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N° 3394

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er octobre 2020.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI

instaurant un moratoire sur limplantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures durgence pour protéger le commerce de proximité dune concurrence déloyale (n° 3040)

PAR Mme Delphine Batho

Députée

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 Voir le numéro : 3040.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. les conséquences de la pandémie sont dévastatrices pour le commerce de proximité

A. le commerce de proximité, qui joue un rÔle Économique et social majeur, Était déjà en souffrance

1. Le commerce de proximité est essentiel à la vitalité sociale et économique des territoires

2. Le commerce de détail dans son ensemble était déjà fragilisé avant la pandémie de covid-19

B. le commerce de proximitÉ est durement affectÉ par la crise Économique liÉe à la pandémie de covid-19

1. Le confinement a entraîné la fermeture de la très grande majorité des commerces

2. Les pertes de chiffres daffaires sont significatives et les conséquences sur lemploi graves

3. Lactivité est durablement affectée

II. le e-commerce doit Être mis au service de la relocalisation de lÉconomie

A. lexplosion du commerce en ligne pendant le confinement a favorisé les pure players, qui veulent renforcer leur position en france

1. La forte croissance du commerce en ligne avec le confinement bénéficie aux pure players

2. Le déploiement des nouveaux entrepôts des acteurs dominants crée une situation de fait accompli

B. le modÈle du commerce en ligne proposÉ par des pure players Étrangers prÉsente des risques Économiques, sociaux et environnementaux

1. Une artificialisation des sols et un enjeu écologique majeur

2. Une concurrence déloyale

3. Un mensonge quant à leffet sur lemploi

4. Un état de fait qui va à lencontre de la relocalisation de léconomie et de la revitalisation des centres-villes

C. il est nÉcessaire de définir une stratÉgie nationale du ecommerce et de la logistique associÉe

III. les dispositions de la proposition de loi

COMMENTAIREs DES articleS

Article 1er  Moratoire de deux ans sur la délivrance de permis de construire dentrepôts logistiques à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés

Article 2 Soumission de tout projet de construction, dextension ou de transformation dun entrepôt logistique à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés à concertation préalable à lissue du moratoire de deux ans

Article 3 (art. L. 752-1, L. 752-3, L. 752-5, L. 725-16-1 [nouveau] et L. 752-23 du code de commerce)  Définition des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique et soumission à autorisation dexploitation commerciale

Article 4  (art. 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) Soumission des surfaces de stockage des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique à la taxe sur les surfaces commerciales

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. DISCUSSION GÉNÉRALE

II. EXAMEN DES ARTICLES

liste des personnes auditionnÉes


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   introduction

I.   les conséquences de la pandémie sont dévastatrices pour le commerce de proximité

A.   le commerce de proximité, qui joue un rÔle Économique et social majeur, Était déjà en souffrance

1.   Le commerce de proximité est essentiel à la vitalité sociale et économique des territoires

Le commerce de proximité occupe une place centrale dans la vie quotidienne des Français. Il structure le développement social et économique des territoires. Ses trois principales activités – la vente de produits alimentaires, la vente de produits non-alimentaires et la vente de services – sont exercées par 600 000 entreprises qui produisent 20 % du produit intérieur brut (PIB) et représentent 3 millions d’actifs dont 1,2 million de salariés, selon la Confédération des commerçants de France. La chambre des métiers et de l’artisanat estime, pour sa part, à plus d’1,3 million le nombre d’entreprises artisanales, représentant 12 % du PIB et 3,1 millions d’actifs.

Au-delà de leur poids économique, ces entreprises, dont 95 % sont des très petites entreprises, représentent un tissu social qui occupe une place centrale dans la vie de la Nation : elles permettent d’entretenir les liens humains, de valoriser et de maintenir des savoir-faire, ou encore d’animer des lieux de vie et de socialisation, en particulier au sein des bourgs et centres-villes.

2.   Le commerce de détail dans son ensemble était déjà fragilisé avant la pandémie de covid-19

Le commerce de détail dans son ensemble affronte des difficultés structurelles depuis plusieurs années.

Le commerce de proximité est, notamment, fragilisé par le développement des surfaces commerciales en périphérie, la perte de vitalité des centres-villes et des bourgs affectés par la diminution du service public dans les territoires ruraux, les faiblesses de trésorerie et les progrès du e-commerce.

Sy sont ajoutées des difficultés conjoncturelles liées à la récurrence de mouvements sociaux affectant la fréquentation des centres-villes en 2019 et 2020. Ainsi, le mouvement des Gilets jaunes a eu de lourdes conséquences pour les commerces des centres-villes durant près de trente samedis consécutifs. Leur évitement par les consommateurs a fait baisser de 30 % les ventes de ces entreprises les week-ends et de près de 20 % le reste de la semaine ([1]), les conséquences sur le chiffre daffaires des commerces étant dautant plus lourdes que ces mobilisations ont eu lieu à lapproche de Noël et durant les soldes dhiver.

En parallèle, la grande distribution est, de la même manière, confrontée à des difficultés importantes ces dernières années, qui se traduisent par de nombreuses suppressions de postes. Ainsi, plus de 8 000 postes ont été supprimés en 2019, soit, pour la première fois depuis dix ans, un nombre supérieur à celui des créations de postes ([2]). En parallèle, le nombre de points de vente diminue également.

B.   le commerce de proximitÉ est durement affectÉ par la crise Économique liÉe à la pandémie de covid-19

1.   Le confinement a entraîné la fermeture de la très grande majorité des commerces

Le commerce de détail a joué un rôle très important dans le maintien et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire durant le confinement, salué par la reconnaissance exprimée par de nombreux citoyens pour les salariés de ces entreprises. La situation particulière des commerces alimentaires ne doit pas occulter la mise à l’arrêt d’un pan entier de l’économie.

Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 portait, en son article 8, l’interdiction pour les magasins de vente et centres commerciaux d’accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020, date portée au 11 mai 2020 ([3]), à l’exception d’une liste de magasins autorisés (essentiellement commerces alimentaires, distribution de journaux et pharmacies). Cette interdiction ne portait pas sur les activités de livraison et les retraits de commande.

En conséquence, la très grande majorité des commerces a été contrainte de fermer. Un sondage réalisé par la Confédération des commerçants de France estime que 86 % des répondants ont été amenés à fermer leur commerce pendant la période du confinement. Un rapport d’information du Sénat ([4]) souligne que 75 % des entreprises du commerce de détail en magasin non alimentaire ont été fermées ou ont affronté des chutes drastiques des vente et que 87 % des commerces de proximité d’Île-de-France ont été concernés par des mesures de fermeture administrative. S’y ajoutent également des fermetures non imposées par le décret, mais rendues malgré tout nécessaires par la crise sanitaire : ainsi, si 47 % des artisans ont fermé à la suite du décret du 23 mars, 26 % supplémentaires ont fermé malgré l’autorisation de maintenir leur activité ([5]), faute de clients ou de moyens pour protéger leurs salariés.

2.   Les pertes de chiffres d’affaires sont significatives et les conséquences sur l’emploi graves

Ces fermetures administratives ont engendré une perte de chiffre d’affaires significative, qui s’étend toutefois également aux commerces restés ouverts pendant la période de confinement.

D’après les chiffres publiés par la Banque de France le 15 mai, les ventes du commerce de proximité ont baissé de 9,5 % sur les trois mois précédents ([6]), la consommation des ménages ayant baissé de 17 % en volume au mois de mars et de 34 % au mois d’avril par rapport aux mêmes mois de l’année 2019 ([7]). Selon l’Insee, le volume des ventes du commerce de détail non alimentaire a baissé de 27,5 % en mars (en glissement annuel) et de 45 % en avril (en glissement annuel) ([8]). De manière plus large, lactivité du secteur marchand a chuté de 50 % en avril et de 39 % en mai ([9]).

Les difficultés des commerces de proximité ont un impact direct sur l’emploi. Ainsi, durant la période du confinement, de nombreuses entreprises n’ont pas renouvelé leurs contrats à durée déterminée (CDD) et ont différé leurs embauches. Une étude de l’Insee indique que 30 % des entreprises du commerce de détail non alimentaire en magasin ont baissé leurs effectifs et que l’ensemble du commerce a perdu 22 000 salariés au premier semestre 2020. Cette baisse équivaut à la moitié des gains d’emplois réalisés en 2019 ([10]).

3.   L’activité est durablement affectée

Si l’activité a repris depuis le déconfinement à partir du 11 mai dernier, les difficultés n’en perdurent pas moins pour ces entreprises.

La situation sanitaire reste préoccupante face à la pandémie, la rentrée étant marquée par une nouvelle vague épidémique qui affecte la reprise du cours normal de la vie quotidienne. Les inquiétudes des ménages liées à la situation économique accentuent les baisses de consommation déjà constatées. La hausse du chômage et la récession conduisent les ménages à augmenter leur épargne de précaution. La demande, dans un premier temps affectée par l’impossibilité de se déplacer due au confinement, est désormais également touchée par les baisses de revenus – réelles ou anticipées – et la perte de confiance des ménages.

Par ailleurs, les mesures sanitaires à mettre en place représentent des dépenses de matériel importantes pour des petites entreprises à la trésorerie fragilisée.

Enfin, la hausse de part de marché du commerce en ligne (cf. infra) devrait perdurer dans la mesure où certains consommateurs, qui n’utilisaient pas internet pour leurs achats du quotidien, ont pris de nouvelles habitudes. Ainsi, une étude conduite par la chambre de commerce et d’industrie des Hauts-de-France montre que 90 % des ménages ont changé leurs habitudes en ce sens, et que 41 % d’entre eux n’entendent pas revenir à leurs anciens modes de consommation ([11]).

Cet « effet de ciseaux » pourrait aggraver la situation des entreprises les plus fragiles et en pousser un certain nombre à la faillite. D’après la Confédération des commerçants de France, 85 % des commerçants sont aujourd’hui inquiets s’agissant de la survie de leurs commerces et ce, malgré les mesures de soutien mises en œuvre par l’État. Pour la Confédération générale de l’alimentation en détail (CGAD), 49 % des entreprises avaient une activité encore en baisse début mai par rapport au mois de mai 2019 et plus de 17 % d’entre elles seraient fragilisées ou très fragilisées (licenciements, cessations de paiements envisagées) ([12]).

II.   le e-commerce doit Être mis au service de la relocalisation de l’Économie

Le développement du commerce en ligne est une évolution structurelle qui, bien au-delà des circonstances liées à la pandémie, est liée aux commodités qu’il offre aux consommateurs. Cette évolution comporte assurément des risques (déshumanisation des relations économiques, déstabilisation du tissu social des territoires, surconsommation…) mais peut aussi être un outil, tant pour les producteurs que pour les consommateurs au service de la relocalisation de certaines activités de production en France. De multiples exemples illustrent l’essor d’entreprises proposant des produits « Origine France garantie » et favorisant les circuits courts par le biais de plateformes numériques, ou encore de services démontrant une potentielle complémentarité entre commerce en ligne et commerce physique.

Ces réussites ne doivent pas conduire à une forme d’aveuglement sur la captation par des acteurs internationaux et dominants du e-commerce qui vont à l’encontre de cette logique de relocalisation. Le développement massif d’entrepôts logistiques aux fins de stockage et d’acheminement de produits fabriqués à bas coûts à l’étranger et destinés uniquement au commerce en ligne va à l’encontre de la reconquête de notre souveraineté économique et s’effectue au détriment du commerce et de l’emploi local.

En matière de commerce en ligne, une stratégie française de développement fait défaut, tant en terme de modèle économique, que de cadre de déploiement territorial permettant d’exploiter les infrastructures existantes dans la plus grande sobriété énergétique et environnementale possible.

A.   l’explosion du commerce en ligne pendant le confinement a favorisé les pure players, qui veulent renforcer leur position en france

1.   La forte croissance du commerce en ligne avec le confinement bénéficie aux pure players

Le e-commerce est un secteur en pleine expansion depuis plusieurs années. Le chiffre d’affaires du commerce en ligne a été multiplié par huit entre 2005 et 2015 ([13]). Avec le développement du numérique en France et dans le monde, cette tendance s’accentue : le e-commerce a enregistré en 2018 une progression de 11 % et un chiffre d’affaires de plus de 38 milliards d’euros (Md€) ([14]).

Le commerce en ligne fait figure de « grand gagnant » de la crise sanitaire, et en a tiré profit de manière massive. Ainsi, une étude réalisée en septembre 2020 par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) indique que, au second trimestre 2020, les achats en ligne auprès des enseignes magasins ont enregistré une hausse de 83 % ([15]).

L’activité des ventes réalisées pour le compte de tiers (sur les places de marché), ou par les pure players, entreprises spécialisées dans le commerce en ligne, a augmenté de 60 % en avril et en mai et encore de 26 % en juin (contre une hausse de 14 % sur l’année 2019), le volume d’affaires augmentant de 50 % par rapport au 2ème trimestre 2019. L’ensemble des ventes sur internet a progressé de plus de 5 % sur cette même période (croissance ralentie par l’arrêt, notamment, des ventes de voyages en ligne). Le nombre de sites marchands actifs a également progressé, passant à 202 000, soit 11 000 sites supplémentaires en un an.

D’après l’institut Nielsen, le commerce en ligne représentait début avril plus de 10 % du marché des produits de grande consommation, contre moins de 6 % en 2019. La part de marché devrait s’établir autour de 8 % sur le reste de l’année 2020, pour un chiffre d’affaires du e-commerce qui devrait atteindre 115 Md€ en 2020 selon la FEVAD ([16]).

Cette croissance a particulièrement profité aux plus grands groupes, en particulier Amazon, qui représente environ 17 % du commerce en ligne en France, et dont le cours de l’action a augmenté de 30 % depuis le début de l’année. Au deuxième trimestre, Amazon espère une croissance de son chiffre d’affaires entre 18 et 28 % (par rapport au deuxième trimestre 2019), après une hausse de 26 % au premier trimestre 2020, mais prévoit une baisse de son bénéfice d’exploitation en raison du coût des mesures sanitaires ([17]).

Parallèlement, de nombreux commerces n’ont pas réussi à s’approprier les outils numériques et à poursuivre leur activité en ligne. Ainsi, bien que les activités de vente en ligne aient pu continuer à être exercées par les entreprises soumises à une fermeture administrative, un sondage réalisé par la Confédération des commerçants de France estime que seuls 5 % des répondants ont continué leur activité sur internet : 60 % d’entre eux n’avaient pas de site, 10 % n’étaient pas intéressés par cette solution et 5 % n’avaient pas connaissance de cette possibilité. La Fédération française de l’habillement confirme que 78 % des adhérents ne disposent d’aucun outil numérique ([18]). Ainsi, alors que l’activité en ligne peut aussi être une opportunité importante de développement pour le commerce de détail en magasin ([19]), celui-ci pâtit aujourd’hui grandement de son retard en matière de numérique et de ses difficultés à investir dans ce domaine.

L’essor d’Amazon

En 2018, Amazon a généré un chiffre daffaires de 4,5 Md€ et commercialisé près de 2 milliards de produits en France ([20]), achetés par 21 millions de Français ([21]). Le groupe occupait alors la première place du e-commerce en France avec 17 % du segment des biens manufacturés, devant Cdiscount (7 % du segment) et Fnac-Darty (5,5 %) ([22]). Aucun de ces deux distributeurs ne représente une réelle menace concurrentielle pour Amazon. Pourtant, le réseau Fnac-Darty emploie, à lui seul, près de deux fois plus de personnes quAmazon.

Amazon a réussi à simposer en tant que leader du e-commerce en France et dans le monde grâce à une stratégie particulièrement agressive de vente à perte. Les profits sur les ventes sont générés dans un second temps, une fois la concurrence éliminée. Cette stratégie sest développée dans un premier temps aux États-Unis, où lentreprise réalise la moitié de son chiffre daffaires et 38 % du commerce en ligne. Amazon est aujourdhui lune des entreprises dans lesquelles le marché financier investit massivement avec près de 1 200 Md$ de capitalisation boursière ([23]).

La crise sanitaire a particulièrement profité à Amazon. À lannonce de la fermeture des commerces, le cours de laction Amazon a fortement augmenté et a dépassé son record historique dès la semaine du 13 avril. Il est estimé que son président-directeur général, M. Jeff Bezos, a gagné près de 24 Md$ depuis le début de la pandémie ([24]).

2.   Le déploiement des nouveaux entrepôts des acteurs dominants crée une situation de fait accompli

La volonté d’expansion rapide et massive des géants internationaux spécialisés dans le commerce en ligne requiert l’intervention du législateur.

Ainsi, alors qu’Amazon compte aujourd’hui environ 20 sites logistiques en France, dont 6 « entrepôts-mères » ([25]), représentant 560 700 mètres carrés de surface, l’entreprise compte doubler ses capacités d’ici le début de l’année 2021, en créant 8 à 11 sites supplémentaires, dont 6 entrepôts-mères ([26]). Amazon projetterait ainsi de doubler son activité en quelques années, anticipant une forte croissance de son implantation sur le marché français et dans les pays voisins qui seraient livrés au départ de la France. Alibaba souhaiterait, de la même manière, ouvrir deux entrepôts, dont l’un à proximité de Bordeaux.

les implantations d’amazon en france

 

La date de réouverture des sites d'Amazon France encore «inconnue», selon son directeur

Source : Amazon France repris par l’Agence France Presse (AFP)

L’un de ces entrepôts serait situé à proximité immédiate du pont du Gard, à Fournès. Il consisterait en un espace de 39 000 mètres carrés, sur 18 mètres de haut et 6 étages, à seulement 4 kilomètres d’un site classé au patrimoine mondial de l’humanité, alors qu’il générerait, à lui seul, un trafic de 544 poids-lourds et 2 500 véhicules légers selon les associations. Ce projet a reçu les autorisations requises mais plusieurs recours ont été déposés, notamment un recours en matière pénale pour suspicion de conflit d’intérêts.

Amazon projette également d’implanter un site à Colombier-Saugnieu (160 000 mètres carrés), à proximité immédiate de l’aéroport de Lyon Saint‑Exupéry, pour bénéficier des flux du fret aérien en augmentation. Cet entrepôt a reçu une autorisation de l’État, mais fait l’objet de plusieurs recours.

Un autre entrepôt de grande taille serait en projet à Augny-Metz, représentant une surface de 185 000 mètres carrés, et générant également des flux routiers importants.

Enfin, le permis de construire pour un projet à Belfort (76 000 mètres carrés) a été délivré, et l’autorisation du projet de Rouen (entre 120 000 et 160 000 mètres carrés), en cours d’instruction, serait imminente, de même que celle d’un entrepôt de 190 000 mètres carrés qui serait implanté sur des terres agricoles à Ensisheim (Bas-Rhin).

L’action publique, notamment du législateur, pour contrer les projets d’expansion des groupes internationaux de commerce en ligne, en particulier d’Amazon, doit être rapide, car ces projets comportent un risque de déstabilisation économique et écologique majeur.

Ainsi, selon plusieurs associations, ces nouveaux entrepôts représenteraient 960 millions à 1,3 milliard de produits supplémentaires par an. Les plus gros entrepôts induiraient l’activité de 1 500 à 2 000 poids lourds et de 4 000 utilitaires supplémentaires par jour, ainsi qu’une augmentation du trafic aérien pour la livraison en 24 heures.

Le tel doublement des capacités des entrepôts logistiques pourrait entraîner la perte de plusieurs milliers d’emplois en raison notamment de l’offre de produits à bas prix (en moyenne 20 % moins cher que les produits issus du commerce classique). Le nombre de faillites d’entreprises françaises pourrait augmenter considérablement, un grand nombre de dépôts de bilan ayant déjà été constatés.

B.   le modÈle du commerce en ligne proposÉ par des pure players Étrangers prÉsente des risques Économiques, sociaux et environnementaux

Le développement d’entrepôts logistiques géants par des entreprises mastodontes spécialisées dans le commerce en ligne représente une menace pour l’environnement, pour l’emploi, pour le commerce de proximité et pour la vitalité de nos bourgs et centres-villes.

1.   Une artificialisation des sols et un enjeu écologique majeur

Le développement d’entrepôts logistiques spécialisés dans le commerce en ligne de produits importés représente d’abord une menace qui va à l’encontre des engagements climatiques de la France et de l’urgence écologique.

Ainsi, en 2019, la filiale française d’Amazon a commercialisé près de 2 milliards de produits en France, majoritairement des produits neufs, non essentiels, importés de Chine et du reste de l’Asie, acheminés en avion dans des emballages surdimensionnés, soit des produits particulièrement peu vertueux sur le plan écologique. Le bilan carbone d’Amazon serait de 44,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2018, sans prendre en compte la fabrication des produits vendus (souvent des produits électroniques et textiles dont la production est très émettrice de gaz à effet de serre) ([27]).

 

Selon une étude du Commissariat général au développement durable (CGDD) de janvier 2020, « les émissions associées aux importations ont quasiment doublé entre 1995 et 2018 », les émissions importées représentant 57 % de l’empreinte carbone de la France ([28]). L’augmentation des importations contribue ainsi, selon le CGDD, à la progression du niveau de l’empreinte carbone de la France, alors même que les émissions intérieures se contractent (- 21 % entre 1995 et 2018). Dans son rapport annuel pour 2020, paru en juillet 2020, le Haut Conseil pour le Climat ([29]) soulignait qu’en 2018, « les réductions démissions ayant eu lieu sur le territoire national (émissions directes des ménages et émissions de la production intérieure française, respectivement - 6 Mt éqCO2 et - 1 Mt éqCO2) ont été compensées en partie par la poursuite de laugmentation des émissions importées (+ 3 Mt éqCO2, soit 0,7 %) » liées aux échanges internationaux. Ainsi, les émissions totales liées à nos modes de consommation annulent pour moitié les effets des politiques climatiques de la France.

Par ailleurs, Amazon contribue également à la surproduction et à la surconsommation, conduisant à vendre toujours plus de produits à des prix toujours plus bas. Ainsi, en 10 ans, la filière textile aurait perdu 10 % de sa valeur, les prix baissant de 10 %, quand sur la même période, la quantité produite doublait. Le modèle adopté par Amazon mène également à la destruction de millions de produits neufs non vendus. Une estimation délus de la CGT avance que 3 millions de produits auraient été détruits en une année, lentreprise augmentant ses prix de stockage avec le temps et pratiquant des prix de rapatriement prohibitifs ([30]).

Les conséquences environnementales au niveau territorial sont également majeures. En premier lieu, les surfaces concernées induisent une artificialisation des sols destructrice des terres agricoles et de la biodiversité et ce d’autant plus que la logistique a progressivement quitté le cœur des villes pour se développer dans des territoires ruraux, au détriment de surfaces non artificialisées. Ainsi, alors que les entrepôts étaient situés, en moyenne, à 6 kilomètres des villes il y a quelques années, ils sont aujourd’hui situés à 16 kilomètres des villes selon l’union des entreprises de transport et de logistique de France (TLF). À titre dillustration, le centre de tri logistique près du Pont du Gard menacerait directement des espèces protégées, comme la pie-grièche et loutarde canepetière ([31]).

Au-delà de cette artificialisation des sols, ces implantations conduisent également à une augmentation du trafic routier (et parfois aérien) de plusieurs centaines voire milliers de véhicules par jour, donc de la pollution et de la nuisance sonore provoquées par des flux constants. Le projet d’entrepôt de Dambach-la-Ville (150 000 mètres carrés), non encore autorisé, pourrait ainsi faire transiter environ 4 500 véhicules utilitaires et 1 000 poids lourds par jour, en sacrifiant 18 hectares de terres agricoles.

Le fait que le secteur du e-commerce, et les entrepôts logistiques qu’il génère, ne soit pas le premier facteur d’artificialisation des sols ne saurait être un argument recevable pour accepter le sacrifice de ces terres.

Un moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes figure parmi les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, dans l’objectif de « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050. Si les termes exacts de la proposition évoquent les seules « zones commerciales » ([32]), les représentants de la Convention entendus par votre rapporteure ont confirmé que leur intention était bien d’y inclure les entrepôts de logistique, pour préserver la plus grande surface possible de terres arables et de forêts. Les représentants entendus estiment pourtant que leur proposition – qui a été adoptée à 99 % des voix des membres de la Convention citoyenne pour le climat – est, aujourd’hui, réduite à la seule mention des zones commerciales, en raison d’une « pression dordre commercial » des géants du e-commerce.

2.   Une concurrence déloyale

Le développement du commerce en ligne profite de distorsions de concurrence indéniables, au détriment du commerce en magasin, qui est redevable d’une fiscalité importante.

Ainsi, le commerce en ligne n’est pas soumis aux mêmes contraintes que le commerce de détail en magasin, et ne supporte pas les mêmes charges que celui-ci, s’agissant du paiement des taxes sur les enseignes et publicités extérieures, du paiement de loyers ou de taxes foncières, ou encore des charges sociales, le nombre d’emplois étant inférieur au nombre d’emplois en commerce classique pour le même niveau d’activité (cf. infra).

Certes, s’agissant de la fiscalité foncière, certains entrepôts particulièrement mécanisés sont assimilés à des industries, et assujettis aux taxes foncières associées, plus élevées que celles auxquelles ils répondent classiquement. Ceci ne constitue toutefois pas une généralité.

En particulier, le commerce en ligne n’est pas soumis à la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom), à laquelle sont assujetties les grandes surfaces, les surfaces de stockage n’étant pas considérées comme des surfaces de vente. Alors qu’une proposition d’assujettissement des entrepôts de vente en ligne à la TaSCom avait été proposée par amendement à l’Assemblée nationale dans le cadre de la discussion d’un projet de loi de finances rectificative, elle a été rejetée le 8 juillet 2020, au motif qu’il demeurerait un risque de fraude ou de contournement.

La non-taxation de ces sites entraîne un manque à gagner fiscal pour l’État, auquel s’ajoute la fraude fiscale dont se rendent coupables certains groupes. Ainsi, selon un rapport de l’Inspection générale des finances de 2019, seulement 10 millions d’euros (M€) de TVA ont été collectés par Amazon France en 2018, pour un chiffre d’affaires sur le territoire estimé à 6,5 Md€, 98 % des vendeurs enregistrés sur les places de marché des sites de e-commerce n’étant pas immatriculés à la TVA en France. Ce rapport indique : « même si une petite part de ces sociétés peut ne pas être redevable de TVA, cette situation conduit à une concurrence déloyale majeure : les sociétés frauduleuses bénéficient dun avantage de prix de 20 % par rapport à celles qui remplissent leurs obligations fiscales » ([33]).

3.   Un mensonge quant à l’effet sur l’emploi

Alors que l’un des arguments principaux évoqués par certains groupes pour justifier l’implantation d’entrepôts de stockage dans les territoires français est celui de la création d’emplois, cet argument s’avère totalement discutable.

Ainsi, proportionnellement, Amazon, tout comme le commerce en ligne de manière générale, crée moins d’emplois que le commerce traditionnel : à chiffre d’affaires équivalent, les entrepôts Amazon emploient 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels, selon la note d’analyse de notre collègue Mounir Mahjoubi, datée de novembre 2019. En outre, ces emplois ne constituent pas des créations nettes, car Amazon intervient sur un terrain très concurrentiel : ainsi, Amazon détruirait deux emplois à chaque fois qu’elle en crée un. Si l’entreprise emploie aujourd’hui 9 300 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), soit 1 800 de plus qu’en 2018, M. Mahjoubi précise : « Amazon détruit plus demplois quelle nen crée. Son activité retail, hors marketplace, a potentiellement supprimé 10 400 emplois dans le commerce de proximité (en équivalent temps plein). Marketplace comprise, ce serait 20 200 postes en moins. Le solde entre les créations et les destructions est nettement négatif, avec un déficit de 7 900 emplois ».

Selon une étude d’Euler Hermes publiée en juillet 2020 ([34]), les conséquences aux États-Unis, où le commerce en ligne s’est développé de manière plus précoce et plus intense qu’en France, et où Amazon possède près de la moitié des parts de marché, seraient encore plus lourdes : le commerce en ligne aurait entrainé une destruction nette de 670 000 emplois entre 2008 et 2020, soit un ratio de 4,5 emplois détruits pour un emploi créé.

Par ailleurs, la productivité d’un emploi à temps plein est associée à un chiffre d’affaires de 600 000 € chez Amazon contre 270 000 € chez les commerçants traditionnels ([35]). Cette productivité s’explique par un management strict et exigeant, une automatisation poussée et une forme de déshumanisation des relations commerciales. En 2018, l’entrepôt de Montélimar a été l’objet d’un audit mené par le cabinet Syndex, à la suite de l’alerte d’un médecin du travail de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Le rapport constate que 44 % des sondés ont consulté leur médecin pour un problème lié au travail, que les troubles musculo-squelettiques sont anormalement élevés et que le taux d’absence pour cause de maladie professionnelle ou d’accident du travail est supérieur au taux habituel ([36]).

Enfin, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, le tribunal de Nanterre a reconnu, le 14 avril 2020, qu’Amazon avait « de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés », condamnant le groupe à « restreindre lactivité de ses entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et dexpédition des commandes de produits alimentaires, de produits dhygiène et de produits médicaux », le temps que de nouvelles mesures sanitaires permettent de protéger les salariés ([37]). La cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement en premier recours, le 24 avril 2020. L’inspection du travail avait déjà mis en demeure le groupe d’améliorer la sécurité de ses salariés sur cinq sites.

À la suite de cette condamnation, le directeur général d’Amazon France, M. Frédéric Duval, a annoncé la fermeture des 6 entrepôts principaux français, tout en continuant cependant d’acheminer les produits commandés par les clients français au travers de plateformes internationales. Dans une interview donnée au journal Le Parisien Aujourdhui en France, datée du 16 avril 2020, M. Frédéric Duval annonçait : « Si vous trouvez un produit sur le site, cest quil peut être commandé et quil sera livré. Lactivité dAmazon.fr va continuer à fonctionner par deux biais : les marchands tiers qui expédient directement leurs produits à nos clients et le réseau international des centres de distribution Amazon. Nos entrepôts mondiaux vont servir nos clients français ».

4.   Un état de fait qui va à l’encontre de la relocalisation de l’économie et de la revitalisation des centres-villes

Cette proposition de loi vise à lutter contre la délocalisation de l’économie par le biais d’un certain type de e-commerce, qui induit de lourds impacts tant en termes de résilience de l’économie en cas de crise qu’en termes de revitalisation des centres-villes.

En effet, le modèle proposé par Amazon et les plateformes consacrées au commerce en ligne de produits acheminés depuis l’étranger va à l’encontre de la volonté de relocalisation de l’économie.

Ainsi, la relocalisation des activités de commerce de détail, mais également de la production en amont, constitue un axe stratégique de restauration de la souveraineté française, et de sa résilience face à de futures crises. Les vulnérabilités révélées ou confirmées par la pandémie en témoignent : l’économie ne saurait reposer sur des productions étrangères et certaines activités, en apparence non essentielles mais pouvant se révéler cruciales, doivent être protégées dans leur développement.

En parallèle, alors même que le Gouvernement investit de manière importante dans la redynamisation des centres-villes et des bourgs, au travers notamment du programme « Action Cœur de ville » (5 Md€ mobilisés sur 5 ans pour 222 collectivités territoriales), le développement des pure players internationaux annihile ces efforts et contribue au délaissement des centres-villes, mais aussi à la raréfaction des liens sociaux, à la disparition progressive des services de proximité et à la perte d’attractivité globale de ces territoires, autant de facteurs alimentant le mécontentement légitime des habitants, et qu’exprimait également le mouvement des Gilets jaunes.

C.   il est nÉcessaire de définir une stratÉgie nationale du e‑commerce et de la logistique associÉe

Pour préserver les activités de commerce en ligne des acteurs français, qu’ils soient spécialisés dans le e-commerce (Veepee, La Redoute, Cdiscount, filiale de Casino, etc.) ou opérateurs « multicanal » (Fnac-Darty, mais également de nombreux petits commerces), il est aujourd’hui essentiel que la France se dote d’une véritable stratégie d’ensemble en matière de e-commerce et des activités logistiques associées, qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Il s’agit de définir le modèle de e‑commerce que nous souhaitons encourager et le cadre économique, social et environnemental dans lequel il doit s’exercer.

Le développement du commerce en ligne a de fortes implications logistiques. Alors qu’une « stratégie logistique 2025 » avait été élaborée en 2016, notamment pour « faire de la plateforme logistique France une référence mondiale en encourageant la dynamique logistique sur tout le territoire », l’Union des entreprises de transport et de logistique de France, TLF, indique que cette stratégie n’a pas été suivie.

À l’inverse, certains États, en particulier les Pays-Bas, ont développé une véritable stratégie d’ensemble, l’État ne soutenant que les projets répondant à certains critères, en particulier de multimodalité. Si les projets s’écartant de ces critères ne sont pas interdits, le cadre incitatif est tel que la plupart s’inscrivent dans les normes définies par l’État. Ces États, comme l’Allemagne, investissent également dans la recherche en matière de logistique.

La situation française donne, au contraire, le sentiment d’un développement anarchique, d’une absence de planification, en particulier s’agissant de l’implantation territoriale, qui nuit à la fois à l’optimisation des flux recherchés par les producteurs et transporteurs, et au choix de sites en adéquation avec les besoins et contraintes des territoires. Chaque opérateur, chaque entreprise semble faire, en France, les choix qui lui paraissent cohérents par rapport à ses bassins de production et de consommation, mais sans schéma directeur national qui apparaît pourtant indispensable à un développement efficient, avec des chaines logistiques mutualisées pour en réduire les impacts dans une logique de sobriété.

Un grand nombre d’acteurs auditionnés par votre rapporteure ont confirmé cet état de fait, et partagé le diagnostic. Pour TLF, « la gestion est trop éclatée, du côté des pouvoirs publics comme du côté du privé ». Le groupe estime qu’au niveau de l’État, il manque une « vision stratégique », la logistique n’étant pleinement prise en compte ni par le ministère des transports, ni par celui de l’économie. Le groupe Afilog partage, lui aussi, le constat d’une absence de planification en France, à l’exception de certaines initiatives isolées. Ainsi, seule la région Île-de-France a, selon l’Afilog, développé un schéma d’implantation, dont dépend l’agrément préfectoral corollaire de l’attribution du permis de construire, avec une cartographie relativement précise des « régions logistiques » afin de limiter l’étalement urbain.

En matière de lutte contre l’artificialisation des sols, ces interlocuteurs soulignent que les procédures de réhabilitation des friches industrielles devraient également être simplifiées, de manière à permettre la mise en œuvre du principe de zéro artificialisation nette et à encourager les actions de transformation et de dépollution de ces terrains, jugées trop complexes, voire rédhibitoires, par certains acteurs auditionnés. La Convention citoyenne pour le Climat a également fait des propositions à cet égard.

Pourtant, malgré ces constats partagés, qui requièrent l’intervention du législateur, la plupart des acteurs ne sont pas favorables à une extension de la planification ou de la régulation, qui pourrait constituer un « empilement » de contraintes, selon l’Afilog, et ne formulent pas de propositions précises ([38]).

Votre rapporteure estime, au contraire, nécessaire un schéma directeur du e-commerce en France, décliné à l’échelle régionale, où la connaissance des flux et des infrastructures est la meilleure. Dans l’attente de la mise en œuvre de tels schémas régionaux, il est proposé dinstaurer un moratoire sur la construction de nouveaux sites dentreposage des marchandises destinées au commerce en ligne.

S’il a été indiqué à votre rapporteure qu’un groupe de travail associant la direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) avait été récemment institué, un portage politique, au niveau des ministères chargés de l’environnement, de l’économie et des transports fait pour l’instant encore défaut. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe s’était, par ailleurs, engagé à tenir un comité interministériel de la logistique, qui n’a pu être organisé en raison de l’épidémie de covid-19. Le moratoire proposé vise donc à permettre l’élaboration d’une stratégie nationale déclinée à l’échelon régional en matière de e-commerce et de logistique associée.

En outre, il convient, de façon urgente, de mettre fin à la concurrence déloyale subie par le commerce de proximité, en assujettissant les grands entrepôts du commerce en ligne aux règles de droit commun de l’urbanisme commercial dont ils sont actuellement exonérés.

III.   les dispositions de la proposition de loi

La présente proposition de loi vise à linstauration dun moratoire sur limplantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et à la mise en œuvre de mesures durgence pour protéger le commerce de proximité dune concurrence déloyale.

Larticle 1er a pour objet d’instaurer un moratoire de deux ans sur la délivrance de tout permis de construire pour les entrepôts logistiques de plus de 1 000 mètres carrés. Il s’agit, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, de « prévenir une déstabilisation supplémentaire des commerces physiques durement affectés par la crise sanitaire liée à lépidémie de covid19 et de donner au commerce de proximité le temps de développer des offres commerciales collectives, physiques ou utilisant les services numériques, adaptées aux nouvelles attentes des consommateurs ».

Ces deux années de moratoire doivent également être mises à profit par l’État et les collectivités territoriales pour définir la stratégie d’aménagement du territoire la plus pertinente, mettre fin à des stratégies d’implantation anarchiques, favoriser la sobriété énergétique de ces implantations et optimiser l’utilisation d’infrastructures existantes.

Larticle 2 prévoit de soumettre, à l’issue du moratoire de deux ans, tout projet de construction ou d’aménagement d’un entrepôt logistique de plus de 1 000 mètres carrés à une concertation préalable menée auprès de la population locale, permettant de prendre en compte ses effets économiques, sociaux et environnementaux sur le tissu local, et ayant notamment pour objet d’évaluer « l’opportunité » du projet.

Larticle 3 prévoit d’aligner les règles relatives aux entrepôts logistiques du commerce en ligne sur celles qui prévalent s’agissant des commerces classiques en matière d’urbanisme commercial, en particulier s’agissant de l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale, accordée par la commission départementale d’aménagement commercial.

Larticle 4 vise à réduire les distorsions de concurrence entre le commerce en ligne et le commerce physique en soumettant les entrepôts du commerce en ligne à la taxe sur les surfaces commerciales.


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   COMMENTAIREs DES articleS

Article 1er
Moratoire de deux ans sur la délivrance de permis de construire dentrepôts logistiques à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés

1.   L’état du droit

Le code de l’urbanisme détermine les règles relatives aux permis de construire. Ainsi, l’article L. 421-1 du code l’urbanisme soumet à la délivrance d’un permis de construire les constructions, même ne comportant pas de fondations, dans des conditions précisées par les articles R. 421-1 et R. 421-14 à 421-16. Toutes les constructions nouvelles doivent être précédées de la délivrance d’un permis de construire, à l’exception :

– des constructions ([39]) de petites tailles, dispensées de toute formalité au titre du code de l’urbanisme, en particulier des constructions représentant cumulativement une hauteur au-dessus du sol inférieure ou égale à douze mètres, une emprise au sol inférieure ou égale à cinq mètres carrés et une surface de plancher inférieure ou égale à cinq mètres carrés ;

– des constructions ([40]) de taille moyenne, qui doivent faire l’objet d’une simple déclaration préalable, en particulier des constructions représentant une emprise au sol ou une surface de plancher comprise entre cinq et vingt mètres carrés et une hauteur au-dessus du sol inférieure ou égale à douze mètres.

En outre, sont également soumis à permis de construire les travaux exécutés sur des constructions existantes, ayant pour effet la création d’une surface de plancher ou d’une emprise au sol supérieure à vingt mètres carrés (ou de quarante mètres carrés dans les zones urbaines dotées d’un plan local d’urbanisme).

Le permis de construire est, de manière générale, délivré par la commune sur le territoire laquelle se situe le projet de construction. Il ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique.

Ainsi, si les entrepôts logistiques du commerce en ligne sont bien soumis à la procédure de permis de construire car représentent des structures de grande surface d’emprise au sol, ce permis ne peut leur être refusé pour des raisons d’opportunité, dès lors qu’ils respectent les obligations législatives et réglementaires qui y sont attachées. Aussi, plusieurs projets d’entrepôts logistiques, en particulier de la plateforme Amazon, font l’objet d’instructions en cours, qui pourraient aboutir à la délivrance de permis de construire, alors même que les conséquences environnementales, économiques et sociales de ces projets sont très lourdes.

2.   Les dispositions de l’article

Lalinéa 1 de l’article 1er de la proposition de loi instaure un moratoire suspendant la délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction d’un entrepôt logistique du commerce en ligne d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés, de même que l’extension ou la transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt de cette surface, dès lors que cet entrepôt n’est pas intégré à un magasin de commerce de détail et qu’il a pour objet de stocker des biens ensuite livrés, directement ou indirectement, au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique.

Il s’agit de mettre un frein temporaire à la construction de ces entrepôts, dès lors qu’ils ne sont pas attachés à un magasin de commerce de détail.

Lalinéa 2 précise que ce moratoire s’applique pour une durée de deux ans à compter de la promulgation de la loi, y compris aux demandes de permis de construire faisant l’objet de dossiers en cours d’instruction, et n’ayant pas été accordés à ce stade.

Dans la mesure où un certain nombre de dossiers sont, à ce jour, en cours d’instruction, ce moratoire, s’il était adopté rapidement, devrait permettre d’éviter une situation de fait accompli au regard de l’avancée des projets de construction d’entrepôts logistiques pour les deux prochaines années.

Cette durée de deux ans doit permettre aux commerces de détail de se structurer pour développer une offre alternative au commerce en ligne proposée par les pure players. Il s’agirait, en particulier, de donner au commerce de détail la possibilité de développer ses propres outils numériques, adaptés aux nouvelles attentes des consommateurs.

Ces deux années doivent également permettre à l’État et aux collectivités territoriales de consolider une stratégie claire en matière de e-commerce et d’aménagement du territoire, pour mettre fin aux stratégies d’implantations anarchiques et particulièrement peu sobres au plan environnemental.

3.   La position de votre commission

Votre commission a rejeté cet article.

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Article 2
Soumission de tout projet de construction, dextension ou de transformation dun entrepôt logistique à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés à concertation préalable
à lissue du moratoire de deux ans

1.   L’état du droit

La section 4 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’environnement prévoit les conditions de mise en œuvre des procédures de concertation préalable.

L’article L. 121-15-1 dispose ainsi que cette concertation peut concerner les projets, plans et programmes d’aménagement ou d’équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d’État, pour lesquels la Commission nationale du débat public a demandé une telle concertation préalable ([41]) ; les projets d’aménagement ou d’équipement pour lesquels une concertation préalable est menée par le maître d’ouvrage en application du II de l’article L. 121-9 ; les projets, plans et programmes assujettis à une évaluation environnementale en application des articles L. 122-1 et L. 122-4 et ne relevant pas du champ de compétence de la Commission nationale du débat public en application de l’article L. 121-8.

Le code de l’urbanisme prévoit également une procédure de concertation préalable, qui, toutefois, ne s’applique pas aux entrepôts logistiques du commerce en ligne. Ainsi, l’article L. 103-2 dispose que « font lobjet dune concertation associant, pendant toute la durée de lélaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées […] les projets et opérations daménagement ou de construction ayant pour effet de modifier de façon substantielle le cadre de vie, notamment ceux susceptibles daffecter lenvironnement […] ou lactivité économique, dont la liste est arrêtée par décret en Conseil dÉtat ». La liste de ces projets, figurant à l’article R. 103-1 du code de l’urbanisme, n’inclut pas les grands entrepôts logistiques ([42]) .

À ce jour, les projets de construction d’entrepôts logistiques du commerce en ligne ne sont donc pas systématiquement soumis à cette concertation préalable, ni au titre du code de l’environnement, ni au titre du code de l’urbanisme, et leurs promoteurs saisissent cette lacune pour organiser la plus grande opacité autour de leurs projets de développement. Ainsi, certains groupes, en particulier Amazon, mettent en œuvre une stratégie de choix des sites sans aucune transparence sur le destinataire final de l’équipement, en s’implantant à proximité d’un centre nodal de transports, sans qu’aucun débat public ne soit organisé. Comme l’indique Mme Alma Dufour, représentant l’association Les Amis de la Terre « le projet est gardé secret jusquau dernier moment, protégé par des clauses de confidentialité que les élus, attirés par les promesses demploi, nhésitent pas à signer. Quand il sort au grand jour, il reste parfois peu de temps aux associations pour déposer des recours » ([43]).

2.   Les dispositions de l’article

La proposition de loi prévoit qu’à l’issue du moratoire de deux ans prévu par l’article 1er, tout projet de construction, d’extension ou de transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique du commerce en ligne d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés non intégré à un magasin de détail et destiné au commerce par voie électronique fait obligatoirement l’objet d’une concertation préalable, telle que prévue par le code de l’environnement.

Une telle concertation préalable apparaît ici particulièrement utile dans la mesure où elle a pour objet, notamment, de débattre « de lopportunité, des objectifs et des caractéristiques principales du projet ou des objectifs et des principales orientations du plan ou programme, des enjeux socio-économiques qui sy attachent ainsi que de leurs impacts significatifs sur lenvironnement et laménagement du territoire » ([44]) mais également des solutions alternatives, en particulier de l’absence de réalisation du projet.

Cette concertation, d’une durée de quinze jours au minimum et de trois mois au maximum, permettrait de mettre fin à l’opacité qui entoure ces projets et de donner aux citoyens, et particulièrement aux riverains, la possibilité de faire valoir leur point de vue. En application du code de l’environnement, le public serait informé, quinze jours avant le début de la concertation, des modalités et de la durée de la concertation par voie dématérialisée et par voie d’affichage sur le ou les lieux concernés par la concertation. Le bilan de cette concertation serait rendu public. Le maître d’ouvrage ou la personne publique responsable devrait indiquer les mesures qu’il juge nécessaire de mettre en place pour répondre aux enseignements qu’il tire de la concertation. Cette concertation préalable pourrait, également, s’opérer sous l’égide d’un garant, en application de l’article L. 121-16-1 du code de l’environnement.

3.   La position de votre commission

Votre commission a rejeté cet article.

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Article 3
(art. L. 752-1, L. 752-3, L. 752-5, L. 725-16-1 [nouveau] et L. 752-23 du code de commerce)
Définition des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique et soumission à autorisation dexploitation commerciale

1.   L’état du droit

L’ouverture d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés nécessite l’obtention préalable d’une autorisation administrative délivrée par la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), présidée par le préfet, et composée de sept élus – dont le maire de la commune d’implantation – et quatre personnalités qualifiées en matière de consommation, de développement durable et d’aménagement du territoire ([45]). La commission se prononce sur les projets qui lui sont soumis par un vote. L’autorisation n’est acquise que si le projet recueille le vote favorable de la majorité absolue des membres présents.

Sont notamment, aujourd’hui, soumis à autorisation les projets suivants ([46]) :

– création, transformation ou extension d’un magasin de commerce de détail existant d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés ;

– création ou extension d’un ensemble commercial d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés ;

– réouverture d’un magasin d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés après une fermeture pendant 3 ans ;

– création ou extension d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisés pour l’accès en automobile.

Cette dernière mention a été ajoutée par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », pour appliquer aux drive les dispositions relatives aux surfaces de vente. Le texte de la loi « ALUR » précise que l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale ne s’applique pas aux points de retrait intégrés à un magasin de détail ouvert au public à la date de publication de cette loi et n’emportant pas la création d’une surface de plancher de plus de 20 mètres carrés. En outre, une disposition temporaire exonérait également d’autorisation d’exploitation commerciale les projets pour lesquels un permis avait été accordé ou une décision de non-opposition à une déclaration préalable était intervenue avant l’entrée en vigueur de la loi « ALUR ».

La CDAC prend en considération les effets du projet au regard de différents critères ([47]) :

– l’aménagement du territoire : localisation du projet et intégration urbaine, consommation économe de l’espace, effet sur l’animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagnes et du littoral, effet du projet sur les flux de transport, contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation et des communes limitrophes ;

– le développement durable : qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre, imperméabilisation des sols, préservation de l’environnement, insertion paysagère et architecturale du projet, nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche ;

– la protection des consommateurs : accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l’offre par rapport aux lieux de vie, contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains, variété de l’offre proposée par le projet, mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs.

La CDAC dispose d’un délai de deux mois, à compter de la réception du dossier complet, pour se prononcer sur le projet. À défaut, l’avis est réputé favorable. Cet avis est susceptible de recours, qui doit être exercé, préalablement à tout recours contentieux, devant la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), dans le délai d’un mois suivant la notification ou la publication de l’avis ou de la décision ([48]).

Par ailleurs, l’article L. 752-5 du code de commerce prévoit que le maire, le président d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou le président d’un syndicat mixte peut saisir l’Autorité de la concurrence afin que celle-ci procède aux injonctions et aux sanctions pécuniaires prévues à l’article L. 464-2 du code de commerce en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail, ou points permanents de retrait en automobile.

L’article L. 752-23 prévoit que les agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence habilités à cet effet par le rapporteur général et les agents habilités par la commune ou par l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre s’il est compétent, constatent l’exploitation illicite d’une surface de vente ou, s’agissant de points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail, l’exploitation d’une surface d’emprise au sol ou d’un nombre de pistes de ravitaillement non autorisé. Ils établissent un rapport qu’ils transmettent au préfet du département d’implantation du projet. Celui-ci met en demeure l’exploitant concerné soit de fermer au public les surfaces de vente exploitées illégalement, soit de ramener la surface commerciale à l’autorisation d’exploitation commerciale accordée par la CDAC, dans un délai de trois mois à compter de la transmission du constat d’infraction. À défaut, il prend un arrêté ordonnant, dans un délai de quinze jours, la fermeture au public des surfaces de vente exploitées illicitement, jusqu’à régularisation effective.

Aucune de ces dispositions ne s’applique, à ce jour, aux entrepôts logistiques, créant une rupture d’égalité dans l’application des règles relatives à l’exploitation commerciale.

2.   Les dispositions de l’article

L’article 3 étend les dispositions relatives à l’autorisation d’exploitation commerciale aux surfaces de stockage des entrepôts logistiques.

Les alinéas 1 à 3 étendent l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale aux projets ayant pour objet la création ou l’extension d’une surface de stockage des entrepôts logistiques du commerce en ligne supérieure à 1 000 mètres carrés qui ne sont pas intégrés à des magasins de commerce de détail et au départ desquels des biens stockés sont livrés au consommateur final à la suite d’une commande effectuée par voie électronique, qu’ils résultent d’une construction nouvelle ou de la transformation d’un immeuble existant. Ceux-ci seraient donc soumis à l’avis de la CDAC, qui les évaluerait selon les mêmes critères que ceux qui prévalent aux autorisations d’exploitation commerciale actuelles.

Lalinéa 9 créé, par ailleurs, un article additionnel L. 752-16-1 précisant que, pour les entrepôts logistiques à destination du commerce par voie électronique, l’autorisation est accordée par surface de stockage et par mètre carré d’emprise au sol des surfaces, bâties ou non, affectées au retrait des marchandises.

Lalinéa 4 précise toutefois que les projets pour lesquels un permis a été accordé expressément ou tacitement, ou une décision de non-opposition à une déclaration préalable de travaux est intervenue avant la promulgation de la proposition de loi ne sont pas soumis à cette obligation d’obtention d’une autorisation d’exploitation commerciale, de la même manière que cela avait été prévu par la loi « ALUR » lors de l’application de cette mesure aux drive.

Les alinéas 5 et 6 complètent l’article L. 752-3 du code de commerce pour introduire une définition des entrepôts logistiques du commerce en ligne. Cet article comporte déjà plusieurs définitions, notamment celle des points de retrait par automobile ou des magasins devant être considérés comme faisant partie d’un même ensemble.

Sont ainsi considérés comme entrepôts logistiques à destination du commerce par voie électronique « toutes installations, aménagements ou équipements qui ne sont pas intégrés à un commerce de détail et qui sont conçus pour la livraison directe ou indirecte au consommateur final ou à un point relais de marchandises commandées par voie électronique ».

Lalinéa 7 complète l’article L. 752-5 du code de commerce pour étendre les cas dans lesquels le maire, le président d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou le président d’un syndicat mixte peuvent saisir l’Autorité de la concurrence aux situations d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs entrepôts logistiques à destination du commerce par voie électronique.

Les alinéas 10 et 11 complètent l’article L. 752-23 du code de commerce pour donner aux agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence et aux agents habilités par la commune ou par l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre le pouvoir de constater l’exploitation illicite d’une surface d’emprise au sol non autorisée par un entrepôt logistique à destination du commerce par voie électronique. Lalinéa 13 précise que la surface que le préfet peut demander de régulariser ou de cesser d’exploiter s’entend de chacune des deux surfaces suivantes : surface de stockage et surfaces affectées au retrait des marchandises.

3.   La position de votre commission

Votre commission a rejeté cet article.

 

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Article 4
(art. 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés)
Soumission des surfaces de stockage des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique à la taxe sur les surfaces commerciales

1.   L’état du droit

En application de l’article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, les commerces exploitant une surface de vente au détail de plus de 400 mètres carrés et réalisant un chiffre d’affaires hors taxe à partir de 460 000 , sont soumis à la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCoM).

Le taux de la taxe est de 5, 74 € au mètre carré pour les établissements dont le chiffre d’affaires au mètre carré est inférieur à 3 000 €. Il est de 34,12 € pour les établissements dont le chiffre d’affaires au mètre carré est supérieur à 12 000 €. Lorsque le chiffre d’affaires au mètre carré est compris entre 3 000 et 12 000 €, le taux de la taxe est déterminé par une formule spécifique.

La TaSCoM devrait rapporter environ 208 M€ aux collectivités territoriales en 2018, perçus intégralement par les communes et les intercommunalités ([49]).

Plusieurs précisions peuvent être apportées :

– ne sont pas considérés comme magasins de commerce de détail les établissements de commerce de gros dont la clientèle est composée de professionnels pour les besoins de leur activité ou de collectivités. Toutefois, lorsque ces établissements réalisent à titre accessoire des ventes à des consommateurs pour un usage domestique, ces ventes constituent des ventes au détail qui sont soumises à la taxe dans les conditions de droit commun ;

– le seuil de superficie de 400 mètres carrés ne s’applique pas aux établissements contrôlés directement ou indirectement par une même personne et exploités sous une même enseigne commerciale lorsque la surface de vente cumulée de l’ensemble de ces établissements excède 4 000 mètres carrés ;

– la surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe comprend les espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, ceux affectés à l’exposition et au paiement des marchandises proposées à la vente, et ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente. Elle ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins.

Cet article ne s’applique donc pas aux surfaces de stockage du commerce en ligne, ni au sein de magasins, ni au sein d’entrepôts spécialisés.

2.   Les dispositions de l’article

L’article 4 de la loi prévoit d’assujettir à la taxe sur les surfaces commerciales la surface des entrepôts de logistique du commerce en ligne de plus de 400 mètres carrés, qui ne sont pas intégrés à des magasins de commerce de détail et au départ desquels les biens stockés sont livrés directement ou indirectement à des personnes physiques ou morales non assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à la suite d’une commande effectuée par voie électronique.

Il s’agit, en particulier, d’intégrer dans l’assiette de la taxe sur les surfaces commerciales les pure players, entreprises spécialisées dans le commerce en ligne, en considérant que ces entreprises n’agissent pas uniquement comme simple opérateurs de stockage, mais bien comme opérateurs d’une vente commerciale dont ils constituent le dernier maillon. Pour ne pas taxer doublement les acteurs du commerce déjà redevables de la TaSCoM, l’article prévoit que n’y sont pas soumis les entrepôts intégrés à un magasin de commerce de détail.

Lalinéa 3 précise que la taxe est due quelle que soit la forme juridique de l’entreprise qui exploite ces surfaces de stockage, dès lors que son chiffre d’affaires annuel est supérieur à 460 000 €, s’alignant ainsi sur le dispositif existant.

Lalinéa 4 précise enfin que, lorsque des entreprises sont liées au sens du 12 de l’article 39 du code général des impôts – c’est-à-dire lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; ou lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, sous le contrôle d’une même tierce entreprise – l’exonération s’applique à toutes les entreprises liées, la surface de vente assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales étant la somme des surfaces de vente des magasins de commerce de détail exploitées par l’ensemble lié.

3.   La position de votre commission

Votre commission a rejeté cet article.

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, la proposition de loi est considérée comme rejetée.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa réunion du jeudi 1er octobre 2020, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi proposition de loi instaurant un moratoire sur limplantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures durgence pour protéger le commerce de proximité dune concurrence déloyale (n° 3040) (Mme Delphine Batho).

M. le président Roland Lescure. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen de la proposition de loi de Mme Delphine Batho instaurant un moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures d’urgence pour protéger le commerce de proximité d’une concurrence déloyale.

Je vous indique que quatre amendements avaient été déposés sur cette proposition de loi par Mme Panot et M. Potier, mais j’ai dû les déclarer irrecevables car il s’agissait de cavaliers législatifs.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Cette proposition de loi transpartisane est présentée par plus de quarante députés issus de presque tous les groupes de l’Assemblée nationale : le groupe Écologie, Démocratie Solidarité, auquel j’appartiens, ainsi que les groupes le Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés (Dem), La République en Marche (LaREM), la France Insoumise (FI), Libertés et Territoires (LT), Les Républiques (LR), Socialistes et apparentés (SOC), et la Gauche démocrate et républicaine (GDR).

Elle a pour objet d’instaurer un moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts destinés aux grands opérateurs internationaux du commerce en ligne, et de mettre en place des mesures d’urgence pour protéger les commerces de proximité d’une concurrence déloyale.

Ce texte a été inspiré par des mobilisations importantes de la société civile dans les territoires et des échanges avec la Confédération des commerçants de France et l’association « Les Amis de la Terre ». Je remercie notre collègue Annaïg Le Meur d’avoir assisté avec moi aux auditions menées pour préparer cette proposition de loi.

Cette proposition de loi montre que les combats pour l’écologie et pour l’emploi et l’économie locale se rejoignent. Elle tend d’abord à protéger le commerce de proximité et à relocaliser l’économie. Le commerce de proximité regroupe 600 000 entreprises – dont 95 % de très petites entreprises – qui réalisent 20 % du produit intérieur brut français, occupent 3 millions d’actifs et emploient 1,2 million de salariés.

Déjà fragilisé depuis des années, le commerce de proximité est durement affecté par la pandémie et les dispositions prises pendant le confinement. L’État a décidé d’un certain nombre de mesures de soutien importantes, mais de très nombreuses faillites sont encore redoutées.

À ce contexte économique dramatique s’ajoute une menace structurelle. Elle n’est pas liée au développement du commerce en ligne en soi, mais à la captation de l’essentiel des activités qui s’y rapportent par de grandes multinationales, au détriment du commerce et de l’emploi local. Il n’est pas question ici du commerce en ligne de manière générale, ou des start-up innovantes du Made in France qui permettent, grâce aux outils numériques, de rapprocher le consommateur du producteur, de mettre en avant les circuits courts, l’origine des productions, le choix de consommer local. Ces dynamiques positives et ces réussites doivent être encouragées sans aucune ambiguïté. Mais ces exemples ne doivent pas nous conduire à faire preuve d’une sorte d’aveuglement à l’égard des grands opérateurs internationaux, en particulier Amazon, qui occupe la première place du e-commerce en France, avec 17 % du segment des biens manufacturés selon les chiffres de 2018. En comparaison, Cdiscount n’occupe que 7 % du segment, le groupe FNAC-Darty 5,5 %, et aucun de ces deux acteurs ne représente une réelle menace concurrentielle pour Amazon, alors qu’ils emploient deux fois plus de personnes.

La position dominante d’Amazon repose sur une stratégie agressive : la vente à perte pour éliminer la concurrence. Cette entreprise est engagée dans une stratégie visant à asseoir une position monopolistique sur le marché français du commerce en ligne, d’où l’urgence d’adopter cette proposition de loi.

L’entreprise compte une vingtaine d’entrepôts de stockage en France, représentant environ 560 700 mètres carrés de surface, et compte doubler ses capacités d’ici 2021. Un certain nombre de projets sont d’ores et déjà autorisés ou en voie de l’être, faisant souvent l’objet de contentieux, et d’autres sont annoncés tous les jours : nous avons appris hier l’existence d’un projet à Montbert, en Loire‑Atlantique, et il y a quelques jours, à Ensisheim dans le Bas-Rhin.

Au moment où tout le monde évoque une relocalisation de l’économie, cette augmentation extrêmement rapide de la domination d’Amazon sur le commerce en ligne en France représente un risque majeur pour l’emploi et le commerce de proximité.

Le modèle d’Amazon est d’abord destructeur pour le tissu économique et social du commerce de proximité et de la ruralité, alors même que la puissance publique investit 5 milliards d’euros (Md€) sur cinq ans dans le programme « Action Cœur de ville » pour préserver les commerces dont les fermetures ont de graves conséquences sur la vitalité des centres‑villes, le lien social, les services de proximité, et plus globalement l’attractivité des territoires.

Il est destructeur pour l’emploi, comme l’a démontré notre collègue Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du numérique, dans un rapport de novembre 2019. À chiffre d’affaires équivalent, les entrepôts Amazon embauchent 2,2 fois moins de salariés que les commerces traditionnels. Les chiffres de cette étude datent de 2019 ; ils devraient, hélas ! être révisés puisqu’une étude plus récente montre qu’aux États-Unis, un emploi créé par Amazon entraîne la destruction de 4,5 emplois.

Il est destructeur pour les droits des salariés. La condamnation d’Amazon par le tribunal judiciaire de Nanterre dans une ordonnance du 14 avril 2020 a montré que l’entreprise a méconnu des obligations fondamentales de sécurité et de prévention pour la santé des salariés durant le confinement lié à la crise de la Covid-19.

Il est destructeur pour les finances publiques, du fait de l’enregistrement des ventes dans des paradis fiscaux et des fraudes massives à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les ventes des produits partenaires. L’inspection générale des finances avait déjà alerté en 2019 : seulement 10 millions d’euros (M€) de TVA ont été collectés par Amazon France en 2018, pour un chiffre d’affaires sur le territoire estimé à 6,5 Md€.

Il est contraire aux impératifs de l’urgence écologique et va à rebours de l’histoire, dans la mesure où les grands opérateurs du commerce en ligne proposent principalement à la vente aux particuliers des articles importés à bas prix, qui représentent 57 % de l’empreinte carbone de la France. Les nouveaux entrepôts en projet signifieraient 960 millions de produits supplémentaires par an. Ce modèle est basé sur la culture du consumérisme et le gaspillage de produits vite commandés, vite jetés, bien loin des principes de sobriété, de réemploi et de réparation qu’a souhaité récemment favoriser le législateur par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Le bilan carbone de l’entreprise Amazon est de 44,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2018, sans prendre en compte les émissions résultant de la fabrication des produits vendus sur ses sites internet – majoritairement des produits électroniques et textiles fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Chaque entrepôt induit l’activité de 1 500 à 2 000 poids lourds et 4 000 utilitaires supplémentaires par jour, ainsi qu’une augmentation du trafic aérien pour la livraison par fret en vingt-quatre heures.

Nous avons auditionné les grands acteurs du commerce en ligne et de la logistique. Tous reconnaissent qu’il n’existe pas de schéma d’aménagement pour développer le commerce en ligne dans une logique de sobriété, et au bénéfice de l’économie locale.

Qui plus est, Amazon bénéficie d’une distorsion de concurrence abyssale. Les grands entrepôts logistiques du commerce en ligne échappent complètement à l’ensemble des règles qui s’appliquent à la grande distribution comme au commerce de proximité, qu’il s’agisse des autorisations d’exploitation commerciale ou de fiscalité. Aucune autorisation n’est à demander, et aucune fiscalité spécifique n’est à acquitter.

Par conséquent, nous estimons que la Représentation nationale doit faire un choix : laisser faire une « amazonisation » de la France et accepter une destruction fatale du tissu du commerce de proximité et de tous les liens sociaux qui font la vie quotidienne des bourgs et des centres‑villes, ou stopper cette logique mortifère de concurrence déloyale et prendre des décisions d’intérêt général bonnes pour l’emploi, pour l’activité économique des très petites entreprises, pour l’aménagement du territoire, pour l’environnement et pour un développement du commerce numérique vertueux au regard de l’objectif de relocalisation de l’économie.

L’article 1er de la proposition de loi instaure un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire et d’aménager un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés.

À l’issue du moratoire de deux ans, l’article 2 soumet les projets de construction de tels entrepôts à la procédure de concertation préalable prévue par le code de l’environnement. Notre collègue Annie Chapelier pourra témoigner qu’il règne une grande opacité sur les projets de ce type au niveau local, qui ne font pas l’objet de débats citoyens.

L’article 3 modifie différentes dispositions du code de commerce pour créer une catégorie nouvelle : l’entrepôt logistique à destination du e-commerce – rappelons que la proposition de loi ne porte absolument pas sur tous les entrepôts logistiques. Il propose également d’appliquer à ces entrepôts destinés au commerce en ligne l’ensemble des dispositions qui s’appliquent actuellement aux grandes surfaces.

L’article 4 modifie la loi du 13 juillet 1972 pour assujettir ces entrepôts logistiques du e-commerce à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) à laquelle sont soumises l’ensemble des grandes installations commerciales de notre pays.

Mme Annaïg Le Meur (LaREM). Cette proposition de loi, en instaurant un moratoire sur la construction et l’extension des entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne, suspendrait les projets en cours pour une durée de deux ans. Ce délai permettrait de mettre en place une concertation préalable sur les projets de construction et d’aligner les règles d’implantation des entrepôts sur celles applicables aux commerces physiques. Il est enfin proposé d’assujettir ces entrepôts à la TASCOM.

Disons-le d’entrée, cette proposition vise de manière exclusive à lutter contre l’implantation d’Amazon en France. À titre personnel, je suis très circonspecte sur le modèle de cette entreprise. Mais si cette entreprise est le premier acteur du commerce en ligne en France, elle est loin d’occuper une position dominante sur le segment des pure players. En 2018, le chiffre d’affaires d’Amazon en France était estimé à 6,6 Md€, sur un marché valorisé à 100 Md€. Les chiffres varient selon les interlocuteurs, mais Amazon occupe a priori une part de marché de l’ordre de 17 % du e-commerce. Amazon est en croissance en France, mais comme l’ensemble du secteur du commerce en ligne, qui a connu une augmentation des ventes à la faveur du confinement. Nous avons nos propres entreprises bien implantées dans ce secteur : Cdiscount ou FNAC Darty. Sur les quinze sites de commerce en ligne les plus visités en France, sept sont français, sans compter toutes les enseignes qui mêlent commerce physique et commerce en ligne.

La proposition de notre collègue Delphine Batho est animée de bonnes intentions, mais elle n’apporte pas les bonnes solutions. Un moratoire pour deux ans serait aussi inefficace que dangereux pour réguler le secteur du e-commerce. Un entrepôt de logistique est souvent omni-canal : il sert à la fois des points de vente physiques et la vente en ligne. Distinguer les deux ne serait pas aisé, et rien n’empêcherait Amazon de s’adapter à ce nouveau cadre législatif en accueillant les stocks d’autres entreprises dans ses entrepôts.

Amazon dispose de l’expertise et des finances nécessaires pour continuer à livrer depuis l’étranger. L’épisode du confinement l’a prouvé : alors qu’Amazon France a dû interrompre ses livraisons sur décision de justice, ses filiales en Espagne ou en Allemagne ont continué à livrer sur le territoire national. Je ne souhaite pas que les logisticiens français interrompent leurs projets d’implantations, importants pour l’économie, et soient réduits à regarder passer les camions d’Amazon sous leurs yeux. Ces poids lourds en provenance de l’étranger seraient enfin une aberration écologique.

Le e-commerce est une réelle opportunité, y compris pour le commerce physique. On estime que 60 % des petites et moyennes entreprises (PME) ont constaté une hausse de plus de 10 % de leur chiffre d’affaires en magasin après le lancement de leur site en ligne. Les gens comparent sur internet, puis viennent acheter dans les magasins. Les commerces physiques utilisent également les services de pure players, dont Amazon. Ainsi Armor-Lux, dans ma circonscription, réalise une grande part de son chiffre d’affaires en ligne en passant par Amazon.

Dans l’immédiat, le plan de relance prévoit de consacrer 61 M€ pour accompagner la numérisation des très petites entreprises (TPE) et des PME, ce qui pourra les aider à créer d’autres plateformes qu’Amazon. Nous aurons d’autres débats à ce sujet dans les mois à venir.

Néanmoins, cette proposition de loi soulève de vraies questions, et je partage certaines positions de la rapporteure. Il n’existe pas de plan national consacré aux flux logistiques en France. Chaque entreprise s’implante individuellement en fonction de ses besoins, au détriment d’un ensemble global. Une cartographie des implantations d’entrepôts à l’échelle régionale serait pertinente. Pourquoi ne pas instaurer un agrément comparable à celui qui existe en région Ȋle-de-France ?

De même, les données sur l’emploi restent parcellaires. Nous avons une idée assez vague des conséquences, positives ou négatives, du e-commerce sur l’emploi. La rapporteure a cité la note de notre collègue Mounir Mahjoubi, selon laquelle Amazon emploie 2,2 fois moins de salariés que le commerce de détail. Sans faire injure à notre collègue, ces données restent lacunaires et ne prennent pas en compte les emplois indirects et saisonniers créés par Amazon. Je préfère attendre les résultats de la mission intergouvernementale lancée en septembre par Bercy pour disposer d’un état des lieux précis de la logistique du commerce en ligne avant de prendre une décision en ce sens.

Les questions fiscales devront également être traitées. La proposition de loi assujettit les entrepôts au paiement de la TASCOM. Nous ne souhaitons pas ouvrir ce débat : il s’agit d’une demande ancienne sur laquelle aucun arbitrage n’est arrêté. Les collectivités ont d’ores et déjà la possibilité de taxer les entrepôts en tant que local industriel, et ne doivent pas se priver de le faire. Sur ce sujet également, attendons le résultat de la mission gouvernementale avant de prendre une décision.

Le sujet de l’artificialisation des sols a été évoqué par les citoyens lors de la Convention citoyenne pour le climat. D’après les chiffres, la logistique n’est pas le secteur qui artificialise le plus : il est à l’origine de seulement 1 % des nouvelles artificialisations. Cette question sera également abordée par la mission gouvernementale, et dans le projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui viendra prochainement.

Je fais confiance à M. Bruno Le Maire pour appliquer la taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dans les années à venir, il lui faut réaliser un tour de force avec les États-Unis pour améliorer le commerce en ligne en France et favoriser un commerce national offrant de réelles garanties sociales.

Mme Marguerite Deprez-Audebert (MoDem). Le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés est très sensible à cette proposition de loi, dont il partage les objectifs de préservation du foncier, de la biodiversité et du tissu économique local. Nous défendons depuis de nombreuses années la revitalisation des centres-bourgs, menacés par la multiplication des grands entrepôts construits à l’extérieur des villes, comme celui qu’Amazon envisage de construire à Fournès, dans le Gard.

Si cette proposition de loi semble juste sur le fond, elle paraît toutefois incomplète. Vous proposez un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire ayant pour objet la construction, l’extension ou la transformation d’un bâtiment existant en un entrepôt logistique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés. Mais ce moratoire n’empêchera pas Amazon de continuer à effectuer des livraisons dans l’hexagone à partir d’entrepôts situés hors de France. Les émissions de gaz à effet de serre ne feront qu’augmenter, puisque les camions viendront désormais de Belgique, d’Espagne, d’Italie ou d’Allemagne. Méfions-nous des conséquences indirectes que cette proposition de loi pourrait avoir ! L’idée de soumettre les entrepôts logistiques à la taxe sur les surfaces commerciales pourrait avoir les mêmes effets : elle pourrait pousser Amazon à délocaliser ses entrepôts dans des pays limitrophes, ce qui déboucherait sur les mêmes augmentations de trafic aérien ou routier. Cette mesure, partielle, mérite selon nous d’être retravaillée. Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons voter votre texte en l’état – et c’est une « non-amazoniste » qui vous parle !

L’impact de ces entrepôts sur l’artificialisation des sols et l’étalement urbain est néanmoins indiscutable. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a d’ailleurs appelé de ses vœux une réflexion sur l’installation de nouveaux centres commerciaux dans les zones périurbaines. Nous sommes donc favorables à cette proposition de loi sur le principe, mais nous pensons qu’il serait utile que des groupes de travail se penchent sur la question d’une manière plus globale, afin d’en analyser tous les aspects et toutes les conséquences. Il faut organiser une large concertation sur la question du commerce en ligne, qui est aussi une menace pour le commerce de proximité et qui contribue à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Durant le confinement, les petits commerces ont subi la concurrence déloyale de certains géants du e-commerce, qui ont bénéficié d’une forte demande des entreprises pour leurs services de cloud, ainsi que des achats en ligne de consommateurs confinés, avides de divertissements à domicile. Ces géants du numérique ont d’ailleurs très peu participé à l’effort de solidarité nationale. Attendons les résultats des réflexions en cours – la concertation lancée pour préparer le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, et le rapport de la mission de l’inspection générale des finances (IGF), notamment. Nous nous emploierons à donner au plus vite suite à leurs préconisations, qui auront le mérite d’avoir anticipé les conséquences de l’ensemble des décisions proposées.

Mme Laure de La Raudière (Agir ensemble). Madame la rapporteure, je vous remercie, au nom du groupe Agir ensemble, de nous donner l’occasion de débattre du développement du e-commerce et de la défense du commerce de proximité. C’est un sujet dont on débat trop rarement alors qu’il est très important, puisqu’il concerne la société de consommation dans laquelle nous vivons, une société caractérisée par la volonté de pouvoir acheter tout et n’importe quoi à tout moment, d’avoir accès à un vaste catalogue de services et de pouvoir se dépanner facilement en se procurant, par exemple, des outils ou des éléments de bricolage assez complexes sans avoir à parcourir des kilomètres, surtout lorsqu’on vit à la campagne. C’est aussi l’avenir de nos centres-bourgs qui est en jeu, lorsque nos commerces de proximité disparaissent et qu’il ne reste plus qu’un boulanger, parfois un boucher.

Vous dites que le modèle économique d’Amazon est destructeur pour l’emploi. C’est vrai, globalement, mais on pourrait dire la même chose d’un grand nombre des évolutions qui marquent nos sociétés : nombre d’entre elles détruisent des emplois, mais elles en recréent d’autres à côté. Autrement dit, le bilan global mérite d’être examiné avec un peu plus de recul.

Vous dites que ce modèle est destructeur pour les droits des salariés. Il est vrai que les conditions de travail chez Amazon ont suscité des débats, mais le même droit du travail s’applique, en France, pour Amazon et pour le commerce de proximité. Et, au bout du compte, le droit du travail est souvent plus efficacement appliqué dans les grands groupes, du fait de l’intervention des syndicats ou de l’implication de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), même si je n’ignore pas qu’il a pu se produire des scandales, notamment celui qui a été jugé par le tribunal judiciaire de Nanterre.

On ne peut donc en rester, sur le e-commerce, à un jugement à charge.

J’en viens maintenant au moratoire, mesure phare de votre proposition de loi. Je crois sincèrement que cela va tomber « à côté de la plaque ». Pour commencer, c’est une interdiction de plus, qui va encore entraver le développement des activités en France : d’une façon générale, je n’y suis pas favorable. Avec un moratoire, les grands entrepôts vont continuer de se construire, mais à nos frontières : nous aurons donc plus de camions sur nos routes. Peut-être aurait-on pu l’instaurer plus tôt, mais maintenant que nous sommes entrés dans la société du e-commerce, c’est trop tard : les gens vont continuer à acheter en ligne, ils vont continuer à acheter sur Amazon et Alibaba, que l’on vote ou non cette proposition de loi. Il y aura davantage de camions sur nos routes et moins de protection pour les salariés qui travailleront dans ces entrepôts à l’étranger. Et cela n’aura finalement aucun effet positif sur le commerce de proximité.

Votre proposition de loi ne prévoit aucune mesure pour accompagner le commerce de proximité et l’aider à répondre aux attentes de la société d’aujourd’hui. On a assisté, pendant le confinement, à un phénomène particulièrement intéressant : certains des commerces de proximité qui ont dû fermer à cause de l’épidémie de covid-19 ont instauré d’eux-mêmes un système de « click and drive » qui leur a permis à la fois de garder un lien à distance avec leurs clients et de se créer un nouveau marché. Ils ont adopté une nouvelle logique, proposé de nouveaux services et recréé un lien de proximité différent. Voilà une piste pour le développement d’un commerce de proximité durable, qu’il faut encourager. Comment ? Votre proposition de loi n’en dit rien.

Vous posez une vraie question, celle de l’avenir du commerce en France. Il faut effectivement réfléchir aux moyens de défendre nos centres-bourgs et nos commerces de proximité, aux façons de les accompagner dans la révolution du e-commerce. Mais les mesures que vous proposez ne répondent pas à ces enjeux.

Mme Émilie Cariou (EDS). Dans la période de crise sanitaire et économique que nous vivons, le numérique s’est révélé utile à bien des égards. Il a permis à de nombreuses entreprises de poursuivre leur activité grâce à la vente en ligne, au développement du drive ou à l’optimisation logistique. Pourtant, nous assistons aujourd’hui à la montée en puissance sur notre territoire d’un modèle qui tue toute concurrence économique avec nos entreprises de vente en direct. Depuis des années, des dizaines d’immenses entrepôts de e-commerce pullulent dans nos territoires, où ils bénéficient d’un environnement économique qui leur est extrêmement favorable, au détriment de tous nos autres commerces. Il est évident qu’une meilleure régulation de ces implantations est nécessaire et urgente.

C’est donc avec force et satisfaction que le groupe Écologie Démocratie Solidarité soutiendra cette proposition de loi. La Convention citoyenne pour le climat a fait de ce sujet une priorité et il est urgent de se demander quel commerce nous voulons. Nous nous réjouissons donc que ce sujet puisse être débattu aujourd’hui.

Il s’agit avant tout de rétablir une justice économique et fiscale, comme nous avons commencé à le faire avec la taxe sur les services numériques, pour laquelle je me suis battue à l’Assemblée nationale. Notre groupe le répète : la vente en ligne n’est pas un problème. Ce qui est problématique, c’est le modèle des grandes sociétés, comme Amazon, qui misent sur l’implantation d’entrepôts gigantesques, qui cassent les prix et qui entrent dans une logique de concurrence déloyale, puisqu’elles gagnent des parts de marché en vendant à perte. Soutenir ce modèle sans condition revient à faire mourir nos cœurs de ville. Alors que l’inspection générale des finances a constaté des fraudes à la TVA en 2019, il nous paraît inconcevable que ces entrepôts gigantesques échappent, en plus, à la taxe sur les surfaces commerciales. Est-il logique que les grandes surfaces y soient assujetties et que les usines logistiques d’Amazon en soient exemptées ? À cela s’ajoute l’optimisation fiscale de masse pratiquée sur l’imposition des résultats.

Je sais que le Gouvernement est prêt à travailler sur ces questions, il l’a promis à de nombreuses reprises, et j’entends des collègues dire que l’on va lancer des groupes de travail… Croyez-moi : cela fait dix ans que je me bats sur ce sujet et nous avons déjà eu des groupes de travail à tous les échelons, national, international, multilatéral… La taxe sur les services numériques a fait bouger les choses, alors qu’on l’a votée dans un cadre franco-français. Faisons de même cette fois-ci !

Il n’est plus temps d’attendre : il faut avoir le courage politique de faire face aux GAFAM sur cette question de la distorsion de concurrence. Dans une période où la priorité de l’État est de maintenir les emplois et de relocaliser notre économie, nous ne pouvons accepter ce modèle de e-commerce. L’entreprise Amazon ne crée pas d’emplois, elle en détruit. Les chiffres sont connus : pour un emploi créé dans le e-commerce, plus de deux emplois disparaissent dans le commerce de proximité.

Ce qui est en jeu, c’est aussi la vitalité des centres-villes, qui sont en train de mourir à petit feu, particulièrement dans le monde rural. Notre rôle de parlementaires est de maintenir les liens humains partout dans nos territoires : l’emploi local et l’activité de proximité doivent être préservés.

Enfin et surtout, la nécessité de réguler ces implantations d’usines est un enjeu fondamental pour le climat et la préservation de la nature. Cette proposition de loi a le mérite de s’attaquer aux effets néfastes de l’implantation de tels entrepôts sur notre environnement. L’emprise d’une nouvelle installation contribue largement à l’artificialisation des sols et constitue une attaque immédiate contre la biodiversité dans nos paysages. Pour chaque usine de logistique de e-commerce, on fait rouler sur nos routes jusqu’à 2 000 poids lourds et 4 000 utilitaires supplémentaires chaque jour. À cela s’ajoute l’augmentation du trafic aérien de transport de marchandises. Cette proposition de loi a pour ambition de faire progresser tout à la fois justice économique et fiscale, justice sociale et justice environnementale.

J’espère que nos débats permettront d’aboutir à une position claire et transpartisane sur le commerce que nous voulons dans nos territoires. Chers collègues, ayons le courage de soutenir nos commerces locaux face aux géants internationaux, qui rêvent d’un hyper-monopole sur nos territoires et qui détruisent nos emplois et notre environnement. Le groupe EDS soutient pleinement cette proposition de loi.

M. Philippe Naillet (Soc). Le groupe Socialistes et apparentés est évidemment favorable à cette proposition de loi, qui vise à la fois à limiter l’artificialisation galopante des sols et à réguler un modèle économique globalisant fondé sur un accroissement continu des ventes et l’utilisation massive d’avions et de cargos, qui font plusieurs fois le tour du monde. Chacun sait que ce modèle est contraire au développement humain et néfaste pour l’environnement.

D’un point de vue économique, les opérateurs de commerce en ligne mènent des politiques commerciales agressives qui reposent, bien souvent, sur une optimisation fiscale à outrance. Au nom de la compétitivité, ils instaurent une concurrence déloyale avec les commerces physiques de proximité, qui ne sont évidemment pas dans les mêmes dispositions. Cette concurrence déloyale était très visible durant le confinement : on pouvait se faire livrer des produits venant du bout du monde, alors que les commerces de proximité étaient fermés ou soumis à des restrictions très contraignantes. Par ailleurs, les conditions salariales et de travail qui ont cours dans ces sociétés ne sont pas celles que nous pouvons souhaiter pour nos concitoyens : des emplois peu qualifiés et peu qualifiants.

Cette proposition de loi ne pointe pas seulement les conséquences désastreuses de ce modèle économique et social sur nos emplois et nos salariés ; les entrepôts qu’elle vise ont également des conséquences néfastes sur l’environnement. Il ne s’agit pas de remettre en cause les entrepôts qui se trouvent à côté des usines de production, mais de s’interroger sur la pertinence de ces bâtiments gigantesques posés au milieu de nulle part, souvent en pleine campagne. L’exposé des motifs le rappelle : une entreprise a artificialisé à elle seule 560 000 mètres carrés. Si nous ne faisons rien, c’est un million de mètres carrés qui auront été pris par l’homme sur la nature en 2021 : ce n’est pas acceptable !

Le groupe Socialistes et apparentés soutient largement les mesures proposées. Nous regrettons cependant que tous les amendements déposés par notre collègue Dominique Potier au nom du groupe aient été jugés irrecevables : ils auraient permis d’enrichir le texte. L’un d’eux proposait que les donneurs d’ordres paient une redevance en fonction du volume de dioxyde de carbone qu’ils rejettent, en vertu du principe pollueur-payeur. Il proposait également d’autoriser, à titre expérimental, les communes de plus de 10 000 habitants à désigner un opérateur unique pour le dernier kilomètre de livraison lorsque celui-ci est réalisé par véhicule ou cyclomoteur, afin de réduire l’empreinte carbone la plus forte. Un autre amendement, enfin, qui nous avait été soumis par France Nature Environnement, rendait possible la saisine par toute personne intéressée de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). Malgré cela, nous voterons cette proposition de loi.

Mme Mathilde Panot (FI). Le Président de la République a déclaré cet été : « Arrêter la bétonisation, c’est un projet pour rendre notre pays plus humain, au fond plus beau », en évoquant l’idée d’un moratoire sur l’aménagement de zones commerciales.

On peine à comprendre la différence que fait la majorité entre les « zones commerciales » et les entrepôts logistiques du géant du e-commerce, Amazon, qui envisage d’en implanter huit autres en France, par exemple à Belfort, à Saint‑Sulpice-la-Pointe ou encore en Alsace, où les riverains se mobilisent : ce sont des terres agricoles, parfois même des zones humides, qui vont être bétonnées au profit du géant du e-commerce. Pourquoi nos collègues de la majorité font-ils délibérément une exception pour Amazon ? Pourquoi faire une différence entre les entrepôts et les zones commerciales ? Pourquoi attendre ? Que pouvez-vous bien trouver à Amazon ?

Faites-vous une exception pour Amazon parce qu’il détruit deux fois plus d’emplois qu’il n’en crée ? Aux États-Unis, il en a détruit 270 000, avec sa stratégie de concurrence déloyale. En France, pendant que les petits commerces ferment les uns après les autres, alors que Camaïeu, La Halle et d’autres enseignes ont déposé le bilan, Amazon a empoché 89 milliards de dollars (Md$) pendant la pandémie !

N’est-ce pas plutôt parce qu’Amazon est un champion de la surproduction ? En 2018, ses ventes représentaient l’équivalent de deux produits par habitant de la planète. Ou bien est-ce que parce que la surproduction textile représente 10 % de nos émissions de CO2 en France ?

Est-ce parce que les livraisons d’Amazon font exploser le trafic aérien, ou bien parce que les entrepôts de cette entreprise vont entraîner le passage quotidien de 1 000 à 1 500 camions à toute heure du jour et de la nuit ? Ah, je sais ! C’est sans doute parce qu’Amazon dissimule son chiffre d’affaires au Luxembourg et ne paie pas ses impôts en France ! À moins que ce ne soit, dernière option, parce que les conditions de travail y sont particulièrement terrifiantes et dégradantes ! Nous avons notamment appris, il y a deux semaines, qu’Amazon cherchait à recruter des spécialistes du renseignement pour espionner les potentiels syndicalistes à l’intérieur de ses propres entrepôts. Aux États-Unis, les salariés sont obligés d’uriner dans des bouteilles pour ne pas être sanctionnés !

Je me demande ce que vous trouvez à cette entreprise, à moins que vous ne soyez attachés à la destruction créatrice, que, pour vous, la surproduction soit synonyme d’abondance, que le trafic aérien vous enchante, que le son des camions sur l’autoroute vous berce et que vous aimiez jouer à cache-cache avec les fraudeurs fiscaux ! À part cela, je ne vois pas !

Amazon est un désastre écologique, social, économique et fiscal. C’est une entreprise voyou qui pollue massivement, ne paie pas ses impôts, pratique le dumping sur les prix, écrase les petits commerçants, détruit des emplois et met en danger ses salariés. Rappelons que cette société n’a pas fourni de masques à ses salariés durant le confinement ; elle a dû limiter son activité aux produits essentiels sur décision de justice, mais elle a quand même essayé de faire du chantage à l’emploi, en menaçant de fermer ses entrepôts, plutôt que d’en limiter l’activité. Voilà à quoi mène la politique du « laisser-faire » vis-à-vis des entreprises : à l’arrogance la plus crasse !

Mais ni cette décision de justice, ni le confinement n’ont empêché Amazon de se gaver de profits. En 1916, on appelait les entreprises qui s’étaient engraissées pendant la période de malheur national des profiteurs de guerre. L’État a ensuite récupéré le surplus de bénéfices généré pendant la guerre. Aujourd’hui, Amazon est un profiteur de crise, pour qui le coronavirus a été une aubaine. Mais pas de taxe en vue : les temps ont bien changé !

Incompatible avec la lutte contre le changement climatique, incompatible avec le respect des salariés, incompatible avec nos lois qui imposent aux entreprises de payer leurs impôts en France, l’empire Amazon doit voir son expansion freinée sur notre territoire : non aux huit nouveaux entrepôts, non à l’ « amazonisation » de la France ! Le groupe de La France insoumise votera cette proposition de loi et sait gré à notre collègue Delphine Batho de nous l’avoir présentée.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je vous remercie de vos interventions. Je précise à nos collègues du groupe Socialistes et apparentés et de La France insoumise que je ne suis évidemment pour rien dans le fait que leurs amendements aient été déclarés irrecevables : c’est l’application du règlement. Je leur aurais d’ailleurs donné un avis favorable.

Le e-commerce est une évolution technologique et sociétale qui répond aux attentes des consommateurs, qui cherchent la simplicité et la commodité. Toute la question est de savoir ce que nous voulons faire de cette évolution structurelle. Devons-nous laisser certaines entreprises en faire un levier pour capter une part substantielle de notre activité économique nationale et la délocaliser ? Ou bien entendons-nous mettre cette évolution technologique au service d’une relocalisation de l’économie ? Mme Laure de la Raudière a évoqué les établissements qui ont su articuler de manière féconde le commerce physique et le commerce en ligne. Je pourrais de mon côté prendre l’exemple de la société coopérative et participative PliM, à Melle, dans les Deux-Sèvres, qui a fabriqué le masque en coton bio made in France que je porte aujourd’hui : l’essentiel de son activité passe par une plateforme numérique. La consommation responsable, orientée vers des projets vertueux et des produits dont on connaît l’origine, fait appel au numérique. Mais j’insiste sur le fait que ce genre d’initiative ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : on ne peut pas fermer les yeux sur la prise de position dominante, voire oligopolistique, ou monopolistique, du grand acteur de la vente en ligne qu’est Amazon.

Par ailleurs, tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés reconnaissent que le développement anarchique du e-commerce pose problème. Tous les secteurs d’activité qui ont des besoins logistiques liés au e-commerce développent leurs propres projets, sans aucun schéma d’aménagement, alors qu’on pourrait envisager une mutualisation à l’échelle locale, par exemple pour assurer la livraison au dernier kilomètre, pour lutter contre l’artificialisation des sols ou pour réduire le bilan carbone. On a besoin, en France, d’un schéma directeur de développement du e-commerce, qui aujourd’hui nous fait défaut. L’instauration d’un moratoire doit précisément nous donner le temps d’y travailler. C’est ce que demandent les représentants du commerce de proximité : ils veulent du temps pour parachever l’offre cohérente à laquelle ils travaillent ; ils réfléchissent à des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) de centre-ville, qui permettraient d’articuler le commerce physique avec une offre locale de livraisons et de commandes en ligne ; ils étudient avec plusieurs opérateurs les moyens de développer ce genre de solutions. Ce qu’ils demandent, c’est qu’on mette fin au fait accompli et à la concurrence déloyale.

J’observe que toutes vos interventions ont porté exclusivement sur le moratoire, et non sur les autres dispositions de la proposition de loi, pourtant extrêmement importantes. J’aimerais qu’on m’explique pourquoi une grande surface commerciale doit demander une autorisation d’exploiter, pourquoi elle est assujettie au moratoire sur l’artificialisation des sols et pourquoi elle doit payer la TASCOM, alors qu’un grand entrepôt d’Amazon n’est soumis à aucune de ces obligations. Cette situation ne saurait perdurer.

Je regrette que certains d’entre vous aient rejeté toutes mes propositions en bloc : vous auriez pu repousser l’idée du moratoire mais accepter les dispositions de l’article 3, qui proposent de créer un nouveau statut pour les entrepôts logistiques du e-commerce en les assujettissant à une autorisation administrative, ce qui suppose d’entrer dans une logique d’aménagement du territoire, de faire une étude d’impact sur l’économie locale et de prendre en compte des critères environnementaux.

Certains me disent que cette proposition de loi va renforcer le flux des livraisons depuis l’étranger. Si vous regardez la carte des projets dont il est question aujourd’hui, vous verrez que c’est tout l’inverse qui va se passer : nombre d’entre eux se situent sur la frontière Est de la France, ce qui signifie que notre pays va devenir le centre de livraison de l’Europe. C’est depuis la France qu’Amazon est en train d’organiser la livraison d’une bonne partie des pays européens.

J’ajoute que le chantage n’est pas acceptable. M. Bruno Le Maire a refusé à juste titre d’y céder, à propos de la taxe GAFA : il a prévenu que la France l’adopterait seule s’il le fallait. De même, sur la question des entrepôts, ce n’est pas parce que nous sommes dans une économie ouverte que nous devons nous aligner sur ce que font nos voisins. Un tel raisonnement conduit toujours à s’aligner sur le moins-disant, sur le plan social comme sur le plan environnemental : c’est une logique sans fin. Céder au chantage, c’est s’aligner sur ce qui se fait de moins bien ailleurs : je ne peux pas souscrire à ce raisonnement.

Je rappelle que 670 000 emplois ont été détruits aux États-Unis et que beaucoup d’autres l’ont été au Royaume-Uni. L’histoire des révolutions industrielles et des évolutions technologiques est faite de destructions créatrices : des pertes d’emploi d’un côté sont compensées par des créations d’emploi d’un autre côté. Mais on a aujourd’hui la preuve que le modèle d’Amazon n’est pas celui de la destruction créatrice : c’est une destruction pure et simple, et délocalisante.

S’agissant de l’artificialisation des sols, les représentants de la Convention citoyenne pour le climat que nous avons auditionnés ont précisé que le moratoire qu’ils souhaitent instaurer concerne aussi bien les grandes surfaces que les entrepôts du ecommerce. D’autre part, un certain nombre d’interlocuteurs ont souligné à quel point il était facile d’obtenir une autorisation pour artificialiser des sols et, a contrario, combien il était difficile d’être vertueux lorsqu’il s’agissait, par exemple, de reconvertir certaines friches industrielles ou certaines friches urbaines pour ne pas gaspiller d’espace. Les projets de ce type se heurtent souvent à des obstacles administratifs.

Une situation de fait accompli est en train de s’imposer, jour après jour. Cette semaine encore, un nouveau projet a été autorisé par l’État. Chaque jour qui passe est un jour de perdu. On nous parle de créer des groupes de travail et de voir plus tard ; mais plus tard, ce sera trop tard. Nous sommes déjà très en retard. Face au fait accompli, une intervention immédiate du législateur s’impose.

Mme Annie Chapelier. J’aimerais apporter un modeste témoignage sur ce qui se passe à Fournès, dans le département du Gard, où Amazon projette de créer un nouvel entrepôt.

Sur la question de l’emploi, je m’étonne que certaines aient remis en cause la rigueur et la précision du rapport de notre collègue Mounir Mahjoubi : ses chiffres sont éloquents et concordent parfaitement tant avec ceux qui ont pu être produits dans d’autres pays qu’avec ce que j’ai moi-même pu constater dans le Gard.

Lorsque le projet d’entrepôt a été présenté aux élus locaux, on leur a parlé de 600 emplois, ce qui a suscité beaucoup d’espoir dans une zone où l’emploi est sinistré. Les élus ont donc montré une grande appétence pour ce projet mais, une fois celui-ci accepté, on n’a plus parlé que de 150 emplois, pour la plupart précaires ou à temps partiel. Cela montre qu’Amazon est prêt à mentir pour faire accepter ses projets localement. Aucune étude d’impact n’a été réalisée pour mesurer les effets d’une telle implantation sur les villes voisines, notamment Bagnols-sur-Cèze, qui fait partie des programmes « Action Cœur de ville » et « Petites villes de demain », où l’on cherche à relancer l’activité économique. Aucune concertation publique n’a été organisée ; des collectifs de riverains se sont organisés, avec le soutien d’associations dont ce n’était absolument pas l’objet, mais qui ont été révoltées par la manière sournoise dont tout cela s’est passé et par la proximité de ce chantier avec le pont du Gard.

Amazon s’implante effectivement à proximité de nos frontières pour organiser son service de distribution à l’étranger. Si la France a été choisie pour être au cœur du dispositif, c’est aussi parce que dans les pays limitrophes, l’installation des entrepôts d’Amazon suscite une bronca au sein de la société civile. Nos voisins sont très contents que cela se passe en France, plutôt que chez eux. N’oublions pas que la France est la championne d’Europe des surfaces commerciales !

II.   EXAMEN DES ARTICLES

La commission passe à lexamen des articles.

M. le président Roland Lescure. Puisqu’il n’y a pas d’amendements sur ce texte, je laisserai à Mme la rapporteure le soin de présenter les articles, si elle le souhaite.

Article 1er : Moratoire de deux ans sur la délivrance de permis de construire dentrepôts logistiques à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je regrette que ma proposition de loi fasse l’objet d’un rejet en bloc et qu’il ne nous soit pas possible de débattre plus précisément de chacun des articles.

L’article 1er propose d’instituer un moratoire de deux ans sur la délivrance des permis de construire et d’aménager d’un entrepôt logistique à destination du commerce électronique d’une surface supérieure à 1 000 mètres carrés.

Mme Annaïg Le Meur. Nous avons déjà débattu de cette disposition et le groupe La République en Marche votera contre cet article. Nous sommes tout à fait ouverts à la discussion et nous sommes actifs pour traiter de ce problème : il existe une lettre de mission à l’inspection générale des finances et nous avons lancé plusieurs projets pour faciliter l’installation d’entrepôts sur des friches industrielles. Tout cela nous rend optimistes pour l’avenir.

M. Cédric Villani. On nous dit qu’il faut prendre du temps et réfléchir, mais il est urgent d’agir, car nous sommes face à une entreprise qui évolue à une vitesse extraordinaire. Les résultats économiques d’Amazon sont proprement fascinants : créée au milieu des années 1990, cette entreprise a longtemps été très déficitaire. La puissance extraordinaire de ce modèle économique est venue avec la taille et ses résultats sont maintenant phénoménaux. L’an dernier, son chiffre d’affaires a atteint 280 Md$ et l’entreprise devrait battre absolument tous les records en 2020. Il est nécessaire de protéger nos acteurs et notre économie contre cette entreprise, certes née du coup de génie d’un acteur génial, mais qui risque, si on la laisse faire, de tout manger.

Mme Émilie Cariou. Je souscris à ce qui vient d’être dit. Je vous rappelle que notre pays avait l’un des réseaux les plus denses au monde d’entrepôts logistiques, grâce à la force de notre grande distribution – les géants de la grande distribution française se sont d’ailleurs implantés sur tous les continents. Or un acteur est parvenu, en dix ans seulement, à les supplanter sur le e-commerce. Pourquoi nos acteurs commerciaux n’ont-ils pas réalisé cette transition numérique plus rapidement ? Pourquoi ne se sont-ils pas lancés plus tôt dans la livraison ? Pourquoi ont-ils tardé à créer des sites internet à l’ergonomie plus attractive ? Le problème, c’est que dans les administrations comme dans les grandes entreprises françaises, les gouvernances n’ont pas pris conscience suffisamment tôt de l’importance de ce virage numérique. Cela fait seulement cinq ans qu’elles s’y sont mises sérieusement et qu’elles investissent. Dans l’hôtellerie, on a eu exactement le même problème avec l’entreprise Booking, qui a réussi à prendre le leadership dans un secteur qui était, a priori, à l’abri des délocalisations.

En tant que politiques, nous devons protéger la France, mais aussi l’Europe, face à cette concurrence déloyale. Je vous rappelle que nous parlons d’entreprises qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés et qui sont fondées sur un modèle d’optimisation fiscale agressive. Le moratoire permettrait de créer un petit espace, tout comme la fiscalité qu’il est question d’introduire à l’article 4 : elle ne serait pas très élevée, bien loin de ce qui est envisagé à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 2012. Mme Delphine Batho et moi-même sommes lessivées d’attendre que des décisions soient prises sur ces questions. Face à un acteur aussi puissant, comme face à Google, il faut absolument fixer des limites, sinon les choses vont très mal se passer pour tous nos acteurs économiques.

Mme Laure de La Raudière. Mme Émilie Cariou vient de tenir des propos très justes : il est vrai que notre commerce de proximité et nos grandes surfaces étaient l’un des points forts de la France. Mais il est vrai aussi que le réveil numérique de la France, dans tous les secteurs, n’a eu lieu que très récemment, en 2014. Cela étant, je maintiens que le moratoire n’est pas la bonne solution. Les entrepôts vont s’installer de l’autre côté de nos frontières, on verra passer des camions, mais ce n’est pas cela qui va permettre à nos petits commerces ou à nos grandes surfaces de reprendre le dessus. Les mesures fiscales, même si elles sont assez limitées, auraient le mérite d’introduire un peu d’équité, ce qui serait une bonne chose. En revanche, le moratoire sur les entrepôts est, je le dis comme je le pense, une très mauvaise disposition. Je le dis d’autant plus franchement que j’ai reçu de nombreux messages me demandant de soutenir cette proposition de loi.

Cette mesure me paraît tout aussi néfaste que celle qu’avait proposée l’un de mes collègues du groupe Les Républicains, à l’époque où j’en faisais partie, et qui interdisait la livraison gratuite des livres. Je ne sais même pas comment nous avons pu voter une chose pareille ! C’était complètement débile : Amazon a fait payer la livraison cinquante centimes et l’affaire était réglée…

Mme Yolaine de Courson. Ce débat est vraiment important, car il touche à la cohésion de nos territoires. Ce qui me semble vraiment incohérent, c’est de mener une politique d’open bar avec Amazon et, dans le même temps, d’investir énormément d’argent dans les initiatives « Action Cœur de ville », « Petites villes de demain » et dans l’agenda rural. Un moratoire permettrait de prendre le temps de la réflexion et de trouver une solution plus juste et solidaire. Si nous continuons à laisser faire Amazon, nous investissons dans des projets à fonds perdus.

M. Cédric Villani. Mme Laure de La Raudière nous dit que le moratoire aura pour effet de repousser les entrepôts d’Amazon dans les pays d’à côté, puisque nous sommes dans une économie globalisée. Mais je ne suis pas sûr qu’Amazon soit tellement populaire chez nos voisins. La France pourrait donner l’exemple, et elle serait peut-être suivie ! Sur bien des sujets, l’Europe est pour nous une sorte de barrière psychologique : on se dit que si nous repoussons certaines activités, elles iront s’installer ailleurs. Or, bien souvent, l’Europe attend de la France qu’elle prenne l’initiative et qu’elle montre la voie.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Il est vrai que les acteurs français ont globalement pris du retard, mais certains d’entre eux ont une offre en ligne satisfaisante – parfois articulée à de la vente physique. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’aucun d’entre eux ne sera en position de concurrencer Amazon. Je les invite donc à arrêter d’être solidaires d’Amazon, parce qu’ils se font voler des parts de marché et que jamais ils ne seront compétitifs face à un modèle fondé sur l’optimisation fiscale et la vente à perte.

On me dit que mes propositions ne sont pas les bonnes. Et vous, que proposez-vous ? Le groupe Écologie Démocratie Solidarité a inscrit plusieurs propositions de loi à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire du 8 octobre : sur ces textes, des collègues des différents groupes politiques ont déposé des amendements, qui ont permis d’apporter des modifications. Je regrette, une fois encore, que ma proposition de loi soit rejetée en bloc. Avec vous, c’est non à tout… Vous dites non à ce que demande un pan entier de l’économie française, qui se sent menacé : mettre fin à la concurrence déloyale dont il est victime, et que le confinement a encore été aggravée. Il est urgent d’agir.

Mme Annaïg Le Meur. Une excellente proposition a été faite au cours des auditions, qui consisterait à définir un schéma directeur pour avoir une stratégie logistique à l’échelle nationale. Nous pourrions introduire un tel schéma dans le projet de loi dit « 3D » relative à la décentralisation, la différenciation et la déconcentration. Éviter les développements anarchiques en instaurant des règles serait une très bonne chose. Faut-il agir au niveau régional – c’était mon idée –, au niveau national ou au niveau européen ? Il faut déterminer l’échelon le plus pertinent et agir dans ce sens. Ce sera aussi une façon de calmer le jeu sur le terrain, car l’installation de ces entrepôts crée aussi de la concurrence entre les collectivités. Le besoin de logistique ne fait que croître, mais il faut l’anticiper grâce à un schéma directeur, plutôt que de subir l’installation anarchique de certaines entreprises qui font ce qu’elles veulent.

La commission rejette larticle 1er.

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Article 2 : Soumission de tout projet de construction, dextension ou de transformation dun entrepôt logistique à destination du commerce électronique dune surface supérieure à 1 000 mètres carrés à concertation préalable à lissue du moratoire de deux ans

Mme Delphine Batho, rapporteure. L’article 2 porte sur l’application du principe de concertation préalable, inscrit dans le code de l’environnement, à la délivrance des permis de construire et d’aménager d’un entrepôt logistique, pour remédier à l’opacité qui caractérise la situation dans les territoires, s’agissant notamment du destinataire final de certains projets. Il manque en particulier une étude d’impact sur l’économie et les commerces locaux, qui prendrait en compte les aspects environnementaux et logistiques.

Mme Émilie Cariou. Établir un schéma directeur de la logistique est intéressant, mais, dès le début de son développement et la création de centrales d’achat, la grande distribution a évolué dans un contexte ultraconcurrentiel où s’affrontaient des acteurs franco-français. Nous l’avons vu lors des débats sur la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous dite « loi ÉGALIM », cette concurrence avait des effets néfastes sur les agriculteurs mais restait concentrée sur des acteurs français. L’acteur Amazon, lui, ne respecte pas les règles du jeu équitables, le level playing field français, en vendant à perte et en mettant en place toutes les pratiques d’optimisation fiscale possibles. C’est ce que dénonce Mme Delphine Batho.

Mme Vestager, actuelle vice-présidente exécutive de la Commission européenne, a commencé à attaquer ces pratiques sous l’angle du droit de la concurrence, mais la procédure a abouti à une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne. Tant que l’Europe n’aura pas réalisé l’harmonisation fiscale en son sein, le problème du droit fiscal ne sera pas réglé.

S’agissant du droit de la concurrence, des procédures devraient être menées car il n’est pas possible de laisser des acteurs vendre à perdre dans les territoires.

La commission rejette larticle 2.

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Article 3 : (articles L. 752-1, L. 752-3, L. 752-5, L. 725-16-1 [nouveau] et L. 752-23 du code de commerce) : Définition des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique et soumission à autorisation dexploitation commerciale

Mme Delphine Batho, rapporteure. J’espérais que cet article de bon sens ferait consensus. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », a assujetti les drive à l’obligation de solliciter une autorisation d’exploitation commerciale. Au contraire, les grands entrepôts de e-commerce ne doivent effectuer aucune démarche de cet ordre auprès de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), puis de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), ni subir les contrôles de l’Autorité de la concurrence.

L’article 3 définit l’entrepôt logistique destiné au e-commerce – nous étions ouverts pour débattre de sa taille minimale – et l’assujettit à toutes les règles valables pour les grandes surfaces commerciales en France.

Le e-commerce, c’est du commerce. Les règles du commerce doivent s’y appliquer.

M. Cédric Villani. Plus encore que les autres, l’article 3 est de bons sens. Nous ne voyons pas pour quelles raisons les entrepôts du e-commerce ne seraient pas soumis aux mêmes conditions d’implantation que les grandes surfaces. Nous ne sommes plus, comme il y a dix ans, dans la nécessité d’aider au démarrage de l’économie en ligne. C’est désormais le contraire : le numérique est devenu tellement efficace qu’il écrase le reste.

Quant à l’estimation de M. Mahjoubi, de deux emplois détruits pour un emploi créé, elle paraît plutôt basse selon les études parues. Nous commençons à avoir du recul sur ces questions. Le modèle d’Amazon présente une telle efficacité de l’instantanéité, jointe à une extraordinaire concentration, qu’il en est tout simplement redoutable. On ne comprend pas pourquoi la France accorderait cette faveur à un commerce qui se porte très bien sans qu’elle ait besoin de le protéger.

La commission rejette larticle 3.

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Article 4 (art. 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) : Soumission des surfaces de stockage des entrepôts logistiques à destination du commerce électronique à la taxe sur les surfaces commerciales

Mme Delphine Batho, rapporteure. L’article 4 assujettit les entrepôts du ecommerce à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM). Mes collègues du groupe EDS avaient lancé un débat sur cette proposition de bon sens lors du projet de loi de finances rectificative ; ils n’avaient pas reçu de non définitif. C’est pourquoi nous proposons à nouveau cette mesure, même si elle ne règle pas tous les sujets fiscaux évoqués notamment dans le rapport de l’inspection générale des finances sur les fraudes à la TVA et l’optimisation fiscale.

Mme Annaïg Le Meur. Nous avons suivi ce débat lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. La question de la fiscalité du e-commerce se pose à l’évidence : c’est la raison pour laquelle une lettre de mission a été confiée à l’inspection générale des finances. Je vous propose donc d’en attendre les préconisations, afin d’être assurés de la réelle application de la TASCOM, faute de quoi ces sociétés n’auront aucun mal à contourner la loi. Nous devons vraiment travailler le sujet.

M. Cédric Villani. Chers collègues, je vous comprends : il est urgent d’attendre, il faut réfléchir, il faut étudier, travailler, bien choisir la position… Le malheur veut qu’en face, un acteur rapide, intelligent, très efficace, aux effectifs nombreux, s’adapte très vite et continuera sa progression pendant que nous réfléchissons.

La commission rejette larticle 4.

 

Lensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, la proposition de loi est considérée comme rejetée.

 

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je regrette le rejet en bloc de la proposition de loi. Les problèmes qu’elle soulève correspondent à une attente de nombreux acteurs économiques du pays, essentiels au lien social ainsi qu’à la qualité de vie dans les territoires. Nous sommes face à une menace urgente, qui emporte des conséquences lourdes, tant sur le plan écologique que dans leur dimension sociale et pour l’emploi, et qui plus est dans un contexte de récession : nous n’avons pas besoin d’aggraver les problèmes des petites entreprises.


—  1  —

   liste des personnes auditionnÉes

Union des entreprises de transport et de logistique de France (TLF)

M. Alexis Degouy, délégué général

 

Afilog *

Mme Diana Diziain, directrice

Mme Cécile Tricault, directrice générale de PROLOGIS

M. Laurent Horbette, directeur général de la société GICRAM

Maître Christine Daric, avocate

 

Commerçants de France *

M. Fabrice Palombi, président

Mme Bénédicte Boudet-Corric, déléguée générale

 

Fédération de la vente à distance *

M. Marc Lolivier, directeur général

Mme Anne Charlotte Neau-Juillard, directrice conseil

 

Représentants de la Convention citoyenne pour le climat

 

Les Amis de la Terre *

Mme Alma Dufour

 

* Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants dintérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants dintérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.


([1]) Rapport d’information de M. Serge Babary, Mmes Anne Chain-Larché, Élisabeth Lamure et M. Fabien Gay, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, Plan de relance de la commission des affaires économiques Tome VIII : PME, commerce et artisanat, 17 juin 2020

([2]) Trendeo

([3]) Décret n° 2020-477 du 25 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

([4]) Rapport d’information de M. Serge Babary, Mmes Anne Chain-Larché, Élisabeth Lamure et M. Fabien Gay, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, Plan de relance de la commission des affaires économiques Tome VIII : PME, commerce et artisanat, 17 juin 2020

([5]) Rapport d’information de M. Serge Babary, Mmes Anne Chain-Larché, Élisabeth Lamure et M. Fabien Gay, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, Plan de relance de la commission des affaires économiques Tome VIII : PME, commerce et artisanat, 17 juin 2020

([6]) Groupe de travail sur le suivi du secteur entreprises de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, notes de suivi, du 8 avril au 20 mai 2020

([7]) Insee, « Les ventes dans le commerce plongent au printemps 2020 après avoir rebondi en 2019 », 10 juillet 2020

([8]) Insee, « Les ventes dans le commerce plongent au printemps 2020 après avoir rebondi en 2019 », 10 juillet 2020

([9]) Rapport d’information de M. Serge Babary, Mmes Anne Chain-Larché, Élisabeth Lamure et M. Fabien Gay, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, Plan de relance de la commission des affaires économiques Tome VIII : PME, commerce et artisanat, 17 juin 2020

([10]) Insee, « Les ventes dans le commerce plongent au printemps 2020 après avoir rebondi en 2019 », 10 juillet 2020

([11]) Étude citée par le rapport de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur les propositions du groupe de travail sur les entreprises (incluant l’industrie, les PME, le commerce et l’artisanat, les indépendants) concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de covid-19, 1er juillet 2020

([12]) Confédération générale de l’alimentation en détail, « Troisième enquête CGAD suite au déconfinement – Synthèse des résultats », 19 juin 2020

([13]) Propositions du groupe de travail sur les entreprises de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de covid-19, M. Thierry Benoit, M. Alain Bruneel, M. Daniel Fasquelle, M. Philippe Huppé, M. François Ruffin, 1er juillet 2020

([14]) Kantar, 2018 : Croissance de 11 % des dépenses en ligne en France, 5 février 2019

([15]) FEVAD (Fédération de la vente à distance et du e-commerce), Bilan du e-commerce au 2ème trimestre : 25,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de +5,3%, 15 septembre 2020

([16]) Propositions du groupe de travail sur les entreprises de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de covid-19, M. Thierry Benoit, M. Alain Bruneel, M. Daniel Fasquelle, M. Philippe Huppé, M. François Ruffin, 1er juillet 2020

([17]) M. Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a annoncé que l’intégralité des bénéfices du deuxième trimestre (4 Md$, soit 3,6 Md€) serait effacée par les dépenses engendrées par les mesures sanitaires rendues nécessaires par l’épidémie de covid-19.

([18]) Propositions du groupe de travail sur les entreprises de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale concernant la reprise et le plan de relance après l’épidémie de covid-19, M. Thierry Benoit, M. Alain Bruneel, M. Daniel Fasquelle, M. Philippe Huppé, M. François Ruffin, 1er juillet 2020

([19]) Selon la FEVAD, en moyenne, un site e-commerce permet une augmentation de 14% du chiffre d’affaires (CA) du magasin pour un marchand qui utilise les deux canaux simultanément (source Étude Oxatis/Kedge, janvier 2020).

([20]) La Relève et la Peste, France, Amazon veut doubler son nombre dentrepôts dici 2021, un danger écologique et économique, 10 juin 2020, Augustin Langlade

([21]) Mounir Mahjoubi, Amazon : vers linfini et Pôle Emploi !, 21 novembre 2019

([22]) Mounir Mahjoubi, Amazon : vers linfini et Pôle Emploi !, 21 novembre 2019

([23]) Les Amis de la Terre, Amazon : à la conquête de la France, avril 2020

([24]) Les Amis de la Terre, Amazon : à la conquête de la France, avril 2020

([25]) Entrepôts principaux, dans lesquels les produits sont stockés et triés pour être ensuite acheminés aux consommateurs, de plusieurs centaines de milliers de mètres carrés

([26]) Selon l’association Les Amis de la Terre, ces entrepôts seraient situés à Flixecourt (Somme), Ensisheim (Haut-Rhin), Dambach-la-Ville (Bas-Rhin), Lumunoc’h (Finistère), Fournès (Gard), Seynod (Haute-Savoie), Colombier-Saugnieu (Rhône), Rouen (Seine-Maritime), Augny et Marly (Moselle), Belin-Béliet (Gironde), Champtocé-sur-Loire (Maine-et-Loire). 

([27]) Les Amis de la Terre, Amazon : à la conquête de la France, avril 2020

([28]) Selon l’étude du commissariat général au développement durable de janvier 2020 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-204-l-empreinte-carbone-des-francais-reste-%20stable-janvier2020.pdf  

([29]) https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/07/hcc_rapport_annuel-2020.pdf  

([30]) Reporterre, Amazon grandit, lenvironnement pâtit, 4 juillet 2019, Gaspard d’Allens

([31]) Les Amis de la Terre, Amazon : à la conquête de la France, avril 2020

([32]) Proposition SL3.3 « prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices despace »

([33]) Rapport de l’inspection générale des finances : situation du recouvrement de la TVA en France (novembre 2019) http://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2019-M-045-03_TVA.pdf

([34]) https://www.eulerhermes.com/en_global/news-insights/economic-insights/retail-in-the-u-s---towards-destructive-destruction.html  

([35]) Mounir Mahjoubi, Amazon : vers linfini et Pôle Emploi !, 21 novembre 2019

([36]) Mounir Mahjoubi, Amazon : vers linfini et Pôle Emploi !, 21 novembre 2019

([37]) Tribunal judiciaire de Nanterre, Ordonnance de référé rendue le 14 avril 2020, N°R.G. : 20/00503

([38]) À l’exception d’une proposition de nature fiscale, relative à la définition, pour les entrepôts logistiques, d’une catégorie fiscale à part entière, sui generis, qui ne serait identique ni aux commerces, ni aux sites industriels.

([39]) Mentionnées aux articles R. 421-2 à R. 421-8-1

([40]) Mentionnées aux articles R. 421-9 à R. 421-12

([41]) Articles L. 121-8 et L. 121-9

([42]) 1° L’opération ayant pour objet, dans une commune non dotée d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu, ayant fait l’objet d’une enquête publique, la création de plus de 5 000 mètres carrés de surface de plancher ou la restauration, dans les conditions définies à l’article L. 313-4-1, d’un ensemble de bâtiments ayant au moins cette surface ;

2° La réalisation d’un investissement routier dans une partie urbanisée d’une commune d’un montant supérieur à 1 900 000 euros, et conduisant à la création de nouveaux ouvrages ou à la modification d’assiette d’ouvrages existants ;

3° La transformation d’une voie existante en aire piétonne d’une superficie supérieure à 3 000 mètres carrés ou la suppression d’une aire piétonne d’une même superficie ;

4° La création d’une gare ferroviaire ou routière de voyageurs, de marchandises ou de transit ou l’extension de son emprise, lorsque le montant des travaux dépasse 1 900 000 euros ;

5° Les travaux de modification de gabarit, de détournement ou de couverture de cours d’eau dans une partie urbanisée d’une commune, lorsque le montant des travaux dépasse 1 900 000 euros ;

6° Les travaux de construction ou d’extension d’infrastructures portuaires des ports fluviaux situés dans une partie urbanisée d’une commune, lorsque le montant de ces travaux dépasse 1 900 000 euros, ainsi que la création d’un port fluvial de plaisance d’une capacité d’accueil supérieure à 150 places ou l’extension d’un port de plaisance portant sur au moins 150 places ;

7° Dans une partie urbanisée d’une commune, la création d’un port maritime de commerce, de pêche ou de plaisance, les travaux d’extension de la surface des plans d’eau abrités des ports maritimes de commerce ou de pêche d’un montant supérieur à 1 900 000 euros, ainsi que les travaux ayant pour effet d’accroître de plus de 10 % la surface du plan d’eau abrité des ports maritimes de plaisance ;

8° Les ouvrages et travaux sur une emprise de plus de 2 000 mètres carrés réalisés sur une partie de rivage, de lais ou relais de la mer située en dehors des ports et au droit d’une partie urbanisée d’une commune

([43]) Novethic, 4 juin 2020, « Polémiques sur l’ouverture de 11 nouveaux entrepôts Amazon en France », Concepcion Alvarez

([44]) Article L. 121-15-1 du code de l’environnement

([45])  Article L. 751-2 du code de commerce

([46]) Article L. 752-1 du code de commerce

([47]) Article L. 752-6 du code de commerce

([48]) Articles R. 752-30 et suivants du code de commerce

([49]) Rapport sur les voies et moyens, annexé au projet de loi de finances pour 2020