N° 719

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur l'Europe de la Défense et son articulation avec l'OTAN

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE et Joaquim PUEYO,

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis Bourlanges, Bernard Deflesselles, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; Mme Sophie AUCONIE, M. André Chassaigne, Mmes Marietta KARAMANLI, Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude Bono-Vandorme, MM. Éric Bothorel, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de Courson, Typhanie Degois, Marguerite Deprez-Audebert, M. Benjamin DIRX, Mmes Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, MM. Pierre-Henri Dumont, Alexandre Freschi, Bruno Fuchs, Mmes Valérie Gomez-Bassac, Carole Grandjean, Christine Hennion, MM. Michel Herbillon, Alexandre Holroyd, Christophe Jerretie, Jérôme Lambert, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude Leclabart, Ludovic Mendes, Thierry Michels, Christophe Naegelen, Mme Valérie Petit, MM. Damien Pichereau, Jean-Pierre Pont, Joaquim Pueyo, Didier Quentin, Mme Maina Sage, MM. Raphaël SCHELLENBERGER, Benoit Simian, Éric Straumann, Mmes Michèle Tabarot, Alice Thourot.


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. L’OTAN : un acteur historique de la Défense européenne à l’ombre duquel s’est développée une politique européenne de défense à la portée très limitée

A. L’OTAN A ÉTÉ CRÉÉE DANS UN CONTEXTE DE GUERRE FROIDE POUR ASSURER LA DÉFENSE TERRITORIALE D’UNE EUROPE CONCENTRÉE SUR LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES

1. L’OTAN a assuré jusqu’en 1989 la défense de l’Europe de l’Ouest contre la menace soviétique

2. L’Union de l’Europe occidentale (UEO) : première tentative des pays européens de coopérer en matière de Défense

B. L’émergence de la politique de sécurité et de défense commune dans le contexte post-guerre froide

1. Réveillant les nationalismes en Europe, la chute du communisme a aussi privé l’OTAN de sa raison d’être

a. Le réveil des nationalismes a fait resurgir la guerre en Europe

b. L’OTAN à la recherche d’une nouvelle raison d’être

2. Le développement progressif d’une politique européenne de Défense aux moyens et aux ambitions limitées

C. des relations compliquées avec l’otan, clarifiées par le désintérêt de l’UNION EUROPéenne pour la défense

1. Les Accords de Berlin plus n’ont pas empêché une certaine concurrence entre l’Union européenne et l’OTAN

a. Les Accords de Berlin plus : base de la coopération UEOTAN

b. De la concurrence à la complémentarité de fait

2. Le désintérêt de l’Europe pour la Défense à la fin des années 2000

II. La dégradation de l’environnement de sécurité de l’union européenne a entraîné la relance en 2016 de la PSDC, sous impulsion franco-allemande

A. un contexte dégradé qui a justifié une initIative forte de la France et de l’Allemagne

1. La dégradation de l’environnement sécuritaire

2. L’initiative franco-allemande d’un Pacte européen de sécurité, présenté à l’été 2016, a relancé la PSDC

B. Des initiatives nombreuses, porteuses d’une nouvelle ambition pour la psdc

1. Le renforcement des capacités européennes de Défense : le lancement de la coopération structurée permanente et du CARD

2. L’augmentation des financements pour renforcer la compétitivité de l’industrie européenne de Défense

3. L’approfondissement de la coopération UEOTAN

III. le succès de la PSDC, subordonné à la volonté politique des états membres, n’ira pas sans une redéfinition des relations UEotan

A. l’union doit répondre aux attentes de sécurité des citoyens européens et se réorganiser en conséquence

1. Une opportunité historique à ne pas manquer

2. Une réforme institutionnelle à mener

B. De lourdes hypothèques pèsent sur les initiatives européennes dont le succès dépendra largement de la bonne volonté des états membres

1. Les limites de la PESCO

a. Une PESCO large à visée principalement capacitaire

b. Une implication variable révélatrice de profondes divergences

2. La contrainte budgétaire

3. Les obstacles au renforcement de la BTIDE

4. Le défi de l’autonomie stratégique et opérationnelle

C. Ces initiatives imposent de redéfinir la relation entre l’union européenne et l’otan

1. L’OTAN est aujourd’hui politiquement, juridiquement et matériellement incontournable pour la Défense européenne

2. L’Union européenne doit défendre la spécificité de la défense européenne de la tentation hégémonique de l’OTAN

a. L’Union européenne a des moyens d’action plus variés que l’OTAN

b. L’Union européenne est plus légitime à intervenir en Afrique que l’OTAN

c. L’Union européenne est mieux armée que l’OTAN contre le terrorisme

3. À long terme, la question du rôle de l’OTAN dans la défense d’une Union européenne devenue autonome pourrait se poser

Menaces hybrides et cyberDéFENSE EUROPéENNE

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Proposition de résolution européenne

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION

Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs


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   introduction

 

Mesdames, Messieurs,

En 2003, la première stratégie européenne de sécurité commençait par ces mots : « l’Europe n’a jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre ». Quinze ans plus tard, ils résonnent étrangement à nos oreilles tant le contraste avec la réalité d’aujourd’hui est frappant. Sans même parler de la crise financière dont l’Union européenne se remet à peine, la multiplication des crises extérieures auxquelles celle-ci est actuellement confrontée suffit à mesurer combien son environnement s’est dégradé. Loin du « cercle d’amis » qu’à l’époque, le président de la Commission européenne voulait voir se constituer dans son voisinage, force est de constater que celui-ci est désormais un arc de feu.

À l’Est, la Russie est plus menaçante que jamais. Après l’agression de la Géorgie en 2008, c’est vers l’Ukraine qu’elle a tourné son agressivité, annexant la Crimée et déstabilisant le Donbass, tout en multipliant les manœuvres militaires aux frontières orientales de l’Union et autres attaques hybrides dans les pays d’Europe de l’Est. La Russie soutient également le dictateur syrien Bachar El‑Assad dans la guerre qu’il mène contre son propre peuple, jetant celui-ci sur les routes de l’exil ou, pour ceux qui restent, sous le joug de Daesh. Depuis son sanctuaire constitué à cheval sur l’Irak et la Syrie, ce groupe terroriste n’a cessé d’organiser des attentats sur le sol européen, à commencer par la France. Notre pays est également en première ligne au Sahel. Cette région, l’une des plus pauvres du monde, où des États défaillants et corrompus sont incapables de subvenir aux besoins de leur population, est aujourd’hui une poudrière ; les groupes terroristes et criminels, armés par le pillage des stocks du régime déchu de Mouammar Kadhafi, sont chez eux dans ce désert où l’insécurité, l’explosion démographique et la misère minent les efforts de développement et alimentent les filières d’immigration vers l’Europe et les drames qui en découlent. 

Car ces crises, pour lointaines qu’elles soient, ont des effets à l’intérieur de l’Union européenne et concernent tous les citoyens européens. Attentats, bien sûr, mais aussi migrations, et leur cortège de fermeture des frontières. Plus insidieuse cependant est la remise en cause des valeurs européennes qu’elles entraînent, sans parler des conséquences plus politiques que sont la montée du populisme et de l’euroscepticisme. En effet, ces crises extérieures et la manière dont l’Union les a gérées ont mis à mal la légitimité de celle-ci et contribué, dans une certaine mesure, à une autre crise qu’est le Brexit.

Par conséquent, les deux sont liés : face à ces multiples crises et aux inquiétudes qu’elles suscitent, les citoyens européens attendent de l’Union qu’elle les protège. C’est à cette condition seulement qu’elle retrouvera à leurs yeux toute sa légitimité.

Face à des menaces globales, qui affectent l’ensemble des États membres, la réponse doit en effet être européenne. Il faut donc se réjouir que l’Europe, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, ait fait de la sécurité une priorité. Depuis 2016, de nombreuses initiatives ont ainsi été lancées afin de donner toute sa portée à une politique de sécurité et de Défense commune (PSDC) largement en retrait des autres politiques européennes, et permettre à l’Union européenne d’assurer elle-même sa sécurité et celles de ses citoyens.

Pourtant, une organisation existe qui, depuis 1949, assure la sécurité de ses membres en obligeant ceux-ci à répondre collectivement à toute « attaque armée » frappant le territoire de l’un d’entre eux. Cette organisation, c’est bien sûr l’OTAN. Symbole de l’alliance entre les États‑Unis et l’Europe de l’Ouest, elle a protégé celle-ci de l’Union soviétique jusqu’en 1989 avant, une fois cette dernière dissoute, d’élargir son champ d’action au monde entier. Pour de nombreux États membres de l’Union européenne également membres de l’OTAN, en particulier ceux de l’Est mais pas seulement, c’est toujours l’Alliance atlantique et, au-delà, les États‑Unis, qui doivent assurer la défense de l’Europe, notamment contre la menace grandissante de la Russie.

Toutefois, la défense de l’Europe n’est pas l’Europe de la Défense, pas plus qu’elle ne se confond avec la PSDC. S’il appartient à l’OTAN, conformément au traité de l’Atlantique Nord comme aux traités européens, d’assurer la défense collective de l’Union européenne, le présent rapport considère qu’en complément de l’OTAN et en coopération avec celle-ci, c’est à l’Europe d’assurer sa sécurité et de protéger ses citoyens en faisant face, avec ses moyens et ses objectifs, aux menaces et, en particulier à la menace terroriste pour laquelle elle est mieux armée que l’OTAN. Comme l’a souligné le président de la République dans ses récents vœux aux Armées, il ne s’agit pas, par l’Europe de la Défense, « de dupliquer ou de concurrencer l'OTAN, mais de réunir les conditions de l'autonomie stratégique de l'Europe ». Telle doit être en effet l’ambition de l’Europe de la Défense, celle du présent rapport étant de présenter, dans cette même perspective de l’autonomie stratégique de l’Europe, les relations UE‑OTAN et leurs enjeux actuels compte tenu des initiatives précitées.

 

I.   L’OTAN : un acteur historique de la Défense européenne à l’ombre duquel s’est développée une politique européenne de défense à la portée très limitée

A.   L’OTAN A ÉTÉ CRÉÉE DANS UN CONTEXTE DE GUERRE FROIDE POUR ASSURER LA DÉFENSE TERRITORIALE D’UNE EUROPE CONCENTRÉE SUR LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES

1.   L’OTAN a assuré jusqu’en 1989 la défense de l’Europe de l’Ouest contre la menace soviétique

Après la deuxième guerre mondiale, il est rapidement devenu évident que l’alliance entre les États‑Unis et l’Union soviétique, fondée sur la lutte contre l’ennemi commun et maintenant vaincu qu’était l’Allemagne nazie, n’allait pas survivre à leur rivalité croissante. L’opposition politique, idéologique et stratégique entre les deux nouvelles « superpuissances » s’est ainsi traduite, dans les années qui suivirent, par la constitution de deux blocs dont le continent européen était l’enjeu principal.

Les États‑Unis ont été les premiers à constituer une alliance militaire avec les pays d’Europe de l’Ouest qu’ils avaient libérés. Le 4 avril 1949 fut signé à Washington le Traité de l’Atlantique Nord (TAN) qui créa l’organisation du même nom. Celle-ci rassembla autour des États‑Unis et du Canada, dix pays européens : la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Islande, le Danemark, l’Italie, la Norvège, le Portugal et le Royaume-Uni. L’OTAN s’élargit à la Grèce et à la Turquie le 18 février 1952 et à l’Allemagne le 5 mai 1955.

Cet élargissement de l’OTAN à l’Allemagne fut le prétexte à la création le 14 mai 1955, par l’Union soviétique, du Pacte de Varsovie avec l'Albanie, la République démocratique allemande, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Comme le Pacte de Varsovie, l’OTAN est une organisation militaire défensive dont la raison d’être est inscrite dans l’article 5 du TAN : « les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord » ([1]). En d’autres termes, si un pays du Pacte de Varsovie devait attaquer un pays membre de l’OTAN, l’ensemble des autres membres de l’organisation s’engageaient à le défendre, y compris par l’emploi de la force.

L’OTAN s’appuie sur des structures qui sont, pour l’essentiel, restées inchangées depuis sa création. Celles-ci sont de trois sortes :

– les organes de décision politiques. Le plus important est le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN), composé de représentants des États membres ayant rang d’Ambassadeurs. Pour prendre ses décisions (à l’unanimité), il s’appuie sur un ensemble de comités, dont le Comité militaire qui le conseille en matière d’élaboration des politiques et des concepts stratégiques ;

– les organes civils rassemblent le Secrétariat général, dirigé par le Secrétaire général, chargé de gérer l’administration et d’exécuter les décisions du CAN qu’il préside, et l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Cette dernière, composée de 257 membres (dont 18 Français), bien que totalement indépendante de l’organisation, constitue le lien privilégié entre celle-ci et les Parlements des États membres ;

– les organes militaires. Ils sont dirigés par le Commandant suprême des forces alliées en Europe (en anglais Supreme Allied Commander Europe, SACEUR), lequel a autorité sur les différents commandements (notamment géographiques) et quartiers généraux qui lui sont subordonnés ([2]). Le SACEUR est responsable du commandement général des opérations militaires de l'OTAN et conduit la planification militaire des opérations décidée par le CAN. La fonction est, depuis sa création en 1951, toujours occupée par un officier général américain, son adjoint (le D‑SACEUR) étant, quant à lui, allemand ou britannique.

L’OTAN était toute entière tournée vers l’Est puisque la principale  sinon l’unique – menace était celle du Pacte de Varsovie. Face à celle‑ci, l'OTAN a établi des concepts stratégiques successifs – dont le dernier de la Guerre froide, est celui de la « riposte graduée » (1967) – et une stratégie, celle de la « défense de l’avant » qui définissait la frontière entre la RFA et la RDA comme la ligne de défense principale.

Toutefois, l’OTAN n’avait pas, à l’époque, de moyens propres et n’en a guère aujourd’hui, à quelques exceptions près ([3]). Les moyens militaires et financiers de l’organisation lui sont fournis par ses membres, à commencer par les États‑Unis. Ceux-ci ont ainsi stationné jusqu’à 400 000 hommes en Europe et pré‑positionné de nombreux armements, y compris nucléaires sur le sol européen et notamment en Allemagne ([4]). D’une manière générale, à cette époque comme aujourd’hui, l’essentiel du fardeau de la défense de l’Europe était supporté par les États‑Unis qui, en 1982, consacraient 6,4 % de leur PIB à la Défense. En comparaison, cette même année, la France y consacrait 3,8 % de son PIB et l’Allemagne 2,9 % ([5]).

Au final, force est de constater que l’OTAN a parfaitement rempli sa mission pendant toute la Guerre froide puisque jamais l’Union soviétique et ses alliés n’ont tenté d’envahir l’Europe de l’Ouest. Celle-ci a pu vivre en paix et se concentrer sur la construction du marché unique.

2.   L’Union de l’Europe occidentale (UEO) : première tentative des pays européens de coopérer en matière de Défense

Signé le 25 mars 1957, le Traité de Rome crée une Communauté économique européenne (CEE) dont l’objet, comme son nom l’indique, est exclusivement économique : créer un marché commun par l’abolition des frontières douanières intérieures et la suppression des mesures restrictives aux échanges, doublé de la mise en place de politiques communes, à commencer par la politique agricole et la politique commerciale.

Ce choix de construire l’Europe par l’économie obéissait à des raisons de court et de long terme. À court terme, l’échec de la Communauté européenne de Défense (CED) en 1954 a démontré que le temps de l’unification politique n’était pas encore venu. La tentative de mettre en commun un élément aussi substantiel de la souveraineté que les forces armées de six États européens, quelques années à peine après la fin de la deuxième guerre mondiale, s’est en effet heurtée à des résistances profondes, notamment liées à la peur du réarmement de l’Allemagne ([6]). À long terme, les Pères fondateurs de l’Europe estimaient que les solidarités de fait créées par l’accroissement des échanges économiques et la prospérité induite allaient, par un effet d’entraînement, aboutir à une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». L’économie n’était donc, à leurs yeux, qu’un instrument visant à l’unification politique du continent, laquelle emporterait alors une politique de sécurité et de Défense commune.

Les décennies qui suivirent la création de la CEE ont, effectivement et jusqu’à 1989, été consacrées à la construction du marché commun et à la mise en place des grandes politiques européennes. La CEE et ses membres pouvaient d’autant plus se consacrer aux questions économiques que les ÉtatsUnis via l’OTAN – assuraient leur défense contre la menace soviétique. Le partage des tâches entre les deux organisations était ainsi parfaitement clair : à la CEE, les questions économiques, à l’OTAN, la défense territoriale de l’Europe de l’Ouest et, en particulier de la CEE. Sur ce point, il convient de souligner que, jusqu’à l’élargissement de 1995, tous les membres de la CEE, à la seule exception de l’Irlande, étaient également membres de l’OTAN.

À la suite du rapport Davignon, en 1970, les États membres tentèrent bien d’instituer une coopération politique européenne (CPE) mais celle-ci, très limitée, se cantonna aux seules affaires étrangères, à l’exclusion totale des questions de Défense qui restèrent l’apanage de l’OTAN mais également de la politique nationale des États.

En effet, l’OTAN n’assurait que la défense territoriale de l’Europe de l’Ouest face à la menace soviétique. Pour le reste, les États membres de la CEE – ou de l’OTAN – restaient entièrement libres de définir leur politique de Défense et d’utiliser leurs moyens militaires pour défendre leurs intérêts à l’extérieur du continent européen. C’est ainsi que le Royaume-Uni n’a pas hésité à entrer en guerre contre l’Argentine pour les Malouines (1982) et que la France a multiplié les interventions en Afrique.

Toutefois, pendant toute la guerre froide, un embryon de coopération européenne en matière de Défense a existé mais en dehors de la CEE. Le traité de Bruxelles, signé le 17 mars 1948 en réaction du coup d’État organisé par les communistes à Prague le 25 février 1948, a montré la volonté de cinq pays européens (France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) de se défendre collectivement contre l’Union soviétique. L’article 5 prévoyait en effet une aide automatique de l’ensemble des signataires en cas d’agression armée de l’un d’entre eux. Toutefois, ce traité n’eut pas de suite. Face à l’aggravation de la menace soviétique en Europe, les États‑Unis ont décidé d’organiser autour d’eux la défense collective de l’Europe de l’Ouest à travers l’OTAN.

Le traité de Bruxelles a néanmoins été réactivé en 1954 lorsque les Accords de Paris l’ont modifié pour créer l’Union de l’Europe occidentale (UEO), à laquelle participaient également l’Allemagne et l’Italie. Toutefois, son rôle fut des plus limités, l’UEO consistant principalement en une instance de dialogue entre ses membres sur les questions de Défense et de sécurité. Après avoir été mise en sommeil en 1973, l’UEO fut cependant relancée par la Déclaration de Rome du 27 octobre 1984 qui, au nombre des objectifs formulés, appelait à la définition d'une identité de sécurité européenne et à l'harmonisation progressive des politiques de Défense des États membres. Des décennies et plusieurs traités européens seront encore nécessaires afin de parvenir à une politique de sécurité et de défense commune.

B.   L’émergence de la politique de sécurité et de défense commune dans le contexte post-guerre froide

1.   Réveillant les nationalismes en Europe, la chute du communisme a aussi privé l’OTAN de sa raison d’être

a.   Le réveil des nationalismes a fait resurgir la guerre en Europe

La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, la disparition du communisme et la dislocation du bloc de l’Est et de l’Union soviétique elle‑même constituent à n’en pas douter des faits historiques majeurs dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Cependant, aux débordements de joie suscités par la fin de l’oppression en Europe de l’Est ont rapidement succédé des événements dramatiques remettant en cause les espoirs d’une « fin de l’Histoire » qui verrait la démocratie et les valeurs libérales occidentales triompher définitivement dans un monde enfin en paix.

La Guerre froide a été appelée ainsi parce que les deux superpuissances ne se sont jamais affrontées directement, préférant un affrontement idéologique avec des moyens que l’on qualifierait aujourd’hui d’ « hybrides » tout en sous-traitant les conflits armés à leurs alliés respectifs sur l’ensemble des continents, à une seule exception : le continent européen. En effet, si l’on met de côté le « Printemps de Prague » de 1968, qui a vu l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, l’Europe a été totalement épargnée par la guerre pendant près d’un demi-siècle.

Toutefois, cette paix résultait d’un équilibre de la terreur entre les deux superpuissances mais également, au sein du bloc de l’Est, d’un « gel » des nationalismes qui, par le passé, avaient été la principale cause des conflits en Europe. Les dictatures communistes installées dans les pays d’Europe centrale et orientale maintenaient en effet, à l’intérieur de frontières pour certaines totalement artificielles, l’ordre public et dans un même ensemble politique des peuples très différents aux relations parfois compliquées.

Le cas le plus extrême était naturellement celui de la Yougoslavie, créée de toutes pièces à l’issue de la Première guerre mondiale et amalgamant dans un même État des peuples aussi différents que les Serbes (orthodoxes), les Croates et les Slovènes (catholiques) ou les Bosniaques (musulmans). La dictature « communiste » du Maréchal Tito (d’origine croate) a, pendant la quasi-totalité de la Guerre froide, étouffé les nationalismes. Mais ceux-ci ont resurgi après sa mort en 1980, en particulier en Serbie, dirigée à partir de 1989 par Slobodan Milošević, et plus encore après la chute du communisme.

Il n’est pas question de retracer ici l’histoire de la guerre en ex‑Yougoslavie, première véritable guerre sur le sol européen depuis près d’un demi-siècle, ni de la guerre subséquente au Kosovo en 1999. Trois faits sont cependant particulièrement marquants dans la perspective du présent rapport :

– cette guerre, qui s’est déroulée entre 1992 et 1995, principalement en Bosnie-Herzégovine (où cohabitaient Serbes, Bosniaques et Croates), a fait 100 000 morts civils et militaires, y compris dans le cadre d’actes qui, par la suite, ont été qualifiés de crimes contre l’humanité et punis en tant que tels par le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie ;

– malgré l’accumulation des pertes civiles et l’évidence des crimes, l’Union européenne, en raison des divisions de ses États membres, se révèle impuissante à mettre un terme au conflit ;

– face à l’incapacité de l’Union européenne à faire cesser un conflit qui se déroule pourtant à ses frontières, les ÉtatsUnis interviennent. En 1995, l’OTAN bombarde les positions des Serbes de Bosnie, les poussant à participer aux pourparlers de paix qui se concluront par les Accords de Dayton, signés à Paris le 14 décembre 1995. Les États‑Unis, sous couvert de l’OTAN, interviendront à nouveau pour bombarder la Serbie en 1999 et ainsi mettre un terme au nettoyage ethnique mis en œuvre par celle-ci au Kosovo.

b.   L’OTAN à la recherche d’une nouvelle raison d’être

On pourrait s’étonner à juste titre de voir mentionner l’OTAN dans le règlement des guerres en ex‑Yougoslavie. Alliance défensive, l’OTAN n’était a priori pas fondée à intervenir dans ce conflit, aucun de ses membres n’ayant été agressé, au sens de l’article 5 du TAN, par l’un des belligérants.

Si l’OTAN a pu intervenir, c’est qu’elle a su se réinventer après la chute du communisme et la dissolution du Pacte de Varsovie, le 1er juillet 1991. Ce n’était pourtant pas évident. L’OTAN étant une alliance défensive dirigée depuis quarante ans contre un unique ennemi qui, étant sa raison d’être, a inspiré l’ensemble de ses concepts stratégiques, ne devait-elle pas disparaître avec la disparition de la menace ?

La question s’est évidemment posée aux membres de l’Alliance mais, très rapidement, au sommet de Londres (1990), la décision politique a été prise de conserver l’OTAN. Les raisons qui ont justifié cette décision étaient multiples et partagées par l’ensemble de ses membres. Aucun d’entre eux, en effet, n’a voulu se priver de l’incomparable outil militaire qu’était l’OTAN, de ses structures de commandement et de planification et de l’expérience, notamment en termes d’interopérabilité, accumulée pendant quarante ans. Il pouvait d’autant plus se révéler utile que le monde qui émergeait à l’Est, entre réveil des nationalismes, dislocation de l’Union soviétique et arsenaux nucléaires en déshérence, apparaissait très inquiétant, justifiant le maintien d’une défense collective. Enfin, malgré la disparition du bloc communiste, l’OTAN restait le symbole de l’unité de l’Occident et de la solidarité qui unissait ses membres.

Au sommet de Rome (1991), les membres de l’OTAN ont tiré les conséquences du nouvel environnement stratégique et adopté un nouveau Concept stratégique. En effet, « les risques auxquels est exposée la sécurité des Alliés tiennent probablement moins à l’éventualité d’une agression calculée contre leur territoire qu’aux conséquences négatives d’instabilités qui pourraient découler des graves difficultés économiques, sociales et politiques, y compris les rivalités ethniques et les litiges territoriaux, que connaissent de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Les tensions qui peuvent en résulter, dans la mesure où elles demeurent circonscrites, ne sont pas de nature à menacer directement la sécurité ou l’intégrité territoriale des États membres de l’Alliance. Il n’est pas exclu, cependant, qu’elles puissent aboutir à des crises mettant en cause la stabilité en Europe, et même conduire à des conflits armés susceptibles d’entraîner l’implication de puissances extérieures ou de se répercuter sur des pays alliés, ayant ainsi un effet direct sur la sécurité de l’Alliance ».

Dans ces conditions, si l’Alliance reste fondée sur la défense territoriale collective de ses membres, « en cas de crise pouvant finalement faire peser une menace militaire sur la sécurité de pays membres, les forces armées de l’Alliance peuvent compléter et renforcer les actions politiques dans le cadre d’une conception large de la sécurité, et ainsi contribuer à la gestion de ces crises et à leur règlement pacifique ».

En d’autres termes, « la conception large de la sécurité » a pu justifier une intervention de l’OTAN en ex‑Yougoslavie, réduisant à peu de chose la frontière entre une action offensive et une action défensive tout en donnant à l’Alliance un nouveau rôle en matière de gestion de crise en Europe. Très logiquement, le Concept stratégique a également adapté à ces nouvelles missions les structures et les procédures de commandement et de planification ainsi que les forces intégrées de l’OTAN, en augmentant leur mobilité, leur souplesse et leur capacité d'adaptation aux différentes circonstances.

Ces orientations, qui n’ont pas été substantiellement modifiées par la révision intervenue en 1999, sont restées en vigueur jusqu’à l’adoption du nouveau Concept Stratégique en 2010. Elles ont également servi de base à l’intervention de l’OTAN en Afghanistan à partir de 2003, l’activation de l’article 5 par les États‑Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001 l’ayant conduit à intervenir pour la première fois hors d’Europe.

Enfin, raison d’être historique de l’OTAN, la défense territoriale stricto sensu est revenue au premier plan avec l’élargissement à l’Est de l’Alliance. Les pays de l’ex-Pacte de Varsovie, inquiets pour la stabilité de leurs frontières en raison du réveil des nationalismes et anticipant une possible résurgence de la menace russe, ont rapidement recherché une garantie crédible de sécurité que seule l’OTAN pouvait leur apporter, l’impuissance de l’Europe en la matière ayant largement été démontrée en Yougoslavie. La Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie, rassemblées au sein du groupe de Višegrad, ont affirmé, dès le 6 mai 1992, que « leur objectif à long terme est une adhésion pleine et entière à l’OTAN ». Le 12 mars 1999, l’OTAN s’est élargie à la République Tchèque, la Pologne et la Hongrie puis, le 29 mars 2004, à sept nouveaux pays : l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. On notera qu’historiquement, pour les pays membres des deux organisations, l’adhésion à l’OTAN a toujours précédé l’adhésion à l’Union européenne.

2.   Le développement progressif d’une politique européenne de Défense aux moyens et aux ambitions limitées

Tant le retour de l’instabilité en Europe que le retrait – très temporaire – de l’OTAN expliquent que l’un des principaux apports du traité de Maastricht ait été la création d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à partir de laquelle une Politique européenne de sécurité et de Défense (PESD) s’est lentement autonomisée.

En effet, institutionnalisant la Coopération politique européenne, le traité de Maastricht a créé la PESC, laquelle repose sur l’UEO, « chargée d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense ». Toutefois, malgré cette mise en avant initiale, l’UEO est rapidement paralysée par les divisions de ses membres et dépassée par la création d’institutions et de procédures internes à l’Union européenne, avant d’être finalement intégrée à l’Union européenne par le Traité de Nice (2000).

Sans refaire l’historique des évolutions de la PESC/PESD jusqu’au traité de Lisbonne, vos rapporteurs estiment néanmoins nécessaire d’attirer l’attention sur les points suivants.

Sur le plan institutionnel, l’Union s’est progressivement dotée des organes nécessaires à la mise en œuvre d’une Politique européenne de Défense. Un poste de Haut représentant pour la PESC a été créé en 1999, confié à M. Javier Solana, ancien Secrétaire général de l’OTAN ([7]), ainsi qu’un Comité politique et de sécurité (COPS) ([8]), un Comité militaire ([9]) et un état-major ([10]). Toutefois, le principal organe en charge de la définition et de la mise en œuvre de la PESC restait le Conseil, lequel statuait à l’unanimité ([11]).

Les moyens humains, opérationnels et financiers à la disposition de la Politique européenne de Défense sont des plus limités. Pourtant, lors du sommet de Saint‑Malo qui, en décembre 1998, avait relancé l’Europe de la Défense, de grandes ambitions avaient été affichées par la France et le Royaume-Uni, confirmées lors du Conseil européen de Cologne (juin 1999) et d’Helsinki (décembre 1999). L’objectif était, en effet, l’autonomie de l’Union européenne pour décider et agir face aux crises, le cas échéant indépendamment de l’OTAN. À cette fin, l’Union devait disposer, d’ici à 2003, d’une capacité de déploiement rapide de 15 brigades (soit entre 50 000 et 60 000 soldats), appuyées par des moyens aériens et maritimes et dotées des infrastructures nécessaires en matière de renseignement, de commandement et de logistique. Or :

– sur le plan humain, l’Union ne dispose pas de moyens militaires propres et doit s’appuyer sur ceux fournis par les États membres. L’Eurocorps, souvent présenté comme l’embryon d’une armée européenne, est un instrument purement intergouvernemental. Quant aux groupements tactiques de l’Union européenne (ou, en anglais, battlegroups), force d’action rapide créée en 2004, ils se composent de seulement 1 500 soldats (soit bien moins que l’objectif précité) eux aussi fournis, entraînés et commandés par les États membres ;

– sur le plan opérationnel, l’Union ne dispose pas de capacité de commandement et de planification des opérations militaires, l’état-major de l’Union européenne précité n’ayant pas les fonctions et les compétences d’un véritable quartier général. Dès lors, pour la conduite de ses opérations militaires, elle est obligée de recourir aux QG nationaux ou à celui de l’OTAN (voir infra) ;

– sur le plan financier, l’article 41 paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne lui interdit de prendre en charge « les dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense ». Dans ces conditions, les dépenses liées aux opérations militaires de l’Union européenne sont à la charge des États lorsqu’ils y participent ou via le mécanisme Athéna ([12]). Quant au budget de l’Agence européenne de Défense (AED) ([13]), créée en 2004, il atteint à peine 30 millions d’euros ;

– enfin, sur le plan industriel, l’industrie européenne de Défense est fragmentée au niveau national et largement hors de portée d’une action européenne. Non seulement l’article 346 du TUE exempte la production d’armes, de munitions et de matériels de guerre des règles du marché intérieur mais les États membres sont particulièrement attentifs à protéger une industrie essentielle à leur souveraineté. Si des programmes de coopération ont été lancés entre les États membres, comme l’avion de transport militaire A400M, ils l’ont été sur une base intergouvernementale ([14]). Toutefois, leurs ressources financières étant limitées, les États membres souffrent de nombreuses impasses capacitaires, les obligeant notamment à se fournir auprès des Américains.

L’ensemble de ces moyens – limités – sont mis au service des missions dites de Petersberg, définies dans le cadre de l’UEO en 1992. Initialement, celles-ci consistaient en des missions humanitaires et d'évacuation, des missions de maintien de la paix et, enfin, des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix. À ces missions originelles ont été ajoutées, par le traité de Lisbonne (article 43 du TUE), les actions conjointes en matière de désarmement, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et les opérations de stabilisation à la fin des conflits.

Le traité de Lisbonne a non seulement autonomisé la politique européenne de défense et de sécurité sous l’appellation de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) mais l’a dotée de trois nouveaux instruments majeurs :

– la coopération structurée permanente (article 46 du TUE), créée pour regrouper « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». En d’autres termes, la CSP ou, en anglais, la PESCO, instituée par le Conseil à la majorité qualifiée, constitue le cadre devant permettre à un noyau dur d’États membres investis dans les questions de Défense de coopérer dans ce domaine en vue du renforcement de leurs capacités militaires ;

– le Service européen d’action extérieure (SEAE), opérationnel depuis le 1er janvier 2011, regroupe à la fois les outils de gestion de crise de la PSDC, civils et militaires, et les instruments plus classiques de la diplomatie. Il est dirigé par le Haute Représentant pour la PESC ;

– enfin, la clause d’assistance mutuelle. Aux termes de l’article 42 paragraphe 7 du TUE, inspiré de l’article 5 du Traité de Bruxelles (1948), « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'OTAN, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ».

La formulation de cette clause d’assistance mutuelle montre bien les limites de la PSDC. Non seulement les missions de Petersberg n’incluent pas la défense mutuelle mais lorsque celle-ci est mentionnée, elle ne peut s’exercer que dans les limites posées par l’OTAN, ce qui conduit naturellement à s’interroger sur les relations entre celle-ci et l’Union européenne.

C.   des relations compliquées avec l’otan, clarifiées par le désintérêt de l’UNION EUROPéenne pour la défense

1.   Les Accords de Berlin plus n’ont pas empêché une certaine concurrence entre l’Union européenne et l’OTAN

a.   Les Accords de Berlin plus : base de la coopération UE‑OTAN

Pendant toutes les années quatre-vingt-dix, l’Union européenne a progressivement mis en place les instruments de la Politique européenne de sécurité et de défense. Ce n’est qu’au Conseil européen de Laeken, en décembre 2001, que la PESD est déclarée « opérationnelle ». Dix ans auront donc été nécessaires depuis le traité de Maastricht, période pendant laquelle l’Union européenne a été à peu près inexistante sur le terrain en matière de Défense.

Or, cette période a été marquée par plusieurs crises sur le sol européen, notamment en exYougoslavie. Face à l’absence de l’Union européenne, elles ont été gérées par l’OTAN qui, pour la première fois depuis sa création, a non seulement utilisé la force militaire mais a également déployé des troupes sur le territoire d’un État tiers. Après le bombardement décisif des positions des Serbes de Bosnie en 1995 (opération « Force délibérée »), l’OTAN a déployé en Bosnie-Herzégovine, à partir de 1996, une importante mission de maintien de la paix, l’IFOR puis la SFOR, afin de garantir l’application des Accord de Dayton. Ces deux opérations ont rassemblé jusqu’à 55 000 hommes provenant de 32 nations (15 de l'OTAN et 17 n’appartenant pas à l’OTAN).

Dans le conflit du Kosovo, en 1999, c’est encore l’OTAN qui bombarde Belgrade (opération « Force alliée ») puis, une fois le cessez-le-feu accepté par le gouvernement serbe, envoie la KFOR sous mandat de l’ONU afin de maintenir la paix dans cette région. Corollaire de cette opération, l’OTAN déploie 7 000 militaires en avril 1999 pour une opération humanitaire d'aide aux 800 000 réfugiés kosovars d'origine albanaise qui ont fui les exactions serbes à leur encontre. C’est la première fois que l’OTAN conduit une opération qui n’est pas purement militaire mais s’apparente plus à de la gestion de crise (humanitaire dans le cas d’espèce).

La PESD devient donc « opérationnelle » dans ce contexte où, en pratique, les missions de Petersberg sont assurées par l’OTAN, y compris sur le sol européen et avec le soutien des États membres de l’Union également membres de l’Alliance. Dans ses conditions, nombreux sont ceux qui craignaient ce que Mme Madeleine Albright, alors Secrétaire d'État du Président Clinton, a appelé les « 3 D », à savoir le risque de découplage (des actions de l'OTAN et de l'Union), de double emploi (en matière de capacités) et de discrimination (à l'encontre de pays membres de l'OTAN mais non de l'Union européenne).

Les Accords de Berlin Plus, formalisés le 14 mars 2003, posent les fondements de la coopération OTANUE en donnant à l'Union européenne un accès aux moyens et capacités de l'OTAN pour des opérations dirigées par l'Union et dans lesquelles l'OTAN dans son ensemble n'est pas engagée ([15]). Ces Accords comportent notamment :

– un accord de sécurité OTAN‑UE couvrant l'échange d'informations classifiées en vertu de règles de protection réciproque ;

– l'accès garanti de l'Union européenne aux capacités de planification de l'OTAN en vue d'une utilisation effective dans le cadre de la planification militaire d'opérations de gestion de crise dirigées par l'Union européenne ;

– la disponibilité de capacités et de moyens communs de l'OTAN (unités de communication, quartiers généraux, etc.) pour des opérations de gestion de crise dirigées par l'Union européenne ;

C’est sur la base de ces Accords que l’Union européenne lance ses deux premières opérations militaires, en Macédoine et en Bosnie Herzégovine, lesquelles succèdent à deux opérations de l’OTAN. En effet, l’opération « EUFOR Concordia » prend la suite de l’opération « Harmonie Alliée » et l’opération « EUFOR Althéa » de l’opération SFOR. Dans les deux cas, les moyens humains et matériels de l’OTAN ont été mis à disposition de l’Union européenne, avec d’autant plus de facilité qu’ils étaient déjà utilisés pour les mêmes missions.

b.   De la concurrence à la complémentarité de fait

Les opérations EUFOR Althéa et EUFOR Concordia ont toutefois été les seuls exemples de mise en œuvre des Accords de Berlin plus. Toutes les opérations militaires ultérieures de l’Union européenne ont été conduites de manière autonome par l’Union européenne sans recourir aux moyens de l’OTAN. Concrètement, ces opérations étaient dirigées depuis le Quartier général de l’un des États membres y participant sans qu’il apparaisse nécessaire de recourir à celui de l’OTAN – le SHAPE.

Dans les conditions, les relations entre l’Union européenne et l’OTAN ont oscillé, jusqu’à la fin des années 2000, entre concurrence et indifférence.

La concurrence est visible lorsque l’Union européenne et l’OTAN interviennent dans le même pays et pour la même mission. C’est particulièrement flagrant en matière de lutte contre la piraterie. En décembre 2008, l’Union lance l’opération EUNAVFOR Atalante au large de la Somalie afin de lutter contre l'insécurité dans le golfe d'Aden et l'océan Indien résultant de la présence de pirates partant des côtes somaliennes. Or, quelques mois plus tard, en août 2009, le Conseil de l’Atlantique Nord décide lui aussi de lutter contre la piraterie dans la région en lançant l’opération Ocean Shield, laquelle impliquait essentiellement des navires américains mais également des navires de pays participant par ailleurs à EUNAVFOR Atalante.

La concurrence est encore plus visible lorsque l’Union européenne et l’OTAN se disputent la conduite d’une même opération. En 2005, l’Union africaine cherche à renforcer les moyens de l'AMIS (African Union Mission in Sudan), sa force de paix dans le Darfour, en faisant passer ses effectifs de 2 700 soldats à 7 700. Si les pays africains ont les troupes nécessaires, ils n'ont guère les moyens de les équiper, de les transporter ou de les soutenir. L’OTAN et l’Union européenne ont donc proposé leurs moyens aériens mais aucune ne voulant de la prééminence de l’autre, elles ont chacune déployé leurs avions de transport et planifié leur opération depuis un centre de contrôle différent, le SHAPE pour l’OTAN, le Commandement européen du transport aérien d’Eindhoven pour l’Union européenne ([16]). Les Européens et, en particulier la France, voyaient d’un mauvais œil cet élargissement du champ d’action de l’OTAN à l’Afrique, où elle intervenait pour la première fois.

En outre, le fait que l’OTAN et l’Union européenne interviennent dans les mêmes pays présente une autre difficulté. En effet, tant l’OTAN que l’Union européenne n’ont pas de moyens propres et doivent faire appel à ceux de leurs membres. Or, ceux-ci ne sont pas extensibles, si bien qu’il y a une concurrence dans la génération de forces. Il est ainsi très difficile pour les membres de participer aux mêmes opérations en même temps. C’est particulièrement le cas pour les opérations maritimes EUNAVFOR Atalante et Ocean Shield précitées, mais également pour les opérations EUNAVFOR Sophia et Sea Guardian en Méditerranée.

Outre cette concurrence, les cas de coopération et de coordination, au moins au niveau opérationnel, existent, notamment au Kosovo et en Afghanistan où l’OTAN et l’Union européenne conduisent des opérations de formation à destination des forces de sécurité (respectivement Resolute support et EUPOL Afghanistan) qui sont complémentaires.

Pour le reste, force est de reconnaître que l’Union européenne a fait preuve d’autonomie dans sa prise de décision comme dans la mise en œuvre de ses opérations militaires (mais aussi civiles), étant toutefois précisé que celles-ci consistaient surtout en des missions de formation. En réalité, si l’Union n’a jamais recouru aux moyens de l’OTAN, c’est tout simplement que la nature, les moyens et l’objectif de ses opérations extérieures ne le justifiaient pas. Ainsi, dès qu’une opération exige des moyens militaires importants, y compris en Afrique, ce n’est pas l’Union européenne qui s’en charge mais les États membres, le cas échéant avec l’appui de l’OTAN. Ce fut le cas, par exemple, en Libye où la France et le Royaume-Uni ont été les principaux contributeurs de l’opération aéronavale de l’OTAN Unified protector en 2011. En revanche, la France est intervenue seule au Mali en 2013, hors du cadre de l’Union européenne mais avec l’appui logistique de certains États membres.

Un modus vivendi s’est donc progressivement établi entre l’Union européenne et l’OTAN, devenues compatibles dans les faits sur les questions de Défense en dehors des Accords de Berlin plus. Il découlait des moyens et des ambitions différentes des deux organisations : l’Europe fait du civil et un peu de militaire, surtout de la formation, l’OTAN assurant la défense territoriale de l’Europe et les « vraies » opérations militaires. L’Union européenne pas plus que ses États membres n’avaient les moyens matériels de la concurrencer ni, surtout, la volonté politique de le faire.

2.   Le désintérêt de l’Europe pour la Défense à la fin des années 2000

La compatibilité entre l’Union européenne et l’OTAN s’est donc installée dans les faits, conformément d’ailleurs à la rédaction de l’article 42 paragraphe 2
du Traité sur l’Union européenne ([17]), si bien que le débat sur les relations UEOTAN, si vif jusqu’aux années 2000, s’est progressivement éteint au sein des deux organisations comme entre elles.

La fin de ce débat s’inscrit dans un nouveau contexte peu propice à la PESC/PSDC en général et encore moins à son renforcement, en tout cas nettement moins que dans les années quatre-vingt-dix où elle constituait l’une des ambitions majeures de l’Union européenne. Les changements structurels, conjoncturels et stratégiques intervenus dans les années 2000 expliquent que la PESD/PSDC ne soit plus une priorité de l’Union européenne.

Le changement structurel, c’est l’adhésion en 2004-2007 de neuf pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne. Or, l’ensemble de ces pays avaient préalablement adhéré à l’OTAN et considéraient celle-ci, depuis leur souveraineté retrouvée en 1989, comme la clé de voûte de leur sécurité. Non seulement ils ne voyaient pas l’Union comme un prestataire de sécurité crédible mais ils étaient totalement opposés à toute initiative de nature à remettre en cause la prééminence de l’OTAN en matière de défense. Dans ces conditions, la complémentarité présentée supra, avec une Union européenne cantonnée aux opérations civiles et aux « petites » opérations militaires leur convenait parfaitement. Après la division majeure causée par l’invasion en Irak entre les États membres, il était ainsi difficile de relancer, par de nouvelles initiatives vouées à l’échec, le débat sur la nature et les ambitions de la Défense européenne.

La crise financière qui éclate fin 2008 constitue le changement conjoncturel majeur dont l’effet sur la PSDC fut indirectement considérable. En effet, confrontés aux conséquences dramatiques de cette crise, l’Union européenne et les États membres ont consacré l’essentiel de leur énergie à relancer leurs économies, à résoudre le problème des dettes publiques et à sauver la Grèce de la faillite et, au-delà, la zone Euro. Dans ces conditions, non seulement les débats autour de la Défense européenne apparaissaient hors de propos mais il n’y avait aucun budget – ni européen, ni national – à y consacrer.

Enfin, dernier élément de contexte, contrairement aux années quatre-vingt-dix où la guerre ravageait l’ex‑Yougoslavie et la dislocation de l’URSS inquiétait toute l’Europe, les années 2000 ont été une période de relative stabilité dans l’environnement de l’Union européenne comme en son sein. À ce propos, il convient de rappeler les premiers mots de la Stratégie européenne de sécurité de 2003 : « l'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre, ni aussi libre ». Riche et libre, l’Europe l’était incontestablement. Elle était aussi sûre. Les pays arabes et le Maghreb étaient stables et la Turquie démocratique, les États‑Unis occupaient l’Irak et la Russie se concentrait sur ses problèmes internes. Enfin, après les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, l’Europe n’avait plus connu d’attaques terroristes majeures.

Dans ces conditions, sans menace sécuritaire immédiate, en proie à une crise financière aux conséquences majeures sur leur économie nationale comme sur la zone Euro, avec des pays de l’Est considérant l’OTAN comme l’horizon indépassable de leur Défense et le renforcement de la PSDC comme un risque de duplication inutile, il n’est guère étonnant que les questions de Défense aient disparu de l’ordre du jour de l’Union européenne.

Il est particulièrement frappant d’observer, à titre de symptôme de ce changement de priorité, l’évolution du nombre de missions civiles et militaires lancées par l’Union européenne dans le cadre de la PSDC. Le graphique suivant retrace cette évolution et met en évidence la césure que constitue l’année 2009, première année de la crise financière :

Le déclin progressif de la PSDC, tant en termes de nombre de missions que d’ambitions, en la réduisant à de simples opérations de formation, trouve aussi une explication dans la personnalité qui, pendant ces années, a occupé la fonction de Haute Représentante pour la PESC, en charge également de la PSDC. Mme Catherine Ashton, selon les mots du député européen M. Arnaud Danjean, résumant l’impression générale, « n’a pas pris la mesure de la dimension sécurité et défense commune. Elle insiste beaucoup sur la diplomatie préventive, la médiation…, moins sur les capacités de sécurité et de défense de l’Union européenne » ([18]).

C’est un fait facilement vérifiable que, pendant toute la durée de son mandat (2009-2014), la PSDC a très rarement été à l’ordre du jour des réunions du Conseil des ministres de l’Union européenne. Seules trois missions militaires ont d’ailleurs été lancées, dont deux missions de formation : EUTM Somalia en 2010, EUTM Mali en 2013 et EUFOR RCA en 2014. Quant au Conseil européen, il a fallu attendre le sommet de Bruxelles, les 19 et 20 décembre 2013, pour qu’il consacre des conclusions substantielles à la PSDC, sur la base d’un rapport de la Haute Représentante unanimement jugé décevant.

Au final, la PSDC apparaît ainsi très loin de ses ambitions d’origine. L’objectif global, fixé à Helsinki en 1999, était « d’ici 2003 de déployer rapidement puis de soutenir des forces capables de mener à bien l’ensemble des missions de Petersberg, y compris les plus exigeantes d’entre elles, dans des opérations pouvant aller jusqu’au niveau d’un corps d’armée (jusqu’à 15 brigades, soit 50 000 à 60 000 hommes). Ces forces devraient être militairement autosuffisantes et dotées des capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, de la logistique et d’autres unités d’appui aux combats ainsi que, en cas de besoin, d’éléments aériens et navals ». Dix ans après, la PSDC se résume, en termes de moyens, à des battlegroups jamais déployés et à des opérations « militaires » consistant pour l’essentiel à envoyer quelques centaines d’hommes pour des missions d’entraînement en Afrique.

 


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II.   La dégradation de l’environnement de sécurité de l’union européenne a entraîné la relance en 2016 de la PSDC, sous impulsion franco-allemande

A.   un contexte dégradé qui a justifié une initIative forte de la France et de l’Allemagne

1.   La dégradation de l’environnement sécuritaire

Alors qu’en 2003, on pouvait officiellement affirmer que « l'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre, ni aussi libre » (voir supra), ce n’est plus le cas dix ans plus tard. Force est de reconnaître que l’Union européenne est désormais entourée d’un véritable « arc de feu » menaçant, sinon sa prospérité, du moins sa sécurité et ses libertés.

Les tensions ont commencé avec le « Printemps arabe » en 2010, vaste soulèvement populaire qui, de la Tunisie à la Syrie en passant par l’Égypte et la Libye, a dressé les peuples de ces pays contre les dictateurs dont ils subissaient le joug depuis des décennies. C’est ainsi que M. Zine El‑Abidine Ben Ali, président de la Tunisie depuis 1987, et M. Hosni Moubarak, président de l’Égypte depuis 1981, ont été rapidement chassés du pouvoir, contraint de s’exiler pour l’un et emprisonné pour l’autre.

Toutefois, il n’en a pas été de même avec M. Bachar El‑Assad, le président syrien, ni avec M. Mouammar Kadhafi, son homologue libyen. Loin de céder aux pressions, ils ont tous les deux brutalement réprimé les manifestations pacifiques de leur peuple, plongeant leur pays dans la guerre civile, avec des conséquences dramatiques, quoique différentes, à la fois pour ces derniers mais aussi pour l’Union européenne.

 Près de sept ans après les premières manifestations, la Syrie est toujours plongée dans une atroce guerre dont le bilan s’élève aujourd’hui à plus de 350 000 morts. À l’origine strictement interne, cette guerre s’est progressivement internationalisée à mesure que d’autres puissances, à commencer par l’Iran et la Russie, s’y sont impliquées. Leur action a marginalisé les opposants initiaux, rapidement débordés par les groupes islamistes, notamment Daesh. Ce dernier s’est ainsi constitué un territoire à cheval sur l’Irak et la Syrie à partir duquel ont été lancées des attaques terroristes en Europe, en France, en Allemagne, en Belgique et au Danemark. La résurgence de ce terrorisme islamiste est l’une des principales menaces aujourd’hui pour l’Union européenne.

Par ailleurs, les années de guerre ont poussé les Syriens sur les routes de l’exil vers l’Europe via la Turquie puis la Grèce, remontant ensuite vers l’Europe du Nord et en particulier vers l’Allemagne qui, en 2016, a accueilli plus d’un million de réfugiés sur son territoire. Ces migrations massives, d’une ampleur inédite depuis la deuxième guerre mondiale, outre leur impact humanitaire, ont eu deux conséquences majeures sur l’Union européenne :

– la remise en cause de la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen en raison de la décision unilatérale de plusieurs États membres de fermer leurs frontières ;

– les oppositions très fortes entre les États membres quant à la gestion par l’Union européenne de la crise migratoire, qu’il s’agisse de la réforme du système commun de l’asile, de la relocalisation des réfugiés ou des relations avec la Turquie, celles-ci alimentant par ailleurs la montée du populisme, dans les pays d’Europe de l’Est mais également à l’Ouest, en Allemagne et en France et, avec elle, le sentiment anti-européen à l’origine du Brexit.

La Libye présente de nombreuses similitudes avec la Syrie mais également plusieurs différences majeures. Comme en Syrie, un soulèvement populaire a dégénéré en guerre civile en raison de la répression mais alors que M. Bachar El‑Assad est encore au pouvoir à Damas, une intervention militaire conjointe de la France et du Royaume-Uni, appuyée par l’OTAN, a renversé le régime de M. Mouammar Kadhafi. Toutefois, faute de déploiement de troupes au sol et d’une véritable stratégie post-guerre, la Libye a sombré dans le chaos et avec elle, l’ensemble de la région du Sahel.

En effet, les importants stocks libyens d’armes légères et lourdes (mitrailleuses, mortiers, lance-grenades… jusqu’à des missiles anti‑chars et anti‑aériens, de munitions et d’explosifs) ont été pillés et se sont disséminés dans la région avec le retour, dans leur pays d’origine, des combattants mobilisés pendant la guerre en Libye. En ont bénéficié non seulement les Touaregs mais également des groupes terroristes, en particulier Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Ces facteurs ont contribué à déstabiliser des États déjà instables, minés par la corruption et la mauvaise gouvernance, aux populations pauvres et à la jeunesse nombreuse, peu éduquée et sans perspective économique.

Le Mali a été le premier à s’effondrer, obligeant la France à intervenir en janvier 2013 pour stopper l’offensive djihadiste sur Bamako. Depuis cette date, les 4 500 hommes de la force Barkhane sont déployés au Sahel afin de traquer les terroristes dans le désert et de renforcer la stabilité des États de la région. En effet, le terrorisme ne constitue que l’une des menaces que représente le Sahel pour la sécurité de l’Union européenne. L’autre, ce sont les passeurs qui, profitant du chaos libyen, ont fait de ce pays un point de passage vers l’Europe. Au-delà des drames humains qu’entraîne ce trafic, les arrivées massives de réfugiés africains en Italie ont eu les mêmes effets que celles des Syriens en Grèce, mettant à mal la solidarité entre les États membres et à jour les dysfonctionnements de l’Union.

Enfin, si la Tunisie et l’Égypte ont réussi à se débarrasser pacifiquement de leurs vieux dictateurs, la première fait face à une grave crise économique en raison, notamment, du risque terroriste qui a sinistré l’industrie touristique. Quant à la seconde, un coup d’État militaire a mis fin, le 3 juillet 2013, au mandat du premier président démocratiquement élu, par ailleurs issu des Frères musulmans.

Si les enjeux sécuritaires du voisinage sud portent sur le terrorisme et les migrations et appellent une réponse globale, ceux du voisinage Est sont très différents et, d’une certaine manière, plus simples que dans le Sahel tant la menace est unique, clairement identifiée et froidement rationnelle. En effet, c’est la Russie et elle seule qui, par sa politique agressive, est un facteur d’insécurité aux frontières orientales de l’Europe. S’appuyant sur les minorités russophones présentes en Ukraine, elle a délibérément violé le droit international en annexant la Crimée en 2014 et en soutenant les séparatistes du Donbass, nourrissant une guerre qui a fait plus de 10 000 morts et se poursuit aujourd’hui.

Cette agressivité, renforcées par des manœuvres militaires régulières à leurs frontières et des attaques hybrides (piratages informatiques, fake news…), nourrit les craintes des pays de l’Est qui non seulement eurent à subir le joug de l’URSS pendant un demi-siècle mais abritent également, s’agissant des pays Baltes, d’importantes minorités russophones. Ces pays, aujourd’hui membres de l’Union européenne, sont partisans d’une politique ferme vis-à-vis de Moscou et plébiscitent la protection de l’OTAN contre une menace qu’ils considèrent, bien plus que les pays d’Europe de l’Ouest, comme existentielle.

2.   L’initiative franco-allemande d’un Pacte européen de sécurité, présenté à l’été 2016, a relancé la PSDC

Cette accumulation de crises et de menaces a révélé l’impuissance de l’Union européenne. Certes, des sanctions politiques et économiques ont été adoptées contre la Syrie et la Russie, et quelques missions militaires ont été lancées, notamment au Mali, mais ces dernières sont opérées et financées par les États membres qui tiennent également le premier rôle dans la résolution des crises qui frappent le voisinage européen, notamment notre pays, engagé au Sahel mais aussi, avec l’Allemagne, pour un règlement pacifique de la crise ukrainienne à travers les Accords de Minsk.

Les moyens militaires comme les moyens industriels et financiers sont donc ceux des États membres, du moins de certains d’entre eux. Mais ils agissent individuellement, hors d’un cadre commun qui, s’il existait, permettrait non seulement de partager le fardeau mais également d’accroître l’efficacité de l’action européenne en matière de Défense.

Le constat que des menaces croissantes, affectant l’Europe toute entière, justifient la mise en œuvre effective d’une Défense européenne a conduit la France et l’Allemagne, rapidement rejointes par l’Italie et l’Espagne, à relancer la PSDC à travers la proposition d’un « Pacte européen de sécurité », présenté le 23 août 2016. Cette proposition s’inscrit dans le prolongement de la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité, présentée par la Haute Représentante Mme Federica Mogherini au Conseil européen des 28 et 29 juin 2016, qui entérine l'objectif d'autonomie stratégique souhaité par la France. Axée sur le renforcement des capacités militaires de l’Union, elle préfigure les futures initiatives européennes en matière de Défense.

Le « Pacte européen de sécurité », qui comporte aussi des propositions relatives à la sécurité intérieure, s’articule, s’agissant de la Défense, en trois axes :

– une coopération européenne accrue en matière de Défense, à la fois par la mise en œuvre de la Coopération structurée permanente mais également par une coordination et une transparence accrue des développements capacitaires des États membres et de leurs budgets de Défense. Cette dernière pourrait être appuyée par l’Agence européenne de Défense (AED) dans le cadre d’un « Semestre européen de Défense » sur le modèle du « Semestre européen » consacré à la coordination des politiques économiques et budgétaires ;

– le développement de nouvelles capacités de Défense. Sont ainsi proposés, notamment, un objectif de 20 % des budgets nationaux de la Défense consacrés à l’investissement dans des secteurs clés (le ravitaillement en vol, la communication satellitaire gouvernementale, la cybersécurité et le drone MALE), un vrai programme de recherche Défense pour le prochain CFP et, enfin, une extension du mécanisme de financement des opérations militaires Athéna ;

– le renforcement du caractère opérationnel des capacités militaires dont l’Europe dispose actuellement. Le Pacte européen de sécurité propose ainsi de renforcer la capacité de planification stratégique et de conduite militaire de l’Union, par la création d’un quartier général permanent pour les missions et opérations militaires et civiles, de créer un commandement médical européen, d’améliorer la capacité de déploiement des groupements tactiques de l’Union européenne et, enfin, d’améliorer le processus de génération de forces pour les missions et opérations de l’Union européenne, laquelle amélioration reposera notamment sur une meilleure prise en charge de leur coût par le mécanisme Athéna (voir supra).

Cette initiative aurait pu, comme bien d’autres en matière de Défense européenne, rester lettre morte. Toutefois, outre la dégradation de l’environnement de sécurité de l’Union, deux facteurs ont particulièrement contribué à ce qu’elle prospère au niveau européen. En effet, quelques jours avant la présentation du « Pacte européen de sécurité » a eu lieu le référendum sur le Brexit. Le choc qu’a constitué le choix du peuple britannique de quitter l’Union européenne, nouvelle crise s’ajoutant à de nombreuses autres, a obligé l’Union à réagir rapidement afin de donner un nouveau souffle à la construction européenne et de renforcer sa légitimité. L’autre facteur est, bien sûr, l’élection de M. Donald Trump à la présidence des États‑Unis, à la faveur d’un programme isolationniste.

De ce point de vue, la proposition franco-allemande pouvait constituer un symbole fort. Elle fournissait en effet l’occasion aux États membres de dépasser leurs divisions et de se rassembler autour d’une politique commune fortement empreinte de souveraineté – qu’avait d’ailleurs longtemps bloquée le Royaume-Uni – et à la Commission de montrer aux peuples européens que l’Union avait conscience de leurs attentes en matière de protection et qu’elle était disposée à utiliser toutes ses compétences afin de les satisfaire.

Le discours sur l’état de l’Union, prononcé par le Président de la Commission européenne le 14 septembre 2016, est sans équivoque. En voulant une « Europe qui protège » et une « Europe qui défend », M. Jean-Claude Juncker montre qu’il a parfaitement saisi les enjeux : « la puissance douce ne suffit pas dans un voisinage de plus en plus dangereux […]. L'Europe doit s'affirmer davantage. Cela est particulièrement vrai pour notre politique de défense. L'Europe ne peut plus se permettre de dépendre de la puissance militaire d'autres pays ou de laisser la France défendre seule son honneur au Mali. Nous devons prendre en charge la protection de nos intérêts et de notre mode de vie européen ». La Défense est donc désormais officiellement à l’ordre du jour de l’Union européenne et les initiatives prises les mois suivants s’inspirent, comme on le verra, des propositions du Pacte européen de sécurité précité.

B.   Des initiatives nombreuses, porteuses d’une nouvelle ambition pour la psdc

1.   Le renforcement des capacités européennes de Défense : le lancement de la coopération structurée permanente et du CARD

La Coopération structurée permanente ou, en anglais, la PESCO, est l’une des innovations majeures du traité de Lisbonne. Ainsi qu’il a été dit supra, elle vise, aux termes de l’article 46 dudit traité, à regrouper « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». Cadre juridique d’une coopération militaire entre les États membres, elle n’avait jamais été mise en œuvre, faute de volonté politique de leur part.

Symbole des nouvelles ambitions de l’Union européenne en matière de Défense, la PESCO a été notifiée à la Haute Représentante le 13 novembre dernier – deux ans jour pour jour après les attentats du Bataclan – et officiellement créée par décision du Conseil en date du 11 décembre. Elle rassemble aujourd’hui 25 pays, soit la totalité des États membres à l’exception du Royaume-Uni, du Danemark et de Malte. Les règles de gouvernance de la PESCO ainsi que les engagements ont été fixées dans la décision du Conseil susmentionnée.

Après de longues négociations, les membres de la PESCO se sont accordés sur dix-sept projets, chacun d’entre eux comportant un pays leader, des pays participants et des pays observateurs (qui, associés au projet, peuvent ainsi en suivre les évolutions et, au besoin, le rejoindre par la suite). Ces projets peuvent être regroupés comme suit :

– six projets de facilités : commandement médical européen, logiciel de sécurisation des radiofréquences, hub logistique et soutien aux opérations, mobilité militaire, fonction énergie en opérations et système de commandement et contrôle des missions de la PSDC ;

– deux projets de formation : centre d’excellence pour les missions de formation de l'Union européenne et centre de certification des formateurs pour les armées européennes ;

– trois projets maritimes : drones sous-marins détecteurs et destructeurs de mines, système autonome de protection et surveillance des ports et mise à jour du système de surveillance maritime ;

– deux projets cyber : plateforme de partage d’informations sur la réponse aux attaques et menaces cyber et équipes de réaction rapide aux attaques cyber et assistance mutuelle dans la cybersécurité ;

– quatre projets terrestres : soutien militaire d’urgence déployable en cas de catastrophe, véhicules blindés d'infanterie, soutien indirect au tir et noyau opérationnel pour la réponse de crise.

L’ambition de la PESCO va toutefois au-delà des projets particuliers de capacités dont elle est le cadre et les principes contenus dans la lettre de notification sont très explicites sur celle‑ci. Ses membres affirment ainsi que la PESCO constitue « une étape cruciale pour renforcer la PSDC » et, surtout, pourrait permettre d’ouvrir « la voie à une Défense commune ».

Toutefois, au-delà de la PESCO, l’augmentation des capacités de Défense des États membres serait largement inopérante du point de vue européen si elle se faisait de manière désordonnée, chacun d’entre eux définissant ses besoins et décidant de ses investissements sans tenir compte de ceux des autres. C’est à ce manque de coordination que l’Union européenne doit de faire cohabiter, dans ses armées nationales, 17 types de chars de combat lourds, 29 types de destroyers et de frégates et 20 types d’avions de chasse différents ([19]).

C’est pourquoi vos rapporteurs saluent la décision prise par le Conseil, le 18 mai dernier, d’établir, sur une base volontaire, une revue annuelle coordonnée de Défense (Coordinated Annual Review on Defence – CARD). Synthétisée dans un rapport de l’AED au Conseil, l’objectif de cette revue, qui s’inspire du processus de planification de la défense de l'OTAN (NATO Defence Planning Process, NDPP), sera, en effet, de fournir « un aperçu complet » sur trois éléments essentiels :

– les plans agrégés de défense des États membres, notamment les plans de dépenses de Défense ;

– la mise en œuvre des priorités de développement des capacités de l'Union, en tenant compte également de la hiérarchisation des priorités dans le domaine de la recherche et de la technologie et des activités stratégiques clés ;

– le développement de la coopération européenne.

2.   L’augmentation des financements pour renforcer la compétitivité de l’industrie européenne de Défense

L’ambition capacitaire portée par la PESCO est inséparable d’un renforcement de l’industrie européenne de Défense. En effet, il y aurait une incohérence majeure si l’Union devait se fournir en matériels et technologies auprès de pays tiers, à commencer par les États‑Unis, et plus encore si les différentes entreprises européennes de Défense se montraient incapables de coopérer entre elles ou de réaliser les investissements nécessaires.

Ce dernier point est malheureusement la réalité d’aujourd’hui. Comme l’a à plusieurs reprises souligné la Commission, les dépenses des États membres dans le domaine militaire sont inefficaces en raison de leur dispersion et de la fermeture des marchés publics nationaux de Défense, lesquelles privent l’industrie européenne des économies d’échelle et produit des doublons, chaque pays ayant son modèle de char d’assaut ou son modèle de frégate. Il lui est ainsi difficile d’exposer les dépenses de recherche et de développement qu’exigent aujourd’hui les programmes modernes d’armement.

La Commission européenne a conscience de ces difficultés et de leurs conséquences. C’est pourquoi, dès le 30 novembre 2016, celle-ci a présenté un « Plan d’action pour la Défense européenne » dont l’objet vise « à accroître l'efficacité de leurs dépenses dans les capacités de défense communes, à renforcer la sécurité des citoyens européens et à promouvoir une base industrielle compétitive et innovante ». Ce plan très ambitieux comporte trois propositions majeures.

La première est la création d’un Fonds européen de la Défense afin de soutenir les investissements dans la recherche et le développement conjoints d'équipements et de technologies de Défense. Ce Fonds comprendrait deux volets complémentaires mais différents de par leur structure juridique et la source de financement de leur budget :

– un volet « recherche », destiné à financer la recherche collaborative dans les technologies de défense novatrices telles que l'électronique, les métamatériaux, les logiciels cryptés ou la robotique. 500 millions d’euros par an à compter du nouveau CFP 2021-2027. À noter que, sans attendre 2021, la Commission a présenté une proposition de règlement établissant le « programme européen de développement de l’industrie de la défense », également doté de 500 millions d’euros financés par des redéploiements, visant à soutenir, d’ici cette date, la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’Union européenne, incluant les projets réalisés dans le cadre de la PESCO ;

– un volet « capacités » d’un milliard d’euros par an, qui servirait d'instrument permettant aux États membres d'acquérir certains biens tout en réduisant leurs coûts. Avec les contributions de ces derniers, le FED pourrait générer, selon la Commission, un volume total d'investissement dans le développement de capacités de 5 milliards d'euros par an.

La deuxième est la promotion des investissements dans les PME, les start-up, les ETI et les autres fournisseurs de l'industrie de Défense. La Commission souhaite en particulier supprimer l'interdiction de financement de la Banque européenne d'investissement des dépenses dans le domaine de la Défense, laquelle bloque non seulement pour les PME l'accès aux prêts de la BEI mais aussi l'accès au Fonds pour les investissements stratégiques ou au programme Cosme. L'objectif est de permettre le financement pour les activités de double usage.

Enfin, la troisième est le renforcement du marché unique de la Défense. En effet, les deux directives applicables, la directive n° 2009/42/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense et la directive n° 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés dans les domaines de la défense et de la sécurité, sont largement inappliquées ou mal appliquées par les États membres :

– 78 % de l’ensemble des marchés publics d’équipements de Défense ont été passés au seul niveau national en 2014, selon les dernières données de l’AED ;

– les règles applicables aux transferts intra-européens des produits liés à la Défense diffèrent fortement selon les États membres, notamment pour les systèmes de licences et les exigences en matière de certification des entreprises.

La Commission européenne souhaite donc, dans le cadre de ce Plan d’action, mettre l'accent sur une « mise en œuvre efficace de la directive 2009/81/CE, notamment par voie d’exécution forcée » ([20]). Elle veut également apporter en 2017-2018, « des éclaircissements » sur l’interprétation de certaines dispositions, notamment sur « la passation de marchés de gouvernement à gouvernement » ainsi que réviser les dispositions sur la sous‑traitance pour donner « une plus grande flexibilité » aux pouvoirs adjudicateurs. Enfin, la Commission compte adopter des recommandations sur les licences générales de transfert au cours du premier trimestre 2018.

Enfin, il faut dire un mot du mouvement général en Europe dans le sens d’une augmentation des budgets nationaux de la Défense. Alors que ceux‑ci étaient à la baisse depuis 1989, ils sont désormais à la hausse, de nombreux États membres ayant fait leur l’objectif défini dans le cadre de l’OTAN de 2 % de leur PIB consacrés à la Défense ([21]). Si la France est aujourd’hui à 1,78 %, le président de la République a ainsi annoncé que notre pays atteindrait ce niveau – soit 50 milliards d’euros annuel – d’ici à 2025. Quant à l’Allemagne, actuellement à 1,22 %, elle vise également, sous réserve des discussions en cours entre le SPD et la CDU, les 2 % – soit 60 milliards d’euros. Les pays de l’Est ne sont pas en reste, notamment la Pologne et l’Estonie qui ont d’ores et déjà atteint cet objectif.

3.   L’approfondissement de la coopération UE‑OTAN

Ainsi qu’il a été vu supra, depuis les accords de Berlin plus, la PSDC et l’OTAN ont trouvé un modus vivendi largement basé sur une certaine indifférence réciproque, sans parler du désintérêt progressif de l’Union européenne pour les questions de Défense, tout entière absorbée par la gestion de la crise financière et de ses conséquences.

Il est toutefois évident que la relance de la PSDC à partir de 2016 et les nombreuses initiatives européennes en découlant ne pouvaient faire abstraction de l’OTAN qui, faut-il le rappeler, constitue un élément fondamental de la politique de Défense des 22 États membres de l’Union européenne également membre de l’Alliance. L’ignorer aurait été d’autant plus absurde que l’OTAN et l’Union européenne font face aux mêmes menaces et, en particulier, à la menace russe à l’Est. C’est d’ailleurs l’aggravation de cette menace, symbolisée par l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine, qui a contribué à rapprocher les deux organisations.

Le Sommet de l’OTAN de Varsovie, en juillet 2016, a marqué le point de départ d’une coopération renouvelée et renforcée entre l’Union européenne et l’Alliance, écartant résolument les débats « théologiques » sur sa nature et ses finalités au profit d’une approche pragmatique dictée par les attentes des citoyens et la gravité des crises auxquelles elles font toutes les deux face.

C’est ainsi qu’ont été définis, dans une déclaration commune signée par le Secrétaire général de l’OTAN, le président de la Commission européenne et le président du Conseil, sept domaines de coopération :

– la lutte contre les menaces hybrides ;

– les opérations, notamment en mer et en matière de migration ;

– la cybersécurité et de la cyberdéfense ;

– les capacités de défense des États membres de l'Union et des Alliés ;

– la recherche ;

– les exercices, notamment contre les menaces hybrides ;

– l’assistance à la défense et de sécurité, pour améliorer la résilience des membres à l’Est et au Sud, y compris en renforçant leur capacité maritime.

Quelques mois plus tard, le 6 décembre 2016, cette déclaration a été mise en œuvre par le Conseil de l’Union européenne et le Conseil de l’Atlantique Nord qui, conjointement, ont défini une liste de quarantedeux actions concrètes de coopération dans les domaines susmentionnés. Il est ainsi important de souligner que le rapprochement entre les deux organisations n’est pas une simple rhétorique imposée par les circonstances mais se présente comme un véritable partenariat stratégique dans des domaines clés pour la sécurité des Européens.


—  1  —

III.   le succès de la PSDC, subordonné à la volonté politique des états membres, n’ira pas sans une redéfinition des relations UE‑otan

A.   l’union doit répondre aux attentes de sécurité des citoyens européens et se réorganiser en conséquence

1.   Une opportunité historique à ne pas manquer

Après le choc du Brexit et dans un contexte de multiplication des crises dans son voisinage, aux conséquences dramatiques en son sein, l’Union européenne, soutenue par l’ensemble des États membres, a fait de la PSDC une priorité de son action pour les prochaines années, brisant le tabou que constituent généralement les questions de Défense au niveau européen. La volonté affichée du président de la Commission dans le discours sur l’état de l’Union du 14 septembre 2016 d’aller de l’avant en la matière a été confirmée l’année suivante. Le 13 septembre 2017, devant le Parlement européen, M. Jean-Claude Juncker a en effet appelé à « tenir le cap fixé l'an dernier » et donner une nouvelle ambition à l’action de l’Union en matière de Défense : « d'ici à 2025, nous devrions disposer d'une union européenne de la défense opérationnelle ».

Si, naturellement, vos rapporteurs se félicitent qu’après plusieurs années à ignorer les enjeux de la Défense, l’Union européenne l’ait mise en haut de son agenda, ils regrettent cependant qu’il ait fallu une telle accumulation de crises pour qu’elle prenne conscience de l’importance des enjeux de sécurité. Toutefois, c’est ce contexte particulier qui constitue une opportunité historique d’aller de l’avant dans la construction d’une véritable Europe de la défense. La saisir est une impérieuse nécessité pour l’Union européenne qui, dans ce domaine plus que dans les autres, joue sa crédibilité vis-à-vis des citoyens européens.

En effet, les citoyens européens ont une forte attente en matière de sécurité et de Défense, comme l’a révélé le sondage réalisé en avril 2017 par le Parlement européen ([22]) : « les Européens sont profondément inquiets des dernières évolutions géopolitiques mondiales. Face à ces incertitudes, ils privilégient majoritairement une démarche commune au niveau de l’Union européenne pour y faire face ». Or, 44 % d’entre eux pensent que l’action de l’Union est insuffisante et 68 % attendent d’elle qu’elle soit plus importante.

Si l’Europe devait décevoir cette attente, elle nourrirait le sentiment anti-européen et la perception que décidément, l’Europe est coupée des réalités ou – et c’est peut être pire – incapable de les affronter en adoptant les mesures nécessaires. Dans tous les cas, c’est la construction européenne elle-même qui serait, une nouvelle fois, fragilisée.

2.   Une réforme institutionnelle à mener

En matière de PSDC, les États membres sont en première ligne. Vos rapporteurs reviendront infra sur le primat de la volonté politique dans le succès des initiatives européennes. Mais l’Union européenne doit aussi faire sa part du travail. Dans un monde hyperconnecté au sein duquel la communication joue un rôle majeur, il est nécessaire pour les institutions européennes de montrer à leurs citoyens, à leurs partenaires et à leurs ennemis qu’elles ont pris toute la mesure des enjeux en matière de sécurité et de Défense en adaptant leurs organisations en conséquence.

L’ensemble des institutions européennes est concerné, à commencer par le Conseil. En effet, le Conseil des Affaires étrangères a compétence sur l’ensemble des relations extérieures de l’Union, y compris la PSDC. C’est ainsi qu’un citoyen consultant le site du Conseil ne verra jamais affiché un Conseil des ministres de la Défense, ceux-ci se réunissant sous couvert des « Affaires étrangères ». De même, il n’y a pas, au sein de la Commission, de Commissaire chargé de la Défense. Certes, la Haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité a également compétence sur la PSDC mais cette dernière est noyée dans un portefeuille immense dont l’intitulé même ignore le terme « Défense ». Il n’y a pas un seul État membre dans lequel le portefeuille de la défense et celui des Affaires étrangères sont confondus. Enfin, alors même que le nombre de commissions n’est pas limité au Parlement européen, celui-ci ne dispose pas d’une commission de la Défense, les affaires de Défense étant sous-traitées au sein de la commission des Affaires étrangères.

Vos rapporteurs ont ainsi l’impression que la structure actuelle des institutions européennes est restée figée à ce qu’était l’Union européenne lors de la ratification du traité de Maastricht il y a un quart de siècle. L’adapter en cohérence avec la priorité nouvelle donnée à la PSDC apparaît donc de bon sens.

Malheureusement, cet aménagement de bon sens se heurte à la rigidité des traités européens. Certes, la PSDC a été identifiée en tant que telle mais l’article 42 du traité sur l’Union européenne stipule que « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune ». De ce postulat découle l’organisation du Conseil et de la Commission précitée, elle aussi fixée par le TUE :

– l’article 16 paragraphe 6 mentionne explicitement le Conseil dans sa forme de Conseil des Affaires étrangères, seul compétent pour élaborer l’action extérieure de l’Union, y compris donc celle en matière de Défense et de sécurité ;

– l’article 27 stipule que « le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui préside le Conseil des Affaires étrangères, contribue par ses propositions à l’élaboration de la politique étrangère et de sécurité commune et assure la mise en œuvre des décisions adoptées par le Conseil européen et le Conseil ». Il a donc compétence en matière de Défense.

Cependant, certaines réformes n’engageant pas une modification des traités pourraient être mises en œuvre. Ainsi en est-il, en particulier, de la création d’une commission de la Défense au sein du Parlement européen, qui est aisée, le règlement de cette assemblée ne limitant pas le nombre de commissions permanentes. Une autre réforme n’exigeant pas de modification des traités pourrait également être mise en œuvre. En effet, compte tenu des initiatives en cours en matière de développement de l’industrie européenne de Défense, une nouvelle Direction générale pourrait être créée au sein de la Commission européenne. Elle regrouperait, pour une meilleure efficacité et une plus grande cohérence, la gestion des programmes régaliens existants, notamment spatiaux, et des futurs programmes de Défense comme les programmes civils ayant une composante sécurité et Défense. Même si sa compétence n’empiéterait pas sur celle du SEAE qui, aujourd’hui comme demain, resterait chargé de la mise en œuvre de la PSDC, notamment sur le plan opérationnel, une telle DG serait un signal politique fort de la nouvelle approche stratégique en matière de politique industrielle de Défense.

Cette nouvelle Direction générale serait placée sous l’autorité conjointe du commissaire chargé de l’Industrie – aujourd’hui Mme Elżbieta Bieńkowska ([23]) – et du Haut représentant pour la PESC qui, dans la Commission actuelle, a également le rang de vice-président. Dans l’idéal, elle devrait être créée et pleinement opérationnelle d’ici à fin 2020 et le lancement du FED.

B.   De lourdes hypothèques pèsent sur les initiatives européennes dont le succès dépendra largement de la bonne volonté des états membres

1.   Les limites de la PESCO

a.   Une PESCO large à visée principalement capacitaire

Le lancement de la PESCO, le 11 décembre dernier, constitue un succès qui a été unanimement salué à la fois par les institutions européennes et les États membres. Après des années de blocage de toute initiative en matière de PSDC, elle est le symbole de la capacité retrouvée des Européens à avancer ensemble et à coopérer dans une matière hautement sensible car liée à la souveraineté nationale. Comme l’a dit le président de la République à l’issue du sommet européen, « ce qui paraissait impossible à beaucoup il y a un an, parce que la Commission a fait une proposition, parce que nous l'avons ensemble soutenue et nous avons largement réuni devient aujourd'hui une réalité ». Pour la Haute représentante, c’est même « un jour historique. Exactement dix ans après la signature du Traité de Lisbonne [la PESCO] transforme l'Union européenne en un fournisseur de sécurité crédible à l'échelle mondiale ».

Vos rapporteurs tiennent eux aussi à saluer ce progrès majeur de la coopération européenne en matière de Défense. Toutefois, ils attirent également l’attention sur le fait que, pour essentielle qu’elle soit, la PESCO comporte certains risques et limites qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit si l’on veut faire de cette coopération un succès.

Créée par le traité de Lisbonne, la PESCO a été présentée pendant dix ans comme la possibilité pour un noyau dur d’États membres « respectant des critères plus élevés de capacités militaires » de progresser ensemble sur les questions de Défense en surmontant les blocages découlant de l’unanimité normalement exigée dans cette matière. L’idée d’un noyau dur est d’autant plus pertinente que les dépenses de Défense sont très concentrées dans l’Union européenne sur un petit nombre d’États membres. Hors Royaume‑Uni, elles se sont élevées à 180 milliards d’euros en 2016 et les quatre « grands » : France, Allemagne, Espagne et Italie ont représenté 60 % de celles-ci. En ajoutant la Pologne et les Pays-Bas, c’est près de 70 % des dépenses militaires de l’Union qui sont supportées par six pays. Ces pays, non seulement représentent la majeure partie des dépenses militaires mais aussi, à des degrés variables, des capacités opérationnelles et de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITD).

La logique aurait été que ces pays s’unissent entre eux. C’est aussi la vision française de la PESCO et, plus généralement, de la PSDC : un noyau dur de d’États membres unis dans des projets ambitieux en matière de coopération industrielle, à même de combler les lacunes capacitaires européennes, mais également pour des interventions militaires ou civilo-militaires à l’étranger. De ce fait, cette conception de la PESCO est exclusive. L’Allemagne envisage au contraire la PESCO sous le prisme de l’intégration européenne et insiste sur son caractère inclusif, l’objectif étant d’assurer la participation de tous à des projets nécessairement moins ambitieux mais aussi de faire des économies. Sur son site Internet, le gouvernement allemand présente (en français) l’intérêt de la PESCO à travers l’exemple suivant : « jusqu'ici, les achats d'équipements militaires étaient, dans une large mesure, effectués au niveau national par les différents États membres de l'Union européenne. Il y a cependant moyen d'organiser de manière plus efficace de nombreux domaines de coopération. Si les pays membres de l'Union européenne pouvaient s'entendre sur des achats groupés de matériel militaire, ils pourraient réaliser des économies considérables ».

Or, à l’évidence, c’est la vision allemande qui a prévalu. Ainsi qu’il a été dit, la PESCO regroupe la quasi-totalité des États membres sur la base de critères peu exigeants et autour de projets d’une ampleur très limitée. En effet, les lacunes capacitaires de l’Union européenne sont bien connues et les opérations militaires en Libye et au Mali les ont amplement démontrées. Sans les moyens américains en matière de ravitaillement en vol, de renseignement, de reconnaissance et de surveillance (c’est-à-dire en pratique les drones) et de transport stratégiques et tactiques, les opérations n’auraient pu être réalisées ou alors, dans des conditions très difficiles.

Il faut ainsi reconnaître que, pour utiles qu’ils soient, les projets de capacités mis en œuvre dans le cadre de la PESCO ne changeront pas fondamentalement le rapport de force sur le terrain. L’Union souffrira toujours des lacunes capacitaires actuelles qui la rendent dépendantes des moyens américains et ne se rapproche pas de l’objectif d’autonomie stratégique qui devrait pourtant être celui de la PESCO.

Le corollaire, c’est la faiblesse des engagements en matière opérationnelle. Les seules forces opérationnelles dont dispose l’Union européenne dans le cadre de la PSDC sont les groupements tactiques (GTUE) qui, on le sait, n’ont jamais été déployés en raison du coût qu’ils représentent pour les États membres concernés et de l’unanimité exigée pour leur engagement. Si, le 22 juin 2017, le Conseil européen a avancé sur la question de la prise en charge du déploiement des Battlegroups par le mécanisme Athéna, l’engagement n° 14 de la PESCO se contente d’indiquer que « les membres vont rechercher une approche ambitieuse pour le financement en commun des opérations et missions militaires de la PSDC ». Une obligation de moyen donc, pas de résultat… et rien sur les règles d’engagement de ces GTUE. Renforcer les capacités de l’Union est une bonne chose, sauf si elles devaient rester inutilisées.

L’évaluation des engagements pris dans le cadre de la PESCO pourrait par ailleurs être améliorée. Pour rappel, celle-ci repose sur l’Agence européenne de défense et l’État-major de l’Union européenne, sur lesquels l’influence des États membres est forte. Vos rapporteurs considèrent que, pour une plus grande indépendance dans l’évaluation, elle pourrait impliquer davantage la Commission européenne dans le cadre du semestre européen.

Enfin, sans vouloir se faire les avocats du diable, vos rapporteurs observent que les engagements des membres d’augmenter leur budget de Défense et de consacrer 20 % de celui-ci à l’investissement n’est pas tant une nouveauté que la reprise de l’engagement identique pris dans le cadre de l’OTAN, avec cette précision que ce dernier comporte un objectif chiffré : 2 % du PIB.

b.   Une implication variable révélatrice de profondes divergences

Si la quasi-totalité des États membres participent à la PESCO, il ne faut pas se leurrer sur la signification de cette quasi-unanimité. En effet, dans un contexte marqué une forte attente de l’ensemble des citoyens européens en matière de sécurité compte tenu de la multiplication des crises à l’extérieur de l’Union européenne et de leurs conséquences en son sein, il n’était politiquement pas possible pour un État membre de refuser de participer à un projet comme la PESCO. En outre, les précédents de l’espace Schengen ou de la zone Euro faisaient craindre aux États réticents de rester pour longtemps à la porte s’ils ne rejoignaient pas la PESCO dès sa création. Les plus sceptiques l’ont donc rejointe, si bien que la participation de tous à celle-ci ne peut s’analyser uniquement comme une adhésion pleine et entière à l’objectif d’une Défense européenne stratégiquement autonome tel qu’il est porté, notamment, par notre pays.

Plusieurs indices montrent que les États membres n’ont pas la même vision de la PESCO, ce qui n’est pas sans conséquence puisque si elle a pu être créée à la majorité qualifiée, les décisions en son sein doivent être prises à l’unanimité. Qu’un seul membre, à l’avenir, ne partage pas les orientations des autres et celle-ci se retrouvera bloquée.

Maintenant que les 17 projets capacitaires de la PESCO ont été rendus publics, il saute aux yeux que le degré d’implication des États membres est très variable, comme le montre le tableau suivant :

 

Direction

Participation

Total

Italie

4

12

16

Allemagne

4

3

7

France

2

2

4

Grèce

2

7

9

Pays-Bas

1

6

7

Espagne

1

10

11

Belgique

1

5

6

Lituanie

1

1

2

Slovaquie

1

3

4

République Tchèque

0

1

1

Lettonie

0

1

1

Estonie

0

1

1

Portugal

0

9

9

Irlande

0

6

6

Luxembourg

0

2

2

Suède

0

2

2

Finlande

0

3

3

Roumanie

0

4

4

Bulgarie

0

3

3

Chypre

0

5

5

Hongrie

0

3

3

Autriche

0

4

4

Croatie

0

5

5

Slovénie

0

2

2

Pologne

0

2

2

Il apparaît somme toute logique de voir l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne être particulièrement impliquées dans les projets. Les deux premiers dirigent quatre projets chacun et l’Espagne un seul mais cette dernière participe à onze projets, contre sept pour l’Allemagne. L’Italie, quant à elle, participe à la quasi-totalité des projets. En revanche, de manière surprenante compte tenu à la fois de ses moyens et de sa contribution à la création de la PESCO, notre pays n’est leader que de deux projets ([24]) et ne participe qu’à deux autres. Vos rapporteurs s’interrogent sur une telle réserve alors que d’autres pays disposant de bien moins de moyens, comme le Portugal, l’Irlande ou Chypre, participent à respectivement neuf, six et cinq projets.

En revanche, s’il est une réticence qui s’explique facilement, c’est celle de la Pologne. Si ce pays, en première ligne face à la Russie, ne pouvait pas rester en dehors de la PESCO, il ne l’a rejointe qu’à ses conditions. Celles‑ci ont été explicitées dans un courrier conjoint de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères à la Haute Représentante. Trois « lignes rouges » sont en effet fixées par la Pologne s’agissant de sa participation à la PESCO :

– les projets capacitaires de la PESCO, s’ils visent à combler les lacunes européennes, doivent tenir compte des priorités et besoins de l’OTAN, si bien que la Pologne ne soutiendra que les projets répondant également à ces derniers ;

– les projets de la  PESCO doivent bénéficier à l’ensemble des États membres et à leurs entreprises, afin d’assurer un développement équilibré de l’industrie européenne de Défense ;

– enfin, l’Union européenne, dans son action extérieure, doit avoir une approche à 360 degrés des menaces, incluant le flanc Est.

La participation de la Pologne à la PESCO semble donc essentiellement guidée par sa volonté d’être la gardienne vigilante des intérêts de l’OTAN, quitte, le cas échéant, à bloquer les projets qui lui seraient défavorables, et de bénéficier pour son industrie de Défense des projets PESCO. Elle est toutefois loin d’être la seule dans ce cas (voir infra). Vos rapporteurs rappellent toutefois qu’un État qui ne respecterait plus l’un des critères de la PESCO pourrait, aux termes de l’article 46 paragraphe 4 du TUE, être suspendu à la majorité qualifiée. Un autre moyen de pression pour lever un éventuel blocage serait la réduction des financements du PEDID (voir infra).

En définitive, la création de la PESCO représente un formidable succès pour l’Union européenne. Toutefois, la PESCO est, comme son nom l’indique, « permanente » et, de ce fait, unique. Il n’en sera pas créé une deuxième. Par les développements précédents, vos rapporteurs ne font donc qu’attirer l’attention sur ses risques et limites afin qu’elle soit le succès que l’ensemble des citoyens européens attendent.

2.   La contrainte budgétaire

C’est un lieu commun de rappeler que l’argent est le nerf de la guerre et, en matière militaire, les déclarations d’intention et autres instruments juridiques qu’a accumulés l’Union pendant des années ne peuvent tenir lieu de politique. Il faut donc se réjouir que la Commission ait pris la décision de proposer des fonds européens pour financer les développements capacitaires de l’Union, à commencer par ceux de la PESCO. En effet, si l’article 41 paragraphe 2 du TUE lui interdit de prendre en charge « les dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense », tel qu’il est interprété, cet article ne fait pas obstacle à ce que l’Union soutienne financièrement la recherche et le développement dans le domaine de la Défense.

C’est en effet sur la base de l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à la politique industrielle que la Commission a annoncé vouloir soutenir financièrement l’industrie européenne de Défense à travers deux instruments successifs :

– le programme européen de développement de l’industrie de la défense visant à soutenir d’ici au 31 décembre 2020, la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’Union. Il fait l’objet d’une proposition de règlement présenté le 7 juin dernier ;

– le fonds européen de Défense qui doit être opérationnel pour le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027). Présenté supra, il sera doté d’un volet recherche, prenant la suite du programme précité, et d’un volet capacités.

Vos rapporteurs soutiennent ces deux initiatives qui sont indispensables pour combler les lacunes capacitaires de l’Union européenne et assurer l’avenir de son industrie de Défense, condition essentielle de son autonomie stratégique. Toutefois, lors de leur déplacement à Bruxelles, leur attention a été attirée sur deux risques pouvant compromettre la mise en œuvre de ces initiatives.

Le premier est une réticence d’ordre idéologique. Pour la première fois de son histoire, le budget européen sera utilisé pour financer l’industrie de Défense, sous couvert de politique de recherche. Or, malgré la dégradation rapide de l’environnement de sécurité de l’Union et les attentes des citoyens européens en matière de protection, une telle évolution ne va pas de soi tant elle apparaîtrait, aux yeux de certains, non pas comme une nécessité dictée par le contexte, mais comme le symbole d’une militarisation de l’Europe, alors même que celle-ci repose sur un idéal de paix. Certes, aimer la paix n’empêche pas de préparer la guerre mais les résistances à cette évolution sont nombreuses, à la fois dans certains États membres ayant une forte tradition pacifiste mais également au sein du Parlement européen. L’examen de la proposition de règlement établissant le « programme européen de développement de l’industrie de la défense » précitée sera, de ce point de vue, un premier test.

Le deuxième risque est politique et concerne plus spécifiquement le futur fonds européen de Défense. Celui-ci doit être opérationnel à compter de 2021 et, s’agissant de son volet recherche, prendre la suite du programme européen de développement de l’industrie de Défense précité tout en le complétant par un volet capacité d’un montant d’un milliard d’euros par an.

Toutefois, les ressources de ces deux volets auront une origine très différente. S’agissant du volet recherche, elles proviendront comme celles du programme précité, du budget européen. En revanche, ainsi qu’il a été dit, il n’est pas possible pour l’Union européenne de financer directement le développement industriel et l’acquisition d’équipements dans le domaine de la Défense. C’est pourquoi les contributions financières proviendront principalement des États membres. L'Union européenne, en effet, se bornera à encourager la coopération dans le domaine de la défense en réduisant les risques aux stades précédant le cycle de développement industriel, à inciter les États membres à apporter des contributions et à soutenir la compétitivité de l'industrie européenne de la défense.

Toutefois, quel que soit le volet du FED, il n’en reste pas moins que les États membres devront s’entendre pour dégager les ressources nécessaires dans le prochain cadre financier pluriannuel dont les négociations vont s’ouvrir en 2018. Or, toujours très difficiles et conflictuelles, celles-ci le seront encore plus en raison du Brexit. En effet, celui-ci va priver l’Union européenne de ressources évaluées à environ dix milliards d’euros par an, le Royaume‑Uni étant l’un des principaux contributeurs nets au budget européen. L’alternative est dès lors très simple : soit les États membres s’accordent pour augmenter d’autant leur contribution nationale au budget européen afin de combler le trou laissé par le Brexit – ce qui semble très difficile – soit ils décident de diminuer d’autant les dépenses, un mix entre les deux solutions étant bien évidemment possible.

Cependant, même en cas de baisse limitée des dépenses, il faudra toujours que les États membres parviennent à s’accorder sur les politiques qui devront être mises à contribution. Compte tenu de la structure du budget européen, seules pourraient être concernées la PAC et la politique de cohésion. Or, les pays d’Europe de l’Est, principaux bénéficiaires de cette politique, ne cachent pas leur intention de se battre pour la préserver et il est à craindre que la PSDC se retrouve l’otage des tractations budgétaires entre les États membres. Même si les négociations n’ont pas commencé et qu’elles dureront près de deux ans, il faut d’ores et déjà envisager l’hypothèse que notre pays soit contraint à une réduction des montants de la PAC, dont il est le principal bénéficiaire, afin de dégager les ressources nécessaires à la Défense européenne.

Au final, le chemin est encore long avant que les initiatives financières de l’Union se concrétisent. Vos rapporteurs insistent toutefois sur le fait que, si elles devaient être bloquées en raison des égoïsmes nationaux, c’est l’industrie européenne de Défense qui, dans une certaine mesure, en subirait les conséquences et un très mauvais signal serait envoyé aux citoyens européens.

3.   Les obstacles au renforcement de la BTIDE

L’objectif du fonds européen de Défense sera, comme le programme européen de développement de l’industrie de la défense avant lui, de soutenir l’effort de recherche de cette dernière afin d’assurer sa compétitivité et, de ce fait, sa pérennité au service de l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Il est à souligner que ce Fonds européen de Défense appellera nécessairement à une synergie systématisée entre États membres et Commission par le biais du détachement d’experts nationaux. Cette synergie pourra être de nature à renforcer les liens de confiance et de complémentarité entre administrations nationales et européennes, dans un domaine considéré de souveraineté nationale par beaucoup.

Toutefois, dans le contexte du Brexit et d’une réduction du budget possible, sinon probable, des deux grandes politiques redistributrices que sont la PAC et la politique de cohésion, le risque est évident que le fonds européen de défense soit à son tour considéré comme un fonds structurel et, à ce titre, soumis à la règle du « juste-retour ». Bien qu’elle ne figure dans aucun texte européen, cette règle est immuable et impose que l’ensemble des États membres bénéficient des politiques européennes et qu’une part plus ou moins importante de leur contribution leur soit retournée.

Le FED ne fera probablement pas exception à cette règle. Au cours de leur déplacement à Prague, Varsovie et Tallin, vos rapporteurs ont en effet entendu le même discours quant à la volonté de ces pays de voir leurs entreprises bénéficier de ses financements. La Pologne, dans le courrier précité envoyé à la Haute représentante, a publiquement fait le lien entre sa participation à la PESCO et les financements européens pour l’industrie polonaise de la Défense, ce qui lève le mystère sur la vraie raison de sa participation à celle-ci. Ce lien est d’ailleurs pertinent puisque, aux termes de l’article 7 du projet de règlement établissant le programme européen précité, le taux de financement d’un projet réalisé dans le cadre de la PESCO bénéficie d’un taux de financement majoré de dix points. Même si les autres États membres ne se sont pas prononcés aussi clairement que la Pologne, il est plus que probable qu’eux aussi attendent du FED et de la PESCO qu’ils bénéficient à leur industrie nationale.

Le risque est ainsi que les projets financés par le PEDID et le FED le soient non parce qu’ils sont les plus appropriés aux besoins futurs des armées européennes mais parce qu’ils permettent à l’ensemble des industries nationales de bénéficier de ses financements, ce qui pourrait impliquer d’écarter les projets de grande ampleur ou, au contraire, très pointus, qui ne seraient accessibles qu’à quelques entreprises européennes technologiquement avancées. Dès lors, les fonds européens ne contribueraient pas tant à la consolidation de l’industrie européenne de Défense qu’à maintenir à flot les industries nationales, en contradiction totale avec l’ambition de la Commission européenne.

L’autre risque, plus important, est que le PEDID et le FED ne bénéficient pas à l’industrie européenne de Défense mais à ses concurrents étrangers. A priori, le risque est écarté dès lors que l’article 7 du projet de règlement précité dispose que les bénéficiaires ne pourront être que « des entreprises établies dans l’Union qui sont détenues à plus de 50 % et effectivement contrôlées par des États membres et/ou des ressortissants d’États membres soit de manière directe, soit de manière indirecte par le biais d’une ou de plusieurs entreprises intermédiaires. En outre, toutes les infrastructures, les installations, les biens et les ressources utilisés par les participants, y compris les sous-traitants et tout autre tiers, dans le contexte d’actions financées au titre du programme ne peuvent être situés sur le territoire de pays non membres de l’Union ».

 

Cette question a fait l’objet de débats difficiles au Conseil compte tenu du lobbying très intense des entreprises de Défense non européennes ayant des filiales installées en Europe. C’est ainsi qu’une responsable du ministère de la Défense suédois a critiqué la position de la Commission : « la Suède a sur son sol des industriels performants mais dont le capital est aussi détenu par des Britanniques et des Américains. Mais nos employés sont suédois ». Notre pays lui-même considère que le critère de contrôle capitalistique proposé par la Commission pourrait exclure du programme certains groupes clés européens comme Airbus dont le capital est flottant, si bien qu’elle soutient, comme d’ailleurs la rapporteure du Parlement européen, Mme Françoise Grossetête, le critère du contrôle effectif. Au final, le 12 décembre dernier, le Conseil a arrêté son orientation générale dans le sens voulu par notre pays. Le projet doit maintenant être examiné par le Parlement européen.

Une même tension entre l’efficacité d’une initiative européenne et l’emploi se retrouve dans la volonté de la Commission de renforcer le marché unique de la Défense en ouvrant plus largement à la concurrence les marchés publics nationaux (voir supra). Il est évident que la BITDE sortirait renforcée d’une concurrence accrue entre des entreprises européennes de Défense permettant aux plus compétitives, après l’élimination de leurs concurrentes les moins compétitives, mises en faillite et/ou rachetées, d’atteindre la taille critique nécessaire à la fois pour investir dans des technologies très coûteuses, réaliser les économies d’échelle et se confronter aux géants américains du secteur.

Cependant, le prix à payer d’une telle concentration serait élevé tant sur le plan social que sur le plan politique. En effet, derrière le mouvement de concentration que la Commission appelle de ses vœux, il y a des milliers d’emplois dont le maintien repose sur le cloisonnement des marchés publics nationaux et la préférence donnée aux entreprises nationales, même lorsqu’elles sont moins compétitives que leurs concurrentes européennes. Ouvrir ces marchés les condamnerait à disparaître ou à les voir rachetées par ces dernières avec à la clé, probablement, de lourdes restructurations. Alors que les États membres voient au contraire dans les initiatives européennes le moyen de soutenir leur industrie nationale de Défense, vos rapporteurs ne les croient pas enclins à aller, s’agissant de leurs marchés publics, dans le sens voulu par la Commission d’une industrie de Défense concentrée dans quelques États membres.

En outre, au-delà de ses conséquences sociales, la concentration de l’industrie européenne de Défense se heurte également à des obstacles politiques majeurs. En effet, les entreprises de Défense, en ce qu’elles détiennent un savoir‑faire technologique essentiel, sont une composante indispensable à l’autonomie stratégique d’un pays qui, très logiquement, surveille généralement de près toute évolution capitalistique. C’est ainsi que l’article L. 151-1 du code monétaire et financier soumet à autorisation préalable « les investissements en France qui relèvent des activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale ou des activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives ».

Cette sensibilité des investissements étrangers dans le secteur de la Défense a trouvé une nouvelle illustration l’été dernier en France, lorsque le gouvernement a pris la décision de nationaliser de manière temporaire les chantiers navals STX, bloquant ainsi leur rachat par l’italien Fincantieri et ce, au grand dam du gouvernement italien. Cette décision, justifiée par la nécessité de « défendre les intérêts stratégiques de la France », selon les termes du ministre de l’Économie, a effectivement permis de renégocier les conditions du rachat dans un sens plus protecteur de ces derniers.

En définitive, malgré les avantages évidents que l’Union retirerait d’un marché unique de la Défense, vos rapporteurs croient plus à la coopération qu’à la concentration de l’industrie européenne de Défense, ce qui ne les empêche pas de soutenir une meilleure application des deux directives précitées. Au niveau européen, la PESCO a déjà donné un nouvel élan à la coopération entre les entreprises européennes, en attendant la mise en œuvre du PEDID précité et celle, à terme, du fonds européen de Défense. Il convient également de souligner que cette coopération au niveau européen ne sonne pas le glas de la coopération militaire bilatérale, dont elle est complémentaire. La France et le Royaume-Uni viennent d’ailleurs de montrer l’exemple lors du 35ème sommet franco-britannique le 19 janvier. Comme l’a déclaré le président de la République, la coopération bilatérale se poursuivra, à la fois sur le plan capacitaire, mais également sur le plan opérationnel.

4.   Le défi de l’autonomie stratégique et opérationnelle

Vos rapporteurs l’ont déjà évoqué à propos de la PESCO qui est très orientée vers le développement en commun de capacités militaires. Mais cette orientation capacitaire est également celle de toutes les autres initiatives de l’Union européenne, qu’il s’agisse du CARD, du PEDID, du FED ou du Plan d’action européen pour la Défense. Si l’ensemble de ces initiatives est évidemment essentiel dans le contexte actuel, il n’en reste pas moins que l’Union traite de la question de la sécurité et de la Défense à travers ses instruments classiques que sont des financements et cofinancements européens, l’ouverture à la concurrence et la coordination des politiques nationales. En réalité, l’objectif principal de ces initiatives est industriel, et c’est d’ailleurs la base légale de nombre d’entre elles.

Or, ce renforcement des capacités militaires européennes, pour nécessaire qu’il soit, est insuffisant en lui-même et ne peut être qu’une première étape vers « l’autonomie stratégique et opérationnelle » mentionnée par le président de la République dans ses vœux aux Armées. En effet, il faut se poser la question : à quoi bon avoir les meilleurs équipements militaires du monde s’ils ne servent pas ? L’une des personnes auditionnées par vos rapporteurs a utilisé l’image du camion de pompiers. Dans quelques années, l’Europe ayant développé ses capacités disposera d’un magnifique engin neuf équipé de la plus moderne des technologies de lutte contre le feu. Toutefois, s’il reste dans la caserne parce que les pompiers sont incapables de travailler ensemble ou que leurs chefs se disputent sur l’usage qui doit en être fait, certains refusant même de risquer la vie de leurs hommes et d’endommager un si beau matériel, alors les incendies se poursuivront et s’étendront dans le voisinage, jusqu’à brûler la caserne elle-même.

Il va de soi que les citoyens, qui attendent de l’Union qu’elle les protège, lui en voudront d’autant plus de ne pas le faire que celle-ci aura dépensé des milliards d’euros pour développer ses capacités militaires. La sécurité et la Défense, sensées relégitimer l’Union européenne, pourraient ainsi nourrir s’il en était besoin l’euroscepticisme.

C’est pourquoi, sans attendre le développement des capacités militaires, l’Union européenne doit dès à présent réfléchir à renforcer le caractère opérationnel de la PSDC, c’est-à-dire ses capacités d’intervention et de projection. En effet, sans de telles capacités, il est vain de croire que l’Union pourra mettre en œuvre une PSDC à la hauteur des ambitions affichées et répondre aux préoccupations de sécurité des Européens.

Or, en la matière, la situation n’est pas satisfaisante, comme ne l’est évidemment pas le spectacle un peu désolant que donne l’Union européenne avec ses groupements tactiques qui, depuis 2005, s’entraînent sans jamais avoir été déployés. Il n’est d’ailleurs pas certain que la simple prise en charge par le mécanisme Athéna des coûts de leur déploiement suffise. Compte tenu des différences de doctrines entre les États membres comme de la position de principe d’un certain nombre d’entre eux qui refusent de risquer la vie d’un seul de leur soldat, c’est la conception même des groupements tactiques qui est à revoir, à commencer par la règle d’unanimité qui prévaut à leur engagement.

Il n’est pas cependant pas certain que les groupements tactiques soient réformables. C’est pourquoi vos rapporteurs estiment nécessaire de réfléchir dès à présent à un nouveau concept de force d’intervention rapide qui corrige les défauts des groupements tactiques, comme a commencé à le faire la France à travers la proposition d’une initiative européenne d’intervention. Elle pourrait ainsi reposer sur un noyau dur d’États membres, par exemple ceux de l’Eurocorps, ayant les capacités opérationnelles suffisantes pour intervenir très rapidement en cas de crise extérieure. Ils seraient soutenus par d’autres États membres qui, sans avoir de telles capacités, seraient en mesure de les décharger de certaines tâches comme le transport ou l’assistance médicale. Enfin, ceux qui, quelle qu’en soit la raison, ne souhaiteraient pas intervenir, contribueraient financièrement à l’opération militaire ou la compléteraient par des actions civiles.

En conclusion, et malgré les limites qu’ils soulignent des initiatives européennes en matière de sécurité et de Défense, vos rapporteurs estiment qu’elles vont dans le bon sens. Les efforts doivent se poursuivre sur le renforcement des capacités militaires mais également se doubler d’une réflexion sur l’usage qui doit être fait de celles-ci et des possibilités pratiques de le faire.

C.   Ces initiatives imposent de redéfinir la relation entre l’union européenne et l’otan

1.   L’OTAN est aujourd’hui politiquement, juridiquement et matériellement incontournable pour la Défense européenne

De leurs déplacements à Bruxelles et dans les pays de l’Est – en République Tchèque, en Pologne et en Estonie – ainsi que de l’ensemble des entretiens qu’ils ont eus, vos rapporteurs ont retiré la conviction que l’OTAN est aujourd’hui indispensable à la Défense européenne, ce caractère indispensable de l’OTAN reposant avant tout sur une réalité politique maintes fois rappelée.

En effet, outre le Royaume-Uni, vingtetun États membres de l’Union européenne sont également membres de l’OTAN et nombre d’entre eux considèrent celle-ci comme l’instrument majeur – voire unique – de leur politique de Défense. C’est un fait sur lequel plusieurs des interlocuteurs ont insisté. Alors que notre pays a pu, par le passé, varier dans son engagement atlantiste, se retirant du commandement militaire en 1966 avant de le réintégrer en 2009, et jouer de plusieurs instruments – l’OTAN, la coopération bilatérale et l’indépendance nationale, dont le symbole est l’arme nucléaire, l’ensemble de ses homologues sont, eux, restés fidèles à l’OTAN depuis leur adhésion et ne comptent que sur elle pour assurer leur sécurité collective.

C’est particulièrement le cas des pays d’Europe de l’Est. Ainsi qu’il a été dit supra, une fois libérés du joug soviétique voire, pour les pays Baltes, recouvrée leur indépendance, ils n’ont eu de cesse, face à une Union soviétique dont la décomposition était source d’inquiétudes, que de rechercher la protection des États‑Unis et, logiquement, fait de l’adhésion à l’OTAN une priorité à l’égale de leur adhésion à l’Union européenne. À l’Est, les choses sont ainsi très claires : à l’Union européenne, l’économie, à l’OTAN, la Défense et lorsqu’il faut choisir entre les deux solidarités, comme en 2003 lors de la crise irakienne, ils choisissent immanquablement l’OTAN. Cet attachement à l’OTAN s’explique évidemment par l’Histoire et par la perception des menaces. Pour l’Europe de l’Ouest, la Russie représente une menace parmi d’autres, relativement lointaine et bien moins prégnante que le terrorisme. Elle peut même être vue comme un allié dans la lutte contre Daesh. En revanche, pour les pays d’Europe de l’Est, largement préservés jusqu’à ce jour du terrorisme islamiste, la Russie constitue une menace existentielle qu’il faut absolument conjurer.

C’est ainsi que, lorsque la Russie a renoué avec l’agressivité vis-à-vis de ses voisins, annexé la Crimée et déstabilisé l’Est de l’Ukraine, les pays d’Europe de l’Est, à commencer par la Pologne et les pays Baltes, se sont tous tournés vers l’OTAN qui, à leur demande expresse, a mis en place une politique dite de « réassurance » : des troupes de l’OTAN, incluant des troupes françaises, ont ainsi été déployées, à compter de 2016, dans le cadre d’une « présence avancée renforcée » en Pologne, en Lettonie, en Lituanie et en Estonie.

Dans ces conditions, il est parfaitement clair que dans la situation actuelle et compte tenu des incertitudes entourant le futur de la Russie, la défense collective d’une part significative des États membres continuera à être assumée par l’OTAN et que toute tentative visant à remettre en cause ce rôle au bénéfice de l’Union européenne sera un échec. La lettre de notification de la PESCO est ainsi sans équivoque : « l’OTAN continuera à être la clé de voûte de la défense collective pour ses membres ».

À ces considérations politiques sur le caractère incontournable de l’OTAN s’ajoute une contrainte juridique : le rôle de l’OTAN dans la Défense européenne figure en tant que tel dans les traités européens. C’est ainsi que l’article 42 du TUE stipule que la PSDC « n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de Défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». La nécessaire complémentarité entre l’OTAN et la PSDC a également été rappelée dans la Stratégie globale pour la PESC : « en ce qui concerne la défense collective, l'OTAN reste l'instance la plus importante pour la plupart des États membres. L'Union européenne approfondira dès lors sa coopération avec l'Alliance de manière complémentaire et synergique et dans le plein respect du cadre institutionnel, de l'inclusivité et de l'autonomie décisionnelle de chacune ».

Enfin, un dernier facteur fait de l’OTAN un acteur incontournable de la PSDC et c’est peut-être le plus important dans la perspective d’un renforcement du caractère opérationnel de celle‑ci. Il y a aujourd’hui autant d’armées qu’il y a d’États membres, l’Union européenne ne disposant pas, en tant que telles de troupes, à l’exception des groupements tactiques dont la portée opérationnelle, on le sait, est plus que limitée. Par conséquent, avec vingt-huit armées et, souvent, autant d’équipements et de doctrines et procédures différentes, il est très difficile d’imaginer que les États membres puissent jamais agir ensemble contre une menace commune.

L’OTAN a été confrontée au même problème et ce, dès sa création en 1949. C’est pourquoi, depuis près de soixante-dix ans, l’OTAN s'emploie à faire en sorte que les forces de ses membres soient capables de travailler ensemble, c’est-à-dire qu’elles soient interopérables. L’interopérabilité se définit en effet comme l’aptitude à agir ensemble de manière cohérente, efficace et efficiente afin d’atteindre les objectifs tactiques, opérationnels et stratégiques. Elle permet plus particulièrement aux forces, aux unités et/ou aux équipements, même différents, de fonctionner ensemble et de partager une doctrine et des procédures communes et de communiquer les uns avec les autres.

Or, c’est un fait qu’après plusieurs décennies de planification, de normalisation, d'entraînement et d'exercices interarmées leur permettant d’obtenir une « certification OTAN », les forces armées des pays de l'OTAN sont parvenues à un haut niveau d’interopérabilité, même si certains problèmes subsistent, notamment en matière de télécommunications, comme vous rapporteurs l’ont constaté en Estonie où ils ont visité les troupes françaises déployées dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN.

Dans ces conditions, sachant qu’outre le Royaume‑Uni, vingt‑et‑un États membres de l’Union, incluant toutes ses principales puissances militaires, sont également membres de l’OTAN, c’est par l’intermédiaire de celle-ci qu’elles seront interopérables dans le cadre de la PSDC.

De ce constat partagé par tous les États membres du caractère incontournable de l’OTAN, vos rapporteurs tirent deux conclusions importantes dans la perspective d’un renforcement de la PSDC.

La première est la nécessité, pour l’Union européenne mais aussi pour ses membres individuellement de s’investir dans l’OTAN. En effet, si le renforcement de la PSDC ne peut se faire contre l’OTAN, en particulier en matière de défense collective, compte tenu des réticences de ses membres orientaux, ceux-ci n’accepteront ledit renforcement, notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, qu’à la condition que l’Union européenne et les États membres prennent en compte leurs propres priorités en matière de sécurité, c’est-à-dire la menace russe.

C’est un point important que vos rapporteurs tiennent à souligner car il impacte directement la politique de Défense de notre pays. Les initiatives françaises en matière de PSDC seront d’autant mieux reçues par ses partenaires, en particulier à l’Est, que celle-ci s’investira dans la présence avancée renforcée déployée par l’OTAN dans les pays Baltes et en Pologne. Vos rapporteurs ont pu constater comment le déploiement des militaires français en Estonie est apprécié par les autorités de ce pays, preuve d’une attention et d’un soutien auquel elles ont été très sensibles. C’est en poursuivant, malgré les contraintes matérielles, cet effort que notre pays se fera des alliés pour faire avancer ses propositions au niveau européen en matière de Défense.

De même, au-delà de l’engagement sur le terrain, notre pays ne doit pas négliger ses obligations vis-à-vis de l’OTAN. L’attention de vos rapporteurs a ainsi été attirée sur le fait que la France, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, n’avait pas mis à disposition de l’OTAN autant d’officiers qu’elle en avait promis, avec cette justification qu’engagée sur plusieurs fronts, l’armée française ne disposait pas des ressources suffisantes. C’est évidemment dommage car cette présence française limitée au sein des structures de l’OTAN nuit à l’influence de notre pays sur une organisation qui joue un rôle majeur dans l’élaboration des doctrines et des procédures qui, ensuite, sont partagées par l’ensemble de ses membres. C’est notamment le cas dans les centres d’excellence de l’OTAN même si dans celui de Tallinn sur la cyberdéfense, que vos rapporteurs ont visité, la France est bien représentée.

Enfin, s’il est vrai que l’appartenance à l’OTAN représente un coût pour notre pays, estimé à 190 millions d’euros par an, auquel s’ajoute le coût des personnels mis à disposition, il ne faut pas oublier qu’en retour, la France bénéficie de contrats de l’OTAN à hauteur de 500 millions d’euros. Il va de soi que le montant de ces retours est directement proportionnel à l’investissement dont elle fait preuve dans l’Alliance.

La deuxième conclusion que tirent vos rapporteurs, logiquement liée à la première, est la nécessité, pour l’Union européenne, d’approfondir sa coopération avec l’OTAN dans le domaine où celle-ci est indispensable. De ce point de vue, le sommet de Varsovie et les 42 actions de coopération décidées conjointement le 9 décembre 2016 vont dans le bon sens, en particulier s’agissant de la cyberdéfense.

En outre, même si, comme le souhaitent vos rapporteurs, la PSDC devient plus opérationnelle à mesure que les capacités européennes se renforcent et que les doctrines d’intervention évoluent, il ne faut pas pécher par optimisme. L’Union européenne ne disposera pas avant des années, sinon des décennies, des capacités opérationnelles dont dispose aujourd’hui l’OTAN ni de la même expérience en matière de planification et de conduite d’opérations militaires. Compte tenu du refus de toute duplication des moyens de l’OTAN par ses États membres les plus atlantistes, il est plus que probable que l’Union européenne ne dispose jamais du moins dans un avenir raisonnable  de l’équivalent du SHAPE (« Supreme Headquarters Allied Powers Europe »), c’est‑à‑dire d’un vrai quartier général pour ses opérations militaires. Dans ces conditions et dans la droite ligne des accords de Berlin plus (voir supra), l’Union européenne doit pouvoir s’appuyer sur les moyens de l’OTAN pour ses opérations militaires et, ainsi, ne pas faire de l’absence desdits moyens une excuse pour ne pas lancer de telles opérations.

C’est un point sur lequel il convient d’insister à nouveau tant il est fondamental pour le succès de la PSDC. Même si cette étape est essentielle, il ne sert à rien de renforcer ses capacités militaires si celles-ci doivent rester inutilisées, faute de volonté politique.

2.   L’Union européenne doit défendre la spécificité de la défense européenne de la tentation hégémonique de l’OTAN

Si l’OTAN joue un rôle majeur dans la PSDC, celle-ci n’est pas réductible à l’OTAN, à ses moyens ni à ses missions. Vos rapporteurs sont au contraire convaincus que, malgré les contraintes politiques, juridiques et opérationnelles précitées et compte tenu de ses spécificités, l’Union européenne doit être en mesure de mettre en œuvre une PSDC ambitieuse qui, avec l’OTAN, contribuera à la sécurité de l’Europe comme à la stabilité du monde.

a.   L’Union européenne a des moyens d’action plus variés que l’OTAN

L’OTAN est une organisation de défense collective dont les moyens sont exclusivement militaires. Elle dispose de quelques moyens opérationnels propres mais s’appuie essentiellement sur ceux de ses membres. Ainsi, lorsque l’OTAN intervient, quelle que soit l’ampleur de l’intervention – depuis la formation d’armées étrangères (Afghanistan et Irak) jusqu’aux bombardements stratégiques (ex‑Yougoslavie et Kosovo), en passant par les opérations de stabilisation et de maintien de la paix (Bosnie‑Herzégovine), la forme est toujours celle d’une opération militaire.

En revanche, à l’inverse de l’OTAN, l’Union européenne dispose de moyens civils qui sont fondamentaux pour la résolution des crises auxquelles elle fait face. En effet, c’est un fait désormais reconnu par tous qu’aucune des crises actuelles, qu’il s’agisse de la crise migratoire, de la crise ukrainienne ou des crises en Afrique ou au Proche-Orient, ne pourra être réglée par les seuls moyens militaires. Ces crises, lorsqu’elles ne sont pas l’instrument d’une confrontation politique et stratégique, comme celle en Ukraine, se déclenchent toujours dans un environnement fait de violations des droits humains, de corruption, de faiblesse des structures étatiques, de pauvreté et de manque de perspectives économiques, en particulier pour une jeunesse nombreuse qui n’a d’autres choix que d’émigrer ou de rejoindre les groupes criminels, souvent liés aux groupes terroristes. C’est pourquoi les États‑Unis ont échoué en Irak et en Afghanistan, comme la France et le Royaume-Uni en Libye, depuis sept ans en proie à l’anarchie malgré le succès de l’intervention militaire en 2011.

Pour que soit assurée la sécurité de l’Union, il est donc nécessaire que celle-ci ait une approche intégrée en utilisant l’ensemble des moyens à sa disposition. Ceux-ci sont nombreux, à commencer par l’aide au développement. Avec 75,5 milliards d’euros en 2016, l’Union est le plus important bailleur de fonds du développement, lequel concerne des pays qui sont souvent les mêmes dont les crises l’affectent, à commencer par les États du Sahel, parmi les plus pauvres du monde. Aider au développement de ces pays, à la fois financièrement et par le biais d’accords commerciaux préférentiels, en conditionnant cette aide au respect des droits humains, participe incontestablement à la stabilisation de ces pays et, de ce fait, au règlement des crises qui peuvent les frapper.

Toutefois, l’aide au développement serait vaine si les États qui en bénéficient souffrent d’une gouvernance défaillante. C’est pourquoi de nombreuses missions civiles de l’Union européenne ont pour objet de renforcer les structures étatiques, en particulier la justice et la police, et l’État de droit. En effet, la sécurité intérieure est nécessaire à l’efficacité de l’aide au développement et ce constat a motivé la Commission européenne, en 2016, à proposer une nouvelle initiative législative faisant le lien entre sécurité et développement : capacity building in support of development and security, et permettant d’affecter l’aide au développement au renforcement de la sécurité dans les pays tiers. Cette proposition est toujours en discussion.

Enfin, il est fréquent que ce soit le gouvernement d’un État qui, pour des raisons de politique intérieure ou d’intérêt stratégique vis‑à‑vis de ses voisins, soit à l’origine d’une crise affectant l’Union européenne. C’est particulièrement le cas pour deux crises majeures que sont la crise en Syrie et la crise en Ukraine. Dans les deux cas, ce sont les décisions du gouvernement de Bachar El‑Assad et Vladimir Poutine qui ont provoqué et/ou aggravé la situation et l’option militaire, même un temps envisagée pour la Syrie, ne l’est plus aujourd’hui et ne l’a jamais été pour l’Ukraine.

Dans de telles crises, dont fait évidemment aussi partie le conflit israélo-palestinien, c’est le dialogue politique qui est essentiel et c’est à lui seul que l’on doit, s’agissant de l’Ukraine, les Accords de Minsk qui constituent aujourd’hui, malgré les difficultés de leur mise en œuvre, le seul règlement possible. Ce dialogue n’est d’ailleurs pas exclusif de sanctions comme celles que l’Union applique depuis 2014 à la Russie. Or, seules des autorités politiques légitimes, comme l’Union européenne et/ou les États membres, sont en mesure de conduire un tel dialogue, pas une organisation militaire comme l’OTAN.

Au final, compte tenu de la nature des crises qu’elle affronte aujourd’hui, l’Union européenne, avec l’ensemble des moyens dont elle dispose, apparaît plus outillée que l’OTAN pour les régler, pour autant toutefois qu’elle soit en mesure d’intervenir militairement sur le terrain, ce qui renvoie aux développements précédents s’agissant du nécessaire renforcement caractère opérationnel de la PSDC. Une action unique sous une direction européenne apparaît ainsi largement préférable et bien plus efficace à la multiplication des acteurs ayant leurs propres moyens et agissant selon leurs propres règles et objectifs.

Par conséquent, il est de l’intérêt de l’Union européenne et de ses États membres, en particulier ceux qui appartiennent à l’OTAN d’éviter que celleci se disperse et duplique les moyens civils européens de gestion de crises et de state building. Ils doivent au contraire plaider pour qu’elle se concentre sur sa mission première, la défense collective du territoire européen.

b.   L’Union européenne est plus légitime à intervenir en Afrique que l’OTAN

C’est un fait que l’OTAN, s’appuyant depuis le sommet de Rome (1991) sur une conception large de la sécurité collective, a considérablement élargi le champ de ses interventions. À l’origine limitées au continent européen, elles peuvent désormais avoir lieu dans le monde entier. C’est ainsi qu’actuellement, l’OTAN est engagée en Afghanistan, en Irak et au large de la Somalie, et a pu intervenir dans le passé au Soudan (voir supra).

Vos rapporteurs n’ont rien à dire de l’engagement de l’OTAN en Afghanistan et en Irak, pays où l’Alliance intervient à la demande des États‑Unis, à qui elle ne peut rien refuser, pour l’aider à gérer les conséquences des deux guerres qu’ils ont déclenchées. En revanche, ils s’interrogent sur la pertinence de la présence de l’OTAN dans la corne de l’Afrique – où l’opération Sea Guardian duplique à l’évidence l’opération européenne Atalante, et en Afrique d’une manière générale.

En effet, les crises qui frappent actuellement l’Afrique, notamment au Sahel, en Somalie, en Libye, en Centrafrique, et constituent une menace pour la sécurité de l’Union, sont l’archétype des crises complexes résultant avant tout de la déliquescence de l’État et pour lesquelles la solution n’est pas militaire mais avant tout politique, économique et sociale. Sans revenir sur ce qui a été dit supra, l’OTAN ne dispose pas des moyens ni du savoir-faire nécessaires pour régler les crises africaines ni, sur le plan militaire, de l’expérience du terrain qui est celle, par exemple, de l’armée française.

Vos rapporteurs estiment donc que c’est à l’Union européenne et non à l’OTAN d’intervenir elle-même en Afrique pour régler les crises qui menacent sa sécurité, y compris lorsque cette intervention comporte une dimension militaire. N’ayant pas elle-même les capacités militaires nécessaires, ce sera donc aux États membres d’intervenir en son nom et sous sa direction, ou même des États tiers, comme le G5 Sahel dont la France soutient fortement la montée en puissance pour aider la force Barkhane. Toutefois, cette délégation de l’intervention militaire, faute de force d’intervention propre, pose la sempiternelle question du financement et des blocages juridiques de la prise en charge par le budget européen du coût des interventions militaires.

En revanche, vos rapporteurs ont été heureusement surpris, lors de leur déplacement en Europe de l’Est, par le fait que les pays de l’Est sont ouverts à ce que l’Union européenne s’implique plus dans les crises africaines, y compris militairement. C’est le cas de la République Tchèque. Non seulement ce pays, en 2013, a contribué au lancement de la mission EUTM Mali de formation de l’armée malienne en fournissant cinquante militaires pour un coût de 8 millions d’euros, mais il s’est aussi engagé à financer la force antiterroriste du G5 Sahel, concomitamment avec la Slovénie, l’Estonie, la Hongrie et la Slovaquie. Même en Pologne, les interlocuteurs qu’ont rencontrés vos rapporteurs ont fait part de leurs préoccupations quant à la situation au Sahel, preuve qu’ils ont parfaitement conscience que la sécurité de l’Europe se joue aussi en Afrique.

Dans ces conditions, un partage des tâches se dessine entre la PSDC et l’OTAN. À cette dernière la défense territoriale de l’Europe, en Europe, contre la menace russe, à l’Union européenne le règlement des crises africaines, y compris sur le plan militaire. Il va de soi, comme vos rapporteurs l’ont souligné supra, que les États membres de l’Est seront d’autant plus enclins à soutenir l’action de l’Union européenne en Afrique que celle-ci et les États membres de l’Ouest s’engageront à leurs côtés contre la menace russe, notamment dans le cadre de l’OTAN.

c.   L’Union européenne est mieux armée que l’OTAN contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme est l’une des plus difficiles qui soit. Loin du schéma classique d’une ligne de front séparant deux armées étatiques régies par le droit de la guerre, les populations civiles restant à l’arrière, elle implique de lutter contre un ennemi invisible, prenant la forme de petits groupes et de « loups solitaires », réfugiés dans les montagnes et les déserts ou, au contraire, caché dans les villes, usant d’engins explosifs improvisés, d’armes blanches ou de camions contre les soldats mais aussi et surtout contre les civils. Cette lutte n’est pas spectaculaire, encore moins médiatique ; elle est, comme l’ennemi lui-même, souvent secrète, reposant sur les forces spéciales, la police et le renseignement intérieur et extérieur, et se déroule autant à l’étranger, au Sahel ou en Syrie, que dans les villes de province où se sont constituées des filières de recrutement de djihadistes, sans oublier les places financières internationales par où transitent les fonds alimentant Daesh et Al Qaida. Elle vise à déjouer les projets d’attentat, à mettre hors d’état de nuire les terroristes avérés et leurs réseaux mais également, par l’éducation et le développement, à prévenir la radicalisation de la jeunesse. Elle est donc aussi protéiforme et complexe que l’est le terrorisme lui-même.

Ainsi présentée, il apparaît clairement que l’OTAN, énorme machine militaire créée pour la défense collective de l’Europe contre une menace conventionnelle, n’est pas outillé pour la lutte contre le terrorisme et, malgré les réformes intervenues depuis la fin de la guerre froide, ne pourra jamais l’être. Il lui manquera en effet toujours l’essentiel, c’est-à-dire les forces spéciales, la connaissance intime du terrain et l’ensemble des moyens de sécurité intérieure, sans parler qu’elle souffre d’un partage défaillant du renseignement, lequel est l’un des instruments majeurs de la lutte antiterroriste.

Si le partage d’informations entre l’OTAN et l’Union européenne est défaillant, c’est évidemment en raison du conflit chypriote. Chypre est membre de l’Union européenne mais pas de l’OTAN, en raison de l’opposition persistante de la Turquie. La Turquie s’oppose à ce que Chypre, dont elle occupe le Nord, ait accès sous couvert de l’Union européenne aux informations classifiées de l’OTAN. Par conséquent, ces informations parviennent aux États membres de l’Union par la voie bilatérale. Cet antagonisme complique aussi la coopération sur le terrain s’agissant des missions concurrentes de l’Union européenne et de l’OTAN et, en particulier, dans la Corne de l’Afrique.

L’OTAN n’a donc qu’une utilité marginale pour l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme. Ce fait est d’ailleurs reconnu par le plus atlantiste des États membres de l’Union, la Pologne : lors de leur déplacement à Varsovie, certains des interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs ont, de manière inattendue, reconnu que l’Union était mieux armée que l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme. De même, d’une manière générale, le terrorisme est désormais perçu à l’Est comme une menace au même titre que la Russie, les responsables estoniens ayant par exemple rappelé à vos rapporteurs que deux de leurs compatriotes avaient été tués lors de l’attentat de Nice le 14 juillet 2016.

Par conséquent, telle que vos rapporteurs la conçoivent, il n’y a pas lieu de voir une concurrence entre l’OTAN et la PSDC en raison des spécificités de cette dernière, qui la rendent parfaitement complémentaire avec la première. Pour dire les choses très simplement, l’OTAN a été créée pour la défense territoriale collective de l’Europe et doit s’y concentrer, en s’appuyant sur les États membres des deux organisations. Le reste doit être le domaine de la PSDC, qu’il s’agisse de la lutte antiterroriste, de la sécurisation des frontières et, d’une manière générale, de la gestion de crise à l’extérieur de l’Union européenne, en recourant, le cas échéant, aux moyens militaires et aux informations de l’OTAN mais conservant la direction des opérations, en attendant d’être capable, un jour peut‑être, de s’en passer.

3.   À long terme, la question du rôle de l’OTAN dans la défense d’une Union européenne devenue autonome pourrait se poser

L’OTAN est aujourd’hui incontournable dans la Défense européenne et l’Europe de la Défense ne se construira pas sans l’OTAN, ni a fortiori contre l’OTAN. Vos rapporteurs tiennent à souligner à nouveau ce point comme le fait que l’Union européenne et l’OTAN sont complémentaires, le renforcement des capacités de l’une bénéficiant à l’autre dans les missions qui lui reviennent et la déchargeant de celles que l’Union sera désormais mieux à même de réaliser.

Toutefois, vos rapporteurs ne rempliraient pas totalement la mission qui leur a été confiée s’ils n’essayaient pas de voir à long terme ce que pourrait être l’Europe de la Défense compte tenu des évolutions géopolitiques, pour certaines d’ores et déjà perceptibles, dans l’Union, dans l’OTAN et aux États‑Unis.

Dans l’Union européenne, il est désormais acquis que la sécurité et la Défense doivent constituer une priorité de l’action de l’Union. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’ensemble des initiatives européennes en la matière sont soutenues par l’ensemble des États membres et que même les plus pacifistes participent à la PESCO. Face à la multitude de crises qui les menacent, l’inquiétude des citoyens européens est telle qu’il est peu probable que l’Union revienne en arrière ; bien au contraire, les nouvelles crises qui, inévitablement, la frapperont ne feront que renforcer ce besoin de protection. Ce dernier s’impose également à l’intérieur des États membres qui, comme la France, sont nombreux à augmenter leurs dépenses militaires et à renforcer leur arsenal juridique, en particulier contre le terrorisme.

Bien qu’elle soit aujourd’hui incontournable dans la Défense de l’Europe, l’OTAN traverse une crise qui, si elle devait s’aggraver, ne serait pas sans conséquence sur l’Union européenne. Cette crise est évidemment liée à la Turquie dont plusieurs décisions récentes suscitent une vive inquiétude en Europe tant elles mettent à mal les relations UE‑OTAN et, surtout, les intérêts mêmes de l’Union européenne :

– en mai dernier, la Turquie a bloqué les programmes du Partenariat pour la paix impliquant l’Autriche en raison de l’hostilité déclarée de ce pays à son adhésion à l’Union européenne ;

– en janvier, la Turquie a décidé d’intervenir militairement en Syrie contre les milices kurdes, celles-là même qui, soutenues par les États‑Unis et plusieurs pays européens, ont contribué à détruire le califat de Daesh, avec lequel la Turquie a par ailleurs, un temps, entretenu des relations pour le moins équivoques ;

– en septembre, la Turquie a annoncé avoir décidé d’acquérir auprès de la Russie le système de défense anti-aérienne S‑400, symbole du rapprochement entre les deux pays après la crise consécutive à la destruction d’un avion russe dans l’espace aérien turc en 2015.

Ces décisions récentes, qui s’ajoutent aux problèmes structurels que pose la Turquie à l’Union européenne en raison de l’occupation du Nord de Chypre, y compris au sein de l’OTAN dans le domaine du partage du renseignement, doivent conduire celle-ci à s’interroger sur la pertinence de confier un rôle primordial dans sa défense à une organisation dont l’un des membres majeurs est si peu fiable qu’il peut jouer impunément contre ses intérêts stratégiques dans le voisinage Sud et Est. Il faut dire que l’Union européenne est largement entre les mains de la Turquie qui maîtrise les flux de réfugiés vers l’Union européenne depuis l’accord du 18 mars 2016. La sortie de la Turquie de l’OTAN ne serait d’ailleurs pas forcément une bonne chose puisqu’elle affaiblirait durablement l’Alliance vis-à-vis de la Russie – dont le flanc Sud ne sera plus surveillé – et au Proche-Orient, où la Turquie joue un rôle majeur.

Enfin, la dernière évolution, entamée sous le Président Obama, est celle d’une réorientation des intérêts sécuritaires américains vers l’Asie, avec le primat donné à la lutte contre la menace chinoise (et nord-coréenne), tout en maintenant comme prioritaire la lutte contre le terrorisme. L’élection de Donald Trump à la présidence, par ailleurs marquée par des soupçons d’ingérence, voire de collusion avec la Russie, n’a rien changé sur ces points, comme le montre la nouvelle stratégie de sécurité nationale rendue publique en décembre dernier.

Le plus intéressant dans cette nouvelle stratégie est probablement l’avant-propos du président Trump, plus révélateur peut-être des priorités américaines que la stratégie elle-même, au moins pour les prochaines années. Soulignant que cette dernière « met l’Amérique en premier », il ne cite pas l’Europe et ignore la Russie dans la longue liste des menaces auxquelles sont confrontés les États‑Unis, depuis les « États voyous » nommément cités (Iran et Corée du Nord) jusqu’aux groupes djihadistes. De même, si la stratégie rappelle que « les ÉtatsUnis restent engagés par l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord », l’avant-propos ne cite pas l’OTAN, se bornant à une référence à peine voilée à « l’injustice de nos alliés dans le partage du fardeau ». Ces propos font écho au refus du président Trump – certes démenti par la suite – de s’engager sur ce même article 5 lors du sommet de l’OTAN en mai dernier, refus qui avait déclenché une vive inquiétude en Europe.

Par conséquent, s’il n’est évidemment pas question aujourd’hui d’un retrait des États‑Unis du terrain européen, rien ne dit qu’à long terme, ils resteront engagés en Europe et continueront à assurer sa défense territoriale via l’OTAN, surtout s’ils sont militairement engagés sur un autre front en Asie. C’est une éventualité, certes lointaine et peut-être improbable, mais elle existe et l’Europe doit s’y préparer. Comme l’a dit le président de la République dans ses vœux aux armées, « quand vous regardez les puissances de plus en plus inquiétantes qui émergent à notre voisinage, quand vous voyez certaines déclarations et la tension qui existe sur les budgets de l'OTAN, il est clair que tout en restant positionnés comme nous le sommes au sein de l'Alliance, il nous faut, au niveau européen, travailler à cette autonomie stratégique et opérationnelle et nous en donner les moyens ».

À supposer que les lacunes capacitaires de l’Union européenne soient un jour comblées, vos rapporteurs se sont interrogés sur les conditions et évolutions nécessaires pour que celle‑ci devienne pleinement autonome du point de vue stratégique et opérationnel. Elles sont au nombre de quatre :

– la création d’un véritable quartier général européen, sur le modèle du SHAPE de l’OTAN, donnant à l’Union européenne les capacités de planification et de conduite d’opérations militaires qui lui font aujourd’hui défaut ;

– la définition d’une culture stratégique commune, incluant des règles et procédures communes, afin de garantir comme le fait aujourd’hui l’OTAN l’interopérabilité des armées européennes ;

– une force d’intervention rapide d’au moins 60 000 soldats, déployables rapidement n’importe où dans le monde.

– la mise en commun des coûts, car il n’est évidemment pas envisageable de faire financer la défense de l’Europe, comme aujourd’hui, par un autre budget que celui de l’Union européenne ;

Par ailleurs, une question se posera nécessairement à terme, surtout maintenant que le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne : dissuasion nucléaire française doit-elle être étendu à l’ensemble des États membres de l’Union européenne et si oui, dans quelles conditions ?

Il va de soi que ces conditions sont aujourd’hui impossibles à réaliser pour les raisons politiques, juridiques et opérationnelles précitées, les lacunes capacitaires comme opérationnelles de l’Union européenne l’empêchant en tout état de cause de prétendre à une telle autonomie. Comme souvent dans la construction européenne, c’est en affrontant une crise majeure que l’Europe avance et s’approfondit. Quelle sera la prochaine ? Vos rapporteurs l’ignorent mais peut-être que c’est à la faveur d’une telle crise que l’Europe de la Défense deviendra une réalité faisant apparaître l’OTAN comme une duplication inutile.


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   Menaces hybrides et cyberDéFENSE EUROPéENNE

Tout au long de la guerre froide et pendant les années qui suivirent la chute du Mur de Berlin, les enjeux de la défense européenne étaient exclusivement conventionnels. Était redoutée une attaque armée, avec des moyens létaux classiques, contre un État membre de l’Union européenne, que celle-ci vienne d’un État ou, plus récemment, d’une organisation terroriste.

Aujourd’hui, les choses ne sont plus si simples. Si la menace conventionnelle n’a pas disparu, comme le prouvent les attaques terroristes en Europe ou les grandes manœuvres militaires russes aux frontières orientales de l’Union, elle se double désormais de ce qu’on appelle les menaces hybrides visant les réseaux informatiques d’un pays, notamment ceux du système électrique, des télécoms ou des transports ferroviaires ou aériens, sans oublier ceux des armées elles-mêmes. En effet, compte tenu de l’informatisation toujours plus grande de nos sociétés, il est plus facile aujourd’hui de détruire un pays avec un ordinateur qu’avec des armes. Cette fragilité de nos sociétés est une réalité et, en 2007, l’Estonie a été la première victime d’une telle attaque hybride de grande ampleur, probablement lancée depuis la Russie.

Les États, comme la Russie ou la Corée du Nord, sont accusés d’être les auteurs de telles attaques mais celles-ci, un jour, pourraient être également lancées par des organisations terroristes.

Les menaces hybrides ont également leur version « douce » à travers les fake news et, plus largement, les actions de propagande et de manipulations. Elles ne visent pas les infrastructures informatiques d’un pays mais cherchent à influencer les médias et l’opinion publique et, au-delà, les élections. Elles constituent une menace directe contre la démocratie et sont particulièrement difficiles à contrecarrer. Les États-Unis eux-mêmes y ont été largement exposés lors de la dernière campagne présidentielle en 2016.

L’Union européenne est pleinement consciente de ces menaces hybrides et la cyberdéfense fait l’objet d’une coopération approfondie avec l’OTAN. L’OTAN a en effet clairement une avance sur l’Union européenne en la matière, puisque le premier centre d’excellence de l’OTAN en matière de cyberdéfense a été ouvert à Tallinn en 2008. La stratégie de l’Union européenne a quant à elle été présentée en 2013 et a été actualisée en septembre 2017.

Le sommet UE‑OTAN de Varsovie le 8 juillet 2016  a ainsi défini sept domaines de coopération dont trois concernent la cybersécurité et la cyberdéfense, la lutte contre les menaces hybrides, et les exercices, notamment contre ces dernières. C’est dire qu’une part considérable de la coopération entre les deux organisations porte sur ces enjeux cyber de la Défense, à la mesure de la menace que les cyberattaques représentent pour l’Union européenne.

 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le jeudi 22 février 2018, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Joaquim Pueyo, rapporteur. Pendant longtemps, l’Union européenne ne s’est pas préoccupée de Défense et la Défense n’était d’ailleurs pas dans ses compétences. En effet, lorsque la Communauté économique européenne a été créée, en 1957, son objet était, comme son nom l’indique, exclusivement économique. Il faut dire que la tentative de créer une Communauté européenne de Défense en 1954 ayant échoué, les Pères fondateurs ont jugé plus prudent de cantonner la construction européenne, dans le traité de Rome, à la création d’un marché commun.

Les décennies qui suivirent la création de la CEE ont, effectivement, été consacrées à la construction du marché commun et à la mise en place des grandes politiques européennes. La CEE et ses membres pouvaient d’autant plus se consacrer à celles-ci que les États-Unis – via l’OTAN – assuraient leur défense collective contre la seule menace existante à l’époque : l’Union soviétique. Le partage des tâches entre les deux organisations était ainsi parfaitement clair : à la CEE, les questions économiques, à l’OTAN, la défense collective de l’Europe de l’Ouest et, en particulier de la CEE dont la totalité des membres (sauf l’Irlande) étaient également membres de l’OTAN. Pour le reste, les États membres de la CEE restaient entièrement libres de définir leur politique de Défense et d’utiliser leurs moyens militaires pour défendre leurs intérêts à l’extérieur du continent européen, en Afrique pour la France, ou aux Malouines pour le Royaume-Uni.

Les choses ont évidemment changé en 1989. La disparition de la menace soviétique a privé l’OTAN de sa raison d’être. Le marché commun était, quant à lui, en voie d’achèvement, si bien qu’une nouvelle ambition a été donnée à l’Europe dans le traité de Maastricht : la définition et la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune, incluant une composante Défense. Toutes les années quatre-vingt-dix ont ainsi été consacrées à la mise en place des instruments politiques, juridiques et matériels de cette PESC, évolution qui sera détaillée dans le rapport. La composante Défense de la PESC s’est quant à elle progressivement autonomisée jusqu’à être consacrée comme une politique européenne à part entière, la politique de sécurité et de défense commune – PSDC, dans le traité de Lisbonne. Cependant, alors que l’Union européenne travaillait sur elle-même, la guerre était de retour sur le sol européen. La chute du mur de Berlin, la dislocation du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique elle-même ont, certes, libéré l’Europe de l’Est mais aussi réveillé les nationalismes et les conflits gelés pendant la Guerre froide. C’est ainsi que deux conflits ont éclaté en ex-Yougoslavie, la guerre de Bosnie (1992-1995) et la guerre du Kosovo en 1999. Dans les deux cas, l’Union européenne a été totalement impuissante et c’est l’OTAN qui est intervenue pour imposer la paix. En effet, après une période de flottement, l’OTAN a trouvé une nouvelle raison d’être dans une conception large de la sécurité collective lui permettant d’agir n’importe où, y compris hors de l’Atlantique Nord, en cas de crise menaçant, même indirectement, la sécurité d’un de ses membres. Dans ces conditions, alors que la politique européenne de Défense a été considérée comme opérationnelle en 2001, la question de son articulation avec l’OTAN s’est immédiatement posée car les objectifs assignés à cette politique (qu’on appelle les « missions de Petersberg ») étaient également ceux de l’OTAN, y compris sur le sol européen.

Le rapport détaille les vicissitudes des relations UE-OTAN pendant les années 2000. Celles-ci ont oscillé entre la coopération – dans le cadre des accords de Berlin Plus qui donnent à l'Union européenne un accès aux moyens et capacités de l'OTAN pour des opérations dirigées par l'Union – et la concurrence, notamment dans la corne de l’Afrique, où coexistent deux missions de lutte contre la piraterie, EUNAVFOR Atalante pour l’Union européenne et Ocean Shield pour l’OTAN.

Cependant, une complémentarité de fait s’est installée entre les deux organisations, découlant de leur différence d’ambitions et de moyens : l’Europe fait du civil et un peu de militaire, surtout de la formation, l’OTAN assure la défense collective de l’Europe et les « vraies » opérations militaires, en appui le cas échéant des États membres de l’Union européenne. Ce fut le cas, par exemple, en Libye où la France et le Royaume-Uni ont été les principaux contributeurs de l’opération aéronavale de l’OTAN Unified protector en 2011. En revanche, la France est intervenue seule au Mali en 2013, hors du cadre de l’Union européenne mais avec l’appui logistique de certains États membres. En définitive, ni l’Union, ni les États membres n’avaient les moyens matériels de concurrencer l’OTAN ni, surtout, la volonté politique de le faire.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. La volonté politique de mettre en œuvre une PSDC ambitieuse, réelle à la fin des années quatre-vingt-dix, a en effet rapidement disparu à la faveur des changements structurels, conjoncturels et stratégiques intervenus dans les années 2000. Le changement structurel, c’est l’adhésion de neuf pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne. Or, tous avaient préalablement adhéré à l’OTAN et considèrent celle-ci comme la clé de voûte de leur sécurité. La crise financière a constitué le changement conjoncturel majeur. En effet, l’Union européenne et les États membres ont consacré l’essentiel de leur énergie à relancer leurs économies, à résoudre le problème des dettes publiques et à sauver la Grèce de la faillite et, au-delà, la zone Euro. Enfin, contrairement aux années quatre-vingt-dix où la guerre ravageait l’ex‑Yougoslavie et où la dislocation de l’URSS inquiétait toute l’Europe, les années 2000 ont été une période de relative stabilité dans l’environnement de l’Union européenne comme en son sein.

Si les questions de défense sont aujourd’hui en tête des priorités de l’Union européenne, c’est évidemment parce que l’environnement de sécurité de l’Union européenne s’est considérablement dégradé. Bien loin du cercle d’amis voulu à l’origine dans son voisinage, l’Union est désormais entourée par un véritable arc de feu. Elle est en effet actuellement confrontée à une multitude sans précédent de crises déstabilisant son voisinage proche, en Syrie, en Ukraine ou au Sahel, dont les répercussions se font sentir à l’intérieur de ses frontières, notamment par l’afflux de réfugiés et la multiplication des actes terroristes en France, en Belgique, au Danemark ou en Allemagne.

Surtout, ces crises ont révélé l’impuissance de l’Union européenne. Certes, des sanctions ont été adoptées contre la Syrie et la Russie, et quelques missions militaires ont été lancées, mais ces dernières sont opérées et financées par les États membres qui tiennent également le premier rôle dans la résolution des crises qui frappent le voisinage européen, notamment notre pays, engagé au Sahel mais aussi, avec l’Allemagne, pour un règlement pacifique de la crise ukrainienne à travers les Accords de Minsk. La réponse de l’Union à ces crises a donc été clairement insuffisante et elle a été jugée comme telle par les citoyens européens. Ces derniers attendent de l’Union européenne qu’elle prenne la mesure des menaces, qu’elle agisse et qu’elle les protège. Celle-ci doit répondre à cette attente, sauf à voir sa légitimité, déjà entamée par ces crises et par le Brexit, s’affaiblir encore.

L’Union a toutefois pris conscience des enjeux et, depuis deux ans, a fait de la défense sa priorité. Dès juin 2016, une Stratégie globale pour la PESC a été adoptée, sur proposition de la Haute représentante, par le Conseil européen. Puis, à l’été, quelques semaines après le choc du Brexit, la France et l’Allemagne, rejointes par l’Italie et l’Espagne, ont proposé un pacte européen de sécurité dont il n’est pas inutile de rappeler les trois composantes majeures, car ce sont elles qui ont inspiré les initiatives européennes actuelles :

– une coopération européenne accrue des États membres en matière de Défense, à la fois par la mise en œuvre de la Coopération structurée permanente, mais également par une coordination et une transparence accrue de leurs développements capacitaires et de leurs budgets de Défense ;

– le développement de nouvelles capacités de Défense. Ont ainsi été proposés un objectif de 20 % des budgets nationaux de la Défense consacrés à l’investissement dans des secteurs clés (le ravitaillement en vol, la communication satellitaire gouvernementale, la cybersécurité et le drone MALE) et un vrai programme de recherche européen en matière de Défense ;

– le renforcement du caractère opérationnel des capacités militaires dont l’Europe dispose actuellement, via la création d’un quartier général permanent et l’amélioration du processus de génération de forces pour les missions de l’Union européenne, laquelle reposera notamment sur une meilleure prise en charge de leur coût par le mécanisme Athéna.

Le contexte aidant, cette proposition, qui aurait pu rester lettre morte comme tant d’autres avant elle, a été immédiatement reprise par la Commission. Dans son discours sur l’état de l’Union, le 14 septembre 2016, M. Jean-Claude Juncker a dit vouloir une « Europe qui protège » et une « Europe qui défend » et a fait de la Défense une priorité d’action de l’Union.

M. Joaquim Pueyo, rapporteur. La relance de l’Europe de la Défense a pris la forme de plusieurs initiatives fortes que le rapport présente en détail. Celles-ci s’organisent autour de trois axes.

Le premier axe est le renforcement des capacités militaires de l’Union à travers deux initiatives. La première est le lancement de la coopération structurée permanente qui constitue, depuis le traité de Lisbonne, le cadre d’une coopération militaire entre les États membres. Elle n’avait jamais été mise en œuvre, faute de volonté politique de leur part. C’est désormais le cas depuis le 11 décembre dernier. Concrètement, cette CSP rassemble tous les États membres, sauf le Royaume-Uni, le Danemark et Malte, qui coopèreront sur 17 projets visant à renforcer les capacités européennes de Défense. Toutefois, au-delà de la CSP, ce renforcement des capacités de Défense serait largement inopérant du point de vue européen s’il se faisait de manière désordonné, chacun des États membres définissant ses besoins et décidant de ses investissements sans tenir compte de ceux des autres. C’est à ce manque de coordination que l’Union européenne doit de faire cohabiter, dans ses armées nationales, 17 types de chars de combat lourds, 29 types de destroyers et de frégates et 20 types d’avions de chasse différents. C’est pourquoi une deuxième initiative a été mise en œuvre : une revue annuelle coordonnée de Défense permettant un suivi complet des politiques de Défense des États membres, un peu comme le semestre européen en matière de coordination des politiques économiques.

Le deuxième axe est l’augmentation des financements pour renforcer la compétitivité de l’industrie européenne de Défense. En effet, il y aurait une incohérence majeure si l’Union, pour renforcer ses capacités militaires, devait se fournir en matériels et technologies auprès de pays tiers et plus encore si les différentes entreprises européennes de Défense se montraient incapables de coopérer entre elles ou de réaliser les investissements nécessaires.

Trois initiatives ont été lancées à cette fin :

– le programme européen de développement de l’industrie de défense, doté de 500 millions d’euros. À compter de 2021, un Fonds européen de Défense, doté lui d’un milliard d’euros supplémentaires par an, prendra la suite, pour financer le développement pour aider les États membres à acquérir des matériels militaires ;

– la promotion des investissements dans les PME, les start-up, les ETI et les autres fournisseurs de l'industrie de Défense, qui pourront bénéficier des prêts de la BEI et des fonds structurels ;

– enfin, le renforcement du marché unique de la Défense par une application plus stricte des deux directives sur les transferts des produits liés à la défense et sur les procédures de passation des marchés publics dans les domaines de la défense et de la sécurité.

Enfin, le dernier axe est le renforcement de la coopération UE-OTAN depuis le sommet de Varsovie en juillet 2016. Ce sommet a défini sept domaines de coopération, principalement dans le domaine de la cyberdéfense et de la lutte contre les menaces hybrides.

L’ensemble de ces initiatives va dans le bon sens et il faut se réjouir qu’elles aient été lancées. Toutefois, notre rapport attire l’attention sur une série de risques pouvant menacer leur succès.

Le lancement de la Coopération structurée permanente constitue un indéniable succès. Toutefois, loin d’être un noyau dur d’États membres particulièrement investis dans les questions de Défense, elle rassemble la quasi-totalité des États membres. L’unanimité étant de mise pour la prise des décisions, des compromis seront nécessaires et sont déjà visibles dans les 17 projets qui ont été retenus. Bien qu’utiles, ils manquent singulièrement d’ambition. Surtout, la CSP a un objet avant tout capacitaire et ne comporte pas vraiment d’engagement visant à renforcer le caractère opérationnel de la PSDC. Or l’exemple des groupements tactiques, qui s’entraînent depuis 2005 sans jamais avoir été déployés sur le terrain, est de mauvais augure.

Le deuxième risque que met en évidence le rapport est le risque financier. Beaucoup d’argent a été promis à la PSDC mais, en matière financière, l’unanimité est de mise. Or les négociations du prochain cadre financier pluriannuel s’annoncent encore plus conflictuelles qu’à l’ordinaire compte tenu du « trou » laissé dans le budget européen par le Brexit. Si le budget européen devait diminuer, les États membres devront s’accorder sur les politiques mises à contribution. Il est à craindre que la PSDC se retrouve l’otage des tractations budgétaires et des intérêts nationaux.

Enfin, le troisième risque porte sur l’industrie européenne de défense. Si tout le monde veut renforcer sa compétitivité, il n’est pas sûr que les moyens mis en œuvre y parviennent. En effet, le risque est évident que le fonds européen de défense soit considéré comme un fonds structurel et, à ce titre, soumis à la règle du « juste-retour ». Au cours de notre déplacement à Prague, Varsovie et Tallinn, ces pays n’ont rien caché de leur volonté de voir leurs entreprises nationales bénéficier de ses financements.

Le risque est ainsi que les projets financés par l’Union le soient non parce qu’ils sont les plus appropriés aux besoins futurs des armées européennes, mais parce qu’ils permettent à l’ensemble des industries nationales de bénéficier de ses financements, ce qui pourrait impliquer d’écarter les projets de grande ampleur ou, au contraire, très pointus, qui ne seraient accessibles qu’à quelques entreprises européennes technologiquement avancées. Dès lors, les fonds européens ne contribueraient pas tant à la consolidation de l’industrie européenne de Défense qu’au maintien à flot des industries nationales, en contradiction totale avec l’ambition de la Commission européenne.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. L’avenir dira si ces initiatives seront un succès mais il faut d’ores et déjà s’interroger sur leur articulation avec l’OTAN.

S’il y a une chose qui est revenue comme un leitmotiv dans l’ensemble des auditions que nous avons menées, tant à Bruxelles que dans les capitales est-européennes, c’est le caractère incontournable de l’OTAN dans la défense européenne, à la fois pour des raisons politiques, juridiques et opérationnelles.

Politique, car outre le Royaume-Uni, vingt et un États membres de l’Union européenne sont également membres de l’OTAN et nombre d’entre eux, en particulier à l’Est, considèrent celle-ci comme l’instrument majeur – voire unique – de leur politique de Défense, avec toutefois des différences entre eux. Dans ces conditions, il est parfaitement clair que dans la situation actuelle et compte tenu des incertitudes entourant le futur de la Russie, la défense collective d’une part significative des États membres continuera à être assumée par l’OTAN. Celle‑ci est également incontournable pour des raisons juridiques puisque l’article 42 du TUE, comme la Stratégie globale, la mentionnent en tant que telle dans la politique de Défense mise en œuvre par les États membres.

Enfin, ce fait est moins connu, mais c’est peut-être le plus important dans la perspective d’un renforcement du caractère opérationnel de la PSDC. Comme l’Union européenne, l’OTAN a été confrontée, dès 1949, aux différences d’équipements, de doctrines et de procédures entre les armées de ses membres et, depuis soixante-dix ans, travaille à les rendre interopérables afin qu’elles puissent agir ensemble contre une menace commune. Dans ces conditions, sachant qu’outre le Royaume Uni, vingt et un États membres de l’Union sont également membres de l’OTAN, c’est par l’intermédiaire de celle-ci qu’elles seront interopérables dans le cadre de la PSDC.

De ce constat du caractère incontournable de l’OTAN, nous avons tiré deux conclusions :

– la première, c’est la nécessité pour les États membres de l’Union européenne et en particulier la France, de s’investir dans l’OTAN. Les initiatives françaises en matière de PSDC seront d’autant mieux reçues par nos partenaires, en particulier à l’Est, que celle-ci s’investira dans la présence avancée renforcée et dans les autres initiatives de l’OTAN ;

– la deuxième est la nécessité, pour l’Union européenne, d’approfondir sa coopération avec l’OTAN dans le domaine où celle-ci est indispensable, notamment dans la cyberdéfense.

Que l’OTAN soit incontournable dans la défense européenne ne fait cependant pas obstacle au développement de la PSDC en raison des spécificités de l’Union européenne, ni ne doit servir de prétexte pour ne pas avancer. En effet, aucune des crises actuelles qu’affronte l’Union, qu’il s’agisse de la crise migratoire, de la crise ukrainienne ou des multiples crises en Afrique ou au Proche-Orient, ne pourra être réglée par les seuls moyens militaires. Pour que soit assurée sa sécurité, l’Union devra donc avoir une approche intégrée et utiliser tous des moyens à sa disposition, les moyens militaires bien sûr, mais également l’aide au développement et humanitaire, le commerce ou le dialogue politique, essentiel par exemple, dans le conflit israélo-palestinien. Or, cette variété de moyens, l’OTAN n’en dispose pas.

En outre, la sécurité de l’Union se joue à l’Est, certes, mais aussi en Afrique où toutes les opérations militaires de l’Union européenne ont été lancées. Or, l’OTAN ne dispose pas des moyens ni du savoir-faire nécessaires pour régler les crises africaines ni, sur le plan militaire, de l’expérience du terrain qui est celle, par exemple, de l’armée française.

Enfin, la lutte contre le terrorisme exige une coordination parfaite entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Organisation militaire tournée vers l’extérieur, l’OTAN n’a donc qu’une utilité marginale pour l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme, à la fois parce qu’elle ne dispose pas des moyens de sécurité intérieure mais aussi parce que les échanges de renseignements, en son sein, sont bloqués par la Turquie.

Dès lors, l’OTAN et l’Union européenne peuvent être parfaitement complémentaires : l’OTAN a été créée pour la défense territoriale collective de l’Europe et doit s’y concentrer. Le reste doit être le domaine de la PSDC, l’Union pouvant recourir aux moyens militaires de l’OTAN mais conservant la direction des opérations, en attendant d’être capable, un jour, de s’en passer.

Enfin, notre rapport fait de la prospective et s’interroge sur l’avenir de l’OTAN comme acteur de sécurité en Europe. En effet, la réorientation des intérêts stratégiques américains vers l’Asie, entamée par le président Obama, n’est pas remise en cause par Donald Trump qui, dans la nouvelle stratégie nationale de sécurité de décembre 2017, ne cite ni l’Europe, ni l’OTAN. En mai dernier, il avait suscité une inquiétude considérable en refusant de s’engager sur l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, fondement de la défense collective en Europe. Cette inquiétude explique d’ailleurs probablement pourquoi même les plus atlantistes des États membres se soient ralliés an renforcement de la PSDC.

Le rapport s’interroge donc sur les conditions et les évolutions nécessaires pour que la PSDC devienne pleinement autonome du point de vue stratégique et opérationnel, au point de pouvoir se passer de l’OTAN si nécessaire. Elles sont au nombre de quatre :

– la création d’un véritable quartier général européen, sur le modèle du SHAPE de l’OTAN, donnant à l’Union les capacités de planification et de conduite d’opérations militaires qui lui font aujourd’hui défaut ;

– la définition d’une culture stratégique commune, incluant des règles et procédures communes, afin de garantir comme le fait aujourd’hui l’OTAN l’interopérabilité des armées européennes ;

– une force d’intervention rapide d’au moins 60 000 soldats, déployables rapidement n’importe où dans le monde ;

– la mise en commun des coûts, car il n’est évidemment pas envisageable de faire financer la défense de l’Europe, comme aujourd’hui, par un autre budget que celui de l’Union européenne.

Par ailleurs, une question se posera nécessairement à terme, surtout maintenant que le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne : la dissuasion nucléaire française doit-elle être étendue à l’ensemble des États membres de l’Union européenne et si oui, dans quelles conditions ?

Il va de soi que ces conditions sont aujourd’hui impossibles à réaliser pour les raisons politiques, juridiques et opérationnelles dont j’ai parlé.

En conclusion, si le chemin vers l’autonomie opérationnelle et stratégique est encore long, l’Europe de la défense est à la croisée des chemins. En effet, les crises actuelles, pour terribles qu’elles soient, constituent une opportunité historique d’aller de l’avant dans la construction d’une véritable Europe de la défense. La saisir est une impérieuse nécessité pour l’Union européenne qui, dans ce domaine plus que dans les autres, joue sa crédibilité vis-à-vis des citoyens européens. En effet, les citoyens européens ont une forte attente en matière de sécurité et de Défense. Si l’Europe devait décevoir cette attente, elle nourrirait le sentiment anti-européen et la perception que décidément, l’Europe est coupée des réalités ou – et c’est peut être pire – incapable de les affronter en adoptant les mesures nécessaires. Dans tous les cas, c’est la construction européenne elle-même qui serait, une nouvelle fois, fragilisée. C’est pourquoi il importe de soutenir les initiatives européennes mais aussi d’alerter sur les risques auxquelles elles sont exposées, afin de mieux assurer leur succès. C’est l’objet de la PPRE que nous vous proposons d’adopter.

 

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

 

Mme Liliana Tanguy, vice-présidente, remplace la Présidente Mme Sabine Thillaye.

Mme la présidente Liliana Tanguy. Je vous remercie pour ce rapport et cette présentation qui mettent en évidence les enjeux de l’Europe de la défense. Avant de donner la parole à nos collègues, je m’interroge sur l’efficience de la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN.

M. André Chassaigne. J’ai trois questions portant sur trois points de la proposition de résolution qui nous est soumise. Le point 8 porte en lui un double renoncement industriel et j’ai deux inquiétudes à ce sujet. Première inquiétude : quelle est la maîtrise publique ? Vous ne faites aucune allusion à ce que pourrait être une maîtrise publique, même au niveau de l’Europe. Est-ce que la maîtrise, pour vous, doit être celle des industriels de l’armement, des actionnaires et des financiers. Deuxième inquiétude : le lieu où seront fabriqués les équipements. On a vu, par le passé, se multiplier ce qu’on appelle les achats « sur étagère » auprès de concurrents étrangers, sans parler du rachat de nos fleurons nationaux, comme Naval Group par Fincantieri. Le point 10 révèle quant à lui une culture de gendarme du monde que je ne partage pas. L’approche que vous avez, à lire ce point, est celle d’une armée qui n’est pas une armée de défense mais une armée de projection extérieure. Enfin, le point 12 marque un abandon de souveraineté nationale mais aussi européenne. Quelle peut être l’autonomie de cette défense européenne quand on sait l’incroyable puissance militaire que sont les États-Unis. C’est une puissance dominatrice, belliqueuse et égocentrique. Je suis donc assez dubitatif sur cette articulation entre la défense européenne et l’appartenance à l’OTAN de nombre de ses membres.

M. Alexandre Freschi. Je voudrais pour ma part intervenir sur le point 8 de la proposition de résolution et, plus précisément, sur le fonds européen de défense. Ce fonds sera doté d’un milliard d’euros, ce qui est considérable et à la hauteur des défis qui se pose à l’Union européenne en termes de capacités de défense. Je souhaiterais savoir comment faire en sorte que le FED bénéficie en priorité, voire uniquement, aux entreprises industrielles européennes et non pas à des groupes étrangers.

M. Fabien Lainé. Je tiens à remercier les rapporteurs pour cette proposition de résolution particulièrement ambitieuse. J’en reviens à l’initiative européenne d’intervention, proposée par le président de la République dans son discours de la Sorbonne. Je souhaiterais que vous en développiez le contenu, étant donné que nous avons des doctrines stratégiques très différentes d’un pays à l’autre.

M. Jérôme Lambert. Les questions de défense ne peuvent jamais, selon moi, être dissociées de celles liées à la politique étrangère. Or, j’ai la conviction qu’aujourd’hui, il n’y a pas de politique étrangère européenne et qu’entre les États-membres, il y a des divergences très sensibles, entre l’Est et l’Ouest, voire entre la France et l’Allemagne.

J’ai participé, comme certains d’entre vous, à une audition d’Hélène Carrère d’Encausse dans le cadre de la commission des Affaires étrangères, qui nous a parlé de la zone d’influence russe, c’est-à-dire de la Russie, de l’Ukraine mais aussi de la Syrie à travers les relations de celle-ci avec la Russie. Sur la base de ce que j’ai appris lors de cette audition, je considère que les choses ne sont pas aussi évidentes que le laissent supposer certains mots qui figurent dans la proposition de résolution. S’agissant en particulier de la Syrie, où je suis allé plusieurs fois, les réfugiés n’ont pas fui que la dictature de Bachar El‑Assad et de Daesh mais aussi les actions des autres groupes. La formulation est donc réductrice.

Les choses sont aussi plus compliquées en Ukraine, qui n’est pas simplement une victime de la Russie, comme il est écrit dans la proposition de résolution. Je ne nie pas et personne ne peut nier ce qui se passe en Ukraine ni le rôle que jouent les forces russophones. Toutefois, on ne peut pas dire que si les accords de Minsk ne sont pas respectés, c’est uniquement du fait de la Russie. Pour ces raisons, vous comprendrez que je ne pourrai pas, en l’état, voter cette proposition de résolution.

M. Bruno Gollnisch, parlementaire européen. Lorsque le général de Gaulle a décidé de quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966, j’étais jeune mais je m’en souviens, j’étais choqué. En effet, à l’époque, il y avait une puissance totalitaire à l’Est alignant 6 000 chars à 1 000 kilomètres de Strasbourg et entretenant un communisme international très agressif en Indochine et ailleurs.

S’agissant de la proposition de résolution, je me pose des questions sur le point 13. Est-il possible de marier la carpe et le lapin ? Comme les rapporteurs l’ont très bien exposé, l’Union soviétique a disparu. Le Pacte de Varsovie a été dissous. L’Europe orientale a été libérée et la Russie s’est même retirée de l’Asie centrale, voire du Caucase. Reste le problème de l’Ukraine qui est un problème complexe, très particulier compte tenu de ce qu’est l’Ukraine dans le monde slave. L’unique réponse à ce retrait de la Russie a été l’expansion de l’OTAN mais à quoi, dans ce contexte, peut bien servir l’OTAN ? Le Budget militaire des États-Unis est près de 10 fois supérieur à celui de la Russie. Est-ce la Russie qui a attaqué l’Irak, en violation des résolutions de l’ONU, et créé le chaos au Moyen-Orient ? Est-ce la Russie qui, à travers le système Echelon, espionne ses alliés, y compris les communications privées de nos dirigeants ? Est-ce la Russie qui rackette les banques françaises sur la base d’une loi extraterritoriale contre l’Iran ? Ce n’est évidemment pas la Russie, mais nos alliés américains.

Je crois donc qu’il faut choisir aujourd’hui car le monde a changé. Ou bien on veut une défense européenne et on peut en discute,r mais elle ne peut pas exister à travers un mécanisme qui, à mon sens, n’a d’autre utilité aujourd’hui que d’imposer l’alignement de notre politique stratégique sur les États-Unis.

Mme Nicole Le Peih. Vingt-cinq pays de l’Union européenne se sont engagés, en fin d’année dernière, dans une coopération structurée permanente. Après l’échec de la CED en 1954, cette CSP a pour ambition de structurer la coopération militaire européenne pour le développement d’armements et les opérations extérieures. Les projets développés dans le cadre de la CSP étant choisi à l’unanimité, on peut imaginer que certains États membres vont craindre qu’elle ne détourne des moyens qui auraient pu aller à l’Alliance atlantique et des contrats qui auraient pu aller aux entreprises américaines. Cette CSP a été présentée comme complémentaire à l’OTAN. On peut s’interroger sur la manière dont cette CSP va s’articuler avec le tropisme atlantiste, plus ou moins poussé, de ses membres.

M. Christophe Jerretie. Mes questions portent sur les points 6 et 10 de la proposition de résolution qui, tous les deux, appellent l’Europe à consacrer plus de moyens à la défense, notamment dans le cadre du fonds européen de défense. Je m’interroge donc sur la participation respective des budgets nationaux et du budget européen à ces efforts de défense.

M. Joaquim Pueyo, rapporteur. En réponse à M. Gollnisch, je souhaite rappeler que nous sommes des Européens convaincus et notre stratégie vise à renforcer l’Union européenne. Je souhaite aussi attirer votre attention sur le fait que les États membres ne partagent pas tous la même analyse des risques. Pour les pays de l’Est, la menace est avant tout russe, surtout depuis l’annexion de la Crimée. Cela explique le fort attachement de ces pays à l’OTAN et leur inquiétude face au désengagement perceptible des États-Unis depuis la présidence Obama. Il est plus que temps d’établir une véritable défense européenne sans pour autant renoncer à l’OTAN.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. L’objet de notre rapport n’est pas de pointer la Russie du doigt mais force est de constater qu’au cours des dernières années les forces armées russes ont investi des territoires étrangers en dehors des règles du droit international.

En réponse à M. Chassaigne, je précise que la force d’intervention européenne n’est en aucune façon une résurgence néocoloniale mais une réponse à l’évolution du contexte international marqué par le désengagement des États-Unis et la nécessité pour les Européens de prendre leur destin en main. Le maintien d’une alliance centrale avec l’OTAN (21 États membres sont membres de l’OTAN, outre le Royaume-Uni) n’est pas incompatible avec l’instauration d’une défense européenne. Ces deux démarches sont complémentaires. Il n’est plus acceptable que l’Union européenne se trouve à nouveau dans l’incapacité d’apporter des réponses concrètes à certaines situations conflictuelles. Il est nécessaire qu’elle prenne désormais ses responsabilités. L’Union européenne dispose, dans certains domaines, d’un savoir-faire qui fait défaut à l’OTAN.

Concernant le fonds européen de défense, et plus précisément le volet industriel, je rappelle que la commission des Affaires européennes a décidé la mise en place d’une mission d’information sur les enjeux européens de l’industrie de la défense. Face aux doutes qui pèsent sur la capacité des États membres à produire des systèmes d’armes de manière souveraine, notamment en raison de l’entrée d’investisseurs non-européens dans les capitaux d’entreprises européennes, l’article 7 du projet de règlement relatif aux programmes européens de développement de l’industrie de défense dispose que seules les entreprises établies dans l’Union européenne et détenues à plus de 50 % et contrôlées par des États membres et/ou des ressortissants d’États membres, pourront être bénéficiaires de ces programmes. La Commission européenne aura pour mission d’assurer un contrôle effectif des groupes industriels qui bénéficieront du fonds industriel de défense. Lors de la réunion sur la sécurité qui s’est tenue à Munich le 16 février dernier, on a pu constater une certaine crispation des représentants de l’OTAN qui était peut-être suscitée par des industriels américains réagissant à la structuration en cours de l’industrie européenne de l’armement.

Le budget de la défense, au niveau européen, est principalement abondé par les États membres. Une négociation relative au cadre financier pluriannuel vient de s’ouvrir. Il faudra que les contributions nationales soient à la hauteur des ambitions. La négociation politique sera difficile, surtout avec le départ du Royaume-Uni qui était un contributeur net.

M. Joaquim Pueyo, rapporteur. La politique de sécurité et de défense commune ne bénéficie pas de financement propre. Il existe un dispositif Athéna qui permet de financer les coûts communs des missions militaires de l’Union européenne.

La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons a pour objectif de faire un état des lieux de la politique de sécurité et de défense commune et de l’OTAN et de pointer les raisons qui poussent à un meilleur équilibre entre ces deux piliers.

Je comprends la réaction de M. Lambert par rapport à la situation en Syrie et je m’étonne d’ailleurs du silence de l’Union européenne face à la répression dont sont actuellement victimes les Kurdes.

Face à l’inquiétude grandissante de nos concitoyens, la politique de sécurité et de défense commune doit être renforcée. Je suis en accord avec la politique européenne préconisée par le Président Macron en la matière.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. En réponse à Mme Le Peih, je souhaite préciser que, si la coopération structurée permanente requiert effectivement des décisions à l’unanimité, les États membres ne sont pas obligés de se joindre à tous les projets. Une fois la décision prise à l’unanimité, cette méthode différenciée permet à un petit nombre d’États membres d’avancer. La coopération structurée permanente a actuellement une orientation essentiellement capacitaire et il serait judicieux de lui donner une orientation opérationnelle plus importante.

À l’issue de ce débat, la Commission a autorisé la publication du présent rapport.

Elle a ensuite adopté la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :

 


—  1  —

 

   Proposition de résolution européenne

 

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Traité sur l’Union européenne et, en particulier, les articles 41, 42, 43 et 46,

Vu la résolution du Parlement européen du 13 décembre 2017 sur le rapport annuel sur la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune,

Vu le document de réflexion de la Commission européenne du 7 juin 2017 sur l’avenir de la Défense européenne,

Vu la communication de la Commission européenne du 30 novembre 2016 sur le plan d’action européen de la défense,

Vu la déclaration conjointe du 8 juillet 2016 des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ainsi que du secrétaire général de l’OTAN, l’ensemble commun de propositions approuvé par les ministres de l’OTAN et de l’Union européenne le 6 décembre 2016,

Vu la proposition de règlement du Parlement et du Conseil du 7 juin 2017 établissant le « programme européen de développement de l’industrie de la défense »,

Vu la décision du Conseil du 11 décembre 2017 établissant la coopération structurée permanente et fixant la liste des États membres participants,

Vu la stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne présentée par la Haute Représentante/Vice‑Présidente au Conseil européen le 28 juin 2017,

Considérant que l’Union européenne fait face, depuis plusieurs années, à une dégradation de son environnement de sécurité, laquelle se manifeste par l’accumulation de crises déstabilisant son voisinage proche, en particulier au Sahel, en Syrie et en Ukraine, dont les conséquences se font sentir à l’intérieur de ses frontières, notamment par l’afflux de migrants et la multiplication des attaques terroristes sur son sol,

Considérant que ces crises et leurs conséquences ont mis à mal la solidarité entre les États membres, remis en cause des acquis aussi fondamentaux que la liberté de circulation des personnes et révélé des oppositions qui affaiblissent l’idéal européen au moment même où l’un d’entre eux ‑ le Royaume‑Uni – a pris la décision de quitter l’Union européenne,

Considérant que les citoyens européens, directement touchés par leurs conséquences, attendent de l’Union européenne qu’elle les protège de ces crises mais également des menaces nouvelles, telles que les cyberattaques, l’insécurité énergétique ou les conséquences du changement climatique, qui, parce qu’elles sont globales, ne peuvent être conjurées par les seules initiatives nationales,

Considérant que sans réponse appropriée de l’Union européenne à ces crises comme aux attentes des citoyens européens, un risque réel de dislocation de celle-ci existe, rendant plus que jamais nécessaire un approfondissement de la construction européenne dans le domaine de la sécurité et de la Défense, lui seul pouvant dans le contexte actuel lui redonner un sens et une légitimité,

Considérant que l’Union européenne, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne qui, ensemble, avaient proposé un « Pacte européen de sécurité », a pris la mesure des défis auxquels elle est confrontée et, soutenue par l’ensemble des États membres, a fait du renforcement de la politique de sécurité et de Défense commune (PSDC) une priorité de son action,

Considérant que, depuis la présentation au Conseil européen des 27 et 28 juin 2016 de la Stratégie européenne globale pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), de nombreuses initiatives ont été lancées par la Commission européenne et les États membres, en particulier la coopération structurée permanente et le Plan d’action européen pour la Défense dont font partie le programme européen de développement de l’industrie de Défense, actuellement en discussion au Parlement européen, et le futur fond européen de Défense (FED),

Considérant que le renforcement de la base industrielle et technologique de Défense (BITD) de l’Union européenne, condition essentielle de son autonomie stratégique, représente un enjeu majeur pour la PSDC mais également pour les États membres, compte tenu du nombre d’emplois que représentent les industries nationales de Défense,

Considérant qu’outre le Royaume-Uni, vingt-et-un membres de l’Union européenne sont également membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui constitue le cadre actuel de leur défense collective et, par son expérience et ses moyens, un partenaire aujourd’hui indispensable à la mise en œuvre de la PSDC, avec lequel l’Union doit coopérer dans un esprit de confiance et un objectif de complémentarité,

Considérant que l’importance de l’OTAN dans la défense territoriale de l’Europe ne fait pas obstacle au renforcement de la PSDC compte tenu de la spécificité de celle-ci, de ses moyens et de ses missions,

Considérant que l’accent mis actuellement, dans les initiatives de la Commission et des États membres, sur le développement des capacités militaires de l’Union européenne doit ouvrir la voie, à terme, à des mesures visant à renforcer le caractère opérationnel de la PSDC, sans lequel celle-ci demeurerait sans portée,

Considérant que la coopération structurée permanente ne doit pas remettre en cause la coopération intergouvernementale en matière d’armements, notamment avec le Royaume-Uni, laquelle pourrait être au contraire renforcée afin de mener à bien les projets permettant de combler les lacunes capacitaires de l’Union, en particulier en matière d’équipements « IRS » (renseignement, surveillance, reconnaissance),

Considérant que le succès des initiatives européennes en matière de développement capacitaire et, plus généralement, de la PSDC repose sur la mise en œuvre effective des mécanismes de financement, notamment le FED, laquelle exigera que les États membres trouvent un compromis sur le prochain cadre financier pluriannuel qui préserve la PSDC des probables réductions budgétaires induites par le Brexit,

1° Constate que le voisinage de l’Union européenne est déstabilisé par une multitude de crises, au Sahel, en proie aux groupes terroristes islamistes et au sous‑développement, l’un se nourrissant de l’autre, en Syrie, où la guerre civile fait rage depuis 2011, avec son cortège de morts et de réfugiés de la dictature de Bachar El‑Assad et de Daesh, et en Ukraine, victime de la Russie qui, après avoir annexé la Crimée, soutient malgré la signature des accords de Minsk le séparatisme dans le Donbass tout en entretenant, par ses manœuvres militaires et sa propagande, les tensions aux frontières orientales de l’Europe ;

2° Observe qu’à ces menaces immédiates dans son voisinage s’ajoutent les défis globaux que l’Union européenne aura à affronter au cours des prochaines années, en particulier ceux en lien avec le changement climatique, l’épuisement des réserves naturelles et les cyberattaques, qu’elles soient le fait d’organisations criminelles, de groupes terroristes ou d’États ;

3° Souligne que le terrorisme et, plus généralement, les questions de sécurité et de Défense figurent désormais parmi les principales préoccupations des citoyens européens qui, conscients que les seules réponses nationales sont insuffisantes, attendent de l’Union européenne qu’elle agisse et les protège des menaces auxquelles ils sont confrontés ;

4° Se félicite que l’Union européenne, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, ait pris conscience de ces menaces et de ces attentes et décidé, soutenue par l’ensemble des États membres, de plusieurs initiatives majeures en matière de PSDC, à la fois politiques, avec la création de la coopération structurée permanente et le lancement d’une revue annuelle coordonnée de Défense (CARD), industrielles, avec le projet de programme européen de développement de l’industrie de défense et de fonds européen de la Défense et, enfin, militaires, avec le renforcement de la coopération UE-OTAN suite au sommet de Varsovie ;

5° Insiste sur l’obligation, pour l’Union européenne et les États membres, de faire de ces initiatives autant de succès nécessaires pour renforcer la légitimité d’institutions européennes mise à mal par le Brexit, la montée des populismes et une gestion pas forcément adéquate des crises qui, jusqu’à présent, ont frappé l’Europe ;

6° Considère que le succès de ces initiatives exige de maintenir le consensus que les États membres ont su trouver sur les questions de sécurité et de Défense, en particulier lors des prochaines négociations du cadre financier pluriannuel, afin de dégager les ressources nécessaires à la mise en œuvre du fonds européen de Défense et de la PSDC en général ;

7° Estime nécessaire que la concertation avec nos partenaires européens, en particulier l'Allemagne, se poursuive, afin de dégager une vision commune des objectifs de la coopération structurée permanente et de la PSDC, et des moyens de leur mise en œuvre ;

8° Appelle le Parlement et le Conseil de l’Union européenne à adopter rapidement le programme européen de développement de l’industrie de Défense en veillant à ce que, sauf dérogations exceptionnelles, dûment justifiées et rigoureusement contrôlées, il ne bénéficie qu’à des entreprises européennes, y compris des PME, localisées sur le territoire de l’Union et exemptes de tout contrôle par des États ou des entités non-européens ;

9° Estime nécessaire de renforcer le marché unique des équipements de sécurité et de Défense et, dès lors, soutient la volonté de la Commission européenne de faire mieux appliquer la directive n° 2009/42/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense et la directive n° 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés dans les domaines de la défense et de la sécurité ;

10° Souhaite qu’à terme, la Coopération structurée permanente comme la PSDC elle-même, parallèlement au développement capacitaire, prennent une orientation plus opérationnelle, notamment par une meilleure prise en charge des coûts communs des opérations militaires par le mécanisme Athéna, ainsi que par le lancement d’une force européenne d’intervention, laquelle pourrait en outre créer une culture stratégique partagée qui fait aujourd’hui défaut au sein de l’Union européenne ;

11° Estime nécessaire que les institutions européennes, dans les limites définies par les traités, adaptent leurs structures afin que celles-ci reflètent la nouvelle priorité donnée aux questions de sécurité et de Défense dans les politiques de l’Union, une telle adaptation ne pouvant que favoriser leur mise en œuvre ;

12° Souligne le rôle fondamental de l’OTAN dans la défense territoriale de l’Union européenne et la nécessité pour l’ensemble de ses membres de respecter les obligations découlant de leur appartenance à l’Alliance atlantique, qu’il s’agisse de la mise à disposition d’officiers ou de la participation à des exercices militaires communs, en particulier aux frontières orientales de l’Europe ;

13° Considère que l’appartenance de vingt-deux de ses membres (incluant le Royaume-Uni) à l’OTAN ne fait pas obstacle au renforcement de la PSDC, à la fois sur le plan capacitaire et sur le plan opérationnel, compte tenu des spécificités des moyens d’actions de l’Union européenne qui, plus variés que ceux de l’OTAN car incluant des moyens civils, financiers et militaires, lui permettent d’apporter une réponse plus appropriée à des crises comme celles qui, par exemple, frappent le Sahel, ou de lutter plus efficacement contre le terrorisme ;

14° Attire l’attention des États membres sur l’importance de maintenir une coopération militaire bilatérale, entre eux mais également avec des États tiers en veillant toutefois à ce que celle‑ci soit compatible avec les objectifs de la PSDC.

 


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   MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION

 

Single article

The National Assembly,

Having regard to Article 88-4 of the Constitution,

Having regard to the Treaty on European Union and, especially, Articles 41, 42, 43 and 46,

Having regard to the European Parliament resolution of 13 December 2017 on the Annual Report on the implementation of the Common Security and Defence Policy,

Having regard to the European Commission Reflection paper on the future of European Defence of 7 June 2017,

Having regard to the European Commission communication of 30 November 2016 on the European Defence Action Plan,

Having regard to the Joint Declaration of 8 July 2016 by the President of the European Council, the President of the European Commission, and the Secretary General of NATO, the common set of proposals approved by the ministers of NATO and of the European Union of 6 December 2016,

Having regard to a proposal for a European Parliament and Council Regulation of 7 June 2017 establishing the “European Defence Industrial Development Programme”,

Having regard to the Council Decision of 11 December 2017 establishing permanent structured cooperation (PESCO) and determining the list of participating Member States,

Having regard to the European Union Global Strategy on Foreign and Security Policy presented by the High Representative/Vice-President to the European Council on 28 June 2017,

Considering that, for several years, the European Union has been facing a deterioration of its security environment, which can be seen in the accumulation of crises destabilising its close neighbours, especially in the Sahel, in Syria and in Ukraine, the consequences of which can be felt within the European Union borders, namely through the influx of migrants and the increase in terrorist attacks on its soil,

Considering that these crises and their impacts have damaged the solidarity between Member States, challenged such basic social rights as the free movement of persons, and revealed antagonisms that weaken the European ideal, at the very moment when one of these members – the United Kingdom – has taken the decision to leave the European Union,

Considering that the European citizens, directly impacted by the consequences of these crises, expect from the European Union that it protects them from these but also from emerging threats such as cyber-attacks, energy insecurity, or the impacts of climate change which, because of their very global nature, cannot be countered through national initiatives alone,

Considering that, if the European Union fails to provide an appropriate response to these crises, or to European citizens’ expectations, there exists a real risk of Union dislocation; it is therefore more important than ever to deepen European integration in the field of security and defence, the only one that could, in the current context, give the European Union renewed relevance and legitimacy.

Considering that the European Union – under the impetus of France and Germany who, together, had proposed a “European Security Pact” – has taken note of the challenges facing it and, supported by all the Member States, has ensured it would make it a priority of its action to strengthen the Common Security and Defence Policy (CSDP),

 Considering that, ever since the global European Common Foreign and Security Policy (CFSP) was presented to the European Council on 27 and 28 June 2016, a large number of initiatives were launched by the European Commission and the Member States, in particular the Permanent Structured Cooperation and the European Defence Action Plan, which include the European Defence Industrial Development Programme – currently being debated in the European Parliament – and the future European Defence Fund (EDF),

Considering that strengthening the European Defence Technological and Industrial Base (EDTIB) of the European Union – an essential condition to ensure its strategic autonomy – represents a major challenge for the CFSP as well as for the Member States, given the number of jobs within national defence industries,

Considering that, besides the United Kingdom, twenty-one members of the European Union are also members of the North Atlantic Treaty Organization (NATO), which represents the current framework for their collective defence and, given its experience and its means, is today an essential partner in the implementation of the CFSP, with which the EU must cooperate in a spirit of trust and to achieve complementarity,

Considering that the importance of NATO in ensuring Europe’s territorial defence is not an obstacle to strengthening the CFSP, given its specificity, its means and missions,

Considering that, in the initiatives from the Commission and Member States, the emphasis currently placed on the development of the European Union’s military capabilities must pave the way, ultimately, for measures aimed at strengthening the operational nature of the CFSP, without which it would otherwise have no impact,

Considering that the Permanent Structured Cooperation must not call into question the intergovernmental cooperation on armaments, in particular with the United Kingdom, which could, on the contrary, be strengthened in order to properly carry out projects to remedy the Union’s capacity gaps, especially in the area of IRS equipment (intelligence, reconnaissance, surveillance), 

Considering that the success of European initiatives in the area of capacity building and, more generally, of the CFSP, rests on the actual implementation of funding mechanisms, namely the EDF, which will require that Member States reach a compromise on the next multi-annual financial framework so as to shield the CFSP from probable budget cuts arising from the Brexit,

1° Notes that the European Union’s neighbours are destabilised by a multitude of crises: in the Sahel, where the region falls prey to Islamic terrorist groups and is plagued by under-development, which feed off from each other; in Syria, where civil war has been raging since 2011, bringing a trail of death and refugees under the dictatorship of Bashar al-Assad and Daesh; and in Ukraine, falling victim to Russia which, after having annexed Crimea, now supports - despite signing the Minsk agreements – separatism in the Donbass while maintaining, through its military manoeuvres and propaganda, tensions on the Eastern borders of Europe;

2° Notes that, in addition to these immediate threats in its neighbourhood, the European Union will also have to face global challenges in the coming years, in particular those related to climate change, the depletion of natural reserves and cyber-attacks, whether by criminal organisations, terrorist groups or States;

3° Underlines that terrorism and, more generally, the issues of security and defence, are now among the chief concerns of European citizens who, mindful that national responses alone are insufficient, expect from the European Union that it acts and protects them from the threats they face;

4° Welcomes, under the impetus of France and Germany, the European Union’s awareness of these threats and expectations and its decision – supported by all the Member States – to implement several major CSDP initiatives, both political, with the creation of the Permanent Structured Cooperation and the launch of a Coordinated Annual Review on Defence (CARD), industrial, with the European Defence Industrial Development Programme and the European Defence Fund, and, finally, military, with the strengthening of the EU-NATO cooperation decided at the Warsaw Summit;

5° Highlights the obligation, for the European Union and the Member States, to ensure those initiatives are as successful as necessary to reinforce the legitimacy of European institutions, which has been dented by the Brexit, the rise of populism and the occasionally inappropriate management of crises which, to this day, have hit Europe;

6° Considers that, for these initiatives to succeed, the consensus that Member States managed to reach on issues of security and defence must be maintained, especially during the upcoming negotiations of the multi-annual financial scheme, in order to ensure availability of the necessary means to implement the European Defence Fund and the CSDP in general;

7° Considers necessary that coordination with our European partners, especially Germany, be maintained in order to set out a common vision of the objectives of the Permanent Structured Cooperation and the CSDP, as well as the means of their implementation;

8° Calls upon the European Parliament and the Council of the European Union to rapidly adopt the European Defence Industrial Development Programme, while ensuring that, but for exceptional derogations – duly justified and strictly controlled – the Programme benefits solely to European companies, including SMEs, located on the European Union territory and exempt from any control by non-European States or entities;

9° Considers necessary to strengthen the single market for security and defence equipment, and therefore supports the European Commission’s desire to ensure better implementation of Directive n° 2009/42/EC of 6 May 2009 simplifying terms and conditions of transfer of defence-related products and Directive n° 2009/81/EC of 13 July 2009 on the coordination of procedures for the award of certain contracts in the fields of defence and security;

10° Hopes that the Permanent Structured Cooperation as well as the CSDP itself will ultimately take on a more operational approach, alongside capacity building, namely by ensuring that the common costs of military operations are better funded through the Athena mechanism, as well as through the launching of a European rapid reaction force, which could, moreover, give rise to a common strategic culture, today lacking in the European Union;

11° Considers necessary that the European institutions, within the limits set out in the treaties, adapt their structures so as to reflect the new priority given to security and defence issues in the European Union’s policies, which will necessarily encourage their implementation;

12° Highlights NATO’s fundamental role in ensuring the territorial defence of the European Union, and the importance for all of its members to meet their obligations arising from their membership in the Atlantic alliance, whether by supplying officers, or by taking part in joint military exercises, in particular along the Eastern borders of Europe; 

13° Considers that the membership of twenty-two of its members (including the United Kingdom) to NATO is not an obstacle to the strengthening of the CSDP, both at the capacity building and operational levels, given the specificity of the means of action of the European Union which – more varied than those of NATO because they include civilian, financial and military means – enables the Union to respond more appropriately to crises such as those affecting the Sahel, or to fight terrorism more efficiently;

14° Draws Member States’ attention on the importance of maintaining bilateral military co-operation – between themselves but also with third countries – always ensuring that such co-operation is compatible with the objectives of the CSDP.

 


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Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

 

 

 

À Bruxelles (20 novembre 2017)

– M. le Vice-amiral Éric Chaperon, chef de la mission militaire de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et de l’OTAN

– M. Nicolas Suran, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l’Union européenne

– M. Arnaud Danjean, vice-président de la délégation parlementaire pour les relations avec l’OTAN, membre de la commission des affaires étrangères et membre de la sous-commission sécurité et défense

– M. Olivier Rentschler, chef de cabinet adjoint de la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité

– M. Tacan Ildem, Ambassadeur, Secrétaire général adjoint pour la diplomatie publique de l’OTAN

 

À Prague (27-28 novembre 2017)

– M. Roland Galharague, Ambassadeur de France, accompagné de M. le Lieutenant-colonel Daniel Kopecky, attaché de Défense

– M. Daniel Landovsky, vice-ministre de la Défense pour la politique de défense et la stratégie, accompagné de M. le Lieutenant général Jiří Baloun, chef d’État-major adjoint

– Mme Helena Langšádlová, députée KDU-CSL et ex-vice-présidente de la commission des Affaires européennes ;

– M. Martin Michelot, Directeur adjoint de l’Institut Europeum sur les politiques européennes

– M. Pavel Telička, vice-président du Parlement européen

 

 


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À Varsovie (28-29 novembre 2017)

– M. Pierre Levy, Ambassadeur de France, accompagné de M. le Colonel Philippe Abraham, attaché de Défense et de M. le Lieutenant-colonel Raymond Geistel, officier de liaison OTAN à Szczecin

– M. Tomasz Szatkowski, vice-ministre de la Défense

– MM. Szymon Szynkowki Vel Sęki (PiS) et Piotr Apel (Kukiiz’15), membres de la Commission des affaires européennes de la Diète

 

À Tallinn (30 novembre – 1er décembre 2017)

– Mme Claudia Delmas-Scherer, Ambassadeur de France, accompagnée de M. Julien Paupert, Premier Conseiller et de M. le Lieutenant-colonel Jean-Luc Lopez, attaché de Défense

– Mme Merle Maigre, Directrice du Centre d’excellence de l’OTAN sur la coopération en matière de cyberdéfense (CCDCOE)

– M. le Colonel Giles Harris, commandant eFP C UK pour Estonie et Pologne, accompagné de M. le Colonel Olivier Waché, chef du dispositif FRAN dans l'eFP

– M. Jonatan Vseviov, Secrétaire général du ministère de la Défense, accompagné de M. Kristjan Prikk, Secrétaire général adjoint chargé de la politique de défense

– M. Tony Lawrence, chercheur chargé du programme « Politique et stratégie de défense » au sein du Centre international sur la Défense et la sécurité (ICDS)

– M. le Général Riho Terras, chef d’État-major de l’armée estonienne

 


([1]) Une disposition identique figure à l’article 4 du Pacte de Varsovie.

([2]) À noter que si le SACEUR est toujours le commandant militaire suprême de l’OTAN, l’organisation militaire qui prévalait pendant la guerre froide a été profondément modifiée en 2003.

([3]) Comme la Force aéroportée de détection lointaine et de contrôle.

([4]) C’est d’ailleurs dans ce dernier pays, dont l’opinion publique était devenue très pacifiste, que s’est nouée la crise des Euromissiles en 1979.

([5]) Statistiques issues du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

([6]) À noter que suite à l’échec de la CED, l’Allemagne a obtenu le droit de reconstruire une armée et a intégré l’OTAN en 1955.

([7]) Il est désormais détenu par Mme Federica Mogherini, également vice-présidente de la Commission.

([8]) Le COPS, composé d’Ambassadeurs des États membres, est chargé d’élaborer des recommandations au Conseil quant à la mise en œuvre de la politique européenne de Défense.

([9]) Le Comité militaire, composé de représentants des différents états-majors nationaux, est chargé de donner des avis et recommandations au COPS, à sa demande ou de sa propre initiative, et d’établir des directives militaires à destination de l’état-major de l’Union européenne.

([10]) L’état-major de l’Union européenne, formé d’experts militaires permanents et détachés, est chargé de fournir des avis au Comité militaire et au COPS.

([11]) Toutefois, les abstentions n'empêchent pas pour autant l’adoption des décisions, en vertu du mécanisme de « l'abstention constructive », par lequel un pays peut accompagner son abstention d'une déclaration formelle et accepte que la décision engage l'Union européenne.

([12]) Le mécanisme Athéna, institué en 2004, est financé par l’ensemble des États membres selon une clé de répartition basé sur le RNB. Il vise à financer les coûts communs des opérations militaires de l'Union européenne, lesquels sont définis par la décision 2015/M528 du Conseil du 27 mars 2015.

([13]) L’AED, présidée par la Haute Représentante pour la PESC, vise à soutenir l’effort européen en matière de renforcement des capacités de Défense.

([14]) Lancé en 1993, le programme A400 M rassemble sept États membres : la France, l’Allemagne, le Luxembourg, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni ainsi qu’un État tiers : la Turquie.

([15]) Il convient de rappeler que si les Accords ont été formalisés en 2003, c’est dès le sommet de Berlin en 1996 (d’où leur nom) que les membres de l’OTAN se sont accordés sur le principe de mise à disposition des moyens de l'Alliance pour des opérations de gestion de crise dirigées par l'Union européenne. Le délai pour leur formalisation est la conséquence du blocage de la Turquie en raison de Chypre dont l’adhésion à l’Union européenne était programmée et avec lequel elle ne voulait pas partager des renseignements.

([16]) Même si une coordination était assurée à Addis Abeba par l’Union africaine.

([17]) « La politique de l'Union n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».

([18]) Entretien avec B2pro, 30 décembre 2011.

([19]) En comparaison, les États‑Unis ont un seul type de chars de combat lourds, quatre types de destroyers et de frégates et six types d’avions de chasse.

([20]) La Commission a effectivement mis en demeure, fin 2017, cinq États membres (Danemark, Italie, Pays-Bas, Pologne et Portugal) pour non-application de la directive n° 2009/81/CE.

([21]) Parmi les engagements souscrits par ses membres dans le cadre de la PESCO figurent ceux d’augmenter régulièrement leur budget de défense en termes réels ainsi que la part de celui-ci consacrée aux investissements afin d’atteindre 20 % du total.

([22]) Sondage sur les attentes des citoyens européens à deux ans des élections européennes.

([23]) C’est d’ailleurs Mme Elżbieta Bieńkowska qui pilote le projet de règlement relatif au programme européen de développement de l’industrie de Défense.

([24]) Logiciel de sécurisation des radiofréquences et fonction énergie en opérations.