N° 2704

 

N° 343

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2019 - 2020

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 20 février 2020

 

le 20 février 2020

 

 

 

RAPPORT

 

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

 

les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention
et la gestion des risques accidentels

 

 

Compte rendu de l’audition publique du 6 février 2020

et de la présentation des conclusions du 20 février 2020

 

 

par

 

 

M. Cédric VILLANI, député, et M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

 

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Premier vice-président de l’Office

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Président de l’Office

 


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Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

 

 

Président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

Premier vice-président

M. Cédric VILLANI, député

 

 

Vice-présidents

 M. Didier BAICHÈRE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

 M. Patrick HETZEL, député  M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur

 Mme Huguette TIEGNA, députée Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

             

 

 

 

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

M. Julien AUBERT

M. Didier BAICHÈRE

M. Philippe BOLO

M. Christophe BOUILLON

Mme Émilie CARIOU

M. Claude de GANAY

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Jean-Luc FUGIT

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Patrick HETZEL

M. Jean-Paul LECOQ

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

M. Cédric VILLANI

 M. Michel AMIEL

 M. Jérôme BIGNON

 M. Roland COURTEAU

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 Mme Véronique GUILLOTIN

 M. Jean-Marie JANSSENS

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Gérard LONGUET

 M. Rachel MAZUIR

 M. Pierre MÉDEVIELLE

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 Mme Angèle PRÉVILLE

 Mme Catherine PROCACCIA

 M. Bruno SIDO


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SOMMAIRE

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Pages

Conclusions de l’audition publique  Â« les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et la gestion des risques accidentels Â»

travaux de l’office

I. compte rendu de l’audition publique du 6 fÉvrier 2020

A. PREMIÈRE TABLE RONDE :

B. SECONDE TABLE RONDE :

II. EXTRait du compte rendu de la réunion de l’opecst du jeudi 20 fÉvrier 2020 présentant les conclusions de l’audition publique

ANNEXES

– Documents présentés par certaines personnes auditionnées Ã  l'appui de leur intervention :

ANNEXE I


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   Conclusions de l’audition publique
« les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et la gestion des risques accidentels Â»

L’Office a organisé le 6 février 2020 une audition publique, ouverte à la presse et aux questions des internautes, consacrée aux enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et la gestion des risques accidentels. Cette audition faisait écho à deux évènements survenus en 2019 : l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril et l’incendie de l’entreprise Lubrizol à Rouen le 26 septembre. Dans les deux cas, des mesures sanitaires et environnementales ont dû être mises en place pour contrôler la dispersion de polluants émis par les fumées, tels que le plomb pour le cas de Notre‑Dame et divers produits chimiques, dont des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), pour Lubrizol.

L’audition était articulée autour de deux tables rondes : la première centrée sur les mesures et les axes de R&D mis en place en amont des crises, dans une optique de prévention ; la seconde centrée sur la gestion de crise à court terme.

Le premier intervenant était Dominique Robin, d’ATMO Sud, association agréée par le ministère chargé de l’environnement pour la surveillance de la qualité de l’air de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avec les régions Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes, la région PACA accueille en effet de grands bassins industriels, soumis à un risque accru. M. Robin a insisté sur l’importance de la communication et du partage d’information dans ces zones sensibles, que ce soit avec les populations locales mais aussi avec les industriels et les autorités publiques. Cela passe notamment par l’implication active des habitants dans les mesures de prévention, avec, par exemple, la mise en place des « Nez experts Â» qui s’entraînent à reconnaître les odeurs caractéristiques de certains polluants afin de repérer rapidement les signaux faibles. En écho, le Lieutenant-colonel Libeau, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a souligné l’importance de ne pas « prendre [la population] pour des enfants Â» et de former les populations locales, dès l’école, aux gestes de premiers secours et aux comportements à adopter en situation de crise. Il a rappelé également l’importance de ne pas oublier les agents et les employés sur site dans les formations.

Les politiques de prévention de la pollution de l’eau, présentées par Véronique Heim, du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF), ciblent les risques de contamination des sources situées en amont des usines de traitement et des réseaux d’eau potable situés en aval. Des capteurs haute fréquence fixes ou mobiles (sur bouées) et des modèles numériques de transport des polluants permettent au SEDIF d’identifier rapidement l’origine d’une pollution et de déterminer les mesures adéquates. Les principaux axes d’amélioration portent sur le traitement analytique des données perçues (identification, quantification) ainsi que sur l’utilisation potentielle de drones.

L’emploi de cette technologie dans un cadre de gestion de crise a aussi été évoqué par les responsables de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), troisième acteur présent à cette table ronde, pour ses travaux de caractérisation d’incendie. Pour Bernard Piquette, directeur de la Direction des risques accidentels à l’INERIS, l’incendie tient une place particulière au sein des phénomènes dangereux, notamment en termes d’émission de fumées et de dispersion des polluants. L’INERIS mène un certain nombre de tests en interne et en collaboration avec différents acteurs afin de caractériser le comportement des incendies et d’identifier les produits de combustion accidentelle, différents par nature des inventaires réalisés avant incendie. Ces tests permettent d’alimenter et de préciser des modélisations numériques, qui se veulent les plus réalistes possibles, en termes d’échelle mais aussi de ventilation du feu par exemple. Sur ce volet, et afin d’optimiser les mesures, M. Piquette assure que l’envoi d’un drone dans le panache de fumée, pour effectuer des prélèvements in situ, reste la meilleure solution.

Le choix des substances à mesurer et à analyser n’apparaît pas évident. Il repose principalement sur l’état de l’art en toxicologie (la nocivité de certaines substances est reconnue et quantifiée) mais aussi sur les spécificités locales. La définition précise du terme source est une priorité, mais il s’agit d’un exercice difficile, très dépendant de l’accident. Sa caractérisation permet de connaître les éléments impliqués et sous quelle forme ils ont été émis. Connaître la topographie du site concerné et de ses alentours est primordial dans la gestion post-crise, plus particulièrement pour les modélisations de trajectoire de panache, qui doivent tenir compte des spécificités locales. Ce travail est complémentaire des mesures et prélèvements et permet de cibler des zones à risque ou, a contrario, d’en exclure certaines. Avec les moyens actuels, l’INERIS est capable de simuler le comportement du panache sur une dizaine de kilomètres, quelques heures après l’accident, en se fondant notamment sur les premières informations fournies par les pompiers, et plus généralement, les premiers arrivants.

La catastrophe de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001 a été évoquée dans le cadre d’échanges sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Plusieurs intervenants ont recommandé de veiller à limiter l’urbanisation autour des sites industriels. Ces sites, initialement situés à l’écart des grandes agglomérations, finissent par être « rattrapés Â» par les habitations pour lesquelles ils présentent un risque, comme ce fut le cas pour AZF. Il convient donc de réguler ce phénomène via les PPRT, qui doivent également prendre en compte les grandes modifications de paysage. Le Lieutenant-colonel Libeau a cité l’exemple du futur Grand Paris Express et de ses nombreux tunnels, pour lesquels de nouvelles procédures doivent être imaginées (par exemple les modalités d’intervention des secours à grande profondeur).

Les enjeux en termes de santé publique et de risque sanitaire ont surtout été évoqués lors de la seconde table ronde. Les pompiers, en tant que premiers arrivants, forment une population particulière, soumise à une exposition aigüe. Leurs équipements de protection individuelle (EPI tels que les combinaisons, masques, etc.) assurent une première « barrière de sécurité Â», complétée par un suivi médical rigoureux. Le suivi des populations s’avère, lui, plus problématique car l’exposition est plus diffuse, dans le temps et dans l’espace. Dans ce cadre, l’ANSES travaille à la définition des polluants les plus dangereux, à rechercher en priorité en cas de crise (dioxine, plomb, amiante, HAP, etc.), en exposition unique ou en co‑exposition (exposition simultanée à différents polluants). Si la crise et ses éventuels effets aigus doivent être gérés à court terme, le risque chronique doit être surveillé sur le long terme. Les différents acteurs de la table ronde ont tous insisté sur ce point, sur lequel des efforts doivent être menés. Le risque chronique rejoint le sujet des multi-expositions (i.e exposition multi vectorielle), car si les polluants sont souvent d’abord dispersés dans l’air, ils peuvent ensuite se déposer au sol, puis migrer lentement vers les nappes phréatiques et les sous-sols. Comme l’a rappelé le BRGM, ces processus peuvent s’étaler sur des décennies ; une pollution détectée aujourd’hui peut ainsi résulter d’un accident survenu il y a dix ou vingt ans.

Dans ce contexte, la détermination des valeurs dites « de référence Â», qui correspondent à l’état du milieu (air, sol, eau) avant la crise, est essentielle. Ces valeurs permettent de mettre en perspective les concentrations mesurées post-accident et d’attribuer, ou non, les éventuelles pollutions à tel ou tel évènement. Pour Véronique Delmas, d’ATMO Normandie, « il n’existe pas, aujourd’hui, pour des polluants comme les dioxines et furanes, de [valeurs de référence] permettant de situer les niveaux rencontrés. Un gros travail est à faire sur ces questions-là Â».

En s’appuyant sur les retours d’expérience de l’accident de Lubrizol ou de l’incendie de Notre-Dame de Paris, les intervenants des deux tables rondes ont pu exposer en détail les compétences qu’ils ont acquises dans la gestion de ces crises. Si chacun a développé des activités et des expertises sur des techniques (mesures, modélisations, etc.) ou des milieux (air, eau, sols), ils ont, chacun à sa manière, montré l’importance de l’anticipation et de la coordination des moyens pour gérer efficacement une crise, volet essentiel pour caractériser au mieux un évènement, en évaluer rapidement les éventuelles conséquences sanitaires ou environnementales et en contenir, au mieux, les effets.

 

Recommandations :

Au terme de cette audition publique, l’Office préconise de poursuivre la recherche dans l’ensemble des directions mises en avant par les différents intervenants. Il estime également important de :

•               favoriser la mise en place de moyens plus performants de coordination et d’échange de données entre les différents acteurs impliqués lors d’accidents comportant des risques sanitaires et environnementaux ;

•               mettre au point une méthodologie visant à établir des valeurs de référence avant contamination pour évaluer l’exposition à des substances polluantes des populations vivant dans des territoires déterminés, en vue de guider l’action des autorités dans le cadre de la gestion d’une crise, et élaborer un plan national de déploiement des mesures relatives à ces valeurs de référence ;

•               favoriser le développement de moyens permettant d’acquérir le plus rapidement possible une connaissance précise des substances émises au cours d’un accident industriel, par exemple l’emploi de drones équipés de moyens d’analyse et de prélèvement les plus spécifiques possibles ;

• Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  mettre systématiquement en place, après un accident, un suivi sanitaire et environnemental sur le long terme, en recherchant en priorité les contaminants les plus dangereux, afin de limiter les expositions à des risques chroniques ;

• Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  impliquer plus fortement et plus activement les citoyens par des actions éducatives de prévention et en développant, par exemple, les groupes de « Nez experts Â», capables de détecter et de reconnaître rapidement les odeurs caractéristiques de certains polluants.

 


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   travaux de l’office

I.   compte rendu de l’audition publique du 6 fÉvrier 2020

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  L’audition de ce matin est organisée autour de deux tables rondes. Cédric Villani pensait qu’il serait important de se pencher sur les accidents spectaculaires qui ont marqué l’opinion française l’an dernier. Ces accidents, de nature très différente, ont montré la nécessité de pouvoir informer et expliquer, et surtout de prévenir.

Il s’agit de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, survenu le 15 avril dernier et sur lequel, à l’initiative de Cédric Villani, l’OPECST a déjà travaillé, puis, le 26 septembre, celui de l’entreprise chimique Lubrizol à Rouen.

Ces deux événements sont de nature extrêmement différente, mais ils ont marqué l’opinion. Nous avons le sentiment, à tort ou à raison, que ces incidents sont à la fois importants, nombreux et imprévisibles. Ils surviennent avec une violence, ou en tout cas un caractère spectaculaire, que le mode d’information d’aujourd’hui, en particulier l’information sur les réseaux numériques, rend plus dramatique encore dans la perception qu’on leur donne.

Le Bureau d’analyse des risques et pollutions industrielles (BARPI), rattaché au ministère de la transition écologique, a recensé 1 112 accidents et incidents en France en 2018 sur les sites industriels classés. Il serait intéressant de savoir si ce nombre et l’importance des événements recensés est en croissance.

L’audition de ce matin cherche à déterminer en quoi la science et la technologie peuvent nous apporter des outils de compréhension, des aides à la décision, et surtout des boucles d’information qui soient les plus responsables possible.

Nous avons en effet constaté qu’il y a une logique d’information spontanée dont la crédibilité n’est pas établie, mais dont l’impact sur l’opinion est extrêmement fort.


A.   PREMIÈRE TABLE RONDE :

La première table ronde porte sur la prévention des crises et propose trois groupes d’intervenants. Dans le premier groupe intervient M. Dominique Robin, directeur d’AtmoSud, l’une des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA). Ces structures sont présentes dans chaque région, et sont relativement anciennes, elles datent des années 1970. Il serait intéressant de savoir pourquoi ce sont des associations. Vous allez nous expliquer comment fonctionne AtmoSud, chargée du suivi de la qualité de l’air dans la région PACA, et de quels moyens vous disposez.

Dans le domaine de l’eau, nous aurons le témoignage de Mme Véronique Heim, directrice Études et prospective au syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF). Ce syndicat important fonctionne bien, sans manifestations massives de mécontentement, ce qui est déjà une satisfaction. Vous nous parlerez des moyens de mesure et des capteurs que vous utilisez pour une veille continue de la qualité de l’eau dans le cadre de la prévention et de l’anticipation des crises.

Enfin, nous nous tournerons vers l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), qui m’est familier, parce qu’il est né du CERCHAR (Centre de recherche des Charbonnages de France), dont la Lorraine a été le dernier pilier. Le CERCHAR a fusionné avec un organisme comparable dédié à la chimie, il me semble. M. Bernard Piquette, vous êtes directeur risques accidentels de l’INERIS, et vous êtes accompagné de M. Christophe Proust, délégué scientifique de cette direction des risques. Nous connaissons bien l’INERIS, un établissement public industriel et commercial qui travaille pour l’industrie et pour le service public. Il apporte une valeur ajoutée considérable.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Je n’ai presque rien à ajouter. Je tirerai les conclusions en fin d’audition. Je vais insister sur l’esprit dans lequel nous organisons ces tables rondes et les sujets auxquels nous avons été confrontés à l’occasion du drame de Notre-Dame de Paris et du drame de Lubrizol. Ce sont toujours les mêmes questions : Comment anticiper ? Comment informer ? Comment agir au plus vite ? Quelle est la bonne réaction à adopter au fur et à mesure du déroulé de l’événement ? Et comment la voix des sciences et technologies, des agences, des organismes, peut-elle se faire entendre, quand une catastrophe se produit, pour surnager dans le tumulte médiatique qui s’ensuit ? Il s’agit de transmettre les bons messages, à la fois en responsabilité et en dehors des mouvements de panique.

À l’occasion de l’incendie de Notre-Dame de Paris, une audition nous avait alertés sur la grande complexité du diagnostic et des mesures, l’importance d’avoir la bonne couverture en capteurs, en éléments de diagnostic et de mesure, et ce dès que les événements se produisent, avant que les événements ne se produisent, juste après que les événements se produisent. Tout cela participe d’une bonne gestion de la crise par la puissance publique.

Chers amis, chers collègues, chers invités, voilà l’état d’esprit dans lequel nous allons mener ces auditions, avec cette question : quelles sont les recommandations que nous devons faire dans la foulée de cette audition pour avoir les meilleurs services dans l’intérêt public ?

M. Dominique Robin, directeur d’AtmoSud.  Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre invitation. Je m’exprimerai aujourd’hui à double titre, à la fois au titre de l’association que je représente, une association agréée par l’État, j’y reviendrai, et au titre de la fédération de l’ensemble des associations qui surveillent la qualité de l’air au quotidien sur l’ensemble du territoire. Vous l’avez rappelé, ce sont des structures régionales aujourd’hui. Je vais essayer de présenter la façon dont notre organisation peut apporter son concours dans ces situations, qu’elles soient incidentelles ou accidentelles, car globalement, ce sont des situations de crise.

Nous avons travaillé sur le sujet à la suite d’un premier événement qui nous a forcés à nous structurer. En 2013, un premier incident « Lubrizol Â» a donné lieu en 2014 à une instruction dite « Lubrizol Â». Il nous avait déjà conduits à distinguer la réflexion entre d’une part la gestion de la crise, la façon de gérer les questions très urgentes, qui peuvent être létales, avec des procédures extrêmement rodées, et d’autre part la montée en puissance dans la population de cette question légitime autour d’un risque, qui est peut-être moins urgent au regard de l’action immédiate, mais qui est relatif à la notion de santé-environnement et des risques environnementaux.

En travaillant sur ces deux angles, nous avons réalisé un rapport aujourd’hui en ligne, qui vous sera diffusé. Il porte sur trois régions : la Normandie, et je crois que le nouvel événement que vous avez évoqué a bien témoigné à la fois de l’engagement et de l’organisation qui ont été mis en place depuis ; la région Auvergne-Rhône-Alpes et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Ces trois bassins industriels importants connaissent des incidents non pas quotidiens, mais extrêmement fréquents, et ces accidents posent des questions sur la façon dont nos actions peuvent être conduites.

Je vais aborder cinq points rapidement. Tout d’abord, le premier sujet pour nous, et pour les intervenants pendant ces crises, concerne la culture des acteurs.

Lorsque nous arrivons, les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, notre culture est celle de l’exposition chronique et des épisodes de pollution, que chacun connaît et qui se traduisent notamment par une pression sur la voiture, mais c’est vrai également pour l’industrie. Et puis, il y a l’urgence, le « mode pompiers Â» si vous me permettez cette formule.

Le premier travail est de trouver la bonne « longueur d’onde Â» pour le dialogue. En 2015, il y a eu un attentat dans l’une des raffineries de Marseille, à Berre-l’Étang précisément. Je me souviens qu’un pompier nous a expliqué qu’à l’aide de son appareil, il avait mesuré aux limites du site quelques dizaines de parties par million en volume (ppm) d’une substance. Cela nous paraissait énorme, car la valeur acceptée pour la population générale et pour les riverains en particulier, est mille fois moins importante.

La culture des acteurs retentit donc sur la perception du risque, avec la question du risque immédiat, et puis sur ce que vont subir les populations, qui va conduire à un certain nombre de symptômes plus ou moins graves – en l’occurrence, la population se plaignait de nausées, de toux, etc. Leurs craintes ne portaient pas forcément sur l’impact immédiat sur leur santé, ce que nous avons également retrouvé assez fortement pour Lubrizol. Ils se disaient plutôt : « Aujourd’hui, nous savons que la pollution atmosphérique a un impact sur la santé. Que peut-on dire d’une exposition qui n’entraîne pas l’hôpital, mais qui provoque quand même des symptômes ? Â» Un exemple vécu : nous avons eu un appel d’un gardien du site accolé à cette entreprise, qui nous a dit : « J’ai un enfant de trois mois, faut-il que je m’en aille ? Â» La question est donc : Comment crée-t-on les conditions d’un continuum d’information, en intégrant les doubles cultures ? Il ne s’agit pas de dire que la question du risque immédiat ne doit pas être traitée : à mon sens elle l’est parfaitement, en tout cas pour les épisodes auxquels j’ai participé, mais on a besoin de mieux intégrer cette question du risque environnemental qui fait partie de notre quotidien.

Le deuxième sujet est plus technique. La force des associations de surveillance de la qualité de l’air aujourd’hui est de disposer d’un réseau technique de surveillance. L’incident, ou l’accident, pose des questions d’un ordre nouveau. La pollution atmosphérique concerne des problématiques chroniques, globalement réglementées, même si l’on ne se contente pas de rester sur les polluants normalisés, soit par l’Europe, soit plus localement. La première question qui se pose dans les incidents est : Quelle est la liste des substances auxquelles sont potentiellement exposées les populations ? Ce chantier doit progresser.

Tout d’abord, l’information n’est pas très bien partagée. Nous avons travaillé sur des listes socles avec l’État, les industriels, France Chimie, mais la connaissance effective sur chaque site, qui relève des études de danger, n’est pas suffisamment partagée à mon sens, car, derrière cette question-là, il faut développer, anticiper les moyens qui permettent d’appréhender les problèmes lorsqu’il y a des incidents. Ensuite, on constate que parmi les 1 112 Ã©vénements que vous avez évoqués, un grand nombre sont des incendies avec non seulement les substances qui sont stockées sur les sites, mais aussi celles issues de leur transformation, qui doit être anticipée.

Inutile de vous dire que nous ne pouvons pas surveiller l’ensemble des substances qui sortent d’un site. Que ce soit pour Notre-Dame ou Lubrizol, c’est une question difficile sur les plans scientifique et technique. Les concentrations des différentes substances ne sont pas forcément très élevées. Pour autant, les facteurs de risque peuvent être significatifs. La question est : Quels sont les pré-choix que nous faisons ensemble ? Il y a eu un travail assez remarquable, réalisé avec l’État, l’INERIS et France Chimie, pour définir une liste socle sur laquelle travailler.

Il faut aussi intégrer les particularismes locaux. Certaines entreprises dans ma région produisent 90 % d’une substance à l’échelle française. Cela signifie que la question ne peut pas être abordée au niveau national. Un exemple, le dichloroéthane, qui fait partie de nos préoccupations actuelles.

La surveillance est pour nous un véritable enjeu parce que, vous l’avez compris, notre métier est d’abord d’informer au quotidien sur des choses qui sont relativement cadrées : nous mesurons des oxydes d’azote, des particules et d’autres substances. En cas d’accident, nous devons présenter très vite une information pour laquelle nous sommes relativement mal préparés. Je le dis à dessein, sur cette question de la culture nous sommes bien sur une interface avec d’un côté, la culture du risque létal, les pompiers et les intervenants de premier niveau, qui est plutôt bien maîtrisée, et d’un autre côté, comme nous l’avons vu à Lubrizol ou à Berre-l’Étang, un besoin de progresser sur l’étude des substances qui continuent d’être émises, de façon plus légère certes, mais avec des impacts sur la santé environnementale de moyen terme ou de long terme.

Nous nous sommes organisés notamment avec les industries. Clairement, le risque chronique rejoint le sujet de l’incident, et nous allons développer des technologies de mesure permanente, afin de suivre un certain nombre de composés organiques volatils (COV), souvent de la famille des cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Ces substances représentent un fort enjeu pour la prévention d’incident ou d’accident car elles permettent de relever ce qu’on appelle les signaux faibles, extrêmement importants. Le déploiement progressif de stations de mesure par les organismes dans leurs métiers au quotidien permet de mettre en place des boucles vertueuses.

Par exemple, dans la vallée de l’Huveaune à Marseille, avec un industriel chimiste, nous avons depuis dix ans maintenant une boucle de rétroaction locale sur la base de tels capteurs, hors de toute contrainte réglementaire. Il s’agit en l’occurrence de la molécule de benzène, un cancérogène connu. Chaque fois que nous recevons un signal atypique, l’information est transmise à l’industriel et il vérifie ses processus. Je trouve que le résultat de cette boucle vertueuse est assez pertinent, parce que cela ne relève pas seulement d’une pression réglementaire mais c’est aussi pour l’industriel une façon de s’exprimer face à ses riverains et à ses salariés. Ce type de relation sert mieux son action, et globalement son intégration dans le territoire.

Ma collègue d’Atmo Normandie traitera de la façon dont on peut partager avec les acteurs, les pompiers ou les industriels, des dispositifs de prélèvements pendant la crise. Je pense qu’il est essentiel d’anticiper cette question-là.

Je termine par un point qui me paraît très important : le mode participatif. Aujourd’hui la population est extrêmement mobilisée sur ces sujets du quotidien (pollution atmosphérique du quotidien, brûlages, événements…), et autour des sites industriels, nous avons des signalements quotidiens : une couleur de panache un peu inhabituelle, des odeurs différentes… Les gens connaissent les sites. Nous avons des processus, des systèmes de signalement qui peuvent être mis à profit.

Aujourd’hui, une grande partie de ces signaux faibles, y compris pour les industriels concernés, vient de la population. Bien sûr, parfois elle dénonce, mais souvent elle se sent concernée et joue clairement le jeu de la participation.

À propos de la communication et la façon d’échanger avec la population, je mesure combien il est compliqué de transmettre des informations qui sont relativement incertaines. Il faut jouer avec cette complexité, et en même temps, être capable d’expliquer ce que l’on connaît pour agir, sans alerter, ou en tout cas, sans cette information anxiogène qui crée la panique.

La participation de la population peut se faire soit simplement via des signalements, et ce sont vraiment des choses que nous développons, soit par des outils plus experts. La Normandie par exemple a fait un travail formidable, avec ce qu’ils appellent des « Nez Experts Â» : des populations qui se forment pour déceler des typologies d’odeurs. C’est vraiment utile. Cela permet d’aller vite, de compléter les outils techniques qui par définition sont toujours limités, et d’avoir un lien avec la population. C’est une nécessité pour la confiance. Comme observé dans un épisode passé, il ne s’agit pas seulement que le sous-préfet, devant un panache de fumée conséquent, déclare : « Il n’y a pas de pollution. Â» Il faut être conscient du besoin de resserrer le maillage, à la fois pour avoir des outils techniques – qui ont leurs limites, mais qui sont vraiment en progrès â€“ et pour avoir cette intelligence collective d’information et de partage de l’information avec la population. Je crois qu’elle est prête aujourd’hui à jouer le jeu. D’ailleurs on lui propose un cadre. Les AASQA sont souvent un tiers de confiance et nous avons la capacité de mettre en place ces dispositifs.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Une question rapide en rebond. Au moment de Lubrizol, il y a eu une controverse autour de la question : « Peut-on avoir la liste des substances qui se sont répandues ? Â» Je n’ai pas suivi de près ce qui s’est passé, je ne sais pas si la controverse était justifiée ou pas. Que pouvez-vous nous dire sur ce modèle ? Peut-être que votre collègue en parlera.

M. Dominique Robin. ‑ Je ne vais pas déflorer ce que dira Véronique Delmas, qui était en première ligne. Je peux vous dire, pour avoir été confronté au même sujet, certes d’une ampleur différente, que souvent il existe une véritable méconnaissance de ce qui est réellement en train d’être émis, soit sous forme d’évaporation – dans le cas d’espèce, nous avions plutôt des systèmes à ciel ouvert â€“ soit via des combustions complexes. Pour Lubrizol, il y avait beaucoup de molécules, d’où l’importance de disposer d’outils qui permettent d’avoir rapidement une idée, en termes de mesures, des molécules susceptibles d’être présentes dans les panaches ou dans les effluves, mais aussi d’avoir une meilleure information préalable sur la localisation des substances-sources. Cela pose des questions de confidentialité par rapport à des actions possibles de terrorisme, mais je pense qu’il faut des boucles de confidentialité qui permettent aux techniciens intervenants d’avoir des informations de meilleure qualité. Cela fait vraiment partie des enjeux.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Mme Delmas interviendra dans la seconde table ronde sur cet exemple concret. Une question courte : le statut associatif est-il un fruit de l’histoire ou l’expression d’une volonté pour justement établir le lien avec les populations et ne pas apparaître comme un service administratif – que vous n’êtes d’ailleurs pas ?

M. Dominique Robin.  On peut dire que c’est un peu les deux. La première structure de surveillance a été créée en 1972 autour de l’étang de Berre, et le premier ministère de l’environnement en 1971. À l’époque, c’était simplement une reprise technique des initiatives mises en Å“uvre par certains industriels. Il a paru sans doute assez agile d’avoir une continuité dans la gouvernance de cette contribution industrielle, qui aujourd’hui s’est avérée un bienfait absolu. Quand je parlais de tiers de confiance, cela fait vraiment partie du zèle que nous mettons au quotidien.

Nous manipulons une dimension qui n’est pas positive : on parle de pollution au quotidien. Le fait d’avoir l’ensemble des parties prenantes, l’État bien entendu, car beaucoup d’actions relèvent d’obligations réglementaires, mais également les collectivités, les acteurs économiques, qui ne sont pas simplement les industriels ‑ de grands acteurs aéroportuaires ou portuaires sont présents par exemple chez nous â€“ ainsi que les associations de défense de l’environnement, est la garantie d’une certaine objectivité. Je ne veux pas dire que l’indépendance et la transparence sont des faits absolus, mais c’est vraiment une façon de poser cette question de façon assez efficace. C’est aussi une façon d’entrer dans la dynamique, aujourd’hui nécessaire, de la préservation et de l’action en faveur de la qualité de l’air.

À travers cette dimension partenariale, on trouve aujourd’hui l’essence de ce que sont des structures comme les nôtres, c’est-à-dire des observatoires indépendants, mais aussi des observateurs au service d’une amélioration, d’une préservation. Et l’on trouve là des voies de travail avec l’ensemble des acteurs. Mon président aurait dit que nous sommes parfois aussi une instance de médiation.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Quel est votre fonctionnement au plan budgétaire ?

M. Dominique Robin.  Cela renvoie à la question de l’indépendance. Aujourd’hui nous avons un financement tripartite. La contribution de l’État dépend des structures régionales, les équilibres financiers étant aussi liés à ces gouvernances, mais elle représente environ un tiers de nos financements. Une part importante vient de dons libératoires, de taxes parafiscales des industriels, selon le principe du « pollueur-payeur Â». La loi de 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, soutenue par Corinne Lepage, avait établi un don libératoire. Pour AtmoSud, ces dons représentent environ 50 % de notre financement. Le reste, environ 20 %, vient des collectivités et de diverses études européennes en particulier. Voilà pour les équilibres.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Au plan technique, j’imagine que vous avez constaté une évolution dans la finesse d’analyse, la rapidité d’accès à l’information, et peut-être une couverture plus systématique de l’information sur la qualité de l’air.

M. Dominique Robin.  Oui, en caricaturant un peu, jusque dans les années 2000, nous étions plutôt un outil technocratique, c’est-à-dire qu’il fallait répondre à la réglementation, produire des données, les reporter à l’Europe. Cela nous vaut d’ailleurs un certain nombre de discussions sur le non-respect de certaines normes.

Aujourd’hui, notre travail consiste aussi et surtout à travailler pour la population, il y a un engagement local. Les choses sont complémentaires, mais cela signifie que notre moteur principal est bien la santé et la préservation de l’air au quotidien. De facto, cela nous pousse à travailler de façon plus fine sur le territoire. Par exemple, sur les thématiques industrielles – je l’évoquais à propos de polluants qui ne sont pas clairement réglementés aujourd’hui â€“, l’attente sociétale, l’attente des acteurs, n’est plus simplement dans le respect de la réglementation.

Cela nous pousse aussi à trouver des voies pour accompagner les leviers d’action. Une association n’est pas une agence. Au-delà de la faiblesse institutionnelle, cette remise en question de notre mission crée aussi un certain dynamisme. Notre action est d’être aux côtés des citoyens, par exemple à travers des initiatives de type capteurs individuels, une dynamique qui se développe aujourd’hui partout. Nous travaillons aussi beaucoup à l’échelle locale, autour d’une école, d’un établissement. Comment accompagner cette question du diagnostic et des leviers d’action ? Je crois que notre force émane de cette dimension partenariale et sans doute de ce statut associatif agréé.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Je propose de passer maintenant la parole à Mme Heim, directrice Études et prospective au Syndicat des Eaux d’Île-de-France, pour nous livrer son témoignage sur l’eau en région ÃŽle-de-France.

Mme Véronique Heim, directrice Études et prospective au Syndicat des Eaux d’Île-de-France.  Nous sommes très honorés de venir ici expliquer le point de vue du producteur d’eau potable. Le SEDIF est un établissement qui dessert 151 communes réparties sur 7 départements de la région ÃŽle-de-France, ce qui représente 40 % de la population. C’est donc un enjeu important, car près de 4,7 millions d’habitants sont ainsi desservis en eau potable.

Celle-ci est produite dans des usines de traitement à partir de l’eau des fleuves, à savoir la Seine, la Marne et l’Oise. Nos usines sont interconnectées. Nous sommes garants de la qualité de l’eau depuis la ressource, le puisage dans le milieu naturel, jusqu’au robinet du consommateur. Nous sommes soumis aux réglementations du code de la santé publique et aux réglementations environnementales.

Ces ressources sont extrêmement vulnérables. Nous devons détecter précocement les pollutions, de façon à avoir un temps de réaction suffisant pour protéger les consommateurs d’eau du robinet. Nous devons produire une eau de qualité irréprochable.

Nous avons deux sujets : la pollution de l’eau avant qu’elle n’entre dans nos usines de traitement et la pollution dans nos réseaux potables après traitement.

Les fleuves ont des activités variées : navigation, loisirs, puisage pour EDF, etc. Ils sont aussi le réceptacle des eaux usées et d’assainissement. Ces eaux sont donc soumises à des pollutions.

Nous avons parlé d’incendie. Voilà un exemple concret que nous avons eu à vivre le 1er août 2018, suite à l’incident d’une usine Derichebourg qui traite des casses de voitures. Cet incendie majeur s’est produit à un moment de forte chaleur, et donc de forte consommation d’eau. De plus, comme les températures dépassaient 30° C ou 35 Â°C, des problèmes électriques ont eu lieu dans nos usines. Cette concomitance d’événements défavorables arrive souvent quand les crises se produisent.

Nous avons aussi des pollutions liées à l’activité industrielle, par exemple une pollution orange de la Seine liée à des imprimeries et à leurs colorants.

Nous sommes habitués à gérer les crises. Le SEDIF existe depuis près d’un siècle. En termes de prévention, un dispositif réglementaire existe. Les périmètres de protection et les stations d’alerte sont des outils obligatoires. À l’entrée de nos usines, et à quelques kilomètres en amont, nous plaçons des stations d’alerte qui vont mesurer en continu la qualité de l’eau sur un certain nombre de paramètres. Ce sont des stations fixes avec des analyseurs qui mesurent la conductivité, les hydrocarbures, etc. Nous avons aussi des modèles de transfert de pollution afin d’anticiper et de définir des temps de transport vers notre réseau.

Tout cela permet de réagir avant que l’eau n’entre dans l’usine. Comme notre réseau est interconnecté, si la Seine est polluée, nous activons l’usine basée sur la Marne de façon à assurer la continuité de l’alimentation. Le temps court de la décision est très important. Très rapidement, il faut se poser les bonnes questions.

Pour réagir rapidement, nous avons des plans de gestion, des moyens de secours, etc. Tout un processus est mis en place. Le but est d’identifier très rapidement l’origine et la toxicité. Nous avons des besoins analytiques.

Qu’est-ce qui peut nous aider à améliorer nos dispositifs? Il faut distinguer la question du prélèvement et celle de l’analyse. Nous avons des capteurs en temps réel, avec analyse et mesure en continu ou à haute fréquence. Grâce aux nouvelles technologies, nous avons non pas des postes fixes, mais des bouées qui peuvent être mises en place sur les fleuves. Cela enrichit considérablement le réseau. Tous les modèles hydrauliques et « qualité / quantité Â» peuvent être couplés à ce réseau de capteurs. Nous travaillons aussi sur des analyses de laboratoire beaucoup plus rapides et puissantes, avec des méthodes de criblage destinées à identifier précisément les polluants.

En termes d’innovation, nous essayons de développer l’utilisation des drones. Soit on analyse avec un capteur en continu, soit on utilise des capteurs mobiles dont les résultats sont analysés.

Nous travaillons aussi sur les effets sur la santé, avec des bio-essais sur les milieux. Quelle est la toxicologie de ces paramètres chimiques ou microbiologiques que nous trouvons dans nos ressources ? Nos études sur la santé humaine prennent en compte les nouveaux risques biologiques et chimiques.

Il ne faut pas oublier la contamination accidentelle du réseau d’eau potable, après traitement. Ce réseau est protégé par la pression de l’eau, mais il peut être soumis à des actes de malveillance, des retours d’eau, des travaux. Là il faut réagir très vite, sans avoir forcément toutes les réponses. On peut développer de nouveaux réseaux de capteurs, comme on l’a fait par exemple pour la COP 21 ou pour les Jeux Olympiques de 2024. On y travaille, pour densifier des réseaux de capteurs qualité sur le réseau, de façon à pouvoir réagir en temps réel.

Les nouvelles technologies nous apportent un nombre considérable d’informations. Un capteur en temps réel nécessite un système de supervision et une analyse en continu. La puissance des algorithmes, la richesse des données, le couplage avec la modélisation numérique hydraulique / qualité permettent d’anticiper.

Néanmoins, il faut maîtriser l’interprétation et l’analyse et se préoccuper de la durée de vie des capteurs et de la validation des données. Pour cela, il faut des experts, des métiers, des expertises derrière ces systèmes. Ils garantissent une bonne interprétation. Il faut toujours réfléchir à la continuité de l’activité.

Pour conclure, le SEDIF a été confronté à la crise du tritium en juillet 2019. Il faut vraiment se préparer aux crises médiatiques et aux fausses rumeurs, et être capable de délivrer rapidement un message non anxiogène et rassurant, juste, proportionné, en donnant les bons éléments.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Ce sont des cours d’eau qui vous alimentent. Observez-vous des évolutions de long terme sur les 20 ou 30 dernières années ? D’autre part, vous avez évoqué l’affaire du tritium. Quels sont les risques occasionnels les plus dangereux que vous imaginez ?

Mme Véronique Heim.  Sur le long terme, on se rend compte que nos masses d’eau sont extrêmement bien suivies. La directive cadre européenne impose de reconquérir la qualité des milieux. Des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux existent. L’Europe a fixé des objectifs que la France a traduits dans le droit : reconquérir et avoir un bon état écologique et chimique pour 2027. Toutes les masses d’eau – fleuves, nappes souterraines â€“ ne sont pas encore en bon état.

L’état des lieux, qui est mis à jour tous les cinq ans par les agences de l’eau, s’améliore. Le dernier, qui prépare l’échéance 2027, montre une amélioration en termes de pollution par les éléments classiques, tels que l’azote et le phosphore.

Cependant, nous avons toujours ces paramètres dits émergents et toutes ces substances que nous savons maintenant analyser. Les techniques analytiques ont fait des progrès. Les Trente Glorieuses et le développement de l’industrie ont multiplié les polluants même si, pour certains, les quantités sont infinitésimales. Nous avons énormément de polluants chimiques, de pesticides, etc. et les traiteurs d’eau, qui doivent respecter les normes, doivent mettre en place des traitements adaptés.

On constate donc une amélioration, mais pas sur tous les paramètres. On découvre ces nouveaux polluants, dont les effets sur la santé restent encore à démontrer. Sont-ils toxiques ou pas ? Ces questions ont été évoquées précédemment. Nous sommes confrontés aux mêmes difficultés.

Concernant le tritium, il n’y a pas eu de crise sanitaire, puisqu’il n’y avait pas de problème. La limite de 100 becquerels par litre dans les eaux produites était largement respectée. Dans l’eau de la Seine, ce niveau était de 8 becquerels en moyenne. Cette présence est due à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine sur la Seine et de 4 ou 5 centrales sur la Loire.

Comme vous l’avez dit, l’un des axes de progrès est aussi la recherche de balises qui permettent de détecter des substances avec des mesures fiables. Ce sont de vrais sujets.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  En une phrase : avez-vous aujourd’hui les moyens en termes de nombres de capteurs et de capacité d’analyse ? Êtes-vous satisfaits de l’infrastructure à votre disposition ?

Mme Véronique Heim.  Nous ne pouvons pas éliminer tous les risques mais nous sommes relativement sereins. Mais il faut toujours se préparer à des événements qui pourraient être dramatiques, c’est pourquoi nous faisons des exercices de crise avec retour d’expérience, pour tirer les enseignements.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Paris a une alimentation qui lui est spécifique, avec des aqueducs anciens et lointains qui datent pour certains de Napoléon III, d’autres peut-être plus anciens encore. Est-il complètement séparé de votre système ?

Mme Véronique Heim.  Nous sommes interconnectés avec la Ville de Paris. Effectivement, Napoléon III et ses préfets ont été visionnaires, ils sont allés chercher des sources à 150 kilomètres de la capitale, qui constituent des réserves. S’il y avait une crise, nous travaillerions ensemble entre autorités organisatrices, Ville de Paris, SEDIF, pour nous secourir mutuellement. C’est un axe important de la sécurisation régionale de l’alimentation en eau potable. Les autorités organisatrices travaillent pour mettre en commun leurs outils de production et mutualiser le réseau d’alerte. Nous sommes en lien avec les pompiers et les usines situées en amont.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Passons maintenant à M. Bernard Piquette, directeur risques accidentels à l’INERIS.

M. Bernard Piquette, directeur risques accidentels à l’INERIS.  Je ne présente pas l’INERIS, monsieur le président l’a très bien fait en préambule. J’indique juste que la mission de l’INERIS est de contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, sur la sécurité des personnes et des biens, et sur l’environnement.

À ce titre, l’INERIS mène des études et des recherches pour prévenir les accidents majeurs, en particulier sur le territoire français, mais pas uniquement. Nous travaillons aussi à l’échelle européenne et internationale.

Dans ma direction, les accidents majeurs ou les risques accidentels concernent essentiellement les explosions, les incendies et les dispersions toxiques, ces trois phénomènes pouvant être combinés.

Je rappelle quelques catastrophes qui font référence en termes de prévention des risques accidentels. La première est Seveso, en 1976, qui a donné lieu à des directives européennes du même nom ; en 1997, en Suisse, à Blaye, onze personnes ont trouvé la mort dans une explosion de silo ; en 2001, à Toulouse, 31 personnes sont décédées suite à la catastrophe AZF ; en 2015, en Chine, à Tianjin, près de 200 personnes ont perdu la vie.

La culture du risque a été évoquée. Dans ma direction, nous sommes plus en « mode pompier Â» qu’en mode « gestion des risques chroniques Â», bien que les deux sujets soient traités au sein de l’INERIS.

Il convient de rappeler régulièrement l’existence de ces risques. Si l’ampleur des accidents est considérable, ils se produisent rarement, heureusement, ce qui rend leur prévention assez délicate. Néanmoins lorsque la cinétique de l’accident est très élevée, la prévention est la seule mesure de protection que nous pouvons avoir.

En France, la prévention s’articule autour de deux dispositifs : le premier est la délivrance d’une autorisation d’exploitation, qui est conditionnée par une étude de danger. Cette étude de danger est une analyse de risques dans laquelle l’industriel va essayer de regarder tous les scénarios d’accidents possibles, déterminer leur probabilité d’occurrence et leurs effets. Ensuite, il devra prévenir ces scénarios d’accidents en installant des barrières de sécurité, soit pour les éviter, soit pour en limiter l’occurrence.

La deuxième action qu’ont entrepris les pouvoirs publics s’inscrit dans le cadre des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Elle vise à réglementer, ou interdire dans une extrême mesure, le bâti dans des zones proches des installations.

L’INERIS participe activement au développement de ces mesures et des guides qui en permettent la mise en Å“uvre. En matière d’actions préventives, nous disposons de deux types de barrières. La première, appelée « barrière passive Â», est souvent celle qui va nous permettre d’éviter l’accident. Exemples de barrières passives : des doubles enveloppes sur certains réservoirs ou des barrières thermiques pour éviter qu’un réservoir ne monte en pression. Aujourd’hui, beaucoup d’industriels ont dû, sur recommandation des pouvoirs publics, enterrer leurs réservoirs de produits inflammables liquéfiés. Je pense que Lubrizol disposait d’un de ses réservoirs qui, lors de l’incendie, n’a pas posé de problème parce qu’il avait été traité en amont.

Au sein des phénomènes dangereux, l’incendie tient une place particulière. C’est le phénomène le plus fréquent, mais pour nous, ce n’est pas celui qui a les conséquences les plus graves pour les personnes. Il peut cependant initier d’autres phénomènes beaucoup plus difficiles à gérer. En outre, il pose des problématiques particulières, telles que la dispersion de fumées et l’émission par ce biais de polluants ayant un impact sur l’environnement.

Pour être en mesure d’estimer les effets d’un incendie et de ses fumées, on doit être capable de construire ce que l’on appelle un terme source. Le terme source est déterminé à partir des informations relatives au stockage, à la nature des produits, aux quantités, à leur distribution dans le stockage, au type de stockage, autant d’informations nécessaires mais pas suffisantes. Il faut aussi estimer comment ces produits vont se décomposer sous l’effet de l’incendie, à quelle vitesse ils vont brûler et quelle énergie ils vont libérer. Tous les spécialistes des incendies le diront : entre un feu bien ventilé et un feu sous-ventilé, les produits de décomposition ne sont pas du tout les mêmes.

Toutes ces grandeurs peuvent être estimées par des modèles qui doivent être alimentés par des essais réalisés à petite, moyenne ou grande échelle. Lors des essais réalisés sur les produits représentatifs des produits stockés sur site, de nombreuses mesures vont être effectuées, afin de construire des modélisations assez réalistes.

Sur cette présentation, vous voyez des essais réalisés par l’INERIS, en laboratoire, sur de toutes petites quantités. Dans une plateforme incendie à l’échelle d’une palette de produits, nous allons déterminer quels sont les produits de combustion, et, avec d’autres partenaires scientifiques, en l’occurrence le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), le Centre national de prévention et de protection (CNPP), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), etc., nous sommes allés jusqu’à construire un entrepôt grandeur réelle, à l’instrumenter, puis à l’incendier, pour regarder comment un incendie se développe dans ce type d’entrepôt et quelles peuvent être les conséquences sur une ruine éventuelle des structures.

Vous pouvez voir ensuite l’une des modélisations réalisées dans le cas de Lubrizol. Vous voyez Rouen et les fumées, qui vont toucher cette colline un peu plus loin.

À partir de toutes les données, un terme source est construit, composé d’une puissance d’incendie, d’une hauteur de flammes, d’une émittance de flammes pour la partie radiative, mais aussi d’un débit de fumée et d’une composition chimique estimée, d’une hauteur et d’une vitesse d’émission pour le panache. Ces données sont entrées dans un modèle numérique et tout cela permet d’estimer assez raisonnablement les conséquences potentielles pour les intervenants et les habitants.

À ce jour, nous nous focalisons sur les facteurs de toxicité aiguë, dans un « mode pompier Â», avec des approches prudentes. Il conviendrait certainement de réaliser d’autres investigations, pour affiner le terme source en intégrant des produits de décomposition tels que les dioxines, les furanes et les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), et pour valider les considérations théoriques, celles-ci devant être sans doute confortées par des essais à des échelles réalistes.

En conclusion, l’industrie française progresse et évolue sur le sujet des risques accidentels. Ces évolutions ont et auront un impact sur la sécurité industrielle. J’en citerais deux. La première est la poursuite du développement du numérique qui est, pour une certaine partie, une très bonne chose : l’usine est munie de capteurs qui permettent de détecter tous les incidents le plus rapidement possible. L’inconvénient est que les capteurs deviennent de plus en plus ouverts, avec un risque en matière de cybersécurité qu’il faut traiter et savoir gérer à l’échelle d’un site.

La deuxième évolution est la transition écologique. C’est une bonne chose, mais le développement de batteries de plus en plus performantes entraîne une énergie embarquée de plus en plus importante. En cas d’incendie, les batteries vont dégager des produits toxiques. Là aussi, il faut « sécuriser Â» ; en tout cas, le développement doit être réfléchi en amont.

On parle également du développement de l’hydrogène : bus à hydrogène, train à hydrogène, avion à hydrogène, etc. Le produit de combustion de l’hydrogène est de l’eau, ce qui est une bonne chose. Il faut cependant traiter le risque d’explosion, ce à quoi nous nous employons.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Merci beaucoup. Vous nous avez expliqué comment, en laboratoire, vous faites des simulations, vous avez des modèles, des scénarios, arrivant à gérer une complexité assez impressionnante. Qu’est-ce que vous faites des retours d’expérience ? Quand une catastrophe comme celle de Lubrizol se produit, c’est une façon de comparer vos modèles à la réalité, de les tester. Quel est le niveau de satisfaction que vous avez avec la Commission d’orientation de la recherche et de l’expertise (CORE) ? Chaque accident est un drame, mais aussi une opportunité pour vous de vérifier et de recalibrer.

M. Bernard Piquette.  Oui, les accidents sont un moyen de recalibrer les modèles. La seule difficulté, c’est que, souvent, nous n’avons pas les mesures qui permettent de recalibrer. Sur le panache de fumée, nous n’avons aucun retour exploitable.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Ici, nous voyons une marge de progression. Que vous faudrait-il ?

M. Bernard Piquette.  Il aurait fallu envoyer un drone dans le panache pour faire des prélèvements. On peut imaginer d’autres choses. À ce jour, cela n’a pas été fait. Il faut bien voir qu’un accident permet de recalibrer les choses, mais il ne sera jamais aussi performant qu’un essai en grandeur réelle où l’on a le temps de placer des capteurs adaptés qui permettent de calibrer un modèle.

Pour faire de la modélisation, tous nos experts préfèrent largement un essai en grandeur réelle, que l’on peut instrumenter, à un retour d’expérience où l’on est assez frustré des mesures que l’on peut avoir.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  C’est donc quelque chose qu’il faut arriver à mettre en place dans les procédures, au niveau de l’État. En même temps que les secours arrivent, il faut mettre en place tout de suite les dispositifs de mesure qui permettront à vos agences de recalibrer les modèles.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Qui paie les expérimentations comme celle que vous avez présentée dans votre entrepôt ?

M. Bernard Piquette.  En l’occurrence, ce sont les logisticiens qui ont payé en grande partie l’entrepôt que l’on a brûlé. Le financement était mixte entre logisticiens et État.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  C’est donc le prestataire de services.

M. Bernard Piquette.  Le projet a été co-financé par l’État et par les logisticiens. Il faut savoir qu’avant ces essais, les distances de sécurité étaient très prudentes, ce qui était normal. Grâce à cet essai et nos modélisations, elles ont été réduites par trois environ.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Cela peut-il impacter les PPRT ?

M. Bernard Piquette.  Oui, cela a impacté les PPRT, puisque les distances d’effets ont été raccourcies.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Donc, vous rendez à la construction ou à l’habitation des zones qui en étaient privées.

M. Bernard Piquette.  Oui. Aujourd’hui, nos modélisations se veulent prudentes, c’est notre position. Nous prenons des marges de sécurité quand nous n’avons pas toutes les connaissances sur un phénomène. Quand une modélisation s’affine, les connaissances aussi, ce qui permet assez souvent de réduire les distances de sécurité.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Vous avez dit aussi que l’incendie est moins dangereux que l’explosion en termes de vies humaines.

M. Bernard Piquette.  Oui, assez souvent. Il demeure quelques incendies très dangereux, comme les incendies de soufre ou d’engrais qui vont générer des produits très toxiques. Mais généralement, pour un incendie d’entrepôt, nous avons largement le temps de déplacer les personnels. Un incendie va très rarement impacter des vies humaines. Seuls les pompiers et ceux qui peuvent intervenir sur le sinistre sont impactés. Par contre, l’impact sur l’environnement est assez fort.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Une dernière question. Lorsque Madame Heim parle du réseau d’eau, nous avons le sentiment que tout est contrôlé. Lorsque vous parlez de qualité de l’air, c’est un peu plus compliqué. Il existe cependant une interaction entre les populations, l’association que nous avons entendue, les industriels qui participent. Dans le cas de l’INERIS, pour le risque industriel, avez-vous le sentiment d’être exhaustif sur les risques, ou bien la maille du filet est-elle un peu trop large ?

M. Bernard Piquette.  Je ne dirais pas exhaustif sur les risques mais sur les installations classées, le système me semble assez robuste.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Si les sites sont classés, vous êtes compétents.

M. Bernard Piquette.  En tout cas, je pense que le dispositif étatique est assez robuste. Il ne repose pas que sur l’INERIS, qui est un expert technique. Les DREAL (Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) font des contrôles chez l’industriel, examinent les dossiers, le mettent en demeure si certaines choses ne sont pas faites. Sur les installations classées, un système est bien présent.

Ensuite, ce qui peut parfois être compliqué, c’est tout ce qui présente un risque mais n’entre pas dans le champ des installations classées.

Voici un exemple, sur lequel nous avons travaillé assez récemment. Pour des raisons écologiques, les CFC (chlorofluorocarbones) ont été remplacés dans tous les climatiseurs. Certes les CFC sont dangereux pour la couche d’ozone, mais ils avaient la caractéristique de n’être ni inflammables, ni très toxiques pour l’être humain. Ils ont été remplacés par des produits qui sont, pour certains, inflammables, et pour certains assez toxiques pour l’être humain. Il a donc fallu gérer ces risques, ce que nous avons fait en liaison avec le ministère de l’Intérieur. Ce sont des choses qu’il faut prévenir en amont.

M. Stéphane Piednoir, sénateur.  Merci pour vos présentations qui éclairent le champ de vos travaux. Mes questions s’adressent à vous trois.

Je suis très concerné car j’étais le maire d’une commune avec un site classé Seveso « seuil bas Â», et j’ai appartenu au conseil administration d’une agence de surveillance de la qualité de l’air, Air Pays de la Loire, qui est membre de votre fédération.

Sur la qualité de l’air, vous avez dit que votre axe principal concerne la préservation de la santé des citoyens. Je pense qu’il faut aussi axer l’effort sur l’information des populations. Je sais que c’est compliqué. En effet, les agences de surveillance sont historiquement implantées autour de sites industriels liés à la pétrochimie, et il y a une forme de tropisme à continuer à s’intéresser uniquement à ces sites, au lieu d’élargir les horizons à d’autres sites un peu moins polluants, mais qui suscitent des interrogations chez les gens.

Vous avez un levier d’action qui est tout simplement les bulletins d’information des communes. Ce levier mériterait d’être utilisé à fond pour informer, mais aussi pour rassurer, que ce soit sur la durée de vie des polluants ou sur les odeurs pouvant être détectées par les riverains.

Il y a une initiative dans la région Pays de la Loire, celle du recrutement de « nez Â» pour détecter des pollutions. Je ne sais pas si elle est généralisée. Cela pourrait peut-être se faire autour de sites un peu moins visibles, un peu moins exposés médiatiquement, mais qui suscitent des interrogations de la part des populations. Cela fait partie des signaux faibles.

Nous avons parlé des subventions. Des subventions régulières existent, et puis périodiquement, le sujet de l’implantation d’une nouvelle borne de mesure devient d’actualité. Je sais que cela donne lieu à des échanges, voire des négociations, avec les collectivités. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces échanges ?

Concernant la qualité de l’eau, la crise du tritium sur la Loire a été médiatisée par une association, l’ACRO, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest. Il y a la qualité de l’eau d’une part, et dans la réalité, un raccourci se fait très rapidement sur les problèmes liés au nucléaire, pour le dire le plus diplomatiquement possible. Un problème de méthodologie a été mis en lumière par l’IRSN, un institut référencé, qui fait foi dans le domaine.

Ma question est la suivante : comment faire face à cette multiplicité d’annonces sur la qualité de l’eau ? Dans la région Pays de la Loire, les critères sont sévères, puisque seuls 11 % des cours d’eau sont considérés comme étant de bonne qualité. Quand vous dites cela à l’ensemble des Ligériens, cela a de quoi émouvoir un peu. 89 % sont en mauvais état, ce qui a de quoi inquiéter. En réalité, on sait bien que ce constat est lié aux critères établis. Je ne dis pas que le progrès des mesures crée de la crainte et de l’anxiété, mais il y a quand même un peu de cela.

En ce qui concerne les risques technologiques, je m’étonne franchement. Le risque est le produit de la probabilité par la nocivité. Les industriels gèrent cela aussi, ils font des efforts de confinement. Malheureusement, ce n’est absolument pas pris en compte pour la réduction des périmètres. Les DREAL sont plus en cause, mais j’imagine que l’INERIS peut avoir son mot à dire dans la construction du modèle de protection des zones qui sont décrétées par les DREAL. Elles ont des impacts très forts pour les communes, pour leur développement. Or j’ai des témoignages, des exemples précis de réduction du risque, tout simplement parce que l’industriel a fait de gros efforts sur la gestion de ses produits toxiques.

Mme Angèle Préville, sénatrice.  Merci pour vos présentations. Une première question au sujet de l’air et de l’eau. Mesurez-vous les micro-plastiques qui se trouvent dans l’air et dans l’eau ? Que peut-on faire pour traiter ce problème ?

Concernant l’incendie de Lubrizol et les explosions associées, une dispersion d’amiante a été établie, notamment dans des jardins. La population n’a pas été informée sur le fait que c’était de l’amiante et qu’il fallait certainement procéder au ramassage très rapidement. On sait que l’exposition à l’amiante, même à de très petites quantités, peut provoquer des impacts non négligeables sur la santé, en fonction de la disposition des individus à développer certaines formes de cancers du poumon.

Lubrizol était classé « Seveso seuil haut Â», mais concrètement, qu’est-ce que cela a changé dans la gestion de cet accident ? Est-ce que cela a facilité les opérations ou pas ?

Je suis moi-même dans une commune où un site est classé « Seveso seuil haut Â». C’est une usine de traverses de chemin de fer qui utilise de la créosote en plein air. Les odeurs, nous les avons tout le temps. Vous avez mentionné les préoccupations et l’investissement des citoyens, cela m’intéresse beaucoup. C’est une excellente idée et il faudrait la généraliser. Je suis dans la région Occitanie, je ne sais pas si nous pourrions y avoir recours.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Une partie des réponses sera abordée dans la seconde table ronde, notamment l’exemple de Lubrizol. Intéressons-nous plutôt aux problèmes plus généraux.

M. Dominique Robin.  Ma collègue de Normandie répondra précisément au sujet de l’amiante. Elle l’a vécu, et elle est encore largement sur ce dossier.

Je reviens sur le sujet de la surveillance et de la relation aux acteurs, en particulier le lien avec les collectivités. Ce lien est une nécessité de par la loi. La loi a prévu que notre organisation soit quadripartite, donc que les collectivités soient présentes. Mais elles sont présentes à titre volontaire, ce qui implique certaines discussions régulières. Je vous vois sourire, vous connaissez bien ce sujet. La question des stations de mesure fait l’objet d’un débat récurrent : « Allez-vous enlever des stations de mesure ? Où installer une station de mesure ? Â» C’est toujours une discussion complexe. Nous sommes attachés à la présence des collectivités, pas simplement parce que nous avons besoin de financer notre organisation, même si bien sûr cela fait partie du jeu, mais parce qu’aujourd’hui, c’est un véritable relais. Vous l’avez très bien évoqué.

Disons-le simplement : nos moyens ne sont pas pléthoriques. Lorsque cette question se pose, deux éléments sont souvent apportés. L’INERIS nous a montré ce qu’il faisait en matière de simulation. Tous les jours, nous produisons des cartes à haute résolution des polluants chroniques, différents des éléments incidentels ou accidentels qui ont été présentés précédemment. Même si nous avons développé des routines, ce n’est pas notre travail quotidien. Pour nous aujourd’hui, l’ajout d’un capteur doit s’inscrire dans une ligne qui favorise une forme d’engagement. La réglementation nous oblige à produire cette information cartographique et à recenser les personnes susceptibles d’être exposées à des teneurs proches des valeurs limites ou recommandées par l’OMS. Aujourd’hui, lorsque nous travaillons avec les collectivités, mais aussi avec les acteurs économiques, et petit à petit avec les acteurs associatifs avec les capteurs citoyens qui ont été mentionnés, notre action consiste en fait à déterminer la finalité de ces mesures complémentaires.

S’il s’agit d’apporter des éléments de connaissance, c’est toujours quelque chose qui est ouvert, mais aujourd’hui, sur les polluants réglementés, nous avons la chance d’avoir une bonne vision chronique de la situation. Derrière, il y a des sujets : quels sont les leviers que cela va actionner ? Cela peut être simplement des leviers d’information, parce que nous voulons produire une information très locale autour d’une école par exemple, parce qu’il y a une dynamique, ou bien des leviers d’action. Je reprends l’exemple de l’école : on régulera par exemple la circulation aux heures de pointe. C’est aussi une façon de montrer l’impact et peut-être de maîtriser certaines situations. La question du capteur est souvent un sujet compliqué.

L’air s’étudie à toutes les échelles, de l’individu jusqu’à la planète, avec à peu près tous les acteurs. La façon dont nous partageons l’information avec les collectivités est essentielle. Le lien vers la population a été mentionné, notamment la participation active. Le partage suppose aussi une certaine exemplarité de l’information, de la transparence. Une donnée qui est accessible aujourd’hui est réelle. Sinon les systèmes suscitent la défiance, et c’est légitime. Notre organisation fait vivre le service public et travaille en bonne articulation avec les collectivités. Mais il est vrai que nous pouvons discuter des capteurs.

Mme Véronique Heim.  Concernant les questions posées sur le thème de l’eau, monsieur Piednoir, vous avez raison, en sous-jacent de la question du tritium, il y avait le débat global sur le nucléaire en France.

Nous avons sollicité l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui a apporté des réponses. Il s’avère aussi que la situation avait été orchestrée par les médias, notamment par le Canard Enchaîné qui avait repris, d’une façon qui n’était pas complètement objective, les éléments sur les mesures.

Les données sont publiées, elles sont transparentes. L’étude avait été faite à partir du contrôle réglementaire des agences régionales de santé (ARS). Nous les avons ajoutées dans nos messages à la population. En effet, nous publions les analyses et nous les accompagnons de petits bulletins. Dorénavant, nous indiquons les valeurs du tritium. Je pense que la transparence est très importante dans la communication envers les citoyens.

Je ne peux que partager votre constat sur l’état des cours d’eau et des masses d’eau. Certaines masses d’eau sont vraiment en mauvais état, d’où l’intérêt de mener des actions pour prévenir les pollutions à la source et que tout le monde, industriels, agriculteurs, toute la chaîne prenne conscience de la nécessité de réfléchir, à la source, aux études de risques et à la manière de lutter contre les pollutions.

Pour répondre à la question de Mme Préville, nous nous préoccupons des micro-plastiques. Nous avons lancé une étude avec des laboratoires de l’Université de Créteil qui porte sur les mesures dans la ressource et dans l’eau produite. Je ne peux que conseiller à tout le monde de boire l’eau du robinet. Cela évite d’utiliser des bouteilles en plastique.

M. Christophe Proust, Direction des risques accidentels, INERIS.  Une question concernait le risque industriel et les PPRT. Il y a une vraie logique dans les PPRT, essentiellement liée à l’accident d’AZF, avec l’idée que l’urbanisation doit être maîtrisée car cela a aussi un effet sur la gravité des accidents. Cette logique à peu près sereine permet de mettre autour d’une table les acteurs qui vont décider, gérer les plans d’intervention, les plans d’urgence, etc. Du point de vue de l’information, les PPRT ont un intérêt.

Cela peut aussi inquiéter, par son ampleur et parce que cela rigidifie le fonctionnement de l’usine. C’est ce que nous pourrions regretter. Il faut savoir s’adapter aux nouveaux résultats obtenus soit du retour d’expérience, soit de moyens de simulation plus fins, et faire évoluer éventuellement ces périmètres – en tout cas permettre à l’industriel d’adapter son outil à son marché.

Nous avons mentionné les batteries. Prenons le cas d’une usine qui fabrique des piles pour les fusées et qui va fabriquer des batteries automobiles. Les technologies sont différentes et cela va faire évoluer le niveau de risque. D’un autre côté, l’industrie a évolué, elle est beaucoup plus automatisée, le contrôle est souvent plus précis. Pourquoi ne pas faire évoluer aussi le niveau de risque accepté, même si la densité énergétique est plus importante ? Nous manquons de flexibilité pour une prise en compte rapide de ces évolutions. Mais de fait, dans les PPRT, théoriquement, nous sommes censés faire intervenir à la fois la gravité du risque, c’est-à-dire l’intensité potentielle des effets, et les barrières de sécurité, qui sont gérées par les industriels, afin de réduire la probabilité d’exposition des populations.

D’un point de vue administratif, le panorama est assez complet. Nous manquons probablement d’un peu de souplesse, de réactivité, de moyens, de médias, pour prendre en compte ces évolutions techniques et même sociétales, si l’on parle de l’exposition des populations, dans la gestion collective de ce risque.

M. Dominique Robin.  Je n’avais pas répondu à Mme Préville sur les micro-plastiques. Aujourd’hui sur un plan opérationnel, à ma connaissance, rien n’est fait sur cette question. Des chercheurs étudient ces problématiques, mais je ne crois pas qu’il y ait de travaux opérationnels.

Je profite de mon temps de parole pour évoquer la question de l’aménagement urbain autour des installations industrielles. Le risque aujourd’hui, et j’entends les experts ici, est de mieux en mieux maîtrisé. La tentation pourrait être de construire de nouvelles habitations à proximité. Comme j’essayais de vous le dire en filigrane, intégrons aussi cette notion de risque faible, mais de long terme.

J’ai évoqué le monde des substances CMR. Un gros travail a été effectué autour de l’étang de Berre – cette étude s’appelle SCENARII. L’exposition à long terme à des molécules chimiques, en particulier le butadiène qui a été ciblé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), conduit à des risques qui sont bien réels aujourd’hui pour les populations qui habitent autour de ces installations. Les effets sont moins immédiats, moins quantifiables, surtout statistiques. Mais cela m’amène à dire qu’il faut être prudent avant de permettre à nouveau de construire autour de ces établissements. Nous devons gérer des situations compliquées. La notion de risque est différente et s’articule sur le long terme, mais cela fait partie de notre réalité. Ces sujets vont continuer à progresser, cette science progresse vite.

 


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B.    SECONDE TABLE RONDE :

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Je vous propose de passer à la seconde table ronde. Nous parlerons de mesures à court terme post-crise et évoquerons les moyens à mettre en Å“uvre une fois la crise déclenchée.

Nous accueillons Mme Véronique Delmas, directrice d’ATMO Normandie, association agréée de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) compétente dans la région Normandie, sur les moyens mobiles de mesure de la qualité de l’air qui devraient ou pourraient être déployés rapidement après la crise. Ce sera l’occasion de revenir en particulier sur Lubrizol.

M. Francis Garrido, directeur adjoint à la direction Eau, environnement, procédés et analyses au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et M. Hubert Leprond, responsable de l’unité Sites et sols pollués au BRGM, parleront de la pollution des sols résultant des crises à impact sanitaire et environnemental. Le BRGM est un établissement de référence pour la gestion des sols et sous-sols en France, notamment pour les sites pollués en surface et dans les nappes souterraines.

M. Raymond Cointe est le directeur général de l’INERIS, acteur central dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui. Mme Laurence Rouïl est responsable du pôle Modélisation environnementale et décisions à la direction des risques chroniques de l’INERIS.

M. Christophe Libeau, lieutenant-colonel de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), conseiller technique opérationnel NRBC, abordera les questions de confinement ou d’évacuation des personnes, et la nécessité d’aller au plus près du sinistre pour en maîtriser l’évolution et ramener le site sous contrôle. Parfois les sites sont équipés de service de sécurité incendie, permettant de faire face à certains sinistres. Mais, dans un contexte où les pompiers sont souvent les premiers arrivants, avec une population spécifique qui peut être exposée à des effets sanitaires aigus, les risques sont plus importants. On l’a vu récemment encore de façon tragique dans certains épisodes de l’actualité parisienne. Nous évoquerons les moyens déployés à cet effet et les besoins mal couverts qui pourraient être pris en considération.

M. Mathieu Schuller est directeur de l’évaluation des risques à l’ANSES. Une bonne gestion de crise suppose une bonne évaluation des risques sanitaires. Avec M. Schuller, nous aborderons les thématiques de l’effet cocktail et de l’effet dose-dépendant.

Ce panel fourni est remarquable par sa variété et sa compétence. Je m’efforcerai de mener le débat avec suffisamment de punch pour que nous ne débordions pas trop et compte sur vous pour libérer du temps pour l’échange après vos interventions.

Mme Véronique Delmas, directrice d’ATMO Normandie.  Je crois qu’on a déjà bien avancé sur le sujet. La question qu’il faut se poser est : Quelle mesure pour quelle information ? Classiquement, les mesures effectuées en cas d’incendie incombent aux pompiers. Elles permettent d’évaluer le risque pour les intervenants et aussi le risque aigu, en se référant à des seuils de toxicité aiguë pour la population. À ce stade, ce sont les effets irréversibles qui sont pris en compte. Les concentrations inférieures aux seuils de toxicité aiguë sont généralement moins bien documentées.

Comme l’a dit M. Robin, cela peut nourrir l’incompréhension du grand public. Alors qu’on est officiellement en dessous des seuils irréversibles, la population ressent des effets sur sa propre santé. C’était le cas pour Lubrizol, qui a donné lieu à de nombreux signalements de santé de type nausées, vomissements, maux de tête, irritations oculaires, etc. Il semble évident qu’il faut pouvoir renseigner sur les polluants qui pourraient être à l’origine de ce type d’effets sur la santé.

Ayant la légitimité pour apporter des réponses, nous sentons que nous sommes attendus sur ce sujet. Notre métier de base porte sur la pollution chronique, mais nous cherchons à documenter au mieux les situations accidentelles, dans la limite de nos moyens, pour apporter les réponses attendues.

Que fait-on lorsqu’on est confronté à un incident, un accident, un incendie ? D’abord, on examine l’information que peuvent livrer les mesures permanentes. Dans nos stations de mesure, nous disposons en effet d’instruments permettant, par exemple, de mesurer la densité de particules en suspension. Si un panache de fumée se déplace dans la direction de la station de mesure, il peut arriver qu’elle renseigne directement sur les niveaux d’exposition. Mais ce n’est pas toujours le cas.

En l’occurrence, dans le cas de l’incendie de Lubrizol, aucune station de mesure ne se situait directement dans le panache. Les instruments de mesure permanents n’ont donc pas pu apporter de renseignements. Vous voyez ainsi quel intérêt il y aurait à compléter le dispositif le plus rapidement possible, de façon à disposer, au bon endroit, des informations les plus pertinentes possibles.

Sans entrer dans le détail – la question est très compliquée â€“, pour faire une mesure, il faut savoir ce qu’on veut mesurer. Or on n’a pas de méthode universelle pour tout mesurer. Je crois que cela a été montré dans le cas de l’eau. Il en va de même dans le cas de l’air. Si vous ne savez pas ce que vous devez mesurer, cela complique beaucoup les choses, parce que vous ne savez pas non plus comment effectuer des prélèvements. C’est le premier problème. Il est donc important d’avoir une première idée de ce qu’on veut mesurer.

Un travail en amont doit permettre de définir ce qu’on est susceptible de devoir mesurer. Nous avons entrepris de le faire au niveau d’un groupe de travail, dans le cadre de l’instruction du 12 août 2014, qui faisait suite à l’incident Lubrizol 2013. Cela a permis de faire avancer les lignes sur le recensement de substances qui pouvaient être odorantes, incommodantes ou toxiques. Atmo Normandie, AtmoSud et Atmo Auvergne-Rhône-Alpes ont participé à ce groupe de travail. Nous avons proposé des dispositifs pour effectuer les prélèvements voulus.

En première approche, nous avons proposé des systèmes de prélèvement d’air faisant appel à des bonbonnes qu’on appelle des canisters. Elles permettent de prendre un échantillon d’air et de l’envoyer ensuite le plus rapidement possible à un laboratoire pour analyses.

Un canister est un système de prélèvement à spectre large, mais il ne permet pas de faire toutes les mesures souhaitables. Néanmoins, cela a été mis en place dans le cas de Lubrizol, dans le cadre d’une convention que l’on avait signée avec le Service départemental d’incendie et de secours de la Seine-Maritime (SDIS 76). C’était la première convention de ce type en France. Cela a permis aux pompiers, qui sont en première ligne et munis d’équipements de protection individuelle, d’opérer des prélèvements, à la fois au niveau de la source et dans l’environnement. Ce système a fonctionné, puisqu’il nous a permis de disposer, dès le premier jour à 7 heures du matin, des premiers échantillons, qui ont été envoyés à l’INERIS, où des analyses ont été faites ultérieurement.

Nous avons donc pu disposer d’éléments grâce au retour d’expérience effectué après l’accident Lubrizol de 2013. Encore faut-il ajouter que les prélèvements ont livré des mesures de la densité en composés gazeux, mais non en particules, car ils ne sont pas adaptés à cela. Par exemple, les canisters ne permettent pas de mesurer les suies. D’autres types de composés ne seront pas bien préservés dans le canister.

Notre partenariat avec le SDIS 76 est donc important. Je redis que, outre le fait que les pompiers sont très rapidement sur le sinistre, ils sont dotés, pour faire ce genre de prélèvements, d’équipements de protection individuelle.

Ensuite, des moyens plus lourds ont été installés. Neuf heures après le début du sinistre, nous avons installé une station de mesure mobile dans le service technique d’une mairie. Des mesures automatiques permettaient de disposer très rapidement de données complémentaires. Nous avons aussi installé des systèmes de prélèvement des pluies, dans la continuité du panache, après 12 heures. Cela a permis de disposer d’informations sur l’eau de pluie, en y mesurant d’autres types de composés.

Il est possible d’aller plus loin encore pour ce type de prélèvements. En particulier, l’instruction du 12 août 2014 n’évoque pas les incendies. Le dispositif n’a pas été conçu pour des prélèvements liés à des composés d’incendie. Il y a donc toute une réflexion à mener sur cette question. En tout état de cause, si l’on devait recueillir des échantillons conservatoires pour les incendies, il faudrait réfléchir à d’autres systèmes que les canisters. Des systèmes de prélèvements de suies, par exemple, permettraient de recueillir les informations attendues.

Nous avons fait des mesures pour documenter l’environnement et pour apporter des informations aux modélisateurs, de façon qu’ils puissent, sur cette base, travailler sur l’exposition aux risques. Une mesure doit absolument être référencée en termes géographiques par rapport à la représentativité de l’événement. La mesure ne peut en effet être exploitée que par rapport au moment et au lieu où elle a été effectuée. Un modèle permettant de disposer d’une vue d’ensemble est également indispensable.

De quoi avons-nous besoin pour faire progresser les choses ? Nous avons déjà beaucoup avancé, mais il y a encore beaucoup à faire. Nous avons besoin de données de référence. Lors de l’incendie de Lubrizol, nous avons accumulé beaucoup de mesures, mais nous manquons de références sanitaires et de données toxicologiques de référence. Nous disposons d’informations, mais nous ne savons pas quoi dire sur elles. Le manque de données de référence sanitaires et toxicologiques est beaucoup plus criant dans le domaine de l’air que dans celui de l’eau. C’est un vrai problème.

À défaut de mesures de référence sanitaires sur les polluants mesurés, il serait intéressant d’accumuler des éléments de référence historiques, en temps normal, hors crise. Cela permettrait au moins de comparer des données observées en temps de crise par rapport à des données hors temps de crise. Aujourd’hui, nous n’en disposons pas pour tous les polluants atypiques issus d’incendies ou d’accidents. Il est important de mener ce travail de mesure « Ã  froid Â».

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  La situation dans le domaine de l’air est donc moins bien maîtrisée et plus complexe que dans le domaine de l’eau. Par rapport à la masse de données dont vous disposez, vous avez besoin de références, de référentiels et de cadres pour vous permettre de mieux comprendre et de mieux agir.

Permettez-moi de mettre les pieds dans le plat. Pendant l’épisode Lubrizol, les hommes politiques ont été pris dans une dure polémique où fusaient les questions : qu’est-ce qui était exactement dans l’air ? Pourquoi les autorités ne le disent-elles pas ? Qu’est-ce qui est dangereux et qu’est-ce qui ne l’est pas ? À quel moment ? Quelle est la chaîne de décision qui a fait défaillance ?

Comment faire pour que le jour où un nouveau Lubrizol se produit – ce qu’à Dieu ne plaise â€“, nous puissions réagir d’une façon telle que la polémique soit évitée, si tant est que ce soit possible ?

Mme Véronique Delmas.  C’est une vaste question. En termes d’information, un retour d’expérience très précis doit être fait. Il serait important de tracer la limite entre ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. Des mesures conservatoires ont pu, par exemple, être prises s’agissant des aliments, sur la base des connaissances actuelles. Mais interdire la consommation des aliments tout en assurant que l’air était de bonne qualité s’est révélé incompréhensible. Il faudra aller jusqu’au bout de ce retour d’expérience.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Je vous entends. Mais, d’un point de vue opérationnel, qui doit faire ce retour d’expérience, et comment ? Que devons-nous faire, maintenant, et quelles préconisations devons-nous formuler pour qu’un tel épisode ne se reproduise plus, en tout cas pas dans la confusion que l’on a vue ?

Mme Véronique Delmas.  Qui doit le faire ? Je me pose la même question.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Au moins, l’eau présente cet avantage qu’un organisme en est responsable, qui facture sa fourniture, conformément à un modèle de gestion en vertu duquel les récriminations se dirigent le cas échéant vers les élus. L’air, quant à lui, est pour l’instant encore gratuit ; il est res nullius.

M. Francis Garrido, directeur adjoint de l’eau, de l’environnement, des procédés et des analyses au BRGM.  Je vais présenter très rapidement le contexte général dans lequel l’établissement BRGM travaille.

Le BRGM est un établissement public de référence dans les applications des sciences de la terre pour gérer les ressources et les risques sur le sol et le sous-sol. Nous avons à la fois des missions de recherche, mais aussi d’appui à des politiques publiques et de coopération internationale. Ainsi, le BRGM est présent tant sur le territoire national qu’au-delà de nos frontières.

Mon collègue Hubert Leprond vous donnera des précisions sur notre mission d’appui aux politiques publiques. Vous verrez que, dans le domaine des sites et sols pollués, nous entretenons des liens forts avec l’un de nos ministères de tutelle, le ministère de la transition écologique et solidaire.

Le centre scientifique et technique du BRGM est basé à Orléans. Entre 600 et 700 scientifiques y travaillent. Le site rassemble toutes nos infrastructures expérimentales et tous nos laboratoires. Grâce à notre maillage territorial, nous disposons cependant de capacités d’intervention sur tout le territoire. Nous sommes en effet présents dans toutes les régions de France, en métropole et dans les outre-mer. Cela nous permet d’avoir une vraie connaissance des territoires, ainsi que, au besoin, une proximité d’intervention et d’appui auprès des acteurs de l’État ou des industriels sur les thématiques que je vous ai mentionnées.

Hubert Leprond et moi-même représentons la direction Eau, environnement, procédés et analyses, entité de 260 personnes qui rassemble beaucoup de compétences. Nous avons pour trait distinctif la pluridisciplinarité dans le domaine de l’hydrogéologie. Le BRGM étudie en priorité les eaux souterraines. Nous jouons en effet un rôle important dans la surveillance et la mesure tant de la quantité que de la qualité des eaux souterraines, avec la gestion du réseau piézométrique au niveau national ainsi que toutes les bases de données associées.

Les pollutions en surface ont un fort impact sur la qualité et la quantité des eaux souterraines. Or ces dernières sont une ressource majoritaire d’alimentation en eau potable en France. Il faut donc les surveiller et préserver leur qualité.

J’en viens à un sujet un peu à la marge du sujet du jour : la gestion des procédés sur les matériaux. Elle est assurée par des scientifiques et des techniciens et s’appuie sur le savoir-faire du BRGM dans le domaine minier. Car le BRGM a pour ainsi dire dans ses gènes l’analyse de l’exploitation et de l’impact des activités minières. Depuis quelques années, nous appliquons notre savoir-faire dans un contexte environnemental plus large, englobant la gestion des risques technologiques.

Anticiper, informer, agir : voilà nos mots d’ordre face à ces événements et à ces risques. Au BRGM, nous sommes nombreux à caractériser et identifier les pollutions, grâce à des modélisateurs capables de reprendre les données tirées de la connaissance de nos sites ou d’expériences ad hoc. Nous introduisons ensuite ces données dans des modèles de prédiction du devenir des polluants, avant de définir des stratégies de surveillance et de remédiation des environnements contaminés.

M. Hubert Leprond, responsable de l’unité Sites, sols et sédiments pollués (3SP), BRGM.  Au-delà des activités régionales, nous avons une équipe à Orléans dédiée à l’activité « sols et sédiments pollués Â». Elle opère pour le compte de l’État, de manière transversale par rapport à nos directions régionales.

Nous avons travaillé sur l’accident d’AZF en 2001. Ce transparent indique les retours d’expérience sur des pollutions accidentelles plus récentes : les inondations à Nemours (77) en juin 2016, notamment avec les risques vis-à-vis des captages d’eau souterraine ; la fuite d’un camion de 1,6-dichlorohexane à Bourgoin-Jallieu (38) en 2016 ; plus récemment, en 2019, divers incidents sur des installations industrielles notamment : fuite d’un pipeline à Autouillet (78), rupture d’une canalisation à Roissy (95), incendie de Lubrizol (76). Nous en avons analysé les retombées et, partant, le risque de transfert vers les eaux souterraines.

Je passe sur les questions posées au BRGM sur des fuites ou déversements de cuves d’hydrocarbures, ainsi que sur les incidents plus classiques qui surviennent sur des installations industrielles. En effet, les méthodologies sont assez connues.

Nous nous appuyons sur les moyens humains du BRGM : le réseau territorial, soit environ 200 agents, géologues et hydrogéologues, y compris sur les risques naturels, environnementalistes ; les équipes d’Orléans, qui interviennent en appui, de manière spécialisée, sur certaines thématiques. Nous avons établi une liste d’agents volontaires susceptibles d’être contactés en cas de crise. Ils interviennent sur les thématiques du BRGM, notamment au titre des sites et sols pollués. Le retour d’expérience interne porte principalement sur des incidents nés des risques naturels. Nous avons des collègues fortement mobilisés à Mayotte et à la Réunion, où ils interviennent très régulièrement dès qu’il y a un affaissement, des éboulements, etc.

J’en viens aux moyens matériels dont nous disposons. Parmi les appareils de terrain, les détecteurs PID (détecteur à photo-ionisation) permettent de faire des mesures semi-quantitatives de composés volatils. Le PID livre un indice total, mais, s’il n’est pas bien réglé, il est impossible de savoir quels polluants il est en train de mesurer. Ces mesures s’effectuent quasiment toutes les secondes. Il ne détecte pas tout, mais c’est un premier appareil de terrain très utile dans notre domaine.

Les appareils à fluorescence X permettent de mesurer des métaux et des éléments sous forme de traces. Ces mesures s’effectuent toutes les 15 secondes à une minute, sur le terrain. Elles sont très utiles pour les composés inorganiques.

Les analyseurs de mercure Lumex nous permettent des quantifications très précises du mercure, en nanogrammes par mètre cube (ng/m3). Les appareils sont très peu répandus : seuls l’INERIS et le Laboratoire central de la Préfecture de police de Paris (LCPP) en disposent aussi à ma connaissance.

Les appareils de micro-GC (chromatographie en phase gazeuse) permettent une quantification précise de composés volatils liés à des gaz du sol, plus qu’au sol en lui-même ou aux eaux souterraines. Eux non plus ne sont pas beaucoup répandus à l’heure actuelle. Au-delà des organismes publics comme l’INERIS, très peu d’entités, notamment d’entités privées, disposent de ce type d’appareillage. Les coûts sont en effet assez importants et il ne suffit pas d’effectuer l’analyse ou la mesure : il faut aussi toute une ingénierie pour interpréter le résultat.

Un laboratoire interne de chimie environnementale d’isotopie nous permet aussi d’identifier l’origine d’une pollution. J’entendais qu’il est parfois difficile de faire le départ entre ce qui est déjà présent et ce qui est lié à un incident. L’isotopie peut apporter une réponse à cette difficulté. Cela étant dit, on ne peut pas la pratiquer pour tous les composés. Des pistes sont cependant à creuser dans cette direction. Enfin, des laboratoires travaillent sur la caractérisation minéralogique, qui constitue pour ainsi dire notre ADN.

Quelles sont les perspectives d’amélioration ? Il faut distinguer la temporalité de court terme et de moyen-long terme, d’une part, et les chefs d’action, d’autre part. À court terme, on peut déjà améliorer les échanges entre les organismes et construire des protocoles de mesure communs. Nous intervenons sans avoir tous la même sensibilité. Certains vont gérer l’urgence, alors que le BRGM se penche plutôt sur les aspects chroniques ou, éventuellement, les effets de long terme, qui peuvent aussi être importants.

À court terme, il faudrait organiser des exercices de crise orientés sur la gestion des conséquences environnementales. Il devrait être possible de s’inspirer de l’action de nos collègues en matière de prévention des risques naturels ou dans le domaine des PPRT. Mais leur démarche est conçue par rapport aux populations, le volet des conséquences environnementales n’étant que peu ou pas pris en compte.

Il faut aussi se poser la question du développement de laboratoires de terrain, capables de réaliser des mesures fiables en temps réel. La tâche n’est pas facile, car les limites de quantification sont très faibles, de l’ordre du milligramme par kilogramme ou du microgramme par litre, et il y a des matrices que l’on ne connaît pas très bien – c’est vrai pour les eaux, les gaz du sol ou l’air, mais également pour le sol lui-même. À cela s’ajoute le fait que nous disposons d’assez peu de référentiels. Or, avoir des mesures est une chose, mais c’en est une autre que de pouvoir les comparer, pour savoir si le phénomène observé pose réellement un problème.

Prenons l’exemple du plomb qui s’est dispersé à la suite de l’incendie de Notre-Dame. Certes, il y a eu des retombées de plomb, mais le plomb n’était-il pas déjà présent du fait d’autres activités, notamment de la circulation et du transport, ou des remblais qui ont été dispersés sur l’ensemble de la zone ? C’est une vraie question.

D’autres pistes, comme le développement d’outils de terrain, peuvent être évoquées. Ces outils peuvent être embarqués. Ainsi, nous travaillons beaucoup sur les drones. Embarquer des capteurs sera la prochaine évolution pour évaluer des retombées de poussières, et peut-être aussi pour examiner d’un peu plus près ce qui se passe, au niveau des gaz par exemple, grâce à des caméras particulières. En couplant les mesures obtenues avec des outils informatiques, nous pourrons exploiter les données en masse et mieux travailler sur la modélisation.

On a parlé aussi des mesures de terrain. Ce qui est important, c’est de coupler la mesure de terrain avec des bases de données déjà connues, de façon à rapidement savoir, à partir de ces bases de données, s’il y a vraiment un problème à l’endroit de la mesure, ou non. La bancarisation de cette information est assez utile, elle permet aussi de conserver la mémoire, et de pouvoir revenir a posteriori sur l’une ou l’autre question, quand la situation est moins « chaude Â».

Permettez-moi d’évoquer un dernier point. Avoir une démarche participative, c’est très bien. Mais, à propos de Lubrizol, j’ai entendu que les nombreuses remontées d’information ne pouvaient toutes être traitées. Il faut plutôt de la bonne information, sans la multiplier. Peut-être faut-il d’abord travailler sur la source et sur la façon de bien la caractériser, ensuite sur le panache de pollution et, éventuellement, sur la question de savoir si les mêmes substances se retrouvent en dehors du panache de pollution. C’est notre démarche au département des sites et sols pollués. Nous travaillons d’abord sur la source, puis sur les voies de transfert et sur les enjeux sous-jacents. Il s’agit à la fois d’être présent, mais aussi de prendre le recul nécessaire à la bonne décision.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Ce qui me frappe en vous écoutant, c’est que vous avez des moyens techniques remarquables, du très beau matériel, et que les marges de progression sont surtout sur les questions de coordination humaine, de processus, de définition d’actions, de protocoles. C’est bien cela ?

M. Hubert Leprond.  Oui.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Mes collègues parlementaires ont-ils des questions ? Nous parlions de Lubrizol. Y a-t-il, dans le domaine de la pollution des sols, une catastrophe ou une polémique un peu emblématique qui a permis d’identifier un besoin de revoir ou d’améliorer les dispositifs ?

M. Hubert Leprond.  Le domaine de la pollution des sols n’est pas très médiatique, il n’a pas une connotation très positive. Des sites de Picardie ont été concernés il y a quelques années. J’en ai perdu le nom. C’est un domaine sur lequel on diffuse peu d’informations.

Les bases de données sont assez connues. Le ministère recense environ 7 000 sites qui font l’objet d’un suivi. Mais il y a finalement très peu de sites qui ressortent ou dont on parle. On communique peu, alors qu’on en a les moyens. C’est un paradoxe : on n’a jamais eu autant de moyens de communiquer, mais on n’a jamais aussi mal communiqué ! Telle est mon analyse.

Il convient d’adopter une démarche proactive ou une démarche de communication pour expliquer le niveau de connaissances. Je participe à de nombreuses réunions publiques. Les gens y comprennent très bien quel est l’état des connaissances. Il faut seulement être prêt à leur indiquer comment on va faire pour lever les doutes résiduels, en leur présentant une situation ou un schéma conceptuel, c’est-à-dire un niveau de connaissances à un moment donné. Je dirais presque qu’ils sont rassurés de ne pas se voir apporter toutes les réponses.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Vous parlez d’organisation d’exercice de crise orientée sur la gestion des conséquences environnementales. Dans l’air, on imagine bien un incendie dans une usine. Mais à quoi pourrait ressembler l’exercice de crise que vous souhaiteriez organiser ?

M. Hubert Leprond.  Je dirais que c’est la prolongation de cet incendie. Quels vont être les vents dominants ? Jusqu’où peut-on repérer un panache de retombée atmosphérique et qu’enclenche-t-on pour y faire suite ? C’est un peu la démarche que nous avons eue sur Lubrizol. En mobilisant nos collègues, nous avons demandé quelle était la typologie et le nombre de captages d’eau souterraine potentiellement concernés, quels étaient la nature des sols et les écoulements qu’il pouvait y avoir. En Normandie, on n’a pas de chance, les écoulements sont en milieu fissuré, voire karstique. Ils peuvent être très rapides. Comment peut-on caractériser et prévenir l’éventuelle apparition de molécules dans ces captages, donc prioriser les interventions, puisqu’il y en avait plusieurs dizaines ?

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Cela nous ramène à la question de la coordination. Dans cet exemple, le travail entre l’INERIS et le BRGM doit être extrêmement bien coordonné.

M. Hubert Leprond.  Absolument. Il l’est. Nous discutons très régulièrement.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Dispose-t-on d’une évaluation de la qualité des eaux souterraines ?

M. Hubert Leprond.  Nous suivons la qualité des eaux souterraines, comme le font les exploitants ou les industriels qui font de l’eau embouteillée.

Il existe aussi un réseau piézométrique national, bâti pour chaque région et consolidé au niveau national. Il permet d’annoncer que les nappes descendent ou que les nappes ont suffisamment d’eau, etc. Donc ces nappes d’eau sont bien suivies.

Elles sont également suivies en amont d’un certain nombre d’installations industrielles, pour prévenir une évolution ou une dégradation de la qualité.

M. Francis Garrido.  Ces données sur la qualité et la quantité des eaux sont disponibles. Nous avons évoqué la transmission de l’information non seulement aux gestionnaires et aux décideurs mais aussi au grand public. Cette information est disponible dans les bases de données gérées par le BRGM, qui a une expérience en gestion de bases de données et sait les rendre visibles et les faire parler sur les sols ou les eaux souterraines.

Pour les eaux souterraines, il est important de préciser que nous avons la connaissance de ce que l’on sait mesurer. Ce n’est pas si évident, car il existe des molécules ou des substances dont la maîtrise technique n’est pas totale aujourd’hui. Par ailleurs, le lien entre les événements qui contribuent à une pollution des sols et la pollution des eaux souterraines elles-mêmes peut prendre des années, voire des dizaines d’années, en fonction du type de pollution et du contexte hydrogéologique. Dès lors, le lien entre sol et eau est extrêmement important, parce que les polluants peuvent s’accumuler et peuvent apparaitre dans les eaux souterraines longtemps après, alors que l’on a pris des mesures de gestion rapides.

C’est pourquoi aujourd’hui, quand on mesure certains polluants, il ne s’agit pas forcément des polluants du jour, mais peut-être des pollutions passées. Il faut garder en tête toutes ces notions.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  Dans les publicités d’eau de table, de source ou minérale, nous avons l’impression que l’eau est filtrée et progresse sagement à travers des épaisseurs qui lui restituent sa pureté initiale. Vous y croyez ?

M. Francis Garrido.  Les sols ont un pouvoir épurateur. Mais l’enjeu majeur, il me semble – c’est ce qui est fait malgré tout dans des exploitations comme celles que vous mentionnez â€“, est la protection de la ressource. Elle est déterminante. N’oublions pas que lorsqu’un polluant est ciblé, polluant émergent ou molécule complexe, il peut se transformer. C’est ce qu’on appelle les produits de dégradation. Dans ce cas, les enjeux de mesures et les risques d’impacts sanitaires et environnementaux sont loin d’être identifiés, notamment sur les nouvelles molécules.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  D’autres questions ? La parole est à l’INERIS.

M. Raymond Cointe, directeur général de l’INERIS.  Je vous remercie de me donner l’opportunité, après mon collègue Bernard Piquette, de vous présenter quelques éléments sur l’action de l’INERIS, plus particulièrement en matière d’appui à la gestion de crise.

La question de la coopération entre les établissements publics a déjà été évoquée. L’INERIS s’inscrit dans un large partenariat avec l’ensemble des établissements publics. Vous parliez de sols pollués, je ne peux que rappeler que l’INERIS a constitué un groupement d’intérêt public (GIP) avec le BRGM, appelé GEODERIS et spécialisé dans la gestion de l’après-mine. Historiquement, l’après-mine était axé sur les risques d’effondrement. De plus en plus, les problématiques de l’après-mine tournent autour des sites et sols pollués. Un bon exemple est l’ancienne mine d’or de Salsigne, dont on voit que les conséquences en matière de pollution des sols restent très importantes.

L’INERIS est également présent en matière de suivi de la qualité des milieux. Nous animons, avec le Laboratoire national d’essais (LNE) et l’Institut Mines Télécom Lille Douai, le laboratoire central de surveillance de la qualité de l’air (LCSQA). Il a vocation à être le coordinateur technique du réseau de surveillance de la qualité de l’air qui est mis en œuvre par les AASQA.

Nous animons aussi AQUAREF, avec nos collègues compétents dans le domaine de l’eau : le BRGM, mais aussi l’IFREMER, l’INRAE et le Laboratoire national d’essais. Il s’agit du laboratoire de référence pour la qualité des mesures dans le domaine de l’eau, notamment pour la mise en Å“uvre de la directive cadre sur l’eau, avec des interactions au niveau européen.

Nous animons de plus le réseau européen NORMAN qui s’intéresse justement à toutes ces questions de substances émergentes que vous évoquiez.

Pour en revenir au sujet de la gestion de crise, l’INERIS, par rapport à d’autres établissements publics, a la particularité d’avoir une expertise large, qui va d’une activité très opérationnelle d’appui aux autorités publiques pendant la crise, à une activité de recherche qui, comme l’a rappelé Bernard Piquette, s’appuie sur des grandes installations expérimentales et de fortes capacités de modélisation.

Les deux événements que vous avez mentionnés en introduction, l’incendie de Notre-Dame de Paris et celui de l’usine Lubrizol à Rouen, nous ont fortement mobilisés cette année. L’appui que nous avons apporté aux autorités publiques s’est nourri de nos travaux de recherche et, réciproquement, le retour d’expérience que nous avons largement entamé nous conduit à renforcer, ou à proposer de renforcer, certains de nos axes d’étude et de recherche.

Cette illustration est la simulation du panache de l’incendie de Notre-Dame. Voilà un exemple qui relève de la recherche, aussi bien en ce qui concerne la modélisation du panache lui-même que l’identification du terme source, pour essayer de comprendre la dispersion du plomb dans l’atmosphère. Ce travail est évidemment très utile aux autorités publiques en matière d’appui à la gestion de crise.

Je vais vous présenter rapidement les questions auxquelles nous sommes amenés à répondre en appui à la gestion d’un accident, en m’appuyant autant que possible sur les exemples des incendies de Notre-Dame et de Lubrizol.

Je rappelle que nous avons une cellule d’appui aux situations d’urgence (CASU) qui est opérationnelle 24 heures sur 24 pour répondre aux demandes des autorités publiques. Comme l’a rappelé Bernard Piquette, la première chose qui nous est demandée, en urgence, dès le début d’un incendie, c’est de caractériser le terme source, sachant que le premier objectif est d’évaluer, au regard des dangers immédiats, les distances auxquelles il y a des risques de dommages irréversibles sur l’homme. Il s’agit là de protéger les équipes d’intervention, les salariés, et le cas échéant les populations avoisinantes.

Nous avons des modèles qui sont maintenant très opérationnels pour évaluer ces paramètres. Ils nous permettent de fournir une réponse en 30 minutes, en urgence donc, au déclenchement de la crise. Par contre, ces modèles se basent sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices, et pour l’essentiel, supposent une combustion de type « feu ventilé Â», ce qui conduit à une décomposition et recomposition des molécules en molécules simples, c’est-à-dire du dioxyde de carbone et de l’oxyde de carbone. Généralement, et c’est une chance, ce sont les composés toxiques aigus qui sont dimensionnants pour la première phase d’intervention.

Le deuxième objectif a été très largement évoqué ce matin : il consiste à évaluer les conséquences à plus long terme de l’incendie ou de l’accident, aussi bien d’ailleurs pour l’environnement que pour la santé.

J’insiste sur le fait que cette préoccupation n’est pas si récente. L’INERIS a développé son expertise dans ce domaine depuis maintenant plus d’une quinzaine d’années, à la suite notamment de l’incendie d’une usine de produits phytosanitaires qui a eu lieu à Béziers en 2005. Cela nous a conduits à élaborer un certain nombre de guides sur la gestion post-accidentelle. De fait, l’incendie de Lubrizol a été, je pense, le premier cas concret d’application, sur un incendie d’une telle ampleur, de la méthodologie ainsi développée depuis 15 ans.

La connaissance des substances émises pouvant avoir des effets à moyen ou long terme est beaucoup plus délicate que celle des substances ayant des effets à court terme. En l’état actuel des connaissances, nous pouvons dire sans risque d’erreur qu’il est très difficile, voire impossible, d’identifier ces substances par modélisation, surtout en quelques heures. Notamment pour Lubrizol, les substances en question peuvent être les produits d’origine, vaporisés ou aérosolisés, des produits de combustion, voire des produits issus des éléments de structure ou d’équipement lorsque les conditions d’incendie sont complexes et donc difficiles à modéliser, de type « feu sous-ventilé Â». Je reviendrai le cas échéant sur la question de l’amiante, une illustration assez évidente des problèmes qui peuvent se poser. Aujourd’hui, c’est le retour d’expérience sur ce type d’incendie, acquis à la fois par l’analyse d’accidents similaires et par les essais réalisés dans nos grandes installations expérimentales, qui nous guide pour estimer les substances susceptibles d’avoir été émises.

Si je prends l’exemple de Notre-Dame, il était assez évident dès le début de l’incendie qu’une problématique plomb allait se poser, mais nous étions tout-à-fait incapables dans les premières heures de l’incendie d’estimer la quantité de plomb qui avait pu être émise, et encore moins la localisation de ces émissions.

C’est pourquoi, en l’état actuel des connaissances, il est absolument indispensable d’organiser très rapidement des prélèvements dans l’environnement pour caractériser les substances émises et entamer ainsi l’évaluation des risques.

La première chose que nous faisons dans les premières heures de l’incendie, c’est simuler le panache qu’il génère, afin notamment de savoir où effectuer ces premiers prélèvements. Nous sommes aujourd’hui capables en quelques heures de produire un panache à courte distance – de l’ordre de 10 km. Il nous faut un à deux jours pour un panache à plus longue distance – plusieurs centaines de kilomètres â€“, sous réserve d’avoir une bonne connaissance du terme source que rappelait Bernard Piquette.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  De quoi dépend cette durée ? Que vous faudrait-il pour la réduire ?

M. Raymond Cointe.  L’évaluation du terme source est sans doute l’élément technique le plus compliqué car il est très dépendant de l’accident. On le voit bien sur Notre-Dame, il nous a même fallu faire des essais pour estimer la quantité de plomb émise et sous quelle forme elle avait pu être émise. Cela nous a pris des semaines voire des mois. Sur des incendies plus simples, ou pour lesquels nous avons plus d’expérience, nous pouvons aller plus vite.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Ce n’est donc pas une question de capacité de calcul qui vous limite, c’est vraiment une question de capacité à évaluer le terme source… ou un petit peu quand même…

M. Raymond Cointe.  Cela dépend aussi de l’horizon temporel visé.

Mme Laurence Rouïl, direction des risques chroniques à l’INERIS.  Il y a en effet une petite composante « temps de calcul Â». Si la distance d’impact est augmentée, une autre gamme de modèles un peu plus coûteux en temps de calcul va être mise en Å“uvre. On a des capacités mobilisables, mais il y a également cette composante.

Le principal problème reste cependant la qualification correcte du terme source, dans une logique de prélèvements et d’analyse des expositions. On pourrait très bien calculer relativement rapidement des coefficients de transfert, mais hors du cadre de cette logique.

M. Raymond Cointe.  Il faut aussi prendre en compte les coûts qui en résulteraient pour rendre ces chaînes de calcul plus opérationnelles encore plus rapidement.

Un sujet purement technique et pas scientifique est la topographie. Entrer dans le modèle une topographie précise suppose de la connaître, ce qui prend un peu de temps. Il y a sans doute là des améliorations à apporter. Heureusement, si je puis dire, nous avions déjà simulé l’incident de Lubrizol en 2013 et nous avions donc en archives la topographie de Rouen, ce qui nous a sans doute fait gagner quelques heures pour la simulation du panache.

Ensuite, se pose la question des prélèvements et des analyses. Je pense pouvoir dire que la gestion de l’incendie de Lubrizol, même si elle a été – encore ce matin â€“ critiquée sur plusieurs aspects, s’est distinguée de celle d’incendies similaires dans la mesure où, à ma connaissance, c’est la première fois, en France, que des prélèvements quasi immédiats ont été réalisés. Comme l’a rappelé notamment Atmo Normandie, les prélèvements ont été organisés dès les premières heures de l’incendie par les acteurs locaux, Atmo Normandie, le SDIS, le bureau d’études privé Veritas, en concertation avec nous quant aux lieux où effectuer ces prélèvements. Il s’agit de prélèvements d’air, comme l’a rappelé Atmo Normandie, mais aussi de prélèvements de surface pour avoir des premières analyses des dépôts. Les laboratoires de l’INERIS ont été mobilisés dès le jour de l’incendie pour analyser ces premiers prélèvements, avec l’objectif – c’est l’une des difficultés qu’a rappelées Atmo Normandie â€“ d’avoir le spectre d’analyse le plus large possible, puisque nous ne connaissons pas à l’avance les polluants cherchés. Dans la mesure du possible, nous essayons de ne pas ignorer certaines substances.

Je rappelle que 15 Ã©chantillons d’air, notamment des canisters, ont été analysés et interprétés, dont 6 dans des délais inférieurs à 24 heures. 125 Ã©chantillons de prélèvements de surface sur 52 points de prélèvements, dans Rouen et au-delà, ont également été analysés, avec des premiers résultats moins de 36 heures après le début de l’incendie pour certains polluants, les métaux et les hydrocarbures aromatiques polycycliques. S’agissant des dioxines, les résultats ont été obtenus en 5 jours, ce qui peut paraître long, mais compte tenu de la difficulté technique, c’est assez rapide.

Là encore, il est évident que la réalisation d’analyses plus rapides et plus fiables fait partie des pistes sur lesquelles nous travaillons. J’y reviendrai si vous avez des questions.

Pour conclure, les premières analyses que nous avons effectuées ont montré l’absence d’un marquage clair de l’environnement dû à l’incendie de Lubrizol, sauf à proximité immédiate du site, où nous avons notamment relevé, ainsi qu’Atmo Normandie, des teneurs en benzène très nettement supérieures à la normale. Si ce premier résultat reste valide jusqu’à présent, il est clair que les difficultés de communication de ces résultats d’analyses montrent qu’au-delà de la comparaison avec des prélèvements témoins en dehors du panache, il y a un besoin, rappelé par le BRGM, de points de référence partagés sur les concentrations de certains polluants. Ces concentrations sont ubiquitaires dans l’environnement, c’est l’une des difficultés, en particulier pour les dépôts surfaciques.

La question se pose également pour Notre-Dame. L’interprétation des résultats a été rendue difficile par un manque de données de référence pour ce type de mesure. C’est l’un des sujets sur lesquels nous réfléchissons pour améliorer les choses.

Pour conclure, je me suis limité volontairement à l’intervention de l’INERIS pendant la crise. Il y a des sujets qui restent, notamment pour Lubrizol, où une évaluation des risques précise et plus consolidée n’est pas terminée. Ce que j’ai indiqué n’est qu’un aspect partiel, limité aux quelques jours qui ont suivi l’incendie lié à l’accident.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Quand vous parlez de topographie, s’agit-il du terrain naturel ? Des bâtiments ? Quel niveau de détail avez-vous besoin de connaître ?

Mme Laurence Rouïl.  Cela va dépendre de la nature de l’accident et de ce que l’on cherche. Si on se projette sur un domaine assez important pour imaginer, en effet, les retombées de façon la plus exhaustive possible, ce qui va nous intéresser n’est pas le descriptif très précis du bâti, mais les aspérités et la nature du sol, que l’on représente par des paramètres de rugosité. Ceux-ci impactent par exemple le dépôt des polluants atmosphériques. Cela va être essentiellement la description géographique du domaine.

Si l’on s’intéresse à des effets à plus courte distance où, dans certaines situations – un environnement urbanisé â€“, la présence de bâti peut créer des zones à risque (phénomènes de recirculation ou d’accumulation), on souhaite alors une description un peu plus précise du bâti lui-même. Cela dépend vraiment des situations et de ce que l’on cherche.

M. Raymond Cointe.  La topographie à Rouen est assez particulière. Ne pas prendre en compte la topographie dans ce type de simulation conduirait certainement à des résultats inexacts. En l’occurrence, les dépôts consécutifs à l’incendie se sont plutôt retrouvés à Mont-Saint-Aignan, compte tenu de la géographie, qu’au centre-ville de Rouen. Il est utile d’avoir cela en tête pour les simulations.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Vous avez insisté sur le fait qu’il s’agit d’un domaine pour lequel la recherche rencontre l’action publique. Qui dit recherche dit processus international. Quels sont les équivalents européens de l’INERIS ? Quelles sont les coopérations internationales ? Quel parangonnage ?

M. Raymond Cointe.  L’INERIS est assez spécifique dans ses missions si on les compare à l’international. Il possède une palette d’expertise qui va de de l’appui très opérationnel à des compétences en matière de risques accidentels, mais aussi de risques chroniques. Nous n’avons pas d’équivalent stricto sensu dans les autres pays européens. Nous avons plutôt des réseaux de coopération avec un certain nombre de partenaires qui sont, sur certains sujets, plus ou moins nos homologues.

Sur les questions d’incendie par exemple, la coopération européenne porte sur les modèles numériques afin de les comparer et de les valider. Le domaine de la qualité de l’air, qui est assez proche de celui de la simulation de panache, a évidemment une dimension européenne très marquée. En l’occurrence, Laurence Rouïl est la référente scientifique de la convention sur la pollution transfrontalière à longue distance. Nous jouons un rôle assez important dans cette coopération internationale. Je n’ai pas de réponse générale à vous donner sur toute la palette d’activités de l’INERIS, mais à l’évidence, le caractère international est absolument essentiel sur plusieurs de ces domaines.

Mme Laurence Rouïl.  En effet, nous avons un réseau de partenaires. En matière de benchmark, notamment sur les modèles de dispersion et de chimie-transport, nous participons à des exercices de benchmarking, de modèles d’inter-comparaison, soit en situation d’épisode de pollution, soit sur des campagnes de mesures très précises. Tout un réseau d’organismes y participe. Ils ne sont pas complètement équivalents à l’INERIS, mais nous les connaissons bien. Cela nous permet de comparer nos résultats, nos méthodes et de progresser régulièrement.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Je donne maintenant la parole à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

M. Christophe Libeau, lieutenant-colonel de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), conseiller technique opérationnel NRBC.  Merci de donner à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris l’occasion de s’exprimer ici. Cette brigade est commandée par le général Jean-Marie Gontier, qui était le commandant des opérations de secours lors de l’incendie de Notre-Dame.

Je répondrai aux questions qui nous ont été transmises pour préparer les débats. Je parle au titre des pompiers de Paris, je n’ai pas vocation à parler au titre de tous les pompiers de France, même si la plupart des pompiers travaillent de la même façon. Nous appliquons une même méthode de travail, une démarche générale des opérations, qui permet de transposer ailleurs en France ce que je vais dire, notamment sur les problématiques industrielles.

Dans les premières minutes, les premiers quarts d’heure – parfois cela peut être un peu plus long â€“, nous devons faire face à l’inconnu. On y répond par une approche méthodologique à trois pans.

Premier pan : le principe de précaution, principalement avec le port des équipements de protection individuelle (EPI). Ce sont les tenues de feu et les appareils respiratoires isolants, l’important étant de protéger les voies respiratoires.

Deuxième pan : la recherche du renseignement. D’abord, il nous faut prendre contact avec ceux qu’on appelle trivialement « les requérants Â», les personnels du site : ceux qui vont nous ouvrir les portes, ceux auprès de qui nous allons essayer d’obtenir un maximum de renseignements – Â« de quoi s’agit-il précisément ce jour-là ? Â». Ils s’ajoutent aux renseignements dont nous disposons préalablement, j’allais dire en « temps de paix Â». Lorsque les établissements sont classés Seveso, il existe un ensemble de plans. Une partie des connaissances est établie conjointement avec la DRIEE (Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France), l’équivalent en région parisienne des DREAL. Ces renseignements sur la topographie précise des lieux et des installations nous sont utiles pour intervenir. Nous avons aussi besoin de connaître la nature des produits, afin de pouvoir répondre à la question : « Que doit-on mettre comme type d’extinction en face pour être efficace ? Â»

Le troisième pilier, c’est l’anticipation. C’est un planificateur qui vous parle : le premier mort à la guerre, c’est le plan. Les plans sont utiles, les plans de secours que nous établissons au titre des pouvoirs publics, les plans que met d’abord en place l’industriel au titre de sa responsabilité, qu’il soit public ou privé : le plan d’opération interne et le PPI (plan particulier d’intervention) en lien avec les pouvoirs publics.

Le plan ne répond pas à tout. Il nous faut faire face – notamment le chef des pompiers, mais probablement aussi les services publics avec lesquels nous travaillons, les médecins, les policiers, etc. â€“ à tout ce qui n’est pas prévu dans un plan qui doit rester générique. Un plan exhaustif aurait 3 000 pages. Il nous faut faire la part des choses, trouver l’équilibre entre ce qui est prévu et ce qui est de l’ordre de l’acte réflexe, la part d’intelligence et de réflexion qu’il faut mettre en jeu avec tous les partenaires, ceux qui sont ici autour de cette table et d’autres. L’objectif est d’aboutir à la résolution du problème. L’enjeu est là : être capable d’anticiper sur cette période.

Tout se joue sur les premiers quarts d’heure. Pour faire le lien avec ce qui a été dit précédemment par nos collègues de l’INERIS, qui ont évoqué la Cellule d’appui aux situations d’urgence (CASU) avec qui nous travaillons quasiment au quotidien, nous échangeons du temps contre de la précision dans la définition du fameux terme source. Après un quart d’heure, nous avons peu d’informations. Au bout d’une demi-heure, si nous sommes capables de nous engager auprès des bidons, des citernes, des fûts qui sont en train de brûler, nous aurons peut-être de l’image à produire sur la taille de la brèche, sur la quantité de matière qui s’évapore ou qui est en train de brûler… Nous transmettons tout cela à l’INERIS. Le modèle va pouvoir être affiné. Ce qui nous intéresse, c’est le retour, qui nous permettra d’affiner la taille du périmètre de sécurité, en plus ou moins large – en général, on l’élargit. Voilà l’enjeu de l’anticipation : elle doit permettre de travailler en interservices et d’avoir un retour, notamment avec des services comme la CASU de l’INERIS.

Les autres questions concernent les moyens de réduire les risques sur la santé, celle des intervenants pompiers et de la population. J’ai évoqué le port des EPI. On part sur une situation qui est d’emblée, pour nous, maximale : la tenue de feu et les protections respiratoires sont obligatoires. Nous pouvons être amenés à baisser le niveau de protection en fonction de notre évaluation du danger. C’est rarement le cas. Nous allons porter longtemps ces tenues d’intervention, notamment tous les personnels qui vont s’engager au plus près du sinistre. Plus on s’éloigne du risque, dans le bon sens du vent, moins on aura à porter des effets de protection : les cadres qui vont travailler autour d’un véhicule de commandement vont pouvoir agir sans EPI. Mais c’est la première ligne de défense et elle s’applique à tous les intervenants.

Nous sommes là pour conseiller les autres services publics et le personnel de l’entreprise qui pourrait être amené à nous aider, à faire la même évaluation du risque.

Nous conseillons aussi la population sur les mesures de protection à prendre. Nous contribuons, avec d’autres, à cette évaluation dans la phase aiguë de l’intervention. Pendant une demi-heure, trois quarts d’heure, nous serons les seuls à pouvoir nous prononcer là-dessus.

La BSPP dispose d’un système de médecine intégré. Les médecins, militaires pour la plupart, font partie de la maison. Ils sont dans les services arrière et vont également être présents sur l’intervention. Ils vont converser avec les médecins, ceux de l’ANSES ou d’ailleurs, pour apprécier la situation et commencer à faire le lien avec les conseils aux populations. C’est l’enjeu majeur, très clairement, en plus d’éteindre le feu : que doit-on dire à la population ? Avec quel tempo ? Quels types de conseils ?

Nous ne nous engagerons pas sur la phase dite post-accidentelle, quand l’intensité du feu baisse, et que le feu aura été éteint le plus rapidement possible. Nous passons alors la main à d’autres services qui prendront la parole juste après moi. Par contre, nous contribuons, y compris par nos mesures, à l’évaluation du risque. Certes nos capacités pourraient s’améliorer ; le paysage est hétérogène en France. Nous pouvons apporter notre contribution sur les trois milieux : prélèvement dans l’air, prélèvement dans l’eau, un peu le prélèvement surfacique. Sur la place de Paris, nos prélèvements et analyses se font en lien avec le Laboratoire central de la Préfecture de police (LCPP), notre partenaire quotidien. Ils n’ont pas valeur de preuve, mais servent plutôt d’indice très empirique pour conseiller d’abord, sur le terrain, le commandant des opérations de secours, c’est-à-dire le chef pompier, mais également son autorité, maire ou préfet, plutôt le préfet, qui a valeur de directeur des opérations de secours. Il a la légitimité et l’autorité pour prendre les mesures vis-à-vis des populations, mais également de l’environnement.

Nous contribuons à alimenter les autorités en renseignements, avec toute la pondération qu’il faut apporter à des prélèvements qui sont faits dans des conditions très dégradées. Le BRGM a montré quelques appareils dont nous disposons également (PID par exemple). Ce qui marche très bien dans un laboratoire peut être moins performant lorsqu’on est sur le terrain, en pleine nuit, avec des mains dans les gants, avec la visière qui cache certaines choses. Il faut prendre en compte tout cela. Nous apprenons et nous nous formons à travailler dans ces conditions-là. Au fur et à mesure que le temps passe, nous sommes capables d’affiner les choses.

Pour terminer, je vais citer trois éléments. Une question concerne le suivi médico-sanitaire qui est mis en place, d’abord pour les primo-intervenants, notamment les pompiers. Il est en place, au moins pour les sapeurs-pompiers de Paris, et peu ou prou dans les autres services d’incendie et de secours de France. À la BSPP, la médecine est intégrée, il y a des médecins sur place au moment de l’intervention. Ces médecins appartiennent à notre corps, ils ne sont pas du SAMU. La prise en charge médico-sanitaire de nos premiers intervenants intervient quasiment dès le début de l’intervention, ainsi que pour nos collègues policiers, gendarmes et autres intervenants présents sur les lieux. Ce suivi médico-sanitaire dure. À Notre-Dame de Paris, tous ceux qui ont été identifiés comme étant susceptibles d’avoir été exposés au plomb ont bénéficié d’un suivi médico-sanitaire dans les heures qui ont suivi le retour dans les casernes, et il dure encore pour certains.

Ces choses-là sont en place, c’est dans notre culture militaire. Elles sont faciles à déployer, il suffit de donner des ordres, les gens s’exécutent avec adhésion. Ils y croient et adhèrent au principe.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  En matière d’information des intervenants sur les risques, comment réévaluez-vous vos procédures ? Comment l’information est-elle réévaluée pour s’adapter au nouveau contexte, aux nouveaux enjeux, aux nouvelles connaissances ?

M. Christophe Libeau.  C’est d’abord une question d’organisation du service. Je travaille justement dans le bureau de planification opérationnelle, qui couvre la totalité du spectre, en lien avec les partenaires ici présents. L’analyse des dangers et des risques du secteur est évaluée quasiment en permanence. Le thème de la table ronde se focalise sur les risques industriels, mais nous avons tous noté que Notre-Dame n’est pas un établissement classé Seveso ou une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), et pourtant les conséquences de son feu sont dignes d’un établissement industriel.

Il nous faut faire cette lecture-là, très réglementaire et factuelle, mais en sortir en même temps la réponse opérationnelle : quel type de camions de pompiers met-on en place ? Sur quel maillage territorial ? On appelle cela les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDACR), ou, à Paris, les schémas interdépartementaux d’analyse et de couverture des risques (SIDACR). Et surtout, quelles formations, quels équipements met-on en place pour les pompiers ? Pour les sapeurs-pompiers de Paris, la formation professionnelle est permanente, tous les jours, samedi et dimanche inclus, qu’elle soit pratique et théorique, à l’échelle individuelle, des groupes, des petites unités, des casernes ou de plusieurs casernes. Elles visent à s’habituer, à s’entraîner en permanence, à travailler ensemble et à faire face à tout type de situation. C’est l’entraînement qui répond le plus précisément à votre question.

Nous ajustons en permanence les doctrines opérationnelles, ce qui demande un travail de fond. Comment répondre aux nouvelles menaces telles que les produits de taille nanométrique pour lesquels nos appareils de protection, on le sait, présentent peut-être des failles ? Il nous faut suivre le progrès technique. Avec d’autres bureaux de la BSPP, nous cherchons à savoir ce qui se fait en matière de recherche, ce que les fournisseurs font en termes d’équipement, nous essayons de déterminer à quel moment il nous faut changer d’équipement et basculer sur autre chose. Cela se fait en permanence dans tous les services d’incendie et de secours de France, en tout cas chez les pompiers de Paris.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  La BSPP couvre le territoire de l’ancien département de la Seine. Vous avez donc des risques industriels affirmés.

M. Christophe Libeau.  Cela représente aujourd’hui la Ville de Paris et les trois départements de la petite couronne, au sein de la zone de défense et de sécurité de Paris. Je suis le conseiller technique opérationnel pour les affaires NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), qui couvre les risques industriels.

Nous travaillons également beaucoup avec nos partenaires que sont les quatre services d’incendie et de secours de la grande couronne parisienne. Notre réseau est très efficient, très efficace. Nous nous connaissons tous très bien. Nous travaillons et nous nous formons ensemble, parce que le visage de la région change en permanence, notamment sur le secteur de l’agglomération parisienne que vous citiez, Monsieur le président, l’ancien département de la Seine. Les grandes industries s’éloignent vers la grande banlieue, là où pour l’instant, il y a encore quelques champs et une faible urbanisation. Nous savons que dans trente ans, le scénario sera le même que pour AZF : l’urbanisation va s’étendre, sauf si les PPRT sont rigoureux et bien appliqués. Vous le voyez, c’est toujours une balance, un équilibre.

Pour autant, sur notre secteur, il reste des dépôts pétroliers majeurs. Nous en avons identifié un dont le gabarit est similaire à celui de Lubrizol : même dimensionnement en termes de quantité de produits, de types de produits, et Paris est sous les vents dominants de ce site. On suit cela de près. Il y a d’autres établissements de l’industrie pétrochimique au sens large. Quant aux installations classées, elles sont observées : avec les partenaires de la DRIEE et les autres établissements, nous les suivons de près.

Il ne faut pas passer à côté de ce qui se profile. Des installations nouvelles, comme le Grand Paris Express, vont modifier le visage de Paris. Il n’y a pas là de risque industriel, mais de nouvelles procédures, pour des interventions sur des installations de très grande profondeur et de très grande longueur, vont modifier complètement notre façon d’agir. Nous aurons besoin de modéliser le comportement des flammes et des fumées dans les tunnels, à la sortie des tunnels, dans les périodes d’exploitation, lorsque les trains rouleront. Le visage de Paris change et il va encore changer dans les vingt ou trente prochaines années. Il nous faut le regard le plus pertinent possible, compte tenu de l’écart entre la réalité et la prévision.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Combien de personnes travaillent à la BSPP ?

M. Christophe Libeau.  8 500 hommes et femmes en activité, tous militaires. Cette unité militaire du Génie est mise à la disposition du préfet de police de Paris, avec un ensemble de détachements, au ministère des Armées ou ailleurs, où des emprises de pompiers de Paris sont présentes.

Nous travaillons de concert avec les établissements qui disposent de services privés d’incendie et de secours. On y retrouve des anciens de la maison. Au-delà, on travaille ensemble nos procédures : qui doit faire quoi en premier, et comment créer une interface efficace ?

C’est une grande institution dont le régime est fondé sur la militarité, ce qui signifie : la jeunesse de la troupe, une force physique, une aptitude, mais aussi une exigence de service, un culte de la mission. Nous ne partons pas tant que le feu n’est pas éteint. C’est valable ailleurs aussi. Ces valeurs très fortes sont cultivées en permanence, tous les jours, y compris à l’entraînement. L’une de nos forces vient de ce caractère éminemment centralisé. Dans la chaîne opérationnelle, un grand centre opérationnel basé à l’état-major va organiser l’intervention, et ses capacités font la force de la déconcentration de l’autorité sur le terrain. Le commandant des opérations de secours a pleine autorité pour demander les moyens dont il a besoin, les moyens internes, mais également les moyens des services publics concourants, y compris l’expertise de l’INERIS, avec la CASU, et de tous ceux qui pourraient être impliqués : des associations de surveillance – Airparif sur Paris â€“ pour faire une évaluation de la menace à court, moyen et si possible long terme, même si le long terme sort de notre périmètre d’action.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Au niveau des ressources humaines, du recrutement, des vocations, avez-vous des problèmes ?

M. Christophe Libeau.  Non, pour l’instant il y a toujours du monde dans les camions, que ce soit chez les officiers, les sous-officiers ou les militaires du rang. Certains pompiers ont déjà été pompiers volontaires ailleurs sur le territoire. C’est une force pour les deux parties, parce qu’ils sont déjà formés et qu’ils ramènent une expérience – statistiquement, ces pompiers civils font plus d’interventions à Paris. Cela migre bien, et quelque part, les cultures se diffusent et se complètent. Nous avons le soutien de nos autorités, je tiens à le dire, sans langue de bois, c’est une réalité. Notre-Dame a accentué un phénomène qui était déjà présent, de la part de la mairie de Paris, qui est notre principal contributeur. Nous sommes d’abord là au titre de la ville de Paris, de la préfecture de police, qui est l’autorité de tutelle, et des autorités militaires, puisque nous dépendons aussi du gouverneur militaire de Paris. Notre unité ne fait pas grève, elle est toujours présente pour secourir les personnes et éteindre les feux. En 2019, nous avons fait 507 000 interventions, dont 3 % de feu, sachant que le petit feu de poubelle compte pour un et que l’incendie de Notre-Dame compte aussi pour un dans la statistique ; sans être du métier, on comprend bien que la gestion est différente.

Le retour d’expérience fait également partie de notre culture, d’abord en interne, et pas uniquement quand les interventions se passent mal ou qu’on identifie des choses qui pourraient être améliorées, mais aussi quand on estime que les interventions sont bien conduites, pour en faire la bonne presse en interne.

Nous travaillons beaucoup le retour d’expérience avec nos partenaires : Engie, Enedis et RTE, parce que nous devons améliorer nos procédures. L’un de nos enjeux est le travail interservices. Il est permanent, il ne date pas d’aujourd’hui, il continue. L’objectif est de faire en sorte que chacun dans son périmètre sache ce qu’il a à faire, avec à peu près les moyens de le faire, même si on peut toujours s’améliorer. L’enjeu est de travailler ensemble, se comprendre, ne pas parler un jargon, pouvoir livrer à l’autorité publique, le préfet en général, une compréhension de la situation, et après, une distribution des rôles. L’enjeu est vraiment très important, et l’on peut continuer à faire des efforts pour progresser.

Il y a des pistes d’amélioration, notamment sur l’entraînement, ce qu’on appelle la préparation opérationnelle, les exercices – qui peuvent être des exercices dits « sur table Â», sans mettre des gens sur le terrain, et donc sans que cela ne coûte très cher ; c’est juste du temps de cadres, de la disponibilité. Il y a aussi les exercices de terrain pour acculturer nos pompiers à dérouler des tuyaux dans les conditions les plus proches de la réalité. Tout cela va de pair. C’est un effort collectif que nous devons tous mener.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Un grand merci pour cette contribution qui fait chaud au cÅ“ur. Nous avons vu à l’occasion de l’incendie de Notre-Dame de Paris à quel point la nation peut être fière de ses sapeurs-pompiers, et votre témoignage nous le rappelle. Terminons cette table ronde avec M. Mathieu Schuller, directeur de l’évaluation des risques à l’ANSES.

M. Mathieu Schuller, directeur de l’évaluation des risques à l’ANSES.  Mon intervention va se concentrer sur l’apport de l’expertise sanitaire dans une situation post-accidentelle, c’est-à-dire après qu’un accident s’est produit, issu ou non d’un événement industriel – Notre-Dame n’est pas un événement industriel â€“ et suivi éventuellement d’une surexposition en termes de contaminants et de polluants, ce qui peut interpeller nos concitoyens. Je me situe donc en post-accidentel, après que les collègues de la protection civile aient tout mis en Å“uvre pour que les principaux risques aigus, les fatalités les plus immédiates, aient été écartés ou minimisés.

Quelles sont les questions qui animent mes équipes lorsqu’on se mobilise en post-accidentel aux côtés des pouvoirs publics ? C’est très simple : il s’agit de ne pas se faire surprendre par deux choses.

La première, c’est la contamination, le terme source dont on a modélisé la dispersion. Est-ce qu’il comporte des contaminants chimiques susceptibles de générer, par leur accumulation, un effet aigu à court terme ? Ce serait par exemple le cas avec des contaminants très toxiques comme l’arsenic ou l’amiante.

La deuxième, ce sont les mécanismes d’accumulation, de rétention dans les sols, par les plantes, d’ingestion par les animaux, qui peuvent accélérer le compteur des expositions chroniques, c’est-à-dire celles qui vont générer des effets sanitaires parce qu’elles s’accumulent dans le temps.

Les expositions chroniques existent indépendamment de tout incident ou accident. La question que l’on doit traiter en post-accidentel est donc la suivante : est-ce que la sur-exposition ou la sur-contamination associée à l’incident ou l’accident va augmenter, croître plus rapidement, et donc générer des risques ?

Nos concitoyens entendent parler d’effet cocktail, d’effet dose-dépendant. Quelle partie de ces problématiques faut-il prendre en compte dans une situation d’urgence ? On ne les a pas toutes – il existe des travaux de recherche sur les co-expositions chimiques, j’y reviendrai.

Par contre, on peut déjà travailler sur les problématiques de multi-exposition. Sur Lubrizol, nous avons été saisis en même temps que nos collègues de l’INERIS. Ils ont travaillé sur les contaminants issus de l’incendie, sur les composants, avec toutes les problématiques très complexes – combustion complète ou incomplète, quantité de dioxine, etc. De notre côté, avec les outils de l’ANSES, nous avons regardé, quelle que soit la composition exacte de ce qui avait été émis, si certains composants pouvaient rapidement poser un problème le cas échéant.

Nous tenons à jour des « Ã‰tudes de l’Alimentation Totale Â» (EAT). Nous savons par exemple qu’une exposition au plomb, à des dioxines ou à des furanes, peut être problématique, toutes choses égales par ailleurs, pour une partie de nos concitoyens. Nous avons préconisé de rechercher en priorité ces substances potentiellement associées à l’incendie.

C’est une autre caractéristique de la gestion de crise ou post-accidentelle. Les moyens d’analyse et d’intervention, sont dimensionnés et délimités. Nous pouvons éventuellement les compléter par des moyens mobiles, mais il ne faut pas les saturer par des questions qui sont certes intéressantes sur un plan intellectuel ou scientifique, mais qui passent à côté des principaux enjeux. D’où cette interaction avec l’INERIS, en revisitant également nos travaux antérieurs. Les cartographies de l’INERIS sont très précieuses. Il faut toujours aller investiguer, rechercher des traces de ce qui a été dispersé, dans l’eau, les sols, les aliments, qui montreraient qu’il y a eu, ou pas, sur-contamination par l’incendie, et qui pourraient poser un problème de sécurité sanitaire à moyen terme.

À partir de ces analyses, et en utilisant à la fois les données air, eau, aliments, nous avons conseillé certains acteurs du post-accident sur l’évolution des dispositifs de surveillance. Indépendamment de tout accident, il existe des dispositifs de surveillance de la qualité de l’air et de l’eau – eaux de consommation humaine ou eaux souterraines. Ces capacités se sont mobilisées très fortement pendant l’accident. La question, c’est l’après : avant de revenir à une surveillance normale, quelle est la surveillance adaptée en situation post-accidentelle pour identifier les mécanismes d’accumulation que j’évoquais tout à l’heure et vérifier qu’ils ne sont pas à l’œuvre ?

Exemple : certains polluants organiques comme les dioxines ou les HAP sont particulièrement lipophiles et ont donc une propension à se lier plutôt à des molécules organiques. Est-ce qu’ils sont susceptibles de s’accumuler dans les animaux, puis d’être restitués en causant une exposition humaine ?

Les conseils que nous avons prodigués à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et les avis que nous avons produits à cette occasion visaient à donner des cibles, à indiquer où porter l’attention. De la même manière, nous avons travaillé avec l’agence régionale de santé de Normandie, appuyés par les collègues du BRGM, sur les captages sensibles, pour dire quel dispositif de surveillance (plus dense, plus précis) devait être mis en place en Normandie pendant 6 à 12 mois, pour éviter une élévation anormale, ou susceptible d’inquiéter, de la contamination des eaux associée à l’incendie.

Nous essayons également de trouver des points d’accumulation. Dans les stations d’épuration, si l’on analyse les boues qui sont générées quelques jours après l’incendie, nous sommes certains de trouver des traces. Ce n’est pas pour autant que cette eau est distribuée au robinet.

Voilà notre champ d’action. Il tire parti de nos connaissances sur les phénomènes d’exposition courante associés à l’alimentation, à l’air, et aux autres facteurs d’exposition, pour orienter l’action publique après l’accident et vérifier qu’aucun mécanisme n’amènerait une part de la population à une exposition dépassant les seuils sanitaires.

Nous avons une autre question récurrente sur les multi-expositions. Avant comme après l’accident, nous sommes exposés par l’air que l’on respire, par les aliments que l’on consomme, par les choix que l’on fait en termes de nutrition, d’activité physique, etc. Les multi-expositions font l’objet de travaux qui sont du domaine de la recherche au niveau européen et au niveau français, aussi bien avec des collègues du monde académique et universitaire qu’avec d’autres agences. Ces travaux n’ont pas encore débouché sur des outils d’amélioration de la situation sanitaire ou des modalités d’évaluation du risque sanitaire.

Les co-expositions font aussi l’objet de travaux de recherche que nous menons au niveau européen. Nous soutenons d’ailleurs un projet avec d’autres agences sur la mise en place d’une plateforme, dans le cadre du programme Horizon Europe, pour investiguer ces problématiques de toxicologie du XXIe siècle.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Merci beaucoup. Ce témoignage vient compléter la riche palette d’intervenants dans cette longue chaîne d’évaluation des risques et de gestion des situations de crise. Sans plus tarder, je vous transmets les questions qui nous sont posées par les internautes. Vous êtes tous invités à y répondre.

Une série de questions porte sur les codes, les règles, les procédures et la façon dont cela est mis en Å“uvre. Je lis quatre questions relatives à ce thème général. Premièrement : « Pour les structures à risques, est-il possible de mettre en place un code de bonne conduite pour l’exploitant, ainsi que pour les institutions chargées de la gestion des risques ? Â» Deuxièmement : « Comment garantir le respect des consignes de sécurité lors d’un événement tel que l’incendie du site Lubrizol à Rouen ? Â» Troisièmement : « Les réglementations relatives à la gestion des situations accidentelles, par exemple l’instruction émise par le gouvernement le 12 août 2014, sont-elles bien appliquées par les industriels ? Â» Quatrièmement : « Le plan de surveillance prescrit à Lubrizol par arrêtés préfectoraux est-il parfaitement respecté par l’entreprise ? Â» Cet ensemble de questions vise donc à savoir si les règles sont appliquées et ce qui, en fin de compte, est obtenu sur le terrain. Qui se lance pour répondre ?

M. Raymond Cointe.  Je n’ai pas d’éléments sur le respect des règles par Lubrizol. Une enquête administrative et une procédure judiciaire sont en cours.

Je crois que le retour d’expérience a été assez largement évoqué aujourd’hui. Si l’on prend l’exemple de Lubrizol, un certain nombre des dispositifs prévus autour de la réglementation Seveso et de la réglementation ICPE fonctionnent bien en ce qui concerne le risque accidentel, donc la prévention des dangers immédiats. Par contre, un certain nombre de questions se posent aussi parce que cette réglementation n’est pas adaptée à la gestion des risques à plus long terme. Des questions ont été posées sur la connaissance des produits qui ont brûlé. Puisque Lubrizol était une installation Seveso, l’exploitant était obligé de fournir ces données. Ce n’était pas le cas pour l’usine riveraine qui a également brûlé. Pour diverses raisons, elle n’était pas classée Seveso et obtenir les informations sur les produits qui ont brûlé a pris beaucoup de temps.

Les études de danger ont été mentionnées. Dans celles qui sont effectuées par l’exploitant au titre de la réglementation, les scénarios mettent en avant les risques accidentels, les taux de risque immédiat. Nous avons moins d’informations utiles pour la gestion du risque post-accidentel, notamment à cause de la difficulté d’évaluer les produits de combustion, même si nous connaissons les substances initiales. On peut se demander s’il serait utile de demander aux exploitants d’intégrer dans leur réflexion et dans les documents qu’ils tiennent à disposition de l’administration, des évaluations des produits de combustion? Je pense que la réflexion est en cours.

Voilà ma réponse très rapidement. Je n’ai pas d’information particulière et je ne suis pas compétent pour dire si la réglementation a été appliquée ou pas. À l’évidence, sur un incendie comme celui de Lubrizol, la réglementation n’est pas faite aujourd’hui pour répondre à toutes les attentes de la population.

Mme Véronique Delmas.  L’instruction du 12 août 2014 est-elle appliquée ? Elle s’adresse aux services de l’État, qui doivent demander aux établissements « Seveso seuil haut Â» de réfléchir à un certain nombre de points, notamment à des mesures directes à l’émission en cas d’incident. En Normandie, la DREAL a demandé aux entreprises concernées, sous un délai d’un an, de répondre à cette demande dans le cadre de la révision de leurs arrêtés. Le processus est en cours, en tout cas en Normandie, d’après ce que j’entends et ce que je vois dans mes contacts. Pour le reste de la France, je ne sais pas.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Une question porte sur les mesures prises pour former la population aux risques accidentels.

M. Christophe Libeau.  J’évoquais les entraînements interservices. Je vois de nouveau un triptyque. L’éducation des populations est probablement un des piliers du tabouret, et au-delà de l’éducation, l’intégration de la population dans les mesures de secours.

De notre point de vue, très opérationnel, très proche du terrain, la population n’est pas un enfant. La communication de crise ne doit pas prendre les gens pour des enfants. Ils connaissent les choses, ils sont formés. Il y a peut-être des données à remettre d’aplomb. L’enjeu est d’abord de les former, et cela devrait commencer à l’école, avec les gestes de secours aux personnes et les comportements par rapport à tel ou tel type de risque, notamment dans les zones comportant des risques industriels. Formation, mais aussi intégration : les réseaux sociaux sont un outil pour associer la population, à condition qu’ils soient bien orientés et qu’il y ait une vraie mise en association.

En matière de formation, on doit aller vers du plus et du mieux, de l’école au lycée. Cela concerne les petits et ceux qui sont en âge de raisonner et de propager ou non des rumeurs. Une meilleure éducation contribuera à limiter la diffusion de fausses informations.

Le troisième élément du triptyque s’adresse à nous : c’est la formation des cadres, les cadres du secteur privé, les exploitants qui créent le risque industriel, mais aussi les cadres des services publics. Une formation dans des schémas nouveaux, pas dans le schéma de la gestion de crise à l’ancienne, avec la population au garde-à-vous – Ã§a ne marche plus, tous les exemples récents le montrent. Nous devons en tirer collectivement des leçons, et je le dis d’abord pour nous : il faut s’habituer, se préparer à l’inconnu, à l’imprévisible, à ce qui sort du plan. Comment fait-on, avec les recettes et les moyens d’aujourd’hui, pour s’améliorer ? Un processus intellectuel doit être mis en place. Sans doute y a-t-il des organismes d’État qui pourraient prendre la main pour dispenser cette formation. Les universités également. Il y a des choses à faire pour être capable d’affronter ces situations. Je crains que Lubrizol ne devienne un jour la norme. Aujourd’hui ce cas sort des normes, mais peut-être qu’il sera la norme dans quelques années. On doit se préparer à cela.

M. Francis Garrido.  Nous avons un outil, basé sur le numérique et les réseaux sociaux, appliqué aux risques naturels, mais pas aux problématiques dont on discute aujourd’hui. Cette plateforme Suricate-Nat, vigie citoyenne des risques naturels, permet aux citoyens de collecter, informer et prévenir grâce aux réseaux sociaux, en fonction de leurs observations. Il y a ici un vrai relais vis-à-vis de tous les acteurs qui interviennent dans la gestion de crise ou d’événements liés aux risques naturels. Cette plateforme a été mise en place par le BRGM, l’Université de Troyes, avec le soutien de la Fondation MAIF. C’est un exemple dont nous pouvons nous inspirer.

Mme Véronique Delmas Les collectivités ont un rôle à jouer sur l’information des populations. En Normandie, des communications sont régulièrement faites, par exemple autour de Port-Jérôme-sur-Seine, une plateforme pétrochimique. Tous les ans, il y a une semaine de la sécurité, très utile pour les nouveaux arrivants. C’est un travail de sensibilisation sans fin envers les populations. Il faut le faire, y consacrer du temps, mobiliser des gens. Ce travail en amont a manqué à Rouen : l’accident est arrivé avec assez peu de préparation au niveau des populations, mis à part dans les écoles.

M. Dominique Robin. ‑ Je partage tout ce qui a été dit, mais je souligne que si l’on constate tous la nécessité du travail de sensibilisation, d’information et si les réseaux sociaux sont un formidable outil d’échange, et pas simplement d’information, on se rend compte que dans les arbitrages, c’est toujours celui qui est le moins bien loti.

On doit y faire attention dans les processus de préparation de la crise et de crise, si l’on veut que les gens soient adultes. Je pense que la population est prête aujourd’hui à participer activement. Il faut donc que ces sujets soient mieux priorisés. Cela va de l’école jusqu’aux interventions des cadres, y compris des entreprises.

À Rouen et au Havre, avec les « Nez bénévoles Â», des particuliers et des professionnels s’engagent pour participer à ces activités de surveillance et ces interventions. La question des moyens est peut-être posée de façon sous-jacente, mais c’est un vrai volet de l’action, et pas simplement un volet annexe comme peuvent parfois le laisser penser les arbitrages.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Une autre question des internautes : « Comment la France se démarque-t-elle du reste du monde, si elle se démarque, en termes de prévention des risques accidentels ? Â»

M. Christophe Libeau.  Vaste programme, vaste question ! Sur mon métier, celui de l’urgence, je pense qu’on n’est pas trop mal situé. En France, les pompiers ont en général une bonne acculturation à ces risques très particuliers. La diffusion de la culture de la prévention des risques accidentels est bonne. Nous avons 59 sites de centrales nucléaires. Les pompiers ont une culture du risque radiologique, ainsi que du risque chimique, sur un ensemble de grands bassins Seveso, et aussi du risque biotechnologique qui est le risque de demain – un vrai sujet.

À l’échelle territoriale, il y a encore les moyens d’agir et même si son budget est particulier, la BSPP, pour l’instant, est aussi liée à une collectivité territoriale. Tant qu’il y a ça, je pense qu’on pourra être bon. Par ailleurs, les interventions – petites et parfois grandes â€“ donnent une expérience et permettent de s’améliorer, selon le processus sain du retour d’expérience, que nous partageons.

Nous échangeons beaucoup à l’échelle européenne, avec des pays de taille comparable, même si leur organisation de services d’incendie et de secours n’est pas toujours similaire à la nôtre : par les Länder en Allemagne, municipale dans d’autres pays. On se parle, on échange dans des cénacles, sous l’égide de l’Union européenne ou en bilatéral, sur les moyens, les interventions, les équipements, les formations, pour apprendre des autres. On accueille beaucoup de pompiers étrangers dans les écoles françaises, que ce soit chez les pompiers de Paris ou à l’École nationale des sapeurs-pompiers de France. Il y a beaucoup de formations sur ces sujets.

M. Raymond Cointe.  Je rappelle d’abord que la réglementation sur le volet prévention des risques, notamment la réglementation Seveso, est une réglementation européenne. Les mesures appliquées ont donc une base européenne commune.

Ensuite, pour conforter ce qui a été dit en matière d’articulation entre la prévention et la gestion de la crise, je pense que nous pouvons apprécier ce qui est fait en France. La CASU, Cellule d’appui aux situations d’urgence de l’INERIS, est un dispositif assez original d’articulation entre l’expertise technique et le soutien opérationnel aux SDIS. Je pense que cela fonctionne globalement assez bien.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  J’ai été frappé lorsque M. Libeau a parlé de ce qui était hors cadre, et qui peut-être un jour sera considéré dans le cadre.

Plus généralement, peut-on aussi s’interroger sur le lien entre les valeurs observées en temps de crise et les valeurs résiduelles telles qu’on peut les voir suite aux incidents ? Comment est-ce qu’on traite un problème et l’autre? Cela renvoie à la question : quelles sont les valeurs de référence, dans un contexte plus ou moins inconnu ? Que va-t-on choisir ? Quelle est la bonne définition ? Quel est le bon critère ? La bonne valeur de référence ?

M. Mathieu Schuller.  Le chaînage d’une interprétation post-accidentelle rencontre trois difficultés. Premièrement : quel est le schéma global de dispersion du terme source ? C’est la modélisation qui l’apporte, avec toutes les difficultés que l’on a évoquées. Dans une deuxième étape, vont être déployées suffisamment de mesures pour faire un aller-retour entre l’idée qu’on se fait de l’accident et sa matérialisation. Mais va-t-on mesurer une contamination dans un sol ou dans un aliment suite à un accident ? La dernière difficulté – c’est là que la question des valeurs de référence va émerger â€“ concerne ce que l’on va mesurer : qu’est-ce qui était là, indépendamment de l’accident ? Cela a déjà été dit par les collègues du BRGM. Ce qui m’a frappé dans le cas de Lubrizol – cela a posé des difficultés pendant un certain temps à l’ANSES pour élaborer ses avis â€“, c’est avoir dû se dire : est-ce que la contamination, en PCB, en plomb ou en autres substances qui étaient rapportées par les analyses réalisées dans un laboratoire situé dans l’ouest de la France, est spécifique au dépôt Lubrizol ou était préexistante ? Sans réponse, il est difficile de déterminer la part de surexposition venant de l’accident, avant de la confronter elle-même ensuite à des seuils sanitaires, par un calcul d’évaluation quantitative des risques.

M. Christophe Libeau.  Nous sommes complètement en phase. L’une des missions des sapeurs-pompiers est de faire « le blanc radiologique Â», un terme qui vient du monde nucléaire. Il s’agit d’essayer de faire des prélèvements avant que le panache ne vienne couvrir une zone pour disposer d’un niveau de référence, avant passage du nuage, et avoir un élément de comparaison pour la suite.

C’est une vraie difficulté pour un périmètre tel que ceux concernés par Lubrizol ou Notre-Dame, qui représente de nombreux kilomètres carrés. Dans les premières heures, nous n’avons pas assez de moyens spécialisés pour faire cette cartographie, qui d’ailleurs nous est imposée par l’instruction de 2014, après l’incident Lubrizol de 2013. C’est un vrai point d’achoppement que cet équilibre à trouver pour les moyens mis sur une mission qui au début peut paraître secondaire, mais qui va vite devenir prioritaire, au vu des enjeux sanitaires.

J’ajoute une deuxième dimension, celle de la connaissance de ces fameuses valeurs de référence. Aujourd’hui, les sapeurs-pompiers s’appuient sur des bases de données fournies par les instituts représentés ici. Elles sont souvent calées sur les valeurs d’exposition fixées par le code du travail. C’est très bien, mais il existe aussi des valeurs données par le code de la santé publique pour l’exposition du grand public. Ce sont ces valeurs qui vont servir aux sapeurs-pompiers pour évaluer une situation dangereuse. Si nos appareils nous disent que le seuil est dépassé, nous déclarons la situation « d’urgence Â» ou dangereuse. Si nos appareils nous disent qu’on est inférieur au seuil, a priori il n’y a pas lieu de déclarer une urgence. Le catalogue REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals) qu’essaie de mettre en place l’Union européenne ne comprend que 10 % à 15 % de molécules identifiées en termes d’exposition. Il y a de très nombreuses inconnues en termes de valeurs de référence.

Fonctionnons par analogie. Il revient aux sapeurs-pompiers d’agir sur les effets aigus, immédiats, en évacuant ou en confinant une population. Par contre, il existe un grand flou concernant les effets chroniques et nous sommes complètement dans l’inconnu, parce que nous n’avons pas les moyens de le voir. C’est un sujet de fond qui va sans doute nous occuper dans les prochaines décennies.

M. Hubert Leprond.  Pour compléter sur le sujet des valeurs de référence, nous construisons des bases de données relatives aux sols avec l’ADEME et certaines sont en ligne – par exemple sur les sols urbains. Il y a aussi un réseau de mesure de la qualité des sols avec l’INRAE, où l’on a un point par maille de 16 kilomètres carrés. Ce sont des zones agricoles plutôt que des zones urbaines, mais ce travail est en cours pour être mis à disposition.

Mesurer une valeur est une chose, mais si l’on veut comparer des zones, il faut que les valeurs de référence soient définies de la même manière sur l’ensemble du territoire. La méthode doit être la même partout, à Lille ou à Marseille. Ce travail d’harmonisation est en cours. Il prend du temps, parce qu’il n’est pas facile.

La prochaine étape sera de pouvoir faire remonter des informations. Nous collectons beaucoup d’informations, mais elles sont dispersées selon les donneurs d’ordres. Ce peut être une entreprise privée, mais aussi une collectivité, dans le cadre d’un diagnostic. Un travail est en cours pour être en capacité de faire remonter ces informations auprès des donneurs d’ordres, à travers le web service par exemple, mais aussi de les restituer, notamment en période de crise, pour que cela puisse servir de référentiel. Ces travaux concernent différentes agglomérations ou régions, en fonction de l’espace concerné.

Mme Véronique Delmas.  Sur cette question des référentiels, sans même parler d’incident, prenons l’exemple des usines d’incinération, qui ont une obligation de surveillance de l’environnement, notamment sur les retombées de dioxines et de furanes. Les mesures sont effectuées selon des guides fournis par l’INERIS. Comment faire et comment lire les mesures ? Ce qui manque aujourd’hui est justement la référence. À partir de quand les mesures dépassent-elles une référence ? À partir de quand cela pose-t-il un problème ? Nous analysons les données en regardant par rapport à l’année d’avant, par rapport à d’autres sites. Mais il n’existe pas aujourd’hui, pour des polluants comme les dioxines et les furanes, de référentiel normatif, de réglementation permettant de situer les niveaux observés. Il y a un gros travail à faire sur ces questions.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Merci beaucoup à tous les intervenants. Je vous livre quelques éléments que j’ai trouvés marquants dans cette audition.

En premier, le contexte extraordinairement complexe auquel vous devez faire face. Il y a beaucoup d’incertitudes et de flou, notamment sur les valeurs de référence, comme vous l’évoquiez. Qu’est-ce qu’une valeur de référence ? Selon quels critères est-elle calculée ?

La difficulté vient aussi de la modélisation, en particulier quand il s’agit de qualité de l’air, avec les questions de vent, de topographie, de flammes ; elle existe aussi pour caractériser le terme source et avoir dès le début les mesures sur le terrain. On voit la nécessité d’avoir des capteurs, des mesures, partout où c’est utile. Ce ne sont pas les instruments qui sont en cause, car vous nous avez parlé de leur grande qualité. Ce n’est pas non plus l’expertise qui est en cause. C’est vraiment la question du lien opérationnel, la façon dont les moyens sont déployés et mis en Å“uvre au bon moment, qui demandent un travail.

L’autre aspect frappant, c’est la nécessaire coordination. Comme vous le dites, elle est à l’œuvre dans bien des cas, entre des acteurs dont la compétence n’est pas mise en doute. Ils ont montré ici à quel point ils sont responsables, se nourrissent de la recherche internationale, se basent sur la technologie, mais aussi s’occupent des questions telles que l’information, la diffusion des procédures, etc.

Pourtant, cela me frappe aussi, nous avons l’impression qu’il manque un pilote général. Lubrizol est passé… et s’est mal passé du point de vue de la perception de la réponse publique, de la gestion politique, des enseignements à tirer. Une fois que Lubrizol est passé, qui prend en charge l’amélioration des processus ? Et qui s’occupe de coordonner les différents acteurs ? Quel est le lien aussi entre les experts et la puissance publique, entre l’État, les associations et les experts ?

À cette question, nous n’avons pas eu ce matin de réponse claire. Je ne sais pas quel est le ministère le plus impliqué, j’imagine l’Environnement ou la Santé. Quel ministère devrait être impliqué en priorité ?

M. Christophe Libeau.  N’oubliez pas le ministère de l’Intérieur avec les préfets.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Absolument.

Mme Véronique Heim.  Et le ministère de l’Économie aussi.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  L’Économie, c’est très bien.

M. Raymond Cointe.  Un certain nombre de missions d’inspection sont en cours à la diligence des ministères. Il y a déjà eu, je crois, une première mission.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Nous voilà rassurés. Nous le savons, l’important pour une telle mission est qu’elle soit suivie d’effets, d’une réorganisation, et que soient bien identifiées les personnes qui vont s’occuper de la mise en Å“uvre du changement, de la transition, de l’amélioration. Je ne sais pas si le président Longuet a la même impression, mais il m’a semblé qu’il y avait un réel vide à combler en la matière.

J’ajoute un dernier point, qui était en filigrane de vos interventions : la question de l’information, la manière de communiquer et de gérer la crise, qui est d’autant plus complexe à notre époque de réseaux sociaux, de propagation de nouvelles fausses et vraies, et d’exigence extraordinaire de l’opinion publique par rapport aux pouvoirs publics. Dans ce contexte, il faut réviser nos méthodes et être bien au clair sur la gestion de l’information.

Nous avions évoqué, dans le cadre des auditions sur Notre-Dame de Paris, la propagation remarquable de fausses nouvelles relatives à sa reconstruction. Qu’est-ce qui manque, et qu’est-ce qui ne manque pas ? Qu’en est-il de la façon de mettre en avant les expertises et de répondre justement aux questions que se posent les uns et les autres ? C’est un processus sur lequel il y avait une marge de temps plus ample par rapport à ce que vous avez. Mais, on l’a vu dans Lubrizol, il faut vraiment améliorer la façon de répondre aux attentes et aux interrogations des citoyens.

M. Gérard Longuet, président de l’Office.  A ce stade du débat, je dirai simplement que nous sommes, en France et en Europe occidentale, des sociétés à la fois techniciennes et réglementaires. Techniciennes, mais jamais aussi savantes, aussi abouties que ce que l’on souhaite, c’est vrai d’ailleurs d’un certain nombre de grands pays. Réglementaires : il suffit d’avoir construit quelque chose à un moment de sa vie, comme particulier, élu local, chef d’entreprise, patron d’une administration, pour savoir que « normalement, tout est prévu Â». Un tel développement technique et réglementaire rend l’accident parfaitement insupportable pour l’opinion.

Je m’exprime en tant que parlementaire – sénateur aujourd’hui. Ce qui motive notre démarche, c’est justement cette attente de l’opinion. Nous devons nous interroger : la science et l’organisation administrative, qui sont deux choses différentes et très liées, sont-elles en mesure de diminuer de façon significative – je parle ici du volet prévention â€“ le risque accidentel et d’établir le lien de confiance avec l’opinion dans la gestion de crise, lorsque le danger devient une réalité à travers un accident ?

Je pense que c’est une affaire continue et culturelle. Ce qui est désagréable n’est pas nécessairement dangereux et ce qui est dangereux n’est pas nécessairement désagréable. Le vin est très agréable et en effet dangereux.

Hier soir, un grand reportage traitait des élections municipales et de la qualité de l’air à Martigues. Le secteur de l’étang de Berre est une grande réussite industrielle en termes d’emplois, il assure le développement économique des Bouches-du-Rhône, mais avec des procédés industriels. Personne n’a envie de prendre son apéritif le soir lorsque la lumière s’adoucit et que la fraîcheur réapparaît, à l’ombre de la fumée de telle ou telle installation pétrochimique. En même temps, les gens ont envie de travailler et ont besoin de le faire.

Regardez AZF : 30 morts, des milliers de blessés, quelques jours après la tragédie du World Trade Center en 2001, dans une unité industrielle qui existait depuis plus de 80 ans. C’est un accident. La science d’aujourd’hui aurait-elle pu l’éviter, à travers les travaux de l’INERIS par exemple, dans une coopération avec AZF ? C’est l’objectif de l’Office parlementaire. AZF est une belle maison. On ne peut pas dire que ce sont des margoulins, des ferrailleurs qui gèrent des fûts de dioxine en les dissimulant aux regards. Ils ont pignon sur rue, ils ont dû recevoir, mon colonel, vos homologues locaux qui ont dû tout examiner. L’accident est malgré tout intervenu.

La question est donc : comment faire accepter par une opinion, qui a confiance dans la science ou qui risque de la perdre, qui a confiance dans la réglementation ou qui risque de la perdre, l’éventualité d’accidents dont j’ai tendance à penser qu’ils sont à peu près inévitables ?

Mon colonel, vous avez évoqué les tunnels du Grand Paris qui créent une nouvelle situation. Depuis l’accident du métro à la station Couronnes, je crois que c’était en 1910, il n’y a pas eu de grande tragédie dans le métro parisien. Il faut croiser les doigts. Je prends le métro tous les jours, parce que c’est simple, pratique, bon marché, et parce que l’on y rencontre des gens. Mais quand on voit la densité sur la ligne 13, on se dit qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que survienne une tragédie épouvantable. Et ça n’arrive pas. Tant mieux. Nous n’avons pas évoqué les ouvrages d’art, mais regardez le mouvement sur les ponts après l’affaire de Gênes.

Pour proposer une forme de conclusion, il faut accepter une logique dans laquelle des à-coups – comme le pont de Gênes qui s’effondre â€“ sont inéluctables malgré tout ce qui est demandé aujourd’hui aux collectivités locales et à l’État, maître d’ouvrage, propriétaire d’ouvrages de franchissement. Chacun va Å“uvrer à éviter un Gênes local, tant mieux. Mais nous ne pouvons pas être sûrs à 100 %. Absolument pas. Il faut donc accepter la continuité des systèmes d’analyse, qui sont de plus en plus performants, de molécules dont on découvre d’abord la présence, et ensuite la nocivité, et savoir expliquer à nos compatriotes que nos connaissances progressent – je reprends l’exemple du métro parisien â€“ mais que la certitude absolue est simplement impossible.

Et les plus difficiles à convaincre ne sont peut-être pas les administrés, mais ceux qui leur parlent, et qui vivent naturellement – on ne peut pas leur en vouloir â€“ de la vente de l’exceptionnel. Parmi les produits exceptionnels qui portent le plus, le marché de la peur est un marché à peu près inévitable. Mais la peur n’évite pas le danger, et le fait que l’Office parlementaire puisse parler à nos collègues députés et sénateurs sur ces sujets devrait nous conduire à soutenir les professionnels qui font très convenablement leur métier et qui nous proposent en permanence des solutions pour diminuer la probabilité des incidents et accidents. J’ai la faiblesse de penser, avec mon expérience longue, que cette probabilité d’exclusion d’une tragédie ne sera jamais totale.

Le jour de l’accident sur le site de Noyelles-Godault au printemps 1993, je suis allé sur place. J’avais été nommé ministre de l’Industrie quelques jours auparavant. Il y avait sept corps alignés les uns à côté des autres dans la grande halle de l’usine, qui était en apparence intacte, quoiqu’entièrement brûlée de l’intérieur par l’aspiration de gaz. Cette usine existait depuis 50 ans et n’avait jamais posé aucun problème.

Cela fait réfléchir.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office.  Je profite de ces réflexions pour vous remercier chaleureusement pour la qualité des échanges que nous avons eus. Ils nous rappellent à quel point la France est fière de ses ingénieurs, fière de ses sapeurs-pompiers, et de bien d’autres talents qui mettent leur énergie et leur cÅ“ur au service de la protection de leurs concitoyens.

 



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II.   EXTRait du compte rendu de la réunion de l’opecst du jeudi 20 fÉvrier 2020 présentant les conclusions de l’audition publique

M. Gérard Longuet, président de l’Office. Je vous présente les conclusions de l’audition publique du 6 février dernier sur les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et de la gestion des risques accidentels.

Cette audition faisait largement écho à deux événements qui nous ont marqués en 2019 : l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril – je rappelle que Cédric Villani était à l’initiative d’une audition passionnante sur l’apport des sciences et techniques à la future restauration de la cathédrale â€“ et l'incendie de l'entreprise Lubrizol à Rouen le 26 septembre.

Dans les deux cas, des mesures sanitaires et environnementales ont été mises en place à la suite de la dispersion de polluants émis par les fumées, le plomb pour Notre-Dame et des produits chimiques, dont des hydrocarbures aromatiques polycycliques pour Lubrizol. La problématique de l’audition était de savoir ce que l'on pouvait faire pour mieux gérer ces crises, et l'audition a permis de mettre en lumière plusieurs points importants.

Le premier point est évident, il s’agit de la communication et du partage d’information dans les zones à risques, que ce soit avec les populations locales, les industriels ou les autorités publiques. Ensuite, vient la nécessité d'impliquer activement les populations dans les mesures de prévention, comme en Normandie ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur, avec le programme des « Nez experts Â», qui s’entraînent à reconnaître les odeurs caractéristiques de certains polluants afin de repérer rapidement les signaux faibles. En ce qui concerne les moyens de prévention, il est important qu'ils associent des instruments de mesure, fixes ou mobiles, avec des outils de simulation. Le lien entre les deux est très intéressant car les outils de simulation permettent, à partir d'instruments de mesure – Ã  la fois nombreux mais jamais suffisamment nombreux â€“ de mieux connaître et de mieux comprendre la dispersion et le transport des polluants et les trajectoires de panaches qui pourraient être dangereux, ce qui permet d'informer les populations.

Les axes d'amélioration portent, entre autres, sur le traitement des données massives issues des mesures. Cependant, il faut à la fois identifier et quantifier les molécules, ce qui n’est pas facile. L’urgence est d’acquérir, le plus rapidement possible après la crise, le maximum d'informations au plus près du sinistre. En particulier, la possibilité d’envoyer des drones afin d’effectuer des prélèvements a été évoquée, y compris dans des zones dangereuses ou d'accès difficile. Le choix des substances à mesurer doit s’effectuer en fonction des connaissances actuelles sur leur nocivité toxicologique et les spécificités locales, comme dans certains bassins industriels.

Nous avons eu une intervention très intéressante de l'INERIS qui est capable de simuler le comportement d'un panache de fumée sur une dizaine de kilomètres en quelques heures. Ceci nous a montré l’intérêt d’une grande précision des simulations numériques et de la rapidité des calculs, qui supposent une bonne connaissance de la topographie du site et des produits dispersés, ce qui n'est pas toujours facile.

En ce qui concerne les effets sanitaires sur les populations, les premiers exposés sont évidemment les sapeurs-pompiers. En tant que premiers arrivants, ils constituent une population particulière, potentiellement soumise à une exposition aiguë. Ils bénéficient, en général, d'un équipement de protection individuelle assurant une première barrière de sécurité et d’un suivi médical. En revanche, le suivi des populations civiles s'avère beaucoup plus problématique, car l’exposition est plus diffuse dans l’espace et dans le temps. C'est tout le problème du panache et de sa diffusion : pour des raisons de vent et de topographie, les populations peuvent être très inégalement exposées et la distance au lieu du sinistre n'est pas la seule explication. L’exposition est diffuse dans le temps, car dans certains cas elle dépend de la migration de l'air vers le sol puis, parfois, vers les nappes souterraines qui peut prendre plusieurs années. Tous ces phénomènes peuvent d’ailleurs aboutir à ce que la population soit exposée à des facteurs de risque multiples. Nous avions le sentiment, après cette audition, d’avoir encore des marges de progression sur cette question de l’exposition.

Si la crise et les éventuels effets aigus doivent être gérés à court terme, il faut également surveiller le risque chronique sur le long terme, ce qui implique un important travail préalable sur la détermination de valeurs dites « de référence Â» qui correspondent à l'état du milieu avant la crise. Ces valeurs permettent de mettre en perspective les concentrations mesurées après l'accident et d'attribuer, ou non, les éventuelles pollutions à tel ou tel évènement.

En conclusion, par les recommandations qu’il vous est proposé d’adopter, l'Office préconise de poursuivre la recherche dans l'ensemble des directions mises en avant par les différents intervenants. Il estime également qu’il est important :

- de favoriser la mise en place de moyens plus performants, de coordination et d'échange de données entre les différents acteurs impliqués lors d'accidents comportant des risques sanitaires et environnementaux. Ceci paraît être une question de bon sens, car on se dit toujours, après les accidents, que les gens auraient dû se parler davantage. Je pense que les préfets passent beaucoup de temps à préparer des plans de crise mais manifestement, ce n'est pas complètement satisfaisant ;

- de mettre au point une méthodologie visant à établir des valeurs de référence avant contamination pour évaluer l'exposition à des substances polluantes des populations vivant dans des territoires déterminés, en vue de guider l'action des autorités dans le cadre de la gestion d'une crise, et ensuite d'élaborer un plan national de déploiement des mesures relatives à ces « valeurs de référence Â» – même si je ne suis pas complètement convaincu par ce dernier point ;

- de favoriser le développement de moyens permettant d'acquérir le plus rapidement possible une connaissance précise des substances émises au cours d’un accident industriel, par exemple l’emploi de drones équipés de capteurs. En effet, il existe une vraie inconnue dans le cas des accidents industriels c’est le fameux « effet cocktail Â», le mélange imprévisible, ou difficilement prévisible, de produits de nature différente qui se retrouvent sur un même site ou à proximité, l’explosion de l’un entraînant l’incendie de l’autre, dans un processus qui échappe bien souvent aux plans de crise, qui sont en général déterminés entreprise par entreprise ;

- de mettre systématiquement en place, après un accident, un suivi sanitaire et environnemental sur le long terme. Il est, en effet, important de pouvoir revenir sur ce qu’il s'est passé et de rechercher en priorité les contaminants les plus dangereux afin de limiter les expositions à des risques chroniques ;

- enfin, d’impliquer plus fortement et plus activement les citoyens dans les actions de prévention, par exemple en développant les groupes de « nez experts Â» capables de détecter et de reconnaître rapidement les odeurs caractéristiques de certains polluants. Pour ma part, je connaissais les « nez Â» dans l'industrie de la parfumerie et si notre excellent collègue Jean-Pierre Leleux, qui a été maire de Grasse, capitale de la parfumerie en France, était là, il pourrait nous en parler plus savamment. Mais il existe aussi des « nez experts Â» dans l'industrie pour prévenir les accidents industriels.

J’ai essayé de faire une présentation assez courte car, pour être franc, tout cela est compliqué. Sur le terrain, les risques sont quand même très spécifiques aux diverses activités industrielles. Je connais un peu Rouen, dont les activités portuaires font, en permanence, coexister des produits qui, en théorie, sont peu dangereux en tant que tels mais qui, juxtaposés, en fonction du déchargement des bateaux, peuvent aboutir à des mélanges dangereux en cas d’accident. C'est la raison pour laquelle je suis convaincu, comme les participants à l’audition, que tout réside dans la coordination, l’échange et la préparation à d'éventuelles situations de risques. C’est aussi pourquoi nous devons faire attention à ce que nos conclusions ne donnent pas à nos compatriotes la certitude que tout serait prévisible et qu’une sécurité absolue pourrait être toujours garantie.

M. Cédric Villani, premier vice-président de l’Office. Ce qui m'a frappé pendant l'audition, c'est la façon dont chacun a un rôle individuel clairement défini mais que tout est beaucoup moins clair quand il faut porter un regard d’ensemble, un regard global. Il est difficile de déterminer qui doit donner l'impulsion pour faire en sorte que les procédures évoluent bien, que les retours d'expériences se font, etc. Le sujet est multi-tutelles, multi-organismes, et il gagnerait à avoir une prise en charge plus transversale.

M. Gérard Longuet, président de l’Office. Pour ma part, je suis en quelque sorte en conflit d'intérêts car j'ai toujours mon costume de sous-préfet dans mon armoire et le corps préfectoral a tendance à considérer que la crise est son cÅ“ur de métier. Sauf qu’il est difficile de concilier l'aspect scientifique et technique – qu’il ne maîtrise pas totalement â€“ et l'information des citoyens de façon à éviter des effets d'amplification et des réactions excessives. En fait, le préfet est toujours partagé : il doit mettre en garde pour protéger et « ne pas trop Â» mettre en garde pour ne pas susciter des réactions de panique et l'inquiétude. Sa maîtrise technique se reconstitue à chaque événement ; mais, même en multipliant les plans – pour avoir vécu l'explosion d'une usine, je le sais bien â€“, les choses ne se passent jamais comme dans les exercices. C'est la raison pour laquelle je suis assez prudent. Il faut à la fois savoir planifier et être capable de réagir en dehors du plan.

M. Jérôme Bignon, sénateur. J’ai été concerné par l’incendie de Lubrizol – on oublie que la Bresle, qui marque la limite entre les départements de la Somme et de la Seine-Maritime, n'est pas comme le Rhin qui aurait magiquement empêché de passer le panache nucléaire venant de Tchernobyl. Nous sommes dans la même situation, c'est-à-dire que le nuage a passé la Bresle et est venu dans la Somme. Pourtant, le préfet et l'agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France n'ont pas été avisés. L'affaire est restée locale, à Rouen et au mieux à 30 ou 40 kilomètres autour de Rouen, mais pas davantage. Il y a un véritable problème de prise de conscience dans ce genre d'accident. J’ai été frappé par le fonctionnement de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui a une méthodologie spécifique : ils ne sont pas seulement un bureau « accident/analyse Â» comme il en existe sur les accidents aériens par exemple, mais ils ont un centre opérationnel permanent avec du personnel d’astreinte.

J’ai assisté à un exercice où un camion rempli de colis nucléaires était supposé être tombé dans un cours d'eau dans le Cantal, avec tout un ensemble de conséquences catastrophiques. Ce bureau se met à disposition immédiatement et en permanence des pompiers, du préfet, des autorités voisines, etc. Ils ont une vision globale de la situation nourrie de leur expérience. J'ai trouvé cette vision si intéressante que j'en ai parlé à notre collègue Hervé Maurey, qui préside la commission d’enquête du Sénat sur Lubrizol, afin qu’il auditionne le président de l’IRSN. Il me semble que cette piste est intéressante, notamment dans le cas des accidents industriels importants.

Imaginons que le préfet ne soit pas présent dans son département au moment de l’accident ; celui-ci va devoir être géré par un jeune directeur de cabinet, souvent sans expérience ; il peut être utile d’avoir à proximité une instance capable de vous épauler, comme le fait l'IRSN. J’ai quand même été étonné que personne ne s'intéresse aux départements voisins quand l’accident de Lubrizol est arrivé. Plusieurs centaines de cultivateurs ont été pénalisés dans la Somme, ce n’était pas anodin. Donc, attention à ne pas traiter le problème de manière trop locale alors qu'un regard extérieur ou national donne de la compétence et retire de l'émotion dans la manière de traiter le sujet.

M. Gérard Longuet, président de l’Office. Cher Jérôme, permets-moi de relever que l'IRSN bénéficie du privilège de devoir traiter un risque bien identifié. Pour les risques industriels, c'est tout à fait différent. Prenons par exemple l'affaire AZF de Toulouse : l’entreprise existait depuis plus de 50 ans et cette déflagration extraordinaire, spectaculaire, à la fois meurtrière pour les salariés et dévastatrice pour le secteur, était à peu près improbable compte tenu de l’activité de l'entreprise. Sauf que l’activité de l'entreprise avait changé peu à peu et que le danger s’est accru. L'IRSN a l’avantage de se focaliser sur un risque bien connu : le nucléaire, ce qui simplifie les choses ; la transposition de son savoir-faire aux accidents industriels ne va donc pas de soi. En revanche, je suis complètement d'accord sur le fait que le défaut du corps préfectoral est sa culture des limites administratives, qui deviennent assez facilement des frontières, alors que les trajectoires aériennes de fumées polluantes n’ont rien à voir avec les limites administratives.

M. Jean-Luc Fugit, député. Je n’ai pas eu la possibilité, et je m'en excuse, de participer à cette audition, mais je connais bien les participants et j’ai un regard un peu averti puisque j’étais docteur-ingénieur chimiste et je préside le Conseil national de l'air. Je connais donc bien la thématique des mesures de la qualité de l'air. Naturellement, à l'Assemblée nationale, je fais partie de la mission parlementaire sur l’accident de Lubrizol. Le Sénat est allé plus loin avec une commission d'enquête. Je voulais attirer votre attention sur quelques points.

Sans remettre en cause l’action des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), je me demande s’il ne serait pas intéressant d'avoir une autorité qui contrôlerait de façon un peu plus poussée qu’aujourd’hui l'ensemble des sites Seveso, notamment les sites Seveso « seuil haut Â». Je crois que nous devons tirer les enseignements des malheureux accidents que nous avons vécus.

On se nourrit toujours de l'histoire et je voudrais faire remarquer que ce n’était pas la première fois qu’un accident est arrivé sur ce site-là. En 2013, de mémoire, un événement – beaucoup moins important â€“ s’y était déjà déroulé. C'est d'ailleurs grâce au retour d’expérience de 2013, notamment des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), qui travaillent en lien étroit avec l'INERIS, qu’il a été décidé de stocker en permanence sur ce site des canisters, dont les pompiers ont pu disposer rapidement pendant l’incendie et qui ont permis d’effectuer des mesures utiles pour les modélisations de l’INERIS.

Les choses auraient pu être bien pire sans le professionnalisme extraordinaire du corps des sapeurs-pompiers. C’est aussi notre rôle de le rappeler.

Cet événement a été une fois de plus – vous allez me dire que cela n’a rien de surprenant â€“ l'occasion de montrer qu’aujourd'hui, nous sommes très rapidement dans un rapport de défiance par rapport à la donnée scientifique. Je vais vous expliquer ce qu’il s'est passé le lendemain de l'accident. J'ai été contacté, non pas en tant que parlementaire, mais en tant que président du Conseil national de l'air, par le directeur adjoint d’ATMO Normandie, avec qui j'ai travaillé pendant une quinzaine d'années. Il faut d’abord savoir qu’aujourd'hui, tous les jours, la surveillance réglementaire de la qualité de l'air en France mesure les oxydes d'azote, le SO2, l'ozone et les particules fines – les PM 10 et, à partir de 2020, les PM 2,5 aussi. La mesure s’effectue à deux ou trois mètres de hauteur par rapport au sol. L’idéal serait de mesurer un peu plus bas, à hauteur de respiration ; malheureusement, si les capteurs sont posés trop bas, ils sont vandalisés – or une station de mesure d'entrée de gamme coûte 150 000 euros et il s’agit d'argent public.

Mes collègues d’ATMO Normandie me font part de leur problème : le panache est trop haut par rapport aux capteurs et les composés mesurés au sol ne correspondent pas forcément à la composition du panache. Ce dernier étant le fruit de la combustion de produits chimiques stockés chez Lubrizol, il contenait notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), que nous ne mesurons pas dans le cadre de la veille réglementaire quotidienne ; par ailleurs, les oxydes d'azote, que l’on mesure, n’ont pas été émis lors de l’accident. En définitive, les capteurs au sol, qui mesurent la qualité de l'air de tous les jours et les polluants de proximité qui nous importent le plus, indiquaient qu'il n’y avait rien de particulier ! Deux raisons : d’une part, ils mesurent seulement certaines substances – j’y reviendrai dans les conclusions â€“, d'autre part, les composés qui formaient le panache n’étaient pas encore présents à hauteur humaine, à hauteur de capteur, car ils n’étaient pas encore en phase de retombée.

Il y avait donc un réel dilemme, ce jour-là, pour savoir s’il fallait communiquer nos indices de qualité de l'air qui indiquaient que la qualité de l'air était bonne. Pendant ce temps-là, les populations locales étaient stressées, enfermées, et ne pouvaient pas penser une seule seconde que la qualité de l’air était bonne. En même temps, ne pas communiquer semblait signifier cacher quelque chose. Nous avons finalement choisi, en accord avec le préfet, de ne pas diffuser l'information. Il s'avère que le préfet de Normandie est le seul préfet qui siège au Conseil national de l'air, nous nous connaissons donc bien.

On parle souvent de la défiance par rapport aux acteurs publics ; je pense malheureusement qu'elle se tourne progressivement vers la science. Tout ce que l’on a entendu, à l’automne dernier, sur l’hésitation vaccinale l’a très bien illustré.

Pour conclure, vous écrivez dans les recommandations « acquérir […] une connaissance précise des substances émises au cours de l'accident industriel [via], par exemple, l'emploi de drônes équipés de capteurs Â» ; c’est très bien, mais je suggère d’ajouter « les plus spécifiques possible Â», car aucun capteur ne pourra jamais mesurer toutes les substances susceptibles d’être émises lors d’un accident.

Une autre recommandation dit d’« impliquer plus fortement et activement les citoyens Â» ; je suis d’accord, c’est parfait. Cependant, cela interroge sur la manière de sensibiliser les citoyens au sujet des accidents. En matière de pollution de l’air, le vrai problème est la pollution de fond et pas les pics de pollution qui durent quelques heures ou une demi-journée et qui font le buzz médiatique. Au mieux, ils participent à la prise de conscience. Le problème, c'est la constance et l'ampleur de la pollution de fond : c'est elle qui impacte la santé, et non le pic de pollution. A titre personnel, je préconise une véritable démarche d'éducation au développement durable, au sens éclairé et sérieux du terme, en milieu scolaire. J’en ai parlé avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Pour l’instant, cela fait partie des sujets qui émergent difficilement, mais je pense que c'est dans ce cadre-là qu'il faudrait aussi apprendre la notion de risque et de danger. Au Costa-Rica c'est obligatoire à l'école comme les maths et la langue maternelle.

Dernier point : les assureurs ont une bonne vision des risques industriels et il serait très intéressant que l’on prenne mieux en compte leurs travaux – que ce soit les assemblées parlementaires, dans l’organisation de leurs auditions, ou les services publics, dans leur politique de prévention des accidents. A cet égard, le rapport que les assureurs ont écrit sur l’incident survenu à Lubrizol en 2013 était riche d’enseignements, et il aurait peut-être fallu le lire un peu plus en détail… Je l’ai récemment expliqué à la ministre de la Transition écologique, Mme Ã‰lisabeth Borne, qui s'est engagée à tenir compte à la fois des conclusions de la commission d'enquête du Sénat et de celles de la mission d’information de l’Assemblée nationale. Même si nos conclusions reflètent un travail plus succinct, je suggère de les transmettre quand même à la ministre.

M. Gérard Longuet, président de l’Office. Merci Jean-Luc. J'ai le sentiment qu'avec ton expérience personnelle, tu apportes des réponses rationnelles à ce que nous ressentions intuitivement. C'est une affaire difficile parce qu'on ne peut pas tout expliquer et on ne peut pas tout mesurer au moment où il faudrait le faire. L'exemple que tu as donné sur les capteurs d'air est très intéressant. En effet, mesurer à trois mètres ou à un mètre de hauteur n'est pas la même chose ! De même, mesurer au bord d’un trottoir est différent de mesurer sur un lampadaire. Un autre aspect du sujet est bien connu des élus locaux, la propriété foncière : quand un industriel modifie son mode de production, la DREAL constate la différence et engage une révision du zonage de sécurité. Des terrains constructibles deviennent alors inconstructibles, ce qui pose des problèmes juridiques, politiques et financiers substantiels. L’élu local doit choisir entre garder des logements ou garder des emplois, ce qui n’est pas facile. De plus, il a affaire à des scientifiques compétents qui lui disent que la probabilité d’accident est très faible, mais pas nulle, ce qui met l’élu dans des contraintes extrêmement fortes. Restituer la complexité des choses et amener le maximum de personnes à y réfléchir serait donc un service que l'on pourrait rendre au sujet.

Les drones ne savent restituer que ce qu'on leur apprend à restituer. D'ailleurs, peuvent-ils tout analyser ? Je ne sais pas. Ajoutons donc « spécifiques Â» à la recommandation.

M. Jean-Luc Fugit, député. Je ne sais pas si la notion de « capteur Â» doit être mise en avant par la recommandation, et associée aux drones. L’INERIS nous expliquait que l’important est de faire des prélèvements d'air à certains endroits, prélever des échantillons et ensuite faire les analyses. Donc tant les notions de capteurs que de prélèvement et d’analyse sont importantes. La phrase m'a un peu gêné parce que j'ai trouvé qu’elle donnait trop l'idée du feuilleton américain de police scientifique : on arrive quelque part, on appuie sur un bouton et on a le résultat. Or la vie scientifique n’est pas celle-là. Un gros souci que nous avons rencontré dans la période post-Lubrizol, c’est qu’il fallait attendre dix jours pour obtenir le résultat d’un certain nombre de mesures ; certaines analyses ont été faites, par exemple, à Grenoble, donc il fallait y transporter les échantillons. J’ai été interpellé dans ma circonscription à ce sujet. J’ai essayé d’expliquer que les analyses prenaient du temps, qu’il n’y avait pas d’analyses immédiates. Les gens pensent que si on ne donne pas de résultats tout de suite, on leur cache quelque chose. Il faut remettre un peu de rationalité dans tout ça. Il revient aussi aux responsables publics de ne pas souffler sur les braises dans de tels moments car c’est irresponsable.

M. Gérard Longuet, président de l’Office. Je prends acte de ce que l’Office approuve les recommandations telles que rectifiées selon les propositions de Jean-Luc Fugit et qu’il autorise leur publication.

L’Office adopte les conclusions présentées et autorise à l’unanimité la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l’audition publique du 6 février 2020 sur les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et la gestion des risques accidentels.

 

 


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ANNEXES

    â€“ Documents présentés par certaines personnes auditionnées Ã  l'appui de leur intervention :

 


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ANNEXE I


 

 

 

 


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ANNEXE II


 

 


ANNEXE III