N° 3011

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2020

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 (n° 2899),

 

PAR M. Laurent SAINT-MARTIN,

Rapporteur général

Député

 

——

 

 

ANNEXE N° 29
 

 

JUSTICE

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Patrick HETZEL

 

Député

____

 


 

 

 


— 1 —

 

SOMMAIRE

___

Synthèse, chiffres-clés et recommandations

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : L’EXÉCUTION des crÉdits EN 2019

I. Un nouveau REnforcement des moyens de la mission Justice Mais une SOUTENABILITÉ À surveiller

A. La hausse des moyens de la mission Justice

1. La hausse générale des crédits budgétaires

2. La hausse contrastée des emplois

B. Des indicateurs de soutenabilité à surveiller

II. justice judiciaire : malgrÉ l’augmentation des moyens, un traitement des contentieux qui interroge

A. Face À la hausse DES moyens DEs juridictions JUDICIAIREs, la nÉcessitÉ d’une meilleure maîtrise des frais de justice

1. Des moyens consolidés pour les juridictions judiciaires

2. Des frais de justice à nouveau en hausse

B. La dÉtÉrioration des conditions de traitement des contentieux

1. Un nouvel allongement des délais de jugement

2. La hausse du nombre de juridictions en difficulté

III. Administration pÉnitentiaire : malgrÉ une augmentation significative des moyens, une gestion de la population carcÉrale qui interpelle

A. L’augmentation significative des CRÉDITS et des emplois affectÉs À l’administration PÉNITENTIAIRE

1. Le dynamisme des dépenses de l’administration pénitentiaire

2. Le poids croissant des contrats de partenariat public privé

B. une gestion incertaine de la population carcérale

1. Des conditions de détention qui ne s’améliorent pas

2. Des difficultés à réaliser le plan de création de 15 000 places de prison supplémentaires

IV. Protection judiciaire de la jeunesse : Une hausse des moyens qui ne se traduit pas dans les rÉsultats

A. La hausse des crÉdits et des emplois du programme 182

B. des résultats peu concluants

V. ACCÈS au droit et À la justice : le bilan contrastÉ de l’aide juridictionnelle

A. L’augmentation des moyens allouÉs au programme 101

1. Les dépenses en faveur de l’accès au droit et à la justice

2. Des dépenses d’aide juridictionnelle encore en forte augmentation

B. des rÉsultats contrastÉs pour l’aide juridictionnelle

VI. La poursuite des efforts d’amÉlioration de la conduite et du pilotage de la politique de la justice

A. L’augmentation continue des crÉdits et des emplois du programme 310

B. Des progrès RELATIFS dans la mise en œuvre du plan de transformation numérique

SECONDE PARTIE : LES CONSÉQUENCES DE  LA CRISE DU COVID–19 SUR L’EXÉCUTION 2020

I. Justice judiciaire : une crise qui ACCENTUE LE TRÉS FORT engorgement des juridictions

A. Un manque de LisibilitÉ qui contribue au ralentissement inquiÉtant de l’activitÉ judiciaire

1. Une gestion de crise marquée par un manque de lisibilité

2. Un ralentissement préoccupant de l’activité des juridictions

B. Un impact limitÉ sur les crÉdits du programme 166 mais un rÉel risque d’engorgement des juridictions

1. Le faible impact de la crise sur les dépenses du programme 166

2. L’engorgement des juridictions

C. La question des moyens affectÉs aux juridictions pour sortir de la crise

1. Les moyens des juridictions temporairement renforcés

2. Les mesures envisagées pour pallier le manque de moyens

a. La réorientation des contentieux

b. L’extension controversée des cours criminelles

II. Administration pénitentiaire : une baisse significative de la population carcÉrale qui ne remet pas en cause la trajectoire de dÉpenses

A. Une baisse significative du nombre de dÉtenus qui pose question

1. Une baisse de la population carcérale qui interpelle par son ampleur

2. Une possible remontée du nombre de personnes détenues

B. Des consÉquences budgÉtaires non nÉgligeables et de nouveaux retards dans l’avancement du « plan prison »

1. Un impact non négligeable sur les dépenses du programme 107

a. L’augmentation des dépenses hors titre II

b. L’impact limité de la crise sur les dépenses de personnel

2. Des retards dans le plan de construction de 15 000 places de prison

III. Protection judiciaire de la jeunesse : des activitÉs perturbÉEs sans rÉelle consÉquence sur les dÉpenses

A. L’impact de la crise sur les activitÉs et les dÉpenses courantes du programme 182

1. Des activités contraintes qui génèrent des moindres dépenses

a. Les actions éducatives

b. Le placement judiciaire

c. La situation alarmante des mineurs en détention

2. Les dépenses supplémentaires induites par la crise

3. Des effets limités sur les dépenses de personnel

4. Le report de la réforme de la justice pénale des mineurs

B. Les consÉquences de la crise À moyen terme

1. Les conséquences de la crise sur le stock d’affaires en cours

2. Les conséquences de la crise sur les opérations immobilières

IV. accÈs au droit et À la justice : des activitÉs perturbÉes sans consÉquences majeures sur les crÉdits

A. les consÉquences de la crise sur l’acces au droit et à la justice

B. Des mesures de soutien aux avocats qui n’affectent que partiellement les crÉdits du programme 101

1. Une avance exceptionnelle versée aux avocats au titre de l’aide juridictionnelle

2. Les mesures relatives à l’aide juridictionnelle se compensent

V. Conduite et pilotage de la politique de la justice : des marges d’amÉlioration sont encore LARGEMENT possibles

A. une gestion de crise qui tÉmoigne des progrÈS relatifs RÉalisÉs dans la transformation numÉrique de la justice

B. Toutefois, des marges d’amÉlioration SIGNIFICATIVES subsistent

EXAMEN EN COMMISSION

AUDITIONS ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES  SOLLICITÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL


— 1 —

   Synthèse, chiffres-clés et recommandations

Sur l’exécution 2019

La loi de finances pour 2019 a doté la mission Justice de 9 milliards d’euros en AE et en CP, une augmentation qui se vérifie dans la consommation des crédits (9,06 milliards d’euros en AE et 8,92 milliards d’euros en CP). Toutefois, les restes à payer (6,6 milliards d’euros) et les reports d’AE (1,15 milliard d’euros) risquent de contraindre la gestion.

Programme 166 Justice judiciaire : la maîtrise des frais de fonctionnement courant des juridictions se confirme (– 1,9 % par rapport à 2018), mais les frais de justice ont une nouvelle fois été sous-budgétisés (dépassement de 5 % par rapport à la prévision). En outre, malgré la hausse du montant des CP consommés (3,47 milliards d’euros), l’exercice se termine par un nouvel allongement des délais de jugement pour les tribunaux de grande instance et pour les cours d’appel.

Évolution des crÉdits et des délais de jugement

Source : commission des finances d’après les rapports annuels de performances.

Programme 107 Administration pénitentiaire : les dépenses ont été très dynamiques (3,7 milliards d’euros de CP consommés, + 5 % par rapport à 2018), portées par les dépenses de personnel (+ 4 %), qui ont fait l’objet d’un dépassement de 10 millions d’euros révélant l’insuffisance de la masse salariale. Les indicateurs de performance révèlent une dégradation des conditions de détention.

Programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse : l’exécution est conforme à la prévision (848,9 millions d’euros de CP consommés en 2019), même si l’augmentation des dépenses en 2019 ne s’accompagne pas d’une amélioration de la performance. Certains indicateurs sont à revoir.

Programme 101 Accès au droit et à la justice : les dépenses relatives à l’aide juridictionnelle sont en forte augmentation (492 millions d’euros en 2019, + 5 % par rapport à 2018) tandis que les indicateurs de performance indiquent un allongement des délais de traitement et un affaiblissement continu du taux de recouvrement des frais avancés par l’État.

Programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice : bien que les crédits aient dépassé la prévision (458,5 millions d’euros de CP consommés), l’exécution 2019 traduit la mise en œuvre du plan de transformation numérique du ministère de la justice, qui doit permettre d’optimiser la gestion des dossiers et des procédures dans les juridictions et de dématérialiser l’accès à la justice pour les usagers.

Sur l’impact de la crise liée à l’épidémie de covid-19

La crise du Covid-19 n’a qu’un impact limité sur les crédits de la justice judiciaire prévus en 2020 (3,6 milliards d’euros en AE et 3,5 milliards d’euros en CP). Toutefois, le ralentissement de l’activité des juridictions a conduit au report de plusieurs milliers affaires, ce qui fait craindre un engorgement des tribunaux en sortie de crise. Si un renforcement des moyens humains est envisagé, le rapporteur spécial s’interroge sur la pertinence de la gestion de crise et sur l’extension envisagée des cours criminelles.

S’agissant de l’administration pénitentiaire, la crise s’est accompagnée d’une réduction massive du nombre de détenus qui peut interpeler (– 13 649 soit une baisse de près de 20 %) et qui ne se traduit pas par une baisse des dépenses (une augmentation nette de 14 millions d’euros est attendue). L’arrêt des chantiers peut faire craindre des retards supplémentaires pour le plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires. Le nombre de détenus devrait quant à lui remonter progressivement.

Les activités de la protection judiciaire de la jeunesse ont été perturbées par la crise du Covid-19, sans impact significatif sur les dépenses prévues en 2020. Le report de la réforme de l’ordonnance sur la justice pénale n’induit pas de changement dans l’affectation des crédits et des emplois.

Les dépenses du programme 101 Accès au droit et à la justice sont peu affectées par la crise du Covid-19, hormis une avance exceptionnelle versée aux avocats en difficulté au titre de l’aide juridictionnelle, qui coûtera 50 millions d’euros en 2020.

S’agissant du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice, les progrès réalisés dans le développement du matériel informatique et des applications du ministère ont été mis à contribution durant la période confinement, même si des marges d’amélioration significatives subsistent.


— 1 —

   INTRODUCTION

Le présent rapport spécial analyse les crédits de la mission Justice, qui comprend l’ensemble des moyens humains, matériels et financiers dont dispose le ministère de la justice.

La mission Justice finance trois programmes « métiers » qui concourent à l’organisation et au fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire (programme 166), des services pénitentiaires (programme 107) ainsi que des services de la protection judiciaire de la jeunesse (programme 182).

Le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la Justice rassemble les moyens de l’état-major, des directions législatives et des services d’intérêt commun du ministère.

Le programme 101 finance la politique de soutien à l’accès au droit et à la Justice.

Enfin, le programme 335 vise à garantir l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature.

Le périmètre de la mission Justice ne comprend pas les juridictions administratives, dont les crédits sont inscrits au programme 165 de la mission Conseil et contrôle de l’État.

Conformément aux orientations du bureau de la commission des finances, le rapport spécial :

– analyse l’exécution des crédits au cours de l’année 2019 ;

– évalue l’impact de la crise du Covid-19 sur l’exécution des crédits prévus par la loi de finances pour 2020 ([1]).

 

 


— 1 —

   PREMIÈRE PARTIE : L’EXÉCUTION des crÉdits EN 2019

Depuis 2012, la justice connaît une progression régulière de ses crédits. Le bilan de l’exécution 2019 confirme l’augmentation des moyens humains et financiers affectés à la mission Justice, mais comporte aussi quelques aléas sur lesquels le rapporteur spécial du budget de la justice à la commission des finances de l’Assemblée nationale a déjà pu appeler à la vigilance.

I.   Un nouveau REnforcement des moyens de la mission Justice Mais une SOUTENABILITÉ À surveiller

La loi de finances pour 2019 ([2]) a doté la mission Justice d’un peu plus de 9 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), ce qui représente 1,95 % des crédits du budget général. Si les AE sont stables par rapport à la loi de finances pour 2018 ([3]) (+ 0,3 %), les CP sont en progression (+ 3 %). Le plafond d’emplois de la mission Justice représente quant à lui 4,5 % du plafond d’emplois de l’État (en hausse de 0,2 point).

A.   La hausse des moyens de la mission Justice

L’augmentation des moyens de la mission se traduit à la fois au niveau des crédits et des emplois exécutés.

1.   La hausse générale des crédits budgétaires

L’augmentation des moyens se vérifie dans la consommation des crédits, qui atteint 9,06 milliards d’euros en AE (+ 7,2 %) et 8,92 milliards d’euros en CP (+ 3,7 %). Le taux de consommation progresse à la fois pour les AE (de 76,8 % en 2018 à 80 % en 2019) et pour les CP (de 99,06 % en 2018 à 99,38 % en 2019).

Les AE dépassent légèrement les prévisions de la loi de finances initiale en raison d’importants reports de crédits de l’année 2018. Ils demeurent toutefois bien en deçà du montant des crédits ouverts en gestion (11,32 milliards d’euros).

Les taux de mise en réserve ont été limités à 3 % sur les crédits hors titre II et à 0,5 % pour le titre II. Comme en 2018, ces montants limités ont permis d’assurer une gestion moins contrainte des crédits. Au total, 8 % des crédits de la réserve ont été dégelés, essentiellement au bénéfice des dépenses de personnel de l’administration pénitentiaire, de l’aide juridictionnelle et des frais de justice.

Comme le montre le tableau page suivante, tous les programmes ont vu le montant des CP consommés augmenter, à l’exception du programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.

Évolution des crédits de la mission Justice depuis 2015

(en millions d’euros)

PROGRAMMES

2017

2018

2019

Taux d’exécution

Évolution 2018-2019

166 – Justice judiciaire

AE

3 428,88 ([4])

3 454,09

3 893,53

+ 12,72 %

3 616,33 ([5])

3 718,26

4 184,09

+ 12,53 %

3 273,65 ([6])

3 354,02

3 530,63

84,38 %

+ 5,27 %

CP

3 322,68

3 452,57

3 495,46

+ 1,24 %

3 304,63

3 449,73

3 471,30

+ 0,63 %

3 291,91

3 432,47

3 466,62

99,87 %

+ 0,99 %

107 – Administration pénitentiaire

AE

5 763,50

3 478,71

3 325,82

– 4,40 %

6 226,72

5 112,10

4 898,89

– 4,17 %

4 247,41

3 405,32

3 670,41

74,92 %

+ 7,78 %

CP

3 614,72

3 548,30

3 750,82

+ 5,71 %

3 535,80

3 529,73

3 717,75

+ 5,33 %

3 531,96

3 497,63

3 693,91

99,36 %

+ 5,61 %

182 – Protection judiciaire de la jeunesse

AE

843,07

869,20

903,78

+ 3,98 %

843

869,93

912,90

+ 4,94 %

821,76

835,87

869,51

95,25 %

+ 4,02 %

CP

828,74

851,09

875,47

+ 2,86 %

817,32

843,29

860,15

+ 2,00 %

812,94

824,86

848,94

98,70 %

+ 2,92 %

101 – Accès au droit et à la justice

AE

403,1

438,04

466,84

+ 6,57 %

381,26

430,21

465,93

+ 8,30 %

380,74

430,14

452,82

97,19 %

+ 5,27 %

CP

403,1

438,04

466,84

+ 6,57 %

379,34

430,21

465,93

+ 8,30 %

379,31

430,14

452,86

97,19 %

+ 5,28 %

310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

AE

364,22

774,49

454,05

– 41,37 %

448,92

869,44

855,35

– 1,62 %

329,04

424,04

536,01

62,67 %

+ 26,41 %

CP

379,84

437,05

437,31

+ 0,06 %

362,97

429,48

460,24

+ 7,16 %

354,98

416,69

458,50

99,62 %

+ 10,03 %

335- Conseil supérieur de la Magistrature

AE

3,77

4,50

4,87

+ 8,22 %

4,16

4,78

5,25

+ 9,83 %

3,26

3,97

4,15

79,05 %

+ 4,53 %

CP

4,55

4,76

4,81

+ 1,05 %

5,05

5,14

5,19

+ 0,97 %

4,17

4,10

4,04

77,84 %

– 1,46 %

TOTAL

AE

10 806,55

9 011,34

9 039,10

+ 0,31 %

11 520,39

11 004,72

11 322,41

+ 2,89 %

9 055,86

8 453,36

9 063,53

80,05 %

+ 7,22 %

CP

8 553,63

8 722,11

9 056,91

+ 3,84 %

8 405,11

8 687,59

8 980,56

+ 3,37 %

8 375,27

8 605,89

8 924,86

99,38 %

+ 3,71 %

Source : commission des finances d’après les rapports annuels de performances.

2.   La hausse contrastée des emplois

Les dépenses de personnel de la mission Justice atteignent 5,58 milliards d’euros en 2019, soit 62,5 % des CP consommés. Elles sont en hausse de 2,2 % par rapport à 2018, une progression moins dynamique que les années précédentes (+ 3 % en 2018 et + 5 % en 2017).

La loi de finances pour 2019 a fixé le plafond d’emplois du ministère de la justice à 86 452 équivalents temps plein travaillé (ETPT), une hausse importante de 1 483 ETPT (+ 1,75 %), bien que plus faible qu’en 2018 (+ 2,1 %). Le plafond d’emplois a été exécuté à hauteur de 85 341 ETPT, soit un taux d’exécution de 98,7 %, supérieur à 2018 et identique à 2017.

Les schémas d’emplois de la loi de finances pour 2019 prévoyaient une hausse de 1 300 équivalents temps plein (ETP). Ils ont été exécutés à hauteur de 1 086 ETP, soit une sous-exécution de 214 ETP, qui contraste avec la sur‑exécution constatée en 2018 (même si elle intégrait des reports de 2017).

Le ministère de la justice explique ces sous-exécutions par l’insuffisance de la masse salariale dont il dispose. Cela n’est pas très surprenant, puisqu’il s’agissait d’un des points d’alerte soulevés par le rapporteur spécial lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2019.

B.   Des indicateurs de soutenabilité à surveiller

Les restes à payer de la mission Justice s’élèvent à 6,6 milliards d’euros en 2019, en hausse de 200 millions d’euros par rapport à 2018. Ils concernent principalement le programme 107 Administration pénitentiaire (4,5 milliards d’euros) et le programme 166 Justice judiciaire (1,5 milliard d’euros) et reflètent notamment le poids important du loyer des contrats de partenariat public privé sur ces deux programmes.

Le montant des reports d’AE s’élève quant à lui à 1,15 milliard d’euros. Bien qu’il soit en baisse par rapport à 2018 (1,45 milliard d’euros), il n’en demeure pas moins très significatif.

En tout état de cause, le montant des restes à payer et des reports d’AE représentent une part importante des crédits ouverts. En conséquence, ils risquent de contraindre les marges de manœuvre en gestion et de limiter la capacité du ministère à s’engager sur de nouveaux projets.

Par ailleurs, la norme de dépense n’a une nouvelle fois pas été respectée en 2019. Toutefois, le dépassement de 50 millions d’euros est faible par rapport au volume de crédits de la mission et à l’écart à la cible (0,7 %). Il est similaire à celui de 2018 (40 millions d’euros) et reste bien moins important que les années précédentes (dépassement de 310 millions d’euros en 2017).

II.   justice judiciaire : malgrÉ l’augmentation des moyens, un traitement des contentieux qui interroge

L’efficacité d’un système judiciaire ne tient pas uniquement à l’importance des crédits et des emplois dont il dispose. Malgré l’augmentation des ressources mises à disposition du programme 166 Justice judiciaire, les résultats des indicateurs de performance font apparaître une dégradation des conditions de traitement des contentieux et il s’agit là d’un problème majeur.

Il est essentiel que le ministère de la justice améliore enfin les conditions de jugement, car la justice ne peut se permettre de devenir un nouveau « tonneau des Danaïdes ». En matière de gestion des deniers publics, il pas excusable que les augmentations de crédits depuis plusieurs années ne donnent pas lieu à une amélioration des résultats.

A.   Face À la hausse DES moyens DEs juridictions JUDICIAIREs, la nÉcessitÉ d’une meilleure maîtrise des frais de justice

Conformément à la loi de finances initiale, l’exercice 2019 se traduit par une augmentation des crédits et des emplois exécutés sur le programme 166 Justice judiciaire. Toutefois, comme les années précédentes, l’exécution s’accompagne d’un manque de maitrise des frais de justice.

1.   Des moyens consolidés pour les juridictions judiciaires

Le montant des CP consommés sur le programme 166 atteint 3,47 milliards d’euros (+ 1 % par rapport à 2018). La consommation est portée par l’évolution des dépenses de personnel, qui représentent 67,5 % du total.

Le schéma d’emplois, fixé à + 192 ETP en loi de finances pour 2019, est exécuté à 85 %, soit une sous-exécution de – 29 ETP, en raison de moindres recrutements chez les fonctionnaires de catégorie C, même si les entrées sont supérieures aux prévisions pour les magistrats et les greffiers.

La stabilité des dépenses de fonctionnement confirme l’effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement courant des juridictions entrepris à la suite du rapport d’inspection de 2017 ([7]). Les CP consommés atteignent 165 millions d’euros, en baisse de 1,9 % par rapport à 2018. La revalorisation des crédits dans la loi de finances initiale permet une prévision plus sincère et donc des charges à payer bien inférieures aux années précédentes (+ 0,9 % par rapport à la prévision).

Les dépenses d’investissement sont en baisse (– 3,9 %), principalement en raison des retards pris dans l’avancement des projets immobiliers. Il s’agit d’une faiblesse régulière pour le ministère de la justice.

S’agissant de l’École nationale de la magistrature (ENM), seul opérateur rattaché au programme, l’exécution 2019 laisse entrevoir une amélioration de la programmation, avec une baisse des crédits prévus dans la loi de finances initiale (31,8 millions d’euros en 2019), une augmentation des crédits consommés (31,3 millions d’euros) et un taux d’exécution qui passe de 93 % à 98 %.

2.   Des frais de justice à nouveau en hausse

La relativement bonne exécution des crédits du programme 166 ne doit pas masquer, cette année encore, le manque de maîtrise des frais de justice, que le rapporteur spécial regrette à nouveau très vivement.

Les 531,8 millions d’euros de CP consommés en 2019 correspondent à un dépassement de 26,6 millions d’euros par rapport à la prévision (+ 5 %).

Certes, le montant des frais de justice augmente à un niveau plus faible (+ 0,8 % en 2019 contre + 6,5 % en 2018). Toutefois, comme en témoigne l’indicateur 3.2 du programme 166, le nombre d’affaires faisant l’objet d’une réponse pénale est en baisse de – 4,6 % entre 2018 et 2019, ce qui signifie que la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale augmente (374 euros en 2019 contre 358 euros en 2018).

Les frais de justice pénale représentent 480,2 millions d’euros soit 90 % de la dépense totale. Les principales augmentations concernent les analyses génétiques (+ 1,2 million d’euros) et toxicologiques (+ 1,8 million d’euros), les expertises psychologiques et psychiatriques (+ 2,6 millions d’euros), les frais d’interprétariat et de traduction (+ 2,6 millions d’euros) et les frais de gardiennage des scellés (+ 2,4 millions d’euros). La dépense des frais de justice civile et commerciale, très minoritaires, augmente de 5,8 % entre 2018 et 2019.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires continue de générer des économies, grâce à la dématérialisation des échanges entre enquêteurs et opérateurs. Toutefois, des difficultés techniques ont retardé la mise en place de la géolocalisation prévue en 2019, ce qui entraîne un maintien de certaines dépenses. Sur ce point, il serait souhaitable que le ministère soit plus réactif, comme le rapporteur spécial l’avait déjà mentionné dans de précédents rapports.

Les diverses expérimentations engagées par la direction des services judiciaires n’ont toujours pas donné de résultats probants, malgré la généralisation de la gestion régionalisée des scellés.

Le rapporteur spécial souligne que la Cour des comptes ([8]) s’interroge sur la sous-budgétisation persistante des frais de justice et maintient sa recommandation visant à améliorer la connaissance des frais de justice pour permettre de budgétiser un montant réaliste par rapport à la dépense exécutée de l’exercice précédent.

B.   La dÉtÉrioration des conditions de traitement des contentieux

L’exercice 2019 confirme la dégradation des délais de jugement déjà constatée les années précédentes.

1.   Un nouvel allongement des délais de jugement

Comme l’illustre le graphique suivant, malgré l’augmentation des crédits budgétaires, le délai moyen de jugement des procédures civiles (hors procédures courtes) ne s’améliore pas. Pour le rapporteur spécial, il s’agit là d’un point d’alerte majeur. Il est essentiel que la Chancellerie redresse rapidement la situation.

Évolution des crÉdits et des délais de jugement

Source : commission des finances d’après les rapports annuels de performances.

En 2019, l’allongement des délais concerne avant tout les tribunaux de grande instance (TGI), de 12,6 mois en 2018 à 13,9 mois en 2019. L’engorgement des TGI résulte principalement de l’impact contrasté des nombreuses évolutions législatives réalisées ces dernières années.

Les TGI ont connu une augmentation de leur activité avec la prise en charge de nouveaux contentieux, notamment du fait de la réforme des juridictions sociales. Avec 990 000 nouvelles affaires en 2019, l’activité civile n’avait plus été aussi élevée depuis 2015.

La baisse de la part prise par le contentieux de la famille et la hausse de celle pris par le contentieux social contribue aussi à l’augmentation des délais dans la mesure où le délai de traitement moyen est moins élevé pour les premiers que pour les seconds.

Par ailleurs, la déjudiciarisation des divorces par consentement mutuel entraîne une augmentation du délai de traitement des divorces puisque le traitement des divorces contentieux est plus long.

Enfin, la hausse des délais de traitement va de pair avec l’augmentation du stock d’affaires en instance (+ 200 000).

L’allongement des délais concerne aussi les cours d’appel (de 15,2 mois en 2018 à 15,8 mois en 2019). La hausse du délai moyen de traitement résulte principalement d’un effort de réduction du nombre d’affaires en stock, qui conduit à traiter d’abord des affaires dont l’ancienneté est souvent plus élevée.

L’effort s’est notamment porté sur les affaires de contentieux social, dont le stock avait beaucoup augmenté entre 2010 et 2016. Les délais de traitement et l’âge moyen du stock des contentieux des chambres civiles (droit des contrats, des biens, de la responsabilité) s’inscrivent à la hausse.

Les indicateurs relatifs à la Cour de cassation (stable) et aux juridictions prud’homales (baisse légère) s’inscrivent dans une dynamique favorable.

2.   La hausse du nombre de juridictions en difficulté

Le pourcentage des juridictions qui dépassent d’au moins 15 % le délai moyen de traitement (cible) des procédures civiles est en hausse, à la fois pour les TGI (de 52 en 2018 à 60 en 2019) et pour les cours d’appel (de 40 en 2018 à 44 en 2019). L’augmentation est certes moins importante qu’entre 2017 et 2018, mais elle confirme la dégradation du service rendu aux justiciables.

S’agissant des autres indicateurs, le rapporteur spécial déplore que les indicateurs relatifs au délai moyen de traitement des procédures pénales et au nombre d’affaires civiles et pénales traitées par magistrat ou par fonctionnaire ne soient pas renseignés.

L’absence de données chiffrées est également relayée par la Cour des comptes ([9]), qui recommande de renseigner les taux de récidive afin de mieux mesurer la performance de la réponse pénale.


III.   Administration pÉnitentiaire : malgrÉ une augmentation significative des moyens, une gestion de la population carcÉrale qui interpelle

En 2019, le programme 107 Administration pénitentiaire a bénéficié d’une augmentation significative de ses crédits et de ses emplois. Néanmoins, les indicateurs de performance du programme suggèrent une nouvelle dégradation des conditions de détention tandis que des retards sont à craindre dans l’avancement des projets immobiliers en cours.

A.   L’augmentation significative des CRÉDITS et des emplois affectÉs À l’administration PÉNITENTIAIRE

S’il convient de saluer le dynamisme des dépenses de l’administration pénitentiaire, des points d’attention demeurent en ce qui concerne l’évolution des dépenses de personnel ainsi que le poids des contrats de partenariat public privé.

1.   Le dynamisme des dépenses de l’administration pénitentiaire

Le montant des CP consommés sur le programme 107 atteint 3,69 milliards d’euros, en hausse de 5,6 % par rapport à 2018.

Les dépenses de fonctionnement sont en progression de 3,2 % par rapport à 2018. Cette augmentation résulte principalement de la poursuite des mesures de sécurisation des établissements pénitentiaires (déploiement de systèmes de brouillage) et de l’augmentation de la population carcérale. Sur les 8,5 millions d’euros de CP non consommés en 2019, 6 millions d’euros ont été gelés en fin de gestion afin de financer le dispositif de bracelet anti-rapprochement en 2020.

Les dépenses de personnel, qui représentent 67,6 % des dépenses du programme, sont en nette hausse (+ 4 %). L’exécution 2019 a été marquée par une surconsommation de 10 millions d’euros, qui a nécessité une réaffectation de crédits sous‑consommés sur les autres programmes ainsi qu’un dégel partiel de la réserve de précaution.

En effet, la prévision 2019 n’intégrait pas les coûts de mise en œuvre du protocole de sortie de grève signé le 29 janvier 2018, qui contenait des créations de poste, une revalorisation indemnitaire et la sortie du fonctionnement en mode dégradé qui a entraîné une augmentation du nombre d’heures supplémentaires.

Le schéma d’emplois du programme 107 (+ 959 ETP) est réalisé à 79 %. La sous-exécution de – 202 ETP, qui se rajoute à celle de 2018 (– 81 ETP), traduit des difficultés de recrutement chez les personnels surveillants (– 171) et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (– 32).

S’agissant de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), seul opérateur rattaché au programme 107, l’exercice 2019 s’accompagne d’une mauvaise anticipation des dépenses, avec une baisse des crédits prévus dans la loi de finances initiale (32,9 millions d’euros en 2019) mais une augmentation des crédits consommés (34,5 millions d’euros) et donc un dépassement.

2.   Le poids croissant des contrats de partenariat public privé

Les contrats de partenariat public privé constituent une composante importante de l’immobilier de la justice. Leur poids financier fait peser une lourde charge sur l’immobilier judiciaire et sur les dépenses d’investissement. Il contraint les marges financières de la mission et entraîne un risque d’effet d’éviction sur les dépenses d’entretien des infrastructures existantes et sur les nouveaux projets.

La situation est d’autant plus préoccupante que le poids financier des partenariats public privé tend à s’accroître. En 2019, les dépenses exécutées ont atteint 245 millions d’euros en AE et 278,4 millions d’euros en CP, en hausse de 45 % et de 11 % par rapport à 2018.

Par ailleurs, comme le fait valoir la Cour des comptes ([10]), le montant de l’engagement programmé ne correspond pas à la réalité des engagements auprès des prestataires, puisqu’il n’intègre ni le coût des remboursements du financement dont le montant est pourtant arrêté, ni les coûts de fonctionnement dont le caractère obligatoire découle du contrat.

B.   une gestion incertaine de la population carcérale

Malgré l’augmentation des ressources mises à la disposition de l’administration pénitentiaire, les indicateurs de performance du programme 107 ne s’améliorent pas, ce qui est très regrettable.

1.   Des conditions de détention qui ne s’améliorent pas

Contrairement aux prévisions de la loi de finances pour 2019, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires continue d’augmenter, à la fois pour les maisons d’arrêt (139 % en 2019 contre 138,5 % en 2018) et pour les centres de détention (89,5 % entre 2019 contre 89,4 % en 2018).

L’augmentation du taux de population carcérale est liée à une croissance forte du nombre de personnes prévenues en détention (+ 3,6 % contre + 2,8 % en 2018). Les mesures alternatives à l’incarcération, le pourcentage de personnes placées sous écrou et condamnées bénéficiant d’un aménagement de peine ou d'une libération sous contrainte restent stables (21,8 % en 2019).

S’agissant des conditions de détention, le nombre de détenus par cellule demeure stable (1,32 en moyenne). La proportion croissante des établissements pénitentiaires labellisés dans le processus de « prise en charge et accompagnement des personnes détenues » augmente (44 % en 2019 contre 39 % en 2018), mais la portée de ce dispositif reste à démontrer dans un contexte de surpopulation carcérale persistante. Enfin, même si les indicateurs font apparaître une baisse du nombre d’actes de violence commis contre le personnel pénitentiaire (32 %), le nombre d’actes de violence entre détenus demeure stable (135 %).

2.   Des difficultés à réaliser le plan de création de 15 000 places de prison supplémentaires

Par ailleurs, l’état d’avancement du plan de création de 15 000 nouvelles places de prison d’ici à 2027 peut raisonnablement faire craindre des retards. Pour le rapporteur spécial, cela constitue un point d’alerte majeur.

Ce plan vise à créer 7 000 places supplémentaires d’ici 2022 et 8 000 autres entre 2025 et 2027. Depuis 2017, seules 2 000 places de prison ont été mises en service, dont 826 en 2019 avec l’ouverture de la maison d’arrêt de Paris‑La Santé et le quartier de semi‑liberté de Nanterre. À la fin de l’année 2019, la direction de l’administration pénitentiaire indique que le lancement des travaux n’est effectif que pour 27 % des 7 000 places de prisons qui doivent être livrées en 2022 (10 sites sur 34).

Comme les deux derniers exercices budgétaires l’ont mis en évidence, ces retards résultent principalement des difficultés de l’administration pénitentiaire à consommer l’ensemble des crédits d’investissement qui lui sont affectés pour ses programmes immobiliers, notamment en raison des obstacles qu’elle rencontre pour accéder au foncier. Il serait souhaitable qu’elle pilote davantage cet aspect et soit plus offensive en la matière pour atteindre les objectifs fixés.

L’exercice 2019 ne fait pas exception. Si l’administration pénitentiaire a consommé davantage de crédits de titre V qu’en 2018 (497,6 millions d’euros en AE et 260,3 millions d’euros en CP), l’exécution s’accompagne d’une sous‑consommation des CP de 48 millions d’euros, qui a entraîné, en fin d’exercice, une annulation de 17 millions d’euros de crédits au-delà de la réserve.

Le rapporteur spécial rappelle que seule la mise en œuvre d’un programme immobilier pénitentiaire ambitieux peut améliorer significativement les conditions d’incarcération et la sécurité des personnels pénitentiaire. À l’évidence, ceci suppose déjà que le plan de création de 15 000 places de prison soit enfin mené à bien.

 


IV.   Protection judiciaire de la jeunesse : Une hausse des moyens qui ne se traduit pas dans les rÉsultats

Malgré l’augmentation des crédits et des emplois alloués au programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse, les indicateurs de performance laissent apparaître des résultats peu concluants.

A.   La hausse des crÉdits et des emplois du programme 182

Le montant des CP consommés sur le programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) atteint 848,9 millions d’euros (+ 3 % par rapport à 2018).

Le programme finance principalement des dépenses d’intervention au profit du secteur associatif habilité, qui conduit certaines mesures d’investigation prononcées par les juges et prend en charge des mineurs délinquants (centres éducatifs fermés, centres d’hébergement). En 2019 le montant total des crédits consommés est de 239,3 millions d’euros, en hausse de 5,5 %.

Les dépenses d’investissement continuent d’augmenter (+ 6,8 % en 2019), à raison du renouvellement du parc automobile et de la conduite des opérations immobilières lancées ou en voie d’achèvement (locaux des unités éducatives d'activités de jour et construction de nouveaux centres éducatifs fermés). Dans une moindre mesure, la hausse des crédits est aussi la conséquence de la progression des dépenses de personnel (+ 1,7 %) et des dépenses de fonctionnement (+ 3 %).

Le schéma d’emplois du programme 182 (+ 51 ETP) est réalisé à 123 % (+ 12 ETP), en raison du recrutement de personnels contractuels pour remplacer des agents en congé maladie dans certaines directions interrégionales.

B.   des résultats peu concluants

L’exercice 2019 s’accompagne d’un nouvel allongement des délais de prise en charge imputables aux services du secteur public et du secteur associatif habilité (17,5 jours contre 16,2 jours en 2018). Toutefois, cet indicateur recouvre des résultats divergents car il porte sur une quinzaine de mesures dont certaines sont mises en œuvre plus rapidement que d’autres.

Les délais de prise en charge sont conformes à la cible pour les mises sous protection judiciaire, les libertés surveillées, les suivis socio-judiciaires, les sursis avec mise à l’épreuve et les travaux d’intérêt général. Ils ne dépassent la cible que pour les contrôles judiciaires, les libertés surveillées préjudicielles, les réparations, les sanctions éducatives, les stages et mesures d’activité de jour. L’indicateur devrait être modifié en 2020 afin de dissocier les mesures de milieu ouvert des mesures d’investigation qui ne concernent pas les mêmes publics et n’interviennent pas au même moment de la prise en charge.

Le taux d'inscription des jeunes pris en charge dans un dispositif d'insertion sociale et professionnelle ou de formation se dégrade (64 % en 2019 contre 71 % en 2018). Le ministère de la justice l’explique par l’impossibilité de renseigner les nouvelles directives dans le logiciel GAME utilisé par le personnel éducatif. Un nouveau logiciel PARCOURS devrait être mis en place.

Le taux d’occupation des structures de la PJJ en 2019 est similaire aux niveaux de 2018 et aux cibles prévues. Toutefois, il baisse pour les centres éducatifs renforcés (79 % en 2019 contre 84 % en 2018), du fait d’une prescription plus faible et d’une durée moyenne des séjours plus courte.

L’absence de données chiffrées sur la part des jeunes de moins de 17 ans à la clôture d’une mesure pénale qui n’ont ni récidivé, ni réitéré dans l’année qui a suivi empêche de compléter l’appréciation des performances de la PJJ.

Comme en 2018, le rapport annuel de performances fait état des difficultés, structurelles pour certaines, rencontrées par les établissements dans la prise en charge de publics particulièrement difficiles. Le taux de rotation des équipes demeure élevé et les recrutements difficiles, tant dans la catégorie des éducateurs que dans celles des cadres.

À ce titre, il serait souhaitable d’évaluer les résultats du plan d’action de 2015, qui visait à améliorer les conditions de travail dans les structures de placement.

V.   ACCÈS au droit et À la justice : le bilan contrastÉ de l’aide juridictionnelle

Le programme 101 Accès au droit et à la justice repose principalement sur l’aide juridictionnelle, dont les dépenses sont encore en augmentation en 2019, sans réelle amélioration des indicateurs de performance.

A.   L’augmentation des moyens allouÉs au programme 101

Outre l’aide juridictionnelle, le programme 101 finance aussi diverses mesures destinées à renforcer l’accès des justiciables au système judiciaire.

1.   Les dépenses en faveur de l’accès au droit et à la justice

Le montant des CP consommés sur le programme 101 atteint 452,9 millions d’euros (+ 5 % par rapport à 2018). La majorité des crédits finance des dépenses relatives à l’aide juridictionnelle, qui atteignent 409 millions d’euros.

Le programme 101 finance aussi l’aide aux victimes pour 28 millions d’euros en 2019. Assurée par un réseau d’associations locales, elle repose sur les bureaux d’aide aux victimes et un dispositif de télé‑protection des personnes en grave danger (dit « téléphone grave danger »), qui délivre une première écoute et une orientation personnalisée.

Les CP exécutés pour l’accès au droit et à la médiation ont atteint 15,6 millions d’euros (+ 9 %). Ces crédits soutiennent les conseils départementaux d’accès au droit et les maisons de la justice et du droit ainsi que les associations locales de médiation familiale.

2.   Des dépenses d’aide juridictionnelle encore en forte augmentation

L’aide juridictionnelle, financée par le programme 101, couvre les moyens qui permettent de favoriser la défense des justiciables aux ressources financières modestes, qui incluent les aides à l’intervention d’un avocat ou d’un auxiliaire de justice. Ces crédits sont versés aux caisses des règlements pécuniaires des avocats.

L’exécution 2019 confirme les effets inflationnistes des réformes passées. Le montant des dépenses consacrées à l’aide juridictionnelle a atteint 492 millions d’euros (+ 5 % par rapport à 2018). Le montant des crédits budgétaires s’élève à 409 millions d’euros (+ 5 %).

L’augmentation des dépenses résulte principalement de l’élévation des rétributions des avocats pour leurs interventions. La rétribution des autres auxiliaires de justice reste sur une trajectoire de baisse légère. Seule la ressource extrabudgétaire de 83 millions d’euros, issue de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique et des amendes liées à certaines infractions pénales, qui abonde le conseil national des barreaux, permet d’équilibrer le poste.

La prévision des dépenses d’aide juridictionnelle demeure complexe dans la mesure où le dispositif est touché par les réformes des procédures judiciaires (simplification ou obligation de l’office d’un avocat) et les modalités de rétribution de l’aide qui ont été révisées en 2016 (baisse du plafond des ayant-droit et revalorisation du mode de calcul de la rétribution).

Sans préjuger de l’impact possible de la réforme adoptée dans la loi de finances pour 2020, le rapporteur spécial tient à réaffirmer qu’une véritable réforme de l’aide juridictionnelle ne saurait se borner à de simples ajustements paramétriques. Il importe d’examiner les conditions d’admissions, le champ des dépenses prises en charge par la solidarité nationale, ainsi que les modalités du financement de l’aide juridictionnelle.

B.   des rÉsultats contrastÉs pour l’aide juridictionnelle

Le bilan du traitement des demandes d’aide juridictionnelle en 2019 est contrasté. Le coût de traitement d’une décision d’aide juridictionnelle se réduit à nouveau. Le montant constaté en 2019 (11,14 euros) est inférieur à la prévision pour l’exercice (moins de 14 euros) et au montant constaté en 2018 (12,21 euros).

Toutefois, cette diminution découle essentiellement d'une baisse de la masse salariale due à des vacances de poste. Elle ne résulte pas d’une amélioration de la performance et se traduit dans les faits par des délais de traitement plus longs (41 jours en 2019, contre 38 jours en 2018 et 36 jours en 2017).

Pour la deuxième année consécutive, le pourcentage de bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) traitant les demandes en plus de 60 jours augmente pour s’établir à 13,3 % (contre 9,7 % en 2018). Cette évolution résulte principalement des difficultés chroniques que rencontrent certaines juridictions en matière de ressources humaines.

L’affaiblissement continu du taux de recouvrement des frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle, qui répond pourtant au souci d’une bonne gestion des deniers publics et d’un traitement équitable des justiciables, semble revêtir un caractère plus structurel et donc préoccupant. Il tombe à 3,7 %, un taux nettement inférieur à la prévision (6,5 %) et à celui des exercices précédents (4,6 % en 2018, 5,4 % en 2017 et 6,9 % en 2016).

Cela s’explique principalement par la modification du mode de calcul de la rétribution des avocats. Si le montant des sommes mises en recouvrement dépend du nombre de décisions de justice qui l’autorise, des efforts supplémentaires paraissent nécessaires dans la mise en œuvre des procédures entre les juridictions, les services administratifs régionaux et les services déconcentrés de la direction générale des finances publiques (DGFIP).

VI.   La poursuite des efforts d’amÉlioration de la conduite et du pilotage de la politique de la justice

Le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice bénéficie depuis plusieurs exercices d’une forte augmentation de ses crédits et de ses emplois, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du plan de transformation numérique du ministère de la justice.

A.   L’augmentation continue des crÉdits et des emplois du programme 310

L’exécution 2019 confirme l’augmentation des moyens affectés au programme 310, porté par le secrétariat général du ministère de la justice, chargé de rationaliser l’organisation et la gestion du ministère. Les CP exécutés sur le programme 310 atteignent 458,5 millions d’euros, un montant supérieur à la prévision et en hausse de 10 % par rapport à 2018.

La mise en œuvre du plan de transformation numérique (PTN), lancé en 2018, contribue à l’augmentation des dépenses de fonctionnement (+ 14 % par rapport à 2018), qui ont notamment servi à la modernisation de 2 000 systèmes de visioconférences, à l’installation de 1 128 bornes Wi-Fi et à l’installation du haut débit. Toutefois, les dépenses d’investissement sont en retrait de – 19 %, ce qui confirme la difficulté du programme à consommer l’intégralité de ses crédits de titre V.

 

Le schéma d’emplois du programme 310 (+ 98 ETP) est exécuté à 105 %, rattrapant la sous-exécution de 2018. Les recrutements ont bénéficié à la fois au secrétariat général du ministère de la justice (+ 80 ETP) et aux délégations interrégionales, pour accompagner la mie en œuvre du PTN et renforcer le service des systèmes d’information et les départements informatiques.

Néanmoins, le ministère rencontre une certaine difficulté à recruter et fidéliser les informaticiens, difficulté qu’il essaye de contrer en mettant en place des mesures de revalorisation salariale.

Le programme 310 porte également la programmation des dépenses immobilières de la mission Justice, via l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ). En 2019, l’opérateur a bénéficié d’une hausse de ses crédits et de ses emplois, afin d’accompagner la montée en charge des opérations immobilières de la justice judiciaire et de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, l’APIJ ayant déménagé son siège le 1er janvier 2019, elle enregistre une baisse de ses charges locatives (– 0,3 million d’euros).

B.   Des progrès RELATIFS dans la mise en œuvre du plan de transformation numérique

Les indicateurs de performance du programme 310 traduisent la bonne mise en œuvre du PTN, lancé en 2018, qui doit permettre d’optimiser la gestion des dossiers et des procédures dans les juridictions et de dématérialiser l’accès à la justice pour les usagers en application des orientations de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle ([11]).

Les indicateurs confirment le renforcement des dépenses liées à la bureautique. Le ratio d’efficience bureautique s’établit à 762 euros par poste de travail pour 2019 contre 712 euros en 2018 et 596 euros en 2016. En outre, on observe un meilleur respect des coûts et des délais des grands projets informatiques, avec des sous-indicateurs non seulement en amélioration par rapport à 2018, mais aussi conformes aux prévisions.

L’exécution 2019 a permis de poursuivre les dépenses consacrées au développement des applications métier du ministère de la justice, notamment :

– le programme Portalis (10,4 millions d’euros en AE et 7,4 millions d’euros en CP) pour la dématérialisation de la gestion des procédures civiles, notamment via la mise en place, en 2019, du portail du service d’accueil unique du justiciable ;

– l’application Cassiopée (10,5 millions d’euros en AE et 7,8 millions d’euros en CP), qui permet la dématérialisation de la gestion des procédures pénales et facilite le partage des informations entre juridictions ;

– l’application Genesis (10,4 millions d’euros en AE et 7,4 millions d’euros en CP) qui facilite le suivi des personnes écrouées ;

– le projet ASTREA de refonte du système d’information du casier judiciaire national (6,7 millions d’euros en AE et 3,8 millions d’euros en CP) ;

– le SI Harmonie (6,4 millions d’euros en AE et 6,7 millions d’euros en CP) qui concerne la gestion des ressources humaines du ministère de la justice.

L’exercice 2019 a également permis de poursuivre le projet de procédure pénale numérique (PPN), qui a pour objet la dématérialisation des échanges entre les acteurs de la procédure pénale depuis l’enregistrement d’une plainte ou la constatation d’une infraction jusqu’à l’audience de jugement, qui fait l’objet de deux expérimentations lancées en 2019 dans les TGI d’Amiens et de Blois. Les premiers retours étant très positifs, la PPN pourrait être généralisée en 2021.

Il convient de saluer ces progrès dans la transformation numérique du ministère de la justice, même si celui-ci part de très loin, comme le montre, hélas, la manière dont la Chancellerie a géré crise liée à l’épidémie de Covid‑19.


— 1 —

   SECONDE PARTIE : LES CONSÉQUENCES DE
LA CRISE DU COVID–19 SUR L’EXÉCUTION 2020

La loi de finances pour 2020 poursuit la politique d’augmentation des moyens du ministère de la justice, en dotant la mission Justice de 9,11 milliards d’euros en AE et de 9,39 milliards d’euros en CP, en hausse, respectivement, de 0,8 % et 3,7 % par rapport à la loi de finances pour 2019.

Les crédits de la mission Justice

(en millions d’euros)

 

LFI 2019

LFI 2020

Évolution 2019-2020

Programme 166 – Justice judiciaire

AE

3 893,53

3 610,31

– 7,27 %

CP

3 495,46

3 500,59

+ 0,15 %

Programme 107 – Administration pénitentiaire

AE

3 325,82

3 582,39

+ 7,71 %

CP

3 750,82

3 958,79

+ 5,54 %

Programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse

AE

903,78

930,93

+ 3,00 %

CP

875,47

893,59

+ 2,07 %

Programme 101 – Accès au droit et à la justice

AE

466,84

530,51

+ 13,64 %

CP

466,84

530,51

+ 13,64 %

Programme 310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

AE

454,05

452,28

– 0,39 %

CP

437,31

500,51

+ 14,45 %

Programme 335- Conseil supérieur de la Magistrature

AE

4,87

5,97

+ 22,59 %

CP

4,81

4,92

+ 2,29 %

TOTAL

AE

9 039,10

9 112,39

+ 0,81 %

CP

9 056,91

9 388,91

+ 3,67 %

Source : commission des finances d’après les lois de finances.

L’exécution doit notamment s’inscrire dans le nouveau cadre fixé par la loi de programmation et de réforme pour la justice ([12]), qui prévoit une trajectoire d’augmentation des moyens de la justice jusqu’en 2022 et dont certaines des mesures phares doivent entrer vigueur dans le courant de l’année 2020.

Toutefois, l’ensemble des programmes de la mission sont touchés par la crise liée à l’épidémie de Covid-19, notamment les juridictions judiciaires et la protection judiciaire de la jeunesse dont les activités ont dû être réduites, mais aussi l’administration pénitentiaire qui a vu le nombre de détenus diminuer drastiquement en quelques semaines.


I.   Justice judiciaire : une crise qui ACCENTUE LE TRÉS FORT engorgement des juridictions

La loi de finances pour 2020 a globalement maintenu les moyens affectés aux juridictions. Les CP du programme 166 Justice judiciaire sont stables (+ 0,15 %). La baisse des AE (– 7 %) suit quant à elle l’évolution des opérations donnant lieu à des engagements importants (immobilier occupant, plan de rénovation du câblage des juridictions, nouvelle programmation judiciaire).

Néanmoins, les difficultés liées à la crise du Covid-19 et à sa gestion désastreuse viennent se rajouter à une situation déjà tendue pour les juridictions en raison de la grève des avocats en décembre 2019 et janvier-février 2020.

A.   Un manque de LisibilitÉ qui contribue au ralentissement inquiÉtant de l’activitÉ judiciaire

Le rapporteur spécial a bien conscience des difficultés qu’a provoquées l’épidémie soudaine de Covid-19, mais tient tout de même à soulever quelques points problématiques dans la gestion de la crise.

1.   Une gestion de crise marquée par un manque de lisibilité

Dès le début du confinement, le 16 mars 2020, les cours et les tribunaux ont été fermés au public. Les juridictions ont été amenées à mettre en place des plans de continuité de l’activité (PCA) permettant de limiter, pour des raisons sanitaires, le nombre de magistrats, de fonctionnaires et de justiciables présents dans les juridictions.

En conséquence, l’activité des juridictions civiles et pénales a été réduite au traitement des contentieux les plus urgents, sans toutefois que les contentieux prioritaires soient listés de manière exhaustive. Il s’agissait, notamment, des affaires de violences intrafamiliales impliquant des conjoints ou des enfants en danger ainsi que des nouvelles formes de délinquance liées à l’épidémie (vols de masques et de respirateurs, non-respect du confinement). Par ailleurs, les ordonnances du 25 mars 2020 ([13]) ont introduit des adaptations procédurales (extension de la possibilité de statuer à juge unique, possibilité de tenir les audiences par visioconférence ou de recourir à la procédure sans audience).

Il convient de saluer les efforts entrepris et de rendre hommage aux magistrats et aux fonctionnaires du ministère de la justice qui se sont impliqués pour assurer autant que possible la continuité du service public de la justice.

Néanmoins, il est difficile de nier que la gestion de la crise a manqué de lisibilité, entraînant de nombreuses disparités selon les juridictions. Dans certains cas, il est ainsi apparu que ce n’étaient pas les chefs de juridiction qui organisaient l’activité, mais les magistrats en charge des pôles, en fonction des dossiers à traiter. En outre, les auxiliaires de justice, au premier rang desquels les avocats, n’ont été que très peu associés à la gestion de la crise.

Ce manque de lisibilité s’est également ressenti durant la phrase de reprise de l’activité. La réouverture des juridictions à partir du 11 mai 2020 s’est effectuée de manière lente et progressive mais surtout de façon différenciée selon la taille des juridictions. Pour les premières semaines de reprise d’activité, la Chancellerie a recommandé aux chefs de juridiction de continuer à n’assurer que les urgences. Les adaptations procédurales et les jugements sans audience, s’ils sont possibles, sont quant à eux maintenus jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.

2.   Un ralentissement préoccupant de l’activité des juridictions

Si le ralentissement de l’activité des juridictions durant la période de confinement est compréhensible, tout comme celui de nombreux services publics, on peut néanmoins s’interroger sur son ampleur.

Certes, les données statistiques relatives au niveau d’activité des juridictions pendant le confinement ne sont pas encore disponibles. La garde des Sceaux, ministre de la justice a évoqué le chiffre de « 5 600 décisions civiles » ([14]) rendues au tribunal de Paris en deux mois qui, si on le compare aux 47 815 décisions rendues en 2019 ([15]), soit un peu moins de 8 000 tous les deux mois, correspond à une chute de l’activité raisonnable d’environ 30 %.

Néanmoins, d’importantes disparités ont pu être observées d’une juridiction à l’autre et les débats qui ont eu lieu au sein de la commission des lois de l’Assemblée nationale ([16]) ont pu donner l’impression que certaines juridictions avaient été quasiment à l’arrêt durant la période de confinement et que le nombre de dossiers au niveau national est resté très éloigné de son niveau habituel. Le rapporteur spécial remarque d’ailleurs qu’il a été rendu possible de transférer tout ou partie de l’activité d’une juridiction qui serait dans l’incapacité de fonctionner à une autre juridiction du ressort de la même cour d’appel ([17]).

Des efforts ont certes été mis en œuvre pour que le niveau d’activité soit le moins réduit possible mais, hélas, la crise a une nouvelle fois mis en évidence le retard numérique du ministère de la justice. En effet, si les magistrats mobilisés dans le cadre des PCA ont pu télétravailler, les greffes n’ont pas la possibilité de travailler à distance (voir infra sur le programme 310).

Il faudra évidemment attendre la fin de la crise pour connaître précisément ce qu’aura été le niveau d’activité des juridictions. Néanmoins, on peut d’ores et déjà se demander s’il était nécessaire de réduire à ce point le fonctionnement de la justice et, le cas échéant, pourquoi cela a été nécessaire.

B.   Un impact limitÉ sur les crÉdits du programme 166 mais un rÉel risque d’engorgement des juridictions

Outre son impact budgétaire, la crise aura surtout une incidence sur le niveau du stock d’affaires en instance.

1.   Le faible impact de la crise sur les dépenses du programme 166

La gestion de la crise du Covid-19 s’accompagnera de dépenses supplémentaires pour le programme 166. La mise en œuvre du télétravail a conduit à doter les personnels d’équipements informatiques, notamment de 1 500 ordinateurs portables pour un coût de 1,8 million d’euros. Les surcoûts liés au respect des consignes sanitaires sont provisoirement estimés à 4,6 millions d’euros. Le remboursement des frais de repas en l’absence de restauration collective ([18]) devrait générer un surcoût d’environ 3,5 millions d’euros.

Toutefois, le ralentissement de l’activité judiciaire entraîne également une réduction de certaines dépenses, à commencer par les dépenses de fonctionnement, de déplacement et d’affranchissement des juridictions.

La baisse de l’activité civile et pénale conjuguée à l’inflexion des mesures de police judiciaire pendant la période de confinement aura un impact sur le niveau des frais de justice en 2020 (par exemple, s’agissant du coût des expertises médicales). Toutefois, les éventuelles économies demeurent subordonnées à la stratégie de reprise de l’activité. Le niveau des frais de justice demeurera très étroitement lié au rythme de reprise des activités de police judiciaire et de l’activité juridictionnelle, c’est pourquoi un effet de rattrapage est envisageable.

Par ailleurs, la crise pourrait susciter un fléchissement des crédits d’investissement immobilier, du fait de l’arrêt provisoire des chantiers. Les opérations liées à la nouvelle programmation judiciaire (NPJ) ne devraient pas être affectées, car elles en sont encore au stade d’études préalables et de maîtrise d’œuvre. Hors NPJ, la crise pourrait avoir un impact, encore en cours d’évaluation, sur les opérations en phase travaux, soit environ 20 % des opérations programmées en 2020.

2.   L’engorgement des juridictions

La suspension de l’activité des juridictions n’a certes pas provoqué une augmentation du nombre d’affaires en stock. Au contraire, les chiffres de la délinquance ont, d’après les informations fournies par le ministère de la justice, plutôt eu tendance à diminuer durant toute la période.

Toutefois, la crise a eu pour conséquence de reporter bon nombre des audiences initialement prévues et donc de retarder le traitement de plusieurs milliers d’affaires. En outre, ses effets viennent s’ajouter à ceux de la grève des avocats entre décembre 2019 et février 2020, qui avait déjà conduit au report de nombreuses affaires.

La surcharge qui va peser sur les juridictions est d’autant plus grande que l’une des ordonnances du 25 mars 2020 a prévu la suspension de tous les délais applicables aux démarches des personnes physiques et morales durant la période de l’état d’urgence sanitaire, un report qui a été prolongé jusqu’au 23 juin 2020.

Il en résulte – mécaniquement – une aggravation de l’engorgement des juridictions, qui nécessite un lourd travail de réaudiencement des affaires qui étaient programmées avant ou pendant le confinement, sans même parler des nouvelles affaires qui ne manqueront pas de surgir au fur et à mesure que la délinquance reprendra.

D’après les informations fournies au rapporteur, une mission visant à préciser l’état des stocks a été confiée à l’Inspection générale de la justice (IGJ), qui devrait pouvoir fournir des premiers éléments statistiques au mois de juillet.

C.   La question des moyens affectÉs aux juridictions pour sortir de la crise

Si les moyens humains des juridictions pourraient être temporairement renforcés, toutes les mesures envisagées ne sont hélas pas à la hauteur de la situation.

1.   Les moyens des juridictions temporairement renforcés

Les moyens des juridictions civiles et pénales seront temporairement renforcés pour les aider à résorber le stock des affaires qui n’ont pas pu être traitées durant la période de confinement.

Pour soutenir les greffes, le recours aux heures supplémentaires sera étendu, en portant le seuil réglementaire de 25 heures mensuelles à 41 heures pendant deux mois. En outre, un millier de vacataires seront recrutés pour une durée de trois mois afin de soutenir les greffes. Le coût de la mesure est estimé à environ 8 millions d’euros.

S’agissant des magistrats, la ministre de la justice a indiqué que les vacances de postes avaient été comblées mais que le ministère continuait à travailler pour une meilleure répartition des magistrats sur l’ensemble du territoire ([19]). Le dispositif des magistrats « placés » auprès des chefs de cour d'appel pourrait permettre de pallier les vacances temporaires de postes auprès des juridictions de première instance.

À ce titre, le rapporteur spécial a souhaité, via une question écrite du 19 mai 2020, alerter la garde des Sceaux, ministre de la justice, sur la situation de certains magistrats à titre temporaire qui, malgré les services rendus durant la période de confinement, ont été laissés sans emploi et sans ressources. On ne peut que le déplorer, car cela a été fait de manière unilatérale et sans la moindre prise en compte de la situation des intéressés.

Le schéma d’emplois prévu en 2020 devrait être respecté. Toutefois, les dates de certains recrutements seront décalées, ce qui pourrait générer une moindre consommation d’ETPT et une moindre dépense de masse salariale en 2020, voire des reports sur 2021. L’impact sur les recrutements est difficile à estimer à ce stade, car il dépendra aussi des capacités d’accueil de l’ENM (dont les concours ont été reportés à septembre) et des autres écoles de formation.

2.   Les mesures envisagées pour pallier le manque de moyens

D’autres mesures, plus controversées, sont envisagées dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ([20]), en cours d’examen au moment où est écrit ce rapport.

a.   La réorientation des contentieux

Pour remédier à l’engorgement des juridictions et fluidifier les réaudiencements, le projet de loi précité propose de rendre possible, au-delà de la priorisation a priori des contentieux, leur réorientation a posteriori.

En matière pénale, les procédures contraventionnelles et correctionnelles qui n’ont pas pu être jugées pendant le confinement seraient renvoyées vers le procureur, pour être réorientées. L’objectif de cette mesure est que le ministère public puisse, si nécessaire, leur apporter une réponse pénale autre que celle exigeant la tenue d’une audience devant la juridiction.

Si ce dispositif de réorientation se ferait au cas par cas et resterait encadré en tenant compte de la gravité des faits commis, on peut légitiment s’inquiéter de l’adoption d’une telle mesure qui est susceptible de porter atteinte à l’indépendance de la justice.


— 1 —

b.   L’extension controversée des cours criminelles

Par ailleurs, des mesures sont envisagées pour réduire l'engorgement des cours d’assises, dont les sessions ont été reportées durant la période de confinement. À ce titre, le projet de loi précité sécurise le fonctionnement des cours d’assises, en augmentant le nombre de jurés tirés au sort pour les sessions d’assises de 2020 et en autorisant la modification des cours désignées en appel.

En outre, le projet de loi étend l’expérimentation des cours criminelles prévue par la loi de programmation et de réforme pour la justice.

Les cours criminelles, composées chacune de cinq magistrats, sont chargées de juger des crimes commis par des personnes majeures et passibles de quinze à vingt ans de prison (principalement des viols ou des vols à main armée) sans jurés populaires. Elles doivent permettre de réduire les délais de justice, en jugeant plus rapidement que les cours d’assises, et de réduire les frais de justice.

La mesure ne fait pas l’unanimité auprès des avocats, qui y voient une mesure d’économie, une dérive vers la correctionnalisation des crimes ainsi qu’un risque pour les droits de la défense et la qualité des audiences.

Jusqu’ici, l’expérimentation était possible dans dix départements au plus et n’a été mise en œuvre que dans six départements depuis le 5 septembre 2019 ([21]). Le projet de loi prévoyait d’étendre l’expérimentation en l’autorisant dans trente départements. L’accord trouvé en commission mixte paritaire, le 2 juin 2020, a permis de limiter l’extension de l’expérimentation à dix-huit départements.

Si le rapporteur spécial comprend que des mesures d’urgence doivent être prises, il ne peut que regretter l’extension d’un dispositif controversé qui n’aura été expérimenté que pendant six mois et sur lequel n’existent que des éléments d’analyse très partiels mais aucune véritable évaluation.


II.   Administration pénitentiaire : une baisse significative de la population carcÉrale qui ne remet pas en cause la trajectoire de dÉpenses

La loi de finances pour 2020 a renforcé les moyens du programme 107 Administration pénitentiaire, à la fois en AE (+ 7 %) et en CP (+ 5 %).

Toutefois, le fonctionnement de l’administration pénitentiaire a été fortement affecté par la crise. Dès l’annonce du confinement, les établissements pénitentiaires ont été fermés au public. Les parloirs ainsi que toutes les activités faisant intervenir des personnes extérieures ont été suspendus, y compris celles des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Pour les agents de l’administration pénitentiaire, des PCA ont été mis en place.

Outre une baisse significative du nombre de détenus, le plan de dépenses du programme 107 est en cours de révision, tandis que les opérations immobilières pourraient connaître de nouveaux retards.

A.   Une baisse significative du nombre de dÉtenus qui pose question

La crise du Covid-19 a entraîné une forte baisse du nombre de personnes détenues en raison, d’une part, de la réduction de l’activité pénale liée à la baisse de la délinquance pendant la durée du confinement et, d’autre part, des mesures de sortie anticipée exceptionnelles introduites en début de crise ([22]).

1.   Une baisse de la population carcérale qui interpelle par son ampleur

Entre le 16 mars et le 24 mai 2020, la population carcérale a diminué de 13 649 détenus, parmi lesquels 9 291 condamnés et 4 358 prévenus, pour s’établir à 58 926 détenus.

Environ la moitié de la baisse des détenus durant le confinement est due à la sortie anticipée de condamnés et, dans une moindre mesure, de prévenus, l’autre moitié de la baisse s’expliquant par la réduction du nombre d’entrées en détention pendant le confinement. Plus de 5 500 détenus ont bénéficié d’une sortie anticipée, dont environ 1 700 qui ont bénéficié d’une assignation à domicile et 3 800 de l’octroi d’une réduction supplémentaire de peine exceptionnelle.

La densité carcérale est ainsi passée de 119 % à 97 % pour l’ensemble des établissements pénitentiaires. Toutefois, la situation demeure contrastée selon les établissements (40 % dans les centres de semi-liberté, 65 % dans les établissements pour mineurs, 78 % dans les centres de détention, 80 % dans les maisons centrales, 99 % dans les centres pénitentiaires et 109 % dans les maisons d’arrêt).

Si la stratégie adoptée est compréhensible dans le contexte de lutte contre l’épidémie de Covid-19 et de mise en place de PCA au sein des établissements pénitentiaires, la réduction de la population carcérale étonne toutefois par son ampleur. Le nombre de détenus libérés dépasse ceux de tous les épisodes de grâce collective et d’amnistie des dernières décennies, notamment celle de l’été 1981
(– 11 000 détenus). Surtout, la baisse représente près de 20 % du stock initial – c’est donc un détenu sur cinq qui a été libéré.

2.   Une possible remontée du nombre de personnes détenues

En tout état de cause, il est probable que le rythme des écrous reparte progressivement à la hausse dans les mois qui viennent, avec la reprise elle-même graduelle de l’activité des juridictions pénales, notamment la reprise des comparutions immédiates et des sessions d’assises d’ici l’été.

La direction de l’administration pénitentiaire travaille sur plusieurs scenarii, en s’appuyant sur les précédents historiques ayant donné lieu à un effet de rebond. À politique pénale constante, on peut s’attendre à une reprise de l’évolution d’avant la crise, soit une croissance d’un peu moins de 1 % par mois depuis 2016. L’augmentation ne devrait donc pas atteindre les 2,5 % observés en 1985, surtout en partant d’un stock beaucoup plus élevé (près de 20 000 détenus en plus).

Comme le montre le graphique ci-dessous, les trois scénarii envisagés encadrent la hausse de la population carcérale entre 60 000 et 65 000 détenus au 1er janvier 2021, contre 72 575 détenus avant la crise.

Évolution du nombre de détenus

Source : commission des finances d’après les données de la direction de l’administration pénitentiaire.

Le Gouvernement entend limiter cet effet de rattrapage en s’appuyant sur les dispositions de la loi de programmation et de réforme pour la justice, entrées en vigueur le 24 mars 2020, qui favorisent le développement des peines alternatives à l’incarcération (travaux d’intérêt général, proscription des peines inférieures à un mois, aménagement de principe pour les peines inférieures à six mois, peine de détention à domicile sous surveillance électronique). Il envisage aussi de poursuivre l’expérience des libérations anticipées des détenus en fin de peine et veut inciter les juridictions à poursuivre le dialogue qu’elles ont entretenu avec les services pénitentiaires durant le confinement.

Le rapporteur spécial tient à rappeler que la peine de prison reste dans bien des cas une réponse nécessaire et non aménageable, notamment s’agissant des faits criminels, terroristes ou de violences conjugales. Par ailleurs, il s’étonne que la pérennisation des mesures de libérations anticipées ne soit pas réalisée par voie législative et ne donne pas lieu à un débat devant la représentation nationale.

B.   Des consÉquences budgÉtaires non nÉgligeables et de nouveaux retards dans l’avancement du « plan prison »

La crise du Covid-19 entraîne, du fait de la baisse de la population carcérale, une modification des prévisions de dépenses ainsi que, en raison de l’arrêt des chantiers, de nouveaux retards dans les opérations immobilières.

1.   Un impact non négligeable sur les dépenses du programme 107

L’impact de la crise du Covid-19 concerne moins les dépenses de personnel que les crédits hors titre II.

a.   L’augmentation des dépenses hors titre II

S’agissant des crédits hors titre II, l’impact estimé de la crise du Covid-19 représente une augmentation nette des CP de 14,3 millions d’euros.

Les surcoûts tiennent d’abord au financement des équipements de protection sanitaire pour les agents de l’administration et pour les détenus ainsi qu’aux opérations de nettoyage, pour un coût total estimé à 7,6 millions d’euros en 2020. Ces mesures ont permis de contenir l’épidémie, même si on déplore un mort parmi les détenus et un parmi les agents pénitentiaires.

Ils résultent aussi des mesures de soutien aux détenus accompagnant la suspension des parloirs, du travail en détention et des activités, à savoir :

– une aide en numéraire de 40 euros par mois pour toute personne détenue disposant, au 23 de chaque mois, de moins de 100 euros sur la part disponible de son compte nominatif. L’impact budgétaire de cette mesure, jusqu’au mois de juin inclus, s’élèverait à 6 millions d’euros ;

– une subvention téléphonique de 40 euros par mois pour la totalité des personnes détenues écrouées. Cette aide permet à la population pénale de communiquer onze heures par mois vers un téléphone fixe et cinq heures vers un téléphone portable. L’impact budgétaire de cette mesure, jusqu’au mois de juin inclus, serait de 2,6 millions d’euros ;

– la gratuité de la télévision dans l’ensemble des cellules des établissements. L’impact budgétaire de cette mesure, jusqu’au mois de juin inclus, est évalué à 1,1 million d’euros.

Le programme 107 est aussi affecté par les commandes d’ordinateurs portables et la prise en charge des frais de repas des personnels. S’y ajoute par ailleurs une hausse des dépenses d’alimentation en raison de la hausse des prix des fruits et légumes, qui pourrait entraîner un dépassement de 2,6 millions d’euros par rapport aux 55 millions d’euros de CP prévus par la loi de finances.

Les économies induites par la crise résultent quant à elles de la baisse de la population pénale, qui pourrait se traduire par une réduction de 8,4 millions d’euros des loyers payés par l’administration aux titulaires des marchés de gestion déléguées et de partenariats public-privé. Par ailleurs, la suspension des activités en détention pendant le confinement (enseignement, réinsertion, formation professionnelles) pourrait engendrer une moindre dépense évaluée à 2,3 millions d’euros sur les dépenses de réinsertion des détenus.

Enfin, la fermeture temporaire, depuis le 17 mars 2020, de l’ENAP induit une économie budgétaire de 1,5 million d’euros pour l’établissement public.

b.   L’impact limité de la crise sur les dépenses de personnel

S’agissant des crédits de titre II, l’impact de la crise sur la dépense constatée est plus limité.

Le coût de la prime exceptionnelle ([23]), qui concernera les personnels présents dans les établissements pénitentiaires pour assurer la continuité du service, les personnels d’insertion et de probation ayant poursuivi en présentiel la prise en charge des personnes placées sous-main de justice ainsi que les agents qui ont assuré la gestion de la crise dans les directions interrégionales et en administration centrale, est en cours d’évaluation. En outre, la suspension du jour de carence durant les deux mois de l’état d’urgence sanitaire et la prolongation des droits à indemnisation chômage pour les agents non-titulaires se traduirait par un surcoût de 0,4 million d’euros.

À ce stade, l’administration pénitentiaire conserve l’objectif de réaliser son schéma d’emplois. Des reports dans les dates d’effet des mobilités de certains corps communs administratifs pourraient néanmoins se traduire à la marge par un report de réalisation de créations d’emplois sur 2021.

Le report de certains recrutements du fait des contraintes d’organisation des concours entraînera une moindre dépense.

2.   Des retards dans le plan de construction de 15 000 places de prison

L’exécution 2019 a mis en évidence les difficultés du ministère de la justice à mettre en œuvre le plan de création de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2027. En raison de l’arrêt des chantiers du fait de la crise du Covid-19, on peut craindre que des retards supplémentaires viennent s’ajouter aux retards déjà existants. Le rapporteur alerte fortement à ce sujet, car le décalage devient de plus en plus important entre la communication et les actions gouvernementales.

Le calendrier des opérations liées aux 7 000 premières places prévues d’ici 2022 est ajusté pour prendre en compte l’impact de l’épidémie. En moyenne, les opérations en études ont subi un retard d’un mois et demi, tandis que les opérations dont le chantier avait déjà débuté (Lutterbach, Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et la structure d’accompagnement vers la sortie de Caen) subissent un décalage de deux mois. La reprise des chantiers se fera de manière progressive et un retour au rythme normal des opérations est attendu pour le mois de septembre.

S’agissant des 8 000 places prévues pour 2027, qui doivent être lancées en trois vagues de cinq à six établissements entre 2020 et 2022, le calendrier pourrait être moins gravement affecté.

L’impact financier de la crise, en cours d’évaluation, aura essentiellement une répercussion sur la consommation de l’exercice 2020. Les retards de quelques mois dans le lancement des travaux auront moins d’impact sur les annuités 2021 et 2022. Ces projections devront toutefois être actualisées au regard de l’évolution de la situation et des conditions de reprise des chantiers.


III.   Protection judiciaire de la jeunesse : des activitÉs perturbÉEs sans rÉelle consÉquence sur les dÉpenses

La loi de finances pour 2020 fixe les crédits du programme 182 à 930,9 millions d’euros en AE et 893,6 millions d’euros en CP, en hausse, respectivement, de + 3 % et de + 2 %.

Les activités de la PJJ ont été significativement affectées par la crise du Covid–19. À ce titre, il convient de se demander pourquoi la PJJ, qui fait pourtant partie des activités régaliennes de l’État, n’a pas disposé d’un PCA plus robuste. C’est un point qu’il conviendra aussi de corriger pour l’avenir.

A.   L’impact de la crise sur les activitÉs et les dÉpenses courantes du programme 182

Les ordonnances du 25 mars 2020 précitées ont également réorganisé les activités de la PJJ durant la période de confinement.

1.   Des activités contraintes qui génèrent des moindres dépenses

Durant la période de confinement, la PJJ s’est recentrée sur ses missions essentielles. La crise a eu des conséquences variables sur les différentes activités.

a.   Les actions éducatives

Les services chargés de la mission éducative auprès des tribunaux ont maintenu une permanence d’orientation éducative pour les situations d’urgence, avec présence aux auditions lorsque cela était nécessaire, et poursuivi l’accompagnement vers les lieux de placement.

Pour l’action éducative en milieu ouvert, les services territoriaux éducatifs de milieu ouvert ont organisé une permanence téléphonique hebdomadaire avec les mineurs et leurs représentants légaux afin de maintenir autant que possible les prises en charge et conserver un soutien éducatif et psychologique. À titre exceptionnel, des interventions urgentes au domicile des familles ont eu lieu.

De manière similaire, l’activité des unités éducatives d’activité de jour s’est recentrée sur le maintien d’un lien éducatif avec le mineur et ses représentants légaux par un contact téléphonique, mais sans activité en présentiel.

b.   Le placement judiciaire

Les instructions adressées aux directions interrégionales ont conduit à poursuivre les interventions en présentiel dans les structures d’hébergement, afin de garantir la continuité de la prise en charge ainsi que la protection des mineurs et jeunes majeurs placés. Pour assurer la continuité des missions de la PJJ, la participation d’agents d’autres services dont l’activité était réduite (milieu ouvert et insertion notamment) a pu être requise.

Par ailleurs, 62 % des mineurs absents ont été autorisés par leur magistrat prescripteur à retourner au sein de leur famille, en application des droits de visite et d’hébergement, à condition que les services de la PJJ garantissent un suivi quotidien, même à distance et dans le respect des règles sanitaires.

c.   La situation alarmante des mineurs en détention

Peu avant le début du confinement, la DPJJ a été saisie par la DAP qui l’alertait d’une augmentation des incarcérations, avec un niveau record de 887 mineurs en détention et des taux d’occupations très élevés (jusqu’à 96 % à Paris). Des transferts pour réguler les effectifs et une alerte auprès des autorités judiciaires ont contribué à réduire les tensions. Le nombre de mineurs détenus est retombé à 660 au 22 avril 2020, pour un taux d’occupation inférieur à 70 % sur la majeure partie du territoire.

Durant la période de confinement, les activités de prise en charge des mineurs ont été maintenues pour l’essentiel, afin de garantir une permanence éducative, assurer le lien entre les mineurs et leur famille et accompagner les mineurs dans la phase d’entrée et de sortie de détention.

Afin de réduire le nombre de mineurs détenus présents en établissement, le service éducatif en détention, en lien avec le service de milieu ouvert, a veillé à favoriser les alternatives à la détention provisoire (notamment la mise en liberté sous contrôle judiciaire avec retour au domicile ou placement dans un établissement d’hébergement éducatif), les aménagements de peine (notamment la libération conditionnelle) et les modalités d’exécution de fin de peine.

Le ralentissement des activités de la PJJ pourrait entraîner des dépenses non réalisées. D’après la DPJJ, l’activité réduite dans les structures de milieu ouvert et le taux d’occupation en baisse dans les structures de placement conduisent à une contraction des dépenses éducatives et de fonctionnement avec, au 30 avril 2020, 1,5 million d’euros de CP consommés en moins qu’en 2018.

2.   Les dépenses supplémentaires induites par la crise

Les moindres dépenses devraient être au moins partiellement compensées par les dépenses supplémentaires induites par la crise.

Le coût provisoire des mesures sanitaires au sein des services et des structures de la PJJ, notamment au sein des établissements collectifs, est estimé à environ 7 millions d’euros. La DPJJ fait état des difficultés rencontrées pour faire appliquer les règles chez certains mineurs, avec un certain nombre de fugues qui ont accru les risques de contamination. Néanmoins, le nombre de mineurs suivis diagnostiqués ou symptomatiques a été limité à trente-deux au 30 avril 2020.

La crise a également conduit la DPJJ à prendre des mesures de soutien au profit de ses agents, notamment une ligne d’écoute psychologique, une prise en charge des frais de repas pour certains personnels (évaluée à 0,6 million d’euros) et la fourniture d’ordinateurs portables pour permettre le déploiement du télétravail tant en administration centrale que dans les services déconcentrés.

Les surcoûts sont en cours d’évaluation et feront l’objet d’une consolidation au niveau de la mission. Ils devraient être comblés par des redéploiements internes de crédits et, dans une moindre mesure, par des économies résultant des dépenses non réalisées.

3.   Des effets limités sur les dépenses de personnel

La crise du Covid-19 devrait avoir un impact limité sur l’exécution du schéma d’emplois du programme 182 et sur les dépenses de titre II.

La reprogrammation des concours a conduit à différer certains recrutements. En compensation, des prolongations de contrats ou des recrutements de contractuels devraient avoir lieu. Le recours à des contractuels est notamment nécessaire pour faire face à la reprise d’activité de la PJJ, en lien avec celle des tribunaux, et aux nouvelles demandes de mesures judiciaires d’investigation éducative qui résultent de nombreuses situations en tension détectées pendant la période de confinement.

La masse salariale du programme sera également impactée par l’octroi à certains agents publics d’une prime désocialisée et défiscalisée d’un montant maximal de 1 000 euros.

4.   Le report de la réforme de la justice pénale des mineurs

Le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du RoyaumeUni de l’Union européenne prévoit le report de la réforme de l’ordonnance relative à la mise en place du code de justice pénale des mineurs, dont l’entrée en vigueur, prévue au 1er octobre 2020 en application de la loi de programmation et de réforme pour la justice, devrait être fixée au 31 mars 2021.

Le report ne devrait pas avoir d’impact direct sur l’évolution des crédits, sur la masse salariale et sur l’allocation des emplois du programme 182, car les opérations de mise en œuvre du nouveau code étaient déjà en cours (notamment des affectations de magistrats placés dans les cours d’appel en septembre 2020).


B.   Les consÉquences de la crise À moyen terme

Au 30 avril 2020, l’exécution des dépenses hors titre II du programme 182 s’élève à 394,78 millions d’euros en AE et 357,44 millions d’euros en CP, soit 52 % des AE et 29 % des CP prévus dans la loi de finances pour 2020. À titre de comparaison, à la même date en 2019, l’exécution du programme s’élevait à 55 % des AE et 30 % des CP prévus dans la loi de finances pour 2019. Cette relative stabilité s’explique par la structure des dépenses du programme, principalement constituée de coûts fixes et peu sensibles aux évolutions conjoncturelles.

Néanmoins, la crise a un impact sur le nombre d’affaires en cours ainsi que sur les opérations immobilières du programme 182.

1.   Les conséquences de la crise sur le stock d’affaires en cours

Durant la période de confinement, les audiences devant le juge des enfants ont été limitées aux contentieux « essentiels » et aux urgences (placements en assistance éducative, décisions concernant les mineurs détenus). Les tribunaux pour enfants ont très peu siégé et de nombreuses audiences civiles et pénales ont été annulées.

Les ordonnances du 25 mars 2020 précitées ont prévu la prorogation automatique des mesures civiles de protection pour la durée de l’état d’urgence sanitaire majorée de deux mois, la possibilité d’organiser des audiences en visioconférence et le renouvellement, par décision prise sans audience, de certaines mesures de placement et d’intervention en milieu ouvert, tant en assistance éducative qu’en matière pénale. Des allégements procéduraux ont été prévus en matière civile, notamment la possibilité de prendre sans audience des mesures judiciaires d’investigation éducative, financées par l’État. Ces mesures palliatives ont permis de garantir la continuité des prises en charge éducatives.

Toutefois, un retard important a été pris par les juridictions dans le traitement des nouvelles affaires et dans la revue des situations arrivant à échéance et nécessitant une réorientation ou un renouvellement.

Dans ces conditions, il faut s’attendre à la constitution d’un stock important d’affaires à juger en matière pénale, qui vient s’ajouter à celui qui s’est constitué pendant la grève des avocats, l’assistance d’un avocat étant obligatoire en matière de justice des mineurs. Les juges des enfants seront contraints de traiter rapidement un grand nombre d’affaires non jugées.

En matière civile, il faut s’attendre à un accroissement du signalement des enfants en danger. En effet, la réouverture des écoles, habituellement pourvoyeuses d’un quart des signalements, entraînera une reprise des signalements, sans compter les situations d’enfants en difficulté en sortie de confinement. La reprise d’un fonctionnement habituel des cellules de recueil des informations préoccupantes des conseils départementaux, qui ont essentiellement traité les urgences pendant le confinement, va également provoquer un afflux des signalements.

L’engorgement pourrait aussi concerne les services de milieu ouvert de la PJJ et des services associatifs d’investigation, car les juges des enfants saisis de nouvelles situations ont la possibilité de prononcer sans audience des mesures judiciaires d’investigation éducative qui permettent une intervention rapide.

En termes de prévision d’exécution budgétaire, la DPJJ ne prévoit pas de hausse significative des dépenses. Les structures de la PJJ ont des capacités maximales d’accueil qui ne peuvent être fortement augmentées à court terme (contraintes de locaux et de personnels), et ceci d’autant plus que la reprise de l’activité dans les structures sera progressive afin de respecter les règles sanitaires.

2.   Les conséquences de la crise sur les opérations immobilières

La crise du Covid-19 a également un impact sur la conduite des opérations immobilières. La quasi-totalité des chantiers ont été arrêtés durant la période de confinement. Environ 20 % des chantiers ont pu progressivement rouvrir en avril, et la moitié en mai. Les retards induits devraient donc se limiter à quelques mois.

Les opérations en phase de conception (études préalables ou études de maîtrise d’œuvre) n’ont subi aucun retard significatif, l’ensemble des acteurs ayant pu se réorganiser assez rapidement en télétravail. À moyen terme, si les entreprises du BTP peuvent reprendre une activité normale, ces opérations ne devraient subir aucun retard.

Aucun impact n’est donc envisagé sur la prévision d’exécution des AE. L’impact à la baisse sur la prévision d’exécution des CP est en cours d’évaluation, notamment pour les centres éducatifs fermés. Il devrait être lissé dans le temps avec le décalage de quelques mois des opérations concernées.


IV.   accÈs au droit et À la justice : des activitÉs perturbÉes sans consÉquences majeures sur les crÉdits

La forte augmentation des crédits du programme 101 prévue en loi de finances pour 2020 (+ 13 % en AE et en CP) résulte principalement de la budgétisation des 83 millions d’euros issus de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique et des amendes liées à certaines infractions pénales, qui abondait auparavant le conseil national des barreaux, pour financer l’aide juridictionnelle.

A.   les consÉquences de la crise sur l’acces au droit et à la justice

La crise du Covid-19 a entraîné une réduction de l’activité des juridictions, particulièrement marquée pour les matières civiles, et donc des décisions rendues pour trancher des contentieux, dont une partie est éligible à l’aide juridictionnelle.

Elle se traduit aussi par une diminution importante du nombre de gardes à vue, de rétentions, d’auditions libres, de présentations devant le procureur de la République, et par conséquent des interventions pour lesquelles un avocat est rétribué au titre de l’aide juridictionnelle.

Enfin, le confinement a provoqué une suspension quasi-totale des consultations données dans les maisons de justice et les points d’accès au droit, du suivi des victimes d’infractions pénales, des médiations familiales et du fonctionnement des espaces de rencontre, même si certaines activités ont pu être maintenues, dans les situations d’urgence, au moyen de permanences téléphoniques.

Néanmoins, les subventions destinées aux conseils départementaux de l’accès au droit, aux associations d’aide aux victimes, aux associations de médiation familiale et aux associations gérant un espace de rencontre ont été versées en respectant les montants définis avant la crise sanitaire.

À ce stade, le secrétariat général du ministère de la justice indique que des coûts supplémentaires sont à attendre en raison des équipements et des opérations de nettoyage nécessaires au respect des consignes sanitaires. Toutefois, il n’est pas en mesure d’en chiffrer les conséquences sur l’exécution des crédits prévus en 2020.


B.   Des mesures de soutien aux avocats qui n’affectent que partiellement les crÉdits du programme 101

La réduction de l’activité des juridictions due à la crise du Covid-19 a fortement touché les avocats et aggravé la situation économique des petits cabinets, déjà fragilisés par la grève de décembre 2019 à février 2020.

1.   Une avance exceptionnelle versée aux avocats au titre de l’aide juridictionnelle

En conséquence, le Gouvernement a pris des mesures visant à soutenir la profession : report des échéances de cotisations sociales, possibilité pour les salariés des cabinets de bénéficier de l’activité partielle, bénéfice des indemnités journalières de l’assurance maladie pour les arrêts de travail pour garde d’enfants et pour les personnes vulnérables, inclusion des cabinets dans le périmètre du fonds de solidarité aux entreprises, éligibilité au report des échéances des loyers. Ces mesures n’ont pas d’impact sur les crédits du programme 101.

Le rapporteur spécial tient néanmoins à souligner que les avocats rencontrent des difficultés à bénéficier des prêts garantis par l’État.

S’agissant du programme 101, il a été décidé, en application d’un décret du 29 mai 2020 ([24]), de mettre en place un dispositif spécifique d’avance, via les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, pour les avocats qui perçoivent l’aide juridictionnelle. Cette provision pourra représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires moyen réalisé au titre de l’aide juridictionnelle durant les deux dernières années. Une avance de 1 500 euros pourra également être versée aux jeunes avocats récemment inscrits au tableau de l’ordre.

L’impact de l’avance consentie aux avocats entrainera un surcoût de 50 millions d’euros en 2020. Le remboursement de cette avance est prévu en 2021 et 2022, mais les incidences budgétaires sont encore en cours d’évaluation.

2.   Les mesures relatives à l’aide juridictionnelle se compensent

Néanmoins, malgré le surcoût résultant de l’avance exceptionnelle versée aux avocats, les crédits de l’aide juridictionnelle bénéficient aussi d’économies résultant de la grève des avocats, de la période de confinement et de la période de reprise progressive de l’activité des tribunaux et des cours. Ainsi, les dépenses imprévues et les moindres dépenses devraient se compenser pour l’année 2020.

Par ailleurs, selon les informations fournies par le ministère de la justice, la réforme de l’aide juridictionnelle prévue dans la loi de finances pour 2020, qui fixe le revenu fiscal de référence comme seuil d’admission à l’aide juridictionnelle, n’est pas affectée par la crise sanitaire.

V.   Conduite et pilotage de la politique de la justice : des marges d’amÉlioration sont encore LARGEMENT possibles

L’augmentation des moyens du programme 310 (+ 14 % en CP) accompagne pour l’essentiel la poursuite du PTN. Si la crise du Covid-19 a mis en évidence les progrès réalisés dans la transformation numérique du ministère de la justice, elle a également montré que des marges d’amélioration significatives restaient possibles.

A.   une gestion de crise qui tÉmoigne des progrÈS relatifs RÉalisÉs dans la transformation numÉrique de la justice

Dès l’annonce du confinement, le secrétariat général du ministère de la justice a mis en place un PCA pour sécuriser les fonctions essentielles du ministère, notamment le maintien des infrastructures (hébergements des données, réseau de communication), les services indispensables (téléphonie, messagerie audio et visioconférence), le support aux utilisateurs et le fonctionnement des applicatifs nécessaires à l’activité.

Face au besoin de télétravail, l’accès à distance des agents à leur poste de travail a dû être adapté, pour répondre à une sollicitation exceptionnelle (40 000 connexions simultanées contre 2 500 habituellement). Le ministère a également déployé 4 000 ordinateurs portables, qui se sont ajoutés aux 22 000 existants. En lien avec la direction interministérielle du numérique (DINUM), le secrétariat général a également mis à disposition des agents des outils collaboratifs sécurisés.

Le volume de données du ministère de la justice représente 15 % de la totalité du réseau interministériel de l’État, ce qui est relativement important au regard du nombre des agents du ministère. La liste des applications accessibles à distance a pu être progressivement étendue à 80 applications, au prix de travaux importants pour assurer la sécurité du système d’information.

Le ministère de la justice a massivement utilisé son parc de visioconférence, le plus important de l’État, tant dans le traitement des procédures judiciaires (gardes à vue, audiences) que pour la gestion d’actes de procédures concernant des détenus.

La visioconférence est également très utilisée pour des activités administratives aussi bien en administration centrale que dans l’administration déconcentrée. Indépendamment du réseau du ministère, les agents en télétravail ont également pu utiliser l’application « Webcam » développée par la DINUM.

Les dépenses informatiques liées à la crise du Covid-19 sont estimées à environ 20 millions d’euros pour la mission Justice, dont 17,8 millions pour le seul programme 310.

B.   Toutefois, des marges d’amÉlioration SIGNIFICATIVES subsistent

Tout en soulignant les progrès réalisés, la Garde des sceaux, ministre de la justice a elle-même reconnu certaines insuffisances dans la gestion de crise : « Nous devons absolument disposer d’applications numériques utilisables à distance, notamment par les greffes et les bureaux d’ordre, afin d’enregistrer les dossiers. Ces outils permettront aux fonctionnaires souhaitant continuer de travailler à leur domicile de gagner un temps précieux. En ce sens, une réflexion sur le développement du télétravail s’impose. » ([25])

Le principal point noir durant la crise du Covid-19 a sans doute résidé dans l’impossibilité, pour les personnels des greffes, d’avoir recours au télétravail, faute de pouvoir accéder aux applications à distance.

Contacté par le rapporteur spécial, le secrétariat général du ministère de la justice indique que, à la différence des magistrats, l’organisation du greffe ne reposait pas sur le télétravail, dans la mesure où l’enregistrement, la préparation des audiences et la signification des décisions s’effectuent au sein des palais de justice, notamment pour des raisons de sécurité.

En matière civile, les applications des greffes, implantées sur des serveurs locaux, n’ont pas été conçues pour échanger des données via internet. Toutefois, dans le champ pénal, les applications Cassiopée et APPI (pour application des peines, probation et insertion), plus récents, sont accessibles à distance et permettent le télétravail.

La crise du Covid-19 a donc montré la nécessité de mettre en place une organisation du travail différente pour pouvoir mettre en œuvre des solutions de télétravail au sein des greffes. Le ministère travaille à une solution technique de contournement permettant d’assurer un accès à distance des applications civiles.

Pour le rapporteur spécial, il est donc plus qu’urgent d’accélérer encore davantage la transformation numérique du ministère. La modernisation de la justice ne doit pas rester une simple invocation, elle doit se traduire dans les faits.

 


— 1 —

   EXAMEN EN COMMISSION 

Lors de sa réunion de 15 heures, le mercredi 3 juin 2020, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial, sur les crédits de la mission Justice.

 

 

 

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l'Assemblée nationale.

 

Le compte-rendu le sera très prochainement.

 

*

*     *

 

 

 


—  1  —

   AUDITIONS ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
SOLLICITÉES PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

Direction des services judiciaires :

– M. Peimane Ghaleh‑Marzban, responsable du programme 166 Justice judiciaire.

Direction de l’administration pénitentiaire :

– M. Stéphane Bredin, responsable du programme 107 Administration pénitentiaire.

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse :

– Mme Madeleine Héraud-Mathieu, responsable du programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse.

Secrétariat général du ministère de la justice :

– Mme Madeleine Héraud‑Mathieu, responsable du programme 101 Accès au droit et à la justice et sur le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice.

– M. Vincent Moreau, chef du service des finances et des achats.

 

 


([1]) Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

([2]) Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([3]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

([4]) Crédits prévus par la loi de finances initiale.

([5]) Crédits ouverts en gestion.

([6]) Crédits consommés.

([7]) Rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de la justice, « Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions », de janvier 2017.

([8]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 pour la mission Justice, avril 2020.

([9]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 pour la mission Justice, avril 2020.

([10]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 pour la mission Justice, avril 2020.

([11]) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

([12]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([13]) Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.

Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

([14]) Audition, en visioconférence, de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, 14 mai 2020.

([15]) Les chiffres clés du Tribunal de Paris, 20 janvier 2020.

([16]) Audition conjointe, en visioconférence, de Mme Christiane Féral-Schul, présidente du Conseil national des barreaux, MM. Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat et Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des commissaires de justice, 13 mai 2020.

([17]) Voir l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 précitée.

([18]) En application du décret n° 2020-404 du 7 avril 2020 relatif à la prise en charge des frais de repas de certains personnels civils et militaires dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

([19]) Audition, en visioconférence, de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, 14 mai 2020.

([20]) Ce projet de loi a été a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire le 2 juin 2020.

([21]) Si l’arrêté du 25 avril 2019 relatif à l’expérimentation de la cour criminelle désignait sept départements expérimentateurs (Ardennes, Calvados, Cher, La Réunion, Moselle, Seine-Maritime et Yvelines), seuls six d’entre eux y participent effectivement depuis le 5 septembre 2019, le département des Ardennes devant les rejoindre au cours de 2020. L’expérimentation a été récemment étendue à deux autres départements (l’Hérault et les Pyrénées-Atlantiques) par arrêté du 2 mars 2020.

([22]) Voir l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 précitée.

([23]) En application du décret n° 2020-570 du 14 mai 2020 relatif au versement d'une prime exceptionnelle à certains agents civils et militaires de la fonction publique de l'État et de la fonction publique territoriale soumis à des sujétions exceptionnelles pour assurer la continuité des services publics dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire déclaré pour faire face à l'épidémie de Covid-19.

([24])  Décret n° 2020 653 du 29 mai 2020 portant diverses mesures liées à l'état d'urgence sanitaire en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat.

([25]) Audition, en visioconférence, de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, 14 mai 2020.