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N° 3383

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi

visant à renforcer le droit à l’avortement,

 

 

 

Par Mme Albane GAILLOT,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  3292.


 

 


SOMMAIRE

___

introduction

commentaires darticles

Article 1er Allongement du délai de recours à lIVG de douze à quatorze semaines de grossesse

Article 1er bis (nouveau) Extension de la compétence des sages-femmes à la méthode chirurgicale dIVG jusquà la dixième semaine de grossesse

Article 1er ter (nouveau) Suppression du délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande dIVG en cas dentretien psychosocial préalable

Article 2 Suppression de la clause de conscience spécifique relative à lIVG

Article 2 bis (nouveau) Rapport du Gouvernement sur lapplication de la législation relative au délit dentrave à lIVG

Article 3 Compensation financière

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉEs par la rapporteurE


— 1 —

   introduction

I.   Le recours À l’ivg en France

Le droit à l’avortement est un acquis fondamental, indissociable du principe de liberté et du droit des femmes à disposer de leur corps. Inscrit dans notre cadre législatif depuis la loi Veil de 1975, ce droit fait partie intégrante de la vie et de la santé des femmes.

A.   UN DROIT FONDAMENTAL essentiel pour la santÉ et la libertÉ des femmes

1.   Un droit garanti par la loi et renforcé au fil du temps

Après des débats parlementaires mouvementés, la loi n° 75-17 relative à l’interruption volontaire de la grossesse est définitivement adoptée le 20 décembre 1974 et promulguée le 17 janvier 1975. Autorisant l’avortement dans un délai de dix semaines sur simple demande de la femme, elle est alors entourée d’un certain nombre de limitations comme l’existence d’une clause de conscience spécifique pour les médecins ou d’un délai de réflexion obligatoire pour les femmes.

Par la suite, la loi Veil est reconduite et rendue définitive par la loi du 31 décembre 1979 ([1]), puis le remboursement de l’IVG est introduit en 1982 ([2]). Par la suite, la technique médicamenteuse est autorisée à partir de 1989.

La même logique de consolidation de ce droit a conduit à la création d’un délit d’entrave à l’IVG et à la suppression de la pénalisation de l’auto-avortement en 1993 ([3]).

En 2001, le délai légal de recours à l’avortement est allongé de dix à douze semaines de grossesse, soit quatorze semaines d’aménorrhée ([4]) et l’IVG médicamenteuse dans le cadre de la médecine de ville est autorisée jusqu’à cinq semaines de grossesse, soit sept semaines d’aménorrhée. Si elle est réalisée dans un établissement de santé, comme cela était déjà autorisé, l’IVG médicamenteuse peut être pratiquée jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse (soit la neuvième semaine d’aménorrhée). Depuis 2009, par voie de décret, les IVG médicamenteuses peuvent être réalisées dans les centres de santé ainsi que les centres de planification et d’éducation familiale (CPEF).

Le remboursement de l’IVG est élargi par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ([5]). Jusque-là, l’assurance maladie prenait certes totalement en charge les assurées mineures mais seulement 70 % à 80 % du parcours IVG des assurées majeures.

En 2014, la loi pour l’égalité réelle marque trois progrès importants ([6]). D’une part, le délit d’entrave à l’IVG est étendu pour y inclure le fait d’entraver ou de tenter d’entraver l’information sur l’IVG ou sur les actes préalables à une IVG. D’autre part, la notion d’état de « détresse », inscrite à l’article L. 2212‑1 du code de la santé publique, est supprimée. Le titre de la deuxième partie du code de la santé publique, auparavant intitulé « Santé de la famille, de la mère et de lenfant », est renommé « Santé reproductive, droits de la femme et protection de la santé de lenfant ». Cette consécration de la notion de « droits de la femme », et plus seulement « de la mère », marque une reconnaissance solennelle du droit des femmes à la maîtrise de leur sexualité.

En 2016, la loi de modernisation de notre système de santé a elle aussi pris plusieurs mesures en faveur du renforcement du droit à l’IVG ([7]). D’une part, le délai de réflexion obligatoire de sept jours entre les deux premières consultations est supprimé. D’autre part, les centres de santé sont autorisés à pratiquer des IVG instrumentales et la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses en ville est ouverte aux sages-femmes. Enfin, la loi prévoit la mise en place, dans chaque région, d’un plan d’accès à l’IVG, élaboré par l’agence régionale de santé.

En 2017, le délit d’entrave à l’IVG est étendu au champ numérique, afin de permettre la poursuite des sites Internet qui, sous une apparente neutralité, diffusent des informations biaisées et idéologiquement orientées à propos de lavortement, influençant ainsi le libre choix des femmes cherchant à sinformer sur ce sujet.

Progressivement, le législateur a donc choisi, non seulement de légaliser lIVG et de garantir ce droit fondamental, mais également de le consolider en en simplifiant la pratique et la procédure dans une logique de plus grand respect de lautonomie de toutes les femmes.

2.   Le recours à l’avortement, un parcours médical en plusieurs étapes

L’information est un élément fondamental de l’accès des femmes à l’avortement. La création du site ivg.gouv.fr a été une véritable avancée dans ce domaine et, si des progrès restent à faire, la rapporteure salue cette ressource précieuse qui rappelle par une infographie claire les étapes du parcours d’IVG ([8]).

Source : www.ivg.gouv.fr

Les délais de l’IVG étant encadrés, puisque celle-ci doit avoir lieu avant la douzième semaine de grossesse, soit la quatorzième semaine d’aménorrhée ([9]), le bon déroulement de ce parcours est une condition nécessaire pour garantir le droit à l’avortement. Cet enjeu de la fluidité et de la rapidité du parcours d’IVG a unanimement été souligné au cours des auditions conduites par la rapporteure.

Les deux méthodes dIVG

L’IVG médicamenteuse est possible jusqu’à la fin de la cinquième semaine de grossesse (soit au maximum sept semaines après le début des dernières règles) à domicile, sans hospitalisation, par l’intermédiaire d’un médecin ou d’une sage-femme. Ce délai peut se prolonger jusqu’à sept semaines de grossesse (soit neuf semaines après le début des dernières règles) dans le cas d’une hospitalisation dans un établissement de santé. L’IVG médicamenteuse consiste à prendre deux comprimés différents, à 24 ou 48 heures d’intervalle, puis à vérifier que la grossesse est bien interrompue lors d’une visite de contrôle. Cette méthode ne nécessite ni anesthésie ni intervention chirurgicale.

L’IVG instrumentale ou chirurgicale se pratique jusqu’à douze semaines de grossesse (quatorze semaines après les dernières règles) et nécessite une hospitalisation d’une demi-journée. Consistant en une aspiration de l’œuf après dilatation du col de l’utérus, elle se réalise sous anesthésie locale ou générale au sein d’un bloc opératoire et donc dans le cadre d’un établissement de santé, c’est-à-dire un hôpital ou une clinique autorisée à pratiquer l’avortement.

Source : www.ivg.gouv.fr

Les femmes ont le droit de choisir librement entre les deux méthodes d’avortement, dans les délais impartis par chacune des méthodes. Il revient aux professionnels de santé et accompagnants sociaux de leur délivrer l’ensemble des informations afférentes. Ce principe de libre choix de la méthode est indissociable du droit fondamental à l’avortement.

B.   CHIFFRES-CLÉS

1.   Un nombre d’IVG en récente augmentation après une longue stabilité

On estime que près d’une femme sur trois aurait recours à l’avortement au cours de sa vie. Cela représentait 224 338 IVG en 2018 et 232 200 IVG en 2019. Selon le rapport de septembre 2020 de la DREES, pour la première fois, après plusieurs années de relative stabilité, ce nombre enregistre ainsi une augmentation significative et dépasse le seuil de 230 000 IVG.

Au-delà de l’augmentation des IVG en valeur absolue, le nombre d’IVG en valeur relative croît également. Le taux de recours pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans en métropole augmente de 0,6 point par rapport à 2018 et s’établit à 15,6 IVG pour 1 000 femmes ([10]).

2.   Une prédominance du recours à la méthode médicamenteuse et de la réalisation des IVG au sein des établissements de santé

En 2019, plus de deux tiers des IVG ont été pratiquées par voie médicamenteuse, confirmant la hausse du recours à cette méthode au détriment de la méthode instrumentale. Depuis que la pratique des IVG médicamenteuses a été autorisée, le recours à cette méthode n’a eu de cesse d’augmenter, passant de 30 % en 2001 à 70 % en 2019.

Par ailleurs, la majeure partie des IVG sont, aujourd’hui encore, réalisées en établissement de santé, mais le nombre d’IVG pratiquées hors d’une structure hospitalière augmente de 0,4 point par rapport à 2018 et s’établit à 25 % des IVG réalisées en métropole et 42 % de celles réalisées dans les DROM ([11]).

3.   Des variations importantes en fonction de l’âge ou de la région considérée

Le nombre d’IVG varie très largement en fonction de plusieurs facteurs et notamment :

– d’une part, l’âge : ce sont les femmes âgées de 20 à 29 ans qui sont les plus concernées, avec un taux de recours de 27,9 IVG pour 1 000 femmes. À noter qu’une réduction du recours à l’IVG chez les plus jeunes a été récemment constatée ([12]) ;

– d’autre part, le lieu de résidence : le taux de recours est très variable d’un territoire à l’autre, allant du simple au triple selon les régions.

Ainsi, en 2019, s’il est de 11,8 IVG pour 1 000 femmes en région Pays‑de‑la‑Loire, il s’établit à 22,9 IVG pour 1 000 femmes en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et dépasse les 39 IVG pour 1 000 femmes en Guadeloupe et en Guyane. Le taux de recours dans les départements et régions d’outre-mer est ainsi près de 13 points supérieur à celui de la métropole, à 28,2 IVG pour 1 000 femmes.

Taux de recours À l’IVG en 2019

Champ : ensemble des IVG réalisées en métropole et dans les DROM, département de résidence.

Source : DREES (PMSI-MCO), Insee (estimations localisées de populations au 1er janvier 2019), CNAM (données de consommation inter-régimes, nombre de forfaits médicamenteux remboursés selon la date de soin).

Par ailleurs, dans son récent rapport sur le recours à l’IVG, la DREES constate que le niveau de revenu a également un impact sur le taux de recours à l’avortement. « Chez les femmes ayant réalisé une IVG en 2016, [...] les 10 % des femmes ayant les niveaux de vie les plus élevés ont un taux de recours à lIVG pour 1 000 femmes inférieur de 11 points pour 1 000 à celui des 10 % des femmes ayant les niveaux de vie les plus faibles » ([13]).

II.   La persistance de difficultÉs inacceptables

La récente crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 et, en particulier, les mesures de confinement qui ont été prises pour y faire face ont mis en exergue les difficultés les plus saillantes de l’accès à l’IVG dans notre pays. En dépit de nombreuses avancées législatives visant à renforcer ce droit fondamental, le recours à l’avortement se heurte en effet encore à plusieurs obstacles.

Ces difficultés ont d’ailleurs conduit la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale à faire le constat dans le récent rapport d’information sur l’accès à l’IVG de Mmes Marie‑Noëlle Battistel et Cécile Muschotti que ce droit n’est pas toujours parfaitement garanti.

A.   Le dÉpassement des dÉlais lÉgaux, une rÉalitÉ actuelle

1.   Des milliers de femmes encore concernées par le dépassement des délais

Bien que le nombre d’IVG en France soit relativement stable depuis plusieurs années, malgré la récente augmentation constatée par la DREES sur l’année 2019, et que le nombre d’IVG tardives soit, de manière relative, plutôt faible, il n’en demeure pas moins que chaque année plusieurs milliers de femmes sont concernées par le dépassement du délai légal de douze semaines et peuvent alors se retrouver sans solution.

Si l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique prévoit la possibilité de réaliser une interruption médicale de grossesse (IMG) qui, elle, n’est encadrée par aucun délai, celle-ci se limite toutefois à certaines circonstances : « soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit quil existe une forte probabilité que lenfant à naître soit atteint dune affection dune particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Réalisée sur avis d’un comité médical, l’IMG n’est donc pas nécessairement accessible à toutes les femmes souhaitant recourir à une IVG et ayant dépassé le délai légal des douze semaines de grossesse.

Les femmes se retrouvant dans cette situation sont alors confrontées à un choix, nécessairement insatisfaisant : poursuivre la grossesse contre leur gré ou se rendre à l’étranger pour pratiquer un avortement au-delà de ces quatorze semaines, ce qui est possible dans plusieurs pays limitrophes de la France, notamment l’Espagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Les associations estiment que chaque année entre 3 000 et 5 000 femmes seraient ainsi contraintes de se rendre à l’étranger pour avoir recours à une IVG. Si ces chiffres sont difficiles à vérifier, comme le rappelait d’ailleurs la docteure Sophie Gaudu, présidente du Réseau entre la ville et lhôpital pour lorthogénie (REVHO), lors de son audition par la rapporteure, ils correspondent toutefois aux remontées de terrain et aux analyses faites par les rapporteures Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti dans leur rapport au nom de la délégation aux droits des femmes. Ces dernières ont d’ailleurs réalisé des déplacements en Espagne et aux Pays-Bas qui sont venus confirmer de manière claire cette réalité ([14]).

Ces femmes se retrouvent alors dans une situation souvent vécue comme illégale ou tout au moins clandestine. Pour être en mesure d’interrompre la grossesse non désirée, elles sont confrontées au coût du voyage, de l’hébergement et de l’acte d’IVG en lui-même qui peut varier de 500 à 1 500 euros. Elles doivent également prendre en charge les questions organisationnelles et les problématiques engendrées, qui varient bien évidemment selon leur lieu d’habitation et leur situation professionnelle, personnelle,familiale…Elles peuvent dès lors avoir de multiples difficultés pratiques, par exemple si elles souhaitent dissimuler la situation à leur entourage, si elles doivent trouver une solution de garde d’enfants ou fournir un justificatif d’absence pour leur employeur...

Ces situations, sources dinégalités importantes, sont une véritable épreuve pour ces femmes qui voient ainsi une partie de leur liberté bafouée à travers leur droit à lavortement et leur droit à disposer de leur corps.

2.   La persistance de difficultés structurelles dans l’accès à l’IVG

D’importants efforts, couplés à des évolutions législatives cohérentes comme la suppression du délai de réflexion, ont permis de réduire le délai de réalisation des IVG, qui est aujourd’hui en moyenne de 7,4 jours entre la première demande en vue d’une IVG et la réalisation effective de l’acte ([15]). Malgré cela, certaines difficultés persistent et peuvent ralentir l’accès des femmes à l’avortement.

Le Planning familial, auditionné par la rapporteure, pointe ainsi plusieurs problèmes qui peuvent contribuer à rallonger le parcours IVG d’une femme, lui faisant ainsi courir le risque d’un dépassement de délai :

– la difficulté de trouver les informations adéquates et un interlocuteur compétent sur le sujet de l’IVG avec des situations très variables selon les régions ;

– la difficulté de connaître les praticiens acceptant de réaliser les IVG, ce qui complique l’orientation et la réorientation des femmes ;

– les cas où certains professionnels de santé, opposés à l’IVG, peuvent, de manière plus ou moins consciente ou volontaire, contribuer à retarder la prise en charge de femmes souhaitant recourir à une IVG. Concrètement, cela veut dire qu’une femme qui réalise tardivement qu’elle est enceinte – déni de grossesse, mineures mal informées, inégalités d’accès aux soins – et qui est mal orientée (notamment vers un médecin qui exerce sa clause de conscience) peut facilement dépasser les délais légaux ;

– l’engorgement de certains centres hospitaliers ou la désertification médicale de certaines régions, certaines pouvant par ailleurs être plus marquées par l’utilisation de la clause de conscience que d’autre ; ces différentes difficultés, qui ne touchent pas uniformément notre territoire, nuisent à la rapidité de la prise de rendez-vous.

Concernant ce dernier point, on observe en effet de fortes disparités territoriales dans le taux de recours à linterruption volontaire de grossesse. S’il n’existe pas de véritable zone blanche en termes d’accès à l’IVG, un certain nombre de zones de tension peuvent être identifiées localement.

9 % des IVG sont rÉALISÉes hors du dÉpartement de rÉsidence des femmes

Source : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/27/avortement-en-france-pres-de-8-des-centres-pratiquant-l-ivg-ont-ferme-en-dix-ans_6013384_3224.html (URL consultée le 28 septembre 2020].

Dès 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes alertait en effet sur les difficultés induites par la fermeture d’établissements pratiquant les IVG. « La fermeture de plus de 130 établissements de santé pratiquant lIVG ces 10 dernières années ([16]) et le manque de moyens et de personnels contribuent à rendre le parcours de soins parfois difficile et peu accessible. Lévolution de la démographie médicale, doublée des départs à la retraite à venir des générations de médecins fortement impliqués dans la prise en charge des IVG risquent daggraver cette situation. Conséquences : le choix de la méthode IVG et le choix de la méthode danesthésie ne sont pas toujours garantis, les délais dattente peuvent être quelques fois importants et les distances à parcourir longues. La confidentialité et la gratuité pour les femmes ne sont pas toujours assurées. Lensemble de ces obstacles peut mener jusquà la non prise en charge de lIVG conduisant ainsi un certain nombre de femmes à partir avorter à létranger » ([17]).

3.   Des situations personnelles complexes à mieux prendre en compte

Si la majeure partie des avortements ont lieu avant la huitième semaine de grossesse – selon la DREES, la moitié des IVG réalisées en établissement hospitalier en 2019 concerne des grossesses de moins de huit semaines d’aménorrhée ([18]) – certaines situations familiales ou personnelles peuvent compliquer le choix d’une femme d’avoir recours à un avortement.

Certaines découvrent leur grossesse tardivement ; ces cas n’ont rien de rare et les raisons sont multiples et propres à chaque femme. Sans prétendre à l’exhaustivité, cela peut par exemple être engendré par une forme de déni, un phénomène biopsychologique conduisant à n’avoir aucun signe de grossesse, ou par des saignements interprétés comme des menstruations, ou par des cycles menstruels irréguliers (en particulier chez les jeunes femmes) ou parce qu’elles utilisent pourtant bien une méthode contraceptive.

Il peut également s’agir d’un choix plus tardif fait par exemple en raison d’une séparation ou d’une situation de violences intrafamiliales. La docteure Ghada Hatem explique ainsi qu’« aucune femme ne dépasse les délais par confort ; cela résulte toujours dune situation problématique », relatant l’exemple récent de la séquestration d’une jeune femme par sa famille qui était opposée à l’avortement.

Ces situations, souvent complexes, doivent être prises en compte, sans jugement et sans propos culpabilisants, par les professionnels de santé afin de permettre une prise en charge adaptée de toutes les femmes.

4.   Le confinement sanitaire, révélateur des difficultés pouvant entraîner un dépassement de ces délais

Le confinement décidé par le Gouvernement pour répondre à la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a eu de nombreuses conséquences sur la vie de nos concitoyens, y compris concernant le recours à l’IVG.

En effet, face à cette situation, le Planning familial a observé « sur la période du 30 mars au 19 avril 2020, une augmentation des appels de 31 % par rapport à la même période de lannée 2019 (les écoutant.e.s ont enregistré 2 045 fiches dappel contre 1 565 en 2019) ». Il a par ailleurs noté « une augmentation de 330 % des difficultés exprimées par les appelant.e.s lors des appels. Ceux-ci concernent les dysfonctionnements ou le non-respect de la loi dans la prise en charge des personnes souhaitant réaliser une IVG ou se faire délivrer/poser une contraception, un accueil IVG culpabilisant et/ou jugeant, une désinformation par un.e professionnel.le ou un.e personne anti-IVG, une situation de violences conjugales ou familiales, une situation de dépassement des délais légaux français pour la réalisation dune IVG entraînant un avortement à létranger et bien sûr les difficultés liées au confinement. » ([19])

Sur cette même période, le Planning familial a reçu, via le numéro vert, 53 demandes d’aide et d’information pour une IVG hors délai, qui ont débouché soit vers une IMG en France, soit vers une IVG à l’étranger. En 2019, seules 19 demandes de ce type avaient été reçues, ce qui représente une augmentation de 184 % des demandes pour une IVG au-delà du délai légal de douze semaines de grossesse ([20]).

Le confinement a donc eu un impact clair et délétère sur l’accès des femmes à l’IVG et a renforcé les problématiques de dépassement des délais. Se pose donc avec d’autant plus d’acuité la question de leur allongement.

B.   Le maintien d’une clause de conscience spÉcifique, une particularitÉ inappropriÉe

1.   La perpétuation d’une vision de l’IVG comme un acte médical à part

Dès l’adoption de la loi Veil, il a été permis aux médecins et aux sages‑femmes d’opposer un refus spécifique pour la réalisation d’une IVG. Cette clause législative spécifique s’ajoute, dès lors, à la clause de conscience générale des professionnels de santé, qui revêt un caractère réglementaire et qui leur permet de ne pas pratiquer tout acte médical. Concrètement, cette clause de conscience générale signifie qu’un médecin ou une sage-femme a le droit refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.

Héritage des équilibres sociaux et politiques de 1975, le maintien de cette clause spécifique dans notre code de la santé publique apparaît aujourd’hui comme une volonté de conserver un statut à part pour l’acte d’IVG, conduisant les professionnels de santé, selon le REVHO, à pratiquer « une médecine à géométrie variable ». Au-delà de la stigmatisation de l’acte, cette clause tend à perpétuer une forme de culpabilisation des femmes qui y recourent.

Les auditions menées par la rapporteure ont montré que, pour une majorité des acteurs auditionnés, l’avortement fait partie intégrante de la vie et de la santé des femmes. À ce titre, le traitement juridique particulier réservé à l’IVG empêche sa consécration comme un véritable « soin apporté aux femmes » et tend même à faire oublier qu’une clause de conscience générale existe, dans tous les domaines de la médecine, pour les professionnels de santé.

2.   Des conséquences négatives, en pratique, pour l’accès des femmes à l’avortement

Outre l’aspect éminemment symbolique que représente son maintien dans notre droit, la clause de conscience spécifique à l’IVG emporte des conséquences pratiques négatives pour l’accès des femmes à l’avortement. En effet, clause de conscience spécifique à l’IVG et délais légaux d’avortement sont intimement liés.

L’enquête du ministère des solidarités et de la santé conduite en 2019 auprès des agences régionales de santé (ARS) concluait que « la plupart des ARS ne déclarent pas de difficulté majeure daccès à lIVG qui serait spécifiquement liée à lexercice dune clause conscience » ([21]). Les échanges de la rapporteure avec le Planning familial et d’autres acteurs de terrain, comme le REVHO ou encore l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (ANCIC), ont pourtant mis clairement en avant la difficile comptabilisation des praticiens refusant de prendre en charge une IVG au titre de leur clause de conscience, générale ou spécifique.

Il semble donc bien exister des difficultés liées à l’application de la clause de conscience spécifique et il importe de pouvoir mesurer ces difficultés pour les prendre en compte. L’enquête du ministère des solidarités et de la santé auprès des ARS souligne d’ailleurs qu’« il est relevé des difficultés daccès voir des refus ponctuels de prise en charge des IVG tardives » ([22]). Certains professionnels usent en effet de cette clause spécifique seulement pour un avortement au‑delà d’un certain nombre de semaines de grossesse, bien qu’inférieur aux délais légaux. Il est ainsi souvent plus difficile pour les femmes de trouver un praticien acceptant de pratiquer une IVG entre dix et douze semaines – période pendant laquelle sont pratiquées 5 % des IVG en France. De ce fait, l’ANCIC a tenu à rappeler au cours des auditions que les données de la DREES relatives à lIVG (délais, méthode, etc.) ne sont pas seulement le reflet du choix des femmes mais également le reflet de loffre de soins, elle-même façonnée par cette clause de conscience.

Par ailleurs, dès 2009, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) relevait dans son rapport sur la prise en charge de l’IVG, qu’il s’agissait d’une activité qui demeurait « très dépendante des équations personnelles et locales » ([23]). De la même manière, le rapport de la délégation aux droits des femmes révèle que cette clause de conscience spécifique peut « conforter le peu dempressement dun chef de service à la réalisation de lIVG, qui sans en entraver lexercice, ny affectera que des moyens et personnels minimaux » ([24]).

Ces différents exemples soulignent les problématiques que peut impliquer l’usage de la clause de conscience. Si, bien évidemment, une clause de conscience générale doit exister pour tout professionnel de santé et pour tout acte, y compris l’IVG, l’existence d’une clause spécifique accentue ce phénomène et le risque de se retrouver un jour avec insuffisamment de praticiens acceptant de pratiquer les avortements. C’est par exemple le cas aujourd’hui en Italie où, selon les observations d’Human Rights Watch, confirmées par d’autres sources, sept médecins italiens sur dix sont des objecteurs de conscience à l’avortement et ce chiffre est en constante augmentation depuis 2010 (2010-2011 : 69,3 %, 2012 : 69,6 %, 2013-2014 : 70,7 %). Sans que les chiffres soient à ce jour vérifiables, plusieurs associations font état d’une augmentation des avortements clandestins, avec tous les risques qu’ils impliquent pour la santé des femmes. Considérant qu’elles peuvent avoir « de sérieux impacts sur laccès des femmes à un avortement légal et sécurisé dans des délais rapides », le Conseil de l’Europe a d’ailleurs dénoncé les difficultés d’accès à l’avortement en Italie, considérant qu’il s’agit là d’un refus de soin ([25]).

Refus de pratiquer l’avortement et accès à un avortement légal et sûr

En Italie, de nombreuses femmes ne parviennent pas à trouver un médecin ou un hôpital disposé à pratiquer l’avortement auquel elles ont droit. D’autres doivent attendre si longtemps qu’elles finissent par dépasser le délai légal. Il apparaît que dans ce pays, le pourcentage des médecins refusant de pratiquer l’avortement s’élève à environ 70 %. En 2016, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a examiné une réclamation faisant valoir que l’Italie n’avait pas protégé le droit des femmes à la santé du fait de son incapacité à s’assurer que le refus de soins de la part des médecins ne mettait pas en danger l’accès des femmes aux procédures d’avortement. Dans sa décision, le CEDS conclut que les femmes souhaitant recourir aux services d’avortement continuent à rencontrer, dans la pratique, de réelles difficultés pour ce qui est de l’accès à de tels services, malgré les dispositions de la législation applicable. Il relève aussi les lacunes entraînées par le refus de pratiquer des soins pour des motifs de conscience et le fait que, par conséquent, les femmes souhaitant interrompre leur grossesse peuvent se trouver contraintes de trouver d’autres établissements hospitaliers en Italie ou à l’étranger. Il constate donc une violation de l’article 11.1 de la Charte sociale européenne révisée (droit à la protection de la santé) (1).

(1)    CEDS, IPPF EN c. Italie, réclamation n° 87/2012, 2014 ; CGIL c. Italie, réclamation n° 91/2013, 2016.

Source : Conseil de lEurope, Santé et droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe, 2017.

En tout état de cause, des événements récents tels que la menace d’une « grève des IVG » par le président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) rappellent que cet acte est encore perçu, y compris par les médecins, comme un acte médical à part.

Cette perception de l’IVG, y compris par le corps médical, conduit à une stigmatisation de l’avortement et donc des femmes qui y ont recours.

3.   Une garantie de la réorientation des femmes

Si cette clause spécifique perpétue certes une stigmatisation de l’acte d’IVG, l’unanimité des acteurs auditionnés a rappelé son attachement à une clause qui, aussi, protège les femmes.

En effet, contrairement à la clause de conscience générale, qui garantit toutefois la continuité des soins aux malades, cette clause spécifique à l’IVG impose au professionnel qui en use d’informer sans délai l’intéressée de ce refus et de lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser l’acte.

Toutefois, cette garantie, législative, ne trouve pas nécessairement une traduction pratique :

– d’une part, le rapport sur l’accès à l’IVG de la délégation aux droits des femmes note chez certains praticiens, en cas de clause de conscience, une volonté de ne pas réorienter les femmes du fait de leur opposition à cet acte – ou sans aller jusqu’à une non‑réorientation, une tendance à parfois faire durer la prise de rendez‑vous et les informations, ce qui conduit à une perte de temps pour les femmes concernées ;

– d’autre part, les auditions menées par la rapporteure ont fait émerger la difficulté plus générale de disposer, y compris pour les professionnels de santé, d’une liste à jour des praticiens susceptibles de réaliser une IVG, à laquelle s’ajoutent les effets saisonniers, pouvant compliquer la réorientation des femmes par les professionnels en pratique.

III.   Le dispositif proposÉ : MODIFIER sans attendre NOTRE DROIT pour faciliter le RECOURS À l’ivg

Face à des situations inacceptables pour les femmes depuis de nombreuses années, l’équation est simple : aucune femme ne doit rester sans solution face à une grossesse non désirée. Légiférer apparaît désormais comme l’une des solutions pour faire progresser et rendre plus effectifs les droits des femmes en matière d’IVG.

A.   Allonger le dÉlai de recours À l’IVG INSTRUMENTALE

1.   La nécessité d’allonger le délai de douze à quatorze semaines de grossesse

L’allongement du délai de recours à l’IVG permettrait de mieux prendre en charge les femmes et d’apporter une solution à la plupart des cas de dépassement des délais légaux jusque-là fixés à douze semaines de grossesse.

L’ANCIC estime d’ailleurs que le précédent allongement des délais, au début des années 2000, a probablement déjà permis de réduire le nombre de femmes se retrouvant sans possibilité d’avorter. En ce sens, la docteure Nathalie Trignol‑Viguier, membre du bureau de l’ANCIC, estime qu’augmenter à quatorze semaines ce délai serait aujourd’hui la solution la plus efficace pour répondre aux difficultés évoquées ci-avant et permettre l’accès à l’avortement de toutes les femmes le souhaitant.

L’allongement de ce délai est d’ailleurs une demande des associations engagées pour les droits des femmes dans notre pays et plusieurs d’entre elles l’ont clairement réaffirmé au cours des auditions de la rapporteure.

Il est aujourd’hui inacceptable que certaines femmes se retrouvent sans solution et soient contraintes de poursuivre une grossesse contre leur gré ou de se rendre à l’étranger pour avoir recours à l’IVG ou d’avorter de manière clandestine parfois au péril de leur propre santé.

Il est de la responsabilité du législateur de garantir qu’une femme puisse accéder à ce droit fondamental qu’est l’IVG en France et qu’en aucun cas elle ne se voit contrainte à la clandestinité ou doive mettre sa santé en danger pour un dépassement des délais de quelques jours ou semaines.

De la même manière, il est de la responsabilité du législateur de laisser aux femmes le choix de poursuivre ou non leur grossesse. D’autant plus quand l’on sait qu’une grossesse non désirée et menée à terme peut avoir des conséquences dramatiques, tant pour la mère que pour l’enfant. Cela peut notamment conduire à des problèmes psycho-sociaux graves, comme l’isolement, la perte d’estime de soi, l’exclusion familiale, par exemple en cas de grossesse précoce. Cela peut également engendrer des difficultés profondes dans l’exercice des fonctions parentales. Ces situations ne sont pas acceptables et l’accès à l’avortement doit être renforcé pour garantir qu’elles n’adviennent plus.

2.   Un enjeu d’égalité entre toutes les femmes

Lorsqu’une femme ayant dépassé le délai des douze semaines n’a d’autre choix que de recourir à une IVG à l’étranger, elle doit en assumer elle-même le coût, tant du voyage au sens large que de l’acte médical en lui-même. Si cela ne posera pas de difficultés pour certaines, cela peut être un obstacle infranchissable pour les femmes plus précaires.

Or, comme la DREES vient de le constater dans son étude sur l’IVG en France en 2019, 10 % des femmes ayant les niveaux de vie les plus élevés ont un taux de recours à l’IVG pour 1 000 femmes inférieur de 11 points pour 1 000 à celui des 10 % des femmes ayant les niveaux de vie les plus faibles ([26]).

Les femmes les plus précaires seraient donc sans doute aussi celles qui auraient le plus de risques d’être confrontées à un dépassement des délais légaux tout en n’étant pas en capacité de se rendre à l’étranger pour avoir tout de même accès à une IVG.

En outre, les jeunes femmes sont davantage touchées par les IVG tardives, réalisées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Si celles-ci ne représentent que 5,3 % de l’ensemble des IVG (soit environ 12 000 IVG en 2019), elles concernent en revanche 10,5 % des mineures ayant recours à l’IVG (contre 4,9 % des femmes de 25 ans et plus) ([27]). Les très jeunes femmes sont donc plus susceptibles d’être confrontées à des risques de dépassement de délais.

L’allongement du délai légal de recours à l’IVG instrumentale est finalement une question d’égalité entre les femmes. Il s’agit d’une solution efficace et pertinente pour mieux prendre en charge ces situations qui se caractérisent souvent par des problématiques ou des fragilités spécifiques.

3.   Une solution qui doit être intégrée dans une amélioration plus large du parcours IVG des femmes en France

Si l’allongement du délai de quinze jours permettra de mieux prendre en charge certaines femmes, il convient toutefois de rappeler que cela s’inscrit dans une amélioration plus générale du parcours d’accès à l’IVG. Il est certain que l’effectivité du droit à l’avortement repose avant tout sur la fluidité et l’efficacité du chemin pour y accéder.

Comme l’ont rappelé les associations ou encore le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), certaines femmes dépassent le délai légal en raison d’une mauvaise prise en charge, parce qu’elles ont essuyé plusieurs refus, été mal informées ou orientées, perdu du temps avec un rendez-vous, etc. Le docteur Philippe David, gynécologue obstétricien, pôle hospitalier mutualiste Jules Verne, membre de la commission sur l’orthogénie et de la commission d’éthique du CNGOF, insistait quant à lui sur la nécessité de « bien appliquer le droit » et donc de d’ores et déjà s’assurer de la bonne mise en œuvre du droit à l’IVG jusqu’à douze semaines ; il affirmait ainsi qu’« il faut que lIVG soit bien faite, cest un soin comme un autre et elle doit être bien réalisée ». Or, cela passe aussi par un parcours d’accès à l’IVG sans obstacle.

Plusieurs mesures, qui ne sont pas de niveau législatif, doivent sans doute être prises pour améliorer ce parcours d’accès à l’IVG dans notre pays, afin de limiter les difficultés et les cas de dépassement des délais. Le recours à une IVG n’est jamais repoussé par plaisir et notre système de santé doit permettre aux femmes d’y avoir recours le plus tôt possible, tout en garantissant une solution pour toutes les situations. Cela passe sans doute également par une meilleure articulation entre l’IVG et l’IMG, notamment pour détresse psychosociale.

B.   Supprimer la clause spÉcifique À l’IVG tout en rÉaffirmant le principe d’une clause de conscience gÉnÉrale

1.   La nécessité de supprimer cette spécificité

Afin de pallier la stigmatisation et les difficultés d’accès à l’IVG engendrées par cette double clause de conscience, sa suppression est pour la rapporteure la mesure idoine, qui doit être mise en œuvre tout en conservant les garanties qui y sont attachées.

À ce titre, le rapport de la délégation aux droits des femmes, tout comme les auditions menées par la rapporteure, ont montré un relatif consensus autour de la suppression de cette clause de conscience spécifique sous la double réserve suivante :

– d’une part, conserver l’obligation de réorientation par le praticien ou la sage-femme faisant appel à sa clause de conscience vers un professionnel pratiquant l’IVG ;

Selon le dispositif proposé, l’obligation de réorientation serait quant à elle maintenue par voie législative et non réglementaire. Cette dernière découlerait dès lors de la clause de conscience réglementaire générale et non plus d’une clause spécifique à l’IVG. La conservation de l’obligation de réorientation à un niveau législatif, vœu ayant émergé au cours des auditions menées par la rapporteure, serait dès lors assurée.

– d’autre part, garantir la préservation pleine et complète de la clause de conscience des professionnels de santé. En effet, l’unanimité des acteurs auditionnés a rappelé le caractère fondamental de la clause de conscience générale, dans la mesure où il n’est pas envisageable d’imposer à un professionnel de santé, pour lui comme pour le patient concerné, de pratiquer un acte qu’il ne maîtrise pas ou auquel il est opposé.

Selon le dispositif proposé, il subsisterait en effet une clause de conscience commune à tout acte médical, issue des règles déontologiques propres à chaque ordre (en particulier, médecins et sages‑femmes) et codifiées par voie réglementaire dans le code de la santé publique.

2.   Une mesure certes insuffisante à elle seule

La suppression de la clause de conscience spécifique revêt une double portée, en premier lieu symbolique, mais dont des conséquences opérationnelles vertueuses pourraient être tirées. Toutefois, les acteurs auditionnés et la rapporteure s’accordent sur le fait que cette suppression, à elle seule, ne saurait résoudre l’ensemble des difficultés d’accès à l’IVG qui persistent encore aujourd’hui.

Selon le Conseil national de l’ordre des sages-femmes (CNOSF), « le nœud du problème ne se situe pas là ». La France connaît avant tout un important manque de praticiens. En effet, l’étude de 2019 de la DREES sur les IVG en France montre qu’un nombre mineur de praticiens supporte une grande partie des IVG. C’est pourquoi le CNOSF soutient la proposition d’autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales dans les mêmes conditions que les médecins afin d’augmenter le nombre de praticiens. Une telle mesure contribuerait à réduire les inégalités territoriales d’accès à l’IVG mises en évidence par la délégation aux droits des femmes, aussi bien que par le dernier rapport de la DREES. De même, une meilleure formation à l’IVG des étudiants en médecine, en particulier des internes en gynécologie obstétrique, a été identifiée comme un levier à même de répondre au manque de praticiens compétents.

De plus, il subsiste un manque important d’informations sur l’IVG. Les personnes auditionnées ont ainsi fait état d’une mauvaise connaissance des acteurs territoriaux pratiquant des IVG. C’est pourquoi, des structures telles que le REVHO ont développé un annuaire, à jour, répertoriant les praticiens et les lieux procédant à des IVG. De même, pour la docteure Ghada Hatem, gynécologue, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, il est important de développer des lieux identifiés, où les IVG sont réalisées et où les clauses de conscience ne sont pas opposées aux femmes.

Enfin, l’éducation à la vie affective, à la vie sexuelle et à la contraception, qui, malgré son inscription dans la loi ([28]), est insuffisamment mise en œuvre alors qu’elle est primordiale pour permettre une action préventive et offrir aux femmes comme aux hommes un regard éclairé, entre autres, sur la contraception et les méthodes abortives.

3.   Au-delà du relatif consensus, des oppositions à cette suppression

Les oppositions à la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG ont été, durant les auditions menées par la rapporteure, minoritaires. Elles sont notamment venues du Syngof et le Conseil national de l’Ordre des médecins, inquiets de voir cette évolution législative se traduire par un affaiblissement du principe même de clause de conscience.

En effet, ces acteurs mettent en avant le fait que l’IVG n’est pas un soin tout à fait comme les autres et qu’en cela les praticiens doivent pouvoir conserver cette double clause de conscience. En outre, le caractère humain des équipes soignantes justifierait son maintien, dans la mesure où les IVG peuvent avoir des conséquences sur leur propre bien-être.


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   commentaires d’articles

Article 1er
Allongement du délai de recours à lIVG de douze à quatorze semaines de grossesse

Adopté par la commission sans modification

L’article 1er allonge le délai autorisé pour avoir recours à une interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines de grossesse (soit seize semaines d’aménorrhée).

I.   L’État du droit : un dÉlai lÉgal de DOUZE semaines de grossesse pour recourir À une interruption volontaire de grossesse

1.   Un délai issu d’une modification législative de 2001

À l’origine limité à dix semaines de grossesse, le délai légal pour recourir à une IVG est, depuis 2001 ([29]), de douze semaines de grossesse, soit quatorze semaines d’aménorrhée.

Ce délai maximal concerne avant tout la méthode instrumentale, puisque, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), les IVG par voie médicamenteuse ne peuvent quant à elles être pratiquées, en ville, que jusqu’à la cinquième semaine de grossesse en ville (sept semaines d’aménorrhée) et, en établissement de santé, jusqu’à la septième semaine de grossesse (neuf semaines d’aménorrhée).

2.   Les IVG sont majoritairement réalisées avant la huitième semaine de grossesse

L’allongement du délai en 2001 ne s’est pas traduit pas un décalage de la répartition des IVG selon le nombre de semaines de grossesse. « La durée moyenne de grossesse à lIVG, toutes techniques confondues, qui était restée stable de 1990 à 2000, sest un peu allongée lannée suivant le changement de la loi, puis a connu une légère baisse dans les années récentes (8,4 semaines daménorrhée en 2011, contre 8,8 en 1990 et 9,1 en 2002, soit 6,4 semaines de grossesse contre 6,8 et 7,1) » ([30]). Cette réduction des délais a notamment été favorisée par la diffusion de la méthode médicamenteuse.

RÉpartition des IVG selon le nombre de semaines d’amÉnorrhÉe

Champ : France métropolitaine.

Source : Ined, « Un recours moindre à l’IVG, mais plus souvent répété », in Population & Société numéro 518, janvier 2015.

Ce graphique permet également de constater qu’au-delà du délai moyen, la part des IVG réalisées entre dix et douze semaines de grossesse (entre douze et quatorze semaines d’aménorrhée) est une donnée stable depuis l’allongement de ce délai en 2001. Il n’y a donc pas eu de modification du comportement des femmes vis-à-vis du délai de recours à l’IVG : elles n’ont pas repoussé le moment de leur avortement sous prétexte de disposer de plus de temps.

Simplement, l’allongement du délai a permis de prendre en charge celles qui étaient concernées par un avortement entre dix et douze semaines et qui auparavant se trouvaient sans solution.

En 2019 encore, le total des IVG réalisées entre dix et douze semaines ne représentent qu’une IVG sur vingt.

II.   Les modifications proposÉes : un allongement du dÉlai lÉgal À quatorze semaines de grossesse

1.   Allonger le délai légal pour recourir à une IVG de douze à quatorze semaines de grossesse dans le code de la santé publique

Cet article modifie l’article L. 2212-1 du code de la santé publique afin de fixer à quatorze semaines de grossesse (soit seize semaines d’aménorrhée) le délai autorisé pour avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.

Les éléments évoqués ci-avant sur le nombre d’IVG réalisées entre dix et douze semaines de grossesse laissent penser que, de la même manière qu’en 2001, une telle évolution du délai ne conduirait pas à une modification de la répartition des IVG selon le nombre de semaines de grossesse, mais permettrait simplement d’y inclure les femmes ayant besoin de recourir à un avortement entre douze et quatorze semaines de grossesse et qui, pour l’heure, n’ont pas la possibilité de le faire en France.

2.   Permettre aux femmes concernées de trouver en France une solution et une prise en charge adaptée

Le dépassement des délais est avant tout le reflet des difficultés de parcours et d’accès des femmes à l’IVG. Le report d’un recours à l’IVG n’est pas un choix fait par confort ou plaisir, mais la conséquence de problématiques ou d’obstacles face auxquels toute femme doit être soutenue.

L’allongement du délai de douze à quatorze semaines de grossesse est une solution législative pragmatique qui vise à prendre en charge les femmes ayant dépassé le délai de douze semaines et, par là même, éviter les IVG clandestines mettant en péril la santé des femmes et les IVG à l’étranger qui sont par essence une solution insatisfaisante et inégalitaire.

 

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Article 1er bis (nouveau)
Extension de la compétence des sages-femmes à la méthode chirurgicale dIVG jusquà la dixième semaine de grossesse

Introduit par la commission

Cet article vise à permettre aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse.

Cet article résulte de l’adoption de trois amendements identiques présentés par Mme Muschotti et les membres du groupe La République en Marche, par Mme Battistel et plusieurs de ses collègues du groupe Socialistes et apparentés, ainsi que par Mme Rixain et plusieurs de ses collègues membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Si la rapporteure a soutenu ces amendements, elle souhaitait qu’ils fussent modifiés afin de supprimer la limitation de dix semaines de grossesse imposée à la pratique des IVG chirurgicales (également appelées instrumentales) par les sages‑femmes. Lors des auditions, les professionnels de santé ont préféré que soit employé le terme « instrumental » qui correspond mieux à la réalité du geste médical ; de ce fait, le présent rapport utilise de préférence ce terme.

Les sages-femmes peuvent pratiquer des IVG par voie médicamenteuse depuis la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Selon la DREES, en 2018, 248 sages-femmes libérales ont pratiqué 5 332 IVG par voie médicamenteuse ([31]). En 2019, ce sont 420 sages-femmes qui pratiquent des interruptions volontaires de grossesse hors établissements hospitaliers (en comparaison, 832 gynécologues médicaux ou obstétriciens, 662 généralistes pratiquent des IVG hors établissements hospitaliers) ([32]). Elles ne sont toutefois pas autorisées à pratiquer des IVG par voie instrumentale.

Dans son récent rapport sur l’accès à l’IVG, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a recommandé l’ouverture aux sages-femmes de la possibilité de réaliser des IVG instrumentales : « ces dernières disposent des compétences nécessaires à la réalisation des gestes de cette opération et il paraît contre-productif de restreindre la pratique de sages-femmes volontaires. En effet, un plus grand nombre de praticiens habilités à pratiquer lIVG ne peut avoir que des effets bénéfiques sur leffectivité de laccès à lIVG pour les femmes. » ([33]). En effet, les sages-femmes, plus nombreuses que les médecins sur notre territoire national, pratiquent des gestes intra-utérins et l’IVG en est un ; l’extension de leur compétence en matière d’orthogénie serait donc une avancée cohérente, tant du point de vue de leur champ d’intervention médicale que du point de vue de la politique d’accès à l’avortement dans notre pays.

Le présent article s’inspire directement de la préconisation de ce rapport de la délégation. Il modifie ainsi l’article L. 2212‑2 du code de la santé publique afin d’autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG par voie instrumentale jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse.

 

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Article 1er ter (nouveau)
Suppression du délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande dIVG en cas dentretien psychosocial préalable

Introduit par la commission

Cet article supprime le délai de réflexion de deux jours entre l’entretien préalable dit psycho‑social, qu’il soit facultatif ou obligatoire, et la confirmation écrite de la demande d’interruption de grossesse de la femme.

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement, auquel la rapporteure a donné un avis favorable, présenté par Mme Muschotti et les membres du groupe La République en Marche.

Aux termes de l’article L. 2212‑4 du code de la santé publique, une consultation avec une personne ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute autre personne qualifiée dans un établissement d’information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d’éducation familiale, un service social ou un autre organisme agréé :

– est systématiquement proposée aux femmes majeures et se tient à leur unique demande ;

– est obligatoire pour les femmes mineures non émancipées.

Cette consultation préalable comporte un entretien particulier au cours duquel une assistance ou des conseils appropriés à la situation de l’intéressée lui sont apportés.

Aux termes de la première phrase de l’article L. 2212‑5 du code de la santé publique, il doit être demandé à la femme renouvelant sa demande d’interruption de grossesse une confirmation écrite.

Dans sa rédaction actuelle, la seconde phrase de l’article L. 2212‑5 prévoit que cette confirmation ne peut intervenir que deux jours suivant l’entretien susmentionné.

Le présent article supprime cette seconde phrase.

Ainsi, en cas d’entretien prévu à l’article L. 2212-4, qu’il soit obligatoire ou facultatif, le délai de deux jours entre ledit entretien et la confirmation écrite de la demande d’interruption de grossesse de la femme est supprimé.

Dès lors, toute femme réalisant cet entretien pourra confirmer par écrit sa demande d’interruption de grossesse dans le délai qu’elle souhaite.

 

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Article 2
Suppression de la clause de conscience spécifique relative à lIVG

Adopté par la commission avec modification

L’article 2 supprime le premier alinéa de l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique aux termes duquel aucun médecin ou aucune sage-femme n’est tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Il supprime également le second alinéa du même article L. 2212‑8 aux termes duquel aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse.

Ce faisant, il supprime donc la clause de conscience spécifique à l’IVG.

Il maintient toutefois l’obligation de réorientation de la femme souhaitant recourir à une IVG lorsqu’un médecin ou une sage‑femme refuse de pratiquer l’IVG.

Cet article prévoit en outre la publication par les agences régionales de santé d’un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et les structures pratiquant l’IVG.

I.   L’État du droit : UNE DOUBLE CLAUSE DE CONSCIENCE

1.   La clause de conscience générale

Les professionnels de santé jouissent, dans le cadre de leur exercice professionnel, d’un droit général, dit clause de conscience, qui leur permet de refuser des soins à un patient pour des raisons professionnelles ou personnelles.

Pour les médecins, cette règle est issue du code de déontologie médicale et se retrouve à l’article R. 4127-47 du code de la santé publique.

Cette règle générale ne connaît que deux exceptions que sont le cas d’urgence et le cas où le médecin manquerait à ses devoirs d’humanité.

Pour les sages-femmes, cette même règle, formulée en des termes similaires, se retrouve à l’article R. 4127-328 du code de la santé publique. Elle est issue du code de déontologie des sages-femmes et connaît les mêmes exceptions.

2.   Une clause de conscience spécifique à l’IVG

● Le dispositif législatif

Outre cette clause de conscience propre à chaque profession, reconnue de manière générale pour tout acte de soin, les professionnels de santé qui pratiquent ou concourent à la réalisation d’une IVG jouissent d’une clause supplémentaire et spécifique à cet acte.

Cette clause, législative et non réglementaire, est définie à l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique. Aux termes de cet article, aucun médecin ou aucune sage-femme n’est tenu de pratiquer une IVG, de même qu’aucune sage‑femme, aucun infirmier, aucun auxiliaire médical n’est tenu d’y concourir.

 Une obligation de réorientation

Cet article comprend une disposition supplémentaire, absente notamment de l’article R. 4127‑47 du code de la santé publique définissant la clause de conscience générale des médecins. En effet, sans que le médecin ou la sage‑femme soit tenu de pratiquer une IVG, il a en revanche l’obligation d’informer l’intéressée, sans délai, de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser l’intervention.

 Le rappel de ce dispositif par la voie réglementaire

Cette clause de conscience spécifique à l’IVG est également reprise dans le code de déontologie médicale codifié par voie réglementaire dans le code de la santé publique. L’article R. 4127‑18 du code de la santé publique rappelle ainsi qu’un médecin est toujours libre de refuser une IVG et qu’il doit le cas échéant en informer l’intéressée dans les conditions et délais prévus par la loi.

Il en va de même pour le code de déontologie des sages‑femmes, codifié dans le code de la santé publique. Aux termes de l’article R. 4127‑324 du même code, aucune sage‑femme n’est ainsi tenue de concourir à une IVG.

II.   Les modifications proposÉes : LA SUPPRESSION DE CETTE SPÉCIFICITÉ DANS LA LOI, LA CONSERVATION DES GARANTIES SUPPLÉMENTAIRES

1.   Supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG

Le 1° de l’article 2 de la présente proposition de loi supprime le premier et le deuxième alinéa de l’article L. 2212-8 du code de la santé publique.

La suppression du premier alinéa abroge la possibilité pour les médecins et les sages‑femmes de ne pas pratiquer une IVG et l’obligation qui en résulte d’informer et d’orienter sans délai l’intéressée vers un autre praticien ou sage‑femme. Dès lors, il subsiste pour ces professionnels la clause de conscience générale, qui ne revêt pas de caractère législatif, respectivement codifiée aux articles R. 4127-18 pour les médecins et R. 4127-324 pour les sages-femmes du code de la santé publique.

La suppression du deuxième alinéa abroge quant à elle la possibilité pour toute sage-femme, tout infirmier, tout auxiliaire médical de ne pas concourir à une IVG. De la même façon, les professionnels évoqués dans l’actuel deuxième alinéa, concourant à une IVG, peuvent faire valoir leur clause de conscience générale propre et codifiée par voie réglementaire.

Le maintien de la clause de conscience dite « générale » garantit ainsi à l’ensemble de ces professionnels de santé la possibilité de refuser de pratiquer ou de concourir à une IVG.

À noter que si la présente proposition de loi supprime la clause de conscience spécifique à l’IVG de la loi, cette spécificité demeurera dans le droit à un niveau réglementaire. En effet, l’article R. 4127-18 et l’article R. 4127-324 du code de la santé publique portent, respectivement pour les médecins et les sages‑femmes, sur la possibilité qui leur est faite de ne pas pratiquer une IVG. De ce fait, cette double clause de conscience perdurera à un niveau réglementaire.

2.   Conserver dans la loi une garantie similaire d’information et d’orientation des femmes souhaitant recourir à une IVG

Le 2° de l’article 2 complète le troisième alinéa de l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique ayant trait à la possibilité laissée aux établissements de santé privés de refuser la pratique d’IVG dans ses locaux.

Est ainsi ajoutée à ce troisième alinéa l’obligation pour tout médecin ou toute sage-femme qui refuse de pratiquer une IVG d’informer l’intéressée sans délai et de lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention dans les modalités prévues à l’article L. 2212‑2 du code de la santé publique, ayant trait aux conditions de réalisation d’une IVG.

De ce fait, l’obligation de réorientation des femmes se voyant opposer un refus d’IVG, issue du premier alinéa de l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique – abrogé par la présente proposition de loi – subsiste à un niveau législatif.

Demeure également dans ce même article la notion du « refus » pouvant être opposé par un médecin ou une sage‑femme pour pratiquer une IVG, ce qui garantit de conserver législativement cette possibilité.

Cette obligation législative faite aux praticiens et sages-femmes découle, dès lors, de la possibilité offerte à tout médecin ou toute sage-femme de refuser un soin, issue du code de déontologie propre à chaque ordre et codifié dans le code de la santé publique par voie réglementaire aux articles, respectivement, R. 4127‑18 et R. 4127‑324.

 

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La commission a adopté un amendement de rédaction globale présenté par Mme Muschotti et plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche. Cet amendement vise à :

– reformuler la rédaction de l’obligation de réorientation d’une femme en cas de refus d’un médecin ou d’une sage-femme de pratique une interruption volontaire de grossesse ;

– prévoir la publication par les agences régionales de santé d’un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et les structures pratiquant l’IVG.

Cette reformulation de l’obligation de réorientation s’inspire de celle retenue par l’article 21 du projet de loi relatif à la bioéthique adopté conforme en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Concernant l’interruption médicale de grossesse (IMG), cet article précise : « un médecin qui refuse de pratiquer une interruption de grossesse pour motif médical doit informer, sans délai, lintéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention ».

Assurant ainsi une cohérence rédactionnelle au sein du code de la santé publique, cet amendement précise à l’article L. 2212‑8 du code de la santé publique : « un médecin ou une sage-femme qui refuse de pratiquer une interruption volontaire de grossesse doit informer, sans délai, lintéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à larticle L. 2212‑2 ».

La rapporteure souligne toutefois que, conformément aux modalités prévues à l’article L. 2212‑2 du code de la santé publique, cette obligation de réorientation devrait, pour plus de clarté, prévoir la communication de noms, non seulement de praticiens susceptibles de réaliser l’IVG, mais également de sages-femmes.

 

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Article 2 bis (nouveau)
Rapport du Gouvernement sur lapplication de la législation relative au délit dentrave à lIVG

Introduit par la commission

Cet article prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, d’un rapport sur l’application de la législation relative au délit d’entrave.

Cet article résulte de l’adoption de trois amendements identiques présentés par Mme Muschotti et les membres du groupe La République en Marche, par Mme Battistel et plusieurs de ses collègues du groupe Socialistes et apparentés, ainsi que par Mme Rixain et plusieurs de ses collègues membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La rapporteure a donné un avis favorable à ces amendements.

Aux termes de l’article L. 2223‑2 du code de la santé publique est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212‑3 à L. 2212‑8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse.

Cette disposition du code de la santé publique, dite délit d’entrave, a initialement été introduite par la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993. Elle a été enrichie des notions d’entrave à l’accès à l’information des femmes par loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, avant d’être complétée par l’entrave par voie électronique ou en ligne en 2017 par la loi n° 2017‑347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Aux fins de l’évaluation de la mise en œuvre de cette disposition pénale et de l’évaluation de l’ampleur du phénomène d’entrave, le présent article prévoit qu’un rapport est remis par le Gouvernement au Parlement sur l’application de la législation relative au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse identifiant, le cas échéant, des pistes d’amélioration du dispositif.

 

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Article 3
Compensation financière

Adopté par la commission sans modification

L’article 3 précise les modalités de compensation des charges et des moindres recettes engendrées, pour les organismes publics, par les dispositions de la proposition de loi.

L’allongement du délai légal de recours à l’interruption volontaire de grossesse, qui est prise en charge en totalité par l’assurance maladie, aura un impact direct sur la charge pour les organismes de sécurité sociale.

Le présent article pose le principe d’une compensation financière de la charge pour les organismes de sécurité sociale, qui repose sur la création, à due concurrence, d’une taxe additionnelle aux droits sur le tabac mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9555635_5f7431bf35677.commission-des-affaires-sociales--renforcer-le-droit-a-l-avortement--creer-un-conge-de-parente-ega-30-septembre-2020

Au cours de sa première séance du mercredi 30 septembre 2020, la commission des affaires sociales a examiné la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement (n° 3292) (Mme Albane Gaillot, rapporteure).

Mme Albane Gaillot, rapporteure. Voilà quarante‑cinq ans que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est entrée dans notre droit comme un droit fondamental pour les femmes. Quarante‑cinq ans, et pourtant des difficultés existent encore. Depuis tout ce temps, le législateur se penche sur ce sujet ô combien délicat pour perpétuer, améliorer et approfondir l’esprit de la loi Veil, dans l’unique but de contribuer à la cause des femmes aussi longtemps que nécessaire. Les parlementaires ont toujours su dépasser leurs clivages pour être à la hauteur de l’enjeu : en 1975, avec la loi Veil, en 1982, avec la loi Roudy, en 2001, avec la loi Aubry-Guigou, et en 2016, dans la loi de modernisation de notre système de santé.

La proposition de loi que je vous présente se veut, elle aussi, résolument transpartisane. Elle n’est ni celle d’un parti, ni celle d’une faction politique, encore moins la mienne. Elle est celle de toutes et tous, dans l’intérêt de toutes les femmes. À cet égard, je salue la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour son travail approfondi, ainsi que ses deux rapporteures pour leur rapport sur le sujet, qui ne manquera pas d’enrichir nos débats. C’est dans cet esprit responsable et collectif que je vous invite à aborder l’examen du texte.

Celui-ci comporte deux dispositions principales : l’allongement du délai légal d’avortement de douze à quatorze semaines de grossesse, soit de quatorze à seize semaines d’aménorrhée ; la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, dans une rédaction qui conserve l’obligation de réorienter les femmes, sans supprimer la clause de conscience générale des professionnels de santé.

Depuis 2001, le délai légal de recours à l’avortement est de douze semaines de grossesse – délai qui ne vaut que pour l’IVG dite chirurgicale ou instrumentale, puisque, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), les IVG médicamenteuses ne peuvent être pratiquées que jusqu’à la septième semaine de grossesse.

Pourquoi l’article 1er prévoit-il d’allonger ce délai ? Si la majeure partie des IVG sont effectuées avant la huitième semaine de grossesse, 5 % d’entre elles ont lieu entre la dixième et la douzième semaine et, dans bien des cas, le délai est même dépassé. Les associations de terrain estiment qu’il y aurait chaque année entre 3 000 et 5 000 femmes contraintes de partir avorter à l’étranger. Combien d’autres, ne pouvant se rendre à l’étranger, se retrouvent sans solution ? Le choix qui leur reste, entre mener à son terme une grossesse non désirée, avec des conséquences potentiellement délétères pour elles comme pour l’enfant, ou recourir à un avortement clandestin, souvent au péril de leur santé, n’en est pas un. En tant que législateur, il est de notre responsabilité de veiller à ce que cela n’arrive plus dans notre pays, à ce que les femmes, quelle que soit leur situation et sur quelque territoire qu’elles se trouvent, puissent trouver une solution. Nous devons leur garantir le respect de leur droit à l’avortement et de leur droit à disposer librement de leur corps.

Ne nous leurrons pas, ce sont bien les femmes dans des situations de fragilité qui se retrouvent le plus souvent à dépasser le délai de douze semaines. Ce sont les plus jeunes, les moins informées, les plus éloignées de notre système de santé, celles qui subissent des conditions de vie précaires, des violences conjugales. Tout comme il faut en finir avec l’idée que l’IVG est un échec de la maîtrise de la contraception, il faut en finir avec celle que le dépassement du délai relève d’une mauvaise gestion de son avortement. De même qu’il n’y a pas d’avortement repoussé par plaisir, il n’y a pas de dépassement du délai de douze semaines sans une situation problématique. Il peut s’agir de problèmes personnels, mais aussi structurels, par exemple le défaut de prise en charge rapide d’une femme par notre système de santé à cause de la fermeture d’un centre d’IVG ou d’un déficit d’établissements sur son territoire. Les raisons sont multiples et je suis convaincue qu’une évolution pragmatique de notre législation permettra de mieux prendre en charge les femmes et de mieux respecter leur droit à l’avortement.

L’article 2 revient sur la clause de conscience. Le législateur a toujours su approfondir la loi Veil, et il nous incombe de continuer à adapter cet héritage à notre temps. En ce sens, la clause de conscience spécifique à l’IVG ne me semble plus adaptée à ce que devrait être l’IVG en France au XXIe siècle. Lorsque la loi Veil a été examinée en 1974 à l’Assemblée nationale, le texte prévoyait qu’un médecin n’était jamais tenu de donner suite à une demande d’interruption de grossesse ni de la pratiquer, mais qu’il devait informer, dès la première visite, l’intéressée de son refus. Cette disposition reflétait les équilibres sociaux et politiques de l’époque. Henry Berger, rapporteur de la loi et médecin, notait en effet dans son rapport que l’Ordre des médecins se montrait hostile au projet de loi, tout comme un certain nombre de parlementaires. La mesure s’était alors imposée comme une voie de pacification. Elle avait d’ailleurs permis que l’article soit adopté sans modification au cours de l’examen du projet de loi au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’époque. Aussi nécessaire et consensuelle qu’elle fût en 1974, elle ne répond plus à la réalité actuelle.

Certains ont cru comprendre que la fin de la clause de conscience spécifique à l’IVG reviendrait à contraindre tout médecin et toute sage‑femme à la pratiquer. Il n’en est rien. Abroger la clause de conscience spécifique à l’IVG ne toucherait en rien à la clause de conscience générale qui permet au médecin ou à la sage‑femme de refuser de pratiquer tout acte médical, dont l’IVG. Une telle clause contribue à maintenir l’IVG dans un statut d’acte médical à part et à pratiquer une médecine à géométrie variable. Les associations auditionnées l’ont toutes rappelé : l’IVG est un soin apporté aux femmes. Il ne semble, dès lors, plus justifié que le droit lui fasse une place particulière, comme si le législateur tenait tantôt à culpabiliser la femme, tantôt à décourager les professionnels de santé. Ce statut n’a que trop perduré.

Par ailleurs, cette disposition est redondante avec la clause de conscience générale des professionnels de santé, codifiée par voie réglementaire. Aux termes de cette clause de conscience, un médecin a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, hors cas d’urgence et de manquement au devoir d’humanité. Cette disposition perdurera et tout médecin ou tout autre professionnel de santé sera en droit de refuser un soin, y compris l’IVG. Cette mesure est purement symbolique, me direz-vous. Eh bien, je crois à la force des symboles, et je crois aussi qu’une telle évolution emportera des conséquences pratiques : en participant à faire évoluer les mentalités, elle renforcera l’accès à l’IVG pour toutes les femmes qui le veulent, quels que soient leur âge, leur catégorie sociale ou leur territoire.

En cas de refus du praticien, le législateur de 1975 avait prévu une obligation d’information et de réorientation des femmes, absente de la clause de conscience générale que nous conservons. C’est pourquoi il importe de maintenir dans le code de la santé publique cette mesure protectrice, ce qui permettra en même temps de mentionner la possibilité du refus du médecin ou de la sage‑femme de pratiquer une IVG – voilà qui devrait rassurer les détracteurs de la suppression de la clause spécifique. En mettant fin à cette exception, nous n’enlevons rien à personne : ni aux femmes, qui seront toujours informées et réorientées, ni aux professionnels de santé qui pourront toujours se réclamer de la clause de conscience générale du code de la santé publique pour refuser de pratiquer n’importe quel acte médical, y compris l’IVG. En revanche, nous renforçons le droit de l’IVG et prenons acte de la place qu’elle a conquise en quarante‑cinq ans : celle d’un soin apporté aux femmes au même titre que les autres.

En conclusion, légiférer sur l’IVG appelle tant à l’humilité qu’au sens des responsabilités. C’est dans cet esprit que cette proposition de loi a été élaborée, portée et soutenue par des députés de tous les groupes. Je forme le vœu qu’elle saura dépasser nos clivages habituels dans l’intérêt des femmes, en particulier des plus jeunes, des plus précaires et des plus désemparées d’entre elles. Je souhaite qu’elle puisse renforcer le droit à l’avortement et son égal accès à toutes les femmes.

Mme Cécile Muschotti. Quarante‑cinq ans après la loi Veil, l’accès à l’IVG, qui devrait être un droit effectif, ne l’est toujours pas. À la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous avons mené des travaux pendant plus d’un an, multiplié les auditions pour écouter, comprendre, questionner et identifier tous les freins qui font du parcours médical vers l’IVG un parcours du combattant. Nous avons identifié plusieurs leviers à activer. Notre travail transpartisan a consisté à rappeler les fondamentaux du combat de Simone Veil – ce qui est inscrit dans la loi sans être effectif dans tous nos territoires –, mais aussi à modifier et à apporter des corrections à ce parcours médical. Gardons en tête qu’il ne s’agit pas d’ouvrir un grand débat de bioéthique mais bien de lever ensemble les freins existants pour faire de l’IVG un droit réel.

Mme Marine Brenier. Sur un sujet qui en appelle à nos consciences, expériences ou convictions personnelles, chaque membre de notre groupe votera de manière individuelle. C’est notre force que de permettre à chacun, sur des sujets aussi fondamentaux, de s’exprimer librement.

Le discours de Simone Veil pourrait, aujourd’hui encore, nous inspirer. Lorsque l’écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu’il n’y a plus, à proprement parler, de répression, c’est le respect des citoyens pour la loi et, partant, l’autorité de l’État qui sont remis en cause. À l’époque, 300 000 femmes étaient contraintes de subir des IVG clandestines. Aujourd’hui encore, selon vos propres chiffres, elles sont 3 000 à 5 000 à devoir partir à l’étranger. Comme Simone Veil le disait si bien, l’IVG n’est jamais une victoire. Aller à l’encontre de la loi, défier l’autorité de l’État n’est jamais une partie de plaisir. Mais c’est le délai légal actuel qui contraint encore trop de femmes à agir ainsi. Simone Veil parlait de solution réaliste, humaine et juste. Au vu des législations de nos voisins européens et en l’absence d’un consensus clair sur une définition scientifique permettant de déterminer réellement à quel moment le fœtus devient un enfant à naître, votre proposition de loi me semble équilibrée. Le fœtus serait considéré comme viable à partir de vingt‑quatre semaines : les quatorze semaines doivent demeurer notre limite.

Pour ce qui est de la clause de conscience spécifique à l’IVG, la question de son utilité juridique se pose. En France, il est prouvé que cette double clause complique l’accès à l’IVG dans certains territoires. Selon un article de francetvinfo.fr, aucune IVG n’a pu être effectuée pendant plusieurs mois à l’hôpital du Bailleul, dans la Sarthe, parce que trois des quatre gynécologues refusaient de la pratiquer, obligeant ainsi les femmes apeurées à parcourir plus de 45 kilomètres pour subir cette intervention. Soyons bien conscients que cet acte n’est jamais anodin, même pour les praticiens pro‑IVG. Mais si l’on peut comprendre la détresse du praticien, l’existence d’une double clause stigmatise injustement une femme qui prend déjà une décision très difficile.

Je voterai favorablement votre proposition de loi.

Mme Perrine Goulet. Nous avons à examiner un texte sensible, parce qu’il touche à l’intime et aux convictions de chacun. Les membres du groupe MoDem et Démocrates apparentés voteront en leur âme et conscience. Le droit des femmes à disposer de leur corps est un combat ancien, dont il nous faut entretenir la flamme. Ce n’est pas un droit acquis. Un océan nous sépare d’un pays où, plus que jamais, de tels droits sont menacés.

Je suis, à titre personnel, résolument favorable à votre proposition de loi. Plusieurs fois, j’ai rencontré des femmes qui ne bénéficiaient pas d’un accès facilité à l’IVG, par manque de médecins ou parce que certains médecins, par convenance ou conviction, refusent de pratiquer cet acte chirurgical. Dans mon territoire, les deux se cumulent, rendant encore plus difficile cette épreuve. C’est intolérable à entendre dans notre pays ! Même si je pense que l’allongement du délai est souhaitable, ainsi que la suppression de la seconde clause de conscience, il me semble que d’autres réflexions sont nécessaires, notamment sur l’accès à la contraception.

Comme le rappelait Simone Veil, avorter est toujours un drame et le restera. La semaine dernière, nous découvrions l’étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), particulièrement éclairante sur ce sujet. Notons que les plus pauvres avortent le plus, considérant l’avortement comme un contraceptif. Notre politique de santé publique doit en tirer les conclusions en matière d’accès à la contraception et de remboursement, d’accès à l’information et aux droits du corps.

Accueillir un enfant est un bouleversement dans la vie d’une femme. Elle doit être prête à l’accueillir, pour prévenir notamment les maltraitances, et donc choisir le bon moment. Si ce n’était pas le bon moment, elle doit pouvoir trouver l’accompagnement nécessaire.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le 26 novembre 1974, Simone Veil montait courageusement à la tribune pour défendre son projet de loi visant à dépénaliser l’avortement. Quarante‑six ans plus tard, l’IVG est tolérée plutôt qu’admise comme un véritable droit. Avec Cécile Muschotti, nous avons mené une mission d’information sur l’accès à l’IVG dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a mis en évidence des disparités territoriales importantes et des inégalités d’accès. Après de nombreuses auditions et des déplacements à l’étranger, nous avons rendu un rapport, le 16 septembre dernier, et présenté une proposition de loi transpartisane, marquée du sceau de la délégation, qui rejoint certaines de vos propositions et en complète d’autres : allongement du délai et suppression de la double clause de conscience, mais aussi extension de la compétence des sages‑femmes pour les autoriser à pratiquer l’IVG.

Nous sommes conscients que ces dispositions ne règleront pas toute la question. Nous avons fait plusieurs préconisations relevant du domaine réglementaire ou de circulaires qui doivent être absolument prises. Quarante‑cinq ans après la loi Veil, peut‑on encore accepter que l’accès à l’IVG soit plus une tolérance qu’un droit ? Qu’entre 3 000 et 5 000 femmes doivent partir à l’étranger parce que nous n’avons pas su les prendre en charge ? Que cet acte reste à ce point stigmatisé, oubliant les mots de Simone Veil selon lesquels aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement ? Peut‑on se satisfaire de cette situation, de ce parcours de la combattante ? Nous ne le pensons pas. Nous devons agir pour que ce droit soit enfin effectif.

Nous amenderons le texte, de sorte qu’il puisse atteindre les objectifs recherchés par la délégation aux droits des femmes.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Sur un sujet aussi sensible, qui interpelle les sentiments les plus personnels, le groupe Agir ensemble n’aura pas de position de vote et chacun se prononcera selon ses convictions.

À titre personnel, je ne peux qu’être sensible à cette proposition de loi sur un sujet important. Vous avez d’ailleurs raison de rappeler que le droit à l’IVG est aujourd’hui menacé dans le monde et qu’il convient de réaffirmer qu’il s’agit d’un droit intangible et d’une avancée pour le droit des femmes à disposer de leur corps.

Les débats liés à l’extension du délai d’accès à l’IVG ont évidemment trouvé une nouvelle résonance en raison de l’épidémie et des difficultés d’accès aux soins qu’elle a entraînées. De trop nombreuses femmes n’ont pu bénéficier d’un accès à l’IVG dans les délais légaux, ce qui n’est pas acceptable. Au‑delà de l’effet conjoncturel, de trop grandes inégalités territoriales subsistent dans l’accès à l’IVG. C’est parfois un véritable parcours du combattant, en raison de l’absence de praticiens ou de la fermeture de centres d’orthogénie. Néanmoins, l’extension du délai légal d’accès à l’IVG à quatorze semaines constitue‑t‑elle la réponse la plus adaptée à cette perte de chances pour les femmes ? Le choix de douze semaines, il y a quarante‑cinq ans, était mesuré et pesé. Il convient aujourd’hui de nous demander pourquoi certains parlent de vingt-quatre semaines. À titre personnel, je suis plutôt favorable à une extension temporaire, comme cela avait été envisagé pendant la crise du coronavirus, à une solution d’équilibre sur un sujet difficile. Prenons garde à ne pas fracturer la société sur de tels sujets.

Je suis plus réservée concernant la suppression de la double clause de conscience. Inscrite dans le marbre de la loi, elle est différente de la clause de conscience générale des médecins. On risquerait de mettre en danger la vie de certaines femmes si elles étaient mal accompagnées par des médecins que l’on aurait forcés à réaliser des IVG. L’IVG, pour reprendre les mots de Simone Veil, est toujours un drame, et il ne s’agit pas d’un acte médical comme les autres. Il nous faut aussi travailler sur la contraception chez les jeunes filles, un sujet trop largement abandonné.

Mme Valérie Six. Nous devons faire preuve d’humilité. Le droit à l’avortement a été durement acquis. Nous devons rester vigilants quant à son exercice. Depuis 1975, l’encadrement de l’interruption volontaire de grossesse a considérablement évolué. Rappelons qu’en 2001, la loi Aubry a étendu le délai du recours à l’IVG jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse. En 2013, l’IVG est devenue gratuite pour toutes les femmes. Enfin, en 2016, le délai minimal de réflexion d’une semaine a été supprimé. Je tiens à rappeler que l’IVG n’est pas une décision facile à prendre. Ce n’est ni une solution de facilité ni une solution de confort. C’est un libre choix, un choix difficile et toujours douloureux.

La proposition de loi prévoit, à l’article 1er, un allongement des délais légaux de douze à quatorze semaines, afin d’éviter que de nombreuses femmes ne se rendent à l’étranger pour avorter. Le groupe UDI et Indépendants proposera un amendement de suppression de cet article. Il nous semble que le problème n’est pas le délai de recours à l’IVG mais son accessibilité selon les territoires – manque de praticiens, manque de structures hospitalières – et les défaillances de la prévention.

L’article 2 vise à supprimer la double clause de conscience du médecin. Nous y sommes opposés. Notre groupe veut réaffirmer la liberté de conscience du médecin à pratiquer l’avortement. Il votera contre la proposition de loi.

Mme Caroline Fiat. La semaine dernière, j’inaugurais la rue Simone‑Veil à Atton, dans ma circonscription, en hommage à cette femme politique qui s’est battue avec acharnement pour le droit des femmes et l’interruption volontaire de grossesse. Défendre aujourd’hui la position de mon groupe sur un texte relatif à l’IVG est fort de significations pour moi. Mais le sujet est également fort de significations en cette période de covid‑19, puisque ce droit est rendu encore plus difficile d’accès dans certains territoires, ce qui constitue une entrave au droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. Au problème de la désertification médicale s’ajoute une clause de conscience stigmatisante spécifique à l’IVG, qui n’a pas lieu d’être et qui crée une rupture dans l’égalité des soins. Le délai pour avorter est trop court pour certaines femmes, conduites à avorter clandestinement, à se rendre à l’étranger ou à subir une grossesse non désirée.

Notre groupe soutient votre proposition de loi, dont j’ai été la cosignataire dès son premier dépôt. Elle prévoyait initialement une formation à destination des élèves de tous âges. Nous proposerons de réintégrer cette disposition, en ajoutant que la formation doit contenir des enseignements relatifs au consentement. Nous proposerons également de réintégrer l’expérimentation qui permettait à des centres de planification d’effectuer des IVG. Enfin, nous proposerons d’étendre les compétences des sages‑femmes. Nous espérons vivement que cette dernière mesure, que nous vous avions déjà soumise dans le cadre d’une autre proposition de loi, l’an dernier, sera soutenue à la lumière de l’excellent rapport de Marie‑Noëlle Battistel et Cécile Muschotti.

Mme Jeanine Dubié. Le 16 septembre 2020, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale a remis un excellent rapport d’information sur l’accès à l’IVG. Les deux rapporteures y ont formulé vingt‑cinq recommandations, dont deux qui se retrouvent dans cette proposition de loi. Il y est précisé que l’offre de soins en matière d’IVG est très contrastée selon les territoires, aussi bien en ce qui concerne le nombre de praticiens de santé que celui des établissements. Ces inégalités territoriales ont des conséquences sur les conditions d’accès à l’IVG et sur les délais d’obtention des rendez‑vous, ainsi que sur le libre choix de la méthode. Elles pénalisent surtout les femmes les plus vulnérables. Nous ne devons pas oublier que 3 000 à 5 000 femmes partent chaque année avorter à l’étranger pour avoir dépassé le délai légal.

Notre groupe soutiendra les deux mesures de la proposition de loi. La clause de conscience spécifique à l’IVG pouvait s’expliquer dans le contexte de 1975, mais ne se justifie plus aujourd’hui. Il ne faut pas non plus oublier tout le travail à mener sur la prévention. Le texte s’enrichira des amendements issus des travaux de la mission d’information de la délégation aux droits des femmes, afin de répondre, à l’issue de son examen, à beaucoup des problèmes auxquels sont confrontées les femmes dans une telle situation.

M. Pierre Dharréville. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine approuvera les deux articles de la proposition de loi, car nous sommes favorables à une évolution du droit à l’avortement, évolution dont la nécessité a été soulignée avec une acuité particulière pendant le confinement. De fait, ces deux articles répondent à une exigence absolue en matière de protection des droits des femmes. Les obstacles qui entravent l’accès à l’IVG sont, nous le disons de longue date, encore trop nombreux.

À cet égard, la clause de conscience spécifique est un archaïsme qui stigmatise l’avortement : nous devons faire tomber cette barrière symbolique.

Quant à l’allongement de deux semaines du délai d’accès à l’IVG, il est une avancée nécessaire, compte tenu de l’accroissement des difficultés liées à la faiblesse des moyens alloués aux centres IVG – la volonté politique de les développer doit être plus forte – et, de manière générale, à la fragilité de notre système de santé, qui souffre de pénuries, notamment d’un manque de médecins. Qui plus est, nombre de femmes sont confrontées à l’augmentation de la précarité et à la persistance des violences dont elles sont victimes. Cette mesure, les chiffres le montrent, est nécessaire pour mieux répondre à leur demande. Ces derniers mois, les demandes d’IVG hors délai ont crû considérablement ; le confinement et les difficultés économiques qui en résultent ont aggravé la situation.

Pour conclure, je veux saluer le travail accompli, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, par Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti – nous porterons un regard très positif sur les amendements qui en sont issus – ainsi que celui d’Albane Gaillot, qui a permis que nous examinions cette proposition de loi aujourd’hui.

Mme Delphine Bagarry. Je tiens, en premier lieu, à remercier notre rapporteure, Mme Gaillot, pour cette proposition de loi transpartisane. Il s’agit d’un texte important pour les droits des femmes. Alors que l’on pourrait croire que le droit à l’IVG va de soi, le recours à ce soin – j’emploie ce mot à dessein, car on estime qu’une femme sur trois y a recours au moins une fois dans sa vie – ressemble de plus en plus à un parcours de la combattante.

Dans leur rapport au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti dressent les constats suivants : 3 000 à 5 000 femmes seraient conduites à se rendre à l’étranger pour avoir recours à un avortement, l’IVG se trouve parfois entravée au nom de convictions religieuses ou idéologiques et les femmes disposent d’une offre de soins très inégale selon les territoires.

Outre qu’elle prévoit un allongement des délais, qui permettra à des centaines de femmes de ne plus être obligées de se rendre à l’étranger – et de subir la discrimination sociale qui en découle – ou de mener à terme une grossesse non désirée, délétère aussi bien pour la femme que pour l’enfant à naître, la proposition de loi nous conduit à prendre position sur la clause de conscience créée lors de l’adoption de la loi Veil. Il y a bientôt un demi-siècle que survit ce qu’il faut bien désigner aujourd’hui comme un archaïsme. Non seulement cette clause spécifique laisse à penser que l’IVG n’est, en définitive, pas un soin comme un autre, mais elle entretient la petite musique selon laquelle la femme serait un être frivole, irresponsable ou immature. Dans une société qui se dit moderne et progressiste, cette clause spécifique, surannée et anachronique doit être supprimée.

Le groupe Écologie Démocratie Solidarité est heureux de pouvoir travailler avec les autres groupes à l’aboutissement de ce texte et soutiendra sans réserve l’ensemble des amendements progressistes de nature à garantir un droit à l’IVG effectif pour toutes les femmes.

M. Thibault Bazin. La proposition de loi tend notamment à allonger les délais légaux d’accès à l’IVG, c’est-à-dire sans raison médicale. C’est techniquement possible, mais est-ce humainement souhaitable ? La question relève, me semble-t-il, de la réflexion menée dans le cadre des lois de bioéthique. En effet, c’est à compter de la douzième semaine que le fœtus prend du poids, que l’audition se développe, de même que les connexions neurologiques, et que le sexe peut être déterminé avec certitude.

En outre, la santé des femmes est en jeu. Les avortements pratiqués plus tardivement les exposent à un risque sanitaire supplémentaire : les douleurs sont plus intenses à des âges gestationnels plus avancés, les saignements plus abondants et les risques hémorragiques plus importants.

Le nombre élevé des IVG, en augmentation chaque année, tend à démontrer que l’accès à l’avortement ne semble pas entravé. Selon Alain Milon, le président de la commission des affaires sociales du Sénat, les avortements tardifs sont plutôt dus à un défaut de prévention. « Le véritable enjeu », estime-t-il, « réside donc moins dans le réexamen de ce délai que dans les efforts qui doivent être faits pour prévenir les situations d’urgence. À cet égard, la bonne information des patientes est fondamentale. » J’ajoute que nous devrions également nous interroger sur les écarts régionaux, le nombre des recours à l’IVG variant du simple au triple – il est notamment plus élevé dans les départements et régions d’outre-mer –, et sur les écarts entre générations, puisque le nombre d’IVG diminue pour les moins de 20 ans et augmente pour les trentenaires.

Le texte tend, par ailleurs, à supprimer la clause de conscience spécifique, au motif que le code de la santé publique comporterait déjà une clause de conscience. Mais ces deux clauses ont-elles la même portée ? La clause générale du médecin existait avant la loi de 1975 sur l’avortement ; sa portée est plus restreinte ; elle est de nature non pas législative mais réglementaire et ne peut pas être invoquée par tous les personnels soignants.

M. Sébastien Chenu. Mes convictions sont sans ambiguïté : je ne souhaite pas que le droit à l’avortement soit remis en cause. En revanche, je crois que son cadre doit demeurer solide et ne pas être élastique.

Sur le fond, l’allongement du délai est un débat sans fin. La borne actuelle me paraît nécessaire, car il ne faudrait pas donner à penser, comme l’a dit Mme Goulet, que l’IVG est un moyen de contraception. En ce qui concerne la clause de conscience spécifique, je considère que l’IVG est un acte médical à part. C’est un droit, une liberté pour les femmes, mais ce n’est pas un soin, un acte médical banal. Or supprimer la clause de conscience est une manière de banaliser cet acte fort qui doit demeurer assez exceptionnel. Si toutes les convictions sont respectables, celles des militantes des droits des femmes le sont tout autant que celles des médecins qui, pour des raisons personnelles, se refusent à pratiquer cet acte.

Il est vrai que ce sont les femmes les plus pauvres qui avortent. Il faut donc développer l’information et l’accompagnement, améliorer l’accès à la contraception et réduire les inégalités territoriales. Sur ces points, nous serons, me semble-t-il, tous d’accord. Mais aborder le droit à l’avortement sous l’angle de l’allongement du délai et de la clause de conscience spécifique me paraît de mauvais aloi. Ce faisant, on réveille un débat forcément douloureux, sans apporter de remède ou de solution pérenne. C’est pourquoi, à titre personnel, je ne soutiendrai pas la proposition de loi.

M. Stéphane Viry. L’IVG résulte du choix d’une femme ou d’un couple. Il s’agit d’une question éminemment sensible, qui a des répercussions politiques sur le plan législatif.

Selon les éléments recueillis par nos collègues de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, il subsiste dans notre pays des inégalités dans l’accès à l’IVG, de sorte que le parcours de certaines femmes demeure compliqué, en raison notamment de démarches trop longues. Depuis 1975, la législation a évolué, et la question se pose aujourd’hui de savoir si cette évolution doit se poursuivre. Cette question a fait l’objet de débats parlementaires récurrents : elle a été abordée, en 2019, lors de l’examen de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé et, en 2020, lors de la discussion des textes sur l’urgence sanitaire et du projet de loi bioéthique.

La proposition de loi porte sur l’allongement des délais, lesquels varient d’un pays à l’autre, et sur la double clause de conscience. Cette dernière question est importante, et doit être traitée de manière précautionneuse, car l’IVG n’est pas un acte médical banal. J’espère que nous pourrons débattre de ces questions sereinement.

Mme la rapporteure. Je constate qu’un certain consensus se dessine, même si les positions ne sont pas les mêmes sur tous les bancs.

Tout d’abord, si la proposition de loi ne comporte que deux articles, elle sera certainement complétée par un certain nombre d’amendements.

Il est vrai qu’en matière d’accès à l’IVG, on observe d’importantes disparités territoriales, en raison notamment de la fermeture de centres d’IVG. Perrine Goulet a évoqué la Nièvre, que je connais bien, où des mesures ont été prises par la HAS et le ministère de la santé, précisément pour remédier à ce problème. Ce texte ne peut pas traiter de tous les enjeux, mais nous discuterons probablement, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des moyens budgétaires alloués à ces structures.

La proposition de loi ne traite pas non plus de l’éducation à la sexualité et à la vie affective ni de l’accès à la contraception, qui sont également de véritables questions. Je vous propose que nous abordions l’examen des amendements, qui nous permettra d’étayer nos arguments.

La commission en vient à la discussion des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Allongement du délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse

La commission est saisie des amendements de suppression AS1 de M. Thibault Bazin et AS8 de Mme Valérie Six.

M. Thibault Bazin. Il s’agit de supprimer l’article 1er, pour les raisons médicales et scientifiques que j’ai exposées dans mon intervention précédente.

Mme Valérie Six. Pour justifier l’allongement de deux semaines du délai légal de recours à l’IVG prévu à l’article 1er, les auteurs de la proposition de loi expliquent vouloir éviter que, chaque année, 3 000 à 4 000 femmes ne se rendent à l’étranger pour se faire avorter – sachant que, dans ces pays, les autorisations ne sont accordées qu’à des conditions très restrictives. Nous estimons, quant à nous, que ce n’est pas la solution et que le problème doit être traité en amont, en faisant tout pour faciliter l’information sur la contraception pré et post-rapport sexuel.

Il est toujours difficile de fixer une limite. Ce n’est pas en repoussant les barrières légales que nous mettrons fin à la démarche des milliers de femmes qui, chaque année, partent à l’étranger. Il faut leur permettre de surmonter les difficultés d’accès à l’IVG, s’interroger sur les causes de dépassement du délai légal, qui tiennent avant tout à une prévention défaillante ou aux difficultés qu’ont les femmes à trouver un praticien près de leur domicile. En outre, compte tenu du développement du fœtus, une IVG tardive peut faire courir des risques plus importants à la femme enceinte.

C’est pourquoi nous souhaitons maintenir le terme de la durée légale d’accès à l’IVG à la fin de la douzième semaine de grossesse.

Mme la rapporteure. Sans surprise, je suis défavorable à ces amendements.

Souvent, on nous dit qu’il s’agit d’une course sans fin. Il faut savoir que l’allongement du délai intervenu en 2001 n’a pas incité les femmes à changer de comportement : elles n’ont pas retardé leur arrivée dans le parcours d’IVG.

Ensuite, la technique utilisée, celle de l’aspiration, est la même, quel que soit le délai. Des difficultés techniques et médicales peuvent survenir aussi bien à cinq, huit ou douze semaines qu’à quatorze, comme nous l’ont confirmé lors des auditions les professionnels de santé, gynécologues-obstétriciens et sages-femmes, notamment.

Par ailleurs, les tests génétiques dont il a été question peuvent être réalisés dès dix semaines ; l’allongement du délai ne changera rien, à cet égard.

Certes, l’enjeu territorial est réel, mais l’allongement du délai répond à une véritable problématique, puisqu’on estime à 2 000 le nombre des femmes concernées. Si cette mesure peut être une solution pour ces femmes, nous aurons déjà fait un grand pas !

M. Thibault Bazin. Il est difficile de discuter de ce sujet dans le cadre d’une niche parlementaire. Compte tenu des nombreuses questions d’ordre éthique ou sanitaire qu’il soulève, il mériterait de faire l’objet d’une réflexion menée avec des professionnels. Vous dites, madame la rapporteure, que l’acte est le même et que le pratiquer à quatorze semaines ne pose pas davantage de problèmes techniques. Or, selon Cloé Guicheteau, une médecin généraliste qui exerce au planning familial et au centre IVG du centre hospitalier universitaire de Rennes, à sept, huit ou neuf semaines, la durée de l’aspiration est de 3 minutes, puis elle augmente un peu ; mais, entre douze et quatorze semaines, une difficulté technique se fait ressentir.

Toutes les détresses doivent être entendues, mais nous devons aussi pouvoir mesurer les risques d’un tel acte et ce qui se joue pour le fœtus entre douze et quatorze semaines. Je ne suis pas un expert, mais, à quatorze semaines, on peut, par exemple, déterminer le sexe du fœtus.

Nous devons avoir une réflexion de fond sur la barrière symbolique et éthique des douze semaines.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Une collègue a fait observer que, plutôt qu’allonger les délais, il faut agir en amont du parcours, notamment dans le domaine de l’éducation à la sexualité. Nous avions déposé un amendement visant précisément à réserver, dans chaque établissement, un volume horaire pour l’organisation de trois séances annuelles ; hélas ! il a été déclaré irrecevable. Nous avons donc bien conscience que le seul allongement du délai ne suffit pas. Surtout, le parcours doit être suffisamment fluide pour que l’avortement soit pratiqué le plus possible dans le délai des douze semaines.

Si nous sommes favorables à l’allongement de celui-ci, c’est parce que nous souhaitons prendre en compte les cas où, parce qu’elle a eu une prise de conscience tardive, a fait un déni de grossesse ou a eu du mal à prendre sa décision, une femme a dépassé le délai légal actuel. Le parcours d’accès ayant été amélioré – et nous souhaitons qu’il le soit davantage encore –, les femmes qui se trouvent dans cette situation seront de moins en moins nombreuses. Mais quand bien même elles ne seraient que 200 ou 1 000, nous ne pouvons pas accepter de les laisser partir à l’étranger.

Mme Delphine Bagarry. Certes, plus on tarde, plus c’est délicat. Mais un avortement clandestin l’est davantage encore et met la santé des femmes en danger. La plupart des IVG tardives concernent les plus jeunes femmes ou les plus jeunes couples, qui ne peuvent pas se rendre à l’étranger. Quant à l’argument de la difficulté technique, il était déjà avancé par les praticiens lorsque le délai a été allongé de dix à douze semaines.

Non, l’IVG n’est pas considérée comme une contraception. Je vois dans mon cabinet qu’elle est parfois même la conséquence d’un échec de la contraception, qu’elle soit sous forme de préservatif, de pilule ou de pilule du lendemain. Encore une fois, il s’agit d’un soin à part entière : 30 % des femmes ont recours à l’IVG au cours de leur vie.

Mme Cécile Muschotti. Gardons à l’esprit, car c’est fondamental pour la suite de nos débats, qu’une femme qui ne le veut pas ne mènera pas sa grossesse à terme. Par ailleurs, contrairement à de fausses idées qui circulent, tous les pays qui ont allongé le délai de recours à l’IVG n’ont pas vu pour autant le nombre d’IVG augmenter. Enfin, j’invite ceux qui jugent le délai d’examen de cette proposition de loi trop court à lire le rapport de la délégation aux droits des femmes. Pendant plus d’un an, nous avons procédé à des auditions, rencontré des dizaines d’acteurs, dont des spécialistes et des médecins, pro ou anti-IVG. Ces travaux nous ont permis de parvenir à un point d’équilibre, en proposant un texte qui améliore l’accès aux soins sans mettre en cause les préoccupations bioéthiques.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Le sujet est complexe, car il renvoie chacun à ses valeurs personnelles. Il est donc important que nous soyons bienveillants à l’égard des opinions des uns et des autres.

Je suis, pour ma part, gênée, en tant que médecin de santé publique et de prévention, par le fait que la question n’est pas suffisamment appréhendée dans sa globalité. Il me semble ainsi qu’une véritable réflexion d’amont doit être menée sur la prévention, laquelle ne doit pas être réduite à l’éducation à la sexualité dans les écoles. Par ailleurs, nous ne savons pas à quel stade de sa grossesse une femme s’aperçoit qu’elle n’a d’autre solution que de se rendre à l’étranger. Un délai de quatorze semaines pourrait ne pas toujours suffire. Dès lors, faudra-t-il encore le réviser ? Certes, ces questions ont été examinées par la délégation aux droits des femmes mais, en tant que membre de la commission des affaires sociales, j’aurais souhaité bénéficier d’un temps de réflexion et participer à des auditions. Tel n’a pas été le cas, et cela pose un véritable problème.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Vous avez raison de rappeler la nécessité d’être bienveillant.

M. Guillaume Gouffier-Cha. La réflexion sur le sujet a bien eu lieu : au cours des trois dernières années, les mesures proposées ont été mises à la discussion à l’occasion de l’examen de divers textes et, à chaque fois, elles ont été repoussées. C’est la raison pour laquelle la délégation aux droits des femmes s’en est saisie. Pendant un an et demi, Cécile Muschotti et Marie‑Noëlle Battistel ont travaillé et se sont rendues sur le terrain pour étudier les corrections qu’il convenait d’apporter au dispositif actuel.

L’allongement du délai de douze à quatorze semaines ne changera rien : ce n’est pas à ce moment-là que l’on peut, par exemple, déterminer le sexe de l’enfant. Si la limite a été fixée à douze semaines et s’il existe une double clause de conscience, c’est parce que, bien que le droit à l’avortement soit reconnu dans notre pays, des freins ont été maintenus pour contraindre les femmes et les culpabiliser. Ces freins, nous devons les lever, pour que leur choix soit respecté et que l’accès à l’IVG soit enfin effectif dans l’ensemble du territoire. Tel est l’objet de la proposition de loi.

Mme Jeanine Dubié. La délégation aux droits des femmes a travaillé pendant plus d’un an et demi ; tous les effets d’un allongement de deux semaines du délai ont été étudiés et l’ensemble des parties entendues.

Sur cette question, comme sur celle du droit de mourir dans la dignité, chacun a des convictions intimes, et je les respecte toutes. Mais la République est laïque et les conceptions religieuses, qui ont toute leur place dans la sphère privée, doivent être écartées dès lors qu’on débat d’un texte qui, dans l’intérêt général, vise à apporter une solution aux quelque 5 000 femmes qui, parce qu’elles ont dépassé les délais légaux, se rendent à l’étranger et se mettent parfois en danger.

Mme Bénédicte Pételle. Je veux, tout d’abord, saluer le travail de la délégation aux droits des femmes.

Pour ma part, je suis très mal à l’aise et partagée face à l’article 1er. On a évoqué les disparités territoriales, le fait que les avortements tardifs touchent principalement les femmes en situation de précarité et les 5 000 femmes qui se rendent à l’étranger – je ne parlerais pas, à ce sujet, d’avortements clandestins. Mais, entre douze et quatorze semaines, le fœtus grandit de 5 à 10 centimètres ; c’est un problème, selon moi. En 2001, le délai est passé de dix à douze semaines ; aujourd’hui, on propose de le porter à quatorze semaines : où ce glissement s’arrêtera-t-il ?

Mme Catherine Fabre. L’allongement du délai de dix à douze semaines n’a pas provoqué d’augmentation du nombre d’avortements. Le faire passer à quatorze semaines ne vise qu’à apporter une réponse aux 5 000 départs à l’étranger, qui dénotent une inégalité d’accès à un droit fondamental. Cela me pose un problème, car énormément de femmes en France recourent à l’IVG durant leur vie. Il s’agit donc d’un vrai sujet de société à ne pas prendre à la légère.

Qui plus est, en allant jusqu’à quatorze semaines, nous nous alignerons sur un certain nombre de pays.

Pour ce qui est de l’aspect technique, les gynécologues et les internes sont d’ores et déjà formés aux gestes, qui sont identiques à ceux pratiqués en cas de fausse couche. Cela ne soulève donc pas de difficulté particulière. Les médecins qui ne se sentiraient pas prêts techniquement pourraient toujours faire jouer leur clause de conscience et orienter les patientes vers d’autres confrères. Ainsi ne seraient-ils pas mis en difficulté. Au cours des auditions, nous avons rencontré plusieurs praticiens qui se disent prêts techniquement et en nombre suffisant pour les 2 000 avortements dont il est question.

Mme Caroline Fiat. J’entends parler d’un éventuel manque de travail et de la nécessité de disposer, en tant que commissaires aux affaires sociales, de nombreux éléments. Qui, ici, n’a jamais été rapporteur d’une mission ? Qui ignore le travail qui a précédé la remise du rapport, en réflexion et auditions ? À quoi bon présenter des rapports si, comme celui que nous avons remis en 2018, on ne leur fait pas confiance et qu’on en demande un nouveau ? Quel dommage de perdre autant de temps quand on voit la situation dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes aujourd’hui – mais c’est un autre sujet !

En l’occurrence, nous disposons du rapport de la délégation aux droits des femmes, qui clôt un an et demi de travail, et de celui de notre rapporteure Albane Gaillot. Chers collègues, soit vous ne leur faites pas confiance, et tous les députés doivent devenir rapporteurs et on ne s’en sortira pas, soit vous retroussez vos manches et vous lisez les travaux de vos collègues en leur faisant confiance ! Je ne peux pas entendre que nous n’aurions pas de quoi nous faire une opinion.

M. Stéphane Viry. Je peux comprendre l’esprit de l’amendement de suppression de mon ami Thibault Bazin. Ayons toujours en mémoire les propos majeurs et forts de Simone Veil, selon laquelle l’IVG est toujours un drame. Coûte que coûte, il faut effectivement faire avancer notre législation en la matière, mais n’oublions pas cependant ce qui est ressorti des auditions et des déplacements sur le terrain : notre culture de la relation sexuelle est défaillante, notamment dans la connaissance de ses conséquences, qui a régressé au sein de la jeunesse française. Se pose donc, au-delà de la médecine scolaire et bien qu’elle ne puisse être traitée dans cette proposition de loi, la question de la prévention, de l’information et de la sensibilisation.

Notre mission ne sera pas remplie par le seul vote de cette proposition de loi et de ses deux articles. Le sujet est culturel et sociologique autant qu’éthique. Les politiques publiques doivent impérativement, en matière de sexualité, de rapport à l’autre et de corps humain, refaire, et de façon massive, de la prévention.

Mme Geneviève Levy. Nos échanges, analyses et points de vue, tout aussi respectables les uns que les autres, montrent le caractère sensible de la question qui est bien plus éthique que religieuse. Elle est donc d’une toute autre dimension qu’une simple proposition de loi.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Personne ici n’entend remettre en question le droit à l’IVG dont chacun est bien conscient qu’elle est, pour reprendre les mots de Simone Veil, un drame.

L’allongement du délai légal de dix à douze semaines n’aurait pas entraîné d’augmentation du nombre d’avortements. A-t-on une étude d’impact qui le prouve ? Sans vouloir dire que le travail n’a pas été fait, madame Fiat, existe-t-il une étude d’impact qui mettrait en évidence le nombre de femmes qui n’iraient pas à l’étranger entre la douzième et quatorzième semaine de grossesse ? Ce sont là les chiffres dont nous avons besoin.

Notre principal sujet est de savoir comment lever les freins d’accès à l’avortement. Ce n’est sûrement pas seulement en allongeant les délais légaux, car cela ne mettra pas fin aux inégalités territoriales, ni en votant un texte qui ne comporte que deux articles.

Mme la rapporteure. Quand une femme veut avorter, elle avorte, quelle que soit la situation. Si l’allongement du délai de douze à quatorze semaines peut résoudre les problèmes rencontrés par certaines femmes, ce sera déjà ça.

S’agissant de l’étude de l’impact, je vous renvoie à une étude de l’Institut national d’études démographiques qui a mesuré l’impact de l’allongement de dix à douze semaines. On peut penser qu’un certain nombre de femmes bénéficieront d’un allongement à quatorze semaines.

La proposition de loi ne lèvera que quelques freins à l’avortement. Les autres pourront être traités dans le cadre du PLFSS, et je sais que certains commissaires se sont penchés sur les questions d’éducation ainsi que de prévention médicale et sanitaire.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article 1er

La commission est saisie des amendements identiques AS11 de Mme Marie-Pierre Rixain et AS13 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Issu des travaux de la délégation aux droits des femmes, l’amendement AS11 vise à améliorer l’information relative à la méthode d’IVG en systématisant la présentation des trois méthodes existantes par les professionnels de santé.

Une étude écossaise fait état d’un taux d’insatisfaction vis-à-vis de la méthode employée de 5 % chez les femmes ayant pu choisir leur méthode d’IVG contre 22 % chez celles n’ayant pu la choisir. De surcroît, un certain nombre de femmes ne sont pas informées de l’existence de ces trois possibilités.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les femmes ont le choix entre trois méthodes d’IVG – médicamenteuse, chirurgicale avec anesthésie locale et chirurgicale avec anesthésie générale – mais elles restent trop dépendantes de l’offre de soins disponible sur leur territoire. Le nombre de centres pratiquant l’IVG a diminué de 7,7 % en dix ans, ce qui creuse les inégalités territoriales. De plus, l’information ne leur est pas toujours donnée de manière transparente : on ne leur propose que la méthode disponible à l’endroit où elles habitent.

L’amendement tend donc à rétablir le droit d’information quant à ces différentes méthodes.

Mme la rapporteure. Ces amendements identiques visent à renforcer le droit à l’information ainsi que celui – absolu et fondamental, puisqu’il constitue l’un des éléments du droit à l’IVG – des femmes à choisir leur méthode d’avortement. Je suis tout à fait d’accord avec l’objectif qu’ils poursuivent : l’information est une condition de l’efficacité de leur parcours d’IVG.

Or ces droits dépendent beaucoup des réalités du terrain. S’il est important d’avancer sur ce plan par la loi, il l’est également de rendre concrètement possibles de telles avancées en s’assurant que les moyens nécessaires sont disponibles.

Avis favorable.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous allons passer au vote. Qui est contre ces amendements ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mise aux voix à peine orientée !

M. Guillaume Chiche. Peut-être faudrait-il rappeler, madame la présidente, que seuls les membres de la commission des affaires sociales peuvent prendre part au vote.

Mme la présidente Fadila Khattabi. C’est le cas : seules sont comptabilisées les voix des commissaires aux affaires sociales.

La commission rejette les amendements.

M. Thibault Bazin. Je comprends que nous soyons contraints par le temps, madame la présidente, mais nous n’avons même pas pu discuter de ces amendements. J’avais d’ailleurs demandé la parole.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je ne vous avais pas vu. Allez-y !

M. Thibault Bazin. Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, « Toute personne a le droit d’être informée sur les méthodes abortives et d’en choisir une librement. » Je n’ai donc pas compris l’intérêt de ces amendements.

Mme la présidente Fadila Khattabi. De toute façon, ils ont été rejetés.

Article 1er bis (nouveau) : Extension de la compétence des sages-femmes à la méthode chirurgicale d’IVG jusqu’à la dixième semaine de grossesse

La commission examine les amendements identiques AS12 de Mme Marie-Pierre Rixain, qui fait l’objet du sous-amendement AS36 de la rapporteure, AS14 de Mme MarieNoëlle Battistel et AS31 de Mme Cécile Muschotti.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement AS12 vise à étendre les compétences des sages-femmes en matière d’IVG en leur permettant de pratiquer également les IVG chirurgicales jusqu’à la dixième semaine de grossesse. C’est un sujet sur lequel la délégation aux droits des femmes a longuement travaillé avec les organisations professionnelles.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les sages-femmes peuvent pratiquer des IVG médicamenteuses. Compte tenu des multiples difficultés d’accès à l’IVG mises en évidence par notre rapport d’information, nous proposons qu’elles soient également autorisées à pratiquer des IVG chirurgicales. Cette extension de leurs compétences permettra d’augmenter l’offre et de rendre plus rare le dépassement des délais légaux, objectif que chacun d’entre nous poursuit.

Mme Cécile Muschotti. Il s’agit clairement de lever un frein d’accès à l’avortement. Le dispositif, tout à fait encadré, se fonde évidemment sur le volontariat des sages-femmes ainsi que sur leur formation. Il permettrait de démultiplier l’offre d’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire national.

Mme la rapporteure. Il me semble tout à fait logique de permettre aux sages‑femmes de pratiquer des IVG instrumentales dès lors qu’elles peuvent justifier d’une expérience minimale en la matière et qu’elles ont suivi une formation complémentaire. J’ai pu constater au cours de mes auditions qu’un réel consensus émerge aujourd’hui parmi les acteurs de terrain en faveur d’une telle évolution.

Les sages-femmes disposent des compétences nécessaires et réalisent d’ores et déjà de nombreux actes intra-utérins. Leur ouvrir la pratique chirurgicale permettrait de faciliter l’accès des femmes à toutes les méthodes d’IVG, de renforcer la démographie médicale à l’heure où la France est confrontée à une pénurie de praticiens, de lutter contre les inégalités territoriales. La bientraitance et la qualité de la prise en charge des femmes s’en trouveraient renforcées, dans la mesure où les sages-femmes qui s’engageraient dans cette nouvelle compétence seraient impliquées et engagées dans l’accès à l’IVG, dans une démarche d’accompagnement.

Toutefois, je ne vois pas pourquoi il faudrait limiter à dix semaines l’exercice de cette nouvelle compétence – aucune demande de ce genre ne m’est remontée du terrain. Je serai donc favorable aux amendements si mon sous-amendement, qui tend à en supprimer la seconde phrase, est adopté.

Mme Delphine Bagarry. Je suis pour la montée en compétences de tous les professionnels de santé, pourvu qu’elle passe par une formation. Nous avons tous à y gagner dans la mesure où cela améliore l’offre de soin. Les sages-femmes y sont prêtes, elles le demandent. Au cours de leur audition, les représentants de l’Ordre des médecins n’avaient pas encore tranché la question mais ont semblé extrêmement ouverts à une telle montée en compétences des sages-femmes.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Les sages-femmes ont en effet les capacités de pratiquer ce type d’acte, mais elles réclament aussi une revalorisation de leur statut et une augmentation de leurs effectifs. Il n’est pas question de charger leur barque sans leur accorder la reconnaissance à laquelle elles ont droit, ni les conditions de travail adéquates. Je suis favorable à ces amendements, encore faut-il que l’évolution du statut et les effectifs dans les hôpitaux suivent.

Mme Annie Vidal. Alors que les sages-femmes sont, de par le statut hospitalier, considérées comme personnel non médical, on envisage qu’elles puissent accomplir un acte chirurgical. Il faudrait également procéder à une mise en cohérence de leur statut.

M. Thibault Bazin. Sans étude d’impact, je m’interroge : ne faudrait-il pas donner les moyens et fixer un cadre avant de mettre en œuvre une telle mesure ? D’ailleurs, je m’interroge aussi sur la recevabilité financière des amendements. J’invite leurs auteurs à les retirer afin de les retravailler en vue de la séance publique.

Mme Monique Iborra. Au-delà de la cohérence, se pose effectivement un problème de statut des sages-femmes, qui n’a jamais été traité. Le code de la santé les range parmi les professions médicales, mais, sur le terrain, elles sont profession paramédicale. Elles n’ont jamais réussi à choisir entre les deux. Il est vrai que le statut paramédical en particulier leur procure des avantages qu’elles ne conserveraient pas forcément si elles adoptaient celui de praticien hospitalier. La profession elle-même est clairement divisée sur le sujet ; il faudra donc le traiter avec elle.

Les autoriser à pratiquer un tel acte technique en secteur hospitalier ou en clinique posera des problèmes. Je ne suis donc pas sûre que ces amendements puissent trouver une application opérationnelle.

Mme Véronique Hammerer. Le métier de sage-femme est réglementé depuis 1810 mais n’est toujours pas reconnu comme une profession médicale. Cette situation doit effectivement évoluer. En milieu hospitalier, les sages-femmes pratiquent déjà des interventions chirurgicales telles les épisiotomies, mais leur statut leur interdit de percevoir certaines primes. C’est absolument scandaleux !

Mme Caroline Fiat. Les sages-femmes pratiquent seules, de jour comme de nuit, des accouchements au cours desquels elles peuvent accomplir certains actes chirurgicaux, et cela ne perturbe personne. Il est certes très important de s’interroger sur leur statut, car elles le réclament elles-mêmes, mais que les commissaires aux affaires sociales ne s’en préoccupent que pour l’IVG et pas pour l’accouchement m’interpelle.

Mme Annie Chapelier. La proposition qui nous est faite correspond à une demande forte des représentants de sages-femmes, tant des syndicats que de l’Ordre. Non seulement la profession se dit apte, après avoir suivi une formation adéquate, à pratiquer des IVG chirurgicales, mais elle le demande afin de permettre au maximum de femmes qui en ont besoin d’accéder à l’IVG – c’est là notre sujet.

Dans certains territoires, la couverture médicale est par trop insuffisante. Outre‑mer, en raison du déficit médical, des décrets ont dû être pris pour autoriser les sages‑femmes à pratiquer des actes dépassant leur domaine de compétence. Il serait bon que nous légiférions pour leur permettre, après avoir suivi une formation, de pratiquer de tels actes. Il sera bien temps, à l’occasion de l’examen du PLFSS ou d’un autre texte, de revenir sur leur statut.

Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte les amendements.

Après l’article 1er

La commission examine les amendements identiques AS15 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS22 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il s’agit de garantir aux femmes le droit à l’anonymat et à la confidentialité de l’IVG au moyen de procédures spécifiques aux établissements de santé ou à la médecine de ville. Si ce droit existe, il n’est pas toujours respecté sur le terrain – on nous a parlé de nombreux cas de mineures en établissements scolaires ou de jeunes majeures recevant à domicile des résultats d’échographie ou des factures. De telles procédures spécifiques permettraient de lever cette difficulté.

M. Guillaume Gouffier-Cha. La confidentialité n’est, en effet, pas totalement assurée. Notre amendement AS22, issu des travaux de la délégation aux droits des femmes, tend donc à clarifier la législation en garantissant le droit à l’anonymat et à la confidentialité de l’IVG pour toutes les femmes par l’instauration de procédures spécifiques, en établissement de santé comme en ville.

Mme la rapporteure. La confidentialité et l’anonymat sont des principes importants du droit à l’IVG. Je comprends donc parfaitement l’intention des auteurs des deux amendements. Toutefois, ces aspects me semblent plutôt relever du niveau réglementaire et, encore une fois, il serait plus efficace de vérifier les moyens sur le terrain et d’en assurer la bonne mise en œuvre que d’émettre des vœux pieux dans la loi. D’autant que les témoignages font état de bonnes pratiques dans ce domaine, qu’il serait sans doute plus utile de valoriser et de développer.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable, mais pour des raisons de forme, non de fond.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Je propose que nous en rediscutions d’ici à l’examen en séance publique pour parvenir à une rédaction plus satisfaisante. Je retire l’amendement.

Mme Marie-Noëlle Battistel. À condition que nous en reparlions bien en vue de la séance, je retire aussi le mien.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement AS5 de Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Il reprend une disposition de la première proposition de loi : l’expérimentation de la possibilité pour des centres de planification familiale d’effectuer des interruptions volontaires de grossesse. Elle permettrait, d’une part, de lutter contre la pénurie de lieux où cette intervention est praticable et, d’autre part, de redynamiser le réseau des plannings familiaux, très délaissés par l’État alors qu’ils devraient être en première ligne à l’heure où l’on parle de prévention. L’accompagnement des femmes s’en trouvera ainsi nettement amélioré, quantitativement et qualitativement.

Mme la rapporteure. Avis favorable. Nous devons trouver des solutions pour faire face au manque de praticiens ; à cette fin, il pourrait être efficace d’étendre aux centres de planification et d’éducation familiale la possibilité de pratiquer des IVG chirurgicales.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er ter (nouveau) : Suppression du délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable

La commission est saisie de l’amendement AS30 de Mme Cécile Muschotti.

Mme Cécile Muschotti. Il vise à supprimer le délai de quarante-huit heures entre l’entretien psychosocial préalable et le recueil du consentement. Il s’agit de l’une des recommandations que Marie-Noëlle Battistel et moi-même formulons dans notre rapport d’information afin de fluidifier le parcours d’IVG, particulièrement dans le cas où la grossesse est découverte tardivement.

Mme la rapporteure. À mon sens, le délai de quarante-huit heures ne se justifie plus. En ce qui concerne les femmes majeures, son maintien les infantilise, alors même que tout délai de réflexion a été supprimé en 2016 ; il constitue, en outre, une forme de dissuasion pour celles qui voudraient accéder de droit à l’entretien. Pour les mineures, la question se pose peut-être de manière plus complexe ; il conviendra de bien vérifier ce point d’ici à l’examen en séance. Toutefois, à première vue, le maintien du délai ne se justifie pas non plus dans ce cas, notamment parce qu’il complique plus encore l’accès des mineures à l’intervention alors que, comme le montrent les derniers chiffres de la DREES, elles restent très concernées par l’avortement, notamment tardif.

La commission adopte l’amendement.

Article 2 : Suppression de la clause de conscience spécifique relative à l’IVG

La commission examine les amendements de suppression AS2 de M. Thibault Bazin et AS9 de Mme Valérie Six.

M. Thibault Bazin. Madame la rapporteure, vous voulez supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG au motif qu’elle aurait la même portée que la clause de conscience générale, concernant comme elle tout le personnel soignant : il y aurait donc une clause de trop. Votre argument me semble fallacieux, pour quatre raisons.

Premièrement, la clause générale existait avant la loi de 1975 sur l’avortement. Si le législateur a cru bon d’en introduire une spécifique à l’occasion du vote de cette loi, c’est parce qu’il a considéré que l’acte visé était de nature particulière compte tenu de sa portée.

Deuxièmement, la clause générale applicable au médecin est de portée plus restreinte que la clause spécifique : elle limite le pouvoir d’appréciation du médecin dans au moins deux circonstances, indiquées dans le texte. Dans ce cas, le cadre juridique est donc plus contraignant.

Troisièmement, la clause générale n’est pas de nature législative, mais réglementaire. Or la garantie de liberté est bien plus grande dans une loi que dans un décret, puisqu’une loi ne peut être modifiée que par une autre loi votée par le Parlement, alors qu’un décret peut l’être du jour au lendemain par le Gouvernement – on connaît quelques exemples.

Quatrièmement, la clause générale ne s’applique pas à l’ensemble des personnels soignants. Certes, une clause générale similaire à celle du médecin existe pour les sages‑femmes et pour les infirmiers, mais, elle aussi de nature réglementaire, elle est assortie des mêmes limites et conditions. Il existe, en outre, d’autres professions qui peuvent participer de près ou de loin à la réalisation d’une IVG, dont les aides-soignants. Or l’article relatif à la clause spécifique dispose clairement qu’« aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse ». La suppression de cette clause ne risque-t-elle pas de porter atteinte à la spécificité de ces professions et de l’acte lui-même ?

Mme Valérie Six. La suppression de la clause spécifique a pour but de lever les obstacles empêchant l’accès à l’IVG. Le code de déontologie médicale prévoit une clause de conscience pour tous les médecins et pour l’ensemble des actes médicaux ; le médecin est soumis à ce code qui a force de loi. Aux termes de la déclaration de Genève, également appelée serment du médecin, le médecin exerce sa profession « avec conscience et dignité, dans le respect des bonnes pratiques médicales ». Dans un souci de cohérence, il semble opportun de conserver la rédaction actuelle de l’article L. 2212-8 du code de la santé publique.

Mme la rapporteure. Ces amendements n’ont pas lieu d’être, puisque nous ne supprimons pas la possibilité pour les médecins de refuser de pratiquer les IVG. Je le répète, les médecins et les sages-femmes pourront continuer à refuser de pratiquer un acte d’IVG grâce à la clause de conscience générale prévue à l’article R. 4127-47 du code de la santé publique pour les médecins et à l’article R. 4127-328 du même code pour les sages-femmes. Il n’est pas question de supprimer cette possibilité, ce qui serait contre-productif et nuirait non seulement aux professionnels de santé, mais aussi aux femmes.

La clause spécifique n’apporte rien et stigmatise l’acte d’IVG, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire. Il convient donc de la supprimer.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Vous ne répondez pas à mes arguments. Les articles que vous citez à juste titre, et auxquels s’ajoute l’article R. 4312-12 du même code pour la profession d’infirmier, sont de nature réglementaire. Ils n’ont pas la même portée qu’une loi et n’assurent pas le même niveau de protection aux professionnels de santé. C’est une question majeure !

M. Fabien Di Filippo. Si, comme vous essayez de nous en convaincre, cela ne change absolument rien pour les professionnels de santé, pourquoi vouloir à tout prix supprimer cette clause plus protectrice pour eux ?

Mme Delphine Bagarry. En supprimant la clause spécifique, nous affirmons que l’IVG n’est pas un acte de nature particulière, mais un soin comme un autre pour toutes les femmes. Cette suppression est symbolique, je l’admets, puisque la clause de conscience continue d’exister. Avons-nous inscrit dans la loi Claeys-Leonetti une clause de conscience spécifique permettant de refuser d’administrer la sédation profonde en fin de vie ? Non ! La clause de conscience est valable pour tous les praticiens. L’IVG est un phénomène sociétal, et, dans notre société moderne et progressiste, la double clause instaurée en 1975 n’a plus lieu d’être.

Mme Cécile Muschotti. De même qu’une femme qui ne désire pas mener sa grossesse à terme ne le fera pas, un médecin qui ne veut pas pratiquer un acte d’IVG n’y sera aucunement forcé, puisque la clause générale de conscience le protège en lui permettant de s’y refuser pour des raisons personnelles ou professionnelles. La question n’est donc pas là. Dès lors, la clause spécifique est uniquement symbolique, elle stigmatise l’IVG ; il est politiquement et philosophiquement important de la supprimer.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Tous les médecins ont le droit de refuser de pratiquer un acte ; nous l’entendons et nous défendons ce droit. Est-il pour autant utile de disposer d’une clause spécifique à l’acte d’IVG, qui ne fait que stigmatiser encore davantage celui-ci ?

M. Jean-Louis Touraine. Il y a une raison supplémentaire de supprimer la clause spécifique : la nécessité de faire respecter l’obligation de transfert de la patiente à un praticien susceptible de réaliser l’IVG. Actuellement, en effet, ceux qui ne veulent pas pratiquer l’IVG se croient parfois autorisés à ne pas procéder à ce transfert. Le message à faire passer est double : non, celui qui ne veut pas le faire ne le fera pas – ce qui est mieux pour la femme, car s’il ne veut pas le faire, c’est qu’il ne sait pas le faire, qu’il ne l’a jamais fait et ne le ferait donc pas bien ; oui, il a l’obligation de transférer la femme avec son dossier à quelqu’un qui le fera.

La commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement AS32 de Mme Cécile Muschotti.

Mme Cécile Muschotti. Il s’agit de rédiger de façon plus cohérente les dispositions résultant de la suppression de la clause de conscience spécifique, en reprenant la rédaction des dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique au sujet de l’interruption médicale de grossesse (IMG), adoptées conformes par le Sénat et l’Assemblée nationale. L’amendement permet, en outre, la création d’un répertoire des professionnels de santé et des structures qui pratiquent l’IVG.

Mme la rapporteure. En ce qui concerne la suppression de la clause de conscience spécifique, quelles différences l’amendement comporte-t-il par rapport à la rédaction actuelle de l’article 2 ? Dans les deux cas, les deux premiers alinéas de l’article L. 2212-8 sont supprimés et remplacés par la seule mention de l’obligation de réorientation. Mais dans cette mention, outre que l’amendement modifie la place des mots « sans délai » et remplace les mots « dudit refus » par les mots « de son refus », il ne fait pas référence, contrairement à l’article 2, aux sages-femmes parmi les praticiens susceptibles de pratiquer l’IVG et vers lesquels la femme doit être réorientée. Sans doute s’agit-il d’un oubli ; en tout cas, ce point est important, de sorte que la rédaction de l’amendement n’améliore pas l’article 2. Nous pourrons évidemment la modifier lors de l’examen en séance, au nom de la cohérence que vous mettez en avant avec le projet de loi relatif à la bioéthique.

En ce qui concerne la publication par les agences régionales de santé (ARS) d’un répertoire des professionnels de santé pratiquant l’IVG, ce sujet, également important, est bien différent de celui de la suppression de la clause de conscience spécifique, car il engage des enjeux pratiques beaucoup plus vastes touchant l’accès à l’IVG. Le Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie (REVHO), a développé un tel répertoire pour l’Île-de-France ; cette initiative devrait être soutenue et généralisée, sans doute, en effet, sous le pilotage des ARS. Il me semble préférable d’adopter un amendement proposant cette seule évolution, comme les amendements identiques AS17 et AS24 auxquels je donnerai un avis favorable.

Pour ces différentes raisons, demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Cécile Muschotti. Je le répète, il s’agit de privilégier une présentation cohérente. En l’état, l’article aborde d’abord la faculté pour les établissements privés de refuser de pratiquer l’IVG ; cet ordre, outre qu’il donne un signal un peu particulier, n’est pas logique. Mieux vaudrait commencer par indiquer, comme dans le projet de loi relatif à la bioéthique à propos de l’IMG, qu’en cas de refus du praticien l’obligation d’information sans délai et de réorientation s’applique immédiatement, puis d’en venir à la création du répertoire.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS35 de la rapporteure tombe.

La commission est ensuite saisie des amendements identiques AS16 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS23 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’article L. 2212-8 du code de la santé publique dispose que les établissements privés habilités à assurer le service public hospitalier peuvent refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées en leur sein si d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux. Notre amendement, issu des travaux de notre mission d’information, vise à supprimer cette faculté.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement AS23 est défendu.

Mme la rapporteure. La situation permise par l’article précité du code de la santé publique ne se justifie plus, pour trois raisons. D’abord, l’évaluation par ces établissements de la possibilité que d’autres établissements répondent aux besoins locaux peut être défaillante : quelle acception de cette notion est-elle retenue, et comment savoir en temps réel si tel est bien le cas ? Ensuite, l’IVG doit absolument faire partie des soins offerts par tout établissement de santé contribuant au service public hospitalier : il n’est plus concevable qu’un établissement habilité comme tel puisse refuser de la pratiquer. Les établissements en question contribueront à enrichir l’offre de soins en matière d’IVG.

Avis favorable.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques AS17 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS24 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Toujours issu des travaux de la délégation aux droits des femmes, notre amendement préconise la création d’un répertoire des professionnels pratiquant l’IVG sur le modèle du site ivglesadresses.org, géré et mis à jour par les ARS. Chaque ARS serait ainsi chargée de l’installation d’un tel réseau dans le territoire relevant de sa compétence. Il existe en la matière une franche inégalité territoriale : certains secteurs en ont un, d’autres non.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement AS24 est défendu.

Mme la rapporteure. Ces amendements sont rendus inutiles par l’adoption de l’amendement AS32 prévoyant la création d’un tel répertoire. Demande de retrait.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans ce cas, pourquoi cette adoption n’a-t-elle pas fait tomber nos amendements ? Mais s’ils sont satisfaits, je retire le mien.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Je vais faire de même, mais je souhaite, madame la rapporteure, que nous échangions à ce sujet d’ici à l’examen en séance, pour comprendre pourquoi mon amendement n’est pas tombé et m’assurer que le répertoire pourra bien être créé.

Les amendements sont retirés.

Mme Perrine Goulet. J’appelle votre attention sur le fait que le répertoire visé à l’amendement AS32 recense, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé pouvant pratiquer l’IVG, alors qu’aux termes des amendements qui viennent d’être défendus, la publication de la liste n’est pas subordonnée à un accord des intéressés.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci de cette précision. Nous retravaillerons donc l’amendement en vue de la séance.

La commission est saisie de l’amendement AS29 de Mme Ramlati Ali.

Mme Stéphanie Atger. Il est défendu.

Mme la rapporteure. J’approuve évidemment l’objectif de cet amendement : renforcer et accélérer la réorientation et l’accompagnement des femmes à la fin du délai légal d’accès à l’IVG. On a bien vu, à propos de la suppression de la clause spécifique, que la réorientation des femmes est un véritable enjeu. C’était d’ailleurs le sens de mon amendement AS35, qui n’a pas été adopté.

L’amendement soulève toutefois plusieurs difficultés. D’abord, il fait référence au délai de douze semaines que nous sommes en train de modifier. Ensuite, il ne propose d’accompagnement spécifique que le dernier jour du délai légal, alors que le problème se pose bien en amont : il faudrait donc avancer cette date à deux semaines avant le terme du délai, comme tendait à le faire mon amendement AS35.

Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Enfin, elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La commission est saisie de l’amendement AS4 de Mme Caroline Fiat.

Mme Caroline Fiat. Je ne comprends pas ce que cet amendement fait là : il porte sur la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer l’IVG, que j’ai déjà défendue.

Mme la rapporteure. C’est qu’il y a une incohérence entre le dispositif et l’exposé sommaire. Le dispositif prévoit la suppression de la clause de conscience spécifique tout en conservant la clause de réorientation des femmes. L’amendement est donc satisfait par l’article 2.

Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques AS18 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS25 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il s’agit d’interdire d’opposer un refus à des patientes en fin de délai légal, afin d’assurer une offre de soins équitable dans l’ensemble du territoire. Il n’est plus concevable, en effet, qu’en fonction des convictions du chef de service de tel ou tel hôpital, aucune offre d’orthogénie ne soit disponible ou que l’établissement public refuse d’assurer les IVG alors que le délai légal n’est pas encore dépassé. Cette protection est essentielle aux femmes les plus vulnérables qui ne peuvent s’adresser à une clinique privée ni se rendre à l’étranger pour des raisons d’information et de coût.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement AS25 est défendu.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Mme Cécile Muschotti. Les amendements sont satisfaits par le vote précédent de l’obligation de réorientation. Attention, en les adoptant, de ne pas contredire la clause générale de conscience !

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques AS19 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS26 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mon amendement vise à pérenniser l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse en ville de cinq à sept semaines de grossesse, qui a été décidé pour faire face à la crise sanitaire et qui a prouvé son efficacité. Un parallèle avec l’allongement des IVG chirurgicales serait ainsi établi.

M. Guillaume Gouffier-Cha. J’ajoute que cet amendement AS26 est également issu des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Mme la rapporteure. Cette mesure fait l’objet d’un très large consensus au sein de la délégation aux droits des femmes, et parmi les professionnels de santé qui ont recours à l’IVG et les associations militantes. Il s’agit d’une évolution de nature à augmenter l’offre de soins en la matière et d’enrichir les possibilités de choix pour les femmes.

L’avis rendu au mois d’avril 2020 par la HAS au sujet de cet allongement était positif. De même, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a souscrit aux deux protocoles proposés par la HAS durant la crise. Les auditions que j’ai menées ont été unanimes : cette mesure doit être pérennisée.

Avis favorable.

Mme Cécile Muschotti. La HAS a été saisie mais n’a pas encore rendu son avis. Je souhaiterais que l’on puisse entendre le ministre sur cette question lors de l’examen de ce texte en séance publique.

M. Fabien Di Filippo. Faire droit aux revendications d’associations peut être une bonne chose, mais en la matière il s’agit d’un processus très traumatisant physiquement et psychologiquement. Si le dispositif doit évoluer dans le sens qui est proposé ici, notre responsabilité est de veiller à renforcer l’accompagnement médico-social et médico-psychologique des patientes, car si elles ont recours à l’IVG c’est bien qu’il y a eu un problème au niveau de la contraception.

Mme Delphine Bagarry. L’IVG médicamenteuse est déjà autorisée jusqu’à sept semaines de grossesse à l’hôpital.

J’insiste sur l’importance de laisser le choix à la patiente de subir, si elle le souhaite, une IVG en ambulatoire, qui est possible jusqu’à sept semaines pourvu qu’elle bénéficie de l’accompagnement approprié.

La commission rejette les amendements.

Article 2 bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement sur l’application de la législation relative au délit d’entrave à l’IVG

La commission en vient aux amendements identiques AS21 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS28 de Mme Marie-Pierre Rixain et AS33 de Mme Cécile Muschotti.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il s’agit de demander un rapport sur la dérogation qui a été accordée pendant la crise du covid-19, d’autant que la HAS n’a pas encore rendu son rapport.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement AS28 de la délégation aux droits des femmes est identique. J’ajoute qu’en France, certaines organisations se livrent à des attaques répétées contre le droit à l’avortement, qui comptent parmi les plus organisées des pays de l’Union européenne. Le délit d’entrave à l’IVG n’est absolument pas à prendre à la légère, et il importe que nous puissions travailler sur la question.

Mme Cécile Muschotti. Je rejoins totalement ces arguments.

Mme la rapporteure. Le délit d’entrave à l’IVG a été reconnu par la loi en 1993, puis enrichi de la notion d’entrave à l’accès à l’information des femmes en 2004. Il a été complété par le délit d’entrave à l’IVG sur internet en 2017. Malgré la volonté du législateur et les différentes évolutions visant à garantir l’accessibilité à l’IVG, la montée en puissance des mouvements anti-IVG et anti-choix, en France comme à l’étranger, s’est traduite par une utilisation des outils numériques pour propager un contre-discours à son sujet, si bien que le délit d’entrave s’avère aujourd’hui mal appliqué. Toutes les associations de terrain le disent, c’est un outil intéressant mais il est insuffisamment utilisé et utilisable.

Afin d’évaluer l’ampleur et l’impact du phénomène sur les femmes, une évaluation du délit d’entrave serait salutaire pour, le cas échéant, agir en faveur d’une meilleure application de la loi, particulièrement sur internet, au service de toutes les femmes.

Avis favorable.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je signale que je viens de défendre par erreur un autre amendement et que je suis tout à fait en phase avec ce que mes deux collègues viennent de dire.

M. Thibault Bazin. Dans le cadre d’une niche parlementaire, nous sommes force de proposition. Plutôt que de demander au Gouvernement de nous remettre un rapport, ne devrions-nous pas lancer une mission « flash » ou une mission d’information au sein de notre commission ? J’ai des difficultés à cerner qui est visé là.

La commission adopte les amendements.

Article 3 : Compensation financière

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Enfin, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3383_texte-adopte-commission#).


— 1 —

   ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉEs
par la rapporteurE

     Le Planning familial Mme Sarah Durocher, co-présidente du Planning Familial

     Docteure Ghada Hatem, gynécologue, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis

     Réseau entre la ville et lhôpital pour lorthogénie (REVHO)Docteure Sophie Gaudu, présidente du REVHO

     Association nationale des centres dIVG et de contraception (ANCIC) – Docteure Nathalie Trignol-Viguier, membre du bureau de l’ANCIC

     Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) – Docteure Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syngof, et Docteure Pascale Le Pors-Lemoine, responsable Pôle praticiens hospitaliers du Syngof

     Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) – Docteur Philippe David, gynécologue obstétricien, pôle hospitalier mutualiste Jules Verne, membre de commission sur l’orthogénie et de la commission d’éthique du CNGOF

     Conseil national de lordre des sages-femmes (CNOSF) – Mme AnneMarie Curat, présidente du CNOSF, Mme Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du CNOSF, M. Jean-Marc Delahaye, responsable des relations institutionnelles et européennes du CNOSF, et M. David Meyer, chef de cabinet et conseiller technique du CNOSF

     Conseil national de lOrdre des médecinsDocteure Anne-Marie Trarieux, présidente de la section « Éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins

     Maison des femmes de Saint-Denis – Docteure Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes, et Mme Marianne Blanc, sage-femme consultante


([1]) Loi n° 79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([2]) Loi n°82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure.

([3]) Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.

([4]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([5]) Article 50 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui modifie l’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale.

([6]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([7]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([8]) https://ivg.gouv.fr/quelles-sont-les-etapes-d-une-ivg.html [URL consultée le 23 septembre 2020].

([9]) Les semaines d’aménorrhée correspondent aux semaines d’absence de règles ; cette comptabilisation est plus souvent employée par les professionnels de santé.

([10]) DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », in Études & Résultats n° 1163, septembre 2020.

([11]) Ibid..

([12]) Le rapport précité de la DREES constate en effet « une nette baisse des taux de recours chez les femmes de 15 à 19 ans ».

([13]) DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », in Études & Résultats n° 1163, septembre 2020.

([14]) Rapport d’information n° 3343 de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), 16 septembre 2020.

([15]) Accès à l’IVG - Principaux enseignements de l’enquête qualitative et territoriale auprès des agences régionales de santé, Ministère des solidarités et de la santé, septembre 2019.

([16]) Statistiques transmises par la DREES, 2011.

([17]) Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Rapport n° 2013-1104-SAN-009 relatif à l’accès à l’IVG, « Volet 2 : Accès à l’IVG dans les territoires », 7 novembre 2013.

([18]) DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », in Études & Résultats n° 1163, septembre 2020.

([19]) Planning familial, communiqué de presse, « L’avortement en temps de confinement : analyse de la situation du 30 mars au 19 avril 2020 par le Planning Familial », 29 avril 2020.

([20]) Ibid.

([21]) Ministère des Solidarité et de la Santé, Accès à lIVG : principaux enseignements de lenquête qualitative et territoriale auprès des agences régionales de santé, septembre 2019.

([22]) Ibid.

([23]) Inspection générale des affaires sociales, Claire Aubin, Danièle Jourdain Menninger, Laurent Chambaud, La prise en charge de linterruption volontaire de grossesse, octobre 2009.

([24]) Rapport d’information n° 3343 de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), 16 septembre 2020.

([25]) Conseil de l’Europe, Santé et droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe, 2017.

([26]) DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », in Études & Résultats n° 1163, septembre 2020.

([27]) Ibid.

([28]) Article L. 312-16 du code de l’éducation.

([29]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([30]) Institut national des études démographiques (Ined), Magali Mazuy, Laurent Toulemon, Élodie Baril, « Un recours moindre à l’IVG, mais plus souvent répété », in Population & Société numéro 518, janvier 2015.

([31]) DREES, « 224 300 interruptions volontaires de grossesse en 2018 », in Études & Résultats n° 1125, septembre 2019.

([32]) DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », in Études & Résultats n° 1163, septembre 2020.

([33]) Rapport d’information n° 3343 de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), 16 septembre 2020.