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N° 3066

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juin 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]) CHARGÉE DEXAMINER LE PROJET DE LOI ORGANIQUE relatif à la dette sociale et à lautonomie,

 

 

Par MPaul CHRISTOPHE,

Rapporteur

 

 

 

 

 

 

 

——

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  3018.


La commission spéciale est composée de :

M. Jean-Paul Mattei, président ;

M. Belkhir Belhaddad, Mme Cendra Motin, M. Bernard Perrut, M. Boris Vallaud, vice-présidents ;

M. Julien Borowczyk, M. Pascal Brindeau, Mme Marianne Dubois, Mme Émilie Guerel, secrétaires ;

M. Paul Christophe, M. Thomas Mesnier, rapporteurs,

 

Mme Delphine Bagarry, M. Jean-Noël Barrot, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, M. Francis Chouat, Mme Josiane Corneloup, Mme Dominique David, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Stella Dupont, Mme Caroline Fiat, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Jean-Carles Grelier, Mme Véronique Hammerer, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Daniel Labaronne, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Bruno Questel, M. Alain Ramadier, M. Laurent Saint-Martin, Mme Annie Vidal

 

 

 

 


–  1  –

SOMMAIRE

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avant-propos

Article 1er Prolongation de la durée damortissement de la dette sociale

Article 2 Modification du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale en matière dinformation du Parlement et de mesures relatives à la dette

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : personnes auditionnÉEs par LES RAPPORTEURS


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   avant-propos

● Les occasions de modifier la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) ont été rares depuis son adoption en 1996 et ont toujours marqué un moment très particulier de l’histoire des finances sociales.

En 1996, ce fut bien évidemment la naissance des lois de financement de la sécurité sociale, permettant à notre Parlement d’examiner le budget de la sécurité sociale selon des modalités adaptées à la nature des dépenses et respectueuses des spécificités de notre histoire. C’est cette même année qui vit la naissance de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), dans un contexte financier encore fragilisé par la crise économique et financière de 1993.

En 2005, ce fut la révision de la maturité, permettant d’intégrer aux lois de financement l’ensemble des régimes obligatoires de base, de doubler l’exercice annuel d’une vision pluriannuelle ou encore détaillant l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) en sous-objectifs permettant de mieux identifier les différentes dépenses couvertes.

En 2010, ce fut une révision de circonstance fortement liée à la nécessité de transférer un montant important de dettes lié à la crise de 2008-2009 à la CADES, dont il avait fallu repousser le terme et sécuriser le processus d’amortissement en sanctuarisant un niveau de ressources adapté au montant de dette à amortir.

Ce bref rappel historique est loin d’être inutile pour comprendre les permanences et les spécificités de la révision organique qui est soumise au Parlement, un peu moins de dix ans plus tard.

Les permanences tiennent évidemment au contexte financier particulièrement difficile dans lequel se trouvent l’ensemble des finances publiques en général, et les finances sociales en particulier. Une fois encore, une crise largement exogène à la gestion de la sécurité sociale est venue accuser ses difficultés structurelles d’équilibre. Une fois encore, il n’est pas question de laisser ce surcroît de déficit et donc de dettes supporté par une Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) qui, malgré la grande qualité de sa gestion, n’est pas l’outil adapté pour faire face à ces besoins de financement inédits. Une fois encore, nous sommes amenés à repousser le terme de la CADES pour lui permettre de prendre à son compte cette dette afin de la financer dans des conditions aussi avantageuses et sûres que possible dans ces temps incertains.

Les spécificités de ce texte tiennent évidemment au contexte de cette crise d’une violence inouïe mais aussi à la manière dont ce texte aborde le problème. Tout en proposant une solution « technique » à ce problème de financement de la sécurité sociale, sans laquelle c’est le versement des prestations des Français qui pourrait être menacé, le projet de loi organique apporte sa pierre à l’amélioration du travail parlementaire autour de cette question si centrale qu’est le devenir de la sécurité sociale. Il retire un premier verrou organique tenant à l’inscription des dépenses médico-sociales au sein de l’ONDAM depuis 2005 en réduisant le nombre de sous-objectifs que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) doit présenter au Parlement. Potentiellement recentré sur les dépenses strictement « sanitaires », l’ONDAM laisserait ainsi la place à un nouvel objectif de dépenses, inévitablement lié à la cinquième branche, proposée par le projet de loi ordinaire tel qu’adopté par notre commission spéciale.

● Lors des débats en commission spéciale, chacun de ces deux volets a fait l’objet de débats approfondis et de qualité, dans lesquels ont pu apparaître des désaccords, qu’il convient ici de reproduire et d’expliciter.

Beaucoup ont tenu au concept même de « dette sociale » dont tantôt l’existence, tantôt la nécessité de son remboursement ont été contestées ; le rapporteur rappelle que si le débat sur l’origine du déficit des exercices 2020 et suivants mérite d’être posé, il ne saurait dissimuler trois faits essentiels :

– d’abord, le transfert de 136 milliards d’euros vers la CADES avec amortissement à horizon 2033 solde à la fois le passé, le présent et l’avenir ; le passé, au titre de déficits déjà constatés jusqu’à l’exercice 2019 puisque la dernière reprise a eu lieu en 2016, ainsi que d’un tiers des dettes accumulées par les établissements assurant un service public hospitalier dont les finances méritent un soulagement immédiat ; le présent et l’avenir, au titre de ce que nous pouvons évaluer à date comme étant les déficits des années 2020 à 2023 ; y distinguer ce qui relèverait assurément de la conjoncture économique – qui commande par définition l’ensemble des recettes de la sécurité sociale – et ce qui relèverait d’une « bonne » ou « mauvaise » gestion alors que, depuis 1996, c’est le Parlement qui vote le budget de la sécurité sociale en LFSS, semble au rapporteur un exercice particulièrement byzantin ;

– ensuite, la CADES a prouvé par le passé qu’elle était en mesure d’amortir des montants importants de dette en tenant ses objectifs ; la dette transférée en 2010 est ainsi en passe d’être remboursée entre 2024 et 2025, soit exactement ce qui était prévu à l’époque ; cet amortissement ne s’est pas fait au détriment des comptes de la sécurité sociale puisqu’il a été assuré au moyen de recettes spécifiques auxquelles le législateur avait spécifiquement consenti, à savoir la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et une fraction de contribution sociale généralisée (CSG). Le rapporteur s’inscrit donc en faux autant contre le procès en « insincérité » contre l’outil « CADES » que contre celui en « illégitimité » ; la Caisse est un outil efficace, en ce qu’elle témoigne par sa seule existence que la dette n’est pas un moyen « normal » de financement de la sécurité sociale, et un outil légitime, car elle repose sur un pacte très clair avec les Français ;

– enfin, l’articulation de ce volet sur la dette sociale et de celui sur l’autonomie montre, s’il en était encore besoin, que gérer l’urgence et penser l’avenir ne sont pas exclusifs l’un de l’autre – les ordonnances de 1945 portant création de la sécurité sociale l’avaient déjà prouvé ; gérer l’urgence nécessitait de prendre des mesures indispensables pour sécuriser la dette sociale ; penser l’avenir imposait d’intégrer à ces mesures les hypothèses qui se dessinaient déjà avant la crise pour les années qui viennent : si nouvelle branche ou nouveau risque il devait y avoir, fallait-il encore repousser à plus tard, alors que nous en parlons depuis presque vingt‑cinq ans, la modification de la loi organique que cela pouvait impliquer, au risque de perdre encore de précieux mois ? Alors que nous parlons depuis longtemps d’améliorer l’information des parlementaires sur les comptes de l’autonomie, fallait-il attendre un autre véhicule alors que de précieux éléments pourraient nous arriver dès la prochaine LFSS grâce à ce texte ?

La fable l’avait déjà dit : là où certains voudraient, sous des prétextes divers, toujours repousser le départ, au risque de devoir se précipiter dans quelques semaines ou quelques mois tant sur la dette que sur la perte d’autonomie, le rapporteur souhaite que le législateur organique « parte à point » en posant avec prévoyance les bases des débats législatifs à venir.


 

Article 1er
Prolongation de la durée damortissement de la dette sociale

L’article 1er modifie l’article de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, encadrant la durée de remboursement de la dette sociale, afin de :

– repousser l’extinction de cet amortissement, aujourd’hui estimé à 2024, à 2033 ;

– clarifier les modalités qui doivent empêcher tout accroissement de la durée de vie de la dette sociale en raison d’une diminution des recettes de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) ;

– préciser le type de recettes désormais affecté à la CADES.

Le présent article 1er constitue le pendant de l’article 1er du projet de loi ordinaire et organise les conditions de décalage de la date d’extinction de la dette sociale et, partant, de la CADES. Il permet également de « toiletter » l’article 4 bis de l’ordonnance de 1996 en supprimant les références au transfert exceptionnel intervenu par le biais de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2011, désormais obsolètes. De la même manière, la modernisation des recettes de la Caisse est également inscrite dans cet article.

I.   Une extension du délai de remboursement de la dette sociale

A.   Les conditions financières de la sécurité sociale imposent un délai supplémentaire pour l’extinction de la dette sociale

Le législateur organique autorise aujourd’hui plusieurs options pour faire face à un déficit soudain des branches du régime général de la sécurité sociale.

● En premier lieu, ainsi que l’a précisé le juge constitutionnel ([2]), il est loisible au législateur social financier ou, en l’occurrence, ordinaire – sans que ce point soit de nature à douter de la constitutionnalité du projet de loi ordinaire ([3]) – de procéder à un transfert de dette des régimes de base de la sécurité sociale vers la CADES, dès lors que ce transfert n’aboutit pas à faire croître la durée d’amortissement de cette dernière.

Les conditions financières actuelles des régimes de base de la sécurité sociale ne permettent toutefois pas d’envisager une telle hypothèse. Ainsi qu’il est rappelé dans les commentaires portant sur les articles du projet de loi ordinaire, les dernières prévisions de solde pour l’année 2020 font état d’un déficit de 52,2 milliards d’euros. Ce déficit, notamment dû à des recettes inférieures de 30 milliards d’euros par rapport aux précisions initiales pour l’exercice 2020, interdit donc d’accompagner le transfert de dette supplémentaire d’autres recettes. Un tel choix contreviendrait en effet directement à la jurisprudence constitutionnelle sur le sujet, aux termes de laquelle, « les lois de financement de la sécurité sociale ne pourront pas conduire, par un transfert sans compensation au profit de ladite caisse damortissement de recettes affectées aux régimes de sécurité sociale et aux organismes concourant à leur financement, à une dégradation des conditions générales de léquilibre financier de la sécurité sociale de lannée à venir » ([4]).

Ainsi qu’il est précisé dans l’étude d’impact, un transfert de recettes à la CADES impliquait donc nécessairement une augmentation des prélèvements sociaux et, partant, des prélèvements obligatoires pour compenser les pertes de recettes des régimes de base. Une telle augmentation des charges pesant sur les entreprises ou les salariés serait de nature à compromettre le rebond économique vital qui doit suivre l’épisode épidémique.

● Une autre option aurait pu être de supprimer la condition selon laquelle un nouveau transfert de dette à la CADES conduirait nécessairement à un transfert de recettes équivalent. L’abandon de cette condition impliquerait toutefois l’abandon du principe selon lequel la dette sociale, issue principalement de prestations servies aux générations actuelles, ne devrait pas porter sur les générations futures.

● Le Gouvernement a donc privilégié une voie simple et cohérente avec le transfert supplémentaire de 136 milliards d’euros à la CADES, sans affectation de recettes nouvelles : le décalage dans le temps de l’extinction de la dette sociale, pour une durée de huit ans supplémentaire par rapport à la date initialement fixée en 2011, qui était, pour rappel, 2025.

B.   Le choix de la durée supplémentaire d’amortissement

● Le choix de la date de 2033 est une conséquence directe du montant retenu, dans le cadre du projet de loi ordinaire, pour couvrir les déficits constatés en 2019, les déficits prévisionnels jusqu’en 2023 ainsi que la couverture d’un tiers des dettes contractées par les établissements de santé relevant du secteur public hospitalier.

Même si la date conventionnellement estimée par la CADES pour l’extinction de la dette sociale était, au 31 décembre 2019, le courant de l’année 2024, le législateur financier de 2011 avait prévu une durée supplémentaire ne pouvant excéder 2025. La durée supplémentaire à laquelle correspond une extension en 2033 représente donc, dans ce cas, huit ans. En vertu de cette donnée de base, l’extension supplémentaire de la durée de vie de la CADES implique un versement de 17 milliards d’euros par an. Cette durée doit par ailleurs prendre en compte la diminution de recettes affectées à la CADES à partir de 2024 par le biais d’une diminution de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) qui lui était affectée, à savoir environ 2,3 milliards d’euros.

● Compte tenu de l’ensemble de ces hypothèses, il apparaît néanmoins parfaitement crédible que la CADES soit en mesure, toutes choses égales par ailleurs, de rembourser la dette sociale – principal et intérêts – d’ici 2033. Les comptes de la CADES font en effet apparaître une augmentation progressive des produits d’exploitation, au titre desquels on peut compter les produits liés à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), à la CSG et issus du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), de 17,4 milliards d’euros en 2017 à 17,8 milliards d’euros en 2018 puis 18,4 milliards d’euros en 2019 ([5]).

Cette augmentation d’environ 3 % par an aboutirait à une recette de 19,6 milliards d’euros en 2025, après ledit transfert de CSG puis, sans changement, à 25 milliards d’euros en 2033. La somme des versements effectués entre 2025 et 2033, via l’évolution « naturelle » des ressources de la CADES, serait de 200 milliards d’euros, soit une marge de 64 milliards d’euros par rapport à la somme qui est couverte au sein du projet de loi ordinaire. Cet écart s’explique par les hypothèses de calcul prudentes retenues par le Gouvernement, à savoir une augmentation des recettes de la CSG et de la CRDS de 2 % par an et des charges financières à hauteur de 2,2 milliards d’euros par an, alors que la CADES se finance aujourd’hui à des taux particulièrement attractifs.

II.   des ajustements techniques

A.   Une simplification des recettes

● La nouvelle rédaction de l’article 4 bis de l’ordonnance n° 96‑50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale conserve le principe selon lequel le remboursement de la dette sociale doit s’appuyer sur des recettes portant sur l’ensemble des revenus des « contribuables personnes physiques ».

Cette précision implique notamment que soient intégrés dans l’assiette des ressources de la CADES – en l’occurrence la CRDS et la CSG – des prélèvements sur le capital. Cette condition est remplie par l’assiette même de la CRDS, entièrement dévolue au financement de l’amortissement de la dette sociale, ainsi que par la composition des fractions de CSG affectées à la CADES. Ainsi, depuis le 1er janvier 2016, en substitution du versement de 1,3 point des prélèvements sociaux sur les produits du patrimoine et les revenus de placement, la fraction de CSG affectée à la CADES est de :

– 0,6 % sur les revenus d’activité et de remplacement, sur les revenus du patrimoine et les produits de placement assujettis ;

– 0,3 % sur les gains de jeux.

● Le présent article simplifie toutefois le renvoi aux recettes de la CADES, en prévoyant que tout nouveau transfert de dette s’accompagne d’une augmentation des recettes, décrites dans le deuxième alinéa.

Celles-ci se composent, outre le produit des impositions de toute nature, des prélèvements portant sur les fonds de mise en réserve à destination des régimes obligatoires de base. Il s’agit du versement annuel effectué par le FRR au titre de la couverture des déficits de la branche vieillesse, à hauteur de 2,1 milliards d’euros depuis 2011 et prolongés par le projet de loi ordinaire relatif à la dette sociale et à l’autonomie jusqu’en 2033, à raison d’un versement de 1,45 milliard d’euros à partir de 2024.

● La nouvelle rédaction du même article 4 bis reprend également les modalités actuelles d’information du Parlement, par le biais de l’annexe 8 du PLFSS. Présentée chaque année, cette annexe retrace les comptes pour le dernier exercice clos ainsi que pour les comptes prévisionnels des trois années suivantes, pour les organismes gérant les régimes obligatoires de base ainsi que ceux qui concourent à l’amortissement de leur dette, en l’occurrence, la Cades. Les informations contenues dans cette annexe s’appuient eux-mêmes sur la présentation par la Caisse de ses estimations, notamment quant au respect de la durée organique d’amortissement.

B.   l’abrogation des dispositions oBsolètes

● Le « toilettage » de l’article 4 bis passe également par la suppression des dispositions renvoyant à la LFSS 2011, désormais sans objet. La LFSS 2016 ([6]) a en effet prévu le transfert définitif des déficits prévisionnels intégrés dans le champ prévu initialement par le législateur financier social. Même si la somme transférée en 2011, à savoir 130 milliards d’euros, n’a pas encore été entièrement amortie, les dérogations introduites en 2011 – possibilité pour le législateur financier de déroger de quatre ans à la date initialement introduite, augmentation potentielle des recettes sur les produits de placement pour accompagner le transfert, conséquences d’un éventuel accroissement des impositions de toute nature affectées à la Caisse d’amortissement de la dette sociale supérieur à 10 % des prévisions initiales – n’ont aujourd’hui plus lieu d’être.


–  1  –

Article 2
Modification du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale en matière dinformation du Parlement et de mesures relatives à la dette

L’article 2 modifie le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale en vue d’assurer :

– une définition plus large des dispositions relatives à la dette que peut contenir la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), notamment pour permettre la prise en charge de la dette des hôpitaux via l’assurance maladie ;

– une meilleure information du Parlement sur les dépenses en matière de dépendance, en créant un sous-objectif dédié et documenté par une nouvelle annexe remettant en perspective l’ensemble de l’effort national en la matière (sécurité sociale, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et collectivités territoriales).

L’article 2 propose de modifier le contenu des lois de financement de la sécurité sociale, fixé par l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, ainsi que celui de ses annexes, fixé par l’article L.O. 111-4 du même code, en poursuivant deux objectifs assez distincts :

– un « toilettage » des dispositions relatives à la dette sociale, dans la perspective des transferts à venir ;

– une amélioration de l’information relative à la dépendance cohérente avec la réflexion sur une cinquième branche de la sécurité sociale portée par l’article 4 du projet de loi ordinaire.

I.   Une meilleure dÉfinition des dispositions relatives À la dette en loi de financement de la sÉcuritÉ SOCIALE

● Parmi les dispositions qui ont leur place en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) figurent les dispositions « relatives au transfert, à lamortissement et aux conditions de financement de lamortissement de la dette des régimes obligatoires de base, et relatives à la mise en réserve des recettes au profit des régimes obligatoires de base et à lutilisation de ces réserves, à la condition que ces dernières opérations aient une incidence sur les recettes de lannée ou, si elles ont également une incidence sur les recettes des années ultérieures, que ces opérations présentent un caractère permanent » (5° du B du V de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale).

Sous cette formulation complexe se dessinent ainsi trois sous-catégories de mesures relevant d’une LFSS :

– des mesures relatives à la dette « sociale » entendue au sens restrictif des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS), de trois natures :

– des mesures relatives à la mise en réserve de recettes, ainsi que leur utilisation, au profit des régimes obligatoires de base à condition qu’elles aient une incidence sur les recettes de l’année ou qu’elles présentent un caractère permanent ;

Ces dernières mesures relatives aux réserves ont trouvé peu de terrains d’application depuis leur intégration dans le champ des LFSS en 2005, à l’exception de l’affectation de la fin des recettes du Fonds de réserve pour les retraites en LFSS 2011, la sécurité sociale ayant été continuellement en déficit depuis cette date.

Les LFSS étant par construction un exercice récurrent, le législateur organique a assorti « ces dernières opérations » d’une condition de rattachement à l’exercice concerné, sans que l’on identifie à la seule lecture du texte s’il s’agit des seules mesures de réserves ou de tout ou partie des mesures en matière de dette, comme pour les mesures relatives aux recettes visées au 1° et au 2°du même B. Elles ne sont ainsi conformes au champ des LFSS qu’à condition d’avoir un effet sur les recettes de l’année à venir ou un caractère permanent.

Il est donc possible de prévoir ces mesures à condition qu’elles aient une incidence sur les recettes de l’année N+1 ou qu’elles entrent en vigueur de manière pérenne à compter de N+2, N+3... La notion de permanence s’agissant d’amortissement d’une dette qui a vocation à disparaître ou de réserves qui finiront bien un jour par être décaissées mérite d’être précisée, d’autant que le juge constitutionnel n’a pas été amené à la faire sur ce dispositif précis : une mesure de transfert de dette ou de mise en réserve des recettes pourrait être qualifiée de « permanente » si le législateur n’a pas prévu son terme dans le dispositif, dans une conception relativement souple des règles organiques. Dans une acception plus stricte, ces mêmes dispositions pourraient faire obstacle à des transferts ponctuels et « programmés » plusieurs années à l’avance, pour la couverture de déficits prévus dans plusieurs exercices.

La pratique a montré que c’est davantage la première interprétation qui a été retenue, la condition de rattachement à l’exercice n’ayant doublement pas à s’appliquer, d’une part, parce que ces conditions ne s’appliquent vraisemblablement qu’« aux dernières opérations », soit celles en matière de réserves et non de dette, et, d’autre part, parce qu’à supposer qu’elles s’y appliquent, les transferts ont par construction un caractère « permanent ».

● Le du I modifie la rédaction de ces dispositions en écartant la notion de « transfert » au profit d’un champ élargi à « toute mesure ayant un effet sur la dette ». Pour subtile qu’elle puisse paraître, cette reformulation semble viser une hypothèse bien particulière : celle du transfert de la dette des hôpitaux relevant du service public hospitalier à la CADES.

La dette des établissements de santé, gérée en propre par ces derniers qui en sont en principe responsables, ne saurait en effet être considérée comme la dette des régimes obligatoires au sens de l’article. Certes, le financement des hôpitaux est largement le fait de l’assurance maladie, mais les déficits et donc la dette des établissements ne sont pas intégrés au compte de celle-ci.

En l’état, l’article L.O 111-3 n’autorisait pas que puisse être organisée en LFSS l’opération prévue à l’article 1er du projet de loi ordinaire consistant à faire assurer :

– par la CADES une reprise de dette de l’assurance maladie ;

– par l’assurance maladie une reprise de la dette des hôpitaux.

En effet, l’étude d’impact du Gouvernement estime que « cette disposition ne permet pas au législateur financier dorganiser symétriquement le transfert de dettes vers les organismes de sécurité sociale » ([9]). Le Gouvernement semble en effet douter que la rédaction actuelle couvre une opération ayant des effets sur la situation patrimoniale de la branche maladie, mais aucun effet sur ses recettes et sur ses dépenses.

En permettant une mesure « ayant un effet » sur la dette de la branche « maladie » du régime général, la modification permet ainsi d’assurer d’organiser ce transfert au sein des LFSS.

Pour nécessaire qu’elle soit, cette modification relativement circonstancielle appelle deux remarques du rapporteur, les occasions de retoucher le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale restant plutôt rares :

– le texte n’améliore pas la lecture, parfois difficile, de l’article L.O 111-3, au moins sur deux points :

– il ne pose pas plus largement la question du bien‑fondé des règles relatives au rattachement à l’exercice de certaines mesures, empêchant de ce fait la programmation de certaines mesures ponctuelles, alors que l’avenir des LFSS réside probablement dans la pluriannualité.

II.   l’article 2 permettra d’améliorer L’information sur la dépendance en loi de financement, aujourd’hui fragmentée et lacunaire

A.   La dépendance en lfss aujourd’hui : Une information parcellaire et limitée

1.   Une information limitée : une présentation comme sous-objectifs de l’ONDAM

Les dépenses dans le secteur de la dépendance des personnes âgées et des personnes handicapées sont présentées au sein de la LFSS comme deux des six sous-objectifs de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

Les six sous-objectifs de l’ONDAM

La loi organique du 2 août 2005 a décliné l’ONDAM en sous-objectifs, qui ne peuvent être inférieurs à cinq. L’ONDAM actuel, après la création du sous-objectif relatif au Fonds d’intervention régional en 2014 et le regroupement des sous-objectifs « établissements de santé tarifés à l’activité » et « autres dépenses relatives aux établissements de santé » en 2017, en compte six, dont deux concernent le champ de la dépendance :

– dépenses de soins de ville ;

– dépenses relatives aux établissements de santé ;

 contribution de lassurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes âgées ;

 contribution de lassurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes handicapées ;

– dépenses relatives au Fonds d’intervention régional ;

– autres prises en charge.

Dans les prévisions de la LFSS 2020, aujourd’hui un peu dépassées, les deux contributions représentaient 21,7 milliards d’euros sur 205,6 milliards d’euros au sein de l’ONDAM, soit 10,6 % de l’ensemble.

À ce titre, elles font l’objet de comptes arrêtés pour l’exercice clos et de prévisions, à la centaine de millions d’euros près, pour l’exercice en cours au sein des articles spécifiques au vote des ONDAM pour les années N-1, N et N+1.

Les annexes apportent également leur lot d’informations complémentaires :

– l’annexe 7, qui documente les niveaux de l’ONDAM, apporte quelques précisions sur les déterminants quant aux prévisions de dépenses :

– l’annexe 8 contient une « fiche » de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), au même titre que tous les autres organismes financés par l’assurance maladie ; cette fiche permet notamment d’identifier les produits et charges de N-2 à N+1 et d’identifier les dépenses des différentes sections de la Caisse ;

– le programme de qualité et d’efficience (PQE) « invalidité et dispositifs gérés par la CNSA » annexé à la LFSS permet d’avoir une idée plus précise, au regard d’indicateurs notamment, sur un champ plus large que la sécurité sociale, mais n’apporte d’information que sur le dernier exercice clos (N-1 si N est l’année durant laquelle le PLFSS est examiné).

2.   Une information parcellaire : l’absence d’évaluation globale de la dépense publique en la matière

Si la qualité intrinsèque de l’information mise à disposition pourrait probablement être améliorée, son absence d’exhaustivité est quant à elle intrinsèquement problématique.

En effet, ni les sommes versées au titre des sous-ONDAM précités, ni les comptes de la CNSA ne reflètent fidèlement l’effort de financement en faveur de la dépendance, qui mérite d’être consolidé avec les dépenses des collectivités territoriales qui assurent aujourd’hui, hors transferts de la CNSA, environ 20 % des dépenses de compensation de la perte d’autonomie, soit plus que la sécurité sociale (17 %) ([10]).

Si l’objectif global des dépenses (OGD), qui regroupe l’ensemble des financements nationaux (dépenses couvertes par les contributions de l’assurance maladie et les ressources propres de la CNSA), constitue un premier aperçu, force est de constater :

– qu’il n’est pas un objet de débat public au même titre que l’ONDAM ;

– qu’il ne fait l’objet d’aucun vote consolidé en LFSS ;

– qu’il n’intègre pas les dépenses des conseils départementaux.

B.   L’article 2 propose de rationaliser et d’approfondir l’information mise à la disposition du parlement

1.   Une rationalisation de la présentation de l’ONDAM, dans la perspective de la création d’une nouvelle branche

Le du I réduit de cinq à trois le nombre minimal de « sous-ONDAM » que doit contenir l’ONDAM.

Maintenues en l’état, ces dispositions organiques auraient en effet, sinon fait obstacle, au moins entraîné des conséquences absurdes en cas de création d’une cinquième branche, dotée de son propre objectif de dépenses : privé de ses contributions médico-sociales « handicap » et « personnes âgées », l’ONDAM aurait donc perdu deux de ses objectifs, et aurait dû en « réinventer » un pour atteindre les cinq sous-objectifs minimaux fixés par la loi organique.

Avec trois sous-objectifs, l’ONDAM aurait ainsi une « marge » en cas de réorganisation ultérieure, d’une part par la création de la cinquième branche, mais aussi, d’autre part, si on souhaitait revoir sa présentation dans le strict champ « sanitaire ».

2.   Une nouvelle annexe dédiée à la dépendance

● Le du II crée une nouvelle annexe « 7 bis » présentant pour les trois exercices visés par la LFSS (N-1, N et N+1 quand N est l’année en cours) :

– les dépenses (pour N-1) et prévisions de dépenses (pour N et N+1) relatives à la prise en charge de l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

– l’analyse de l’évolution des prestations financées ;

– l’évolution de la dépense nationale contre la perte d’autonomie :

– les modes de prise en charge de cette dépense.

Une telle annexe préfigure fortement les contours d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche pour la sécurité sociale ([11]) puisqu’elle contiendrait l’amorce d’un objectif de dépenses, tel qu’il existe pour les autres branches et entre les branches maladie et AT-MP sur l’ONDAM.

Indépendamment de cette perspective, elle constituerait probablement une source d’informations enrichie par rapport à ce qui existe déjà :

– il y a tout d’abord fort à parier que cette annexe « autonome » sera plus riche, plus facile de lecture et plus complète que les fragments disséminés dans différentes annexes de la loi de financement ;

– elle ouvre un champ plus large :

Le rapporteur salue cette première étape importante, en espérant qu’elle débouchera rapidement sur une initiative, législative cette fois, ambitieuse pour ce nouveau risque ou cette nouvelle branche.

Mais puisque le Parlement est saisi dans le présent article de la création d’une nouvelle annexe, si bienvenue soit-elle, il ne peut que rappeler ici les conditions d’examen des annexes de la LFSS à l’Assemblée nationale : déposées au plus tard le 15 octobre, elles arrivent souvent sur le bureau des parlementaires alors que le délai de dépôt des amendements en commission est déjà passé, et bien souvent au moment où la discussion des articles a déjà commencé. Cet enrichissement des documents à la disposition du Parlement ne saurait donc faire l’économie d’une réflexion sur le calendrier de leur examen par les parlementaires, sauf à faire l’hypothèse que ces annexes auront de toute façon vocation à être lues après le vote en première lecture de la loi.

● L’ensemble de l’information utile ayant vocation à figurer dans cette nouvelle annexe, le du II supprime la référence aux « objectifs dengagement inscrits pour lannée à venir pour les établissements et services médicosociaux » au sein de l’annexe 7 consacrée à l’ONDAM.

● Le projet de loi n’ayant pas fixé de date d’entrée en vigueur pour ces dispositions, elles pourraient s’appliquer dès la prochaine LFSS pour 2021.

 

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de ses réunions du 8 juin 2020, la commission spéciale procède dabord à laudition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Alors qu’il y a encore quelques mois, nous attendions le fameux retour à l’équilibre de nos comptes sociaux, la disparition de la fameuse dette de la sécurité sociale, que nous étions même sur le point de fermer la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) après vingt-huit ans d’existence, la crise marque un tournant et la reconstitution, au moins temporaire, de déficits importants. Comme vous, je le regrette. Il est encore proche le temps où, comme rapporteur général de la commission des affaires sociales, j’avais œuvré à ce retour à l’équilibre.

Pourquoi une reprise de dette maintenant ? Parce qu’il est indispensable d’assurer le financement de la sécurité sociale. La trésorerie de la sécurité sociale est gérée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) avec une contrainte sur la maturité des emprunts qui ne peuvent excéder douze mois. Cette trésorerie, grevée par 30 milliards d’euros de déficit passé, a été soumise à de très fortes tensions du fait des mesures instaurées pendant la crise.

Pourquoi la CADES ? La question du cantonnement de la dette créée par la crise du covid-19 à la sécurité sociale est une vraie question dont les économistes débattent à juste titre et pour laquelle l’échelon approprié est probablement européen. Mais il faut agir vite, et à ce stade la solution défendue dans ce projet de loi est la meilleure qui soit. C’est aussi respecter les principes de 1996 selon lesquels la dette sociale est gérée vertueusement et apurée au principal. Dans ce contexte d’urgence, il n’est pas bon de revenir sur les principes, ce qui ne devra pas nous empêcher d’en faire le bilan.

Pourquoi 136 milliards d’euros ? Seul un transfert important peut permettre à la CADES des placements à horizon long, ceux qui sont les plus sécurisants. Seule cette reprise nous protégera contre le risque de devoir décaler un jour le paiement des prestations par manque de financement. Et ne perdons pas de vue que l’hôpital, mis à assez rude épreuve ces dernières semaines et ces derniers mois, trouvera dans cette reprise de dette de l’air, de la visibilité, sans préjuger des conclusions prochaines du « Ségur de la santé ». Enfin, même en cas de rebond de l’économie, les déficits à venir sont inéluctables. Ce que propose ce texte, c’est une opération de bonne gestion de la sécurité sociale dans une période difficile. Concrètement, cela veut dire que nous devons prolonger la durée pendant laquelle nous mobilisons des recettes pour rembourser la dette pour neuf années supplémentaires, de 2024 à 2033. C’est un acte de responsabilité pour ne pas laisser notre système social s’endetter sans limite, et en garantir la pérennité pour nos enfants. Mais à l’occasion de cet engagement, nous posons la première pierre d’une réforme très attendue et maintes fois annoncée par le passé : celui de la perte d’autonomie.

Le texte prépare la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale pour couvrir nos concitoyens contre le risque de perte d’autonomie, sachant qu’en 2040 près de 15 % des Français, soit 10,6 millions de personnes, auront 75 ans ou plus, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. La création d’une cinquième branche est probablement la plus belle chose que puisse annoncer un ministre des solidarités et de la santé.

Nous sommes tous attachés à la sécurité sociale parce que c’est un trésor national. Pendant cette crise épidémique, la sécurité sociale aura joué son rôle plein et entier d’amortisseur. Face aux incertitudes de l’avenir, la protection sociale est plus que jamais un cadre de référence et de stabilité. Il faut s’armer pour affronter le présent et l’avenir, sinon avec optimisme au moins avec confiance. Depuis trop longtemps, nous sommes un peu comme le funambule sur la corde raide à osciller entre d’un côté des contraintes budgétaires qui limitent nos marges de manœuvre et de l’autre des risques nouveaux qui apparaissent dans des proportions massives. Ce projet de loi porte l’ambition d’augmenter ces marges de manœuvre et de regarder en face la société française dans ce qu’elle est devenue, et dans ce qu’elle est tout court. Ce texte peut sembler technique, mais en réalité il est audacieux et responsable, c’est-à-dire réaliste dans les objectifs qu’il fixe et exigeant dans les enjeux immenses qu’il affronte.

M. Paul Christophe, rapporteur pour le projet de loi organique. Monsieur le ministre, vous proposez de repousser le plafond de l’extinction de la dette sociale à 2033, soit huit ans après la date prévue lors du dernier transfert de dettes. Ce nouveau report pourrait donner l’impression d’une dette sociale que l’on ne parviendrait jamais à rembourser. Je souhaite m’inscrire en faux contre cette idée. La gestion de la crise épidémique nous a placés dans une situation impossible et il est juste que les finances sociales prennent toute leur part dans la résilience de notre pays. Nous devrions d’ailleurs collectivement nous réjouir de la solidité tant de l’ACOSS que de la CADES qui ont permis au régime de base de la sécurité sociale de continuer à assurer leur service public de versement des prestations.

Dans la perspective d’un retour plus rapide qu’anticipé à l’équilibre des finances sociales dans les années qui viennent, pouvez-vous nous confirmer que la date de 2033 n’est bien qu’un plafond et que si les conditions financières de la sécurité sociale nous le permettent, nous pourrons anticiper l’extinction de la dette sociale, libérant ainsi plus tôt que prévu des ressources affectées à son amortissement ?

La consécration actuelle ou après la concertation en cours d’une cinquième branche au sens propre – création inédite depuis 1945 – pourra s’appuyer sur une nouvelle annexe retraçant l’effort de la nation en faveur de l’aide à l’autonomie sur les exercices passés, présents et futurs. Comment pensez-vous qu’il soit possible d’éclairer au mieux les parlementaires que nous sommes, et à travers nous les citoyens à ce sujet ? Pouvez-vous nous assurer que l’annexe sera transmise aux parlementaires dans un délai compatible avec l’examen du projet de loi ? Compte tenu de la complexité du financement dans le champ de l’autonomie, les dépenses consacrées aux personnes âgées dépendantes ou pour les personnes en situation de handicap devront être distinguées et précisément identifiées dans des sous-objectifs de la nouvelle branche.

S’agissant plus généralement du cadre organique que nous nous aménageons en vue de ce double enjeu de la dette et de l’autonomie, envisagez-vous que nous remettions l’ouvrage organique sur le métier bientôt ? Je pense notamment aux conséquences à tirer du rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), présidé par Dominique Libault, pour améliorer l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) intégrant le champ des dépenses des régimes complémentaires de retraite ou d’assurance chômage pour permettre une vue globale sur l’ensemble des dépenses.

M. Thomas Mesnier, rapporteur pour le projet de loi ordinaire. J’aborderai un certain nombre de points avec ma double « casquette » de rapporteur du projet de loi ordinaire et de rapporteur général de la commission des affaires sociales, mission que vous connaissez bien, monsieur le ministre.

À hauteur de 136 milliards d’euros, le montant de la reprise de la dette est historique. La seule comparaison possible nous renvoie à la crise de 2008 qui s’était soldée par une reprise de 130 milliards d’euros. Elle se compose d’un montant de 31 milliards d’euros pour solde de tout compte, si j’ose dire, concernant les déficits portés par l’ACOSS jusqu’en 2019. De la même manière, la reprise du tiers de la dette des établissements assurant un service public hospitalier est évaluée à 13 milliards d’euros. La majeure partie de la dette est donc composée de 92 milliards d’euros pour la couverture des déficits prévisionnels jusqu’en 2023. Le ministre de l’action et des comptes publics a annoncé devant l’Assemblée nationale un déficit des comptes sociaux à hauteur de 52,2 milliards d’euros pour l’année 2020, en hausse de 10 milliards d’euros par rapport aux prévisions sur lesquelles se fonde le projet de loi. Ces 10 milliards supplémentaires peuvent-ils être de nature à modifier le montant des prévisions de couverture des déficits futurs jusqu’en 2023 ?

Vous menez les travaux du « Ségur de la santé » en vue d’améliorer les conditions de travail des soignants et la modernisation de l’équipement de nos hôpitaux publics. Les mesures qui seront prises à l’issue de cette concertation appelleront vraisemblablement un financement supplémentaire de la sécurité sociale. Ces mesures sont-elles intégrées au moins de manière conventionnelle dans l’hypothèse de solde que vous avez retenue pour la période 2020-2023 ? Serez-vous en mesure de nous en présenter le détail lors de l’examen du prochain PLFSS ?

Le plan d’urgence pour l’hôpital public prévoyait dès le mois de novembre une reprise d’un tiers de la dette des établissements publics hospitaliers. Cette reprise, inscrite ici à hauteur de 13 milliards d’euros, offrira un bol d’air aux finances de nos établissements. C’est un enjeu crucial pour leur modernisation et les futurs enjeux de santé publique. Quels doivent être les critères qui présideront à la répartition de cette reprise entre les hôpitaux eux-mêmes afin que celle-ci soit la plus juste possible ?

L’autre enjeu de ce texte, c’est bien sûr la question de la création d’une cinquième branche en faveur de la prise en charge de l’autonomie. Vous proposez la remise d’un rapport d’ici au mois de septembre, en lien avec une concertation avec les partenaires sociaux afin d’évaluer l’opportunité de la création d’une nouvelle branche ou d’un nouveau risque. La réflexion sur la création de cette branche doit-elle emporter une réflexion nouvelle sur le champ des recettes affectées à la prise en charge de l’autonomie ?

Le projet de loi augmente déjà significativement l’effort de nos finances publiques en faveur de l’autonomie, avec 2,3 milliards d’euros par an à partir de 2024. Cet investissement en direction de nos aînés et des personnes handicapées témoigne de l’attention du Gouvernement à ce sujet après la concertation « Grand âge et autonomie » menée par Dominique Libault. Nous sommes nombreux ici à être particulièrement attachés à une prise en charge adéquate des plus fragiles d’entre nous. Quels sont les postes de dépenses auxquels pourrait être prioritairement affectée la recette supplémentaire que vous proposez ?

Ce texte est porteur d’équilibres financiers délicats tant en ce qui concerne le montant de la dette qui est transféré que l’évolution des recettes affectées à son remboursement. En tant que rapporteur général de la commission des affaires sociales, j’aurai à cœur de préserver ces équilibres afin de n’obérer ni notre capacité à investir aujourd’hui dans notre protection sociale, ni celle des générations futures.

Mme Stella Dupont. La crise sanitaire a mis notre système de sécurité sociale à rude épreuve, mais elle a également démontré sa forte capacité d’adaptation. Toutefois plusieurs failles ont été amplifiées en ce qui concerne les moyens matériels et humains. En effet, la sécurité sociale a été, aux côtés de l’État, en première ligne pour soigner et accompagner les Françaises et les Français touchés de plein fouet par cette crise. Je pense avant tout à la mobilisation générale des professionnels du soin et de l’accompagnement en établissement, en ville, à domicile, et à l’ensemble des organisations sanitaires, médico-sociales et sociales de notre pays. Je souhaite, en notre nom à tous, remercier toutes celles et tous ceux qui nous soignent et nous protègent au quotidien.

L’activité partielle pour plus de 10 millions de salariés et le report d’échéances de cotisations ont permis de limiter significativement les effets dommageables de la crise pour les Français et pour les entreprises. Mais moins de recettes et plus de dépenses conduisent mécaniquement à un creusement du déficit de la sécurité sociale porté, selon les estimations, à 52 milliards d’euros en 2020, donc à une aggravation de son niveau de dette. L’objectif d’équilibre de la sécurité sociale à moyen terme est un principe cardinal des finances publiques et son respect est garanti par la CADES dont l’extinction est à ce jour prévue au 31 décembre 2024.

Le transfert d’une dette supplémentaire d’un montant de 136 milliards d’euros à la CADES permettra de redonner à l’ACOSS des marges de manœuvre dans la gestion de la trésorerie de la sécurité sociale, La contrepartie de ce nouveau transfert est l’allongement de la durée jusqu’au 31 décembre 2033.

La crise sanitaire a également mis en exergue une problématique identifiée de longue date, celle des moyens dévolus aux politiques de santé du grand âge et de la perte d’autonomie. Elle doit être posée dès maintenant dans la perspective du « Ségur de la santé » et d’une réforme en profondeur du secteur du grand âge et de l’autonomie.

Nos aînés ont été particulièrement touchés par la crise sanitaire en tant que public fragile. Ils ont souffert non seulement directement du virus, mais aussi de l’isolement qui leur a été imposé. Les personnes âgées demandent une pluralité d’accompagnement et de prise en charge pour leur permettre d’adapter leur choix de vie à leur perte d’autonomie.

Face à ce phénomène, les professionnels de ce secteur sont en souffrance. Ils sont en nombre insuffisant et ces métiers sont souvent mal payés avec des horaires très contraignants, difficiles tant physiquement que psychologiquement. Nous connaissons cette réalité par notre ancrage sur le terrain. Il nest plus possible dattendre. Nous devons collectivement trouver des solutions pour répondre à ce secteur dont la demande est légitime et urgente. Comment organiser au niveau de la solidarité nationale la prise en charge de la perte dautonomie et la dépendance des personnes âgées ? Comment accorder un financement suffisant à cette priorité, aujourdhui sous-financée ? Les deux projets de loi ont pour ambition de répondre à ces questions.

La création d’une cinquième branche de la sécurité sociale, explicitement dédiée à la perte d’autonomie et à la dépendance des personnes âgées, est une priorité et son esquisse dans les textes représente une avancée considérable, historique même, que je salue au nom du groupe La République en Marche et à titre personnel. Seule cette nouvelle branche permettra une lisibilité suffisante à une vraie politique en la matière. Il nous importe à ce titre d’acter dès maintenant dans la loi la création d’une cinquième branche. Cette cinquième branche n’apportera une réponse à la question de la dépendance que si elle est dotée de moyens suffisants. C’est pourquoi l’affectation d’une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) à cette branche prévue par le texte à partir de 2024 est nécessaire.

D’ici à 2024, et parce que le financement de cette politique publique prioritaire pour la majorité parlementaire ne peut plus attendre, les modalités de financement de cette cinquième branche seront au cœur des débats de l’automne budgétaire 2020. La majorité s’engage à y veiller fermement et demande d’ores et déjà au Gouvernement de préciser ses intentions en termes d’ambition politique, budgétaire et de calendrier.

Ces textes témoignent de la volonté du Gouvernement d’assurer la soutenabilité de notre système de sécurité sociale et de répondre à la question plus qu’urgente de la prise en charge de la perte d’autonomie et de la dépendance. Nous soutenons cette proposition avec engagement et exigence.

M. Bernard Perrut. Conçu en 1945, dans une période difficile, notre système de protection sociale a toujours su s’adapter aux réalités du temps et faire face aux exigences d’un financement qui n’a qu’un seul but : accompagner chacun dans les étapes de sa vie.

La crise sanitaire a un lourd impact sur les finances sociales, avec une forte détérioration de la masse salariale qui constitue la principale assiette des contributions sociales, et en raison des reports de paiement des cotisations sociales qui sont indispensables pour soutenir les entreprises en difficulté. Dans le même temps, la crise a conduit à une augmentation des dépenses de l’assurance maladie. L’ACOSS doit faire face à un financement supplémentaire important qui va s’accroître encore dans les années qui viennent, avec une augmentation de la dette des régimes obligatoires.

Vous proposez que la dette présente et à venir soit amortie par la CADES, dont la capacité à emprunter dans des bonnes conditions sur les marchés est connue. On peut toutefois sinterroger sur la sincérité budgétaire puisque la date de 2033 repose sur des hypothèses macroéconomiques fragiles dans un contexte bien incertain. Personne ne peut prédire quel sera, dans les années à venir, létat du marché du travail et des cotisations. On peut aussi sinterroger, comme vous lavez fait, monsieur le ministre, lorsque vous étiez rapporteur général, sur le manque de compensations dues par lÉtat à la sécurité sociale, celles du coût de la désocialisation des heures supplémentaires à laquelle nous sommes favorables comme des mesures durgence économique et sociale, dites mesures « gilets jaunes ». Alors que les branches de la sécurité sociale ont fait des efforts sans précédent pour redresser les comptes, le Gouvernement nen tient pas compte et ne prend aucun engagement quant à des économies sur le budget de lÉtat. Il fait donc reposer une part massive de la dette sur la CADES.

La reprise de la dette des hôpitaux ne devrait-elle pas être assumée par l’État plutôt que financée par la CADES, donc par les contributions des Français ? Son transfert pourrait faire au moins l’objet d’un débat plus large sur une réforme globale du financement des établissements de santé. Comment ne pas craindre que les dettes d’autres structures puissent par la suite être mises sous le tapis de la même manière ?

Vous ne prévoyez le financement de la dépendance qu’en 2024, comme si les besoins n’étaient pas urgents. Il est basé sur une réduction de la part de CSG affectée à la CADES plutôt que sur une part accrue de CSG dédiée à ce sujet. Ne faut-il pas un financement beaucoup plus ambitieux ?

Pouvez-vous nous donner une vision claire de cette cinquième branche ? Vous prévoyez dans la loi organique l’adaptation des PLFSS pour suivre la dépendance, tandis qu’avec l’article 4 de la loi ordinaire vous renvoyez cela à un rapport ultérieur au Parlement. N’y a-t-il pas un problème de méthode ?

Vous proposez de discuter des financements de manière dispersée : maintenant, plus tard dans le PLFSS, puis dans la loi sur la dépendance. Nous voulons connaître et discuter d’un projet dépendance dont nous connaîtrions véritablement les objectifs, les moyens, le calendrier. Nous souhaitons que le financement de la dépendance débute dès 2021 sans attendre 2 024 et soit à la hauteur de l’enjeu, nous voulons que l’État assume la compensation des exonérations, des allégements de cotisations et/ou de la reprise de la dette des hôpitaux. À défaut, nous proposons que soit envisagé un remboursement de la dette sociale sur une durée plus longue, jusqu’à 2034, afin de pouvoir assurer de 2021 à 2024 le financement de la dépendance qui pèsera tôt ou tard sur les finances sociales. Si ces demandes ne sont pas prises en compte, les deux textes de loi ressembleront plus à un chèque en blanc fondé sur de la dette plutôt que sur un plan de financement sérieux, tant dans son calendrier que dans son ambition. Nous ne pourrions alors pas vous suivre, d’autant que la cinquième branche apparaît comme un choix sans que d’autres options soit discutées dans le cadre de cette loi organique. L’ajout d’une cinquième branche aux quatre branches de la sécurité sociale mérite le débat. On voit la distinction assez artificielle entre maladie et dépendance induite par la création d’un cinquième risque, et on sait que la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a permis d’extérioriser la gestion du risque sans problème majeur au niveau national.

Quant aux besoins de financement supplémentaire, ils s’élèvent à 4,5 milliards d’euros pour aller jusqu’à plus de 9 milliards d’euros en 2030, cela s’ajoutant aux 30 milliards que représente actuellement le financement de la dépendance – de l’autonomie devrais-je dire plus justement car cette période de la vie doit être considérée de manière positive. Le parcours de nos aînés mérite d’être valorisé dans le respect de chacun, tant à travers l’accueil en établissement que le maintien à domicile. Je suis convaincu que vous entendez les attentes des familles, notamment sur la question du reste à charge et celles des personnels. Toutes ces attentes doivent être prises en compte le plus rapidement possible. C’est un véritable défi que nous devons relever.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Les projets de loi organique et ordinaire traitent de sujets éminemment importants pour l’avenir à court, moyen et long termes de notre système de sécurité sociale. À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles, moyens financiers exceptionnels, dette exceptionnelle à financer.

Nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité de procéder au transfert de 136 milliards d’euros à la CADES et d’acter de fait la prolongation de sa durée jusqu’en 2033. Ces montants colossaux montrent à quel point la crise sanitaire a mis à mal les comptes de la nation, et plus particulièrement les comptes sociaux. Néanmoins, l’accroissement des dépenses qui engendre le creusement de la dette sociale est indispensable, et a permis de maintenir à flot notre système de santé et notre système social sollicités de manière inédite dans l’histoire de notre pays. Cette reprise de dette va nous permettre de couvrir les déficits passés et à venir de la sécurité sociale générés par la crise, mais aussi de concrétiser l’engagement du Gouvernement de prendre à sa charge une partie de la dette des établissements de santé. Nous nous félicitons que cette mesure figure dans le projet de loi ordinaire. Toutefois, les modalités d’utilisation des 13 milliards d’euros prévus, notamment en matière d’échéancier, doivent être précisées.

Si ces textes présentent un aspect très technique et financier, ils contiennent des mesures d’une grande humanité qui ouvrent la voie à une réforme que nous attendons tous sur l’accompagnement du grand âge et ils traduisent la volonté du Gouvernement de mener les travaux conduisant à la création d’un risque spécifique lié à la perte d’autonomie.

Le groupe du Mouvement Démocrate salue ainsi les mesures visant à renforcer linformation du Gouvernement sur les moyens alloués à la prise en charge de la perte dautonomie via la création dune annexe spécifique dans le PLFSS, daffecter un financement dédié à la prise en charge de la perte dautonomie dès 2024, danticiper les conséquences de la création dune cinquième branche de la sécurité sociale pour les futurs PLFSS. Nous nous réjouissons de ces mesures, mais ne pourrait-on pas aller encore un peu plus loin ?

La crise a permis de révéler les faiblesses et les fragilités de notre société et de notre système. Nous avons tous constaté que ce sont les personnes âgées et l’ensemble des personnels et des structures qui sont à leur service qui ont été le plus touchés. L’épisode que nous traversons doit permettre à la représentation nationale de compléter ce qui n’a pu être fait par nos prédécesseurs en 1945. Il est vrai qu’à l’époque l’espérance de vie étant de 67 ans, la prise en charge du grand âge ne se posait pas. Nous le savons, il est toujours difficile de réformer en période calme. Cette crise donne le devoir à notre génération de créer cette cinquième branche. Je suis heureux qu’on puisse le faire aujourd’hui. Je formule le vœu que, comme cela fut le cas en 1945 avec le Conseil national de la Résistance, qui représentait l’ensemble des groupes, des communistes aux gaullistes, cette commission adopte à l’unanimité les amendements visant à prendre acte de la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée exclusivement à la prise en charge de la perte d’autonomie. Nous devons adresser dès à présent un signal fort et accélérer ensuite son déploiement. Il ressort des auditions un consensus pour la mise en œuvre d’une branche spécifique, condition sine qua non pour l’organisation de l’environnement, la prévention d’autonomie et la prise en charge de la dépendance.

Pouvez-vous présenter la stratégie du Gouvernement, nous confirmer qu’un projet de loi spécifique est prévu et indiquer le calendrier de son examen ? Il est important de disposer d’une feuille de route claire et précise pour satisfaire l’ambition que nous partageons tous de mieux prévenir l’autonomie et accompagner la dépendance. Sachez que vous pourrez compter sur les parlementaires du groupe du MoDem qui se sont investis et souhaitent continuer à s’investir à vos côtés dans cette réforme qui ne peut plus être retardée.

M. Boris Vallaud. Nous engageons l’examen de ces textes dans un débat parlementaire qui n’en sera pas véritablement un, puisque votre décision est prise. Vous la qualifiez de « meilleure qui soit », en dépit des débats qui animent la communauté des économistes. Le résultat est connu d’avance : vous allez transférer 136 milliards d’euros à la CADES, mettant ainsi un terme prématuré au débat sur la façon de traiter la dette créée par la crise en cours, dont la nature particulière pouvait justifier un traitement spécifique.

Le Gouvernement a donc décidé de faire comme avant, en niant la spécificité de cette dette. Vous avez du moins lavantage de la constance puisque, depuis le début du quinquennat, vous avez fait le choix de ne pas distinguer le périmètre du budget de lÉtat de celui de la sécurité sociale. Il y a peu, vous aviez dailleurs décidé de ne plus compenser les exonérations de cotisations sociales.

Cette dette n’est toutefois pas liée à un déséquilibre structurel du régime de sécurité sociale, mais à des décisions de l’État pour faire face à une crise conjoncturelle. Ce sont bien des décisions de l’État, que nous ne contestons pas sur le fond, mais qui ont eu des conséquences sur les dépenses comme sur les recettes de la sécurité sociale et de l’UNEDIC.

Comme le suggérait le HCFiPS, le Gouvernement aurait pu – et, à notre sens, aurait dû – décider de prendre à son compte le déficit exceptionnel créé par la crise. Cette solution présentait plusieurs avantages.

Le premier tient au fait que l’État emprunte à des conditions plus favorables que les agences sociales, avec un écart de taux qui varie entre 0,1 et 0,3 point. Il y a quelques jours, le Gouvernement semble avoir refusé un prêt de trésorerie à l’Association générale des institutions de retraite des cadres et à l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC-ARRCO), prêt que l’ACOSS aurait refinancé sur les marchés de court terme. Elles ont donc dû recourir aux banques, et payer un swap qu’elles auraient pu éviter si l’État avait pris ce prêt à son compte.

Le second avantage tient à la nature même des dettes et aux conséquences qu’elles emportent. Depuis 1996, la dette sociale fait l’objet d’un amortissement, donc d’un remboursement intégral, intérêts et capital, et doit tendre vers zéro. La dette de l’État, en revanche, est gérée à très long terme. L’État n’en supporte que les intérêts, et réemprunte indéfiniment le principal, ce qui revient à « faire rouler la dette ». Le débat porte en général sur le niveau de la dette, sur son caractère supportable ou excessif, non sur son extinction.

A contrario, votre choix nous fait craindre que vous hypothéquiez les dépenses sociales et réduisiez les marges de manœuvre, au moment même où s’ouvre le « Ségur de la santé » et où le Gouvernement annonce qu’il veut investir dans l’hôpital et le grand âge. Alors que le coût annuel de la dette liée au covid-19 supportée par l’État serait d’un peu moins de 1,5 milliard d’euros par an, correspondant aux intérêts, le transfert de cette dette à la CADES, qui devait s’éteindre en 2024, prive la politique sociale de la nation d’une dizaine de milliards d’euros par an de CSG, de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et de cotisations chômage, jusqu’en 2033.

La meilleure des preuves est l’impasse de votre projet, puisque vous n’accordez qu’une fraction de CSG à la CNSA. Ces 2,3 milliards d’euros sont bien insuffisants par rapport à ce qu’évaluait le rapport Libault, et le transfert, bien tardif.

Vous choisissez de rembourser la dette plutôt que de satisfaire les besoins sociaux, de vous priver de tout financement alternatif, qu’il soit de nature monétaire ou qu’il résulte d’une fiscalité dédiée, et de faire payer les Français proportionnellement à leurs revenus, sans prendre en compte leurs facultés contributives, puisque, contrairement à notre proposition, vous avez décidé de ne demander aucun effort supplémentaire aux plus riches, comme les circonstances le commandaient.

Comme nombre de caisses que nous avons consultées, de partenaires sociaux, de Françaises et de Français, d’économistes, nous pensons qu’en dépit de ce que vous affirmez, le choix que vous faites n’est pas le meilleur qui soit.

S’agissant de la création d’une cinquième branche, nous ne pouvons que nous réjouir que la perte d’autonomie soit enfin prise en compte, même si nous ne connaissons aujourd’hui ni ce que seront ses moyens ni la politique publique sur laquelle elle s’appuiera. Nous veillerons à ce que son ambition soit à la hauteur du choc anthropologique que nous avons vécu à l’occasion de cette crise. Pour l’heure, il ne s’agit que d’une annonce, comme vous aviez annoncé une grande loi sur la dépendance, pour décembre. L’idée qu’il n’est plus possible d’attendre pourra du moins nous rassembler.

M. Pascal Brindeau. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les deux projets de loi poursuivent un double objectif. Le premier vise à répondre en urgence à la crise exceptionnelle que nous connaissons, laquelle a fortement dégradé la situation financière de l’ACOSS, et remet en question le financement à terme de notre système de sécurité. Le second objectif réside dans la préfiguration d’une cinquième branche de la sécurité sociale, chargée de financer la problématique de la dépendance, dont vous indiquiez qu’il s’agit d’un choc démographique à venir voire d’un enjeu civilisationnel, car de nombreux pays y sont confrontés.

À la différence de la dette de l’État, la dette sociale ne peut être pérenne car les assurés sociaux ont besoin de confiance dans la viabilité du système de protection sociale. Le principe d’équilibre entre recettes et dépenses doit rester la norme.

Notre groupe accueille ces textes avec un a priori favorable, même si certaines interrogations subsistent, sur lesquelles nous aurons besoin d’éclaircissements.

Le projet de loi ordinaire prévoit de transférer 136 milliards d’euros à la CADES, un montant qui rassemble plusieurs types de déficits ne répondant pas tous aux mêmes logiques. Le transfert répond en premier lieu à la nécessité de soulager le financement de l’ACOSS, très sollicitée en raison de la crise. Le même mécanisme de transfert de dettes de l’ACOSS à la CADES avait d’ailleurs été mis en place après la crise de 2010, dans un délai plus long car l’ACOSS n’avait pas connu les mêmes tensions de financement. Le déficit de la sécurité sociale s’élevait à l’époque à 27 milliards d’euros.

Le montant à transférer nous interroge. L’étude d’impact estimait le déficit de la sécurité sociale pour 2020 à 41 milliards d’euros, un montant loin d’être stabilisé, qui a été réévalué la semaine dernière à 52 milliards d’euros. On peut donc craindre que le chiffre de 92 milliards d’euros repris par la CADES au titre des exercices 2020 à 2023 soit sous-évalué, si la situation de l’économie et de l’emploi ne se rétablissait pas prochainement, comme chacun le souhaite.

Quelle sera par ailleurs la capacité de la CADES à amortir ces 136 milliards dans le nouveau délai qui lui est imparti ? D’après l’étude d’impact, cette capacité se fonde sur des perspectives de croissance des recettes de CSG et de CRDS de près de 2 % par an, en moyenne, entre 2022 et 2033, ce qui reste hautement hypothétique.

Pour ce qui concerne la reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux, qui représente 13 milliards d’euros, l’exposé des motifs précise qu’elle concerne les hôpitaux publics, alors que le texte évoque « les établissements de santé [...] relevant du service public hospitalier ». Pourriez-vous clarifier ce point, monsieur le ministre ?

L’étude d’impact précise par ailleurs explicitement que le dispositif est susceptible de constituer une aide d’État au sens du droit européen, ce qui pose des questions s’agissant de sa sécurité juridique. Mais faire porter la reprise de la dette hospitalière par la sécurité sociale revient aussi à lui faire porter une décision politique de l’État. Les entités qui forment la sécurité sociale, bonnes gestionnaires, respectent aujourd’hui le cadre financier qui leur est imparti ainsi que les lourdes mesures d’économie imposées, en particulier pour respecter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

Replacer la dette hospitalière au sein de la CADES pénalise de nouveau les organismes de sécurité sociale, puisque ce sont autant de ressources qui ne pourront être consacrées à d’autres chantiers, y compris celui de la dépendance. Le financement de l’hôpital public doit faire l’objet de mesures propres, spécifiques et pérennes.

Les projets de loi organique et ordinaire posent également le principe de la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale prenant en charge la dépendance. Si on ne peut que se féliciter de ce pas en avant vers une meilleure prise en charge, les montants fléchés vers la CNSA – 2,3 milliards d’euros en 2024 – restent très en deçà des besoins, que le rapport Libault évalue à environ 10 milliards d’euros par an.

Il est essentiel de conserver la crédibilité financière de la signature de la France. En ce sens, accompagner tout transfert de dettes par un montant de ressources de même niveau et allonger la durée de vie de la CADES ne font pas débat. La CADES a d’ailleurs démontré son expertise en matière d’amortissement de la dette sociale depuis sa création.

Pour autant, le choix de transférer les déficits futurs de la sécurité sociale, soit 92 milliards d’euros, à la CADES, donc de retarder son extinction à 2033 limite grandement nos marges de manœuvre concernant le financement de la dépendance. À ce titre, nous pourrions faire le choix de flécher une partie des dépenses exceptionnelles liées à la crise du covid-19, par exemple les exonérations et reports de cotisations sociales, qui sont un choix politique de l’État, dans un fonds spécial, qui serait géré par l’Agence France Trésor.

Mme Jeanine Dubié. À de nombreux égards et pour longtemps, l’épidémie de covid-19 a profondément bouleversé notre pays, engendrant une triple crise sanitaire, économique et bientôt sociale. Au-delà des nombreuses victimes et des personnes durablement touchées par la maladie, notre système de santé a été mis à rude épreuve et les dépenses d’assurance maladie ont rapidement progressé en raison des achats de matériels de protection, des hospitalisations ou du financement des heures supplémentaires exercées par les personnels soignants.

L’arrêt total de notre économie que le confinement a imposé a conduit le Gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles pour soutenir les entreprises et sauvegarder l’emploi. Le dispositif d’activité partielle ainsi que le report voire l’annulation des cotisations sociales pour les petites entreprises sont à saluer, même si, nous le savons, ces mesures auront un impact lourd et durable sur nos comptes sociaux.

Le déficit de la sécurité sociale devrait ainsi atteindre 52,2 milliards d’euros en 2020, un niveau que le ministre de l’action et des comptes publics juge très inquiétant. Le précédent record, atteint en 2010 pendant la crise financière, était de 28 milliards d’euros, soit un peu plus de la moitié.

Les présents projets de loi proposent de transférer la dette sociale liée à l’épidémie de covid-19 à la CADES, alors que celle-ci devrait être reprise par l’État. Le caractère exogène de la crise justifierait une telle décision. Il n’y a pas de raison que la dette générée par les mesures prises par le Gouvernement pour faire face à la crise pèse sur la sécurité sociale, de la même manière que les mesures d’urgence prises durant la crise des « gilets jaunes » auraient dû être compensées par l’État.

Par ailleurs, avant même la crise sanitaire, la nécessité de renforcer notre système de protection sociale exigeait des investissements élevés. Notre groupe pointait déjà les insuffisances du dernier PLFSS pour faire face à cette situation. Avec la crise, l’enjeu s’impose avec une urgence accrue, mais nos marges de manœuvre en termes de financement se sont considérablement réduites. Ainsi, la prolongation de la CADES est nécessaire, mais probablement à moins long terme que 2033.

Notre groupe avait plaidé pour repousser l’extinction de la caisse afin de dégager des financements et des investissements non seulement pour les hôpitaux, mais également pour prendre en charge la dépendance. À ce titre, nous avions soutenu la proposition de Dominique Libault.

Or il est évident que l’absence d’une loi sur la prise en charge de la dépendance, sans cesse repoussée, et l’insuffisance des moyens alloués à ce secteur ont eu une incidence sur le drame qui s’est déroulé dans nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Le contexte actuel nous invite donc à légiférer en ce sens, de manière urgente.

Nous nous réjouissons que le Gouvernement esquisse ici un premier pas vers la création d’une cinquième branche dédiée au financement du risque de la dépendance. Notre groupe y est plus que favorable, même s’il eût préféré la création d’un cinquième risque au sein de la branche maladie, qu’il a d’ailleurs proposé à de nombreuses reprises. Nous devons toutefois considérer qu’il s’agit là d’un premier pas.

Par ailleurs, l’avenir de l’article 4 du texte de loi interroge, puisqu’il semblerait que la décision soit déjà prise. Il ne s’agit donc plus d’étudier l’opportunité d’un risque ou d’une branche relatifs aux prestations contre la perte d’autonomie.

Nous considérons que la prise en charge de la dépendance pour retarder la perte d’autonomie doit passer par la solidarité nationale. Il est temps de concevoir la dépendance comme un véritable risque social, qui concerne aussi bien les personnes en situation de handicap que les personnes âgées.

Monsieur le ministre pouvez-vous confirmer que la nouvelle branche concernera non seulement les personnes âgées mais aussi les personnes en situation de handicap ? Pouvez-vous préciser quel en sera le périmètre ? Concernera-t-elle aussi bien les prestations comme l’allocation personnalisée d’autonomie ou la prestation de compensation du handicap, la réforme de la tarification des établissements ainsi que la réorganisation du champ médico-social et son décloisonnement avec le champ sanitaire.

Enfin, si nous saluons la décision d’affecter une fraction de la CSG à la CNSA, celle-ci ne représentera que 2,3 milliards d’euros à partir de 2024, alors que le rapport Libault estime le besoin de financement à 7 milliards d’euros dès 2024 puis à 10 milliards d’euros en 2030. Il semble urgent de trouver des financements supplémentaires. Notre groupe fera des propositions en ce sens.

Mme Caroline Fiat. À l’occasion de la crise de la covid-19, de nombreuses recettes de la sécurité sociale ont été coupées du fait de la baisse d’activité et des reports des cotisations. Dans le même temps, les dépenses sociales se sont accrues. Notre sécurité sociale est fébrile et nécessite des mesures fortes car les enjeux sont colossaux. C’est l’objet même de notre discussion aujourd’hui.

Pour combler la dette sociale, vous pourriez mettre fin aux exonérations de cotisations que vous aviez votées lors des derniers PLFSS et qui ne sont pas intégralement compensées par l’État. Vous pourriez rétablir un impôt de solidarité sur la fortune ou annuler une partie de la dette sociale, totalement illégitime. Vous pourriez lutter efficacement contre le chômage en réduisant le temps de travail. Or vous faites tout l’inverse, en promouvant les heures supplémentaires, que votre majorité a défiscalisées.

Dans ce projet de loi, vous faites le choix de poursuivre tête baissée dans l’absurde et d’endetter la sécurité sociale via la CADES, à hauteur de 136 milliards d’euros. Chose inédite : vous vous endettez pour des dettes qui n’existent pas encore. Vous entérinez ainsi votre renoncement à remettre sur pied la sécurité sociale. Cette politique d’endettement justifiera des coupes drastiques, alors même que notre assurance chômage et notre système de santé ont démontré leur importance cruciale pour la société.

Une fois de plus, ce sont les moins aisés qui paieront. Le remboursement de la dette sociale ne sera pas financé par des cotisations sociales mais par deux impôts très peu progressifs, la CRDS et la CSG. Vous faites donc peser la crise de la covid-19 sur tout le corps social, au lieu de mener une politique de redistribution des richesses, comme nos grands-parents ont su le faire après-guerre.

Une fois encore, la dette accumulée profitera aux spéculateurs. La Caisse des dépôts et consignations pourrait faire un prêt à l’ACOSS le temps que la dette sociale se résorbe. Mais non, vous faites le choix des marchés financiers.

Dans un rapport de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) du 16 septembre 2017, nous apprenons que la CADES « émet des papiers commerciaux sans aucun contrôle, notamment à la City de Londres et au Luxembourg ». À cette date, la CADES avait remboursé depuis sa création 140 milliards d’euros de dettes sociales, essentiellement grâce aux impôts. Dans le même temps, elle avait versé 52 milliards d’euros d’intérêts aux créanciers. Une partie importante des recettes fiscales destinées à rembourser la dette sociale est ainsi utilisée pour payer des intérêts et des commissions aux banques privées qui spéculent dessus – une honte ! Un audit citoyen sur la dette sociale pour faire la lumière sur cette spéculation est un impératif de justice sociale.

Cette politique antisociale est injustifiable après le mouvement des « gilets jaunes » et la crise de la covid-19. Nos services publics et notre sécurité sociale doivent être renforcés, et ne doivent souffrir d’aucune coupe budgétaire supplémentaire.

Comble d’absurdité, pour faire passer la pilule de ce projet de loi, vous communiquez sur la création d’une cinquième branche pour la perte d’autonomie. Mais si une cinquième branche voit le jour, elle doit être financée par les cotisations sociales, non par le CSG ; elle doit recevoir des fonds à la hauteur des enjeux. Dans notre rapport sur les EHPAD, nous chiffrions les besoins pour le financement d’une cinquième branche à 20 milliards d’euros, au minimum, soit 1 point du produit intérieur brut (PIB), dès maintenant.

Ne pas financer cette politique du grand âge, c’est acter le fait que les familles devront s’endetter pour s’occuper de leurs aînés, ce qui est inacceptable.

Monsieur le ministre, avec ce projet de loi, non seulement vous poursuivez la casse de la sécurité sociale mais en plus, vous mettez en place de nouveaux mécanismes qui creuseront son endettement et justifieront des mesures d’austérité dans le futur, le tout, sous couvert de la création d’une cinquième branche, pur élément de communication pour le moment.

Mme Delphine Bagarry. Les projets de loi prévoient de transférer la dette due à l’épidémie de covid-19 à la CADES et esquissent la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Le Gouvernement semble opérer un arbitrage entre la temporalité du remboursement de la dette sociale, qu’il alourdit, et la réforme de la dépendance.

Alors que la reprise rapide et programmée d’une partie de la dette de l’ACOSS est nécessaire pour rassurer les marchés et permettre à l’Agence de continuer à trouver les liquidités dont elle a besoin pour se financer, ces conditions ne peuvent qu’interroger. En transférant la dette à la CADES, il maintient presque 10 milliards d’euros de prélèvements sur les revenus d’activité par an, jusqu’en 2033, pour la liquider. La somme aurait pu être allouée dès 2024 à de nouvelles prestations, notamment relatives à la dépendance, ou à des dépenses d’investissement pour l’hôpital.

Reprise par l’État, cette dette aurait pu être gérée comme une dette exceptionnelle, appuyée sur la politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne, d’autant que la nature même du transfert de la dette pose des questions sur sa pertinence. La dette sociale est en effet composée en partie d’une reprise de dette des établissements publics de santé. Or le Premier ministre avait déclaré en novembre que l’État reprendrait cette partie.

Les moyens consacrés à la création d’une cinquième branche, comme le prévoit l’article 2 du projet de loi ordinaire, semblent aujourd’hui limités. En prolongeant de neuf ans la cotisation consacrée au remboursement de la dette sociale, le législateur se prive de moyens supplémentaires pour financer la dépendance. Il en va de même pour la fraction de CSG ou le prolongement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), dont la soulte aurait pu être consacrée à d’autres priorités.

Le projet de loi ordinaire ne résout pas cette contradiction. Il prévoit seulement de transférer une fraction de CSG, soit 2,3 milliards d’euros, à la CNSA via la CADES en 2024. Autrement dit, dans sa globalité, le texte prévoit de faire plus à moyens constants, alors que les demandes en matière de dépendance vont croissant. Le rapport Libault les a évalués à 6 milliards d’euros à compter de 2024 et 9 milliards d’euros à partir de 2030. En l’état des choses, faute d’une montée en charge de la solidarité nationale, un nombre croissant de foyers pourrait intervenir de plus en plus dans la prise en charge de leurs aînés.

Enfin, la création d’une cinquième branche paraît précipitée. Bien qu’attendue par le monde médico-social, ses modalités comme son financement semblent mal définis. Surtout, les partenaires sociaux et le monde associatif semblent bien peu impliqués dans sa coconstruction alors qu’il s’agit d’un sujet de société majeur.

En conclusion, si le Premier ministre estimait en novembre 2019 que l’État devait reprendre la dette des hôpitaux, pourquoi la CADES la reprendrait-elle aujourd’hui ? Je m’inquiète aussi de ces 10 milliards d’euros de prélèvements obligatoires sur les revenus d’activité jusqu’en 2033, qui pourront limiter les investissements dans les dépenses de santé, notamment pour l’hôpital. A-t-on évalué les marges de manœuvre pour l’ACOSS à moyen terme ? À ce jour, les conséquences de la récession sur l’équilibre des comptes de la sécurité sociale ne sont pas encore connues.

M. Pierre Dharréville. Ces textes ne sont pas rien : ils ouvrent et appellent à un vaste débat pour définir comment nous absorbons le choc que nous venons de subir et, éventuellement, ce que nous changeons.

Dans une sorte de confusion, il est proposé de faire porter le fardeau financier de la crise sanitaire à la sécurité sociale – M. le ministre a évoqué le « cantonnement de la dette ». Les raisons données manquent d’étayage. Il s’agit de transférer 136 milliards d’euros de dettes existantes et futures à la CADES.

Vous expliquez que charger la barque serait une garantie. Je ne comprends pas bien en quoi. La CADES est chargée d’amortir les déficits accumulés par différentes branches de la sécurité sociale. Sa dette devait être amortie entièrement à compter de 2024, libérant 17 milliards d’euros de recettes, issues de la CRDS et d’une fraction de la CSG.

Nous le savons, la sécurité sociale a besoin de ressources. Son assèchement a constitué un problème majeur, qui nous a placés dans une situation de dénuement face à cette crise.

J’en profite pour signaler que certains des amendements que j’avais déposés au nom de mon groupe, afin de déterminer des ressources supplémentaires, ont été jugés irrecevables car sans lien avec le texte. Je le mentionne car il ne s’agit pas aujourd’hui de se contenter d’être pour ou contre la proposition du Gouvernement.

Le confinement a entraîné une forte contraction de la masse salariale sur laquelle les cotisations sociales sont assises, du fait de l’arrêt de nombreuses activités économiques. Les recettes se rétractent également en raison des mesures de soutien aux entreprises. Dans le même temps, le Gouvernement a dépensé davantage pour faire face à la crise sanitaire, engageant 8 milliards d’euros supplémentaires pour l’achat de matériels hospitaliers, les primes des soignants et la prise en charge des arrêts maladie.

C’est en quelque sorte le retour du « trou de la sécu », une mise en scène qui peut servir à l’avenir à justifier des plans d’économies futures et des compressions dans la sphère sociale, sous couvert d’impératifs budgétaires. Cette option de transfert de dette permet au Gouvernement de maintenir sous pression les dépenses pour de longues années, avec une dette élevée.

Le Gouvernement aurait pu choisir de faire porter cette dette par l’État, considérant qu’il s’agit d’une dette exceptionnelle qui résulte non pas d’une mauvaise gestion dans les différentes branches de la sécurité sociale, mais de décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire, d’autant qu’elles ont été très peu discutées avec les partenaires sociaux. L’arrêt administratif de plusieurs activités économiques à la suite du confinement en est un exemple. Le transfert de la dette à la CADES prive la sécurité sociale de recettes supplémentaires.

En mélangeant la question de la dette sociale avec celle de la perte d’autonomie, ce projet de loi vient préempter la nécessité d’une réflexion plus large sur l’élargissement du financement de la sécurité sociale – j’en profite pour regretter qu’il soit examiné en procédure accélérée, ce qui devient une habitude –, élargissement dont la période que nous venons de traverser a montré combien il était nécessaire, pour couvrir les besoins sanitaires et sociaux, et mieux nous protéger à l’avenir.

Il s’agit ensuite d’apporter des moyens supplémentaires à la prise en charge de la perte d’autonomie. C’est évidemment un sujet majeur, et les drames que nous avons connus, pendant la crise sanitaire et avant, exigent une réponse vigoureuse. Or je crains que cette annonce, que vous voulez tonitruante, de la création d’une cinquième branche reste en deçà des besoins tels que les a identifiés le rapport Libault et ne soit en réalité qu’un trompe-l’œil. Mieux identifier les besoins et mieux y répondre ne passe pas nécessairement par la création de cette nouvelle branche, et donc le découpage de l’assurance maladie : la perte d’autonomie résulte d’une aggravation de l’état de santé, et doit donc, en tant que telle, relever de l’assurance maladie. C’est d’ailleurs le cas actuellement, la perte d’autonomie étant majoritairement financée par l’assurance maladie, au titre de la prise en charge des soins des personnes dépendantes.

La création de cette cinquième branche s’accompagne non seulement d’un risque de fiscalisation rampante de la sécurité sociale mais également du risque de voir se développer un nouveau marché de l’assurance complémentaire. C’est donc un sujet qui ouvre de vastes débats, mais je crains que tout ne continue comme avant.

Mme Annie Vidal. Ces deux textes fondamentaux vont permettre à la fois de réaliser l’indispensable transfert de dette à la CADES, redonnant ainsi des capacités de financement à l’ACOSS, et d’ancrer la création d’un cinquième risque ou d’une cinquième branche au sein du régime général de la sécurité sociale. Ils feront date dans l’histoire de la sécurité sociale.

La création d’un cinquième risque ou d’une cinquième branche, outre qu’elle donnera plus de visibilité au financement de la dépendance et de l’autonomie servira de socle à la loi « grand âge et autonomie », dont l’ambition est notamment de renforcer les prestations à domicile pour préserver l’autonomie et de revaloriser la position des professionnels du secteur du grand âge, sans lesquels nous ne pourrons rien.

Pour les revalorisations salariales, pouvez-vous réaffirmer votre engagement et nous donner un calendrier prévisionnel ?

En ce qui concerne les prestations à domicile, s’agira-t-il de mieux couvrir la prise en charge de la dépendance pour les personnes âgées et en situation de handicap, c’est-à-dire déjà dépendantes et donc déjà prises en charge, ou la perte d’autonomie sera-t-elle reconnue comme un risque à part entière, susceptible de concerner les personnes âgées autonomes qui pourraient être confrontées à la perte d’autonomie ? Dans ce dernier cas, il s’agirait d’une approche préventive permettant d’accompagner l’important vieillissement démographique de la population.

Mme Christine Pires Beaune. L’époque où la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait un retour à l’équilibre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse est fort loin. D’autant que, de manière regrettable, votre doctrine relative aux relations financières entre l’État et la sécurité sociale consiste à ne pas compenser certaines mesures d’exonération de cotisations ou de baisse des prélèvements sociaux, ce qui, pour la seule année 2019, a pesé à hauteur de 5 milliards d’euros sur le budget de la sécurité sociale, lequel, sans cette doctrine, aurait été excédentaire dès l’année dernière.

Vous êtes sur le point de prendre une décision inacceptable consistant à faire peser les mesures d’urgence, que vous avez instaurées pendant la crise – et que nous soutenons – sur les comptes de la sécurité sociale et de l’UNEDIC. Ces deux textes visent en effet à reporter de 2024 à 2033 la date de fin de remboursement, afin d’organiser de nouveaux transferts pour un montant total de 136 milliards d’euros.

Ce choix, ni la CNSA ni la Fédération hospitalière de France ne le partagent, pas plus que les syndicats ou les mutuelles. Tandis que Dominique Libault indique que ce transfert n’a pas de sens, le HCFiPS le laisse entendre, de manière policée, qu’il est du même avis. De manière plus directe, je considère que vous faites une grave erreur, qui va hypothéquer l’avenir de nos assurances sociales en leur faisant supporter ce que l’économiste Michaël Zemmour appelle la « dette covid », dont elles ne sont nullement responsables.

Transférer plus d’une centaine de milliards d’euros de dette sociale à la CADES et à l’UNEDIC, c’est consacrer pendant plus de dix ans des recettes sociales de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros chaque année au remboursement de cette dette, au lieu d’affecter cet argent à combler des besoins sociaux, alors même que cette dette ne coûterait que 1 milliard d’euros si elle était imputée au budget de l’État.

La « dette covid » n’est pas une dette sociale ; c’est une dette exceptionnelle, qui doit être prise en charge par l’État, sinon le « quoi qu’il en coûte » présidentiel se traduira vite en économies « coûte que coûte » pour la sécurité sociale et l’UNEDIC, tout au long de la prochaine décennie.

Je terminerai néanmoins par une note positive et me féliciterai de l’annonce d’une cinquième branche. Cela étant, où est passé l’objectif de réduction du reste à charge ? Est-il toujours d’actualité ?

M. Charles de Courson. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas déposé un projet de loi de programmation des finances publiques ? C’est une obligation constitutionnelle, puisque le prochain projet de loi de finances rectificative présenté dans deux jours porte à 220 milliards le déficit de l’État et que, d’après M. Darmanin, le déficit prévisionnel des régimes de base de la sécurité sociale hors UNEDIC est estimé à 52 milliards d’euros, à quoi s’ajoutent une dizaine de milliards pour l’UNEDIC.

Pourquoi n’avez-vous pas présenté un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) puisque, dans son avis, le Conseil d’État rappelle qu’il faudra reprendre dans une loi de financement plusieurs des mesures figurant dans les textes que nous examinons ?

Il est assez étrange de présenter des déficits sans qu’on sache quel est le montant des dépenses ni celui des recettes, ce que M. Darmanin a balayé d’un revers de main en nous expliquant que ces recettes et ces dépenses étaient évaluatives. Nous attendons de vous une autre réponse, puisque vous avez intégré dans votre texte un déficit de 92 milliards d’euros pour la période 2020-2023.

M. le ministre. Monsieur Christophe, l’expérience passée montre qu’il est possible, le cas échéant, de ne pas attendre 2033 pour rembourser la dette. En effet, l’extinction de la dette de la CADES était à l’origine prévue pour 2025, mais le dynamisme des recettes de la CSG et de la CRDS ainsi que l’apport de 2 milliards d’euros du FRR nous avait permis d’envisager le remboursement de la dette sociale au 1er semestre 2024. Si d’aventure nous retrouvions le même dynamisme, il serait possible soit de réduire la fiscalité soit d’anticiper le remboursement de cette dette.

En ce qui concerne l’information du Parlement, le projet de loi prévoit un rapport. Par ailleurs, outre les concertations, les annexes du PLFSS seront enrichies et intégreront des chiffres sur les dépenses des collectivités locales.

La reprise de la dette est évaluée à 136 milliards d’euros, car nous anticipons une augmentation des dépenses et des déficits liée à la queue de l’épidémie mais qu’il nous est très difficile de quantifier précisément. D’où, monsieur de Courson, le fait qu’il est encore prématuré de présenter au Parlement un PLFRSS. Nous attendrons donc la rentrée mais vous proposons en attendant ces projets de loi, qui permettent de parer au plus pressé.

Ces 136 milliards représentent la somme des 30 milliards de dette de l’ACOSS fin 2019 et des 52 milliards de la dette sociale liée pour une grosse part au chômage partiel et pour 6 à 8 milliards d’euros à des dépenses de frais de matériel ou à de la surconsommation de soins intégrées dans l’ONDAM. Il faut encore ajouter à cela la reprise de la dette hospitalière avec les intérêts, ainsi que des dépenses prévisionnelles qui n’ont pas encore été réalisées mais dont on peut craindre qu’elles le soient dans les prochaines semaines. La ministre du travail vient d’annoncer que 80 % de la France était au travail : cela veut dire qu’il y a encore bon nombre de Français qui sont au chômage partiel, ce qui a un coût pour les finances publiques.

L’Inspection générale des affaires sociales m’a rendu un rapport sur les modalités de la reprise de dette des hôpitaux. Il n’y aura pas de répartition automatique basée sur l’encours, mais c’est au niveau régional que cela se décidera, en fonction des projets. Ces modalités seront précisées d’ici au PLFSS 2021.

Enfin, monsieur le rapporteur général, sans attendre l’affectation annuelle de 2,3 milliards d’euros par an à partir de 2024 à l’autonomie, une conférence des financeurs doit nous permettre d’identifier des modalités de financement des actions qui vont être mises en place pour la prise en charge de l’autonomie.

Si nous n’opérons pas ce transfert de 0,15 point de CSG de la CADES vers la CNSA dès 2021, c’est qu’il nous faut tenir un engagement important pour la crédibilité des finances publiques de notre pays, qui nous impose de rembourser la dette sociale selon un échéancier précis jusqu’en 2024. Au-delà, le tableau d’amortissement de la dette peut être revu, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’une prorogation.

Madame Dupont, vous avez salué la décision historique de créer une cinquième branche. Je tiens, moi, à saluer la détermination et la mobilisation sans faille de l’ensemble des parlementaires sur la perte d’autonomie. C’est grâce à elles que ce beau projet peut aujourd’hui voir le jour, quels que soient les doutes que vous puissiez nourrir sur votre faculté à peser sur les grandes décisions.

Cela m’amène à la question du cinquième risque ou de la cinquième branche : le Gouvernement n’a pas arbitré entre ces deux choix, qui doivent faire l’objet d’un rapport. Dans l’un et l’autre cas, quoi qu’il en soit, il s’agira d’une dépense sociale organisée et structurée, qui viendra consacrer l’engagement pris par le Président de la République de faire appel à la solidarité nationale et non à des systèmes privés par capitalisation pour financer la perte d’autonomie. C’est à l’automne, je le redis, à l’issue de la concertation, qu’auront lieu les discussions sur les recettes.

M. Perrut propose, à cet égard, d’augmenter les cotisations et d’affecter une part de CSG supplémentaire à la perte d’autonomie, au lieu de ponctionner cette part sur l’argent de la CADES. Mais le choix du Gouvernement est clair : nous n’augmenterons pas les impôts et, dans le cadre de la démocratie sanitaire, c’est à une conférence des financeurs qu’il reviendra de déterminer les meilleures solutions de financement, d’ici à 2024.

On ne peut pas dire que l’État ne fait pas d’économies, et encore moins que le financement de la sécurité sociale fait peser le coût de la reprise de dette hospitalière sur les Français. L’État a été et sera fortement mis à contribution pour éponger tout ou partie des dettes inhérentes à la crise épidémique.

Cela étant, les remarques de Boris Vallaud sur le statut de la « dette covid » sont légitimes : revient-il à l’État ou à la sécurité sociale de la prendre en charge ? Ce débat relève du PLFSS et non de ces deux projets de loi qui, à aucun moment, ne tranchent la question.

Par ailleurs, non seulement l’État assume sa part des dépenses inhérentes à la crise, mais, de surcroît, on peut sans doute considérer que les quelque 40 milliards d’euros qui ont financé le chômage partiel sont une dépense sociale, même si la mise en œuvre de cet amortisseur social n’a pas été décidée par la sécurité sociale. Dont acte. Néanmoins, cela posé, il me paraît vain de laisser perdurer une dette de 50 milliards d’euros pendant qu’on mène un débat philosophique pour savoir qui doit l’absorber. Si l’on veut garantir que l’État paie les prestations sociales en temps et en heure, il y a urgence, et faire un transfert à la CADES permettra en outre d’enrichir la protection sociale d’une nouvelle branche ou d’un nouveau risque.

Monsieur Vallaud, vous dites que nous hypothéquons des dépenses sociales, mais quand a-t-on vu, dans notre pays, que l’État, au sortir d’une crise où il joué le rôle d’amortisseur social, ait engagé, comme nous le faisons, une revalorisation sans précédent des salaires de deux millions de soignants ?

M. Boris Vallaud. Pour l’instant, on n’a rien vu !

M. le ministre. Nous finançons en outre la perte d’autonomie, créons une nouvelle branche de la sécurité sociale, reprenons la dette hospitalière et investissons massivement dans la santé. Je pense donc que vous nous faites un faux procès a priori, et je vous invite plutôt à rejoindre le « Ségur de la santé » pour constater ce qu’il en est des dépenses sociales !

En ce qui concerne les établissements de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC), ils sont éligibles à la reprise de dette, dans la mesure où ils ont participé au service public.

Je voudrais également vous rassurer sur le fait que prolonger la CADES jusqu’en 2033 n’a aucune incidence sur le financement des dépenses hospitalières, puisque la CSG, la CRDS et la fraction du FRR qui abonde la CADES ne sont pas des cotisations affectées au fonctionnement courant du système hospitalier. Le Premier ministre, lui-même, a garanti, en ouvrant le « Ségur de la santé » que l’ONDAM allait augmenter.

Monsieur de Courson, n’étant pas ministre des comptes publics, je laisse à M. Darmanin le soin de se prononcer sur la loi de programmation des finances publiques. Quant aux dépenses sociales, je répète qu’il serait vain de vous présenter une copie budgétaire qui ne soit pas propre.

Enfin, le Gouvernement a délibérément fait le choix de ne pas renoncer à certaines dépenses sociales, mais de faire le choix inverse, en engageant de nouvelles dépenses, dont nous aurons d’ailleurs à décider des modalités de financement. Ce sont des dépenses nécessaires, pour les soignants notamment, qui nous ont montré qu’ils méritaient toute l’attention des pouvoirs publics.

La commission spéciale en vient à lexamen des articles du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à lautonomie (n° 3018) (M. Paul Christophe, rapporteur).

M. le président Jean-Paul Mattei. Tous les amendements à ces deux textes n’ont pas été mis en discussion. En effet, il m’a fallu suivre les dispositions des articles 40 et 45 de la Constitution.

S’agissant de la recevabilité financière, j’ai suivi, comme c’est l’usage, les avis rendus par le président de la commission des finances.

S’agissant de la règle selon laquelle les amendements doivent avoir un lien avec le texte, j’ai estimé que le projet de loi ordinaire n’était pas un PLFSS et n’avait donc pas vocation à porter des mesures de recettes, qu’il s’agisse de créer de nouvelles recettes, d’instaurer une conditionnalité pour le bénéfice d’exonérations de cotisations ou de modifier les règles relatives aux compensations.

En revanche, il ne m’a pas semblé que les amendements visant à compléter le rapport prévu à l’article 4 étaient sans lien avec le texte, dans la mesure où ils pouvaient être considérés comme en relation avec l’objet de ce rapport, à savoir les conditions de création d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche de la sécurité sociale.

Tout amendement modifiant la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale ne peut être considéré comme en lien avec l’objet du texte organique. Ainsi, il m’a semblé qu’il n’était pas possible de créer une nouvelle annexe au projet de loi de financement, sans rapport avec la dette ou avec l’autonomie.

Article 1er : Prolongation de la durée damortissement de la dette sociale

La commission examine les amendements de suppression n° 4 de M. Pierre Dharréville, n° 9 de M. Boris Vallaud et n° 11 de Mme Delphine Bagarry.

M. Pierre Dharréville. Les choix que vous venez de nous exposer emportent des conséquences considérables sur le budget. On ne peut donc pas limiter le débat aux propositions qui se trouvent sur la table.

Notre amendement supprime l’article 1er qui entérine le transfert de la dette sociale à la CADES et confirme votre ralliement au principe de non-compensation. Lors du dernier PLFSS, nous avions eu un débat nourri sur cette non-compensation, qui concernait un peu plus de 3 milliards d’euros ; en comparaison, nous atteignons aujourd’hui des niveaux astronomiques. Cela ne fait qu’amplifier la confusion entre les différents budgets et cela n’aide pas la sécurité sociale à pouvoir assumer pleinement et librement les responsabilités qui sont les siennes.

M. Boris Vallaud. La « dette covid » doit faire l’objet d’un traitement exceptionnel, distinct de la dette de la sécurité sociale, parce qu’elle ne correspond pas à un déficit structurel. Nous proposons que cette dette soit assumée par l’État, qui lui affecte des ressources supplémentaires, que le Gouvernement pourrait – mais il s’y refuse – tirer de la contribution des plus fortunés de nos concitoyens. Vous préférez rembourser la dette plutôt que d’augmenter les moyens sociaux, ce qui augure mal des moyens que la nation se donnera pour répondre aux besoins de l’hôpital mais également aux enjeux de l’autonomie.

Mme Delphine Bagarry. Nous pensions en avoir fini avec le « trou » de la sécurité sociale en 2024 mais, en prolongeant de dix ans la durée de vie de la CADES, l’espoir qu’avaient les partenaires sociaux de disposer enfin de marges de manœuvre pour investir dans l’hôpital mais également dans une cinquième branche permettant de faire face au défi de la dépendance. Nous le déplorons.

M. Paul Christophe, rapporteur. Ces trois amendements visent à supprimer la prolongation de l’amortissement de la dette sociale jusqu’en 2033. Cette suppression aboutirait à rendre caduc le transfert de 136 milliards d’euros prévus par la loi ordinaire. À court terme, l’ACOSS devrait assumer un déficit social de 52 milliards d’euros a minima pour cette année, menaçant le versement des prestations sociales et des pensions pour des millions de Français.

Vous contestez le portage par la CADES du déficit issu de la gestion de la crise sanitaire, mais l’État va assumer 220 milliards d’euros, contre 52 milliards pour la sécurité sociale. Il n’est donc nullement question qu’il ne prenne pas sa part dans le déficit public.

Je me réjouis pour ma part que la sécurité sociale soit capable d’assumer son rôle face à une crise de l’ampleur de celle que nous avons connue. Le réseau de recouvrement des URSSAF a permis, avec une réactivité exemplaire, à nombre d’entreprises de sauver leur trésorerie par le report des cotisations, et la mise en place d’un régime dérogatoire d’activité partielle a empêché huit millions de Français d’être directement menacés par le chômage.

L’extension de la durée d’amortissement de la dette sociale est bien une nécessité, mais elle ne contraint pas pour autant l’investissement dans notre protection sociale, comme le montrent le « Ségur de la santé », les primes accordées au personnel soignant et au personnel des établissements médico-sociaux ou encore le transfert de CSG réalisé par le projet de loi ordinaire.

Enfin, nous avons la chance de profiter en ce moment de conditions de refinancement extrêmement positives. La CADES, grâce à son adossement à la signature de l’État, peut s’endetter à des taux historiquement bas, voire négatifs, et bénéficier d’une profondeur de marché lui permettant aujourd’hui d’être bien plus servie que ses besoins.

Mon avis est donc défavorable.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé de la protection de lenfance. Depuis 1996, la dette sociale est dissociée du reste de la dette publique. Tout est mis en œuvre pour assurer son remboursement dans un temps limité, par l’affectation de recettes spécifiques. Ce choix est un pilier fondamental de notre système de sécurité sociale, puisqu’il assure la pérennité de son financement. C’est aussi la contrepartie logique du pilotage financier autonome de la sécurité sociale. L’aide sociale doit être gérée par la sécurité sociale et non transférée à l’État. C’est également un choix responsable puisqu’il permet de ne pas faire peser sur les générations futures le poids de dépenses courantes.

En 2011, dans cette logique, il avait été décidé, à la suite de la crise financière et économique des années 2008 et 2009, de procéder à un transfert de 130 milliards d’euros de dette à la CADES – et non à l’État. Si la situation actuelle est exceptionnelle par la soudaineté et l’ampleur de la crise, rien ne justifie d’adopter une solution différente. Le déficit sans précédent de la sécurité sociale qui s’annonce pour 2020 résultera principalement d’une contraction de l’assiette de ses recettes, ainsi que de l’accroissement des dépenses de santé. Certes, la sécurité sociale n’est pas responsable de la crise du covid-19, pas plus qu’elle ne l’était de la crise de 2008, mais son rôle est de répondre aux besoins liés à la crise – elle s’y emploie avec les moyens dont elle dispose. Pour ne pas sortir affaibli de la crise, notre système de protection sociale doit aussi rembourser la dette qui en résulte. C’est pourquoi, plutôt que de continuer à financer ces besoins par des emprunts à court terme et d’augmenter les impôts, de réaliser des économies immédiates pour limiter la dette, il a été décidé de procéder à un nouveau transfert de dette vers la CADES. Transférer la dette à l’État remettrait en cause le principe vertueux de son remboursement et reviendrait à considérer que l’État doit assurer le financement de la sécurité sociale.

Par ailleurs, alors que ses recettes sont en chute, l’État supporte une large part des dépenses liées à la crise, notamment le coût de l’activité partielle. Il est normal que l’État et la sécurité sociale assument chacun une part de l’effort entrepris. Tout en s’engageant à rembourser la dette, le Gouvernement choisit aussi de financer les priorités, comme la dépendance. C’est une orientation responsable pour l’avenir, qui assainit durablement la situation financière de la sécurité sociale. Pour toutes ces raisons, nous serons défavorables aux amendements de suppression.

M. Pierre Dharréville. Le débat montre la nécessité d’élargir le périmètre de la discussion. Comment financera-t-on les dettes qu’on transfère à la CADES ? On prend des décisions un peu à l’aveugle, alors que ce sujet mériterait une discussion plus approfondie, au‑delà même du Parlement. Non seulement la mesure proposée ne va pas dans la bonne direction, mais on ne sait pas où on trouvera les recettes nécessaires. Or, on a besoin de ressources supplémentaires pour financer les besoins sociaux.

M. Boris Vallaud. Le ministre nous a dit que le débat était légitime, mais nous savons qu’il n’aura pas lieu : sauf coup de théâtre, la majorité votera dans le sens indiqué par le Gouvernement. La dette est-elle le fruit d’une gestion déséquilibrée des organismes de sécurité sociale et de l’UNEDIC et doit-elle, à ce titre, être considérée comme authentiquement sociale ? Absolument pas. Elle résulte de décisions du Gouvernement, dues à la crise : c’est une dette particulière, qui nécessite un traitement particulier. Du fait du transfert de la dette à la CADES, des milliards d’euros de ressources, qui auraient été disponibles à une échéance assez brève, ne le seront plus. Par ailleurs, le coût de la gestion par les organismes de sécurité sociale et par l’État n’est pas le même, car les dettes n’ont pas une nature identique et sont soumises à des taux distincts. Vous proposez de financer les dettes par des impôts proportionnels, qui ne prennent pas en compte les facultés contributives, alors qu’on a plus que jamais besoin de solidarité. Comment, par cette vision à très court terme, allez-vous honorer vos promesses ?

M. Charles de Courson. Par la nouvelle rédaction de l’article 4 bis de l’ordonnance du 24 janvier 1996, vous entendez réduire les possibilités de financement de la CADES. En effet, vous ajoutez aux mots « impositions de toute nature » les mots « dont lassiette porte sur lensemble des revenus perçus par les contribuables personnes physiques ». Cela exclut, notamment, l’impôt sur les sociétés ou une partie de la TVA. Par ailleurs, il est fait mention « des prélèvements sur les fonds des organismes chargés de la mise en réserve de recettes [...] ». Or, y a-t-il d’autres organismes, en ce domaine, que le FRR ?

M. Laurent Saint-Martin. Supprimer l’article empêcherait de maintenir l’ACOSS en première ligne à court terme, ce qui est l’objectif premier. Comment assurer une juste répartition du financement de la dette issue de la gestion de la crise entre les comptes sociaux et ceux de l’État ? Ce dernier est déjà fortement mis à contribution : comme le montrera le prochain projet de loi de finances rectificative, le déficit public, assumé principalement par l’État, excédera 10 % du PIB. Le financement de cette dette doit relever du champ social, car une part du chômage partiel, comme la perte de recettes consécutive à la baisse des cotisations ressortit à ce dernier. Certains estiment que l’État devrait assumer tout l’effort ; outre le caractère exceptionnel de la crise, ils invoquent le fait que cela faciliterait le refinancement de la dette. C’est contestable car, si on transfère massivement la dette – en l’occurrence, à hauteur de 136 milliards d’euros –, on obtient des maturités beaucoup plus longues, et donc des conditions de financement équivalentes à celles consenties au Trésor. Le mécanisme n’est pas statique ; le raisonnement ne doit pas être binaire.

M. le rapporteur. Monsieur Dharréville, selon les prévisions, la CADES devrait continuer à percevoir, à l’horizon 2024, les recettes qui lui sont actuellement affectées. S’agissant de la période 2024-2033, en prenant en compte les volumes attendus de CSG et de CRDS, les actifs prévisibles du FRR et les hypothèses d’évolution des taux et de la croissance, la modélisation montre que le niveau de recettes nécessaire à l’amortissement de la dette sera pérennisé.

Monsieur Vallaud, les 136 milliards d’euros comprennent 31 milliards d’euros de dette sociale constatée au 31 décembre 2019 et 13 milliards d’euros – 10 au titre du capital et 3 au titre des intérêts – liés aux investissements dans les hôpitaux. On se souvient de la souffrance ressentie, en 2016 et en 2017, lorsque l’ONDAM a été fixé à 1,8 puis 2,1 % ; à la suite des emprunts qui ont dû être contractés, on a peiné à assumer la charge de la dette. Les 92 milliards restants relèvent essentiellement de la perte de recettes due à la baisse des cotisations. Il est légitime que la CADES prenne en charge cette dette de 136 milliards.

Monsieur de Courson, il n’existe en effet qu’un seul organisme chargé de la mise en réserve des recettes ; le pluriel n’est peut-être pas nécessaire.

M. Boris Vallaud. Nous avions suggéré la reprise de la dette de 10 milliards d’euros dans le PLFSS 2020 – celle-ci n’est donc pas due à la crise. Il n’avait pas été dit qu’elle serait assumée par la CADES, mais par l’État, pour ne pas obérer les capacités de la Caisse. Le coût annuel de la dette diffère selon que la gestion est assurée par l’État ou par la CADES. Il aurait fallu distinguer ce qui relève du conjoncturel et du structurel.

M. Jean-Carles Grelier. Je ne soutiens pas la proposition de suppression de l’article, mais je m’interroge sur les moyens de financement de l’hôpital. Certes, on reprendra 13 milliards d’euros de dette de l’hôpital et l’ONDAM augmentera en 2021. Mais qu’en ira‑t‑il au cours des années suivantes ? La santé est financée par les cotisations sociales, l’impôt – plus précisément, la CSG – et la dette. Or, nous savons tous ici que nous ne pouvons plus agir durablement sur aucun de ces leviers. Reprendre une dette de 13 milliards d’euros sans remettre à plat le financement de l’hôpital, c’est prendre le risque que, dans deux ans, les hôpitaux aient retrouvé le même niveau d’endettement.

Mme Caroline Fiat. Des promesses sont faites, qui ne sont pas précisément chiffrées. Le Gouvernement dit qu’il va faire passer l’ONDAM à 2,5 %, mais l’hôpital a besoin d’une hausse de 4 %. Emmanuel Macron ayant affirmé, pendant plusieurs semaines, « quoi qu’il en coûte... », les directeurs d’hôpitaux ont pu se donner un peu d’air en ouvrant les vannes, mais vous n’avez pas pris en compte ces dépenses supplémentaires : vous en êtes restés aux 13 milliards de dette au 31 décembre 2019. Vous marchez toujours à l’envers !

M. Laurent Saint-Martin. Boris Vallaud aurait raison si les mécanismes étaient statiques. À l’heure actuelle, on refinance mieux la dette de l’État que la dette sociale, car leur maturité diffère. Puisque la CADES devait s’éteindre en 2024, elle cherchait jusqu’à présent des segments d’investissement de trois à cinq ans, tandis que l’État contracte des dettes au‑delà de huit ans. Mais, grâce au transfert de 136 milliards d’euros, la Caisse bénéficiera d’un allongement des maturités et de conditions de financement équivalentes. Par conséquent, votre objection ne tient plus, à condition, toutefois, qu’on ne réduise pas le montant repris par la CADES. La bonne gestion de la dette permettra de dégager des recettes budgétaires au profit du service public.

Mme Annie Vidal. Marine Brenier et moi-même avons montré, dans nos travaux sur la thématique « Sécurité sociale » dans le cadre du suivi de la crise sanitaire, que l’augmentation des dépenses de santé devrait avoir pour effet d’accroître l’ONDAM de 13 milliards d’euros par rapport aux prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale. Le déficit annoncé de 52 milliards d’euros de la sécurité sociale tient compte de ces dépenses supplémentaires.

La commission rejette ces amendements.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel n° 13 du rapporteur.

Elle en vient à la discussion commune des amendements n° 10 de M. Pascal Brindeau, n° 2 de M. Jean-Pierre Door, n° 6 de Mme Jeanine Dubié et n° 8 de Mme Christine Pires Beaune.

M. Bernard Perrut. L’amendement n° 2 vise à décaler d’un an – de 2033 à 2034 – la date limite de remboursement de la dette sociale par la CADES, afin de pouvoir commencer plus tôt à financer la réforme de la dépendance, qui pourrait nécessiter 15 à 16 milliards d’euros. Il s’articule avec un amendement au projet de loi ordinaire visant à ce que l’article 2, qui affecte une part de CSG à la CNSA, entre en vigueur en 2021 au lieu de 2024. En effet, le chantier de la réforme de la dépendance doit débuter dès 2021. On ne peut attendre 2024 ni s’en remettre à une éventuelle conférence de financement, à l’issue incertaine. Ce décalage ne serait pas nécessaire si l’État s’était engagé à compenser à la sécurité sociale un certain nombre de mesures.

Mme Jeanine Dubié. Lamendement n° 6 vise à ce que la CADES séteigne en 2028, car il faut dégager de nouvelles ressources pour financer les hôpitaux et lensemble du secteur médico-social, ainsi que laide visant à préserver lautonomie. Il nous paraît légitime que lÉtat prenne en charge le déficit de la sécurité sociale lié à lépidémie de covid19.

Mme Christine Pires Beaune. Le ministre a affirmé que la dette devait être reprise maintenant car la trésorerie de l’ACOSS a été mise à rude épreuve. Il est vrai qu’elle a connu des difficultés dans la seconde quinzaine de mars mais son directeur nous a indiqué qu’il lui est actuellement facile d’émettre, grâce à la qualité de sa signature. L’ACOSS a surtout besoin d’être rassurée, notamment en vue de l’échéance de juillet, face à un risque de retournement des marchés. On peut donc souscrire à la reprise de dette de l’ACOSS mais, puisque ce n’est pas une dette sociale, il conviendrait d’en charger l’État, tout en allongeant, comme le propose l’amendement n° 8, la durée d’amortissement de la dette sociale de trois ans pour répondre à l’urgence du financement de la dépendance. On ne peut attendre l’extinction de la dette actuelle de la CADES, en 2024. Il n’est pas incohérent de demander la réduction de la durée de vie de la CADES si l’amendement au projet de loi ordinaire refusant le transfert des 136 milliards était voté.

M. le rapporteur. Je ne peux être favorable à la proposition de Pascal Brindeau de repousser l’extinction de la CADES à 2041. Je ne perds pas l’espoir qu’on en finisse un jour avec le fardeau de la dette sociale. La date butoir choisie est directement liée à la couverture des déficits définie par le projet de loi ordinaire. Le choix de 2041 ne me paraît pas fondé sur des hypothèses de recettes, de dépenses et de solde raisonnable ou, à tout le moins, prévisible.

Je ne pourrai pas non plus souscrire aux anticipations d’extinction de la CADES en 2027 ou en 2028. Le transfert, dans le projet de loi ordinaire, de 136 milliards d’euros supplémentaires ne pourrait être amorti sur une durée aussi courte, puisque cette anticipation contraindrait la Caisse à amortir plus de 40 milliards d’euros par an. À recettes constantes, c’est impossible ; au cours des deux derniers exercices, 16 à 17 milliards ont été amortis chaque année. Par ailleurs, si la dette figure dans les comptes de l’ACOSS, c’est bien qu’elle présente, à un degré plus ou moins étroit, le caractère d’une dette sociale.

J’ajoute que, si on adoptait vos amendements, la loi organique ne respecterait pas le principe constitutionnel de sincérité budgétaire.

Enfin, nous ne souhaitons pas diminuer la somme transférée à la CADES, car cette dernière est une institution solide, qui s’endette à moindre coût et dont la signature s’appuie sur l’État. Cela n’empêche nullement le Gouvernement d’investir, comme il le fait, dans une meilleure protection sociale pour les Français. Réjouissons-nous d’avoir des institutions de sécurité sociale suffisamment robustes pour porter une dette supplémentaire issue d’un événement imprévisible, dans des conditions de financement actuellement très favorables.

Monsieur Perrut, la prolongation d’un an que vous appelez de vos vœux découle de la proposition, que vous formulez dans un amendement au projet de loi ordinaire, de diminution des recettes de la CADES de 2,3 milliards d’euros par an entre 2021 et 2024. Vous anticipez en effet le financement supplémentaire alloué à la CNSA. La sincérité budgétaire commanderait donc le report d’un an. Je ne peux néanmoins pas y être favorable. Une telle diminution de recettes pourrait mettre en péril la capacité de la CADES à continuer à se financer aux conditions actuelles. C’est une hypothèse que nous avons testée auprès de plusieurs acteurs, en toute objectivité. Cette mesure affecterait un quart de la part de CSG aujourd’hui versée à la CADES. De plus, l’anticipation à 2021 mettrait à mal la capacité à rembourser ne serait-ce que l’échéance de 2024. La prolongation d’un an perturberait la lecture par les marchés et nous renverrait à l’incertitude. Nous n’avons donc pas donné suite aux discussions tenues lors des auditions.

Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.

M. le secrétaire dÉtat. Pour les mêmes raisons que le rapporteur, mon avis est défavorable. Je développerai mes arguments lors de l’examen des amendements à l’article 2 du projet de loi ordinaire.

Mme Christine Pires Beaune. Vous êtes de mauvaise foi ! Il ne s’agit pas de réduire la durée d’amortissement de la dette reprise par la CADES tout en transférant 136 milliards ! Vous n’avez pas compris l’amendement. Pourtant, son exposé sommaire précise bien qu’il est complémentaire de l’amendement déposé sur le projet de loi ordinaire.

Mme Stella Dupont. Même s’ils peuvent apparaître contradictoires, ces amendements visent tous le même objectif : clarifier les modalités de financement de la CNSA et de la future cinquième branche. La majorité partage cette préoccupation. Construire une cinquième branche sans financements à la hauteur des enjeux ne nous mènerait nulle part en effet. À ce stade, nous proposons de suivre votre avis, monsieur le rapporteur, mais nous demandons au Gouvernement de nous apporter des précisions sur le financement, et ce dès 2021, car nous aurons besoin de moyens conséquents avant 2024. Il doit préciser son ambition politique et budgétaire pour l’autonomie et le grand âge, ainsi que son calendrier.

M. Charles de Courson. La CADES a été créée il y a vingt-cinq ans. Depuis, aucune promesse n’a été tenue... Cette caisse ressemble à un mirage : plus on s’en rapproche, plus elle s’éloigne.

Pour faire passer la pilule, vous nous promettez, la main sur le cœur, que la dette s’éteindra au plus tard en 2033. Mais, monsieur le secrétaire d’État, à recettes inchangées, quelles sont les hypothèses implicites de déficit ? Nous avons posé la question à M. Darmanin : il nous a répondu, gêné, espérer un retour à l’équilibre à partir de 2024 – on ne tient compte que des déficits 2020-2023. Certes, il y aura alors une nouvelle majorité... Pouvez-vous nous indiquer la date du retour à l’équilibre ? Ce débat est surréaliste : on ne peut discuter d’un déficit sans connaître les recettes et les dépenses !

M. Bernard Perrut. Je partage les interrogations de M. de Courson. En outre, d’autres collègues ont rappelé l’urgence et la nécessité de la création de ce cinquième risque : mais qu’y met-on ? Ce ne peut être un slogan ! Comment le finance-t-on ? Et, surtout, quand ? Monsieur le rapporteur, que répondez-vous aux EHPAD, aux structures et à tous ceux qui attendent ? Lorsque nous vous proposons des moyens pour mettre en place cette cinquième branche le plus rapidement possible, vous les rejetez !

M. le rapporteur. Ce n’est pas à moi de définir les modalités de financement mais, vous avez raison, il y a urgence. D’ailleurs, le rapport Libault a estimé le besoin de financement à environ 8 milliards d’euros, quand le rapport El Khomri parle de 10 milliards. Je penche plutôt pour cette dernière estimation. Le rapport Libault avait également fléché un financement via le solde de la CADES en 2024. Il n’avait donc pas identifié l’urgence dès 2021. C’est pourquoi, sur la période 2021-2024, le Gouvernement et la majorité doivent faire d’autres propositions de financement – le rapport Libault en liste un certain nombre. Le ministre Véran nous l’a confirmé : la conférence des financeurs se mobilisera pour apporter des réponses.

Vous le constatez, nous avons compris la même chose. C’est pourquoi nous nous y sommes penché lors des auditions. En complément des arguments que j’ai déjà développés, c’est également la raison pour laquelle nous avons rejeté vos amendements.

M. Bernard Perrut. Si la crise sanitaire du covid-19 n’était pas passée par là, le Gouvernement et la majorité ne proposeraient certainement pas la création de ce cinquième risque ! La crise a mis en exergue les difficultés de nos établissements, contre lesquelles beaucoup de nos collègues se battent depuis des années. Nous avions déjà interrogé la ministre pour savoir quand serait présenté un véritable projet de loi sur la dépendance, permettant de faire face au besoin d’autonomie de nos concitoyens. Le sujet a toujours été reporté et, désormais, dans une certaine précipitation, on nous annonce la création d’une cinquième branche, sans que nous puissions débattre de son périmètre et de son financement. Si vous continuez dans cette direction, nous ne pourrons pas vous suivre. Ce serait dommage. L’unanimité ne peut se faire sur un projet de loi vide !

Mme Annie Vidal. Le rapport Libault estime les besoins de financement pour le grand âge à 6 milliards d’euros en 2024, et tout ne pèse pas sur le budget de la sécurité sociale : certaines mesures d’accompagnement concernent l’habitat, les transports, l’adaptation des villes et des communes, etc.

M. Jean-Carles Grelier. Vos réponses donnent le sentiment que nous avons les moyens d’attendre 2 024. Monsieur le rapporteur, je connais votre attachement à l’échelon départemental – notamment au département du Nord – et je m’étonne de vos propos : ils laissent à penser que la conférence des financeurs, qui réunit la CNSA et les départements, pourra gérer la crise de l’autonomie jusqu’en 2024 ! Or les besoins en financement sont criants et urgents. Dès 2021, les départements ne pourront plus les assumer...

M. Cyrille Isaac-Sibille. J’avais aussi posé la question de la stratégie et du calendrier du Gouvernement en faveur de l’autonomie. Jetons déjà les bases de cette cinquième branche, parlons ensuite de l’organisation. Nous traiterons le financement dans le PLFSS. Monsieur Perrut, pensez-vous que nos prédécesseurs auraient créé la sécurité sociale en 1945 s’ils avaient su que cela entraînerait des milliards de dépenses... ? Bien sûr que non ! La crise actuelle a révélé nos fragilités. Lançons-nous et faisons, comme nos prédécesseurs, preuve d’un peu de courage !

Mme Audrey Dufeu Schubert. Notre collègue Isaac-Sibille a raison. La création de la sécurité sociale remonte à 1945, avec une majorité proche de vos idées, monsieur Perrut. De même, en 2003, au lendemain de la canicule, c’est vous qui avez créé la CNSA. Il serait donc malvenu de nous reprocher la création d’une cinquième branche au lendemain de la crise du covid !

Mme Caroline Fiat. Personne ne vous reproche de vouloir mettre de l’argent dans l’autonomie et la dépendance ! Mais, à vous écouter, on se demande à quoi sert de légiférer : les décisions sont déjà prises et le chiffrage effectué sur la base du rapport Libault.

Pour ne prendre qu’un exemple, quand le rapport que j’ai rédigé avec Mme Iborra préconise de passer de 0,2 à 0,6 soignant par résident, correspondant à une heure et demie de soins, le rapport Libault plaide pour une augmentation de 0,54 à 0,6 personnel, incluant les directeurs, les animateurs, les cuisiniers, etc. Vous avez donc déjà fait votre choix : vous n’augmenterez pas le nombre de personnels soignants au chevet des résidents. Nous en prenons acte. Souffrez qu’il y ait une opposition et que nous souhaitions débattre des solutions et des modalités de financement !

Certes, il s’agit de votre projet, mais la covid-19 et la crise n’en faisaient pas partie... Vous plaidez pour l’unité, mais décidez seuls, comme d’habitude. Et quand nous souhaitons participer aux décisions, vous vous y opposez, pensant tout savoir. Pourtant, nous avons le droit de poser des questions, de nous opposer, de manifester notre désaccord. Ne soyez pas bornés !

Mme Jeanine Dubié. Ces échanges sont extrêmement intéressants. Ils soulignent la confusion entre le risque et la branche. Que voulez-vous faire ? Le rapport du rapporteur et celui du Conseil d’État sont clairs : il s’agit de fusionner deux sous-objectifs – celui qui traite de la contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes âgées et celui qui traite des contributions de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes handicapées. Est-ce ce à quoi vous réduisez la cinquième branche ? Si tel est le cas, vous vous moquez du monde !

On ne peut parler de cinquième risque sans évoquer le reste à charge pour les familles dont les proches sont accueillis en établissement, ou celui lié à l’accompagnement à domicile. On ne peut passer outre la réforme de la tarification des établissements.

Vous n’avez répondu à aucune de nos questions. Quel est le périmètre de votre réforme ? Comment est-elle financée ? Elle semble se limiter à une restructuration de l’ONDAM, sans prévoir de nouveaux crédits…

M. Julien Borowczyk. Vous ne pouvez nier le caractère novateur de la création d’une cinquième branche. Nous sommes les premiers à vouloir la mettre en place. Bien entendu, les financements seront au rendez-vous, quand le temps sera venu, au moment de la conférence de financement. En outre, nous n’avons pas attendu la crise du covid-19 pour y penser ! Enfin, rappelez-vous qu’il y a peu, certains – qui critiquent désormais notre projet – évoquaient un financement par le secteur privé ou la Mutualité. L’évolution est conséquente puisque nous affirmons ici que le financement sera public et issu de la sécurité sociale.

M. le rapporteur. Ne confondons pas tout, s’il vous plaît ! Concentrons-nous sur le dispositif : il s’agit d’un projet de loi organique visant à lever différents obstacles à la création de la cinquième branche, elle-même créée par le projet de loi ordinaire que nous examinons ensuite.

Monsieur Grelier, nous n’avons pas découvert le sujet de l’autonomie lors de la crise du covid-19 ! En l’affirmant, vous faites fi des travaux que nous avons conduits avant la remise du rapport Libault ou de celui de Mme El Khomri, et qui ont étroitement associé beaucoup d’entre vous.

Ce projet de loi, vous l’aurez également compris, ne vise pas à prévoir les financements dédiés à la prise en charge de l’autonomie. Ce point sera traité lors de l’examen du PLFSS ou d’un autre projet de loi – je ne suis pas dans le secret des dieux. Nous déterminerons alors ensemble les périmètres, la gouvernance et la place des départements qui me sont chers – vous avez raison –, ainsi que les financements qui relèvent de la sphère publique et ceux qui relèvent de la sphère privée. Ce n’est pas à moi de trancher, et encore moins au projet de loi organique. Ne nous trompons donc pas de débat !

Conformément aux conclusions du rapport Libault et aux auditions que nous avons menées, j’ai simplement rappelé que nous envisagions bien de prendre une partie des ressources dédiées à la CADES à partir de 2024. C’est également ce que prévoient les deux projets de loi – prélever une fraction de la CSG dédiée à la CADES. Pour autant, je ne suis pas en train de dire que ce sera le seul financement, ni qu’il n’y aura aucun financement de 2021 à 2024 !

M. le secrétaire dÉtat. Le Gouvernement souhaite structurer rapidement une prise en charge coordonnée de la perte d’autonomie et en assurer un pilotage cohérent. Nous avons la volonté de respecter l’intervention des nombreux financeurs qui participent à cette politique – départements, déjà évoqués, mais aussi communes.

La création d’un nouveau risque couvert par la sécurité sociale et la structuration de sa prise en charge, au sein d’une branche dédiée ou de la branche maladie, sont les choix structurants qui doivent faire l’objet d’une concertation avec tous les acteurs. Le ministre Véran a annoncé son lancement dans les prochains jours. C’est également la raison pour laquelle le projet de loi prévoit que le Gouvernement transmette un rapport sur les conditions de création du nouveau risque et/ou de la nouvelle branche relatifs à la perte d’autonomie. Ce rapport, rendu au plus tard le 30 septembre 2020, précisera les dispositions qui devront être prises dans le cadre du PLFSS 2021.

Dans l’intervalle, le ministre l’a aussi indiqué, le Gouvernement mettra en place une conférence de financement, au sein de laquelle la question des recettes sera clairement posée. La transparence sera évidemment totale sur l’équilibre de la branche puisque vous en débattrez lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Monsieur de Courson, les dispositions de l’article que vous mentionniez sont à droit constant. Ne vous inquiétez pas, le Conseil constitutionnel a validé la rédaction. S’agissant du quantum de dette repris, l’estimation tient compte des prévisions à date. Mais, même si personne ne peut précisément savoir quel sera le déficit en 2024, est-ce une raison pour attendre ?

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte larticle 1er modifié.

Article 2 : Modification du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale en matière dinformation du Parlement et de mesures relatives à la dette

La commission examine lamendement de suppression  3 de M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Carles Grelier. Nous avons un problème de méthode... Le projet de loi crée une cinquième branche alors que la concertation n’a pas eu lieu, alors que le rapport promis par le Gouvernement n’est pas rendu, alors que le Conseil d’État considère dans son avis qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire ces dispositions dans un projet de loi organique – la cinquième branche pouvant être créée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Ouvrez donc largement la discussion, et dès maintenant ! Ouvrez-la à tous les députés de l’Assemblée nationale et au Sénat, ainsi qu’à tous ceux impliqués dans le très lourd dossier de l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Laissez aller les débats et décidez au moment du PLFSS ! Pourquoi y a-t-il urgence à intervenir ? C’est la raison pour laquelle notre amendement vise à supprimer l’article 2.

M. le rapporteur. Vous évoquez le manque de clarté des contours du projet de cinquième risque ou de cinquième branche. C’est pourtant la situation actuelle qui manque de clarté : nous ne votons aucun agrégat sur la dépendance en PLFSS, les annexes sont insuffisamment documentées – quand elles n’arrivent pas trop tardivement – et les liens entre la CNSA et la sécurité sociale sont confus.

Par ailleurs, le rapporteur général Thomas Mesnier, ainsi que plusieurs groupes – dont le mien – entendent clarifier l’article 4 du projet de loi afin de créer un véritable cinquième risque, reconnu comme tel et indépendant du risque de maladie, et une cinquième branche au sein du régime général.

Ces modifications seraient inutiles, le Conseil d’État estimant que la création de la nouvelle branche peut intervenir dans le cadre d’une loi ordinaire. Vous avez raison, mais deux éléments doivent être aménagés dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) afin de respecter les prescriptions du Conseil d’État. Il s’agit en premier lieu de l’annexe au PLFSS dédiée à la dépendance, au même titre qu’il en existe une sur l’ONDAM, qui nous permettra de disposer d’une information améliorée sur les comptes de la dépendance. Or les annexes ne peuvent être créées que dans la loi organique.

En second lieu, l’extraction probable des objectifs « personnes âgées » et « personnes handicapées » au sein de l’ONDAM implique une réduction du nombre de sous-objectifs, sans laquelle nous serons obligés de récréer artificiellement des catégories.

Vous estimez ces modifications prématurées, car antérieures au rapport qui doit être remis au Parlement. Mais nous n’aurons pas mille occasions d’examiner un projet de loi organique et nous devons toucher à la LOLFSS – la « Constitution » des commissaires aux affaires sociales – avec parcimonie.

Cette cinquième branche sera gage de visibilité pour nos concitoyens, de sincérité pour les parlementaires, et de solidité pour les défis financiers et organisationnels qui nous attendent. Mon avis sur votre amendement sera donc défavorable car il s’agit, je le répète, de créer les conditions pour qu’une loi ordinaire – celle qui suit ou une autre – puisse créer une telle branche.

M. le secrétaire dÉtat. Je suis également défavorable.

M. Pierre Dharréville. Vous parlez tous de « nouveau risque ». Il faudra m’expliquer en quoi ce risque est nouveau : les gens vieillissent et perdent en autonomie, il n’y a là rien de « nouveau » ! Certes, nous devons accorder plus de visibilité à ce risque et apporter des réponses à la hauteur, mais rien ne nous garantit que ce sera le cas avec votre projet. Qu’en sera-t-il si cette cinquième branche est rachitique ? Vous ne nous apportez aucune garantie et il s’agit pour le moment simplement d’affichage.

Si nous suivons la démonstration du rapporteur, la décision est prise et il faut supprimer l’ONDAM médico-social. Mais qu’est-ce qui nous y oblige ? Je ne suis pas particulièrement fan des ONDAM – nous en avons débattu à de nombreuses reprises – mais vous liez des sujets qui n’ont pas à l’être ! Ouvrons un grand débat sur la prise en charge de la perte d’autonomie ; nous l’attendons depuis un moment ! Analysons les besoins auxquels nous voulons répondre et la manière d’y répondre. Ensuite, seulement, nous déterminerons s’il faut – ou pas – créer un cinquième risque et une cinquième branche. J’ai encore des doutes, mais faisons les choses dans l’ordre !

Votre démarche n’est pas cohérente : les deux sujets dont traitent les projets de loi sont distincts ; il faut les traiter séparément.

M. Boris Vallaud. Votre cinquième branche ressemble à une boîte à chaussures dans laquelle on ne sait pas s’il y aura des chaussures ou quelle sera leur taille !

Vous nous dites qu’il faudrait accepter le transfert de dette à la CADES du fait de la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale. Mais les deux sujets sont distincts, et mériteraient des débats distincts. A minima, attendons le rapport promis par le Gouvernement pour nous prononcer. La confusion contribue en outre à évacuer la question du bien-fondé de la socialisation de cette dette exceptionnelle.

M. Charles de Courson. À la lecture du point 10 de l’avis du Conseil d’État, on se rend clairement compte que l’article 2 n’est pas nécessaire ; d’ailleurs, les propos du rapporteur le confirment. Monsieur le ministre, ne s’agit-il pas d’un texte de pur affichage, qui se contente de sortir deux sous-objectifs de l’ONDAM pour les réunir et en faire un seul objectif ?

Mme Annie Vidal. Depuis le début de cette discussion, vous dites manquer d’informations ; or l’article 2, que vous voulez supprimer, vise précisément à donner au Parlement davantage de lisibilité s’agissant des dépenses relatives à l’autonomie. Il propose en effet de préparer la création de la cinquième branche en supprimant deux sous-objectifs de l’ONDAM, relatifs respectivement aux dépenses des établissements pour personnes âgées, et à celles des établissements pour personnes handicapées.

Nous n’inventons pas un nouveau risque : nous nous employons à en reconnaître un qui existe depuis longtemps. La perte d’autonomie sera désormais reconnue et prise en charge par la solidarité nationale comme un risque à part entière. Je ne comprends pas que vous vous y opposiez.

Mme Audrey Dufeu Schubert. Monsieur Dharréville, vous avez dit que le risque de perte d’autonomie était déjà pris en compte dans notre système de santé ; c’est très révélateur de la perception que nous avons du vieillissement. Le rattacher à une branche maladie véhicule l’idée que vieillir est une maladie. Or, avec la création de cette cinquième branche, la perte d’autonomie due à la longévité ou à un handicap sera prise en compte de manière transversale et non plus comme une maladie. C’est un élément fondateur de la politique que nous voulons porter, car vieillir est aussi une chance pour notre société.

Mme Monique Iborra. Je m’étonne que des groupes politiques disent aux citoyens qui attendent et demandent depuis longtemps la création d’une nouvelle branche, annoncée par de nombreux gouvernements – que ce soit sous les présidences de M. Sarkozy ou de M. Hollande, et même avant –, qu’il faut la supprimer.

Vous dites que nous mettons la charrue avant les bœufs, et que les financements qui seront attribués à ce cinquième risque ne sont pas clairs. Mais il ne s’agit que d’un contenant, dont le contenu serait la loi « grand âge et autonomie », que nous appelons de nos vœux, et sur laquelle nous avons travaillé pour produire un diagnostic partagé par l’ensemble des groupes politiques.

Prétendre que le problème est déjà traité, est pour le moins léger. Quand on voit dans quelle situation se trouvent les personnes âgées face au risque de perte d’autonomie, on se rend bien compte que ce n’est pas le cas. Il faut inscrire cette branche dans la loi, et obtenir ensemble la loi « grand âge et autonomie », qui nous a été promise depuis maintenant trois ans par le Gouvernement.

M. Pierre Dharréville. Ne nous faisons pas de faux procès sur un sujet si important, et à propos duquel nous sommes nombreux à nous être mobilisés. Ce problème de société n’est pas apparu avec la crise sanitaire : voilà un moment qu’un certain nombre de personnes appellent l’attention sur la situation des EHPAD et, plus généralement, sur la question de la prise en charge de la perte d’autonomie. Comment allons-nous y répondre ? Nous pouvons nous mettre d’accord pour dire que la dépendance devrait relever d’une prise en charge par la sécurité sociale ; et celle-ci devrait être selon moi beaucoup plus forte qu’elle ne l’est actuellement.

Quelle sera notre philosophie ? En effet, la vieillesse n’est pas une maladie. Cependant, quand on vieillit, le risque augmente de tomber malade ou de perdre de l’autonomie, même si tout le monde n’en passe pas par là. Il faut beaucoup mieux prendre en charge ces difficultés de l’existence, comme le sont déjà un certain nombre de pathologies ; c’est bien pour cela que la sécurité sociale a été créée.

Je me bats à la fois pour une meilleure prise en charge par la sécurité sociale, et pour la création d’un grand service public de l’autonomie. Nous avons beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. Avant de prendre des décisions sur ce vaste sujet, il faut poursuivre nos discussions. Au lieu de nous proposer de prendre des décisions ensemble, vous nous mettez devant le fait accompli avec ce texte.

M. le rapporteur. Il est vrai que ce risque n’est pas nouveau, mais il n’avait jamais été identifié comme tel. Vous dites ne pas être fan des ONDAM ; pour ma part, je suis encore moins fan des sous-ONDAM. Or c’est actuellement en leur sein qu’il faut aller piocher pour trouver l’ensemble des informations, et c’est bien ce que nous proposons de rectifier par l’intermédiaire de ces deux textes.

Nous respectons les prescriptions du Conseil d’État. La loi organique ne crée pas la cinquième branche de la sécurité sociale : elle vise à mettre en place les conditions nécessaires pour qu’une loi ordinaire à venir puisse le faire. Les débats nous amènent souvent à passer d’un texte à l’autre, mais je ne suis rapporteur que du projet de loi organique, et c’est à son propos que je peux m’exprimer. Pour l’avoir vécu il y a peu sur l’examen d’un autre texte, je sais que nous pouvons compter sur notre collègue Boris Vallaud pour nous interpeller si jamais nous contrevenions aux règles édictées par le Conseil d’État...

Par ailleurs, la nouveauté proposée consiste en la création d’une annexe, qui ne peut être prévue que dans une loi organique, ce qui justifie d’autant le présent texte.

Enfin, en créant cette cinquième branche, nous mettons le Gouvernement devant ses responsabilités. Il ne faut pas rester au milieu du gué : le débat doit se poursuivre pour que les engagements pris en matière de gouvernance et de financements soient respectés. Ces deux textes n’ont pas vocation à traiter le sujet dans son intégralité.

La commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement de précision rédactionnelle n° 14 du rapporteur.

Puis elle adopte larticle 2 modifié.

Après larticle 2

La commission examine lamendement n° 7 de Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Il s’agit d’un amendement d’appel, qui doit servir à ouvrir la discussion – déjà entamée – sur ce cinquième risque ou cinquième branche.

Je souhaiterais d’abord davantage de clarté s’agissant des terminologies utilisées : dépendance et perte d’autonomie ne sont pas synonymes. La dépendance, c’est l’impossibilité, partielle ou totale, d’accomplir seul des actes de la vie quotidienne, alors que l’autonomie renvoie au droit de chacun de choisir ce qui est bon pour soi. Confondre les deux termes et les utiliser indifféremment, entretient l’idée qu’être dépendant revient à ne plus être capable de choisir ce qui est bon pour soi, et à être privé de ce droit. Cette confusion révèle la perception que l’on a souvent d’une personne âgée ou d’une personne handicapée en situation de dépendance, à qui on ne reconnaît pas le droit de choisir.

Ensuite, cette branche recouvre à la fois les personnes âgées et les personnes handicapées. Au-delà de l’affichage qui conduit à regrouper deux sous-ONDAM, cela signifie-t-il que l’on va enfin supprimer la barrière d’âge à 60 ans, et mettre en place une prestation universelle et de solidarité nationale pour compenser les effets de la dépendance chez les individus âgés ou en situation de handicap ? Ce sont là les véritables enjeux de cette mesure, et c’est pour cela que je me bats depuis 1988 et la création de la CSG, qui a fait émerger cette notion de cinquième risque, dont j’ai l’impression qu’elle se trouve aujourd’hui détournée pour n’être plus qu’un outil budgétaire.

M. le rapporteur. Je comprends bien l’état d’esprit qui préside à votre amendement d’appel, mais il ne s’agit pas du bon véhicule.

Votre amendement propose de compléter l’article législatif ordinaire L. 200-2 du code de la sécurité sociale, pour ajouter une branche « dépendance ». Cet ajout est évidemment le bienvenu, et Thomas Mesnier, moi-même ainsi que plusieurs groupes le proposeront dans la loi ordinaire.

Il n’est pas possible de le faire dans le présent texte : au point 10 de son avis, le Conseil d’État précise en effet que « la création dun nouveau risque ou dune nouvelle branche de la sécurité sociale ne relève pas, par nature, du législateur organique ». Il me semble préférable de respecter la hiérarchie des normes et l’avis du Conseil d’État sur ce point.

En outre, ajouter cette branche par un texte organique aurait pour conséquence de rendre organique cette nouvelle branche, alors que toutes les autres relèvent du niveau législatif ordinaire. Elle n’apporterait qui plus est aucune garantie supplémentaire en matière de solidarité, la LOLFSS étant essentiellement un texte procédural ; elle pourrait même encourir la censure du Conseil constitutionnel, qui estimerait que cette mesure n’applique aucun article de la Constitution.

Pour toutes ces raisons, je vous propose un retrait et vous donne rendez-vous dans le projet de loi ordinaire qui nous sera soumis juste après.

M. le secrétaire dÉtat. Je suis du même avis.

Mme Jeanine Dubié. J’entends tout à fait que ce texte n’est pas le bon vecteur législatif, et je vais retirer cet amendement. Cela dit, vous n’avez pas répondu à ma question : quel est le périmètre de cette cinquième branche ? Pour le moment, il ne s’agit que d’un affichage dans le cadre de l’ONDAM.

M. le rapporteur. Ne nous trompons pas d’objectif ni de débat. Ce sujet a toute son importance mais n’a pas sa place dans le cadre du débat relatif au projet de loi organique. Il trouvera son prolongement dans les discussions que nous aurons sur le texte ordinaire et, surtout, dans la concertation évoquée par M. le ministre Olivier Véran. J’espère qu’elle débouchera sur des mesures de financement dans le PLFSS. Monsieur le ministre, ne nous laissez pas au milieu du gué. Nous avons l’intention de franchir un vrai pas en créant ce soir une nouvelle branche dans la loi ordinaire ; il restera alors à rassurer les uns et les autres sur la continuité du débat et sur les moyens qui seront accordés.

Lamendement n° 7 est retiré.

La commission adopte lensemble du projet de loi organique modifié.

 

En conséquence, la commission spéciale demande à lAssemblée nationale dadopter le projet de loi organique dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3066_texte-adopte-commission#


–  1  –

   annexe :
personnes auditionnÉEs par LES RAPPORTEURS

 

     Caisse nationale de solidarité pour lautonomie (CNSA) : Mme Virginie Magnant, directrice, et M. Stéphane Corbin, directeur adjoint

     Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) : M. Yann-Gaël Amghar, directeur

     Caisse damortissement de la dette sociale (CADES) : M. Jean-Louis Rey, président du conseil d’administration, Mme Geneviève Gauthey, secrétaire générale adjointe, et M. Philippe Noël, chef du département des opérations de marché

     Fonds de réserve pour les retraites (FRR) : Mme Sandrine Lemery, présidente du conseil de surveillance, et M. Yves Chevalier, membre du directoire

     Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) : M. Dominique Libault, président

     Direction de la sécurité sociale : Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice

     Association des départements de France (ADF) : M. Jean-Michel Rapinat, directeur des politiques sociales

 

 

 


([1])  La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.

([2]) Décision n° 2006-519 DC du 29 juillet 2005.

([3]) Ce point fait l’objet d’une analyse du Conseil d’État qui, dans son avis, estime qu’il n’y a aucun obstacle à ce que le législateur ordinaire puisse prendre des mesures aboutissant à modifier les recettes de la CADES ou d’autres mesures ayant une incidence sur le remboursement de la dette sociale, dès lors qu’il demeure dans le champ tracé par le législateur organique.

([4]) Décision n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010.

([5]) Le résultat net pour cette même année était de 16,3 milliards d’euros.

([6])Loin° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

([7]) Dans ce dernier cas, le transfert a été finalement annulé par la LFSS 2020 car il reposait sur des hypothèses d’excédents de la sécurité sociale qui ne se sont pas réalisées.

([8]) Il ne peut en revanche pas s’agir d’une diminution des recettes car l’article 4 bis de la loi organique de 1996 dans sa rédaction actuelle ne semble pas autoriser une reprise de recettes dont l’effet immédiat serait d’allonger le délai d’amortissement au-delà de ce qui était prévu par le législateur en 2010.

([9]) Étude d’impact annexée au présent projet de loi organique, p. 15.

([10]) CNSA, chiffres-clés, 2017. https://www.cnsa.fr/documentation/chiffres_cles_2019_cnsa.pdf

([11]) Pour davantage d’éléments sur cette cinquième branche, on pourra utilement se reporter au commentaire de l’article 4 du projet de loi ordinaire.