amendement vise ainsi à préciser que, pour les exploitants agricoles, à l’instar des travailleurs indépendants, la part de la cotisation prise en compte pour la comptabilisation des droits est celle calculée dans la limite de trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS), y compris lorsque ladite cotisation fait l’objet d’une exonération prise en charge ou compensée.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis évidemment favorable.

Permettez-moi de revenir un instant sur les éléments évoqués par nos collègues. Tout d’abord, je m’étonne des propos des députés socialistes, dans la mesure où la majorité précédente a elle-même adopté une réforme des retraites. Mme Touraine, je le rappelle, avait fixé la pension minimale à 75 % du SMIC, en déclarant que, si elle le pouvait, elle irait plus loin. Nous nous efforçons de le faire dans le cadre de ce projet de loi, mais c’est difficile au regard du nombre des personnes concernées. En tout état de cause, nous prenons un engagement fort en faveur des agriculteurs qui prendront leur retraite à compter de 2022.

Je ne sous-estime pas les difficultés auxquelles sont confrontés les actuels pensionnés du régime agricole. Mais, on l’observe dans un certain nombre de professions indépendantes, dont les agriculteurs, lorsque l’on cotise peu, on se constitue peu de droits et on perçoit peu. Certes, lorsque les revenus sont faibles, les cotisations le sont également. Mais il aurait été pertinent d’inciter ces professionnels à cotiser davantage pour se constituer davantage de droits pendant les périodes de leur activité les plus favorables.

Quant à la situation des conjoints, elle sera évoquée après l’article 20.

Mme Bénédicte Taurine. En mai 2018, le Gouvernement a refusé la proposition de loi de notre collègue André Chassaigne visant à porter la retraite minimale agricole à 85 % du SMIC, au motif que cette question devait être traitée dans le cadre de la réforme globale des retraites. Nous y sommes. Or, sauf erreur de ma part, elle ne l’est pas.

M. Sébastien Jumel. Eh oui, la promesse était celle-là ! Pour justifier son refus de la proposition de loi Chassaigne, le Gouvernement avait indiqué à l’Assemblée nationale et au Sénat que le sort des retraités agricoles serait réglé dans la réforme des retraites. Or, celle-ci ne prend pas en compte la situation de ceux qui ont trimé toute leur vie et qui ont aujourd’hui une retraite de misère. Pour mettre en œuvre de mauvaises mesures, vous allez vite. En revanche, lorsqu’il s’agit de permettre aux agriculteurs, non pas de baigner dans le luxe, le calme et la volupté, mais de percevoir une retraite à hauteur de 85 % du SMIC – ce qui n’est tout de même pas la mer à boire –, vous réservez cette mesure aux générations futures. Vous n’êtes pas en mesure de remédier à la situation inexcusable et injustifiable de nos agriculteurs. On a donc menti au Parlement, notamment à notre groupe et à son président, en disant que la question serait réglée à la faveur de la réforme.

M. Olivier Véran. Monsieur Jumel, vous nous demandez de remédier aujourd’hui à la situation, que vous qualifiez d’inexcusable et d’injustifiable, des agriculteurs qui perçoivent de toutes petites pensions de retraite, problème qui persiste depuis quarante, cinquante, voire soixante-quinze ans. Nous entendons votre message, mais nous n’imaginons pas une seconde que vous nous teniez pour responsables de cette situation, qui a perduré sous moult gouvernements, de droite comme de gauche.

Cela dit, oui, la question du « stock » des personnes actuellement à la retraite et qui, hélas, n’ont pas la chance de relever du dispositif que nous proposons, se pose. Elle doit faire l’objet d’un travail de fond de la représentation nationale, qui peut nous conduire à y réfléchir dans le cadre de l’examen du budget de la sécurité sociale. Je vous propose donc que nous discutions à l’automne prochain de ce sujet auquel tous les groupes sont sensibles, me semble‑t-il, y compris ceux de la majorité.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 22131 de M. Sébastien Jumel et n° 22414 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Reconnaissez-nous au moins, en ce qui concerne les agriculteurs, le mérite de la constance. Je peux, si vous le souhaitez, vous fournir l’ensemble des propositions de loi et des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) déposés par mon groupe sur ce sujet, y compris depuis 2017. Comptez donc sur nous : votre engagement n’est pas tombé dans l’oreille de sourds ; nous déposerons donc de nouveau des amendements sur le prochain PLFSS.

Néanmoins, je ne peux vous laisser dire que ce dossier mérite de faire l’objet d’un travail approfondi. Celui-ci a déjà été mené par André Chassaigne, dont on sait l’expertise dans le domaine des questions agricoles, expertise reconnue par tous, au point que l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat avaient validé ses propositions, lesquelles visaient, du reste, à appliquer ni plus ni moins la mesure que vous proposez pour les générations futures à ce que vous appelez – malhabilement, puisqu’il s’agit d’humains – le « stock ». Nous continuerons donc, en cohérence, à demander le règlement de la situation inexcusable, inexplicable et injustifiable de nos agriculteurs.

M. Pierre Dharréville. Je vais enfoncer le clou. Comme vient de l’indiquer Sébastien Jumel, nous avons défendu cette proposition à chaque fois que l’occasion nous en a été donnée, notamment lors de l’examen des derniers PLFSS. Or, soit on nous a opposé un refus, soit on nous a promis que la question serait prise en compte dans la réforme des retraites. Force est de constater que tel n’est pas le cas. Pourtant, la situation est urgente, et elle réclame justice et humanité. Je souhaiterais donc un engagement ferme du Gouvernement et de la majorité. Même si, je le sais, une telle mesure va à l’encontre du contenu de ce projet de loi, ce serait une bonne chose que vous preniez sans attendre un engagement clair sur cette question.

Par ailleurs, je veux saluer l’initiative du groupe Socialistes, que je remercie d’utiliser son droit de tirage pour créer cette commission d’enquête. Il me semble en effet très utile que nous en sachions plus sur les conditions dans lesquelles l’étude d’impact a été réalisée et que nous examinions si elle est conforme à ce que nous sommes en droit d’attendre. Ses travaux pourront utilement nourrir les réflexions du Conseil constitutionnel. On peut regretter qu’elle n’ait pas un caractère suspensif, mais c’est déjà bien.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Le sujet qui a été évoqué n’a rien à voir avec les amendements, mais je vais tout de même y revenir. J’ai animé une réunion avec les anciens exploitants de mon département. Certes, ils souhaiteraient, c’est indéniable, que l’on revalorise leurs pensions. Mais ils sont conscients que la mesure que nous prenons ne s’appliquera pas, comme le reste de la réforme, en 2037, mais dès 2022 et qu’elle pourra ainsi bénéficier à leurs enfants, voire à leurs frères cadets.

On peut toujours discuter de ce qui n’est pas fait. Je me souviens très bien de la proposition de loi de M. Chassaigne, à qui je sais gré d’être sensible à cette question qui préoccupe également de nombreux membres de mon groupe. Mais nous avons un certain nombre de priorités. La justice pâtit depuis des années d’un sous-investissement : nous avons consenti des efforts dans ce domaine, qui peuvent apparaître à certains comme une goutte d’eau dans l’océan des besoins mais qui ont le mérite d’exister. Dans l’éducation nationale, nous nous engageons en faveur d’une revalorisation. Pour l’hôpital, nous mettons en œuvre un plan, mais nous ne pouvons pas rattraper en deux ans ce qui n’a pas été fait pendant au moins quinze ou vingt ans.

S’agissant des retraites agricoles, nous montons d’un cran, même si nous reconnaissons que ce cran est modeste : ce n’est pas avec 1 000 euros qu’on mettra Paris en bouteille. Néanmoins, la mesure s’appliquera dès 2022 et non en 2037 ; elle n’est pas renvoyée aux calendes grecques. Il ne s’agit pas, comme en 2017, de voter un texte que la majorité n’aura pas à assumer. C’est un acte concret.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Personne ne disconvient que cette mesure marque un progrès pour les agriculteurs qui arriveront à la retraite en 2022. Ce qui nous préoccupe, ce sont les motifs qui avaient conduit le Gouvernement à user de moyens de procédure au Sénat pour différer l’effort que l’ensemble des groupes parlementaires étaient prêts à consentir en faveur des agriculteurs qui sont déjà à la retraite et qui, pour un certain nombre d’entre eux, vivent dans des conditions très misérables. L’engagement avait alors été pris de traiter la question de ces agriculteurs – c’était une forme de promesse. Et il a suscité une attente forte dans nos campagnes.

Lorsqu’Olivier Véran nous dit que nous examinerons le sujet dans le cadre du PLFSS, prend-il l’engagement d’en débattre ou d’aboutir ? Ce n’est pas la même chose. En tout état de cause, pour certains agriculteurs âgés, les quelques mois durant lesquels la décision est différée comptent double ou triple.

Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le rapporteur, nous sommes d’accord, la situation des futurs retraités pourrait être améliorée. Mais nous parlons ici de l’engagement qui a déjà été pris en mai 2018 d’examiner la question dans le cadre de la réforme des retraites. Maintenant, on nous dit qu’elle le sera dans le prochain PLFSS, c’est-à-dire à la fin de l’année. Or, c’est maintenant que les personnes concernées ont besoin d’être rassurées. Pouvez-vous donc prendre des engagements en ce sens, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, ces amendements portent bien sur l’article 20. Nous contestons la logique de « pointage » qui est au cœur de votre réforme. En l’espèce, il s’agit de la situation des agriculteurs. Vous nous dites, si je vous comprends bien, que vous faites beaucoup par ailleurs et que vous n’avez pas les moyens de faire face à tous les problèmes. Tout d’abord, il me semble que la situation de ces agriculteurs devrait faire partie des priorités. Ensuite, vous vous passez de ressources considérables qui pourraient être utiles au bien public et au bien social. C’est un choix politique – nous en avons débattu lors de la discussion de chaque budget depuis 2017 –, mais je ne suis pas certain que l’argument soit recevable pour les agriculteurs concernés. Nous reconnaissons que votre proposition améliorera la situation en 2022. Mais la question de savoir ce qu’il advient de ceux qui sont d’ores et déjà à la retraite reste pendante.

M. Bruno Fuchs. Je remercie M. Dharréville pour ses propos. Enfin, l’opposition a une parole positive, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent, même lorsque les avancées étaient claires, manifestes et indiscutables. Elle gagnerait à abandonner cette posture de dénigrement systématique.

M. Adrien Quatennens. Monsieur Fuchs, il n’est pas impossible, en effet, que, dans ces soixante-cinq articles, une virgule nous paraisse bien placée. Mais notre logique demeure celle que nous avons toujours défendue, avec cohérence : celle du retrait du texte. Je l’ai dit au début de nos débats, n’attendez pas que nous vous applaudissions parce qu’après envoyé la majorité des Français dans le désert, vous leur donnez une petite gourde avec un fond d’eau.

Les agriculteurs font partie de ceux qui, de manière très anecdotique et temporaire, pourraient être les gagnants de votre réforme, mais c’est une infime portion des Français. Surtout, dès 2004, une loi a prévu que la France se donne pour objectif qu’aucune pension de retraite ne soit inférieure à 1 000 euros. J’ajoute que, compte tenu de son montant actuel, le minimum vieillesse atteindra dans quelques années les 1 000 euros. Qui plus est, pour obtenir cette pension minimale, il faut avoir effectué une carrière complète. Franchement, dans le contexte actuel de précarisation accrue de l’emploi, bon courage !

M. Sébastien Chenu. L’objectif de fixer le plancher des retraites agricoles à 1 000 euros est, certes, louable, mais il semble très mesuré : qui peut vivre avec une telle somme dans notre pays ? Il aurait été possible de traiter la question différemment. Mais vous essayez de faire passer un éléphant derrière une fourmi. En réalité, cette seule avancée, qui concerne un petit nombre d’agriculteurs, ne suffit pas à emporter l’adhésion. C’est pourquoi ces amendements sont les bienvenus.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Door, le GAEC est un type de société, à l’intérieur de laquelle chacun est libre de choisir son statut, salarié ou non. Tout dépend du choix de chacun. En définitive, la question qui se pose est celle de savoir si la ferme fera des bénéfices.

Monsieur Vallaud, je suppose que la commission d’enquête dont le groupe Socialistes a demandé la création ne portera pas sur l’exposé des motifs du projet de loi, dont vous admettrez qu’il n’est pas susceptible d’être mis en doute. Je vous renvoie donc à la partie portant sur l’article 22 : l’application du dispositif aux exploitants agricoles y est très clairement expliquée. À cet égard, le point de savoir quelle est la part d’entre eux qui se verseront plus de 30 % du SMIC n’a que peu d’intérêt, puisque tous les chefs d’exploitation seront soumis au taux de cotisation correspondant à 600 heures au SMIC, de sorte qu’ils vont y gagner à la fois sur le plan des cotisations et sur le plan des pensions. Cela devrait mettre un terme au débat sur ce point, qui n’a guère de sens.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7378 de M. Éric Coquerel, n° 7380 de Mme Caroline Fiat, n° 7385 de Mme Mathilde Panot, n° 7387 de M. Adrien Quatennens et n° 7392 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Puisque nous examinons la section consacrée aux travailleurs non salariés, je souhaiterais savoir, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, ce qu’il advient des travailleurs faussement indépendants employés par les plateformes. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que Deliveroo vient d’être condamnée pour travail dissimulé et doit verser 30 000 euros à l’un de ses livreurs, dont la justice estime que le contrat de prestation de services devait être requalifié en contrat de travail. Or, nombreuses sont les plateformes de ce type qui, souvent, ne paient pas ou paient très peu de cotisations sociales dans les pays où elles sont implantées et font travailler de plus en plus de personnes.

M. Adrien Quatennens. L’alinéa 19, que ces amendements tendent à supprimer, a trait aux taux de cotisation, qui ont été très peu évoqués depuis le début de l’examen du texte. Or, parmi les paramètres des retraites figurent, bien entendu, l’âge de départ – votre projet est essentiellement fondé sur celui-ci ainsi que sur le niveau des pensions –, la durée de cotisation et les taux de cotisation. Lorsque nous affirmons qu’il est parfaitement possible de financer la retraite à 60 ans sans qu’aucune pension ne soit inférieure au seuil de pauvreté et au SMIC pour une carrière complète, il nous faut expliquer comment nous y parviendrions. J’ai évoqué 2 points de produit intérieur brut (PIB) supplémentaires d’ici à 2040 pour financer ces propositions. S’agissant du taux de cotisation, il s’agirait de le porter du niveau moyen actuel, soit 17,75 %, à 19 %, ce qui n’est pas considérable. Surtout, les salaires nets peuvent augmenter plus rapidement. On peut donc augmenter, et le salaire net et le taux de cotisation, pour permettre à chacun de bénéficier d’une pension digne en partant à la retraite à un âge décent.

Mme Bénédicte Taurine. Puisque nous arrivons au terme de l’examen de l’article 20, j’insiste sur le fait qu’il ne faudra pas oublier la revalorisation prochaine des pensions des retraités agricoles.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Dharréville, je n’ai pas dit, comme vous l’avez indiqué, que nous avions fait beaucoup par ailleurs. J’ai dit qu’il y avait beaucoup à faire, dans de nombreux domaines : justice, éducation, agriculture... Il nous faut donc avancer progressivement. En ce qui concerne l’agriculture, cette avancée, qui doit être consolidée, consiste à fixer dès 2022 la pension minimale à 1 000 euros, soit 85 % du SMIC.

Monsieur Chenu, nous avons débattu toute la semaine dernière des questions que vous avez évoquées – je remercie d’ailleurs ceux de nos collègues, même s’ils appartiennent à l’opposition, avec qui nous avons eu des échanges sur ces sujets. Je m’étonne que vous les abordiez alors que, jusqu’à présent, vous n’avez pas participé à nos travaux. Lorsqu’on est membre d’une commission, il faut, me semble-t-il, assumer son rôle et ne pas intervenir sur l’écume des choses.

Madame Panot, faites-vous référence à la situation des micro-entrepreneurs ou auto‑entrepreneurs ? Si tel est bien le cas, j’estime que ce statut permet de mettre le pied à l’étrier à ceux qui exercent certaines activités, mais qu’il ne peut être que temporaire. Sinon, ils seront les futurs pensionnés pauvres car, si l’on ne cotise pas, on n’acquiert pas de droits. Je souhaiterais que nous avancions également dans ce domaine.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous l’avez compris, je n’avais pas pour intention de déformer vos propos. Cela étant, je maintiens mes remarques sur l’ordre des priorités et sur votre choix de vous passer de certaines ressources qui pourraient être utiles pour relever plusieurs des défis que vous avez évoqués. Je remercie Bruno Fuchs de nous reconnaître un certain sens de la dialectique – lequel, pour ce qui me concerne, m’a été enseigné par des maîtres à penser. La mesure en question mérite d’être examinée de plus près. Comme cela a été dit à l’instant, la pension minimale que vous proposez aux agriculteurs sera nettement insuffisante – on peut sans doute s’accorder sur ce point –, même si cela constitue un progrès. Son montant, qui sera inférieur au seuil de pauvreté, aurait déjà dû être atteint si on avait appliqué la loi de 2003. Cette petite amélioration ne résultera pas du régime par points mais, au contraire, du correctif que vous apportez à la réforme, laquelle aurait aggravé la situation des agriculteurs. Vous êtes en train d’installer des tuyaux en tous sens pour limiter les fuites de votre usine à gaz.

Mme Mathilde Panot. Pour revenir sur notre échange, monsieur le rapporteur, je parlais de ceux qui ne sont pas reconnus comme salariés des plateformes. Il ne vous a pas échappé qu’outre la décision de justice rendue en ce début d’année, à laquelle je faisais référence, la Cour de cassation a considéré, dans l’arrêt Take Eat Easy, que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. [...] Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. » Le juge avait reconnu, en l’espèce, l’existence d’une relation salariale. La Cour d’appel de Paris a tranché dans le même sens concernant un chauffeur de la société Uber. Elle a considéré qu’en l’espèce, « il ne saurait être utilement contesté que [ce chauffeur] a été contraint, pour pouvoir devenir partenaire [...], de s’inscrire au registre des métiers et que, loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, il a ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber [...] ».

La question est donc de savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelle retraite auront ces personnes non reconnues comme salariées, alors que la justice a, à de nombreuses reprises, requalifié leur contrat en contrat de travail – et reconnu, parfois, la violation du droit du travail.

M. Jean-Paul Mattei. Il faut avoir conscience de l’importance de cette mesure d’amélioration des retraites agricoles à partir de 2022, ce qui n’enlève rien au fait que les retraites actuelles sont largement insuffisantes. Un agriculteur sait se débrouiller ; il travaille souvent dans le cadre d’une exploitation familiale qui comprend des parcelles de subsistance – une surface de 3 hectares, par exemple, lui permet d’équilibrer son revenu. La reconnaissance d’une retraite – même très moyenne – va donc le conduire à changer son comportement et, en particulier, à libérer des parcelles de terres agricoles, ce qui facilitera l’installation des jeunes. Il va y avoir un effet d’entraînement. Je peux vous assurer, moi qui connais bien le monde agricole et rural, que cette disposition va apporter une bouffée d’oxygène, une forme de reconnaissance du droit à une retraite. Il ne faut pas balayer cela d’un revers de main car c’est loin d’être accessoire. Prenons la mesure de l’importance de cette disposition. Le problème des pensions actuelles demeure, il est vrai, mais c’est un autre débat, que le rapporteur a largement commenté.

M. Hervé Saulignac. Je me demande l’effet qu’aura sur l’opinion votre communication, qui consiste à dire que tous les agriculteurs percevront désormais 1 000 euros de retraite. Je veux bien reconnaître que vous réalisez une avancée, mais j’ai le sentiment que vous présentez comme un triomphe un progrès en réalité minime. Vous affirmez que tous les agriculteurs percevront au moins 1 000 euros : c’est faux. Pour toucher cette somme, ils devront avoir cotisé quarante-trois ans au moins, au niveau du SMIC. Autrement dit, la moitié des agriculteurs, au bas mot – ceux qui ne remplissent pas ces conditions –, ne verront pas la couleur des 1 000 euros. Il faut être extrêmement clair : attention au désespoir que vous allez faire naître lorsque certains découvriront la réalité. Enfin, se pose la question des retraités actuels, qui sont exclus du dispositif. Bien sûr, vous allez me répéter qu’on ne peut régler la situation en claquant des doigts, que d’autres étaient aux responsabilités avant. Il reste que l’ensemble des organisations syndicales agricoles vous disent qu’on ne peut pas laisser au bord du chemin les retraités actuels, qui vivent en moyenne avec 730 euros par mois. Nous vous demandons d’être le plus clair possible sur ce que vous entendez faire, de ne pas mentir aux Français et, en l’occurrence, aux agriculteurs.

M. le secrétaire d’État. De deux choses l’une : soit vous êtes réellement de mauvaise foi, monsieur le député, ce qui devient problématique – je viens en effet de répondre à M. Boris Vallaud que les éléments d’information étaient disponibles dans l’exposé des motifs de l’article 22 –, soit vous n’avez pas le texte de loi sous les yeux. Je crois qu’il faut faire preuve d’humilité. Vous ne pouvez pas dénoncer quelque chose qui est inexact. Il faut simplement lire les documents mis à votre disposition. J’ai expliqué – clairement, me semble‑t‑il – que l’ensemble des agriculteurs bénéficieraient du minimum de pension de 85 % du SMIC dans le système universel de retraite. Nous les amènerons en effet à un niveau de cotisation correspondant à 600 heures au SMIC. Ils n’auront pas, comme vous l’avez prétendu, à cotiser quarante-trois ans à hauteur de quasiment 19 000 euros par an. L’exposé des motifs de l’article 22 indique clairement que la cotisation sera ramenée à 600 SMIC horaires, soit un tiers du SMIC annuel. Autrement dit, nous allons réduire la cotisation de tous les agriculteurs, qui va passer de 800 heures SMIC à 600 heures SMIC. Je vous confirme que le projet du Gouvernement permettra à tous les agriculteurs de percevoir a minima une pension de 85 % du SMIC. C’est incontestable, c’est dans le projet de loi. J’espère que vous le voterez.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 20 modifié.

Après l’article 20

La commission est saisie de l’amendement n° 12807 de M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei. Cet amendement demande un rapport sur l’impact du nouveau régime de cotisation des travailleurs indépendants. Il s’agit évidemment d’un amendement d’appel : compte tenu des manœuvres d’obstruction, il ne peut en aller autrement. Je crois que nous devons réfléchir au statut des travailleurs libéraux. Je vais retirer l’amendement pour le retravailler en vue de la discussion en séance publique. J’espère que nous pourrons nous y atteler avec les autres groupes, comme l’évoquait Thierry Benoit ce matin, pour parvenir à un amendement acceptable.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement n° 22668 du rapporteur général.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est un amendement d’appel à destination du Gouvernement qui vise à lancer une réflexion sur le statut de conjoint collaborateur. Je m’en suis déjà expliqué, notamment à l’occasion d’un échange avec Mme Panot. Ce statut, dont je perçois davantage les effets sur les agriculteurs que sur les commerçants et les artisans, compte tenu de mon histoire personnelle, a permis une véritable avancée, en offrant une protection sociale aux conjoints – très majoritairement, aux conjointes – d’exploitants et de commerçants. Cependant, les conjoints exploitants ou collaborateurs ont acquitté des cotisations très faibles au titre des droits à la retraite et perçoivent donc des montants de pension à l’avenant. De surcroît, les agriculteurs, les commerçants, les artisans connaissent les mêmes évolutions sociétales que le reste de la population : ils se séparent plus fréquemment. Lorsqu’ils le font à 40, 45 ou 50 ans, les conjoints obtiennent in fine des droits acquis extrêmement faibles. Enfin, alors que le débat sur l’égalité entre hommes et femmes est, dans notre société, chaque année plus prégnant, le statut renvoie, me semble-t-il, à une certaine asymétrie entre celui qui assure l’activité – très majoritairement, l’homme – et son conjoint – très majoritairement, la femme.

Ce régime présente sans doute une utilité pour favoriser l’installation progressive, en agriculture comme en artisanat, et a vocation, à cet égard, à être temporaire. En revanche, compte tenu de l’évolution de la société, l’objectif ne saurait être de protéger des statuts. Peut‑être conviendrait-il, en ce sens, d’y mettre fin. Je ne maîtrise probablement pas tous les tenants et aboutissants de cette décision, mais j’appelle le Gouvernement à engager une réflexion approfondie sur le sujet. Ce statut a eu son utilité mais me semble présenter aujourd’hui au moins autant d’inconvénients que d’avantages.

M. le secrétaire d’État. J’ai eu aussi à connaître familialement de ce statut, dans un domaine autre que le milieu agricole. Même s’il présente indéniablement de l’intérêt en matière de protection sociale, il soulève en effet un certain nombre de questions. Il est probablement le reflet d’une époque, et il faut sans doute le faire évoluer. Vous avez une bien meilleure connaissance que moi des limites du système dans le cadre agricole. Pour ma part, j’ai constaté qu’il permettait de déclarer et d’identifier systématiquement les conjoints et de les faire bénéficier d’un filet de protection sociale. Je constate que 40 000 conjoints collaborateurs, en dehors du secteur agricole, et un peu plus de 25 000 collaborateurs d’exploitations sont concernés. Eu égard aux enjeux en matière de protection et de couverture sociale de plus de 65 000 Français et Françaises, il me semble nécessaire de prendre un peu de temps pour étudier le sujet et définir ensemble l’évolution à suivre. Dans cette attente, je vous saurais gré de retirer votre amendement.

M. Boris Vallaud. Nous partageons votre préoccupation, monsieur le rapporteur. Toutefois, il me semble probable que vous retiriez votre amendement, puisque vous suggérez de supprimer le statut de conjoint collaborateur sans rien proposer d’autre.

M. Sébastien Jumel. La question posée par le rapporteur est pertinente mais nécessiterait peut-être que votre groupe se réunisse pour approfondir la réflexion. Vous pourrez ainsi nous informer de vos arbitrages.

Je voudrais revenir sur la déclaration d’Olivier Véran, qui, sans être Croizat, n’est pas n’importe qui, puisque c’est tout de même le rapporteur général de la commission des affaires sociales. Les propos qu’il a tenus concernant la résorption de l’extrême précarité des agriculteurs retraités constituent-ils un engagement ferme du Gouvernement et de la majorité, ou s’agit-il d’une opinion qui n’engage que lui ? Dans le premier cas, nous saluerions une évolution très positive, dans le second cas, nous dénoncerions une parole en l’air.

M. Gérard Cherpion. La question qui est posée par le rapporteur est essentielle. Le statut des conjoints collaborateurs a modifié considérablement les responsabilités qui leur étaient conférées en matière de gestion de l’entreprise, tout en leur accordant des droits sociaux. Votre amendement ne traite que d’une petite partie des questions qui se posent à eux. Mieux vaudrait traiter le sujet globalement, en prenant en considération les responsabilités de gestion, le statut social et l’assurance vieillesse, plutôt que de n’en considérer qu’une fraction et de fragiliser le statut.

Mme Mathilde Panot. Je remercie le rapporteur d’avoir présenté cet amendement d’appel, car je l’interpelle pour la troisième fois, depuis ce matin, sur le sujet. Vous l’avez dit, cette question concerne principalement les femmes. Je suis assez surprise de la réponse de M. le secrétaire d’État. Nous sommes certes en commission, mais l’amendement a nécessairement été vu en amont par plusieurs services. Aussi, je m’étonne qu’on nous réponde simplement qu’il faudra réfléchir à la question. J’espère qu’en séance, nous aurons une réponse à ce sujet. On ne peut pas nous soumettre un texte comportant vingt-neuf trous, qui constituent autant de délégations accordées au Gouvernement, sans nous apporter de réponses sur des questions essentielles pour beaucoup de femmes. Le rapporteur a souligné les enjeux liés aux divorces, qui placent ces dernières dans des situations encore plus précaires. J’aimerais que vous vous engagiez à nous apporter des réponses, au lieu de nous dire que vous ne connaissez pas très bien le sujet. On peut – et on doit – trouver des solutions dignes pour ces personnes.

M. Patrick Mignola. Le statut des conjoints collaborateurs – pour ne pas dire des conjointes collaboratrices – a en effet constitué une véritable avancée sociale à partir des années 1970, en ce qu’il leur a offert une reconnaissance et, d’une certaine manière, une libération. Mais il est aujourd’hui devenu très problématique, dans la mesure où il aurait plutôt tendance à les enfermer et à les précariser. Il me paraît donc urgent d’étudier un nouveau statut – même s’il s’agit d’un sujet connexe à notre débat. La protection sociale, dans notre pays, ne peut pas dépendre en effet de la situation maritale. Par ailleurs, dans le prolongement de l’intervention de M. Jumel – M. Véran n’étant pas Croizat, pas plus que M. Jumel n’est Marchais (Sourires.) –, il me paraît important de préciser que les deux piliers de la majorité soutiennent la position d’Olivier Véran. Même si le projet de loi – qui ne porte que sur les pensions à venir – ne peut traiter des retraites agricoles actuelles, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la situation des agriculteurs ni sur le calendrier et le financement de la résorption de cette injustice. Le débat sur les retraites peut nous permettre de régler ce problème. Tel est, en tout cas, l’engagement du groupe que j’ai l’honneur de présider.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Panot, je vous rappelle que le rapporteur a la possibilité de déposer un amendement à tout moment. J’ai déposé celui‑ci tardivement, car la maîtrise de l’ensemble du titre m’a beaucoup mobilisé.

Plus largement, je voudrais revenir sur deux de nos échanges précédents. Premièrement, il faut insister sur le fait que de faibles cotisations aboutissent à des droits réduits – cela fait écho à la situation des auto-entrepreneurs. Deuxièmement, du point de vue sociétal, la notion de « conjoint collaborateur » ne me semble plus en phase avec l’évolution des mentalités, en particulier sur le plan de l’égalité entre hommes et femmes. Il ne s’agit pas de méconnaître l’intérêt du travail en couple, qui est très fréquent chez les artisans, les commerçants et les agriculteurs, mais il faudrait faire évoluer les choses, ne serait-ce que sur la dénomination. Je retire l’amendement afin d’y retravailler et de vous proposer une nouvelle disposition ultérieurement.

L’amendement est retiré.

Article 21 : Habilitation à prendre des dispositions transitoires pour les cotisations et contributions des travailleurs non-salariés

La commission examine les amendements de suppression n° 8 de M. Stéphane Viry, n° 710 de M. Pierre Dharréville, n° 7567 de M. Éric Coquerel, n° 7569 de Mme Caroline Fiat, n° 7574 de Mme Mathilde Panot, n° 7576 de M. Adrien Quatennens, n° 7581 de Mme Bénédicte Taurine, n° 21104 de M. Boris Vallaud, n° 22232 de Mme Marine Le Pen et n° 22471 de Mme Constance Le Grip.

M. Jean-Pierre Door. Nous demandons la suppression de l’article 21 visant à simplifier les modalités de calcul de l’assiette des cotisations et des contributions sociales des travailleurs indépendants car il prévoit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, une de plus. Nous contestons depuis le début de nos travaux cette avalanche d’ordonnances, auxquelles s’ajoutent de nombreux décrets. Cette réforme qui concerne tous les Français doit être parfaitement lisible, ce qui n’est pas le cas comme l’a pointé le Conseil d’État. Il importe donc d’exposer clairement à nos compatriotes les mesures qui les attendent.

M. Éric Coquerel. Nous nous opposons à ce que la transformation que vous êtes en train de provoquer soit engagée par ordonnance, s’agissant, en l’occurrence, du nouveau système de retraite que vous comptez appliquer aux indépendants. Nous demandons donc la suppression de l’article 21.

Mme Caroline Fiat. Nous proposons de supprimer cet article à trous qui permet au Gouvernement de passer outre les pouvoirs du Parlement, par ordonnance, pour l’ensemble des mesures de transition. Vous prétendez garantir un juste équilibre et un travail avec les partenaires sociaux. Je rappellerai que, la dernière fois que vous avez travaillé avec les partenaires sociaux sur ce sujet, tout le monde est parti en claquant la porte. Je vous ai déjà posé la question la semaine dernière : qu’est-ce qui peut nous assurer que vous allez désormais travailler avec eux, les écouter et engager un réel dialogue social ? Rien. Nous n’avons aucun engagement à cet égard. Vous nous demandez un chèque en blanc.

Mme Mathilde Panot. Nous nous opposons à cet article parce que, vous l’avez compris, nous ne voulons pas d’ordonnance.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien écouté votre propos – qui n’était d’ailleurs pas extrêmement clair – sur les conjoints collaborateurs, lesquels sont majoritairement des femmes. Je souhaiterais à présent avoir une réponse concernant les nombreux auto‑entrepreneurs travaillant sur les plateformes. Selon un sondage OpinionWay, la première revendication des indépendants auto-entrepreneurs concerne la retraite : plus de 40 % d’entre eux et 31 % des travailleurs de plateformes demandent que leurs droits en la matière soient améliorés. Les auto-entrepreneurs ont des parcours de vie parfois instables et ne bénéficient d’aucune protection en cas de maladie ou d’accident du travail. Je continuerai à vous interroger sur ce point tant que vous ne me répondrez pas.

M. Adrien Quatennens. Une fois de plus, vous appelez à légiférer par ordonnance : il s’agit d’un des vingt-neuf trous béants que comporte le texte. Quand on voit l’usage qu’a fait le Gouvernement des ordonnances par le passé, nous n’avons pas plus de raison de vous faire confiance à propos des travailleurs indépendants.

Dans un autre ordre d’idées, il aura fallu que nous dénoncions le silence assourdissant et l’absence des parlementaires de l’extrême droite de la commission spéciale pour les faire venir, preuve, s’il en était besoin, de l’opportunisme de Mme Le Pen et des députés de sa formation. Ils prétendent en effet s’opposer au projet de loi sans avoir participé à nos réunions au cours des huit derniers jours. Maintenant que M. Chenu est arrivé, il va pouvoir nous abreuver des « y a qu’à, faut qu’on » dont Mme Le Pen nous régale régulièrement sur les retraites. Puisque nos travaux font l’objet d’une retransmission audiovisuelle, je ne résiste pas à l’idée de prendre à témoin les électeurs de Mme Le Pen et de leur dire que son programme est un pétard mouillé. Ses alliés, partout en Europe – comme en Autriche – sont allés jusqu’à voter la semaine de travail de 60 heures. Mme Le Pen s’oppose à la hausse du SMIC alors qu’en l’augmentant ne serait-ce que de 1 %, on obtiendrait 2,5 milliards de cotisations supplémentaires. Nous nous réjouissons de l’arrivée de M. Chenu en commission et attendons ses arguments sur le sujet des retraites.

Mme Bénédicte Taurine. Comme l’ont dit mes collègues, nous demandons la suppression de l’article 21, qui vise à habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, des mesures concernant les travailleurs indépendants.

M. Hervé Saulignac. Cet amendement de suppression de l’article se justifie évidemment par notre refus des ordonnances. Cela étant, l’article 21 appelle deux questions. Premièrement, il prévoit des mécanismes de solidarité interne entre les hauts et les bas revenus de certaines professions, tels que les avocats et les agents d’assurances. Mais comment ces mécanismes pourront-ils s’appliquer si les hauts revenus, du fait de la réforme, perdent une part substantielle de leurs droits à pension ? Deuxièmement, l’article réduit l’assiette la contribution sociale généralisée (CSG) payée par les travailleurs indépendants. Quelles en seront les conséquences, notamment, sur les ressources des caisses d’assurance maladie et d’allocations familiales ?

M. Sébastien Chenu. Je remercie M. Quatennens d’assurer la publicité de ma présence. Évidemment, La France insoumise – qui rêverait de retrouver un peu d’oxygène grâce à cela – n’a pas le monopole de l’opposition à la réforme des retraites. Tout en comprenant la gêne qu’il peut éprouver, je lui demande de relire les comptes rendus des réunions auxquelles j’ai participé la semaine dernière.

La réforme des retraites remet en effet en cause le modèle social français. La principale ambition de votre réforme étant de faire baisser la part des dépenses de retraite dans le PIB, comme le précise l’étude d’impact, cela impliquera mécaniquement, alors que le nombre de retraités ne va évidemment pas diminuer, une baisse substantielle des pensions. Nous dénonçons à nouveau le recours aux ordonnances – qui concerne, en l’occurrence, les travailleurs indépendants – et demandons, en conséquence, la suppression de l’article.

Mme Constance Le Grip. Je ne reviens pas sur les raisons qui motivent cet amendement de suppression de l’article 21 et, plus généralement, sur notre opposition à cette avalanche d’ordonnances, qui traduit la stratégie choisie par l’exécutif et approuvée par la majorité.

Je voudrais dire un mot de la situation des avocats. Malgré des rendez-vous et des échanges de courriers, le Conseil national des barreaux continue à exprimer son hostilité à l’encontre de ce projet de réforme et appelle à la poursuite du mouvement de grève. Nous ne comprenons pas plus que lui les raisons pour lesquelles le régime autonome des avocats devrait être fondu dans le système universel. Nous nous inquiétons de l’absence de précisions apportées par le Gouvernement sur la garantie des droits à pension acquis par les avocats dans le système actuel et sur les conséquences pour les autres branches de la sécurité sociale d’une baisse des cotisations, laquelle a prétendument pour objet de compenser la hausse des cotisations de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. C’est toujours la même logique : après avoir intégré les différentes catégories, les unes après les autres, dans le régime universel, on définit les modalités de la transition. En l’occurrence, il s’agit de demander au Parlement d’habiliter le Gouvernement à faire converger, par voie d’ordonnance, les taux et les assiettes de cotisations à l’assurance vieillesse des travailleurs indépendants. Tirant toutes les conséquences de la grande hétérogénéité des régimes de non-salariés et de l’éloignement important de certains d’entre eux de l’objectif en termes d’assiette et de taux déterminé à l’article 20, l’article 21 habilite le Gouvernement à prévoir une transition sur une période ne pouvant dépasser quinze ans, qui permettra de faire converger progressivement les taux de cotisation vers l’objectif précité et de rendre les assiettes de cotisation plus cohérentes entre travailleurs non salariés et salariés, ce qui implique un rééquilibrage entre contributions et cotisations sociales. Autrement dit, cela implique une révision de l’assiette de calcul de la CSG. Par ailleurs, rien n’empêche une profession donnée de prévoir une solidarité interne : cette possibilité n’est aucunement remise en cause.

Madame Le Grip, vous avez évoqué le cas des avocats. Je rappelle que leur situation s’explique par une démographie spécifique. Je vous renvoie à l’exemple que j’avais cité : imaginons que les informaticiens réclament la création d’une caisse de retraite ad hoc. Ils sont nombreux à être en activité, et peu d’entre eux sont retraités. Par ailleurs, ils perçoivent des rémunérations assez nettement supérieures à la moyenne des salaires en France. Ils accumuleraient donc très vite des réserves. Nous entendons précisément atténuer ces évolutions de situations professionnelles en les intégrant dans le régime universel. Il faut prendre des mesures pour favoriser une transition progressive, mais celle-ci doit être réalisée.

Défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes à nouveau confrontés à la logique des ordonnances et de la transition, qui interroge le législateur que nous nous efforçons d’être – puisque nous sommes en partie empêchés d’effectuer le travail pour lequel nous avons été élus. Il s’agit en l’occurrence de faire passer progressivement une mauvaise mesure. C’est la logique de la transition. Sur ce sujet comme sur les autres, il nous semblerait utile que vous renonciez à vos ordonnances et que vous mettiez sur la table vos intentions, pour que nous puissions en décider.

M. Jean-Paul Mattei. L’article 21 est à mes yeux bien rédigé. Je suis tout à fait favorable, dans ce contexte, au recours aux ordonnances. Nous avons cité hier l’exemple du texte de M. Woerth, qui comportait trente-trois articles et vingt-deux décrets d’application. Je préfère l’ordonnance au décret, car ce dernier – même s’il s’agit d’un décret en Conseil d’État – relève exclusivement des prérogatives de l’exécutif : il ne revient pas devant le Parlement, contrairement à l’ordonnance. C’est une différence essentielle. Mieux vaut des ordonnances sur ces aspects extrêmement techniques. Il est heureux qu’on se donne douze mois pour travailler véritablement sur le sujet. Imaginez que nous ayons à examiner cette disposition en commission, puis dans l’hémicycle : au rythme actuel, cela nous prendrait plusieurs années ! Je suis pour ma part rassuré qu’une ordonnance soit prévue. Elle sera ensuite ratifiée – ou non – par le Parlement, qui en aura pris connaissance de manière approfondie.

M. Gérard Cherpion. Dans l’exposé des motifs de l’article, il est clairement indiqué, s’agissant de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), d’une part, et de la Caisse nationale des barreaux français, d’autre part, que des plans de convergence seront définis, lesquels « détermineront les évolutions nécessaires sur les taux, seuils et plafonds applicables [...] pour atteindre le barème cible de cotisations [...]. Ils détermineront aussi les leviers qui seront à disposition des caisses pour accompagner cette transition, notamment l’utilisation des réserves qui ont été constituées par ces caisses. » Nous confirmez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que les réserves qui ont été constituées par les caisses des professions libérales et des barreaux seront utilisées pour atteindre l’objectif de convergence ?

Mme Mathilde Panot. Je poursuis mon exposé sur les auto-entrepreneurs et les travailleurs des plateformes, car je n’ai toujours pas de réponse du Gouvernement sur le sujet. 76 % des travailleurs des plateformes demandent aujourd’hui une protection sociale spécifique, et non des conditions adossées à chaque plateforme. La plupart d’entre eux ont des revenus faibles. Uber, par exemple, ponctionne 25 % du prix de la course à ses chauffeurs, lesquels doivent encore s’acquitter de frais annexes tels que le téléphone, la 4G ou la prise en charge de la voiture. En outre, ils sont mal représentés pour la défense de leurs droits et de leur statut. Monsieur le secrétaire d’État, qu’avez-vous prévu pour cette catégorie de travailleurs ? La question me paraît importante, et votre réponse indispensable pour que nous puissions légiférer.

M. Boris Vallaud. Cher collègue Mattei, vous devez être satisfait de ce texte, car là, c’est fromage et dessert : il prévoit vingt‑neuf ordonnances et plus de cent dix décrets ! Entre ceux-ci et celles-là, la distinction est toutefois essentielle, puisque les premières sont du domaine de la loi, donc de l’article 34 de la Constitution, les seconds du domaine du règlement – article 37.

Ce qui pose problème à nos yeux, c’est que cette ordonnance a un champ large et assez flou. Nous avions souligné le risque d’inconstitutionnalité lié au changement d’assiette et à la différence de traitement entre salariés et indépendants en nous fondant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1991. Vous semblez être assuré qu’il ne se dédira pas ; permettez-nous d’en douter.

Une autre difficulté, d’ordre financier, tient au fait que manqueront à l’assurance maladie presque 2,6 milliards d’euros. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a-t-il été consulté ? Nous souhaiterions dans ce cas pouvoir disposer d’un rapport documenté sur cette question afin de mesurer les conséquences de votre décision, qui est loin d’être neutre.

M. le secrétaire d’État. Je ne m’exprimerai pas sur chaque amendement, car vous êtes déjà nombreux à prendre la parole et j’entends fluidifier le débat, mais je ne voudrais pas laisser penser à Mme Panot que je veux éviter sa question.

Madame la députée, je ne vous suis d’aucune utilité en matière de reconnaissance des droits, car c’est la justice qui joue ce rôle : lorsque la relation d’un indépendant avec une plateforme est requalifiée en contrat de travail, l’indépendant reconnu salarié bénéficie alors des droits afférents. Il n’y a donc pas de débat sur ce sujet. Il s’agit évidemment de situations dont la justice a été saisie, et sur lesquelles elle se prononce à bon escient, pour pointer un abus ou un usage répréhensible des dispositions en vigueur.

Je remercie M. Cherpion d’avoir prêté attention à l’exposé des motifs de l’article ; ces paragraphes sont relativement simples à lire et souvent plein d’enseignements. Il n’y a d’ailleurs aucune ambiguïté, monsieur le député : « Ces plans de convergence détermineront les évolutions nécessaires sur les taux, seuils et plafonds applicables au barème actuel et cotisations des professions libérales pour atteindre le barème cible. Ils détermineront aussi les leviers qui seront à disposition des caisses pour accompagner cette transition [...]. » Ce sont donc bien les caisses qui décideront ce qu’elles veulent faire des fonds, et en aucun cas elles ne seront tenues d’en faire usage dans le cadre de la convergence. Votre question n’en est pas moins légitime, car il est important que ces éléments soient éclaircis, pour lever les inquiétudes et l’incompréhension.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 7450 de Mme Caroline Fiat, n° 7455 de Mme Mathilde Panot, n° 7457 de M. Adrien Quatennens et n° 7462 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Monsieur le secrétaire d’État, si vous aviez voulu montrer que vous ne vouliez pas répondre à ma question, vous n’auriez pas pu mieux faire, car celle-ci portait précisément sur les travailleurs des plateformes pour lesquels il n’y a pas requalification. Il a en effet été reconnu dans certains cas que la relation entre les plateformes et leurs travailleurs indépendants s’apparente à du travail dissimulé, ce qui est illégal, d’où les requalifications en contrat de travail. J’aurais souhaité pour ma part que le Gouvernement se batte pour cette reconnaissance. Votre réponse montre au contraire qu’il accepte les pratiques condamnables des plateformes, et qu’il ne voit rien à redire aux conditions de travail très dures des indépendants, à leurs salaires très faibles et à l’absence de protection, notamment en cas d’accident. Et ils seront également perdants pour leur retraite !

M. Adrien Quatennens. L’alinéa que nous souhaitons supprimer a pour objet une nouvelle habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Votre objectif est ici d’établir une règle commune et de supprimer la multitude de règles existantes, insupportables de votre point de vue. Or, la première fois que vous aviez demandé au Parlement une telle habilitation, c’était avec le dessein inverse de détricoter le code du travail pour qu’il y ait autant de règles différentes que d’entreprises. Cette contradiction montre clairement que l’habilitation à légiférer par ordonnance est devenue une habitude sous ce gouvernement, qui opère un dessaisissement total des pouvoirs du Parlement.

Mme Bénédicte Taurine. Nous réaffirmons par cet amendement notre opposition au recours aux ordonnances, qui nous paraît d’autant moins légitime que ce projet de loi porte sur un sujet aussi important que celui des retraites.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Monsieur Quatennens, vous suggérez que les ordonnances sont devenues une habitude, mais la seule pratique dans laquelle nous persévérons, c’est celle de la politique, qui consiste à définir le système cible. Tel était notre objectif. L’enjeu était celui de l’universalité : il fallait savoir qui serait inclus dans le système, avec quels taux, et comment réaliser la transition. Quant aux spécificités relatives à chaque régime et à tous les taux de cotisation appliqués aujourd’hui, elles ne me semblent pas relever de la compétence du Parlement, qui s’enferrait avec tous ces éléments techniques et les millions d’amendements qu’ils pourraient générer.

L’avis est donc défavorable.

M. Éric Woerth. Même s’il est tabou d’aborder les questions financières, j’aimerais tout de même comprendre comment votre dispositif s’équilibre, car il ne faudrait pas qu’il implique des charges supplémentaires pour les autres travailleurs. Le plan de financement semble s’appuyer à la fois sur un abattement forfaitaire de l’assiette et sur une augmentation des taux de cotisation, mais il reste un écart de 400 millions d’euros. Et comment arbitrez‑vous les flux entre le budget de la sécurité sociale et le budget de l’État ?

Au sujet du régime des avocats, monsieur le rapporteur, vous affirmez qu’il est excédentaire du fait de la démographie. Mais qu’avez-vous à dire sur le déficit de 30 ou 40 milliards d’euros du régime des fonctionnaires, qui sera intégré au régime universel ? À terme, 10, 15 ou 20 ans après, cette charge deviendra considérable et chronique. J’aimerais également avoir votre éclairage sur ce point.

M. Adrien Quatennens. Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que votre cible était l’universalité, les mêmes droits pour un euro cotisé. Le moins qu’on puisse dire, c’est que vous l’avez manquée – sans doute parce que tel n’était pas votre objectif véritable. L’universalité n’est que l’habillage d’une réforme qui vise à faire travailler les Français plus longtemps par la baisse du niveau des pensions et à encourager un recours massif à la capitalisation et ce, pour éviter d’organiser le partage de la richesse produite. Les Français l’ont bien compris, et les soixante jours de mouvement social y auront largement contribué.

M. Pierre Dharréville. Deux questions restent sans réponse. La première est celle du statut des travailleurs des plateformes : qu’adviendra-t-il de leurs droits à la retraite avec les nouvelles conditions ? La seconde est celle du financement de la transition. Vous dites que les caisses des professions libérales ne contribueront que si elles le souhaitent, mais vous nous devez plus d’explications sur l’impact financier de votre réforme. Qu’avez-vous l’intention de proposer aux caisses ?

M. le secrétaire d’État. J’avais compris que Mme Panot m’interrogeait sur les requalifications en contrat de travail pour les auto-entrepreneurs, mais je déduis de sa nouvelle intervention et de la question de M. Dharréville que l’interrogation porte plutôt sur la constitution de droits à retraite pour les travailleurs relevant de ce statut. Tout d’abord, ceux-ci ont bien des droits, puisqu’ils cotisent sur la base du revenu d’activité ou du chiffre d’affaires. Ils auront en outre la possibilité de choisir entre cotiser sur la base de 450 heures au SMIC ou 600 heures, l’assiette retenue pour les agriculteurs, ce qui leur permettra de bénéficier, dans le cadre du régime universel, du minimum de pension à 85 % du SMIC. La première option, avec des cotisations moindres, ouvrira bien sûr moins de droits.

Quant à la question de M. Woerth sur l’application d’un abattement pour le calcul de la CSG, j’y ai répondu à l’un des rares moments où il était absent, lorsque le sujet a été évoqué par M. Viry. Ce mode de calcul aura évidemment pour effet une baisse des ressources, mais je répète que le Gouvernement prend l’engagement de compenser cette perte et qu’il n’a pas l’intention de ponctionner le budget de la sécurité sociale.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7467 de Mme Caroline Fiat, n° 7472 de Mme Mathilde Panot, n° 7474 de M. Adrien Quatennens et n° 7479 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Caroline Fiat. Par souci de cohérence, j’ai déposé un amendement de suppression de l’alinéa 2. En effet, chaque année – et mes collègues de la commission des affaires sociales, en particulier le rapporteur général, pourront en attester –, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il m’est reproché de ne pas détailler suffisamment l’argumentaire de mes amendements ou de ne pas les chiffrer avec assez de précision. L’exigence est légitime pour un texte de cette importance, et je travaille donc beaucoup pour améliorer la présentation de mes propositions, dans l’espoir qu’elles soient à la hauteur avant la fin de la législature. Je constate toutefois que pour votre part, sur un projet pourtant aussi important que le PLFSS, puisqu’il s’agit des retraites, vous n’apportez aucun détail, ni aucun chiffrage. Et il faudrait que je vous fasse confiance ? Je ne suis pas d’accord.

Mme Mathilde Panot. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, même si elle reste assez nébuleuse. Vous nous dites que les auto-entrepreneurs ont bien des droits, et qu’ils auront deux options, mais concrètement, vous acceptez donc que perdure une situation où des contrats de prestation de service viennent masquer un travail déguisé, que des cotisations échappent ainsi à ses caisses et que des grandes entreprises comme Uber, Deliveroo, Take Eat Easy bafouent le droit du travail français.

Je prendrai l’exemple d’un chauffeur de voiture de transport avec chauffeur (VTC) pour vous faire comprendre dans quelle situation ces travailleurs se trouvent et vous donner une idée de la retraite qu’il pourrait percevoir. Michaël, donc, chauffeur de VTC, se met à son compte comme auto-entrepreneur et utilise les petites applications pour trouver des clients. N’ayant qu’une minute pour m’exprimer, ce qui est un peu court, je développerai mon exemple dans ma prochaine intervention.

M. Adrien Quatennens. Vous revenez dans cet alinéa sur les réserves constituées par certains régimes, des fonds qu’il s’agirait de mobiliser pour financer la transition vers votre système de retraite par points. Or, ces excédents, qui s’élèvent à près de 127 milliards d’euros, devaient avoir pour fonction de pallier non pas les mauvais coups d’Emmanuel Macron, mais la modification de la trajectoire démographique. C’est bien plutôt à l’État qu’il revient d’amortir les conséquences de ce projet de réforme et de mobiliser les ressources financières pour la transition vers le nouveau régime universel, et c’est la raison pour laquelle nous ne cessons de vous interpeller sur cette question. En revanche, le Gouvernement devrait réfléchir davantage à sa politique d’exonérations sociales et fiscales qui creusent des trous dans la caisse alors que le déficit potentiel est de l’ordre de 8 à 17 milliards à horizon 2025.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je vais répondre pour commencer à la question de M. Woerth sur le prétendu déficit de 40 milliards d’euros que l’État apporterait au régime universel, dont nous avons largement débattu le week-end dernier. Nous avons évoqué, notamment avec M. Coquerel, les cotisations fictives, terme consacré de la comptabilité publique. L’État ne s’acquitte pas de cotisations employeurs à proprement parler mais abonde un compte d’affectation spéciale Pensions pour financer les retraites. Cet abondement se transformera, pour une partie, en cotisations, et pour l’autre, en contributions d’équilibre. Le secrétaire d’État s’est bien engagé à maintenir ce versement le temps nécessaire à la transition. L’État, la collectivité ne doivent cependant pas intervenir uniquement pour absorber le déficit des régimes en difficulté, comme ce fut le cas dans les années 1990 pour les régimes spéciaux des banques. Parce que nous ne prétendons pas connaître l’évolution démographique des professions au cours du XXIe siècle, il nous semble pertinent de mutualiser les régimes spéciaux autonomes, pour que tous les actifs d’aujourd’hui et de demain paient pour toutes les pensions d’aujourd’hui et de demain.

Monsieur Quatennens, je suis un peu surpris de votre intervention au sujet des réserves, car vous proposez vous-même de capter ces 127 milliards d’euros pour financer le projet de votre parti. J’avoue que j’ai du mal à suivre votre raisonnement.

L’avis est donc défavorable.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, les 127 milliards de réserves des différentes caisses sont en effet évoqués dans le contre-projet de La France insoumise, mais il n’est pas question pour nous de les mobiliser. Le chiffre est simplement utilisé comme ordre de grandeur. Nous rapportons ainsi les 8 à 17 milliards d’euros de déficit que voulez faire peser sur le dos des Français pour qu’ils acceptent de travailler plus longtemps à ces 127 milliards, aux 42 milliards d’encours bancaires des retraites chapeaux, ou encore aux 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires. Ces dizaines de milliards permettent aux Français de relativiser et de relever la tête. Pour financer notre projet, nous nous appuyons sur la hausse des salaires et des cotisations, notre besoin correspondant à 2 points de PIB supplémentaires d’ici à 2040, ce qui est bien peu de choses en comparaison de nombre de points de PIB passés des poches du travail à celles du capital ces dernières années.

M. Thierry Michels. Je voudrais revenir à l’exposé sommaire des amendements qui nous sont proposés, et dont il n’a pas été question, ce qui montre bien qu’ils ont pour visée regrettable de nous empêcher de discuter du fond du texte. Il serait ainsi mensonger d’affirmer qu’un euro cotisé donne les mêmes droits à chacun. Je rappelle que le régime universel n’est pas uniforme : il comporte évidemment des dispositifs de solidarité, comme le système actuel. Sur les 320 milliards d’euros de pensions payées par an, 20 % relèvent en effet de la solidarité nationale, ce qui est une bonne chose.

Dans le nouveau régime, la solidarité joue notamment vis-à-vis des personnes handicapées. Le texte de loi simplifie par exemple l’accès à la retraite anticipée, une mesure très positive. Avec mes collègues mobilisés sur le sujet, nous avons, dans le cadre d’un dialogue étroit avec les associations, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et le Gouvernement, fait des propositions pour que la solidarité soit renforcée : possibilité d’accéder plus tôt à la retraite anticipée et à la retraite progressive pour favoriser l’insertion dans l’emploi et la reconnaissance d’une pénibilité spécifique, achat de points de retraite à taux bonifié et de points de retraite pour les aidants.

Nous avons bon espoir que certaines de ces propositions aboutissent ; nous en saurons peut-être plus demain, lors de la clôture de la conférence nationale du handicap par le Président de la République. Nous y reviendrons également lors de l’examen des articles 29 et 30, qui traitent précisément de la retraite des personnes handicapées.

M. Jean-Pierre Door. M. Quatennens défend avec force les réserves des caisses autonomes, notamment celles des avocats et des médecins, et je ne trouve rien à y redire. Le Gouvernement a néanmoins décidé de créer un Fonds de réserve universel (FRU) qui sera abondé, a priori, de 127 milliards d’euros – vous me corrigerez si je me trompe. À qui sera confiée la gestion de ce fonds ? Aux conseils d’administration des caisses ? Au Gouvernement ? Dans ce dernier cas, l’État ne sera-t-il pas tenté, si survient un cyclone économique ou financier, de siphonner le fonds, dont les actifs appartiennent pourtant aux caisses autonomes ?

M. Sébastien Jumel. Le député Michels ne manque pas d’air.

D’abord, il nous explique, alors que ça fait huit jours qu’on est dans le chaudron, qu’il va falloir attendre la parole providentielle, la parole présidentielle, demain, pour savoir si nous avancerons sur plusieurs sujets. Voilà qui démontre une fois de plus en quelle estime vous tenez le Parlement, considérant que l’essentiel se joue ailleurs, et non pas ici. Telle n’est pas notre conception du rôle du Parlement.

Ensuite, il nous explique que cette loi est extraordinaire, qu’un euro cotisé donnera les mêmes droits. Le débat que nous avons eu sur la baisse des cotisations pour les hauts revenus fait s’effondrer cette affirmation de justice. Et si cet exemple ne suffisait pas, nous en aurions bien d’autres.

Enfin, il nous dit qu’avec cette formidable réforme, il sera possible d’accéder plus rapidement à une retraite progressive. Or, à l’article 25, il est prévu de reculer l’âge d’entrée dans ce dispositif à 62 ans.

Ces trois arguments permettent de dire que votre réforme, ça ne fait décidément pas la rue Michel.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Door, je vous renvoie à l’article 60 concernant la constitution du FRU : lui seront transférés les seuls actifs de l’actuel Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Il n’y a donc pas d’ambiguïté sur ce point, et je vous invite à vous rapprocher de M. Cherpion, qui avait tout à l’heure le texte sous la main, pour vous reporter à l’exposé des motifs de l’article.

Au sujet du handicap, je me réjouis que le député Thierry Michels soit intervenu, car il est très engagé, à l’instar de nombreux autres parlementaires. J’ai eu la chance de m’entretenir avec eux de ces questions, et j’ai pu constater que ces préoccupations étaient partagées, y compris au sein d’autres groupes que ceux de La République en Marche et du Mouvement Démocrte. Monsieur Michels, vous avez appelé notre attention sur plusieurs amendements dont nous discuterons plus tard sur la nécessité de faciliter le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Vous vous êtes notamment interrogé sur la possibilité d’une cessation progressive d’activité. Plusieurs groupes ont également relevé la situation des parents d’enfants handicapés, et des réflexions sont menées sur ce sujet avec plusieurs parlementaires. Alors que doit se clore cette semaine la Conférence nationale du handicap, il est important de consacrer du temps à ces questions, de poser les bases d’une solidarité qui nous importe à tous.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Chers collègues, en tant que présidente de la commission des affaires sociales, je peux témoigner de l’engagement, de l’implication de M. Michels depuis le début de son mandat pour défendre la cause des personnes handicapées. Si les désaccords sont possibles entre députés de sensibilités différentes – et il me semble qu’ils trouvent ici largement l’espace pour s’exprimer –, laisser entendre que ce dernier attendrait les ordres pour agir est à la limite de la décence.

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 7484 de Mme Caroline Fiat, n° 7489 de Mme Mathilde Panot, n° 7491 de M. Adrien Quatennens et n° 7496 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Caroline Fiat. On ne cesse de répéter depuis plusieurs jours qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits, mais certains – ceux qui en auront les moyens – auront la possibilité de compléter leurs points par la capitalisation, autrement dit par des points capitalisés. Or, à mes yeux, un euro cotisé parce qu’on a travaillé n’a pas la même valeur « sociale » qu’un point capitalisé : travailler toute une carrière pour atteindre un nombre de points donné, ce n’est pas la même chose que d’acheter ces points. En outre, tout le monde n’a pas les moyens financiers de le faire, nombre de travailleurs n’ayant pas même les moyens de finir le mois dignement.

Mme Mathilde Panot. Je reprends l’exemple de Michaël, chauffeur de VTC. Celui‑ci a investi dans un van haut de gamme de 27 000 euros. Il crée sa société en 2015, mais sa situation se dégrade progressivement. Au cours de l’année 2016, il se retrouve endetté jusqu’à ne plus pouvoir payer son loyer. Il est contraint de retourner vivre chez ses parents. Selon ses termes, Uber est une société de « foutage de gueule » qui promet des chiffres d’affaires faramineux à ses partenaires mais qui, en réalité, maltraite ceux et celles qui, de fait, occupent une position de salarié. Les travailleurs tels que Michaël qui se retrouvent avec un endettement très élevé ou qui, même s’ils parviennent à éviter cette spirale, touchent des revenus très bas, subissent des conditions de travail inadmissibles en France. Or vous acceptez non seulement que les plateformes continuent de procéder de la sorte avec des travailleurs auxquels on ne reconnaît pas les droits des salariés, mais vous ne faites rien pour leur retraite. En d’autres termes, tant que les plateformes séviront et se gaveront sur leur dos, ils pourront toujours crever la gueule ouverte !

M. Adrien Quatennens. Tout ce qu’il y a d’universel dans ce projet de loi, c’est la baisse des pensions et un allongement des carrières, alors qu’on pourrait créer un vrai régime universel avec des objectifs clairs tels qu’un départ à la retraite à 60 ans.

Vous n’avez d’ailleurs toujours pas répondu à cette question : vous paraît‑il souhaitable de fixer un âge de départ qui permettrait d’arrêter de travailler avant la période où l’on connaît statistiquement les premiers pépins de santé ? Nous avons démontré qu’il est possible de le faire sans mobiliser beaucoup de ressources financières, à condition de considérer notamment que la hausse de la productivité que nous avons connue ces dernières décennies justifierait qu’on consacre quelques points supplémentaires de la richesse nationale aux retraites. Tout cela pourrait parfaitement être intégré dans l’universalité, à condition d’harmoniser par le haut. Le Premier ministre, dans son intervention à la télévision, comparait la situation des chauffeurs de bus de Bordeaux avec celle des chauffeurs de Paris. Il est évident que les premiers se satisferaient de pouvoir bénéficier des conditions plus favorables de leurs collègues parisiens.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 3, qui prévoit l’adaptation des dispositions relatives aux assiettes de cotisations et contributions sociales mentionnées à divers articles du code de la sécurité sociale, ce à quoi nous sommes opposés.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Comme je l’ai indiqué précédemment, la transition prévue à l’article 21 étant très technique, la méthode la plus efficace est de procéder progressivement par voie d’ordonnance.

L’avis est donc défavorable.

M. Sébastien Jumel. J’ai bien perçu le reproche que vous m’avez adressé, madame la présidente ; permettez-moi donc de préciser mon propos. Le député Michels est reconnu depuis longtemps pour le sérieux et la conviction avec lesquels il travaille sur la question du handicap. Le député Dharréville a quant à lui commis un rapport sur les aidants familiaux qui a fait date et qui a suscité le consensus. Je suis moi-même l’auteur d’un rapport de commission d’enquête sur l’inclusion scolaire des élèves handicapés qui comprend cinquante‑sept propositions et qui a été adopté à l’unanimité. J’ai également le souvenir qu’Aurélien Pradié ou Christophe Bouillon, pour mentionner d’autres groupes politiques, ont aussi beaucoup œuvré dans ce domaine.

La seule question de fond est de savoir qui, du Parlement ou du Président de la République, doit trancher sur tous ces sujets. Nous sommes ici pour réfléchir à la protection sociale de demain, une réflexion qui doit inclure la situation des personnes handicapées. Or, et c’est ce que j’ai voulu dire tout à l’heure, il n’est pas question que la seule parole présidentielle, qui parfois rappelle à l’ordre et à d’autres moments distribue les bons points, règle ces affaires en dehors du Parlement. Et quand vous multipliez les actes qui dessaisissent les parlementaires de l’exercice du pouvoir pour lequel ils ont été élus, vous affaiblissez le Parlement.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7501 de Mme Caroline Fiat, n° 7506 de Mme Mathilde Panot, n° 7508 de M. Adrien Quatennens et n° 7513 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Mathilde Panot. Par cet amendement qui tend à supprimer l’alinéa 4, nous rendons hommage à la très forte mobilisation des avocats, qui dure depuis plusieurs semaines, et qui est remarquable d’inventivité. Ils pointent notamment le doublement de leurs cotisations, et ont tenté par tous les moyens – chanson, chorégraphie, jeté de robes, haka – de vous faire savoir qu’ils voulaient le retrait de la réforme. Les avocats cotisent en moyenne à hauteur de 14 % aujourd’hui. Faire passer ce taux à 28 % reviendra à faire peser l’effort sur ceux qui ont les plus petits revenus, c’est-à-dire ceux qui font de l’aide juridictionnelle. Au‑delà du fait que cette réforme rassemble les avocats contre elle, elle aura un impact sur l’accès au droit des citoyens : la hausse du taux de cotisation va éloigner les justiciables des avocats de proximité et entraîner une augmentation des honoraires. Cette mise en danger des services à la population risque de se produire également dans le secteur de la santé. Écoutez donc le peuple qui, dans sa majorité, veut le retrait de cette réforme.

M. Adrien Quatennens. Nombre de professions ne savent plus quoi faire pour appeler l’attention du Gouvernement. Il est très inhabituel de voir les avocats de ce pays mobilisés avec une telle force. Qu’ils en viennent à jeter leur robe aux pieds de leur ministre de tutelle, que d’autres professionnels reproduisent le même geste avec leur uniforme de travail montre bien qu’un seuil critique a été franchi. Or face à ces gestes, le Gouvernement demeure inflexible. La lutte s’étirant sur la durée, il faut bien essayer d’y insuffler un peu de légèreté, mais il ne s’agit pas pour ces professionnels de s’amuser : leur seul objectif est d’appeler votre attention sur le désastre social que vous provoquerez dans bien des secteurs d’activité si vous imposez de force cette réforme, qui est une véritable usine à gaz. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit les avocats se mobiliser au côté des énergéticiens, des cheminots et de tous les autres travailleurs, et cette mobilisation exemplaire doit être saluée.

Mme Bénédicte Taurine. Nous souhaitons supprimer l’alinéa 4, car nous considérons qu’avec la modification du taux de cotisation prévue par le Gouvernement, bon nombre d’avocats risquent de se trouver dans l’impossibilité d’exercer.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je ne sous-estime pas les enjeux de la réforme pour les avocats, mais il me semble que celle-ci cristallise les mécontentements de la profession face aux difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui. Si certains avocats, parfois stars du barreau, gagnent bien leur vie, la situation économique de nombre d’entre eux s’est dégradée, peut-être en raison d’une moindre reconnaissance, ou d’une modification de leur statut dans l’esprit des gens. La question du statut et de la rémunération des avocats est donc un réel enjeu de politique publique, et mérite une attention particulière. Toutefois, cette situation interfère avec la question des retraites, et les reproches faits à cette réforme dépassent en réalité largement ce sujet, ce qui fait aussi partie du jeu politique.

Quant à l’alinéa visé par ces amendements de suppression, il précise le champ de l’ordonnance ; l’avis est donc défavorable.

M. Éric Woerth. Nous souhaitons pour notre part faire perdurer un certain nombre de régimes autonomes. Le système universel ne doit s’appliquer que dans la limite de 1 PASS. Cela couvrirait déjà beaucoup de monde. Il ne sert à rien de supprimer les régimes autonomes pour les rassembler au sein d’une maison commune au motif qu’ils peuvent, un jour, rencontrer des difficultés. C’est une drôle de manière de voir les choses. Si toutes les retraites finissent par être financées par l’impôt et non plus par les cotisations, ce sera un tout autre système.

Cette réforme est par ailleurs envisagée dans un contexte de malaise, alors que certaines professions se sentent menacées par l’intelligence artificielle et que nombre de tâches pourront être accomplies par des robots plutôt que par des humains – je vous renvoie au très bon article paru ce matin dans Le Figaro. Cette évolution est terrorisante. Notre tour viendra : un jour en effet, les décisions du Gouvernement seront remplacées par des algorithmes, en fonction d’une multitude de sondages, sans que l’on sache où le facteur humain perdurera.

Il était donc inutile de déstabiliser plus encore ces professions, et pour rien, puisque le système universel tel que vous le concevez est largement inutile. Vous pouviez mettre un terme à des injustices sans vous saisir d’un énorme marteau pour écraser quelques mouches.

Mme Mathilde Panot. Je rejoins le rapporteur sur un point : la profession d’avocat recouvre en effet des situations extrêmement différentes, des stars du barreau à leurs confrères qui s’en sortent difficilement. Je suis en revanche en désaccord avec lui lorsqu’il dit que la réforme interfère avec d’autres éléments qui expliquent leur mobilisation. Ils veulent très clairement le retrait de la réforme comme ils le font savoir à chaque fois qu’ils sont reçus par le Gouvernement ou à l’occasion des actions chocs qui se multiplient dans tout le pays. On ne peut pas écarter cette revendication d’un revers de la main. En outre, dans la mesure où cette réforme va d’abord toucher les avocats qui exercent une mission au titre de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire les plus pauvres d’entre eux, c’est finalement tout le système judiciaire qu’elle va remettre en cause. Ce sera un obstacle de plus pour les personnes les plus précaires qui ont déjà du mal à recourir aux services d’un avocat. C’est aussi cela que refusent les avocats et c’est tout à leur honneur.

M. Sébastien Jumel. Au lendemain de l’élection présidentielle, les avocats n’étaient pas les plus inquiets. Ils étaient plutôt ouverts. Mais, depuis, des mesures les fragilisant chaque jour un peu plus, leur sont tombées sur la carafe. Ainsi, la réforme de la justice, qui a vidé les tribunaux de plein exercice de leurs compétences, fait très mal dans les barreaux des villes moyennes. Et votre texte qui va casser leur caisse autonome de retraite va frapper notamment les avocats exerçant dans ces villes, et dont le chiffre d’affaires ne permettra pas d’amortir le choc de la réforme. Leur colère et leur désespérance ne sont pas feintes. Ils sortent de chaque réunion de concertation avec le sentiment d’avoir été un peu plus humiliés, ce qui renforce leur opposition au projet.

M. Sébastien Chenu. Le problème vient de ce que bien souvent, votre majorité n’anticipe pas les conséquences de ses décisions, comme on a pu le voir récemment encore à propos d’un amendement portant sur le congé de parents d’enfants décédés. En l’occurrence, vous allez porter atteinte à l’attractivité de la profession d’avocat, aujourd’hui confrontée à un certain nombre de problématiques. Les avocats l’ont bien compris. Je salue ceux du barreau de Valenciennes qui vous le disent au travers d’un clip sympathique intitulé « Balance ta robe ». Si demain, il y a moins d’avocats, cela signifiera moins d’accès à la justice pour des populations qui peuvent en avoir besoin.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22657 du Gouvernement.

M. le secrétaire d’État. Cet amendement, qui porte sur le taux d’abattement, va permettre de répondre à une partie des inquiétudes exprimées par certaines professions libérales au sujet de l’augmentation de leur taux de cotisation d’assurance vieillesse. Elles attendent une révision de l’assiette de CSG qui leur est applicable. L’amendement précise le taux d’abattement qui sera applicable aux revenus dits « super-bruts » des travailleurs indépendants, en vue de mener à bien la réforme de simplification de leur assiette de cotisations contributives. Dès le début des concertations avec Jean-Paul Delevoye, il avait été envisagé de rééquilibrer les choses entre la cotisation vieillesse, dont le taux va être aligné sur celui du système universel, et l’assiette de la CSG. Le rapporteur a bien montré combien il était compliqué pour un travailleur indépendant de calculer le montant de ses charges sociales. Nous proposons que le taux d’abattement applicable à ces revenus « super-bruts » soit fixé à 30 %.

Mme Clémentine Autain. Cela ne correspond pas à la demande des indépendants. Vous allez déshabiller Jacques pour habiller Paul : vous utilisez en effet les abattements pour compenser la mise à sac de leur système de retraite. Outre que ces abattements vont occasionner un manque à gagner pour les caisses de l’État, vous ne répondez pas à l’inquiétude relative à la sécurisation des retraites des indépendants. Résultat : si un tel abattement va amortir un peu le choc, leur système de retraite va évoluer vers la capitalisation. Telle est la logique que vous mettez en œuvre ! Elle est en l’espèce tout à fait éclairante.

Mme Cendra Motin. En tant qu’ancienne indépendante, je salue cette décision car des inquiétudes s’étaient exprimées sur ce point. Cette circularité de la CSG était incompréhensible. Harmoniser son assiette va également faciliter les choses au quotidien, ne serait-ce que d’un point de vue comptable et pour connaître le niveau des rémunérations. Cet abattement était également très attendu par des professions avec lesquelles nous vous savons en discussion. Les avocats seront ainsi rassurés de pouvoir compter sur les 6 points de baisse de charges que cela représente.

Il va y avoir, nous dit-on, un jeu de vases communicants entre la CSG et les comptes de la branche vieillesse de la sécurité sociale. Commissaire aux finances, j’ai cependant l’habitude de réfléchir, toutes administrations publiques confondues, c’est-à-dire en considérant le budget de l’État dans sa globalité. La mesure ne me semble donc poser aucun problème. Ce n’est que de la tuyauterai budgétaire : le milliard en question ne disparaîtra pas. Merci encore d’avoir prévu dans le texte cette importante disposition.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le secrétaire d’État, si votre amendement semble de nature à rassurer le monde des avocats, force est de constater qu’ils ont confirmé dans un communiqué récent leur opposition totale à cet abattement de 30 % sur l’assiette. Ils réclament à nouveau une baisse des cotisations pesant sur leurs revenus jusqu’à 1 PASS. Ils veulent en rester à 14 %, car l’augmentation prévue va condamner beaucoup de jeunes avocats et de petits cabinets.

M. Bruno Fuchs. Vous avez raison de souligner, monsieur le rapporteur, que la problématique à laquelle la profession d’avocat est confrontée est beaucoup plus large que celle des retraites. Techniquement, en effet, l’abattement de 30 % compensera l’augmentation des cotisations jusqu’en 2029. Celle de 5,6 % prévue entre 2029 et 2040 sera compensée par plusieurs mécanismes. Enfin, à l’occasion de cette réforme, des discussions sont engagées visant à accompagner les plus petits cabinets, ceux qui se trouvent dans les situations les plus précaires, en vue de renforcer leur position et de leur permettre d’exercer mieux leur activité. Tout cela devrait rassurer les avocats. La question est davantage celle des relations de cette profession avec les autorités et avec le Gouvernement.

M. le secrétaire d’État. Je le répète, nous avons reçu tous les représentants des professions libérales et indépendantes. Comme l’avait fait mon prédécesseur Jean-Paul Delevoye, mon équipe et moi-même nous sommes très fortement impliqués dans ces rencontres. Personne n’a trouvé porte close. Personne ne peut dire qu’il n’a pas pu échanger avec nous, notamment à partir des cas-types qu’ils avaient eux-mêmes commandés.

La mesure que je vous propose d’adopter n’aura pas d’impact sur les charges de 75 % d’indépendants. Dans 5 % des cas, elle fera baisser les charges ainsi que, mais moins fortement, les prestations – je vous renvoie à l’exemple donné ce matin à M. Door s’agissant des médecins. Dans 20 % des cas – qui correspondent à certains parcours-types d’avocats –, elle aura pour conséquence une légère augmentation des charges qui doit être considérée au regard de la baisse de CSG et de l’augmentation, de l’ordre de 3 % à 5 %, de la cotisation au titre de l’assurance vieillesse, qui sera étalée sur quinze ans. Cette évolution s’accompagnera d’une augmentation plus importante en proportion des prestations en matière de retraite, comme l’ont constaté l’ensemble des indépendants que nous avons rencontrés.

Il nous faut continuer à rassurer, notamment les avocats, et à travailler avec eux sur les équilibres. L’inquiétude exprimée par certains indépendants est en partie liée en effet à leur capacité à faire face demain à l’évolution de leur environnement, aux éventuelles charges et au développement de leur chiffre d’affaires et donc de leur rémunération. Tel est le débat qui est parfois remis sur la table au travers du dispositif que nous proposons en matière de retraite.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Tout a été dit. En tant qu’agriculteur, il me fallait, de façon circulaire, connaître mes cotisations pour les calculer. Un abattement de 30 % sur l’assiette de calcul des cotisations et de la CSG sera favorable dans bon nombre de cas, et compensera en tout cas l’augmentation des cotisations retraite.

Mon avis est donc évidemment favorable.

La commission adopte l’amendement.

(Suspension de séance)

La commission examine les amendements identiques n° 7514 de Mme Clémentine Autain, n° 7518 de Mme Caroline Fiat, n° 7521 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7523 de Mme Mathilde Panot et n° 7530 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je reviens sur l’amendement du Gouvernement qui, à la relecture, me pose un problème. Il vise en effet, à l’alinéa 4, après le mot : « sociales, », à insérer les mots : « sur lequel est appliqué un abattement de 30 % dans la limite d’un montant tenant compte des cotisations sociales dues ». Or il me semble qu’il faudrait plutôt écrire « sur laquelle », eu égard à la rédaction de l’alinéa. À moins que je n’aie pas compris le sens précis de votre amendement.

Par ailleurs, cet abattement de 30 % portera-t-il sur les revenus au-delà de 3 PASS ? Si tout le monde est concerné, certains y gagneraient, ce qui serait étrange et incohérent par rapport à votre propre logique.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit que les avocats n’étaient pas seulement en grève à cause du projet de loi sur les retraites. Mais d’autres travailleurs indépendants se mobilisent aussi, je pense notamment à ceux relevant du secteur de la santé. Certes, des négociations sont ouvertes, mais ils quittent chaque fois la table sans avoir obtenu aucun résultat parce que vous ne les entendez pas ou que vous ne leur apportez pas les bonnes réponses.

Nous souhaitons donc, par cet amendement, supprimer l’alinéa 5.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’alinéa 5 s’entend comme une application résultant « [...] du a du présent 2°, [...] », c’est-à-dire de l’alinéa 4, qui comporte désormais, en raison de l’adoption de l’amendement du Gouvernement, un abattement de 30 % sur les bases concernées. Je trouve tout d’abord particulièrement injuste que l’on mette sur le dos de tous les autres assurés sociaux les problèmes que soulève le régime d’une catégorie professionnelle particulière. Rappelons que, dans la longue histoire des cotisations sociales, certaines catégories, à l’origine, n’ont pas souhaité, comme c’était leur droit, participer au régime général de la sécurité sociale ; elles ont par la suite changé d’avis. Le bénéfice des 30 % d’abattement est-il étendu aux chefs d’entreprises agricoles ou maritimes ?

Mme Mathilde Panot. S’agissant des ordonnances, le Conseil d’État souligne : « [...] que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionalité [...]. »

En outre, compte tenu de la façon dont s’est déroulée la réforme de l’assurance chômage, qui avait vu l’ensemble des syndicats quitter la table de négociation, et du décret passé cet été en catimini qui exclut de l’indemnisation des centaines de personnes, nous n’avons pas vraiment confiance dans le dialogue social que mène le Gouvernement avec les partenaires sociaux.

Mme Bénédicte Taurine. Les avocats nous ont indiqué que leur retraite moyenne s’élève à 2 130 euros nets par mois et qu’un avocat percevant 3 700 euros bruts par mois cotise à l’assurance vieillesse au taux de 14 %. Avec la réforme, qui s’étalerait sur quinze ans, ce taux passerait à 28 %. Surtout, selon des députés proches du Gouvernement, une partie des réserves constituées par ces professionnels, d’environ 2 milliards d’euros, pourrait être utilisée pour atténuer la hausse des cotisations. Est-ce exact ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, il s’agit bien du mot « lequel », qui se rapporte au bénéfice mentionné au début de la quatrième ligne de l’alinéa 4. Mais peut-être faudra-t-il en effet revoir la rédaction pour la rendre plus claire.

Monsieur Mélenchon, je vous confirme que les revenus maritimes et agricoles bénéficieront bien de l’abattement de l’assiette de la CSG. À l’alinéa 5, le b renvoie au fait que ces contributions seront calculées sur une assiette proche ou identique à celle des cotisations sociales résultant du a.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ça fait combien ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. 30 % d’abattement de l’assiette en question. L’économie en découlant permet donc de porter le taux de cotisation vieillesse à 28 %. Compte tenu de la baisse induite par la baisse de la CSG, l’opération sera neutre pour 75 % des indépendants, comme l’a expliqué le secrétaire d’État.

Les réserves des caisses autonomes peuvent évidemment être utilisées, mais cela ne constitue pas une obligation, par les professions concernées pour adoucir la transition prévue.

Je suis défavorable à ces amendements de suppression de l’alinéa 5.

M. Sébastien Jumel. Nous avons l’impression que les choses essentielles se discutent ailleurs, au sein de la conférence de financement ou au travers du dialogue à géométrie variable établi avec les uns et les autres, ce qui complique notre tâche.

La spécificité du métier de marin vous a conduit à l’écarter de l’universalité, ce qui constitue d’ailleurs un aveu du caractère négatif de la réforme. L’abattement d’assiette de CSG est-il néanmoins prévu ?

Les membres du conseil d’administration de l’Établissement national des invalides de la marine, M. Jacques Schirmann, président de la Fédération nationale des pensionnés de la marine marchande, les syndicats représentant les marins du commerce et du trafic transmanche, les marins-pêcheurs sont-ils étroitement associés à ces réflexions ? Pas un des professionnels du secteur que j’ai contactés ne m’en a parlé. Il faut que le Parlement soit éclairé sur ce point.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous confirmez donc que l’amendement n° 22657 du Gouvernement s’appliquera aux professions visées aux articles L. 136-3 et L. 136-4 du code la sécurité sociale, c’est-à-dire aux chefs d’entreprises agricoles et maritimes.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Oui.

M. Jean-Luc Mélenchon. Leur taux de cotisation vieillesse va donc être porté à 28 % et leur assiette de CSG soumise à un abattement de 30 %. Avaient-ils bien compris ce dispositif, qui les place dans la même position que les avocats ? Combien cela coûtera-t-il à la sécurité sociale, car cela va concerner quelques centaines de milliers de personnes ? Les cotisations qu’ils ne verseront plus devront en effet être compensées soit par les autres assurés sociaux, soit par les caisses de l’État. Combien de milliards cela représente-t-il ? Ne doit-on pas être surpris que vous ne l’ayez pas indiqué lorsque vous avez défendu l’amendement ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Cela a été dit.

M. Jacques Marilossian. Je vais essayer d’éclairer nos collègues : à la page 423, l’étude d’impact, que vous avez sûrement lue, précise que « [...] les cotisations des indépendants calculées sur leur revenu, net de ces cotisations, représentent, même à taux égal, un poids moindre que celui des cotisations acquittées par les salariés et leurs employeurs sur la base d’un revenu brut. Il en résulte une moindre contribution aux différents risques sociaux, susceptible de soulever des questions d’équité et ayant pour effet de limiter la constitution de leurs droits dans le cadre du système universel de retraite. [...] Aussi, pour un même revenu net donné, un travailleur indépendant acquitte moins de cotisations sociales mais davantage de CSG et de CRDS qu’un salarié. »

Il est donc possible de relever de 14 % à 28 % le taux de cotisation retraite en réduisant la partie CSG et contribution pour le remboursement de la dette sociale tout en faisant en sorte que le travailleur indépendant ne voit pas augmenter l’ensemble de ses cotisations.

M. Éric Woerth. Il faut répondre à la question de M. Mélenchon, que nous avons d’ailleurs également posée à plusieurs reprises : combien ça coûte ? Vous allez en effet priver une autre branche de la sécurité sociale d’une partie de ses recettes. Certes, il s’agit de caisses autonomes. En tout état de cause, je n’avais pas compris que certaines branches disposaient de recettes excédentaires qu’il fallait abandonner.

Je comprends les avocats, qui invoquent le caractère réversible du dispositif : ce que vous vous proposez de faire, un projet de loi de financement de la sécurité sociale pourra, un an après, le défaire. Ils n’ont aucune garantie pour l’avenir. Et, encore une fois, tout cela ne sert à rien. Je pourrais comprendre si le système était véritablement universel, dans l’intérêt général : or ce n’est pas le cas. C’est que pour la beauté du geste. Il faut s’attaquer aux poches d’injustice les plus criantes, que l’on a déjà identifiées. Votre régime pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Quant à se projeter dans trente ou quarante ans, les choses auront alors beaucoup évolué et nombre de gouvernements auront apporté des modifications. Il sera évidemment possible de faire machine arrière.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7531 de Mme Clémentine Autain, n° 7535 de Mme Caroline Fiat, n° 7538 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7540 de Mme Mathilde Panot et n° 7547 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je vous remercie d’avoir apporté la précision que je vous demandais. J’imagine que vous allez proposer une nouvelle rédaction de l’amendement en question. Il s’agit donc bien d’un abattement de 30 % sur les bénéfices. Je m’étonne d’être la seule à avoir remarqué ce point. Je me demande si tout le monde suit bien l’ensemble de nos travaux ou si, chers collègues de la majorité, vous votez de façon aveugle.

En revanche, je réitère ma question éminemment politique : l’abattement concernera‑t‑il l’ensemble des indépendants ou uniquement celles et ceux dont les revenus sont inférieurs au plafond des 3 PASS, c’est-à-dire ceux qui gagnent moins de 10 000 euros par mois ? Cette césure est importante puisque c’est celle prévue par votre régime de retraite au sein duquel ceux dont les revenus excèdent ce plafond ne seront pas assujettis au même niveau de cotisation que les autres et échapperont au régime général.

Mme Caroline Fiat. Nous demandons la suppression de l’alinéa 6, qui suscite de nombreuses questions. Ainsi que nous le répétons depuis le début, il faut revoir votre copie et revenir avec un texte apportant des réponses.

M. Jean-Luc Mélenchon. La question posée par Mme Autain est très importante : ceux dont les revenus excédent les 3 PASS auront-ils également droit à un abattement de 30 % ? J’ai bien noté que l’ensemble était calculé sur les bénéfices et non sur la base sur laquelle sont établis les droits à la retraite des indépendants. Si ce n’est pas le cas, je suis preneur de vos explications.

Si vous appliquez le même dispositif aux entreprises agricoles et aux entreprises maritimes, je vous pose la même question : quid des revenus excédant ce même plafond de 3 PASS ? Combien ça coûte ? Quel est le surcoût induit pour les autres branches de la sécurité sociale ? Le président de la commission des finances, si j’ai bien compris, n’est pas au courant. Est-ce que quelqu’un l’est ? Le Gouvernement, qui a déposé l’amendement n° 22657, doit bien avoir une idée de ce que coûte le dispositif.

Mme Mathilde Panot. Les questions de mes collègues Clémentine Autain et Jean‑Luc Mélenchon soulèvent celles de la crédibilité et de la sincérité des débats parlementaires. Sans réponse, vous allez, chers collègues, voter un article qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance sans que nous ayons pu comprendre les limites du dispositif proposé.

Mme Bénédicte Taurine. Nous demandons la suppression de l’alinéa 6 de l’article 21, qui indique que le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance toute mesure visant à prévoir « les conditions et modalités selon lesquelles une partie de la cotisation d’assurance vieillesse des travailleurs indépendants peut être prise en charge par un tiers ». À l’image de mes collègues, cette disposition me laisse perplexe.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je reconnais le caractère très technique de cette mesure. Je vais m’attacher à expliquer un élément de comptabilité – il faut avoir fait des fiches de paie pour le comprendre.

Si vous êtes salarié, vous calculez vos cotisations sur votre salaire brut – à partir duquel, si vous retranchez les cotisations maladie et vieillesse ainsi que la CSG, vous obtenez votre salaire net. Viennent s’y ajouter les charges patronales : l’entreprise qui vous emploie supporte bien le coût complet du salaire net, des cotisations salariales et des cotisations patronales ; mais pour le salarié, la CSG est calculée sur le salaire brut.

Si vous êtes indépendant – je parle en connaissance de cause, puisqu’en tant qu’agriculteur j’ai régulièrement essayé de comprendre le résultat que me présentait mon comptable –, vos cotisations sont calculées sur le super-brut, c’est-à-dire sur le salaire brut auquel s’ajoutent les cotisations patronales. La base de calcul est donc différente pour les salariés et pour les indépendants, et ces derniers revendiquent depuis longtemps qu’elle soit harmonisée. Cependant, c’est plus simple à dire qu’à faire d’un point de vue technique. Par exemple, s’agissant des agriculteurs – c’est la situation que je connais le mieux –, les taux d’appel des cotisations retraite sont de l’ordre de 16 %. Pour passer de 16 à 28 % – le taux global du système universel –, l’écart est en effet important. Pour réaliser le changement de taux de l’ensemble des indépendants, il a donc été proposé que soit mis en place un abattement de l’assiette de 30 %, qui s’appliquera à l’ensemble des cotisations. Cet abattement correspond à l’augmentation de cotisation liée à l’uniformisation du taux. Pour les indépendants autour de 1 PASS, c’est un jeu à somme nulle. Vous avez soulevé le cas des agriculteurs à 3 PASS ; je pense qu’en France, on doit pouvoir les compter sur les doigts de quelques mains...

M. Jean-Luc Mélenchon. Il y en a, si vous allez dans la Beauce, et ils ont des subventions !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je veux bien vous croire. Toujours est-il qu’il peut y en avoir, parmi les agriculteurs mais surtout parmi l’ensemble des indépendants. Voici ce que dit l’amendement n° 22657 présenté par le Gouvernement : « à l’alinéa 4, après le mot : "sociales", insérer les mots : "sur lequel est appliqué un abattement de 30 % dans la limite d’un montant tenant compte des cotisations sociales dues" », ce qui correspond à l’équivalent de 1 PASS. Le plafond va donc être fixé au niveau de 1 PASS, pour éviter que ceux qui sont à 3 PASS bénéficient d’un « super-gain » de 30 % d’abattement de cotisations – comme vous le pointez à juste titre. Cette mesure concernera les indépendants.

Monsieur Jumel, vous nous avez interpellés sur les pêcheurs. Vous dites que nous les avons épargnés. Mais nous n’« épargnons » personne, car ce terme pourrait donner l’impression qu’il s’agit d’un sacrifice ; or ce n’est pas le cas. Il faut reconnaître que du fait de l’ancienneté de leur statut – remontant pour une partie d’entre eux à l’ordonnance de Colbert prise en 1681 –, et parce que les dernières réformes n’ont pas voulu traiter leur cas, ils se trouvent parmi ceux qui sont les plus éloignés du système cible. Ils sont donc visés par des mesures spécifiques de rapprochement – plus le marin est loin de sa destination, plus nombreuses seront les fois où il devra vérifier son cap...

M. Sébastien Jumel. Il faut faire attention aux récifs !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Oui, quand on approche de la côte. Pour le moment, on en est loin. (Sourires.)

Monsieur Woerth, je vais reprendre l’exemple de M. Mélenchon sur les agriculteurs. Vous dites que le système que nous voulons mettre en place est inutilement universel. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’agriculteurs qui gagnent peu, et il y en a qui gagnent honnêtement leur vie – j’ai eu la chance d’en faire partie. Tel qu’était fait le système, le régime spécial agricole devait assurer à lui seul la solidarité avec les agriculteurs – certes, le régime général abondait la trésorerie de la mutualité sociale agricole, mais sur des bases minimales. Pour les agriculteurs, le système était donc spécialement redistributif, et non pas proportionnel : les cotisations des agriculteurs au revenu moyen mais correct finançaient de manière ultra-redistributive la retraite des agriculteurs les plus modestes. Il me semble important que l’ensemble des actifs participent à la solidarité vis-à-vis des agriculteurs –comme des autres catégories de travailleurs – et au financement de leurs retraites. Il ne faut pas seulement considérer les situations favorables.

Avis défavorable aux amendements.

M. Sébastien Chenu. Monsieur le rapporteur, vous avez répondu aux questions que je me posais.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’amendement n° 22657 du Gouvernement, qui fait à nouveau l’objet d’une discussion, pose deux problèmes principaux.

Sur la forme, il confirme ce que nous disons depuis quelques jours : le texte n’était absolument pas prêt. Si le Gouvernement se trouve obligé de modifier par amendement certaines de ses dispositions pendant l’examen en commission, c’est qu’il n’est pas abouti.

Sur le fond, vous nous dites que vous allez procéder à un abattement sur l’assiette des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants, et que cela sera fait de manière irréversible. Monsieur le secrétaire d’État, je ne crois guère en ce terme. Au-delà de ça, qu’en est-il de la « loi Veil » de 1994 ? Normalement, toute perte de contribution doit être automatiquement compensée par l’État.

M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, à l’euro près !

Mme Marie-Christine Dalloz. En l’espèce, qu’avez-vous prévu en matière de compensation ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Merci, monsieur le rapporteur, d’avoir, en expert du domaine, éclairé un aspect du problème avec beaucoup de précision. Cependant, et je récapitule pour que tout le monde suive, les taux de cotisation des entrepreneurs agricoles ou maritimes vont passer de 16 à 28 %. Je crois comprendre qu’ils n’avaient pas tout à fait saisi les choses de cette manière. Vous nous dites que cette augmentation sera compensée par le fait qu’une part de leurs bénéfices ne sera pas soumise à cotisation ; d’ailleurs, vous avez changé la grille de calcul de leurs cotisations en cessant de comptabiliser leurs conjoints collaborateurs dans le calcul de leur revenu total. Une autre information manquait, celle que vient d’évoquer notre collègue Mme Dalloz : dans la « loi Veil », il est dit que toute exonération de cotisation sociale doit être compensée à l’euro près par le budget de l’État. À supposer que l’on soit d’accord pour que le paiement de ces opérations – qui viennent d’être improvisées cette semaine dans le projet de loi – soit transféré sur le régime général de tous les salariés, il ne me semble pas abusif de demander quel en sera le coût, puisque tous les autres secteurs – à commencer par la santé – auront à le supporter. D’ailleurs, monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous expliquer quelle est cette philosophie qui consiste à proposer que les gens paient davantage pour leur retraite mais moins pour leur santé ? Comment pouvez-vous établir un rapport – autre que comptable – entre les deux ?

M. Pierre Dharréville. Le dispositif que vous proposez paraît en effet particulièrement alambiqué. Vous introduisez des correctifs de correctifs et une réduction de l’assiette pour augmenter le taux, selon un jeu de vases communicants entre des cotisations qui n’ont pas toutes le même objet ; on ne voit pas comment tout cela pourrait tenir la route. Au bout du compte, on a un peu de mal à y retrouver ses petits. Ce que l’on comprend, c’est que vous jetez le filet assez loin, pour reprendre votre métaphore maritime, et que vous le ramenez progressivement ; on voit bien que les choses sont amenées à évoluer mais il est très difficile de savoir comment.

S’agissant de l’impact financier de ces mesures, je pense qu’il serait utile que vous nous fournissiez des informations un peu plus précises que celles dont vous disposez actuellement, de sorte que nous puissions en mesurer l’impact sur l’ensemble des comptes publics.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 21 modifié.

Article 22 : Dispositions relatives à l’assiette minimale des travailleurs non-salariés

La commission examine les amendements identiques n° 7787 de Mme Clémentine Autain, n° 7791 de Mme Caroline Fiat, n° 7794 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7796 de Mme Mathilde Panot, n° 7803 de Mme Bénédicte Taurine, n° 21105 de M. Boris Vallaud et n° 22234 de Mme Marine Le Pen.

Mme Clémentine Autain. Monsieur Turquois, et monsieur le secrétaire d’État, j’ai posé deux fois une question politique majeure, à l’impact financier important, et je n’ai toujours pas obtenu de réponse. Je la réitère donc : est-ce que l’abattement de 30 % que vous venez de faire valider par votre amendement n° 22657 va concerner tous les indépendants, y compris ceux situés au-dessus de 3 PASS, ou seulement ceux qui se trouvent en-dessous de 3 PASS ? Pardonnez-moi, mais ce n’est pas une question anecdotique.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’ai répondu à cette question.

Mme Caroline Fiat. Nous disposons d’un beau triptyque : « liberté, égalité, fraternité » ; par souci d’égalité, nous proposons de supprimer l’article 22, qui prévoit de permettre aux travailleurs indépendants de cotiser plus que prévu pour acquérir davantage de points retraite, mais aussi la fixation d’un seuil plancher de cotisation – fixé par décret – dû par les chefs d’exploitation ou d’entreprise. Ainsi, les travailleurs indépendants, qui se caractérisent par leur précarité mais aussi par l’irrégularité de leurs revenus, pourraient acheter volontairement des droits supplémentaires à ceux ouverts naturellement par leur rémunération. Nous nous opposons à ce système dérogatoire qui revient à permettre à certains d’acheter des droits alors que d’autres devront se contenter de ce que la loi prévoit. Il n’y a rien d’égalitaire dans cette mesure, d’où cet amendement de suppression.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cette histoire devient un peu délicate. Voilà maintenant une catégorie qui peut acheter des points ? Nous allons dans une direction délétère. Demain, tous les salariés pourront demander à racheter des points ?

M. Jacques Marilossian. C’est déjà le cas aujourd’hui !

M. Jean-Luc Mélenchon. Comment cette affaire-là pourra-t-elle s’intégrer dans l’équilibre général ? Si vous augmentez les droits de gens sans connaître le résultat à la sortie, qui prendra en charge la différence éventuelle ?

Mme Mathilde Panot. Ce ne sera pas tout à fait comme aujourd’hui, car seules certaines catégories de travailleurs pourront racheter des points de retraite, ce qui pose un souci. Ensuite, l’étude d’impact souligne que l’application des taux de cotisation du système universel entraînera une hausse des prélèvements chez les artisans et commerçants ayant les plus faibles revenus. Elle dit que la hausse du montant de la cotisation minimale concernera 21 % des artisans et commerçants qui déclarent aujourd’hui un revenu inférieur à l’assiette minimale, soit 230 000 personnes, et 10 % des professions libérales, soit 83 000 personnes. Mais nulle part le Gouvernement ne s’inquiète de savoir si cette augmentation importante pourra être supportée par les professions sans mettre en danger l’activité. Il me semble que l’article 22 comporte donc un problème évident, ce qui justifie sa suppression.

M. Hervé Saulignac. Avec cet article 22, j’ai le sentiment que l’on perpétue les inégalités alors même que vous affirmez tout au long de ce texte l’universalité de votre système. L’universalité n’existe ici que pour la cotisation minimale, susceptible de produire une retraite minimale. Pour les artisans et commerçants, le niveau de l’assiette minimale est fixé à 450 SMIC horaires, ce qui leur permet de valider trois trimestres par an. Votre universalité correspond donc à une carrière incomplète, avec des cotisations minimales. Chez moi, une année fait quatre trimestres – sauf à ce qu’une ordonnance décide qu’une année dure désormais neuf mois ! On distinguera donc ceux qui pourront se payer leur quatrième trimestre, dans le but de valider une carrière complète, et ceux qui n’auront pas les moyens de le faire. Je trouve que c’est une drôle de conception de l’universalité, qui va créer au sein même des indépendants deux catégories. Vous allez me dire qu’actuellement, ils acquièrent déjà des trimestres de cette manière, mais lorsqu’on prétend vouloir instaurer un régime universel, il me semble que l’on se doit de trouver une solution qui introduise réellement de l’universalité pour les indépendants. Ils le méritent.

M. Sébastien Chenu. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 22, et nous reviendrons ensuite plus largement sur l’application de cette réforme des retraites. Pour l’heure, un élément m’interpelle : choisir la démarche des ordonnances, c’est une chose ; répondre aux questions posées, c’en est une autre. Vous avez été interrogé sur l’abattement de 30 % et le fait qu’il puisse concerner tous les indépendants ou seulement ceux à moins de 3 PASS. Nous attendons une réponse à ce sujet, et je serais curieux de la connaître si le Gouvernement ou M. le rapporteur veulent bien nous la donner.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avec toutes ces questions techniques, vous allez me mettre en ébullition. Il est normal que vous les posiez, mais il faut être très concentré pour réussir à rendre tout cela intelligible.

Madame Autain, je vous ai répondu, mais peut-être de manière pas suffisamment claire : ce sont bien tous les indépendants qui sont concernés par l’abattement en question, mais la déduction de 30 % sur l’assiette de CSG sera plafonnée à hauteur de 1 PASS. Pour les revenus au-delà de 1 PASS, l’abattement cesse de s’appliquer. Par exemple, pour ceux dont le niveau de revenu se situerait à 2 PASS, l’abattement ne concernerait leur revenu que jusqu’à hauteur de 1 PASS. Il s’agit bien d’éviter qu’une évasion fiscale se développe par ce biais, si j’ai bien compris ce qui vous inquiétait.

Madame Dalloz, selon vous, si nous proposons un amendement à ce projet de loi, c’est qu’il n’est pas prêt. En réalité, il est écrit partout dans l’étude d’impact qu’un abattement de 30 % sera mis en œuvre pour les professions libérales ; ce n’est pas quelque chose que nous sortons du chapeau au dernier moment. Nous avons déposé un amendement pour l’inclure explicitement dans le texte, mais c’était déjà prévu.

Je ne sais pas pourquoi M. Mélenchon a dit que les conjoints collaborateurs n’étaient pas concernés. Je confirme qu’ils sont toujours inclus dans le revenu de l’exploitation s’ils versent des cotisations à ce titre.

Monsieur Saulignac, vous avez raison et je partage votre analyse. J’aurais personnellement souhaité que la cotisation minimale des indépendants – concrètement, les artisans-commerçants – aille jusqu’à 600 SMIC horaires, et je l’ai dit à plusieurs reprises. Au moment où vous touchez votre salaire, ce qui vous intéresse – notamment quand vous êtes jeune et que, sans faire de philosophie, vous êtes plus cigale que fourmi, pas au sens où vous ne feriez rien mais au sens où, pour l’heure, vous avez besoin de dépenser –, c’est évidemment le revenu disponible, le net ; si vous n’êtes pas incité à cotiser davantage, vous ne le faites pas. Ce sujet a constitué un point de blocage important dans les négociations avec les artisans et commerçants, et ils n’ont pas voulu monter jusqu’à ce seuil. Il a simplement été acté qu’ils aient la possibilité de cotiser jusqu’à 600 SMIC horaires. À mon sens, il faudra faire évoluer les choses à ce propos ; on a toujours mille et une raisons d’utiliser son argent ailleurs, mais même en cotisant sur la base de 600 SMIC, on ne se crée pas une retraite des plus faramineuses. Il faudra aller dans cette direction mais, à l’heure actuelle, nous avons passé cet accord a minima sur la base de 450 SMIC.

Enfin, pour continuer à filer la métaphore maritime, intégrer les pêcheurs nous permet de prendre tout le monde dans les mailles et – n’en déplaise à M. Woerth – d’emmener tout le monde à bon port. (Sourires.)

M. Sébastien Jumel. Ou au fond !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Et pour les agriculteurs, c’est un faux-filet... Heureusement, nous arrivons au terme de l’examen du titre Ier, car, vous pouvez le constater, il est temps que je m’arrête.

M. Jean-Pierre Door. L’article 22 prévoit donc une cotisation minimale garantie pour les travailleurs indépendants. Les professionnels saisonniers sont-ils compris dans cette catégorie ? Si tel est le cas, les moniteurs de ski – je me fais ici le défenseur des élus de montagne – sont-ils concernés, alors qu’ils avaient été exonérés de cotisations par le PLFSS 2020 ? Cette question mérite une réponse.

M. le secrétaire d’État. Monsieur Jean-Pierre Door, le système universel comporte beaucoup d’intérêts ; l’un d’entre eux est la prise en compte de la polyactivité, notamment pour les saisonniers que vous évoquez. À leur sujet, on appréciera sur l’ensemble de l’année s’ils ont eu une autre activité salariée ; le cas échéant, ils ne seront pas obligés de payer la cotisation. Le calcul pourra se faire sur un an, mais aussi sur plusieurs années, pour des travailleurs dont les activités s’additionnent sur une période plus longue. Pour eux, c’est très intéressant ; ils n’auront pas à s’acquitter deux fois – ou davantage – de la cotisation.

Madame Panot, je vous remercie d’avoir cité à plusieurs reprises l’étude d’impact comme étant l’un de vos points de référence ; je suis très heureux – je le dis avec bienveillance – que vous en reconnaissiez l’intérêt. Cela me rassure ; après huit jours, nous pouvons enfin entrer ensemble dans le vif du sujet. Votre question, qui porte sur l’amendement n° 22657 du Gouvernement – au sujet de l’adaptation de l’assiette de la CSG et des cotisations vieillesse pour les indépendants –, était pertinente. Je vous renvoie à la page 147 du document : le tableau 24 montre bien que s’agissant des non-salariés, les cotisations vieillesse vont augmenter tandis que les autres prélèvements sociaux vont baisser, ce qui aurait pour eux un impact global positif de 400 millions d’euros. Il m’a été demandé si l’État prévoyait de compenser cette exonération ; en réalité, cet abattement vise à revenir à une situation plus juste et plus équilibrée. J’ai déjà répondu à ce sujet au moment où j’ai présenté l’amendement : je confirme qu’il sera compensé en totalité par l’État.

Vous me demandiez ensuite qui serait concerné par cette mesure. M. le rapporteur a essayé brillamment de vous l’expliquer ; il se trouve pilonné de questions diverses et variées, auxquels il tente à chaque fois de répondre avec courage et pédagogie, ce qui n’est pas facile. Je le répète donc de la manière la plus concise possible, cela concernera l’ensemble des indépendants pour la part de revenu sur laquelle ils cotisent, c’est-à-dire jusqu’à 3 PASS.

Enfin, madame Panot, vous m’interrogiez à votre tour sur le fait que l’évolution des cotisations vieillesse allait engendrer un certain nombre de difficultés pour les indépendants, qui verraient leurs prélèvements augmenter. J’ai répondu assez rapidement à M. Saulignac à ce sujet – peut-être un peu fermement, car la question m’avait été posée deux fois de suite, et je me demandais s’il n’y avait pas là une volonté de me taquiner plus que de m’interroger. Je réitère donc bien volontiers ma réponse : les exploitants agricoles acquittent aujourd’hui une cotisation minimale correspondant à 800 SMIC horaires – soit autour de 1 800 euros ; en s’intégrant dans le système universel de retraite, ils vont passer à 600 SMIC horaires. Le poids de leurs cotisations va donc baisser et, compte tenu du fait que le nouveau système donnera un minimum de pension fixé à 85 % du SMIC à tous ceux qui auront constitué des droits à partir de 600 SMIC horaires par an, ils pourront accéder à la totalité – et non à une proratisation – du minimum de pension. Pour les exploitants agricoles, c’est très intéressant. Je crois que c’était à cela que voulait faire allusion M. Saulignac : il s’inquiétait de savoir si dans le futur, les 40 % des exploitants agricoles ayant des revenus inférieurs à 30 ou 40 % du SMIC bénéficieraient tout de même de la pension minimale. Dans la mesure où ils seront amenés à cotiser sur une base à 600 SMIC horaires, la réponse est positive.

Pour les artisans-commerçants et les professions libérales, madame Panot, le niveau de l’assiette minimale restera fixé à 450 SMIC horaires, mais ils auront désormais la possibilité d’augmenter cette cotisation minimale à 600 SMIC horaires, donc de faire un choix leur permettant de valider une carrière complète et de bénéficier in fine de la pension minimale à 85 % du SMIC établie par le système universel de retraite.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 7617 de Mme Clémentine Autain, n° 7621 de Mme Caroline Fiat, n° 7626 de Mme Mathilde Panot et n° 7633 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, je vous remercie des précisions que vous avez apportées ; l’abattement de l’assiette ne concernera donc que les revenus jusqu’à hauteur de 1 PASS. Si vous êtes en mesure de donner cette information, pourquoi n’est-elle pas dans le projet de loi ? Elle se trouve peut-être déjà inscrite quelque part ailleurs dans la loi, mais je me pose la question.

S’agissant de la réponse que vous avez fournie à Mme Panot, je vous ai bien écouté, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne suis pas certaine d’avoir très bien compris le mécanisme – et je ne crois pas être la seule dans ce cas. L’ensemble n’est pas très fluide, et le système ressemble chaque jour davantage à une vaste usine à gaz d’une immense complexité. Alors qu’il devait rendre l’affaire plus lisible, ce projet de loi devient terriblement illisible, d’autant que vous essayez de compenser ses méfaits et de boucher les trous en creusant les déficits de la sécurité sociale. C’est tout à fait effrayant.

Mme Caroline Fiat. J’ai expliqué en quoi l’article 22 était totalement inégalitaire. Nous proposons ici de supprimer l’alinéa 1, qui aura pour effet d’augmenter de plus de 7 points les cotisations des artisans et commerçants ayant les plus faibles revenus. Selon l’étude d’impact – monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous êtes heureux que nous y fassions référence –, ce sont plus de 315 000 personnes qui seront touchées par cette augmentation importante des cotisations sociales. Or, vous ne vous inquiétez nulle part de savoir si celle-ci pourra être supportée par les professions sans mettre en danger l’activité, d’où cet amendement de suppression.

Mme Mathilde Panot. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous répondez peut-être avec bienveillance, mais je me permets de vous l’affirmer : oui, nous avons lu et étudié l’étude d’impact, et c’est pour cela que nous sommes en mesure de la critiquer et d’argumenter à propos de votre projet. Nous avons prouvé depuis plusieurs jours que nous avancions des arguments de fond, à l’inverse de la caricature qui est parfois faite de notre stratégie d’amendements.

J’avoue que votre réponse m’embrouille aussi. Si l’instauration d’un seuil plancher de cotisation apparaît comme une bonne idée, il me semble qu’elle constitue un palliatif à un problème bien plus grave, que nous avons soulevé plusieurs fois dans cette commission mais sur lequel nous devons insister car il se trouve à la racine des difficultés que connaissent aujourd’hui les agriculteurs : les exploitations agricoles sont aujourd’hui exsangues par la faute d’une concurrence prédatrice qui empêche les exploitants de gagner correctement leur vie. S’ils n’ont le choix qu’entre avoir des revenus insuffisants ou ne pas cotiser assez, la question reste entière.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, je suis à la fois en accord et en désaccord avec vous. Le système objectif n’est pas complexe mais très simple ; il revient à donner les mêmes droits à tous, et à édicter un ensemble de règles communes. En revanche, nous faisons bien face à une très grande diversité de statuts professionnels, diversité que l’on retrouve aussi à l’intérieur de chaque profession. L’exemple des pêcheurs est de ce point de vue très significatif. Faire converger tout ce petit monde de statuts divers et variés – qui résultent soit d’avantages négociés, soit de situations qui se sont sédimentées au cours de l’histoire – prend du temps, d’où l’intérêt des ordonnances pour gagner en efficacité.

S’agissant de l’article 22 – je m’attache depuis trois jours à ce que la discussion porte bien sur l’article examiné, afin que tout le monde en comprenne bien les enjeux –, il reconduit le principe de la cotisation minimale pour les travailleurs non salariés, afin de garantir l’acquisition d’un minimum de droits à la retraite par ceux qui ont peu de revenus. Il apporte toutefois deux modifications significatives par rapport au droit existant : d’abord, la possibilité pour l’ensemble des travailleurs non salariés de cotiser davantage que sur la seule assiette minimale jusqu’à obtention des droits correspondant à une activité annuelle au niveau du SMIC ; ensuite – je réponds ici à M. Door en complétant ce qu’a dit M. le secrétaire d’État, à propos des moniteurs de ski –, la déductibilité des cotisations minimales des cotisations versées à d’autres titres par les polyactifs, qui peuvent être le reste de l’année agriculteur ou plâtrier – j’en connais un. Cela permet de réduire les cotisations pour ces travailleurs. Il n’y aura plus de cotisation minimale par activité. Le Gouvernement a par ailleurs présenté dans son étude d’impact les assiettes minimales qui devraient être retenues dans le nouveau système universel : 450 SMIC horaires par an pour les travailleurs indépendants non agricoles, et 600 SMIC horaires pour les exploitants agricoles, ce qui constitue pour eux une baisse de cotisations puisque le minimum actuel est à 800.

Avis défavorable sur ces amendements de suppression.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient ensuite à l’examen des amendements identiques n° 7634 de Mme Clémentine Autain, n° 7638 de Mme Caroline Fiat, n° 7643 de Mme Mathilde Panot et n° 7650 de Mme Bénédicte Taurine

Mme Clémentine Autain. Pardonnez-moi mais c’est peu éclairant. Peut-être n’avons-nous pas le niveau requis de technicité, mais ce que l’on comprend, c’est que tout n’est pas complètement bordé et que les ordonnances vont devoir combler tous les trous, ou plutôt chasser tous les lièvres que l’on est en train de soulever. C’est assez inquiétant. Nous avons l’impression que tout le travail de concertation qui devait être fait depuis deux ans avec chaque catégorie professionnelle ne l’a pas été, et que nous nous trouvons quasiment au point de départ. Pour chaque profession, vous nous dites que vous allez négocier et que vous n’aviez pas prévu tel ou tel cas ; l’exemple type est celui des avocats, pour qui des questions qui n’avaient pas été anticipées émergent brusquement parce qu’ils se mobilisent – ils se réunissent en assemblée générale à Paris aujourd’hui –, de telle manière que vous ne pouvez échapper à leurs interrogations. Aucune garantie n’a été donnée pour que votre texte réponde aux problématiques réelles et concrètes qui se posent, dans le cadre des bouleversements et de la grande régression que vous organisez.

Mme Caroline Fiat. Il y aura donc trois cas distincts : ceux qui vont pouvoir acheter des droits supplémentaires ; ceux qui aimeraient bien mais devront se contenter de ce que la loi prévoit ; et ceux qui en auront le droit mais pas les moyens financiers de le faire.

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais obtenir une réponse à ma question concernant les 315 000 personnes qui, d’après l’étude d’impact, seront touchées par l’augmentation des cotisations sociales. Par ailleurs, je souhaiterais être éclairée sur la manière dont ces points de retraite peuvent s’acheter – la méthodologie du simulateur ne comporte pas d’informations à ce sujet, et vous savez que j’aime bien le consulter.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, je vous ai répondu à ce sujet, et je ne nie pas la complexité des différentes situations de départ. Nous avons les uns et les autres chacun des expressions que nous utilisons souvent ; vous évoquez régulièrement les lièvres, alors que M. Vallaud aime parler des loups – il y a des loups quand il est présent, et je ne sais pas si les loups mangent les lièvres ou si les lièvres courent plus vite que les loups, mais c’est assez amusant.

Mme Caroline Fiat. Et les ours ?

M. Sébastien Jumel. Moi, c’est les harengs.

Mme Bénédicte Taurine. En Ariège, on se méfie des loups.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Apparemment, Mme Taurine a un problème avec les loups. Mais il faut de la biodiversité ! En tout cas, personne ne se comporte en ours ici. (Sourires.)

Il ne faut pas nier la biodiversité des différentes professions : nous avons affaire à des statuts très divers, qui nécessitent chacun une attention particulière. Il y a en effet des éléments que nous n’avons pas toujours perçus s’agissant des différents statuts professionnels et de leurs spécificités – je le dis d’autant plus que je suis moi-même, en tant que rapporteur, dans ce cas ; il serait immodeste de ne pas le concéder. Il faut leur porter toute l’attention nécessaire, car derrière ces statuts se trouvent des hommes et des femmes. C’est bien le but que nous poursuivons avec cette transition qui se veut la plus douce possible, afin de parvenir à un système plus lisible à l’avenir. Je maintiens qu’il faut de la progressivité.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Après tant de jours de discussion, il est bon d’entendre le rapporteur reconnaître que les situations sont diverses, qu’il existe des spécificités et qu’il est difficile d’araser tout cela. C’était la raison d’être même du régime général par répartition, de l’existence des régimes spéciaux et des caisses autonomes ! Ceux qui font un peu de droit connaissent tous ce principe fondamental : traiter également des gens dont la situation est inégale, c’est accroître les inégalités. Je me réjouis donc que, malgré la fatigue, vous le reconnaissiez : les choses sont au bout du compte très compliquées, la « biodiversité », parmi les salariés et les professions, existe bel et bien. Faire entrer tout le monde dans le moule libéral que vous avez conçu, cela ne se fait pas sans mal. Il valait la peine d’attendre tant de temps pour entendre un tel aveu.

C’est aussi pour cela, monsieur le rapporteur, que nous rejetons ce texte, que nous nous mobilisons pour tenir compte de la pénibilité, de l’espérance de vie en bonne santé, des excédents d’un certain nombre de caisses qui n’ont rien demandé à personne, etc. Le problème, avec cette réforme, c’est votre volonté de faire entrer dans le moule macroniste ceux qui ne le veulent pas.

M. Patrick Mignola. L’intervention de notre collègue Jumel est très intéressante parce qu’elle se situe au cœur de nos divergences, ce qui est sain. Le rapporteur l’a très bien dit : désormais, les règles seront les mêmes pour tous afin de respecter les différences de chacun. Où ces dernières étaient fondées sur des régimes, voire sur des entreprises – souvent publiques -, elles le seront désormais sur les personnes. C’est ce à quoi vise le système de répartition par points.

Nicolas Turquois l’a dit, ce que j’ai apprécié : derrière tous ces systèmes, il y a des femmes et des hommes – nous devons donc gérer les transitions – ce qui implique aussi d’avoir les mêmes règles pour tous.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci pour cette méditation philosophique !

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 7651 de Mme Clémentine Autain, n° 7655 de Mme Caroline Fiat, n° 7658 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7660 de Mme Mathilde Panot et n° 7667 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je me permets de faire un petit résumé des conséquences de l’article 22.

D’abord, une assiette minimale de cotisation maintenue au niveau actuel pour les travailleurs indépendants non agricoles, les autres pouvant demander à s’acquitter d’un montant de cotisation supérieur afin d’acquérir plus de points.

Ensuite, une cotisation minimale plus faible pour les exploitants agricoles que la cotisation minimale actuelle, les chefs d’exploitation ou d’entreprise devant s’acquitter d’un montant minimum de cotisation déterminé par décret – nous ne savons toujours pas qui paiera la différence.

Enfin, les micro-entrepreneurs pourront s’acquitter, sur option, d’un montant de cotisation d’assurance vieillesse égal soit à la cotisation minimale, soit à la cotisation minimale renforcée.

L’article 22, c’est donc l’universalité du régime de retraite... à la carte. Nous sommes bien d’accord ?

Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 3.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le président Mignola, vous venez de dire que, derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes, ce qui tombe bien car les uns et les autres sont également au cœur de ma question, à laquelle je souhaiterais qu’il soit répondu. Qu’en sera-t-il des 315 000 personnes qui seront touchées par l’importante augmentation des cotisations sociales ? Je vous parle d’artisans, de commerçants qui subiront, si j’en crois votre étude d’impact, les conséquences des 7 points de cotisation sociales supplémentaires.

M. Jean-Luc Mélenchon. Votre absence de réponse sur le coût de cette mesure m’a inquiété, monsieur le rapporteur. Je suis sorti pour téléphoner et essayer d’en avoir une idée mais, hélas, vainement. Cela dit, je ne suis pas le Gouvernement ni le président de la commission des finances et on ne va pas vous embêter avec ça toute la soirée. Il n’en reste pas moins que le secrétaire d’État, lui, fait partie d’un Gouvernement qui a pris une décision et qu’il pourrait nous dire sur quel fondement elle l’a été ! Pas une personne ici ne croit qu’un ministre ou un Gouvernement décident de dépenser plusieurs dizaines de millions sans savoir quel sera le résultat final ! Il serait courtois, de la part du secrétaire d’État, de me répondre.

Mme Mathilde Panot. J’insiste sur les questions, nombreuses et complexes, qui demeurent.

La première, ma collègue Clémentine Autain vient de la poser. Si les exploitants agricoles pourront s’acquitter d’une cotisation minimale plus faible qu’elle ne l’est actuellement, le montant de celle dont les chefs d’exploitation ou d’entreprise devront s’acquitter sera fixé par décret : qui paiera donc la différence ?

La seconde est celle de ma collègue Caroline Fiat : quid des 230 000 personnes, des 10 % de professionnels libéraux dont les revenus sont les plus faibles et qui subiront une hausse des prélèvements ? Qu’avez-vous prévu pour qu’elles ne se retrouvent pas dans une situation impossible ?

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 7667 vise donc également à supprimer l’alinéa 3 disposant que « La cotisation d’assurance vieillesse prévue à l’article L. 611-2 due par les travailleurs indépendants, autres que ceux mentionnés à l’article L. 613-7, ne peut pas être inférieure à un montant fixé par décret. » Pourriez-vous nous éclairer à ce propos ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’essaie de me concentrer pour répondre à vos questions mais je crains de m’égarer tant elles sont diverses.

Monsieur Mélenchon, je vous invite à ne pas faire preuve du même humour que moi : Turquois, courtois... Si le secrétaire d’État est courtois et que je suis Turquois, gare aux confusions ! (Sourires.)

Selon les éléments dont je dispose, le changement d’assiette de cotisations jusqu’à hauteur du plafond évoqué représente un surcroît de cotisations retraite de 2,2 milliards d’euros contre 2,6 milliards de contributions en moins, le solde étant donc de 400 millions. M. Mélenchon s’est demandé à quoi rimait d’avoir moins de droits pour la maladie et d’en avoir plus pour la retraite. Les droits relatifs à la retraite sont partiellement individuels à travers l’acquisition d’un certain nombre de points alors que, fort heureusement, si vous êtes hospitalisé, vous ne serez pas soigné en fonction de vos cotisations ! Les droits, en l’occurrence, s’appliquent à tous, quels que soient les revenus.

M. Sébastien Jumel. Ce ne sera bientôt plus le cas avec la santé par points !

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je suis un peu surpris par votre question, madame Panot : les taux de cotisation augmentent pour les indépendants mais la compensation sera totale jusqu’à 1 PASS grâce à la diminution de l’assiette CSG. Le secrétaire d’État a expliqué que pour 70 % ou 75 % des intéressés, le jeu était à somme nulle et que certains y gagnent. Pour le reste, cela se joue à 5 % près.

Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Nous allons essayer de comprendre ces chiffres dans le détail, notamment s’agissant des 400 millions – ce n’est tout de même pas rien.

L’intervention de notre collègue Patrick Mignola nourrit cet intéressant débat, y compris parce qu’elle permet de pointer un certain nombre de désaccords sur votre projet. Je ne me souviens plus exactement des mots qui ont été utilisés mais, si j’ai bien compris, avec ce système, tout le monde est logé à la même enseigne, laquelle varie tout de même un peu. C’est là un énoncé contradictoire qui ne correspond pas aux promesses que vous avez faites.

Nous le voyons bien : il est impératif de prendre en compte des situations particulières, ce que vous avez un peu nié initialement. Maintenant, vous allez plus loin en assumant ce que nous avons dit et dont nous avons débattu dans notre commission à travers la promotion d’une forme d’individualisation des droits. Vous expliquez en effet que les droits doivent dépendre des personnes, ce que nous récusons : nous avons d’ailleurs connu la même logique d’individualisation des droits en matière de formation professionnelle et dans le cadre des ordonnances de la « loi travail ».

Or, il nous semble nécessaire qu’un certain nombre de garanties collectives existent car c’est collectivement que l’on s’assure le mieux face au risque, à la nécessité de faire face à ses vieux jours, à la retraite. Ce débat mérite que nous l’approfondissions. D’aucuns ont poussé des hauts cris lorsque nous avons parlé d’individualisation mais c’est précisément ce qui est en train d’arriver.

M. le secrétaire d’État. Madame la députée Panot, vous n’avez pas été très sympa en ne citant pas la page de l’étude d’impact à laquelle vous vous êtes référée. Heureusement, j’ai bien repéré que tout ce qui concerne les travailleurs indépendants commence autour de la page 146 mais il a fallu que je retrouve le paragraphe auquel vous avez fait allusion, et que vous avez bien lu. Je vous invite à faire le lien avec l’amendement que j’ai défendu tout à l’heure. La cotisation vieillesse augmente dans certains cas, en effet, comme le rapporteur l’a expliqué sur un plan macroéconomique en utilisant des données globales, et l’assiette de la CSG diminue, ce qui présente un intérêt réel pour les exploitants agricoles, les commerçants et les artisans.

Vous avez insisté sur l’augmentation de la cotisation vieillesse et non sur le changement d’assiette de la CSG – je ne vous le reproche pas car ce n’était pas l’objet de la page 515 que vous avez citée – qui la compensera et grâce à laquelle, dans certains cas, la situation des personnes concernées sera encore meilleure.

S’agissant des conditions de rachat de points, madame Fiat, nous n’avons pas fait de fiches mais j’ai noté cette très bonne idée et nous allons en inclure une sur le serveur.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements n° 107 de M. Marc Le Fur et n° 21130 de M. Boris Vallaud.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’amendement n° 107 est défendu.

M. Hervé Saulignac. Je serai rapide car ce type d’amendement a déjà été présenté pour d’autres articles. L’article 22 renvoie abondamment à des décrets, beaucoup trop à notre goût. Il nous semble donc sage que le Gouvernement soit accompagné et assisté par cette haute juridiction que vous aimez particulièrement, qui s’appelle le Conseil d’État.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises sur l’intérêt ou non de solliciter le Conseil d’État.

Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7668 de Mme Clémentine Autain, n° 7672 de Mme Caroline Fiat, n° 7675 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7677 de Mme Mathilde Panot et n° 7684 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous poursuivons les demandes de suppression d’alinéas, en l’occurrence, de l’alinéa 4.

Plus nous entendons les réponses à nos questions, moins nous avons l’impression que le chemin s’éclaire. Confirmez-vous, monsieur le rapporteur, que les 400 millions d’euros dont vous avez parlé constituent bien un manque à gagner pour la sécurité sociale ? Cumulée avec celle d’autres secteurs, la facture risque d’être salée ! Le Gouvernement est-il à même de chiffrer le manque à gagner suite à ces nouvelles assiettes, à ces nouveaux taux ?

Vous êtes en train de démanteler le régime de retraite, d’appauvrir les futurs retraités, de faire travailler les gens plus longtemps et, en plus, pour compenser l’affaire, vous supprimez des recettes pour la sécurité sociale ! Cette logique est particulièrement antisociale.

Mme Caroline Fiat. Vous créez une situation totalement inégalitaire car certains pourront s’acheter des points et d’autres pas. Comment pouvez-vous dès lors parler de système universel ? Je ne comprends pas une telle différence.

J’ajoute, pour appuyer les propos de ma collègue Clémentine Autain, que l’on nous dit chaque année, à chaque discussion du PLFSS, que la France n’a pas les moyens, qu’elle ne dispose pas des budgets nécessaires, et voilà que votre projet vide les caisses de la sécurité sociale ! J’ai moi aussi de l’humour, mais il a ses limites.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je suppose que nombre de collègues, comme moi, ne sont pas des spécialistes de tous ces codes mais nous allons essayer de nous améliorer pour la séance publique. J’en étais quant à moi à l’article L.613-7 et nous voilà rendu à un article où il était question de l’utilisation des chiens ; le temps que je réalise que ce n’est pas le sujet, nous en sommes à cet amendement...

N’ayant pas tiré au clair mes pérégrinations dans les codes, je reviens à la question que j’ai posée tout à l’heure : qui paiera les 400 millions ? Ce n’est pas une petite somme ! Est-ce que ce sera le régime général, les salariés ? Pourquoi les paierait-il ? Pourquoi ne serait-ce pas l’impôt ? Question subsidiaire : en revient-on à la « loi Veil » ou en reste-t-on à l’idée que la sécu paie les décisions prises par le Gouvernement ?

Mme Mathilde Panot. Je remercie M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État pour leurs réponses. On nous assure donc que la compensation sera effective à la hauteur de 1 PASS grâce à la diminution de l’assiette de la CSG. OK ! Il n’en reste pas moins que l’on pique dans une branche pour remplumer l’autre, logique qui nous paraît très discutable et qui s’impose en raison de votre obsession austéritaire, qui est la finalité de cette réforme : quoi que vous en disiez, elle vise bien à réaliser des économies, lesquelles seront faites sur le dos des gens.

Mme Bénédicte Taurine. Il s’agit donc de supprimer l’alinéa 4 disposant que « Les travailleurs indépendants mentionnés à l’article L.617-1 peuvent demander à s’acquitter d’un montant de cotisations supérieur au montant prévu au premier alinéa afin d’acquérir annuellement un nombre de points au titre du 1° de l’article L. 191-3 au moins égal au nombre de points obtenus par application du taux de la cotisation due en application du 1° de l’article L. 241-3 à la base fixée par le décret prévu au 1° du V de l’article L. 195-1. Cette option est exercée annuellement. »

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je répète que le Gouvernement s’est engagé à compenser les 400 millions d’euros. De plus, une partie de la CSG participant au financement des retraites, c’est en fin de compte la même caisse qui est concernée.

Le rachat des droits, quant à lui, sera possible pour ceux-là seuls qui gagnent moins de 600 ou 450 SMIC. Je reprends l’exemple de mon agriculteur : le SMIC horaire étant d’un peu plus de 10 euros, cela représente 6 000 euros de revenu brut par an. Le taux qui s’y applique étant de 28 %, la contribution à la Caisse nationale de retraite universelle s’élèvera à 1 700 euros. Il s’agit donc de l’agriculteur qui a connu quelques années correctes, qui a mis un peu d’argent de côté, qui, une année, a réalisé un mauvais résultat en raison de la sécheresse, d’inondations ou d’autres calamités et qui achète donc l’équivalent de 1 700 euros de points. Ce n’est pas fait pour un cadre qui veut s’acheter des revenus complémentaires ! Pour les commerçants, l’équivalent est encore moindre puisqu’il s’élève à 1 200 euros. Telle est la possibilité que nous ouvrons pour atteindre une pension minimale.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 22132 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Considérez, sans en prendre l’habitude, qu’il est défendu.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’aurais du mal ! (Sourires.)

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je sens que vous allez bientôt me manquer... C’est avec plaisir que je vous dis : avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. En usine, cela s’appelle la reconstitution de la force de travail. Je vous assure que dans l’hémicycle, la semaine prochaine, nous ne vous manquerons pas du tout et que nous serons très présents.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21131 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Il est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

Je poursuis la conversation avec M. Jumel : je suppose que, la semaine prochaine, tous les éléments que j’ai donnés pour clarifier le texte vous donneront des billes pour la rédaction de vos amendements et que je pourrai donc émarger au titre des collaborateurs des groupes de la Gauche démocrate et républicaine et La France insoumise ! (Sourires).

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7685 de Mme Clémentine Autain, n° 7689 de Mme Caroline Fiat, n° 7692 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7694 de Mme Mathilde Panot et n° 7701 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. J’ajoute un argument à tout ce qui a été dit à propos de cet article 22 dont personne, je crois, ne comprends bien à quoi il rime. Nous sommes au cœur de votre logique. Vous commencez par dire qu’un problème de déficit se pose, qu’il n’est pas tenable et qu’il faut donc changer de fond en comble le système de retraite. En fait, le système est à l’équilibre – nous ne sommes pas les seuls à le dire puisque le Conseil d’orientation des retraites le dit également –, il est stable sur la longue durée et le ridicule déficit à l’horizon de 2027 pourrait être facilement comblé en partie, par exemple en rétablissant pendant trois ans l’impôt de solidarité sur la fortune. Non seulement vous répondez à un problème qui n’existe pas mais vous créez le problème : plus l’examen du texte avance, plus on s’aperçoit des manques à gagner pour l’État et des déficits auxquels il devra faire face.

Mon amendement vise à supprimer l’alinéa 5.

Mme Caroline Fiat. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le rapporteur. Vous avez pris l’exemple de l’agriculteur qui a connu une mauvaise année, or, nous savons qu’ils sont très peu nombreux à gagner plus de 1 000 euros par mois, la plupart se situant sous ce seuil. Avec votre système, ils seront donc d’emblée obligés d’acheter des points. Est-ce bien cela ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Je serai bref en émettant une protestation d’ancien professeur de français. Je n’ai pas trop aimé l’alinéa 4 de l’article 21, qui comprenait pas moins de six lignes et douze références à des articles de codes. Me voilà rendu à un autre qui en compte respectivement neuf et neuf ! Je sais bien que l’on doit tout savoir – preuve que nous sommes intelligents : nous sommes tous là – mais de telles conditions ne permettent pas d’avoir une bonne intelligence des textes. Même en se donnant du mal, il est très difficile de tout retenir et de savoir précisément de quoi nous discutons, ce qui est tout à fait déplorable puisque nous ne pouvons pas travailler comme nous voudrions le faire. Que voulez-vous, j’ai du mal avec un article qui excède trois lignes...

Mme Mathilde Panot. Non, monsieur le rapporteur, vous ne serez pas un collaborateur de notre groupe : vous êtes un rapporteur qui répondez à nos questions, et c’est très bien ainsi.

Je reviens sur ce que disait ma collègue Clémentine Autain. Vous connaissez le célèbre dicton : qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage. Plus nous avançons dans l’étude du texte, plus des déficits sont créés. Le pseudo-déficit des caisses justifiant des réformes socialement régressives s’explique quant à lui par les politiques menées et poursuivies. J’insiste en particulier sur un point précis qui, à l’avenir, grèvera le budget des caisses de retraite : la baisse de l’emploi public.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement n° 7701 vise donc à supprimer l’alinéa 5 concernant les chefs d’exploitation.

Nous avons évoqué hier les primes des enseignants mais comment les primes de la politique agricole commune (PAC) seront-elles en l’occurrence prises en compte ? Je connais certains éleveurs qui reçoivent 80 000, voire 300 000 euros de primes : seront-elles visées par les cotisations ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Fiat, vous avez pris l’exemple d’un agriculteur gagnant 1 000 euros par mois. J’en déduis qu’il en gagne 12 000 par an. Comme il a cotisé en étant au-dessus du plafond, il n’a pas besoin de racheter des points ; 600 heures SMIC représentent 6 000 euros de salaire ou de rémunération. Le problème se poserait pour l’agriculteur qui percevrait 400 euros par mois : lui se situerait en dessous du plafond. Un agriculteur qui gagnerait 1 000 euros par mois, c’est certes très peu, mais il ne serait pas concerné puisqu’il gagnerait le double du plafond visé.

S’agissant des primes PAC, il convient de calculer le bénéfice, lequel repose sur les produits vendus, auxquels s’ajoutent les primes, et dont il faut défalquer les charges. Si ce résultat se situe sous 600 SMIC, sous 6 000 euros annuels, il sera possible de racheter des points. Les primes ne sont pas considérées en tant que telles : c’est le résultat global d’exploitation qui compte. Si les charges excèdent la somme des produits vendus et des subventions perçues, que le résultat est négatif, la situation est différente. Les subventions ne sont qu’un élément comptable de l’ensemble.

La longueur des articles, c’est un vrai débat philosophique. Je considère que la loi, en général, n’est pas suffisamment explicite, ce qui contribue à renforcer l’idée, chez nos concitoyens, que partout se cachent des loups... ou que des lièvres doivent être levés. En revanche, couper cet article en deux aurait statistiquement suscité dix-sept amendements de plus. J’ai donc compris la nécessité d’un texte ramassé !

Avis défavorable.

Mme Caroline Fiat. L’agriculteur en question doit donc avoir gagné moins de 6 000 euros annuels pour pouvoir racheter des points. Soit, mais avec quel argent ? Ayant vécu avec moins de 500 euros mensuels, comment a-t-il pu se nourrir et, a fortiori, comment pourrait-il racheter des points ? Si vous lui offrez la possibilité de les racheter, inscrivez-le dans le texte : en cas de mauvaise année, le Gouvernement lui offre une telle possibilité. Dites-moi donc comment, avec moins de 500 euros par mois, l’agriculteur financera le rachat des points ?

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21132 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Il est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Avis défavorable.

Madame Fiat, les cotisations ont déjà été déduites dans les 500 euros mensuels de résultat. Actuellement, elles sont appelées à hauteur de 800 heures SMIC et nous passons à 600 : les cotisations seront donc moindres qu’auparavant. J’entends que tout cela ne tombe pas sous le sens mais les résultats annoncés par tous les instituts agricoles sont nets de toutes charges.

La commission rejette l’amendement, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, successivement les amendements n° 22133 de M. Pierre Dharréville et n° 21133 de M. Boris Vallaud.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7702 de Mme Clémentine Autain, n° 7706 de Mme Caroline Fiat, n° 7709 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7711 de Mme Mathilde Panot et n° 7718 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Je vous fais remarquer que notre collègue Chenu, qui est arrivé exceptionnellement vers 16 heures escorté de quelques caméras, est reparti. Personne ne s’en est rendu compte mais il est tout de même intéressant de le signaler. Cette commission s’est tenue quasiment en l’absence totale des représentants de l’extrême droite.

Monsieur le rapporteur, les explications restant peu claires, les réponses à nos questions introuvables, à quoi s’ajoute votre état de forme, il nous paraît opportun d’arriver assez vite au titre II, « Équité et liberté dans le choix de départ à la retraite ».

L’amendement n° 7702 vise à supprimer l’alinéa 6.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Essayons de respecter le fait que le rapporteur s’efforce depuis sept jours de répondre point par point, à chaque alinéa de chaque amendement. (Applaudissements des députés du groupe La République en Marche.) Nous faisons ce que nous pouvons. Nous pouvons nous-mêmes avoir des absences, nous pouvons connaître des moments où cela ne va pas fort, mais nous nous devons de remercier M. le rapporteur.

Mme Caroline Fiat. M. le rapporteur le sait maintenant depuis sept jours : je suis un peu têtue, j’aime bien comprendre et avoir des réponses claires. Les cotisations sont donc déjà déduites, me dit-on, sauf que les travailleurs indépendants pourront acheter volontairement des droits supplémentaires. Comment pouvez-vous imaginer qu’un agriculteur ayant connu une mauvaise année, qui aura gagné moins de 6 000 euros, donc, moins de 500 euros mensuels, pourra s’acheter de nouveaux droits ?

Mme Mathilde Panot. Pour donner un peu de hauteur à nos débats sur ce projet que nous contestons, je citerai Thomas Sankara : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous. » Nous savons ce que vous avez choisi.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 6.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Je voudrais préciser mes propos. Les agriculteurs étaient obligés de cotiser sur 800 SMIC quel que soit leur résultat, ils seront désormais tenus de cotiser sur 600 SMIC ; les commerçants et artisans seront toujours obligés de cotiser sur 450 SMIC, mais ceux qui le souhaiteront pourront aller jusqu’à 600 SMIC ; enfin, les auto-entrepreneurs, sans obligation, pourront choisir de cotiser sur 450 SMIC ou sur 600 SMIC.

La commission rejette les amendements, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement n° 22134 de M. Pierre Dharréville.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 7719 de Mme Clémentine Autain, n° 7723 de Mme Caroline Fiat, n° 7726 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7728 de Mme Mathilde Panot et n° 7735 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le rapporteur, je ne sous-estime pas vos efforts pour tenter de nous répondre, mais il y a beaucoup de trous, et nombre de nos questions ne peuvent que rester sans réponse. Nous avons hâte d’examiner le titre II. Et si c’est champagne pour tout le monde, cela nous va aussi !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je m’associe aux compliments adressés au rapporteur, mais je tiens à dire que pour qu’il y ait champagne pour tout le monde, il faudrait déréguler et libéraliser les droits de plantation, ce à quoi je suis très opposé. Mieux vaut l’eau pour tous !

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 7.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Madame Autain, vous parlez des nombreux trous, j’estime pour ma part qu’il existe beaucoup de statuts. Je ne sous-estime pas la complexité. Nous aurions pu trouver des points d’accord sur les objectifs, mais les chemins pour y parvenir, compte tenu des diverses situations au départ, sont très nombreux. Vous avez toute légitimité, en tant que parti politique d’opposition, à soulever les difficultés.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 7736 de Mme Clémentine Autain, n° 7740 de Mme Caroline Fiat, n° 7743 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7745 de Mme Mathilde Panot et n° 7752 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous venons d’ouvrir un débat interne sur la soutenabilité du champagne pour tous, une préoccupation que je partage évidemment. Mais au-delà, le champagne symbolise le plaisir et la qualité de vie, dont nous voulons qu’ils soient, plutôt que la misère, en partage.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 8.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Elle examine esnuite les amendements identiques n° 7753 de Mme Clémentine Autain, n° 7760 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 7769 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 9.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 22135 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Je veux à mon tour remercier le rapporteur : il avait à défendre un projet de loi pourri, il l’a fait avec courtoisie et respect, ce qui est d’autant plus méritoire. C’était un rapporteur de qualité, ce qui n’en ajoute pas au projet.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Malgré ce compliment, je suis obligé de préciser que l’avis est défavorable. (Sourires.)

La commission rejette l’amendement, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 7770 de Mme Clémentine Autain, n° 7777 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 7786 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Patrick Mignola. Je tiens à remercier l’ensemble des représentants de groupe pour les félicitations adressées à Nicolas Turquois, et dire au rapporteur, au nom de son propre groupe, notre amitié et notre admiration pour le travail accompli. Même si les désaccords avec l’opposition sont profonds, il n’a jamais été pris en défaut de respect à l’égard des groupes. Tous étaient présents, à l’exception notable de certains députés, dont l’absence a été fort légitimement soulignée.

La commission adopte l’article 22 sans modification.

Après l’article 22

La commission examine l’amendement n° 22547 de Mme Olivia Gregoire.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Pour certaines professions libérales, la retraite minimum s’élève à 1 400 euros par mois, soit bien plus que les 1 000 euros du minimum de pension prévus à l’article 40. Nous proposons de donner à chaque profession représentée au sein de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) la faculté de prévoir un mécanisme par lequel elle pourra majorer, jusqu’en en doublant le taux, la cotisation de solidarité des professionnels percevant plus de 3 PASS. Les sommes ainsi perçues devront être allouées à l’augmentation du minimum de pension. Cette mesure de justice sociale n’entraîne aucun coût supplémentaire pour le système universel.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Votre amendement est doublement satisfait : les caisses seront maintenues sous la forme d’une délégation, sans préjudice du droit de toute profession à s’organiser collectivement ; par ailleurs, rien n’interdira à une profession de compléter le système universel par un système de redistribution qui lui paraîtrait adéquat. Je vous suggère de retirer l’amendement, à défaut de quoi l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 21539 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement vise à assurer la neutralité financière de la réforme pour les assurés nés avant 1975. Pendant quatorze ans, ceux-ci verront leurs taux de cotisation augmenter sans que cela ne crée de droits supplémentaires à la retraite. Cette surcotisation est injuste et contraire à l’idée qu’un euro cotisé produirait les mêmes droits. Nous proposons de la compenser par une réduction, à due concurrence, de l’impôt sur le revenu. C’est donc l’État qui prendrait en charge le surcoût pour cette classe d’âge jusqu’en 2040.

Monsieur le rapporteur, vous avez eu fort à faire pour défendre ce projet de loi mais vous vous êtes toujours efforcé de nous apporter des réponses, même partielles. Au nom de mon groupe, je tenais à vous en remercier.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Sur le fond de l’amendement, je m’inscris en faux contre votre diagnostic : les taux de cotisation n’entraîneront aucun changement pour l’écrasante majorité des salariés, aucun changement pour la totalité des fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux nés avant 1975 et auront des effets globalement avantageux pour les travailleurs indépendants nés avant 1975. Pour les autres, les changements seront très lissés, sur une période de quinze à vingt ans. Votre proposition nous semble inopportune et superflue.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Considérez cet amendement comme un amendement d’appel pour obtenir le coût total des mécanismes de transition pour les assurés et des compensations pour l’État. La génération 1963-1975 rassemble 10,7 millions d’assurés sociaux : plutôt que des assertions invérifiables, cela mérite des éléments plus tangibles et mieux chiffrés.

La commission rejette l’amendement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. J’appréhendais cette première expérience de rapporteur mais je suis heureux des échanges que nous avons eus. Je remercie les députés présents, qui ont fait l’effort de suivre les débats, les députés de la majorité, qui souvent se sont abstenus de s’exprimer pour ne pas les rallonger, et les députés de l’opposition, qui ont permis par leurs questions de les éclairer.

Je remercie la présidente, que je n’avais pas eu l’honneur de connaître jusqu’ici, le secrétaire d’État et ses collaborateurs. Je remercie tout particulièrement les administrateurs qui ont travaillé à mes côtés avec beaucoup de professionnalisme, de réactivité et de convivialité. Je vais maintenant prendre un peu de repos car je ne doute pas que je vous retrouverai fort dynamiques dans l’hémicycle.

*

*     *

20.   Réunion du lundi 10 février 2020 à 21 heures 30 (de l’article 23 à après l’article 24)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8731114_5e41bb6269777.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--systeme-universel-de-retraite-suite-10-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 5 055 amendements, il nous reste donc 14 497 amendements à examiner.

M. Sébastien Chenu. Madame la présidente, je souhaitais revenir sur vos propos et dénoncer votre méthode de présidence de cette commission. En effet, vous avez indiqué, suite à une intervention de Mme Autain, qui est libre de ses propos comme je le suis moi-même, en parlant des élus du Rassemblement national : « Ils ne sont pas venus depuis le début du débat. » C’était omettre ma présence, mentionnée dans les comptes rendus de notre commission. Il faut nous laisser la liberté de gérer nos prises de position et nos modalités d’expression, qui sont déjà bien réduites dans cette assemblée ; nous avons choisi de les concentrer dans l’hémicycle, sinon nous serions totalement privés de temps de parole.

Madame la présidente, vous délivrez des fake news pour qu’elles soient reprises sur les réseaux sociaux, et vous avez divisé par deux le temps de parole des députés présents dans cette commission : je vous ai connue mieux inspirée.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. J’en prends acte, monsieur Chenu.

Titre II
ÉQUITÉ ET LIBERTÉ DANS LE CHOIX DE DÉPART À LA RETRAITE

Chapitre Ier
DES TRANSITIONS FACILITÉES ENTRE L’ACTIVITÉ ET LA RETRAITE

Avant l’article 23

La commission examine les amendements identiques n° 7954 de Mme Caroline Fiat, n° 7956 de M. Michel Larive et n° 7961 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Je ne fais pas partie de cette commission spéciale, mais comme toute personne élue dans assemblée, je peux assister aux débats où je prends très régulièrement la parole, même si je ne participe pas aux votes.

Je propose de rédiger ainsi l’intitulé du titre II : « Départ à la retraite : travailler plus pour ne pas voir sa retraite baisser ».

Vous ne m’avez toujours pas convaincue sur le fait que Caroline, l’aide-soignante, ne va pas travailler plus pour gagner moins. Dans l’ancien système, elle aurait pu partir à 57 ans, avec une retraite calculée sur ses six derniers mois de salaire, soit environ 1 500 euros ; désormais elle partira à 62 ans avec une retraite calculée sur l’ensemble de sa carrière, c’est‑à‑dire 1 300 euros. Où est le bénéfice ?

M. Michel Larive. Ce projet de loi contraint ceux qui ont commencé à travailler jeunes à reporter leur départ à la retraite. Chez les agriculteurs notamment, les jeunes reprennent souvent l’exploitation de leurs parents au sortir du lycée, à 18 ou 20 ans, grand maximum. Il leur faudra désormais, s’ils sont nés en 2000, aller jusqu’à 65 ans et 2 mois, au lieu de 64 ans et 6 mois aujourd’hui. Ce régime n’a rien d’égalitaire, il n’a rien d’équitable, il n’a surtout rien d’universel ni rien d’équilibré ; il n’est pas du tout sérieux. Soyons raisonnables et réalistes : votre réforme doit être retirée.

M. Adrien Quatennens. L’intention réelle de ce gouvernement est bien d’abaisser le niveau des pensions puisqu’il faudra travailler plus longtemps pour atteindre un même niveau de pension. Nous aurons, sur ce titre II, l’occasion d’avoir à ce sujet des débats tout à fait passionnants.

Monsieur Chenu, vous avez raison : le bureau de la commission a divisé par deux le temps de parole des parlementaires, et nous l’avons regretté. Mais vous avez choisi de limiter votre temps de parole encore davantage, en le réduisant quasiment à néant : sans doute privilégiez-vous l’hémicycle parce que cela fait de plus belles images qu’en commission...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Grâce à vous, madame Fiat, je viens de faire connaissance avec Caroline, mais si M. Turquois n’a pas réussi à vous convaincre, compte tenu de la hauteur à laquelle il a placé la barre, je me vois mal réussir là où il a échoué...

Cela étant, je trouve que votre intitulé a du sens. Il me rappelle un certain « travailler plus pour gagner plus »...

M. Jean-Pierre Door. Que c’était bien...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. ...mais il ne reflète pas exactement la philosophie du titre qui vous est proposé. Nous aurons tout le loisir, pendant les quelques heures que nous allons passer ensemble d’analyser les mesures de solidarité et d’équité qu’il contient. Je n’en dis pas plus à ce stade, mais j’émets un avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Le titre proposé ne fait évidemment pas très envie, mais il est sûrement plus conforme à la à la réalité de ce qui suit. Certains persistent à nous présenter cette réforme comme assez miraculeuse, mais une de ses lignes de force est de reculer l’âge de départ à la retraite à taux plein : cela aura une incidence sur l’âge de départ pour toute une partie de la population, mais également sur le niveau des pensions pour l’autre partie.

Mme Marie-Christine Dalloz. En préambule, je voudrais dire que nous n’avons pas à juger de la présence ou de l’absence des uns et des autres ; chaque groupe se gère comme il veut, et La France insoumise a, par exemple, choisi de déposer 19 000 amendements, soit 1 117 amendements par député. Tout cela relève de la liberté de chacun.

L’intitulé du titre II, « Équité et liberté dans le choix de départ à la retraite », témoigne du talent des communicants du Gouvernement. La liberté de partir à 60 ou à 62 ans sera en effet fonction du niveau de pension, ce qui n’est pas une vraie liberté ; quant à l’équité, elle me semble contredite par la différence entre les taux de conversion selon les professions. Afficher ce principe constitutionnel en tête du titre II n’est donc pas conforme à la réalité du texte.

M. Boris Vallaud. Chacun aura compris depuis le début des débats que votre principale obsession est de reculer l’âge de départ effectif à la retraite. Mme Dalloz a eu raison de souligner que le taux de rendement sera différent pour les salariés et pour les indépendants, ce qui constitue à l’évidence une rupture d’égalité.

Je fais en outre observer que l’âge de départ à la retraite est fixé à 62 ans mais que, dans l’article 57, vous prévoyez néanmoins la possibilité de jouer sur l’âge d’ouverture des droits à la retraite : quelles sont les intentions réelles du Gouvernement ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 7971 de Mme Caroline Fiat, n° 7973 de M. Michel Larive et n° 7978 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Je suis un peu déçue que le rapporteur parte battu d’avance au motif que M. Turquois n’a pas réussi à convaincre... Je me tourne donc vers vous, monsieur le secrétaire d’État : ainsi que vous le savez, je fais grand usage du simulateur du Gouvernement – au point que mon adresse IP sort en première position, paraît-il. Or toutes les simulations m’indiquent que je vais travailler plus longtemps pour avoir une pension réduite. D’où mon amendement.

M. Michel Larive. Nous proposons d’intituler le chapitre Ier : « Des transitions facilitées entre l’activité et le cercueil ». L’âge légal de départ en retraite est fixé à 62 ans, mais vous fixez l’âge pivot à 65 ans. Or l’espérance de vie en bonne santé des Français est de 63 ans, ce qui est déjà en deçà. Que penser alors des d’égoutiers, victimes d’une surmortalité due notamment aux gaz, méthane et autres, qu’ils inhalent : ils partent à 52 ans, ce qui est tout à fait normal ; en 2010, c’était à 50 ans. Mais demain, ils partiront à 65 ans ! Vous ferez encore des économies, dans la mesure où la plupart d’entre eux ne seront plus de ce monde !

M. Adrien Quatennens. Les manifestants ont fait preuve de beaucoup de créativité pour exprimer leur perception de ce projet de loi. C’est ainsi que l’on a pu observer à de nombreuses reprises des pancartes « Métro, boulot, caveau » ou « Yes, we canne » – du verbe « canner »... Les gens ont donc bien l’intuition qu’ils vont partir en retraite abîmés, en tout cas plus proches des moments où les pépins de santé arrivent. Pour nous, la retraite est un nouvel âge de la vie, matière à une réflexion quasi philosophique sur ce qu’il convient de faire de ce temps. Ce n’est manifestement pas votre point de vue, et vous considérez plutôt ce temps comme un résidu d’existence, après toute une vie de travail usant.

L’espérance de vie ayant augmenté, vous en déduisez qu’il faudrait travailler toujours plus longtemps, sans tenir aucun compte du fait que non seulement elle stagne désormais, mais que personne ne peut préjuger des conséquences de la pollution et des pesticides que nous avalons.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Ce titre aborde le sujet important de la transition entre vie professionnelle et retraite. C’est un sujet qui nourrit le dialogue social et qui intéresse autant les entreprises que les salariés : on sait combien il peut être déstabilisant de passer brutalement de la vie active à la retraite, au risque de créer des drames, de la dépression. Nous entendons donc prendre en considération cette demande sociale et la possibilité, pour son propre bien, mais aussi pour celui de l’entreprise et de son entourage professionnel, terminer sa carrière de manière progressive. Il me semble donc que, vis-à-vis des générations de syndicalistes qui se sont battus pour obtenir que soit inscrit dans les conventions collectives ce dispositif de retraite progressive, la formulation que vous proposez pour ce chapitre n’est pas réellement acceptable.

En ce qui concerne les égoutiers, monsieur Larive, j’en ai abondamment parlé ces derniers jours et je n’y reviendrai pas ici.

M. Sébastien Jumel. Il n’a pas dû vous échapper que les trois films qui cartonnent actuellement illustrent, chacun à leur manière, la crise sociale majeure que traverse le capitalisme : Parasite, Joker, Les Misérables – on dit même qu’Emmanuel Macron a été bouleversé par ce dernier. Tous trois illustrent l’exaspération du peuple qu’on humilie et qui se sent chaque jour un peu plus abaissé. En tant que député, je me suis fixé comme objectif de donner voix à ceux qui n’ont pas souvent la parole dans notre société. J’ai donc décidé de donner, à partir de demain, la parole sur mon Facebook à une infirmière de nuit, un électricien de maintenance de l’automobile, un releveur de compteur, une aide-soignante, une trieuse de verre, un verrier au bout chaud, un marin du Transmanche – où l’on sort pour des marées de quinze jours –, une opératrice de ligne dans l’agroalimentaire – chez Nestlé pour ne pas le citer –, un éboueur, un égoutier, à tous ces métiers où on n’a pas la même espérance de vie que tout le monde. Parce qu’ils font un métier pénible, parce qu’ils ont conscience que votre réforme va abîmer leur vie. Je vous invite donc à les écouter dès demain.

M. Adrien Quatennens. Dans les arguments utilisés par la majorité et par Emmanuel Macron lui-même, y a cette phrase que vous connaissez par cœur et qui a envahi nos cerveaux : comme on vit plus longtemps, il faudra travailler plus longtemps. N’allez pas me faire dire qu’en s’arrêtant de travailler à 18 ans on vivrait plus longtemps, mais c’est notamment à mesure qu’on a reculé l’âge du travail que l’espérance de vie a augmenté. Il y a donc un lien entre le travail et l’espérance de vie, mais rien d’évident à ce qu’il faille travailler plus longtemps au motif que l’on vit plus longtemps. Quand bien même, d’ailleurs, on vous suivrait sur ce terrain, on voit que cela n’est pas applicable dans la réalité si l’on considère le taux de chômage des seniors, que votre projet de loi va aggraver – c’est ce que dit le Conseil d’État.

M. Jean-Paul Mattei. Si nous faisons de la politique, c’est pour embêter les gens, mais pour tenter d’améliorer leur vie.

M. Adrien Quatennens. Cela ne se voit pas toujours !

M. Jean-Paul Mattei. Vous nous donnez sans arrêt des leçons ; mais j’ai, moi aussi, été maire pendant seize ans, j’ai rencontré des gens dans la détresse, pour qui nous avons essayé d’arranger les choses. Vous n’avez pas le monopole du contact avec le peuple, monsieur Jumel.

Par ailleurs, ces amendements me donnent le frisson. Parler de cercueil est particulièrement choquant, j’y vois comme une insulte. C’est un manque de respect à l’endroit des élus que nous sommes.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’entends ce qu’a dit le rapporteur sur la nécessité d’éviter une rupture brutale entre la vie professionnelle et la retraite. Mon expérience professionnelle et le fait d’avoir accompagné un certain nombre de collaborateurs qui prenaient leur retraite me confortent dans l’idée que la progressivité est une bonne chose.

En ce qui concerne l’âge légal, nous avons bien compris qu’il y avait d’autres options que celle que nous proposons. Cela étant, nous avons opté pour le maintien de l’âge légal à 62 ans, pour tous ceux qui le souhaiteraient. Mais nous sommes aussi conscients que, pour que notre système par répartition puisse produire de nouveaux droits et recréer une solidarité durable, il doit être à l’équilibre, et donc être financé ; d’où l’introduction de la notion d’âge d’équilibre. Il n’en reste pas moins que chacun doit pouvoir choisir en toute liberté et en toute connaissance de cause ; notre système de retraite universel par répartition et par points sera plus facile à lire et permettra donc de prévoir son niveau de pension.

La commission rejette les amendements.

Article 23 : Âge minimum de départ à la retraite

La commission est saisie des amendements de suppression n° 405 de M. Stéphane Viry, n° 8056 de Mme Caroline Fiat n° 8058 de M. Michel Larive, n° 8063 de M. Adrien Quatennens et n° 22236 de Mme Marine Le Pen.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’étude d’impact de la réforme des retraites de 2010 analysait l’application de la décote en fonction de l’âge et en tirait les conclusions suivantes : « Le Gouvernement écarte toutefois une telle option, car elle est incompatible à la fois avec l’objectif de ne pas baisser les pensions de retraite et avec celui de simplifier les règles applicables. » Vous tentez, au contraire, de nous convaincre que vous allez simplifier les règles mais sans baisser le niveau des pensions, ce qui est leurre total.

Nous restons pour notre part cohérents avec ce que nous défendions en 2010 et proposons de conserver une mesure d’âge en la fixant non pas à 62 ans, ce qui est un leurre, mais, de manière plus courageuse, à 64 ans. Nous parlerons de la pénibilité dans les articles suivants. Si l’on veut financer des mesures de pénibilité, il faut avoir les moyens non seulement de financer l’équilibre du régime mais de dégager en outre des excédents destinés à ces mesures. C’est la raison pour laquelle l’amendement n° 405 demande la suppression de l’article.

Mme Caroline Fiat. Rien de tel que vos propres chiffres pour vous prouver que cet article est effectivement un leurre : selon le simulateur du Gouvernement, un salarié au SMIC, né en 1980 et qui aura 40 ans en 2020, toucherait dans le système actuel 914 euros à 62 ans, mais seulement 891 euros avec le système universel ; à 63 ans, il toucherait 997 euros dans le système actuel contre 978 avec ce que vous proposez ; il ne serait gagnant qu’à partir de 65 ans...

M. Michel Larive. Les droits à pension que vous ouvrez à 62 ans sont des droits à pension dégradés, et il faudra travailler jusqu’à 65 ans pour toucher une retraite complète, d’autant plus que les droits se calculeront désormais sur une carrière complète au lieu de vingt-cinq ans aujourd’hui pour le privé et six mois pour le public. Vous spoliez doublement les futurs retraités.

M. Adrien Quatennens. Bien que nous soyons en radical désaccord avec eux, je salue de nouveau la clarté de nos collègues des Républicains et la cohérence de leur démarche : ils souhaitent une mesure d’âge, avec l’objectif que les gens travaillent plus longtemps. Si cela peut les rassurer, ce que vous faites n’est pas franchement différent, à ceci près que vous ne l’assumez pas. Osez dire aux Français, monsieur le ministre, qu’avec votre réforme, ils n’auront pas intérêt à partir à la retraite à 62 ans, parce qu’ils subiront dans ce cas une décote très importante, décote qui va d’ailleurs persister au-delà de l’âge d’équilibre, contrairement à ce qu’avait déclaré la porte-parole du Gouvernement. Il faut être clair : votre projet de loi repose sur la mise en place d’une mesure d’âge ; c’est en quelque sorte une vaste réforme paramétrique, presque mécanique.

M. Sébastien Chenu. L’amendement de suppression n° 22236 nous permet de rappeler la position du Rassemblement national. Nous défendons la possibilité de partir dès que les quarante annuités sont atteintes et, si les personnes ayant pratiqué des métiers pénibles – ouvriers, mineurs, personnels soignants, etc. – ont la possibilité de partir à 60 ans, tant mieux : lorsqu’on a commencé à travailler tôt, partir à 60 ans n’est pas un luxe.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Mme Dalloz a raison de souligner la clarté de la proposition qu’elle défend, qui vise simplement à augmenter l’âge légal ; la gauche n’a pas toujours eu la même franchise quand elle maintenait l’âge légal mais en augmentant le nombre d’annuités, avec un effet quasi équivalent. Quant à nous, nous avons fait un choix différent, celui de réaffirmer le fait que nous nous ne touchons pas à l’âge légal, fixé à 62 ans depuis 2010, et maintenu à l’article 23, tout en développant, voire en généralisant un certain nombre de dispositifs de départ anticipé.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit là, chacun l’aura compris, d’une demi-vérité qui vous permet de faire semblant d’honorer une promesse de campagne, formulée du reste à dessein, afin précisément de vous permettre ce type d’entourloupe. L’âge d’ouverture du droit à la retraite demeure fixé à 62 ans, mais c’est en réalité un âge de départ anticipé, avec décote. Vous inventez ensuite un âge d’équilibre – équilibre dont je rappelle qu’il est celui du système global, et non celui qui définirait le temps de retraite individuel de chacun – qui sera repoussé de génération en génération, augmentant d’autant les mécanismes de décote. Voilà le système auquel nous aboutissons et qui se cache derrière l’insincérité avec laquelle vous présentez les choses.

M. Jean-Pierre Door. Je voudrais remercier monsieur Mattei pour sa remarque sur la référence au cercueil, effectivement assez choquante.

Parmi les multiples questions que pose votre réforme des retraites, figure celle du coût préalable pour la démarrer : car qui va payer pour une réforme dont certains points vous échappent ? Une chose est de brandir les grands et beaux principes d’universalité et de justice sociale, une autre est de se frotter au réel. Il faut clarifier la question de l’âge de départ. La vérité impose de dire aux Français qu’il faudra travailler plus longtemps, comme l’ont fait nos voisins européens. Nous développerons notre projet en ce sens dans un amendement à venir.

M. Boris Vallaud. Le Gouvernement est-il hypocrite au point de vouloir faire croire qu’il a gagné la bataille contre le chômage des seniors ? Si je pose la question, c’est en écho aux propos du Président de la République en avril 2019 : « Alors, on va dire : "Maintenant, il faut passer à 64 ans ?" Vous ne savez déjà plus comment faire après 55 ans. Les gens vous disent : "Les emplois ne sont plus bons pour vous." C’est ça la réalité. On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : "Mes bons amis, travaillez plus longtemps." Ce serait assez hypocrite. »

Cette hypocrisie, vous avez décidé de la faire vôtre : rien ne permet de dire que ceux que vous inciterez à travailler plus longtemps en auront la possibilité. Ils auront le choix entre une décote extrêmement forte de leur retraite et l’assurance chômage, car vous changez une règle fondamentale de 1945 : pour la première fois, on ne calculera plus votre retraite sur le nombre d’années de cotisation, mais sur votre âge de départ à la retraite. Cela va créer des inégalités considérables entre des gens nés la même année.

M. Adrien Quatennens. Certains de nos collègues se disent choqués par un amendement qui contient le mot cercueil. Mais il ne fait que refléter ce que ressentent les gens et ce qu’ils écrivent sur leurs pancartes, quand ils défilent en masse dans les rues ; ce que moi, je trouve choquant, violent, révoltant, c’est de créer les conditions pour obliger les Français à travailler toujours plus longtemps. Plus insupportable encore, votre décision de maintenir un âge de départ dit légal à 62 ans, alors que vous savez pertinemment que, dans les conditions que vous proposez, il vaudra mieux ne pas s’arrêter de travailler à 62 ans. Mais le pire, c’est que vous faites tout cela en prétendant faire une réforme de justice sociale, universelle. Non seulement votre réforme est dure et violente, mais surtout, vous ne l’assumez pas : voilà ce qui est choquant et révoltant. C’est pourquoi je vous demande d’avoir un peu moins de pudeur s’agissant des mots choisis dans un amendement.

Mme Cendra Motin. Il y a déjà des gens qui choisissent de partir avant l’âge légal, avec une décote, voire avant l’âge pivot institué dans le régime AGIRC-ARRCO. Certains connaissent la décote, d’autres la découvrent au moment de prendre leur retraite – c’est ce qui est arrivé à pas mal de monde en 2019 parce que les négociations et l’accord signés par les partenaires sociaux n’étaient pas connus de tous. Notre projet consiste à garantir cet âge légal de 62 ans et à permettre aux gens de partir avant ou après.

Enfin, je suis très contente que M. Chenu soit parmi nous ce soir : il nous démontre que le projet du Rassemblement national a beaucoup de similitudes avec celui de La France insoumise, notamment sur les quarante annuités. (Protestations sur les bancs du groupe La France insoumise.)

M. le secrétaire d’État. Si cette grande transformation de notre système de retraite contenait en germe autant de points négatifs que vous le soulignez, on ne serait pas ici en train d’en débattre. Monsieur Quatennens, vous prenez à témoin vos collègues Les Républicains en leur disant qu’ils devraient se réjouir de cette réforme parce que vous y voyez une réforme paramétrique permanente. Si c’était le cas, j’imagine qu’ils n’auraient pas manqué, depuis une semaine, de m’envoyer force encouragements et de féliciter le Gouvernement. Je comprends que vous puissiez vous retrouver sur certains points, car vous avez besoin d’alliés, mais je ne suis pas sûr qu’en l’espèce ils aient vu dans le projet que je porte la même chose que ce que vous avez décrit.

Il faut faire confiance aux Français et admettre qu’ils peuvent, en connaissance de cause, dans la mesure où ils informés, choisir de prolonger ou non leur vie professionnelle, en fonction notamment de leur métier – le rapporteur a souligné tout à l’heure qu’il y avait de nombreuses possibilités de partir à d’autres moments qu’à l’âge légal ou à l’âge d’équilibre. Et toutes ces possibilités vont se concrétiser grâce à ce projet de loi.

La commission rejette les amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 7988 de Mme Caroline Fiat, n° 7990 de M. Michel Larive et n° 7995 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Je profite de cet amendement, qui veut supprimer l’alinéa 1, pour alerter M. le secrétaire d’État sur le fait que tous mes cas-types préférés ont disparu du simulateur du Gouvernement, même Marie l’infirmière, ce que je trouve particulièrement scandaleux... Je dis en souriant, mais je suppose que c’est par pure taquinerie ! Pourriez-vous remettre sur le site tous ces cas-types, aides-soignantes et infirmières, puisque mon adresse IP indique que je suis celle qui fréquente le plus assidûment votre site ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Rendez-nous Marie !

M. Michel Larive. Nous réaffirmons la possibilité du départ à la retraite à 60 ans, notamment grâce à l’instauration de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, qui augmenterait automatiquement les cotisations et contribuerait à équilibrer financièrement le système. On a dit qu’un frisson aurait traversé cette assemblée : moi, c’est cette réforme qui me donne le frisson, surtout pour les générations à venir. S’émouvoir, comme vous le faites, de la réalité qui découlera de la réforme que vous soutenez frise l’indécence.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons bien compris que pour parvenir à équilibrer le système, vous faites de l’âge la variable d’ajustement. Je suis comme vous soucieux d’équilibre et je peux vous mettre en place, pour financer le système de retraite, le salaire d’équilibre, le taux de cotisation d’équilibre, et pourquoi pas le niveau de dividendes versés aux actionnaires d’équilibre... Il existe plein d’autres variables que l’âge !

Enfin, madame Motin, vous pourriez vous passer de ces rapprochements entre des formations politiques adversaires. Mis à part le fait que le Rassemblement national défend la retraite à 60 ans, nous sommes loin de son contre-projet qui ne dit rien de son financement. À entendre Mme Le Pen en effet, il suffirait de signer un décret pour le retour au plein emploi. Vous pourriez au moins reconnaître, même si vous n’êtes pas d’accord avec La France insoumise, que nous faisons un travail sérieux sur le sujet.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Avis défavorable : ces amendements n’ont d’autre but, en supprimant un alinéa, que de rendre l’article 23 inopérant.

Monsieur Quatennens, à chaque qu’intervention, vous dites une chose et son contraire. Nous assumons l’instauration de l’âge d’équilibre parce qu’il n’y a pas d’argent magique. Il est nécessaire de trouver un équilibre d’une manière qui soit socialement juste.

Madame Fiat, outre la notion de décote en dessous de 65 ans, vous oubliez quelque chose qui n’existe pas dans le système actuel : le départ à taux plein à 65 ans... Il faut attendre 67 ans. Ce qui, ainsi qu’on vous l’a expliqué à plusieurs reprises, évitera d’avoir à maintenir dans l’emploi des gens en situation difficile.

M. Sébastien Jumel. Cet article, c’est normal qu’il nous énerve car c’est La Vérité si je mens ! Toutes les simulations sur l’âge d’équilibre que vous assumez clairement nous conduisent à mesurer que l’âge de départ à la retraite sera repoussé. Avec les projections du rapport Delevoye, je pourrai partir en 2022 à 62 ans et 4 mois si je suis né en 1960, et à 66 ans et 3 mois si je suis né en 1990. Avec les projections du Gouvernement, on partira à la retraite à l’âge de 64 ans à partir de 2027. Il y a d’un côté une promesse électorale et de l’autre une remise en cause, par le biais du malus, de l’âge légal de départ à la retraite. Assumez-le ! Libérer, délivrer, autoriser, permettre, vous nous le servez à toutes les sauces... Mais vous vous foutez de la gueule de qui ? C’est comme dans le sketch de Palmade : préférez-vous qu’on vous coupe l’oreille droite ou l’oreille gauche, ou moins l’une que l’autre ? Quand on dit à quelqu’un qui n’a pas de ronds et un petit salaire qu’on va amputer sa pension s’il part plus tôt à la retraite, il a vite fait de comprendre qu’il ne pourra pas vivre et qu’il va devoir travailler un peu plus longtemps. Le voilà, votre projet : la vérité si je mens !

M. Adrien Quatennens. Depuis deux ans et demi, le phénomène de ruissellement a bien lieu, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il vient contredire les lois de la gravitation puisqu’il se fait plutôt à l’envers... Ce sont en effet les plus modestes qui payent le plus cher les conséquences de votre politique et les plus hauts revenus qui en bénéficient !

Monsieur Maire, vous avez raison, il n’y a pas d’argent magique ; mais dites-le d’abord aux très riches, aux actionnaires qui ont été bien gavés avec les mesures prises par ce Gouvernement ! Si vous mettez de la tôle dans un hangar mais qu’il n’y a pas de travail humain derrière, il y a peu de chances pour qu’il en sorte des bagnoles. De la même manière, si vous mettez de l’argent dans un coffre et que vous revenez trois mois plus tard, le capital n’aura pas fructifié s’il n’y a pas eu de travail humain. Seul le travail humain produit. La question qui nous est posée autour du financement des retraites est bien celle de la répartition des richesses. Nous soutenons qu’il est possible de financer un système de retraite permettant de garantir un âge de départ et un niveau de pension, mais à la condition, que vous ne voulez pas admettre, de mieux répartir les richesses – je ne parle pas de confisquer. Moins de 5 % de la richesse produite profite aux salaires. Jamais vous ne relancerez l’activité d’un pays dans ces conditions.

M. Thierry Benoit. À ce moment de la discussion, il est opportun de rappeler quelques faits historiques. Avant 1981, les Français partaient majoritairement en retraite à l’âge de 65 ans. Le gouvernement de 1981 a proposé la retraite à 60 ans : cela a tenu une législature... Dès le 15 avril 1991, le Livre blanc sur les retraites préfacé par Michel Rocard annonce que la retraite à 60 ans est un échec, un mauvais choix politique qu’il faudra corriger dans les meilleurs délais !

Je me souviens fort bien des débats qui ont eu lieu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy lorsqu’on a proposé de décaler l’ouverture des droits à la retraite de 60 à 62 ans. C’était une mesure très difficile, que j’ai soutenue et votée. Comme vient de le rappeler M. Jacques Maire, un certain nombre de Français sont d’ores et déjà contraints de travailler jusqu’à 67 ans. J’ajoute que lorsque Nicolas Sarkozy et François Fillon ont proposé en 2010 de décaler l’ouverture des droits à 62 ans, bon nombre de députés de gauche, dont certains sont aujourd’hui dans la majorité, avaient juré la main sur le cœur que sitôt de retour au pouvoir, ils rétabliraient la retraite à 60 ans. Ils ne l’ont jamais fait et ne le feront jamais.

M. Charles de Courson. Exactement !

M. Thierry Benoit. Puisqu’il me reste un peu de temps de parole...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pas vraiment !

M. Thierry Benoit. ...je rappelle que des aménagements sont prévus pour les carrières longues, les métiers pénibles, les carrières hachées, les arrêts maladie, les congés maternités, les périodes de chômage et pour les aidants qui s’occupent des enfants handicapés ou des personnes âgées.

M. Éric Woerth. Il est clair que vous assumez de ne pas assumer... En réalité, cela revient à ne rien dire du tout. Vous assumez d’allonger l’âge de départ à la retraite tout en ne l’allongeant pas mais en jouant sur les taux de pension. Tout cela n’est pas clair...

Une vraie réforme des retraites doit être efficace en termes de financement et de justice, mais il n’y aura jamais aucune efficacité en matière de justice sans efficacité financière. Le plus juste, c’est de partager correctement les choses entre les générations et de dire exactement de quoi il s’agit, c’est-à-dire assumer de repousser l’âge de départ à la retraite. C’est ce qu’on fait d’autres pays l’ont fait et nous-mêmes en France en 2010, mais les circonstances nous obligent à aller plus loin.

Au contraire, avec votre réforme, vous abaissez l’âge de la retraite en faisant passer l’âge pivot de 67 à 64 ans, ce qui est une grande première. Ce serait bien si cela assurait l’équilibre, mais ce n’est pas le cas du tout. C’est une vision injuste, déséquilibrée, tout sauf responsable.

Évidemment, quand on assume d’augmenter l’âge de départ à la retraite, il faut prévoir des mécanismes adaptés pour tenir compte de la pénibilité, comme les carrières longues.

Enfin, l’AGIRC-ARCCO a institué une sorte d’âge pivot light par rapport à ce que vous faites pour un certain nombre de raisons. Mais ce système ne fonctionne pas bien, il ne décale pas l’âge de départ à la retraite.

M. Boris Vallaud. Nous sommes là dans l’hypocrisie totale que j’évoquais tout à l’heure. Cette proposition est la trahison même de la parole présidentielle. Vous n’avez pas réglé la bataille de l’emploi des seniors qui était le préalable, à croire le Président de la République, au recul de l’âge de départ à la retraite. Ce que vous proposez aux Français les plus modestes et les plus précaires dans l’emploi à la fin de leur carrière, c’est le choix entre le chômage et la décote, autrement dit entre la petite vie ou la petite vie... Non seulement vous escamotez le dispositif des carrières longues, on le verra tout à l’heure, mais votre système de prise en compte de la pénibilité est indigent : en supprimant en 2017 des critères de pénibilité, vous avez fait sortir des centaines de milliers de travailleurs du dispositif. Assumez au moins la part d’inhumanité qu’il y a dans ce projet !

M. Olivier Véran. Monsieur Jumel, je suis plus inspiré par Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ou par la magnifique musique de Good Bye, Lenin ! que par La Vérité si je mens !

M. Sébastien Jumel. L’auteur habite à Dieppe : je peux vous le faire rencontrer, il est extraordinaire !

M. Olivier Véran. Décidément, nous avons plein de points communs !

J’en viens à la minute Ambroise Croizat, car on ne l’a pas suffisamment cité aujourd’hui. Quand le ministre communiste du travail a mis en place, en 1945, les ordonnances créant le système de retraite, l’âge de départ à la retraite était de 65 ans alors que l’espérance de vie des hommes était de 61,6 ans – autrement dit inférieure à l’âge de départ à la retraite – et celle des femmes de 66 ans.

Projetons-nous un peu plus loin : 1981 voit un progrès social puisque l’âge légal de la retraite passe de 65 à 60 ans. À l’époque, l’espérance de vie des hommes était de 77 ans. Autrement dit, quelqu’un qui prenait sa retraite à l’âge de 60 ans pouvait statistiquement vivre encore dix-sept ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie va bientôt atteindre 85 ans. Avec un âge légal de départ à la retraite à 62 ans, l’espérance de vie à la retraite est donc de vingt-trois ans.

Mme Caroline Fiat. Mais dans quel état ?

M. Olivier Véran. Au vu de ce constat et comme le système n’est pas équilibré, on pourrait décider de repousser l’âge de départ à la retraite, comme le proposent les députés du groupe Les Républicains. Ce n’est pas notre choix.

Monsieur Vallaud, vous et moi avons voté la réforme des retraites de Marisol Touraine lors de la législature précédente...

M. Boris Vallaud. Je n’étais pas député !

M. Olivier Véran. Vous travailliez à l’Élysée à l’époque, considérons que c’est presque pareil ! Nous avons repoussé l’âge légal de départ à la retraite lors de la législature précédente, et chaque année, je travaille un trimestre de plus pour pouvoir atteindre l’âge du départ à la retraite. Notre projet de loi ne touche pas à l’âge légal de départ à la retraite qui reste à 62 ans.

M. Jean-Pierre Door. Vous n’avez pas repoussé l’âge de la retraite avec Marisol Touraine...

M. Charles de Courson. Dans son avis, le Conseil d’État indique grosso modo qu’il n’y a plus de régime universel. Il y a déjà cinq régimes particuliers – à mon avis plutôt six. Comment s’applique l’article 23 au regard de ces régimes particuliers ?

M. Sébastien Jumel. J’adore !

M. le secrétaire d’État. Madame Fiat, je viens moi-même de vérifier sur ma tablette que le cas « infirmière, vie active, 22 ans » n’a pas disparu de notre site – même s’il n’est effectivement plus indiqué « Marie ».

Actuellement, il faut une durée d’activité de quarante-trois ans pour toucher une retraite à taux plein. Certes, celle-ci peut être modulable, mais ne me racontez pas que la majorité des cas sont dérogatoires. Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises la semaine dernière, si l’on entre dans la vie active entre 21 et 22 ans, – 21 ans pour les moins qualifiés et 22 ans pour les plus qualifiés –, l’âge de départ à la retraite se situera entre 64 et 65 ans. Vous pouvez contester cela cinquante fois, mais c’est la réalité et chacun peut le vérifier sur sa tablette, pour peu qu’elle fonctionne.

Je reprends le cas-type que vous avez évoqué, madame Fiat. Il s’agit du tableau 48 de la page 205 de l’étude d’impact, qui montre qu’un salarié de la génération 1980 devra effectivement travailler jusqu’à l’âge de 65 ans pour voir une augmentation significative de sa pension de retraite. Comme vous l’avez reconnu vous-même, et je vous en remercie, s’il part à la retraite à 63 ou 64 ans, le montant de sa retraite sera le même, à 10 euros près, hors système universel ou avec le système universel. Mais vous auriez pu poursuivre dans la transparence en signalant que les dynamiques étaient très en faveur du système universel de retraite pour les générations 1990 et 2003, et ce même avant 65 ans. Je comprends ce que vous voulez dire, mais vous voyez bien que les cas sur lesquels nous travaillons ensemble montrent que l’effet redistributif fonctionne bien et mieux. Nous avons l’ambition de permettre aux Français qui le souhaitent de travailler un peu plus, ce qui entraîne des pensions de retraite significativement plus élevées. Mais nous allons aussi examiner les cas de ceux qui ne peuvent pas travailler davantage ou qui sont confrontés à des situations particulières.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8005 de Mme Caroline Fiat, n° 8007 de M. Michel Larive et n° 8012 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pris que l’exemple de la génération 1980, mais rassurez-vous : j’aborderai les autres cas-types demain, tout au long de la journée, puis en séance publique. Si je les évoque tous maintenant, je ne saurai plus quoi faire ensuite... Reste que jusqu’à présent, lorsque je cliquais sur « salarié d’un régime spécial », j’obtenais les cas de l’aide-soignante, de l’infirmière, etc. Mais maintenant, on me répond : « Les parcours-types seront présentés à l’issue de la concertation sectorielle en cours sur les modalités de transition au sein du système universel. » Je ne sais toujours pas où est passé le cas de Marie... Peut-être avez-vous déjà retiré les salariés d’un régime spécial.

M. Michel Larive. 62 ans, c’est l’âge auquel vous ouvrez le droit à une retraite précaire ; 65 ans, celui auquel les salariés auront véritablement le droit de partir à la retraite à taux plein : voilà la réalité de votre texte. Ce n’est pas une fatalité, mais un choix politique. Pour notre part, nous maintenons qu’il est possible de partir à l’âge de 60 ans, notamment si l’on revalorise les salaires, comme cela s’est déjà produit. Cela avait augmenté les cotisations et permis que les caisses de retraite soient à l’équilibre.

M. Adrien Quatennens. M. Benoit nous a dit qu’on avait dû renoncer à la retraite à 60 ans, a priori parce que cette mesure ne tenait pas debout économiquement. Mais peut-être conviendrait-il de savoir de combien la productivité a augmenté depuis cette époque. Quel volume de richesse supplémentaire produit-on depuis ? Et quelle part est passée au capital ?

Il nous a expliqué à quel point il lui avait été difficile de voter des lois reculant l’âge de départ à la retraite. Je veux, sans trop d’ironie, soulager sa peur en lui assurant qu’il est possible de financer la retraite à 60 ans. Je peux entendre que ce choix ne soit pas retenu par la majorité, mais pourquoi le refuser s’il est finançable ? Financer la retraite à 60 ans à un bon niveau de pension représente 2 points de produit intérieur brut (PIB) supplémentaires d’ici à 2040. Si c’est faisable, pourquoi le refuser ? Qui voulez-vous protéger ?

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Vallaud, le taux d’activité des seniors est vraiment l’une des conditions d’évolution et de transformation de notre pyramide d’âge actif. Des dispositifs sont prévus, comme le cumul emploi-retraite et la préretraite progressive. Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi c’est un des grands sujets actuellement en discussion entre partenaires sociaux, sur la base de la contribution du rapport Bellon. Nous aurons probablement l’occasion d’y revenir d’ici à l’examen du texte en séance publique.

Oui, nous assumons le fait qu’il faut plutôt gérer nos dépenses sociales en essayant de les affecter là où c’est important. Aujourd’hui, si on veut financer le minimum contributif et la baisse de trois ans de la retraite à taux plein pour les carrières difficiles, il faut faire en sorte que les Français travaillent globalement un peu plus. Nous ne cachons rien, monsieur Woerth : ce « un peu plus » est chiffré dans l’étude d’impact. Selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), il faudra travailler jusqu’à 64 ans en 2030 et 64,5 ans en 2040. On le voit, cet impact n’est pas spectaculaire et très variable suivant les catégories.

Défavorable.

Mme Valérie Rabault. Monsieur Véran, j’ai retrouvé l’étude d’impact de la réforme de Mme Touraine, qui faisait 439 pages.

M. Olivier Véran. C’est moins que celle-ci !

Mme Valérie Rabault. Mais il ne s’agissait pas d’une réforme systémique. Elle était bien plus détaillée que la vôtre, plus sincère, et surtout elle ne ment pas sur l’âge. Le taux d’activité des femmes entre 55 et 64 ans est de 39 % ; autrement dit, six femmes sur dix de cette tranche d’âge ne travaillent pas. Par conséquent, il leur est difficile de pouvoir attendre l’âge de 65 ans, qui est l’âge réel de votre réforme.

Certes, l’article 23 fixe l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Mais si, en partant à cet âge, on voit sa retraite amputée de 15 %, les Français auront vite fait de calculer... Vous êtes en train de les enfermer dans un système qui n’est pas sincère. Vous auriez dû écrire la vérité dans cet article, à savoir que l’âge de départ à la retraite sera de 65 ans, et à terme de 66, puis 67 ans.

M. Éric Woerth. Rappelons que les quarante-trois années de cotisations de la réforme Touraine ne s’appliqueront qu’en 2035...

Vous créez l’illisibilité par la complexité : l’âge légal, l’âge pivot, les points d’achat, les points de service, la durée de cotisation, les phases de transition à tous les étages, cela fait beaucoup ! À côté de l’âge légal, il y a l’âge fortement conseillé : l’âge pivot. C’est assez hypocrite ! Ce n’est pas la décote – il y en a déjà une lorsque vous n’avez pas tous vos trimestres –, mais bien une super-décote, qui va faire chuter les pensions. Vous transformez l’effet d’horizon en mirage : au moment où vous croyez y parvenir, cela s’évanouit. Le pire, c’est qu’avec ou sans réforme, on aboutit au même résultat financier, à 0,1 ou 0,2 point de PIB près – c’est ce qu’indique votre étude d’impact. Tout ça pour ça...

M. Adrien Quatennens. Monsieur Maire, vous venez de nous dire que vous assumez que les dépenses sociales soient affectées là où c’est important. Mais je suis plus scrupuleux que vous, je ne me limite pas aux dépenses sociales : cela vaut pour les dépenses tout court. Était-il urgent de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune ?

M. Jean-Paul Mattei. Ce sont des choix politiques !

M. Adrien Quatennens. Était-il important de pérenniser, par une baisse de charges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont on a vu la faible efficacité économique ? Était-il important d’accorder toutes ces exonérations sociales qui ont creusé le trou dans la caisse dont vous vous servez pour justifier la réforme des retraites ? Était-il important de supprimer des aides personnalisées au logement ? Très franchement, on peut s’interroger sur l’efficacité économique du jeu de la dépense du Gouvernement. Et en disant cela, je suis encore tout à fait sympathique...

M. Pierre Dharréville. Je vois bien que notre collègue Olivier Véran nourrit une passion contrariée avec Ambroise Croizat : ses raccourcis de l’histoire sont assez saisissants.

Ambroise Croizat a été le promoteur d’un grand progrès social...

M. Olivier Véran. C’est exact ! Et il a fait comme il a pu.

M. Pierre Dharréville. ...sauf qu’ici, vous faites l’inverse. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans votre comparaison. À vous entendre, on pourrait croire qu’Ambroise Croizat serait adhérent à La République en Marche.

Mme Cendra Motin. Allez savoir !

M. Pierre Dharréville. Ce que je peux vous dire en tout cas, c’est que son petit-fils sera dans nos murs demain, mais pas pour soutenir La République en Marche ni le présent projet de loi.

On pourrait faire un jeu rigolo, citer des films comme Les Randonneurs à Saint-Tropez, Les Illusions perdues, etc. Mais je m’en tiendrai là parce que le sujet est grave. Vous êtes en train d’avaliser un recul majeur en faisant semblant qu’il ne se passe rien.

M. le secrétaire d’État. L’objectif du Gouvernement a toujours été de créer un système universel, et non un régime unique. Plusieurs intervenants ont rappelé, à raison, que ce n’était pas la même chose. Dans ce système universel, nos compatriotes construiront les mêmes droits en faisant les mêmes efforts.

Les régimes d’affiliation maintenus renvoient tous aux règles applicables pour tous les assurés, telles que décrites à l’article L. 191-1 du code de la sécurité sociale, objet de l’article 23. Sur le plan technique, les choses sont donc relativement claires.

M. de Courson me demande en fait s’il y aura des catégories dérogatoires à la règle des 62 ans. Nous parlerons tout à l’heure des missions régaliennes de l’État, des carrières longues et de la pénibilité : je sais que le rapporteur a très envie d’échanger avec nous tous sur ces sujets. Sur le fond, les dérogations, les spécificités ne sont pas fonction d’un statut ou de l’appartenance à une entreprise : elles s’apprécieront au regard de critères objectifs, d’éléments comparables. C’est cela que nous demandent nos concitoyens quand ils nous parlent de créer de l’égalité devant la retraite.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie, en discussion commune, des amendements n° 406 de M. Éric Woerth et n° 22616 de M. Fabrice Brun.

M. Jean-Pierre Door. Qui va payer votre réforme ? Nous ne le savons pas, et vous non plus. C’est pourquoi il faut dire clairement à nos concitoyens qu’ils devront travailler plus longtemps. C’est ce qu’ont fait les pays voisins. Le passage de 60 à 62 ans en 2010 a permis de s’épargner un déficit prévu de 30 milliards d’euros en 2020. Le COR annonçant un nouveau déficit en 2025 autour de 17 milliards, il faut repousser l’âge légal de départ à la retraite en douze années d’un trimestre par an. Ainsi, l’âge de départ à la retraite serait de 63 ans en 2025, de 64 ans en 2029 et de 65 ans en 2033. Avec cette ligne arithmétique, nous serions dans les clous du financement de la retraite pour tous les Français.

M. Fabrice Brun. Le premier rapport du COR, en 2000, prévoyait un déficit de 60 milliards d’euros pour notre système de retraite à l’horizon 2020. Nous avons pu l’éviter grâce aux réformes de 2003 et 2010 qui ont adapté notre système au choc démographique. Parce qu’on vit plus longtemps, on passe plus de temps à la retraite – vingt-trois ans en moyenne ; et parce que le déséquilibre entre actifs et retraités s’accroît, on doit travailler un peu plus longtemps, à moins d’augmenter les cotisations ou de baisser les pensions.

Dans un souci à la fois de compromis, de responsabilité et de transparence, je propose d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite d’un an en le portant à 63 ans, ce qui est bien différent d’un âge pivot à 64 ans. Cela garantirait des recettes claires, un équilibre et des marges de manœuvre qui permettent à terme à ceux qui sont les plus usés, ceux qui ont les métiers les plus pénibles, de partir plus tôt. Il ne peut y avoir de justice sociale sans équilibre budgétaire : c’est le point central du débat.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je vois une constance chez nos collègues du groupe Les Républicains, celle d’un instrument unique pour combler l’équation économique : l’augmentation de l’âge de départ à la retraite. C’est quelque chose qui marche, qui est possible. Vous avez fait référence à une évolution glissante ; ce n’est pas ce que reflètent les amendements qui nous sont présentés.

Nous n’avons pas choisi d’augmenter progressivement l’âge légal de départ à la retraite parce que nous sommes finalement plus libéraux que vous... Nous pensons qu’il est loisible et nécessaire de laisser la possibilité à ceux qui le souhaitent de partir à l’âge légal et non pas forcément à l’âge d’équilibre. Je ne comprends pas pourquoi cette liberté que nous offrons vous fait peur.

Monsieur Quatennens, l’espérance de vie est clairement indiquée dans les perspectives, notamment dans l’étude d’impact. Dans les fondamentaux de la réforme, il est effectivement possible de remettre en cause l’âge d’équilibre pour tenir compte d’une augmentation de l’espérance de vie, à hauteur d’un tiers d’augmentation de l’âge de la retraite et deux tiers d’augmentation de l’âge d’équilibre.

Chers amis communistes, il y a des communistes qui effectivement peuvent tout à coup prendre le chemin en marche – c’est le cas de Robert Hue – parce qu’ils ont compris qu’un des enjeux principaux, c’est de permettre à la France d’augmenter sa capacité de créer des emplois, y compris en période de croissance basse.

Monsieur Quattenens, vous parlez d’une faible performance de la dépense publique en nous accusant de ne pas traiter des priorités. Sans les réformes structurelles et fiscales que nous avions engagées depuis 2017, jamais nous n’aurions pu créer 265 000 emplois en 2019 avec une croissance de 1,3 %, sachant que, les années précédentes, nous ne commencions à en créer qu’à partir de 1,5 %.

M. Boris Vallaud. On pourrait penser que l’article 23 est tautologique puisque vous ne faites que réaffirmer que l’âge d’ouverture des droits à la retraite est fixé à 62 ans, qui est l’âge légal de départ à la retraite. Comment l’article 23 s’articule-t-il avec l’article 55 qui confie à la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) le soin de « [...] proposer, par délibération, l’évolution envisagée des paramètres suivants en vue d’assurer cet équilibre : 1° La fixation de l’âge mentionné à l’article L. 191-1 [...] », c’est-à-dire ce même âge d’ouverture des droits à la retraite que vous fixez à 62 ans. Est-ce à dire que tout est négociable sur la base de la règle d’or que vous avez inscrite et qui se transformerait dès lors en loi de plomb pour les retraités ?

M. Adrien Quatennens. Ce qui rend l’enfumage plus complexe, c’est qu’on ne peut modifier que deux grandes familles de paramètres : celle de l’âge de départ, qu’il s’agisse de l’âge légal, de l’âge d’équilibre, ce nouvel outil que vous avez inventé, ou de la durée de cotisation, ou celle de la part de la richesse que l’on consacre aux retraites, autrement dit le taux de cotisation ou les salaires. Vous partagez la même famille d’outils avec nos collègues Les Républicains : reculer l’âge de départ effectif revient à la même chose que diminuer le niveau des pensions, dans la mesure où, si l’on part au même âge qu’avant, le niveau des pensions aura diminué, ce qui oblige à travailler plus longtemps si l’on veut compenser la baisse.

Vous avez précisé, monsieur le rapporteur, que l’âge d’équilibre serait fonction notamment de l’espérance de vie. C’est tout à fait éclairant : c’est bien une retraite horizon, qui recule à mesure que l’on avance. Plus l’espérance de vie progressera, plus la variable de l’âge d’équilibre reculera... C’est aussi un pari un peu morbide que celui qui consiste à considérer que plus l’espérance de vie augmente, plus une partie de la retraite sera « affaiblie » en quelque sorte, dans la mesure où vous devrez travailler plus longtemps pour l’obtenir. Cela ne va pas dans le sens du progrès. Si l’espérance de vie continue à progresser, passons ce temps supplémentaire à faire autre chose : il y a plein de choses magnifiques à faire à la retraite.

M. Sébastien Jumel. Je ne sais pas si c’est l’heure ou le ton du rapporteur qui a changé, mais ce que j’entends m’exaspère : offrir le loisir aux gens de travailler plus longtemps. Mais offrir le loisir de quoi ? Les cadres sup, les bourges que vous représentez vont devenir experts en assurances, ils vont donner des conseils et donner du sens à leur seconde vie. Mais les gens pauvres, les gens modestes, ceux qui sont justes au-dessus du minimum vieillesse ? Comme ils vont partir à la retraite avec une décote massive, ils vont être contraints de cumuler un boulot de misère à côté de leur retraite de misère. C’est déjà le cas pour 490 000 de nos concitoyens. Vous parlez de loisirs, de liberté, mais sur quelle planète vivez-vous ? Nous ne représentons pas les mêmes gens que vous, vous ne rencontrez pas les mêmes que nous. Ceux que je ferai témoigner demain ne rêvent pas de travailler jusqu’à 67 piges ! Ils savent que leurs corps ne pourront pas suivre. Ceux-là, vous allez leur faire mal avec votre décote, qui va les pénaliser massivement. Assumez-le, au lieu de réaffirmer votre attachement au départ à la retraite à 62 ans ! Car c’est mentir effrontément.

M. Éric Woerth. Un certain nombre de députés de la majorité, députés socialistes sous la législature précédente, avaient juré que jamais ils ne voteraient une réforme fixant l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Voilà qu’ils se mettent à défendre ce qu’ils considéraient hier comme une horreur absolue. Tant mieux ! Gageons que dans quelques années, vous vous apercevrez que ce que vous proposez aujourd’hui n’était pas très efficace ni très clair, et que vous reviendrez sur ces mesures : c’est l’histoire et c’est toujours comme ça. Il faut du courage pour augmenter l’âge de départ à la retraite. Vous ne le faites pas par intelligence, par volonté ou pour laisser de la liberté, car il n’y a aucune liberté. Les gens vont partir à la retraite avec une super-décote, et pour la vie.

M. Sébastien Jumel. Je suis d’accord avec vous !

M. Éric Woerth. Vous n’osez pas affronter le vrai problème de la retraite qui est un problème d’âge. Quand on parle de retraite sans parler de l’âge, c’est comme si on parlait de mariage mais pas d’amour. (Sourires.) À un moment donné, il faut parler du vrai sujet. L’efficacité financière de l’âge pivot est au moins de la moitié inférieure à l’augmentation de l’âge. Et sans efficacité financière, il n’y a pas de justice possible dans le système des retraites.

Mme Catherine Fabre. À vous entendre à ma droite comme à ma gauche, j’ai l’impression d’être dans la série Fais pas ci, fais pas ça... Vous voudriez que tout le monde parte au même âge, à 65 ans pour les uns ou à 62, voire 60 ans, pour les autres. Ne peut-on envisager que chacun puisse choisir la manière dont il se projette dans la suite de sa vie, en fonction de ses préférences, de ses priorités, de ses contraintes ? On nous dit que nous ne représentons pas les mêmes personnes, mais moi aussi, je connais énormément de gens qui ont des postes d’employés ou de salariés avec de faibles salaires.

M. Adrien Quatennens. Et ils adorent !

Mme Catherine Fabre. Oui, ils aiment aller travailler, retrouver leurs collègues le matin, avoir une identité professionnelle ; j’en connais beaucoup qui aimeraient continuer. Les obliger à partir à un âge ou un autre, c’est les priver de liberté. La liberté est une très belle valeur, et cela mérite qu’on en discute de temps en temps.

M. Adrien Quatennens. Partir à la retraite, quelle douleur !

Mme Catherine Fabre. Monsieur Woerth, avec le cumul emploi-retraite, on peut continuer de cotiser et d’accumuler des droits en travaillant plus tard : ce n’est donc pas « pour toujours ». Nous proposons aussi de donner la liberté de recommencer à travailler un peu plus tard.

M. Éric Woerth. Pas du tout !

Mme Catherine Fabre. Je connais très bien la réforme sur laquelle nous sommes en train de travailler, et je vous prie d’être respectueux à cet égard.

M. Sébastien Jumel. La vérité si je mens !

M. Brahim Hammouche. Je ne serai pas long car certaines conceptions et visions ne sont pas réconciliables, du moins aujourd’hui. Il y a eu beaucoup de confusions, du fait notamment de l’obstruction, ce qui explique que nos amis de tous bords n’aient peut-être pas saisi l’ambition de cette réforme. Si son article 23 fixe effectivement l’âge d’ouverture de la retraite à 62 ans, l’article 8 traite des points de solidarité acquis en fonction de certains critères de pénibilité. Parler de cercueil est non seulement morbide, mais ignoble – sur ce point, je rejoins mon ami Jean-Paul Mattei.

M. Adrien Quatennens. Allez, dites-le !

M. Brahim Hammouche. Je respecte à la fois les uns et les autres pour leurs qualités humaines et leurs combats, mais je dois dire que, sur ce sujet, vous n’avez vraiment pas été à la hauteur.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’article 23 sans modification.

Article 24 : Principe général de cumul entre la retraite et l’exercice d’une activité professionnelle

La commission est saisie des amendements identiques n° 8143 de Mme Caroline Fiat, n° 8145 de M. Michel Larive, n° 8150 de M. Adrien Quatennens et n° 22237 de Mme Marine Le Pen.

Mme Caroline Fiat. L’article 24 propose assez logiquement, sachant que l’on gagnera moins d’argent en partant à la retraite, de pouvoir cumuler la retraite et un emploi, pour compléter sa petite pension et boucler ses fins de mois. Si on était dans une situation de plein emploi, passe encore, mais ce n’est pas du tout le cas. À voir le nombre de jeunes qui cherchent un emploi, c’est un peu se moquer du monde. Laissons les gens arrivés à l’âge de la retraite vaquer à d’autres occupations, qui sont nombreuses et très intéressantes.

M. Michel Larive. Vous avez trouvé une solution à la précarité de la retraite, en instaurant la continuité du travail. Mais la notion même de retraite sous-tend fortement, me semble-t-il, l’arrêt de ce travail. Nous proposons donc de supprimer cet article pour éviter toute incohérence.

M. Adrien Quatennens. Il va de soi, mais il est bon le préciser, notamment pour rassurer notre collègue Catherine Fabre, que le travail n’est pas qu’une douleur. Mais c’est plus facile de le dire quand on a la chance d’occuper un emploi qui correspond à sa passion, ses centres d’intérêt, qui permet d’avoir un niveau de vie décent, qui n’est pas précaire. Combien de Français peuvent le prétendre ? Pour tous les autres, le travail peut être une souffrance, un simple moyen de s’assurer autant que faire se peut des conditions de vie décente, ce qui est difficile.

Dans le présent article, vous permettez le cumul entre le travail et la retraite. Nous avons bien compris, étant donné les conditions de départ à la retraite, entre 62 ans et l’âge d’équilibre, qu’il vaudrait mieux avoir de quoi compléter ses revenus. Si ce n’est pas par la capitalisation, encouragée par les assureurs et les banques, ce peut en effet être en continuant à travailler. Mais il y a mille autres choses à faire quand on atteint ces âges. C’est bien de cela dont nous devrions parler.

M. Sébastien Chenu. L’amendement n° 22237 est défendu.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je veux apporter une précision sur le concept-valise de super-décote, effet induit, à entendre M. Woerth, du futur régime universel. Contrairement à ce qu’il a affirmé à plusieurs reprises, c’est bel et bien aujourd’hui que la super-décote s’applique : lorsqu’on n’a ni les points ni la durée de cotisation, autrement dit ni le salaire de référence ni le nombre de trimestres, on est deux fois pénalisé, alors que, dans le système universel, c’est seulement la décote de 5 %, liée à une année d’avance, qui s’appliquera – et encore éventuellement. La double décote, c’est aujourd’hui, pas demain.

S’agissant de l’article 24, je ne vous comprends pas. Environ 500 000 personnes cumulent emploi et retraite aujourd’hui. Pour l’essentiel, hormis les militaires et quelques cas très particuliers, il n’y a aucune accumulation de droits à la retraite supplémentaires. Nous allons donner à ces personnes, dont les revenus sont bien souvent limités, la possibilité d’augmenter leur retraite à terme, à travers une seconde liquidation. C’est simplement un élément de justice.

Avis défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous nous dites qu’il n’y aura pas de changement dans la durée de cotisation ni dans l’âge légal : autrement dit, c’est fromage et dessert. Je suis désolé, monsieur Maire, mais Éric Woerth a raison : votre proposition revient bel et bien à une super-décote. Aujourd’hui, il y a effectivement une décote, mais une décote simple.

Le vrai courage serait d’assumer une mesure d’âge. Le courage est une vertu qui permet d’entreprendre des actes difficiles en surmontant ses peurs. Or vous n’avez pas surmonté vos peurs, ni entrepris une démarche difficile. Osez nous dire aujourd’hui que le système, parce qu’il sera par points, sera plus juste. Sincèrement, nous avons le sentiment que vous nous prenez pour des enfants.

Mme Valérie Rabault. La question de l’âge est cruciale car elle a une incidence sur tous les autres sujets, notamment le cumul que vous proposez. Monsieur Véran, je voudrais vous citer l’étude d’impact de la réforme de 2013, s’agissant du report de l’âge légal d’ouverture des droits à pension de vieillesse : « Le Gouvernement a écarté cette option qui aurait pénalisé principalement les assurés qui ont une durée d’assurance importante et ont donc commencé à travailler tôt. En effet, un report par exemple à 63 ans de l’âge légal aurait signifié, pour un assuré qui a commencé à 20 ans, de devoir décaler son départ d’un an alors même qu’il justifiait déjà du taux plein. L’assuré à carrière longue, qui correspond souvent à un profil moins qualifié, et donc moins rémunéré, aurait dû, sans en tirer aucun bénéfice, travailler un an de plus. »

Vous le voyez, mon cher collègue, ce scénario était parfaitement envisagé. Vous le contournez en appliquant une décote de 10 %, mais chaque année : autrement dit, la pension sera amputée sur toute la durée de la retraite.

M. Adrien Quatennens. Nous maintenons qu’il est possible de financer simplement la retraite à 60 ans avec un bon niveau de pension. Depuis des mois, nous parlons décote, âge d’équilibre, âge pivot, alors qu’en réalité, la retraite est un troisième âge de la vie. Nous aurions pu passer autant de temps à parler cinéma, lecture, musique, voyages, jardinage, famille, amis, associations, engagement, passion, amour... Pour cela, il suffisait de parler égalité salariale, salaire, taux de cotisation. Depuis des mois, vous avez réduit la retraite à une équation mathématique anxiogène. Pourquoi nous imposer cette souffrance, puisque nous pouvons financer la retraite à 60 ans, et permettre que ce bel âge de la vie soit consacré à d’autres activités ? N’est-ce pas le sens du progrès ? Vous vous présentez comme des progressistes, mais vous dites aux Français qu’il leur faudra travailler toujours plus longtemps. Bonjour le progrès !

M. le secrétaire d’État. En écoutant avec intérêt le président Éric Woerth ainsi que le député Adrien Quatennens, je me disais que c’était aussi pour cela que nous nous sommes engagés en politique : nous devons être capables de conjuguer ensemble l’efficacité budgétaire, lorsqu’elle est nécessaire, et la construction d’un projet de société. Les réformes utiles menées précédemment, y compris par la majorité socialiste, ont permis, on l’a dit, de combler certains déficits. Très souvent, elles ont été attentives à la réalité budgétaire, mais moins souvent – je ne dis pas « jamais » car il ne faut pas caricaturer – à la nécessaire évolution du système de retraite par rapport à la société.

Il est vrai que le projet que nous présentons n’est pas axé uniquement sur l’efficacité budgétaire ; j’entends que cela vous heurte, mais il l’inclut. Il a pour objectif la reconstruction d’un socle de solidarité qui s’étiole, ce qui fait que les jeunes ont moins confiance dans le dispositif. Il est clairement axé sur le retour d’une forme d’égalité devant la retraite et la prise en compte de spécificités, sur le fondement de critères objectifs.

Nous pouvons mener un projet de société en incluant l’efficacité budgétaire. C’est ce à quoi travaille cette majorité – République en Marche, Mouvement Démocrate, UDI, Agir et Indépendants.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8075 de Mme Caroline Fiat, n° 8077 de M. Michel Larive et n° 8082 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Nous sommes opposés à l’idée de donner la possibilité à une personne qui a pris sa retraite, de cumuler travail et retraite. C’est pourquoi nous voulons supprimer l’alinéa 1.

Je ne dis pas que certaines personnes peuvent se plaire au travail jusqu’à 80 ou 90 ans, mais il faut penser à la souffrance de la majorité des gens ; je sais que ce mot vous choque, mais je pense à mes collègues dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui, à 57 ou 58 ans, n’ont plus qu’une idée : raccrocher la blouse et partir car elles ne sont plus en état de travailler. Il ne n’est pas question pour elles de faire autre chose : elles ont assez donné, leur corps est épuisé. Il est temps pour elles de rentrer, pour se reposer.

M. Michel Larive. Même si, comme vous, on l’envisage sous un prisme exclusivement financier, votre réforme est plus que discutable dans la mesure où un emploi est aujourd’hui trois fois plus productif qu’il y a cinquante ans. Travailler plus au motif que l’on vit plus longtemps n’a donc aucune valeur économique. Vous faites un choix de société, celui de faire porter la charge de l’ensemble de la solidarité nationale sur la seule population productive, pour le plus grand bien de la population spéculative.

M. Adrien Quatennens. Michel Larive a parfaitement résumé les choses ; vous vous dites soucieux de l’efficacité budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, mais ni l’invocation de l’efficacité budgétaire ni la comparaison avec le système actuel ne sont en mesure de nous convaincre. Il est vrai que le système actuel a été tellement affaibli qu’il ne convient plus, et que les gens partent trop tard et trop pauvres à la retraite. Mais nous sommes aussi soucieux de l’efficacité budgétaire. Vous pourriez admettre simplement que, tant pour l’efficacité budgétaire que pour l’équilibre financier, il existe d’autres paramètres que de faire travailler les Français plus longtemps. Mais ce ne sont pas vos choix, nous l’avons compris.

Vous pourriez admettre qu’il est possible – même si, de votre point de vue, ce n’est pas souhaitable – de financer autrement la retraite, à un âge de départ fixé, avec un bon niveau de pension. C’est en quelque sorte au bout de nos doigts ; mais vous nous en empêchez, car vous voulez que l’âge auquel on pourra partir recule à mesure que l’on avance dans la vie et que l’espérance de vie progresse.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il y a un consensus dans la salle pour dire que chacun a le droit d’avoir des projets différents pour la retraite : s’arrêter quand on est fatigué, ou mener une nouvelle vie. Mais nombreux sont ceux, dans tous les groupes, y compris dans celui de La France insoumise, et à vos côtés, monsieur Jumel, qui ont fait le choix de rester beaucoup plus longtemps en activité et, par ce biais, de cumuler des droits à la retraite. Pourquoi les députés, les sénateurs, les élus seraient-ils les seuls à avoir le droit de travailler après 65 ans et ce faisant d’augmenter leurs droits à la retraite ? Nous menons une action de justice.

Avis défavorable.

M. Gérard Cherpion. Personne ici ne remet en cause le fait de pouvoir choisir de partir en retraite, de poursuivre son activité ou d’avoir une retraite progressive. Dans son rapport d’octobre 2019 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes indique que les sept dispositifs de départ anticipé qu’elle a examinés regroupent 400 000 bénéficiaires, sur 800 000 départs. Un départ à la retraite sur deux est donc anticipé. C’est un choix, lié à la pénibilité ou aux contraintes du travail. On peut le comprendre sans pour autant nier qu’il puisse exister d’autres choix, comme de poursuivre une activité lorsqu’on le peut ou qu’on le veut. Pourquoi empêcher ces personnes de cumuler travail et retraite ? Il faut plus de liberté et de responsabilité dans les choix, tout en sachant que ces dispositifs de départ anticipé coûtent tout de même 14 milliards d’euros par an.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, assumez vos prises de position, que vous discutiez de l’âge effectif de départ à la retraite ou que vous cibliez des gens sans les nommer, avec cette approche très politicienne, qui fait sourire la majorité. Parlons franchement : Jean-Luc Mélenchon et André Chassaigne ne diraient pas les choses différemment.

M. André Chassaigne. C’est moi qui étais visé ?

M. Adrien Quatennens. Vous admettrez que notre travail de parlementaire, même si nous travaillons beaucoup, si nous dormons peu, si le rythme est soutenu, n’a pas la pénibilité du travail dans les égouts, par exemple, ou d’un conducteur de métro, qui vit dans le noir toute la journée. Surtout, nous ne le contestons pas, travailler plus longtemps est un choix pour certaines personnes. Enfin, un mandat n’est pas un métier ni un travail.

On m’a déjà présenté, sur un plateau de télévision, un médecin de 90 ans pour me démontrer que les gens étaient enthousiastes à l’idée de travailler plus longtemps. Il y en a, et c’est tant mieux, mais n’obligez pas les gens à travailler plus longtemps. Or c’est ce que vous faites.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le député Maire, bien qu’étant contre le cumul, nous ne contestons pas que vous soyez rapporteur. (Sourires.) Je vous invite à faire preuve de plus de raison en ce début d’examen du titre II, que vous avez longuement attendu.

En reculant l’âge du départ à la retraite, votre projet ne prend pas en compte une question centrale, une réalité objective : le taux de chômage des seniors et le fait que nombre de seniors sont sortis du monde du travail. Il a été démontré que le recul de l’âge de départ à la retraite aura un impact non négligeable sur les finances de l’assurance chômage. Sur ce sujet-là, non plus, vous n’apportez aucune réponse.

Enfin, la liberté de travailler plus longtemps existe déjà aujourd’hui. Certains travaillent plus longtemps, sans cumuler pour autant les droits à la retraite, car c’est une liberté que de s’épanouir au travail jusqu’à ce que mort s’ensuive. Votre projet vise à obliger ceux qui n’ont pas opté pour ce choix-là à le faire, parce qu’ils auront une décote sur leur niveau de pension. C’est donc une mesure d’inégalité sociale aggravée que vous proposez là, et c’est ce qui provoque tant de colère dans le peuple qui manque, car cette réforme aggravera la situation de cette France-là, tout en permettant à ceux qui ne manquent de rien de s’épanouir un peu plus.

Mme Cendra Motin. Je voudrais évoquer M. Bel, un entrepreneur en sylviculture de ma circonscription, qui s’occupe notamment de la coupe et de l’élagage des arbres autour des poteaux EDF et des voies de chemin de fer. Il m’a récemment expliqué combien les bûcherons, paysagistes, élagueurs qui ont bossé avec lui pendant des années puis sont partis à la retraite étaient contents de revenir pour lui donner un coup de main, car il n’arrive pas à recruter. Même si ces métiers sont difficiles, les retraités qui peuvent encore travailler l’aident avec plaisir.

Dans ma carrière, il m’est aussi arrivé de mal préparer certains départs à la retraite – je me souviens du cas d’un chef d’atelier : grâce au cumul emploi-retraite, il a pu pendant quelques mois transmettre son savoir à son successeur nouvellement recruté, et partir avec un revenu amélioré et le sentiment du travail bien fait.

M. Boris Vallaud. Dans les propos du rapporteur et ceux des députés de la majorité, j’entends que l’anecdote et l’expérience professionnelle ont remplacé l’étude d’impact.

Mme Cendra Motin. Ce sont des cas-types !

M. Boris Vallaud. C’est très intéressant mais cela ne remplacera pas la réalité du monde tel qu’il est. Il y a sans doute, et c’est tant mieux, des personnes qui ont envie de travailler plus longtemps, qui le peuvent, qui n’en ressentent pas la nécessité économique Mais il y a aussi un paquet de gens qui ne cumuleront rien du tout et qui seront réduits à choisir entre le chômage ou la décote. Quant à ceux qui seront obligés de travailler, le feront‑ils par plaisir ou parce que leur retraite sera tellement maigre qu’ils ne pourront pas faire autrement ? Le sentiment du travail bien fait, l’amour du métier, très bien ! Mais ne vivez pas que de mythologie, essayez de regarder les choses en face.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 8092 de Mme Caroline Fiat, n° 8094 de M. Michel Larive et n° 8099 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Les salariées des EHPAD continuent de rencontrer très régulièrement leurs collègues partis en retraite car elles rejoignent souvent des associations qui y proposent des animations. Mais il y a une différence entre participer à une association et mettre la blouse pour faire les horaires : on vient quand on veut et si l’on peut, on ne se voit pas imposer un nombre d’heures ou de patients. C’est toute la différence.

M. Michel Larive. À 50 ans, le taux de retour à l’emploi est de 50 %. Il est de 30 % à 58 ans et de 20 % à 60 ans. Autrement dit, plus vous reculez l’âge de départ à la retraite, plus vous augmentez le chômage des seniors. Quant à la liberté, vous avez raison, c’est une question d’appréciation. Pour ma part, je me poserai en temps voulu la question de choisir de travailler ou de profiter de la vie.

M. Adrien Quatennens. À vous écouter, j’ai l’impression que la retraite est vraiment douloureuse. Puisque nous citons des cas personnels, je veux évoquer un couple d’amis qui sont retraités : ils baillent aux corneilles et sont formidablement heureux. D’autres voyagent, dansent, chantent. Il y en a même qui deviennent militants de La France insoumise... Il se passe des tas de choses formidables à la retraite.

Mme Motin a évoqué un sujet qui mériterait d’être considéré, celui de la transmission. C’est un enjeu : du fait de la déperdition des compétences, il y a besoin de transmettre. Mais a-t-on besoin d’attendre l’âge du départ à la retraite pour préparer la transmission ? Ne peut-on pas l’anticiper ?

Il a été aussi question de retraites mal préparées. Pour préparer la retraite, il faut commencer à parler de toutes les activités formidables que l’on peut y faire, en s’y prenant un peu à l’avance... Je suis sûr qu’ainsi, on parviendra à rendre les gens tout à fait enthousiastes à l’idée de faire autre chose que travailler ! S’il s’agissait de concevoir un grand plan de préparation de la retraite, pour mettre en avant le panel de possibilités qu’offre ce temps qui n’est plus contraint par le travail après le travail, nous pourrions nous y mettre ensemble. On ferait des catalogues incroyables de tous les champs des possibles qu’ouvrira le départ en retraite.

M. Olivier Véran. Tout le monde en est convaincu !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je comprends l’appel des socialistes à un peu moins d’intuitif et de personnel et à un peu plus de chiffres dans les argumentations. Environ 500 000 personnes cumulent emploi et retraite, dont 75 % ont entre 60 et 70 ans. Leur motivation première est l’intérêt dans l’emploi ; vient ensuite le maintien du salaire, et, enfin, l’augmentation de la retraite future. Passé 70 ans, le chiffre diminue très sensiblement.

Ces personnes seraient-elles heureuses si, comme le propose La France insoumise, on leur retirait le droit de continuer à travailler ? Ou préféreraient-elles avoir le droit d’acquérir des points supplémentaires durant cette période ? Je leur laisse faire leur choix...

M. Adrien Quatennens. Admettez, monsieur le rapporteur, que, pour bon nombre de gens, ce ne sera pas la liberté, mais la liberté avec le pistolet sur la tempe : « Tu peux partir, tu en as matériellement le droit, mais avec une super-décote ». Ce n’est pas la liberté, c’est presque vicieux de donner un droit qu’on n’a aucun intérêt à exercer ! Même si ce n’est pas notre option, je le redis, mieux vaut assumer une mesure d’âge : cela a au moins le mérite d’être clair et de ne pas donner l’espoir de partir à un âge où l’on n’aurait pas un bon niveau de pension.

M. André Chassaigne. Les propos de certains députés de la majorité me surprennent : j’ai l’impression d’entendre des adeptes de Tintin au pays des Soviets ! Soyons sérieux ! Telle députée raconte qu’elle connaît beaucoup d’employés et d’ouvriers qui seraient contents de continuer à travailler plutôt que de partir à la retraite ; telle autre, qu’elle connaît des bûcherons, tout contents de reprendre le travail chez un entrepreneur de travaux forestiers, après être partis à la retraite. Entre nous soit dit, vos bûcherons sont pour la plupart des agriculteurs : ils n’ont pas le droit d’exercer un travail de bûcheron une fois à la retraite ! Vous essayez d’embellir la réalité.

Et puis, le rapporteur précédent parle d’Ambroise Croizat ; l’actuel, de Robert Hue. On se croirait presque dans une réunion de cellule. (Sourires.)

Vous m’évoquez William Pitt, un très jeune Premier ministre du Royaume-Uni, à la fin du XVIIIe ou début du XIXe siècle. Un jour, à des manufacturiers qui se plaignaient de la concurrence française, il a répondu d’employer les enfants – ce qu’ils ont fait. (Exclamations.) Doit-on considérer comme un bonheur de remonter à des périodes précédentes, où l’on travaillait plus longtemps, où l’on faisait travailler les enfants ? J’ai honte d’entendre de tels propos dans votre bouche. Finalement, ce n’est pas Tintin au pays des Soviets mais plutôt Le Trésor de Rackham le Rouge, à ceci près que le trésor est pour les plus riches !

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur Chassaigne, vous nous rejoignez dans cette commission ; c’est votre droit...

M. André Chassaigne. Heureusement !

M. Jean-Paul Mattei. Nous y siégeons depuis lundi dernier, sans interruption pour certains d’entre nous, et nous avons entendu beaucoup de choses. Cet alinéa contient une mesure de bon sens car aujourd’hui, les personnes qui cumulent emploi et retraite ne peuvent pas capitaliser de points.

L’expérience du député issu de la société civile que je suis, qui a croisé des entrepreneurs et des personnes ayant cumulé emploi et retraite, ne se retrouve pas forcément dans les études d’impact. Nous avons tous notre expérience : certains ont travaillé dans les cabinets ministériels ; d’autres ont eu une autre vie. Je revendique ma vie et mon expérience, dans la société civile, en tant que maire, entrepreneur, et en tant que salarié.

Le cumul est une mesure de bon sens. Je la trouve excellente : elle n’enlèvera pas du travail à ceux qui en cherchent, elle permettra au contraire un accompagnement, par les dispositifs de tutorat, car la transmission est fondamentale au sein des petites entreprises, notamment artisanales.

Vous n’avez pas le monopole de la vraie vie. Nous aussi, nous avons eu une vie avant notre mandat.

M. André Chassaigne. Nous n’en doutons pas !

M. Olivier Véran. En toute amitié, monsieur Chassaigne, votre intervention me fait penser à ce mot de la troisième saison de Baron noir, saison 3, que je serai le premier à citer en commission : « Les socialistes trouvent toujours tout un peu radical. C’est même à cela qu’on les reconnaît. » Personne ici n’a dit que tous les ouvriers arrivés à l’âge de la retraite seraient enchantés à l’idée de continuer à travailler. Ce serait nier notre capacité collective d’empathie, sans même parler d’intelligence. Évidemment, nous savons qu’énormément de personnes sont usées une fois arrivées à l’âge de la retraite et parfois, avant cet âge. Et nous souhaitons même que certaines puissent prendre leur retraite plus tôt car elles ont plus de risques d’être usées que les autres.

M. Sébastien Jumel. Sans blague !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. On me dit partiale, mais sans compter le temps de parole de chacun des groupes depuis tout à l’heure, je note que dès qu’un député de la majorité veut prendre la parole, il se fait huer et invectiver. Nous laissons les députés de l’opposition s’exprimer. Tout le monde a le droit de parler et je fais en sorte que les orateurs ne soient pas interrompus. Encore faut-il qu’on m’y aide...

M. Olivier Véran. J’allais en effet dans le sens de M. Quatennens, pour dire que chez certaines personnes arrivées à l’âge de la retraite, pas un seul cheveu blanc n’a poussé sur leurs rêves. Elles ont encore envie de mener de nombreuses activités, que ce soit dans le cadre du bénévolat ou dans le cadre associatif, au service de la collectivité. Il faut l’encourager, et, pour cela, instaurer un système de retraite qui puisse durer, donc un système de financement pérenne.

Nous constatons cependant que l’espérance de vie à la retraite et l’espérance de vie à la retraite en bonne santé n’auront jamais été aussi élevées que depuis quelques années, puisque l’allongement de la durée de vie est bien plus important que le recul de l’âge de départ à la retraite. La solution que nous proposons, c’est de ne pas sous-indexer davantage les pensions des retraités, pour leur permettre d’avoir suffisamment de pouvoir d’achat, afin de conduire leur projet de vie en toute quiétude, avec leur famille, leurs amis, et parfois, dans des associations.

M. Thierry Benoit. Il est vrai que certains salariés de l’industrie, de l’agroalimentaire, de la grande distribution, certains soignants, certains employés du bâtiment et des travaux publics ont hâte d’arriver à la retraite, tant leurs métiers sont difficiles. La meilleure réponse à apporter consiste à travailler sur la pénibilité et les carrières longues car ces personnes ont souvent commencé à travailler jeunes.

Reconnaissons tout de même que ce projet de loi contient une avancée : dorénavant, grâce au cumul emploi-retraite, une personne qui continuera de travailler un peu, après avoir pris sa retraite, ouvrira des droits nouveaux, qui apporteront des points supplémentaires, afin d’améliorer sa retraite, ce qui n’existe pas aujourd’hui.

Enfin, le tutorat, évoqué par Jean-Paul Mattei et dans les auditions préalables à cette commission spéciale, est essentiel : il faudra songer à accorder des points aux personnes qui participent au tutorat avant de partir à la retraite, et qui aident à former un jeune.

Mme Marie-Christine Dalloz. Comme M. Chassaigne, j’écoute nos collègues de la majorité donner énormément d’exemples ; il est vrai que nous rencontrons beaucoup de gens dans nos permanences. Mme Fiat nous a parlé de Marie, Mme Fabre, de gens qu’elle connaît, et qui sont heureux de revenir travailler. Mais la réalité est que ceux qui choisissent aujourd’hui de travailler à 62 ans, connaissaient la règle du départ à la retraite. Or dans quinze ans, quelle sera-t-elle ? Pourrons-nous toujours partir à 62 ans, avec le même niveau de retraite, ou partirons-nous à 63 ans avec une décote, ou à 62 ans avec une super-décote, ce que M. le rapporteur ne veut pas entendre ? La liberté de choix sera fonction des capacités de chacun de pouvoir vivre décemment ou non. Dans quinze ans, quelqu’un qui ne pourra plus aller travailler, mais qui ne pourra pas vivre avec le niveau de retraite auquel il pourrait prétendre à 62 ans, sera bien obligé de continuer à travailler. Votre réforme des retraites ne donnera pas une liberté de choix ; ce sera une contrainte financière.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement n° 22136 de M. Pierre Dharréville.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. M. Turquois, rapporteur pour le titre Ier, s’est longuement exprimé sur les différences entre le système par points et le système par annuités. Je donnerai systématiquement un avis défavorable à tous ces amendements.

M. Thibault Bazin. S’agissant du cumul emploi-retraite, votre projet crée une injustice : les personnes qui auraient liquidé leur retraite avant l’âge d’équilibre mais qui reprennent un emploi faute de pouvoir joindre les deux bouts ne gagneront pas d’autres points avant d’atteindre l’âge d’équilibre. Il est injuste qu’elles ne puissent gagner des points qu’après l’âge d’équilibre, il faut revoir cet aspect du projet.

M. Adrien Quatennens. Nos collègues communistes ont raison : les Français préfèrent des ronds plutôt que des points...

Notre collègue Mattei évoquait la pénibilité du travail parlementaire, qui nous fait siéger jour et nuit. La comparaison avec ce projet de loi est intéressante : chacun est libre de rentrer se coucher, mais vous aussi estimez avoir intérêt à travailler un peu plus longtemps pour terminer.

Enfin, notre collègue Véran cite la chanson d’Hubert-Félix Thiéfaine, Trois Poèmes pour Annabel Lee : « Pas un seul cheveu blanc n’a poussé sur mes rêves ». Mais pour évoquer ce projet de loi, je songe à un atterrissage un peu plus brutal, et à Première descente aux enfers par la face nord, du même auteur...

M. Pierre Dharréville. Est-il sain, pour une société, de pousser les seniors à rester plus longtemps au travail ? C’est le projet de société que vous défendez, et l’un des objectifs de ce projet de loi est de nous faire travailler plus longtemps. Vous concevez la retraite comme un moment difficile, un moment de souffrance ; à vous entendre, nous souhaiterions tous travailler plus longtemps. Je trouve pour ma part que la retraite est un bel âge de la vie, c’est une bonne nouvelle. C’est l’entrée dans une autre époque, et comme tout passage, elle doit se préparer, mais nous pouvons vivre tellement de belles choses dans cette période ! Se libérer du travail prescrit est, nous semble-t-il une grande conquête sociale.

M. Yves Daniel. En écoutant les uns et les autres depuis plusieurs jours, je n’ai pas envie de philosopher. Avec toutes ces paroles, nous ne répondons pas aux questions qui se posent sur la retraite. Ce projet de loi repose sur des choix assumés ; pour monter un système de retraite, il faut travailler sur la partie de la vie active, le statut des retraités et la question des transmissions. M. Quatennens se plaignait de la décote entre 62 et 65 ans. S’il veut la supprimer, la solution est de fixer l’âge légal à 65 ans : la question ne se posera plus. Si c’est son souhait, qu’il le dise.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22520 de Mme Catherine Fabre.

Mme Catherine Fabre. Cet amendement du groupe La République en Marche affirme notre volonté d’assouplir le passage entre la vie professionnelle et la retraite. Tout comme l’entrée dans la vie professionnelle, le départ à la retraite est un moment important et délicat de la vie qu’il faut préparer et accompagner. Cet amendement prévoit que les dispositifs de retraite progressive et de cumul emploi-retraite fassent l’objet d’une information claire et d’un dispositif d’accompagnement afin de faciliter l’emploi des séniors, de les informer des possibilités ouvertes et des bonnes pratiques à suivre dans ce moment si particulier.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il est très important de tirer les leçons du faible succès des dispositifs actuels. Outre des difficultés de nature juridique et psychologique, il existe des réticences à parler de ses perspectives de sortie, de crainte d’être déjà considéré à moitié dehors. Un réel travail s’impose pour améliorer l’efficacité de ces dispositifs.

Je voudrais dire avec solennité à nos collègues qui se prétendent proches des mouvements sociaux que ces articles sont attendus des partenaires sociaux, qui en discutent en ce moment des applications et des conséquences. Leur intérêt n’a pas seulement été soulevé par les syndicats que vous qualifiez de réformistes, mais aussi par les autres. Si vous voulez vous être en phase avec les demandes sociales, soyez attentifs à votre vote.

M. Adrien Quatennens. Monsieur le rapporteur, les demandes sociales s’expriment depuis nombre de jours, au point de battre des records sous la Ve République. Nous savons très bien que la conférence de financement ne concerne pas ce projet de loi, mais le système actuel, avant l’entrée en vigueur du nouveau régime. La revendication sociale s’exprime en peu de mots, sans qu’il soit nécessaire de le dire en 19 000 amendements : la majorité du pays souhaite le retrait de ce projet, qui au surplus ne correspond pas aux engagements de la campagne présidentielle. La décote va entraîner une baisse du niveau des pensions ; or Emmanuel Macron s’était engagé à ne pas modifier l’âge de départ, ni le montant des retraites. Vous faites les deux à la fois.

M. Sébastien Jumel. Les « cocos » croient en la valeur travail. L’amour du travail bien fait et la fierté de contribuer, par sa force de travail, à nourrir sa famille et de permettre son épanouissement, tout cela est consubstantiel à notre identité.

Le secrétaire d’État était rapporteur du texte qui a instauré le permis de licencier en paix et de perdre son boulot du jour au lendemain avec des indemnités forfaitisées. Et ceux-là mêmes qui ont complètement déréglementé le droit du travail viennent nous dire que pour un certain nombre de retraités qui ont envie de bosser plus longtemps, c’est vachement dur, qu’il faut les accompagner et mettre en place des périodes de transition longues pour atténuer le traumatisme ! Bien sûr, certaines personnes ne se sont pas préparées, et nous pouvons examiner la question de la transmission du savoir. Mais mettre en place une déréglementation qui permet à un salarié de perdre son boulot du jour au lendemain, cela ne vous empêche pas de dormir !

La question centrale pour vous, c’est d’allonger la durée de cotisation. M. Turquois, rapporteur pour le titre Ier, l’a résumé par cette formule : « apprendre à vieillir au travail ». Ce à quoi les Insoumis ont répondu : « Apprendre à mourir au travail »... Cela vous a hérissé le poil, mais on peut y venir, si l’on n’y prend garde.

Mme Cendra Motin. Loin de la caricature du droit du travail que je viens d’entendre, je souhaite insister sur l’importance du maintien dans l’emploi des salariés expérimentés. Les entreprises se font une fausse représentation de ce que peut apporter un salarié ayant beaucoup d’expérience. C’est souvent son niveau de salaire qui fait peur. Notre premier devoir est de maintenir ces personnes dans l’emploi, et il existe à cette fin de nombreux dispositifs que les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises ne connaissent pas. La retraite progressive, dont nous débattons, permet aux gens de partir doucement avec une vraie transition entre emploi et retraite ; le contrat à durée déterminée senior est un outil fantastique qui permet sans motif d’embaucher un demandeur d’emploi de plus de 57 ans ; enfin, la reconversion ou promotion par alternance – ex-période de professionnalisation – offre les mêmes allégements de charges que pour un jeune si l’on embauche un salarié après 45 ans pour le re-former à son métier.

Cet amendement nous permettra d’accompagner les entreprises sur ces questions importantes.

M. Gérard Cherpion. Il est en effet nécessaire d’accompagner la transition et de donner aux gens tous les éléments nécessaires pour faire leur choix en toute connaissance de cause, et en transmettant leurs connaissances à d’autres. Mais cela n’a rien à faire dans ce projet de loi : c’est l’exemple même de loi bavarde. Pour commencer, cette question n’est pas directement liée aux retraites, c’est un cavalier législatif. Ensuite, il existe déjà des organismes spécialement chargés de faire connaître ces dispositifs. Il n’y a aucun besoin de faire cette mention dans la loi.

M. Thibault Bazin. Il a raison !

M. Charles de Courson. Mme Fabre pourrait-elle nous expliquer la portée juridique de son amendement ?

M. le secrétaire d’État. J’ai personnellement conduit un certain nombre d’entretiens de seconde partie de carrière, et je trouve cet amendement intéressant. Recevoir un courrier, passé 45 ans, invitant à un entretien de seconde partie de carrière n’est pas toujours un moment heureux. Il faut être vigilant sur la façon dont il se déroule. Je pense que c’est un très bon sujet d’échanges au sein de l’entreprise, susceptible de contribuer à l’évolution du dialogue social, pour peu qu’on donne à l’intéressé tous les moyens d’exprimer ses envies et ses attentes auprès de son employeur.

Je suis donc très favorable à cet amendement, quelle qu’en soit la portée juridique, car il adresse un signal positif à la société.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 8109 de Mme Caroline Fiat, n° 8111 de M. Michel Larive et n° 8116 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Puisque vous maintenez la possibilité de cumuler retraite et emploi, nous proposons de conditionner l’embauche à une visite médicale d’aptitude.

Pour en revenir à l’amendement précédent, j’espère que ceux qui sont les premiers dans la charrette à l’occasion d’un plan de sauvegarde de l’emploi bénéficieront du même accompagnement que ceux qui partent à la retraite.

M. Michel Larive. Les visites médicales à l’embauche ne sont plus obligatoires, et vous allez forcer les retraités précaires à travailler pour continuer à vivre dignement. Il faut au moins conditionner cette obligation à un état de santé convenable, c’est pourquoi nous souhaitons que la visite médicale soit rendue obligatoire.

M. Adrien Quatennens. Tout en espérant toujours obtenir le retrait de ce projet de loi, nous tentons d’y insérer quelques garde-fous, notamment concernant la santé. Cet amendement aura sans doute votre soutien : il prévoit que toute reprise d’activité professionnelle cumulée au service de la retraite soit nécessairement conditionnée à une visite médicale d’aptitude.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Cet amendement est partiellement satisfait, puisque les visites médicales d’embauche ont été remplacées depuis la loi du 8 août 2016 par les visites d’information et de prévention. Le médecin du travail identifie les personnes ayant besoin d’un suivi renforcé et peut préconiser des mesures d’adaptation individuelle ou de transformation du poste de travail, en prenant en compte l’âge du salarié concerné et son état de santé. Imposer une visite médicale se ferait au détriment de ce suivi renforcé.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 24 modifié.

Après l’article 24

La commission est saisie de l’amendement n° 439 de M. Patrick Hetzel.

Mme Marie-Christine Dalloz. Depuis le 1er juillet 2017, les actifs ayant cotisé auprès de plusieurs caisses de retraite ne perçoivent qu’une seule pension cumulant les droits acquis dans les différents régimes. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a réalisé des simulations sur la situation de ces personnes dans le nouveau régime. Le Gouvernement a-t-il réalisé une étude précise sur les conséquences du changement du mode de calcul pour les polypensionnés ? Beaucoup de Français sont concernés : cela exige une réponse précise.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Madame Dalloz, les chiffres de la CNAV sur lesquels vous vous appuyez démontrent que nous disposons déjà d’une documentation importante. L’essentiel des dispositifs fait l’objet de l’étude annuelle Les retraités et les retraites, publiée par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé, sans oublier le programme de qualité et d’efficience « Retraites » du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le corpus documentaire sur les retraites et sur la liquidation unique des régimes alignés est déjà substantiel ; d’où mon avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

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21.   Réunion du mardi 11 février 2020 à 17 heures (article 25)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8735503_5e42cd5609d6b.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--examen-du-projet-de-loi-suite-11-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous avons examiné 5 220 amendements, il en reste 14 333 en discussion.

Mme Marie-Christine Dalloz. Madame la présidente, la commission spéciale a prévu de poursuivre les travaux sur le projet de loi ordinaire jusqu’à ce soir. À moins d’y passer la nuit, nous ne pourrons terminer dans les délais prévus. Trois séances sont prévues demain, mais elles seront consacrées au projet de loi organique. Quelles décisions ont été prises par la Conférence des présidents concernant l’organisation de nos débats et les délais de dépôt des amendements ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La question n’a pas été évoquée ce matin en Conférence des présidents. Je proposerai à la commission spéciale de constater ce soir l’état d’avancement de nos travaux.

Je connais les limites de l’exercice ; mais quoi qu’il advienne, nos échanges ne seront pas inutiles dans la mesure où les amendements que nous avons adoptés pourront être présentés en séance par les rapporteurs, même si la commission spéciale n’adopte pas de texte. Nos débats pourront ainsi utilement éclairer la représentation nationale en séance.

Article 25 : Retraite progressive

La commission est saisie des amendements de suppression n° 8542 de M. Loïc Prud’homme, n° 8543 de M. Adrien Quatennens, n° 14688 de M. Sébastien Jumel et n° 22239 de Mme Marine Le Pen.

M. Loïc Prud’homme. Cet article encourage à travailler jusqu’à quitter l’entreprise les pieds devant... Sur le principe, on ne peut l’accepter. Selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques reprises dans une vidéo récente diffusée sur YouTube, un pauvre sur quatre meurt avant la retraite. Chez les 10 % les plus riches, cette proportion de décès n’est atteinte qu’à 80 ans ! Au lieu de partir plus tard à la retraite, il faut profiter de la retraite, et profiter de la vie.

M. Adrien Quatennens. Cet article prévoit les mécanismes et les conditions incitant à poursuivre le travail au-delà de 62 ans. Non satisfaits de faire l’équilibre financier sur le dos des salariés par l’instauration de l’âge d’équilibre – une super-décote offrant la « liberté » de partir avec une pension réduite –, vous encouragez à poursuivre le travail dans des proportions inconsidérées. De notre point de vue, passé 60 ans, il devrait être possible de partir à la retraite pour s’adonner à toute autre activité. Nous avons démontré hier que c’est parfaitement finançable. L’objectif d’équilibre financier peut être atteint autrement que sur le dos des salariés.

M. Pierre Dharréville. Il s’agit à nos yeux d’un nouveau recul : la retraite progressive ne sera plus ouverte à compter de 60, mais de 62 ans. La logique de ce dispositif a toujours été d’offrir une option aux assurés pour qu’ils partent plus tôt, avant l’âge légal, tout en maintenant une activité professionnelle à temps partiel. Le Gouvernement prend acte que la vraie référence sera désormais l’âge d’équilibre, à 65 ans pour la génération 1975.

M. Sébastien Chenu. L’amendement n° 22239 est défendu.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je suis heureux de constater qu’un peu de bon sens permet de distinguer M. Dharréville et M. Prud’homme : effectivement, la retraite progressive est un droit, celui pour les salariés, notamment dans les métiers les plus exposés, de cumuler pendant un certain temps leur emploi et une liquidation partielle de la retraite. Le succès de ce dispositif est assez limité : on compte 16 000 bénéficiaires. La part de bénéficiaires de plus de 70 ans est minime, la retraite progressive concerne pour l’essentiel des personnes entre 60 et 70 ans.

Je suis défavorable à la suppression de cet article ; néanmoins, la question de l’âge d’éligibilité à la mesure peut effectivement être posée. En effet, l’élargissement du nombre de bénéficiaires constaté ces dernières années tenait à l’abaissement de cet âge de 62 à 60 ans. Aujourd’hui, le mécanisme est étendu au-delà du régime général, aux régimes spéciaux et aux emplois publics, ce qui va entraîner un effet volume certain. Le sujet est actuellement abordé dans les discussions entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, il est possible que nous y revenions lors de la séance.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le rapporteur, pourquoi attendre la séance si l’amendement que nous proposons est pertinent ? Reculer l’âge d’éligibilité à cette mesure revient à enterrer un peu plus ce dispositif qui fonctionne déjà mal. Montrez votre ouverture d’esprit et votre utilité dans le débat lorsque nous faisons des propositions constructives.

M. Gérard Cherpion. Cette réforme fait suite à deux aménagements du dispositif, en 2010 et 2014, qui permet désormais de percevoir une partie de pension en exerçant une activité à temps partiel dès lors que l’on a atteint l’âge légal. Mais celui-ci ayant été depuis porté de 60 à 62 ans, ce système n’a réellement jamais bien fonctionné : la Cour des comptes recensait 10 000 départs en 2017. Je ne vois pas comment il pourrait prendre de l’ampleur avec les restrictions que vous imposez.

M. Loïc Prud’homme. Le rapporteur nous explique que ce dispositif s’adresse de fait à des salariés de 60 à 70 ans, mais je ne voudrais pas que l’on oublie les 8 millions de personnes au chômage. La retraite progressive est possible dans le système actuel, mais il faut l’avancer avant l’âge légal de départ en retraite, que nous souhaitons établir à 60 ans. De 55 à 60 ans, le système pourrait être amélioré pour favoriser le compagnonnage. Il offrirait ainsi un accès à l’emploi aux 8 millions de chômeurs aujourd’hui bloqués, car vous fixez la retraite à un âge canonique. Vous évoquez un dispositif qui s’applique au-delà de 70 ans : c’est marcher sur la tête ! Non seulement votre système de retraite à points ne fonctionne pas, mais il va aggraver les difficultés d’accès à l’emploi pour les plus jeunes.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Des discussions sont sur le point de s’achever sur l’emploi des seniors et la pénibilité. Les éléments que j’entends ici contribuent à étayer ma réflexion sur le sujet ; une restitution de ces concertations sera faite jeudi aux partenaires sociaux. Ils sont au cœur du travail de concertation, il est donc important qu’ils en aient la primeur.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 8177 de M. Alexis Corbière, n° 8178 de Mme Caroline Fiat, n° 8184 de M. Loïc Prud’homme et n° 8185 de M. Adrien Quatennens.

M. Alexis Corbière. Dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, vous écrivez page 24 : « Le système universel de retraite doit accroître les incitations au travail des seniors. » Nous sommes en désaccord radical avec cette logique qui vise, au nom d’une prétendue liberté, à poursuivre l’activité salariée bien au-delà de l’âge de la retraite. C’est une forme de travail sans fin, nécessairement subie, car ceux qui continuent une activité salariée le font généralement moins par passion que par obligation sociale. Notre désaccord ne porte pas seulement sur cet alinéa, mais sur toute la logique de ce que vous appelez retraite progressive, et qui devrait plutôt être qualifié de travail jusqu’au bout, jusqu’à la fin.

Mme Caroline Fiat. Cette retraite progressive est totalement opposée à l’idée que nous nous faisons de la retraite mais également à l’objectif de permettre aux jeunes de trouver un emploi. S’il faut effectivement former les jeunes afin de les aider à s’insérer dans la vie active, et il est possible de trouver des personnes largement capables de le faire parmi tous ceux qui sont au chômage entre 55 et 60 ans.

M. Loïc Prud’homme. Le rapporteur peut-il nous éclairer sur l’étude d’impact, et notamment sur le coût de cette retraite progressive, sachant que le dispositif, en l’état actuel des choses, ne fonctionne pas ? Repousser le départ effectif à la retraite à un âge canonique entraînera une perte de cotisations : disposons-nous d’éléments chiffrés permettant de nous faire une idée précise ?

M. Adrien Quatennens. Cet alinéa utilise l’expression de « sécurité sociale », qui nous est chère. Mettre les Français en sécurité sociale est un projet politique, et les faire travailler toujours plus longtemps n’y contribue pas. Nous considérons que l’incitation au travail des seniors n’est pas souhaitable. Travailler toujours plus longtemps n’est pas un progrès, mais surtout, cela ne fonctionne pas. Il y a 300 000 chômeurs de plus de 60 ans en France, un actif sur deux n’est plus en emploi à l’âge de partir en retraite.

Le Conseil d’État, qui a validé tous les arguments de l’opposition, vous alerte également sur le fait que l’allongement des carrières aura pour conséquence d’alourdir le déficit de l’assurance chômage dans la mesure où les demandeurs d’emploi seront plus nombreux. Vous prétendez mettre fin à un déficit, mais vous allez juste le transférer de certaines caisses vers d’autres.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Prud’homme, nous disposons d’éléments chiffrés. L’âge moyen de départ en retraite progressive est de 61,6 ans et 70 % des bénéficiaires sont des femmes. Les salaires médians sont supérieurs à ceux de l’ensemble des salariés – je n’ai pas le chiffre précis. La pension moyenne s’établit à 390 euros par mois – rappelons qu’il s’agit d’une liquidation partielle. Le nombre de bénéficiaires est de 170 000 et le coût total est de 6,9 millions d’euros par an.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Cet article est plutôt positif : avec celui qui autorise le cumul emploi-retraite, cela fait deux articles qui améliorent la progressivité. Dans le système actuel, il est possible de partir deux ans avant l’âge légal à condition d’avoir cotisé 150 trimestres. Avec le nouveau système, le départ se fera à l’âge légal. Ce changement est-il bénéfique ou pas ? Pourra-t-on bénéficier de la retraite progressive plus tardivement ? Les bénéficiaires partaient-ils avec juste 150 trimestres ? Comment peut-on comparer les deux systèmes, l’un à 60 ans avec 150 trimestres, l’autre à 62 ans avec les points accumulés ?

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous apprenez que des annonces seront faites jeudi, alors que nous aurons terminé l’examen de ce texte. Ce n’est pas possible ! Si vous avez quelques éléments à nous donner, nous en avons besoin pour examiner cet article précis. Le Parlement ne peut pas légiférer ainsi, sans être réellement informé de ce qui va se passer. Nous vous avions prévenu dès le départ que le calendrier prévu, alors que la conférence de financement finirait ses travaux après les nôtres, n’était pas sérieux. Je vous le confirme...

M. Régis Juanico. Cet article du projet de loi démontre toute la rigidité des mesures d’âge conditionnées à l’atteinte de l’âge légal à 62 ans. Ce dispositif sera donc fermé aux personnes qui ont commencé à travailler tôt et qui, dans les conditions actuelles, pourraient commencer une retraite progressive dès 60 ans avec 150 trimestres. Autrement dit, ceux-là en prennent pour deux ans de plus... Un de nos amendements, jugé irrecevable, proposait de ramener l’âge d’ouverture du dispositif à 60 ans.

Je souhaite interroger le rapporteur sur un autre point précis. Il existe, en matière de retraite progressive, un autre dispositif extrêmement intéressant pour les associations : le mécénat de compétences, qui permet à des salariés de se mettre à disposition d’associations en fin de carrière, pour une durée précise. Que va-t-il devenir dans votre contre-réforme des retraites ?

Mme Jeanine Dubié. Nous avions aussi déposé un amendement pour ramener à 60 ans l’âge d’ouverture de la retraite progressive, ce qui nous semblait logique et conforme aux dispositions actuelles, mais il a de la même façon été jugé irrecevable. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré à la radio samedi matin que cette possibilité était à la réflexion, pouvez-vous le confirmer ?

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 8194 de M. Alexis Corbière, n° 8195 de Mme Caroline Fiat, n° 8201 de M. Loïc Prud’homme et n° 8202 de M. Adrien Quatennens.

M. Alexis Corbière. L’intérêt de la retraite progressive tenait à la possibilité d’en bénéficier à partir de 60 ans, mais vous la reportez à 62 ans. C’est pourquoi nous nous opposons à cet article.

Mme Caroline Fiat. Je rencontre de grandes difficultés en utilisant votre simulateur de retraite. J’y ai trouvé des exemples d’infirmières fonctionnaires, mais tous les cas-types d’infirmières dans le secteur privé que j’utilisais jusqu’alors ont disparu : je les ai cherchés en vain cette nuit – vous pouvez vérifier, c’est bien moi qui étais connectée jusqu’à 2 heures du matin... Pourquoi les cas types disparaissent du simulateur, monsieur le secrétaire d’État ? Est-ce parce que je soulevais des lièvres, qui montraient les incohérences dans votre projet ?

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, vous m’indiquez que l’âge moyen de départ à la retraite progressive est de 61,6 ans ; mais, de fait, vous le reportez à 62 ans. Or l’essence de la retraite progressive est le compagnonnage qui permet d’aider les plus jeunes à entrer dans l’emploi et aux salariés de partir avant l’âge légal. Vous repoussez cette possibilité à l’âge d’équilibre, sans garantie que cet âge ne sera pas ultérieurement modifié. Ce dispositif, déjà fortement améliorable, va perdre tout son caractère incitatif et tomber en désuétude alors que le compagnonnage serait très utile aux 8 millions de chômeurs.

M. Adrien Quatennens. Cet amendement supprime le titre de la section 2, insuffisamment évocateur : plutôt que « retraite progressive », il faudrait la rebaptiser « section du travail sans fin », puisque vous poussez à rester en activité toujours plus longtemps. Édouard Philippe, pensant tenir un argument susceptible de me convaincre, a déclaré que les salariés partaient déjà plus tard que l’âge légal, au-delà de 62 ans. Il semblait dire qu’ils le faisaient par choix, de gaîté de cœur. Mais ils le font parce qu’ils entrent plus tard sur le marché du travail, en raison de l’allongement de la durée des études, du chômage des jeunes ou de la précarité du marché du travail. Et parce que les réformes passées ont accru la durée de cotisation nécessaire pour accéder à la retraite à taux plein. Par conséquent, ce n’est qu’une infime minorité des gens qui choisissent de travailler au-delà de l’âge légal, la majorité souhaite partir le plus tôt possible. Il est possible de porter l’âge légal à 60 ans, nous vous avons démontré que nous pouvions le financer. Pourquoi refusez-vous de le reconnaître, et pourquoi encourager à travailler toujours plus longtemps ?

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Nous ne souhaitons évidemment pas faire travailler jusqu’à ce que mort s’ensuive, mais au contraire assouplir la transition entre vie professionnelle et retraite. Cette progressivité permet d’éviter les départs mal organisés qui entraînent traumatismes et pertes de compétences.

Le dispositif prévoit actuellement une ouverture des droits à 60 ans avec une durée d’assurance de 150 trimestres, et l’application d’une décote en cas de départ avant d’avoir cotisé ces 150 trimestres. Les femmes qui partent avec ce dispositif ont cotisé en moyenne 173 trimestres : elles ne subissent donc pas de décote.

Dans le futur système universel, le départ est prévu à 62 ans. Le secrétaire d’État nous a indiqué qu’une discussion était en cours avec les partenaires sociaux, et qu’elle ferait l’objet d’une restitution jeudi matin. Nous serons saisis en temps et en heure pour que la représentation nationale puisse utilement en débattre. Il est inutile d’y revenir plus longuement d’ici là.

L’âge d’équilibre restant le même, une décote sera appliquée à ceux qui partiraient avant 62 ans, mais il s’agit d’une liquidation partielle. La personne qui ouvrira ce droit à 62 ans – ou à un autre âge si les concertations aboutissent – pourra continuer à cotiser pendant ses deux, trois ou quatre années de retraite progressive. Ainsi, une fois l’âge d’équilibre atteint, elle ne subira pas de décote au moment de la liquidation définitive.

M. Sébastien Jumel. Madame la présidente, je souhaite une précision d’agenda : à quelle heure devons-nous vous libérer pour la séance de câlinothérapie prévue avec le Président Macron ? Vous n’avez pas bonne mine, ma grand-mère dirait que vous faites peine à voir.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Jumel, ces propos sont parfaitement déplacés. Nous allons travailler, comme d’habitude, et la réunion sera levée selon l’avancée du texte.

M. Sébastien Jumel. Je veux simplement savoir comment m’organiser pour travailler sur le texte, et donc à quelle heure la séance de câlinothérapie aura lieu.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Comme d’habitude, comme nous avons fait les autres jours, en fonction des articles, des débats ! Moi, je m’en tiens au texte, faites de même !

M. Sébastien Jumel. Pour en revenir au fond, j’ai rencontré un cadre de La Poste qui va faire valoir ses droits à la retraite, à 63 ans. Il me disait : « Je vais enfin pouvoir goûter la vie, parce que j’ignore combien de temps il me reste. » C’est un bon résumé des débats qui nous occupent depuis dix jours : l’aspiration à la retraite et l’impossibilité de savoir combien de temps il nous reste. C’est pourquoi nous pensons que les Français devraient se prononcer par référendum sur cette question : voulons-nous, oui ou non, affaiblir, affadir le droit à la retraite ? Nul doute que leur réponse serait claire !

Mme Marie-Christine Dalloz. À croire le document provisoire que vous présentez comme une étude d’impact, entre 2015 et 2017, le nombre de demandes de retraite progressive a été multiplié par trois, pour atteindre 15 900 auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Mais la Cour des comptes évaluait le nombre de bénéficiaires à 10 000 en 2017 : cela fait un écart d’un tiers, ce qui n’est pas anodin. Vous dites qu’en moyenne, les femmes partant avec le système de retraite progressive avaient cotisé en moyenne 173 trimestres, soit quarante-trois années, ce qui me semble surprenant. Enfin, le montant de la retraite progressive est de 390 euros par mois. J’ai beaucoup de difficultés à comprendre les données fournies dans l’étude d’impact sur ce dispositif.

M. le secrétaire d’État. Je prie les membres de la commission spéciale de m’excuser, car je dois me rendre à une réunion pour travailler sur cette réforme des retraites de 18 heures à 20 heures, je suis donc obligé de vous quitter. Mais je serai présent à 21 heures 30 pour continuer à travailler avec vous.

M. Adrien Quatennens. Près d’un tiers des salariés du secteur privé qui, comme vous le dites, « bénéficient » du cumul emploi-retraite et de la retraite progressive, sont des femmes. Leur pension, à peine supérieure au minimum vieillesse, s’élève en moyenne à 883 euros. Souvent seules ou vivant dans un ménage modeste, la majorité d’entre elles part en retraite sans avoir la durée de cotisation requise pour bénéficier d’un taux plein, et avec une pension minorée par la décote. Si elles la complètent – pour moitié, dans des emplois précaires comme l’aide à domicile ou les services à la personne – ce n’est pas de gaîté de cœur, mais bien parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement.

Cela montre bien ce que nous répétons depuis tout à l’heure : ce dispositif est un pis‑aller. Si les gens pouvaient partir à la retraite avec un bon niveau de pension à l’âge de 60 ans, comme nous le souhaitons, ils ne chercheraient pas à tout prix à recourir à ce type d’expédient.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques  8211 de M. Alexis Corbière, n° 8212 de Mme Caroline Fiat, n° 8218 de M. Loïc Prud’homme et n° 8219 de M. Adrien Quatennens.

M. Alexis Corbière. Je regrette que nous ne puissions pas débattre au fond de cette question : faut-il ou non favoriser la poursuite d’une activité professionnelle pour compléter des pensions dont le niveau est trop bas ? Adrien Quatennens l’a dit : cela ne concerne pas des gens heureux dans leur travail, très qualifiés, qui voudraient partager leur savoir-faire. Dans la majorité des cas, c’est la conséquence de carrières précaires, en particulier chez les femmes. Repousser à 62 ans ce qui était jusqu’ici possible à 61,6 ans, cela revient à repousser encore plus l’âge ouvrant droit à une pension complète. C’est de cela qu’il conviendrait de s’occuper plutôt que d’instaurer un dispositif qui aggrave encore plus une situation déjà terrible !

Mme Caroline Fiat. L’article 25 vise à permettre aux assurés de continuer à travailler à temps partiel et à bénéficier d’une partie de leur pension de retraite tout en continuant à cotiser pour leur retraite définitive à partir de 62 ans. Ce principe de retraite progressive est étendu aux salariés du régime général, aux salariés et non-salariés des régimes agricoles ainsi qu’aux travailleurs indépendants non agricoles, hors professions libérales. Nous comprenons que cette mesure vise à pallier l’insuffisance des pensions et revenus des agriculteurs. Par cet amendement de suppression de l’alinéa 3, nous affirmons qu’il serait préférable d’augmenter les pensions pour que les retraités bénéficient d’emblée d’une pension digne plutôt que de devoir travailler à temps partiel.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, vous venez de nous expliquer que ce dispositif de retraite progressive visait à lutter contre le traumatisme lié aux départs. J’ai l’impression d’entendre à nouveau Sibeth Ndiaye ! Certes, c’est un fait : personne ne sort vivant de la retraite. Néanmoins, je souhaiterais que vous m’apportiez quelques précisions sur ce traumatisme. Comme l’a dit le collègue Jumel, beaucoup de retraités assurent qu’ils vont pouvoir enfin goûter à la vie. Mais peut-être, lorsqu’on est cadre chez Axa, s’agit-il du traumatisme du pantouflage, sur lequel vous pourriez nous éclairer ! En tout cas, je ne comprends pas cet argument selon lequel tout le monde redouterait de partir à la retraite, au point qu’il faudrait reculer sans fin l’âge de départ. Mais peut-être ne vivons-nous pas sur la même planète ?

M. Adrien Quatennens. Nombre de collègues, hier, ont pris des exemples pour montrer à quel point l’arrivée de la retraite peut enregistrer une terrible souffrance. J’entends qu’une phase de transition peut être tout à fait nécessaire, mais la retraite n’en reste pas moins un nouvel âge de la vie auquel beaucoup de gens aspirent, d’autant qu’ils se le paient avec leurs cotisations sur le travail – car, ne l’oublions pas, seul le travail produit : nous avons eu là-dessus un débat très enrichissant hier soir. Plutôt que d’inciter à travailler faute de mieux, en raison du niveau des pensions de ceux qui ne bénéficient pas de ces dispositifs de cumul emploi-retraite, il faut simplement permettre aux gens de partir à un âge décent avec un niveau de pension digne. Ce n’est pas votre choix, mais c’est finançable.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Ce débat est intéressant mais encore faut-il considérer la problématique, complexe, de ce qui se passe aux alentours de 60‑65 ans. Imaginez un homme, une femme, dont la situation professionnelle peut être tout aussi bien agréable ou difficile, mais dont le niveau de revenu est assez moyen, et qui commence à peiner à travailler à temps plein. Si nous pouvions leur proposer de prolonger de quelques années leur travail pour parvenir à l’âge d’équilibre, mais en ne travaillant plus qu’à temps partiel, leur retraite étant partiellement liquidée – les 380 euros cités par Mme Dalloz doivent correspondre à 25 % d’un salaire de 1 500 euros –, ce serait une réelle amélioration par rapport au temps plein. Sans oublier que la première motivation pour bénéficier de ce type de dispositif est liée à l’intérêt professionnel et à l’insertion ; la motivation économique vient juste après.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Vous oubliez un paramètre dans votre équation, monsieur le rapporteur : avec votre réforme et les décotes qui seront appliquées, les gens n’auront pas d’autre choix que de travailler plus longtemps, même lorsqu’ils sont en bout de course, même ceux qui trouvent de l’intérêt à leur travail ; ils n’auront d’autre choix que de cumuler une retraite partiellement liquidée avec un revenu d’activité. Évidemment, dans certains cas, la retraite progressive peut être un accompagnement pour favoriser une sortie en sifflet et gérer la transmission des savoirs. Reste que, fondamentalement, votre réforme conduira les vieux de demain à devoir travailler pour vivre, ce qui nous inquiète beaucoup.

M. Jean-Paul Mattei. J’entends les critiques formulées, mais je considère moi aussi que cet article comprend l’une des mesures les plus emblématiques de ce texte : la transmission intergénérationnelle du savoir. Ma vision est un peu plus optimiste que la vôtre, monsieur Jumel. Vous allez me dire que nous ne rencontrons pas les mêmes personnes, ce dont je ne suis pas tout à fait d’accord.

Pour une femme ou un homme en fin de carrière, ce peut être un bel enjeu que de transmettre son savoir, de se dire qu’on est toujours utile à la société – même si on peut l’être en effet autrement, dans la vie associative, par exemple. Dans pas mal de métiers et dans bien des catégories, transmettre son savoir, aider à faire émerger des jeunes, leur donner confiance, leur apprendre les petits trucs du métier, ce sont autant de choses qui profiteront à l’entreprise entière. Et la vie de l’entreprise ne se résume pas à la confrontation entre le patron capitaliste et du salarié : certains crieront peut-être au paternalisme, mais franchement, la vie de la petite entreprise artisanale, le commerce, c’est la vie même des gens ! Essayons d’introduire un peu d’humanité, une autre vision est possible : je maintiens que ce texte est moteur, plein d’espérance pour la transmission entre les générations.

M. Thierry Benoit. Je partage le pont de vue de Jean-Paul Mattei. Cet article est important. Nous connaissons tous des personnes qui sont ravies d’arriver au terme de leur vie professionnelle pour souffler. Tout dépend des métiers que l’on exerce. Mais peut-être est-il possible d’imaginer que, grâce à ce texte, il soit possible de concevoir différemment une vie, dans laquelle, entre une période de pleine activité et la retraite, s’intercalerait une période de transition pendant laquelle les personnes expérimentées pourraient consacrer une partie de leur temps au tutorat, mais aussi à des activités plus personnelles : ce peut être l’objet d’autres textes. C’est peut-être là l’intérêt de l’ouverture des droits à 62 ans et de l’âge d’équilibre avant une retraite accomplie, à taux plein.

M. Adrien Quatennens. Notre collègue Mattei parle de l’« humanité » de ce texte, nouvel élément de langage en vigueur afin de corriger l’erreur commise autour du passage du congé parental de cinq à douze jours pour deuil d’enfant... De ce point de vue, la thèse de l’erreur passagère ne tient guère : souvenons-nous qu’au moment du vote, dans l’hémicycle, on a demandé à deux reprises une suspension de séance afin de rameuter des députés pour voter contre la mesure. Si c’est une erreur, elle a tout de même été très organisée ! Cela dit, je ne vous mets pas en cause personnellement, monsieur Mattei, mais c’est vous qui avez prononcé le mot. Pour nous, l’humanité consiste à garantir un âge de départ décent à la retraite avec un bon niveau de pension, de le financer et de pouvoir en effet passer à ce nouvel âge de la vie afin de faire d’autres choses. Non, les gens n’aspirent pas à travailler toujours plus longtemps !

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8229 de Mme Caroline Fiat, n° 8235 de M. Loïc Prud’homme et n° 8236 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que grâce à ce dispositif une personne fatiguée pourra continuer à travailler à temps partiel, mais j’ose espérer qu’en tant qu’aide-soignante, lorsque je serai fatiguée, vous me laisserez me reposer et que vous ne m’obligerez pas à aller travailler un jour par semaine pour gagner 100 ou 150 euros si je n’en ai pas envie, si je considère que mon corps a assez donné ! J’entends qu’il est toujours bon, au sein des entreprises, de conserver des personnes d’âge mûr, formées, qui ont l’habitude du travail bien fait mais, à vous entendre, on a l’impression que l’âge de la retraite arrive du jour au lendemain ! Ce sont tout de même des choses qui se préparent vingt-quatre ou trente‑six mois avant ! C’est à ce moment-là qu’il faut prévoir des temps de formation.

M. Loïc Prud’homme. Vous essayez de nous vendre la retraite progressive comme une histoire de compagnonnage. La formation de nouveaux salariés s’anticipe, ma collègue Caroline Fiat l’a dit. Il faut la proposer bien avant que les gens n’arrivent à l’âge légal au lieu de la repousser à plus tard. Avez-vous des chiffres précis sur les effets qu’aurait cette retraite progressive sur l’accès au marché de l’emploi ? En la repoussant à l’âge de 62 ans, c’est autant de jeunes qui en seront tenus éloignés. Votre étude tronquée ne contient rien sur ce sujet.

M. Adrien Quatennens. Le Conseil d’État lui-même vous alerte sur le transfert potentiel de déficits des caisses de retraite vers celles de l’assurance chômage. Vous utilisez souvent le déficit comme argument pour justifier cette réforme des retraites ; mais un déficit potentiel de 8 à 17 milliards d’euros d’ici 2025, c’est bien peu comparativement à ce que pèsent les retraites chapeaux et les dividendes versés aux actionnaires. Avec votre réforme, on récupérera bien peu de richesses par rapport à celles, considérables, qui seront passées ces dernières années des poches du travail à celles du capital.

Nous le répétons : 62 ans, c’est déjà trop tard par rapport à l’espérance de vie en bonne santé. En progressistes que nous sommes toutes et tous, si j’en crois la manière qu’a la majorité de se définir, nous devons permettre un départ à la retraite à 60 ans avec un bon niveau de pension.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Madame Fiat, personne évidemment n’est obligé d’entrer dans ce dispositif. Si nous souhaitons le promouvoir, c’est parce qu’il n’est pas assez connu et qu’il offre une option différente.

Monsieur Prud’homme, le dialogue qui doit s’instaurer entre l’employeur et le salarié pendant les quelques trimestres qui séparent ce dernier de sa fin de carrière constitue en effet un enjeu important ; nous aurons l’occasion d’en discuter à l’occasion de plusieurs amendements très intéressants.

Avis défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai besoin de bien comprendre, monsieur le rapporteur. L’article 25 reprend le dispositif de la retraite progressive existant, avec deux nuances essentielles : le passage à 62 ans pour en bénéficier, ce qui est surprenant, et l’ouverture de son champ à des professions jusqu’alors exclues : les mandataires sociaux, les fonctionnaires, les salariés des régimes spéciaux, les professionnels libéraux salariés. Est-ce à dire qu’il n’est donc plus question de durée trimestrielle de cotisation ? Vos explications sur ce point sont assez floues. En quoi le système sera-t-il différent de celui en vigueur aujourd’hui ?

M. Régis Juanico. Je suis comme Mme Dalloz : j’ai besoin de comprendre, en particulier ce qu’il en sera des catégories de travailleurs concernées par l’alinéa 3, relatif à la retraite progressive. L’exposé des motifs se réfère aux statuts des salariés. J’imagine que ceux des régimes spéciaux seront concernés, mais quid des fonctionnaires ? L’étude d’impact est en effet contradictoire : page 538, elle indique que l’objectif visé est donc celui d’un accroissement du taux de bénéficiaires de la retraite progressive en accroissant son champ à l’ensemble des assurés à l’exception des fonctionnaires, et, page 539, que le nouveau dispositif étend la retraite progressive aux fonctionnaires ainsi qu’aux salariés des régimes spéciaux ! Pouvez-vous nous éclairer, monsieur le rapporteur ? Les fonctionnaires seront-ils ou non concernés ?

M. Brahim Hammouche. La France insoumise parle d’anticipation, mais celle-ci est d’autant plus aisée à réaliser que le système la facilite et que les règles le permettent. De ce point de vue, l’article 25 est précisément facilitateur pour le compagnonnage, la transmission des savoir-faire et des savoir-être, de tout ce qui fait la richesse d’une expérience de vie tout à la fois transmise et incarnée par les hommes et les femmes qui la relaient.

J’ai récemment visité un site sidérurgique dans ma circonscription. Il manque de chaudronniers, non faute d’apprentis, mais parce que la connaissance de ce métier dépasse le cadre de l’apprentissage. C’est le cas d’un certain nombre de métiers qui, au-delà de la théorie, impliquent une transmission des savoir-faire comme des savoir-être. L’article 25 apparaît à cet égard comme un article réellement facilitateur.

M. Pierre Dharréville. Le recul de deux ans que vous proposez dans cet article n’est pas anodin, y compris pour l’équilibre de cette loi. Un éclaircissement me semble donc nécessaire. La transmission, dont vient de parler Brahim Hammouche, n’est pas qu’une question de dispositifs : c’est aussi une question de volonté, de culture dans le travail, les entreprises, les sociétés. Dans certains endroits, les modes de management qui ont détruit toute possibilité de transmission, par des plans de départs volontaires avec des mesures d’âge, par la précarisation des jeunes qui entrent dans le monde du travail, ou par les deux à la fois... Il y a bien d’autres facteurs, à commencer par la dégradation des conditions de vie au travail dans nombre de grandes entreprises. La transmission est absolument nécessaire, vertueuse, mais elle doit aussi se dérouler dans le cadre habituel, quotidien, normal du travail, ce qui nécessite une réflexion plus ample et non limitée à quelques dispositifs.

M. Loïc Prud’homme. Selon l’étude d’impact, les retraités agricoles non salariés n’auraient pas droit à ce dispositif en raison notamment de la nécessaire régulation du foncier. Je ne comprends pas que l’État, faute de régler cette question à travers une action résolue, fasse de ces travailleurs-là une variable d’ajustement. Cet alinéa, pour ce qui concerne les retraités agricoles non salariés, me paraît un peu abscons. J’apprécierais que vous apportiez des éclaircissements.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement  22490 de M. Thierry Michels.

M. Thierry Michels. Avec la diminution annoncée du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités, nous nous devons de trouver des réponses appropriées à un enjeu collectif : favoriser et faciliter l’emploi des seniors. La retraite progressive permet une meilleure transition entre la vie active et la retraite. C’est un excellent dispositif, tout le monde en convient, dont les organisations syndicales et patronales auditionnées par notre commission et certains d’entre nous pendant nos débats. Pour les seniors, c’est en effet l’opportunité de poursuivre leur carrière avec un rythme plus approprié, c’est la possibilité de transmettre, c’est la possibilité d’une transition plus sereine entre l’activité et la retraite. De son côté, l’entreprise a tout intérêt à permettre à ses salariés les plus expérimentés, s’ils en font la demande, de rester en son sein dans des conditions plus adaptées.

À ce titre, le projet de loi qui nous est soumis présente des avancées significatives : extension à l’ensemble des personnes en activité, inclusion des cadres en forfait jours, limitation des motifs de refus de l’employeur. Soyons cependant lucides. Si tout le monde s’accorde à vanter les mérites de la retraite progressive, seuls 18 000 personnes en bénéficiaient en 2018. Pourquoi ? Nous sommes habitués à nous passer des seniors : on se souvient tous des plans de préretraite massifs qu’a connus notre pays. Ne pas compter sur les seniors est – hélas ! – devenu un fait culturel.

Nous devons et pouvons changer une telle situation, notamment par le dialogue, là où il doit se passer, c’est-à-dire au sein de l’entreprise. L’entretien proposé dans mon amendement crée les conditions d’une réflexion commune entre le salarié et l’employeur afin qu’ils puissent explorer ensemble l’organisation de la fin de carrière et le recours au dispositif de retraite progressive.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je remercie notre collègue le député Michels pour la présentation de cet amendement intéressant, qui traite d’une problématique essentielle : les conditions d’organisation d’un véritable dialogue anticipé permettant de déboucher in fine sur différentes solutions en matière de retraite progressive, de cumul emploi-retraite, de retraite anticipée.

Anticiper un tel entretien est de bonne politique. Malheureusement, les obligations d’entretiens de fin de carrière sont assez peu respectées : le taux de réalisation tourne autour de 57 %. Le message à envoyer aux entreprises me semble donc assez bon. Je lui donne un avis favorable, tout en indiquant que nous aurions intérêt à le réexaminer d’ici à la séance publique en tenant compte de l’amendement de Mme Fabre et de celui, assez complémentaire, que j’ai cosigné avec M. le rapporteur général et qui vise à encadrer le délai de réponse de l’employeur à la demande de retraite progressive.

M. Pierre Dharréville. J’avoue ma perplexité face à cet amendement, dont je ne suis pas certain de bien comprendre l’objectif. J’ai le sentiment qu’il s’agit de promouvoir cette retraite progressive ; c’est en tout cas ce qui peut être sous-entendu. J’entends que cette disposition reste un droit et non une sorte d’injonction dont l’entretien serait le cadre ; un dispositif de ce type n’est pas sans conséquences sur la vie des salariés. Je ne suis pas très sûr que tout cela aille dans la bonne direction. Tel qu’il est rédigé, cet amendement me paraît plutôt dangereux.

Mme Cendra Motin. Les employeurs sont déjà tenus d’interroger leurs salariés à partir de 60 ans pour connaître leurs intentions quant à leur retraite. Cela se fait souvent par simple courrier, ce qui peut être un peu déstabilisant pour le salarié ; nous proposons d’organiser un véritable rendez-vous avec l’employeur afin qu’ils évoquent ensemble les différentes pistes et, surtout, les besoins et les désirs du salarié pour l’aménagement de sa fin de carrière ou son futur départ. Cela va exactement dans le sens de vos propos : il faut mieux préparer les départs à la retraite pour faire en sorte que la transmission ne s’opère pas dans le seul cadre du cumul emploi-retraite mais dans l’anticipation.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8244 de M. Éric Coquerel, n° 8246 de Mme Caroline Fiat et n° 8252 de M. Loïc Prud’homme.

M. Éric Coquerel. Il s’agit de supprimer l’alinéa 5. L’article 25 vise à permettre aux assurés de continuer à travailler à temps partiel et de bénéficier d’une partie de leur pension de retraite tout en continuant à cotiser pour leur retraite définitive à partir de 62 ans. Ce principe de retraite progressive est étendu aux salariés du régime général, aux salariés et non‑salariés des régimes agricoles ainsi qu’aux travailleurs indépendants non agricoles. Nous comprenons que cette mesure vise à pallier l’insuffisance des pensions et revenus des agriculteurs ; notre amendement de suppression entend affirmer qu’il serait préférable d’augmenter les pensions des agriculteurs plutôt que d’opter pour des rustines. Plus globalement, nous considérons qu’aucune retraite à taux plein ne devrait être inférieure au SMIC. La question d’un revenu non inférieur au seuil de pauvreté doit être également posée pour tous les retraités, y compris pour ceux qui n’ont pas toutes leurs annuités.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 8246 a le même objet. Je prendrai pour exemple mon cas personnel, puisque le simulateur ne présente plus mes cas-types : imaginez que j’aie besoin de 1 000 euros mensuels pour vivre, que je sois cassée, que je doive partir plus tôt et que je ne touche que 800 euros. On me dira que j’ai droit à une retraite progressive et que, pour gagner les 200 euros qui me manquent, il m’est possible de travailler à 20 %. Ce ne sera pas une obligation mais, pour pouvoir vivre, je n’aurai pas d’autre choix.

M. Loïc Prud’homme. Je désespère d’obtenir une réponse à ma question précédente sur la retraite des professionnels agricoles non salariés, mais je suis tenace et je la poserai à nouveau.

Non seulement nous n’avons pas davantage de réponse sur les dispositifs de retraite progressive, auxquels nous sommes farouchement opposés tels que vous les concevez, mais les conditions de leur versement seront fixées par voie réglementaire. Une fois de plus, nous discutons d’un truc qui sera élaboré en douce dans des salons feutrés, sur lequel nous n’aurons aucune prise, le Parlement n’étant pas consulté. Là encore, ce n’est pas de bonne méthode.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Prud’homme, je me borne à répondre aux questions posées par les amendements en cours de discussion et je n’y reviens pas inutilement à la fin des interventions : c’est la ligne de conduite que j’adopte systématiquement pour ne pas nuire à la qualité de nos débats. Or la question du périmètre et des contraintes de l’accès au foncier ne concerne pas la retraite progressive, mais le cumul emploi-retraite.

Monsieur Dharréville, la retraite progressive n’est en rien une obligation, mais seulement une possibilité. La question qui se pose est celle de l’accès au droit : or le taux d’accès au droit des différentes prestations sociales, nous le savons, ne dépasse pas 65 % dans notre pays ; il descend même parfois à 30 %. D’où l’importance d’un dispositif permettant la connaissance du droit.

Enfin, il n’y a aucun mystère dans cet alinéa 5 : le calcul de la liquidation partielle fera correspondre la quotité de temps partiel avec le montant de la pension. C’est tout bête... Cela se traduit par la voie réglementaire mais la règle est bien inscrite dans la loi.

M. Sébastien Jumel. Je reviens sur l’intervention de Cendra Motin à propos de l’amendement de Thierry Michels. Non seulement vous élargissez le dispositif de la retraite progressive et vous reculez l’âge d’équilibre, comme s’il n’y avait pas un taux de chômage prohibitif chez les seniors, mais vous rendez obligatoire un entretien préalable entre l’employeur et le salarié...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il n’est pas obligatoire !

M. Sébastien Jumel. ...pour instaurer, d’une certaine manière, une gestion des ressources humaines à la mode Macron, qui nie que la retraite est un droit généré par une vie de labeur. Ce faisant, vous remettez cause ce droit fondamental. Le gars qui refusera le temps partiel sera purement et simplement rayé de la carte. Il aura d’autant plus de mal à refuser qu’on lui appliquera une décote, étant donné que l’âge d’équilibre aura reculé. Ce dispositif est profondément dangereux. C’est un outil de gestion des ressources humaines appliqué à un droit d’une manière qui nous préoccupe immensément.

Mme Jeanine Dubié. Le délai de réponse de l’employeur à une demande de retraite progressive n’est pas fixé dans l’article. Il nous semble important de la préciser.

M. Régis Juanico. Je regrette que le secrétaire d’État se soit éclipsé au moment où...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Le secrétaire d’État est là depuis le début de nos discussions, alors qu’il n’y est pas tenu.

M. Régis Juanico. ...il devait présenter un amendement de progrès social !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. N’ayez aucune inquiétude, il le présentera en séance.

M. Régis Juanico. La Conférence nationale du handicap se tient aujourd’hui même. Le Gouvernement avait repris un amendement déclaré irrecevable de notre collègue Thierry Michels, qui visait à abaisser l’âge de la retraite progressive des travailleurs en situation de handicap à 55 ans, alors que même le collectif Handicaps demandait 57 ans. C’est pourquoi je regrette que le secrétaire d’État n’ait pas été là pour présenter un amendement que nous aurions voté.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Ce n’est que partie remise, monsieur Juanico !

M. Gérard Cherpion. J’avais cru comprendre que l’article 25 offrait au salarié le choix de partir en retraite progressive ou non, et que l’entreprise ne pouvait s’y opposer. Ai-je bien compris ?

M. Éric Coquerel. Même si l’amendement du Gouvernement n’a pas été défendu par le secrétaire d’État, je voulais revenir dessus. Si vous estimez qu’il faut ramener à 55 ans l’ouverture de la disposition pour les personnes en situation de handicap, comment justifier qu’on fasse l’inverse pour les autres en le reculant à 62 ans, soit à l’actuel âge légal de départ à la retraite ? Il y a une incohérence !

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements n° 14204 et n° 21280 de M. Boris Vallaud.

M. Régis Juanico. Nous souhaiterions supprimer les mentions renvoyant au règlement à l’alinéa 5, dans la mesure où de telles dispositions ne permettent pas l’information complète du Parlement.

Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous poser de nouveau mes deux questions : les fonctionnaires seront-ils bel et bien concernés par le dispositif de retraite progressive ? Le mécénat de compétences sera‑t‑il affecté par votre contre-réforme des retraites ?

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Juanico, je ne sais pas où vous étiez en 2014, lorsqu’a été votée la loi, dont l’article L. 351‑15 dispose que la fraction de pension servie varie dans des conditions fixées par voie réglementaire – nous sommes donc à droit constant. S’agissant de l’âge, le départ à 60 ans était assorti d’une condition en matière de trimestres ; il est relevé à 62 ans, mais il n’y a plus de condition de trimestres. Le secrétaire d’État s’est engagé à revenir nous voir, une fois les concertations sociales terminées.

Quant aux conditions de recevabilité de la réponse de l’employeur, madame Dubié, elles seront examinées un peu plus tard.

Avis défavorable.

Mme Jeanine Dubié. Merci de cette réponse. Je regrette à mon tour que l’amendement n° 22674 du Gouvernement n’ait pas été présenté.

La commission rejette successivement les amendements n° 14204 et n° 21280.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 8261 de M. Éric Coquerel et n° 8269 de M. Loïc Prud’homme.

M. Éric Coquerel. Votre processus est profondément rétrograde. Mon collègue des Républicains a eu raison de signaler que vous transformez le droit pour un salarié qui n’avait pas atteint l’âge légal de réclamer un dispositif en un droit donné aux entreprises de le proposer au salarié... Ce n’est pas tout à fait le même cas de figure ! De fait, en reculant l’âge légal, vous allez aggraver le chômage des seniors, qui a explosé avec le recul à 62 ans et touche 1,5 million de personnes de plus de 50 ans. Comme vous n’allez pas changer d’un coup de baguette magique l’employabilité des seniors, vous devez proposer aux entreprises un dispositif leur permettant de continuer à les employer : belle illustration des propos que tenait M. Turquois, samedi après‑midi, sur le bien vieillir au travail ! Nous estimons, au contraire, que pour bien vieillir, il faut arrêter de travailler à un moment.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, vous avez une nouvelle fois fait référence à des concertations sociales qui nous permettront de préciser les dispositifs, concertations sociales qui se tiendront après nos travaux. Soit il y a un souci de temporalité, soit il y a un problème de compréhension de la façon dont vous abordez la discussion. Cela me semble problématique de parler, sans être éclairés, sur des dispositifs qui seront présentés après les travaux du Parlement.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Prud’homme, ne confondons pas la conférence de financement, qui se tiendra après la première lecture à l’Assemblée, et la concertation sociale qui a lieu actuellement sur la pénibilité et l’emploi des seniors et devrait rendre ses conclusions jeudi prochain pour éclairer la séance.

Monsieur Coquerel, nous ne sommes pas dans la réalité alternative, chère à M. Trump : ce qui est écrit vous a bel et bien été soumis. L’article 25 dispose à l’alinéa 4 que « L’assuré qui exerce une activité à temps partiel [...] peut demander la liquidation [...] de sa retraite et le service d’une fraction de celle-ci [...]. » C’est bien l’assuré qui formule la demande. Ne soyons pas complotistes ; il n’y a pas d’inversion du dispositif. Ajoutons à cela qu’il est important de prévoir des moments de rencontre avec l’employeur et de porter l’existence de ce droit à la connaissance du salarié. Nous préservons bien la logique selon laquelle l’entreprise ne peut rien imposer au salarié, qui reste totalement maître de sa décision.

Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, je peux poser des questions ou avoir d’autres interprétations que vous sans pour autant sombrer dans le complotisme. Vous auriez pu vous épargner ce terme. J’ai lu, comme vous, le projet de loi et particulièrement l’alinéa 6 de l’article 25 : « Le présent article est applicable dans des conditions déterminées par voie réglementaire aux salariés exerçant plusieurs activités à temps partiel ou plusieurs activités à temps réduit [...]. » Nulle part il n’est écrit que ce sera uniquement sur demande du salarié ! Mais le vrai problème, c’est que vous transformez un dispositif prévu pour les personnes n’ayant pas atteint l’âge légal de départ à la retraite en un dispositif destiné à celles qui l’auront atteint. Cela n’a aucun rapport avec le complotisme !

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie, en présentation commune, des amendements n° 21282 et n° 21551 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Les deux amendements sont défendus.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Avis défavorable sur l’amendement n° 21282, pour les raisons déjà évoquées.

Avis favorable à l’amendement n° 21551, qui vise à remplacer le mot « salariés » par le mot « assurés ».

La commission rejette l’amendement n° 21282.

Elle adopte l’amendement n° 21551.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 8278 de M. Éric Coquerel et n° 8286 de M. Loïc Prud’homme.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, j’ai un vrai souci lexical avec vous ce soir. Vous m’avez répondu que les concertations sociales que vous évoquiez ne concernaient pas la conférence de financement, mais ce qui aurait lieu en temps utile. Il me semble que nous sommes dans le temps utile de la discussion et qu’il serait important d’avoir des informations dès maintenant. Que le souci soit lexical ou de temporalité, toujours est-il que cela montre que la façon dont la discussion est menée depuis le début pose un vrai problème.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. La répétition des arguments de M. Prud’homme n’emporte pas ma conviction...

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 8295 de M. Éric Coquerel et n° 8303 de M. Loïc Prud’homme.

M. Loïc Prud’homme. Je suis désolé de ne pas emporter la conviction du rapporteur, alors même que je présente mes amendements avec beaucoup de bonne volonté et de sérieux. Pour celui-ci, je vais vous épargner, monsieur le rapporteur, vous laisser le temps d’une respiration et reprendre la mienne.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Les alinéas 7 et 8 sont constitutifs du régime de retraite progressive. Supprimer une partie de ce tout n’aurait pas de sens.

Défavorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8312 de M. Éric Coquerel et n° 8320 de M. Loïc Prud’homme.

M. Éric Coquerel. La présentation de l’article 25 précise que « le système universel de retraite doit accroître les incitations au travail des seniors ». Face au constat que le plein emploi n’est absolument pas possible au-delà d’un certain âge, notamment à cause de la situation économique dans laquelle vous avez mis le pays, vous inventez un système afin de permettre le temps partiel au-delà de l’âge légal. Pour notre part, nous ne croyons pas qu’il faille inciter les seniors au travail, mais qu’ils ont le droit à un repos justifié. En 1910, la première loi sur les retraites a été votée. L’âge de départ avait été fixé à 65 ans, ce qui était délirant, étant donné que la plupart des gens ne l’atteignaient pas. Mais Jaurès avait voté pour, parce que c’était un progrès. Plus de cent ans plus tard, vous revenez à l’âge des premiers acquis sociaux : cela qui en dit long sur la régression qu’impose votre loi.

M. Loïc Prud’homme. La question de l’emploi des seniors est centrale, et avec elle la manière de répartir le temps de travail, qui est l’un des points aveugles de votre réforme. Vous refusez de comprendre que l’on produit plus pour un temps de travail inférieur et qu’il faut donc permettre aux gens de partir plus tôt, pour mieux partager le temps de travail, de sorte que les seniors ne soient pas au chômage et que les chômeurs jeunes puissent accéder au marché de l’emploi.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Vous n’êtes pas exempts de paradoxes ! Il y a quelques jours, vous nous souteniez que toute mesure visant à faire travailler les gens plus longtemps se heurterait à la réalité, parce qu’il était impossible d’augmenter le taux d’emploi des seniors ; mais désormais vous craignez que ce dispositif, dont un des objectifs est de permettre une poursuite de l’activité à temps partiel, ne soit trop efficace ! Le taux de chômage des seniors est actuellement de 6,5 % environ. Le problème, c’est qu’il est très difficile pour un senior sorti de l’emploi d’y rentrer. Les chômeurs de longue durée sont particulièrement nombreux dans cette catégorie. L’enjeu est d’éviter que les seniors tombent au chômage. Aussi tout ce qui peut permettre d’assouplir cette période et de maintenir dans l’emploi le senior souhaitant continuer à travailler est‑il bienvenu.

Avis défavorable.

M. Stéphane Viry. Nous avons sur ce point une vraie divergence avec nos collègues de La France insoumise : force est de reconnaître que, sur ce sujet, le texte va dans la bonne direction, même si ses dispositions restent perfectibles. Nous considérons qu’il est de la responsabilité de tout salarié de maîtriser sa carrière professionnelle et de choisir les modalités de son départ. Même s’il n’a jamais très bien fonctionné, le projet de loi doit être l’occasion de remettre sur la table le dispositif de la retraite progressive et de chercher les voies d’amélioration pour aménager les fins de carrière.

M. Éric Coquerel. Certes, nos positions divergent. Mais la logique a changé. Il ne s’agit plus d’un salarié, pas très loin de l’âge de la retraite, qui trouve un accommodement pour faire baisser son activité professionnelle : l’âge de la retraite aura été prolongé au-delà de 62 ans ! En réalité, vous permettez aux entreprises de mettre en temps partiel des gens que vous aurez forcés à travailler plus longtemps. Vous favorisez une nouvelle fois le temps partiel ! Vous l’avez déjà permis avec la « loi Pénicaud ». Vous l’avez développé avec un temps partiel spécifique, en augmentant le plafond des auto‑entrepreneurs. Désormais, pour l’employabilité des seniors, vous offrez aux entreprises la possibilité d’avoir des salariés à temps partiel utilisables en dehors du contrat à durée indéterminée, des 35 heures et de la durée légale ! Votre article est particulièrement pervers : il conduit en réalité à augmenter le temps partiel.

M. Pierre Dharréville. Le travail est, à mon sens, un lieu essentiel de sociabilité et, possiblement, d’émancipation, qui participe à l’humanisation de l’humanité. Mais j’ai l’impression que vous avez une vision très étroite de la sociabilité, que vous limitez à sa dimension productive et rentable. Les processus que vous mettez en œuvre visent à accroître la productivité et la rentabilité des salariés. Comme les gens travailleront plus longtemps, vous créez un petit dispositif, parce que vous avez bien vu qu’il y aurait un problème et que certains ne pourraient pas travailler plus longtemps. Cet escalier devrait, selon vous, rendre la situation moins insupportable. Je défends les producteurs, les prolétaires, c’est même la raison d’être de notre parti. Leur vie ne peut se réduire au travail. Vous pressez les gens comme des citrons ! Alors que de plus en plus de jeunes sont contraints de travailler pour financer leurs études, de même bientôt les retraités seront contraints de travailler pour financer leur retraite...

M. Brahim Hammouche. Notons que les étudiants pourront désormais cotiser dès la première heure travaillée.

La question n’est pas tant de maintenir les gens au travail, mais de créer un continuum dans l’existence. Nombre de personnes que j’ai suivies en thérapie, lorsqu’elles passaient d’un cycle de travail à un cycle de retraite, faisaient des dépressions, des décompensations voire des tentatives de suicide. Il est important de favoriser le sentiment continu d’exister.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 8329 de M. Éric Coquerel, n° 8331 de Mme Caroline Fiat, n° 8334 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 8337 de M. Loïc Prud’homme et n° 8338 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Depuis tout à l’heure, vous justifiez l’article 25 par la transmission professionnelle. Or vous oubliez la transmission familiale : le fait que les grands‑parents puissent partir relativement jeunes et pas cassés à la retraite et transmettre à leurs petits‑enfants, pendant les vacances, le week-end ou le mercredi, leur savoir‑faire. Je ne serais pas la députée que vous adorez, si je n’avais pas pu passer du temps avec mes grands‑parents, si mon grand‑père ne m’avait pas transmis son savoir‑être communiste, mais aussi sa façon de jardiner... Je le dis avec humour, mais cette transmission familiale est un élément important, dont ont besoin les générations futures.

M. Jean-Luc Mélenchon. J’ai suivi toute cette discussion depuis mon bureau. Votre transmission professionnelle, c’est du pipeau, mes chers collègues ! Si vous attendez 62 ans pour demander à quelqu’un d’apprendre à un autre le métier, c’est que vous avez perdu votre temps avant. Je suis d’accord avec vous pour dire que la question se pose néanmoins dans de nombreuses entreprises. J’ai vu, dans un barrage, des gars, la soixantaine passée, qui rééquipaient un rotor et un stator, parce que les jeunes présents et leurs chefs étaient incapables de le faire tout seuls. Cette question relève de la gestion prévisionnelle du personnel. Mais ne racontez pas d’histoires : le problème, ce n’est pas les retraités, mais l’entreprise. S’il y avait quoi que ce soit qui posait un problème à l’entreprise, vous ne l’auriez pas mis dans la loi. Le gars ou la fille, s’il ou elle n’a pas demandé tout de suite d’être au régime prévu, le cumul emploi-retraite, c’est fini. C’est le patron qui décide d’avoir des employés à temps partiel, payés moitié retraite, moitié salaire. Comme l’ont dit Éric Coquerel et Pierre Dharréville, c’est de l’emploi à temps partiel à la disposition de l’entrepreneur !

M. Loïc Prud’homme. Le rapporteur nous a dit que le dispositif permettait de répondre à la problématique de l’emploi des seniors, alors qu’il s’applique à des seniors déjà en emploi.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. C’est du maintien à l’emploi !

M. Loïc Prud’homme. Non seulement votre dispositif n’atteindra pas ses objectifs, mais surtout, il aura un effet pervers : il maintiendra les seniors d’une classe d’âge à peu près identique au chômage et créera une concurrence : dans la mesure où les seniors en cessation progressive d’activité coûteront moins cher à l’entreprise, celle-ci aura intérêt à les faire travailler le plus longtemps possible, en se payant leur expertise pas trop cher, sans embaucher de nouveaux seniors hors de l’emploi.

M. Adrien Quatennens. C’est l’argument essentiel qui est utilisé par les députés de la majorité, alors qu’il n’est nul besoin d’attendre le moment de partir à la retraite pour penser à transmettre ses compétences et ses qualifications. Cela s’organise tout au long de la carrière. Il y a d’ailleurs beaucoup d’endroits où cela se fait très bien. Vous instaurez un âge d’équilibre et dites que les gens seront libres de partir dès 62 ans, mais on sait que ce sera avec une super-décote. Vous encouragez, en réalité, les conditions pour continuer le travail. Non seulement les salariés ne pourront pas bénéficier d’une retraite à taux plein, mais ils devront continuer une activité en temps partiel ou avec un contrat précaire. Une fois de plus, vous ne répondez pas à notre interrogation concernant le chômage des seniors, qui concerne 300 000 personnes de plus de 60 ans. Un actif sur deux n’est plus en emploi à l’âge d’arriver à la retraite. Des gens n’attendent que cela : ou pouvoir partir à la retraite ou avoir un emploi. Le Conseil d’État lui-même a pointé ce problème considérable du chômage des seniors. Vous n’allez faire que transférer le déficit des caisses des retraites vers les caisses du chômage ! Vous allez jeter encore plus de gens au chômage, qui devront attendre toujours plus longtemps pour accéder à la retraite.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il me semble que l’intervention la plus en rapport avec le contenu de l’alinéa était celle de Mme Fiat, pour laquelle j’ai une grande sympathie. J’attends de connaître avec impatience vos grands‑parents, s’ils ne sont pas décédés – si c’est le cas, toutes mes condoléances.

Avis défavorable.

Mme Caroline Fiat. D’où ils sont, ils ne sont pas contents !

M. Hubert Wulfranc. Deux éléments centraux ont émergé dans le débat. D’abord, la transmission renvoie à la question fondamentale de la formation continue au travail, dont entreprises s’exonèrent d’autant plus qu’elles disposent de salariés à temps partiel pour partie versés dans le compagnonnage ou la transmission du savoir‑faire. Par ailleurs, nous voyons se constituer avec ces salariés à temps partiel une deuxième armée de réserve qui permettra d’exercer une pression majeure sur la masse salariale, dont les entreprises ne manqueront pas de jouer dans leur pilotage. Ce sont là deux éléments-clefs de votre réforme qui nous posent problème.

M. Éric Woerth. Les conditions d’accès au système – 62 ans au lieu de 60 ans, 150 trimestres pour ceux qui ont 60 ans – permettront-elles de viser davantage de personnes ? Pouvez-vous le prouver ? Je comprends de l’étude d’impact du Gouvernement que les actuels bénéficiaires du dispositif ont à peu près 61 ans et demi, la situation étant très différente d’ailleurs entre les femmes et les hommes. Croyez-vous qu’en portant l’âge à 62 ans, vous élargirez le nombre de bénéficiaires de ce système de retraite progressive ?

M. Philippe Vigier. L’étude d’impact montre que peu de gens sont concernés. Je crains que votre système ne soit contre-productif. Vous-même, monsieur le rapporteur, aviez émis des réserves à deux reprises lors de la réunion qui s’est tenue salle Lamartine, et considéré qu’il convenait de travailler sur ce dispositif. Ne risque-t-on pas de décourager celles et ceux qui veulent transmettre ce savoir dans les petites, moyennes et grandes entreprises ? Ce dispositif sera ressenti comme un mauvais signal, sachant que les conditions d’éligibilité que M. Woerth vient de rappeler pour ceux qui ont 60 ans ne sont déjà pas couronnées de succès.

M. Sébastien Jumel. Comme je ne suis pas paranoïaque, je me demande parfois ce qui motive un choix, ce qui a conduit les libéraux que vous êtes à opérer de la sorte. Je viens de retrouver le référé produit par la Cour des comptes en octobre 2019. Elle reconnaît que le taux d’emploi des 50-64 ans a augmenté mais que le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans a fortement augmenté depuis 2008 du fait de l’augmentation des effectifs des générations en âge de travailler, du recul des âges de départ à la retraite, de la crise économique de 2008. Et de poursuivre : « Le nombre moyen de demandeurs d’emploi seniors inscrits à Pôle emploi en catégorie A a triplé depuis 2008 (917 000 en 2017 et 916 400 au premier trimestre 2019), du fait, en outre, de la fin de la dispense de recherche d’emploi dont bénéficient les plus de 57 ans jusqu’en 2012. » La Cour en conclut que lorsque les plus de 55 ans se retrouvent au chômage, ils y restent plus longtemps que la moyenne des Français, et que cela a un coût.

J’ai l’explication à ma question qui n’a rien de paranoïaque : vous êtes en train de chercher comment faire une économie sur une réalité objective, le chômage des seniors, sans le régler et en mettant en place une modulation qui permet d’avoir un petit bout de retraite et un petit bout de travail, dans le cadre d’une gestion des ressources humaines au bout du compte très libérales. C’est quelque chose qui arrange l’entreprise mais qui ne part pas du besoin de l’intéressé, de l’aspiration des seniors qui peuvent certes s’épanouir au travail, mais tout aussi bien s’y user.

La commission rejette les amendements.

Puis elle étudie les amendements identiques n° 8346 de M. Éric Coquerel, n° 8348 de Mme Caroline Fiat, n° 8351 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 8354 de M. Loïc Prud’homme et n° 8355 de M. Adrien Quatennens.

M. Éric Coquerel. Ces débats en commission sont fort utiles : plus on détaille un article, plus on voit la problématique qu’il sous-tend. Je résume : auparavant, le salarié pouvait décider d’entrer dans un système de retraite progressive avant l’âge légal de départ à la retraite. Dorénavant, il le fera après l’âge de 62 ans. Cela signifie que s’il ne veut pas avoir une retraite de misère, il sera obligé de travailler jusqu’à 65 ou 66 ans à temps partiel. Autrement dit, à partir de l’âge de 62 ans, il aura deux solutions : devenir soit un retraité pauvre, soit un travailleur pauvre !

L’alinéa 17 de l’article 25 explique que l’entreprise peut refuser la demande du salarié de travailler à temps partiel en cas d’« incompatibilité de la durée souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise ». Cela montre bien qu’en réalité, la décision dépendra de l’intérêt de l’entreprise. Ce que vous faites permet de justifier que vous allez passer de l’âge légal à l’âge d’équilibre. C’est signé !

Mme Caroline Fiat. Plus on avance dans l’examen des alinéas de cet article, plus cela devient compliqué de vous défendre. Tout à l’heure, vous nous avez dit que ce ne serait pas une obligation ; je vous ai répondu que les gens vont se retrouver coincés dans des temps partiels non choisis mais subis. C’est pourquoi je demande la suppression de l’alinéa 11.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il est de notre rôle d’agiter les feuillages pour faire s’envoler les oiseaux, car ce n’est pas vous qui allez le faire. Il faut dire que la rédaction actuelle n’aide pas trop à une intellection complète de la chose... Voilà des gens qui ont dépassé l’âge légal de la retraite mais qui n’ont pas encore atteint l’âge d’équilibre : autrement dit, ils sont dans la période du malus. Et comme ce malus les cuit, ils demandent à rester au travail. Mais c’est une demande, pas une liberté : c’est le patron qui décide s’il a besoin de quelqu’un. Et s’il n’a besoin de personne, le gars n’a plus qu’à raccrocher. Et aux termes de l’alinéa 10, il ne pourra pas redemander à bénéficier de la retraite progressive.

Nous parlons d’un travailleur qui a un haut niveau de qualification et qui maîtrise complètement son métier ; c’est donc de la main-d’œuvre subventionnée que vous êtes en train de fabriquer. Si quelqu’un veut faire un recours auprès de l’Union européenne, il en a le droit, car il s’agit bien de concurrence déloyale...

M. Loïc Prud’homme. Le raisonnement du président de mon groupe tient la route ; il est de votre rôle de venir contre-argumenter pour nous prouver que vous n’êtes pas en train de créer une trappe à travail subventionné, une trappe à retraités pauvres au seul bénéfice des employeurs. Et je ne parle pas des très petites entreprises ou des petites et moyennes entreprises : seuls de grands employeurs peuvent se permettre ce genre de manœuvre pour se payer sur notre dos à tous une main-d’œuvre pas chère.

M. Adrien Quatennens. Comme vous le voyez, la discussion même longue et la multiplicité des amendements ont de l’intérêt. À mesure que l’on avance dans l’examen de ce texte, celles et ceux qui nous écoutent y voient plus clair, et c’est tant mieux. Hier soir, nous vous avons dit à plusieurs reprises que la droite républicaine avait le mérite de la clarté en demandant le recul de l’âge de départ à la retraite. Pour votre part, vous avez intérêt à ce que l’âge légal de départ soit maintenu à 62 ans : cela vous permet d’offrir plus de choix. Mais quel type de choix ? Première solution, retraité pauvre, comme l’a dit mon collègue Coquerel : vous partez à 62 ans, mais avec une décote puisque vous n’avez pas atteint l’âge d’équilibre. Deuxième solution, travailleur pauvre... Sinon, troisième solution, la capitalisation : si vous voulez bénéficier du droit de partir à la retraite à 62 ans sans avoir à subir une décote ou devoir travailler, vous aurez intérêt à avoir souscrit à des produits par capitalisation.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je comprends, au vu des craintes intéressantes que vous exprimez sur la nature du dispositif, que des explications supplémentaires s’imposent.

Est-ce un mécanisme à la main des employeurs dont ils rêvaient depuis des années pour instaurer enfin un véritable dumping des seniors ou est-ce un droit ?

M. Sébastien Jumel. C’est bien résumé !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Les chiffres montrent, monsieur Jumel, qu’on a vraiment du mal à faire la promotion de ce dispositif. Disons-le franchement, malgré l’ouverture faite en 2014, ce dispositif ne progresse pas. Peut-on dire que 14 000 personnes représentent le nombre potentiel de seniors concernés qui souhaiteraient passer à temps partiel ? Évidemment non. Y a-t-il des économies à la clef ? En passant à temps partiel, ils cumulent une retraite à temps partiel proratisée et le salaire à temps partiel : autrement dit, ce ne sont pas des travailleurs pauvres. Ensuite, en conservant ce dispositif un, deux ou trois ans, ils arrivent à l’âge d’équilibre, donc au taux plein. Ce système ne crée donc pas de pauvreté chez les retraités.

Notre enjeu est de faire la promotion de ce droit qui n’est pas utilisé. Pas plus que vous nous ne voulons en faire une machine de guerre ; nous voulons qu’il devienne un outil de gestion de carrière et de fin de carrière. C’est pourquoi il faut accompagner ce droit par de la communication. À cet égard, je veux revenir sur l’amendement n° 22520 de Mme Fabre, adopté hier, et qui prévoit la création d’un dispositif d’accompagnement et une information systématique – et non une information à la main de l’employeur quand il a besoin de se délester des cadres.

Vous oubliez aussi que le malus s’annule à l’âge d’équilibre. Nous avons donc toutes les chances de considérer que, grâce à ce dispositif, les retraites seront très probablement supérieures pour ces gens-là à celles de ceux qui n’en auront pas profité.

Avis défavorable.

M. Éric Woerth. Monsieur le rapporteur, la question vous a été posée à de très nombreuses reprises par notre groupe, par M. Vigier et par d’autres : y aura-t-il davantage de personnes éligibles avec votre système qu’avec celui de 2014 ? Répondez-y de façon précise, car cette affaire n’est pas claire. Le système créé en 2014 était assez généreux et plutôt bien fait. Sachant que le système va assez profondément changer pour ce qui touche aux conditions d’éligibilité, croyez-vous vraiment que cela incitera à demander une retraite progressive ?

L’employeur doit normalement accepter la demande du salarié, sauf si la quotité réduite de travail est incompatible avec l’activité économique de l’entreprise. Cela avait fait l’objet d’une vaste jurisprudence : lorsque le juge est amené à préciser les choses, cela m’inquiète toujours... Comment précisez-vous les choses dans cette discussion en commission et comment cela sera-t-il précisé ensuite par le Gouvernement – en séance publique, j’imagine ?

Enfin, monsieur Jumel, la réforme des retraites et le chômage des seniors sont deux choses différentes. En les mélangeant, on confond politique de l’emploi et politique de retraite. Auquel cas la meilleure des solutions consiste à raisonner par l’absurde : mettons tout le monde en retraite à l’âge de 25 ans, et il n’y aura plus de chômeurs... Prenons garde à ce type de raisonnement.

M. Sébastien Jumel. Monsieur le président de la commission des finances, je vous ai trouvé meilleur hier, mais cela n’enlève rien au respect que je vous porte. Je répète ce que dit la Cour des comptes : deux chiffres illustrent parfaitement à quel point la situation est préoccupante. Le montant versé au titre du revenu de solidarité active socle aux 60-64 ans a augmenté de 157 % en dix ans et celui de l’allocation aux adultes handicapés de 288 %. Elle poursuit : « Au total, [...] le coût de la prise en charge des seniors touchés par les mesures de report d’âge de liquidation des droits à la retraite et qui se trouvent exclus du marché du travail, s’élevait, au début 2018, à plus de 700 millions d’euros au titre de la solidarité nationale et près de 800 millions d’euros pour le régime d’assurance chômage, soit environ 1,5 milliard d’euros par an. » Quelle solution ont trouvé les Marcheurs, les libéraux, les gens de droite pour faire une économie sur le dos des seniors, sinon de leur promettre pour demain un monde de Oui-Oui, une sorte de puzzle où l’on pourra avoir un peu de travail, un peu de retraite, un peu de dèche, un peu de galère, un peu de précarité ? Et pour quel prix ? 1,5 milliard, aux dires de la Cour des comptes !

M. Régis Juanico. Après les excellents arguments que vient de nous donner Sébastien Jumel en citant la Cour des comptes, je pourrais poursuivre avec les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, autrement dit des services statistiques du ministère du travail. Le rapporteur explique qu’on n’ajoutera pas de la pauvreté et de la précarité à ces salariés expérimentés qui partiront en retraite progressive ; on peut en douter. J’aimerais qu’on puisse disposer de simulateurs, car nous avons affaire à une population très particulière. Notre taux d’emploi des 60-64 ans est un des plus faibles d’Europe : seulement 33 %, contre 77 % pour les 50-59 ans : c’est dire la chute vertigineuse. On sait aussi que les seniors sont plus touchés par le chômage de longue durée – 63 % des plus de 55 ans contre 42 % pour l’ensemble des chômeurs – et par la pauvreté et la précarité. Avec un faible salaire à temps partiel, vous aurez une retraite progressive qui, elle aussi, sera bien maigre. Et comme l’a dit Sébastien Jumel, il ne faut pas oublier d’ajouter le coût de la solidarité nationale, qui se chiffre en centaines de millions d’euros.

M. Jean-René Cazeneuve. Nos collègues de La France insoumise utilisent toujours la même recette et une dialectique franchement bien rodée, pour faire croire que de nouveaux droits deviendraient de terribles périls pour les travailleurs. La retraite progressive existe, et elle est reconnue par les organisations syndicales, qui considèrent que ce dispositif doit être développé. Nous proposons d’appliquer les mêmes conditions que celles qui existent aujourd’hui – il n’y a donc pas de dégradation ni de péril – et d’élargir ce droit pour les Français. Comment ? Premièrement, en augmentant le nombre de bénéficiaires potentiels en l’étendant aux salariés au forfait annuel en jours et aux exploitants agricoles notamment ; deuxièmement, en mettant désormais les employeurs en demeure d’accepter, sauf dans quelques cas très limités, la demande des salariés ; troisièmement, en faisant en sorte que les salariés récupèrent de nouveaux points pendant cette période. Ce ne sont donc que des droits supplémentaires à la main du salarié.

M. Adrien Quatennens. Sauf quelques cas extrêmement résiduels, personne n’a envie de travailler plus longtemps, si ce n’est pour avoir un meilleur niveau de revenu à la retraite. M. le rapporteur vient d’indiquer que le malus s’annule à l’âge d’équilibre. Sortie de son contexte, cette déclaration pourrait laisser penser que si l’âge d’équilibre de votre génération est à 65 ans, mais que vous jouissez de ce droit de partir à la retraite à 62 ans, vous subirez trois ans de décote puis le malus s’annulera à 65 ans, une fois l’âge d’équilibre atteint. C’est faux : le malus s’annule seulement si vous avez travaillé jusqu’à l’âge d’équilibre. Il ne s’annule pas si vous avez choisi de partir à la retraite à 62 ans, Vous offrez ce droit formidable de partir à la retraite à 62 ans, mais si vous n’atteignez pas l’âge d’équilibre et que vous avez encore la chance de vivre quinze ans après, vous subirez les conséquences de la décote toute votre vie.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22137 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. À travers la philosophie que vous nous proposez, construite autour du service de la rentabilité de l’humain, c’est tout le vide libéral que nous voyons à l’œuvre, un monde où le sens s’évanouit, jusque parfois dans les existences. C’est une des dimensions qui m’inquiète le plus dans l’évolution de cette société dominée par les forces de l’argent. Nous avons besoin de plus de temps libéré de la prescription du travail. Il y a suffisamment de richesses produites, mais elles sont mal partagées, et le travail est parfois mal utilisé. Il me semble que ces richesses produites peuvent permettre un vrai droit à la retraite. C’est là un de nos points de désaccord fondamental.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Défavorable.

Monsieur Woerth, j’apprécie que vous lisiez avec attention les rapports du rapporteur car vous posez exactement la question que j’ai abordée à la fin du commentaire de l’article, en utilisant les mêmes termes, car il y a effectivement une imprécision. L’impact de l’élargissement du champ qui concerne les fonctionnaires et les cadres au forfait jour va-t-il ou non contrebalancer la potentielle réduction liée à la remontée à 62 ans ? Nous attendons avec impatience l’issue de la concertation sociale qui aura lieu jeudi.

Il y a une très grande tradition de discussion sur la retraite progressive, y compris au niveau des accords de branche et des accords d’entreprise, mais cela produit assez peu d’effets, par le fait qu’elle est financée par les entreprises elles-mêmes et que les dispositifs ne sont pas très entraînants. Pourtant, ils sont demandés par les partenaires sociaux, y compris par ceux dont vous êtes proche. Prévoir une incitation dans le dispositif public me paraît un réel progrès.

Enfin, nous présenterons des amendements sur la motivation du refus et nous y consacrerons le temps nécessaire.

M. Jean-Paul Mattei. Je voudrais revenir sur la structure juridique de l’article 25, qui comporte deux aspects : d’abord une modification du code de la sécurité sociale avec des ajustements techniques parce qu’il n’y a pas d’ordonnance ; ensuite, une modification du code du travail.

À cet égard, je voudrais rebondir sur les propos de notre collègue Cazeneuve. On donne des droits au salarié de pouvoir passer à temps partiel, donc de réduire son temps de travail tout en bénéficiant de sa retraite. Les choses sont claires : c’est bien le salarié qui demande la retraite progressive.

Monsieur Dharréville, le monde n’est pas binaire : il n’y a pas d’un côté les affreux capitalistes qui ne pensent qu’à l’argent, et de l’autre le monde du travail.

Monsieur Mélenchon, mes quarante années d’expérience de la petite entreprise m’ont appris que les rapports entre patrons et salariés ne sont pas ceux que vous avez décrits : on chemine petit à petit, on essaie de construire quelque chose. Du reste, au-delà du cumul emploi-retraite, c’est tout le problème du transfert d’entreprise à des plus jeunes qui est posé. On a tout intérêt à maintenir en activité des personnes dès lors qu’elles ont à cœur de pouvoir transmettre leur savoir.

M. Stéphane Viry. Le dispositif de retraite progressive n’a jamais très bien fonctionné. Dès lors que les règles en sont modifiées, il faut s’interroger sur son périmètre et ses conditions d’éligibilité. Or force est de constater que l’étude d’impact n’apprend pas grand-chose là-dessus. Vous nous renvoyez au terme de la concertation pour obtenir des réponses, mais nous restons sur notre faim, et cette période de disette qui court depuis le début de nos travaux.

M. Pierre Dharréville. Monsieur Mattei, je connais effectivement des entreprises qui diffèrent par leur taille, la personnalité de celui qui les dirige ou la force des organisations syndicales en interne ; je suis, comme vous, au fait de la diversité des rapports sociaux dans notre pays. Ce dont il est question ici, c’est d’un modèle économique global, des droits qui vont avec, et de l’incidence que tout cela aura sur l’évolution de notre société.

En second lieu, la retraite progressive se présentait jusqu’à présent comme une option, un choix personnel d’aménager sa fin de carrière. Mais, en le modifiant comme vous le faites, le dispositif devient un outil qui ne servira plus à partir en retraite plus tôt mais plus tard. C’est là-dessus qu’il y a débat.

M. Philippe Vigier. J’ai demandé au rapporteur pourquoi il avait émis des doutes lors de son audition par notre commission. Qu’est-ce qui l’amène aujourd’hui à considérer que le dispositif proposé lui convient ? Nous proposons de maintenir la date d’entrée à 60 ans, comme c’est le cas depuis 2014, sachant qu’il est déjà peu utilisé : en retardant son ouverture, vous ne ferez que décourager plus encore ceux qui pourraient y recourir. J’ajoute que la cessation progressive d’activité est un moyen de lutter contre la pénibilité : cela permet à son bénéficiaire d’être moins actif mais de transmettre son savoir. J’aimerais donc savoir pourquoi vos inquiétudes se sont dissipées.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques n° 8400 de Mme Caroline Fiat, n° 8403 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 8406 de M. Loïc Prud’homme et n° 8407 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit tout à l’heure que nous avions les mêmes intentions. Ce devait être une touche d’humour, car j’espère que, depuis neuf jours, vous aurez compris que nous défendons une retraite à 60 ans et vous à 64 ou 66 ans...

Je vous entends également dire que vous voulez retarder à 62 ans le dispositif de retraite progressive, qui existe aujourd’hui à partir de 60 ans mais qui ne fonctionne pas très bien. Peut-être est-ce parce que les gens n’en veulent pas, qu’ils n’ont pas envie de travailler à temps partiel sur leur temps de retraite.

M. Jean-Luc Mélenchon. On ne peut pas dire que vous offrez des droits nouveaux à la main du salarié : ce n’est pas vrai, tout dépend en définitive de la décision de l’employeur. Si l’employeur n’a pas besoin d’un gars à temps partiel de plus de 62 ans, il ne le gardera pas, donc ce n’est pas le salarié qui décide, mais l’employeur. Ensuite, il faut sortir de l’abstraction : on ne parle pas ici d’universitaires, qui ont le droit de travailler jusqu’à 68 ans, ou de gens comme nous, dont le corps n’est pas trop abîmé. Mais croyez-vous qu’un patron du bâtiment fasse monter sur un toit un salarié qui a entre 62 et 64 ans ? Bien sûr que non ! L’embauche des seniors est aussi liée à la nature du travail, à sa pénibilité et à la condition physique des gens qui l’exercent. Ne dites donc pas que vous offrez aux gens la liberté de choisir la retraite progressive ; ou alors, garantissez-leur qu’ils resteront embauchés après 62 ans.

M. Loïc Prud’homme. Les députés de La République en Marche soutiennent que ce dispositif n’apporte que des améliorations. Le rapporteur a évoqué le malus, et mon collègue Adrien Quatennens lui a rappelé que celui-ci s’appliquait ad vitam æternam à partir du moment où vous aviez liquidé votre pension. Mais qu’en sera-t-il de la fraction de retraite qui sera prise entre l’âge de départ légal et l’âge d’équilibre ?

M. Adrien Quatennens. Nous avons du mal à cerner vos intentions. Pourquoi ne reculez-vous pas l’âge de départ légal ? Car vous vous apprêtez en fait à reculer l’âge effectif de départ, et à le reculer de surcroît de manière progressive. Là où, auparavant, il fallait modifier un paramètre – soit l’âge légal, soit la durée de cotisation –, vous pourrez demain opérer sur un coin de table en jouant sur le coefficient de conversion ou sur l’âge d’équilibre. À quoi bon, dans ces conditions, maintenir l’âge légal à 62 ans, puisqu’il est réduit à n’être qu’un butoir purement théorique ? Ce n’est évidemment pas du tout mon vœu, mais dans votre logique, ce serait plus cohérent et vous assumeriez votre dessein.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Vigier, j’ai indiqué que nous sommes dans l’attente, avec toute la vigilance requise, Comme l’a indiqué M. Woerth, il nous est difficile aujourd’hui d’évaluer comment vont jouer les facteurs positifs et négatifs du nouveau dispositif sur le nombre de personnes couvertes par ce régime. Nous souhaitons, tout comme les partenaires sociaux, en faire un instrument de gestion des fins de carrière pour les salariés, sur la base du volontariat. Je suis d’accord ici avec le président Mélenchon : le volontariat suppose néanmoins, à un moment donné, l’accord de l’entreprise.

Si ce qui ressort des concertations sociales de jeudi nous semble satisfaisant, notamment en matière d’élargissement du spectre, nous suivrons les partenaires sociaux ; si, en revanche, nous considérons que le dispositif est, à ce stade, trop imprécis et qu’on ne mesure pas bien son impact, nous prendrons nos responsabilités pour la séance.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne vais pas abuser de la patience du rapporteur, mais on nous a dit, il y a un instant, que ce dispositif était une liberté pour le salarié. Admettons. Prenons donc un salarié qui arrive à 62 ans et considère que le montant de la pension auquel il a droit n’est pas suffisant ; il va donc essayer d’atteindre l’âge d’équilibre, fixé à 64 ans. Pour cela, il faut qu’il continue à travailler dans l’entreprise où il est salarié, mais son patron, à qui il demande un temps partiel, lui répond qu’il n’a plus besoin de lui et que surtout – prenons l’exemple d’un couvreur –, il ne veut pas prendre la responsabilité de le voir monter sur un toit à son âge. Que fait alors le salarié qui tient à sa retraite glissante ? Il va à Pôle emploi. Il ne peut pas faire autrement, à moins de liquider instantanément sa retraite, ce qui lui interdira tout retour au travail à temps partiel. Mais je serais curieux de connaître son sort, parce que, si le taux de chômage des seniors est si élevé, c’est qu’on n’a pas de quoi les occuper. Le désemploi des seniors ou le désemploi des jeunes, ça n’existe pas, il y a le désemploi, point barre. Quand il faut, on ramasse tout le monde : aux chantiers de Saint-Nazaire, ils sont allés chercher les gens dans toute la France lorsqu’ils manquaient de bras !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Prud’homme, quand vous partez en liquidation partielle à 62 ans, on vous applique la règle de l’âge d’équilibre, et donc la décote sur la part de votre pension que vous avez liquidée. Si vous travaillez jusqu’à 66 ans, vous liquidez la part restante, plus avantageuse par différents aspects : d’abord les points supplémentaires, puis l’annulation de la décote, voire la surcote sur l’ensemble de la retraite liquidée, enfin les droits sociaux qui sont inscrits à ce moment-là. Tout cela figure à l’alinéa 9, que nous avons déjà examiné.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 8417 de Mme Caroline Fiat, n° 8420 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 8423 de M. Loïc Prud’homme et n° 8424 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. Vous êtes incohérents : vous nous parlez d’un système universel, mais où est l’universalité si le dispositif de retraite progressive dépend du bon vouloir de l’employeur ? Où est l’égalité si certains salariés pourront en bénéficier mais pas les autres ? Plus on avance, plus c’est du grand n’importe quoi ! Je ne vois même pas ce que cette disposition fait dans ce projet de loi.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le rapporteur, vous nous parlez du salarié dont la retraite s’améliore lorsqu’il atteint l’âge d’équilibre ; moi, je vous parle de celui qui est parvenu à 62 ans, l’âge légal : que fait-il entre 62 et 64 ans si l’on n’a pas besoin de lui dans l’entreprise ? Je répète que la question n’est pas celle des métiers intellectuels, mais de ceux où le corps est engagé, dans lesquels les gens s’usent au travail et qui constituent 80 % des emplois de notre pays. Pour ces travailleurs-là, une année ou deux, une paye complète ou non, ce n’est pas rien, c’est même vital. Pouvez-vous leur répondre clairement que l’employeur est obligé de garder ses salariés après 62 ans, à temps plein ou à temps partiel ?

M. Loïc Prud’homme. Vous modifiez le code du travail. Il y a deux ans, vous nous expliquiez qu’il était trop épais et que vous vouliez le réduire à peau de chagrin. Or, avec cette réforme des retraites, vous lui rajoutez des pages. Je me demande où est la cohérence là‑dedans... Vous le détricotez, et l’année suivante, vous le trouvez insuffisamment épais !

J’ai pris bonne note de votre réponse, monsieur le rapporteur, et je vous en remercie.

M. Adrien Quatennens. Il est écrit dans l’exposé des motifs de l’article 25 : « Le système universel de retraite doit accroître les incitations au travail des seniors. » Nous considérons, nous, qu’un système universel de retraite devrait simplement permettre à chacun de partir dès 60 ans avec l’équivalent d’un SMIC au minimum pour une carrière complète.

Cela étant, je vous repose la question à laquelle vous n’avez pas répondu : pourquoi, plutôt que de biaiser, n’assumez-vous pas le fait de retarder l’âge de départ à la retraite, comme le préconisent nos collègues de droite, puisque, dans les faits, c’est exactement à cela que va aboutir votre projet de loi ?

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Réitérer un procès d’intention de façon systématique à chaque alinéa n’en fait pas une vérité, monsieur Quatennens...

Pour répondre à M. Mélenchon, nous ne touchons qu’à la retraite ; si l’employeur considère que le salarié qui souhaite une retraite progressive ne fait plus l’affaire, pour des raisons économiques, liées à la situation de l’entreprise ou pour des raisons d’inaptitude, les dispositifs existants s’appliquent ; le droit de licenciement n’étant pas remis en cause, il lui est effectivement possible de le licencier.

M. Sébastien Jumel. J’ai du mal à comprendre, pardonnez-moi d’avoir le cerveau lent – nous avons d’ailleurs un beau festival à Dieppe, que je vous recommande. (Sourires.)

Vous fondez votre réforme sur le fait que le nombre de retraités va considérablement augmenter, et celui des actifs diminuer, ce qui pose une question de financement. Ensuite, après avoir totalement libéralisé le code du travail en y accordant un permis de licencier en toute impunité, voilà que vous expliquez que le travail des seniors peut être un outil pour rééquilibrer le poids entre actifs et inactifs ; mais vous considérez surtout, ainsi que le décrit l’Institut Montaigne, que ce peut être un levier de croissance pour faire du fric. Ces dispositions n’ont donc rien à voir avec la liberté et l’épanouissement individuels, mais de tout cela, vous vous en foutez ! Elles sont conçues comme un levier de croissance au détriment de l’individu et de son bien-être, au détriment de la solidarité entre les générations, au détriment du travail des jeunes. Je viens de comprendre... Je suis content !

M. Jean-Paul Mattei. Le projet de loi modifie deux articles du code du travail, qui précisera désormais que, lorsqu’un salarié ayant atteint l’âge légal d’ouverture du droit à retraite demande à travailler à temps réduit, le refus de l’employeur doit être motivé par écrit : comme l’a fait remarquer le président Woerth tout à l’heure, cela n’est pas nécessairement compatible avec l’activité économique de l’entreprise. Si la procédure n’est pas respectée ou la motivation contestable, il pourra donc aller aux prud’hommes pour faire valoir ses droits. Il me semble que cela répond aux questions et que cela confirme que c’est le salarié qui a la main.

Marie-Christine Dalloz. Ce n’est pas ce qui vient d’être dit.

M. Jean-Paul Mattei. Ensuite, se pose, sur le fond, la question des raisons qui peuvent conduire les employeurs à refuser d’employer des seniors.

M. Jean-Luc Mélenchon. La réponse de M. Mattei est déjà plus complète que la vôtre, monsieur le rapporteur. Par ailleurs, vous vous êtes trompé en répondant que le refus de l’employeur n’obérait pas le droit de licenciement. Il n’est pas question de licenciement ici. Si un salarié demande un temps partiel après ses 62 ans, le patron doit lui motiver son refus par écrit : « le refus de l’employeur doit être justifié par l’incompatibilité de la durée souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise ». Je vous renvoie à l’alinéa 17 !

Ne prétendez donc pas que c’est le salarié qui a la main, puisque sa demande doit être compatible avec l’activité économique de l’entreprise. À la différence de M. Mattei, je ne pense pas que les patrons soient d’abjects exploiteurs : ils sont capables d’apprécier si leurs employés peuvent ou non continuer à travailler. Un employeur peut donc rejeter la demande de son salarié, dont les droits s’arrêtent là. Il n’a donc pas la main et, s’il veut sa petite pension, il court la liquider et se ramasse le malus jusqu’à la fin de ses jours.

M. Jean-Jacques Bridey. Monsieur Quatennens, vous nous demandez pourquoi nous ne reportons pas l’âge légal au-delà de 62 ans. Pour répondre, j’aimerais qu’on en vienne aux articles 32 et suivants, qui abordent les dispositifs de pénibilité, de dangerosité et la question des carrières longues. Nous avons prévu de présenter plusieurs amendements à cette occasion. Tous ces dispositifs vont être fondés sur l’âge légal de la retraite, c’est-à-dire 62 ans. Si nous reportons cet âge légal, nous reportons donc d’autant les décomptes pour la prise en compte de la pénibilité ou des carrières longues. Ce n’est pas notre souhait, et nous voulons que ces dispositifs puissent permettre des départs en retraite à 60 ans, comme aujourd’hui. En revanche, en instaurant l’âge d’équilibre, nous voulons également inciter les salariés et les fonctionnaires qui le peuvent à travailler un peu plus longtemps. Voilà les raisons pour lesquelles nous ne touchons pas à l’âge légal.

La commission rejette les amendements.

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*     *

22.   Réunion du mardi 11 février 2020 à 21 heures 30 (suite de l’article 25 à l’article 26)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8740173_5e430c3327a9a.commission-speciale-sur-le-systeme-universel-de-retraite--examen-du-projet-de-loi-suite-11-fevrier-2020

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, avons examiné 5 470 amendements ; il en reste donc 14 083.

Comme convenu cet après-midi, nous ferons le point en cours de soirée sur l’évolution de nos travaux.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Je souhaite faire une mise au point sur un incident survenu cet après-midi, lors duquel une députée du groupe La France insoumise a laissé entendre que, si notre collègue Jacques Maire défendait aujourd’hui la réforme dont nous débattons, c’est parce qu’il avait autrefois travaillé chez Axa. Nous estimons que ces insinuations grotesques relèvent d’une grande malhonnêteté intellectuelle, et je vous prie, monsieur Prud’homme et madame Fiat, de transmettre ce message à votre collègue, qui se reconnaîtra.

De mon côté, je tiens à saluer Jacques Maire, un homme de grande qualité, qui a effectivement travaillé chez Axa jusqu’en 2012 avant de rejoindre le quai d’Orsay à la demande de Laurent Fabius, afin d’y créer la direction des entreprises et de l’économie internationale au ministère des affaires étrangères, et de devenir ensuite dirigeant de Vigeo, l’agence de notation sociale et environnementale des entreprises. Je rappelle, enfin, qu’avant de devenir député, il a été ambassadeur, représentant spécial du Gouvernement pour l’aide aux pays en crise. Je me félicite d’avoir des collègues tels que lui, ayant eu une véritable expérience professionnelle leur conférant une expertise reconnue, qui ne se limite pas à des mandats politiques. (Applaudissements parmi les députés des groupes La République en Marche et du Mouvement Démocrate et apparentés.)

M. Boris Vallaud. Chacun a pris bonne note de ce que vient de dire le rapporteur général, et je veux assurer M. Maire que nous portons sur son travail un regard objectif, sans tenir compte des fonctions qu’il a pu occuper précédemment. En tout cas, vos applaudissements nous donnent l’impression que vous revenez de quinze jours de thalasso, mes chers collègues ! Vous devriez y aller plus souvent !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur Vallaud. J’ai connu une certaine époque où nous allions aussi en thalasso, comme vous le savez...

Article 25 (suite) : Retraite progressive

La commission est saisie des amendements identiques n° 8434 de Mme Caroline Fiat et n° 8440 de M. Loïc Prud’homme.

Mme Caroline Fiat. Je suis un peu étonnée de ce qu’a dit M. le rapporteur général, car, à ma connaissance, j’étais la seule représentante féminine du groupe La France insoumise cet après-midi, et je sais que je n’ai pas tenu les propos qu’il a rapportés...

M. le rapporteur général. Non, il ne s’agit pas de vous, madame Fiat.

Mme Caroline Fiat. Pour en revenir à l’amendement n° 8434, il vise à supprimer l’alinéa 17 de l’article 25. J’en profite pour remercier les services de M. le secrétaire d’État, qui m’ont montré les modifications du simulateur de retraite, ce qui va me permettre de vous éclairer, tout au long de la soirée, par de nouveaux exemples.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur général, j’imagine que vous faites allusion aux propos tenus cet après-midi sur les réseaux sociaux par notre collègue Mathilde Panot,...

M. le rapporteur général. C’est bien cela.

M. Loïc Prud’homme. ...mais vous auriez tout aussi bien pu citer les propos que j’ai moi-même tenus tout à l’heure devant cette commission, qui faisaient référence aux antécédents professionnels du rapporteur. Jusqu’à preuve du contraire, tout ce que j’ai dit sur la carrière de M. Maire était rigoureusement exact. Il a, notamment, bien été salarié chez Axa, ce qui pose la question du pantouflage. J’assume l’ensemble de mes propos, visant à souligner des éléments de nature, selon nous, à semer le doute sur sa capacité à examiner ce projet de loi avec la neutralité que l’on est en droit d’attendre de la part d’un rapporteur.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. On est également en droit d’attendre une certaine mesure de la part des députés quand ils s’expriment sur les réseaux sociaux...

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. J’émets un avis défavorable aux amendements qui viennent d’être présentés.

M. Éric Woerth. Chacun porte un regard sur le texte en fonction de sa propre expérience professionnelle – dont il doit être fier – et il ne devrait pas y avoir de mises en cause personnelles au cours des réunions de notre commission. Se livrer à ce genre d’attaques dénature le travail parlementaire et a généralement pour effet de rejaillir sur ceux qui colportent ces rumeurs et insinuations insupportables. (Applaudissements parmi les députés du groupe La République en Marche.)

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 22689 du rapporteur général.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Toujours dans l’optique d’un dialogue entre l’entreprise et le salarié au moment où il demande à pouvoir bénéficier d’une retraite progressive, il est proposé de casser le tabou qui fait qu’un salarié a souvent du mal à présenter une demande, de crainte d’être ensuite perçu par l’employeur comme ayant déjà un pied dehors.

Le risque que comporte un délai trop court ou une absence de délai, c’est l’absence éventuelle de réponse, ou bien une réponse négative que l’employeur fera pour se débarrasser rapidement du problème. Quand un salarié demande à bénéficier d’une liquidation partielle, cela nécessite un énorme travail administratif de la part des ressources humaines de son entreprise, qui doivent récupérer toute la carrière de la personne concernée ainsi que les différents régimes dont elle a dépendu.

Il est donc proposé que, dans un premier temps, l’employeur ait l’obligation d’accorder au salarié, dans un délai de deux mois, un entretien qui permettra le dépôt du dossier constitué à l’appui de la demande de retraite progressive. Le mois qui suit devra permettre la finalisation administrative du dossier et, dans un délai de trois mois suivant la demande initiale, l’employeur devra avoir donné une réponse au salarié : à défaut, il sera réputé avoir accepté sa demande.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Il me semble important de laisser à l’employeur un délai raisonnable pour répondre à la demande du salarié, ce qui est le cas du délai de trois mois qui est proposé. Quant à l’obligation faite à l’employeur d’accorder un entretien au salarié dans les deux mois suivant sa demande, elle me semble à l’image de ce qui doit aujourd’hui être mis en œuvre pour construire un nouveau dialogue social apaisé dans l’entreprise, dans le cadre de relations plus directes entre le salarié et son manager – car ce n’est pas toujours l’employeur lui-même qui aura vocation à intervenir dans la procédure qui est ici décrite : dans les plus grosses entreprises, il pourra s’agir de son représentant.

Pour toutes ces raisons, je suis favorable à cet amendement.

Mme Catherine Fabre. Notre groupe est très favorable à cet amendement permettant de favoriser la retraite progressive, et le votera avec enthousiasme.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements n° 21803 de Mme Cendra Motin, n° 344 de M. Xavier Roseren, n° 22067 de M. Philippe Vigier, n° 16895 de Mme Delphine Bagarry, n° 11488 de M. Patrick Vignal, n° 14687 de M. Pierre Dharréville, n° 18780 de Mme Fiona Lazaar et n° 21552 de M. Boris Vallaud tombent.

La commission est ensuite saisie de l’amendement n° 21802 de Mme Cendra Motin.

Mme Cendra Motin. Afin de sécuriser la demande faite par le salarié, qui doit se trouver dans les meilleures conditions possibles pour la présenter, nous souhaitons que le motif de refus éventuel de l’employeur puisse être précisé. Plutôt que de le justifier par « l’incompatibilité de la durée souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise », nous proposons d’invoquer un « motif économique raisonnable », une notion d’usage courant dans l’entreprise, qui permet d’objectiver une réponse par des éléments quantifiés. Cela renforcerait la protection du salarié et ses chances de voir sa demande satisfaite puisque l’entreprise ne pourrait plus se contenter d’invoquer un problème d’organisation sans le préciser. On sait en effet que, confrontées à des demandes de ce type, les entreprises craignent souvent de ne pas savoir comment réorganiser leurs services, ce qui peut être à l’origine de certains blocages.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je comprends parfaitement l’esprit de cette proposition consistant à mieux encadrer la réponse de l’employeur. Cependant, une lecture attentive de votre amendement fait apparaître que, sur le plan juridique, le motif économique raisonnable peut donner lieu à différentes interprétations en droit du travail, et notamment faire référence à des enjeux liés à la productivité ou à la qualité. La rédaction que vous proposez aurait pour conséquence d’élargir la capacité de refus de l’entreprise par rapport à la rédaction initiale, fondée sur la notion d’« incompatibilité de la durée souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise » et faisant donc directement référence à une mise en péril de l’activité économique de l’entreprise.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement afin d’en revoir la rédaction avant l’examen du texte en séance publique.

M. Gérard Cherpion. Effectivement, si on peut comprendre le sens de cet amendement, sa rédaction n’est pas adaptée aux dispositions actuelles du code du travail. La référence à un « motif économique raisonnable » semble trop imprécise, ce qui fait que chaque affaire où elle sera invoquée risque de se terminer devant le juge. En d’autres termes, le principe est intéressant, mais la rédaction n’est pas acceptable.

M. le secrétaire d’État. Votre volonté de bien faire est évidente, madame Motin, mais je crains que votre proposition, si elle était adoptée, ne se traduise par des conséquences inverses à celles qui sont recherchées. Je m’associe donc à la demande de retrait de M. le rapporteur et je me tiens à votre disposition au cas où vous souhaiteriez me consulter lors du travail de réécriture de votre amendement en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

Puis la commission examine les amendements identiques n° 8451 de Mme Caroline Fiat et n° 8457 de M. Loïc Prud’homme.

M. Loïc Prud’homme. Il s’agit de supprimer l’alinéa 18 de l’article 25, et de contester l’idée selon laquelle la retraite progressive n’est pas du choix du salarié, mais est laissée à l’entière appréciation de l’employeur. L’introduction de dispositions visant à ce que le salarié soit entendu dans un certain délai n’y change rien : en dernier recours, c’est toujours l’employeur qui pourra accorder ou refuser le départ en retraite anticipée, et qui trouve là un outil exclusivement à son service pour gérer ses ressources humaines et ses compétences, mais aussi une part de sa masse salariale, puisque les retraites partielles sont financées en partie par les finances publiques.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je vous renvoie à ce que j’ai dit précédemment au sujet des chapeaux d’articles.

Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 8468 de Mme Caroline Fiat et n° 8474 de M. Loïc Prud’homme.

M. Loïc Prud’homme. Il s’agit de supprimer l’alinéa 19. Que le refus de l’employeur doive être justifié par l’incompatibilité de la durée souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise permet à l’employeur de faire entrer tout ce qu’il veut dans cette définition pour accepter ou refuser la demande de retraite partielle.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements, puis suivant l’avis également défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements identiques n° 8485 de Mme Caroline Fiat et n° 8491 de M. Loïc Prud’homme.

Elle en vient aux amendements identiques n° 8502 de Mme Caroline Fiat et n° 8508 de M. Loïc Prud’homme.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. L’alinéa 21 élargit l’ouverture du droit à la retraite progressive pour les nombreux salariés au forfait jours. Il est donc très important, et je suis défavorable à ces amendements qui proposent sa suppression.

La commission rejette les amendements, puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements identiques n° 8519 de Mme Caroline Fiat et n° 8525 de M. Loïc Prud’homme.

Elle est ensuite saisie de l’amendement n° 22661 du rapporteur général.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. L’amendement n° 22661 a pour objet de préciser que, pour les fonctionnaires qui formuleraient une demande de retraite progressive, l’employeur doit répondre dans un délai de deux mois. Si la retraite progressive est de droit dans la fonction publique, il nous semble cependant important de fournir une garantie sur ce point aux salariés concernés, afin qu’ils puissent savoir où ils en sont exactement. Je précise que, dans la mesure où nous venons de voter un délai de réponse de trois mois pour les salariés du secteur privé, nous reverrons la rédaction du présent amendement afin de l’harmoniser en conséquence en vue de la séance publique.

M. Philippe Vigier. Effectivement, en l’état actuel des choses, c’est un délai de trois mois qui s’applique pour les salariés du secteur privé, et de deux mois pour les fonctionnaires. C’est pourquoi, afin d’harmoniser le dispositif, Jeanine Dubié et moi-même avions proposé un amendement n° 22067 visant à ce que le délai soit de deux mois pour les salariés du privé, mais cet amendement est tombé suite à l’adoption de l’amendement n° 22689.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Absolument, nous sommes d’accord sur la nécessité de procéder à une harmonisation.

M. le secrétaire d’État. J’entends les remarques du rapporteur et celles du président Vigier. Dans le droit de la fonction publique, l’absence de réponse à une demande dans un délai de deux mois vaut décision implicite de rejet, en application du code des relations entre l’administration et le public. J’ajoute que tout refus de temps partiel doit être précédé d’un entretien et motivé en application du statut. Enfin, la problématique de l’emploi des seniors ou des fins de carrière n’est pas comparable selon qu’elle se rapporte au secteur public ou au secteur privé.

Indépendamment de l’argumentaire légistique du président Vigier, cette question me semble mériter qu’on l’examine avec un peu de recul. C’est pourquoi, monsieur le rapporteur, je vous suggère de retirer votre amendement afin que nous puissions, avant la séance publique, engager une réflexion sur ce point et vérifier s’il est justifié de faire application d’un parallélisme des formes en la matière.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 25 modifié.

Article 26 : Cumul emploi-retraite

La commission discute des amendements de suppression n° 7831 de M. Éric Coquerel, n° 7833 de Mme Caroline Fiat, n° 7839 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 7847 de M. Loïc Prud’homme et n° 14692 de M. Pierre Dharréville.

M. Éric Coquerel. Il s’agit de supprimer l’article 26, qui vise à permettre le cumul d’une retraite avec l’exercice d’une activité professionnelle dès l’âge minimal de départ. À lui seul, l’exposé des motifs de cet article a de quoi susciter des inquiétudes quant à la vision qu’ont les auteurs de ce projet de loi de la vieillesse et de la question des retraites. On peut ainsi y lire la phrase suivante : « Ces nouvelles dispositions sont articulées avec le droit du travail : l’âge à partir duquel l’employeur peut se séparer d’un salarié demeurera fixé à 67 ans avec son accord et à 70 ans sans son accord, afin de ne pas décourager la volonté de poursuivre une activité professionnelle. »

Cela montre bien la différence entre nos projets respectifs pour la retraite : vous considérez qu’on peut bien vieillir au travail et même que cela constitue un objectif en soi, alors que nous estimons, à l’inverse, que le travail et la production, ne sauraient être l’alpha et l’oméga d’une vie. Pour nous, bien vieillir, c’est justement pouvoir, arrivé à un certain âge, s’adonner à des activités autres que marchandes ou productives. C’est pourquoi ce projet de loi, prévoyant un recul sans fin de l’âge de la retraite et visant à accroître les possibilités de travailler après avoir pris sa retraite, ne nous satisfait pas.

Mme Caroline Fiat. Nous souhaitons supprimer l’article 26 qui, permettant de travailler jusqu’à l’âge de 70 ans, est totalement opposé à notre philosophie. Certes, il ne s’agit en principe que d’offrir une possibilité aux salariés qui souhaiteraient y recourir, mais quand vous faites tout pour diminuer le montant des pensions, il y a fort à craindre qu’il ne s’agisse plus seulement d’une faculté dont disposeraient les salariés, mais d’une véritable obligation s’imposant à eux s’ils veulent toucher une pension leur permettant de vivre dignement.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’article 26 vise à créer, après l’article L. 193-6 du code de la sécurité sociale, une section 3 très conséquente, puisqu’elle est composée de cinquante alinéas. Faut-il en déduire que tout le chapitre constitue une alternative aux dispositions existantes en matière de cumul emploi-retraite ? Par ailleurs, monsieur le rapporteur, pouvez‑vous nous expliquer pourquoi ceux qui, en vertu de l’article précédent, auront décidé de ne prendre qu’une retraite partielle afin de pouvoir exercer une autre activité également partielle, ne seront pas soumis aux règles du droit commun, qui permet déjà de reprendre un emploi après l’âge de la retraite ?

M. Loïc Prud’homme. L’article 26 vise à inciter – ou à obliger, puisque la frontière entre ces deux orientations est assez floue – les salariés prenant leur retraite à continuer d’occuper un emploi, alors qu’ils pourraient se contenter de profiter de cet âge de la vie qu’est la retraite pour faire autre chose. Nous l’avons déjà fait en abordant l’article 25, mais nous sommes encore plus fondés à le faire avec celui qui le suit, il convient ici de rappeler la problématique que constitue le marché de l’emploi en France, gros de 8 millions de chômeurs. Cet aspect essentiel semble tout à fait absent de votre projet, ce qui fait que, non seulement vous allez faire des retraités pauvres, obligés de travailler pour vivre avec un minimum de dignité, mais ces personnes vont occuper des places qui pourraient l’être par des demandeurs d’emploi. Saturer ainsi le marché de l’emploi nous paraît très préoccupant car, ce faisant, vous empêchez les chômeurs d’accéder à un emploi, ce qui a des conséquences économiques, mais aussi sociales et financières, car un emploi permet à la fois de créer du lien et donne lieu à des cotisations qui viennent alimenter le système.

M. Pierre Dharréville. Pour nous, la première chose à faire, c’est d’assurer un véritable droit à la retraite – ce que votre projet ne fait pas –, avant de mettre en place une protection collective, des règles permettant à chacun d’être conforté dans ce droit, donc de ne pas avoir besoin de continuer à travailler au-delà d’une limite raisonnable. Or cette limite se trouve ici franchie si l’on se réfère à l’exposé des motifs de l’article 26, où vous indiquez que cet article a pour objet d’accroître l’attractivité du dispositif de cumul emploi-retraite : vous souhaitez donc augmenter le nombre de seniors, y compris retraités, dans l’emploi. Il s’agit bien ici de faire travailler les gens jusqu’à l’épuisement. Franchement, on marche sur la tête !

En page 557 de l’étude d’impact, à la rubrique « Impact social », on trouve les quelques lignes suivantes : « En 2017, 45 % des personnes cumulant une activité avec une retraite sont des femmes et, dans le régime général des salariés, la proportion est de 48 %. L’attractivité actuelle du dispositif semble donc partagée et l’avantage que représente la constitution de droits nouveaux est susceptible d’intéresser les femmes comme les hommes. Cependant, ce dispositif bénéficiera d’autant plus aux femmes que leurs retraites sont actuellement moins élevées. » Si ce dispositif est censé constituer une avancée pour les femmes, c’est donc parce qu’elles perçoivent de faibles retraites. Quel aveu !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Il ne faut pas déflorer l’intégralité du dispositif, que nous allons examiner en détail dans le cadre de cinquante discussions différentes. Pour le moment, je me bornerai à dire que, pour l’employé, le cumul emploi‑retraite est déjà pratiquement généralisé – du moins est-il possible dans les différents régimes – et mis en œuvre dans les conditions qui ont été indiquées précédemment. Avec l’article 26, il s’agit de permettre au salarié d’acquérir des droits nouveaux. Je ne me lancerai pas dans des considérations ayant pour objet de savoir si une personne de moins à la retraite se traduit automatiquement par une personne de plus sur le marché de l’emploi. Nous savons tous que l’économie obéit à des mécanismes bien plus complexes, incluant des transferts de compétences et des contributions de différents acteurs économiques, apportées à différents âges. Tout ce que je veux dire, c’est que, dans un souci de justice, nous voulons offrir à des milliers de Français de cesser de cotiser pour rien : demain, les cotisations ouvriront droit à des contreparties.

M. Hervé Saulignac. Si l’on encourage le cumul emploi-retraite, c’est que l’on prévoit que les pensions de retraite seront insuffisantes – à quoi bon, sinon ? Vous usez souvent, parmi vos éléments de langage, de la liberté de choix pour le départ à la retraite. Or l’article 26 me semble créer plus de freins et de contraintes qu’il n’offre de marges de liberté.

Le rapporteur vient de dire qu’il permettrait d’ouvrir de nouveaux droits à la retraite aux retraités qui continueraient à exercer une activité. Toutefois, si on lit le texte un peu plus dans le détail, on s’aperçoit qu’on ne pourra acquérir de droits qu’à partir de l’âge d’équilibre. Est-ce à dire que les gens qui seront partis par exemple deux ans avant cet âge, lorsqu’ils travailleront, cotiseront sans acquérir de droits ? Si oui, n’y a-t-il pas là une forme de rupture d’égalité ? Surtout, ne va-t-on pas contraindre les gens à travailler encore plus longtemps pour atteindre l’âge d’équilibre ?

M. Jean-Pierre Door. Nous n’entendons certainement pas supprimer ce mécanisme que Les Républicains ont encouragé depuis des années, notamment à travers les dispositifs de 2003 et de 2014, régulièrement modifiés. Certains professionnels ont envie de travailler pendant la retraite. Plus de 12 000 médecins utilisent le cumul emploi-retraite, par exemple pour assurer la permanence des soins ou mener une activité réduite dans un désert médical, en regrettant toutefois l’impossibilité d’acquérir des droits. Ils s’acquittent, à l’heure actuelle, d’une cotisation proportionnelle au revenu, la cotisation au titre de l’invalidité et du décès ayant été supprimée. Comment les nouveaux droits à pension seront-ils calculés, et à partir de quelle date s’appliqueront-ils ? Quelle sera la situation de ces praticiens lorsque la loi sera promulguée ?

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, si nous aimons entrer dans le détail, c’est que le diable s’y cache souvent, comme nous avons pu le révéler ces derniers jours. Ainsi, il apparaît très clairement que vous entendez favoriser l’activité la plus longue possible, même après l’âge d’équilibre. Les cinquante alinéas de l’article fixent des conditions en ce sens. Pourquoi pousser les gens à travailler au-delà d’un certain âge – on parle de 70 ans ? Quel est ce modèle de société qui prescrit qu’on doive continuer à accumuler des revenus en travaillant au-delà du raisonnable ? Sans doute le même qui préconise le travail dominical... Ce modèle de société ne me convient absolument pas, d’autant qu’il contribue à faire en sorte de ne pas libérer les emplois pour les jeunes générations. Si vous le défendez, c’est parce que vous nous préparez un système dans lequel les retraités ne pourront pas percevoir des retraites correctes avant très longtemps. Resteront alors deux possibilités : soit préparer, tout au long de la vie, une retraite par capitalisation, soit travailler bien au-delà de l’âge d’équilibre.

M. Olivier Véran. Nous ne prônons pas une société dans laquelle les personnes qui auraient fini de cotiser et qui pourraient prendre leur retraite seraient contraintes de continuer à travailler pour augmenter leur niveau de vie. Mais nous ne souhaitons pas non plus une société de la contrainte et de l’interdit, comme vous semblez l’appeler de vos vœux à travers votre amendement qui vise à empêcher les personnes qui souhaiteraient conserver une activité de le faire dans de bonnes conditions. Nous ne voyons aucune raison de les priver de cette possibilité ; nous ne cherchons pas non plus à les y encourager, encore moins à les y obliger ; nous voulons simplement la leur ouvrir.

Je rejoins les propos de Jean-Pierre Door. À chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), je crois bien que tous les groupes sont d’accord pour augmenter le plafond de revenus afin d’inciter les médecins libéraux à continuer à exercer une activité, une fois retraités. Vous êtes très contents qu’on leur accorde cette faculté – mais aussi à d’autres catégories professionnelles –, dans le cadre de la lutte contre les déserts médicaux. Je vous invite à relire les comptes rendus des débats budgétaires que nous avons à l’automne. Les députés de la gauche – de toutes les gauches – se sont joints très largement à nous pour adopter des amendements permettant à des retraités de continuer à travailler. Je vous invite à faire preuve d’un peu de cohérence. Ne nous cornérisez pas en faisant croire que nous promouvons un modèle de société dans lequel on sera obligé de travailler au-delà de l’âge de la retraite, ce qui est faux. Nous refusons simplement la société de l’interdit : celle-là, c’est vous.

M. Jean-Paul Mattei. Cette mesure correspond à un besoin de la société. Bien des personnes souhaitent partager leur expérience – des médecins, mais aussi des professionnels du droit ou de l’expertise. Je considère comme une simplification bienvenue que ces praticiens expérimentés puissent conserver une activité rémunérée dans la même entreprise. Préféreriez-vous qu’ils créent une société de conseil, qu’ils facturent des prestations à travers des montages pas toujours très transparents ? D’ailleurs, on n’empêche personne de boursicoter derrière son ordinateur à 75 ans et de créer du capital. Cette disposition concerne des activités très ciblées, liées à l’expérience de toute une vie. C’est, à mes yeux, un système sain, transparent, équitable, qui permettra d’acquérir quelques points pour la retraite sans grand risque pour l’équilibre.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 8367 de M. Éric Coquerel, n° 8371 de Mme Caroline Fiat, n° 8550 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 8555 de M. Loïc Prud’homme.

M. Éric Coquerel. Monsieur Véran, ce qui est ici en jeu, c’est une conception philosophique de la société. Pour notre part, nous ne sommes pas pour un modèle social dans lequel le travail serait prolongé de manière indéfinie et d’autant plus tard qu’il faudra attendre un âge sans cesse plus élevé pour obtenir des moyens de subsistance corrects et dignes. L’article ne peut être isolé de la réforme dans laquelle il s’inscrit, qui vise à reculer globalement l’âge de départ à la retraite, au moyen du bonus-malus. La disposition en discussion ne concerne pas seulement les médecins – sinon, vous l’auriez l’écrit : elle vise à favoriser le cumul entre l’emploi et la retraite jusqu’à je ne sais quel âge. Nos deux choix de société sont différents.

Mme Caroline Fiat. Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l’alinéa 1er. M. Véran a affirmé que nous aurions voté, lors de l’examen du PLFSS, une disposition favorisant la prolongation de l’activité des médecins libéraux et leur permettant d’accroître leurs revenus. Je ne remets pas en cause ses propos, mais je vais quand même vérifier, car il m’étonnerait beaucoup que, pour ma part, je me sois prononcée en ce sens.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je trouve le débat très éclairant. Monsieur Véran, vous avez cité l’exemple des médecins. Je vais naturellement regarder ce que les uns et les autres ont voté, mais il s’agit, en l’occurrence, d’une profession en tension : nous avons des déserts médicaux un peu partout. Qu’on demande aux hommes de l’art de rester un peu plus longtemps, parce qu’on manque de bras, on le comprend. Toutefois, ne plaçons pas sur le même plan la profession médicale en tension et toutes les autres – je dis bien toutes les autres, sinon nous n’aurions pas un tel taux de chômage.

Par ailleurs, ne faisons pas comme si ce projet de loi avait inventé le cumul emploi‑retraite. Des dispositions de cet ordre, il y en a depuis 2003, et les règles changent tous les deux ans ! C’est pourquoi j’ai demandé ce que ces dispositions allaient changer. Je suis en désaccord avec votre projet, parce que, très majoritairement, les gens restent au travail parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Bien sûr, certains veulent continuer par goût, par plaisir ou parce qu’ils pensent pouvoir être utiles en poursuivant leur activité, mais ce n’est pas le cas de la grande majorité. Priorité aux jeunes ! Ils sont 19 % au chômage, 540 000 personnes ! Les aînés peuvent passer leur tour, faire autre chose, par exemple prendre leur retraite.

M. Loïc Prud’homme. Le cumul emploi-retraite est, à l’heure actuelle, une possibilité exceptionnelle plutôt utilisée par la catégorie des CSP+, et qui répond, comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon, à des situations qui le sont tout autant. Vous entendez maintenant favoriser ce dispositif pour toutes les professions. Compte tenu de l’espérance de vie moyenne – je ne parle pas de celle des personnes exerçant des professions intellectuelles, préservées de la pénibilité –, je vous propose que les soi-disant droits nouveaux acquis durant cette période soient comptabilisés pour obtenir un cercueil gratuit auprès des pompes funèbres.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Constatons au moins une différence de philosophie. Nous pensons qu’il faut laisser les Français choisir leur vie et qu’il ne faut pas déterminer à leur place ce qui est bien pour eux. Nous considérons qu’il faut les laisser travailler s’ils le souhaitent, et cotiser et acquérir des droits. La proposition de certains de les laisser continuer à travailler et à cotiser sans contrepartie parce que c’est mieux pour eux s’apparente à un diktat qui me paraît parfaitement antilibéral, au sens large du terme.

Cela étant, le cumul emploi-retraite recèle des dangers dont nous avons conscience. Le cumul peut être partiel ou intégral. Quel scandale, avez-vous dit, de devoir subir une décote lorsqu’on utilise le dispositif avant l’âge de la retraite. Nous estimons que le recours au dispositif avant l’âge d’équilibre comporte un risque d’externalisation : un employeur pourrait vouloir se séparer d’un salarié pour le réembaucher en le payant moins, puisqu’il aura liquidé sa retraite. Ce risque, président Mélenchon, nous le combattons de deux façons. D’une part, nous instituons un délai de carence de six mois, qui rendra difficile pour un employeur de se séparer d’un salarié pendant ce laps de temps avant de le réembaucher. D’autre part, avant l’âge d’équilibre, le salarié n’acquerra pas de points. Du fait de ce risque d’externalisation, nous ne souhaitons pas généraliser le cumul partiel et limitons la rémunération à 160 % du SMIC ou à la moyenne des revenus d’activité des trois derniers mois.

Une fois dépassé l’âge d’équilibre, le salarié bénéficie du régime du cumul intégral : il n’y a plus de risque de manipulation. Le salarié peut partir à taux plein et n’est plus soumis à la moindre pression. Il peut faire le choix de continuer son activité. Il n’a pas à respecter de délai de carence et perçoit l’intégralité de ses points. La distinction entre les deux situations permet d’éviter tout abus de la part de l’employeur en cas de cumul partiel.

Avis défavorable aux amendements.

M. Jean-Luc Mélenchon. On constate, au fil des débats, que l’âge légal de départ à la retraite est quasiment une fiction puisque nous discutons comme si une masse de gens allaient se trouver en situation de malus. L’âge véritable de la retraite, celui auquel les gens auront la totalité de leurs points, c’est l’âge pivot – au moins la commission aura-t-elle permis de confirmer ce point, alors qu’on pouvait croire qu’il s’agissait d’une option.

Monsieur Maire, vous avez raison, nos avis divergent, mais vous nous faites un mauvais procès en disant que nous prétendons décider de la vie des gens à leur place. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de liberté là où il y a une contrainte. La moyenne des pensions qu’auraient dû toucher les gens qui cumulent leur retraite avec un emploi aujourd’hui, est de l’ordre de 1 020 euros, soit un montant inférieur au seuil de pauvreté. Voilà la raison pour laquelle ils continuent à travailler. De quelle liberté disposent-ils ? Si vous êtes Parisien, essayez de vivre avec 1 000 euros : compte tenu du montant des loyers, c’est absolument impossible. Dans bien des endroits de notre pays, les gens font face à des difficultés de cette nature.

Quand on a voté la retraite à 60 ans, beaucoup disaient : priorité aux jeunes. Quand la situation est telle que 19 % des jeunes n’arrivent pas à trouver d’emploi, la priorité est qu’ils puissent aller bosser et commencer à construire leur vie. En notre qualité de représentants de la société dans son ensemble, nous avons le droit d’arrêter un arbitrage et de dire que l’important, c’est que les plus jeunes commencent leur vie dans de bonnes conditions, donc pas au chômage. Cela suppose que leur place ne soit pas occupée par d’autres.

M. Bruno Fuchs. La difficulté des jeunes à trouver un emploi est liée aux cycles économiques : tantôt l’économie stagne, la croissance est faible, tantôt l’économie crée des emplois. Aujourd’hui, un tiers des entreprises ne trouvent pas les collaborateurs qui répondraient à leurs besoins. On dénombre en France près de 500 000 apprentis. Quoi de plus beau, pour une personne arrivant en fin de carrière, que de transmettre son savoir ? Il faut bien que quelqu’un apprenne un métier, transmette une expertise, un savoir à ces 500 000 jeunes. Si le salarié le souhaite, il peut s’y consacrer pendant deux ou trois ans. Nous n’imposons rien, c’est la différence entre nous.

M. Thibault Bazin. Je suis, comme Éric Woerth, très favorable au cumul emploi‑retraite pour ceux qui le souhaitent. Certes, il faut éviter les abus, mais on peut aussi envisager les choses avec bienveillance. Les activités mentionnées aux alinéas 6 à 10, qui peuvent être exercées auprès du même employeur, ne sont-elles pas définies de manière trop restrictive ? Par exemple, un salarié peut vouloir retravailler dans une société quelques mois après l’avoir quittée. Par ailleurs, l’alinéa 20 ne rend possible l’acquisition de points qu’à compter de l’âge d’équilibre. Ne serait-il pas juste de permettre au retraité qui souhaite retravailler – parfois parce qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts –, d’acquérir des points s’il le fait dans une autre entreprise ? Le changement d’employeur me semble constituer un garde-fou.

M. Boris Vallaud. J’ai le sentiment que l’article n’est pas très bien ficelé. Il est assez manifeste que, selon les cas, un euro cotisé ne créera pas les mêmes droits. Jusqu’à l’âge d’équilibre, on cotisera sans se créer de droits – je me demande, d’ailleurs, si ce n’est pas une atteinte au principe d’égalité. Les points acquis dans le cadre du cumul seront-ils soumis aux règles applicables aux actifs, en termes de valeur de service et de rachat ? S’il s’agit du même employeur, aura-t-il l’obligation de tenir compte de l’ancienneté du retraité ou l’embauchera‑t‑il comme s’il commençait sa carrière ?

Par ailleurs, le texte indique que le cumul emploi-retraite est conditionné à l’atteinte de l’âge d’équilibre ou de l’âge légal, « s’il est supérieur à cet âge d’équilibre ». Pouvez-vous donner des exemples de cas où l’âge légal dépasse l’âge d’équilibre ? Ces situations peuvent‑elles évoluer pour d’autres métiers ? L’étude d’impact ne dit rien à ce sujet.

Enfin, l’alinéa 43 prévoit que, en fin de carrière, le basculement du chômage vers la retraite s’effectue à l’âge d’équilibre, et non au moment où l’assuré peut partir à taux plein ou, à défaut, à l’âge de 67 ans. Cette mesure me paraît absurde puisqu’aujourd’hui, une personne au chômage ayant cotisé quarante-trois ans, depuis l’âge de 20 ans, peut partir à la retraite à 63 ans, alors que, demain, dans votre projet, cette même personne resterait au chômage jusqu’à l’âge légal de 65 ans. Pouvez-vous me confirmer cela ?

M. Pierre Dharréville. On a évoqué la situation particulière des médecins, comme s’il était souhaitable qu’elle devienne la norme. Pour aller au bout de votre logique, il faudrait appliquer à ceux qui cumulent l’emploi et la retraite, en tous domaines, l’exonération de cotisations dont bénéficient un certain nombre de médecins – la boucle serait ainsi bouclée. Cela donne le sentiment que vous voulez ôter toute sa validité à l’âge de départ et que finalement le rêve de tout un chacun serait de ne pas avoir de retraite et de poursuivre son activité le plus longtemps possible. N’est-ce pas cela, le diktat, la suppression des règles de droit qui assurent l’harmonie de la vie en commun et le respect de principes fondamentaux, et la mise en concurrence des gens ? Nous pensons, au contraire, que la retraite est l’occasion de se libérer des contraintes du travail prescrit : on a bien droit à cela à un moment de son existence. On est bien là dans la logique de la rentabilité de l’humain tout au long de sa vie : il s’agit de le rendre toujours plus rentable, quitte à faire travailler les retraités. Nous estimons, quant à nous, qu’il faut partager le travail et transmettre, passer le relais avant qu’il ne soit trop tard. Tout cela s’organise, mais la proposition que vous nous faites n’est pas conçue pour ça.

Mme Cendra Motin. Contrairement à M. Vallaud, je ne vais pas me livrer à un exercice d’enfumage technique pendant 2 minutes. On a évoqué les médecins ; pour ma part, je prendrai comme autre cas concret celui des apprentis. En région Auvergne‑Rhône‑Alpes, les chiffres de Pôle emploi révèlent un vrai manque de carrossiers : les centres de formation d’apprentis (CFA) régionaux, manifestement sous-dimensionnés, n’ont pas formé suffisamment de jeunes dans ce domaine. Grâce aux modifications apportées par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, désormais, un jeune ayant conclu un contrat en entreprise peut trouver une formation en carrosserie, à condition toutefois d’avoir un maître de stage. Lorsque la population vieillit au sein d’une profession, le cumul emploi-retraite permet heureusement de former de jeunes apprentis et de pallier ainsi la défaillance des pouvoirs publics en matière de formation.

Surtout, je me réjouis que, grâce à cette nouvelle disposition, ces personnes obtiendront des droits au titre de la retraite. J’ai connu l’époque où le cumul emploi-retraite ne donnait lieu qu’à des cotisations patronales, puis celle où s’y sont ajoutées des cotisations salariales qui n’offraient aucun droit en contrepartie. L’injustice de cette cotisation dissuadait beaucoup de retraités d’accepter le dispositif. Nous corrigeons ce défaut, ce qui devrait inciter des gens à rester en activité pour continuer à donner la main à des jeunes dans les métiers en tension et à les faire entrer sur le marché du travail. Cela ne peut pas se faire d’un claquement de doigts.

M. le secrétaire d’État. Ce débat sur la conception que chacun a de la société est intéressant.

Les uns, tels le rapporteur, Mme Motin, MM. Fuchs, Mattei, Bazin, et Door, considèrent qu’elle doit procurer une forme de liberté aux citoyens. En l’espèce, il ne s’agit pas de créer des obligations ; il s’agit d’offrir la possibilité à ceux qui le souhaitent de cumuler un emploi et une retraite et, surtout, d’obtenir des droits de leurs cotisations vieillesse. Cet article n’a pas d’autre objet que de créer les conditions de la liberté pour tous ceux qui souhaiteraient cumuler avec leur retraite un emploi, à temps partiel ou complet, dans un domaine d’activité où ils excellent, où ils sont heureux, où il leur convient de travailler. Aucune obligation ne leur est imposée.

Les autres, comme M. Dharréville et d’autres, s’opposent à cette mesure en arguant que l’on créerait les conditions d’une oppression sociale par le travail, en obligeant certains ou certaines à continuer à poursuivre leur activité. Ce n’est absolument pas le cas : il suffit de lire le texte.

Il y a un grand écart entre les inquiétudes que vous exprimez – que je peux comprendre – et la réalité du projet de loi. Les individus, en France, sont libres, s’ils le souhaitent, de continuer à travailler et de cumuler un emploi, éventuellement à temps partiel, avec leur retraite. Ce dispositif existe d’ailleurs déjà. Nous ne sommes pas en train d’inventer un monde incroyable : c’est la réalité. La seule différence, c’est que, demain, la personne exerçant le cumul bénéficiera de droits à la retraite, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 8698 de M. Éric Coquerel, n° 8804 de Mme Caroline Fiat, n° 8810 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 8816 de M. Loïc Prud’homme.

M. Éric Coquerel. Mme Motin a vanté le modèle du tout-apprentissage. Elle oublie que l’éducation nationale dispense un enseignement professionnel et qu’on n’est plus à l’époque où l’enseignant était forcément le patron ou le maître qui vous apprenait votre métier en entreprise. L’apprentissage doit être un complément. On a compris que votre modèle est celui de l’Ancien régime, ce qui, pour le Nouveau monde, est paradoxal.

Monsieur le secrétaire d’État, vous entendez favoriser le cumul emploi-retraite parce que vous anticipez que les pensions de retraite, dans ce pays, deviendront insuffisantes pour nous éviter de travailler en parallèle. Vous êtes en train de bâtir un système à l’allemande, qui a créé les travailleurs et les retraités pauvres.

Quant à la conception de la liberté, j’assume mon désaccord avec vous. Votre modèle qui consiste, comme dans la réforme Pénicaud, à libérer les énergies en passant de la loi à l’accord d’entreprise ou en facilitant le travail la nuit et le dimanche, nous n’en voulons pas. Nous pensons que la société peut décider que, par exemple, il y a une journée où personne ne travaille pour être ensemble. En cassant les règles, vous allez, sous prétexte de liberté, imposer à des gens de recourir au cumul emploi-retraite ; en raison de la concurrence, ceux qui ne le feront pas seront perdants. Nous sommes en désaccord avec cette vision d’une société sans règles.

Mme Caroline Fiat. Nous souhaitons, par cet amendement, supprimer l’alinéa 2.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit qu’il fallait laisser le choix à une personne de travailler, si elle le souhaitait, jusqu’à 70 ans. Toutefois, les règles et les lois ont aussi pour raison d’être d’encadrer, de sécuriser. Il fut un temps où un député pouvait être maire, car le choix lui était offert de cumuler les mandats. Puis on a considéré qu’il fallait encadrer les choses et on a mis fin à cette faculté. Il ne faut pas nécessairement toujours laisser le choix aux personnes ; il faut aussi savoir encadrer.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous rappeler que le pourcentage de seniors occupant un emploi est de 31 % en France, contre 44 % dans l’Union européenne. Le système en place est donc une trappe à chômage pour nos aînés. À quoi va conduire le développement de ce dispositif du cumul emploi-retraite, qui existe d’ores et déjà et auquel vous apportez quelques améliorations qui ne méritent pas que nous fassions des sauts périlleux arrière ? À la mise en concurrence sur le marché de travailleurs pas chers, subventionnés par les cotisations chômage, avec des gens d’expérience équivalente, peut-être un peu plus jeunes. Les patrons emploieront les premiers et laisseront les seconds dans la trappe à chômage. Cela va tirer les salaires de tout le monde vers le bas ou – mais les deux phénomènes peuvent se conjuguer – maintenir hors du marché de l’emploi une classe d’âge de gens expérimentés, proches de la retraite ou un peu plus jeunes.

M. Jean-Luc Mélenchon. N’oublions pas, dans nos considérations sur la société, ces 23 millions d’ouvriers et d’employés qui vivent des situations de travail usantes. Nous nous battons pour qu’ils puissent partir à la retraite dans des conditions dignes et décentes. Parmi les gens qui choisissent de continuer à travailler après l’âge de la retraite, certains le font certes par vocation, mais la grande majorité le fait parce qu’elle n’a pas le choix, parce qu’il lui faut ces revenus pour subsister.

Par ailleurs, s’agissant des jeunes, j’affirme que si vous bloquez la chaîne des âges à un bout, vous favorisez l’embauche de ceux qui sont à l’autre bout – les jeunes – et vous réanimez ainsi la consommation populaire, donc la production, donc la croissance. Je dis cela à l’intention du collègue qui abordait la question sous l’angle des cycles ascendants et descendants. Les personnes les plus âgées ne sont pas celles qui dépensent le plus : elles économisent et elles épargnent, tout le monde le sait.

Enfin, sur l’enseignement professionnel, souhaiter qu’un maximum de jeunes entre en apprentissage est une idée absolument inouïe. Ça coûte un fric fou et ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre !

M. Thibault Bazin. L’apprentissage, c’est le meilleur moyen d’intégrer les jeunes !

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Monsieur Bazin, certaines activités font l’objet de mentions spécifiques aux alinéas 6 à 10 du fait de leur nature particulière. En effet, l’enseignement artistique, les professions littéraires et autres ne donnent pas forcément lieu à un contrat de travail. Pour les autres, l’obligation de rupture avec l’employeur n’empêche pas, en cas de cumul intégral, de pouvoir retravailler avec le même employeur dès le lendemain matin.

Monsieur Vallaud, je reconnais que l’âge d’équilibre est d’application complexe puisque cet âge, qui est fixé à un moment donné et a une portée générale, peut aussi être décliné de façon différente en fonction des dérogations permettant un départ anticipé. À titre d’exemple, il est abaissé à l’article 28, pour les carrières longues, et à l’article 29, pour la retraite anticipée en cas de handicap. Dans ces cas, les assurés peuvent bénéficier du cumul emploi-retraite intégral dès l’âge de 62 ans, sans avoir à attendre l’âge d’équilibre de droit commun.

Par ailleurs, vous observez que la mesure visant à prévenir une éventuelle manipulation de la part de l’employeur désireux d’externaliser l’emploi à des moments de vulnérabilité du salarié, a pour conséquence le travail sans contrepartie en termes de points. C’est vrai, mais nous l’assumons.

Avis défavorable aux amendements.

M. Boris Vallaud. Je remercie le rapporteur pour sa tentative d’explication. Je m’interrogeais aussi sur l’article 43 concernant le basculement d’une personne au chômage en fin de carrière et les conséquences du cumul emploi-retraite. Par ailleurs, pour les carrières longues, l’âge d’équilibre est fixé à 62 ans. Il n’y a donc pas de différence et, en l’occurrence, l’exemple que vous avez cité n’était pas pertinent. J’avais posé d’autres questions sur la valeur du point et la valeur de service : que se passe-t-il pendant les deux ans où il ne se crée pas de droits ?

Et puis, Mme Motin, plutôt que de parler d’« enfumage technique », peut simplement dire qu’elle n’a pas compris : il n’y a rien d’infâmant à cela ! Moi, quand vous parlez, je ne vous comprends pas toujours. Ayez cette modestie !

M. Thibault Bazin. Je comprends mieux l’alinéa 5, mais je me demande s’il ne faudrait pas le rédiger différemment pour clarifier la possibilité de retravailler avec le même employeur pour les activités qui n’y sont pas mentionnées.

L’interprétation de l’alinéa 20, que nous ne pourrons sans doute pas examiner, est aussi très importante pour moi : ne peut-on permettre à un assuré d’acquérir des points avant l’âge d’équilibre ? Certaines personnes ayant liquidé leur retraite avant l’âge d’équilibre pourraient se rendre compte quelques mois plus tard qu’elles veulent retravailler. Il serait juste qu’elles puissent acquérir des points. J’ai bien compris que vous vouliez éviter des abus, mais il faut aussi prévoir, de manière bienveillante, les cas où cela permettrait à une personne de gagner des points supplémentaires pour sa retraite.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques n° 9074 de M. Éric Coquerel, n° 9082 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 9086 de M. Loïc Prud’homme et n° 9087 de M. Adrien Quatennens.

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour compléter mon propos sur notre souhait de déplacer le curseur vers les jeunes, on nous a opposé l’idée qu’ils seraient très bien en apprentissage et fort heureux de cette condition. La situation actuelle ne résulte pas d’une défaillance de la puissance publique, c’est la conséquence d’un choix. L’apprentissage est une des techniques nécessaires à la pédagogie du parcours professionnel, mais elle ne vaut pas d’accueillir 500 000 personnes : les entreprises n’ont pas vocation à former des jeunes – en tout cas pas 500 000 ! Croyez-vous que le métier d’enseignant n’existe pas ? Je défends l’enseignement professionnel public, qui a dans ses moyens l’apprentissage mais aussi tous les autres. On a fermé 1 300 lycées professionnels, alors il ne faut pas s’étonner, ensuite, que l’on manque de main-d’œuvre qualifiée ! De plus, on a complètement changé le statut du bac professionnel, qui se passe désormais en trois ans, voire en deux ans, au lieu de quatre auparavant : cela veut dire que dorénavant, on n’a plus la capacité de former les cadres intermédiaires qui sont indispensables dans une nation développée possédant une industrie.

M. Loïc Prud’homme. L’apprentissage et la relation à l’emploi des jeunes sont un leurre absolu ! Dans tous les métiers techniques, pénibles, dans le bâtiment et les travaux publics, la main est intimement liée au cerveau. Mais si le cerveau marche bien, encore faut-il que la main fonctionne. L’apprentissage doit se faire avec des tuteurs éloignés de l’âge de la retraite, en pleine capacité technique et manuelle, qui enseignent les bons gestes à leurs apprentis. Reste qu’il n’est pas, pour nous, l’alpha et l’oméga pour la transmission des compétences d’une génération à l’autre.

M. Adrien Quatennens. On comprend, avec ce projet de loi, que la liquidation complète d’une retraite se fait de plus en plus tard. Avec l’alinéa 3, on envisage donc une activité après 64, 65, 66 et même 67 ans, si l’on en croit les âges d’équilibre prévus dans le rapport Delevoye. On doit tout de même pouvoir réaffirmer que l’on peut faire autre chose à ces âges : la limite, pour nous, est fixée à 60 ans. Nous avons fait la démonstration que l’on pouvait tout à fait la financer sans que cela soit très douloureux. Nous pourrions donc ajouter d’autres alinéas qui seraient consacrés à la question essentielle du financement de la retraite à un âge digne avec un bon niveau de pension.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. Je ne vais pas engager un débat avec le président Mélenchon, qui a été ministre délégué à l’enseignement professionnel il y a quelques années. Je ne répondrai pas non plus à l’ensemble des commentaires macroéconomiques sur le rôle de l’apprentissage dans une économie industrielle. Je dirai simplement à M. Bazin que nous n’avons pas la capacité aujourd’hui de définir un système de droits pour l’ensemble des cas particuliers. Si nous prévoyons qu’il n’y a pas de point dans le cadre d’une liquidation partielle, c’est pour éviter les abus : si la personne se rend compte, quelques semaines ou quelques mois après, qu’il faut repartir au travail parce qu’elle s’ennuie, elle peut le faire et il n’y aura absolument aucune dégradation de droits par rapport à la situation actuelle.

Nous n’aurons malheureusement pas l’occasion de discuter des différentes dispositions abaissant l’âge d’équilibre afin d’autoriser un départ anticipé. Puisque le temps nous est compté, je les cite pour mémoire, pour vous montrer que l’âge d’équilibre existe mais qu’il est adapté en fonction des circonstances de la vie : abaissement de l’âge d’équilibre de deux ans pour les retraites anticipées pour carrière longue, à l’article 28 ; abaissement de l’âge d’équilibre à l’âge de départ de l’assuré dans le cas d’une retraite anticipée pour handicap ; abaissement de l’âge d’équilibre à l’âge de départ de l’assuré dans le cas d’une retraite anticipée pour inaptitude au travail ; abaissement de l’âge d’équilibre à l’âge de départ de l’assuré dans le cadre de l’article 32 en cas d’incapacité permanente. En conjuguant l’âge d’équilibre avec des dispositifs spécifiques, nous démontrons que nous nous préoccupons sérieusement des personnes dont les difficultés de carrière rendent difficile le maintien dans l’emploi.

Avis défavorable aux amendements.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur, vous regrettez que l’on ne puisse pas étudier certains cas de figure, notamment le cas de personnes qui seraient en situation d’inaptitude permanente. Permettre aux gens malades ou qui ne sont plus en capacité de travailler de partir plus tôt, ce n’est pas vraiment ce que j’appelle un progrès ! C’est une adaptation à une régression sociale terrible, à savoir votre âge d’équilibre et votre bonus‑malus, dont certaines personnes vont devoir réchapper, notamment tous ceux qui sont dans l’incapacité physique de continuer à travailler. C’est plus de la charité que de la solidarité comme nous la connaissions jusqu’à maintenant !

M. Jean-Jacques Bridey. C’est déjà le système actuel !

M. Éric Coquerel. Mais non, ne dites pas n’importe quoi !

M. Hervé Saulignac. Je veux vous remercier, monsieur le rapporteur, pour votre très grande honnêteté. Vous avez en effet dit, à voix basse mais tout de même, que vous assumiez de faire travailler des retraités sans que cela leur ouvre de droits.

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II. C’est le système actuel !

M. Hervé Saulignac. C’est tout de même carrément gonflé ! Depuis des semaines, vous nous répétez qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits, et vous avouez ce soir que c’est faux et que cette formule est vide de sens. Votre règle ne vaut rien ! Que va-t-il se passer ? Des femmes ou des hommes, usés par leur travail, continueront à partir à la retraite à l’âge légal de 62 ans, puisqu’il est maintenu. Quand ils constateront que leur pension n’est pas grasse, vous leur répondrez qu’ils peuvent travailler mais que, pas de chance, ils cotiseront sans que cela leur ouvre de nouveaux droits. Reconnaissez quand même que votre conception de l’égalité et de l’universalité est assez curieuse ! À partir de ce soir, vous ne pouvez plus dire qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits parce que c’est faux !

M. Gérard Cherpion. Je trouve insupportable que l’on oppose la formation professionnelle et les CFA. Les lycées professionnels ont tout leur rôle, correspondent à certains jeunes, tandis que les CFA correspondent à d’autres jeunes ou à d’autres choix de parcours, et les jeunes ont le droit de choisir. La formation par apprentissage se fait dans le cadre d’un contrat de travail qui permet à des jeunes d’entrer en emploi très rapidement, contribuant ainsi à diminuer le taux de chômage. On ne peut pas, d’un côté, se plaindre que 19 % des jeunes sont au chômage et, de l’autre, dire qu’il ne faut pas de contrat de travail en apprentissage. De plus, en transmettant les savoir-faire, les chefs d’entreprise s’engagent dans l’apprentissage : on peut aussi s’en réjouir ! Enfin, les plus jeunes qui entrent en apprentissage bénéficieront des carrières longues. Je ne comprends donc pas cet acharnement contre l’apprentissage. Lycées professionnels et apprentissage ont leur raison d’être et la capacité de former les jeunes.

La commission rejette les amendements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, en cet instant, il nous reste 13 987 amendements à examiner. Comme vous le savez, j’ai convoqué notre commission spéciale demain matin, après-midi et soir, mais compte tenu du nombre d’amendements que je viens de rappeler, il ne me paraît pas possible qu’elle achève en temps utile la discussion des articles du projet de loi ordinaire. En effet, le texte est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique à compter de lundi prochain. D’ici là, il faut évidemment laisser un délai suffisant pour le dépôt et le traitement des amendements en séance. Je vous rappelle qu’en application de l’article 42, alinéa 1, de la Constitution, la discussion portera dès lors, en séance, sur le texte du projet de loi déposé sur le Bureau de notre assemblée.

C’est un constat que j’établis à regret, cela va sans dire. Depuis lundi dernier, notre commission spéciale a beaucoup travaillé. Elle s’est réunie durant près de 75 heures et a examiné 5 566 amendements parmi les 22 220 qui avaient été déposés. Même si cela n’a pas toujours été facile, nos débats ont été de bonne tenue et, bien que nous ne soyons pas parvenus au terme du projet de loi, ses principaux enjeux ont été abordés.

Avant d’en venir à l’examen des articles, nous avons également eu deux journées d’auditions très riches, avec le Gouvernement, les organisations syndicales de salariés, les organisations professionnelles d’employeurs, le Conseil d’orientation des retraites et le Comité de suivi des retraites. Je relève avec satisfaction que ces auditions ont été mentionnées à de nombreuses reprises au cours de nos débats.

Conformément aux décisions prises par le bureau de la commission spéciale, chacun a pu s’exprimer largement. Les discussions ont pu se développer dans des conditions nettement plus généreuses que celles qui président habituellement aux travaux législatifs des commissions. J’en veux pour preuve que nos collègues de La France insoumise, même s’ils n’ont pas défendu les 19 713 amendements qu’ils ont déposés, en ont néanmoins défendu environ un millier. À raison d’une minute en moyenne par amendement, cela représente 17 heures de temps de parole, soit près du quart de notre temps de réunion pour les membres de ce groupe, sans même compter les interventions d’une minute qui ont suivi l’avis du rapporteur.

La commission spéciale a donc beaucoup travaillé, mais elle a aussi bien travaillé. Ce travail ne restera pas lettre morte : les vingt et un amendements qu’elle a adoptés, provenant de la majorité comme de l’opposition, seront examinés en séance publique.

Je veux rendre hommage à nos rapporteurs, qui ont apporté une contribution essentielle aux débats. Leur disponibilité sans faille a été saluée sur tous les bancs. Même si certains des rapporteurs, par la force des choses, se sont peu exprimés, vous savez qu’ils ont tous analysé de façon approfondie les articles du projet de loi qui leur revenaient. Ce travail fera, bien sûr, l’objet d’une publication.

Je remercie le secrétaire d’État de sa présence constante durant ces neuf journées au cours desquelles il a répondu aux interrogations des députés, parfois même à leurs interpellations.

Je remercie aussi l’ensemble des membres de la commission spéciale et, au-delà, tous les collègues non membres qui ont pris part à nos discussions. Toutes leurs interventions ont évidemment été consignées dans les comptes rendus de nos réunions, qui feront également l’objet d’une publication. D’ici à la séance publique, chacun, qu’il soit parlementaire, syndicaliste, journaliste ou citoyen, pourra donc se référer à nos travaux qui, j’insiste, auront été utiles.

Avant que je n’interroge la commission sur la suite à donner à nos travaux, je pense que les représentants des groupes souhaiteront s’exprimer.

M. Stéphane Viry. Nous savions cette issue quasi inéluctable depuis la première minute des travaux de la commission spéciale. Elle pose en creux la question du calendrier et de l’organisation des travaux : n’aurait-il pas fallu admettre dès le départ qu’un texte comme celui-ci nécessitait deux semaines d’examen en commission spéciale, comme cela a pu être le cas pour les projets de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises ou relatif à la bioéthique ? Cela nous aurait peut-être assuré plus de sérénité et laissé l’espoir de terminer l’examen des amendements.

Même si nous n’avons pas eu pour stratégie de déposer des amendements dans le but d’emboliser les travaux de la commission, nous admettons le droit à amendement : c’est un droit de base du député, qui doit pouvoir s’exprimer, faire valoir un point de vue sur un texte. Nous aurions préféré un autre mode de débat, mais nous prenons acte de la décision d’autres groupes.

Nous ressentons à ce stade beaucoup de frustration, pour ne pas dire d’amertume, même si nous n’avons pas débattu en vain. Il n’en demeure pas moins que nous sommes là pour légiférer et que nous n’avons pas pu traiter de questions importantes comme les carrières longues, les retraites anticipées pour handicap, les retraites pour inaptitude, la pénibilité, le minimum retraite et bien d’autres sujets qui constituent le cœur de ce dossier.

Même si certaines causes peuvent l’expliquer, quand une commission n’arrive pas à produire un texte pour la séance, c’est fatalement un constat d’échec. Je forme donc le vœu, madame la présidente, que, sur un sujet aussi sensible pour l’ensemble des Français, la Conférence des présidents fasse preuve de sagesse en organisant un autre calendrier et en nous permettant de travailler dans le respect des droits parlementaires.

M. Jean-Luc Mélenchon. Collègues, malgré l’exaspération que certains peuvent ressentir à notre égard, je vous demande de considérer ce que ce débat signifie pour nous. Loin d’être une question technique, il engage un aspect fondamental de la pensée et de la culture à laquelle nous nous rattachons de longue main : la réduction du temps de travail dans la journée, dans la semaine, dans le mois, dans l’année et dans la vie est la cause constante du mouvement auquel nous appartenons. Les grandes avancées dans ce domaine ont toutes, sans exception, été réalisées par des gouvernements que nous avons soutenus. C’est la raison pour laquelle ce débat est pour nous un grand rendez-vous : avec notre propre vie de militant, avec le pays qui est dans l’ébullition que vous connaissez en ce plus long mouvement social de son histoire, et aussi avec tout ce petit peuple avec qui nous faisons cause commune, qui a tant souffert des jours de grève qu’il s’est infligés, qui continue le combat et à qui nous avons voulu nous sentir liés. Je vous demande de garder cela à l’esprit pour nous comprendre et pour comprendre l’attachement que nous avons eu à défendre, pied à pied, mot à mot, ce qui nous paraissait essentiel.

Je veux donner acte du fait que, nonobstant ces circonstances, nous avons eu, dans cette commission, un débat de haut niveau, qui n’a pas été une simple répétition sans fin des mêmes arguments – le vieux parlementaire que je suis a assisté à d’autres batailles d’obstruction qui étaient loin d’avoir un tel niveau ! On ne peut donc pas vraiment parler d’obstruction : il y a eu un débat et la présidente de séance a permis que, d’un amendement à l’autre, nous puissions compléter notre opinion. Bien sûr, j’ai déploré la réduction du temps de parole, mais nous avons trouvé les moyens de nous adapter pour développer tout ce que nous avions à dire. Une fois de plus, la preuve est faite que le darwinisme existe en politique : nous avons survécu !

Un constat d’échec, je crois que c’en est un pour un calendrier et pour l’idée que tout serait réglé à toute vitesse et sans résistance. De la résistance, il y en a dans toute la société, il y en a dans cette salle. J’ai eu le sentiment qu’à aucun moment, ici, on n’a perdu sa sérénité ; il y a eu quelques moments de tension, mais c’est bien humain quand on reste des heures enfermé.

Je voudrais remercier les collaborateurs de la commission et tous ceux qui ont concouru à la qualité de notre débat. Je voudrais vous dire aussi sans détour que, pour nous, la bataille ne fait que commencer et nous avons la certitude qu’à la fin, c’est nous qu’on va gagner !

M. Pierre Dharréville. Je veux, à mon tour, souligner l’utilité de la discussion que nous avons engagée et qui, ce soir – hélas ! – demeure inachevée. Ce débat de fond est fondamental en ce qu’il révèle des visions de la société qui s’opposent, qui s’affrontent. Pour exposer les idées, les arguments et les visions dont les uns et les autres sommes porteurs, nous avons besoin de temps. Ce débat nous en a donné un peu pour entrer dans le détail d’un certain nombre d’articles, mais pas suffisamment. Pour notre part, nous avons pu démontrer l’existence d’un décalage entre les intentions affichées et la réalité des actes ; lever le voile sur l’impréparation qui a affecté l’écriture de ce texte et, conséquemment, notre travail, ainsi que sur les zones d’ombre qui bien souvent demeurent, même si je donne aux différents rapporteurs acte de leurs gros efforts pour nourrir la discussion. Ils l’ont fait avec sincérité, mais cela n’enlève rien aux insuffisances du texte qu’ils avaient à défendre.

Reste à savoir pourquoi nous nous arrêtons. J’ai bien compris le souhait du Gouvernement que le débat en séance commence dès le 17 février. Mais nous sommes le Parlement souverain : il nous revient, si ce texte nous semble aussi important que nous l’avons dit les uns et les autres, de nous donner les moyens d’en poursuivre l’examen approfondi, tel que nous l’avons commencé. Pour ma part, je n’ai aucune envie de prendre acte de la situation. Je considère que nous devrions interpeller qui de droit pour manifester notre refus de ce calendrier, et exiger de poursuivre cet échange jusqu’au bout, parce qu’il est d’importance pour l’avenir de notre société. Je ne conteste absolument pas l’utilité de ce que nous avons fait jusqu’ici mais, en s’interrompant, la discussion perd un peu de sa saveur.

Pour finir, il faut avoir conscience qu’en interrompant les débats, nous donnons un argument supplémentaire au Conseil constitutionnel, qui pourrait considérer que les droits du Parlement n’ont pas été suffisamment respectés et que celui-ci n’a pu prendre des décisions éclairées.

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, vous avez formulé le constat de l’impasse dans laquelle nous étions du fait de ce calendrier, et vous en avez exprimé des regrets. Nous sommes nombreux à les partager. Vous avez indiqué également que nous avions beaucoup travaillé, que les travaux de cette commission n’étaient pas inutiles. Je partage aussi cette appréciation. Le débat a évidemment été partiel, sans aucun doute escamoté, mais il a été, dans les limites qui nous étaient données, exigeant et de qualité. Et de cela, nous pouvons être satisfaits.

Mais, comme le disait Pierre Dharréville, la question est de savoir pourquoi nous nous arrêtons. Représenter les Françaises et les Français, être une part de leur souveraineté, c’est un honneur exigeant. Or les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à travailler sur ce texte majeur, qui n’est commandé ni par une impérieuse nécessité financière, ni par une urgence, ne sont pas à la hauteur de l’honneur que les Françaises et les Français nous font. Chaque fois que je passe le seuil de cette assemblée, je me souviens que pèse sur nos épaules le fait que moins d’un Français sur deux a voté pour cette assemblée : nous devons leur donner des motifs de retourner aux urnes pour nous accorder leur confiance.

Dès le commencement du débat parlementaire, nous avons demandé qu’un rapporteur d’application soit nommé pour évaluer l’étude d’impact. C’est un droit de l’opposition ; il nous a été refusé. Nous avons demandé à la Conférence des présidents de rejeter l’étude d’impact et le projet de loi du Gouvernement compte tenu de l’avis du Conseil d’État ; cela nous a été refusé. Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, nous avons demandé à ce que la procédure accélérée soit refusée, pour laisser le temps nécessaire à un débat parlementaire de qualité. Et nous en sommes là. Alors que nous aurions pu continuer à travailler au bénéfice des Françaises et des Français, nous finissons sur un océan de silence, qui ne nous permet pas de considérer que la représentation nationale est éclairée comme elle devrait.

Dans les jours qui viennent, il nous appartiendra à tous de n’abdiquer aucune des prérogatives du Parlement. D’ores et déjà, je considère que les vingt-neuf ordonnances de votre projet de loi sont déjà une forme d’abdication. Nous espérons que le débat qui va s’ouvrir dans l’hémicycle ne sera pas escamoté une fois de plus. Nous aurions tous à en avoir honte...

M. Jean-Paul Mattei. Madame la présidente, je vous remercie pour la qualité des débats que vous nous avez permis d’avoir. Je remercie également les rapporteurs qui ont pu s’exprimer, Nicolas Turquois et Jacques Maire, ainsi que les autres, que nous retrouverons dans l’hémicycle. Enfin, je remercie M. le ministre pour sa présence constante et très appréciable. Chacun à votre façon, vous avez contribué à apaiser les débats. C’était important.

Bien entendu, nous sommes amers, car nous n’avons pas pu aller au bout de l’examen du projet de loi. Si nous avons, tout d’abord, assez mal vécu l’obstruction, ces amendements nous ont obligés à nous pencher sur le fond du projet de loi, et j’ai désormais l’intime conviction que c’est un bon texte. Il reste peut-être à parfaire mais il pose des principes pour l’avenir : le compte individuel retraite, le calcul par points, le maintien d’un système par répartition, la Caisse nationale de retraite universelle.

Le temps est maintenant venu de la discussion dans l’hémicycle. Je suis persuadé que les travaux de cette commission vont enrichir nos débats. Les membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne sont plus les mêmes en cette fin de commission qu’au début. L’initiation a parfois été un peu pénible, mais elle était passionnante. J’ai hâte de vous retrouver dans l’hémicycle. Je suis persuadé que nous arriverons au bout de ce texte. Ce sera long, mais nous adopterons une bonne loi pour les Français. Je suis fier du rôle que nous avons joué en tant que représentants de la Nation, dans le respect des Français que nous représentons.

Mme Jeanine Dubié. Ce qui devait arriver arriva... Cette réforme des retraites est en cours depuis deux ans. Le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye avait engagé des négociations puis, devenu ministre, il a brutalement interrompu dans ses travaux. Or la concertation, l’appropriation sont des processus longs. Il s’agit tout de même de fusionner en un seul quarante-deux régimes qui, pour la plupart, avaient été créés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les négociations et les concertations auraient dû continuer.

Des discussions ont bien lieu mais, de façon incompréhensible, pendant que le projet de loi est soumis à notre commission. D’ailleurs, le Conseil d’État en a souligné les insuffisances : l’étude d’impact est incomplète, beaucoup trop d’incertitudes n’ont pas été levées – ainsi du nouvel indice servant au calcul du point qui n’est pas encore connu de l’Institut national de la statistique et des études économiques. À mesure que nous avançons, nous avons bien du mal à appréhender la réforme dans tous ses aspects.

Toutes ces incertitudes altèrent la confiance de nos concitoyens. Pourtant, nous sommes persuadés qu’une refonte de nos régimes de retraite est nécessaire : le système actuel n’est pas juste. Il fallait revisiter notre modèle et l’adapter, certes, mais pas en passant par vingt-neuf ordonnances dont on ne connaît pas les contours !

Quel gâchis ! Bien sûr, le temps passé en commission n’est peut-être pas totalement perdu, mais je crains un bis repetita dans l’hémicycle. Pourquoi donc le Gouvernement a-t-il fixé ces deux dates du 17 février et du 3 mars ? S’il avait accepté de repousser l’inscription à l’ordre du jour, nous ne serions pas dans cette situation. C’était la meilleure solution pour apaiser la situation et avancer. Ainsi, notre commission aurait pu terminer son travail. Ce n’est pas le choix du Gouvernement. Je crains qu’il ne s’obstine dans cette épreuve de force, et le groupe Libertés et Territoires le regrette profondément.

Nous aurions pu améliorer le projet de loi, mais quasiment tous les amendements que nous avons déposés ont été déclarés irrecevables ! On ne peut toucher ni aux âges ni aux points – à rien ! Le Parlement est bien maltraité... J’espère que nous saurons en tirer des leçons pour le travail dans l’hémicycle.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Madame la présidente, tout d’abord, je vous remercie pour la façon dont vous avez mené les travaux. Je remercie également Mmes et MM. Les rapporteurs, ceux que nous avons entendus et ceux que nous espérons entendre bientôt. Je remercie aussi les administrateurs.

Certes, c’est un constat d’échec, mais il était écrit avec plus de 20 000 amendements. Malgré tout, nous pouvons nous féliciter d’en avoir examiné plus de 5 500 – soyons positifs ! Tout ce que nous avons fait n’aura pas servi à rien, même si nous repartons avec le texte initial.

Nous prenons acte de la situation, non sans nous interroger sur l’image de notre institution que nous renvoyons en travaillant de la sorte. Je ne suis pas sûre que nous sortions grandis de cette période. Je rejoins mon collègue Viry : nous avons besoin d’un calendrier et de perspectives pour que ce scénario ne se reproduise pas dans l’hémicycle, car ce deuxième épisode est encore plus important...

Mme Monique Limon. Madame la présidente, je vous remercie pour l’excellente conduite de nos travaux. Monsieur le secrétaire d’État, merci de votre présence et de vos réponses. Merci aussi aux rapporteurs, qui ont répondu avec précision et constance durant les débats.

Malgré des échanges chaotiques et des amendements nombreux qui ne nous ont pas permis de terminer l’examen du projet de loi, ces débats ont eu lieu, et c’est tant mieux. La majorité a joué son rôle, apportant ses éclairages avec vaillance et sobriété, même si nous avons été obligés d’aborder les sujets de fond de manière décousue. Nous le regrettons.

Ce projet de loi constitue une avancée notable : il donne de nouveaux droits aux femmes, aux agriculteurs, aux personnes les plus vulnérables. Nous nous en félicitons. Notre projet de système universel de retraite n’est pas une réforme de plus, mais une refonte globale de nos régimes de retraite. Même si nous n’avons pas réussi à vous convaincre – c’est le moins que l’on puisse dire –, nous soutenons qu’il est plus juste, plus simple et plus solidaire.

Vous pouvez compter sur nous : dans l’hémicycle, nous irons jusqu’au bout pour défendre cette réforme et la compléter par nos amendements.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Viry, il revient à la Conférence des présidents de statuer sur l’ordre du jour et l’organisation des débats en séance publique.

Monsieur Mélenchon, merci d’avoir reconnu que le compromis – sinon le darwinisme... – a prévalu dans nos travaux, et d’avoir souligné la qualité de nos échanges, parfois musclés...

Monsieur Dharréville, je vous remercie d’avoir salué les efforts consentis par nos rapporteurs, et l’utilité du travail accompli par la commission.

Monsieur Vallaud, nous aurons l’occasion de revenir sur l’étude d’impact, puisque votre groupe a demandé à exercer son droit de tirage en vue de la création d’une commission d’enquête sur le sujet.

Monsieur Mattei, vous avez parlé d’amertume. Je peux partager ce sentiment mais, comme vous, je préfère me concentrer sur les débats utiles, et souvent apaisés, qui ont été les nôtres, en dignes représentants de la nation.

Madame Dubié, vous avez souligné à juste titre l’ampleur du travail à accomplir, contrepartie d’une réforme ambitieuse. J’ai envie de vous donner rendez-vous dès lundi, en séance publique, pour poursuivre ce travail considérable.

Madame Firmin Le Bodo, vous présidez vous-même une commission spéciale, et savez comme c’est compliqué. Votre appréciation de nos travaux me va donc droit au cœur. Comme vous, j’attends avec impatience la séance publique.

Madame Limon, je ne peux que déplorer le caractère parfois chaotique de nos débats. J’espère que la séance publique le sera moins.

Je prends acte que notre commission n’est pas en mesure d’achever la discussion des articles du projet de loi ordinaire. Je l’interroge donc sur cette prise d’acte :

Qui est pour ? ...

Qui est contre ? ...

Qui s’abstient ? ...

En conséquence, la commission ne peut adopter de texte et, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Nous nous retrouvons demain, à 9 heures 30, pour examiner les articles du projet de loi organique relatif au système universel de retraite.

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([1])  La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.