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N° 3120

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juin 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi pour une éthique de lurgence,

 

 

 

Par MXavier BRETON,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  3038.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

INTRODUCTION

I. Les rÉponses apportÉes À la crise du covid-19 ont soulevÉ des questions Éthiques majeures

A. Lurgence ne saurait justifier labandon de tout principe Éthique

1. Léthique : un repère civilisationnel au-delà des contingences

2. La réflexion éthique est un bouclier contre larbitraire en situation durgence

B. Certaines mesures prises dans le cadre de lÉtat durgence sanitaire se sont affranchies dune rÉflexion Éthique pourtant indispensable

1. Lisolement des personnes âgées dépendantes dans les EHPAD

2. La modification brutale des règles encadrant les rites funéraires

II. La proposition de loi vise À garantir la prise en compte dun véritable impÉratif Éthique À lépreuve de lurgence sanitaire

A. Le ccne et les erer : des organismes consultatifs aujourdhui incontournables

1. Le CCNE : lorganisme référent en matière déthique à léchelle nationale

2. Les ERER : le réseau de léthique dans les territoires

B. Renforcer le rÔle du CCNE ET DES erer et revaloriser laction du parlement dans le cadre de lurgence sanitaire

1. Laffirmation du rôle essentiel du CCNE et des ERER en tant que « filtres éthiques »

2. La revalorisation de laction parlementaire

Commentaire des articles

Article 1er Avis du Comité consultatif national déthique et des espaces de réflexion éthique régionaux dans le cadre de létat durgence sanitaire

Article 2 (nouveau) Saisine consultative de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques

Article 3 (nouveau) Remise dun rapport du Gouvernement sur la fin de vie des personnes décédées pendant létat durgence sanitaire

COMPTE RENDU DES TRAVAUX

ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur


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« La morale : cest un code de la société destiné à permettre la survie de lindividu. Léthique : cest un code de lindividu destiné à permettre la survie de la société. »

Theodore Sturgeon, Les plus quhumains, 1956.

 


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   INTRODUCTION

La crise sanitaire qui a frappé notre pays au printemps 2020 a représenté une épreuve sans précédent depuis l’après-guerre. La mise sous tension de l’ensemble du système de soins a été surmontée grâce à l’admirable mobilisation des personnels soignants et aidants, et plus généralement, de l’ensemble de la société. Dans un contexte inédit, des mesures dérogatoires ont été prises afin de lutter contre la propagation du virus, au nom d’un impératif d’efficacité de la réponse sanitaire.

Ces mesures exceptionnelles, prises dans l’urgence, ont, pour certaines d’entre elles, bouleversé les équilibres sociaux habituels. Si l’objectif qui leur est assigné est bien sûr légitime, il ne saurait justifier la mise à l’écart de valeurs qui fondent notre civilisation. Pourtant, les indispensables questionnements éthiques que soulèvent les réponses apportées afin de lutter contre la pandémie semblent avoir été mésestimés, voire délibérément ignorés.

Ainsi, les difficultés supplémentaires auxquelles ont été confrontées les personnes vulnérables, celles souffrant d’un handicap ou sans domicile fixe, l’isolement prolongé des personnes âgées dépendantes ou la modification brutale des règles régissant les rites funéraires constituent autant d’exemples de lignes rouges franchies en période d’état d’urgence.

L’éthique n’est pas un frein à l’action menée contre le virus, mais constitue au contraire une aide précieuse afin de faire face collectivement à cette épreuve douloureuse, concrétisant à cette fin une exigence d’humanité à laquelle nous ne pouvons nous soustraire.

À la lumière des événements récents, le rôle qu’exercent à l’échelle nationale et territoriale le Comité consultatif national d’éthique et les espaces de réflexion éthique régionaux apparaît ainsi primordial. Cette proposition de loi vise à consacrer leur action, dans le but de préserver la place centrale de l’éthique au cœur des préoccupations provoquées par l’état d’urgence sanitaire. Elle permet également de renforcer le contrôle parlementaire sur ces questions qui s’inscrivent pleinement dans le débat démocratique.

I.   Les rÉponses apportÉes À la crise du covid-19 ont soulevÉ des questions Éthiques majeures

A.   L’urgence ne saurait justifier l’abandon de tout principe Éthique

1.   L’éthique : un repère civilisationnel au-delà des contingences

Dans une interview publiée dans « Le Figaro » le 1er avril 2020, l’ancien ministre de la santé et professeur de médecine Jean-François Mattei distingue la morale de l’éthique en ce que la première revêt un caractère universel attaché à tout individu, à l’inverse de la seconde qui relève de considérations culturelles propres à chaque civilisation ([1]). Le questionnement éthique, celui dont l’objet est de trouver la réponse la mieux adaptée à une situation nouvelle, peut ainsi se référer à un héritage utilitariste d’origine anglo-saxonne (se soucier du plus grand nombre) ou bien à une tradition grecque plus essentialiste (se soucier de chaque personne).

Ces différences d’approches ne remettent pas en cause la nécessité de faire prévaloir des principes éthiques fondamentaux dans toute situation, qu’elle soit inédite ou engendre des difficultés multiples en apparence insurmontables. Cette intériorisation de l’exigence d’éthique n’est pas apparue à la faveur de la crise du covid-19, mais les récents événements ont pu l’amplifier. L’espace de réflexion éthique régional (ERER) d’Île-de-France estime ainsi que « la "demande déthique", déjà forte avant la crise sanitaire, sest décuplée, ce dont témoigne lemploi très fréquent du mot "éthique" dans les médias, les discours des professionnels ou encore les discours politiques ». ([2])

Pour autant, la crise sanitaire actuelle semble avoir bouleversé nos repères. La rhétorique martiale adoptée par le Président de la République lors de son allocution du 16 mars 2020 a directement contribué à alimenter un climat anxiogène, comme si la société était soudainement confrontée à « un état de guerre » de nature à justifier toutes les transgressions éthiques, au nom d’un principe d’efficacité de lutte contre le virus. Cette grille de lecture contraste avec les propos prononcés par le Président de la République allemand Frank-Walter Steinmeier, assimilant cette pandémie non à une guerre mais à un « test de notre humanité ».

L’état d’urgence sanitaire créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a instauré un régime d’exception motivé par le souci de limiter au maximum la propagation du covid-19 dans le but de sauver le plus de vies possibles. Cependant, les vies dont il est ici question s’entendent au sens strictement biologique, et ne font pas référence à la vie en tant que « raison de vivre », c’est‑à‑dire la raison que l’on se donne à soi-même pour continuer à vivre. Ainsi, les risques sanitaires ont justifié l’adoption de mesures liberticides dont les fondements éthiques apparaissent pour le moins incertains voire inexistants.

Dans son avis publié en février 2009 sur les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) fait état de plusieurs interrogations d’une acuité aujourd’hui saisissante à l’aune de la crise du covid-19 :

« La question qui paraît essentielle aux yeux du Comité est celle de savoir si létat durgence induit par une pandémie grippale comporte léventualité dune mise à larrière-plan de certains principes fondamentaux. Faut-il subordonner les libertés individuelles à dautres valeurs plus ajustées à lefficacité de la stratégie de lutte contre le fléau sanitaire ? Jusquoù une limitation aux allées et venues des personnes peut-elle être imposée ?

« [...] Les lieux de regroupement de population, au premier rang desquels figure lhôpital, sont assurément les plus vulnérables. Comment lhôpital réussiratil sil accueille les personnes infectées, à ne pas être un lieu de propagation de la maladie ? La même question se pose pour les maisons de retraite, les institutions hébergeant des personnes handicapées, etc. Une personne infectée sera-t-elle isolée, confinée avec dautres personnes infectées ? Esquiver un tel questionnement peut favoriser un utilitarisme social dont les conséquences sont inacceptables sur le plan éthique. » ([3])

Onze ans plus tard, ces réflexions n’ont rien perdu de leur actualité. L’état d’urgence sanitaire déclenché au printemps 2020 semble s’être écarté de certains repères éthiques autour desquels se façonne le principe de dignité de la personne humaine, dont la valeur constitutionnelle a été affirmée depuis 1994 ([4]).

2.   La réflexion éthique est un bouclier contre l’arbitraire en situation d’urgence

L’anticipation des questionnements éthiques participe de la démarche éthique elle-même. Lorsqu’une situation d’urgence survient, l’éthique est d’autant mieux appréhendée qu’elle a été préalablement discutée et réfléchie en amont de la crise. À l’épreuve de l’urgence, l’éthique permet alors de comprendre, délibérer, peser et soupeser les choix auxquels les pouvoirs publics et le personnel soignant vont devoir se résoudre. Il convient ainsi d’éviter de prendre des décisions administratives unidimensionnelles pour évaluer l’ensemble des paramètres.

Le caractère durgence dune situation implique la prise en compte dune potentielle pénurie (personnel, lits, médicaments...) qui réactualise des choix complexes auquel la médecine est habituellement confrontée, à linstar du « triage » de patients ([5]). À loccasion de la crise du covid-19, ce sujet a ressurgi dans certaines régions parmi les plus touchées par lépidémie. La limitation des ressources disponibles a donc pu accélérer les décisions de « triage », suscitant la crainte légitime des familles des patients et la souffrance psychologique des personnels soignants.

Le « triage » n’est pas en soi une violation de l’éthique ([6]), mais il peut le devenir lorsque les critères sur la base desquels il est effectué, notamment sous l’effet de la précipitation, apparaissent partiaux voire injustes, au risque de briser la cohésion nationale en période de crise. Comme le souligne Frédérique Feichter-Lack dans sa tribune parue dans « Le Monde » le 18 mars 2020, les familles endeuillées seront les premières concernées : « La conscience du tri subi sera vécue comme une violence supplémentaire dans leur deuil. » ([7])

Dans son avis rendu en 2009, le CCNE estime que « dune façon générale, on peut retenir que dans une situation de pénurie de ressources, ce qui conditionne un bon niveau dacceptabilité sociale, cest le fait quaucun principe ne soit sacrifié au profit dun autre. Ce nest pas en appliquant un seul principe quel quil soit (légalité, lespérance de vie, la qualité de vie) au détriment dun autre que lon prend une décision juste. Lexigence de justice transparaît dans la pondération des excès que pourrait entraîner labsolutisation dun critère au détriment des autres. » ([8])

La réflexion éthique en période d’urgence doit également pouvoir s’abstraire des seuls cas d’urgence propres à la crise sanitaire. Les auditions conduites par votre rapporteur ont révélé les risques que suscite la non-prise en charge, certes temporaire, de patients autres que ceux atteints par l’épidémie de covid-19, à l’image de ceux souffrant de pathologies chroniques ([9]) dont les interventions ont été déprogrammées. Si ce choix peut se justifier au regard de la situation, la détresse de ces patients a visiblement été mésestimée, en raison d’une focalisation exclusive sur la lutte contre le virus y compris dans les régions faiblement touchées par l’épidémie.

Il en est également de même s’agissant de l’assouplissement des protocoles de recherche dans le cadre des essais cliniques. Les règles méthodologiques qui les encadrent ont pu être excessivement assouplies, au double risque de porter atteinte à la crédibilité scientifique des travaux menés dans l’urgence et au respect de principes éthiques visant à protéger l’intégrité des patients concernés.

Le questionnement éthique, complexifié en période d’urgence, suppose une anticipation et s’inscrit dans le temps long afin de réduire les risques d’improvisation susceptibles d’aboutir à des dérives arbitraires. La faible appropriation de ces enjeux par le grand public altère nécessairement l’acceptabilité sociale des mesures qui en découlent ([10]).

La réflexion éthique sest considérablement renforcée dans les établissements de santé au cours de ces dernières années. Cependant, la situation paraît plus contrastée au sein des établissements médico-sociaux, tels les établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Dans cette perspective, le rapport remis en janvier 2019 par Denis Piveteau et Alice Casagrande sur la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance des personnes vulnérables préconise « dintroduire, pour les établissements et services médico-sociaux, lobligation de mener en leur sein une réflexion sur léthique de laccueil et de laccompagnement, qui existe déjà pour les établissements de santé (article L. 61111 du code de la santé publique) et de développer à cette fin les espaces de réflexion éthique accessibles aux aidants familiaux et professionnels » ([11]).

Au-delà des établissements de santé et médico-sociaux, les enjeux éthiques en période d’urgence sanitaire concernent de façon plus large l’ensemble des personnes vulnérables (personnes souffrant d’un handicap, sans domicile fixe, demandeurs d’asile...). Le rapport d’étape de mars-mai 2020 rendu par l’ERER d’Île-de-France ([12]) démontre que ces dernières sont particulièrement exposées aux conséquences entraînées par le confinement de la population, rendant encore plus difficile l’accès aux soins ou à un hébergement, et causant ainsi des souffrances physiques et psychologiques accrues, sans que des réponses adaptées à leur situation n’aient été apportées par les pouvoirs publics.

Les auditions conduites par votre rapporteur ont souligné la nécessité de mener une réflexion éthique globale et approfondie dans le but de déterminer, préalablement à l’urgence sanitaire, les limites dans lesquelles doivent s’inscrire les mesures de lutte contre la pandémie. À la faveur de la crise du covid-19, force est de constater que certaines d’entre elles ont été outrepassées.

B.   Certaines mesures prises dans le cadre de l’État d’urgence sanitaire se sont affranchies d’une rÉflexion Éthique pourtant indispensable

L’état d’urgence sanitaire créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le pouvoir réglementaire, sur le fondement des articles L. 3131-15 à L. 3131-17 à prendre des mesures dérogatoires au droit commun afin de lutter contre la propagation du covid-19. Portant une atteinte substantielle aux libertés et droits fondamentaux, les mesures relatives à l’isolement des personnes âgées dépendantes et à la modification des règles encadrant les rites funéraires ont ainsi excédé les limites éthiques auxquelles elles auraient dû rester assujetties.

1.   L’isolement des personnes âgées dépendantes dans les EHPAD

Le placement à l’isolement total des personnes âgées dans les EHPAD décidé dès le début de mois de mars visait un objectif légitime : empêcher ou freiner la propagation du covid-19 dans ces établissements dont les résidents présentent le profil-type des personnes à risques compte tenu des caractéristiques du virus.

Prise dans l’urgence, sans concertation même minimale avec les acteurs de terrain et les associations intéressées, cette mesure a eu pour effet de priver instantanément les résidents des interactions sociales quotidiennes auxquelles ils étaient habitués. Si des moyens alternatifs ont pu être progressivement mis en place grâce à l’utilisation des outils numériques, cette rupture brutale du lien social, non limitée dans le temps, a entraîné des bouleversements psychologiques profonds chez des personnes déjà vulnérables et dorénavant confrontées à une solitude exacerbée. Les risques qu’entraîne cette situation sont connus : ils ouvrent la voie à un « syndrome de glissement » au risque de provoquer la mort précipitée ([13]) de milliers de personnes âgées ayant ainsi perdu toute raison de vivre.

Le rapport rendu par Jérôme Guedj en avril 2020 afin d’évaluer l’impact du confinement dans les EHPAD décrit avec précision ce phénomène :

« Lensemble des professionnels interrogés soulignent que le confinement en chambre commence à être particulièrement pesant pour les résidents, et se traduit par lapparition dapathie, de déprime, de perte dappétit, et dans des cas de plus en plus fréquents par un syndrome de glissement, un désinvestissement ou une détresse psychologique, se manifestant notamment par de la dépression, de la dénutrition, une perte importante de mobilité. Ces situations existent et persistent en dépit des efforts déployés par lensemble des professionnels et bénévoles intervenant en établissement pour maintenir du lien social et des activités par des modalités nouvelles. Ces conséquences seront dautant plus préjudiciables que le confinement sétalera dans le temps. Les demandes de visites de la part des familles se font de plus en plus insistantes. Ces demandes, liées à des anxiétés prégnantes au sein de la société toute entière, soulignent limportance de ce contact physique, a fortiori sil était régulier auparavant : la rupture de ce lien est profondément déstabilisante. » ([14])

En dépit du travail exceptionnel mené par les personnels des EHPAD au cours de la crise sanitaire, l’application indifférenciée de cette stratégie sur l’ensemble du territoire a suscité des incompréhensions majeures et des réactions de colère légitimes. Les conséquences néfastes d’un isolement total (interdiction des visites et des sorties, repas pris dans les chambres...) ne semblent avoir fait l’objet d’aucune véritable prise en compte ex ante, en dépit des enjeux éthiques essentiels qu’elles soulèvent. Les risques induits par cette mesure n’ont pas été pondérés mais simplement ignorés, au profit de la seule lutte contre la circulation du virus. La détresse psychologique des résidents présente un caractère dramatique, à rebours de la nécessité d’une « bientraitance » nourrie d’une démarche éthique que le rapport de M. Piveteau et Mme Casagrande remis en janvier 2019 à la ministre de la santé appelle de ses vœux :

« La bientraitance nest pas une qualité ou un point de perfectionnement à ajouter à laccompagnement de la perte dautonomie. Elle en est tout simplement la première finalité. Accompagner la perte dautonomie et construire, autour de chaque personne vulnérable, un environnement lui permettant de "bien vivre", constituent une seule et même chose. Quest-ce, en effet, que laccompagnement à lautonomie, sinon de faire en sorte que la citoyenneté et lexercice des droits soient effectifs, sans distinction dâge ou de vulnérabilité, que la vie quotidienne se déroule dans lécoute des désirs, des besoins et des capacités de la personne, et que soient suscitées des possibilités de relations humaines et sociales authentiques ? » ([15])

L’absence de toute réflexion des pouvoirs publics sur ce sujet a justifié le maintien de ces mesures pendant plus d’un mois, avant que le régime ne soit légèrement assoupli. Cependant, cet assouplissement est en forme de trompe-l’œil, tant les restrictions demeurent encore très fortes, plus de trois mois après le début de la crise ([16]).

Le questionnement éthique impose également de réévaluer les modes de gouvernance nationale et de communication appliqués lors de cette crise sanitaire sagissant des EHPAD. Dune part, les prescriptions nationales strictes et uniformes ont placé les personnels aidants et directeurs dEHPAD dans des situations difficiles, contraints dappliquer des mesures excessives afin déviter de voir leur responsabilité engagée. La modularité des consignes décidée par les agences régionales de santé a également été perçue comme un facteur dincertitudes et non comme une adaptation pourtant nécessaire aux différentes réalités locales. Dautre part, les tergiversations liées à une communication erratique ([17]) ont provoqué une incompréhension des familles et des résidents, suscitant finalement des espoirs déçus.

Ce constat sévère révèle limpasse à laquelle conduit labsence de réflexion éthique. Dans ce contexte, la commission pour la promotion de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance a saisi le CCNE dès le 10 avril dernier afin dorganiser une veille relative à lisolement extrême des personnes âgées en raison du confinement ([18]).

2.   La modification brutale des règles encadrant les rites funéraires

La lutte contre l’épidémie de covid-19 a justifié l’adoption de mesures réglementaires d’urgence aménageant le cadre juridique des rites funéraires. Les exigences hygiénistes ont ainsi dicté la modification brutale et immédiate de règles touchant à une matière particulière sensible : le deuil des familles et des proches des défunts.

La sensibilité extrême de ce sujet, qui renvoie à la sphère intime et aux croyances de chaque individu, aurait dû conduire les pouvoirs publics à une évaluation très fine du bien-fondé des mesures prévues par le décret n° 2020-352 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles funéraires en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19, durcies par le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020.

Là encore, les questionnements éthiques entourant l’entrée en vigueur de ces dispositions dérogatoires au droit commun semblent avoir été négligés sur l’autel du principe de précaution sanitaire.

Du 2 avril au 11 mai 2020, les corps des défunts contaminés ou probablement contaminés par le covid-19 ont été mis en bière immédiatement. Les soins de conservation ([19]), de même que la pratique de la toilette mortuaire ([20]), ont été interdits, en application de l’article 12-5 du décret du 27 mars 2020. La tenue des cérémonies funéraires a été sévèrement limitée. En effet, l’article 7 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a interdit tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de cent personnes, en milieu clos comme ouvert, jusqu’au 15 avril 2020. L’article 8 a posé le principe de l’interdiction de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de vingt personnes.

L’ensemble de ces restrictions, dont la justification pratique n’a pas valablement été démontrée, ont rendu encore plus difficile le travail de deuil des familles et des proches, accentuant ainsi considérablement leurs souffrances psychologiques dans cette période de crise sanitaire déjà éprouvante. Interdire les soins apportés par les thanatopracteurs revient à dénier aux familles et aux proches le droit à un adieu digne, alors qu’ils représentent la garantie d’un recueillement apaisé, serein et respectueux du défunt.


En 2019, une étude réalisée par le CREDOC dans le cadre des Assises du deuil au Sénat a souligné l’étendue des bouleversements psychologiques induits par le deuil ([21]) :

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Les rituels funéraires ne se résument pas à des « ornements esthétiques » mais constituent un véritable fondement civilisationnel, au cœur de préoccupations éthiques immémoriales.

Il est particulièrement regrettable de constater l’absence de réflexion éthique préalable à l’entrée en vigueur de ces mesures réglementaires d’urgence aux lourdes conséquences pour les familles et proches des défunts.

II.   La proposition de loi vise À garantir la prise en compte d’un véritable impÉratif Éthique À l’épreuve de l’urgence sanitaire

A.   Le ccne et les erer : des organismes consultatifs aujourd’hui incontournables

1.   Le CCNE : l’organisme référent en matière d’éthique à l’échelle nationale

Mobilisé sur les questions bioéthiques dans le cadre du projet de loi récemment adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat ([22]), le CCNE a rendu publics quatre avis depuis le début de la crise du covid-19, témoignant ainsi de son implication dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Si la tonalité des avis et recommandations formulés par le CCNE demeure prudente eu égard à la complexité de la situation à laquelle sont confrontés les pouvoirs publics, le rappel constant des principes éthiques et des modalités acceptables de leur aménagement constitue une forme de « boussole » saluée par l’ensemble des professionnels du domaine médico-social auditionnés par votre rapporteur.

S’agissant des mesures de confinement des résidents des EHPAD, le CCNE a ainsi alerté le Gouvernement sur les risques inhérents à un isolement prolongé des personnes âgées dépendantes en insistant sur l’impératif de maintenir des relations sociales, d’adapter dans la mesure du possible les règles générales aux situations particulières et d’informer l’ensemble des parties prenantes (résidents, familles, personnel aidant et soignant) des décisions prises en la matière. Le maintien du lien social, hélas rompu dans de nombreuses situations précédemment évoquées, correspond à une exigence éthique intangible, qui ne saurait être écartée au nom de la prévention de l’épidémie dans les EHPAD.

Dans son avis rendu le 13 mars 2020, le CCNE estime que « [...] les messages de prévention et de précaution concernant les visites dans le cadre des établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes visent à protéger des personnes particulièrement vulnérables, mais ne dispensent pas de trouver des solutions innovantes permettant déviter la rupture du lien intergénérationnel sur de trop longues périodes » ([23]).

À la lumière des premières semaines de confinement infligées aux résidents des EHPAD, le CCNE a formulé dès le 30 mars 2020 de sérieuses réserves vis-à-vis de la stratégie uniforme d’isolement adoptée à l’échelle nationale :

« Un renforcement des mesures de confinement pour les résidents des EHPAD et des USLD, voire des mesures de contention pour ceux dont les capacités cognitives ou comportementales sont trop altérées pour quils puissent les comprendre et les respecter, ne saurait être décidé de manière générale et non contextualisée, tant la situation des établissements diffère. Le CCNE rappelle vivement que lenvironnement familial ou amical dont les résidents ne peuvent plus momentanément profiter est, pour nombre dentre eux, le lien qui les rattache au monde extérieur et leur raison essentielle de vivre, comme en témoignent de façon unanime les professionnels de terrain. Les en priver de manière trop brutale pourrait provoquer une sérieuse altération de leur état de santé de façon irrémédiable et même enlever à certains le désir de vivre. La prise de conscience de cette situation est aussi de nature à causer à leurs proches une souffrance majeure à laquelle il faut être particulièrement attentif.

« La préservation dun espace de circulation physique, même limité, nous semble impératif en dépit des mesures disolement, afin déviter que le confinement, quelle que soit sa justification au regard des impératifs de santé publique, ne devienne pour ceux qui nont plus la liberté de choisir leur cadre et leur mode de vie, une mesure de coercition. Pour les résidents "testés négativement", la visite de proches, eux-mêmes contrôlés négativement, pourrait être autorisée, dans des conditions strictes de sécurité sanitaire. » ([24])

Dans son avis rendu le 20 mai 2020 sur le processus de déconfinement, le CCNE regrette le maintien prolongé d’un régime d’exception dont les conséquences sociales et psychologiques sur les personnes âgées dépendantes s’annoncent désastreuses, dans un contexte où le « retour à la vie normale » s’accélère en dehors des EHPAD :

« Les personnes âgées sont celles qui paient le plus tribut le plus lourd, compte tenu de leur état de santé, mais doivent-elles être encore plus isolées quelles ne le sont habituellement au détriment de leur bien-être personnel ? Leur droit à une vie privée et familiale a tendance à être trop ignoré pour des raisons qui peuvent être matérielles, alors que les visites des proches sont une des conditions pour que leur séjour en EHPAD soit tolérable, les solutions numériques nétant quun pis-aller qui ne convient pas au demeurant à tous et sont différentes selon les lieux. La bienveillance et la crainte de la maladie ne sauraient exclure la prise en compte des bénéfices/risques des mesures disolement sur la santé et léquilibre de personnes qui sont dans la dernière partie de leur vie et qui souhaitent préserver une vie personnelle. » ([25])

S’agissant de la modification des règles applicables aux rites funéraires, qu’elles relèvent de l’accélération de la mise en bière ou de l’interdiction de la toilette mortuaire et des actes de soins funéraires, le CCNE a également constaté l’exceptionnelle gravité des mesures réglementaires d’urgence prévues par les décrets n° 2020-290 du 23 mars 2020 et aggravées par le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020, alors même que les rassemblements lors des obsèques sont limités à une vingtaine de personnes :

« La "toilette mortuaire" [...] constitue une pratique en lien avec le respect du mort, la dignité due au corps, le respect des rites. La "mise en bière immédiate" empêche de facto les présentations du corps aux familles et les derniers adieux, entravant "la transformation du mort en défunt". Il est noté, par ailleurs, une diversité dans linterprétation de ces mesures et donc des pratiques mises en œuvre selon les établissements concernés. Ainsi, ces dispositions réglementaires sont très mal comprises, avec leur application parfois excessive et rigide. [...] Il convient par ailleurs de mettre en perspective les risques sanitaires de transmission avec les risques sanitaires psychologiques encourus à long terme pour les familles nayant pas pu procéder à une "démarche dadieu". Les mesures de privation, qui sentendent bien évidemment au nom de lhygiène et du risque épidémique, ainsi imposées sans nuance et de façon brutale, présentent aussi le risque dengendrer des situations de deuil compliquées, des représentations de la mort pouvant être sources de souffrance et dangoisse, chez les adultes comme chez les enfants. » ([26])

Ces observations, relayant les préoccupations déjà mentionnées précédemment, ont amené le CCNE à prendre position contre les dispositions du décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 qui sera finalement abrogé le 11 mai dernier :

« La bioéthique ne saurait être définie comme étant seulement "léthique du vivant" et a, depuis le début, concerné tout ce qui entoure la mort, dans toutes ses dimensions. Le soin, la dignité, lhumanité trouvent dans la mort, ce qui la précède, ce qui lentoure, ce qui la suit, une épreuve et une exigence, non pas secondaires, mais premières. La bioéthique implique donc aussi de définir ce que les vivants doivent sinterdire de faire avec les corps des personnes défuntes. Le CCNE constate que ce décret ne va pas dans le sens des démarches éthiques préconisées dans les deux contributions quil vient de rendre à la suite des saisines du ministre des solidarités et de la santé. » ([27])

Le CCNE a enfin souligné les éventuels angles morts de la stratégie de lutte contre la pandémie, en insistant par exemple dès le 13 mars sur l’attention particulière devant être portée aux populations précaires. Dans sa contribution complémentaire publiée le 23 mars, soit six jours après le début du confinement, il aborde de nouveau ce sujet :

« Sagissant des personnes sans domicile, la suppression des maraudes et le vide des rues posent un réel problème, dès lors quune partie de leur survie est assurée par des bénévoles et des passants. Il semble que ces maraudes pourraient être maintenues dès lors que les personnes mobilisées seraient pourvues du matériel de protection nécessaire. Les bénévoles formés aux mesures de protection devraient obtenir une dérogation aux mesures de restrictions des déplacements dues à lépidémie de coronavirus pour leur permettre de circuler et continuer à porter secours. » ([28])

L’ensemble de ces avis et prises de position du CCNE démontre la nécessité de préserver un temps de réflexion éthique afin d’interroger en profondeur les tenants et aboutissants de ces mesures d’urgence, dont l’opportunité ne saurait se résumer à de strictes considérations hygiénistes, aussi importantes soient-elles. Contrairement à la forte médiatisation des avis du CCNE dans le cadre des projets de loi de réforme bioéthique, votre rapporteur constate à l’inverse un écho limité du travail – de qualité – accompli par le CCNE dans des délais pourtant contraints. Les difficultés liées à la communication en période d’état d’urgence sanitaire peuvent expliquer cette faible médiatisation vis-à-vis du grand public qui gagnerait à être davantage informé sur ces questions d’intérêt général.

2.   Les ERER : le réseau de l’éthique dans les territoires

Faisant « fonction dobservatoires régionaux ou interrégionaux des pratiques au regard de léthique » au sens de l’article L. 1412-6 du code de la santé publique, les ERER jouent un rôle important afin de coordonner, à l’échelle locale, les réflexions et pratiques éthiques des différents acteurs médico-sociaux.

À l’image du CCNE, les ERER se sont également mobilisés au cours de l’état d’urgence sanitaire. Cependant, leur action est davantage centrée sur le partage d’expériences et l’analyse des difficultés rencontrées sur le terrain, au contact des patients et des personnes vulnérables. Ils stimulent ainsi les échanges et débats entre professionnels, en impulsant, par exemple, la création de cellules de soutien éthique locales au sein des hôpitaux et des établissements médico-sociaux ([29]).

Auditionnés par votre rapporteur, les ERER des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France, ont fait état, à titre illustratif, des projets concrets mis en œuvre depuis le début de la période d’état d’urgence sanitaire.

Dans une optique proactive, l’ERER de la région Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi développé de multiples initiatives telles que la mise en place de groupes de travail entre EHPAD et services du SAMU afin de fluidifier les relations en période de crise. Mieux acceptées, les décisions collectives prises en matière d’organisation des soins facilitent la prise de conscience des enjeux éthiques par les patients et leurs familles, tout en sécurisant les soignants dans l’exercice de leurs fonctions.

L’ERER d’Île-de-France s’est aussi mobilisé avec force depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, en créant notamment un « Observatoire Covid-19 ». Outre un document relatif aux questions éthiques liées à la fin de vie publié le 20 avril 2020 ([30]), l’ERER d’Île-de-France a notamment lancé un projet de recherche « Covid-Ethics » ([31]) :

Le projet « Covid-Ethics » lancé par lERER dÎle-de-France

L’ERER met en place des dispositifs de recueil des données du terrain afin d’agréger témoignages, pratiques, réflexions, expérimentations, dans des situations très diverses. Sept thématiques ont été ciblées :

- enjeux éthiques décisionnels en réanimation ;

- situations de handicaps et précarités ;

- situations en EHPAD et à domicile ;

- pratiques médicales et soignantes en ville et à la campagne ;

- souffrances professionnelles ;

- fins de vie et soins palliatifs ;

- pratiques funéraires.

L’objectif est de procéder à un suivi et à une analyse des enjeux, à l’identification de points de vigilance à approfondir d’un point de vue éthique et à émettre des propositions dans le cadre des réseaux qui se sont constitués.

Cette recherche sera menée sur dix-huit mois, grâce au recrutement à partir de septembre 2020 dun post-doctorant sur douze mois. Plusieurs séminaires sont programmés, le premier ayant eu lieu le 29 avril 2020 sur le thème « Éthique et épistémologie des essais cliniques ».

La diversité de ces initiatives illustre la place centrale qu’occupent les questionnements éthiques en période d’urgence sanitaire. Dans cette perspective, la présente proposition de loi vise précisément à ancrer l’ensemble de ces réflexions en amont et en aval des processus décisionnels.

B.   Renforcer le rÔle du CCNE ET DES erer et revaloriser l’action du parlement dans le cadre de l’urgence sanitaire

1.   L’affirmation du rôle essentiel du CCNE et des ERER en tant que « filtres éthiques »

L’important travail accompli par le CCNE et les ERER au cours de la période d’urgence sanitaire souligne la nécessité de préserver l’existence de garde-fous éthiques à l’épreuve de la crise. Cependant, les auditions conduites par votre rapporteur ont fait apparaître les limites de leur action, tenant aussi bien à une communication perfectible des avis rendus par le CCNE qu’aux conditions dans lesquelles son expertise est sollicitée.

En effet, contrairement aux règles applicables en amont de l’examen des projets de loi de réforme bioéthique ([32]), aucune disposition législative ne prévoit l’intervention du CCNE ou des ERER dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire résultant des lois n° 2020-290 du 23 mars 2020 et n° 2020-547 du 11 mai 2020. La saisine du CCNE présente un simple caractère facultatif et n’est pas encadrée par des délais contraignants. Ainsi, l’état du droit actuel ne garantit en rien l’existence d’un « filtre éthique » en amont de l’application des mesures réglementaires d’urgence prises sur le fondement des articles L. 3131-15 à L. 3131‑17. Pourtant, leur caractère liberticide justifierait pleinement le développement d’une réflexion éthique quant à leur bien-fondé et aux multiples conséquences dommageables qu’elles ne manqueront pas de provoquer.

L’entrée en vigueur de mesures dérogatoires au droit commun portant atteinte à des libertés et droits fondamentaux (restriction des rassemblements et des déplacements, placement à l’isolement...) n’est donc aujourd’hui précédée d’aucun avis préalable du CCNE ni des ERER. Cette situation aboutit à la publication d’avis ou de recommandations postérieurs de plusieurs jours voire semaines à la mise en œuvre de ces mesures, alors même que celles-ci ont déjà produit leurs effets. L’avis critique du CCNE sur le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 aménageant les règles encadrant les rites funéraires n’a été publié que le 17 avril 2020, à la suite d’une auto-saisine du CCNE déclenchée plusieurs jours après l’entrée en vigueur du décret précité ([33]). Cette chronologie a contribué à maintenir applicables des dispositions particulièrement controversées qui ont pourtant soulevé une réprobation immédiate et unanime des professionnels du secteur ([34]), des familles endeuillées et des instances éthiques.

La proposition de loi vise à remédier à cette difficulté en systématisant le recueil préalable de l’avis du CCNE avant l’application de mesures réglementaires prises par le Premier ministre et le ministre chargé de la santé relatives à la circulation des personnes, au placement de personnes en quarantaine ou à l’isolement, à la limitation des réunions et rassemblements, à la mise à disposition de médicaments et à l’organisation ou au fonctionnement du système de santé ([35]). Une disposition identique est également prévue s’agissant des ERER territorialement concernés par les mesures précitées.

Cette évolution procédurale permet de concrétiser l’existence d’un véritable « filtre éthique », permettant au CCNE et aux ERER de prononcer un avis doté d’un réel effet utile, en ce qu’il pourra conduire le pouvoir réglementaire à aménager les dispositions initiales des mesures d’urgence selon les observations préalablement formulées par le CCNE et les ERER.

Le CCNE et les ERER voient ainsi leur rôle consacré en période d’état d’urgence sanitaire, dans un souci de réflexion ouverte et transversale nécessaire à la prise en compte effective des enjeux éthiques.

2.   La revalorisation de l’action parlementaire

La représentation nationale doit être mieux associée à ces réflexions éthiques qui s’inscrivent au cœur du débat démocratique. Le Parlement incarne, de façon souvent transpartisane, la diversité des sensibilités sur ces problématiques. À ce titre, la proposition de loi vise à renforcer le rôle des élus en élargissant les autorités de saisine du CCNE aux présidents des groupes parlementaires et à soixante députés ou soixante sénateurs sur tout problème éthique survenu au cours de l’état d’urgence sanitaire.

Cette extension des possibilités de saisine du CCNE se conjugue à la présentation d’un rapport d’évaluation réalisée par ce dernier afin de tirer les enseignements du respect des principes éthiques à l’issue de l’état d’urgence sanitaire. La publication de ce document s’inscrit dans le prolongement de l’avis rendu le 13 mars dernier par le CCNE : « La répétition des crises sanitaires mettant en exergue lenjeu dune préparation entre les crises, englobant les aspects sanitaires, organisationnels, sociaux et éthiques, les informations recueillies lors dun retour dexpérience savèreront de ce fait indispensables. » ([36])

Sur la base de ce bilan, les parlementaires pourront utilement débattre de la manière avec laquelle l’éthique a été appréhendée au cours de la crise sanitaire et réfléchir, sur un plan prospectif, aux évolutions souhaitables à la lumière des constats établis.

Dans un article publié le 24 mai 2020 sur le site The Conversation, le professeur Emmanuel Hirsch et lavocat Benjamin Pitcho considèrent que « si un "comité de contrôle" est bien prévu pour accompagner lutilisation des données de santé dans la loi prorogeant létat durgence sanitaire, aucune instance dédiée à lapprofondissement de lensemble des aspects sociétaux de cette crise sanitaire nest officiellement investie dune mission dont lopportunité simposait pourtant » ([37]).

Ce manque pourrait être comblé grâce à l’action du CCNE, qui serait ainsi chargé d’effectuer un retour d’expérience utile au respect des exigences éthiques, à la lumière de la crise passée, et dans l’optique des crises futures.


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   Commentaire des articles

Article 1er
Avis du Comité consultatif national déthique et des espaces de réflexion éthique régionaux dans le cadre de létat durgence sanitaire

Adopté par la commission avec modifications

Cet article vise à solliciter l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et des espaces de réflexion éthique régionaux (ERER) préalablement à l’entrée en vigueur des mesures prises par les pouvoirs publics nationaux et locaux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Il permet également la saisine parlementaire du CCNE en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire. En outre, à l’issue de celui-ci, le CCNE présente un rapport d’évaluation pouvant faire l’objet d’un débat devant le Parlement.

I.   L’État du droit

Le CCNE et les ERER constituent les lieux d’échanges privilégiés afin de débattre à l’échelle nationale et locale des questions éthiques relevant du domaine sanitaire. Cependant, les lois n° 2020-290 du 23 mars 2020 et n° 2020-547 du 11 mai 2020 instaurant et prorogeant l’état d’urgence sanitaire ne prévoient pas l’intervention de ces organismes consultatifs dans le cadre des mesures dérogatoires au droit commun susceptibles d’être prises par les pouvoirs publics.

A.   Les missions dÉvolues au ccne et aux erer

1.   Le CCNE

L’article L. 1412-1 du code de la santé publique attribue au CCNE la mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Son indépendance a été consacrée par la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017, sans que ce statut ne soit assimilable à celui des autorités administratives et publiques indépendantes dont la liste figure en annexe de celle‑ci.

Le CCNE est composé de trente‑neuf membres nommés pour une durée de quatre ans renouvelable une fois ([38]). La diversité de leurs origines professionnelles reflète la pluridisciplinarité qui caractérise les questions d’éthique ([39]).

Un rôle spécifique relatif à lorganisation dun débat public et à lélaboration dun rapport préalablement à tout projet de réforme relevant de son champ de compétence : lexemple des lois de bioéthique

Article L. 1412-1-1 du code de la santé publique

Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. L’avis des commissions compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques inclut une appréciation sur l’opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser, dans les conditions prévues à l’article L. 121-10 du code de l’environnement, le concours de la Commission nationale du débat public.

À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation, en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée.

En l’absence de projet de réforme, le comité est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans.

Le décret n° 2005-390 du 28 avril 2005 détermine les règles applicables à son organisation et à son fonctionnement. Ainsi, l’article R. 1412-4 du code de la santé publique prévoit la saisine pour avis du CCNE par :

-         le Président de la République ;

-         les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

-         les membres du Gouvernement ;

-         un établissement public, un établissement d’enseignement supérieur ou certaines fondations reconnues d’utilité publique ([40]).

Le CCNE dispose également de la faculté de s’auto-saisir de toute question portée à sa connaissance, notamment par l’un de ses membres, ce qui lui permet d’aborder de nombreuses problématiques d’actualité sur lesquelles il estime devoir rendre un avis. Parallèlement à ces saisines pour avis, le CCNE peut également publier des recommandations sur les sujets relevant de sa compétence ([41]).

Linstitution se structure autour dun comité plénier qui constitue linstance délibérative du Comité. Celle-ci réunit une fois par mois lensemble des membres qui adoptent à la majorité simple les avis dont linstruction est préalablement confiée à un groupe de travail puis à une section technique composée de douze membres.

Depuis sa création en 1983, le CCNE a publié 142 avis ou recommandations, dont quatre relatifs à la gestion de la crise épidémiologique du covid-19 depuis le mois de mars 2020. Parmi ces quatre publications, deux dentre elles résultent dune saisine effectuée par le ministre des solidarités et de la santé ([42]). Les deux autres relèvent, dune part, de la saisine pour avis du conseil scientifique covid-19 ([43]), et dautre part, dune auto-saisine du CCNE relative à lévolution du cadre réglementaire applicable aux rites funéraires, à la suite de lentrée en vigueur du décret n° 2020-384 du 1er avril 2020. En moyenne, le délai sécoulant entre la saisine du CCNE et la publication de son avis sélève à deux semaines ([44]).

2.   Les ERER

Créés par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, les ERER constituent une forme de déclinaison territoriale ([45]) du CCNE. Complété par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l’article L. 1412-6 détermine leur cadre juridique.

Le rôle des ERER

Article L. 1412-6 du code de la santé publique

Des espaces de réflexion éthique sont créés au niveau régional ou interrégional ; ils constituent, en lien avec des centres hospitalo-universitaires, des lieux de formation, de documentation, de rencontre et d’échanges interdisciplinaires sur les questions d’éthique dans le domaine de la santé. Ils font également fonction d’observatoires régionaux ou interrégionaux des pratiques au regard de l’éthique. Ces espaces participent à l’organisation de débats publics afin de promouvoir l’information et la consultation des citoyens sur les questions de bioéthique.

Ils établissent chaque année un rapport d’activité qui est communiqué au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ; celui-ci en fait la synthèse dans le rapport annuel mentionné à l’article L. 1412-3.

Les règles de constitution, de composition et de fonctionnement des espaces de réflexion éthique sont définies par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

 

L’arrêté ministériel du 4 janvier 2012 précise les modalités de constitution, de composition et de fonctionnement des ERER. Adossés à des centres hospitalo-universitaires (CHU), les ERER sont structurés par le biais de conventions multipartites (CHU, universités, établissements de santé, établissements d’enseignement supérieur et de recherche, établissements médico-sociaux...) et placés sous la responsabilité des agences régionales de santé.

Les ERER constituent une plateforme locale d’échanges sur les questionnements éthiques dans le domaine sanitaire, au plus près des territoires. À l’image du CCNE, leur composition reflète la diversité des acteurs institutionnels engagés dans ces réflexions, ce qui favorise une approche transversale des enjeux éthiques permettant ainsi de construire une culture commune autour de ces problématiques. Au-delà de leur rôle en matière d’organisation des débats de bioéthique, les ERER peuvent être saisis par toute personne physique ou morale qui souhaite voir conduire des travaux ou proposer des thèmes de réflexion concernant l’éthique des sciences de la vie et de la santé. Ils élaborent également chaque année un rapport d’activité dont le CCNE réalise une synthèse.

B.   l’absence de saisine obligatoire du ccne ou des erer sur les mesures prises dans le cadre de l’État d’urgence sanitaire

L’article 2 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a créé au sein du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire. Les articles L. 3131-15 à L. 3131-20, modifiés par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, octroient au Premier ministre et au ministre chargé de la santé de larges prérogatives dérogeant au droit commun afin de prendre par voie réglementaire les mesures nécessaires à la lutte contre la crise sanitaire. Bien que circonstanciées et strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus, ces mesures sont susceptibles de porter une atteinte sévère aux droits et libertés individuelles et collectives :

Mesures dordre réglementaire pouvant être décrétées dans le cadre de létat durgence sanitaire sur le fondement du I de larticle L. 3131-15 du code de la santé publique

I. - Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :

1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;

2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;

4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;

5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;

6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;

7° Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;

8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;

9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;

10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code.

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, l’article L. 3131-19 met en place un comité de scientifiques dont le président est nommé par décret du Président de la République. Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, notamment celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. Ces avis sont rendus publics sans délai.

Au-delà de la création de ce comité ad hoc, le cadre légal de l’état d’urgence sanitaire et les dispositions réglementaires subséquentes ne font aucune mention de l’action du CCNE et des ERER, dont la compétence en matière d’éthique médicale et sanitaire s’avèrerait pourtant utile dans un tel contexte pandémique. Ainsi, outre l’éventualité d’une auto-saisine, la saisine du CCNE et des ERER demeure donc soumise à la discrétion des autorités compétentes précédemment évoquées, en l’absence d’obligation légale ou de modification du décret n° 2005-390 du 28 avril 2005.

L’état du droit actuel souligne la faible considération accordée aux organes consultatifs chargés de réfléchir aux enjeux éthiques, voire leur mise à l’écart délibérée, alors même que le besoin d’appréhender ces enjeux revêt une importance fondamentale que nul ne saurait désormais ignorer.

II.   Le dispositif proposÉ

La présente proposition de loi poursuit un objectif simple : garantir la prise en compte des questionnements éthiques dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. La nécessité d’agir efficacement contre la catastrophe sanitaire, qu’il s’agisse de la réactivité avec laquelle les pouvoirs publics prennent des mesures ou du caractère exceptionnel de celles-ci, ne peut à elle seule justifier la méconnaissance des impératifs éthiques qui fondent notre civilisation.

Dans cette perspective, l’article unique de cette proposition de loi prévoit plusieurs dispositions visant à concilier le respect des exigences éthiques et la mise en œuvre des mesures d’urgence énoncées par les lois du 23 mars et du 11 mai 2020.

Premièrement, les alinéas 2 et 3 prévoient l’obligation de recueillir l’avis préalable du CCNE avant l’entrée en vigueur des mesures réglementaires prises par le Premier ministre conformément aux 1° à 6° et 9° du I de l’article L. 3131-15 relatifs à la restriction des libertés de réunion et d’aller et venir ainsi qu’à la mise à disposition de médicaments appropriés à la lutte contre l’épidémie, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence est déclaré. Les alinéas 4 et 5 étendent ce mécanisme aux mesures prises par arrêté du ministre chargé de la santé sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 3131-16 s’agissant de l’organisation et du fonctionnement du dispositif de santé.

Deuxièmement, selon une logique identique, les alinéas 6 et 7 prévoient la consultation préalable obligatoire des ERER territorialement concernés par les mesures réglementaires précitées, dans l’hypothèse où elles seraient circonscrites à une ou plusieurs circonscriptions territoriales.

Troisièmement, les alinéas 8 et 9 élargissent le champ des autorités parlementaires susceptibles de saisir pour avis le CCNE, dès lors que l’état d’urgence sanitaire a été déclaré. Outre le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ([46]), la capacité de saisine du CCNE ([47]) est étendue, d’une part, aux présidents de groupe parlementaire et, d’autre part, à soixante députés ou soixante sénateurs, à l’image des règles applicables à la saisine a priori du Conseil constitutionnel prévues par l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution.

Quatrièmement, les alinéas 10 à 12 prévoient la remise d’un rapport d’évaluation par le CCNE sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par la catastrophe sanitaire et par les mesures prises pour y mettre un terme. Ce rapport, présenté à l’issue de la période d’état d’urgence sanitaire, peut faire l’objet d’un débat au Parlement.

L’objet de cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans le champ des missions confiées au CCNE depuis sa création, conformément à l’article R. 1412‑13 selon lequel le Comité assure auprès du public une mission de documentation et d’information sur les questions d’éthique posées par les sciences de la vie et de la santé.

Il s’agit en effet de sauvegarder l’existence d’un temps de réflexion nécessaire à la prise en compte des questionnements éthiques, aussi bien avant l’application des mesures réglementaires d’urgence qu’au terme de celles-ci, afin de tirer le bilan de leur mise en œuvre à la lumière de ces enjeux.

III.   Les modifications apportées par la commission

Dans un objectif d’assouplissement du dispositif prévu par le présent article, la commission a adopté deux amendements de M. Jean-Louis Touraine et des membres du groupe La République en Marche après avoir recueilli un avis favorable du rapporteur.

D’une part, l’extension des autorités parlementaires de saisine du CCNE a été renvoyée à un décret en application de l’article L. 1412-5. Un sous-amendement présenté par le rapporteur a été adopté tendant à préciser que le décret déterminera les modalités de saisine en cas de déclaration mais aussi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, la rédaction initiale de l’amendement ne visant que la seule déclaration.

D’autre part, afin de ne pas rigidifier de façon excessive le processus décisionnel dans des délais nécessairement contraints par l’urgence, le caractère préalable de la saisine consultative du CCNE a été supprimé, tout en conservant son caractère obligatoire. Un sous-amendement présenté par le rapporteur a également été adopté afin de procéder à plusieurs clarifications et harmonisations rédactionnelles.

Enfin, la commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à fixer un délai de deux mois à l’issue de la fin de la période d’état d’urgence sanitaire dans lequel le CCNE devra rendre le rapport d’évaluation précité, celui-ci étant également rendu public sans délai.

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Article 2 (nouveau)
Saisine consultative de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques

Introduit par la commission

Cet article additionnel, résultant de l’adoption d’un amendement présenté par M. Jean-Louis Touraine et les membres du groupe La République en Marche en commission, vise à permettre la consultation de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) par plusieurs autorités parlementaires ([48]) en période d’état d’urgence sanitaire.

À l’initiative de M. Jean-Louis Touraine et des membres du groupe La République en Marche, un amendement portant article additionnel a été adopté avec un avis favorable du rapporteur. Ce nouvel article autorise le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, les présidents des commissions parlementaires et des groupes parlementaires à consulter l’OPECST en période d’état d’urgence. La consultation porte sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, incluant celles prévues par les articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code de la santé publique.

Cet article additionnel a pour but de renforcer le contrôle parlementaire, grâce à une meilleure connaissance des enjeux scientifiques qui contribuera à alimenter les réflexions éthiques en période d’état d’urgence sanitaire.

Un sous-amendement présenté par le rapporteur a été adopté afin d’élargir cette faculté de saisine consultative aux cas de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, la rédaction initiale de l’amendement ne visant que la seule déclaration.

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Article 3 (nouveau)
Remise dun rapport du Gouvernement sur la fin de vie des personnes décédées pendant létat durgence sanitaire

Introduit par la commission

Cet article additionnel, résultant de l’adoption d’un amendement présenté par M. Jean-Louis Touraine et les membres du groupe La République en Marche en commission, prévoit la remise d’un rapport gouvernemental sur la fin de vie des personnes décédées pendant l’état d’urgence sanitaire.

À l’initiative de M. Jean-Louis Touraine et des membres du groupe La République en Marche, un amendement portant article additionnel a été adopté avec un avis favorable du rapporteur. Ce nouvel article prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport relatif aux modalités d’accompagnement des personnes en fin de vie décédées pendant l’état d’urgence sanitaire ainsi qu’aux mesures dérogatoires aux règles applicables aux rites funéraires prises dans la cadre de la lutte contre la pandémie de covid-19.

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   COMPTE RENDU DES TRAVAUX

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9211906_5eea2f3a16afe.commission-des-affaires-sociales--proposition-de-loi-de-m-xavier-breton-pour-une-ethique-de-l-urge-17-juin-2020

Au cours de sa troisième séance du mercredi 17 juin 2020, la commission examine la proposition de loi de M. Xavier Breton pour une éthique de lurgence (n° 3038) (M. Xavier Breton, rapporteur).

Mme Fadila Khattabi, vice-présidente. La présente proposition de loi est le troisième et dernier texte renvoyé à notre commission, dont le groupe Les Républicains a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances publiques qui lui seront réservées le 25 juin.

M. Xavier Breton, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans cette commission.

La pandémie de covid-19 a durement frappé notre pays. Outre le confinement généralisé de la population pendant près de deux mois, nos concitoyens ont dû faire face à une situation de crise hors norme. Nous avons tous une pensée particulière pour ceux qui ont perdu un proche et pour les personnes les plus vulnérables pour lesquelles cette crise a constitué une épreuve particulièrement difficile. Dans cette situation inédite et anxiogène, des mesures exceptionnelles ont été prises. Dans le cadre des lois créant et prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Parlement a notamment autorisé le Gouvernement à prendre par décret un certain nombre de dispositions dérogeant au droit commun.

Au-delà des habituelles controverses juridiques, c’est notre relation aux questions éthiques qui a ainsi été interrogée. Leurs enjeux ne semblent pas avoir été suffisamment pris en compte, l’urgence de la crise sanitaire ayant justifié le franchissement de quelques lignes rouges. Force est de constater que certaines mesures brutales ou excessives ont suscité des réactions d’incompréhension voire de colère tout à fait légitimes.

De nombreux exemples attestent de la justesse de ce constat, qu’ils concernent le tri éventuel des patients en service de réanimation ou la méthodologie des protocoles de recherche sur les essais cliniques. Je n’en citerai ici que trois : l’isolement prolongé des personnes âgées dépendantes dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la prise en compte insuffisante des situations de fragilité et de précarité, la modification des règles relatives aux rites funéraires.

En dépit des solutions numériques qui ont été progressivement déployées, le confinement très strict des résidents dans les EHPAD a provoqué une rupture brutale des relations sociales. S’en est mécaniquement suivie l’apparition d’un « syndrome de glissement » à l’issue fatale, rendant la mort d’autant plus tragique qu’elle survient dans la solitude.

Les enjeux éthiques en période d’urgence sanitaire concernent l’ensemble des personnes vulnérables. Le rapport d’étape rendu par l’Espace de réflexion éthique régionale (ERER) d’Île-de-France démontre que les plus fragiles sont particulièrement exposés aux conséquences du confinement – ce qui rend l’accès aux soins ou à un hébergement encore plus difficile – sans que des solutions leur aient été apportées.

S’agissant des rites funéraires, les questionnements éthiques fondamentaux semblent là encore avoir été ignorés. Les décrets du 27 mars et du 1er avril 2020 interdisant la toilette mortuaire et la thanatopraxie ont contribué à aggraver la souffrance des familles et des proches des défunts.

Avec cette proposition de loi, il ne s’agit pas de tirer un bilan définitif mais d’ouvrir une voie pour l’avenir afin de garantir l’existence d’une véritable réflexion éthique à l’épreuve des crises sanitaires futures. La dizaine d’auditions que j’ai menée la semaine dernière a renforcé ma conviction en la matière : l’éthique n’est pas un enjeu subalterne ou accessoire mais un repère central.

Dans cette perspective, cette proposition de loi vise à consacrer l’action menée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et les ERER. En février 2009, dans un avis sur les questions éthiques, le CCNE faisait état de ses interrogations : « La question qui paraît essentielle aux yeux du Comité est celle de savoir si létat durgence induit par une pandémie grippale comporte léventualité dune mise à larrière-plan de certains principes fondamentaux. Faut-il subordonner les libertés individuelles à dautres valeurs plus ajustées à lefficacité de la stratégie de lutte contre ce fléau sanitaire ? Jusquoù une limitation aux allées et venues des personnes peut-elle être imposée ? [...] Les lieux de regroupement de population, au premier rang desquels figure lhôpital, sont assurément les plus vulnérables. Comment lhôpital réussira-t-il, sil accueille les personnes infectées, à ne pas être un lieu de propagation de la maladie ? La même question se pose pour les maisons de retraite, les institutions hébergeant des personnes handicapées, etc. Une personne infectée sera-t-elle isolée, confinée avec dautres personnes infectées ? Esquiver un tel questionnement peut favoriser un utilitarisme social dont les conséquences sont inacceptables sur le plan éthique. »

Ces réflexions n’ont rien perdu de leur actualité.

Nous ne pouvons que saluer l’action du CCNE, en lien avec les ERER, pendant toute cette crise sanitaire. Renforcer leur rôle consultatif serait un pas important.

M. Jean-Louis Touraine. Au nom du groupe La République en Marche, je remercie M. le rapporteur d’avoir placé ce sujet essentiel au cœur de nos débats.

Les dispositions sur l’état d’urgence sanitaire sont codifiées jusqu’au 1er avril 2021. Nous aurons donc l’occasion de débattre au Parlement et, dans ce cadre-là, la réflexion éthique sera plus que nécessaire.

Toutefois, pour être vraiment opérants, certains aspects de cette proposition de loi doivent être complétés ou légèrement amendés. Je vous présenterai des amendements en ce sens.

Je rappelle que le dispositif d’urgence sanitaire est relativement lourd mais qu’il nécessite la fixation rapide, en quelques jours, d’une série de mesures. La réactivité est donc essentielle. A contrario, le CCNE a l’habitude de travailler sur le temps long. Ce texte doit tenir compte de ces impératifs apparemment contradictoires mais qui doivent être harmonieusement conjugués.

Mme Isabelle Valentin. Les enjeux éthiques et humains dune crise sanitaire comme celle-ci justifient un regain de mobilisation et un engagement sans faille.

Cette proposition de loi vise à réaffirmer la place de l’éthique dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Avec l’épidémie de covid-19, les questions éthiques ont été malheureusement reléguées au second plan alors qu’elles renvoient à ce que notre société a de plus précieux : la dignité de la personne humaine.

Dès le 10 mars, le manque de matériels, de masques, de gels, de tests et de personnels dans les EHPAD a conduit les autorités à confiner ces établissements. Trois mois après, solitude, détresse psychologique, isolement sont aussi une réalité de la crise sanitaire. À ce jour, nos aînés restent confinés et les familles ne comprennent plus. L’assouplissement des visites est trop tardif et un phénomène de « glissement » a même été observé chez les résidents. De nombreuses questions demeurent sur la gestion de l’épidémie, en particulier s’agissant de la suspension des rites funéraires et de l’isolement des résidents. Les directeurs des établissements et le personnel soignant ont cependant forcé notre admiration.

Cette proposition de loi vise à faire du CCNE la vigie éthique de l’urgence sanitaire en prévoyant un avis préalable, des possibilités de saisine par les parlementaires et un rapport donnant lieu à un débat en fin d’état d’urgence. Un travail de réflexion doit être engagé dès aujourd’hui afin de réaffirmer la place de l’éthique. Selon le groupe Les Républicains, cette proposition de loi de bon sens devrait être consensuelle.

M. Brahim Hammouche. Votre exposé des motifs évoque la question de la mort, du deuil, de son non-accompagnement durant le confinement. Vous vous faites aussi lécho des craintes des professionnels du secteur funéraire et vous exposez des situations classiques dengagement éthique dans le cadre des réanimations.

La dignité implique de porter assistance aux personnes en danger. Le grand âge, le niveau de dépendance ou d’autonomie n’atténuent pas à eux seuls l’engagement de soins vitaux et l’humanisme ne saurait démissionner en raison de l’inadéquation des moyens.

Avec cette proposition de loi, vous souhaitez instaurer une procédure de contrôle a priori et d’évaluation postcritique via le CCNE des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Si le groupe du Mouvement Démocrate partage totalement la nécessité d’une veille éthique dans les situations d’une exceptionnelle gravité, le dispositif proposé reste cependant trop rigide au regard du principe clinique bénéfice-risque.

Le dispositif de saisine du CCNE ne doit pas être un frein au déploiement rapide des dispositions sanitaires indispensables prévues par la loi. Le groupe du MoDem est d’accord avec les principes de ce texte mais il conditionnera son vote à l’assouplissement du dispositif afin que les considérations légales ne priment pas sur les considérations éthiques et ne brident pas notre conscience pour faire les meilleurs choix socio-thérapeutiques.

M. Serge Letchimy. Je vous félicite de placer les principes éthiques au cœur des enjeux ; toutefois, quelques points me mettent mal à l’aise.

Le CCNE a une vocation précise en rendant des avis sur les questions éthiques et sociétales soulevées par les progrès de la médecine et de la biologie. Votre proposition de loi, par cohérence, ne devrait-elle pas en modifier la structure ? Le CCNE est-il par ailleurs l’organisme idoine ? Enfin, le CCNE ayant lui-même soulevé la question des moyens dont il dispose et de son organisation, est-il prêt à assumer une telle responsabilité ?

Le groupe Socialistes et apparentés voit ce texte d’un très bon œil mais nous attendrons la fin de nos débats pour faire connaître notre avis. A priori, nous devrions nous abstenir.

Mme Jeanine Dubié. Je remercie le rapporteur d’avoir mis ce sujet à notre ordre du jour. Nous avons en effet tous été saisis de sujets douloureux. Les conséquences du confinement dans les EHPAD, en particulier, ne sont pas terminées. Les familles ont également souffert de ne pas pouvoir se retrouver lors du décès d’un proche et des personnes en fin de vie n’ont pas pu être accompagnées par les leurs.

Votre texte doit être toutefois amélioré. Je ne suis pas sûre, en effet, que l’ajout d’un avis supplémentaire en situation d’urgence soit opportun et peut-être pourrait-on songer à un autre dispositif. Le groupe Libertés et Territoires attendra les travaux en séance publique pour se prononcer.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Cette crise sanitaire laissera de profondes traces économiques, sociales, médicales et humaines. Avec Jeanine Dubié, nous avons auditionné des professionnels du secteur funéraire et nous avons constaté combien pour eux également la question éthique s’était posée.

Des doutes se sont insidieusement installés dans les têtes des familles : et si mon père avait été pris en charge plus tôt, et si ma mère était décédée faute de place ? Nous devons y répondre par l’examen rétrospectif des dispositions prises pendant cette crise et l’Assemblée nationale prendra toute sa part. Nous devons également y répondre par des procédures afin que, si la situation se reproduit, tous les Français aient pleinement confiance.

S’il faut être très vigilant en matière d’éthique, il ne faudrait pas que cette louable attention rende les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence inopérantes alors qu’elles doivent l’être dans des délais très courts.

Selon le groupe Agir ensemble, les dispositions de cette proposition de loi sont trop rigides et devraient être assouplies, ce qui conditionnera notre vote en commission et en séance publique.

M. Bernard Perrut. N’oublions pas ce que la société a de plus précieux : la dignité de la personne humaine.

De nombreuses questions demeurent sur la gestion de l’épidémie dans les EHPAD. Le personnel soignant a forcé notre admiration en continuant d’apporter des soins de qualité à tous les patients. Un indispensable travail d’accompagnement des soignants, des résidents et des familles devra être fait.

Il n’est pas question d’accuser qui que ce soit. Cette proposition de loi vise à éviter qu’à l’avenir des décisions politiques puissent être à nouveau prises sans tenir compte de la dimension éthique, en laissant toute la responsabilité reposer sur les épaules de ceux qui sont en première ligne.

Nous devons être très vigilants. Des patients n’ont pas eu accès aux soins hospitaliers : quid de l’égalité et du respect ? Il est donc prévu de faire du CCNE une vigie éthique, notamment lors des états d’urgence sanitaire. Pas moins de quatre avis ont été je crois rendus pendant cette période mais peut-être n’ont-ils pas été assez audibles, donc, entendus. Une communication a priori et a posteriori aurait été nécessaire.

La proposition de loi est intéressante. D’une part, le CCNE devra émettre un avis avant certaines décisions qui restreindraient la liberté d’aller et venir, réglementeraient la circulation et les rassemblements sur la voie publique ou concerneraient la mise à disposition de médicaments – vous avez d’ailleurs interrogé le ministre de la santé sur ce point. D’autre part, vous proposez un dispositif de contrôle applicable pendant l’état d’urgence sanitaire et à la fin de celui-ci. Il serait bon, au-delà de cette proposition de loi, que nous puissions disposer d’un rapport d’évaluation du CCNE afin de tirer les meilleurs enseignements de la crise.

Mme Monique Iborra. La contribution du CCNE à la réflexion éthique est importante dans tout épisode épidémique. À vous entendre, monsieur le rapporteur, on a l’impression que cette instance n’est guère intervenue, voire pas du tout, lors de la crise actuelle. Or je n’ai pas eu cette impression. Dès le mois de février, le ministre de la santé a demandé au CCNE de se prononcer sur les enjeux éthiques de l’épidémie, sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les unités de soins de longue durée ainsi que sur les protocoles de fin de vie. Je rappelle qu’un droit de visite a ensuite été rétabli progressivement dans les EHPAD, à compter du 20 avril. Le Conseil scientifique s’est également tourné vers CCNE, en particulier pour le traitement des corps des personnes décédées. Le CCNE a également été consulté sur les outils numériques déployés pour protéger, tester et isoler. Sans remettre en cause l’utilité de cette proposition de loi, je tiens à souligner que les enjeux éthiques n’ont pas été ignorés pendant l’épidémie.

M. le rapporteur. Je crois que nous avons en commun deux préoccupations : l’exigence de l’éthique, en toutes circonstances, et l’idée que des améliorations peuvent être apportées pour l’avenir – il ne s’agit pas de faire le procès du passé.

Jean-Louis Touraine a eu raison de dire qu’il ne faut pas laisser la réflexion éthique à quelques experts : elle doit être plus largement partagée au sein de la société et du Parlement. Les amendements déposés par notre collègue tendent à assouplir le dispositif, que nous pourrions ainsi rendre plus opérationnel.

Isabelle Valentin a rappelé le caractère central de la dignité de la personne. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Nous devons également rester attentifs à la situation des EHPAD, qui n’est pas complètement rétablie.

Brahim Hammouche a souligné qu’il ne saurait y avoir de « démission de l’humanisme » – c’est en effet important. Il a estimé que faire intervenir systématiquement le CCNE serait un mécanisme trop rigide : nous reviendrons sur ce point lorsque nous examinerons les amendements.

Serge Letchimy s’est demandé si le CCNE est l’organisme idoine compte tenu de son mode de fonctionnement actuel. Je précise qu’il ne s’agit pas d’un texte relatif au CCNE mais à l’éthique en situation d’urgence sanitaire. Par ailleurs, l’assouplissement du dispositif permettra au CCNE de faire face à la charge de travail – les auditions ont fait ressortir qu’il ne le pourrait pas dans la rédaction actuelle.

Jeanine Dubié a également souhaité un dispositif plus souple : nous pourrons l’améliorer, je l’ai dit, à la faveur des amendements.

Je suis bien d’accord avec Agnès Firmin Le Bodo : il faut tirer les leçons des souffrances que nous avons constatées. Un retour d’expérience est nécessaire.

Bernard Perrut a souligné, à juste titre, qu’il ne faut pas laisser seuls face aux responsabilités les acteurs qui se trouvent en première ligne. Ils doivent savoir que toute la société est derrière eux, qu’elle est solidaire des choix compliqués qui sont faits. Tout ce qui peut concourir à une meilleure participation, à une meilleure concertation en matière d’éthique confortera ces acteurs.

Le CCNE, comme Bernard Perrut et Monique Iborra l’ont souligné, a travaillé pendant la crise. J’ai salué son rôle, ainsi que celui des espaces de réflexion éthique régionaux. Leur travail n’a peut-être pas eu suffisamment d’écho, mais ce n’est pas toujours facile dans une situation d’urgence où les gros titres sont concentrés sur le nombre de morts. Vous avez eu raison de rappeler les avis qui ont été publiés. J’ajoute qu’il y a eu une autosaisine du CCNE sur les rites funéraires, qui a permis d’aboutir à une évolution du décret initial. Cette proposition de loi vise à consacrer le travail du CCNE.

*

*     *

La commission en vient à lexamen de larticle unique de la proposition de loi.

Article unique : Avis du Comité consultatif national déthique et des espaces de réflexion éthique régionaux dans le cadre de létat durgence sanitaire

La commission examine lamendement AS4 de M. Jean-Louis Touraine, faisant lobjet du sous-amendement AS8 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine. Je vous propose de préciser, au sein de l’article du code de la santé publique qui est notamment relatif aux conditions de saisine du CCNE, que celui‑ci peut être consulté en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Les deux assemblées pourront le saisir dans ce cadre pour toute question relative à l’éthique ou pour toute question de société.

M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve de mon sous-amendement de précision.

La commission adopte le sous-amendement, puis lamendement ainsi sous-amendé.

En conséquence, lamendement AS2 de Mme Caroline Fiat tombe.

La commission est ensuite saisie de lamendement AS3 de M. Jean-Louis Touraine, faisant lobjet du sous-amendement AS7 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine. Mon amendement vise à ne pas alourdir et ralentir la procédure. Le CCNE sera saisi de tout décret déclarant l’état d’urgence sanitaire et de tout projet de loi tendant à proroger celui-ci, mais il n’y aura qu’une possibilité d’autosaisine pour les différentes mesures d’application qui seront prises, chaque fois que le CCNE l’estimera nécessaire. Par ailleurs, le comité pourra consulter les espaces de réflexion éthique régionaux en cas de spécificités au niveau territorial. Il faudra éviter des disparités entre les régions, voire des contradictions entre les avis émis au niveau national et dans les régions.

M. le rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, sous réserve de mon sous-amendement.

Vous proposez de réécrire partiellement le dispositif pour l’assouplir : le CCNE ne rendrait un avis d’une manière systématique que lors de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et de sa prorogation ; s’agissant des mesures d’application, cela ne serait qu’une possibilité. On éviterait ainsi de rigidifier d’une manière excessive le processus de décision.

Mon sous-amendement tend à bien faire la différence entre la déclaration, par décret, de l’état d’urgence et sa prorogation, par la loi, à faire en sorte que l’avis émis par le CCNE dans ces deux cas soit rendu public sans délai, à reprendre la formulation retenue par l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, qui fait référence à des « problèmes éthiques » et à des « questions de société », et enfin à permettre la saisine de tout espace de réflexion éthique régional territorialement concerné – il peut, en effet, y avoir des chevauchements. Vous souhaitez que ce soit le CCNE qui saisisse ces instances, alors que la proposition de loi, dans sa rédaction initiale, prévoit une saisine automatique. Ce serait une évolution importante, notamment afin d’assurer une coordination.

La commission adopte le sous-amendement, puis lamendement ainsi sous-amendé.

Puis la commission examine lamendement AS9 du rapporteur.

M. le rapporteur. S’agissant du rapport d’évaluation que devra remettre le CCNE à la fin de la période de l’état d’urgence sanitaire, je propose un délai de deux mois.

La commission adopte lamendement.

Puis elle adopte larticle unique modifié.

Article 2 (nouveau) : Saisine consultative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

La commission est saisie de lamendement AS6 de M. Jean-Louis Touraine, faisant lobjet du sous-amendement AS10 du rapporteur.

M. Jean-Louis Touraine. Mon amendement tend à ce que l’Assemblée nationale et le Sénat puissent saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en période d’état d’urgence sanitaire, afin qu’un comité scientifique éclaire très rapidement les décisions des parlementaires. Je précise que cet amendement a été rédigé avec des membres de l’OPECST.

M. le rapporteur. Votre amendement va dans le sens d’un renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement. Mieux appréhender les enjeux scientifiques permet d’alimenter la réflexion éthique. L’OPECST apporte toujours un éclairage intéressant – on l’a vu dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique.

Mon sous-amendement prévoit la saisine de l’OPECST non seulement lors de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire mais aussi lors de sa prorogation. J’émets un avis favorable sous cette réserve.

La commission adopte le sous-amendement, puis lamendement ainsi sous-amendé.

Article 3 (nouveau) : Remise d’un rapport du Gouvernement sur la fin de vie des personnes décédées pendant l’état d’urgence sanitaire

La commission examine lamendement AS5 de M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Nous demandons la remise d’un rapport sur la fin de vie des personnes décédées pendant l’état d’urgence sanitaire – nous pensons notamment aux conditions de leur accompagnement – et sur les rites funéraires durant cette période. Il y a eu, en effet, des problèmes. Il faut anticiper davantage et mieux s’organiser pour éviter une confrontation aiguë, dans l’urgence, avec les impératifs sanitaires.

M. le rapporteur. Il est important d’avoir un rapport sur la fin de vie des personnes décédées du covid-19 et sur les mesures dérogatoires qui ont été appliquées en matière de rites funéraires. J’émets un avis favorable.

La commission adopte lamendement.

Enfin, elle adopte lensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à lAssemblée nationale dadopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3120_texte-adopte-commission#

 


–  1  –

   ANNEXE :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

 

     Espace de réflexion éthique dÎle-de-FrancePr. Emmanuel Hirsch, directeur

     Espace de réflexion éthique Auvergne-Rhône-AlpesPr. François Dupuis, directeur, Mme Elodie Camier-Lemoine, philosophe, et Mme Fabienne Doiret, cadre supérieure de santé

     Mme Juliette Ferry-Danini, docteur en philosophie des sciences

     Mme Marie de Hennezel, psychologue et essayiste

     M. Damien Le Guay, philosophe, président du Comité national d’éthique du funéraire

     Comité consultatif national déthique – Mme Karine Lefeuvre, présidente par intérim, et M. Pierre-Henri Duée, président de la section technique

     Fédération nationale des associations des directeurs dEHPAD (FNADEPA) – M. Jean-Pierre Riso, président, et Mme Annabelle Vêques, directrice

     Pr. François Vialla, directeur du Centre européen d’études et de recherche Droit et Santé, et Pr. Pierre-François Perrigault, responsable du Département d’Anesthésie-Réanimation Hôpital Gui de Chauliac – CHU de Montpellier

     Dr. Pierre Valette, chef du SAMU du CH d’Arras

 


([1]) « Quelle éthique médicale pour temps d’épidémie ? Les réponses de Jean-François Mattei », Le Figaro, 1er avril 2020.

([2]) ERER IDF, point d’étape mars-mai 2020, première synthèse des travaux de l’Observatoire, p. 2.

([3])  CCNE, avis n° 106, février 2009, Questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale, pp. 4 et 18.

([4]) Conseil constitutionnel, DC 27 juillet 1994, Loi bioéthique.

([5]) Voir le livre du Dr Pierre Valette, Éthique de lurgence, urgence de léthique, PUF, 2013.

([6]) « Le médecin qui trie les malades n’est pas là pour dire qui aura ou non droit à la vie mais pour sauver le plus de vies possible », Frédérique Feichter-Lack, Le Monde, 16 mars 2020.

([7]) « Quelle éthique médicale pour temps d’épidémie ? Les réponses de Jean-François Mattei », Le Figaro, 1er avril 2020.

([8]) CCNE, avis n° 106, février 2009, Questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale, p. 15.

([9]) Cette observation s’étend également à l’obligation indifférenciée selon les territoires de maintenir deux espaces de réanimation (covid-19/autres cas) dans les hôpitaux qui ne dénombraient plus aucun patient affecté du covid-19 dans leurs services de réanimation, au risque de diminuer les capacités d’accueil des patients non affectés par le covid-19 nécessitant un placement en réanimation.

([10]) Voir la contribution de Frédérique Feichter-Lack à la Session Urgences collectives 2012, chapitre 77.

https://www.sfmu.org/upload/70_formation/02_eformation/02_congres/Urgences/urgences2012/donnees/fs_tout_art.htm

([11]) Denis Piveteau et Alice Casagrande, Rapport sur la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance, janvier 2019, proposition n° 6.

([12]) ERER IDF, point d’étape mars-mai 2020, première synthèse des travaux de l’Observatoire, pp. 9 à 17.

([13]) Selon la Fédération nationale des directeurs d’EHPAD auditionnée par votre rapporteur, la durée moyenne de séjour en EHPAD s’élève à 2,5 ans.

([14]) Jérôme Guedj, Rapport Lutter contre lisolement des personnes âgées et fragiles en période de confinement, avril 2020, p. 7.

([15]) Denis Piveteau et Alice Casagrande, Rapport sur la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance, janvier 2019, p. 87.

([16]) Voir à ce sujet le témoignage du médecin coordonnateur dun EHPAD de Montrevel. https://www.egora.fr/actus-pro/sante-publique/59592-avons-nous-le-droit-de-detruire-ces-vies-le-vibrant-appel-d-un

([17]) À l’image de l’assouplissement des règles envisagé lors de la fête des mères du 7 juin 2020.

([18]) https://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20200410-info-hospimedia-la-commission-bientraitance-saisit-le-ccne

([19]) Les soins de conservation s’entendent des soins ayant pour finalité de retarder la thanatomorphose et la dégradation du corps. Ils sont réglementés par le décret n° 2017-983 du 10 mai 2017 relatif aux conditions d’intervention des thanatopracteurs et à l’information des familles concernant les soins de conservation.

([20]) Contrairement aux soins de conservation du corps, la toilette mortuaire est sans conséquence sur l’altération du corps. Elle se définit par des actes visant à effacer certains stigmates de la mort pour apporter aux proches une image moins choquante du défunt en lui donnant une apparence soignée et reposée.

([21]) https://www.empreintes-asso.com/wp-content/uploads/2020/02/Livre-blanc-Face-au-deuil-Empreintes-2p-2.pdf

([22]) Confortant son rôle d’organisateur des états généraux de la bioéthique prévu par l’article L. 1412-1-1, l’article 29 du projet de loi relatif à la bioéthique adopté par le Sénat le 4 février 2020 élargit la compétence du CCNE à l’animation de débats publics annuels sur un ou plusieurs des problèmes éthiques et des questions de société mentionnés à l’article L. 1412‑1, en lien avec les ERER.

([23]) CCNE, avis du 13 mars 2020, « Enjeux éthiques face à une pandémie », p. 9.

([24]) CCNE, avis du 30 mars 2020, « Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD », pp. 2-3.

([25]) CCNE, avis du 20 mai 2020, « Enjeux éthiques lors du déconfinement : responsabilité, solidarité et confiance », p. 11.

([26]) CCNE, avis du 17 avril 2020, « Position du CCNE sur le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 », pp. 2 et 3.

([27]) Ibid, p. 3.

([28]) CCNE, contribution complémentaire du 23 mars 2020, p. 5.

([29]) C’est notamment le cas de l’ERER Auvergne-Rhône-Alpes, qui a récemment accompagné la création de cellules éthiques à Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble et Saint-Étienne.

([30]) Ce document dresse un état des lieux des situations constatées dans la région francilienne depuis le début de la pandémie et formule des préconisations pratiques adaptées aux différents cas d’espèce relatifs à l’accompagnement terminal des patients et des familles, à l’organisation des rites et cérémonies funéraires ainsi qu’au soutien apporté aux familles endeuillées.

([31]) ERER IDF, point d’étape mars-mai 2020, première synthèse des travaux de l’Observatoire, pp. 33-35.

([32]) L’article L. 1412-1-1 prévoit que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

([33]) Ce décret a été abrogé par le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020.

([34]) Thanatopracteurs et services des pompes funèbres.

([35]) Mesures prévues aux 1° à 6° et 9° du I de l’article L. 3131-15 et au premier alinéa de l’article L. 3131-16.

([36]) CCNE, avis du 13 mars 2020, « Enjeux éthiques face à une pandémie », p. 10.

([37]) https://theconversation.com/sortir-de-la-pandemie-mais-au-prix-de-quels-renoncements-ethiques-et-juridiques-134928

([38]) Son président est nommé par le Président de la République, pour un mandat de deux ans renouvelable une fois.

([39]) Larticle L. 1412-2 du code de la santé publique détermine les autorités de nomination des membres du CCNE.

([40]) Il s’agit de celles qui ont pour activité principale la recherche, le développement technologique ou la promotion et la protection de la santé.

([41]) Article L. 1412-3.

([42]) Avis publiés le 13 mars 2020, « La contribution du CCNE à la lutte contre Covid-19 : enjeux éthiques face à une pandémie », et le 1er avril 2020, « Renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD ».

([43]) Avis publié le 20 mai 2020 : « Enjeux éthiques lors du déconfinement : responsabilité, solidarité et confiance ».

([44]) S’agissant des seuls avis publiés au cours de l’état d’urgence sanitaire. Depuis sa création en 1983, le délai moyen s’écoulant entre la saisine et la publication de l’avis est compris entre six mois et un an.

([45]) À l’échelle régionale ou interrégionale.

([46]) Article R. 1412-4.

([47]) À cette fin, la consultation du CCNE porte sur tout problème éthique ou toute question de société soulevés par la catastrophe sanitaire et par les mesures prises pour y mettre un terme. L’avis du CCNE est alors rendu public sans délai.

([48]) En l’état actuel du droit, le V de l’article 6 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 prévoit que l’OPECST peut être saisi par le Bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat et par les commissions parlementaires spéciales ou permanentes.