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N° 3044

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de résolution tendant à la création dune commission denquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid19,

 

 

 

Par MPierre Dharréville,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  2817.

 


 


–  1  –

SOMMAIRE

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Pages

introduction

travaux de la commission


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   introduction

 Le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), M. André Chassaigne, ainsi que le rapporteur et ses collègues du groupe ont déposé, le 8 avril 2020, une proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid-19 (n° 2817).

Larticle 6 de lordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de lAssemblée nationale fixent le régime de la création et du fonctionnement dune commission denquête parlementaire.

Larticle 140 dispose ainsi que « les propositions de résolution tendant à la création dune commission denquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». La présente proposition de résolution a par conséquent été renvoyée à la commission des affaires sociales.

Dans le cadre de la procédure de droit commun, la commission saisie au fond doit, dune part, vérifier si les conditions requises pour la création dune commission denquête sont réunies et, dautre part, se prononcer sur son opportunité. Dans lhypothèse où la commission conclut positivement sur ces deux points, la création résulte dans un dernier temps du vote par lAssemblée de la proposition de résolution déposée à cet effet.

Afin de renforcer lexpression des groupes minoritaires et dopposition, le Règlement prévoit également lapplication de dispositions spécifiques.

Ces groupes parlementaires sont ainsi fondés à exercer un « droit de tirage » dont la garantie a été sensiblement améliorée par la réforme du Règlement adoptée en novembre 2014 ([1]). Larticle 141 prévoit en effet que « chaque président de groupe dopposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à lexception de celle précédant le renouvellement de lAssemblée, la création dune commission denquête ». En loccurrence et par un courrier en date du 10 avril 2020, le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine a manifesté au Président de lAssemblée nationale son intention dexercer son « droit de tirage ».

Dans ce cas de figure, en application de larticle 140-2 du Règlement, le rôle de la commission saisie au fond se limite à vérifier si les conditions de recevabilité sont remplies. Elle na pas à se prononcer sur lopportunité de la création de la commission denquête, aucun amendement nétant par ailleurs recevable. Enfin, la Conférence des présidents prend acte de la création de la commission denquête si la commission saisie au fond conclut à la recevabilité de la proposition de résolution.

 Les articles 137 à 139 du Règlement fixent les conditions de cette recevabilité.

Larticle 137 du Règlement prévoit que les propositions de résolution tendant à la création dune commission denquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cette disposition est directement inspirée par larticle 6 de lordonnance n° 58-1100 précitée.

En lespèce, larticle unique de la proposition de résolution vise à créer une commission denquête ayant pour objet didentifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid19.

Cet article précise quelle devra notamment établir :

«  les raisons qui ont justifié des prises de décisions tardives voire contradictoires, notamment en matière de confinement ;

«  pourquoi les pouvoirs publics nont pas été en mesure de définir clairement quels étaient les personnels qui devaient impérativement se rendre sur leurs lieux de travail ;

« – pourquoi notre pays na pas été en mesure de fournir des masques en quantité suffisante, pour protéger les soignants, les travailleurs contraints de se rendre sur leurs lieux de travail, et protéger la population dans son ensemble ;

« – pourquoi notre pays se trouve confronté à une pénurie de médicaments essentiels au traitement dautres pathologies et ce en plein cœur de la crise ;

« – pourquoi notre pays nest pas en situation de faire face à un afflux de malades et dapporter les soins nécessaires à chacun dentre eux malgré le dévouement sans faille des personnels soignants ;

« – les raisons qui ont conduit le Gouvernement à décider de ne pas réaliser de dépistage massif de la population et si ce dépistage aurait permis dendiguer lépidémie ;

«  les raisons qui ont conduit le Gouvernement à décider dautoriser lhydroxychloroquine à lhôpital, uniquement dans la prise en charge des formes les plus graves. »

Parmi ces éléments, plusieurs faits pourraient faire lobjet dune attention particulière de la commission denquête.

Ainsi, la pénurie de masques durant les premières semaines de lépidémie reste à éclairer, aussi bien dans ses raisons que dans les décisions prises par le Gouvernement pour y remédier. Daprès le journal Le Monde, lÉtat disposait encore de 714 millions de masques chirurgicaux en 2017 ; en mars 2020, il nen restait plus que 117 millions ([2]). La transparence na pas été faite sur les commandes passées, leur date, leur prix, leur délai. Et lon a vu lÉtat réquisitionner des commandes destinées à des collectivités locales pour faire face à ses propres insuffisances. Lorganisation même de la gestion des commandes mérite dêtre interrogée.

Sagissant des masques FFP2, la diminution des stocks enregistrée au cours des deux dernières années serait due à un changement de stratégie, avec un transfert de responsabilité de lÉtat vers les hôpitaux dans la constitution des stocks. Si cela était avéré, dans le contexte de tension budgétaire que ceux-ci connaissent, cette décision ne pouvait être que funeste. Et cela ne dédouanerait en rien lÉtat de ses responsabilités propres au regard des précautions sanitaires les plus élémentaires.

Ce manque de masques, chirurgicaux comme de standard FFP2, a eu des conséquences graves pour les personnels soignants, qui ont manqué déquipements de protection en dépit de leur exposition quotidienne au virus. Daprès une enquête menée par le Syndicat national des professionnels infirmiers au début du mois davril, 78 % des infirmiers, cadres infirmiers ou infirmiers spécialisés ont manqué de masques FFP2 ([3]).

Par ricochet, la pénurie a affecté dautres travailleurs jugés moins prioritaires, et dont les stocks de masques ont été transférés aux soignants. Cest ainsi, à titre dexemple, que les stocks de masques FFP2 dont disposaient les forces de lordre ont été remis aux agences régionales de santé, en dépit des risques sanitaires auxquels leur mission les exposait ([4]). De ce point de vue, la façon dont le Gouvernement a géré les activités maintenues et accompagné les travailleurs et travailleuses mobilisés mérite un éclairage particulier. Nous devons savoir quelle proportion, profession par profession a pu contracter le virus. Nous devons étudier laction de la puissance publique pour faire respecter les conditions sanitaires et les conditions de travail dans la période, y compris pour celles et ceux qui ont pratiqué le travail à distance. Et nous interroger sur la qualification en maladie professionnelle lorsque le virus a été contracté au travail, particulièrement pendant la période de confinement.

Le discours sanitaire variable du Gouvernement, donnant le sentiment de sadapter sans le dire aux stocks disponibles a pu induire en erreur des personnes dans leur comportement quotidien ; il a sapé la confiance dans la parole publique. Lincohérence des consignes, du discours et des décisions nont pas permis la meilleure gestion sanitaire de la crise.

On a également pu constater une pénurie de toutes sortes de consommables de protection comme les blouses, les charlottes, les lunettes, tant et si bien quau plus fort de la circulation du virus les personnels nétaient pas correctement protégés, dans les services dédiés à la prise en charge du covid-19 comme dans les autres.

Le défaut de respirateurs artificiels, matériel si essentiel pour faire face aux symptômes les plus aigus du virus a également alimenté la chronique. Le Gouvernement a annoncé des commandes qui ont tardé à venir et qui, lorsquon a regardé de plus près, se sont avérées ne pas correspondre aux besoins et nêtre pour une partie que des machines dappoint.

Les errements dans le déploiement des tests de dépistage du virus pourraient également faire lobjet dune attention particulière de la commission denquête. Au début du mois de mai et selon les données agrégées par le projet OurWorldInData mené par des chercheurs de luniversité dOxford, la France se situait encore parmi les derniers pays de lOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en termes de tests pratiqués ([5]). Se fondant sur ces données, lOCDE faisait état de 9,3 tests pour 1 000 personnes en France contre 23,1 pour 1 000 en moyenne dans lensemble des pays membres de lorganisation ([6]).

Selon Le Monde, ce retard serait dû à des blocages dans la mobilisation des laboratoires publics et vétérinaires ([7]), malgré le fait quils aient fait offre de disponibilité très tôt face devant le développement de la crise ; Mediapart a également fait état de lenteurs, révélant par ailleurs que le Gouvernement a finalement choisi de mandater une société de conseil privée pour travailler sur une sortie de crise ([8]). Il sagit là dun choix préoccupant et inexpliqué. Le parti pris délibéré de ne tester que les personnes symptomatiques durant la phase 2 a beaucoup interrogé et la difficile montée en charge du potentiel de test a pesé sur la préparation du déconfinement.

Les praticiens ont également fait état de tensions, voire de pénuries sur des médicaments et produits de santé dintérêt thérapeutique majeur, comme le curare. Il est crucial de pouvoir en identifier les causes afin de prendre des dispositions pour lavenir. Ce dautant quun certain nombre de problèmes préexistaient à la crise.

Les chercheurs du CNRS tiraient la sonnette dalarme depuis plusieurs années sur le risque de pandémie. Dans quelle mesure ont-ils été écoutés par les pouvoirs publics ? Le retard accumulé a été fortement préjudiciable. Il importe de connaître les décisions prises en la matière avant et pendant la pandémie.

De nombreuses questions se sont posées sur laugmentation nécessaire des moyens de la recherche et lorganisation dessais cliniques permettant de valider ou dinvalider des hypothèses à lheure de la crise. Le débat public a été nourri sur lusage de lhydroxychloroquine, couplée à lazithromicine, traitement utilisé par le professeur Raoult à Marseille. Sur ce sujet, le Gouvernement a louvoyé. La commission devra enquêter sur les causes de ces atermoiements, sur les décisions réellement prises, sur leur mise en œuvre.

Des questions se posent également sur la découverte dun vaccin. Il convient dagir pour que lensemble des découvertes puissent être mises à disposition de toutes et tous à travers le monde. Vaccins et traitements devraient être déclarés biens communs. Les déclarations du laboratoire Sanofi, distribuant des dividendes, touchant les subsides du crédit dimpôt recherche et affichant son intention de favoriser les États-Unis, ont profondément choqué. Cela pose la question de linsuffisance de transparence et doutils publics en matière de médicament. Cela pose la question dun pôle public. Il faudra ainsi comprendre ce qua été laction du Gouvernement pour favoriser la fabrication de produits de santé indispensables et ce qui a motivé son refus dagir pour sauver, pourquoi pas en les nationalisant, les entreprises Famar et Luxfer, susceptibles dêtre précieuses en la matière, ou encore les unités abandonnées par Sanofi, comme celle dAlfortville.

Enfin, et ce nest pas la moindre des questions, la commission denquête devrait également se pencher sur létat de préparation de lhôpital public face à lépidémie, après des années de diminution de ses moyens et de dégradation des conditions de travail des personnels soignants dont lengagement dans leurs missions a été plus que décisif. La recherche déconomies ainsi que la réduction du nombre de lits, en particulier dans les services de réanimation, ont été, à nen pas douter, autant de facteurs aggravants de la crise. Les messages envoyés au personnel hospitalier à travers la gestion des plans de restructuration, la gestion du personnel, la gestion des services nont pas été sans effets dans le moment même de la crise.

Le Gouvernement a pourtant été maintes fois alerté avec force. Les manifestations et grèves ont émaillé ces dernières années dans la fonction publique hospitalière. Rémunérations insuffisantes, manque de personnel soignant, réduction du nombre de lits, fermetures d’établissements, matériel inadapté, absence de reconnaissance : les maux sont nombreux, et la situation dramatique.

Les choix faits depuis au moins trois quinquennats en portent la responsabilité. Le nombre de lits est passé de 450 000 places en 2007 à moins de 400 000 en 2017, soit une diminution de près de 10 % en seulement dix ans ([9]). En quarante ans, deux tiers des maternités situées sur notre territoire ont fermé ([10]).

Les déserts médicaux, dont sont victimes au premier chef les populations les plus modestes à la campagne comme en ville, gagnent sans cesse du terrain. Il manque aujourdhui des généralistes dans une ville sur trois, la faute à un numerus clausus conçu comme lalpha et loméga de la maîtrise des dépenses de santé. Le nombre dindividus ayant accès à moins de 2,5 consultations par an est passé de 2,5 millions en 2015 à 3,8 millions en 2018 ([11]).

Le niveau de rémunération des soignants demeure dérisoire face à la charge de travail et les responsabilités qui leur sont confiées. Les personnels infirmiers français sont parmi les plus mal payés de lOCDE, loin derrière leurs homologues britanniques, belges et allemands ([12]).

Loin de ralentir, la paupérisation de lhôpital public a pris une ampleur nouvelle au cours des dernières années. Sur ce seul quinquennat, les économies demandées à notre système de santé atteignent plus de 12 milliards deuros, dont 3 pour lhôpital public.

Lhôpital public est un de nos services publics les plus précieux. Aujourdhui, il est géré comme une entreprise. Indicateurs de performance, normes administratives et généralisation de la concurrence ont remplacé la notion fondamentale de soin, avec pour conséquence des conditions de travail en constante détérioration. La tarification à lactivité en est une cause, par la course au nombre dactes et la concurrence insidieuse quelle institue entre les établissements.

Grève des urgences en mars dernier, grève des internes en décembre, manifestation de soignants en janvier, démission de plus dun millier de médecins hospitaliers au début du mois de février : les signes de détresse nont pas manqué au cours des derniers mois. Ils sont pourtant passés inaperçus.

Le 27 février 2020, Emmanuel Macron a déclaré à un groupe de soignants auxquels il était venu rendre visite : « Vous pouvez compter sur moi ». Nous attendons encore les résultats de cette promesse.

Le travail denquête permettrait de mettre en évidence les diverses responsabilités sur le sujet, et de proposer des solutions pour lavenir : a minima, davantage de moyens et un plan massif dembauches pour assurer à tous les soignants des conditions de travail décentes et à tous les patients les soins quils méritent.

Il conviendra également de se pencher de plus près encore sur la gestion de la crise dans les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), dont on a tardé à prendre la mesure et qui ont été appelés à conserver des patients pour désengorger les services hospitaliers. Lengagement des personnels sest fait dans des conditions déjà dégradées et le confinement a pesé sur laction déployée pour le maintien du meilleur niveau dautonomie, du fait de linterdiction des visites des familles et des intervenants.

Nombre de lieux daccueil collectif, par exemple pour les personnes en situation de handicap, ont rencontré des problèmes décuplés et les personnes bénéficiant dune aide humaine ont pu se trouver dans des difficultés augmentées. Dans ce contexte, laction des personnes aidantes a été dautant plus décisive, mais dautant plus éprouvante, pesant ainsi sur leur propre santé.

En définitive, il sagit de regarder dans le détail lenchaînement des décisions et la manière dont elles ont été préparées, tant le Gouvernement a donné le sentiment de courir après les événements et de produire des annonces avec un effet de latence considérable. La réactivité face à lapparition du virus, la gestion du confinement, la préparation du déconfinement devront être étudiées de près. Le respect de légalité entre les territoires et lorganisation de la solidarité nationale pourront aussi faire lobjet dune attention particulière. Nous devons également mieux comprendre pourquoi le virus a frappé de façon inégale les populations dun même territoire.

Le rôle joué par les différents organismes publics devra lui aussi faire lobjet dune enquête approfondie, à la suite des fusions dagences, qui nont pas été sans effets, étant couplées à des politiques budgétaires sévères. À ce propos, il conviendra de passer au tamis les politiques de prévention, qui sont un parent pauvre de nos politiques de santé. La crise a sans aucun doute provoqué des prises de consciences, mais elle a également rejeté dans lombre les enjeux qui nétaient pas les plus aigus dans le moment, à limage de la santé bucco-dentaire.

Nul ne méconnaît le caractère inédit, la gravité et lampleur de la crise qui a surgi. Face à cette crise majeure, la conduite à suivre nétait pas toujours dévidence et la tension était prégnante. Nombre de décisions prises, même si elles létaient parfois avec retard, étaient justes et nécessaires. Pour autant, les dysfonctionnements, qui ne sont pas nécessairement imputables à la majorité dans tous leurs tenants et leurs aboutissants, même si elle y a sa part, ont été considérables et nous devons en tirer toutes les leçons.

Le vocabulaire guerrier employé na sans doute pas été sans effets discutables sur lopinion. Il traduisait, avec létat durgence, le choix dexercer un pouvoir fort, débarrassé de règles démocratiques ordinaires. Il sest également illustré dans une politique de contrôle et de surveillance, mettant les libertés entre parenthèses, entretenant le mythe dun risque zéro et jouant sur leffet de peur déjà activé par le virus lui-même. Les pouvoirs donnés à lÉtat, linstauration de brigades sanitaires et lutilisation dune application retardataire pour tracer les contacts des porteurs de virus en témoignent. Cette période aura été dautant plus traumatique, appelant un accompagnement humain, psychiatrique et psychologique renforcé.

Enquêter sur la gestion sanitaire de la crise est dautant plus essentiel que le Gouvernement a créé de toutes pièces un état durgence sanitaire lui permettant dexercer les pleins pouvoirs. De ce fait, il a dautant plus de comptes à rendre sur ce quil en a fait. Et nous devons tirer toutes les leçons pratiques et politiques de cette crise pour ne pas être pris en défaut demain sur ce que nous aurions dû anticiper par précaution.

La résolution doit donc être regardée comme définissant précisément les faits sur lesquels porterait la commission denquête, au sens de larticle 137 du Règlement précité.

Larticle 138 du Règlement prévoit quant à lui lirrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête ayant le même objet quune mission effectuée dans les conditions prévues à larticle 145-1 ou quune commission denquête antérieure, avant lexpiration dun délai de douze mois à compter du terme des travaux de lune ou de lautre ».

À la date du dépôt de la présente résolution, le 8 avril 2020, aucune commission denquête ne se penchait sur la gestion par le Gouvernement de la crise sanitaire liée à lépidémie de covid-19.

Par un courrier du 10 avril, le président André Chassaigne a fait part de son intention de faire usage du droit de tirage sur la présente proposition. Le 14 avril, cette demande a été déclarée recevable par la Conférence des présidents.

Nonobstant cette déclaration, la mission dinformation de la Conférence des présidents relative à limpact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de lépidémie de Coronavirus-Covid 19 a décidé, lors de sa réunion du 26 mai 2020, de se doter des prérogatives dune commission denquête.

Si le rapporteur prend acte de cette décision et des conséquences quelle peut avoir sur le plan juridique, il en souligne la postériorité par rapport au dépôt de la présente proposition de résolution.

Par ailleurs, il constate que la proposition de résolution de son groupe na été inscrite à lordre du jour de la commission des affaires sociales quaprès la transformation de la mission dinformation en commission denquête, soit plus dun mois après la demande formulée par le président André Chassaigne.

Il ressort de ces éléments quaucune commission denquête ni aucune mission dinformation effectuée dans les conditions prévues à larticle 145-1 – cest-à-dire qui sest vue attribuer les prérogatives dune commission denquête – ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois navait le même objet que celui de la présente proposition de résolution, à la date de son dépôt.

Enfin, larticle 139 précise quune proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête parlementaire ne peut être discutée lorsque « des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Cette disposition est également inspirée de larticle 6 de lordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

À cet effet, le dépôt de la proposition de résolution doit être notifié par le Président de lAssemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

En lespèce, interrogée par le Président de lAssemblée nationale, Mme Nicole Belloubet lui a fait savoir par lettre du 24 avril 2020 que la « commission denquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours » et, selon la formule désormais consacrée, a appelé « ainsi son attention sur larticulation de lenquête parlementaire avec ces procédures judiciaires ».

Cette réponse atteste que la procédure signalée par la garde des sceaux ne fait pas en soi obstacle à la création de la commission denquête. Cette dernière devra veiller, comme toujours, à ce que ses investigations nempiètent pas sur la compétence exclusive de lautorité judiciaire.

Nonobstant les vastes questions ouvertes par lirruption de cette crise dans tous les champs de lactivité humaine, lintérêt dune commission denquête centrée sur la gestion sanitaire, cest-à-dire sur le cœur du problème apparaît dévidence. Ce sont des choix politiques qui nous ont conduits à cette situation de défaut et ce sont des choix politiques qui ont continué de saffirmer dans le feu de laction. Nous avons besoin dune commission denquête disposant dune pleine liberté de mouvement, qui fasse la démonstration que lAssemblée nationale joue son rôle, comme elle ne la pas toujours fait face aux manquements de lexécutif. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine sestime au moins aussi bien placé quun autre, nayant exercé aucune responsabilité gouvernementale dans la période récente, pour jouer un rôle dans linvestigation et lanalyse impartiale de ce qui a été fait, pas fait ou mal fait. Et de ce quil faut faire désormais.

En conséquence, le rapporteur estime que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par lordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et par les articles 137 à 139 du Règlement de lAssemblée nationale.

Aucun obstacle ne soppose donc à la création de la commission denquête.


–  1  –

   travaux de la commission

La commission des affaires sociales examine la proposition de résolution lors de sa séance du mercredi 3 juin 2020.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a fait usage du « droit de tirage » conféré par l’article 141 du Règlement aux groupes d’opposition ou minoritaires, qui leur permet de demander la création d’une commission d’enquête une fois par session ordinaire. Conformément aux dispositions de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, notre commission doit donc vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies.

M. Pierre Dharréville, rapporteur. Vous connaissez les règles qui président à la création d’une commission d’enquête. Elles résultent des dispositions spécifiques de l’ordonnance du 17 novembre 1958, ainsi que du Règlement de notre assemblée. De manière générale, il appartient à la commission permanente compétente au fond d’examiner les conditions de recevabilité de la proposition de résolution et l’opportunité de la création de la commission d’enquête. Cependant, en application de l’article 141 de notre Règlement, chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête. Ce droit est communément appelé « droit de tirage ».

Dans une lettre adressée le 10 avril au Président de l’Assemblée nationale, André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, a fait part de son intention d’y recourir pour la présente proposition de résolution. Compte tenu du sujet, il était naturel que la commission des affaires sociales en soit saisie. En application de l’article 140 du Règlement, il lui revient désormais de vérifier que « les conditions requises pour la création de la commission denquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité ». Aucun amendement n’est recevable.

Ces conditions de recevabilité sont énoncées aux articles 137 à 139 du Règlement. L’article 137 prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion. En l’occurrence, l’article unique crée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19 en France, de les évaluer et d’en tirer les conséquences afin que notre pays soit, à l’avenir, en mesure d’affronter une autre pandémie.

Les faits auxquels la commission d’enquête doit s’intéresser sont établis, et nombre de nos concitoyens souhaitent que toute la lumière soit faite. Il n’est pas question de juger de la pertinence de l’objet de la commission : l’Assemblée nationale n’a pas d’autre choix que de créer cette commission d’enquête. Nul ne disconvient que la crise fut inédite, soudaine, grave, et qu’il n’était pas aisé d’y faire face. Mais nul ne saurait détourner le regard des dysfonctionnements et de leurs causes. Nous nous devons d’enquêter et d’analyser, pour tirer toutes les leçons de cette expérience. C’est d’autant plus indispensable que le Parlement a créé, adopté et prolongé, l’état d’urgence sanitaire, conférant des pouvoirs extensibles au Gouvernement.

L’objet est clair et précis : la gestion sanitaire de la crise. Il ne s’agit pas de passer au scanner tous les champs de l’activité humaine pour faire le tour de l’action gouvernementale, mais de se concentrer sur le cœur de la crise, afin de faire la lumière sur tous les dysfonctionnements observés depuis le début.

Parler de la gestion sanitaire, c’est d’abord se pencher sur les pénuries, chercher à comprendre comment nous en sommes arrivés à être aussi démunis ; c’est remonter la chaîne des décisions pour y faire face, s’interroger sur les retards, sur l’organisation et la coordination de la commande publique, etc. Ainsi, le ministre de la santé a déclaré le 21 mars que des masques avaient été commandés dès janvier : comment alors expliquer la pénurie ? Il faudra aussi nous interroger sur le stock de masques, et son évolution depuis 2010. Il est absolument incompréhensible que nous ne disposions plus que de 117 millions de masques chirurgicaux en mars, contre plus de 700 millions en 2017.

De même, le 27 janvier, le directeur général de la santé expliquait qu’un test rapide serait vite disponible pour la population ; le 28 mars, le ministre de la santé annonçait avoir commandé 5 millions de ces tests. Comment expliquer ce délai et la mobilisation tardive des laboratoires de biologie médicale publics et vétérinaires ? Nous pourrions également nous pencher sur les respirateurs, les tensions et pénuries de médicaments et de produits de santé indispensables.

Deuxième aspect, la stratégie de lutte contre le virus : quelle a été l’action du pouvoir politique et des organismes publics ? Il conviendra d’examiner les effets du choix du registre guerrier, du recours à des politiques de contrôle et de surveillance, de la parole publique avec ses consignes contradictoires. La gestion du confinement, la préparation du déconfinement devront être disséquées. Nous devrons chercher à comprendre les relations avec les laboratoires, le refus d’agir pour maintenir l’activité d’unités de production menacées. Il faudra également se pencher sur le soutien à la recherche de traitements et de vaccins : pourquoi a-t-il été si tardif, si incertain ? Pourquoi avoir arrêté des essais cliniques, alors que nous avons besoin de réponses claires ?

Enfin, l’organisation de l’hôpital public face à la crise mérite nos investigations. Nous avons tous en mémoire les débats parlementaires de l’automne dernier, alors que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie hospitalier était à nouveau largement insuffisant par rapport aux besoins réels. Nous avons également en tête la politique de réduction du nombre de lits, conduite sans relâche. Il faudra aussi analyser le rôle joué par les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La commission d’enquête permettra d’identifier les liens de causalité entre les décisions passées et les difficultés rencontrées lors de la crise. Pénurie, stratégie, service public constituent trois axes – non exclusifs – de travail pour la commission d’enquête. Vous le constatez : les faits visés sont précis et identifiés, comme le requiert l’article 137 de notre Règlement.

L’article 138 de ce même Règlement rend irrecevable la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une commission d’enquête ou une mission d’information disposant des mêmes pouvoirs, ayant achevé ses travaux depuis moins d’un an. Sur ce point, nous allons devoir opérer des clarifications. Notre proposition de résolution a été déposée le 8 avril, il y a quasiment deux mois. La décision de faire usage du droit de tirage est intervenue deux jours plus tard, le 10 avril. Mais c’est seulement maintenant, 3 juin, que la proposition de résolution est examinée : plus d’un mois s’est écoulé entre la réponse de la garde des sceaux, le 24 avril, et l’inscription de la proposition de résolution à l’ordre du jour. Pourtant, la commission des affaires sociales s’est déjà réunie, le 20 mai par exemple.

Il n’aura échappé à personne que des mouvements tectoniques se sont produits ces derniers jours. Une mission d’information avait été créée par la majorité sous l’égide du président de l’Assemblée nationale afin de suivre l’action du Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire. La Conférence des présidents avait indiqué au cours de sa réunion du 24 mars que la phase consacrée au contrôle de l’état d’urgence sanitaire, qui devait commencer les jours suivants durerait aussi longtemps qu’il serait en vigueur. Or il ne prendra fin que le 24 juillet prochain. Pourtant, la mission vient d’être transformée en commission d’enquête ! Elle avait jusque-là effectué un travail assez formel, constituant surtout une tribune supplémentaire pour les ministres, servant – au mieux – à faire entendre les difficultés rencontrées. Soudain, par un hasard qui ne doit rien au hasard, elle s’est métamorphosée hier en commission d’enquête, visant à analyser tout ce qui s’est passé pendant la crise, dans tous les domaines. La convocation de la mission de la semaine dernière ne le précisait pourtant pas, et les rapporteurs se sont livrés à une restitution sans que nous puissions véritablement échanger. Emballez, c’est pesé !

C’est pourquoi mon groupe a fait valoir les dispositions de l’article 145-3 du Règlement qui permettent à un président de groupe de s’opposer à une telle décision. Cela a donné lieu hier en séance à un échange sommaire de 10 minutes entre André Chassaigne et Éric Ciotti. L’Assemblée a ensuite été invitée à se prononcer sur la dotation de pouvoirs de commission d’enquête à la mission d’information. Vous en conviendrez, ce scénario est grossier ! Il n’est pas sérieux et n’honore pas notre institution.

La procédure paraît entachée d’irrégularité. Tout d’abord, Mme la garde des sceaux a probablement répondu au Président de l’Assemblée nationale, mais je n’ai pas eu connaissance de la réponse. En outre, hier soir, sur le site de l’Assemblée nationale, la mission d’information n’apparaissait toujours pas dans la liste des commissions d’enquête. Enfin, l’objet de la commission précitée – et précipitée – ne répond pas aux critères de l’article 137, sauf à les considérer de façon très élastique ! Comment pourra-t-elle moissonner un tel champ d’investigations ? Enfin, pourquoi attribuer à un groupe une forme de deuxième droit de tirage, au détriment d’un autre ? Le groupe Les Républicains affirme avoir été le premier à demander la création de la commission d’enquête, mais il n’en avait pas les moyens ! La transformation de la mission résulte d’un arrangement entre les deux groupes les plus nombreux de l’Assemblée nationale. Au Sénat, une commission d’enquête est également pilotée par le groupe Les Républicains : au regard des enjeux, nous plaidons pour plus de pluralisme !

Je suis désolé d’être désagréable, mais ce qui est en train de se passer va l’être de toute façon ; il n’y a aucune raison pour que ce ne le soit que pour moi ! Nous nous sentons au moins aussi fondés que d’autres à exercer cette responsabilité, d’autant que nous n’avons pas participé à l’exercice du pouvoir depuis 2002. Il ne s’agit donc pas pour nous de régler des comptes, mais d’établir les causes et de tirer les conséquences de la crise. Pourtant, visiblement, nous gênons dans votre scénario...

Notre proposition permettrait à tous les groupes d’être représentés, ce qui n’est pas le cas avec la transformation de la mission d’information. En résumé, vous avez le pouvoir d’affirmer la liberté du Parlement, ou bien de refuser pour la deuxième fois en quatre mois à un groupe d’opposition – après le refus signifié au groupe Socialistes et apparentés concernant l’étude d’impact de la réforme des retraites – l’exercice de son droit de tirage. Cela risque d’apparaître comme une fâcheuse tendance à écarter les travaux de contrôle qui ne vous arrangent pas ! Marx écrivait que l’histoire se répète la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. L’impression de vivre une farce sur un sujet aussi dramatique et sensible est plus que désagréable ! Le droit de tirage est, comme son nom l’indique, un droit, et non une simple possibilité. Le bafouer avec cette constance pose un problème démocratique grave.

Sur le plan juridique, il n’y a aucune raison d’opposer à notre demande une quelconque antériorité de la commission d’enquête de la majorité, dont la constitution est intervenue bien après le dépôt de notre proposition de résolution, le 8 avril, et notre demande de faire usage du droit de tirage, le 10 avril. Si la mission d’information estime ensuite que des sujets d’enquête ne sont pas couverts alors qu’ils mériteraient de l’être, elle pourra s’en saisir.

En conclusion, la condition posée par l’article 138 est bien vérifiée : il vous revient de le confirmer, tout simplement parce que ce sont les faits, et il reviendra à la Conférence des présidents d’en tirer, le cas échéant, toutes les conséquences.

Enfin, l’ordonnance du 17 novembre 1958 et l’article 139 du Règlement précisent qu’une commission d’enquête parlementaire ne peut pas être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, a fait la réponse suivante par lettre du 24 avril 2020 : « la commission denquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours » et, selon une formule rituelle, « appelle ainsi son attention sur larticulation de lenquête parlementaire avec ces procédures judiciaires ». Cette réponse classique ne fait pas, en soi, obstacle à la constitution de la commission d’enquête. Nous serons attentifs à ce que ses travaux n’entrent pas en conflit avec ceux menés par l’autorité judiciaire. Du reste, l’objet de cette commission d’enquête ne sera pas d’établir des responsabilités pénales, mais bien de comprendre tous les mécanismes par lesquels cette crise est survenue.

La période que nous vivons nous appelle à faire pleinement vivre le débat démocratique et nous enjoint de prendre de la hauteur. Pour cela, le respect des règles communes est un prérequis.

Mes chers collègues, compte tenu des éléments exposés, je vous propose de constater que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale et qu’aucun élément de droit ne fait obstacle à sa constitution.

Mme Monique Iborra. Dans ce contexte anxiogène, permettez-moi de saluer les professionnels, mais aussi les citoyens, nombreux, à s’être investis par solidarité et responsabilité dans cette crise que personne n’avait prévue. Mes pensées vont vers ceux – résidents des EHPAD, familles, soignants – qui ont vécu des drames familiaux et des décès brutaux, dans des circonstances inédites, que nous n’aimerions pas voir se reproduire.

Pour autant, la situation ne saurait être exploitée à des fins politiques. Elle nécessite des investigations – il s’agit de nos prérogatives parlementaires – auxquelles nous sommes prêts à répondre. Nous devons à tous une analyse sans complaisance, totalement transparente, une analyse à laquelle nous procéderons avec humilité en ce qui nous concerne, mais sans céder à des penchants politiciens. Il ne s’agira pas de chercher des coupables avant même d’examiner les faits.

C’est dans cet esprit que, dès le 17 mars, la Conférence des présidents a créé une mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de covid-19. Elle a organisé seize auditions publiques, dont celle des ministres – quoi de plus normal ?

En outre, au sein de la commission des affaires sociales, des rapporteurs de la majorité et de l’opposition ont suivi six thématiques en relation avec l’état d’urgence sanitaire. Vous y avez largement participé, monsieur le rapporteur. De notre côté, avec Caroline Fiat, nous avons rendu un rapport commun sur la situation des EHPAD.

Lors de la mise en place de la mission d’information par le Président de l’Assemblée, à la demande de plusieurs groupes, il avait été acté que, dans une second phase, ses travaux seraient élargis à l’évaluation de la crise et de ses conséquences économiques, budgétaires, sociales, culturelles, et même internationales. Il avait également été convenu – et donc accepté – qu’un nouveau rapporteur général serait nommé, issu du groupe d’opposition le plus nombreux
– Les Républicains en l’occurrence – ainsi qu’un corapporteur de la majorité, et que cette mission serait dotée des prérogatives d’une commission d’enquête.

Le 26 mai, M. Ciotti a demandé que la mission soit dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Ses déclarations à la presse devraient vous rassurer : il n’aura aucune complaisance à l’égard du Gouvernement, que vous condamnez dans l’intitulé de votre proposition de résolution, avant que la commission d’enquête n’ait débuté ! Vous condamnez avant d’enquêter. Certes, c’est votre culture mais nous ne la partageons pas.

Je regrette d’avoir à vous le rappeler : toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 du Règlement, ou qu’une commission d’enquête antérieure, est irrecevable avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre. Nous ne pourrons donc pas adopter votre proposition de résolution.

M. Bernard Perrut. La proposition de résolution que nous examinons est intéressante : elle vise à faire apparaître les dysfonctionnements liés à la gestion de la crise du covid-19. Par la même occasion, elle met en lumière toute l’ampleur du travail parlementaire. Nous en sommes parfaitement conscients : dès le 4 mars, vingt députés Les Républicains avaient déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la gestion de la pandémie et d’en tirer des enseignements, pour que notre stratégie soit plus efficace si une nouvelle pandémie venait à se déclarer.

Votre proposition de résolution intervient au moment où la mission d’information, qui poursuit ses travaux, vient d’être transformée en commission d’enquête. Par souci de cohérence, notre groupe ne peut donc l’adopter.

Il importe néanmoins de faire quelques constats. Nous pourrions évoquer l’impréparation matérielle et politique – le Gouvernement avait-il pris le danger au sérieux assez tôt ? Pour affronter la « guerre », déclarée par le Président de la République, les problèmes logistiques et administratifs n’ont pas manqué, entraînant un manque d’agilité de tous les professionnels de santé. Pendant des semaines, on nous a expliqué que la fermeture des frontières, le port du masque, la systématisation du dépistage étaient inutiles, voire contre-productifs. En outre, cette crise a révélé le manque de moyens alloués aux personnels de santé, le manque d’investissements de la France dans l’industrie médicale et pharmaceutique, sa dépendance aux autres pays pour se fournir en matériel, etc.

La commission d’enquête devra travailler sur ces constats – et non établir des responsabilités – afin d’en tirer le meilleur pour l’avenir et de nous permettre de prendre des mesures utiles à notre pays. Je pense à l’augmentation du nombre de lits de réanimation, à la mise en place d’hôpitaux de réserve, à l’équipement du personnel en matériel, en connaissances et en formation, à la constitution de stocks stratégiques de masques, de respirateurs, de médicaments.

Pour être plus efficace, notre stratégie doit être déclinée au niveau européen, afin d’améliorer la prévention du risque et de mettre en commun les ressources et les connaissances.

N’oublions pas non plus le suivi des autres pathologies et la poursuite des soins pour les autres patients. Pendant le confinement, nous aurions pu éviter des arrêts cardiaques et des morts.

Le chantier qui nous attend est important. Il nous amènera aussi à réfléchir à l’organisation territoriale de notre système de santé, actuellement centralisé et tentaculaire, qui n’est peut-être plus adaptée. Nous avons besoin de plus de souplesse et de réactivité. Lors de la crise, les établissements publics et privés, tout comme les professionnels de santé, ont su réagir, parfois en marge des règles habituelles, au service de la population.

M. Brahim Hammouche. Nous devons nous prononcer pour ou contre la proposition de résolution portée par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19.

Monsieur le rapporteur, tant sur le fond que sur la forme, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne vous apportera pas son soutien. Sur la forme, les hasards du calendrier font que la mission d’information précitée, créée au début de la crise sanitaire, s’est dotée des prérogatives d’une commission d’enquête hier soir en séance publique, afin de faire toute la lumière sur la gestion et les conséquences de la crise sanitaire. C’est l’objectif de l’ensemble des groupes de notre Assemblée. Il serait peu opportun que deux commissions d’enquête aient un objet strictement similaire. L’ordre du jour étant déjà surchargé, de grâce, épargnons-nous les redondances !

Sur le fond ensuite, l’intitulé de votre commission d’enquête me semble mal nommer l’objet du malheur qui nous touche. Or, monsieur le rapporteur, vous le savez : mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. Alors que l’objectif d’une telle commission est d’investiguer pour arriver à des conclusions, le titre de la vôtre laisse entrevoir que vous avez déjà les réponses... Le travail de la représentation nationale ne doit pas se transformer en une instruction à charge. Il n’est pas question de mettre en accusation telle personne ou telle administration, mais de comprendre et d’apprendre. Comprendre comment nous en sommes arrivés là, comment nous avons géré cette crise, comment elle aurait pu être anticipée – si tant est que l’inattendu et l’extraordinaire puissent être anticipés... N’oublions pas non plus les précédentes mandatures. Enfin, il s’agit d’apprendre – ne sommes-nous pas une Nation apprenante ? – puisque nous serons périodiquement confrontés à ce type de crise sanitaire. Il s’agit de porter un diagnostic partagé pour grandir ensemble.

M. Boris Vallaud. Déjà très insatisfaisantes en temps ordinaire, les conditions de travail de l’Assemblée nationale – et plus globalement du Parlement – pendant les mois du confinement se sont avérées désastreuses du point de vue de l’efficacité du débat démocratique : nous avons en effet vécu une sorte d’éclipse. Un groupe de travail a d’ailleurs été formé pour en tirer les leçons pour l’avenir.

Alors que nous sommes dans une guerre de modèles, que nous ne savons pas si le monde d’après sera celui des utopies ou celui des aspirations autoritaires, la question de la vitalité démocratique se pose de façon criante. Dans un tel contexte, toute commission d’enquête, tout travail de contrôle de l’Assemblée nationale sont les bienvenus.

Si la mission d’information a sans doute été utile, nous a-t-elle appris davantage que les journaux ou les chaînes d’information en continu ? Je ne le crois pas à vrai dire et, comme un certain nombre d’entre vous, je m’en désole.

Je soutiens donc évidemment la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête qui pourrait, si elle devait être formée, conclure à l’absence de dysfonctionnements. Rien ne permet en effet de préjuger de ses conclusions – sachant que la majorité y serait majoritaire.

Nous avions déjà pu éprouver votre défiance à l’égard des commissions d’enquête au moment de l’affaire Benalla, ou lorsque le groupe Socialistes et apparentés a demandé la constitution d’une commission d’enquête sur l’étude d’impact – la grande affaire ! – annexée au projet de loi instituant un système universel de retraite.

L’intervention de Mme Iborra m’a inquiété : la commission d’enquête d’ores et déjà prévue devra faire son travail jusqu’au bout sans que l’on cherche à l’escamoter, à la faire conclure prématurément, ou à empêcher certaines auditions, y compris de responsables politiques antérieurs, d’avoir lieu.

Cette commission d’enquête constituera une épreuve de vérité pour notre assemblée : soit elle sera efficace et mènera un véritable travail de contrôle, et le Parlement en sortira grandi, soit nous pourrons aller faire autre chose.

M. Philippe Vigier. Chaque fois que le Parlement a une occasion de créer une commission d’enquête, il doit s’en saisir. Telle a toujours été ma position, même lorsque Roselyne Bachelot était ministre de la santé et qu’il avait fallu enquêter sur les conditions de vaccination contre la grippe H1N1.

Notre groupe a donc soutenu la proposition d’Éric Ciotti au nom du groupe Les Républicains de constituer une commission d’enquête. Et nous soutenons la présente proposition de résolution. Il n’y a pas de concours de claquettes ! C’est le Parlement qui y gagnera. Le Sénat ne manquera pas d’ailleurs d’exercer ses prérogatives.

Lors des questions au Gouvernement, le Premier ministre a été très clair : il n’y a rien à cacher. Les dysfonctionnements qui pourraient apparaître au sein de certaines agences régionales de santé, en matière de sérologie ou de tests permettront de tirer des leçons pour l’avenir. Les pertes humaines ont été considérables. Nous ne sortirons pas de cette pandémie comme nous y sommes entrés : nous devons comprendre pour faire en sorte que la France soit mieux armée.

Je veux que cette commission, quelle qu’elle soit, nous permette de connaître la vérité de manière à être meilleurs à l’avenir : nous le devons à nos compatriotes. La transparence ne se fragmente pas, ne se divise pas : elle doit être totalement mise en œuvre par l’ensemble de la représentation nationale. Nous ne remplirions pas notre rôle de parlementaires en refusant cette proposition de résolution.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Tous les parlementaires ont envie de faire la lumière, cher collègue. Une commission d’enquête est déjà prévue. Il s’agit donc non pas d’entraver la création d’une commission d’enquête mais d’éviter la superposition de plusieurs commissions d’enquête car cela n’aurait aucun sens.

Mme Caroline Fiat. Le droit de tirage d’un groupe d’opposition ne devrait pas faire l’objet d’une discussion. Le mot « dysfonctionnements », qui figure dans le titre de la proposition de résolution du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ne plairait pas : or même Emmanuel Macron l’a employé !

Certes, la mission d’information présidée par Richard Ferrand a nommé un rapporteur de droite. Mais souffrez qu’il existe d’autres oppositions et qu’elles jouissent de certains droits. Pourquoi donc discutons-nous de leur droit de tirage ?

Nous avons le droit de mener une enquête comme bon nous semble et d’auditionner qui bon nous semble. Qui a oublié le désastre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire Benalla comparée à celle du Sénat ?

Puisque tous les parlementaires souhaitent faire la lumière sur tous ces événements, je ne vois vraiment pas pourquoi vous vous opposez à cette proposition de résolution. Arrêtez de vider ou de voler nos propositions de loi et de mettre en échec nos demandes de droit de tirage. Si vous ne supportez pas d’avoir une opposition, dites-le clairement ! Dites que vous ne voulez plus d’opposition en France !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne peux pas laisser dire n’importe quoi : l’opposition est représentée dans toutes les commissions d’enquête et participe à toutes les auditions. 

Mme Martine Wonner. La crise sanitaire sans précédent due au covid-19 a, en quelques semaines, paralysé tout le pays et le Gouvernement a œuvré, à sa façon, pour faire face aux multiples problématiques.

La plus grande erreur serait sans doute de sortir de cette crise en faisant comme si rien ne s’était passé. Les politiques ont le devoir d’informer les citoyens et de poser les questions qui permettront d’obtenir les réponses qu’ils attendent. L’ensemble des groupes s’accorde sur ce point.

Pour en ressortir mieux préparés et grandis, il faut tirer les bons enseignements de la crise. Loin de critiquer systématiquement sa gestion par le Gouvernement, nous nous interrogeons cependant, comme tous les Français, sur de nombreux points. Le premier porte sur les masques, inutiles dans un premier temps, puis indispensables dans un second, ils sont le reflet d’une incohérence profonde. Leur cruelle pénurie a montré en outre avec brutalité la fragilité de notre autonomie en matière de santé.

Cette crise a également mis en lumière l’intolérable manque de moyens de la santé publique, comme l’importance de l’hôpital, mis sur la touche depuis plusieurs années, et celle des soignants, depuis trop longtemps malmenés. Son budget doit donc être réévalué afin de nous prémunir contre une nouvelle catastrophe. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité sera particulièrement attentif à l’impact de la crise sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Toutes les directives, trop souvent contradictoires, ont suscité de nombreuses interrogations et les tests ont également fait grandement défaut.

Le confinement constitue par ailleurs une source d’interrogations, notamment dans ses délais. Il y a enfin le vaste problème des médicaments : comment expliquer la pénurie ayant affecté certains d’entre eux et la gestion très administrative à la fois de celle-ci et du droit de prescrire – ou non ?

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ayant demandé, dès le 8 avril, la création d’une commission d’enquête, il eût été plus respectueux de la part de la majorité de laisser aboutir cette initiative. Doter la mission d’information existante des prérogatives d’une commission d’enquête ne nous semble pas la meilleure méthode. Nous souhaitons dans tous les cas qu’une nouvelle répartition des sièges intervienne afin de respecter celle des groupes et de prendre notamment en compte la création récente de deux nouveaux groupes.

Considérant que nous devons mener un travail de fond et que la création d’une commission d’enquête constitue donc une priorité, le groupe Écologie Démocratie Solidarité soutiendra la proposition de résolution défendue par Pierre Dharréville.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. La mission d’information mise en place au début de la crise se transforme en commission d’enquête : est-il par conséquent oui ou non raisonnable et lisible d’en créer une autre sur le même sujet en parallèle ? Le groupe Agir ensemble pense que non. Cette commission accomplira en effet
– je l’espère – le travail nécessaire en vue de répondre à toutes les questions qui doivent être posées et d’en tirer toutes les conclusions.

Notre groupe ne votera donc pas cette proposition de résolution. Mais je forme également le vœu que tous les groupes soient représentés au sein de la commission d’enquête.

M. le rapporteur. J’ai le sentiment qu’il n’a pas été répondu de façon satisfaisante à mes arguments en faveur de la proposition de résolution.

Madame Iborra, vos propos à mon égard m’ont paru un peu déplacés et relevant du procès d’intention. Que savez-vous de ma culture ? Notre intention véritable est en effet d’enquêter sur les dysfonctionnements et d’en tirer, comme tout le monde le souhaite, toutes les leçons. Et nous serions sans doute en désaccord sur un certain nombre de sujets.

Cher collègue Brahim Hammouche, il ne s’agit pas ici d’apporter votre soutien, ni sur la forme, ni sur le fond, mais de vérifier que les conditions de création de la commission d’enquête sont réunies.

L’ampleur des événements auxquels nous avons été confrontés mériterait plusieurs commissions d’enquête qui pourraient se partager le travail sans que leurs tâches ne se chevauchent, madame Firmin Le Bodo. Le champ d’investigation est en effet extrêmement vaste et notre proposition ne traite que de la question sanitaire.

Je remercie Boris Vallaud, Caroline Fiat, Philippe Vigier et Martine Wonner d’avoir, par leurs arguments, étayé notre proposition. Nous discutons en fait du scénario. Vous avez à juste titre rappelé, cher Bernard Perrut, que votre groupe avait déposé le 4 mars dernier une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, même s’il n’a pas pu faire usage de son droit de tirage.

Chers collègues de la majorité, il va vous falloir assumer un choix que certains auraient espéré faire en catimini. Je m’honore d’avoir provoqué ce débat, car la responsabilité de chacun va se trouver engagée et certains des éléments évoqués ce matin pourront peut-être s’avérer utiles à une commission d’enquête jouant pleinement son rôle.

Avec le sentiment d’avoir été mené en bateau pendant toute la période qui vient de s’écouler, je suis tenté de dire en conclusion : bourreau, fais ton office !

*

La commission, en application de larticle 140, alinéa 2, du Règlement, estime que les conditions requises pour la création de la commission denquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid19 ne sont pas réunies.


([1]) Résolution n° 437 du 28 novembre 2014.

([2]) https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/05/07/la-france-et-les-epidemies-2017-2020-l-heure-des-comptes_6038973_1651302.html

([3]) https://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20200407-equipement-trois-quarts-des-professionnels-infirmiers-manquent-de

([4]) https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-les-policiers-sommes-de-rendre-leurs-masques-ffp2-des-syndicats-furieux-6792176

([5]) https://ourworldindata.org/coronavirus-data#testing

([6]) https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=129_129658-l62d7lr66u&title=Testing-for-COVID-19-A-way-to-lift-confinement-restrictions

([7]) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/24/nous-attendons-d-etre-contactes-par-l-ars-mais-il-ne-se-passe-rien-le-fiasco-des-tests-en-france_6037647_3244.html

([8]) https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/tests-covid-19-la-defaillance-organisee-au-sommet-de-l-etat?onglet=full

([9]) DREES, Les établissements de santé, Panorama, édition 2019.

([10]) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/02/01/deux-tiers-des-maternites-ont-ferme-en-france-en-quarante-ans_5250322_4355770.html

([11]) Blandine Legendre (DREES), 2020, « En 2018, les territoires sous-dotés en médecins généralistes concernent près de 6 % de la population », Études et Résultats, n° 1144, DREES, février.

([12]) OCDE, Panorama de la santé 2017, 2017. https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/health_glance-2017-58-fr.pdf?expires=1591106288&id=id&accname=guest&checksum=D914BE933A397D9FDA1180C8EA62CBB5